Hemingway/50e: Splendeurs et misères de la virilité (Look what they’ve done to my virility, ma !)

31 décembre, 2011
The cast of Auf Wiedersehen, Pet

A la résurrection, les hommes ne prendront point de femmes, ni les femmes de maris, mais ils seront comme les anges de Dieu dans le ciel.  Jésus (Matthieu 22: 30)
Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée. Car je suis venu mettre la division entre l’homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa belle-mère; et l’homme aura pour ennemis les gens de sa maison. Jésus (Matthieu 10 : 34-36)
Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Je ne vous donne pas comme le monde donne. Jésus (Jean  14: 27)
Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus ni homme ni femme; car tous vous êtes un en Jésus-Christ. Paul (55-56?)
En reconnaissant que de tels hommes sont dignes de leur Dieu ils montrent bien qu’ils ne veulent et ne savent gagner que les niais, les âmes viles et imbéciles, des esclaves, de pauvres femmes et des enfants. Celse (c. 180)
Le monde moderne n’est pas mauvais : à certains égards, il est bien trop bon. Il est rempli de vertus féroces et gâchées. Lorsqu’un dispositif religieux est brisé (comme le fut le christianisme pendant la Réforme), ce ne sont pas seulement les vices qui sont libérés. Les vices sont en effet libérés, et ils errent de par le monde en faisant des ravages ; mais les vertus le sont aussi, et elles errent plus férocement encore en faisant des ravages plus terribles. Le monde moderne est saturé des vieilles vertus chrétiennes virant à la folie. Elles ont viré à la folie parce qu’on les a isolées les unes des autres et qu’elles errent indépendamment dans la solitude. Ainsi des scientifiques se passionnent-ils pour la vérité, et leur vérité est impitoyable. Ainsi des « humanitaires » ne se soucient-ils que de la pitié, mais leur pitié (je regrette de le dire) est souvent mensongère. G.K. Chesterton
Dionysos contre le ‘crucifié’ ” : la voici bien l’opposition. Ce n’est pas une différence quant au martyr – mais celui-ci a un sens différent. La vie même, son éternelle fécondité, son éternel retour, détermine le tourment, la destruction, la volonté d’anéantir pour Dionysos. Dans l’autre cas, la souffrance, le « crucifié » en tant qu’il est « innocent », sert d’argument contre cette vie, de formulation de sa condamnation.  (…) L’individu a été si bien pris au sérieux, si bien posé comme un absolu par le christianisme, qu’on ne pouvait plus le sacrifier : mais l’espèce ne survit que grâce aux sacrifices humains… La véritable philanthropie exige le sacrifice pour le bien de l’espèce – elle est dure, elle oblige à se dominer soi-même, parce qu’elle a besoin du sacrifice humain. Et cette pseudo-humanité qui s’institue christianisme, veut précisément imposer que personne ne soit sacrifié. Nietzsche
Le christianisme est une rébellion contre la loi naturelle, une protestation contre la nature. Poussé à sa logique extrême, le christianisme signifierait la culture systématique de l’échec humain. […]  Le mieux est de laisser le christianisme mourir de mort naturelle. (…) Le dogme du christianisme s’effrite devant les progrès de la science. (…) Quand la connaissance de l’univers se sera largement répandue (…) alors la doctrine chrétienne sera convaincue d’absurdité. Hitler (1941)
Nous devons reconnaître le caractère révolutionnaire de la pensée paulinienne. Paul marquera profondément l’histoire de l’Occident en fondant un nouveau type de communauté que ne connaissaient ni le judaïsme ni le monde gréco-romain. La société qui se construit ainsi est marquée à la fois par son universalisme – elle est ouverte à tous – et par son pluralisme – elle n’abolit pas les différences entre les personnes, mais considère que ces différences ne créent pas de hiérarchie devant Dieu. L’Antiquité n’a jamais connu de société qui combine d’une telle façon l’universalisme et le pluralisme, l’ouverture à tous et la particularité de chacun. Le type de communauté que fonde Paul se démarque à la foi de l’universalisme centralisateur (empire romain) et du pluralisme discriminatoire (synagogue). Le Dieu de Paul est le Dieu de tous et de chacun. Daniel Marguerat
Inévitablement, nous considérons la société comme un lieu de conspiration qui engloutit le frère que beaucoup d’entre nous ont des raisons de respecter dans la vie privée, et qui impose à sa place un mâle monstrueux, à la voix tonitruante, au poing dur, qui, d’une façon puérile, inscrit dans le sol des signes à la craie, ces lignes de démarcation mystiques entre lesquelles sont fixés, rigides, séparés, artificiels, les êtres humains. Ces lieux où, paré d’or et de pourpre, décoré de plumes comme un sauvage, il poursuit ses rites mystiques et jouit des plaisirs suspects du pouvoir et de la domination, tandis que nous, »ses« femmes, nous sommes enfermées dans la maison de famille sans qu’il nous soit permis de participer à aucune des nombreuses sociétés dont est composée sa société. Virginia Woolf (1938)
Plus les femmes deviennent fortes, plus les hommes aiment le football. Mariah Burton Nelson (1994)
It had a significant social context at the time, because of Thatcherism, and people going abroad to find work. There was a strong contrast between the affluence of some and the have-nots that really resonated, and still resonates today. Ian Le Frenais
Think of it as a working class Downton Abbey but with recognisable contemporary characters, first broadcast at a time of massive social upheaval. They were all men’s men. It was all to do with that very unfashionable truth about how men communicate together, what they talk about on their own and how they deal with each other. (…)There is a brutal honesty to the show, an aversion to the metaphor that comes from directness and a need to just get on with everyday life. The programme wouldn’t be commissioned today. Somebody would demand at least two or three STRONG female characters. Idiocy. When Auf Wiedersehen, Pet first aired in 1983, huge swathes of Britain, outside the South East of England, were experiencing industrial decline and the resultant unrest and misery occasioned by Margaret Thatcher’s Conservative government. Economic migration was a fact of life for many people. Hundreds of thousands of people, mainly men, had to ‘get on their bikes and look for work’ as Tory minister Norman Tebbit helpfully suggested they might do in the aftermath of the 1981 riots. (…) Think Sex In The City, with working-class Englishmen, less Sauvignon Blanc and lip gloss, more beer and cement under their fingernails and less conversational diarrhoea. This was the thinking behind Auf Wiedersehen, Pet. The comma is vital, it’s the pause for thought before the unwanted separation. The brutal Germanic, followed by the sentimental Northern afterthought. However, in the same way that Only Fools and Horses, depicted working and lower middle class life for comic effect, so Pet struck a chord with the viewing public who had, as David Cameron is reported to have recently boasted, not been born with ‘two silver spoons in their mouth’. The viewers were, in typically British fashion, rooting for the underdog, the man who had to make a living and move to Dusseldorf and live in wooden barracks or duck and dive on the streets of South London. And there were only three channels on television, and less in life for the working man, so options were limited. But this is where Auf Wiedesehen, Pet and Only Fools and Horses part company. The former spoke to the whole country, Britain that is, and not just England – no matter where the characters were from. The latter series, equally as loved and fondly remembered, simply pandered to what people wanted to believe were street-wise wide boys trying to buck the system (well, one of them anyway, sort of). And this time next year they were going to be millionaires. Lets it call it the ‘Lottery ticket mentality’. Very low rent and very South East. But then I repeat myself. One’s BBC, one is ITV… (…) And that is why it has just been announced that, on the 60th anniversary of ITV, it has been correctly declared by the Radio Times to be the best independent TV programme of all time – the fact that Thunderbirds finished second, above Coronation Street, and Blind Date made the top ten need not detain us here. The people have, after a fashion, spoken. Bill Borrows
Le privilège masculin est aussi un piège et il trouve sa contrepartie  dans la tension et la contention permanentes, parfois poussées jusqu’à l’absurde, qu’impose à chaque homme le devoir d’affirmer en toute circonstance sa virilité. (…) Tout concourt ainsi à faire de l’idéal impossible de virilité le principe d’une immense vulnérabilité. C’est elle qui conduit, paradoxalement, à l’investissement, parfois forcené, dans tous les jeux de violence masculins, tels dans nos sociétés les sports, et tout spécialement ceux qui sont les mieux faits pour produire les signes visibles de la masculinité, et pour manifester et aussi éprouver les qualités dites viriles, comme les sports de combat. Pierre Bourdieu (1998)
Notre monde est de plus en plus imprégné par cette vérité évangélique de l’innocence des victimes. L’attention qu’on porte aux victimes a commencé au Moyen Age, avec l’invention de l’hôpital. L’Hôtel-Dieu, comme on disait, accueillait toutes les victimes, indépendamment de leur origine. Les sociétés primitives n’étaient pas inhumaines, mais elles n’avaient d’attention que pour leurs membres. Le monde moderne a inventé la « victime inconnue », comme on dirait aujourd’hui le « soldat inconnu ». Le christianisme peut maintenant continuer à s’étendre même sans la loi, car ses grandes percées intellectuelles et morales, notre souci des victimes et notre attention à ne pas nous fabriquer de boucs émissaires, ont fait de nous des chrétiens qui s’ignorent. René Girard
On assiste aujourd’hui à une régression à l’école avec des insultes homophobes qui deviennent courantes dans les cours de récré. Il y a une très forte pression sur les jeunes garçons pour s’imposer comme tel. La masculinité s’exprime finalement dans la désobéissance, quand la féminité se mesure à son adaptabilité et à sa capacité à favoriser les situations sans conflit. (…) Les femmes choisissent plus ou moins consciemment des professions dans le cadre desquelles elles peuvent s’occuper des autres, comme la médecine ou la magistrature où elles sont aujourd’hui majoritaires. S’il y a quand même 25 % de femmes dans les écoles d’ingénieurs par exemple, elles savent qu’elles devront briser un “plafond de verre” qui bridera leurs ambitions dans des secteurs “masculins”. C’est d’ailleurs frappant de constater qu’au contraire, dans les professions dites “féminines”, les garçons bénéficient eux d’un “ascenseur de verre”. (…) A la sortie des grandes écoles de commerce, les jeunes filles sont recrutées au même poste et au même statut que les garçons, mais 5 à 10 % moins cher. La différence est la même à la sortie des grandes écoles d’ingénieurs, mais on constate qu’en plus un quart d’entre elles n’obtient pas un statut cadre quand c’est le cas de la quasi-totalité des garçons ! Et tout serait encore pire une fois dans le milieu professionnel. Notamment dans des conseils d’administration qui restent l’apanage des hommes. (…) Les dirigeants pensent qu’un bon leader, qu’il soit d’ailleurs un homme ou une femme, doit être masculin tout en neutralisant certains aspects machistes de sa personnalité. Renaud Redien-Collot (psychosociologue spécialiste du genre)
The real core of the feminist vision, its revolutionary kernel if you will, has to do with the abolition of all sex roles – that is, an absolute transformation of human sexuality and the institutions derived from it. In this work, no part of the male sexual model can possibly apply. Equality within the framework of the male sexual model, however that model is reformed or modified, can only perpetuate the model itself and the injustice and bondage which are its intrinsic consequences. I suggest to you that transformation of the male sexual model under which we now all labor and « love » begins where there is a congruence, not a separation, a congruence of feeling and erotic interest; that it begins in what we do know about female sexuality as distinct from male – clitoral touch and sensitivity, multiple orgasms, erotic sensitivity all over the body (which needn’t – and shouldn’t – be localized or contained genitally), in tenderness, in self-respect and in absolute mutual respect. For men I suspect that this transformation begins in the place they most dread – that is, in a limp penis. I think that men will have to give up their precious erections and begin to make love as women do together. I am saying that men will have to renounce their phallocentric personalities, and the privileges and powers given to them at birth as a consequence of their anatomy, that they will have to excise everything in them that they now value as distinctively « male. » No reform, or matching of orgasms, will accomplish this. Andrea Dworkin (Our Blood: Prophecies and Discourses on Sexual Politics, 1976)
Je suis d’une espèce domestique, d’un peuple sans Histoire, sans héros, sans aventures et sans légendes. Je suis d’un peuple qui n’a pas découvert l’Amérique, qui n’a pas inventé le moteur à explosion, qui n’a pas écrit de symphonies. Je suis du peuple qui a porté dans ses flancs les auteurs de toutes ces merveilles humaines. Je suis du peuple qui leur a fait à manger, a lavé leur linge, soigné leurs plaies. Nous sommes des fabriques de génies, mais jamais nous n’avons pu être des génies nous-mêmes. Nous les avons mis au monde, nous les avons nourris du lait de nos poitrines, nous leur avons chanté des berceuses. Nous avons répété les mêmes gestes pendant des millénaires, et on peut imaginer qu’une femme de l’âge de pierre trouverait un langage commun avec une femme du xxe siècle, américaine ou papoue, parce que certains gestes n’ont pas changé. (…) La loi de la jungle ne concerne pas que les animaux. Malheur aux perdantes. Les vainqueurs ne nous ont laissé faire que ce qu’ils ne pouvaient ni ne voulaient faire eux-mêmes et ont inventé que ça nous faisait plaisir. De notre souffrance ils ont fait un destin. Celles qui se sont aventurées à protester ont été, par la force et la violence, réduites au grand silence des peuples vaincus. Isabelle Alonso
Sa mère ayant cherché à faire de lui une fille, Ernie s’évertue à prouver sa virilité. Il se fait appeler « Punch » et se montre résistant à la douleur. Mais une chute, alors qu’il tenait un morceau de bois entre les dents, endommage ses cordes vocales. Sa voix nasillarde va désormais jurer avec son corps robuste. A l’école, doué en anglais, en latin mais aussi en sciences et en algèbre, Ernest est souvent premier de sa classe. Quand on détecte sa myopie, il n’ose en parler à ses professeurs – il restera longtemps un enfant timide – et se réfugie dans les livres pour compenser sa difficulté à lire au tableau. Il dévore le Robinson Crusoé de Defoe, Walter Scott, Dickens, Mark Twain, Kipling, tous écrivains de l’action, de l’aventure et des grands espaces. (…) Ses biographes – notamment l’écrivain Jerome Charyn – ont montré quel homme sensible se cachait derrière les masques du boxeur à barbe, du pêcheur d’espadons, du chasseur de fauves et du combattant… Comme si Hemingway avait été victime de l’image virile qu’il voulait donner de lui. L’Express
C’est chez les Grecs que le modèle « s’invente » et que la virilité est définie comme « l’accomplissement » du masculin. Force physique et puissance sexuelle en constituent les ingrédients dominants et, du jeune Spartiate au chevalier du Moyen Age, le modèle présente une assez belle stabilité. C’est avec les Lumières qu’il s’ébrèche. L’adoucissement dsur es moeurs, les phénomènes de cour, la galanterie portent quelques coups sévères au modèle viril des commencements. Mais c’est pour resurgir avec vigueur au XIXe siècle au cours duquel, nous disent les auteurs, s’affirme « l’emprise maximale de la vertu de virilité ». Tout concourt à ce triomphe – le duel, la guerre, l’expansion coloniale, le code civil – et plus précisément l’entre-soi masculin qui, au collège, au séminaire, à la caserne ou au bordel, fabrique des crétins sûrs d’eux-mêmes et se croyant maîtres de l’univers. Et puis, après le triomphe, voici la chute. Au XXe siècle, sous les assauts, notamment, du féminisme, le modèle viril s’épuise. L’Express
En fait, c’est toute l’assise sociale traditionnelle de la virilité qui a changé : le travail à l’usine ou aux champs fondait la représentation du travail viril. Aujourd’hui, l’effritement des socles professionnels traditionnels et le développement du secteur tertiaire ­redistribuent les rôles, hommes et femmes occupant souvent les mêmes fonctions. Georges Vigarello
 Comme Bernard Kouchner avec son sac de riz. C’est la figure de l’aventurier, qui est devenue presque strictement médiatique, comme celle du guerrier d’ailleurs. La guerre a longtemps été un terrain d’élection de la virilité. Le beau roman de Stephen Crane, The Red Badge of Courage, la médaille sanglante du courage, montre comment l’homme se construit à l’épreuve du feu, comment le courage militaire vaut comme gratification sociale absolue…Tout cela a disparu, mais depuis peu. Je suis né en 1946 et j’appartiens à la première génération qui a grandi sans ça. Ceux qui sont à peine plus âgés que moi ont connu l’Algérie. Ensuite, l’épreuve du feu, qui était depuis la nuit des temps l’épreuve virile fondamentale, a disparu. Jean-Jacques Courtine
Le courage, la fermeté morale n’ont pas de sexe. Jean-Jacques Courtine

Look what they’ve done to my virility, ma !

Que de chemin parcouru, du jeune Spartiate à moitié nu au chevalier médiéval lourdement caparaçonné, et de la guerre en dentelle du Grand siècle à la boucherie mécanisée des Grandes Guerres où, comble de la misère, l’on ne se bat plus que couché au fond de sa tranchée!

En ces temps étranges où, annoncée depuis au moins Nietzsche, la mort de Dieu continue à se faire attendre et que, loin de la faire disparaitre, la religion (notamment le christianisme) semble dopée par la mondialisation et l’universalisation des modes de vie (le double numéro de Noël du Point ne nous annonce-t-il pas que désormais « Dieu est tendance« ) …

Mais où, à l’heure de l’insémination artificielle, de la cédédéisation du mariage ou de « l’homoïsation » (?) de la « parentalité » mais aussi les implants péniles ou musculaires ou le Viagra sans compter l’Etat-nounou et la guerre à zéro mort, les hommes ne semblent plus guère avoir le choix, mis à part les Clint Eastwood ou Indiana Jones vieillissants de nos écrans, qu’entre les muscles exhibés de Poutine, la frénésie d’ébats tarifés de nos  DSK/Berlusconi ou (jusqu’à nos joueurs de rugby!) la figuration dérisoire des spectacles de Chippendales ou de sextoys sur papier glacé pour calendriers …

Pendant que, sur fond de revendication féminine de la saloperie et preuve ultime de l’état avancé de leur déchéance (pardon: de leur déconstruction!), nos embaumeurs professionnels de l’Université en sont à faire l’histoire de leur virilité …

Retour, en ce dernier jour du cinquantenaire de sa mort, sur celui de nos écrivains modernes qui, entre force physique, courage guerrier et  puissance sexuelle et porté et à la fois travaillé plus ou moins consciemment par l’universalisme et le refus pauliniens de toute discrimination ethnique, sociale ou sexuelle,  avait probablement le plus tenté de réunir en sa seule personne les valeurs caractéristiques de la virilité.

Et qui, avec la figure de l’aventurier sans frontières, a servi de modèle d’affirmation virile à tant de nos Camus ou Malraux juste après lui ou Kouchner ou BHL aujourd’hui …

A savoir Ernest Hemingway.

Ernest Hemingway: Splendeurs et misères de la virilité
 JC Durbant
Ecrivain et journaliste, Américain et expatrié perpétuel, intellectuel et macho, héros de guerre et  éternel romantique …
Y a-t-il, en ce cinquantième anniversaire de sa mort, meilleure illustration des splendeurs et misères de la virilité qu’Ernest Hemingway ?
Né à la toute fin du 19ème siècle (le 21 juillet 1899) et ayant vécu deux guerres mondiales et de nombreux autres plus petits conflits auxquels il a personnellement participé (conducteur d’ambulance et donc non combattant pour cause – éternel regret de sa vie – de myopie en 1917, soldat en juin 44, correspondant de guerre pendant la guerre Greco-Turque puis la Guerre d’Espagne), Hemingway étaient en premier lieu un produit de la guerre et un auteur de guerre. En fait, de « Pour qui sonne le glas » à « Un adieu aux armes », ses plus grands romans ou nouvelles tous tournent tous autour de ses expériences de guerre. Mais,  comme tant de ses héros, il était également l’homme à femmes (mais hanté par l’impuissance sexuelle) et l’éternel romantique qui ne cessait de tomber amoureux et se maria pas moins de quatre fois.
Mais, élevé par un père médecin passionné par les sports de plein air qui l’emmenait régulièrement avec lui dans ses parties de pêche ou de chasse dans les forêts et lacs du Nord-Michigan, il excella  également à l’école aux sports vigoureux comme la boxe, l’athlétisme, le waterpolo ou le football américain. Et il garda toute sa vie une passion incorrigible  pour les sports virils tels que la chasse au gros gibier, la pêche au gros ou la corrida. Et pourtant, comme en attestent sa participation active à la vie culturelle de son école  dans le journal ou l’orchestre du lycée (comme violoncelliste à l’instar de sa mère qui était une musicienne accomplie) aussi bien que son amitié postérieure avec les auteurs d’avant-garde ou les peintres basés à Paris (Pound, Joyce ou Picasso), il était et restera un intellectuel.
Naturellement, il ne se conforma jamais à l’image de l’écrivain de salon anémique et éthéré mais il fut un auteur prolifique (n’écrivant pas moins de six romans, trois récits, une centaine de nouvelles et cinq oeuvres de non-fiction, couronnés en 1954 par le prix Nobel de littérature). Et surtout, il écrivait très bien et travaillait très dur à sa propre écriture. En fait, il inventa même son propre style d’écriture d’après sa célèbre théorie de l’iceberg qui influença tant,  en son temps et longtemps après, la littérature  tant américaine que mondiale. Et pourtant, même lorsqu’il devint un auteur confirmé et célèbre, il  continua à travailler comme journaliste, atteignant les niveaux les plus élevés de sa deuxième profession avec le Prix Pulitzer en 1954. Mieux encore, il utilisa même sa pratique journalistique, avec son insistance sur le dépouillement et la concision, pour perfectionner lson travail de romancier et lui donner ce style si distinctif et efficace qui deviendra sa marque de fabrique.
Mais, de l’Italie à Cuba, c’est naturellement dans ses incessants et perpétuels déplacements que le multiculturalisme d’Hemingway est le plus clairement visible. Qui aurait en effet deviné que, de la Suisse à l’Espagne et du Kilimandjaro à Paris (la « fête mobile » qu’il célébra avec tant d’éloquence dans son roman du même nom), ce natif d’une petite ville de banlieue chic de Chicago allait passer sa vie entière de l’autre côté de l’océan ? Et que,  grâce sans doute en bonne partie au « taux d’échange monétaire » élevé du dollar américain que lui avait judicieusement signalé son ainé Sherwood Anderson, il finirait par devenir, comme en attestent les centaines de milliers d’Américains qui en font le pélerinage chaque année, le plus grand chantre du style de vie expatrié parisien  ?
Pourtant, une telle agitation pour ne pas dire déracinement devait-elle peut-être finir par avoir son coût, quand, seulement âgé de 62 ans mais grandement diminué physiquement par plusieurs accidents d’avion datant de ses années africaines, ce champion de la virilité et père fondateur du sans-frontiérisme moderne, fit son ultime voyage et mit un terme comme son père avant lui à sa propre vie en ce deuxième jour de juillet 1961.

Voir aussi:

C’est quoi, être un homme viril?

Les Inrocks

17/10/2011

Qu’est-ce qui fait l’homme dans l’homme ? La puissance sexuelle, l’héroïsme, la force physique ? Ces qualités, culturellement associées au genre masculin, ont un nom : la virilité, dont une formidable histoire en trois tomes vient de sortir. L’universitaire Jean-Jacques Courtine, qui a coordonné le troisième volume de cette Histoire, a cherché à définir une virilité contemporaine, entre malaise et affirmation. Entretien.

Un homme « puissant » aurait abusé d’une femme de chambre, ses amis (hommes) le soutiennent, les féministes réagissent et les femmes politiques se plaignent du machisme toujours présent dans leur milieu : l’affaire DSK a remis en avant la question des rapports hommes-femmes et révélé tout ce que la « domination masculine », comme disait Pierre Bourdieu, a d’insupportablement actuel au début du XXIe siècle, même dissimulée sous des apparences pernicieuses d’égalité sexuelle et sociale.

Et si tout était de la faute de ce concept aussi archaïque que culturel que l’on nomme la virilité ? Car on ne naît pas homme, on le devient… puis on l’exprime. Mais comment ? La formidable Histoire de la virilité qui sort aujourd’hui, signée Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello (auxquels on doit déjà une Histoire du corps), et dont chacun des trois tomes s’empare d’une période historique, éclaire brillamment quelques-uns des mécanismes de notre temps, de ses symptômes, de ses événements. De l’homme seulement dévolu aux guerres et à la force physique à l’homme urbain d’aujourd’hui, quelles mutations se sont opérées au sein de la représentation et des codes de la virilité ? Rencontre avec l’universitaire Jean-Jacques Courtine, qui a coordonné le troisième volume de cette Histoire, intitulé La Virilité en crise ? – XXe-XXIe siècle, pour définir une virilité contemporaine, entre malaise et affirmation.

Pouvez-vous définir la virilité ? En quoi, par exemple, cette notion ne recoupe-t-elle pas exactement celle de la masculinité ?

Jean-Jacques Courtine – C’est vrai, ça ne se recoupe pas tout à fait. La virilité, c’est la construction culturelle des attributions du masculin. C’est une histoire très longue, qui s’est transmise dans des termes qui ont très peu changé. L’anthropologue Françoise Héritier appelle ça « le modèle archaïque dominant ». Le mot « virilité » décrit le sentiment de ce qui fait l’homme dans l’homme. Historiquement, ce sentiment s’est cristallisé sur trois valeurs : d’abord la force physique ; puis le courage, l’héroïsme guerrier, le goût de la domination des autres hommes ; et enfin, la puissance sexuelle. Dès l’Antiquité, les modèles de la virilité ont été définis selon ces critères.

Si, comme vous dites, la virilité s’est affirmée historiquement par la capacité d’un homme à en dominer d’autres, aujourd’hui, son lieu d’affirmation n’est-il pas davantage celui de la domination des femmes ?

C’est vrai. C’est probablement en réaction à la façon dont le rôle social des femmes a évolué depuis un siècle. Mais la définition de la virilité a toujours été double. Elle concernait aussi bien la hiérarchisation des hommes entre eux que la domination sans partage des femmes. Tous les hommes dominaient les femmes, mais chacun trouvait toujours plus viril que soi, devenait un dominé pour d’autres hommes. Les hommes entre eux construisaient ainsi des modèles antivirils, l’homosexuel étant à travers les âges l’antimodèle essentiel.

Quel est votre point de vue sur le discours de ceux qui, comme Alain Soral ou Eric Zemmour, déplorent une prétendue féminisation de l’homme et une faillite de sa virilité ?

Ce sont les masculinistes qui disent ça et je ne suis évidemment pas d’accord avec leurs conclusions. Si Eric Zemmour lisait un peu l’histoire, il découvrirait qu’il a eu de nombreux prédécesseurs, dont certains très anciens. Par exemple, quand la société de cour prend forme, entre les XVIe et XVIIe siècles, tout à coup, les critères de définition de ce qu’est un homme évoluent. L’armement lourd du chevalier est remplacé par les épées d’apparat de l’homme de cour. Le duel d’escrime comporte son propre protocole viril mais il n’a plus rien à voir avec la brutalité des tournois et des affrontements à la lance. On entend alors les plaintes de certains, déplorant que les hommes ne sont plus les hommes, que la virilité est menacée ou perdue.

Déjà, dans les derniers temps de Rome, on regrettait la pureté et l’austérité virile des hommes de la première République, plus forts, plus héroïques, supposément mieux membrés… Quand on lit Tocqueville, par exemple, on se rend compte que l’avènement de la démocratie produit le sentiment d’une grandeur perdue. Sous l’Ancien Régime, il y avait de grandes ambitions, de grands destins ; avec la démocratie, quelque chose se nivelle. On pourrait dire la même chose à la mise en place du monde bureaucratique, de l’industrialisation, de la société de masse… Chaque grande transformation historique produit ce sentiment de déperdition virile et la virilité est toujours généalogique. Elle se réfère toujours à un modèle ancien, dont il s’agirait d’assurer ou la perpétuation ou la renaissance.

Pourtant, votre ouvrage, dont le troisième tome est entièrement consacré au XXe siècle, avance qu’il serait celui de la crise de la virilité.

Je ne pense pas que le sentiment d’affaiblissement de la virilité soit propre au XXe siècle. Il y a toujours eu des discours sur le déclin viril. Mais le XXe siècle, en revanche, inaugure des mouvements conscients et concertés pour déconstruire le mythe de la virilité. La virilité devient un objet d’étude, saisie par la psychanalyse, l’anthropologie, les sciences humaines. Et puis il y a les deux guerres qui ruinent l’hypervalorisation de l’héroïsme guerrier dont la virilité a été le principal instrument. Et enfin le fascisme, en tant que débordement délirant d’une fantasmatique de corps virils jusqu’à l’acier, d’où seraient expulsées toutes formes de vermines qui pourraient les contaminer, a sérieusement interrogé l’idéologie virile. Parallèlement, le féminisme et l’émancipation homosexuelle ont aussi apporté une relecture des mythes virils. Je ne pense pas du tout, après tout ça, que la virilité soit morte, mais des questions nouvelles ont émergé.

Que pensez-vous de l’utilisation des codes de la virilité sur la scène politique contemporaine ? Nicolas Sarkozy, par exemple, a-t-il cherché à construire l’image d’un président viril ?

Il y a quelque chose comme ça, oui. On parlait de Zemmour, maintenant de Sarkozy, la question de la taille n’est sûrement pas sans rapport avec ce désir d’affirmation virile (rires). C’est souvent aussi bête que ça. Ce type d’affirmation a souvent à voir avec une peur de l’impuissance, un sentiment d’insuffisance. Quand la popularité est au plus bas, on fait un enfant. Le nombre d’enfants est un critère archaïque de la puissance virile. Mais c’est aussi plus compliqué parce que l’homme public a vu son image se modifier. Le modèle de virilité sarkozienne est déjà un modèle affaibli par rapport à celui de De Gaulle, jouant sur une porosité entre chef d’Etat et chef de guerre, imagerie de l’héroïsme guerrier. De Gaulle avait en plus une forme d’éloquence phallique dans sa façon de se dresser, de produire des vibratos… La façon assez relâchée de parler de Sarkozy est un autre code de la virilité, plus contemporain, une volonté de « faire mec ». C’est un registre viril du domaine du commun.

On pense aussi aux muscles exhibés de Poutine, au scandale DSK, à Berlusconi. La scène politique devient-elle le lieu d’une affirmation extrême de la puissance sexuelle ?

Il convient de dégager des distinctions fondamentales entre tous les modèles que vous citez si on veut en faire une exégèse fine. Il me semble que cet étalage viril est extrêmement fragile. En premier lieu chez DSK. Le malaise de cette affaire-là ne vient pas du fait que ce qui s’est produit soit le signe d’une puissance dominatrice sur les femmes mais d’un aveu d’impuissance terrible. D’abord celui d’un homme soumis au minutage cruel d’une performance sexuelle dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle n’entrera pas dans les annales (rires). Excusez-moi mais, historiquement, l’endurance sexuelle est l’un des critères de l’affirmation virile. Et l’éjaculation précoce, un antimodèle. Ensuite, c’est un homme qui doit son salut à la puissance financière de sa femme. C’est aussi un homme qui prouve son incapacité totale à se maîtriser. Tous les signes se retournent complètement et finissent par dire davantage l’impuissance que la puissance. L’arrogance virile est totalement fragilisée.

N’y a-t-il pas eu ensuite un phénomène de solidarité virile autour de DSK, avec le soutien d’hommes comme Bernard-Henri Lévy?

Oui, il y a un effet confrérie, club masculin. Ce sont des réflexes archaïques. Moi, ça me hérisse. En ces temps d’encadrement juridique des inégalités hommes-femmes, la domination masculine se recompose toujours sous des formes insidieuses, comme le démontre Christine Bard dans notre ouvrage. Je pense qu’un pas décisif sera franchi lorsque les hommes accepteront de perdre quelque chose, renonceront à une position archaïque.

Comment avez-vous réagi à la demande récente de 80 députés UMP de retirer un manuel scolaire de sciences et vie de la Terre faisant référence à la théorie du genre comme construction culturelle ?

Ils ont réagi comme un seul homme, si j’ose dire, ces 80 députés. Les voilà qui se réfèrent à l’idée d’une nature de l’homme, contre celle de la construction culturelle des rôles sexués. Introduire la théorie du genre dans l’éducation scolaire, c’est mettre en doute la virilité comme état naturel de l’homme, questionner la façon automatique dont un ensemble de comportements et de valeurs serait lié à la simple possession d’un sexe masculin. C’est évidemment un combat d’arrière-garde. La notion de genre est l’un des acquis des sciences humaines. La réfuter, essayer de la dissimuler aux enfants est risible.

La virilité est-elle une notion de droite plus que de gauche ?

Traditionnellement, ceux qui s’inquiètent des dangers qu’elle encourt, qui en font une sorte de socle pour toute la société, sont plutôt situés politiquement à droite. Après, je ne pense pas non plus que se débarrasser de la virilité soit le combat. On ne pourra pas comme ça la renvoyer aux poubelles de l’histoire. La question, c’est plutôt de savoir comment on peut s’en arranger, la décoller de ce qu’elle a été. Ça veut dire pour chacun et tous, hommes et femmes, arriver à se saisir de cette question-là

Vous parlez de la figure de l’aventurier comme modèle d’affirmation virile. Les mises en scène de Bernard-Henri Lévy dans des pays en guerre participent-elles de cette mythologie ?

Bien sûr. Comme Bernard Kouchner avec son sac de riz. C’est la figure de l’aventurier, qui est devenue presque strictement médiatique, comme celle du guerrier d’ailleurs. La guerre a longtemps été un terrain d’élection de la virilité. Le beau roman de Stephen Crane, The Red Badge of Courage, la médaille sanglante du courage, montre comment l’homme se construit à l’épreuve du feu, comment le courage militaire vaut comme gratification sociale absolue…Tout cela a disparu, mais depuis peu. Je suis né en 1946 et j’appartiens à la première génération qui a grandi sans ça. Ceux qui sont à peine plus âgés que moi ont connu l’Algérie. Ensuite, l’épreuve du feu, qui était depuis la nuit des temps l’épreuve virile fondamentale, a disparu.

L’expérience vécue de la guerre en Occident, à part pour l’infime minorité des militaires professionnels, est devenue une expérience d’images, filtrée par les canaux médiatiques. Alors pourquoi ne pas penser qu’on puisse occuper une position de héros ou de guerrier dans une guerre d’images ? Il suffit d’ouvrir sa chemise, de se mettre en scène avec des guerriers. Bien sûr, cela suppose que la ville soit déjà prise et que les choses soient pacifiées pour que BHL arrive avec les ambulances.

Votre histoire de la virilité vaut essentiellement pour l’Occident. La peur de l’Islam, telle qu’on peut la voir se développer, ne se construit-elle pas sur la peur de ce qui serait perçu, à tort ou à raison, comme une forme archaïque et sauvage de virilité, à base d’héroïsme guerrier et de soumission des femmes ?

On tend en effet à représenter l’Islam comme notre Moyen Age. Du point de vue de la domination des femmes comme de celui du fanatisme religieux. La virilité islamique ou musulmane ou arabe, je ne sais pas comment l’appeler, joue comme un contrepoint vis-à-vis de la virilité occidentale. Et cette perception s’enracine bien sûr dans les anciennes sociétés coloniales. Je suis pied-noir et je me souviens de la façon dont était perçu, lorsque j’étais enfant, l’homme arabe, cette forme de lascivité entre hommes, de sensualité intermasculine très douce, et en même temps une forme de brutalité, de barbarie dont ces hommes-là étaient capables. Récemment, j’ai travaillé aussi à un ouvrage sur Michel Foucault, intitulé Déchiffrer le corps – Penser avec Foucault. Un chapitre y est consacré à Abou Ghraib. J’ai été frappé par la façon dont la virilité américaine s’y est confrontée au monde musulman et arabe et comment s’est constitué une sorte de théâtre de virilité des uns et de dévirilisation des autres. La question de la virilité a joué quelque chose d’essentiel. La manière de dominer consistait à mettre les prisonniers dans des positions de soumission sexuelle visant à les humilier.

L’érotisation du corps masculin, qui pénètre des lieux de virilité traditionnels comme le sport et transforme des joueurs de rugby en sextoy sur papier glacé, ou la vogue des strip-teases masculins type Chippendales vous semblent-elles participer d’un assouplissement ou d’une recomposition des codes virils ?

Pour moi, ça fait indubitablement partie des simulacres virils. C’est ce que je raconte dans le chapitre « Balaise dans la civilisation ». Bien sûr, comme vous avez l’air de le suggérer, c’est du détournement, de l’inversion, mais c’est tellement l’inversion de la même chose que c’est finalement la même chose. Le développement du bodybuilding au XXe siècle, qui est la condition de cette exhibition musculaire se manifestant sur les calendriers ou dans les cabarets, est pour moi lié à un grand sentiment d’insécurité de l’identité masculine, un désir de corps-carapace, donc le désir de s’accrocher à des attributs virils. C’est vrai qu’il y a aussi du jeu, comme dirait Judith Butler, de la parodie… Mais le fait que la force physique, le développement musculaire pour les stripteaseurs ou encore la compétitivité sexuelle pour les pornstars appartiennent à la panoplie de la séduction virile est vraiment un fait archaïque, qui certes trouve des formulations nouvelles mais ne semble pas déconstruire grand-chose. J’y vois plutôt un rappel, même si la part de réinterprétation parodique produit un petit décollement, défait un peu un nouage extrêmement étroit entre force, virilité et attraction sexuelle.

Pensez-vous que pour exister socialement les femmes doivent s’approprier la virilité ?

A partir du moment où on considère que la virilité, comme ensemble de valeurs, n’est pas nécessairement liée au sexe masculin biologique, elle doit circuler. Le courage, la fermeté morale n’ont pas de sexe.

Nelly Kaprièlian et Jean-Marc Lalanne

Histoire de la virilité sous la direction d’Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello. Tome 1 : L’Invention de la virilité – De l’Antiquité aux Lumières, 592 p. ; tome 2 : Le Triomphe de la virilité – Le XIXe siècle, 512 p ; tome 3 : La Virilité en crise ? – XXe-XXIe siècle (Seuil), 576 p., 38 euros chacun

Voir également:

Entretien

Histoire de la virilité, des antiques aux bodybuildés

Gilles Heuré

Télérama

Le 18 octobre 2011

La virilité ? Une obsession qui, au cours des siècles, n’a cessé de s’effriter, de se reconstruire. Entretien (musclé) avec l’historien Georges Vigarello.

Directeur d’études à l’Ehess, historien du sport et des représentations du corps, Georges Vigarello le sait : on ne change pas une équipe qui gagne. Après l’Histoire du corps, qu’il avait codirigée avec Alain Corbin et Jean-Jacques Courtine, le trio s’attaque à l’Histoire de la virilité. Un thème ? Plus que ça : un parcours passionnant de l’Antiquité à nos jours, au cours duquel la virilité est une ­valeur fluctuante : elle se construit et s’effrite, se recompose, impose ses normes à toutes les représentations culturelles et sociales, mais subit aussi des mises en cause radicales. Du temps des Spartiates à celui des escrimeurs de l’époque moderne, des militaires aux ouvriers du XIXe siècle, des sportifs accomplis aux éphèbes bodybuildés qui peuplent nos écrans, les hommes sont hantés par une virilité qui a connu autant de moments forts que de pannes culturelles. Entretien entre hommes.

Tout le monde croit savoir ce qu’« être viril » veut dire. Vous montrez pourtant que c’est une valeur fluctuante à travers l’Histoire…

En travaillant sur notre précédent livre, Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et moi-même avions bien senti que certaines valeurs liées au corps avaient évolué à travers les siècles – en particulier la virilité. Par exemple, de nouvelles exigences se sont imposées, à partir du XVIe siècle, à l’idée du « masculin » : la courtoisie, le respect de l’étiquette ou la délicatesse, qui allaient à l’encontre de la virilité traditionnelle. Il fallait donc creuser l’histoire de cette « valeur », car c’est elle qui est contestée à travers les siècles, et non la masculinité (le fait d’avoir des traits mas­culins) qui, elle, reste stable.

“Chez les Spartiates, il y a les hommes « vrais », et ceux qu’on appelle alors les ‘trembleurs’”.

Pendant l’Antiquité, masculinité et virilité semblent indéfectiblement liées…

Liées mais distinctes : dès cette époque, vous croisez en effet deux catégories de citoyens chez les Spartiates, comme le montre l’historien Maurice Sartre : les hommes « vrais », et ceux qu’on appelle alors les « trembleurs ». La virilité est donc déjà une idée à part et centrale, et la réputation d’homme viril se mérite. Ainsi, un homme sera ostracisé parce qu’il a cédé lors d’un combat : il est considéré comme un « trembleur ». Mais il peut se racheter lors d’un autre affrontement, donc récupérer sa réputation de virilité. L’important, chez les Grecs comme chez les Romains, c’est que la formation du viril passe par l’acceptation d’une domination, notamment sexuelle : la virilité consiste à satisfaire son désir et, chez Socrate, se faire sodomiser est pour les garçons un rituel initiatique leur permettant d’accéder à la virilité.

Comment évolue le lien entre « domination » et « virilité » ?

Une rupture se produit au Moyen Age : l’Eglise catholique interdit la ­sodomie, et l’importance donnée au sexe dans la construction de la viri­lité s’efface au bénéfice d’une nouvelle incarnation de la domination : le cheval, l’armure, la lance, etc. Même si elle reste une valeur très forte à travers les âges, la virilité connaît donc de profondes variations dans ses manifestations culturelles et sociales. Dans Le Livre du courtisan (1528) du diplomate italien Baldassare Castiglione (1478-1529), ou encore chez l’écrivain Brantôme (1535-1614), l’idée apparaît que pour faire preuve d’élégance dans le maniement des armes nouvelles il faut avoir un corps plus léger et plus délié. On s’éloigne de la violence médiévale : le roi d’Angleterre Jacques Ier conseille ainsi à son fils de ne plus participer aux jeux dangereux comme le tournoi. En revanche, dit-il, il faut maîtriser son cheval et dominer sa femme… La peinture marque aussi cette évolution des « exigences » de la virilité. Le portrait de Charles Quint à la bataille de Mühlberg, par Titien (1548), en dessine les attributs : armure, cheval qui amorce un galop, lance et regard porté vers le lointain… Ceux de Louis XIV par Hyacinthe Rigaud, en revanche, représentent le roi en linge fin, jabot, perruque : il a l’air beaucoup plus efféminé, mais le regard traduit une virilité politique…

“Au siècle des Lumières, la virilité est pour la première fois remise en cause.

On commence à mettre en doute la puissance patriarcale.”

Montaigne observe bien toutes ces évolutions de la virilité et… semble s’en inquiéter !

Lui aussi est pourtant favorable à ce que certaines violences de la virilité « à l’ancienne » disparaissent. Entre 1565 et 1590, il écrit déjà contre le duel alors que les édits interdisant ce dernier ne seront publiés qu’en 1625. En même temps, dans ses Essais, il considère les armes nouvelles comme des armes de femme. Il est vrai que les courtisans qui s’affrontent à l’escrime donnent l’impression de danser. Mais il y a plus : dans ses réflexions sur les modèles de virilité, tirées de ses lectures de récits de voyage, Montaigne voit dans « le sauvage » un type d’homme spéci­fiquement viril. C’est l’un des premiers philosophes à dire que l’on ne doit pas considérer les sauvages comme des enfants, qu’ils ont leur noblesse particulière et une force sans doute supérieure à la nôtre. Bref, qu’on pourrait apprendre d’eux. Le corps amérindien fascine, même si, pour beaucoup d’auteurs, il n’entre ni dans les cadres fixés par la religion – c’est un homme sans Dieu -, ni dans les règles de comportement occidentales.

La réflexion sur l’autorité et la domination politique, au XVIIIe siècle, change-t-elle la perception de la virilité ?

Au siècle des Lumières, la virilité est pour la première fois remise en cause, avec une véritable originalité. On commence à mettre en doute la puissance patriarcale, celle que l’on observait à Sparte ou du temps des chevaliers, qui exigeait une obéissance totale. Au XVIIIe siècle, la figure du père, autorité naturelle, devient celle du tyran. On s’interroge sur la manière dont la société veut imposer ses codes, on pose la question de l’égalité : pourquoi, par exemple, continuer de traiter la femme comme un être inférieur ? Chez beaucoup d’auteurs, c’est vrai, elle reste d’abord faite pour féconder, et dans les nouvelles manières de décrire l’anatomie on pose que le dispositif de fécondation entraîne inévitablement des différences radicales… Pourtant, dans les salons, les femmes s’imposent et dominent par la conversation (comme Mme Du Deffand), même si cette émergence du « moi féminin » est aussitôt étouffée par de nouvelles règles sociales, comme ces robes fermées, très serrées… dont certains auteurs incitent d’ailleurs les femmes à s’affranchir.

“Etre viril au XIXe, siècle de l’armée et de l’industrie, c’est combattre et aussi entreprendre.”

Alain Corbin souligne l’importance au XIXe siècle des lieux de « l’entre-soi » réservés aux hommes : pensionnat, caserne, estaminet ou bordel. Est-ce le siècle de la virilité absolue ?

Après les remises en cause que l’on vient de voir, le XIXe siècle s’ouvre sur une virilité « en majesté ». Les différences anatomiques entre hommes et femmes déterminent toujours la fonction de chacun : la femme élève des enfants, l’homme affronte le dehors et fait de la politique. Etre viril, en ce siècle de l’armée et de l’industrie, c’est combattre et aussi entreprendre. Cette nouvelle inflexion a des effets repérables jusque dans l’espace et l’environnement : l’extension industrielle redistribue la physionomie de la ville et du paysage. Enfin, le colonialisme incarne cette idée que l’Occident doit dominer les autres ­civilisations. La défaite de 1870 va ré­armer les imaginaires, et produire des clubs de gymnastique où il s’agira de renforcer les corps pour aller vers l’affrontement.

Musset ou les romantiques ne semblent pourtant pas adhérer à cette virilité absolue…

Le XIXe a un versant héroïque – celui du militaire ou du savant (Pasteur) – mais présente aussi un versant plus sombre, où des écrivains comme Musset ou Vigny semblent égarés dans les bouleversements ­historiques et politiques qui les entourent. L’idée d’impuissance s’insinue, avec le sentiment que la société peut régresser, car les villes sont submergées par l’exode des campagnes, et rongées par les problèmes d’alcoolisme et de prosti­tution, comme dans les romans de Zola. Ce courant souterrain alimente tout au long du XIXe siècle la réflexion sur la dégénérescence et s’exprime aussi bien dans la littérature que dans les discours veil­lant aux bonnes mœurs.

Qu’est-ce qui change dans les représentations de la virilité au XXe siècle ?

La guerre de 1914-1918 modifie la symbolique du combattant : on passe du corps debout au corps couché et terrifié sous les bombardements. Les valeurs restent, mais les schémas de domination de l’homme sur la femme changent : dans le travail comme dans le sport, celle-ci a en effet su prendre des places jus­qu’alors réservées aux hommes.

“On a dit de Jeannie Longo qu’elle était macho, et le footballeur David Beckham a ouvert l’ère des ‘métrosexuels’”

Pourtant, Pierre de Coubertin évacue volontiers les femmes du sport au motif qu’elles sont inaptes à des activités viriles…

Oui, mais les femmes se rebiffent : avant, elles avaient des chairs, désormais elles ont du muscle, comme en témoigne la Fête du muscle, qu’elles organisent en 1919, aux Tui­leries. Dans Le Blé en herbe (1923), de Colette, le personnage de Vinca est à la fois tonique, bronzé et musclé. Autre exemple : quand, pour le périodique sportif La Vie au grand air, on lui demande comment elle réussit si bien, Suzanne Lenglen, première Française victorieuse à Wimbledon, en 1919, répond que, déçue par le jeu des femmes, elle s’est entraînée pour apprendre à jouer comme les hommes. Les qualités qui fondent l’idée de virilité deviennent ainsi partagées par les deux sexes.

N’est-ce pas précisément dans le sport que les repères de la virilité sont le plus brouillés ? Courage, esthétisme, esprit de compétition appartiennent autant aux femmes qu’aux hommes…

Absolument. Au début du Tour de France, vers 1904, les journalistes qualifient les coureurs de « sangliers » ou de « bêtes de combat ». Vingt ans plus tard, le journal L’Auto évoque « la vitesse du lévrier » d’Henri Pélissier, le vainqueur du Tour en 1922. Dans les années 1960, avec Anquetil, le coureur sera fin et élégant. La diversité des qualités liées à la virilité existe toujours – les lourds, les légers, etc. – et ces qualités se croisent à l’intérieur de chaque sexe : on a dit de Jeannie Longo qu’elle était macho, et le footballeur David Beckham a ouvert l’ère des « métrosexuels ». Hommes et femmes peuvent ainsi revendiquer des qualités équivalentes. En fait, c’est toute l’assise sociale traditionnelle de la virilité qui a changé : le travail à l’usine ou aux champs fondait la représentation du travail viril. Aujourd’hui, l’effritement des socles professionnels traditionnels et le développement du secteur tertiaire ­redistribuent les rôles, hommes et femmes occupant souvent les mêmes fonctions. Ce qu’il importe de retenir, c’est que la virilité a toujours été en position de fragilité, même si, lors des grandes ruptures, certains repères du passé ont perduré. On peut ainsi s’interroger, comme Jean-Jacques Courtine, sur le culte du muscle viril aux Etats-Unis, où le bodybuilding règne partout, engendrant un marché de l’entretien du corps considérable. Ce culte de la virilité, présent au coeur des années 1930 et de la Grande ­Dépression, a été relayé dans les ­années 1970 par le muscle patriote, à l’image de Sylvester Stallone ou d’Arnold Schwarzenegger. Mais aujourd’hui, la poursuite de ce mythe de toute-puissance physique est d’abord le symptôme de virilités qui se cherchent.

Nous sommes en pleine Coupe du monde de rugby, sport viril par excellence : le rugby, dernier refuge de la virilité ?

Sport d’affrontement autant que d’évitement, le rugby est effectivement le cœur de la virilité. Mais certains commentateurs parlent de « rugby trop viril » pour condamner certaines phases de jeu. Preuve que, même au rugby, une certaine idée de la virilité est parfois remise en cause.

Voir pareillement:

A lire

Histoire de la virilité Sous la direction d’Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello, éd. du Seuil, 3 vol., 592 p., 512 p. et 576 p., 38 EUR chacun.

Histoire de la virilité

Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et 
Georges Vigarello (dir.), 
3 t., Seuil, 2011, 38 € par tome.

T. I – l’invention de la virilité. 
De l’Antiquité aux Lumières, 
Georges Vigarello (dir.) ;

T. II – le triomphe de la virilité. 
Le XIXe siècle, 
Alain Corbin (dir.) ;

T. III – La Virilité en crise ?
 XXe-XXIe siècle
, Jean-Jacques Courtine (dir.).

Martine Fournier

Sciences humaines

novembre 2011

Force, autorité, prouesses sexuelles et domination masculine, la virilité 
a longtemps constitué la fierté des mâles. Avec les changements contemporains, elle semble cependant avoir pris un peu de plomb dans l’aile.

Des guerriers, des héros, des patriarches, des séducteurs… des hommes, des vrais ! Une histoire de la virilité sort en cette rentrée. Trois passionnants volumes qui réunissent une quarantaine de contributions et déclinent les figures du mâle occidental au cours de l’histoire.

À point nommé pourrait-on dire, en ces temps de scandales médiatiques sur les affaires de mœurs. À l’heure aussi où, depuis un demi-siècle, la montée en puissance des femmes, la reconnaissance des gays, la diversification des figures masculines ont introduit un bouleversement dans la définition des identités de sexe et, selon les auteurs, un « malaise dans la part masculine de la civilisation ».

Lorsque voici déjà vingt ans, Georges Duby, grand historien aujourd’hui disparu, et Michelle Perrot avaient publié une monumentale Histoire des femmes (1990-1991), l’entreprise semblait novatrice et hardie. Les études sur le genre (entendu comme la construction sociale des sexes) se sont multipliées, faisant évoluer les questionnements sur le féminin, le masculin et les rapports entre les sexes. Mais, une histoire du sexe mâle sur le temps long manquait à l’édifice…

Il existe, selon les auteurs, depuis la nuit des temps, une représentation d’un « ethos viril, hégémonique, fondé sur un idéal de force physique, de fermeté morale, de puissance sexuelle et de domination masculine ». Le projet de cette histoire culturelle est de montrer comment, à partir de cette matrice, les modèles ont varié au fil des temps et des contextes sociaux. Le découpage en trois volumes atteste de ces évolutions ; l’Antiquité et le Moyen Âge inventent leurs modèles virils, le XIXe siècle en constitue le triomphe, tandis que le XXe siècle initie une période de doute et de remise en question… Le modèle viril serait-il arrivé à son épuisement ? C’est toute la question soulevée dans le troisième tome de l’ouvrage qui interroge «  le déclin de l’empire mâle ».

Même s’il est impossible de les citer toutes, arrêtons-nous sur quelques contributions dont chacune apporte son lot d’illustrations, d’anecdotes et lève parfois le voile sur des pans longtemps occultés de l’histoire de nos ancêtres. Chacun à leur manière, Grecs et Romains avaient une conception de la virilité assez « gauloise » (si l’on peut se permettre cet anachronisme). Maurice Sartre, grand spécialiste de l’Antiquité grecque, rappelle le caractère « pédophile » de l’éducation grecque.

Outre l’apprentissage de l’endurance et du maniement des armes, les adolescents (entre 12 et 17 ans) étaient soumis à la protection de leur précepteur-amant. L’éros masculin, pour les Grecs adultes et notamment les puissants, est un signe de distinction. Nulle infamie ne s’attache aux amours masculines, explique M. Sartre. Cantonnées au gynécée, les épouses légitimes ne sont là que pour la reproduction, soumises à l’entière autorité du mari, qui va le plus souvent chercher son plaisir sexuel auprès d’esclaves et de prostitués, masculins ou féminins, ou dans des relations adultérines en dehors du domaine patriarcal. Les Romains semblent aussi avoir été adeptes d’une sexualité débridée. Orgies et autres rendez-vous sont l’occasion de fellations, sodomies, pluripartenariats… Le vir est un mari et un mâle actif dont les exploits sexuels sont source de prestige. Le tout est, comme l’avait écrit ailleurs Paul Veyne, de « sabrer et de ne pas se faire sabrer ». César était vu par Suétone avec mépris comme « l’homme de toutes les femmes et la femme de tous les hommes », cela n’occultait pas pour autant son prestige militaire et politique…

Qualifiée par Georges Vigarello de « force abrupte et domination indiscutée » de l’Antiquité et du Moyen Âge, la virilité des Temps modernes s’adapte à l’adoucissement des mœurs et aux raffinements instaurés dans les cours des puissants. Bravoure, gloire, honneur, maîtrise de soi, élégance, prestance en deviennent les attributs. Les gentilshommes des XVIe et XVIIe siècles s’adonnent à l’art de la danse pour séduire leurs belles. Ils se parent de pourpoints, de perruques et de dentelles, cela dit, ils n’oublient pas de mettre en valeur la braguette, rembourrée, hautement colorée et parfois ornée d’un nœud… Encore faudrait-il distinguer entre milieux populaires et aristocratiques, comme le signale Arlette Farge qui s’arrête sur les jouissances du peuple, elles aussi vagabondes mais non exemptes de violence dans les « viriles captations de la femme ». En résumé, « chasser, danser, se battre en duel, se saouler à la taverne et courir les filles », telles sont les activités du mâle de l’époque moderne.

De tout temps, la virilité fut considérée comme une vertu qui asseyait la domination du sexe fort. Mais Les Lumières et après elles le XIXe siècle en renouvellent les codes et la transforment en une véritable injonction morale. D’abord avec les préoccupations des physiologistes et des médecins hygiénistes, hantés par la crainte de la dégénérescence. La masturbation et l’homosexualité deviennent des tabous absolus. Énergique, autoritaire, courageuse, telle est la figure virile dont le contre-modèle est celui du couard, de l’impuissant ou du sodomite.

À la caserne, à l’usine ou au café (ces « lieux de l’entre-soi masculin » décrits par André Rauch), le mâle baraqué affiche ses exploits guerriers tout aussi bien que ses conquêtes sexuelles. Le chasseur, l’explorateur, le héros sportif ou guerrier sont à l’honneur.

Au pensionnat ou au collège, le jeune garçon est appelé à s’endurcir et afficher sa virilité naissante. Dans un contexte de guerres coloniales, et de désir de revanche contre l’Allemagne, la conscription à partir des années 1870, la création des bataillons scolaires dans l’école républicaine exaltent une virilité associée au culte du héros et de la victoire. C’est au total un « modèle archaïque dominant », inscrit dans les rôles sociaux, les représentations, la culture des images qui perdure jusqu’au XXe siècle.

« À genoux les gonzesses ! » suivi de « Debout les hommes ! » ponctuait encore le rite d’initiation des parachutistes durant la guerre d’Algérie dans les années 1960, relate Stéphane Audoin-Rouzeau. Pourtant, souligne cet historien, la Grande Guerre avec le retour des invalides par centaines de milliers, amputés, démembrés non seulement de bras et de jambes, mais aussi parfois castrés par la mitraille, va apporter un sérieux coup de canif à l’idéal « militaro-viril », exalté dans les prouesses guerrières. À ce changement qui entame le prestige de la virilité viennent s’en ajouter d’autres non moins majeurs. Notamment entre les deux guerres mondiales, sur le front du travail : avancées du machinisme, bureaucratisation des sociétés urbaines, chômage croissant engendré par la grande crise (1929) induisent une déqualification de la figure du travailleur. Sans compter les progrès de l’égalité entre les sexes et la chute du patriarcat.

À partir des années 1960-1970, les femmes acquièrent des droits dans la sphère privée, investissent la sphère publique, la violence masculine est condamnée par la loi. Autant de coups portés à une domination masculine fustigée à travers la figure du macho.

Si le spectre de la dévirilisation a été une inquiétude récurrente (l’ouvrage en atteste), il n’a jamais été aussi présent qu’aujourd’hui chez les psychanalystes, certains philosophes ou essayistes qui déplorent un déclin du pouvoir masculin, la perte de l’autorité paternelle ou même la montée de l’impuissance sexuelle provoquée par une toute-puissance castratrice de la gente féminine…

L’homme viril serait-il une espèce en voie d’extinction ? Le constat des auteurs est plus nuancé. La libération des mœurs par exemple a instauré une compétition accrue entre les hommes et la diffusion du porno valorise les images de mâles très virils. Une belle étude de S. Audoin-Rouzeau sur les femmes militaires (entrées dans les armées depuis les années 1970) montre que même sous des dehors d’égalité des sexes, le rôle des hommes est bien différencié de celui des femmes (souvent par exemple maintenues à l’arrière des combats). Historienne du féminisme, Christine Bard souligne l’attrait toujours présent des femmes pour la virilité. Si elles ont lutté contre une virilité violente et peu respectueuse de l’autre sexe, c’est plutôt le sexisme qui est combattu aujourd’hui. On parle de masculinité plus que de virilité, une masculinité dépouillée des oripeaux de la misogynie et du phallocentrisme.

Une chose est sûre : dans le grand maelström que sont devenues les identités sexuées, où l’on trouve aussi bien des femmes viriles que des papas-poules, la figure du mâle dominateur, insensible et « qui ne pense qu’à ça » se retrouve fortement dévaluée.

Alain Corbin, Georges Vigarello, Jean-Jacques Courtine

Alain Corbin est professeur émérite à l’université Paris-I.

Georges Vigarello est directeur de recherche à l’École des hautes études en sciences sociales.

Jean-Jacques Courtine est professeur d’anthropologie l’université Paris-III.

Tous trois spécialistes de l’histoire culturelle et des représentations, ils ont dirigé ensemble l’Histoire du corps parue en 2005 (Seuil).

Voir de plus:

Hemingway, portrait d’un homme tragique

Tristan Savin (Lire)

07/02/2011

Il y a cinquante ans, le romancier se suicidait. Ecrivain et journaliste engagé, celui que l’affaire PPDA a remis au coeur de l’actualité avait choisi de témoigner par sa vie et ses écrits sur le monde qui l’entourait. Dossier.

Il l’écrivait lui-même : « Ce qui peut arriver de mieux à un écrivain, c’est de vivre une enfance malheureuse. » La sienne le fut-elle ? Le 21 juillet 1899, un gros bébé de cinq kilos, prénommé Ernest Miller, voit le jour à Oak Park, commune huppée des faubourgs de Chicago.

La mère, Grace, d’ascendance britannique, est professeur de chant. Contralto à la carrière avortée – sous le pseudonyme d’Ernestine -, elle se comporte en diva. Le père, Clarence Edmonds – surnommé Ed -, est médecin. L’une a l’oreille absolue, l’autre, une étonnante acuité visuelle.

Grace Hemingway a donné à son fils aîné le prénom de son propre père, héros de la guerre de Sécession. Ernest junior a quatre soeurs et un petit frère. Leur mère les initie aux arts mais Ernie ne supporte pas l’ancienne cantatrice devenue… castratrice. Elle l’appelle « poupée chérie », l’habille en fille et refuse de lui couper les cheveux. Il la qualifiera plus tard d’égoïste, d’hystérique et même de « salope ». Dans Paysages originels, Olivier Rolin rapporte une anecdote : elle se serait plainte auprès de l’école de son fils car on lui aurait fait lire un livre « qui n’était pas du genre qui convient à des jeunes gens ». Il s’agissait de L’appel de la forêt, de Jack London…

Ernest apprécie la compagnie de son père, qui l’emmène pêcher la truite dès l’âge de trois ans. Il évoquera, dans la nouvelle Père et fils, les merveilleux moments passés à Walloon Lake, Michigan, en territoire indien. Sur la rive d’un lac alimenté par les glaciers, les Hemingway se sont fait construire un chalet pour la saison estivale. Un éden comparé à l’enclave puritaine d’Oak Park.

Le docteur Hemingway lui apprend à débusquer les nids d’oiseaux et l’initie à la vie en forêt à la manière des Algonquins. Dans sa première lettre, le futur écrivain raconte fièrement avoir tué un hérisson à coups de hache. Ce père adoré, barbu, lui offre un fusil de chasse le jour de ses dix ans. Ernie passera encore sept années à vivre à la manière des héros de Fenimore Cooper. Ces souvenirs rejailliront dans les très autobiographiques Aventures de Nick Adams.

Sa mère ayant cherché à faire de lui une fille, Ernie s’évertue à prouver sa virilité. Il se fait appeler « Punch » et se montre résistant à la douleur. Mais une chute, alors qu’il tenait un morceau de bois entre les dents, endommage ses cordes vocales. Sa voix nasillarde va désormais jurer avec son corps robuste.

A l’école, doué en anglais, en latin mais aussi en sciences et en algèbre, Ernest est souvent premier de sa classe. Quand on détecte sa myopie, il n’ose en parler à ses professeurs – il restera longtemps un enfant timide – et se réfugie dans les livres pour compenser sa difficulté à lire au tableau. Il dévore le Robinson Crusoé de Defoe, Walter Scott, Dickens, Mark Twain, Kipling, tous écrivains de l’action, de l’aventure et des grands espaces.

La guerre à 18 ans

L’écriture devient un refuge complémentaire de la lecture. En 1916, grâce au journal du lycée, Hemingway publie sa première nouvelle, Le jugement de Manitou. Il s’inscrit aux cours de journalisme de l’école supérieure d’Oak Park. Les Mémoires d’un ancien correspondant de guerre, R.H. Davis, l’ont marqué. Selon lui, un jeune journaliste peut accumuler autant d’expérience en quelques années que bien des hommes au cours de leur vie. Il a désormais un but : se trouver au coeur de l’histoire en marche, de l’action.

En 1914, Ernest Hemingway rêve de participer à la Grande Guerre. Mais il est réformé en raison de sa mauvaise vue. Il se fait engager au Kansas City Star, comme apprenti reporter, pour 15 dollars la semaine. Dans Hemingway et son univers, A.E. Hotchner rapporte : « Chargé de couvrir un secteur comprenant le poste de police, la gare et l’hôpital, il était en contact direct avec les crimes, la violence, les accidents, les actes d’héroïsme… autant de grands thèmes qui parcourront plus tard ses romans. » Le style journalistique américain, tout en rigueur et concision, influencera son écriture.

Impatient de découvrir les champs de bataille, il s’engage comme volontaire de la Croix-Rouge. Ambulancier sur le front italien, à seulement 18 ans, il parvient à se faire envoyer sur le fleuve Piave, en Vénétie, où ont lieu les combats. Le 8 juillet, il se trouve dans une tranchée avec trois hommes quand un obus autrichien tombe sur eux. Les jambes d’Hemingway sont criblées d’éclats. Il parvient à hisser le seul survivant sur son dos et à le porter sous le feu ennemi.

Ernest est décoré, pour cet acte de bravoure, de la Croce al merito di guerra. Il écrira plus tard, en modifiant certains détails : « Je conservais près de mon lit un bol plein des morceaux de métal retirés de ma jambe. Les gens venaient les prendre comme porte-bonheur. Deux cent vingt-sept morceaux ! La jambe droite. Le chiffre exact. Frappé par un Minenwerfer, qui avait été expédié par un mortier de tranchée autrichien. […] Le plus dur fut de les empêcher de me couper la jambe. » En réalité, les médecins ont retiré vingt-huit éclats métalliques. Quel que soit le nombre exact, l’apprenti écrivain a connu son baptême du feu. Il peut désormais déclarer : « Il faut souffrir le martyre avant de pouvoir écrire sérieusement. »

Trois mois lui seront nécessaires pour réapprendre à marcher. Il est soigné par une infirmière, dont il s’éprend. Des photos de l’époque le montrent dans son lit d’hôpital, radieux. Agnes von Kurowsky est une grande brune de 26 ans, originaire de Pennsylvanie. « Elle avait la peau ambrée et des yeux gris. Je la trouvais très belle », écrit-il dix ans après dans L’adieu aux armes à propos de son héroïne Catherine Barkley, une infirmière à laquelle il donne les traits d’Agnes. Après lui avoir témoigné beaucoup d’affection, celle-ci le délaisse pour un aristocrate italien.

Dépité, le jeune Hemingway regagne son pays en janvier 1919. On accueille en héros le premier Américain à revenir blessé du front italien. Pourtant, il sombre dans la dépression. A Chicago, il fait la connaissance de Sherwood Anderson, écrivain en vogue qui prône la révolution des lettres américaines par le dépouillement du style. Anderson a vécu à Paris et encourage Hemingway à l’imiter.

Autre rencontre décisive, celle d’Elizabeth Hadley Richardson, une jolie rousse de huit ans son aînée. Pianiste originaire de Saint-Louis, cette jeune femme bohème est conquise par celui dont elle décrira la « petite bouche élastique quand il riait ». Ils se marient en septembre 1921. Hem n’en oublie pas pour autant sa vocation : écrire. Il suit le conseil d’Anderson et se fait engager comme correspondant en Europe du Toronto Star, décidé à faire ses débuts littéraires dans la ville des Lumières.

Le piéton de Paris

Sherwood Anderson lui a remis des lettres de recommandation à l’attention de ses amis Gertrude Stein, Sylvia Beach, Ezra Pound et James Joyce. Autant dire l’avant-garde de la petite colonie anglo-saxonne.

En 1919, les Etats-Unis ont ratifié l’amendement sur la prohibition de l’alcool. Pour les artistes américains, les Etats-Unis ne sont plus synonymes de liberté mais d’hypocrisie. Et Paris symbolise la modernité. Ses terrasses de café ne désemplissent pas. Montparnasse pullule de peintres, de musiciens et de poètes. Un carrefour obligé pour tout écrivain en mal de reconnaissance. La France offre un avantage supplémentaire aux Américains : le taux de change est particulièrement intéressant. Hemingway se lie ainsi avec John Dos Passos et Francis Scott Fitzgerald lors de soirées arrosées.

Gertrude Stein aura une formule pour désigner les écrivains américains échoués dans les cafés de la rive gauche : la « génération perdue ». Hemingway la réfutera un jour : « Je veux bien être pendu si nous étions perdus ! » Installée face au Luxembourg depuis 1903, Gertrude Stein règne sur un cénacle d’artistes. Elle collectionne les Matisse et s’enorgueillit d’avoir servi de modèle à Picasso. Cette « mégalomane » (le mot est de Tristan Tzara) au flair infaillible prend le jeune Hemingway sous sa protection et lui conseille entre autres d’investir dans un tableau de Miró au lieu de s’acheter des vêtements. Ce qu’il fait, quitte à ressembler à un clochard. Souvent fauché, il se procure chez les bouquinistes des quais les livres en anglais dont se débarrassent les touristes.

Gertrude, lesbienne notoire et poétesse, a une influence hypnotique sur lui. Elle lui apprend à se débarrasser de la psychologie, à se focaliser sur la musique des mots, sur l’instant à décrire. Hemingway passe ses journées à écrire à la Closerie des Lilas, isolé du bruit de la ville. Le grand poète Ezra Pound corrige ses manuscrits en échange de leçons de boxe. Hemingway devient le petit protégé de James Joyce, qui vient de publier Ulysse grâce à Sylvia Beach, une libraire qu’Ernest fréquente beaucoup. Hadley offre à son mari une machine à écrire portative Corona. Elle racontera plus tard : « Il était le partenaire des boxeurs à l’entraînement, l’ami des garçons de café, le confident des prostituées. »

En 1923, Hemingway publie son premier ouvrage, Trois histoires et dix poèmes. Le titre de son livre suivant est révélateur : En notre temps.

Le soleil se lève aussi

La naissance de son fils John, dit Bumby, à Toronto, coïncide avec ses débuts dans la carrière. Hemingway « était alors le type d’homme par qui hommes, femmes, enfants et chiens sont attirés », se souviendra Hadley. Mais il ne se voit pas cantonné dans le rôle du brave père de famille. Il lui faut écrire, comme s’il poursuivait une guerre avec un ennemi invisible.

A parcourir les capitales d’Europe pour le Toronto Star – il a entre autres interviewé Mussolini (« un pauvre type ») – Hem s’épuise. Cela l’empêche de peaufiner ses nouvelles et de se lancer, enfin, dans le roman. Il finit par démissionner en 1924 et mettra encore deux ans pour publier Le soleil se lève aussi.

A cette même période, sa situation conjugale se dégrade. L’écrivain s’avère incapable d’aimer pleinement car il est souvent amoureux de deux femmes en même temps. En 1927, il divorce pour épouser sa maîtresse Pauline Pfeiffer, journaliste à Vogue, puis entame L’adieu aux armes. « Pendant que j’écrivais le premier jet, mon second fils Patrick vint au monde par opération césarienne à Kansas City ; et pendant que je récrivais l’ouvrage, mon père se tua à Oak Park, Illinois… »

Le docteur Hemingway était endetté, voire ruiné. Paradoxe : il était membre du Club des optimistes. Ernest accusa sa mère de l’avoir harcelé. Les biographes ne s’accordent pas sur un détail. Ed aurait utilisé un revolver Smith & Wesson ou un fusil datant de la guerre de Sécession. Comme le souligne G.A. Astre, dans Hemingway par lui-même (Seuil, 1959), l’écrivain n’incarne pas seulement la « tradition américaine » avec sa vitalité, sa violence, sa « passion du crime », il apporte cette nouveauté : « Il reconnaît la dimension tragique de l’homme, l’échec total du rêve américain. »

Du sable des arènes aux neiges du Kilimandjaro

Pour oublier les fantômes d’Oak Park, le couple Hemingway s’installe à Key West, île tropicale à la pointe de la Floride. En 1931, Pauline donne un troisième fils à son mari, Gregory. Quand L’adieu aux armes paraît, 80 000 exemplaires s’écoulent en quelques mois. Hemingway devient une célébrité, les journaux s’arrachent ses nouvelles, Hollywood achète les droits et l’argent coule à flots. Il entreprend la tournée des bars, adopte une armée de chats (qui reposent toujours dans le cimetière de son jardin), s’offre un bateau pour pêcher au gros dans la mer des Caraïbes. Mais l’émotion procurée par la capture d’un marlin ne lui suffit pas.

L’auteur gagne l’Espagne et se consacre à sa nouvelle passion, la tauromachie. Il assiste à toutes les corridas, y participe parfois, s’affiche avec les plus grands toréadors. A ses yeux, le matador est au centre de l’univers, comme le Christ. Il tue pour en finir avec la faiblesse humaine, convertir l’échec en victoire. Hemingway aime cet exorcisme, orgueil des Espagnols et résurrection du paganisme en terre chrétienne. Ces réflexions mystiques donnent un ouvrage incompris par la critique de l’époque, Mort dans l’après-midi.

Les voyages incessants de l’homme d’action alimentent ses textes. Au cours d’un safari de plusieurs mois en Afrique de l’Est, une dysenterie l’oblige à se faire rapatrier. La mésaventure inspire une nouvelle adaptée par Hollywood, Les neiges du Kilimandjaro.

En revanche, les exploits de chasse d’Hemingway racontés dans Les vertes collines d’Afrique desservent son image. Un critique lui reproche d’être « complètement fermé à la politique ». Le dur à cuire lui donne raison avec des déclarations du genre : « Quiconque, pour en sortir, choisit la politique, triche. »

Pour qui sonne le glas

En tant que journaliste, il a assisté, lucide, à la montée de l’extrême droite en Europe et annonce, dès 1934 : « La tragédie est proche. »Ses séjours en terre ibérique lui ont fait aimer le peuple espagnol. Il va s’engager dès 1936 aux côtés des républicains : « Le fascisme est un mensonge, il est condamné à la stérilité littéraire. Un écrivain qui n’a pas le sentiment de la justice ou de l’injustice ferait mieux de se consacrer à l’édition d’un annuaire. »

Hemingway offre pour 40 000 dollars de matériel sanitaire à l’armée loyaliste et devient correspondant de guerre de la North American Newspaper Alliance pour couvrir la guerre civile espagnole. Avec ses amis du groupe des Historiens contemporains, parmi lesquels Dos Passos, il produit le film Terre d’Espagne, réalisé par Joris Ivens. Ne se contentant pas de guider les caméras sur les champs de bataille, la tête brûlée prend part aux combats. « Pour se remettre de ses émotions, rapportera Ivens, Hem buvait du whisky et mangeait de l’oignon cru. »

L’écrivain retourne plusieurs fois dans Madrid assiégé, sous le feu des batteries allemandes, et y retrouve Martha Gellhorn, une correspondante de guerre « qui en a ». Elle deviendra sa troisième épouse.

Selon la petite histoire, il se serait entendu avec André Malraux, rencontré sur place : l’un écrirait sur le début de la guerre d’Espagne, l’autre sur la fin. Cette entente cordiale donnera L’espoir et… Pour qui sonne le glas.

Comme Hemingway l’avait prophétisé, la victoire du franquisme a affaibli les démocraties européennes et entraîné la Seconde Guerre mondiale. Il lui faut poursuivre le combat contre les nazis. Il monte un réseau de contre-espionnage à Cuba et arme d’un bazooka son bateau de pêche, le Pilar, pour traquer les sous-marins allemands.

On le retrouve en Normandie, immortalisé par le photographe Robert Capa lors du Débarquement. Hemingway se l’était juré : être toujours là où l’Histoire s’écrit ! Sa propre « division », composée d’admirateurs des FFI, lui permet de participer à la libération de Rambouillet. A Paris, son commando irrégulier se contente de « libérer » le bar du Ritz, pour fêter la victoire au champagne.

Hemmy rencontre alors une journaliste du Time, Mary Welsh, qui devient sa maîtresse et lui inspire le nom d’un cocktail : le bloody mary.

Notre agent à la Havane

Après la guerre, Hemingway n’est plus le même. L’action lui manque. Le héros de trois guerres n’en est pas moins homme. S’il sait se montrer généreux avec ses amis, certains le trouvent ingrat, rancunier, prompt à la trahison. Il s’est coupé des écrivains qui l’aidèrent à ses débuts. Hemingway est en amitié comme en amour : infidèle.

Ses proches décrivent un être hâbleur, gavé de succès, ivrogne, colérique et volontiers bagarreur. Martha le trouve pathétique et demande le divorce. Complètement à la dérive, il ingurgite un litre de whisky par jour et voit des nazis sans visage dans ses cauchemars. Incompris, il s’exile pour se consacrer à la pêche, à ses chats et à l’écriture. Il épouse Mary Welsh, plus dévouée, plus effacée que Martha.

Hemmy a découvert Cuba dans les années 1930 : l’île se situe juste en face de Key West. Son cadre lui avait inspiré En avoir ou pas, adapté au cinéma par Howard Hawks sous le titre Le port de l’angoisse – fameux pour la rencontre d’anthologie entre Humphrey Bogart et Lauren Bacall. L’hôtel Ambos Mundos, le « papa doble » (un double daïquiri) au Floridita et les mojitos à la Bodeguita del Medio… le parcours de « Papa » à La Havane est désormais connu de tous les touristes.

Il achète une vaste propriété sur les hauteurs, la Finca Vigia, réplique de la Spanish House de Key West, et reçoit les stars d’Hollywood au bord de sa piscine. Parmi elles, Ava Gardner, qui a joué dans trois films tirés de ses romans. Dans Iles à la dérive, il révélera son amitié amoureuse avec l’héroïne des Tueurs – sans la nommer. Goujat dans la vie, il demeurait délicat dans l’écriture.

Son installation à Cuba attire les soupçons du FBI. Edgar Hoover, l’un des hommes les plus puissants d’Amérique, met l’écrivain sous surveillance. On en sait plus depuis la parution d’un livre sur le KGB, paru aux Etats-Unis en 2009. Selon l’un des auteurs, Harvey Klehr, « Hemingway conservait des sympathies pour l’URSS depuis la guerre d’Espagne. […] Il a probablement été approché dès 1941. On lui donna un nom de code et un mot de passe pour les contacts futurs. Les Soviétiques pensaient qu’ils pourraient en tirer quelques renseignements mais ils n’ont jamais su comment. »

Le monde littéraire le croyait fini quand Hemingway publie Le vieil homme et la mer en 1952. Ce chef-d’oeuvre de dépouillement lui vaut le prix Pulitzer. Puis la presse annonce la mort du grand écrivain dans un accident d’avion en Afrique. Cela l’amuse : il conserve les articles nécrologiques laudateurs dans un album relié en peau de lion. Michael Palin, auteur d’une biographie (non traduite), a été l’un des rares à se rendre en Ouganda sur les traces de « Papa », pour savoir comment il avait échappé à la mort : « Il s’est crashé deux fois la même semaine. La seconde, il a défoncé la porte de l’avion en feu pour sortir. Il s’est retrouvé avec des brûlures et de graves lésions à la tête… » Les séquelles empêcheront l’écrivain de se rendre à la remise de son prix Nobel de littérature, décerné en 1954.

Un autre miracle survient quand le Ritz lui renvoie une malle remplie de souvenirs, oubliée dans les caves de l’hôtel depuis la guerre. Cette madeleine de Proust va nourrir son dernier ouvrage, Paris est une fête.

L’adieu dans larmes

Hemingway quitte son paradis tropical après la révolution cubaine. Les Cubains ont beau le respecter – il est devenu l’ami de Fidel Castro – il ne supporte plus l’antiaméricanisme de l’île.

Retranché dans sa maison aux airs de bunker, dans l’Idaho, il souffre d’hypertension, de diabète, d’impuissance sexuelle, d’une cirrhose, d’un début de la maladie d’Alzheimer et surtout d’une dépression. Devenu paranoïaque, il voyait des agents du FBI partout. Hemingway met fin à ses jours peu avant son soixante-deuxième anniversaire. D’un double coup de fusil de chasse dans la tête.

Sa femme ayant estimé, selon le rapport de police, qu’il s’agissait d’un accident, sa thèse fut retenue, aucune autopsie ordonnée. Comme son père avant lui, l’auteur de Pour qui sonne le glas ne laissera aucune explication – mais parmi ses dernières volontés, celle-ci : « Je préférerais que l’on analyse mon oeuvre plutôt que les infractions de mon existence. »

Ses voeux furent exaucés. Il n’a pas seulement eu un impact sur sa génération (Drieu la Rochelle, Kessel, Camus, Sartre). De nombreux écrivains, et pas des moindres, ont continué à rendre hommage à son style. La puissance de ses textes, sa technique d’écriture ont marqué des générations : Salinger, Raymond Carver, Truman Capote, Richard Brautigan, Hunter Thompson, Jim Harrison et tant d’autres. Dans Ardoise, Philippe Djian se livre à un recensement précis de toutes les blessures physiques d’Hemingway au cours de son existence et dénombre trente-deux accidents : de voiture, de bateau, de chasse, etc.

Ses biographes – notamment l’écrivain Jerome Charyn – ont montré quel homme sensible se cachait derrière les masques du boxeur à barbe, du pêcheur d’espadons, du chasseur de fauves et du combattant… Comme si Hemingway avait été victime de l’image virile qu’il voulait donner de lui.

Hemingway en quelques dates

1899: Naissance le 21 juillet à Oak Park (Illinois)

1918: Blessé sur le front italien

1921: Epouse Hadley Richardson

1922: Journaliste à Paris

1923: Naissance de son premier fils, John

1926: Publie Le soleil se lève aussi

1927: Epouse Pauline Pfeiffer

1928: Suicide de son père

1929: Publie L’adieu aux armes

1936: Participe à la guerre d’Espagne

1940: Mariage avec Martha Gellhorn. Publie Pour qui sonne le glas

1944: Participe au Débarquement et à la libération de Paris

1946: Epouse Mary Welsh

1952: Publication du Vieil homme et la mer. Adaptation au cinéma des Neiges du Kilimandjaro

1954: Prix Nobel de littérature

1961: Se suicide le 2 juillet à Ketchum (Idaho)

Voir enfin:

ERNEST HEMINGWAY or The Splendors and Miseries of virility

JC Durbant

Writer and journalist, American and perpetual expatriate, intellectual and macho man, war hero and eternal romantic …

Is there, in this 50th anniversary of his death, a better example of the splendors and miseries of virility than Ernest Hemingway?

Born at the very end of the 19th century (on July 21, 1899) and having lived through two world wars and numerous other smaller conflicts in which he personally participated (WWI ambulance driver, WWII soldier, Greco-Turkish war and Spanish Civil War foreign correspondent), Hemingway was first and foremost a product of the war and a war writer. In fact, from “For Whom the Bell Tolls” to “A Farewell To Arms”, his greatest novels or short stories all turn around his war experiences. And yet, as many of his characters, he was also the eternal romantic and ladies man who kept falling in love and married no less than four times.

But brought up by a quite outdoorsy father who took him on countless camping trips in the woods and lakes of northern Michigan, he also excelled at school at vigorous sports like boxing, track and field, water polo or American football. And he kept all his life an unshakable passion for such manly sports as big game hunting, deep sea fishing or bullfighting. And yet again, as is attested by his early work on his high school’s paper or his cello playing in the school’s orchestra (probably the influence of his mother who was an accomplished musician) as well as his later friendship with Paris-based avant-garde writers or painters (Pound, Joyce or Picasso), he was and remained an intellectual.

Of course, he never fit the image of the fragile and dreamy lovesick writer but he was a prolific author (writing no less than ten novels, nine short story collections and five non-fiction works and finally rewarded in 1954 by the Nobel prize for literature). And above all, he could write very well and worked very hard at his own writing. In fact, he even invented his own writing style, after his famous Iceberg theory which so influenced, then and for very long, American as well as world literature. And still, even when he became a confirmed and famous writer, he kept at his journalism, reaching the highest levels of his second profession with the 1954 Pulitzer prize. And he actually used his very practice of it, with its insistence on terse and to-the- point writing, to improve his novelist’s work and give it that so distinctive and effective style of his.

But, from Italy to Cuba, it’s of course in his lifelong and ceaseless travelling that Hemingway’s multiculturalism and universalism is the most clearly visible. Who would indeed have guessed that this small-town America native would, thanks no doubt and in no small way to the high “monetary exchange rate” of the US dollar as Sherwood Anderson had sagaciously suggested, have spent his entire life across the ocean (from Switzerland to Spain and Africa and of course Paris, the famous “moveable feast” he so eloquently sang about in his novel by the same name)? And that he would have ended up as the best public relations man for the Paris expatriate lifestyle as the hundreds of thousands of Americans who make the pilgrimage every year amply attest?

Yet perhaps such restlessness if not rootlessness had to have its price as, in his waning years (he was only 62 but seriously diminished following several plane crashes from his African years), this most American of writers made the ultimate trip to Hades as, like his father before him, he took his own life on the 2nd of July 1961.

COMPLEMENT:

Auf Wiedersehen, Pet: the show that painted men as they really are

A 30-year old drama about a group of manual workers seeking employment in Germany has been voted ITV’s best ever drama. Bill Borrows explains why it spoke to male viewers

The Telegraph

24 Sep 2015

It wasn’t, of course, just about Geordies. Admittedly there was a degree of impenetrable language (‘nar’ for ‘know’, ’gan’ for ‘going’, ‘heedtheball’ for ‘not very sophisticated’ etc…). And the de facto leader of this gang of seven British workers escaping the mile-long dole queues in England to take up cash-in-hand jobs in West Germany, as the country used to be known when they still had the Berlin Wall, was indeed a stubby Geordie from central casting. But it was also packed with as many regional stereotypes as you could get away with in the 1980s.
So, ‘Moxey’, the scouse plasterer, was an ex-con; ‘Bomber’ from Bristol seemed to be suffering from the kind of mild form of concussive brain injury you might expect in a 6’5” prop forward (in real-life, actor Pat Roach had been a professional wrestler – not a massive leap for a casting director); and ‘Barry’ was a fall guy from the Black Country, presumably christened ‘Barry’ by the scriptwriters so he could pronounce his name ‘Barroi’ and play it for laughs. Naturally, there was a smart-arse cockney with dyed hair, ‘Wayne’, who thought he was ‘the dogs’ and knew it all. But wasn’t and didn’t.
The millions watching recognised and loved them all instantly, particularly ‘Dennis’ (Tim Healey), but also ‘Oz’, the huge, almost four-dimensional idiot played by a very young Jimmy Nail.
Sample dialogue:
Oz is unexpectedly at the front door of the house Dennis is staying in with his sister, that is to say, Dennis’s sister Norma:
Dennis [turning off the TV, telling Norma to ‘Just stay there’, she ignores his instruction and follows him to the door]: It’s you…
Oz: Den. How are you, mate? Cheers [the assumption is that he will be welcomed in. He is…]
Dennis: [To Norma] It’s my mate, it’s my mate, Oz. It’s my sister, Norma…
Oz: [Intelligible Geordie small talk] ‘I didn’t like to… because I didn’t know what… you know…’
Dennis [To Norma]: Right, it’s alright, you don’t have to worry about owt being spilled on the carpet.
Nora: Right, I’ll just get off to work now, Den.
Dennis [To Oz] Right, do you want a beer?
Oz: Lovely, ta…
In retrospect, the cast was stellar. Nail, Healey (we’ll leave Benidorm to his conscience), Kevin Whatley (‘Neville’ in Pet, but later ‘Lewis’ in Inspector Morse and, of course Lewis) and Timothy Spall (most recently JMW Turner in Mr Turner, the Cannes Film Festival award-winning film).
Not bad for a comedy-drama with just seven main players. Think of it as a working class Downton Abbey but with recognisable contemporary characters, first broadcast at a time of massive social upheaval.
They were all men’s men. It was all to do with that very unfashionable truth about how men communicate together, what they talk about on their own and how they deal with each other. ‘Neville’, Kevin Whatley’s character, was very definitely under the thumb, but it was his business. The others might have had a laugh at his expense, but it was his business. And that’s how it is. There is a brutal honesty to the show, an aversion to the metaphor that comes from directness and a need to just get on with everyday life.
The programme wouldn’t be commissioned today. Somebody would demand at least two or three STRONG female characters. Idiocy.
When Auf Wiedersehen, Pet first aired in 1983, huge swathes of Britain, outside the South East of England, were experiencing industrial decline and the resultant unrest and misery occasioned by Margaret Thatcher’s Conservative government. Economic migration was a fact of life for many people. Hundreds of thousands of people, mainly men, had to ‘get on their bikes and look for work’ as Tory minister Norman Tebbit helpfully suggested they might do in the aftermath of the 1981 riots.
This show was about a group of men, thrown together by circumstances not of their choosing, about how they reacted to and with each other, got on together, how they fell out on occasion but found a way through it. Think Sex In The City, with working-class Englishmen, less Sauvignon Blanc and lip gloss, more beer and cement under their fingernails and less conversational diarrhoea. This was the thinking behind Auf Wiedersehen, Pet. The comma is vital, it’s the pause for thought before the unwanted separation. The brutal Germanic, followed by the sentimental Northern afterthought.
However, in the same way that Only Fools and Horses, depicted working and lower middle class life for comic effect, so Pet struck a chord with the viewing public who had, as David Cameron is reported to have recently boasted, not been born with ‘two silver spoons in their mouth’. The viewers were, in typically British fashion, rooting for the underdog, the man who had to make a living and move to Dusseldorf and live in wooden barracks or duck and dive on the streets of South London. And there were only three channels on television, and less in life for the working man, so options were limited.
But this is where Auf Wiedesehen, Pet and Only Fools and Horses part company. The former spoke to the whole country, Britain that is, and not just England – no matter where the characters were from. The latter series, equally as loved and fondly remembered, simply pandered to what people wanted to believe were street-wise wide boys trying to buck the system (well, one of them anyway, sort of). And this time next year they were going to be millionaires. Lets it call it the ‘Lottery ticket mentality’. Very low rent and very South East. But then I repeat myself. One’s BBC, one is ITV…
Pet was defiantly Northern. It was not about just sticking it to ‘The Man’. It was about trying to provide for your family and hold down a job. And that is why it has just been announced that, on the 60th anniversary of ITV, it has been correctly declared by the Radio Times to be the best independent TV programme of all time – the fact that Thunderbirds finished second, above Coronation Street, and Blind Date made the top ten need not detain us here. The people have, after a fashion, spoken. So have the writers.
Dick Clement, the Dick Clement of “Dick Clement and Ian La Frenais” fame (also co-writers of Porridge and, by a nose, and in this writer’s judgement, the winner in a five-horse race that also involves Pet, Fawtly Towers, Only Fools and Dad’s Army as the best British comedy series of all-time) claimed to be “astonished” by the result of the poll of 5,000 readers. ‘I knew it had a strong following in the North East,’ he said. ‘But I didn’t realise its reach.’ He was born in Essex so that explains that.
Writing partner Ian Le Frenais, obviously not the dick in “Dick Clement and Ian La Frenais” and born in the North East, added, more helpfully, ‘It had a significant social context at the time, because of Thatcherism, and people going abroad to find work. There was a strong contrast between the affluence of some and the have-nots that really resonated, and still resonates today.’ Indeed it does. It’s worth re-watching all over again. The actors are the best their generation had to offer and the song remains the same.

MSF/40e: MSF fut-il, comme le « génocide » qui lui donna naissance, lancé par les services? (French doctors: When the legend becomes fact, print the legend)

29 décembre, 2011
Quand la légende devient réalité, c’est la légende qu’il faut publier.  Maxwell Scott
Ils allument le feu, ils l’activent Et après, ils viennent jouer aux pompiers. Tiken Jah Fakoly
Peut-on laisser mourir sans soin ces réfugiés parce que l’aide qu’on leur apporte prolonge la guerre dont ils sont victimes ? (…) Peut-on ignorer les catastrophes et accepter que les victimes périssent pour donner une leçon aux gouvernements qui ont laissé s’installer chez eux ces situations et éviter qu’ils en tirent bénéfice ? Jean-François Rufin (Le Piège humanitaire)
De même, l’opération « Un Bateau pour le Vietnam » dans sa première version, en 1967, devait-elle acheminer des biens que l’on qualifierait sans doute d’ « humanitaires » de nos jours, puisqu’il s’agissait de médicaments, de groupes électrogènes, de vélos et autres marchandises civiles. Mais un tel qualificatif aurait bien fait rire les militants, qui l’auraient rejeté sans appel car nous le voyions (j’en étais) comme un acte de solidarité militante avec le Vietnam résistant à l’invasion américaine. Quand, douze ans plus tard, un autre « Bateau pour le Vietnam » fut affrété pour recueillir les victimes du régime que nous défendions auparavant, l’affichage « humanitaire » s’imposa cette fois-ci comme une évidence. Ce n’était pourtant pas les victimes d’une calamité quelconque que ce bateau se proposait de secourir mais celles d’un régime particulier, le pouvoir communiste de Hanoï et c’est pourquoi un tel affichage était discutable. Bien d’autres boat people, en effet, ont risqué et risquent encore leurs vies, fuyant une vie de misère dans des embarcations de fortune, sans pour autant susciter de telles initiatives de sauvetage et ce sont aujourd’hui des trafiquants passibles de peines de prison qui assurent le passage tarifé des aspirants à une vie meilleure. Le « Bateau pour le Vietnam » était d’abord un symbole, une dénonciation de l’oppression totalitaire avant d’être une action humanitaire. Il n’y a là rien d’infamant mais la nuance mérite d’être soulignée, si l’on veut comprendre le caractère erratique et opportuniste de l’emploi de ce qualificatif. Rony Brauman
Le mot génocide a une aura magique, mais il faut rappeler que tous les historiens sérieux sont réticents à l’utiliser, lui préférant, selon les cas, « anéantissement », « extermination », « crimes de masse ». L’expression, élaborée pendant la guerre, a été dotée d’une définition juridique en 1948, fondée sur une intention exterminatrice. Elle a pris une connotation extensive aux frontières floues, et son utilisation n’a plus qu’un contenu émotif, politique ou idéologique. Pierre Nora
 On le sait aujourd’hui, l’utilisation du mot « génocide » est une invention venant des services secrets français. Cette guerre a engendré une famine qui a fait plus de 2 000 000 de morts. La médiatisation du conflit, la création de Médecins sans Frontières ont fait du Biafra une cause connue internationalement. Dans les pays occidentaux, le combat pour l’indépendance est représenté comme la lutte de chrétiens contre des musulmans. La valeur religieuse de ce conflit est immense. Le Biafra chrétien dans sa majorité est perçu comme une barrière contre l’Islam. (…) La tentative de médiation du pape Paul VI est à cet égard significative. (..) L’intérêt de reconnaître le Biafra pour la Côte d’Ivoire et le Gabon est de balkaniser ce qui est appelé l’« éléphant nigérian ». La Côte d’Ivoire en particulier tient à tenir sa place dans l’équilibre régional. (…) Le langage utilisé pour décrire la situation, par les Biafrais eux-mêmes, mais aussi par les journalistes présents sur le terrain, est celui du discours sur le génocide juif. On parle de pogroms, de « camps de la mort » Les Igbo, ethnie majoritaire au Biafra, deviennent les « juifs de l’Afrique » Cette métaphore, filée au départ par les Biafrais eux-mêmes, est volontiers reprise dans le monde occidental. Si le terme de génocide est utilisé dès le début de la guerre par les Biafrais pour légitimer la justesse de leur cause, il résonne en Europe et aux États-Unis surtout à partir de l’été 1968 avec le développement de la famine et sa médiatisation. Cette situation amène les organisations humanitaires et caritatives internationales, en particulier les associations confessionnelles et le cicr, à se mobiliser pour venir en aide aux victimes du conflit. Vincent Hiribarren
Trente ans plus tard, certains la soupçonnent d’avoir secrètement financé l’envoi de médecins de la Croix-Rouge auprès de la guérilla. Il y a cet indice, en effet, relevé par l’ancien journaliste Raymond Borel, cofondateur de Médecins sans frontières : « C’est l’une des rares fois où la Croix-Rouge française a payé, alors qu’habituellement ça revenait à la Croix-Rouge internationale ». D’ailleurs, à Noël 1968, le général de Gaulle n’aura-t-il pas cette interrogation, faussement détachée : « Et la liberté pour le vaillant peuple biafrais ? ». Que de Gaulle ait pu tirer les ficelles au début n’enlève rien aux mérites des premiers baroudeurs de l’humanitaire. « Pendant le dîner chez Halter, raconte Bernard Kouchner, Derogy m’apprend que la Croix-Rouge cherche des médecins pour partir au Biafra. Le lendemain matin, je téléphone. » Au bout du fil, un certain Max Récamier. Le 4 septembre, Kouchner et Récamier s’envolent à bord d’un avion de la Crossair avec quatre autres médecins. Destination le golfe de Guinée. Avant de partir, tous ont signé l’engagement de la Croix-Rouge, qui impose à ses volontaires de ne pas témoigner. Là-bas, ces pionniers de la médecine d’urgence découvrent les atrocités d’un blocus alimentaire silencieux. « Avec les moyens du bord, rapporte Kouchner, nous parvenions à remettre sur pied des enfants dénutris et ils nous revenaient, quelques semaines plus tard, affamés. A la longue, ils mouraient. Par milliers. Les jeunes médecins que nous étions hurlaient de rage. «  Jean-Francis Pécresse (Les Echos)
Médecins sans Frontières nait au début des années 70 d’une guerre du Biafra dont on sait aujourd’hui qu’elle ne fut pas un « génocide » mais un conflit très manipulé par des États et des lobbies. Jean-Francis Priestley (TV5, 21.12.2011)
L’action humanitaire moderne est née à l’été 1968 de la guerre du Biafra, où le Nigeria s’efforçait de réduire un petit peuple par des bombardements et la famine. Un groupe de médecins, dont Bernard Kouchner et Max Recamier, partit soigner les victimes sous le drapeau de la Croix-Rouge. Devant l’horreur de la situation, ils décidèrent de rompre le serment de silence prêté lors de leur recrutement par le CICR, ne voulant pas de cette neutralité coupable qui fut celle d’autres médecins et d’autres délégués lors d’une sinistre visite à Auschwitz en plein génocide nazi. Nous avons alerté l’opinion publique et les gouvernements en créant le Comité international de lutte contre le génocide au Biafra.  Nous avons aussi affirmé qu’il était bien de soigner les blessés, mais mieux encore d’empêcher les tueries et les guerres: l’idée d’une ingérence humanitaire, malgré les Etats et contre les dictatures, perçait déjà dans cette action-là, comme dans le nom lui-même de l’organisation qui lui fit suite: Médecins sans frontières. Patrick Aeberhard et Alain Deloche (participé à la fondation de MSF et anciens présidents de MDM)
Nous étions médecins et nous avions encore vingt ans. Mai 68 nous avait exaltés et déçus. Appelés par la Croix-Rouge française, nous partîmes sur la terre africaine, vers ces déshérités qui intéressaient peu les agitations d’Europe. En septembre 1968, nous étions en poste au Biafra, surchargés de blessés de la guerre et d’enfants légers qui s’éteignaient dans nos mains. (…) Les jeunes médecins que nous étions hurlaient de rage. (…) nous inventâmes ce qui était de notre devoir : la médecine et la chirurgie préventives des conflits. C’était le blocus alimentaire interdit par les conventions de Genève qui, utilisé comme une arme de guerre, tuait nos enfants. Quant aux bombardements, ils visaient les populations civiles. Pouvions-nous nous contenter de panser les plaies et de laisser mourir ? Les médecins français du Biafra répondirent par la négative et s’organisèrent. Le Comité international contre le génocide au Biafra fut conçu lors d’une réunion agitée où nous mîmes en question la permanence d’une neutralité. Nous acceptâmes, devant l’arrivée des troupes nigérianes, de rester avec nos malades au péril de notre vie. Mais nous voulûmes le faire savoir afin que l’opinion publique protégeât nos blessés mieux que notre faible présence ne pouvait y parvenir. Nous inventâmes ainsi la loi du tapage médiatique à laquelle la Croix-Rouge était hostile. Mais nous ne pûmes mener cette campagne préventive. Les troupes nigérianes massacrèrent, près de nous, dans un hôpital vide, une équipe de médecins yougoslaves et des religieuses anglaises. Nous avions été trop dociles. L’idée de Médecins sans frontières naquit de cet échec. Nous connaissions le statut de la Croix-Rouge internationale qui nous avait fait signer à chacun une lettre interdisant le témoignage. Nous savions aussi qu’à la suite d’une décision du comité directeur, le 14 octobre 1942, il avait été décidé à Genève, pendant la dernière guerre, de ne pas révéler l’existence des camps d’extermination et de considérer les juifs à qui l’on appliquait la solution finale comme des prisonniers semblables aux autres. Nous refusâmes cette complicité. Nous n’acceptions ni la sélection des malades ni la connivence avec les bourreaux. (…) Nous étions les enfants du combat contre le fascisme, de la lutte pour l’indépendance des peuples. Le souvenir de la Shoah hantait certains d’entre nous. Qu’aurions-nous fait pour éviter Auschwitz ? (…)Après la solitude et l’incompréhension, après les ricanements de nos détracteurs jusque dans notre camp, vint le succès. Médecins sans frontières, Médecins du monde, Aide médicale internationale ont rayonné sur la planète. Ce fut une grande avancée pour la France. Les  » french doctors  » sont connus dans les villages les plus reculés des pays pauvres comme à New York et Tokyo. Je suis fier que l’esprit de générosité, l’humanisme soient devenus l’image de mon pays.  (…)  grâce à ceux qui se sont rencontrés en 68 sur une terre d’Afrique noyée de sang, il serait aujourd’hui plus difficile de recommencer l’Arménie, Auschwitz, le Cambodge, même si nous avons hélas ! laissé faire le Rwanda. Bernard Kouchner (Le Monde, 11.12.99)
Pourquoi, dans un Nigeria qui se voulait exemplaire, la vie en commun était-elle devenue insupportable aux Ibos? Sur les 55 millions d’habitants de ce pays, que l’on appelait « l’éléphant de l’Afrique », ils étaient 8 millions. Face à 250 tribus, ils formaient un peuple cohérent et dynamique. En arrivant, les Anglais trouvèrent, dans le sud-est, une population qui leur sembla la plus primitive de la région. Liée à sa terre et n’ayant pas d’Histoire, elle se lança avidement vers le futur.  Les premiers missionnaires virent avec étonnement ces Ibos se convertir en masse, parce qu’ils découvraient avec passion les livres, l’école, le savoir. Bientôt naquit un système coopératif qui devait engendrer une élite: des villages entiers se cotisaient pour envoyer au collège, puis à Oxford ou à Cambridge, les enfants les plus doués. L’industrie ibo consistait à produire des médecins, des ingénieurs, des commerçants. Sortant alors de leur enclave – 75 000 km² – ils essaimèrent à travers les grandes provinces sommeillantes du centre et du nord. Là, les 30 millions de Haoussas et de Foulanis, venus jadis de l’Orient méditerranéen, menaient au ralenti leur existence islamique sous la discipline de leurs émirs. En gens pratiques, les Britanniques ont aussitôt partagé les rôles, donnant le pouvoir aux Haoussas, et les postes d’efficacité aux Ibos. La troisième grande ethnie, les Yoroubas, servait de fléau à cette balance qui n’avait que le défaut de ne pouvoir servir après le départ de l’occupant. En 1960, une indépendance paisible fit miroiter aux yeux de l’Afrique un Nigeria enviable. Musulmans, chrétiens, animistes avaient en commun un certain accent oxfordien et un profond amour des courses de chevaux. Ils aimaient encore plus la prospérité, apparemment promise à tous. Grâce à son cacao, à ses arachides, à son étain, le Nigeria accumule des réserves -1 milliard de Francs en 1967. Les dimensions de son marché intérieur attirent les investissements étrangers; ceux-ci, à leur tour, favorisent son industrialisation rapide. Et, surtout, le pétrole, timidement jailli dès 1955, va, à partir de 1963, transformer son destin. Et le dramatiser. En 1966, les compagnies britanniques, Shell et British Petroleum en tête, avaient déjà investi 2 750 milliards de francs au Nigeria. Avec un débit de 20 millions de tonnes, elles recueillaient, cette année, leurs premiers gros dividendes. Sur leurs traces, les Américains, les Italiens, les Français s’arrachent les concessions. En 1967, les Ibos acquièrent une plus nette « conscience pétrolière ». A partir de leur territoire, ils croient être en mesure de couper la route du pétrole, qui a pour terminus Port Harcourt, et d’exploiter les 67% des gisements situés dans leur province. Ce facteur leur donnera l’illusion de la puissance les incitant à prendre le risque de la sécession. Auparavant, ils ont cru pouvoir régner sur la fédération tout entière. Une nuit de janvier 1966, le Premier ministre, un homme du Nord prudent et rusé, Sir Abubakar Balewa, est sauvagement assassiné. C’est l’armée qui a frappé, mais on découvre que les auteurs de ce putsch sanglant sont tous des officiers ibos. Comme leur chef Aguiyi Ironsi. Désormais, le bel Etat fédéral, avec ses juges en perruque et ses institutions à l’anglaise, est condamné. Rien ne pourra empêcher de s’accomplir le cycle de la vendetta. Pendant un long été de haine, les Haoussas aiguisent leurs couteaux. Le général Ironsi est assassiné, Gowon est porté au pouvoir. Dans les casernes, les soldats ibos sont éventrés à la baïonnette, les gares sont des charniers, les banlieues brûlent. Les yeux fous, des Ibos, mus par un tropisme qui est leur dernière défense, courent sur les routes. En direction du sud. Beaucoup n’arriveront jamais. Certains transporteront jusqu’au bout les têtes de leurs enfants décapités. Deux semaines de massacres, 30 000 morts. Dans l’Iboland, les anciens se réunissent. Aucun ne croit plus à la « nation » nigériane: il faut se retrancher. Solennellement, les sages invoquent le pouvoir de l’ancien cri de ralliement ibo: « Ibo Kwennu » Des millions de messages partent vers toutes les régions de la fédération, même vers les universités d’outre-mer, qui tous ne contiennent qu’un mot: « Revenez. » A bord d’antiques voitures ou de Mercedes, à bicyclette, pressés dans les trains, à pied sur les pistes, tous leurs biens posés bien droit sur leur tête, 2 millions d’Ibos reviennent au bercail. Même ceux qui étaient à Harvard. Au printemps de 1967, sur les 75 000 km² de la province est, on va compter 500 médecins, 600 ingénieurs, 700 avocats, 6 000 cheminots, 2 500 employés des postes, 20 000 fonctionnaires… Les Ibos ont emmagasiné des vivres, de l’argent. Ils laissent à l’extérieur une nation immense privée de ses mandarins, et de ses chevilles ouvrières.   (…) Les Ibos – et le général Ojukwu -étaient des novices de la morale internationale. Dopés par la sympathie de l’Occident, ils ont pris les voeux de la France, les sentiments du Vatican, l’émotion des Scandinaves, pour des gages d’alliance. L’Express (19.01.70)
Ce que tout le monde ne sait pas, c’est que le terme de “génocide” appliqué à cette affaire du Biafra a été lancé par les services. Nous voulions un mot choc pour sensibiliser l’opinion. Nous aurions pu retenir celui de massacre, ou d’écrasement, mais génocide nous a paru plus ”parlant”. Nous avons communiqué à la presse des renseignements précis sur les pertes biafraises et avons fait en sorte qu’elle reprenne rapidement l’expression ”génocide”. Le Monde a été le premier, les autres ont suivi. Colonel Maurice Robert (responsable du SDECE durant la guerre du Biafra, 2004)
La direction de la propagande s’est servie de la faim. Après avoir essayé le pogrom, le génocide, la libération de notre province…Paddy Davies (membre de la direction de la Propagande du Biafra)
Nous accusons Gowon de génocide pour avoir cherché à exterminer quatorze millions de Biafrais de la plus horrible manière. Nous accusons Gowon de vouloir devenir un Hitler de l’Afrique. Colonel Ojukwu chef de la rébellion biafraise, 1967)
Comment peut-on être de gauche et laisser massacrer deux millions d’individus ? Le massacre des Biafrais est le plus grand massacre de l’histoire moderne après celui des juifs, ne l’oublions pas. Est-ce que cela veut dire que le massacre de millions d’hommes n’a pas de dimension politique ? […] La gauche, s’il en existe une, a fermé les yeux […] Sa préoccupation est simple : les gens qui meurent sont-ils de gauche? Bernard Kouchner (Le Nouvel Observateur, 19 janvier 1970)
J’étais hanté par Auschwitz, pourquoi la Croix-Rouge n’avait pas parlé ? Pourquoi la Croix-Rouge ne parlait pas devant le phénomène monstrueux du Biafra ? Est-ce la même chose ? Je ne voulais pas que mes enfants ou n’importe qui d’autre m’accusent de m’être tu à ce moment-là. Bernard Kouchner
Jamais d’images plus terribles n’ont été filmées depuis celle des découvertes des camps de concentration de l’Allemagne de 1945. Des corps d’enfants squelettiques ou déformés par des oedèmes, des visages où se lit l’hébétude résignée d’une agonie prochaine […]. Un enfer. […] Mais combien faudra-t-il de documentaires encore pour réveiller les consciences ? Le Monde (1968)
Le Biafra prive son propre peuple de ce qui est nécessaire à sa subsistance, dans l’espoir évidemment que le spectacle de ses souffrances va inciter les étrangers à imposer des restrictions politiques au Nigéria…La famine ne saurait devenir une arme de guerre acceptable du simple fait qu’elle est utilisée par un leadership aux abois contre sa propre population réduite à l’impuissance. Washington Post (11.07.1969, cité par Pierre Péan)
Tous les moyens sont bons dans cette affaire. La Croix-Rouge et les Chevaliers de Malte, qui canalisent et acheminent officiellement vivres et médicaments au Biafra, ne regardent pas de trop près les lourdes caisses qui, manifestement, ne sont pas remplies de lait en poudre. Pour simplifier les choses, le colonel Merle, conseiller militaire de l’ambassade de France au Gabon, est aussi responsable de la Croix-Rouge. Pierre Péan
Le 12 juin (1967), le conseil des ministres prononcera l’embargo sur les armes et la mise en place d’une aide humanitaire au profit du Biafra…aide humanitaire qui couvrira le trafic d’armes à destination des sécessionnistes. Colonel Maurice Robert (responsable Afrique du SDECE durant la guerre du Biafra)
A partir du moment où l’on n’était pas décidé à soutenir véritablement le Biafra, est-ce que cela valait vraiment la peine de commencer? C’est là l’enseignement que l’on peut tirer. Est-ce que cela valait vraiment la peine de commencer, de se donner tout le mal que l’on s’est donné pour arriver à un résultat aussi misérable. Maurice Delaunay (ambassadeur de France au Gabon lors de la guerre au Biafra)
Il ne faut ni intervenir ni donner l’impression d’avoir choisi. Mais il est préférable d’avoir un Nigéria morcelé qu’un Nigéria massif. Et par conséquent Mon Dieu si le Biafra réussissait ce ne serait pas plus mauvais pour nous. De Gaulle (cité par Foccart)
De Gaulle savait que si la France s’engageait la communauté internationale allait nous critiquer de façon très sévère. D’où réticence dans l’engagement et par conséquent liberté, je dirai presque conditionnelle pour aider Ojukwu clandestinement. Là je vais être plus clair, le feu vert n’est pas donné mais c’est un feu orange. Si les choses ne tournent pas bien nous sommes désavoués. C’est la règle du jeu. Colonel Maurice Robert (responsable Afrique du SDECE lors de la guerre du Biafra)
Pour la France, soutenir le Biafra, c’est s’opposer à l’ingérence des Soviétiques sur le continent et préserver ses intérêts pétroliers. Colonel Maurice Robert (responsable Afrique du SDECE durant la guerre du Biafra)
En juin 1966 des dizaines de milliers de chrétiens, des Ibos sont tués par des musulmans Aoussas dans le nord du Nigéria. Deux millions de Ibos affluent vers leur terre d’origine : le futur “Biafra”. Foccart comprend immédiatement que c’est là la carte à jouer pour affaiblir le Nigéria. Discrètement certains agents du SDECE encouragent la sécession mais Foccart va plus loin. Huit mois avant la proclamation de l’indépendance il avait envoyé des armes au Biafra. L’avion qui les transporte un DC 4 s’écrase au Cameroun, le 11 octobre 1966. L’information passe totalement inaperçue : la France ne risquait pas grand chose le pilote et l’avion étaient américains. Joël Calmettes
La guerre civile opposant les tribus nigérianes entre elles, grâce à la sécession du Biafra, ne plonge pas tout le monde dans la consternation à Paris…Les commandos qui ont fait la “révolution” et, en provoquant la guerre civile, ont mis les Anglo-Saxons dans le pétrin, ont été entraînés et conseillés par des Européens qui ressemblent à s’y méprendre à des barbouzes français dépendant de Jacques Foccart, secrétaire général de la Communauté (sic) et à l’Elysée. Fortiche, non? Le Canard Enchaîné du (23 août 1967)
Officiellement, la France n’a apporté qu’une aide humanitaire aux Biafrais, mais il est aujourd’hui admis que les sécessionnistes ont bénéficié d’une aide militaire. Pour le général de Gaulle, il fallait briser la Fédération du Nigeria qui constituait, du fait de sa force économique, une menace potentielle pour l’ensemble de l’Afrique francophone. Si ce soutien militaire a toujours été nié publiquement, Jacques Foccart exprime dans ses mémoires le souhait du chef de l’Etat de véhiculer une image positive des Biafrais à la télévision française, instrument sur lequel il exerçait un contrôle et qu’il souhaitait mettre au service de son discours. (…) Pour alimenter sa propagande de guerre et justifier son statut de victime, le pouvoir biafrais s’est servi des images de la famine, profitant ainsi des ravages du blocus économique sur sa population (..) Ne pouvant remporter la guerre par la force militaire, les dirigeants biafrais ont compris que les images de la famine, filmées sur le terrain, pouvaient être utilisées comme preuve du génocide et devenir une arme médiatique. Ils ont alors accueilli des journalistes étrangers, probablement avec l’aide de la France, persuadés qu’à travers ce qu’ils allaient découvrir, ils ne pourraient que soutenir la volonté sécessionniste de la province. Perçues comme garantes d’objectivité et de transparence, les images de la famine ont été instrumentalisées, utilisées comme preuve des souffrances de la population biafraise et sont devenues un enjeu politique pour le Biafra. (…) Pour contrer ces accusations, le gouvernement fédéral a accepté l’envoi d’une équipe d’observateurs mandatés par l’ONU qui a conclu à l’impossibilité d’affirmer l’existence d’un génocide au Biafra. Le pouvoir fédéral a pris les armes, non pas pour exterminer une ethnie, mais pour préserver l’unité du pays. Barbara Jung (2007)
Une trentaine de médecins, pilotes et journalistes dénoncent “le génocide au Biafra”.  Le Monde, 12 février 1969.
Il faut bien appeler les choses par leur nom (…). On a beaucoup usé et abusé de ce terme de génocide, mais je crains qu’il ne s’applique très exactement à ce qui se passe au pays des Ibos. Le Monde (30 juin 1968)
Nous qui avons été victimes du plus effroyable génocide de l’histoire, nous nous sentons solidaires de ceux qui sont menacés du même sort. Grand rabbin de France (8 août 1968)
Jamais images plus terribles n’ont été filmées depuis celles de la découverte des camps de concentration de l’Allemagne de 1945. Des corps d’enfant squelettiques ou déformés par les œdèmes, des visages où se lit l’hébétude résignée d’une agonie prochaine, des femmes décharnées demi-nues, serrant d’un geste instinctif la pauvre créature qu’elles ne peuvent plus nourrir. Un enfer. Le Monde  télévision (15 août 1968)
Le plus affreux génocide qui ait été perpétré depuis la Deuxième Guerre mondiale se poursuit. Et cette fois tout le monde le sait. Le Monde (21 août 1968)
Une équipe part le 4 septembre de Genève. Fait rare, la correspondante du Monde à Genève, Isabelle Vichniac signale le nom de deux de ses membres : « Le mercredi matin, deux jeunes français, les docteurs Bernard Kouchner et Patrick Valas, ont quitté Genève à bord d’un avion affrété par le Comité international de la Croix-Rouge ».  Selon des témoignages ultérieurs dont les versions varient légèrement, elle aurait indirectement été à l’origine du départ de Bernard Kouchner : « Août 68 : (…). Il [B. K.] dîne chez son ami Marek Halter. (…). En plein dîner, le téléphone sonne. C’est Isabelle Vichniac, la correspondante du Monde à Genève. Elle leur apprend que la Croix-Rouge cherche des médecins pour le Biafra. Kouchner décide de partir sur le champ. Il file au siège parisien de la Croix-Rouge et signe son contrat ».  [Le Monde, 17.10.99] En tout cas, son mari et elle accueillirent Bernard Kouchner avant son départ pour le Biafra : « C’est de chez eux qu’en 1968, je suis parti pour le Biafra ». Yves Lavoinne 
Nous voulûmes le faire savoir afin que l’opinion publique protégeât nos blessés mieux que notre faible présence ne pouvait y parvenir. Nous inventâmes ainsi la loi du tapage médiatique à laquelle la Croix-Rouge était hostile. (…) Nous avons tenté d’apporter une aide à un peuple qui subit avec courage et détermination les effroyables ravages de cette guerre. Nous avons essayé de porter secours aux enfants, victimes privilégiées de ce conflit, et dont l’opinion mondiale connaît la dramatique épreuve. La poursuite de la guerre ou l’arrêt des hostilités commande la solution médicale du kwashiorkor. Tout ce qui est fait actuellement permet aux enfants une survie. Leur avenir dépend des solutions politiques . Bernard Kouchner
Quand enfin le monde se sentira-t-il concerné par cet immense camp de concentration où des hommes luttent pour leur survie ?  (…)  Qu’il soit juste ou injuste, qu’il soit ou non “dans le sens de l’histoire”, un génocide se dénonce et se combat par tous les moyens. Jeune médecin français à son retour du Biafra (Kouchner?, Le Figaro, 7 janvier 1969)
Êtes-vous allés dans ces villages du Biafra, dans ces camps de la mort que nous avons vus pour y avoir travaillé plusieurs mois ? Lettre ouverte du Comité de lutte contre le génocide au Biafra (Combat, 10 février ; Le Monde, 12.02. 68)
Si le terme “génocide” ne vous convient pas, appelez-le massacre ou trouvez-lui, Messieurs, le nom qui vous plaira, mais il est temps que cesse cette discussion académique. Manifeste d’intellectuels dont Bernard Kouchner
On voulait ignorer que cette résistance exprimait avant tout une volonté populaire. Les Biafrais mouraient dans l’indifférence et dans la charité   (…) l’Europe avait déjà trop vu de photos d’enfants défaillants et parlait de guerre tribale, tant il est vrai que l’idée nationale semble réservée aux colonialistes. La gauche criait à la guerre du pétrole, ce qui était devenu en partie vrai, et attendait que le dernier Biafrais prononce les paroles usées de l’espoir socialiste pour lui venir en aide. Pour tout le monde, il semblait normal que des Noirs s’entre-tuent. On disséquait le mot génocide. On ne voulait pas s’apitoyer. Le peuple biafrais n’en finissait pas de mourir. On cessa bientôt de le plaindre.  Bernard Kouchner (14.02.68)
 Il n’y a pas eu de génocide au Biafra. Défaits militairement, les indépendantistes biafrais ont cherché à redresser la situation en accusant le Nigeria de génocide et en trouvant, dans le mouvement humanitaire, des relais pour leur propagande. Le général Ojukwu, chef de la rébellion, disposait dans son réduit d’un “parc d’affamés” qui était à la disposition des caméras pour rapporter des images d’horreur. Il se déclarait d’ailleurs, à l’époque, prêt à voir mourir 14 millions de Biafrais pour que subsiste l’idée du Biafra.  Rony Brauman (ITW René Backmann)
C’est avec grand intérêt que nous avons lu, dans Le Monde du 27 novembre 1968, un article intitulé « Deux médecins français témoignent ». Les Drs Récamier et Kouchner y évoquent leur mission sous le signe de la Croix-Rouge, et nous serions désireux d’en reproduire de larges extraits dans notre Revue que publie chaque mois le Comité international de la Croix-Rouge. Bien entendu, nous mentionnerons la source.  Lettre de J.-G. Lossier (au rédacteur en chef du Monde, 12 décembre 1968)
Lors de la création en 1971 de leur propre organisation indépendante du cicr, Médecins sans frontières, les médecins français n’érigeront pas immédiatement le témoignage en principe essentiel de la nouvelle association, puisqu’ils signeront une charte les engageant à la discrétion. Philippe Bernier
Dans les études sur l’humanitaire contemporain, la guerre du Biafra (1967-1970) est souvent perçue comme un moment charnière. « Nouveau Solférino », lieu de naissance du « mouvement humanitaire moderne », moment marquant la fin d’un « premier siècle de l’humanitaire », les qualificatifs évoquant la rupture et la genèse de nouvelles pratiques humanitaires à partir de ce conflit ne manquent pas. Si cette notion de moment charnière ne fait pas débat dans la littérature consacrée à l’aide humanitaire contemporaine, pour l’illustrer, les études rappellent généralement la naissance, à la suite de la guerre du Biafra, de l’organisation non gouvernementale d’aide d’urgence française : Médecins sans frontières (msf). D’après le plus célèbre de ses initiateurs, Bernard Kouchner, les futurs fondateurs de msf auraient rompu avec le Comité international de la Croix-Rouge (cicr) durant la guerre du Biafra, poussés par la nécessité de témoigner, un choix qui deviendra une marque de fabrique de msf. (…) Dans la littérature consacrée à l’organisation, ayant trait à celle-ci ou à ses figures emblématiques, les auteurs s’accordent sur l’instauration par les médecins français de pratiques novatrices et en rupture avec celles du Comité international de la Croix-Rouge, qui fait figure d’institution humanitaire de référence à l’époque7. À un cicr présenté comme très attaché à ses principes (respect des conventions de Genève, discrétion, neutralité, accord des parties…) est opposée la position des médecins français qui n’ont pas peur de rester sur place quoi qu’il en coûte pour soigner les victimes biafraises, en contrevenant aux consignes du cicr8 ; et qui s’expriment publiquement pour faire connaître en France la situation au Biafra. Certes, les principaux spécialistes de la question apportent quelques nuances à cette version et soulignent le caractère problématique de l’utilisation du témoignage lors de la guerre du Biafra9. En effet, il est rappelé que les prises de parole publiques des médecins français auraient renforcé le camp biafrais dont l’intransigeance sur les conditions de l’acheminement de l’aide humanitaire aurait finalement fait perdurer la crise.  Marie-Luce Desgrandchamps (Université de Genève, 2011)
Les quelques médecins du Biafra hurlaient dans l’indifférence générale. Militant habitué aux rebuffades ou même stimulé par elles, je ne renonçais pas. Pour être admis dans les équipes du cicr, les volontaires acceptaient de ne jamais témoigner de ce qu’ils avaient vu au cours de leurs missions. J’avais signé, je fus parjure. Dès mon retour en France, devant le peu d’échos de mes rencontres politiques, je créai un « Comité international contre le génocide au Biafra ». Mon raisonnement était simple. Je n’acceptais pas de reproduire la faute du cicr qui, pendant la guerre de 39-45, n’avait pas dénoncé les camps d’extermination nazis. On trouve là la genèse de Médecins sans frontières et de Médecins du monde. Bernard Kouchner.
En 1985, le gouvernement éthiopien crée les conditions d’une famine – à travers ses politiques de collectivisations forcées et de lutte contre les guérillas – et l’utilise pour justifier la déportation des populations pour priver les rebelles de bases sociales et, selon la terminologie officielle, rééquilibrer la démographie du pays. Les centres nutritionnels de MSF sont ainsi utilisés pour attirer la population qui est ensuite embarquée à la pointe du fusil dans des camions ou des avions pour être déportée dans des conditions meurtrières ; beaucoup meurent au cours du transport ou de leur « réinstallation ». MSF dénonce cette utilisation du secours alimentaire et réclame un moratoire sur les déportations, ce qui entraine son expulsion. L’Éthiopie est donc le lieu et le moment où les dirigeants de MSF prennent conscience que l’aide aux victimes peut se transformer en aides aux oppresseurs. Il existait une formule humanitaire disant que pour nourrir les victimes il fallait engraisser les bourreaux. Dans le cas de l’Éthiopie, on engraissait les bourreaux sans sauver les victimes. Pascal Priestley (TV5)
 Nous livrons des munitions aux FAR en passant par Goma. Mais bien sûr nous le démentirons si vous me citez dans la presse. Philippe Jehanne (correspondant de la DGSE, à l’historien Gérard Prunier, en plein génocide rwandais, le 19 mai 1994)

MSF fut-il, comme le « génocide » qui lui donna naissance et plus ou moins consciemment, lancé (et trahi?) par les services?

Soutien d’une sécession  que l’on sait vouée à l’échec, acceptation d’un rôle de couverture humanitaire – à l’instar plus tard de l’exfiltration des génocidaires rwandais – pour la livraison clandestine d’armes (d’où les bombardements nigérians contre ses avions ou hôpitaux), accusations non fondées de « génocide », indulgence coupable face à une rébellion jouant délibéremment – comme plus tard l’Ethiopie ou le Soudan – de l’arme de la faim contre sa propre population (en refusant notamment couloir humanitaire terrestre  ou pont aérien diurne), rejet du devoir de réserve de leur employeur (un CICR lui-même soupçonné de favoritisme par tous les Croissants rouges de la planète) qu’ils incluront pourtant plus tard dans leur charge fondatrice, numéro massif de tirage de couverture à soi (le fameux « tapage médiatique » théorisé par Kouchner, l’essentiel des opérations de secours étant assuré par d’autres acteurs notamment les églises protestantes nordiques ou anglo-saxonnes) …

Au lendemain où, approche des élections oblige (le « vote arménien » notamment) nos députés n’hésitent pas à nous ressortir le plus liberticide des projets de loi pénalisant la négation, voire la « minimisation » (?) des génocides …

Retour, au moment où l’on vient de fêter son 40e anniversaire, sur le mythe fondateur des « French doctors«   (ex-Comité de lutte contre le génocide au Biafra avant la scission, en 1979 et sur l’opération « bateau pour le Vietnam », avec Médecins du monde) …

Ou plus précisément, derrière la légende dorée de l’engagement et du refus de la « tradition de silence et de compromission » de la Croix-Rouge, les ficelles gaullistes et plus précisément celles de ses services secrets qui, on le sait maintenant, lui avaient créé de toutes pièces son principal argument du « génocide biafrais« …

En des temps certes où après la brillante campagne des Six-Jours du petit peuple d’Israël contre l’ensemble du Monde arabe coalisé et le tragique écrasement du Printenps de Prague par les chars soviétiques pendant que nos étudiants jouaient à la révolution sur le pavé parisien ou les campus américains …

Ce nouveau petit « peuple d’élite et sûr de lui » ne pouvait, au-delà de l’horreur même des images qui  avaient envahi les écrans et les magazines, qu’enflammer l’imagination de notre jeunesse face à  une masse d’incultes défendant la plus rétrograde des religions et soutenus par les Soviets et même, circonstance aggravante pour tout Français qui se respecte, les Angliches!

Médecins sans Frontières, dans les tourments de quarante ans d’histoire

Au delà de ses principes apparemment intangibles d’indépendance et d’une image qui confine à l’angélisme, l’histoire de MSF est celle de son temps et de multiples partis pris souvent contradictoires et paradoxaux.

Fondée en 1971 par des intellectuels français en rupture de communisme, elle prospère dans la dénonciation des ses ultimes crimes mais, malgré un « esprit de révolte » toujours revendiqué, sera moins inspirée dans la critique de ceux du nouvel ordre mondial en construction. Malgré sa croissance, et son succès, elle demeure pourtant l’une des rares organisations de ce type à cultiver une réelle réflexion sur sa pratique, son instrumentalisation, ses engagements et parfois ses errements.

Membre de MSF et directeur d’études au Centre de réflexion sur l’action et les savoirs humanitaires, auteur de « A l’ombre des guerres justes », (Flammarion, 2003) et co-auteur de « Agir à tout prix ? » (2011, La découverte), Fabrice Weissman revient sur les étapes qui ont façonné celle qui est devenue l’un des premiers acteurs mondiaux de l’humanitaire.

« L’obsession des fondateurs de n’être pas neutres face aux totalitarismes »

propos recueillis par Pascal Priestley

TV5

21.12.2011

Médecins sans Frontières nait au début des années 70 d’une guerre du Biafra dont on sait aujourd’hui qu’elle ne fut pas un « génocide » mais un conflit très manipulé par des États et des lobbies. Elle se développe à ses débuts autour de zones fraîchement conquises par les alliés de l’URSS : le Vietnam, le Cambodge, l’Afghanistan. Les fondateurs de MSF ont-il alors conscience d’être un instrument de la guerre froide ?

Fabrice Weissman

Ils sont obsédés par l’image et le rôle contesté de la Croix-Rouge pendant la seconde guerre mondiale, lui reprochant d’être restée neutre face au totalitarisme nazi et entendent, eux, ne pas le rester face au totalitarisme communiste. Donc, l’alignement et le choix en faveur des démocraties libérales sont parfaitement revendiqués par M.S.F., en tout cas par les dirigeants de la section française. Le contexte de l’époque est en effet celui où MSF travaille sur les fronts chauds de la guerre froide.

A une époque où l’on parle de « détente en Europe », les équipes de M.S.F. constatent au contraire une progression franche et massive de l’influence soviétique et chinoise dans les pays du tiers-monde. Il y a l’Éthiopie qui bascule, l’Angola et le Mozambique qui prennent leur indépendance dans cette sphère d’influence, l’Afghanistan envahie par l’armée rouge. MSF voit les populations des camps de réfugiés exploser, de trois millions à la fin des années 70 à plus de treize millions au début des années 80. Tous ces réfugiés fuient des régimes communistes.

L’engagement de MSF s’explique de deux manières : le fait, d’abord, que MSF estime que dans ces régimes communistes, les organisations humanitaires n’ont pas de liberté d’accès et de manœuvre que l’aide y serait condamnée à se retourner contre ses destinataires. Et en second lieu, il y a chez les fondateurs la volonté à la fois de ne pas renouveler, on l’a dit, la neutralité du CICR face aux Nazis mais aussi d’éviter que la geste humanitaire ne monopolise l’attention et occulte les oppressions et les dominations, que l’action internationale ne s’arrête pas aux opérations de secours.

Beaucoup de ses fondateurs avaient pourtant été formés dans la matrice communiste …

Oui, mais ils appartiennent plutôt à la «gauche antitotalitaire », à ce courant des « nouveaux philosophes » des années 70 qui se revendiquent de gauche mais anti-communistes. Cela renvoie à la genèse du mouvement néoconservateur, dont les principaux tenants sont d’anciens trotskistes.

Dans les années 1980, MSF se trouve interpellée par une nouvelle question à la fois pratique et de fond qui est l’instrumentalisation de l’humanitaire. L’Éthiopie en est un révélateur.

L’Éthiopie est le moment où les dirigeants réalisent que l’aide est utilisée contre les populations qu’elle entend servir. En 1985, le gouvernement éthiopien crée les conditions d’une famine – à travers ses politiques de collectivisations forcées et de lutte contre les guérillas – et l’utilise pour justifier la déportation des populations pour priver les rebelles de bases sociales et, selon la terminologie officielle, rééquilibrer la démographie du pays.

Les centres nutritionnels de MSF sont ainsi utilisés pour attirer la population qui est ensuite embarquée à la pointe du fusil dans des camions ou des avions pour être déportée dans des conditions meurtrières ; beaucoup meurent au cours du transport ou de leur « réinstallation ». MSF dénonce cette utilisation du secours alimentaire et réclame un moratoire sur les déportations, ce qui entraine son expulsion. L’Éthiopie est donc le lieu et le moment où les dirigeants de MSF prennent conscience que l’aide aux victimes peut se transformer en aides aux oppresseurs. Il existait une formule humanitaire disant que pour nourrir les victimes il fallait engraisser les bourreaux. Dans le cas de l’Éthiopie, on engraissait les bourreaux sans sauver les victimes.

Le début des années 90 voit s’effondrer l’URSS et éclater la guerre du Golfe. Comment recevez-vous ces deux événements historiques ?

MSF est alors emportée par son élan néoconservateur acquis dans la guerre froide. Elle voit la fin de cette guerre froide comme une fantastique opportunité pour étendre son action en comptant sur les États démocratiques et sur les Nations-Unies pour lui assurer l’accès aux zones de crises. Elle compte aussi sur les démocratie libérales pour ne pas se limiter à une politique de secours humanitaire dans ces endroits mais aussi y imposer les droits de l’homme, y compris les armes à la main.

Cela correspond également, dans l’expérience de MSF, au passage à de nouveaux modes opératoires : pendant la guerre froide, MSF était surtout présente à la périphérie des conflits, dans les camps de réfugiés et n’avait accès aux zones de guerres que par des missions clandestines limitées, comme en Afghanistan ou en Angola. Avec la fin de la guerre froide, les camps de réfugiés tendent à disparaître et il devient possible de négocier avec des États, des mouvements rebelles, des accords permettant les secours à l’intérieur de leurs zones.

MSF se trouve confrontée à une nouvelle réalité qui est la mise en œuvre d’opérations de secours beaucoup plus vastes nécessitant l’accord de toutes les parties, certaines étant très fragmentées comme en Somalie ou au Libéria, d’autres hostiles à toute présence internationale comme au Nord-Soudan ou en Birmanie ou encore engagées dans des politiques d’homogénéisation ethnique de leur territoire comme en ex-Yougoslavie. MSF cherche alors à s’appuyer sur les « démocraties libérales » ou sur les Nations-Unies pour faciliter son intervention.

MSF reçoit en 1992 le Prix des Droits de l’homme du Conseil de l’Europe, pour lequel il avait postulé. Il se voit bien alors comme une partie agissante de cette cause…

Tout à fait. Un acteur de secours mais présent dans le débat public pour faire pression sur les pouvoirs qui refusent ou détournent l’aide humanitaire, mais aussi sur les États démocratiques pour qu’ils interviennent militairement, ce qu’ils feront en ex-Yougoslavie et dans les Grands Lacs.

Ces événements marquent la seconde partie des années 90… On y voit des dirigeants occidentaux comme Tony Blair utiliser le terme de « guerre humanitaire » mais aussi Rony Brauman (ex Président de MSF) appeler à bombarder les collines de Sarajevo pour en faire cesser le siège. C’est une évolution logique ?

C’est aussi l’annonce d’une rupture. Dans un sens, au tournant du siècle, les attentes de MSF sont satisfaites. Au Kosovo l’organisation se retrouve en quelques sortes prise au mot par les États, qui décident de s’attaquer à la racine des crises et d’intervenir militairement contre le régime Milosevic.

Pourtant, après avoir milité pour que cette opération ait lieu, elle en conteste son label « humanitaire », voyant dans l’abus de ce genre de rhétorique un moyen de tourner le débat démocratique sur la légitimité d’une intervention militaire.

Il s’agissait, en l’espèce, de la construction d’un « ethno-fascisme » au cœur de l’Europe. Le fait d’intervenir au nom de l’humanitaire plutôt qu’au nom d’une défense de la démocratie en Europe était vu comme une instrumentalisation indue de l’humanitaire et une régression du débat démocratique, une cooptation dans la propagande de guerre, même si les membres de MSF, à titre privé, soutenaient généralement l’intervention.

C’est une rupture qui ira grandissante, par la suite et concernera l’ensemble de la galaxie humanitaire.

C’est l’époque ou Kouchner est nommé préfet du Kosovo…

(Rire). Oui. La position de MSF peut alors paraître ambiguë mais elle s’apparente au rappel de la séparation de l’Église et de l’État.

Surviennent un peu plus tard le 11 septembre, l’idée véhiculée avec lui d’un « choc de civilisations » et, dans sa foulée, l’invasion de deux pays. Vous êtes, dans votre livre, assez cruel avec votre organisation : « En Afghanistan et en Irak, écrivez-vous, elle se désintéresse des victimes de la guerre contre le terrorisme, (…) reste muette face aux massacres de milliers de prisonniers de guerre par les forces de la coalition, (…) ne commente pas la légalisation de la torture par l’administration américaine ».

C’est là où MSF a été quand même inconséquent. L’organisation dénonce beaucoup l’emploi de la rhétorique humanitaire par l’administration américaine et les ONG qui se rangent en « multiplicateurs de force » dans les fourgons de la coalition. Et dans le même temps, MSF se désintéresse en pratique des victimes de la « guerre contre le terrorisme », de la remise en cause de principes de limitations et de retenues dans l’exercice de la violence, comme la distinction entre combattants et non-combattants ou la prohibition de la torture.

On dénonce la confusion des genres mais on manifeste peu notre autonomie par des opérations et des prises de parole engagées.

Consciemment ?

Oui. Il y a d’ailleurs eu beaucoup de débats sur le sujet. L’organisation française était plus encline que les autres à s’avancer mais elle n’a pas été suivie par le conseil d’administration ni par les autres sections pour qui « être neutre » dans cette question du terrorisme était s’abstenir de tout commentaire. Alors que nous étions quelques uns à dire que « être neutre », c’était être particulièrement vigilant envers toute violation du droit humanitaire et des violences de guerre commises par les « forces du bien ». Et là, il y a eu un débat sur la neutralité qui, malheureusement à mon sens, a été remporté par les « isolationnistes » se réfugiant dans une sorte de police du langage.

Il y a eu des répercussions sur le terrain ?

En Irak, nous sommes partis avant même que la situation ne devienne extrêmement dangereuse, vers 2005-2006, disant « nous n’allons pas faire le service après-vente de l’armée américaine, on se désintéresse de ce conflit ». En somme, cette position de retrait, isolationniste s’est traduite par un peu d’empressement à mener des opérations en Irak qui, par ailleurs, bénéficiait d’une médecine relativement développée et du déversement de gros moyens financiers.

En Afghanistan, nous nous sommes retirés après des menaces ciblées, estimant avoir été victimes de la suspicion alimentée, justement, par l’abus de la rhétorique humanitaire utilisée par l’OTAN.

Au cours de la dernière décennie, MSF s’est trouvée en première ligne sur deux événements bien différents qui ont, chacun dans leur registre, souligné sa singularité : le Darfour – où elle a mis en doute la réalité du génocide – et le Tsunami – où elle a appelé à un arrêt des dons.

Dans le cas du Tsunami, il n’y avait pas d’intention polémique mais plutôt l’inquiétude de nos administrateurs de se retrouver en fin d’année avec des sommes énormes non dépensées. Cela a déclenché une controverse car cela soulignait l’écart entre les promesses faites par les organisations humanitaires et ce qu’elles pouvaient réaliser d’utile sur le terrain.

Au Darfour, ce qui s’est passé rejoint la question de la neutralité. On est passé d’une sous-médiatisation totale de la crise à une hypermédiatisation utilisant le paradigme du génocide pour décrire ce qui s’y passait. Il y avait clairement une campagne de lobbies interventionnistes néo-conservateurs qui avaient intérêt à construire cette image de génocide au Darfour accréditant, à leurs yeux, l’idée d’une continuité arabes-islamistes-totalitaristes-génocidaires.

Cette déformation propagandiste nous concernait dans la mesure où elle était construite à partir, notamment, de chiffres que nous avions mis en circulation sur la mortalité du conflit. La controverse opposait donc ces lobbies interventionnistes qui parlaient de génocide à un gouvernement soudanais niant les massacres et a fortiori sa responsabilité.

La production d’enquête de mortalité rétrospective de MSF entendait à l’époque apporter un point de vue informé et indépendant qui, à la fois, permettait d’attester l’ampleur des massacres perpétrés par le gouvernement soudanais mais pas un programme d’intention génocidaire au Soudan et de recentrer le débat sur l’urgence qui, pour MSF, était à ce moment l’acheminement de vivres et non de troupes.

Dans les deux cas, on a pu percevoir MSF comme une organisation évitant de céder à l’hystérie ou au courant dominant. C’est le résultat d’une maturation ?

Oui. Il y a clairement chez MSF la valorisation de la réflexion critique cette méfiance à l’égard de la « bonté » dominante dans le milieu humanitaire et cette prudence au sens aristotélicien du terme. Et il est vrai qu’il y a aussi toujours chez nous le plaisir narcissique de prendre toujours à contrepied le discours dominant et à bousculer les institutions bien-pensantes. Ce serait mentir de nier cette part de plaisir à mettre les pieds dans le plat.

Au-delà des discussions sur l’instrumentalisation ou sur la justesse de telle ou telle position, vous interrogez-vous sur la validité même du concept humanitaire, sur la légitimité de son ambition ? Le petit Robert le définit de façon lapidaire : « qui vise à faire le bien ».

Nous en parlons beaucoup. L’opinion est tranchée dans un certain sens : nous avons renoncé a dire ce qui est humanitaire et ce qui ne l’est pas pour préférer une autre définition.

Tout projet politique génère des exclus. On dit de façon plus triviale qu’on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. Les pouvoirs politiques doivent toujours arbitrer entre des intérêts et font des perdants. Dans les guerres, les perdants sont souvent des non-combattants. Nous revendiquons notre rôle d’être du côté des œufs, des vies sacrifiées au profit d’un ordre réputé plus juste, ce qui donne à l’action humanitaire un horizon d’action infini.

Voir aussi:

Les trente ans des « french doctors »

MSF, une vie de révoltes

Jean-Francis Pécresse

Les Echos

20 Decembre 2001

Médecins sans frontières a trente ans aujourd’hui. Née de la rencontre entre une poignée de médecins héros du Biafra et une équipe de journalistes visionnaires, la plus renommée des associations humanitaires a été de toutes les crises internationales du monde contemporain. Lauréate du prix Nobel de la paix en 1999, en rupture avec son père spirituel, Bernard Kouchner, elle se bat aujourd’hui pour sauver l’humanitaire de la mainmise des Etats.

A la sortie de la première réunion, je leur ai dit : « Vous aurez le Nobel. » Ils n’ont rien compris. » C’est Bernard Kouchner qui l’affirme, en visionnaire incompris. Faut-il le croire ? Peu importe, en vérité. Le personnage a su incarner, irrésistiblement, les débuts de Médecins sans frontières (MSF), lui avec qui les« french doctors » rompront dix ans plus tard. Un prix Nobel de la paix, en 1999, trois ex-présidents devenus ministres, une immense popularité et une gestion saluée pour sa rigueur : MSF est une organisation humanitaire hors normes. Ces médecins de l’urgence ont été de toutes les grandes crises internationales depuis trente ans. La création de MSF, en 1971, sa scission, en 1979, ont forgé sa farouche indépendance d’aujourd’hui.

Les héroïques

Comme au début de toute grande aventure humaine, il y a la date de naissance et la genèse. Pour les greffiers de l’humanitaire, l’association Médecins sans frontières a vu le jour le 20 décembre 1971. Mais MSF est venue au monde au terme de ce que Xavier Emmanuelli, qui en fut le président au tournant des années 1970, appelle « une longue préhistoire ». Au commencement est le Biafra. Un obscur conflit ethnique d’Afrique occidentale devenu l’événement fondateur de l’humanitaire moderne par la seule révolte d’une poignée de jeunes médecins pétris d’illusions politiques, engagés volontaires dans l’armée des idéaux d’une génération. « Nous étions médecins et nous avions vingt ans », entonne Bernard Kouchner en pasticheur d’Aznavour. Kouchner, dont le destin reste indissoluble de l’épopée biafraise.

Un soir de la fin d’août 1968, jeune gastro-entérologue à l’hôpital Cochin et militant marxiste, il dîne chez son ami Marek Halter en compagnie de Jacques Derogy, journaliste des grandes heures de « L’Express ». La conversation glisse sur la situation au Biafra, province du Nigeria, où, depuis un an, un soulèvement de minorités chrétiennes est réprimé par l’armée gouvernementale. De cette guérilla aux accents nationalistes, de faibles échos, épisodiques, parviennent à des opinions occidentales indifférentes. Rien, en tout cas, qui puisse empêcher les grandes nations de s’y livrer à un discret jeu d’influences. Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne du côté nigérian, la Chine côté biafrais. Et la France ?

« Nous hurlions de rage »

Trente ans plus tard, certains la soupçonnent d’avoir secrètement financé l’envoi de médecins de la Croix-Rouge auprès de la guérilla. Il y a cet indice, en effet, relevé par l’ancien journaliste Raymond Borel, cofondateur de Médecins sans frontières : « C’est l’une des rares fois où la Croix-Rouge française a payé, alors qu’habituellement ça revenait à la Croix-Rouge internationale ». D’ailleurs, à Noël 1968, le général de Gaulle n’aura-t-il pas cette interrogation, faussement détachée : « Et la liberté pour le vaillant peuple biafrais ? ».

Que de Gaulle ait pu tirer les ficelles au début n’enlève rien aux mérites des premiers baroudeurs de l’humanitaire. « Pendant le dîner chez Halter, raconte Bernard Kouchner, Derogy m’apprend que la Croix-Rouge cherche des médecins pour partir au Biafra. Le lendemain matin, je téléphone. » Au bout du fil, un certain Max Récamier. Le 4 septembre, Kouchner et Récamier s’envolent à bord d’un avion de la Crossair avec quatre autres médecins. Destination le golfe de Guinée. Avant de partir, tous ont signé l’engagement de la Croix-Rouge, qui impose à ses volontaires de ne pas témoigner. Là-bas, ces pionniers de la médecine d’urgence découvrent les atrocités d’un blocus alimentaire silencieux. « Avec les moyens du bord, rapporte Kouchner, nous parvenions à remettre sur pied des enfants dénutris et ils nous revenaient, quelques semaines plus tard, affamés. A la longue, ils mouraient. Par milliers. Les jeunes médecins que nous étions hurlaient de rage. »

Dans les consciences de ces toubibs livrés à eux-mêmes, germe le devoir de dénonciation, embryon du droit d’ingérence. Les ingrédients de la révolte sont là, manque l’étincelle. Elle se produit une nuit de novembre 1969, lorsque les sbires d’un général nigérian, le « Scorpion noir », massacrent l’équipe de médecins yougoslaves en poste dans l’hôpital voisin. Kouchner, qui a veillé du soir au matin revolver à la ceinture, décide de rompre le serment de la Croix-Rouge : « Nous ne pouvions plus accepter d’avoir été dociles. » Rentré à Paris, il parle au « Nouvel Observateur ». L’interview sort le 19 janvier 1970 sous le titre « De retour du Biafra, un médecin accuse ». L’héroïsme humanitaire éclate à la face du monde.

Paris, printemps 1971. Récamier et Kouchner frappent à la porte de Raymond Borel, qui dirige, à Clichy, un jeune journal médical, « Tonus ». L’hebdomadaire appartient au laboratoire Winthrop, mais Borel, homme de presse venu de « Détective », a obtenu une indépendance totale. Six mois plus tôt, à l’initiative d’un lecteur, un nommé Marcel Delcourt, ancien médecin militaire dépité d’avoir vu ses offres de service refusées par la Croix-Rouge, le journal a monté une petite association, le Secours médical français. Celle-ci n’effectue pas de mission mais propose aux autres organisations un vivier de bénévoles. La rencontre avec les deux « Biafrais », Borel s’en souvient « comme si c’était hier, parce que l’un avait une belle gueule [Récamier] et que l’autre était intarissable [Kouchner]. Ils m’ont dit : « Nous avons l’expérience, vous avez les moyens, travaillons ensemble. » C’est ce que nous avons fait. »

Avec une vingtaine de jeunes hospitaliers, Kouchner et Récamier animent alors un groupe sur la médecine de guerre, le Gimcu, qui se réunit un soir par semaine à l’hôpital Beaujon. Il y a là Vladan Radoman, un ancien du Biafra, Xavier Emmanuelli, copain de fac de Kouchner et militant communiste, qui allait créer le Samu en 1972. Mais, hormis une expédition en Jordanie, en septembre 1970, la petite troupe, fauchée, est en manque de faits d’armes. Preuve que les grands destins ne naissent pas toujours dans la gloire, c’est Winthrop qui apporte aux soldats de l’humanitaire le nerf de leur guerre.

Une paternité confuse

Les journalistes de« Tonus » donneront son nom à l’escadrille. Dans l’appartement de Neuilly qu’il occupait à l’époque, Borel raconte l’épisode. « Ça s’est passé ici, un soir de début décembre 1971. Je discutais, autour d’un whisky, avec Philippe Bernier, le plus talentueux de mes journalistes. Nous nous sommes dit que, pour travailler dans des pays qui étaient parfois d’anciennes colonies, nous devions retirer le mot « français ». Et c’est là que Bernier a eu cette idée géniale de « Médecins sans frontières ». Elle a tout de suite plu aux « Biafrais ». Dans la foulée, nous avons rédigé la charte de l’association. » Lorsqu’elle écrit son histoire, MSF glisse volontiers sur ce baptême païen, qui colle mal au mythe fondateur. « Le nom, c’est moi », tonne aujourd’hui encore Bernard Kouchner. Xavier Emmanuelli n’y était pas, mais corrige : « C’était bien une idée de journaliste. »

Pour Caroline Bollini, auteur d’un mémoire universitaire (« La construction de la légitimité de Médecins sans frontières dans l’espace public », Paris-X Nanterre, septembre 2001), c’est « Raymond Borel [qui] dit vrai ». La première charte de MSF ne copie-t-elle pas, presque mot pour mot, le serment du silence de la Croix-Rouge ? « On avait fait cela bêtement », se défend aujourd’hui Bernard Kouchner. Mais la plaidoirie n’est pas très convaincante. MSF est bien le produit d’une paternité confuse. Ceux de « Tonus » pensent ouvrir de nouveaux territoires aux médecins. Ceux du Biafra rêvent de bâtir une internationale de l’humanitaire capable de changer le monde.

Les bâtisseurs

Une fatalité de l’histoire veut que les révolutionnaires finissent emportés par leur progéniture. Il n’aura fallu que sept ans à la révolution humanitaire pour dévorer ses enfants. En 1978, Médecins sans frontières s’est fait une petite notoriété, à nouveau grâce à une formidable inspiration, celle d’un publicitaire. Une affiche représentant des enfants noirs et, en bas, cette phrase : « Dans notre salle d’attente, 2 milliards d’hommes. » De quoi se forger une identité, pas encore une célébrité. Nicaragua, Honduras, Kurdistan, Liban, Thaïlande : ceux que l’on n’appelle pas encore les« french doctors » ont commencé à être présents sur tous les points chauds de la planète. Mais toujours va-nu-pieds. « On avait nos petites malles et nos sacs à dos », racontera l’un d’eux, Alain Deloche. Président entre 1982 et 1994, Rony Brauman exhume un portrait jauni : « MSF, en 1978, c’est cinq à six médecins et 1 million de membres. »

Le mouvement est lancé, l’opinion adhère doucement, mais tarde l’efficacité qui construira le succès. L’association aurait pu continuer longtemps ainsi, à courir après son destin. Une fois encore, c’est Kouchner qui en brusque la trajectoire. Intrigante relation que la leur. Qu’on le veuille ou non, le personnage aimante toute l’enfance de Médecins sans frontières. Il ne l’a pourtant présidée qu’un an, et tardivement, en 1976. Mais, avec son culot, l’incroyable énergie qu’il déploie, ses manières de bateleur d’estrade, il en impose. Rien ne l’arrête. A la troisième AG, il boxe Philippe Bernier. « C’était un chef charismatique », reconnaît Brauman. Et « il avait l’aura du Biafra », ajoute Xavier Emmanuelli.

Les soixante-huitards entrent en scène

Kouchner a l’autorité, mais pas le pouvoir. Aussi, ni lui, ni Récamier n’ont les moyens de contrer la nouvelle génération qui, dans la seconde moitié des années 1970, monte à l’assaut de MSF. Fils de médecin juif, bercé aux chants de la Résistance, Bernard Kouchner a fêté ses quinze ans le 1er novembre 1954, jour où éclate la guerre d’Algérie. Il en a vingt-huit en 1968 et, nourri d’anti-impérialisme, milite chez les « Italiens », mouvement exclu quatre ans plus tôt, pour dérive libérale, de l’Union des étudiants communistes. Quoi qu’il en dise à présent, il grimpe bel et bien sur les barricades. Mais, c’est exact, son univers idéologique n’est pas celui, lyrique, des étudiants bourgeois de Mai 68. Qu’on ne se trompe pas sur son apprentissage politique : « Je n’avais, dit-il, aucune illusion sur la révolution. » Quant à Jacques Bérès, autre fondateur, autre « Biafrais », il appartenait depuis des années au groupuscule d’extrême gauche Socialisme ou Barbarie. « Si ces hommes ont fait Mai 68, ils n’ont pas été faits par Mai 68 », résume l’universitaire Caroline Bollini. Chrétien, Max Récamier est, lui, un tiers-mondiste de droite.

MSF n’est pas un enfant de la génération 68. Les vrais soixante-huitards la feront passer à l’âge adulte. C’est Claude Malhuret, ancien de l’Unef, entré à MSF en 1974. C’est Rony Brauman, ex-Gauche prolétarienne, admis début 1978. C’est aussi Francis Charhon, formé au PSU, engagé en 1977. Entre les fondateurs de MSF et ces nouveaux venus, il n’y a guère qu’une demi-génération d’écart, mais elle pèse lourd. « A l’époque, je ne connaissais pas Kouchner. Au moment du Biafra, j’étais en cinquième année de médecine », témoigne Alain Dubos, ancien vice-président de l’association, alors en Thaïlande.

En 1978, année d’espoirs et de désespoirs, Begin et Sadate signent les accords de Camp David, un Polonais est élu Pape et des milliers de boat people fuient en mer de Chine le régime khmer. « A nouveau, raconte Raymond Borel, je vois arriver dans mon bureau Bernard, seul, qui me dit : « J’ai une idée extraordinaire. Nous pourrions faire un grand coup si on affrétait un bateau pour le Vietnam. » Sur le moment, nous sommes quelques-uns à nous laisser tenter. Même Malhuret. Et puis, nous réfléchissons aux risques, aux responsabilités, et le bureau de MSF décide de refuser le projet. »

Le bateau de la discorde

Furieux, Kouchner essaie de rallier l’opinion publique et commence à mobiliser les intellectuels. Dix ans après Marek Halter, c’est André Glucksman qui est, cette fois, au rendez-vous. Novembre 1978 : le philosophe obtient de réconcilier publiquement Raymond Aron et Jean-Paul Sartre, promus parrains de « L’Ile de Lumière », navire en partance pour le Vietnam. Trente ans d’affrontements intellectuels enterrés au nom d’une morale de l’intervention qui se joue des frontières et des idéologies. Kouchner croit tenir sa victoire. Erreur. Le 23 novembre, Xavier Emmanuelli, l’ami de toujours, publie dans « Le Quotidien du médecin » un article mal troussé mais au titre effilé comme une dague : « Un bateau pour Saint-Germain-des-Prés ». Explication de l’auteur : « Je pensais que nous devions être des techniciens de la médecine d’urgence et que cela ne servait à rien de faire du tapage si nous ne pouvions pas soigner les gens. »

Le pamphlet devient le cri de ralliement de ceux qui veulent en finir avec l’encombrant Kouchner. Ce n’est plus qu’une question de mois. A l’assemblée générale de mai 1979, dans un hôtel de l’avenue de Suffren, le père spirituel de MSF est sévèrement désavoué. Théâtral, il quitte la salle sur ces mots : « Née en 1971 à l’initiative de Max Récamier et de moi-même, Médecins sans frontières est morte pour moi, tuée en plein succès. » Plusieurs de ses partisans fondent en larmes « dans une ambiance de putsch », se souvient Annick Hamel, ancienne infirmière restée permanente de l’association. Entre les deux camps, il y a, d’abord, ce qu’Alain Dubos appelle « une guerre tribale ». Une classique lutte pour le pouvoir, d’hommes à hommes, avec ses jalousies, dans laquelle « L’Ile de Lumière » n’aura été qu’un prétexte. Il y a aussi une crise de croissance de l’action humanitaire. « Je pensais que nous devions rester des amateurs, prendre l’opinion à témoin, refuser le conformisme », explique Bernard Kouchner. « Son idée, ajoute son ex-adversaire Rony Brauman, c’était de sonner le tocsin pour faire venir les grandes institutions. Il avait une idée romantique de MSF. »

Kouchner parti créer Médecins du Monde, Malhuret, président de Médecins sans frontières, peut imposer sa vision, celle d’une grosse machine, recentrée sur la médecine, professionnelle, efficace, indépendante. C’est aussi l’époque qui veut cela. « Entre 1978 et 1982, argumente Brauman, le nombre de réfugiés est passé de 3 à 11 millions. Il nous fallait une logistique nous permettant d’intervenir en même temps en Angola, au Salvador, en Ethiopie et au Mozambique. » Le talent de Malhuret sera de structurer MSF et, mieux encore, de lui donner ses habits théoriques. Les « french doctors » peuvent entrer en scène.

Les indomptables

« Changer le monde ? » Yourgos Kapranis écarquille les yeux et réprime un sourire. Oui, bien sûr, quand il était jeune, il a cru, lui aussi, qu’il allait changer le monde. Mais plus maintenant, il n’est « pas aussi idéaliste ». Il est volontaire à Médecins sans frontières, professionnel de la médecine d’urgence.

Paris, début décembre 2001. Responsable d’un camp de réfugiés birmans en Thaïlande, Yourgos Kapranis, un Grec de trente-deux ans, est de passage au siège parisien de MSF pour la réunion annuelle des chefs de mission. L’un des principaux événements qui jalonnent, désormais, la vie très rodée de l’association humanitaire. Malgré leur allure toujours débraillée, les médecins sans frontières ne sont plus la bande de copains qu’ils étaient à l’arrivée de Claude Malhuret. Finie l’improvisation. Sur le terrain, les volontaires ont leurs guides pratiques, cliniques et thérapeutiques. Nourris d’une expérience inégalable, ceux-ci sont devenus, par exemple, des références en infectiologie tropicale, discipline abandonnée par les chercheurs. Pour les imprévus, une cellule d’appui médicale et logistique installée dans les locaux de la rue Saint-Sabin, près de la Bastille, est en permanence à disposition du millier d’expatriés. Ne rien laisser au hasard.

« Partir à l’aventure sac au dos, c’est romanesque, mais ce n’est pas de l’humanitaire », insiste Yourgos Kapranis. Les « french doctors », cette invention de journalistes étrangers aux débuts de la première guerre d’Afghanistan, ne veulent pas entretenir une légende mais une réputation. « Nous vivons dans le culte de la qualité, explique Jean-Hervé Bradol, l’actuel président de l’organisation. C’est notre efficacité, elle seule, qui nous donne le droit de nous exprimer sur la situation dans les pays où nous intervenons. » Vingt ans après, la leçon de « L’Ile de Lumière » continue d’imprégner les esprits et les gestes de Médecins sans frontières. Longtemps, par exemple, l’association s’est interdite de parole sur la Tchétchénie, après s’en être retirée.

Le dogme d’un humanitaire apolitique

On ne comprend pas MSF, ni ce qui la sépare de Bernard Kouchner, ou même de la Croix-Rouge, si l’on ne saisit pas ce dogme d’un humanitaire apolitique, tirant sa légitimité de ses interventions médicales, récusant toute collusion avec les institutions. Elle qui s’enorgueillit, dans les zones de conflit, de ne pas installer ses bureaux sur les bases militaires, « comme une bonne partie des ONG », s’est ouverte seule la route de Mazar-i-Sharif. Depuis le début des années 1990, le grand défi de Médecins sans frontières est de ne pas se laisser dompter. Ni par les armées ni par les politiques. Attirés par l’odeur du succès, rôdent en effet ceux que Xavier Emmanuelli appelle « les prédateurs de l’action humanitaire », ces Etats qui, pour soigner leur communication de guerre, larguent des colis de vivres aux populations bombardées. Hier au Kurdistan, au Sud Soudan et au Kosovo, aujourd’hui en Afghanistan. Depuis l’effondrement des régimes communistes, l’humanitaire est devenue la cause des démocraties.

Mais quand Kouchner se félicite de voir ainsi le droit international « bouleversé », les héritiers rebelles du Biafra se dressent en irréductibles d’un humanitaire indépendant. Les ressources de l’association _ saluée par la Cour des comptes pour sa gestion _ qui s’élevaient à 85 millions d’euros (556 millions de francs) l’an passé, ne proviennent-elles pas à 92 % de financements privés ? Les tentations ont été grandes, pourtant, et jusque dans le saint des saints. Embarrassant Claude Malhuret, entré en 1986 dans le gouvernement Chirac et devenu maire de Vichy. Excommunié Jean-Christophe Rufin, lauréat du dernier prix Goncourt, passé auparavant chez François Léotard. Comment aurait-il pu en être autrement, d’ailleurs, quand c’est toute une génération qui, avec la dénonciation de l’emprise khmer sur les camps de réfugiés en 1979, a ouvert les yeux sur les totalitarismes de gauche ? « MSF a été un parcours initiatique », dit Xavier Emmanuelli, qui fut ministre d’Alain Juppé. Reste, immuable, la vocation humanitaire, comme un trait d’union entre 1971 et 2001.

Voir également:

Médecins en guerre : du témoignage au « tapage médiatique » (1968-1970)

Yves Lavoinne

Professeur à l’université Robert Schuman de Strasbourg, Centre universitaire européen du journalisme.

Cairn.info

Dans la mémoire collective, le Biafra évoque un éphémère État, en guerre contre la Fédération du Nigeria dont il s’était séparé le 30 mai 1967, et la famine qui en résulta. L’événement marque une césure dans l’histoire des organisations humanitaires, où on distingue une « nouvelle génération (…), celle d’après le Biafra »[1] ; césure liée aussi à une forte médiatisation : « Le drame vécu par les populations civiles fait l’objet d’une large couverture dans les médias internationaux, ce qui contribue à une mobilisation des opinions publiques et à des actions d’intervention humanitaire qui inaugurent un nouveau type d’approche »[2]

2 Pour y avoir été médecin de la Croix-Rouge, Bernard Kouchner s’est, à « L’heure de vérité » en juin 1991, déclaré « né au Biafra »[3]

s La vulgate journalistique utilise volontiers la métaphore baptismale pour dire le caractère fondateur pour lui de cette expérience. « Le Biafra, c’est l’acte de baptême humanitaire de Bernard Kouchner » [4] Ou encore, sur un registre plus militaire, le Biafra est présenté comme le « baptême du feu de l’humanitaire »[5]

3 Par-delà les versions hagiographiques ou polémiques de la genèse de l’humanitaire moderne, la relecture de la presse et du Monde en particulier, où Bernard Kouchner témoigna alors, permet d’en restituer les étapes publiques et les modalités. Le basculement vers un traitement compassionnel des conflits s’accompagne d’une évolution des rôles des médecins sur la scène journalistique.

Vers la mobilisation de l’opinion

4 Jusque fin juin 1968, la guerre du Biafra reste lointaine, bien que l’hypothèse de sa brièveté s’estompe après la dernière rodomontade du gouvernement fédéral qui voulait la « terminer en trois mois »[6]  Les échos des opérations militaires proviennent de dépêches d’agence. Le Monde s’intéresse plus aux missions diplomatiques et aux tentatives de négociation. L’aspect humanitaire est quasi absent. C’est dans une dépêche AFP, titrée « Le gouvernement de Lagos fait état de victoires sur la rive orientale du Niger » (19 janvier), que le lecteur découvre une situation alimentaire et sanitaire, « dramatique » et « tragique », adjectifs peu habituels dans le lexique des agenciers : « Les risques de maladie et la disette de protéines prennent un caractère dramatique pour les 12 millions d’habitants du Biafra, soumis depuis sept mois au blocus fédéral. (…), la pénurie de médicaments et la désorganisation des services sanitaires sont particulièrement sensibles et ont pris des proportions tragiques pour cette population qui compte deux millions d’enfants de moins de cinq ans ».

5 De façon symptomatique, cette information émane du Conseil des Églises du Nigeria. En effet, acteurs majeurs de la solidarité avec les victimes directes ou indirectes du conflit, les Églises de toutes dénominations firent appel à l’opinion internationale. Dans son premier article de l’année sur « le gouvernement séparatiste du Biafra » (31 janvier), Philippe Decraene en note le timide éveil, du fait des missionnaires, catholiques aux États-Unis, protestants en Grande-Bretagne : « (…), lente à s’émouvoir, l’opinion mondiale commence à s’interroger sur les causes de la résistance biafraise ».

6 Puis, le 23 mai, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) lance l’opération « SOS Biafra ». « Six cent mille réfugiés meurent de faim et d’épuisement au Biafra », indique sa conférence de presse mensuelle dont Le Monde (29 mai) se fait discrètement l’écho, sans doute en raison de l’actualité nationale que l’on sait. Dès le lendemain, un officiel nigérian « reproche à la Croix-Rouge de “prendre parti” » (30 mai). Celle-ci attend la conférence de presse suivante pour confirmer son chiffre (26 juin).

7 Dans Le Monde du 30 juin, le Biafra accède, pour la première fois de l’année, à la « une ». Jacques Madaule y plaide « Pour le Biafra ». Avec une rhétorique prudentielle, l’écrivain catholique de gauche qualifie le conflit de « génocide » : « (…) il faut bien appeler les choses par leur nom (…). On a beaucoup usé et abusé de ce terme de génocide, mais je crains qu’il ne s’applique très exactement à ce qui se passe au pays des Ibos ».

8 La reprise de la thèse biafraise caractérise la manière très politique, et, de fait, très partisane, dont, en France, de nombreux acteurs vont entrer en solidarité avec le Biafra. L’appel du grand rabbin de France (8 août) lui donnera une pleine légitimité morale : « Nous qui avons été victimes du plus effroyable génocide de l’histoire, nous nous sentons solidaires de ceux qui sont menacés du même sort ».

9 Jacques Madaule donne aussi quitus à la Croix-Rouge, critiquée notamment par les autorités de Lagos, car « conformément à sa vocation, (elle) s’efforce, au milieu des pires difficultés, d’aider le peuple biafrais à ne pas mourir ».

10 Désormais la famine, résultat du blocus nigérian, tient une place régulière dans Le Monde attentif au vaste mouvement de médiatisation et de solidarité qui se développe, en Europe du Nord tout particulièrement. Dès le 1er juillet, News of the World titrait à la une en caractères d’affiche : « Pour l’amour de Dieu, envoyez-leur de l’aide et vite » (5 juillet).

11 En France, des organisations se mobilisent. Après l’appel du Grand Orient de France (9), l’UNICEF et le Secours populaire français fournissent leurs coordonnées dans un encadré « L’aide aux Biafrais » (19). Les autres pays ne sont pas en reste : États-Unis avec l’appel du président Johnson (13), Israël (25). Surtout à l’initiative des Églises luthériennes, une vague de solidarité submerge l’Europe du Nord dont Le Monde retrace la progression : conférence du Conseil Œcuménique des Églises à Upsal (17), Danemark et Islande (18, 23).

Les médecins et les chiffres

12 Les secours au Biafra sont l’enjeu et le moyen d’une concurrence entre des organisations qu’alors, on ne disait pas toutes humanitaires. En juillet 1968, les médecins jouent un rôle d’experts ; ils analysent la situation sanitaire et surtout valident les pronostics de mortalité. Dans « La tragédie des réfugiés biafrais » (24 juillet), exceptionnellement signée, David Mazarelle, AFP, un médecin biafrais redoute une catastrophe absolue ; si les secours n’arrivent pas très vite, « il n’y aura plus un enfant au Biafra dans trois mois » car, déjà, « plusieurs milliers meurent chaque jour ». Sans référence médicale, une autre dépêche AFP (7 août) avance des chiffres plus modérés : « Des centaines, sinon des milliers de réfugiés, seraient d’avance condamnés à mourir de faim et de maladie, leur état ne laissant aucun espoir de les sauver, même si des secours étaient immédiatement disponibles ».

13 Chiffrer les victimes potentielles lors des conférences de presse des organisations humanitaires pour lesquelles ils travaillent, tel est le rôle des médecins européens. Ainsi, pour Terre des hommes, un médecin néerlandais procède à une évaluation très dramatique : « 100 000 personnes au moins mourront ces deux prochains mois au Biafra. Si des secours massifs n’arrivent pas, il faut s’attendre à 500 000 ou 600 000 décès » (1er août).

14 Les médecins œuvrant pour le Comité œcuménique des Églises « estiment que le taux de mortalité (infantile) s’élèvera à 50 % et ceux parmi eux qui ont une expérience clinique africaine affirment que ce taux atteindra 80 % si les vivres ne peuvent pas être distribués à temps et en quantité suffisante » (2 août).

15 Quoique incohérente (de 600 000 enfants à 1 800 000), cette macabre comptabilité atteint son objectif. L’opinion internationale « s’émeut » et réclame l’ouverture d’un « corridor de la pitié » que d’autres appellent « de la charité », ou encore « couloir de sécurité » (7 août). Une deuxième vague d’aide se débloque alors : UNICEF, Secours catholique (5).

La télévision se mobilise

16 À la mi-août, la deuxième chaîne de télévision fait événement avec une émission spéciale Biafra qui entraîne l’une des premières déprogrammations (« Chapeau melon et bottes de cuir »). On y annonce qu’un « million de personnes vont mourir si le monde “civilisé” n’intervient pas ». Sous le titre « Un peuple en train de mourir de faim » (15 août), Jacques Siclier, chroniqueur spécialisé, en rend compte à la rubrique Biafra en convoquant le souvenir des camps de concentration : « Jamais images plus terribles n’ont été filmées depuis celles de la découverte des camps de concentration de l’Allemagne de 1945. Des corps d’enfant squelettiques ou déformés par les œdèmes, des visages où se lit l’hébétude résignée d’une agonie prochaine, des femmes décharnées demi-nues, serrant d’un geste instinctif la pauvre créature qu’elles ne peuvent plus nourrir. Un enfer ».

17 Le 21 août, à la « une », « Un génocide » souligne « le plus affreux génocide qui ait été perpétré depuis la Deuxième Guerre mondiale se poursuit. Et cette fois tout le monde le sait ».

18 Or, pour acheminer l’aide, les organisations humanitaires adoptent des attitudes divergentes face au gouvernement nigérian. Caritas reproche à la Croix-Rouge son « juridisme » (19 août). Le correspondant du Monde à Berne évoque les « luttes d’influence » dont est la cible une Croix-Rouge « critiquée pour sa prudence, que d’aucuns jugent excessive ». Dans une « Libre opinion », « De Prague au Biafra » (27 août), Jacques Madaule dénonce « l’idole sanglante de la souveraineté ». À la Croix-Rouge qui hésite à forcer le blocus nigérian, l’écrivain oppose un argument promis à un bel avenir : « le droit souverain des États ne saurait être opposable aux droits de l’homme ».

19 Au terme de ces deux mois de mobilisation de l’opinion dont Le Monde est plus témoin qu’acteur, la guerre du Biafra a contribué, en France, à réactiver dans le débat public la mémoire de l’extermination des Juifs par Hitler, la culpabilité latente du silence dont ce génocide a été entouré. Le choc de l’invasion de la Tchécoslovaquie par l’URSS s’y combine et suggère, au nom des Droits de l’homme, l’idée de limitation de la souveraineté étatique, sinon d’ingérence.

L’invention de la « loi du tapage médiatique »

20 La situation empirant, la Croix-Rouge demande « du personnel médical : médecins, chirurgiens, anesthésistes, pharmaciens et infirmiers, et également des chauffeurs de poids lourds, des mécaniciens-dépanneurs, des opérateurs et des techniciens radio-télégraphistes » (21 juillet). Début septembre, faute de candidats en nombre suffisant, elle multiplie les appels aux volontaires « sur Europe n°1 et à la télévision »[7] [7] P. Grellety Bosviel, « Bloc-notes d’un médecin au Biafra…

21 Une équipe part le 4 septembre de Genève. Fait rare, la correspondante du Monde à Genève, Isabelle Vichniac signale le nom de deux de ses membres : « Le mercredi matin, deux jeunes français, les docteurs Bernard Kouchner et Patrick Valas, ont quitté Genève à bord d’un avion affrété par le Comité international de la Croix-Rouge ».

22 Selon des témoignages ultérieurs dont les versions varient légèrement, elle aurait indirectement été à l’origine du départ de Bernard Kouchner : « Août 68 : (…). Il [B. K.] dîne chez son ami Marek Halter. (…). En plein dîner, le téléphone sonne. C’est Isabelle Vichniac, la correspondante du Monde à Genève. Elle leur apprend que la Croix-Rouge cherche des médecins pour le Biafra. Kouchner décide de partir sur le champ. Il file au siège parisien de la Croix-Rouge et signe son contrat »[8] [8] Corinne Lesnes, Franck Nouchi, Claire Tréan, « MSF : les…

23 En tout cas, son mari et elle accueillirent Bernard Kouchner avant son départ pour le Biafra : « C’est de chez eux qu’en 1968, je suis parti pour le Biafra »[9] [9] Bernard Kouchner, « Poète et militant de toutes les libertés…

24 Le 30 septembre, deux médecins du CICR sont assassinés dans leur hôpital et deux autres blessés par les forces nigérianes. Les dirigeants de la Croix-Rouge décident alors d’évacuer le personnel hospitalier. Celui-ci refuse et contacte les journalistes. Le Monde (5 octobre) indique : « Un grave mécontentement se développe parmi les personnels des organismes humanitaires au Biafra ». Le journal ne cite pas de nom. Mais Bernard Kouchner fut de ceux qui choisirent « de rester sur place quoi qu’il arrive pour protéger ce qui peut l’être par la présence de la Croix-Rouge, mais que faire des malades qui veulent fuir comme le reste de la population ? »

25 Trente ans plus tard, Bernard Kouchner reconnaît avoir contacté les journalistes : « Nous voulûmes le faire savoir afin que l’opinion publique protégeât nos blessés mieux que notre faible présence ne pouvait y parvenir. Nous inventâmes ainsi la loi du tapage médiatique à laquelle la Croix-Rouge était hostile »[10] [10] Bernard Kouchner, « Vive la vie ! », Le Monde, 11 décembre…

26 La formule de « tapage médiatique » semble ici bien forte. Mais l’épisode marque une double prise de distance avec le CICR : refus des consignes d’évacuation et première transgression du principe de discrétion.

27 Alors que l’Association des journalistes pour l’information sur le développement (AJID) venait de juger nécessaire d’accroître les efforts pour sensibiliser une opinion mondiale qui, « un moment émue, donne des signes de désintéressement » (17 novembre), Le Monde (27) titre, fait exceptionnel, sur six colonnes : « Deux médecins français témoignent, Par les docteurs Max Récamier et Bernard Kouchner ».

28 Or, par contrat avec la Croix-Rouge, tous deux s’étaient engagés à « (s)’astreindre à la plus grande discrétion et notamment à (s)’abstenir, sans autorisation préalable du CICR, de toutes communications et de tous commentaires sur (leur) mission, même après la fin de celle-ci »[11] [11] Cité in Corinne Lesnes, Franck Nouchi, Claire Tréan, «…

suite. Cette prise publique de parole confère un caractère éclatant à leur rupture avec les règles du CICR.

29 Rentrés à Paris « après (…) deux mois au Biafra », les deux médecins livrent un témoignage parfois rempli d’odeurs, de sons, d’images, de petits détails concrets qui permettent de ressentir, par exemple, l’ambiance des « formalités de douane accompagnées de thé chaud et sucré, breuvage rarissime ». La spécificité de leur travail hospitalier est évoquée avec une grande sobriété : « Chirurgie de guerre où il faut aller au plus pressé, sauver le malade d’abord, stopper les hémorragies, prévenir la gangrène qui survient en quelques jours et surtout éviter le tétanos mortel à grand renfort de sérum, car personne ici n’est vacciné ».

30 Rares sont les détails qui attestent de conditions matérielles difficiles : « Le malheureux stérilisateur à pétrole ne peut suffire malgré l’activité des infirmières et c’est souvent torse nu avec seulement une paire de gants que nous terminons ces séances nocturnes ».

31 Pour ces humanitaires, le problème crucial est de choisir ceux qui bénéficieront d’un secours, en l’occurrence les enfants à envoyer dans un hôpital du CICR au Gabon : « (…) faut-il évacuer les plus atteints, dont certains présentent des lésions irréversibles, faut-il prendre ceux qui entrent dans la maladie ? »

32 Bernard Kouchner et Max Récamier expertisent aussi le nombre des victimes : « autour de trois cent mille » enfants atteints du kwashiorkor. Pour les réfugiés, ils font preuve d’une extrême prudence : « Un million de personnes vivent dans des camps de réfugiés dont les organisations humanitaires ont la charge. Mais les villages démesurément grossis, la brousse et le bord des routes abritent plusieurs millions de personnes déplacées qui ne sont pas toujours touchées par les efforts des secouristes ».

33 Pourtant le mot « génocide » n’est pas utilisé.

34 Enfin les deux médecins explicitent le sens, politique, de leur action, la solidarité avec un peuple, et non pas la seule volonté de soulager les corps : « Nous avons tenté d’apporter une aide à un peuple qui subit avec courage et détermination les effroyables ravages de cette guerre. Nous avons essayé de porter secours aux enfants, victimes privilégiées de ce conflit, et dont l’opinion mondiale connaît la dramatique épreuve ».

35 Une certitude les anime ; la solution des problèmes humanitaires n’est pas technique mais bien politique : « La poursuite de la guerre ou l’arrêt des hostilités commande la solution médicale du kwashiorkor. Tout ce qui est fait actuellement permet aux enfants une survie. Leur avenir dépend des solutions politiques ».

36 Leur témoignage prend une valeur incitative dans Le Monde qui le fait suivre d’une brève sur « L’aide humanitaire au Biafra : tous ceux qui veulent participer à l’action humanitaire en faveur des populations biafraises peuvent s’adresser à la Croix-Rouge (…) ».

37 D’octobre à novembre, l’usage des médias par Bernard Kouchner et ses amis marque leur évolution. Contestant d’abord une consigne opérationnelle, ils restent anonymes. Ensuite, signant un témoignage, ils remettent en cause une norme déontologique de la Croix-Rouge dans une stratégie de tension qui, d’ailleurs, n’ira pas jusqu’à la rupture puisqu’ils repartiront pour elle au Biafra. Dans les deux cas, conscients des ressources spécifiques de l’opinion publique, ils entendent les utiliser au bénéfice de leurs seuls malades d’abord, du Biafra ensuite dans un engagement où l’humanitaire s’accomplit en politique.

Des médecins en lutte à Paris

38 Dans cette logique politique, Bernard Kouchner crée le Comité de lutte contre le génocide au Biafra (14 décembre), avec des techniciens, des pilotes et des médecins qui, de retour de ce pays, témoignent dans des quotidiens.

39 Dans Le Figaro (7 janvier 1969) qui préconise d’« aider au maximum les sinistrés » et surtout de « mettre fin au conflit », « un médecin français à son retour du Biafra » s’écrie : « La pitié ne suffit pas ; il faut arrêter le massacre ». Il en appelle à l’opinion mondiale : « Quand enfin le monde se sentira-t-il concerné par cet immense camp de concentration où des hommes luttent pour leur survie ? »

40 Puis il stigmatise une « pitié » qui méconnaît la « dignité » des Biafrais, qu’attestent leur « noblesse de (…) comportement » et « la grande organisation » du pays, notamment de ses hôpitaux « respectant encore strictement les règles de stérilisation, avec des infirmières biafraises souvent très compétentes et des médecins biafrais dont la technique n’a rien à envier aux hôpitaux parisiens ».

41 Cédant la place au polémiste, le médecin ironise. Soutiens des fédéraux, Anglais et Américains « croient pouvoir se dédouaner (…) en envoyant quelque argent à la Croix-Rouge Internationale ». Avec les Soviétiques, ils jugent la stratégie biafraise un « suicide collectif[12] [12] L’ancien chef de la délégation du Biafra en France critiquera…

suite ». Or, pour l’auteur, il s’agit d’un « génocide au “sens de l’histoire” », ce qui doit susciter une action multiforme : « Qu’il soit juste ou injuste, qu’il soit ou non “dans le sens de l’histoire”, un génocide se dénonce et se combat par tous les moyens ».

42 L’anonyme « jeune médecin parisien » pourrait être Bernard Kouchner car l’argumentaire est proche de celui utilisé à la fin de la guerre, en janvier 1970. Dans Le Nouvel Observateur, il dénoncera le massacre des Biafrais comme « le plus grand massacre de l’histoire moderne après celui des juifs » et s’en prendra aux puissances anglo-saxonnes comme aux Soviétiques qui « crient à la victoire de la lutte anti-impérialiste » tout en ayant « largement contribué au massacre, aux côtés des impérialistes traditionnels »[13] [13] Bernard Kouchner, « Un médecin accuse » (ITW Pierre Bénichou),…

43 Dans Le Figaro, apparaissent deux thèmes récurrents ensuite chez Bernard Kouchner, l’ancien « Italien » de l’Union des étudiants communistes : la disqualification de la « pitié » ; la rupture avec l’URSS.

44 Un mois plus tard, le Comité de lutte contre le génocide au Biafra adresse une lettre ouverte à la délégation parlementaire française et aux délégations de l’ONU et de l’OUA, qui venaient de se rendre au Nigeria (Combat, 10 février ; Le Monde, 12) ; parmi les signataires, outre Bernard Kouchner et P. Valas, le docteur Jean-François Lacronique, futur collaborateur médical du Monde. Dénonçant le blocus, « arme de guerre » pour « décimer un peuple », ces témoins de l’horreur interpellent vivement des délégations aux déplacements trop officiels : « Êtes-vous allés dans ces villages du Biafra, dans ces camps de la mort que nous avons vus pour y avoir travaillé plusieurs mois (…) ? »

45 Demandant un « cessez-le-feu sans condition », ils invitent à l’abandon des querelles sémantiques : « Si le terme “génocide” ne vous convient pas, appelez-le massacre ou trouvez-lui, Messieurs, le nom qui vous plaira, mais il est temps que cesse cette discussion académique ».

Une semaine polémique pour le Biafra

46 La « Semaine nationale de secours au Biafra » s’ouvre, le 12 mars, par un meeting à la Mutualité. Entre l’abbé Pierre et le pasteur Bonnot, Bernard Kouchner « témoigne de l’ampleur des souffrances des populations civiles biafraises » et légitime la sécession du jeune État : « Il s’est créé à la faveur de la guerre une unité du peuple biafrais »[14] [14] Philippe Decraene, « Tumulte à la mutualité ou la solitude…

47 Les 13 et 14 mars, La Croix publie le « Bloc-notes d’un médecin au Biafra », Pascal Grellety Bosviel qui y est resté jusqu’en décembre 1968. De sa description très médicale du Kwashiorkor, disparaît la note d’espoir qui concluait son évocation par Bernard Kouchner : « En l’absence de traitement, la mortalité atteint 80 à 90 %. Traitée, l’évolution est parfois spectaculaire ».

48 Le Comité international de lutte contre le génocide lance un appel au cessez-le-feu et au « règlement politique » du conflit (15 mars). Signé par des intellectuels, « une quarantaine d’ethnologues », des « médecins retour du Biafra » et des journalistes, il dénonce l’apathie d’une opinion qui se contente de la charité : « Faudra-t-il un million de victimes supplémentaires pour donner à un problème une dimension qui dépasse une “charité” insuffisante ? ».

49 Le 16, à la veille de la « Quête nationale pour le Biafra », Max Récamier, « chef de l’équipe médicale française de la Croix-Rouge internationale au Biafra », s’interroge dans Le Figaro : « Le “cessez-le-feu” viendra-t-il trop tard ? ». Le chrétien tiers-mondiste se démarque des thèses de Bernard Kouchner. Il affiche, comme le CICR, une préoccupation impartiale des victimes de deux camps et se distancie de médias à la stratégie morbide et peu efficace : « (…) le drame continue et les enfants continuent à mourir des deux côtés du front, même si l’on se lasse de l’entendre répéter presque complaisamment ».

50 Enfin, mû par l’urgence de mobiliser « l’opinion publique et internationale pour imposer un “cessez-le-feu” », sans pour autant « ralentir ou même stopper notre aide médicale et alimentaire », il disqualifie la polémique qui sourd sur les « motivations des uns ou des autres », le souci de « chercher qui a tort ou raison ».

Dante n’avait rien vu

51 Le 9 avril, à la « une » du Monde, dépassant le seul cadre biafrais, Jacques Madaule proclame : « Il n’y a pas de victimes privilégiées » et rappelle le devoir d’universalité de l’indignation et de la pitié. Contre le « malheur d’être homme », l’auteur ne trouve qu’une « panacée : l’amour dont saint Paul disait qu’il ne se réjouit pas d’injustice, mais qu’il met sa joie dans la vérité ».

52 Allusion à Dante, « Le “premier cercle” » (7 mai 1969) de Philippe Decraene relate la vie de l’hôpital d’Awo Ommama. L’un des médecins se pense projeté au début du xixe siècle : « Nous réinventons les méthodes du baron Larrey et des chirurgiens des armées napoléoniennes ».

53 Un second évoque crûment les techniques médicales mises en œuvre en l’absence de ressources modernes comme la suturation des blessures : « Nous laissons donc les blessures bourgeonner de l’intérieur, ce qui est impraticable dans la vie civile mais donne pourtant des plaies plus propres, la chair pourrissant à l’air libre ».

54 Loin de tout « idéalisme », le troisième vit « une expérience comme (il a) toujours rêvé d’en faire au moins une ».

55 Un mois plus tard, dans une lettre au Monde (5 juin), l’équipe médicale s’étonne de « cette vision “cauchemardesque” » : « Aucun détail de cette description dantesque n’est inexact, mais l’ensemble laisse une impression qui n’est pas celle que nous ressentons ».

56 Cet écart est expliqué par l’inexpérience hospitalière du journaliste : « Sans doute sommes-nous plus habitués et moins sensibles à l’odeur et à la vue du sang, des suppurations, des vomissures qui composent l’environnement habituel des hôpitaux ; ici les tropiques apportent en plus la chaleur et les mouches ».

L’enlisement

57 Malgré la Semaine d’action, les reportages, les appels, la « lassitude de l’opinion » préoccupe les responsables de l’aide, tel le professeur Jacques Freymond, vice-président du CICR (1er juin 1969).

58 Lors des longues et inabouties tractations entre les autorités fédérales et le CICR, accusé de soutenir les Biafrais, Philippe Decraene juge non-pertinent le principe de neutralité, norme du CICR, car « totalement étranger à la mentalité africaine » (17 juillet).

59 La Croix-Rouge peinant toujours à recruter, Bernard Kouchner et Max Récamier repartent au Biafra (12 octobre). À Paris, le combat continue. Le 14 octobre, le Comité de lutte contre le génocide au Biafra, l’association France-Biafra, présidée par Robert Buron, et le Comité d’action pour le Biafra de Raymond Offroy, ancien ambassadeur au Nigeria, manifestent ensemble contre l’arrêt des vols du CICR et pour la sauvegarde des populations.

60 Le mois suivant, une « dizaine » de médecins constatent la désastreuse situation alimentaire et ses effets sur les enfants : « Il y a trois mois, les populations, en particulier les enfants, souffraient de malnutrition. Aujourd’hui, ils sont victimes de dénutrition ».

61 Même en assurant tous les vols de secours (CICR, Églises), seulement « 5 % environ des besoins nutritionnels élémentaires » pourraient être satisfaits. Le nombre de morts hebdomadaires est évalué à 20 000 ou 30 000 (9 novembre).

62 Le Comité de lutte contre le génocide au Biafra fusionne avec France-Biafra en un Mouvement pour la paix au Nigéria-Biafra (11 novembre), dont la dénomination indique un rééquilibrage de la stratégie envers Lagos. Ancien ministre du général de Gaulle, son président, Robert Buron, lui assure un poids politique face au Comité de Raymond Offroy. Le 12, lors de la première conférence de presse du Mouvement, celui-ci énonce un principe fondateur de l’humanitaire moderne : « Une action humanitaire qui ne débouche pas sur une action politique débouche sur le vide ». Par ailleurs, il appelle en vain à une « désescalade réciproque dans les fournitures d’armes aux belligérants » (14 novembre).

L’épuisement et la colère du médecin

63 Mais les événements militaires se précipitent, et à la une du Monde du 13 janvier s’étale un titre sur 5 colonnes : « Après trente mois de guerre, Toute résistance organisée a cessé au Biafra, De nombreux gouvernements s’efforcent de venir en aide aux populations ».

64 Le même numéro publie un manifeste d’intellectuels, dont Bernard Kouchner, qui dénoncent un « gangstérisme aux dimensions de la planète ». L’expérience de la Seconde Guerre mondiale où « les génocides hitlériens se sont faits avec la complicité passive des Alliés » éclaire le comportement de la « Grande-Bretagne pseudo-travailliste » et de « l’URSS pseudo-socialiste » lors de la guerre du Biafra. Pour ses « silences » et ses « informations chichement mesurées », la « presse politique ou “objective” » (donc Le Monde) est, avec les partis de gauche et les syndicats, accusée d’avoir « empêché que la question biafraise soit posée en termes politiques à la conscience des masses ».

65 Le lendemain, 14, revenu à Paris depuis peu, Bernard Kouchner dit son évolution « De l’enthousiasme à l’épuisement », son indignation devant une solidarité insignifiante car aveugle à la dimension politique : « On voulait ignorer que cette résistance exprimait avant tout une volonté populaire. Les Biafrais mouraient dans l’indifférence et dans la charité ».

66 La lapidaire formule finale vise à disqualifier l’éthique du « bon Samaritain » précédemment défendue dans Le Monde par l’Église luthérienne.

67 Une double saturation d’images et d’a priori idéologiques ont contribué à la passivité face à la guerre : « (…) l’Europe avait déjà trop vu de photos d’enfants défaillants et parlait de guerre tribale, tant il est vrai que l’idée nationale semble réservée aux colonialistes. La gauche criait à la guerre du pétrole, ce qui était devenu en partie vrai, et attendait que le dernier Biafrais prononce les paroles usées de l’espoir socialiste pour lui venir en aide. Pour tout le monde, il semblait normal que des Noirs s’entre-tuent. On disséquait le mot génocide. On ne voulait pas s’apitoyer. Le peuple biafrais n’en finissait pas de mourir. On cessa bientôt de le plaindre ».

68 Tandis que de Lagos, deux médecins, Dominique Benoît et Louis Schittly, affirment qu’il n’y a aucun « génocide » ni atrocités au Biafra, les docteurs Récamier et Lhuillier, de retour à Paris, refusent de rencontrer les journalistes (29 janvier). Après le temps de la colère, vient le temps du silence.

Par-delà la pitié et la charité

69 Au cours de la guerre du Biafra, la communication change discrètement. De la logique institutionnelle des conférences de presse régulières et des communiqués (Croix-Rouge), la presse passe à une logique d’individualisation. Cessant d’être seulement des experts, alimentant la rhétorique de l’horreur quantifiée, les médecins sont interviewés et apparaissent hommes aux motivations variées. Enfin, ils accèdent aux quotidiens (Le Monde, Le Figaro, La Croix) avec des témoignages sans médiation instrumentale des journalistes. Surtout, établissant des relations avec la presse, en dehors de leurs organisations, ils rompent avec la norme de « discrétion » du CICR et découvrent le « tapage médiatique ».

70 Ainsi, au-delà du classique « intérêt humain », de l’émotif ou de l’émouvant, se dessine une formule nouvelle : la restitution de paroles d’acteurs qui ne sont plus des porte-parole, et pas seulement des témoins ; paroles d’hommes divers malgré leur commun engagement dans la Croix-Rouge. Max Récamier adhère à l’éthique de la neutralité, chère au CICR, tandis que Bernard Kouchner prône une éthique humanitaire engagée aux côtés du Biafra, combat le « génocide », posture autorisée dans Le Monde par l’intervention, quelques mois plus tôt, d’un intellectuel, Jacques Madaule ; le journal retraçant le jeu croisé des mobilisations pour ou contre cette qualification.

71 La thèse du « génocide » est un enjeu polémique, encore actuel. Reprenant les arguments déjà utilisés en 1969 par ses adversaires, Rony Brauman dénonce « l’instrumentalisation du témoignage » : « Il n’y a pas eu de génocide au Biafra. Défaits militairement, les indépendantistes biafrais ont cherché à redresser la situation en accusant le Nigeria de génocide et en trouvant, dans le mouvement humanitaire, des relais pour leur propagande. Le général Ojukwu, chef de la rébellion, disposait dans son réduit d’un “parc d’affamés” qui était à la disposition des caméras pour rapporter des images d’horreur. Il se déclarait d’ailleurs, à l’époque, prêt à voir mourir 14 millions de Biafrais pour que subsiste l’idée du Biafra »[15] [15] Rony Brauman (ITW René Backmann), « Le sacre des rebelles…

72 De la parole des médecins pendant la guerre du Biafra ressortent trois thèmes :

73 1° La découverte des limites de la neutralité politique classique, mise en œuvre de façon exemplaire par la Croix-Rouge, c’est-à-dire secourir également les deux camps en présence. Dans le cas de figure très particulier d’un conflit lié au séparatisme, cela impliquait, sous peine d’ingérence, de passer par l’ancienne capitale pour faire parvenir les secours au Biafra. Déjà, des voix s’élevaient pour contester le respect inconditionnel de la souveraineté étatique. La réussite d’une position en surplomb des États, via l’ONU, marquera la réussite de l’humanitaire « à la française ».

74 2° Le mélange indissociable de deux discours ou de deux registres, politique et humanitaire, chez ceux qui voulaient secourir les victimes biafraises, les plus nombreuses (et pour cause), de Jacques Madaule à Bernard Kouchner. Cette association fera la fortune de l’humanitaire dans ses grandes heures. Ce choix du « bon » camp permettra, à la fin des années 90, de revisiter les théories de la guerre « juste ».

75 3° Le choix entre les modalités de l’humanitaire se double d’un débat éthique : d’un côté, l’éthique du « bon Samaritain » ; de l’autre, une éthique, défendue par Bernard Kouchner, de l’engagement humanitaire, dissocié de tout critère politique a priori, des « générosités orientées », et fondé sur la reconnaissance de l’autre à secourir. La première, la charité, se veut indifférente à l’identité de celui qu’elle sauve, à son passé comme à son avenir, pour ne considérer que le présent d’une souffrance. Pour la seconde, au contraire, la charité se disqualifie du fait même de cette indifférence ; ses tenants se veulent attentifs à un groupe, à son histoire, non seulement un passé mais aussi un projet. Position qui pose une interrogation sur les critères pertinents de reconnaissance de la justesse d’une cause ; pour Bernard Kouchner, ce fut « l’unité du peuple biafrais ».

76 La guerre du Biafra fut un laboratoire de l’action humanitaire à venir, le temps d’expérimentation des formules futures de gestion de la lutte contre des effets de la guerre : des couloirs humanitaires aux boucliers humains, en passant par une problématique d’organisation souvent masquée par la médiatisation du rôle des médecins. Pourtant, inventeur de la « loi du tapage médiatique », Bernard Kouchner, comme d’autres, avait bien perçu les effets de saturation provenant de la répétition de messages et d’images, aussi émouvants fussent-ils.

Notes

[ 1] David Rieff, « L’échec de Bernard Kouchner », Le Monde, 16 décembre 1999.

[ 2] Daniel C. Bach, « Nigeria », Encyclopaedia Universalis, 2002, T. 16, p. 209.

[ 3] Pierre Georges, « Civilement vôtre », Le Monde, 26 juin 1991.

[ 4] Jean-Pierre Langellier, « Bernard Kouchner, du Biafra au Kosovo », Le Monde, 4 juillet 1999.

[ 5] Bernard Guetta, « L’ingérence, la foi du nouveau siècle ? », Le Temps, 2 novembre 1999.

[ 6] Les dates entre parenthèses sont celles des numéros du Monde.

[ 7] P. Grellety Bosviel, « Bloc-notes d’un médecin au Biafra », La Croix, 13 mars 1969.

[ 8] Corinne Lesnes, Franck Nouchi, Claire Tréan, « MSF : les défis d’une génération », Le Monde, 17 octobre 1999.

[ 9] Bernard Kouchner, « Poète et militant de toutes les libertés », Le Monde, 1er janvier 2004.

[ 10] Bernard Kouchner, « Vive la vie ! », Le Monde, 11 décembre 1999.

[ 11] Cité in Corinne Lesnes, Franck Nouchi, Claire Tréan, « MSF : les défis d’une génération », Le Monde, 17 octobre 1999.

[ 12] L’ancien chef de la délégation du Biafra en France critiquera d’ailleurs la thèse des autorités séparatistes dans « Souveraineté ou suicide collectif » (L. M., 5 juillet 1969).

[ 13] Bernard Kouchner, « Un médecin accuse » (ITW Pierre Bénichou), Le Nouvel Observateur, 19 janvier 1970.

[ 14] Philippe Decraene, « Tumulte à la mutualité ou la solitude du Biafra », Le Monde, 14 mars 1969.

[ 15] Rony Brauman (ITW René Backmann), « Le sacre des rebelles », Le Nouvel Observateur, 21 octobre 1999.

Résumé

Dans la presse, apparaissent d’abord des médecins experts analysant la situation sanitaire. Le tournant décisif se produit en novembre 1968. De retour du Biafra, Max Récamier et Bernard Kouchner témoignent, dans Le Monde, de la situation des Biafrais affamés par le blocus nigérian. Puis B. Kouchner crée le Comité de lutte contre le génocide au Biafra. Même s’il retourne sur le terrain en septembre 1969, l’aide humanitaire n’a désormais, pour lui, de sens et de portée réelle que si elle s’accompagne d’une lutte politique.

What is the role of the humanitarian worker in conflict zones? The first to appear during the televised humanitarian disaster is the medical expert offering his or her professional opinion on the situation. Returning in November 1968 from Biafra, Max Récamier and Bernard Kouchner published an article in Le Monde on the Biafra population, left to starve by a Nigerian blockade. Humanitarian aid, they argued, had been deprived of real meaning and impact and would remain so unless bolstered by a matching political strategy. Acting on his own analysis, B. Kouchner formed the Action Committee against the Biafran Genocide and returned to the field in September 1969.

Relations internationales | 95-108

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Voir enfin:

Quand la Françafique foccartienne intervenait au Biafra (1967-70) extraits du livre.

Mariama

4 juillet 2003

Mis à jour le 6 avril 2005

Dès le début du conflit un avion de bombardement B26 a « été fourni par l’armée française » et « illégalement acheminé à Enugu, capitale du Biafra, par un équipage français » (communiqué de l’ambassade des USA à Lagos, cité par Le Monde du 17/07/67).

« Selon la radio nigériane, une convention – dont les photocopies seront distribuées aux correspondants de presse étrangère – avait été signée entre un représentant biafrais, M. Francis Chuchuka Nwokedi, et deux délégués de la Banque Rothschild de Paris. Aux termes de cet accord, cette dernière recevrait les droits exclusifs d’extraction de différents minerais solides, liquides et gazeux, contre versement immédiat de 6 millions de livres ».

« Les commandos qui […], en provoquant la guerre civile, ont mis les Anglo-saxons dans le pétrin ont été entraînés et conseillés par des Européens qui ressemblent à s’y méprendre à des barbouzes français dépendant de Jacques Foccart, secrétaire général à la Communauté et à l’Elysée » (Le Canard enchaîné, 23/08/67).

Après la défaite du Biafra, Le Canard enchaîné écrira : « Au printemps 1967 [alors que le leader Biafrais Ojukwu parle de faire sécession], les services de la Communauté du cher Jacques Foccart sont à pied d’œuvre […]. Les contacts avec Ojukwu sont vite pris. Houphouët-Boigny en Côte d’Ivoire et grand féal de De Gaulle s’en occupe personnellement. Foccart a, à Abidjan, un de ses hommes de confiance, [Jean] Moricheau-Beaupré, lequel dispose de moyens très importants ». Il coordonnera l’ensemble des opérations d’aide française au Biafra sous le nom de « Monsieur Jean ». C’est à lui que se réfère Roger Delouette, alias Delore, un ingénieur agronome envoyé en mission en Côte d’Ivoire, chargé d’y contrôler secrètement les transports d’armes vers le Biafra au début de l’hiver 1969-70. Roger Delouette sera arrêté aux Etats-Unis le 5 avril 1971 en possession de 44 kilos d’héroïne et d’un carnet d’adresses instructif (selon L’Express du 13/12/71). [Décédé à Abidjan en novembre 1996, Jean Moricheau-Beaupré a récidivé au Libéria en soutenant la rébellion de Charles Taylor (Le Nouvel Afrique-Asie, 01/1997). Les liens entre les trafics d’armes, de drogue, et les services secrets sont un grand classique].

« Le Canard enchaîné publiera encore le fac-similé d’une lettre de M. Delaunay, alors ambassadeur de France à Libreville, adressée au lieutenant-colonel Ojukwu et lui recommandant, le 27 octobre 1967, « le colonel Fournier et ses trois collaborateurs », tous appartenant au SDECE [ancêtre de la DGSE] ».

C’est Félix Houphouët-Boigny et Jacques Foccart qui, de concert, ont convaincu, voire « contraint » (selon le chargé d’affaires du Biafra à Paris, Ralph Uwechue) le général De Gaulle de soutenir le Biafra. Arguments : le ressentiment (le Nigeria avait rompu les relations diplomatiques avec la France lors des essais nucléaires de la France au Sahara) ; l’anglophobie bien connue du général ; l’envie d’affaiblir un pays potentiellement surpuissant face à ses voisins du « pré carré », plus petits et plus faibles. Selon Philippe Decraene, la Fédération du Nigeria constituait « un pôle d’attraction dans le golfe du Bénin. A terme, cette situation pouvait être préjudiciable à l’équilibre politique de tout l’Ouest africain » (Le Monde, 01/11/68).

Selon le mercenaire Rolf Steiner (Carton rouge, Robert Laffont, 1976), les livraisons d’armes massives, après les premiers succès de l’armée fédérale, ont commencé le 13/07/68, avec l’atterrissage à Uli (Biafra) « du premier avion français chargé de munitions […] venant du Gabon ». Selon les journalistes Claude Brovelli et Jean Wolf (La guerre des rapaces, Albin Michel), « fin août 1968 […] les armes affluent de l’autre côté [biafrais]. Des dizaines d’avions déversent sans arrêt des tonnes de matériel militaire sur les deux aérodromes – deux morceaux de route droite – que les Biafrais peuvent encore utiliser. L’avance fédérale est stoppée brutalement. A Lagos, on manifeste contre la France […]. Il en viendra 1 000 tonnes [d’armes et de munitions] en deux mois ! « . C’est un véritable pont aérien depuis Libreville et Abidjan. The Guardian parle de 30 tonnes par jour. Le 8 octobre 1967, le lieutenant-colonel Ojukwu déclare au quotidien ivoirien Fraternité-Matin qu’en cette période, il y a « plus d’avions atterrissant au Biafra que sur n’importe quel aérodrome d’Afrique à l’exception de celui de Johannesburg ». Une dépêche d’Associated Press rapporte, le 16 octobre : « Chaque nuit, des pilotes mercenaires transportent de Libreville au Biafra une vingtaine de tonnes d’armes et de munitions de fabrication française et allemande. De bonne source, on précise que ces envois sont effectués via Abidjan, en Côte d’Ivoire […]. Les avions sont pilotés par des équipages français et l’entretien est aussi assuré par des Français ». Michel Honorin, de l’agence Gamma, a séjourné au Biafra en compagnie de mercenaires. Il décrit l’arrivée « de trois à six avions chaque soir au Biafra […]. Une partie des caisses, embarquées au Gabon, portent encore le drapeau tricolore et l’immatriculation du ministère français de la Guerre ou celle du contingent français en Côte d’Ivoire » (Jeune Afrique, 23/12/68). Cet afflux d’armes aux Biafrais débouche « sur la prolongation de la lutte, c’est-à-dire l’effusion de sang ».

« Durant l’été 1968, la France accentue son soutien diplomatique aux sécessionnistes biafrais. Le Président de la République intervient personnellement – alors que Nigérians et Biafrais sont en pleine négociation à Addis-Abeba. Pour l’éditorialiste du New York Times, « l’intervention du général de Gaulle a tout au moins accru l’intransigeance biafraise à la Conférence d’Addis-Abeba, faisant échouer ainsi ce qui est probablement la dernière chance de mettre un terme à un sanglant jeu militaire qui pourrait être un suicide pour les Biafrais » ».

« La propagande pro-biafraise, en réussissant à sensibiliser l’opinion publique mondiale, jouera elle aussi un rôle de tout premier plan dans la prolongation de la lutte armée. […] En ce qui concerne la France, M. Ralph Uwechue, alors délégué du Biafra à Paris, parle de « conquête de l’opinion publique » française. Cette action psychologique fut menée, de main de maître, par la société Markpress [basée à Genève]. Les « actions de presse » de cette agence de publicité entre le 2 février 1968 et le 30 juin 1969, groupées dans une « édition abrégée », comprennent, en deux volumes, quelque 500 pages de textes, articles, informations, etc. Grâce à cette propagande, les thèses biafraises tiennent le haut du pavé, tandis que la voix de Lagos restera inaudible et ses arguments inconnus. Plusieurs thèmes seront développés. D’abord, celui du génocide. Pour y couper court, le gouvernement [nigérian] acceptera, dès septembre 1968, l’envoi d’une équipe internationale d’observateurs chargée d’enquêter sur ces accusations. Personne n’attachera pourtant foi à son rapport, concluant, à l’unanimité, que « le terme de génocide est injustifié » ; et pourtant, parmi ses quatre membres, se trouvaient un général canadien, un général suédois, sans compter un colonel polonais et un général anglais. M. Gussing, représentant de M. Thant [secrétaire général de l’ONU] au Nigeria, ne sera pas cru, lui non plus, quand il affirmera n’avoir trouvé aucun cas de génocide « à l’exception peut-être de l’incident d’Ogikwi ». Deuxième argument-choc de la propagande biafraise, la famine. [Le mercenaire] Rolf Steiner met en relief l’impact […] du tapage organisé autour des enfants biafrais : « La stupide sensibilité blanche, écrit-il, ne réagissait en définitive qu’aux malheurs atteignant les jolis petits minois ». [La famine] sévit effectivement dans la zone contrôlée par les sécessionnistes. Or, le gouvernement fédéral avait proposé la création d’un couloir terrestre pour ravitailler la zone tenue par le régime biafrais. Le colonel Ojukwu avait rejeté cette solution, car « accepter des secours ayant transité à travers le territoire fédéral équivaudrait à reconnaître qu’ils sont effectivement encerclés et qu’ils ne doivent leur survie qu’à la mansuétude des fédéraux » (Fraternité-Matin du 23/07/68). La famine étant bien devenue un paramètre à contenu politique, le gouvernement fédéral se résigne donc à la création d’un pont aérien diurne. Mais cette suggestion, elle aussi, sera rejetée, car si elle avait été acceptée, il serait devenu clair que les vols nocturnes servaient au seul ravitaillement en armes et munitions. Les autorités fédérales auraient eu les coudées plus franches pour l’entraver. Et pourtant, « les garanties militaires exigées par les Biafrais [avaient] toutes été accordées » par le gouvernement fédéral (Déclaration du Premier ministre canadien Pierre-Elliott Trudeau, 27/11/69). La guerre de religion [de musulmans s’apprêtant à exterminer 14 millions de chrétiens biafrais] constitue le troisième thème de la propagande […]. Bien entendu, l’opinion publique mondiale ignore que neuf des quinze membres du Conseil exécutif fédéral de Lagos sont chrétiens. […] Le quatrième argument utilisé sera celui du refus du Nigeria d’une solution négociée […] face à Ojukwu s’en tenant strictement à la reconnaissance préalable de l’indépendance. L’héroïsme du soldat biafrais constitua le cinquième argument […]. Et pourtant ces conscrits biafrais sont « pourchassés jusque dans leurs cachettes par les sergents recruteurs une baguette à la main » et « certaines unités biafraises étaient chargées de découvrir et d’exécuter immédiatement les hommes qui tentaient de se soustraire au service dans les forces armées » (AFP, 15/07/69 et 16/01/70). […] Même les mercenaires sont pleinement réhabilités et retrouvent une virginité toute neuve. […] Images d’Epinal également en ce qui concerne les pilotes de la « Croix-Rouge française ». Le plus prestigieux d’entre eux, le commandant Roger Morançay, est basé à Libreville, au Gabon. […] Bernard Ullmann, envoyé spécial de l’AFP à Libreville, câblera le 21 janvier 1970 à son agence qu’un chef de bord touchait en plus de son salaire de 3 000 dollars par mois […], plus de 750 dollars pour chaque atterrissage en territoire ibo. Selon tous les observateurs, durant cette période, la plupart des pilotes faisaient deux allers-retours par soirée. Pour des raisons humanitaires. […] Une grande campagne de collecte de fonds est lancée avec l’appui de l’O.R.T.F. et du gouvernement français. « Pour galvaniser la générosité des Français en faveur du Biafra, un commentateur a touché 30 000 francs » (L’Express, 17/04/72) ».

Pour diversifier les sources d’approvisionnement et intensifier les livraisons, les deux piliers africains du soutien au Biafra, les présidents gabonais et ivoirien Bongo et Houphouët-Boigny, organisent « une coopération secrète avec la France, l’Afrique du Sud, le Portugal [encore en pleine guerre coloniale] et la Rhodésie, pour l’envoi de matériel de guerre au Biafra » (Le Nouvel Observateur, 19/01/70). Le commandant Bachman, officier suisse, déclare tranquillement à la Feuille d’Avis de Lausanne « être parti pour le Biafra sous le pavillon de la Croix-Rouge » et y avoir livré des armes. Le pilote suédois Carl-Gustav von Rosen, qui mène des attaques aériennes pour le compte des sécessionnistes, indique au Monde (29/05/69) qu’il dispose de cinq avions Saab « équipés pour le combat, sur une base aérienne militaire proche de Paris ».

« Les avions qui transportent des armes […] atterrissent de nuit sur l’aérodrome d’Uli plus ou moins sous la protection des avions d’aide humanitaire » (AFP, 13/07/69). [Les richesses du Zaïre étant aussi grandes que celles du Nigeria, on imagine sans peine que les roués de la Realpolitik françafricaine abuseront à nouveau des ficelles de la propagande et des camouflages humanitaires. A propos de la création d’un « Bureau d’action psychologique » rattaché à la Direction du renseignement militaire (DRM), un officier français confiait au Canard enchaîné (22/01/1997) : « C’est le retour […] des coups tordus, de la désinformation, de la manipulation comme du temps de la guerre d’Algérie »].

SUPPLEMENT A « BILLETS D’AFRIQUE » N° 43 – SURVIE, 57 AVENUE DU MAINE, 75014-PARIS – TEL. : 01 43 27 03 25 ; FAX : 01 43 20 55 58 – IMPRIME PAR NOS SOINS – DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : FRANÇOIS-XAVIER VERSCHAVE – COMMISSION PARITAIRE N° 76019 – DEPOT LEGAL : FEVRIER 1997 – ISSN 1155-1666

Voir par ailleurs:

Les héros ont des états d’âme

Luc Ferry

Le Point

22/04/1995

Etrange retour des choses : il y a peu encore, le projet d’intégrer le souci humanitaire à la politique pouvait passer pour une belle utopie. La création d’un ministère, puis la codification par l’Onu d’un « droit d’ingérence » semblaient couronner les efforts de ceux qui, au sein même des organisations non gouvernementales (ONG), avaient depuis longtemps mené la lutte contre « le malheur des autres ». Mario Bettati, le brillant juriste qui fut au côté de Bernard Kouchner l’un des pères fondateurs de ce nouveau droit, le soulignait avec une légitime satisfaction : le nombre des ONG à vocation caritative a été multiplié par cent depuis 1970, signe d’un formidable succès, voire d’un espoir nouveau après l’effondrement des derniers « grands desseins ».

Malgré le travail accompli, les milliards investis et les vies sauvées, le sentiment qui prévaut aujourd’hui est souvent négatif. Tout cela n’aurait servi à rien, ne serait que poudre aux yeux, agitation fébrile et médiatique destinée à dissimuler la passivité de nos Etats du Nord devant les guerres de l’Est ou du Sud. Saddam Hussein est toujours là, Milosevic aussi. Le génocide du Rwanda a eu lieu en direct, presque sous nos yeux et tout laisse penser qu’il va se poursuivre au Burundi. Le conflit bosniaque n’est pas réglé, les combats fratricides reprennent de plus belle en Somalie, après un départ sans gloire des armées de l’Onu. Lassés par des interventions étatiques qui discréditent parfois leur action, des militants de la première heure en viennent à dénoncer « les prédateurs de l’action humanitaire » (Xavier Emmanuelli), voire le « crime » (Rony Brauman) ou le « piège » (Jean-Christophe Ruffin), de cet « humanitaire impossible » (Alain Destexhe).

Tous membres de Médecins sans frontières (MSF), ils s’en prennent à la confiscation de la charité par des Etats plus soucieux de redorer leur blason terni que d’agir efficacement. Tous ils contestent la figure emblématique de Bernard Kouchner : le père fondateur et l’ami de jadis n’a-t-il pas trahi sa propre cause, dévoyée dans la politique et la médiatisation ? Leur diagnostic converge : l’humanitaire n’est pas une politique et c’est illusion, voire mystification, que de laisser croire qu’il pourrait en tenir lieu.

Que des intellectuels, voire des politiques, leur emboîtent aujourd’hui le pas, on le comprend sans peine : les actions caritatives hautement médiatisées sont devenues le symptôme le plus visible d’une « société du spectacle » dont beaucoup dénoncent les travers. Elles fournissent donc, à droite comme à gauche, une cible privilégiée, presque un passage obligé pour les contempteurs du monde « politico-médiatique ». On reproche même à certains hommes d’Eglise d’être plus cathodiques que catholiques. Mais que les piques les plus acerbes proviennent des humanitaires eux-mêmes, voilà qui est plus étrange au premier abord : ne sont-ils pas en train de couper la branche sur laquelle ils sont juchés ? Lisons, à titre d’exemple, la première page d’un récent livre d’Alain Destexhe (« L’humanitaire impossible », Armand Colin), le secrétaire général de MSF international : « Jamais le mot « humanitarisme » n’avait autant fait la Une des journaux. Jamais il n’a été autant célébré, encensé, porté au pinacle. Militaires, politiciens, industriels, artistes et intellectuels se précipitent à son chevet dans une débauche de bonnes intentions médiatiquement affichées. L’engouement est général… L’Onu en fait une de ses principales préoccupations de l’après-guerre froide. Plus près de nous, des « reality shows  » mettent en scène la solidarité de voisinage et le courage des anonymes. Le public n’a jamais été aussi généreux ni les associations caritatives aussi prospères : ce secteur échappe, pour le moment, à la crise ambiante ! Le monde, dans une surenchère permanente de charité, ne sait plus où donner de la tête, du coeur et du porte-monnaie. »

Singulier courroux, qui stigmatise les élans dont il se nourrit. Etrange emportement, qui s’en prend à la générosité d’un public qu’il sollicite. N’avons-nous pas connu, même dans l’Histoire récente, des passions plus funestes ? Que Destexhe se rassure : encore un effort et l’engouement qu’il dénonce aura fait long feu. Les donateurs modestes en auront un jour assez de voir leur geste dénigré, réduit à un souci, somme toute minable, de s’acheter une bonne conscience à peu de frais. Mais aussi incongru ou maladroit qu’il puisse paraître, l’assaut ne saurait être balayé d’un revers de main. Il a le mérite, c’est le moins qu’on puisse dire, d’éviter la démagogie. Il ne provient pas d’un intellectuel en chambre, mais d’un médecin qui a participé à de nombreuses missions sur le terrain et qui parle au nom d’une des plus importantes organisations humanitaires. Il faut donc essayer de comprendre.

Le livre d’Olivier Weber (« French doctors », Laffont), qu’on dévore comme un bon roman, rendra ici de précieux services. Aussi étrange que cela puisse paraître, l’histoire concrète de l’action humanitaire contemporaine n’avait jamais été contée. Il est vrai qu’il fallait pour cela prendre son temps, se donner la peine d’un réel travail. C’est maintenant chose faite, avec talent qui plus est, et, me semble-t-il, objectivité. Certains ne manqueront sans doute pas de reprocher à Weber ses partis pris « kouchnériens ». Mais il a pour cela de solides arguments, qu’il donne avec clarté et conviction. Chacun, s’il le souhaite, pourra les contester, et son livre a le mérite d’ouvrir le débat avec loyauté. On y percevra, en tout cas, par quels cheminements l’humanitaire en est venu à s’associer si étroitement aux médias et à la politique, s’exposant ainsi aux critiques qui en contestent aujourd’hui jusqu’à la légitimité. Le temps est venu d’examiner ces critiques, de tenter d’en cerner la portée exacte. Le jeu en vaut bien la chandelle en cette époque où, tout compte fait, les utopies ne sont pas légion.

Les noces de l’éthique et des médias : une fausse charité ?

Si la vertu de charité ne vaut que par le désintéressement qui l’anime, comment serait-elle compatible avec le narcissisme et les bénéfices secondaires tirés de la médiatisation ? Sous diverses formes (à propos du bénévolat, par exemple), la question ne cesse de hanter les organisations caritatives. Au point que MSF, sous l’impulsion de Claude Malhuret, finira par adopter en assemblée générale (1979) une motion stipulant que « le fait d’appartenir à MSF ne peut en aucun cas servir d’élément de promotion personnelle ». A l’époque, chacun sait bien dans la salle qui est visé : Bernard Kouchner, bien sûr, et son projet de mener le « tapage médiatique » autour des boat people, ces malheureux qui fuient alors le Vietnam et traversent la mer de Chine dans des conditions réellement atroces. De cet épisode aujourd’hui « historique », Weber nous conte le récit par le menu : car c’est sur ce point (déjà) que MSF va éclater en deux factions. D’un côté, Malhuret, Emmanuelli, Brauman, Charhon ; de l’autre, Kouchner et les siens, souvent les anciens du Biafra. Au-delà des personnes (et il y en a beaucoup d’autres, bien sûr), au-delà des intrigues et des querelles de générations, ce sont, comme le dira Emmanuelli, deux « cultures » qui s’affrontent, parce qu’elles ne « mesurent pas l’importance des médias à la même aune ». Pour Kouchner, le seul moyen d’agir est d’alerter l’opinion publique : il faut dans l’urgence réunir les fonds nécessaires pour affréter un bateau, l’« Ile de lumière », qui deviendra un hôpital flottant, mais aussi un symbole. Il faut faire pression sur les gouvernants afin qu’ils accueillent les rescapés. Un prestigieux comité de soutien est réuni, où figurent artistes et intellectuels célèbres. Sartre et Aron se retrouvent à l’Elysée pour défendre le projet. Le sens de cette réconciliation est, à l’époque, hautement symbolique : ceux qui ont soutenu le Vietnam communiste se lèvent pour sauver des boat people… martyrs du régime victorieux ! Ils acceptent de côtoyer enfin des anticommunistes de toujours, ceux-là mêmes qu’on traitait de « chiens » il y a peu ! Soljenitsyne est passé par là.

Xavier Emmanuelli, lui, est hostile à cette agitation, qu’il juge avec une sévérité sans appel : il publie dans Le Quotidien du médecin un article intitulé « Un bateau pour Saint-Germain-des-Prés » où il dénonce, entre autres, ce « large cercle de mondains, marquis, mandarins, précieuses et autres faiseurs d’opinion » des petits cénacles parisiens. Mis en minorité, Kouchner ira réaliser son projet ailleurs. Avec succès : la précision est importante. Il quittera l’organisation qu’il a tant contribué à faire exister. De là naîtra Médecins du monde.

Quinze ans après, Emmanuelli persiste et signe : le fameux bateau servit surtout selon lui à « ouvrir un nouveau genre aux télévisions, à inaugurer un nouveau spectacle héroïque : la fiction-reportage à chaud. Le bateau pour le Vietnam est bien arrivé à destination : il a raconté une oeuvre grandiose et généreuse, frayé un chemin pour d’autres créations, il a promu ses armateurs. Il est bien arrivé à Saint-Germain-des-Prés ». Mais vient aussi cet aveu, qu’il faut citer mot pour mot, et qui, au final, plaide largement en faveur du choix fait par Kouchner : « Probablement, la présence du bateau pour le Vietnam, chargé de journalistes, de télévisions, d’agences de presse et de photographes en exclusivité, et de quelques médecins, put-il influencer les comportements, sauver de nombreuses vies et inciter les politiques de tous bords à se montrer sur l’écran dans une surenchère de générosité… » N’était-ce pas là, très exactement, le but recherché ?

Par où l’on voit que, dans cette première objection, les termes de la balance ne peuvent pas, sérieusement, être mis sur le même plan : d’un côté, le « péché » individuel de narcissisme ; de l’autre, la nécessité objective, concédée par les critiques eux-mêmes, d’alerter une opinion publique seule capable en démocratie de secouer l’inertie des gouvernants. Faut-il, pour éviter l’un, renoncer à l’autre et de quelle pureté se prévaloir pour jeter ainsi la première pierre ?

Ah ! le sac de riz porté par Kouchner aux enfants somaliens ! Comme il tombe bien ! Et dans quelle consternation ravie il plonge tous les vertueux qui, depuis belle lurette, avaient posé leur diagnostic : cet homme en fait trop ! Nos évêques, si prompts aujourd’hui à condamner les excès de zèle, ne s’y sont pas trompés : réunis en assemblée plénière, ils ont, eux aussi, vigoureusement dénoncé la « sécularisation » et la « médiatisation » de la charité (Le Monde du 16 avril 1994). Chacun son rôle !

Mais soyons francs : si c’était de nos enfants qu’il se fût agi, si ce sac de riz leur était destiné parce qu’ils mourraient par milliers, aurions-nous tant fait la fine bouche ? De toute évidence, le problème est ailleurs, et l’objection, pour frappante qu’elle soit, n’a guère de valeur face aux nécessités bien réelles de la « loi du tapage ». Et contrairement à une opinion reçue, cette fameuse loi ne date pas d’hier. Sans le formidable succès « médiatique » du livre d’Henri Dunant, « Un souvenir de Solferino », la Croix-Rouge n’aurait sans doute pas vu le jour. Voici ce qu’écrivait déjà, à la fin du siècle dernier, Gustave Moynier, qui fut, un demi-siècle durant, son président : « Les descriptions que donnent les journaux quotidiens placent pour ainsi dire les agonisants des champs de bataille sous les yeux du lecteur et font retentir à ses oreilles, en même temps que les chants de victoire, les gémissements des pauvres mutilés qui remplissent les ambulances. »

Mais sans doute la critique de la médiatisation dépasse-t-elle les considérations morales, pour contester, plus en profondeur, une certaine vision « sentimentale » du monde.

L’émotion contre la réflexion : une fausse philosophie ?

Comme la télévision sur laquelle il s’appuie, l’ « humanitaire médiatique » fait appel à l’émotion plus qu’à la réflexion, au coeur davantage qu’à la raison. A l’instar des reality shows tels que le Téléthon ou la Journée du sida, il serait un spectacle avant d’être une analyse, une savante mise en scène de « bons sentiments », une dose convenable d’images culpabilisantes s’avérant propres à ouvrir la voie de la compassion et du portefeuille des plus réticents. Concédons, puisqu’il le faut, la nécessité du tapage mobilisateur. Mais l’émotion ne vaut pas démonstration, et, une fois passé le choc des photos, que reste-t-il dans les têtes ? Quelle compréhension un tant soit peu sérieuse des causes réelles, culturelles, historiques ou politiques du « malheur des autres » ? L’humanitaire médiatique excite la compassion du public en désignant à sa pitié des « victimes abstraites », toutes interchangeables. La souffrance n’est-elle pas universelle ? Au nom de l’émotion, il nous ferait perdre l’intelligence du contexte géographique et historique. L’arrière-fond de cette seconde objection ne saurait échapper : il ne s’agit plus seulement de dénoncer le narcissisme ou même la superficialité des médias, mais, bien au-delà, les dangers d’un règne de l’émotion en politique. De bons intellectuels ne cessent d’y insister : le primat du sentimental sur l’intelligence serait le fait des régimes fascistes, qui réclament l’adhésion sans discussion ni réflexion à des valeurs ou à des leaders charismatiques, pour ne pas dire à des Führer. La raison et l’esprit critique, cette distanciation que ne permet pas, justement, l’image, sont leurs ennemis naturels. L’humanitaire serait-il un fascisme doux ?

La critique semble implacable. Elles passe, tout simplement, à côté de l’essentiel. Historiquement, en effet, l’idée d’assistance humanitaire s’inscrit dans l’héritage de la Déclaration des droits de l’homme. Or cette Déclaration repose, c’est même là tout son apport, sur l’idée que les hommes possèdent des droits, abstraction faite de leur enracinement dans telle ou telle communauté particulière – ethnique, nationale, religieuse, linguistique ou autre. Voilà pourquoi l’humanitaire ne considère, en effet, que des victimes « abstraites ». Mais loin qu’il s’agisse d’un effet pervers, c’est son essence et sa grandeur qui sont en jeu : en sécularisant la charité, il l’étend au-delà des solidarités traditionnelles. Fort heureusement, il ne « choisit » pas les victimes, comme le faisaient les formes anciennes de l’assistance, en raison de liens communautaires qui nous unissent à elles, et c’est pourquoi le contexte lui est, au moins dans un premier temps, indifférent. Ce qui n’interdit pas, mais sur un autre plan, d’analyser les situations, voire de condamner les coupables.

A cet égard, l’intervention en Somalie, malgré l’échec politique et militaire que tous soulignent aujourd’hui à juste titre, est exemplaire. Aucune solidarité communautaire ne nous relie aux Somaliens. Aucun intérêt économique ou stratégique ne fut vraiment décisif. C’est bel et bien sous la pression de l’opinion publique, via CNN, que l’opération a été déclenchée. On peut le regretter, mais n’est-ce pas là le lot des démocraties ? On ne voit du reste, dans l’histoire de l’action humanitaire depuis des millénaires, aucun autre exemple d’intervention qui soit exempte de toute solidarité de type traditionnel, ethnique, religieux ou autre. C’est là un phénomène qui mériterait d’être analysé plutôt que tourné en dérision – ce qui, bien entendu, n’excuse en rien les lenteurs, les erreurs monumentales, voire les fautes commises par l’armée. Il faut en tirer les leçons. Mais l’échec politique et militaire ne doit pas conduire à occulter le succès humanitaire. Il y a trente ou quarante ans encore, les Somaliens seraient sans doute morts au complet dans l’indifférence la plus totale. Plusieurs centaines de milliers furent sauvés. Et, de ce point de vue, le rôle de l’émotion n’est-il pas, tout bien pesé, indispensable ? L’exemple du Rwanda montre pourtant qu’il est insuffisant.

L’alibi de l’inaction et de la lâcheté : une fausse politique ?

On l’aura dit et répété à satiété : l’humanitaire n’est pas une politique. Il existe, d’évidence, une logique qui est celle des Etats qui ne font pas, comme chacun sait, dans les bons sentiments, mais plutôt dans la puissance et la force. La « découverte », à vrai dire, n’est pas neuve. Hobbes, au XVIIe siècle déjà, l’avait dit, et tant d’autres après lui. Mais elle génère, contre l’humanitaire en politique, suspect d’accréditer l’illusion d’une « politique morale », une série d’objections dont la présence est si fréquente dans les médias qu’on se contentera de les rappeler : en déculpabilisant les citoyens à bon compte (un petit chèque suffit), l’humanitaire les détourne de l’action réelle, qui est d’abord politique, puis diplomatique et militaire ; bien plus, il risque, en s’attaquant aux effets plutôt qu’aux causes, de prolonger les conflits et, par là même, les misères qu’ils engendrent ; une fois sur le terrain, il sert d’alibi à l’inaction des Etats, comme on l’a vu en Bosnie, où nos Casques bleus, censés séparer et protéger les populations en guerre, en devinrent des otages ; l’humanitaire d’Etat, inefficace, menace ainsi l’humanitaire privé, qu’il discrédite auprès de ceux qu’il entend secourir ; car, fausse politique, il est aussi une fausse justice et un faux droit. Non seulement l’ingérence est contraire au sacro-saint principe de la souveraineté des Etats et fait craindre à certains le retour d’un colonialisme déguisé, mais, en outre, les interventions qu’elle prétend légitimer sont arbitraires : pourquoi la Somalie ou l’Irak et pas le Tibet ou le Soudan ? N’y a-t-il pas, d’évidence, deux poids et deux mesures ?

Là encore, les choses ne sont pas si simples qu’il y paraît. Gardons-nous de confondre dans le même opprobre une sélectivité voulue, qui serait indécente, et une sélectivité imposée par la nécessité. Gardons-nous, surtout, de l’illusion selon laquelle il faudrait supprimer la « diplomatie humanitaire » pour redonner toute sa place à une diplomatie traditionnelle. Il n’est pas sûr (et c’est un euphémisme) que l’humanitaire soit concurrent du militaire. Qui croit sérieusement qu’en Bosnie, par exemple, nos Etats européens seraient davantage intervenus sans l’action humanitaire, que c’est à cause d’elle qu’ils sont restés silencieux ?

Ces objections, qu’il faudrait discuter plus longuement, ont en tout cas le mérite de mettre l’accent sur la vrai difficulté : comment concevoir, désormais, des rapports convenables entre humanitaire et politique ? Les confondre totalement, d’évidence, est impossible : les partis pris des Etats, quels qu’ils soient, risquent de mettre en péril l’action des organisations privées, et c’est pourquoi, du reste, la Croix-Rouge inventait, il y a près d’un siècle et demi, le principe de la « neutralité ». Les séparer totalement et, pour marquer symboliquement cette séparation, supprimer le ministère de l’? Ce serait à nouveau renvoyer la politique au cynisme, et la morale au seul domaine privé. Erreur funeste en des temps où, plus que jamais, les citoyens expriment la volonté de voir leurs aspirations éthiques prises en compte, c’est-à-dire représentées par l’Etat. Il faudra donc, dans l’avenir, articuler les deux sphères : car s’il est vrai que l’humanitaire n’est pas une politique, il est tout aussi exact qu’une politique démocratique ne saurait faire l’économie de l’humanitaire.

La revanche de Kouchner

François Dufay et Olivier Weber

Le Point

24/09/1999

Pleine à ras bord de boîtes de conserve, de biscuits et de pots de confiture, la caisse en carton gît sur la moquette du somptueux duplex proche du Luxembourg, entre bouddhas anciens et tableaux flamands. Il faut croire que le métier d’administrateur de l’Onu au Kosovo ne nourrit pas son homme ! Ces victuailles, Bernard Kouchner vient en effet de les acheter en hâte à l’épicerie du coin, en prévision des faméliques soirées d’automne à Pristina, où il repart demain à l’aube…

Pour l’heure, entre un saut à l’Onu à New York et des entretiens à Moscou, le « guerrier de la paix », pieds nus dans ses mocassins, goûte quelques moments de repos, dans cet appartement ouvrant sur les feuillages du jardin du Luxembourg qu’il partage avec Christine Ockrent et leur fils Alexandre (les tableaux flamands, c’est elle, les bouddhas, rapportés de missions humanitaires en Asie, c’est lui). Seule une feuille volante sur son bureau – un poème signé Ibrahim Rugova – rappelle ici le Kosovo. Mais l’esprit de Bernard Kouchner ne peut guère se détacher de ce coin d’Europe poussiéreux où la paix vacille en permanence. Entre bourreaux serbes et Albanais vindicatifs, entre le soutien américain à l’UCK et une Russie serbophile, l’administrateur de la Mission civile de l’Onu (Minuk) joue une partie à haut risque. Avec un parler-vrai qu’il sait plus payant que toutes les langues de bois, il ne cache pas son pessimisme actif. Lui qui, en trente ans de baroud, en a vu bien d’autres semble parfois aux limites du découragement devant l’énormité des haines accumulées dans cette petite province, où des gamins de 12 ans préparent des attentats à la bombe contre des grand-mères et où, dans les hôpitaux, le personnel soignant albanais laisse mourir les malades serbes. Un scandale absolu pour le « French doctor », que sa déontologie aurait obligé à soigner Hitler lui-même. « Sans lui faire de cadeau, glisse-t-il, mais en le maintenant en vie. »

Pourtant, quelle que soit la difficulté de sa tâche, Bernard Kouchner vit aussi sa nomination au Kosovo comme une consécration. A 59 ans, elle boucle la boucle d’une vie mouvementée, réconcilie ses deux tentations – humanitaire et politique -, transforme une carrière inaboutie en destin. Spectaculaire revanche ! L’ex-secrétaire d’Etat à la Santé peut désormais toiser de haut ceux qui ne l’ont pas pris au sérieux. Et sa satisfaction révèle à quel point lui, qu’on imagine blindé, a été meurtri par les critiques. Un pli amer sur son visage de condottiere, il n’a pas de soupirs assez excédés pour les « journaleux » qui tantôt le portaient au pinacle, tantôt le descendaient en flammes. Même mépris – plus déconcertant – pour ces organisations humanitaires dont il est l’un des pères, mais qui s’accrochent, selon lui, à une définition périmée de leur mission. Sans parler des politiques, qui ne l’ont jamais reconnu comme un des leurs, lui faisant payer de mille avanies sa popularité…

A l’entendre disserter sur l’histoire mondiale de l’humanitaire – d’abord il y eut la Croix-Rouge, ensuite la Convention de Genève, enfin Kouchner vint ! -, on pourrait même croire que cet homme, que ses proches décrivent comme drôle, délicieux, généreux, a « pété les plombs ». Humeurs de diva ? Non : conscience de son rôle historique, répondent ses partisans. Après tout, au Kosovo, au Timor, c’est au nom d’un concept dont il fut l’infatigable démarcheur que l’Occident intervient enfin : l’ingérence. Plus de liberté pour les dictateurs de tirer sur leur peuple, à l’abri des sacro-saintes souverainetés nationales ! Ce lundi, Kofi Annan, le secrétaire général de l’Onu, n’a pas dit autre chose à la tribune des Nations unies, en réclamant un nouveau « droit d’intervention humanitaire » dépassant les souverainetés. Bien sûr, l’avènement d’une morale universelle doit sans doute plus au mouvement propre de l’Histoire, au rétrécissement de la planète et aux images de CNN qu’à l’action de tel ou tel.

Mais qui sait si le nom de Kouchner-le-trublion, emblématique de l’aventure des French doctors, et attaché à plusieurs résolutions de l’Onu, ne figurera pas dans les manuels d’histoire, quand le gouvernement Jospin au grand complet aura sombré dans l’oubli ? « Si Bernard n’était pas tel qu’il est, toujours bien placé sur la photo, poseur si l’on veut, mais infatigable, donnant envie de penser, d’agir, de se révolter, il n’aurait sans doute pas fait avancer les choses comme il l’a fait », plaident ses partisans.

Enfant, il rêvait d’être chanteur. Il sera médecin, après quelques incursions dans le journalisme, au côté d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie. Sur les bancs de la faculté au début des années 60, le jeune Bernard rêvasse. Enfant du siècle – celui d’Auschwitz -, il préfère les assemblées générales de l’Union des étudiants communistes (UEC) à la dissection des corps. « Bosse un peu ! » lui lance Alain Deloche, devenu entre-temps éminent cardiologue, et qui ne pense alors qu’à son agrégation.

Mais l’étudiant Kouchner continue de hanter les réunions politiques en imperméable beige. Sa chambrette du boulevard Raspail abrite à l’occasion quelque fantassin du FLN. Fils d’un médecin juif de Montreuil-sous-Bois qui fut champion de lutte gréco-romaine, il hérite naturellement d’une charge belliqueuse, chef du service d’ordre de l’UEC. Ses nervis sont chargés de garder l’antre de Simone de Beauvoir. Lui préfère courir les clubs de jazz de Saint-Germain-des-Prés avec des airs de romantique torturé qui lui valent le surnom de « Rimbaud enfant ». Il signe non sans verve dans Clarté, le journal des étudiants communistes, davantage pour encenser les ambitieux de la génération montante que le credo marxiste. Membre du clan des « Italiens », les plus ouverts des Jeunes communistes, il organise même un meeting du poète russe Evtouchenko, apôtre de la déstalinisation, à la Mutualité.

Un air de Rastignac

« Il exaspérait déjà par son côté brillant, son art d’être toujours dans les bons coups », se souvient son ami de l’UEC Felix Reyes, professeur de médecine que bien plus tard Kouchner appellera auprès de lui au ministère de la Santé. En mai 68, il erre de barricade en barricade avec des airs de Rastignac et un sentiment de tristesse, comme si ses camarades de faculté s’étaient trompés de révolution. « La vraie vie, camarades, est ailleurs ! »

Pendant que la rue parisienne s’insurge, ce carabin blondinet de 29 ans s’ennuie. En août, il dîne chez l’ami Marek Halter, dans un studio-atelier de la rue des Minimes, lorsque retentit le téléphone. « Bernard, on demande des médecins pour le Biafra. Tu veux en être ? – Quand ? – Mais tout de suite ! » Le sang de Kouchner ne fait qu’un tour. Il bondit sur l’occasion, rentre chez lui à bord de la 2 CV de Marek Halter, fonce à l’aéroport après avoir empaqueté un chapeau de brousse et une saharienne, et atterrit de nuit, à bord d’un Hercules C 130 qui semble rendre l’âme et pue la morue séchée, sur une piste clandestine de la « République du Biafra ». A défaut d’avoir lancé des pavés, le matricule 2530 de la Croix-Rouge jettera des médicaments sur un monde en perdition, celui de l’ethnie des Ibos, laissés à l’agonie. Adieu, salons parisiens ! Dans les maquis du Biafra, où les compagnons de route, tel l’ophtalmologiste Max Récamier, saluent son courage, il étouffe. Ce serment de silence imposé par la Croix-Rouge est une injure aux mourants, massacrés par l’armée du Nigeria. En chemise de Nylon bleu et short en Tergal comme un boy-scout, Kouchner soigne jusqu’à la nausée des corps ensanglantés, se tait puis relève la tête pour blâmer l’omerta. Avec Max Récamier, chrétien tiers-mondiste, et quelques amis de brousse, il dénonce à Paris dans une tonitruante conférence de presse les exactions au Biafra. Ce parjure, avoue-t-il, fut son premier délit. Soigner, certes, remâche-t-il, mais témoigner d’abord…

C’est ainsi que naît, dans la brousse biafraise puis les bars enfumés de Paris, l’idée d’une charité internationale. Avec l’aide de deux journalistes, du complice Jacques Bérès, médecin lui aussi, et de quelques autres rêveurs, il fonde Médecins sans frontières en décembre 1971, par un après-midi de crachin, et entame la saga des French doctors. « La souffrance des hommes appartient à tous les hommes ! » clame Kouchner avec des accents hugoliens. Son charisme, sa force de persuasion séduisent. Il en impose, avec ses effets de manche, sa rhétorique de la générosité. Quitte à tancer les réfractaires. Peu à peu s’esquisse un style Kouchner : en humanitaire comme en politique, le pouvoir se conquiert.

Au cours des réunions enfiévrées dans le petit local de MSF, un deux-pièces de la rue Crozatier qui ressemble à une ruche, la garde rapprochée de Kouchner invente les « brigades internationales du malheur ». La tâche est immense : il s’agit de sauver les hommes, tous les hommes… Soigner là où les autres ne vont pas. L’atlas des tragédies est si vaste. Qu’importe ! Ces croisés de la compassion s’envolent vers des contrées d’inhumanité avec quelques médicaments glanés dans les pharmacies et d’immenses espoirs au fond des yeux. On croise Kouchner dans des maquis lointains, sur une montagne de la cordillère des Andes ravagée par un séisme, dans Saigon assiégée par le Vietcong, les pieds dans le sang, avec la terrible équation du tri, effectué à la va-vite, parfois les larmes aux yeux – là, ceux que l’on peut sauver ; ici, ceux qui vont mourir et qui n’ont plus la force de vous saluer… A Beyrouth, un milicien braque son arme sur le ventre de Kouchner. Lequel le convainc de le laisser soigner encore un peu. Dont acte : le toubib venu de France file vers le front, trousse de secours en main. Non sans s’être parfumé. Il en hérite un surnom : « Monsieur Vétiver ».

Les bonnes volontés ne manquent pas, et les amis affluent, anonymes, âmes bien nées, étoiles montantes qui se frottent à la compassion : André Glucksmann, Yves Montand, Simone Signoret aiment la compagnie de cet agitateur d’idées. Stéthoscope en main, l’altruisme au bout des lèvres, la fureur de témoigner à fleur de peau, sa silhouette hante les drames de la planète. Et celle des plateaux de télévision. La jeune garde de MSF voit d’un mauvais oeil l’ascension d’un Kouchner jugé par trop médiatique. « Que voulez-vous, c’est la loi du tapage ! » se défend-il, arguant que certaines images de sa personne suffisent à engranger des trésors de donations.

Lorsqu’il affrète en 1979 un navire-hôpital pour sauver les boat people vietnamiens, ces damnés de la mer qui fuient leur pays à bord de misérables embarcations, la fronde s’étend, mené par un brillant et éloquent généraliste de 29 ans, Claude Malhuret. « Votre bateau, c’est un dîner en ville, pas un sauvetage ! » lance Malhuret en réunion. Les quolibets fusent contre Kouchner, qui, en quête de 600 000 francs pour son ambulance des mers, l’« Ile-de Lumière », veut s’appuyer sur quelques stars, dont Brigitte Bardot. « Un bateau pour Saint-Germain-des-Prés », persifle-t-on. Kouchner a lancé la machine humanitaire grâce aux armes de la politique : Brutus, Malhuret, ex-militant du PSU, réplique de la même manière. On rameute les adhérents de province, on place en minorité le César de MSF. La querelle entre les deux hommes s’envenime, qui sous-tend deux conceptions de l’aide humanitaire : l’une, médiatique, en opération coup de poing, prônée par Kouchner ; et la démarche de Malhuret, qui plaide pour la montée en puissance, les missions à long terme. Exit Kouchner, la mort dans l’âme.

Mais le boy-scout de la médecine ne se rend pas. Son bateau parviendra à larguer les amarres, avec la bénédiction de Jean-Paul Sartre et Raymond Aron, réconciliés pour la circonstance. Blessé dans son orgueil, Kouchner, 40 ans, vogue vers d’autres horizons tragiques et fonde Médecins du monde (MDM). Il erre dans les ruines de Beyrouth, les maquis afghans, les tranchées d’Erythrée. Sans oublier les dîners en ville à Paris. « Déjà, il songeait à une trajectoire politique », se souvient Jacky Mamou, président de MDM.

Ministre en blouse blanche

L’humanitaire, il est vrai, est devenu un formidable enjeu. Mélange de grenadiers-voltigeurs de l’agit-prop et de professionnels du terrain, les praticiens des calamités s’érigent désormais en acteurs à part entière dans les rapports entre Etats : ils témoignent à l’Onu, ils dénoncent, ils sensibilisent l’opinion publique, saisie par ce que le sociologue Luc Boltanski a nommé « la souffrance à distance ». Entre deux missions, Kouchner exerce à l’hôpital Cochin et signe des scénarios pour la télévision – « Médecins de nuit » et « Hôtel de police », notamment. Il encaisse les avances d’un éditeur qui attend encore aujourd’hui le manuscrit et emménage dans un somptueux appartement face au jardin du Luxembourg, laboratoire du charity business où se rencontrent humanitaires, vedettes du show-biz et hommes politiques. Ami de Mitterrand, le French doctor l’entraîne rue du Jura, dans les locaux de la mission France de MDM, créée par Alain Deloche, et où se pressent les clochards de Paris.

Charité bien ordonnée… A force de plaider pour le rapprochement de l’humanitaire et du politique, le trublion passe de l’autre côté de la rambarde. Et devient en juin 1988 secrétaire d’Etat à l’Action humanitaire. Un maroquin au service du secourisme planétaire : à 49 ans, il obtient enfin un fauteuil à la hauteur de ses ambitions, lorgnant – déjà – un poste à l’Onu, sous le regard inquiet du ministre des Affaires étrangères, Roland Dumas, qui ne l’aime pas.

Se faire l’avocat d’une action humanitaire d’Etat n’est guère une tâche aisée. D’un côté, on lui reproche ses enthousiasmes, jugés colbertistes. De l’autre, on lui rappelle la raison d’Etat, peu soucieuse d’altruisme. Mal à l’aise en conseil des ministres, il préfère arpenter la planète en agent des volontés philanthropiques. Peu à peu s’ébauche une morale de l’extrême urgence, ce droit d’ingérence rêvé, concept forgé par Jean-François Revel que développent les fidèles de Kouchner, et au premier chef le juriste Mario Bettati. Dandy de la cause humanitaire, il file sur la ligne de front de Beyrouth et décline l’offre d’exfiltration des services secrets lorsque tonnent les canons.

Au lendemain de la guerre du Golfe, il force la main des soldats turcs et s’aventure clandestinement au Kurdistan d’Irak. Il franchit les frontières quand le code de bonne conduite des serviteurs de l’Etat enseigne la prudence, voire le silence, fût-ce devant la barbarie. Au Sud-Soudan, ce diplomate sans frontières – « Arrêtons le bras des dictateurs et des bourreaux avant qu’il frappe », lance-t-il à tout va – revêt à nouveau la bure des envoyés clandestins. Au Caucase, il essuie des tirs de fusil-mitrailleur à bord d’un vieil hélicoptère, évite une route minée, amène des chefs de guerre azerbaïdjanais et arméniens à enterrer la hache de guerre – pour un temps, certes – et suscite l’admiration des grands commis qui l’accompagnent.

On le voit arpenter les maquis afghans pour boire le thé en tunique grise avec des résistants, forcer à la tête d’un navire empli de vivres le port assiégé de Monrovia comme un Lord Jim téméraire et angoissé, courir les montagnes kurdes tel un plénipotentiaire clandestin, en évitant la chasse irakienne, puis des tueurs à gages quelques années plus tard, en compagnie de Danielle Mitterrand. Il fascine, s’attachant des dévouements presque amoureux. Il agace encore plus. « Un tiers-mondiste, deux tiers mondain », raille-t-on dans les couloirs des ministères. « Le petit fier des pauvres », écrit Le Canard enchaîné. « Un missile non guidé… », lâche le secrétaire général d’alors de l’Onu, Boutros Boutros-Ghali. « Docteur ès médias », se gausse-t-on dans les couloirs de Radio France.

A Belgrade, il somme un ambassadeur de France de lui servir du café. Lequel s’exécute devant tant d’aplomb… Et le Tintin exalté de la médecine de continuer à marier hâtivement morale et politique, à Sarajevo sous les bombes où il emmène Mitterrand, dans un maquis perdu d’Erythrée ou lors d’un concert à Soweto.

Quand le ministre en blouse blanche lance l’opération « Du riz pour la Somalie » afin de secourir les affamés de la Corne de l’Afrique en 1992, des photographes le mitraillent, les pieds dans l’eau, voûté sous un sac de riz comme un portefaix de la charité. « Kouchner en fait-il trop ? » s’interroge en couverture Le Point, un an après l’avoir élu homme de l’année, en décembre 1991. Le ministre en prend ombrage. « Au moins a-t-on fait avancer les choses », se défend-il aujourd’hui. « Cette aide, 9 200 tonnes de riz, fut la première après des mois de famine », ajoute Jean-Maurice Ripert, aujourd’hui conseiller de Lionel Jospin à Matignon. A trop soigner son image, le docteur Kouchner, abbé Pierre en version laïque et étatique, a fini par l’altérer. Ministre des causes honorables, il incarne la bonne conscience dans l’imaginaire des Français. Sans s’arrêter aux effets pervers de l’humanitaire. Et sans jamais douter d’une morale qui, avant d’être universelle, est d’abord occidentale, voire franchement « catho de gauche ». Car cet agnostique se sent proche des chrétiens engagés, comme en témoignent ses liens avec soeur Emmanuelle (« ma copine », dit-il) et l’abbé Pierre (« malgré ses dérapages »). Mais, « s’il est facile de prêcher la morale, il est difficile de la fonder », disait Schopenhauer. Demeurent l’oeuvre d’altruisme, l’audace, la méthode. Et les vies sauvées.

Et sur le plan politique ? « Il reste l’alliance entre l’humanitaire et le politique », commente Jacques Bérès. « L’acquis du droit d’ingérence, sans doute plus politique que juridique », ajoute Jean-Maurice Ripert. « L’art d’ouvrir sa gueule, même devant des chefs d’Etat, et encore plus face aux bourreaux », dit un haut fonctionnaire, qui avoue appartenir au « fan-club » de Kouchner, un réseau d’amis et de grands commis qui donne de la voix en temps de crise.

Porte de sortie

Car la carrière politique du French doctor ne va pas sans heurts ni déceptions. Les mouvements qu’il a lancés sous le nom de « Société civile » puis de « Réunir » ont été des bides. Plus tard, il tentera une OPA sur le Parti radical : les apparatchiks du Sud-Ouest lui infligeront une sévère désillusion. Surtout, le French doctor ne parviendra jamais à convertir son extraordinaire cote d’amour dans les sondages en succès au suffrage universel. Par deux fois, il se parachute dans des circonscriptions impossibles : à Saint-Amand-les-Eaux (Nord) en 1988 et à Gardanne (Bouches-du-Rhône) en 1996. Dans les deux cas, l’homme de la rive gauche se retrouve face à des électeurs communistes purs et durs. Une vraie erreur de casting. « Il n’a pas vu le piège, parce qu’il n’imagine pas que les gens puissent ne pas l’aimer », analyse un de ses proches. La seule fois où il est élu, c’est sur la liste conduite par Rocard aux européennes de 1994. Encore commet-il une terrible gaffe en lâchant à des journalistes qu’il a voté pour la liste rivale menée par Bernard Tapie, parce qu’un de ses vieux copains y figure en 6e position !

Mais le piètre candidat peut aussi faire un bon ministre. Son passage au ministère de la Santé en 1992-1993, dans le gouvernement Bérégovoy, est à marquer d’une pierre blanche. Grâce à cet antitechno, plus sensible à la souffrance des familles qu’aux courbes de rentabilité, la France s’est dotée enfin d’agences de sécurité pour le médicament, les aliments, le sang, d’un réseau national de santé publique et d’une loi sur la sécurité sanitaire. « En onze mois, il en a plus fait dans le domaine de la santé publique que ses prédécesseurs en dix ans », assure Aquilino Morelle, jeune haut fonctionnaire repéré par Kouchner, et aujourd’hui proche conseiller de Jospin.

En 1997, après un terrible accident de jeep au Rwanda où il a failli laisser la vie, le retour de la gauche ramène Kouchner dans ses anciennes fonctions, mais en le rétrogradant au rang de secrétaire d’Etat ! Il s’en est même fallu d’un cheveu qu’il ne soit retoqué comme vétéran des années strass et paillettes : Jospin l’estime en tant qu’homme, moins comme politique. Sans mandat, étranger au PS, royalement inapte aux manoeuvres d’appareil, Kouchner va souffrir mille morts sous la tutelle de son « amie » Martine Aubry. Il réussit pourtant à exister, au moins dans l’opinion, en agitant une grande idée : la lutte contre la douleur.

Sa nomination cet été comme « proconsul du Kosovo », coiffant au poteau Emma Bonino et le président finlandais Martti Artisaari, lui offre une prestigieuse, mais périlleuse porte de sortie. Même si, de toute évidence, ce résident du 6e arrondissement (et, l’été, du luxueux « medialand » de Sperone en Corse) n’a guère d’atomes crochus avec ce pays de parpaings et de sang qu’est le Kosovo. « Un pays pas très intelligent, où le raisonnement et la vie intellectuelle comptent moins que la tradition et le clanisme », dit-il. Avec ses airs de prof de province, Ibrahim Rugova, c’est sûr, n’a pas l’aura de ses amis Jorge Semprun ou André Glucksmann… Et certains doutent que Kouchner ait l’abnégation et l’humilité nécessaires pour le patient travail qu’il faudra accomplir des années durant, quand la bise sera venue et que les caméras se seront éloignées.

La démilitarisation, cette semaine, de l’UCK est une première réponse aux sceptiques. En deux mois, la force de conviction de Kouchner a déjà emporté quelques obstacles. Personne ne doute que, le jour où il quittera le Kosovo, il laissera derrière lui des infrastructures en état de marche. Mais aura-t-il pu éviter la partition ethnique et la mainmise des mafias ? Le rêve universel de démocratie connaîtra peut-être là un de ses achoppements. Qu’importe ! La victoire de la « pensée ingérente » sur les souverainetés nationales n’est, selon Kouchner, que les prémices d’un gouvernement mondial, dont il prophétise l’avènement.

D’ici là, notre proconsul au Kosovo prépare un happening bien dans sa manière. Si la situation n’est pas trop explosive, il invitera le 1er janvier 2000 sur le pont de Mitrovica, symbole du déchirement entre Serbes et Albanais, un aréopage de combattants des droits de l’homme. Histoire de clore le siècle des génocides par une farandole de prix Nobel de la paix et de grandes consciences. Il y aura là Elie Wiesel, Jorge Semprun, George Soros, Adolfo Pérez Esquivel, soeur Emmanuelle, l’abbé Pierre et même Jean-François Deniau et Jean d’Ormesson. Sans oublier son ami Dany Cohn-Bendit, « qui a toujours soutenu le droit d’ingérence ».

« A very private club », commente Kouchner non sans une ironie amère… Chapelet libanais en main, rhétorique du malheur en bandoulière, le champion du droit d’ingérence entend rester d’abord témoin parmi les hommes, à qui il veut rendre leur dignité. Mû, aujourd’hui comme hier, par un amour de son prochain, qui pour lui sera toujours un public.

François Dufay et Olivier Weber

Voir encore:

Lettre ouverte sur le Biafra de vingt-deux intellectuels de gauche.

Le congrès du Parti travailleur vient de s’opposer à ce que le gouvernement britannique continue de fournir des armes au gouvernement fédéral du Nigeria. Et des voix s’élèvent enfin pour conseiller aux Syndicats britanniques de ne plus charger d’armes à destination de Lagos, c’est-à-dire, pour qu’une action politique soit entreprise. Ces voix sont faibles. En Angleterre comme en France, l’on semble considérer que le génocide au Biafra est une sorte d’éruption volcanique et qu’on peut donc se contenter de pousser çà et là quelques soupirs humanitaires et en appeler au bon cœur des militants.  » As-tu déjà donné pour le Biafra ? « . Alors, les Biafrais peuvent continuer à mourir.

Il faut le dire brutalement : les gouvernement anglais, soviétique et égyptien, aidés par d’autres et soutenus par l’O.N.U et l’O.U.A, misent sur la défaite et le désarmement des Ibos, alors qu’ils ne peuvent garantir la sécurité de cette population lorsqu’elle aura déposé les armes. Cela signifie que ces gouvernements et ces organisations internationales patronnent un génocide, au nom d’intérêts auxquels la gauche ne veut en aucun cas s’identifier. Les coalitions aberrantes qui s’affrontent par ethnies interposées révèlent, de façon éclatante, que l’opposition habituelle entre un  » camp impérialiste  » et un  » camp anti-impérialiste  » appliquée à des Etats constitués est devenue fallacieuse, puisque la Chine et l’U.R.S.S., le Portugal et la Grande-Bretagne, la France et la Belgique s’opposent chacun à chacun en une contradiction inconcevable, à la faveur de laquelle les haines culturelles et religieuses retrouvent un espace historique pour se déployer avec l’élan le plus meurtrier qui soit. D’ailleurs, quand bien même les Biafrais ne seraient qu’un  » instrument  » aux mains de quelque impérialisme (mais il faudrait alors admettre que les fédéraux soient un  » instrument  » aux mains de deux empires coalisés), leur extermination au nom de l’anti-impérialisme changerait cette notion en son contraire. Ainsi, à supposer qu’il eut été prouvé que le peuple allemand tout entier fut complice des horreurs de la dernière guerre, la gauche n’aurait évidemment pas pu accepter qu’on le fasse disparaître pour  » effacer  » ses crimes. L’idée de la punition collective, et surtout de la punition généralisée à un groupe humain, ce groupe humain se définissant dans unes aire culturelle si imprécise qu’elle soit, est étrangère à la gauche. La gauche ne peut, par son silence, tolérer qu’on utilise en politique des méthodes fondées sur les mécanismes meurtriers des irrationalités archaïques. Tolérer un génocide, c’est tolérer qu’un peuple soit placé en dehors de l’humanité.

La gauche doit donc entreprendre, avec tous les moyens dont elle dispose, une campagne politique pour que cesse le conflit au Biafra et qu’on y fasse prévaloir une solution telle que, quels que soient les liens constitutionnels et économiques qui pourraient rattacher ce territoire au reste du Nigeria, les Biafrais puissent conserver leurs instruments de défense, c’est-à-dire une armée autonome.

Les Etats africains feignent de pas pouvoir décider si les Ibos constituent une tribu ou un peuple et affirment que la constitution du Biafra en communauté politique dotée de ses propres moyens de défense serait un  » précédent  » fâcheux pour le reste de l’Afrique : ce sont là des considérations dans lesquelles la gauche ne peut pas entrer. Ce qui se passe au Nigeria depuis quelques années prouve qu’il n’y a pas de sécurité pour les Ibos en dehors de la solution proposée plus haut. On peut rappeler à ce propos que Lénine et Staline, en 1917, firent approuver l’indépendance de la Finlande (jusque-là incluse dans l’empire des Tzars) malgré le caractère bourgeois de son régime – et que Lénine s’opposa à Rosa Luxembourg lorsqu’elle contesta les droits de la Pologne à l’autonomie.

Le combat du Biafra est aujourd’hui celui de la gauche tout entière. Si elle fait semblant de l’ignorer, si elle ferme les yeux sur ce génocide – comme d’ailleurs sur les nombreux ethnocides dont les continents africains et sud-américains sont le théâtre – elle pervertira irrémédiablement ses autres actions, c’est-à-dire qu’elle cessera d’exister en tant que gauche.

Premiers signataires : Simone de Beauvoir, Antoine Culioli, Alex Derczansky, Jean-Marie Domenach, Nicole Eizner, Robert Jaulin, Alfred Kastler, Claude Lanzmann, Michel Leiris, Jacques Madaule, Richard Marienstras, Jean-Jacques Mayoux, Jean Pavilla, Leon Poliakov, Olivier Revault d’Allonnes, Maxime Rodinson, Jean-Paul Sartre, Laurent Schwartz, Piotr Slonimski, Rita Thalmann, Jean-Pierre Vernant, Pierre Vidal-Naquet.

Janvier 1969


Présidence Obama: Quand la légende devient réalité, c’est la légende qu’il faut publier (When the legend becomes fact, print the legend)

28 décembre, 2011
C’est ça, l’Ouest, monsieur le sénateur:  quand la légende devient réalité, c’est la légende qu’il faut publier. Maxwell Scott  (journaliste dans ‘L’Homme qui tua Liberty Valance’, John Ford, 1962)
Le sénateur Ransom Stoddard (James Stewart) et sa femme Hallie (Vera Miles) se rendent en train dans la petite ville de Shinbone, pour assister à l’enterrement d’un dénommé Tom Doniphon (John Wayne). (…) La presse locale est intriguée car à ses yeux, Doniphon est un sombre inconnu et la venue de Stoddard paraît de fait totalement énigmatique. Un journaliste insiste auprès du sénateur pour obtenir une explication, et celui-ci lui raconte alors les circonstances de sa rencontre avec Doniphon et un bandit nommé Liberty Valance (Lee Marvin), bien des années plus tôt. (…) Le film aborde aussi le développement de la communication politique, notamment dans la séquence des élections, avec un regard caustique (comme lorsqu’un politicien, qui prétend ne pas vouloir lire son discours, jette à terre une feuille en réalité totalement vierge) et ironique, d’une part parce que la carrière de Ransom Stoddard est en partie basée sur une contre-vérité, ensuite parce que c’est un acte violent, totalement contraire à ses principes et au changement qu’il incarne, qui fait sa réputation.(…) L’autre aspect de L’Homme qui tua Liberty Valance qui en fait une œuvre charnière et moderne pour l’époque, c’est sa relation avec la légende et la réalité. Si le récit de Stoddard rétablit une certaine vérité historique, le journaliste auquel il le relate refuse de le publier, arguant que dans l’ouest, « quand la légende devient des faits, on imprime la légende. Ctizen Poulpe
Ma propre ville de Chicago a compté parmi les villes à la politique locale la plus corrompue de l’histoire américaine, du népotisme institutionnalisé aux élections douteuses. Barack Obama (2006)
Dans ce contexte local plus que trouble, Peraica affirme que la montée au firmament d’Obama n’a pu se faire « par miracle ». (…) « La presse a protégé Barack Obama comme un petit bébé. Elle n’a pas sorti les histoires liées à ses liens avec Rezko », s’indigne Peraica. Le Figaro
Anyone who is a minority and who’s come up partially through the meritocracy — getting into good colleges, and subsequently good law schools — is going to come under suspicion that there was some kind of affirmative action boost. I suspect this is an area of discomfort for Obama. Geoffrey Kabaservice
Tout ce qu’on sait, c’est qu’on en sait  très peu sur Barack Obama et que ce qu’on sait est très différent de ce qui est allégué. Tous les présidents ont leurs mythographies, mais ils ont également un bilan et des experts  qui peuvent  distinguer les faits  de la fiction. Dans le cas d’Obama, on ne nous a nous jamais donné tous les faits et il y avait peu de gens dans la presse intéressés à les trouver. Comme le dit Maxwell Scott dans L’homme qui a tué Liberty Valance, ‘quand la légende devient fait, c’est la légende qu’il faut imprimer’.  Victor Davis Hanson

Imprimez la légende !

“Brilliant”, « guérisseur”,“réformateur”, magnanime” …

 En cette fin d’année 2011 et à moins d’une année de la présidentielle américaine de 2012 …

Où, quatre ans après ses promesses de campagne, le brillant auteur de trois livres sur sa propre personne

Et véritable icône accessoirement de l’ « affirmative action « 

N’a toujours mis un terme ni à la prison de Guantanamo ni à la plupart des mesures de la guerre contre le terrorisme de son prédécesseur …

Retour avec Victor Davis Hanson…

Sur le mythe Obama…

Ou du moins ce qu’il en reste …

A l’instar de la phrase célèbre du film de John Ford sur la modernisation de l’Ouest américain où sur un pieux mensonge  « le cow-boy cède sa place au politicien »  …

‘When the Legend Becomes Fact, Print the Legend’

Victor Davis Hanson

Pajama Media

December 22, 2011

Obama Mythologos

Barack Obama is a myth, our modern version of Pecos Bill or Paul Bunyan. What we were told is true, never had much basis in fact — a fact now increasingly clear as hype gives way to reality.

“Brilliant”

Presidential historian Michael Beschloss, on no evidence, once proclaimed Obama “probably the smartest guy ever to become president.” When he thus summed up liberal consensus, was he perhaps referring to academic achievement? Soaring SAT scores? Seminal publications? IQ scores known only to a small Ivy League cloister? Political wizardry?

Who was this Churchillian president so much smarter than the Renaissance man Thomas Jefferson, more astute than a John Adams or James Madison, with more insight than a Lincoln, brighter still than the polymath Teddy Roosevelt, more studious than the bookish Woodrow Wilson, better read than the autodidact Harry Truman?

Consider. Did Obama achieve a B+ average at Columbia? Who knows? (Who will ever know?) But even today’s inflated version of yesteryear’s gentleman Cs would not normally warrant admission to Harvard Law. And once there, did the Law Review editor publish at least one seminal article? Why not?

I ask not because I particularly care about the GPAs or certificates of the president, but only because I am searching for a shred of evidence to substantiate this image of singular intellectual power and known erudition. For now, I don’t see any difference between Bush’s Yale/Harvard MBA record and Obama’s Columbia/Harvard Law record — except Bush, in self-deprecation, laughed at his quite public C+/B- accomplishments that he implied were in line with his occasional gaffes, while Obama has quarantined his transcripts and relied on the media to assert that his own versions of “nucular” moments were not moments of embarrassment at all.

At Chicago, did lecturer Obama write a path-breaking legal article or a book on jurisprudence that warranted the rare tenure offer to a part-time lecturer? (Has that offer ever been extended to others of like stature?) In the Illinois legislature or US Senate, was Obama known as a deeply learned man of the Patrick Moynihan variety? Whether as an undergraduate, law student, lawyer, professor, legislator or senator, Obama was given numerous opportunities to reveal his intellectual weight. Did he ever really? On what basis did Harvard Law Dean Elena Kagan regret that Obama could not be lured to a top billet at Harvard?

That his brilliance is a myth was not just revealed by the weekly lapses (whether phonetic [corpse-man], or cultural [Austria/Germany, the United Kingdom/England, Memorial Day/Veterans Day] or inane [57 states]), but in matters of common sense and basic history. The error-ridden Cairo speech was foolish; the serial appeasement of Iran revealed an ignorance of human nature; a two-minute glance at an etiquette book would have nixed the bowing or the cheap gifts to the UK.

In short, the myth of Obama’s brilliance was based on his teleprompted eloquence, the sort of fable that says we should listen to a clueless Sean Penn or Matt Damon on politics because they can sometimes act well. Read Plato’s Ion on the difference between gifted rhapsody and wisdom — and Socrates’ warning about easily conflating the two. It need not have been so. At any point in a long career, Obama the rhapsode could have shunned the easy way, stuck his head in a book, and earned rather than charmed those (for whom he had contempt) for his rewards. Clinton was a browser with a near photographic memory who had pretensions of deeply-read wonkery; but he nonetheless browsed. Obama seems never to have done that. He liked the vague idea of Obamacare, outsourced the details to the Democratic Congress, applied his Chicago protocols to getting it passed, and worried little what was actually in the bill. We were to think that the obsessions with the NBA, the NCAA final four, the golfing tics, etc., were all respites from exhausting labors of the mind rather than in fact the presidency respites from all the former.

“Healer”

Take away all the “no more red state/no more blue state,” “this is our moment” mish-mash and what is left to us? “Reaching across the aisle” sounded bipartisan, but it came from the most consistently partisan member of the US Senate. Most of the 2008 campaign was a frantic effort on the part of the media to explain away Bill Ayers, ACORN, the SEIU, Rev. Wright, Father Pfleger, the clingers speech, “get in their face,” and the revealing put downs of Hillary Clinton. But those were windows into a soul that soon opened even wider — with everything from limb-lopping doctors and polluting Republicans to stupidly acting police and “punish our enemies” nativists. The Special Olympics “joke,” the pig reference to Sarah Palin, the middle-finger nose-rub to Hillary — all that was a scratch of the thin shiny veneer into the hard plywood beneath.

The binding up our wounds myth had no basis in reality, but was constructed on the notion (to channel the racially condescending Harry Reid and Joe Biden) that a charismatic and young postracial rhetorician seemed so non-threatening. The logic was that Obama took a train from Springfield to DC; so did Lincoln; presto, both were like healers. The truth? The Obamites — Jarrett, Axelrod, Emanuel, etc. — were hard-core partisan dividers, who had a history of demonizing enemies, suing to eliminate opponents, and leaking divorce records, in addition to the usual Chicago campaign protocols.

If one were to collate the Obama record on race (from Eric Holder’s “my people” and “cowards” to Sotomayor’s “wise Latina” and Van Jones’s racist rants), it is the most polarizing in a generation. The Obama way is and always was to create horrific straw men: opponents of healthcare reform are greedy doctors who want to rip out your tonsils; opponents of tax increases jet off to Vegas to blow their children’s tuition money; skeptics of Solyndra-like disasters want to dirty the air; those against open borders wish to put alligators and moats in the Rio Grande as they round up children at ice cream parlors. There were ways of opposing Republicans without the demonization, but the demonization was useful when followed by the soaring, one-eyed Jack rhetoric about reaching out, working together, and avoiding the old politics of acrimony.

“Reformer”

The notion that there was anything in Obama’s past or present temperament to suggest a political reformer was mythological to the core. Almost all his prior elections relied on a paradigm of attacking his opponents rather than defending his own record, from the races for the legislature to the US Senate. He shook down Wall Street as no one had before or since — and well after the September 2008 meltdown. He was the logical expression of the Chicago/Illinois system of Tony Rezko, Blago, and the Daleys, not its aberration — from the mundane of expanding his yard to melting down opponents by leaking sealed divorce records.

The more Obama badmouthed BP and Goldman Sachs, the more we knew he received record amounts of cash from both (were the bad “millionaires and billionaires” snickering that this was just part of the game?). He renounced liberal public financing of campaigns of over three decades duration, as only a liberal reformer might, and got away with it. Obama raised far more money than any candidate in history, and will go back to the same trough this time around. On a Monday the president will vilify Wall Street, on Tuesday host a $40,000-a-head dinner for those who apparently did not get his earlier message that at some point they had already made enough money and this was now surely not the time to profit — or did they get it all too well? Wait, you say, “They all do this!” Well, perhaps most at any rate; but most also spare us the messianic rhetoric and so do not win the additional charge of hypocrisy. Reforming the system is hard; reforming the reformers of the system impossible.

So when Obama speaks loudly about Wall Street criminality, we now snooze — only to awaken knowing Corzine’s missing $1 billion, or George Soros’s felony conviction in France, or Jeffrey Immelt’s no-tax gymnastics were not just never raised, but are exempted through the purchase of liberal penance, in the manner that John Kerry never really docked his gargantuan yacht in a less taxed state, or Timothy Geithner never really pocketed his FICA allowances.

As far as the vaunted promises to end the revolving door, lobbyists, and earmarks and usher in a new transparency, well, blah, blah, blah. Obama did not merely violate his proposed reforms, but excelled in the old politics as few others had.

The career of a Peter Orszag or the crony machinations of the Solyndra executives attest well enough.

As far as medical transparency, I care only that my president seems healthy enough to get up in the morning for his grueling ordeal and can be spared the how part; but I do recognize that we have a history of disguising maladies (cf. Wilson’s incapacity, FDR’s last year, or JFK’s numerous prescription drugs), and that, in recent times at least, we have demanded a new transparency. Was that why the media harped on McCain’s melanoma, his age, and his injuries? So I thought we would get the now mandatory 24-hour-look at 500 pages of thirty years of Obama’s doctors visits, medications, vital signs, diseases, all the treatments that the watchdog media goes ape over — whether Tom Eagleton’s shock treatments or Mike Dukakis’s use of Advil or the Bush thyroid problem.

Instead, we got a tiny paragraph from Obama’s doctor assuring us that he’s healthy, and this from the most “transparent” president in history, in an age when the press is frenzied over a presidential Ambien prescription. To this day, I have no idea whether our president smokes, or ever did, or for how long and how much, or if he ever took a prescription drug, or if his blood pressure is perfect or under treatment. Again, I care only that he gets up in the morning — and that the de facto rules of disclosure that have applied to others apply to him.

We will never know much about Fast and Furious, and even less about Greengate. Obama — and this was clever rather than brilliant — gauged rightly that not only would liberals’ hysteria about ethics cease when he brought them to power, but in a strange way they would grin that one of their own had out-hustled the supposed right-wing hustlers. Or was it a sort of paleo-Marxist idea of using the corrupt system to end the supposedly corrupt system? Those who vacation at Vail, Martha’s Vineyard, or Costa del Sol are supposedly insidiously undermining the system that allows only the millionaire and billionaire few to do so?

“Magnanimous”

This was the strangest chapter of the myth, the idea that Obama the Olympian was above the fray. He lobbied the Germans for an address at the Brandenburg Gate, settled for the Prussian Victory Column, and, as thanks, then skipped out as president on the 20th anniversary of the fall of the Berlin Wall — but managed to jet to Copenhagen to lobby for the Chicago Olympics.

There was never a peep that Obama’s present anti-terrorism protocols — Guantanamo, renditions, tribunals, Predators, the Patriot Act, preventative detention — came from George Bush. Much less did we hear that had Bush for a nanosecond ever listened to the demagoguery of then state legislator and later senator Obama, none of these tools would presently exist. How did what was superfluous, unconstitutional, and possibly illegal in 2008 become vital in 2011?

Ditto the Iraq War. We went in a blink from the surge that failed and made things worse and all troops must be out by March 2008 to Iraq was a shining example of American idealism and commitment. It was as if the touch-and-go, life-and-death gamble between February 2007 and January 2009 in Iraq never had existed. Bombing Libya was not warlike, and those who sued Bush on Iraq and Guantanamo now filed briefs to prove that we were not at war killing Libyan thugs. We hear only of reset; never that Obama has now simply abandoned all his “Bush-did-it” policies and is quietly going back to the Bush consensus on Russia, Iran, Syria, and the Middle East in general. We will not only never see Guantanamo closed or KSM tried in a civilian court, but never hear why not. Are we to applaud the hypocrisy as at least better than continued ignorance?

On the domestic front, we are forever frozen on September 15, 2008. There is never an Obama sentence that the Freddie/Fannie machinations (both agencies were routinely plundered for bonuses by ex-Clinton flunkies) gave a green light to Wall Street greed — much less that both empowered public recklessness either to flip houses or to buy a house without credit worthiness or any history of thrift. Did we ever hear that between the meltdown and the inauguration, there were four months of frantic stabilization that, by the time of Obama’s ascendancy, had ensured that the panic had largely passed? Instead, blowing $5 trillion in three years is to be forever the response to the ongoing and now multiyear Bush crash, all to justify a “never waste a crisis” reordering of society.

I could go on, but we know only that we know very little about Barack Obama, and what we do know is quite different from what is alleged. All presidents have mythographies, but they also have a record and auditors that can collate facts with fiction. In Obama’s case, we were never given all the facts and there were few in the press interested in finding them.

To quote Maxwell Scott in The Man Who Shot Liberty Valance, “When the legend becomes fact, print the legend.”

 Voir aussi:

L’Homme qui tua Liberty Valance

Citizen Poulpe

13 septembre 2011

Film de John Ford

Titre original : The Man Who Shot Liberty Valance

Année de sortie : 1962

Pays : États-Unis

Scénario : James Warner Bellah et Willis Goldbeck, d’après la nouvelle de Dorothy M. Johnson

Photographie : William H. Clothier

Montage : Otho Lovering

Avec : James Stewart, John Wayne, Vera Miles, Lee Marvin, Edmond O’Brien, Woody Strode, Andy Devine, John Carradine, Lee Van Cleef

Liberty Valance : Lawyer, huh? Well I’ll teach you law. Western law.

Tom Doniphon : Liberty Valance is the toughest man south of the Picketwire. Next to me.

Mr Scott : This is the West, sir. When the legend becomes fact, print the legend.

L’Homme qui tua Liberty Valance est une œuvre charnière dans la carrière de John Ford et plus généralement dans l’histoire du western, tant par son approche historique que par son rapport avec la légende et la réalité.

Ce grand film propose une réflexion particulièrement intelligente et éclairée sur l’ouest américain, sa mythologie et son évolution au cours de l’histoire.

Synopsis de L’Homme qui tua Liberty Valance

Le sénateur Ransom Stoddard (James Stewart) et sa femme Hallie (Vera Miles) se rendent en train dans la petite ville de Shinbone, pour assister à l’enterrement d’un dénommé Tom Doniphon (John Wayne).

La presse locale est intriguée car à ses yeux, Doniphon est un sombre inconnu et la venue de Stoddard paraît de fait totalement énigmatique. Un journaliste insiste auprès du sénateur pour obtenir une explication, et celui-ci lui raconte alors les circonstances de sa rencontre avec Doniphon et un bandit nommé Liberty Valance (Lee Marvin), bien des années plus tôt.

Critique

Un spécialiste de John Ford – que je ne suis pas – expliquerait très bien comment ce monument du cinéma donna au western ses lettres de noblesse, filmant l’ouest américain comme personne avant lui, et captant à merveille sa dimension mythique, ses valeurs et sa place dans l’histoire et la culture des États-Unis. Son sens du cadre et du montage inspira une multitude de grands réalisateurs, de Orson Welles (qui a vu et revu La Chevauchée fantastique) à Sam Peckinpah (La Horde sauvage, Pat Garrett et Billy the Kid, Les Chiens de paille), qui admirait My Darling Clementine.

L’Homme qui tua Liberty Valance est un film clé dans sa carrière et dans l’histoire du western, pour plusieurs raisons.

L’évolution de l’ouest américain

Ransom Stoddard: I don’t want a gun. I don’t want to kill him. I want to put him in jail.

Tom Doniphon : I know those law books mean a lot to you, but not out here. Out here a man settles his own problems.

Ransom Stoddard : […] You’re saying just exactly what Liberty Valance said.

D’abord, le film se situe historiquement lors d’une transition fondamentale dans l’histoire des États-Unis, à savoir la modernisation de l’ouest. Au début, lorsque le sénateur Ransom Stoddard (James Stewart) arrive de Washington dans la petite ville de Shinbone, cette modernisation est déjà bien entamée : la ville n’a plus grand chose à voir avec celle qu’il a connue des années plus tôt. Comme le souligne Link Appleyard (Andy Devine), l’ancien shérif de la ville, seul le désert est resté le même (« Desert’s still the same »). Des écoles et des commerces ont été construits, et Shinbone est maintenant reliée par la voie de chemin de fer.

Ransom Stoddard (James Stewart) : « I don’t want a gun. I don’t want to kill him. I want to put him in jail. »

Le récit que Ransom fait au journaliste permet de remonter aux origines de ce changement. Ainsi, quand il arrive la première fois à Shinbone, en tant qu’avocat (et en diligence, alors qu’il arrive en train au début du film, la rupture historique est donc déjà flagrante), Ransom découvre l’ouest sauvage tel que son expérience de citadin ne lui permettait absolument pas de concevoir. D’emblée, il croise la route du hors-la-loi Liberty Valance (Lee Marvin) et de l’éleveur Tom Doniphon (John Wayne) ; puis découvre une ville où la majorité des gens ne savent pas lire, et où les conflits se règlent essentiellement à coups de revolver – une hérésie pour cet homme qui a emmené avec lui ses livres de loi. Ce qui est intéressant c’est que Ransom, Valance et Doniphon sont trois personnages clés qui, au-delà de leur personnalité en tant qu’individu, sont des symboles, des icônes à part entière, autour desquels s’articule tout le propos du film.

Valance et Doniphon sont deux archétypes de l’American old west : Valance représente le hors-la-loi violent et sans pitié, Doniphon l’honnête éleveur américain, courageux et rompu au maniement des armes. Tous deux sont des figures typiques du western traditionnel : le héros intègre et le bandit des grands chemins. Bien que très différents, ils appartiennent au même monde et connaissent le même code : celui de l’ouest sauvage. Une réplique de Ransom (qui s’adresse à Doniphon) souligne très bien cet aspect : « You’re saying just exactly what Liberty Valance said ».

Liberty Valance (Lee Marvin) : « All right, dude… this time, right between the eyes. »

Ransom, l’avocat, ne jure que par la loi et l’ordre. Homme de savoir, il apprend à lire aux habitants de la ville et éveille leur conscience politique. Il représente donc le changement, la modernité, et toute cette évolution technologique et culturelle que va connaître l’ouest américain à partir de la fin du 19ème siècle.

Le personnage interprété par John Wayne prend une dimension quasiment tragique puisqu’en dépit de ses profondes qualités humaines, il représente un monde sur le point de disparaître ; et c’est pourquoi il va, de par son comportement, se condamner à l’oubli et s’effacer derrière Ransom Stoddard (lequel incarne une nouvelle ère), non seulement en le propulsant dans sa carrière politique mais également en lui cédant Hallie (Vera Miles), la femme qu’il convoitait (« Hallie is your girl now. […] You taught her how to read and write », lui dit-il lors de leur dernière rencontre). Évidemment, personne d’autre que John Wayne ne pouvait donner corps à Doniphon de façon aussi convaincante : Wayne incarnait au cinéma le cow-boy américain par excellence. Son rôle dans L’Homme qui tua Liberty Valance fait directement écho à la carrière de l’acteur et au mythe qu’il représentait, ce qui renforce considérablement le propos et la force du film.

Une scène extrêmement symbolique exprime clairement la fin de l’ère du cow-boy et de l’ouest sauvage : c’est bien entendu celle où Doniphon brûle son ranch. Ce ne sont pas uniquement des planches qui se consument ici, mais bien toute une époque, et avec elle la mythologie et les valeurs qui y sont associés.

Mais quelques instants plus tôt dans le film, une autre séquence est également significative : on voit d’abord l’ombre de Doniphon se profiler sur un mur, puis l’acteur entre dans le champ, allume une cigarette, éteint l’allumette et alors l’obscurité rend ses traits indistincts. L’image figure sa dimension iconique, et annonce déjà sa fin : le héros du western traditionnel n’est plus qu’une ombre.

Le cow-boy cède donc sa place au politicien, comme l’illustre fort bien ce plan où Doniphon quitte la salle des élections puis sort du cadre dans lequel figure une affiche de propagande.

L’Homme qui tua Liberty Valance aborde également de front une problématique qui fut très souvent traitée au cinéma, notamment dans les nombreux westerns réalisés à l’époque du Nouvel Hollywood, c’est à dire de la fin des années 60 à la fin des années 70 : il s’agit de la menace que représentaient les riches éleveurs pour les fermiers indépendants. Les gros propriétaires souhaitaient en effet racheter un maximum de terres et « écraser » littéralement le travailleur indépendant, lequel représente des valeurs profondément ancrées dans la culture américaine (encore aujourd’hui). Dans le film, Ransom Stoddard va vouloir combattre politiquement cet essor violent des puissants éleveurs. Plus tard, des réalisateurs comme Michael Cimino (dans La Porte du paradis), Arthur Penn (dans The Missouri Breaks), Robert Altman (dans John McCabe) et Sam Peckinpah (dans Pat Garrett et Billy the Kid) vont également évoquer ce phénomène, dans des films qui portent pour la plupart un regard désillusionné sur l’évolution de l’ouest, la mettant d’ailleurs en parallèle de façon plus ou moins explicite avec l’Amérique des années 70.

Le film aborde aussi le développement de la communication politique, notamment dans la séquence des élections, avec un regard caustique (comme lorsqu’un politicien, qui prétend ne pas vouloir lire son discours, jette à terre une feuille en réalité totalement vierge) et ironique, d’une part parce que la carrière de Ransom Stoddard est en partie basée sur une contre-vérité, ensuite parce que c’est un acte violent, totalement contraire à ses principes et au changement qu’il incarne, qui fait sa réputation.

Une réflexion autour de la légende et de la réalité

Mr Scott : This is the West, sir. When the legend becomes fact, print the legend.

L’autre aspect de L’Homme qui tua Liberty Valance qui en fait une œuvre charnière et moderne pour l’époque, c’est sa relation avec la légende et la réalité. Si le récit de Stoddard rétablit une certaine vérité historique, le journaliste auquel il le relate refuse de le publier, arguant que dans l’ouest, « quand la légende devient des faits, on imprime la légende ».

Une phrase qui dit beaucoup de choses sur l’ouest américain comme sur sa représentation au cinéma, et le fait qu’elle ponctue un film de John Ford, une icône du western « traditionnel », lui donne bien entendu une résonance saisissante.

Un incontournable du western américain

L’Homme qui tua Liberty Valance parvient donc en à peine deux heures à montrer l’évolution de l’ouest – avec ses bons et ses mauvais côtés – la mort de ses mythes, et les rapports toujours fascinants entre la légende et la réalité.

Brillant et très intelligent dans son propos, il s’agit là d’un incontournable du western américain.

Le casting

Le casting réunit trois mythes du cinéma américain. James Stewart retrouvait le monde du western, un genre qu’il avait exploré notamment dans plusieurs films d’Anthony Mann (L’Homme de la plaine, Winchester ’73, L’Appât), un réalisateur moins connu du grand public que John Ford mais ô combien important et talentueux. Stewart s’était à l’époque déjà illustré dans quatre films cultes d’Alfred Hitchcock : La Corde, Fenêtre sur cour, L’Homme qui en savait trop et Sueurs froides.

John Wayne était bien entendu un habitué du cinéma de John Ford, lequel avait contribué, en lui offrant le rôle principal dans La Chevauchée fantastique (1939), à faire de lui une star. On le retrouva ensuite dans plusieurs classiques comme La Prisonnière du désert (1956). Il est superbe dans L’Homme qui tua Liberty Valance, incarnant à lui seul la fin d’un mythe.

Contrairement à Wayne et à Stewart, Lee Marvin n’était pas encore une star à l’époque de L’Homme qui tua Liberty Valance. Même si sa carrière au cinéma avait débuté une dizaine d’années auparavant, le film compte parmi ceux qui l’amenèrent peu à peu à devenir à son tour une vedette. Son charisme et sa présence physique extraordinaires l’aident naturellement à composer une caricature du hors-la-loi brutal et violent : dès qu’il apparaît à l’écran, il apporte avec lui une énergie et une fureur palpables. Marvin tournera deux ans plus tard dans The Killers, de Don Siegel (Les Proies, Tuez Charley Varrick), aux côtés de John Cassavetes et du futur président Ronald Reagan. Il connaîtra la consécration en 1967 avec Les Douze salopards, le film culte de Robert Aldrich. Son dernier grand rôle sera dans Au-delà de la gloire (1980), de Samuel Fuller.

Vera Miles, qui interprète Hallie, avait déjà tourné avec John Ford dans La Prisonnière du désert. Deux ans avant L’Homme qui tua Liberty Valance, cette talentueuse actrice figurait au casting du révolutionnaire Psychose, d’Alfred Hitchcock.

Dans le rôle de Pompey, l’homme qui travaille avec Tom Doniphon à la ferme, on retrouve Woody Strode, qui jouera ensuite dans Les Professionnels de Richard Brooks et dans Il était une fois dans l’ouest (1968) de Sergio Leone, où il interprète l’un des trois tueurs qui attend Charles Bronson à la gare, dans la célèbre séquence d’ouverture.

Enfin, l’un des complices de Liberty Valance est campé par Lee Van Cleef, que Sergio Leone rendra célèbre quelques années plus tard en lui confiant successivement le rôle de Douglas Mortimer dans Et pour quelques dollars de plus (1965) et de « la brute » dans Le bon, la brute et le truand (1966).


Liberté d’expression: Attention, une hypocrisie peut en cacher une autre (Armenian genocide row: Will France now finally come to terms with its own atrocities?)

27 décembre, 2011
Constitue un génocide le fait, en exécution d’un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux, ou d’un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire, de commettre ou de faire commettre, à l’encontre de membres de ce groupe, l’un des actes suivants : atteinte volontaire à la vie; atteinte grave à l’intégrité physique ou psychique; soumission à des conditions d’existence de nature à entraîner la destruction totale ou partielle du groupe; mesures visant à entraver les naissances;transfert forcé d’enfants. Article 211-1 (code pénal français, 7 août 2004)
Seront punis des peines prévues par le sixième alinéa de l’article 24 ceux qui auront contesté, par un des moyens énoncés à l’article 23, l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale. Le paragraphe 1er du chapitre IV de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est remplacé par cinq alinéas ainsi rédigés: Les peines prévues à l’article 24 bis sont applicables à ceux qui ont contesté ou minimisé de façon outrancière, par un des moyens énoncés à l’article 23, l’existence d’un ou plusieurs crimes de génocide défini à l’article 211-1 du code pénal et reconnus comme tels par la loi française. Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (Art. 24 bis. et Art. 24 ter, 7 décembre 2011)
Si la loi française sur le génocide arménien était votée, je me rendrai en France et je déclarerai en public que le génocide arménien n’a jamais existé, même si je suis absolument persuadé du contraire.  Hrant Dink (journalise turco-arménien, avant son assassinat, 2007)
Comparer, c’est différencier. (…) Selon moi, le génocide caractérise un processus spécifique de destruction qui vise à l’éradication totale d’une collectivité. (…) Dans un nettoyage ethnique, on tue les gens en partie, mais on leur dit : par ici la sortie. Dans un génocide, on ferme toutes les portes. Jacques Sémelin (2005)
Nous sommes entrés dans un mouvement qui est de l’ordre du religieux. Entrés dans la mécanique du sacrilège : la victime, dans nos sociétés, est entourée de l’aura du sacré. Du coup, l’écriture de l’histoire, la recherche universitaire, se retrouvent soumises à l’appréciation du législateur et du juge comme, autrefois, à celle de la Sorbonne ecclésiastique. Françoise Chandernagor (2007)
La voie est ouverte pour toute mise en cause de la recherche historique et scientifique par des revendications mémorielles de groupes particuliers puisque les associations sont même habilitées par le nouveau texte à se porter partie civile. La criminalisation de la guerre de Vendée était d’ailleurs sur le point d’arriver sur le bureau de l’Assemblée en 2008 lorsque la Commission d’information sur les questions mémorielles avait conclu à la nécessité pour la représentation nationale de s’abstenir de toute initiative future en ce sens. D’autres propositions de loi se pressaient : sur l’Ukraine affamée par le pouvoir stalinien en 1932-1933 et les crimes communistes dans les pays de l’Est, sur l’extermination des Tziganes par les nazis, et même sur le massacre de la Garde suisse, aux Tuileries, en 1792 ! A quand la criminalisation des historiens qui travaillent sur l’Algérie, sur la Saint-Barthélemy, sur la croisade des Albigeois ? Mesure-t-on à quel degré d’anachronisme on peut arriver en projetant ainsi sur le passé des notions qui n’ont d’existence que contemporaine, et de surcroît en se condamnant à des jugements moraux et manichéens ? D’autant plus que la loi n’incrimine plus seulement la « négation » du génocide, mais introduit un nouveau délit : sa « minimisation », charmante notion que les juristes apprécieront. La loi Gayssot avait sanctuarisé une catégorie de la population, les juifs ; la loi Taubira une autre catégorie, les descendants d’esclaves et déportés africains ; la loi actuelle en fait autant pour les Arméniens. La France est de toutes les démocraties la seule qui pratique ce sport législatif. Et le plus tragique est de voir l’invocation à la défense des droits de l’homme et au message universel de la France servir, chez les auteurs, de cache-misère à la soviétisation de l’histoire. Les responsables élus de la communauté nationale croient-ils préserver la mémoire collective en donnant à chacun des groupes qui pourraient avoir de bonnes raisons de la revendiquer la satisfaction d’une loi ?  Pierre Nora
Malgré maint témoignages oraux et écrits l’affirmant, il n’était pas possible de prouver matériellement par des documents allemands que la morgue du crématoire 1 avait fonctionné en chambre à gaz homicide. Si les résultats de Leuchter sont confirmés après des dosages toxicologiques officiels, l’ingénieur aura apporté, en dépit de ses intentions, la preuve matérielle irréfutable de l’emploi homicide qui manquait aux historiens. Jean-Claude Pressac (1998)
La France est le premier pays à avoir conçu, organisé et planifié l’anéantissement et l’extermination d’une partie d’elle-même au nom de l’idéologie de l’homme nouveau. Elle est aussi le premier pays à avoir conçu et mis en place un mémoricide dans le but d’occulter ce crime contre l’humanité. En ce sens, la France est un double laboratoire et un modèle pour les régimes génocidaires.  Reynald Secher (2011)
Ce n’est pas au parlement de faire l’histoire. Mon opposition constante à la loi Gayssot sanctionnant le négationnisme dans la contestation de la Shoah est identique pour cette autre loi mémorielle qui revient, une fois de plus, à limiter la liberté d’expression et à pénaliser un délit d’opinion. Mais il y a surtout, dans l’attitude morale de la France, une énorme hypocrisie. Car l’Etat français se comporte en fait comme l’Etat turc, en refusant de reconnaître et en contestant même la réalité du génocide vendéen de 1793. La proposition de loi du député des Alpes maritimes, Lionel Luca, invitant la République « à reconnaître le génocide vendéen de 1793-1794« , déposée en 2007, n’a jamais été examinée. Ivan Rioufol (2011)
Détruisez la Vendée et Valenciennes ne sera plus au pouvoir des Autrichiens. Détruisez la Vendée et le Rhin sera délivré des Prussiens. Détruisez la Vendée et l’Anglais ne s’occupera plus de Dunkerque. Détruisez la Vendée et l’Espagne sera morcelée et conquise par les méridionaux. Détruisez la Vendée et une partie de l’armée de l’Intérieur ira renforcer l’armée du Nord. Détruisez la Vendée et Toulon s’insurgera contre les Espagnols et les Anglais. Lyon ne résistera plus et l’esprit de Marseille se relèvera à la hauteur de la Révolution. La Vendée et encore la Vendée, voilà le chancre qui dévore le cœur de la République. C’est là qu’il faut frapper. Bertrand Barère (1793)
Tous les Français, tous les sexes, tous les âges, sont appelés par la Patrie à défendre la liberté. Toutes les facultés physiques ou morales, tous les moyens politiques ou industriels lui sont acquis ; tous les métaux, tous les éléments sont ses tributaires. Que chacun occupe son poste dans le mouvement national et militaire qui se prépare. (…) Les maisons nationales seront converties en caserne, les places publiques en ateliers (…). Il faut que la France ne soit plus qu’un vaste camp. Barère (Rapport sur la réquisition physique des jeunes citoyens. août 1792)
La Vendée doit être un cimetière national. Turreau (Général en chef de l’armée de l’Ouest)
Qu’on ne vienne pas nous parler d’humanité envers ces féroces Vendéens; ils doivent tous être exterminés. Carrier
Il n’y aurait de moyen de ramener le calme dans ce pays qu’en en faisant sortir tout ce qui n’était pas coupable et acharné, en en exterminant le reste et en le repeuplant le plus tôt possible de républicains. (…) La guerre ne sera complètement terminée que quand il n’y aura plus un habitant dans la Vendée. Hentz et Francastel (commissaires de la République)
Quand un pays révolutionnaire lutte à la fois contre les factions intérieures et contre le monde, quand la moindre hésitation ou la moindre faute peuvent compromettre pour des siècles peut-être le destin de l’ordre nouveau, ceux qui dirigent cette entreprise immense n’ont pas le temps de rallier les dissidents, de convaincre leurs adversaires. Ils ne peuvent faire une large part à l’esprit de dispute ou à l’esprit de combinaison. Il faut qu’ils abattent, il faut qu’ils agissent, et, pour garder intacte leur force d’action, pour ne pas la dissiper, ils demandent à la mort de faire autour d’eux l’unanimité immédiate dont ils ont besoin. Jean Jaurès
Nous n’avons jamais eu l’ordre écrit de Hitler concernant le génocide juif, nous possédons ceux de Barrère et de Carnot relatifs à la Vendée. (…) D’ailleurs, à chaque fois que je passe devant le lycée Carnot, je crache par terre. Pierre Chaunu
Lénine assimilait les Cosaques à la Vendée pendant la Révolution française, et souhaitait leur appliquer le traitementque Gracchus Babeuf, l’”inventeur” du communisme moderne, qualifiait dès 1795 de “populicide.” Stéphane Courtois (préface du Livre noir du communisme, 1997)
Les soldats français leur disaient ’vous devez ouvrir les ventres de ces Tutsis que vous tuez afin qu’ils coulent et que les satellites ne les voient pas. Andrew Wallis (2007)
Nous accusons Gowon de génocide pour avoir cherché à exterminer quatorze millions de Biafrais de la plus horrible manière. Nous accusons Gowon de vouloir devenir un Hitler de l’Afrique. Colonel Ojukwu chef de la rébellion biafraise, 1967)
Comment peut-on être de gauche et laisser massacrer deux millions d’individus ? Le massacre des Biafrais est le plus grand massacre de l’histoire moderne après celui des juifs, ne l’oublions pas. Est-ce que cela veut dire que le massacre de millions d’hommes n’a pas de dimension politique ? […] La gauche, s’il en existe une, a fermé les yeux […] Sa préoccupation est simple : les gens qui meurent sont-ils de gauche? Bernard Kouchner (Le Nouvel Observateur, 19 janvier 1970)
J’étais hanté par Auschwitz, pourquoi la Croix-Rouge n’avait pas parlé ? Pourquoi la Croix-Rouge ne parlait pas devant le phénomène monstrueux du Biafra ? Est-ce la même chose ? Je ne voulais pas que mes enfants ou n’importe qui d’autre m’accusent de m’être tu à ce moment-là. Bernard Kouchner
Jamais d’images plus terribles n’ont été filmées depuis celle des découvertes des camps de concentration de l’Allemagne de 1945. Des corps d’enfants squelettiques ou déformés par des oedèmes, des visages où se lit l’hébétude résignée d’une agonie prochaine […]. Un enfer. […] Mais combien faudra-t-il de documentaires encore pour réveiller les consciences ? Le Monde (1968)
Ce que tout le monde ne sait pas, c’est que le terme de « génocide » appliqué à cette affaire du Biafra a été lancé par les services. Nous voulions un mot choc pour sensibiliser l’opinion. Nous aurions pu retenir celui de massacre, ou d’écrasement, mais génocide nous a paru plus  »parlant ». Nous avons communiqué à la presse des renseignements précis sur les pertes biafraises et avons fait en sorte qu’elle reprenne rapidement l’expression  »génocide ». Le Monde a été le premier, les autres ont suivi. Colonel Maurice Robert (responsable du SDECE durant la guerre du Biafra, 2004)
La direction de la propagande s’est servie de la faim. Après avoir essayé le pogrom, le génocide, la libération de notre province…Paddy Davies (membre de la direction de la Propagande du Biafra)
Je sais parfaitement que la direction de la propagande biafraise composée de professionnels, d’intellectuels et d’universitaires, avait étudié le système de propagande de Goebbels, de la Chine et dans une certaine mesure de l’Union soviétique. Elle a du adapter ses propres systèmes à la situation particulière du Biafra. Car les systèmes allemands sous Hitler et Goebbels étaient méthodiques, et le sytèmes chinois et russe étaient idéologiques. Or le Biafra n’avait pas d’idéologie en tant que telle. Il fallait donc trouver une autre voie qui ne soit pas la méthode hitlérienne car cette propagande était dirigée contre un peuple. On a donc renversé les méthodes de propagande d’Hitler. (…) Et finalement la France nous a apporté une aide concrète en nous envoyant des armes. Ce qui nous a permis de nous battre un an et demi de plus…C’était la France qui payait notre agence de presse ‘Mark Press’. Mark Press est devenue l’unique agence chargée de diffuser à l’étranger les nouvelles du Biafra. P.E Davies (journaliste à Radio Biafra et Voice of Biafra)
Le Biafra prive son propre peuple de ce qui est nécessaire à sa subsistance, dans l’espoir évidemment que le spectacle de ses souffrances va inciter les étrangers à imposer des restrictions politiques au Nigéria…La famine ne saurait devenir une arme de guerre acceptable du simple fait qu’elle est utilisée par un leadership aux abois contre sa propre population réduite à l’impuissance. Washington Post (11.07.1969, cité par Pierre Péan)
Moi j’étais un transitaire, un transitaire particulier mais un transitaire tout de même. J’étais le bras armé de l’aide française au Biafra puisque pratiquement toute l’aide française passait par Libreville : des mitrailleuses, des fusils-mitrailleurs, des fusils, des grenades, des bazookas, des petits canons également mais pas d’armes lourdes. Pas d’armes lourdes pourquoi? Parce que tout cela était transporté par avion. Et je dois vous dire que dans cette affaire je n’ai jamais eu affaire à mon ministre de tutelle mais je n’ai obéi et je n’ai agi qu’en fonction des instructions qui m’étaient données par l’Elysée. Maurice Delaunay (ambassadeur de France au Gabon lors de la guerre du Biafra)
Tous les moyens sont bons dans cette affaire. La Croix-Rouge et les Chevaliers de Malte, qui canalisent et acheminent officiellement vivres et médicaments au Biafra, ne regardent pas de trop près les lourdes caisses qui, manifestement, ne sont pas remplies de lait en poudre. Pour simplifier les choses, le colonel Merle, conseiller militaire de l’ambassade de France au Gabon, est aussi responsable de la Croix-Rouge. Pierre Péan
Le 12 juin (1967), le conseil des ministres prononcera l’embargo sur les armes et la mise en place d’une aide humanitaire au profit du Biafra…aide humanitaire qui couvrira le trafic d’armes à destination des sécessionnistes. Colonel Maurice Robert (responsable Afrique du SDECE durant la guerre du Biafra)
Armes et aide humanitaire transitaient essentiellement par Libreville et Abidjan, les premières profitant des ponts aériens organisés pour l’autre. Bongo avait été réticent au début mais, sous la double pression française et ivoirienne, il avait fini par accepter de soutenir la lutte biafraise. Colonel Maurice Robert
La France ne reconnaît toujours pas la sécession. Pour Foccart c’est un échec mais en coulisse De Gaulle semble s’y préparer activement. Il charge Foccart de monter une vaste opération de transport d’armes vers le Biafra. Foccart choisit le Gabon comme base arrière. Il vient d’y faire élire président le jeune Albert Bongo qui ne peut rien lui refuser. Joël Calmettes
A partir du moment où l’on n’était pas décidé à soutenir véritablement le Biafra, est-ce que cela valait vraiment la peine de commencer? C’est là l’enseignement que l’on peut tirer. Est-ce que cela valait vraiment la peine de commencer, de se donner tout le mal que l’on s’est donné pour arriver à un résultat aussi misérable. Maurice Delaunay (ambassadeur de France au Gabon lors de la guerre au Biafra)
Il ne faut ni intervenir ni donner l’impression d’avoir choisi. Mais il est préférable d’avoir un Nigéria morcelé qu’un Nigéria massif. Et par conséquent Mon Dieu si le Biafra réussissait ce ne serait pas plus mauvais pour nous. De Gaulle (cité par Foccart)
De Gaulle savait que si la France s’engageait la communauté internationale allait nous critiquer de façon très sévère. D’où réticence dans l’engagement et par conséquent liberté, je dirai presque conditionnelle pour aider Ojukwu clandestinement. Là je vais être plus clair, le feu vert n’est pas donné mais c’est un feu orange. Si les choses ne tournent pas bien nous sommes désavoués. C’est la règle du jeu. Colonel Maurice Robert (responsable Afrique du SDECE lors de la guerre du Biafra)
Pour la France, soutenir le Biafra, c’est s’opposer à l’ingérence des Soviétiques sur le continent et préserver ses intérêts pétroliers. Colonel Maurice Robert (responsable Afrique du SDECE durant la guerre du Biafra)
Un de mes plus grands regrets est de ne pas avoir pu remercier personnellement le général De Gaulle. Colonel Ojukwu (leader de la sécession biafraise)
Cinq ans avant la sécession biafraise, sans prévenir qui que soit, Foccart a pris ses dispositions au Nigéria au cas où. Près d’une dizaine d’agents du SDECE sont envoyés au Nigéria. Joël Calmettes
Dès 1963, l’Elysée avait détaché du SDECE le lieutenant-colonel Bichelot au cabinet présidentiel de Côte d’Ivoire pour aider le vieux Félix à suivre l’évolution politique au Nigéria. Quand Ojukwu, quatre ans plus tard, se lance dans l’aventure sécessionniste, Paris est prêt! Pierre Péan (Affaires Africaines)
En juin 1966 des dizaines de milliers de chrétiens, des Ibos sont tués par des musulmans Aoussas dans le nord du Nigéria. Deux millions de Ibos affluent vers leur terre d’origine : le futur « Biafra ». Foccart comprend immédiatement que c’est là la carte à jouer pour affaiblir le Nigéria. Discrètement certains agents du SDECE encouragent la sécession mais Foccart va plus loin. Huit mois avant la proclamation de l’indépendance il avait envoyé des armes au Biafra. L’avion qui les transporte un DC 4 s’écrase au Cameroun, le 11 octobre 1966. L’information passe totalement inaperçue : la France ne risquait pas grand chose le pilote et l’avion étaient américains. Joël Calmettes
La guerre civile opposant les tribus nigérianes entre elles, grâce à la sécession du Biafra, ne plonge pas tout le monde dans la consternation à Paris…Les commandos qui ont fait la « révolution » et, en provoquant la guerre civile, ont mis les Anglo-Saxons dans le pétrin, ont été entraînés et conseillés par des Européens qui ressemblent à s’y méprendre à des barbouzes français dépendant de Jacques Foccart, secrétaire général de la Communauté (sic) et à l’Elysée. Fortiche, non? Le Canard Enchaîné du (23 août 1967)
Officiellement, la France n’a apporté qu’une aide humanitaire aux Biafrais, mais il est aujourd’hui admis que les sécessionnistes ont bénéficié d’une aide militaire. Pour le général de Gaulle, il fallait briser la Fédération du Nigeria qui constituait, du fait de sa force économique, une menace potentielle pour l’ensemble de l’Afrique francophone. Si ce soutien militaire a toujours été nié publiquement, Jacques Foccart exprime dans ses mémoires le souhait du chef de l’Etat de véhiculer une image positive des Biafrais à la télévision française, instrument sur lequel il exerçait un contrôle et qu’il souhaitait mettre au service de son discours. (…) Pour alimenter sa propagande de guerre et justifier son statut de victime, le pouvoir biafrais s’est servi des images de la famine, profitant ainsi des ravages du blocus économique sur sa population : « La Direction de la Propagande a donc misé sur la famine, […] elle est devenue l’arme ultime » témoigne Patrick E. Davies. Ne pouvant remporter la guerre par la force militaire, les dirigeants biafrais ont compris que les images de la famine, filmées sur le terrain, pouvaient être utilisées comme preuve du génocide et devenir une arme médiatique. Ils ont alors accueilli des journalistes étrangers, probablement avec l’aide de la France, persuadés qu’à travers ce qu’ils allaient découvrir, ils ne pourraient que soutenir la volonté sécessionniste de la province. Perçues comme garantes d’objectivité et de transparence, les images de la famine ont été instrumentalisées, utilisées comme preuve des souffrances de la population biafraise et sont devenues un enjeu politique pour le Biafra. (…) Pour les dirigeants biafrais, la famine est devenue une arme médiatique destinée à pallier une faiblesse militaire, se retournant ainsi contre le pouvoir politique qui l’avait mise en place. En effet, la diffusion des images de la famine à la télévision donna naissance à un mouvement de sympathie en France en faveur de la cause biafraise. Elles ont suscité un mouvement de conscience « humanitaire » : de nombreuses associations de soutien aux Biafrais ont été créées, telles que le Comité international de lutte contre le génocide au Biafra par les futurs fondateurs de Médecins sans frontières ou le Comité d’action pour le Biafra, par un député UDR Raymond Offroy. D’autres associations, déjà en place et de tous horizons, ont tenté d’alerter la population et ont lancé des appels à la mobilisation. Parmi elles figurent les Francs-maçons, l’Union nationale des étudiants juifs de France, le Conseil œcuménique des Églises et la CGT. Les campagnes nationales d’août 1968 et de mars 1969 ont bénéficié du soutien de nombreux intellectuels qui ont lancé des appels au cessez-le-feu ou ont signé des pétitions proclamant le droit à l’indépendance du Biafra. Ces appels ou ces créations d’organisation sont, pour la plupart, le fait de personnes déjà engagées dans un mouvement de pensée ou religieux. Leur discours s’adressait à la fois aux dirigeants politiques et à la nation. Il est intéressant de noter que ces appels interviennent aux moments où la couverture télévisée de la guerre s’accélère et où les images de la famine et de l’aide humanitaire se trouvent au centre de l’attention. Celles-ci, loin d’avoir un statut passif, détiennent donc un pouvoir de persuasion et engagent à l’action. L’argument de génocide a souvent été repris pour condamner le sort de la population civile et l’horreur de la guerre. Les images de la famine montrent des personnes ayant perdu leur humanité et leur dignité. (…) La population française qui soutenait majoritairement l’organisation des opérations de secours n’a pas pour autant montré une forte mobilisation en faveur de l’indépendance du Biafra. Un sondage IFOP publié dans Le Monde en mars 1969 indique que deux tiers des Français estiment juste ou insuffisant l’aide humanitaire française apportée au Biafra (un tiers des sondés se déclarent sans opinion). Le public français a apporté un large soutien moral et financier : treize à quinze millions de francs ont été récoltés à l’issue de la première campagne nationale de juillet 1968. Les images de la famine ont rempli leur fonction, celle de susciter l’intérêt des téléspectateurs qui pour la première fois assistent à leur retransmission. Cependant, les manifestations organisées par les différentes associations n’ont pas connu le succès espéré : les tentatives d’attirer la population française pour l’encourager à soutenir la volonté d’indépendance de la province orientale ont échoué. (…) Pour contrer ces accusations, le gouvernement fédéral a accepté l’envoi d’une équipe d’observateurs mandatés par l’ONU qui a conclu à l’impossibilité d’affirmer l’existence d’un génocide au Biafra. Le pouvoir fédéral a pris les armes, non pas pour exterminer une ethnie, mais pour préserver l’unité du pays. Barbara Jung (2007)

Attention: une hypocrisie peut en cacher une autre!

Soutien secret pour cause de pétrole (suite à la perte de l’Algérie) et de géopolitique régionale d’une sécession  que l’on sait vouée à l’échec, livraisons clandestines d’armes sous couverture humanitaire, manipulation médiatique et travestissement de la situation en génocide via des officines de propagande alors que l’on sait que la rebellion en question joue de l’arme de la faim contre sa propre population …

A l’heure où,  après des décennies de réserve contrainte par la nécessité stratégique,  le parlement israélien semble vouloir profiter de l’actuel refroidissement de ses relations diplomatiques avec son seul allié musulman pour rejoindre la quinzaine de pays qui après l’ONU en 1985 et l’UE en 1987, ont officiellement reconnu  le génocide arménien de 1915 par les Turcs …

Pendant qu’au Nigéria les islamistes profitent à nouveau des célébrations de la Nativité pour reprendre leurs massacres de chrétiens …

Et au lendemain en France d’une adoption par l’Assemblée nationale du plus pur électoralisme (vote à la va vite en toute fin d’année, moins de 10% des députés présents, rejet probablement assuré du Sénat), une proposition de loi contre les génocides  complètement inutile et liberticide (après la reconnaissance  de 2001) en pénalisant la contestation …

Exposant logiquement le Pays autoproclamé des droits de l’homme à des contre-accusations turques aussi fantaisistes que celui d’un prétendu « génocide algérien »  …

Comment ne pas voir, au-delà des possibilités de dérives dues à une extension incontrôlée de l’acception des termes et de ses aspects liberticides notamment pour la recherche comme le rappelle l’éditorialiste du Figaro Ivan Rioufol, l’immense hypocrisie d’un pays qui n’a toujours pas reconnu les dérives génocidaires de ses propres révolutionnaires contre les Vendéens?

Mais également, beaucoup plus près de nous, son très trouble appui aux génocidaires du Rwanda de 1994 …

Où  27 ans plus tôt, ainsi que le rappellent l’universitaire Barbara Jung et un dossier sur le site Pressafrique,  son soutien à l’utilisation de l’arme de la faim par les rebelles biafrais de 1967-1970 (deux ans et demi de conflit, plus d’un million de victimes) ?

Le tout, comble de l’hypocrisie, sous couvert d’une campagne de presse apparemment montée de toutes pièces et appuyée notamment par nos fameux « French doctors » (qui fonderont pour ce faire l’Organisation pour la lutte contre le génocide au Biafra, rebaptisée trois ans plus tard  MSF et dont on vient d’ailleurs de fêter le 40e anniversaire) dénonçant les forces nigérianes pour… génocide!

L’image télévisuelle comme arme de guerre. Exemple de la guerre du Biafra 1967-1970

Barbara Jung

Institut Renouvin

19 octobre 2007

Le 31 mai 1967, la province orientale de la Fédération nigériane s’autoproclame République indépendante du Biafra, déclenchant une guerre civile de trente mois, extrêmement meurtrière, qui fit l’objet d’une large couverture télévisée en France. Pour la première fois, les téléspectateurs ont vu apparaître sur leurs écrans de télévision les images d’une famine, devenues, par le rôle politique que les nouveaux dirigeants biafrais ont voulu leur faire jouer, une « arme de guerre ». Ces images de corps décharnés sont celles qui ont le plus représenté la guerre du Biafra. Comme drame humanitaire et politique, elles constituent un repère capital dans l’histoire de l’information télévisée.

Au travers de l’analyse des notices [1] de l’Institut national de l’audiovisuel décrivant les deux cent quatre-vingt-cinq reportages diffusés au journal télévisé sur la guerre du Biafra et du visionnage des onze reportages réalisés par des magazines d’information télévisés, nous verrons comment et dans quelle mesure les images de la guerre ont rempli leur fonction d’« arme de guerre ».

Nous étudierons, dans un premier temps, la mise en place de la couverture télévisée de la guerre et les enjeux politiques qui s’y rattachent. Puis nous analyserons la lecture du conflit donnée par la télévision en nous demandant si elle fut influencée par les arguments de la propagande biafraise. Enfin nous verrons si la tentative des dirigeants biafrais d’ériger les images de la famine comme une arme de guerre a été couronnée de succès.

La mise en place de la couverture télévisée de la guerre du Biafra et ses enjeux politiques

La guerre du Biafra s’est déroulée à une période de l’histoire de l’information favorable à la mise en place d’une couverture télévisée des conflits. Le pouvoir biafrais a souhaité lui faire jouer un rôle politique de premier ordre.

Les enjeux politiques de la couverture télévisée

La couverture de la guerre du Biafra à la télévision française a bénéficié du contexte favorable de l’ascension du petit écran au cours des années soixante, et de l’amélioration des techniques de tournage qui rendent possible la réalisation de reportages sur le terrain. De plus, l’information constitue l’une des priorités inscrites dans les statuts de l’ORTF (1964) et occupe une place de choix sur l’ensemble des programmes diffusés, notamment grâce au développement du genre des magazines d’information télévisés qui privilégient les sujets d’actualité internationale. Mais au-delà des aspects techniques, la couverture de la guerre du Biafra à la télévision française a fait l’objet d’enjeux politiques. Officiellement, la France n’a apporté qu’une aide humanitaire aux Biafrais, mais il est aujourd’hui admis que les sécessionnistes ont bénéficié d’une aide militaire [2]. Pour le général de Gaulle, il fallait briser la Fédération du Nigeria qui constituait, du fait de sa force économique, une menace potentielle pour l’ensemble de l’Afrique francophone. Si ce soutien militaire a toujours été nié publiquement [3], Jacques Foccart [4] exprime dans ses mémoires le souhait du chef de l’Etat de véhiculer une image positive des Biafrais à la télévision française, instrument sur lequel il exerçait un contrôle et qu’il souhaitait mettre au service de son discours.

Obtenir le soutien du public français était également l’objectif du pouvoir biafrais, espérant que celui-ci exercerait une influence décisive sur les décisions politiques de ses dirigeants. En effet, pour vivre le Biafra avait certes besoin d’un soutien militaire face à une armée fédérale plus nombreuse et mieux équipée, mais aussi d’une aide diplomatique car il ne pouvait justifier son existence à l’égard du droit international. La stratégie alors adoptée par les dirigeants biafrais reposa sur l’orchestration d’une propagande élaborée sur différents thèmes, et sur la mise en place d’outils destinés à véhiculer son discours à l’étranger et rallier l’opinion publique internationale à sa cause.

Les instruments de diffusion de la propagande biafraise

Dès l’autoproclamation d’indépendance, les dirigeants biafrais ont constitué un gouvernement incluant un ministère de l’Information et une « Direction de la Propagande » composés de l’élite intellectuelle Ibo, tribu majoritaire au Biafra. Certains pays étrangers ont accepté sur leur territoire l’installation de bureaux d’information biafrais, lesquels constituaient pour Patrick E. Davies de « véritables officines de propagande » [5]. L’influence de ces organismes sur la presse française s’est exercée par le biais de l’Agence France-Presse qui cite régulièrement dans ses dépêches Radio Biafra, alors sous le contrôle de la Direction de la Propagande. De plus, les Biafrais ont eu recours à l’agence de relations publiques Markpress, basée à Genève et chargée de diffuser des nouvelles alarmantes par le biais de communiqués de presse au Royaume-Uni, aux États-Unis et en France, d’envoyer des films ou des photographies à la presse, et d’organiser le transport de journalistes au Biafra [6]. Le journaliste Claude Brovelli, à l’époque représentant de l’AFP au Nigeria, estime que le budget dépensé par le Biafra en termes de communication fut égal voire supérieur à celui attribué à la défense [7].

Gagner la guerre par les mots et les images

Dès le milieu de l’année 1968 les dirigeants biafrais essaient de convaincre le monde que le gouvernement fédéral a mis en place un plan génocidaire à l’encontre du peuple biafrais [8]. Le colonel Ojukwu va jusqu’à comparer le chef de l’autorité nigériane, le général Gowon, à Adolf Hitler : « Nous accusons Gowon de génocide pour avoir cherché à exterminer quatorze millions de Biafrais de la plus horrible manière. Nous accusons Gowon de vouloir devenir un Hitler de l’Afrique » [9]. Pour alimenter sa propagande de guerre et justifier son statut de victime, le pouvoir biafrais s’est servi des images de la famine, profitant ainsi des ravages du blocus économique [10] sur sa population : « La Direction de la Propagande a donc misé sur la famine, […] elle est devenue l’arme ultime » témoigne Patrick E. Davies. Ne pouvant remporter la guerre par la force militaire, les dirigeants biafrais ont compris que les images de la famine, filmées sur le terrain, pouvaient être utilisées comme preuve du génocide et devenir une arme médiatique. Ils ont alors accueilli des journalistes étrangers, probablement avec l’aide de la France [11], persuadés qu’à travers ce qu’ils allaient découvrir, ils ne pourraient que soutenir la volonté sécessionniste de la province. Perçues comme garantes d’objectivité et de transparence, les images de la famine ont été instrumentalisées, utilisées comme preuve des souffrances de la population biafraise et sont devenues un enjeu politique pour le Biafra.

La couverture de la guerre du Biafra à la télévision française

L’implication de la télévision française dans la couverture médiatique de la guerre est née de la diffusion d’images, sources privilégiées de l’information, et de l’adoption d’un ton engagé au profit de la cause des sécessionnistes : images dévoilant sans détours le drame humanitaire qui se joue au Biafra dès 1968, voix-off ou même absence de commentaire sont les principaux procédés utilisés pour dénoncer l’horreur de la guerre.

Une couverture précoce et rythmée par les événements humanitaires

La télévision a couvert la guerre très tôt, un reportage sur l’autoproclamation d’indépendance du Biafra étant diffusé le 30 mai 1967 [12]. Bien avant l’apparition des premières images de la famine et de l’aide humanitaire en juillet 1968, elle rend compte des événements militaires. Si un tournant s’opère en janvier 1968, avec la chute de la ville d’Enugu et un intérêt croissant pour les souffrances des civils, la couverture télévisée du conflit civil subit de nombreuses fluctuations et connaît trois pics de diffusion. Le premier a lieu de juillet à septembre 1968 et est dû à l’arrivée des premières images de la famine, aboutissant à l’organisation en août 1968 d’une campagne nationale de collecte de fonds relayée à la télévision. Après un essoufflement, la famine et l’aide humanitaire relancent la médiatisation de la guerre en mars 1969, mois au cours duquel une seconde campagne est organisée. Enfin, la couverture télévisée de la guerre atteint son point culminant en janvier 1970, mois de la signature de l’amnistie en faveur du pouvoir fédéral. Le regain d’intérêt sans précédent que porte la télévision à la guerre ce mois-ci est lié au fait que le pouvoir fédéral bloque le fonctionnement des opérations de secours auxquelles participe la France. Au cours de ces trois périodes, la guerre du Biafra devient un sujet d’actualité majeur.

La première chaîne française a consacré davantage de reportages sur la guerre que la seconde chaîne. Elle s’est impliquée au-delà de la programmation de reportages en devenant le support de deux campagnes nationales de collecte de fonds organisées par Pierre Sabbagh, figure légendaire du petit écran. La guerre a été couverte par plusieurs émissions. Parmi celles-ci, les journaux télévisés, dotés depuis 1963 [13] d’une nouvelle formule fondée sur le primat de l’image, occupent une place hégémonique avec la diffusion de 95 % des reportages sur la guerre (soit 285) et plus de la moitié d’entre eux (61 %) ont été programmés aux actualités du soir. Le genre du magazine télévisé, mis en place dans les années soixante, se prêtait également à la couverture de la guerre du Biafra, terrain d’excellence pour le « journalisme d’enquête » [14] et une mise en scène de l’actualité de manière à susciter une émotion chez le téléspectateur. La première chaîne occupe alors à nouveau une position hégémonique en ce qui concerne les magazines d’information télévisés. Le magazine hebdomadaire Panorama [15], produit par l’Actualité Télévisée puis par Information Première dès 1969, est celui qui a le plus couvert la guerre avec un total de sept reportages sur treize. Cinq Colonnes à la Une diffuse un unique reportage sur le Biafra en mai 1968 [16] et vit ses dernières heures. Il renaît de ses cendres avec la création de De nos envoyés spéciaux par Pierre Dumayet, Pierre Desgraupes, Pierre Lazareff et Igor Barrère, magazine qui programma un reportage sur la guerre en décembre 1968 [17]. Quant à la seconde chaîne, elle diffuse trois reportages sur la guerre dont deux au cours du magazine Point contre Point [18].

Une télévision perméable aux arguments du pouvoir biafrais ?

Si les rédactions télévisées ont eu majoritairement recours aux images fournies par les agences de presse britannique Visnews, et américaine United Press, les journalistes partis sur place ont été bouleversés par le sort subi par la population civile biafraise. Tous les reportages sans exception semblent condamner ouvertement l’attitude du gouvernement fédéral vis-à-vis des civils en diffusant des images à caractère dramatique, comme celles de maisons détruites, de réfugiés, de cadavres laissés à l’abandon, de soldats en haillons et de personnes victimes de la famine. Les images s’attachent essentiellement à montrer la violence des attaques à l’encontre de la population biafraise sur le plan militaire ou humanitaire. Les rédactions télévisées ont fait le choix de la transparence, de montrer l’horreur la plus insoutenable aux téléspectateurs. Le recours au grand plan sur les cadavres est fréquent, Panorama diffuse les images d’un civil biafrais froidement abattu par l’armée fédérale dans son village [19]. Le journaliste, comme certains médecins, s’arroge un rôle de témoin et de dénonciateur de l’horreur. Pourtant, si les magazines télévisés [20] jouent sur le registre émotionnel et adoptent un ton engagé en faveur des Biafrais, ils ne font pas leur la thèse du « génocide biafrais » et suivent la position de l’Organisation des Nations unies [21]. Le mot génocide figure dans deux reportages sur les neuf réalisés par un magazine d’information télévisé que nous avons pu visionner. Le premier est prononcé par le colonel Ojukwu, chef de l’autorité biafraise, tenant un enfant blessé dans ses bras : « Les enfants sont les vrais innocents de cette guerre. Je sais que Lagos perpétue un génocide à l’encontre du peuple biafrais ». Le second est prononcé par un journaliste qui se montre prudent affirmant que « pour le monde entier la guerre du Biafra reste une question nigériane, même si elle prend des allures de véritable génocide », critiquant à demi-mot la décision de l’ONU de ne pas intervenir dans le conflit, ni de retenir l’accusation de génocide.

La mise en scène de la famine et de l’aide humanitaire à la télévision française

Les images de la famine et de l’aide humanitaire sont celles qui ont le plus caractérisé la guerre du Biafra, et sont restées dans la mémoire collective. Près d’un mois après l’autoproclamation d’indépendance du Biafra, le gouvernement fédéral instaura un blocus économique. Huit millions de personnes se sont alors retrouvées entassées dans ce qui a été appelé le « réduit biafrais », territoire d’un rayon d’à peine 150 kilomètres. Ce cloisonnement provoqua une famine qui causa la mort d’environ un million de personnes en deux ans et demi. Pour la première fois, les journalistes de la télévision ont dû traiter un événement qui n’avait encore jamais fait l’objet d’une couverture télévisée et qui a donné naissance à l’humanitaire moderne. Les images de la population civile touchée par la famine commencent à être retransmises à la télévision en juillet 1968. Leur arrivée eut une conséquence concrète avec l’organisation le mois suivant d’une campagne nationale de secours en faveur des victimes, le contenu des reportages des journaux télévisés subit alors des modifications. Ces derniers diffusent les images de corps squelettiques, d’enfants ballonnés souffrant de kwashiorkor et de femmes ne pouvant plus allaiter leur nourrisson. Le documentaliste décrit « un homme d’une extrême maigreur » en train « d’agoniser » et des « plans très pénibles » [22]. Ces images dégagent une force émotionnelle et ont pour fonction d’attirer l’attention du téléspectateur devenu un donateur potentiel.

« Jamais d’images plus terribles n’ont été filmées depuis celle des découvertes des camps de concentration de l’Allemagne de 1945. Des corps d’enfants squelettiques ou déformés par des oedèmes, des visages où se lit l’hébétude résignée d’une agonie prochaine […]. Un enfer. […] Mais combien faudra-t-il de documentaires encore pour réveiller les consciences ? » [23]

écrit un journaliste dans Le Monde à propos d’un reportage diffusé sur la seconde chaîne en août 1968.

Dans les reportages réalisés par Panorama, l’horreur de la guerre est montrée par la diffusion d’images de corps mourants et décharnés. L’image est crue, dénuée de commentaire journalistique, le bruit ambiant rend l’atmosphère pesante et contribue à accentuer la tonalité dramatique des reportages. La force émotionnelle est dégagée par l’image seule. Les enfants, symbolisant l’innocence et la fragilité, se retrouvent souvent au centre de l’attention quand il s’agit de montrer l’horreur de la guerre : les documentalistes de l’INA décrivent dans les notices des images d’« enfants squelettiques », « affreusement maigres » ayant un « regard vide » ainsi que de « nombreux plans pitoyables » [24]. La couverture télévisée de la guerre du Biafra marque l’entrée d’un nouveau phénomène médiatique centré sur la diffusion de nombreuses images de personnes aux corps décharnés, au côté desquelles figure le personnel médical occidental.

Dès le mois de juillet 1968, au moment où la situation de la population civile s’aggrave, a lieu une intensification des opérations de secours. Les images de l’aide humanitaire occupent alors une place prépondérante au sein de la couverture télévisée du conflit [25]. Au cours du mois de janvier 1970, le nombre de reportages consacrés à l’aide humanitaire augmente de manière spectaculaire : depuis le mois de juin 1969 le gouvernement fédéral a déchargé le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) de sa tâche de coordination des secours, la situation humanitaire est dramatique et le gouvernement continue de bloquer le fonctionnement des opérations de secours. Cependant, d’après le contenu descriptif des notices de l’INA, il semble que l’objectif de la télévision française fut de stimuler la générosité des téléspectateurs en mettant en valeur l’action humanitaire de la France au Biafra. Les images les plus courantes à la télévision sont celles de colis affrétés par des associations humanitaires, de camions portant les insignes d’une organisation humanitaire, d’avions transportant des secours à destination du Biafra, de malades bénéficiant de soins, etc. Quand le personnel médical français figure dans un reportage, ce dernier s’attache à montrer des enfants malades mais en voie de guérison : ils chantent, sourient, sont soignés [26]. Si la représentation de l’aide humanitaire au Biafra paraît « classique » (par la diffusion d’images présentant le matériel humanitaire, les médecins, etc.), en réalité elle ne l’est pas puisqu’elle témoigne de la mise en place d’opérations de secours d’une envergure extraordinaire, destinées à venir en aide à des millions de personnes prisonnières du réduit biafrais.

Les images de la famine ont suscité l’engagement de médecins français parmi lesquels le Dr Gréletty-Bosviel, qui figure parmi les fondateurs de Médecins sans frontières : « Fin septembre 1968, on commençait à voir à la télévision des rushes sur le Biafra. J’étais à ce moment-là à l’OMS et j’ai demandé qu’on me laisse partir au Biafra » [27]. La guerre a permis la naissance de l’humanitaire moderne : certains médecins venus avec la Croix-Rouge ont rompu le principe de neutralité en prenant position contre le pouvoir fédéral qui entravait leur action, et en manifestant leur soutien aux Biafrais qu’ils croyaient victimes d’un génocide. Sans expérience de la médecine d’urgence ou sur les cas de grave malnutrition, ils ont vécu le traumatisme du tri chirurgical sur le terrain, et ont fondé à leur retour une nouvelle forme de médecine d’urgence. Affranchie du devoir de réserve, leur association aboutira à la création de Médecins sans frontières en décembre 1971. La victime de guerre, ou de catastrophe naturelle, et le médecin occidental qui n’hésite pas à braver les principes initiaux édictés par la Croix-Rouge deviennent, au cours des années soixante-dix, le couple-clé de la représentation humanitaire moderne.

Les images de la famine comme arme de guerre : un instrument efficace ?

Les téléspectateurs ont été sensibles à la diffusion des images de la famine : ils ont soutenus financièrement et moralement l’organisation des opérations de secours. Cependant, si certains individus déjà engagés dans un mouvement de pensée, politique ou religieux ou partis sur le terrain, ont clamé le droit des Biafrais à l’indépendance, le public français n’a pas prêté d’attention à l’issue politique de la guerre.

Un soutien important…

Pour les dirigeants biafrais, la famine est devenue une arme médiatique destinée à pallier une faiblesse militaire, se retournant ainsi contre le pouvoir politique qui l’avait mise en place. En effet, la diffusion des images de la famine à la télévision donna naissance à un mouvement de sympathie en France en faveur de la cause biafraise. Elles ont suscité un mouvement de conscience « humanitaire » : de nombreuses associations de soutien aux Biafrais ont été créées, telles que le Comité international de lutte contre le génocide au Biafra par les futurs fondateurs de Médecins sans frontières ou le Comité d’action pour le Biafra, par un député UDR Raymond Offroy. D’autres associations, déjà en place et de tous horizons, ont tenté d’alerter la population et ont lancé des appels à la mobilisation. Parmi elles figurent les Francs-maçons, l’Union nationale des étudiants juifs de France, le Conseil œcuménique des Églises et la CGT. Les campagnes nationales d’août 1968 et de mars 1969 ont bénéficié du soutien de nombreux intellectuels [28] qui ont lancé des appels au cessez-le-feu ou ont signé des pétitions proclamant le droit à l’indépendance du Biafra. Ces appels ou ces créations d’organisation sont, pour la plupart, le fait de personnes déjà engagées dans un mouvement de pensée ou religieux. Leur discours s’adressait à la fois aux dirigeants politiques et à la nation. Il est intéressant de noter que ces appels interviennent aux moments où la couverture télévisée de la guerre s’accélère et où les images de la famine et de l’aide humanitaire se trouvent au centre de l’attention. Celles-ci, loin d’avoir un statut passif, détiennent donc un pouvoir de persuasion et engagent à l’action. L’argument de génocide a souvent été repris pour condamner le sort de la population civile et l’horreur de la guerre. Les images de la famine montrent des personnes ayant perdu leur humanité et leur dignité.

« J’étais hanté par Auschwitz, [se souvient Bernard Kouchner], pourquoi la Croix-Rouge n’avait pas parlé ? Pourquoi la Croix-Rouge ne parlait pas devant le phénomène monstrueux du Biafra ? Est-ce la même chose ? Je ne voulais pas que mes enfants ou n’importe qui d’autre m’accusent de m’être tu à ce moment-là » [29].

… mais une faible mobilisation

La population française qui soutenait majoritairement l’organisation des opérations de secours n’a pas pour autant montré une forte mobilisation en faveur de l’indépendance du Biafra. Un sondage IFOP publié dans Le Monde en mars 1969 indique que deux tiers des Français estiment juste ou insuffisant l’aide humanitaire française apportée au Biafra (un tiers des sondés se déclarent sans opinion) [30]. Le public français a apporté un large soutien moral et financier : treize à quinze millions de francs ont été récoltés à l’issue de la première campagne nationale de juillet 1968 [31]. Les images de la famine ont rempli leur fonction, celle de susciter l’intérêt des téléspectateurs qui pour la première fois assistent à leur retransmission. Cependant, les manifestations organisées par les différentes associations n’ont pas connu le succès espéré : les tentatives d’attirer la population française pour l’encourager à soutenir la volonté d’indépendance de la province orientale ont échoué.

Cet échec est partagé par le pouvoir biafrais puisque le public français, s’il a été ému par les images des civils victimes de la famine, n’a pas incité le gouvernement à apporter une aide diplomatique au Biafra. Le Biafra a obtenu une aide humanitaire de grande ampleur mais a été privé de reconnaissance diplomatique de la part des grandes puissances.

Les Biafrais furent extrêmement présents dans les médias français au cours de la guerre civile qui ébranla le Nigeria de 1967 à 1970. Alors que le gouvernement fédéral fut peu représenté et se montra hostile aux journalistes, les dirigeants biafrais se sont servis de la presse comme d’une tribune pour véhiculer leur propagande de guerre. Les images ont fait l’objet d’une instrumentalisation au service d’une politique destinée à rallier l’opinion internationale à sa cause. Le gouvernement français aurait aidé le pouvoir biafrais à médiatiser les souffrances de la population civile [32], mais il a refusé de reconnaître officiellement le Biafra comme un État indépendant. Les images de la famine n’ont pas influé sur les décisions des dirigeants politiques mais ont joué un rôle certain dans l’envoi d’une aide humanitaire d’une nouvelle forme. La télévision fut investie d’une nouvelle mission sur la scène publique, celle de promouvoir des campagnes humanitaires. Nouveau partenaire d’associations humanitaires, elle diffuse des images dévoilant aux téléspectateurs français la maigreur des corps de personnes résidant à des milliers de kilomètres, victimes d’un blocus économique dans un contexte de la guerre civile. L’aide apportée par les « French doctors » est également largement couverte à la télévision française, et on ne peut étudier les images de la famine séparément de celles de l’aide humanitaire. La couverture de la guerre du Biafra a bien joué un rôle dans le conflit, les bases de l’humanitaire moderne ont été jetées et une nouvelle représentation de la victime de guerre est née à la télévision.

[1] Au moment de nos recherches, aucun des reportages diffusés au journal télévisé n’a fait l’objet d’une restauration sur support vidéo. Nous n’avions à notre disposition que des notices descriptives rédigées par un chef de l’antenne de l’INA qui retranscrivent plan par plan les images diffusées. L’accès aux magazines d’information fut plus aisé grâce à la restauration complète de la collection du magazine Panorama.

[2] En procédant à un envoi constant d’armes à partir de pays amis, comme le Tchad, le Cameroun, la Côte d’Ivoire et le Gabon. Voir Jean-Louis Clergerie, La Crise du Biafra, Limoges, PUF, 1994, p. 160.

[3] Le général de Gaulle a reconnu de manière implicite la nation biafraise dans un communiqué publié le 31 juillet 1968, au moment de l’arrivée des images de la famine : « Le Gouvernement constate que le sang versé et les souffrances qu’endurent depuis plus d’un an les populations du Biafra démontrent leur volonté de s’affirmer en tant que peuple ».

[4] Depuis 1958, Jacques Foccart était chargé des Affaires africaines et des Services spéciaux français auprès du général de Gaulle. Il raconte que le chef de l’État lui a demandé de faire en sorte que les députés de sa majorité, partis au Biafra et favorables à son indépendance, passent à la télévision. Également d’empêcher ceux rangés du côté du pouvoir fédéral d’avoir accès au petit écran. Voir Jacques Foccart, Le Général en mai. Journal de l’Élysée. 1968-1969, Paris, Fayard, coll. « Jeune Afrique », t. 2, 1998.

[5] Patrick E. Davies était journaliste pour le compte de la Direction de la Propagande. Voir Joël Calmettes, Histoires secrètes du Biafra : Foccart s’en va en guerre, Paris, Point du Jour (prod.), 2001, documentaire coul., 51 mn 41 s.

[6] Les communiqués ont été rassemblés dans un ouvrage. Voir Markpress Biafra Press Division, Genève, Aba (Biafra), 21 juin 1968. D’après le témoignage de Patrick E. Davies, la France aurait financé l’emploi de l’agence Markpress.

[7] Jean Wolf, Claude Brovelli, La Guerre des rapaces. La vérité sur la guerre du Biafra, Paris, Albin-Michel, 1969, p. 63.

[8] Voir les publications officielles du gouvernement biafrais ou publiées par l’Organisation de l’unité africaine (OUA).

[9] Le conflit Nigeria-Biafra, Documents produits par le Nigeria et le Biafra à la Réunion du Comité Consultatif de l’OUA à Addis-Abeba, août 1968, p. 34-35.

[10] Le blocus fut décrété le 1er juillet 1967 par le gouvernement fédéral à l’encontre de la province sécessionniste.

[11] Joël Calmettes, op. cit.

[12] Jean-Pierre Defrain, « L’indépendance du Biafra », Vingt-quatre heures d’actualités, Deuxième chaîne, EVN (Agence Eurovision News), 30 mai 1967, 0 mn 45 s.

[13] La formule fut lancée par Alain Peyrefitte.

[14] Forme de journalisme qui a prévalu dans les années soixante. Voir Hervé Brusini, Francis James, Voir la vérité : le journalisme de télévision, Paris, PUF, 1982.

[15] Benjamin Gallepe, Panorama, le magazine hebdomadaire de la rédaction. De l’Actualité Télévisée à Information Première. 1965-1970, (sous la dir. de Pascal Ory et Marie-Françoise Lévy) Université Paris I, Septembre 1999.

[16] Michel Honorin, « Le Biafra », Cinq Colonnes à la Une, Première chaîne, ORTF, 3 mai 1968, 20 mn 43 s.

[17] « Biafra : mort d’un mercenaire », De nos envoyés spéciaux, Première chaîne, Gamma, 5 décembre 1968.

[18] François Moreuil, « Biafra », Point contre point, Deuxième chaîne, ORTF, 31 octobre 1968, 25 mn 25 s. Jean-François Chauvel, René Puissesseau, « Le Biafra », Point contre Point, ORTF, 26 décembre 1968, 09 mn 35 s.

[19] Patrick Camus, Georges Pitoeff, « Biafra : trente mois de guerre », Panorama, Information Première, ORTF, SSR, Neyrac Film, 15 janvier 1970, 21 mn 36 s.

[20] Nous n’avons pas la possibilité de vérifier les journaux télévisés.

[21] Pour contrer ces accusations, le gouvernement fédéral a accepté l’envoi d’une équipe d’observateurs mandatés par l’ONU qui a conclu à l’impossibilité d’affirmer l’existence d’un génocide au Biafra. Le pouvoir fédéral a pris les armes, non pas pour exterminer une ethnie, mais pour préserver l’unité du pays

[22] Voir la notice in Pierre Sabbagh, « Reportage sur le Biafra », Télé Soir, Première chaîne, ORTF, 2 août 1968.

[23] Jacques Siclier, « Un peuple en train de mourir de faim », Le Monde, 15 août 1968, p. 4.

[24] Notice INA du reportage commenté par Jean-François Chauvel, « Biafra : Cécile Bourbon de Parme », Information Première, ORTF, 12 janvier 1970.

[25] Les documentalistes de l’INA décrivent des images de l’aide humanitaire dans un tiers des reportages consacrés à la guerre du Biafra.

[26] Voir la notice INA in Jacques Abouchar, « Appel pour le Biafra », Télé Soir, Première chaîne, EVN, 27 décembre 1968.

[27] Témoignage diffusé dans le documentaire réalisé par Joël Calmettes, série 2, Histoire, 28 décembre 2003.

[28] On compte parmi les intellectuels qui ont manifesté leur soutien aux Biafrais les écrivains Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre, Claude Mauriac ; l’historien Pierre Vidal-Naquet ; des professeurs de droit ; des députés UDR ; des médecins et des journalistes.

[29] « De l’intervention à l’ingérence », Histoire Parallèle, ARTE, 26 février 2000.

[30] Le Monde, 18 mars 1969, p. 5.

[31] Jacques Foccart, Le Général en mai…, op. cit., p. 323.

[32] Ibid., p. 603. Général Jean Varret et Patrick E. Davies in Joël Calmettes, Histoires secrètes du Biafra, op. cit.

Voir également:

IMPLICATION FRANCAISE DANS LA GUERRE DU BIAFRA

pressafrique.com

Quelques citations d’acteurs français sur le terrain durant la guerre du Biafra

Propos de

Maurice Delaunay, Ambassadeur de France au Gabon lors de la guerre au Biafra. Entretien avec Joël Calmettes.Extrait du Documentaire. Foccart s’en va-t-en guerre, histoires secrètes du Biafra.

 » A partir du moment où l’on n’était pas décidé à soutenir véritablement le Biafra, est-ce que cela valait vraiment la peine de commencer? C’est là l’enseignement que l’on peut tirer. Est-ce que cela valait vraiment la peine de commencer, de se donner tout le mal que l’on s’est donné pour arriver à un résultat aussi misérable ».

Propos du Général Jean Varet, entretien avec Joël Calmettes.Extrait du Documentaire. Foccart s’en va-t-en guerre. Histoires secrètes du Biafra.

 »Alors ce que l’on peut regretter sur le Biafra, la seule chose que l’on peut regretter c’est que l’on a perdu. Si on avait gagné tout le monde aurait dit bravo. On a perdu pourquoi, j’en sais rien peut-être que l’on a pas été au bout de notre système peut-être que les anglais ont bien réagi, j’en sais rien. Mais moi j’étais très déçu de voir que j’étais rentré en France, qu’on annulait tout… » Propos du

Général Jean Varet, entretien avec Joël Calmettes.Extrait du Documentaire. Foccart s’en va-t-en guerre. Histoires secrètes du Biafra.

« D’aucuns diront on ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs. En tous cas on a pas fait d’omelette mais on a cassé beaucoup d’oeufs »

Les raisons d’un engagement français criminel Histoire de la guerre au Biafra et implication française. Une guerre ayant fait entre 1 et 2 millions de morts Les signes avant-coureur de l’engagement militaire et des services secrets français au Biafra de 1963 à 1967

Trois semaines après la naissance du Biafra, De Gaulle donne à Foccart, qui le note dans son journal, son opinion sur la sécession :

« Il ne faut ni intervenir ni donner l’impression d’avoir choisi. Mais il est préférable d’avoir un Nigéria morcelé qu’un Nigéria massif. Et par conséquent Mon Dieu si le Biafra réussissait ce ne serait pas plus mauvais pour nous ».

D’après Joël Calmettes dans son documentaire Foccart s’en va-t-en guerre.

Histoires secrètes du Biafra.

« De Gaulle savait que si la France s’engageait la communauté internationale allait nous critiquer de façon très sévère. D’où réticence dans l’engagement et par conséquent liberté, je dirai presque conditionnelle pour aider Ojukwu clandestinement. Là je vais être plus clair, le feu vert n’est pas donné mais c’est un feu orange. Si les choses ne tournent pas bien nous sommes désavoués. C’est la règle du jeu. »

Colonel Maurice Robert, responsable Afrique du SDECE lors de la guerre du Biafra. Interview avec Joël Calmettes, extrait, Ibid.

« Pour la France, soutenir le Biafra, c’est s’opposer à l’ingérence des Soviétiques sur le continent et préserver ses intérêts pétroliers. »

Colonel Maurice Robert, responsable Afrique du SDECE durant la guerre du Biafra in « Ministre de l’Afrique » entretien avec André Renault, Ed. Seuil, p.181.

Dossier Biafra Afrik.com

Colonel Ojukwu.

« Un de mes plus grands regrets est de ne pas avoir pu remercier personnellement le général De Gaulle ».

Colonel Ojukwu, leader de la sécession biafraise à Joël Calmettes in « Conversation à propos de la guerre du Biafra ».

FRANCE CULTURE. Emission du 29.05.2003

Trente ans après, que reste-t-il du Biafra ? 30 mai 1967, une région sud-orientale du Nigéria peuplée majoritairement par la communauté des Ibos, le  »Biafra », conduit par le charismatique colonel Ojukwu, fait sécession et proclame son indépendance.

Le Nigéria dirigé par le général Yakubu Gowon, encercle la province du Biafra et à coups de bombardements puis de blocus alimentaire parvient à mater la sécession biafraise début janvier 1970, après 2 ans et demi de guerre civile.

En fait cette sécession biafraise fut soutenue en coulisse par de Gaulle et Foccart. La France pour ses intérêts va mener une guerre secrète au Nigéria. Il s’agissait d’affaiblir ce géant anglophone qui se tournait vers l’union soviétique. Pour Foccart, son Islam pro-soviétique menaçait de s’étendre aux pays voisins des ex-colonies françaises. D’autres part la province du Biafra était une région pétrolifère qui intéressait au plus haut point une France devenue dépendante en matière d’énergie depuis la perte de l’Algérie. Huit mois avant l’indépendance proclamée par le colonel Ojukwu, Foccart qui a le « feu orange » du général, envoie des armes pour la future armée du colonel Ojukwu.

Les spécialistes (Maurice Robert, Maurice Couve De Murville) ne donnent aucune chance à la sécession compte tenu du caractère miniscule de cette province et de son absence complète d’expérience en matière de guerre alors que le Nigéria est un géant puissamment armé et soutenu par l’Angleterre.

Pourtant Foccart avec le soutien implicite du général de Gaulle va soutenir logistiquement et militairement la sécession par l’intermédiaire des services secrets du SDECE et des mercenaires français.

Cette politique dirigée par la cellule africaine de l’Elysée va soutenir et encadrer une guerre vouée à la défaite. Par ce fait elle va prolonger l’agonie d’un peuple. Ce soutien logistique (notamment les livraisons d’armes) se fera sous couverture humanitaire avec la création des  »french doctors ». Il faudra attendre le départ du Général de Gaulle et l’arrivée de Georges Pompidou pour que ce soutien s’estompe face à l’avancée des troupes nigérianes.

Une politique françafricaine qui a généré de 1 à 2 millions de morts et préfigure à bien des égards certaines méthodes françaises appliquées au Rwanda en1994 (encadrement et formation d’une armée, livraisons d’armes, organisation de la propagande, instrumentalisation de l’humanitaire et des médias…).

L’amnésie et l’impunité menant à la reconduction.

 »Cinq ans avant la sécession biafraise, sans prévenir qui que soit, Foccart a pris ses dispositions au Nigéria au cas où. Près d’une dizaine d’agents du SDECE sont envoyés au Nigéria. » Joël Calmettes, Ibid.

« Dès 1963, l’Elysée avait détaché du SDECE le lieutenant-colonel Bichelot au cabinet présidentiel de Côte d’Ivoire pour aider le vieux Félix à suivre l’évolution politique au Nigéria. Quand Ojukwu, quatre ans plus tard, se lance dans l’aventure sécessionniste, Paris est prêt! »

Pierre Péan, Affaires Africaines, Ed. Fayard, p.72.

 »En juin 1966 des dizaines de milliers de chrétiens, des Ibos sont tués par des musulmans Aoussas dans le nord du Nigéria. Deux millions de Ibos affluent vers leur terre d’origine : le futur « Biafra ». Foccart comprend immédiatement que c’est là la carte à jouer pour affaiblir le Nigéria. Discrètement certains agents du SDECE encouragent la sécession mais Foccart va plus loin. Huit mois avant la proclamation de l’indépendance il avait envoyé des armes au Biafra. L’avion qui les transporte un DC 4 s’écrase au Cameroun, le 11 octobre 1966. L’information passe totalement inapperçu : la France ne risquait pas grand chose le pilote et l’avion étaient américains. »

Joël Calmettes , Ibid.

« La guerre civile opposant les tribus nigérianes entre elles, grâce à la sécession du Biafra, ne plonge pas tout le monde dans la consternation à Paris…Les commandos qui ont fait la « révolution » et, en provoquant la guerre civile, ont mis les Anglo-Saxons dans le pétrin, ont été entraînés et conseillés par des Européens qui ressemblent à s’y méprendre à des barbouzes français dépendant de Jacques Foccart, secrétaire général de la Communauté (sic) et à l’Elysée. Fortiche, non? »

Le Canard Enchaîné du 23 août 1967.

MANIPULATION DE L’OPINION PUBLIQUE : LA CREATION DU TERME  »GENOCIDE » PAR LES SERVICES. LA PROPAGANDE FRANCO-BIAFRAISE; comment les leaders sécessionnistes du Biafra affament leur propre peuple face au blocus Nigérian.

« Ce que tout le monde ne sait pas, c’est que le terme de « génocide » appliqué à cette affaire du Biafra a été lancé par les services. Nous voulions un mot choc pour sensibiliser l’opinion. Nous aurions pu retenir celui de massacre, ou d’écrasement, mais génocide nous a paru plus  »parlant ». Nous avons communiqué à la presse des renseignement précis sur les pertes biafraises et avons fait en sorte qu’elle reprenne rapidement l’expression  »génocide ». Le Monde a été le premier, les autres ont suivi. »

Colonel Maurice Robert, responsable du SDECE durant la guerre du Biafra in ‘Ministre de l’Afrique’, entretien avec André Renault, Ed. Seuil, p.180.

P.E Davies né en 1944, travaille pour la direction de la propagande Biafraise à Radio Biafra puis comme journaliste à Voice of Biafra. Extrait d’une interview avec Joël Calmettes in « Conversations à propos de la guerre du Biafra ».

« Je sais parfaitement que la direction de la propagande biafraise composée de professionnels, d’intellectuels et d’universitaires, avait étudié le système de propagande de Goebels, de la Chine et dans une certaine mesure de l’Union soviétique. Elle a du adapter ses propres systèmes à la situation particulière du Biafra. Car les systèmes allemands sous Hitler et Goebbels étaient méthodiques, et le sytèmes chinois et russe étaient idéologiques. Or le Biafra n’avait pas d’idéologie en tant que telle. Il fallait donc trouver une autre voie qui ne soit pas la méthode hitlérienne car cette propagande était dirigée contre un peuple. On a donc renversé les méthodes de propagande d’Hitler. »

« Et finalement la France nous a apporté une aide concrète en nous envoyant des armes. Ce qui nous a permis de nous battre un an et demi de plus…C’était la France qui payait notre agence de presse ‘Mark Press’. Mark Press est devenue l’unique agence chargée de diffuser à l’étranger les nouvelles du Biafra ».

P.E Davies travaillait pour la direction de la propagande Biafraise Extrait d’une interview avec Joël Calmettes in « Conversations à propos de la guerre du Biafra ».

« Le Biafra prive son propre peuple de ce qui est nécessaire à sa subsistance, dans l’espoir évidemment que le spectacle de ses souffrances va inciter les étrangers à imposer des restrictions politiques au Nigéria…La famine ne saurait devenir une arme de guerre acceptable du simple fait qu’elle est utilisée par un leadership aux abois contre sa propre population réduite à l’impuissance. »

Washington Post du 11.07.1969 cité par Pierre Péan, Ibid, p.81.

Exemple de propagande et de manipulation de l’opinion publique et des intellectuels français durant la guerre du Biafra: NOUVEL OBSERVATEUR 19.01.1970

Un médecin accuse…par Bernard Kouchner

Bernard Kouchner rentre du Biafra où il est allé comme médecin de la Croix-Rouge internationale.

Paddy Davies, membre de la direction de la Propagande (Biafra) (extrait du Doc Joël Calmettes : ‘Foccart s’en va-t-en guerre’):

 »La direction de la propagande s’est servie de la faim. Après avoir essayé le pogrom, le génocide, la libération de notre province… »

LES VENTES D’ARMES SOUS COUVERTURE HUMANITAIRE

Entretien avec Maurice Delaunay, ambassadeur de France au Gabon lors de la guerre du Biafra (doc de Joël Calmettes, Ibid) :

 »Moi j’étais un transitaire, un transitaire particulier mais un transitaire tout de même. J’étais le bras armé de l’aide française au Biafra puisque pratiquement toute l’aide française passait par Libreville : des mitrailleuses, des fusils-mitrailleurs, des fusils, des grenades, des bazookas, des petits canons également mais pas d’armes lourdes. Pas d’armes lourdes pourquoi? Parce que tout cela était transporté par avion. Et je dois vous dire que dans cette affaire je n’ai jamais eu affaire à mon ministre de tutelle mais je n’ai obéi et je n’ai agi qu’en fonction des instructions qui m’étaient données par l’Elysée. »

« Tous les moyens sont bons dans cette affaire. La Croix-Rouge et les Chevaliers de Malte, qui canalisent et acheminent officiellement vivres et médicaments au Biafra, ne regardent pas de trop près les lourdes caisses qui, manifestement, ne sont pas remplies de lait en poudre. Pour simplifier les choses, le colonel Merle, conseiller militaire de l’ambassade de France au Gabon, est aussi responsable de la Croix-Rouge »

Pierre Péan,Ibid.

 »Le 12 juin (1967), le conseil des ministres prononcera l’embargo sur les armes et la mise en place d’une aide humanitaire au profit du Biafra…aide humanitaire qui couvrira le trafic d’armes à destination des sécessionnistes. »

Colonel Maurice Robert, responsable Afrique du SDECE durant la guerre du Biafra, Ibid, p.181.

 »Armes et aide humanitaire transitaient essentiellement par Libreville et Abidjan, les premières profitant des ponts aériens organisés pour l’autre. Bongo avait été réticent au début mais, sous la double pression française et ivoirienne, il avait fini par accepter de soutenir la lutte biafraise »

Colonel Maurice Robert, Ibid,p.181.

LA CREATION DE BONGO : « UNE MARIONNETTE » AU SERVICE DE FOCCART

« La France ne reconnaît toujours pas la sécession. Pour Foccart c’est un échec mais en coulisse De Gaulle semble s’y préparer activement. Il charge Foccart de monter une vaste opération de transport d’armes vers le Biafra. Foccart choisit le Gabon comme base arrière. Il vient d’y faire élire président le jeune Albert Bongo qui ne peut rien lui refuser. » Joël Calmettes, Ibid.

Le lendemain déclaration du Président gabonais dont le correspondant de l’AFP rend compte de la façon suivante :

 »Le président Bongo a déclaré…M. Bongo a cependant ajouté que si l’unité du Nigéria se recréait, comme il le souhaite, il serait prêt… »

Moins de deux heures après que cette dépêche fut tombée sur les télex, l’AFP diffusait le rectificatif suivant :  »Prière supprimer : comme il le souhaite et lire la phrase :  »M. Bongo a cependant ajouté que, si l’unité du Nigéria se recréait, il serait prêt », etc..le reste sans changement ».

Ces trois lignes de rectificatif montrent à quel point le Président gabonais n’est alors qu’une marionnette dépendant des services de foccart. Il croît d’abord avoir le droit de dire que la sécession est terminée, qu’il souhaite personnellement l’unité du Nigéria ; Foccart, qui est à Libreville ce jour-là et qui l’a « briefé » le matin même avant qu’il ne s’adresse aux journalistes, a dû le rappeler à l’ordre et lui demander ce rectificatif. Toujours est il que Bongo corrige son « lapsus ».

Pierre Péan, Affaires Africaines, Ed. Fayard, p.82.

GRI-GRI INTERNATIONAL 15.12.09

12 novembre 1968, Bongo sort de l’Élysée et parle du Biafra

REFERENCES

Afrikara 2006 (Assassinats de coopérants)

1967-1970 : Comment la Francafrique fabriqua plus d’un million de morts au Biafra

Réseau Voltaire 1997

Quand la Françafrique foccartienne intervenait au Biafra (1967-70)…

Documentaire de Joël Calmettes. Histoires secrètes du Biafra.

Foccart s’en va-t-en guerre. France 3. 2001. 54 MIN 19 SEC

VIDÉO, COULEUR, V.O.F. E-mail : d.weitzel@pointdujour-prod.fr

Documentaire de Joël Calmettes. Conversations à propos de la guerre du Biafra. Diffusé sur la chaîne Histoire en 2004.

Maurice Robert. Ministre de l’Afrique: Entretiens avec André Renault (2004)

Pierre Péan. Affaires africaines de Pierre Péan . Ed. Fayard.

1983.

Voir aussi:

Génocide: la France n’a pas de leçon à donner à la Turquie

Ivan Rioufol

Le Figaro

21 décembre 2011

C’est pour un mauvais prétexte que la France semble vouloir se fâcher avec la Turquie. S’il s’agit de lui refuser l’entrée en Europe, autant le lui dire clairement et tout de suite. Mais le contentieux qui risque de s’ouvrir à l’occasion de l’examen, demain à l’Assemblée nationale, d’une proposition de loi visant à réprimer pénalement (un an de prison, 45.000 euros d’amende) la négation des génocides reconnus, dont le génocide arménien commis par les Turcs en 1915, manque d’arguments sérieux. Il est certes détestable de voir la Turquie refuser ne serait-ce que d’admettre la réalité de l’épuration ethnique et religieuse qu’elle a menée contre plus d’un million d’Arméniens : ce déni devrait être un argument suffisant pour lui refuser de rejoindre l’Union européenne. Cependant, ce n’est pas au parlement de faire l’histoire. Mon opposition constante à la loi Gayssot sanctionnant le négationnisme dans la contestation de la Shoah est identique pour cette autre loi mémorielle qui revient, une fois de plus, à limiter la liberté d’expression et à pénaliser un délit d’opinion.

Mais il y a surtout, dans l’attitude morale de la France, une énorme hypocrisie. Car l’Etat français se comporte en fait comme l’Etat turc, en refusant de reconnaître et en contestant même la réalité du génocide vendéen de 1793. La proposition de loi du député des Alpes maritimes, Lionel Luca, invitant la République « à reconnaître le génocide vendéen de 1793-1794 », déposée en 2007, n’a jamais été examinée. Or, comme le rappelle l’historien Reynald Secher, qui a trouvé aux Archives nationales les éléments établissant le génocide (1) : « La France est le premier pays à avoir conçu, organisé et planifié l’anéantissement et l’extermination d’une partie d’elle-même au nom de l’idéologie de l’homme nouveau. Elle est aussi le premier pays à avoir conçu et mis en place un mémoricide dans le but d’occulter ce crime contre l’humanité. En ce sens, la France est un double laboratoire et un modèle pour les régimes génocidaires (…) ».

Non, la France n’a pas de leçon à donner aux Turcs. Si Michelet, père de l’histoire officielle de la Révolution française, a beaucoup contribué à nier le génocide vendéen, les travaux de Secher apportent les preuves écrites et incontestables d’une « extermination partielle ou totale d’un groupe humain de type ethnique, ou racial, ou politique, ou religieux », pour reprendre la définition du génocide. La Révolution s’était donnée pour objectif, après la guerre civile de mars à août 1793, de rayer de la carte la Vendée et ses plus de 800.000 habitants, en répondant aux ordres de la Convention et plus particulièrement du Comité de salut public où siégeaient Robespierre, Carnot, Barère. C’est d’une manière scientifique, centralisée, planifiée que furent menés par l’armée les incendies de villages et les massacres de masse n’épargnant ni les femmes ni les enfants. A Nantes, les victimes liées entre elles étaient noyées dans la Loire. Or, non seulement la République n’a jamais reconnu ces crimes, mais elle a réussi à faire passer les victimes pour des coupables. S’il y a une injustice à réparer, c’est bien celle des ces milliers de Vendéens assassinés par la Terreur.

(1) Reynald Secher, Vendée du génocide au mémoricide , Editions du Cerf (préface de Gilles-William Goldnadel, postfaces de Hélène Piralian et de Stéphane Courtois)


Noël/2011e: Non, Coca Cola n’a pas inventé le Père Noël (When in doubt, blame Coca Cola)

25 décembre, 2011
 Laissez venir à moi les petits enfants, et ne les en empêchez pas; car le royaume de Dieu est pour ceux qui leur ressemblent.  Jésus (Luc 18:16)
Je vous le dis en vérité, toutes les fois que vous avez fait ces choses à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous les avez faites. Jésus (Mathieu 25 : 40)
Une légende russe raconte qu’il existe un 4e Roi mage, qui conduit sur la steppe un traineau tiré par des rennes et rempli de cadeaux pour les enfants. Depuis 2000 ans il a renoncé à trouver l’enfant Jésus, alors il comble de cadeaux les enfants qu’il rencontre en cours de route. Joyeux Noël
Notre monde est de plus en plus imprégné par cette vérité évangélique de l’innocence des victimes. L’attention qu’on porte aux victimes a commencé au Moyen Age, avec l’invention de l’hôpital. L’Hôtel-Dieu, comme on disait, accueillait toutes les victimes, indépendamment de leur origine. Les sociétés primitives n’étaient pas inhumaines, mais elles n’avaient d’attention que pour leurs membres. Le monde moderne a inventé la “victime inconnue”, comme on dirait aujourd’hui le “soldat inconnu”. Le christianisme peut maintenant continuer à s’étendre même sans la loi, car ses grandes percées intellectuelles et morales, notre souci des victimes et notre attention à ne pas nous fabriquer de boucs émissaires, ont fait de nous des chrétiens qui s’ignorent. René Girard
Petits enfants qui dormez là, Je suis le grand Saint Nicolas. Le grand saint étendit trois doigts, Les trois enfants ressuscitèrentJoseph Guix (XIIIe?)
Old Santeclaus with much delight His reindeer drives this frosty night. O’er chimney tops, and tracks of snow,To bring his yearly gifts to you… (…) He was dress’d all in fur, from his head to his foot, And his clothes were all tarnish’d with ashes and soot ; A bundle of toys was flung on his back, And he look’d like a peddler just opening his pack His eyes–how they twinkled! his dimples how merry, His cheeks were like roses, his nose like a cherry ; His droll little mouth was drawn up like a bow. And the beard of his chin was as white as the snow ; The stump of a pipe he held tight in his teeth, And the smoke it encircled his head like a wreath. He had a broad face, and a little round belly That shook when he laugh’d, like a bowl full of jelly: He was chubby and plump, a right jolly old elf … William Gilley (1821)
‘Twas the night before Christmas, when all thro’ the house, Not a creature was stirring, not even a mouse; The stockings were hung by the chimney with care, In hopes that St. Nicholas soon would be there … Henry Livingston (1823)
The sterling old Dutchman, Santa Claus, has just arrived from the renowned regions of the Manhattoes, with his usual budget of knickknacks for the Christmas times. Journal de Cincinnati (1844)
Ce que je n’ ai pas oublié, c’ est la croyance absolue que j’ avais à la descente par le tuyau de la cheminée du petit père noël, bon vieillard à barbe blanche, qui, à l’ heure de minuit, devait venir déposer dans mon petit soulier un cadeau que j’ y trouvais à mon réveil. Minuit ! Cette heure fantastique que les enfants ne connaissent pas et qu’ on leur montre comme le terme impossible de leur veillée ! Quels efforts incroyables je faisais pour ne pas m’ endormir avant l’apparition du petit vieux ! J’ avais à la fois grande envie et grand’ peur de le voir : mais jamais je ne pouvais me tenir éveillée jusque-là, et le lendemain, mon premier regard était pour mon soulier, au bord de l’âtre. Quelle émotion me causait l’enveloppe de papier blanc, car le père noël était d’ une propreté extrême, et ne manquait jamais d’ empaqueter soigneusement son offrande. Je courais pieds nus m’ emparer de mon trésor. Ce n’ était jamais un don bien magnifique car nous n’ étions pas riches. C’était un petit gâteau, une orange, ou tout simplement une belle pomme rouge. Mais cela me semblait si précieux que j’ osais à peine le manger. L’imagination jouait encore là son rôle, et c’ est toute la vie de l’ enfant. Je n’ approuve pas du tout Rousseau de vouloir supprimer le merveilleux, sous prétexte de mensonge. La raison et l’ incrédulité viennent bien assez vite d’ elles-mêmes. Je me rappelle fort bien la première année où le doute m’ est venu sur l’ existence réelle du père noël. J’ avais cinq ou six ans, et il me sembla que ce devait être ma mère qui mettait le gâteau dans mon soulier. Aussi me parut-il moins beau et moins bon que les autres fois, et j’ éprouvais une sorte de regret de ne pouvoir plus croire au petit homme à barbe blanche. J’ ai vu mon fils y croire plus longtemps ; les garçons sont plus simples que les petites filles. Comme moi, il faisait de grands efforts pour veiller jusqu’ à minuit. Comme moi, il n’y réussissait pas, et comme moi, il trouvait, au jour, le gâteau merveilleusement pétri dans les cuisines du paradis ; mais, pour lui aussi, la première année où il douta fut la dernière de la visite du bonhomme. Il faut servir aux enfants les mets qui conviennent à leur âge et ne rien devancer. Tant qu’ ils ont besoin du merveilleux, il faut leur en donner. Quand ils commencent à s’ en dégoûter, il faut bien se garder de prolonger l’ erreur et d’ entraver le progrès naturel de leur raison. George Sand (Histoire de ma vie, 1856)
Dans nos villes et dans nos campagnes, c’est l’usage de faire déposer aux enfants un soulier ou un sabot auprès de l’âtre, afin d’y recueillir le lendemain le joujou où le bonbon que le bonhomme Noël y apportera dans la nuit. Dictionnaire de la conversation (1875)
C’est le 1er janvier; deux enfants, deux petites filles appartenant aux classes extrèmes de la société, se trouvent en présence. L’une est comblée de joujoux et sort d’un luxueux et confortable coupé; elle a sa mère; l’autre est abandonnée sur le pavé boueux, et repait ses yeux, ses yeux seulement, hélas! des jouets qui passent. Mais ce qui fait le lien entre ces deux êtres, c’est la charité de l’enfant riche, présentant ses mains pleines à l’enfant pauvre, en lui disant: Choisis! Monde Illustré
The jolly old St. Nick that we know from countless images did not come from Macy’s department store, neither did he originate in the imaginations of Moore and Nast not did it come  from West European folklore. He came from the yearly advertisements of the Coca-Cola Company. (…) He wears the corporate colors — the famous red and white — for a reason: he is working out of Atlanta not out of the North Pole. James Twitchell (1996)
Saint Nicolas a été importé aux Etats-Unis au XVIIe siècle par les immigrés allemands ou hollandais où il aurait pris une l’ampleur commerciale que nous connaissons actuellement, subit des transformations vestimentaires et culturelles pour se transformer en un Père Noël plus convivial et serait ensuite revenu en Europe. Pour les Américains, Saint Nicolas est Sinter Klaas qui devint Santa Claus. En 1821 : un pasteur américain, Clément Clarke Moore écrivit un conte de NOËL pour ses enfants dans lequel un personnage sympathique apparaît, le Père Noël, dans son traîneau tiré par huit rennes. Il le fit dodu, jovial et souriant. Il remplaça la mitre du Saint Nicolas par un bonnet, sa crosse par un sucre d’orge et le débarrassa du Père Fouettard. L’âne fut remplacé par 8 rennes fringuants. Mais c’est à la presse américaine que revient le mérite d’avoir réuni en un seul et même être les diverses personnifications dispensatrices de cadeaux. 1823 : L’événement qui contribua certainement le plus à l’unification de ces personnages fut sans aucun doute la publication du fameux poème de Clement Clarke Moore. Intitulé « A Visit From St. Nicholas », ce poème fut publié pour la première fois dans le journal Sentinel, de New York, le 23 décembre 1823. Repris les années suivantes par plusieurs grands quotidiens américains, ce récit fut ensuite traduit en plusieurs langues et diffusé dans le monde entier. En 1860, Thomas Nast, illustrateur et caricaturiste au journal new-yorkais Harper’s Illustrated Weekly, revêt Santa-Claus d’un costume rouge, garni de fourrure blanche et rehaussé d’un large ceinturon de cuir. En 1885, Nast établissait la résidence officielle du père Noël au pôle Nord au moyen d’un dessin illustrant deux enfants regardant, sur une carte de monde, le tracé de son parcours depuis le pôle Nord jusqu’aux États-Unis. L’année suivante, l’écrivain américain George P. Webster reprenait cette idée et précisait que sa manufacture de jouets et « sa demeure, pendant les longs mois d’été, est cachée dans la glace et la neige du pôle Nord ». C’est en 1931, que le père Noël prit finalement une toute nouvelle allure dans une image publicitaire, diffusée par la compagnie Coca-Cola. Joyeux Noël
Les grands enfants n’en ont pas fini avec le Père Noël. Même s’ils ne croient plus en son existence, celui-ci fait encore l’objet d’une idée reçue, celle selon laquelle il serait la création d’une grande firme américaine de cola. Telle n’est pourtant pas la généalogie de celui qu’ils appellent Outre-Atlantique Santa Claus. Le père du Père Noël n’est autre qu’un émigré des pays protestants de l’Europe célébré le 6 décembre, le canonisé Saint-Nicolas, en néerlandais Sinterklaas, de son vrai nom Nicolas de Myre, évêque de son état. Nul besoin d’aller chercher plus loin une consonance familière avec le « Santa Claus » des petits Américains. L’image du Père Noël a également suivi celle de sa dénomination. Longue barbe blanche, vêtu d’un long manteau et coiffé de sa mitre, le St Nicolas s’est mis à prendre du poids au 19° siècle, a troqué la mitre pour un bonnet, sa crosse pour un sucre d’orge et se débarrassa du Père Fouettard, ceci sous l’œil bienveillant d’un pasteur, auteur de contes de Noël, Clément C. Moore. Mais il doit le tournant de sa carrière à un illustrateur du journal new-yorkais Harper’s Illustrated Weekly, Thomas Nast. Celui-ci, en 1860, l’habilla de son manteau dans lequel il se sent bien au chaud puisqu’il l’a gardé jusqu’à ce jour. Ce n’est ensuite qu’en 1931 que le Père Noël devient ambassadeur de la société Coca-Cola, notamment parce que son costume était aux couleurs de la marque. L’hiver étant une période moins propice à la consommation de la célèbre boisson gazeuse, quoi de mieux qu’un symbole mondialement connu et immédiatement reconnu ? Tatoufaux
Il est fréquent en ces périodes de fêtes d’entendre que le Père Noël, sous sa forme actuelle, a été inventé par Coca Cola qui l’aurait habillé aux couleurs de la marque dans les années 30. Dans deux articles parus il y’a un an le blog La boîte à images démontrait que le Père Noël avait commencé à prendre sa forme actuelle dès 1863, soit plus de 60 ans avant les pubs de Coca Cola, dessiné par un illustrateur américain, Thomas Nast. Il n’est pas prouvé qu’il lui ait donné ses couleurs (rouge et blanc) même si certains l’affirment, cependant on trouve des cartes postales dès 1886 représentant ce Père Noël en rouge et blanc ainsi que pas mal de pubs dès 1902 (Les illustrations de Nast en couleur dans ce lien auraient par contre peut-être été colorisées ultérieurement). Et récemment on apprenait qu’une autre marque de boissons américaine, White Rock, à utilisé dès 1915 (et dès 1923 en couleurs) cette image du Père Noël pour ses pubs. Donc Coca Cola a certainement contribué à propager cette image par ses nombreuses campagnes de pub mais en aucun cas ne l’a inventée, donc non, en fêtant Noël on ne fête pas Coca Cola. Junk food
A l’origine, Saint-Nicolas n’était pas forcement représenté en vert comme on l’entend un peu partout. On pouvait en effet rencontrer, selon les pays, des illustrations où le Saint-Patron des enfants (des étudiants, des enseignants, des marins, des vitriers…) était représenté avec un costume noir de suie, vert, rouge, et même bleu en Russie. Inspiré des poèmes de Clément Clarke Moore, pasteur de son état et auteur de divers contes pour enfants, Thomas Nast illustra le Père Noël sous la forme d’un bonhomme bedonnant, vêtu de fourrure et fumant la pipe dans le journal ‘Harper’s Weekly’ dès le 3 janvier 1863. Ce n’est qu’à partir de 1885 qu’un artiste nommé Louis Prang (qui inventa la première « Christmas Card » en 1875) représenta le Père Noël tel qu’on le connaît. Suchablog
En fait, Coca-Cola est sérieusement en manque de souffle à cette époque et se cherche une icône aux couleurs de la marque pour redynamiser les ventes. Il se trouve que depuis 1866, ce bon vieux Père Noël fait un véritable carton en publicité (notamment chez Michelin et Colgate)… tout de rouge vêtu depuis qu’un illustrateur et caricaturiste du journal new-yorkais Harper’s Illustrated Weeklyde, Thomas Nast, l’a ainsi relooké en 1860 ! Ce n’est qu’en 1931 que Coca-Cola offre à Haddon Sundblom l’opportunité de créer son porte-drapeau : un Santa Claus (Père Noël américain) à « l’air jovial et l’attitude débonnaire ». La résonance extraordinaire que put avoir cette campagne publicitaire fît que l’image moderne du bonhomme rouge dans notre culture s’en trouva transformée. La firme n’a donc pas « réinventé » le Père Noël, ni même changé la couleur de ses vêtements. Elle a par contre grandement participé à la vision que l’on se fait du personnage aujourd’hui dans le monde occidental. Voila pourquoi circule l’idée reçue que le Père Noël était vert avant que Coca-Cola ne le relooke pour ses besoins publicitaires. (…) La société Coca-Cola est devenue un des symboles de l’Amérique et pour qui souhaite critiquer le système, pourquoi ne pas utiliser une démarche imagée que tout le monde peut comprendre ? Et c’est ainsi que pour illustrer leur point de vue, d’aucuns estiment pouvoir faire feu de tout bois pour servir leur cause quitte à s’accommoder avec la réalité. Comme toute multinationale dominante, la compagnie est en proie aux critiques et victime d’un nombre incalculable de rumeurs, à tel point qu’est apparu récemment outre-Atlantique le terme Cokelore : un concentré de rumeurs, légendes et affabulations autour de la marque. Mais la multinationale en pâtit-elle vraiment ? Certainement pas, sa domination est incontestable dans le secteur des sodas et il est probable que le résultat de toutes ces attaques ne fait que renforcer sa position de dominant du marché. Grâce à ces rumeurs infondées, elle peut communiquer à loisir sur sa marque. La légende urbaine du Père Noël Coca-Cola est encore plus profitable puisqu’elle lui permet de ressortir ses anciennes campagnes et ainsi d’exploiter son patrimoine historique (les marques adorent étaler leurs vieilles affiches…). Hoaxbuster
Les démystifications du père Noël se multiplient, mais depuis l’an 2000, elles se muent parfois en remystifications! Les moins graves disent que le mot « Santa Claus » a été inventé par Washington Irving en 1809, alors que l’expression semble être apparue entre 1821 et 1844. Plus grave, il se dit que le Père Noël est apparu en France en 1945, apporté par les Américains pour remplacer Saint Nicolas. Pire, la rumeur court que la représentation moderne du père Noël, avec ses vètements rouges, est une invention de Coca Cola! C’est tout juste si on n’accuse pas Coca Cola d’avoir inventé Santa Claus. Oncle Dom

Attention: un mythe peut en cacher un autre!

Joseph Guix (XIIIe), George Sand (1807),  Washington Irving (1809), Thomas Nast (1863), George P. Walker (1870), Louis Prang (1875), Star soap (1890), Lyman Frank Baum (1902),  Oldsmobile (1905),  Norman Rockwell (1913), Saturday Evening Post (1918), Michelin (1919), Colgate (1920), White rock (1923) …

En ce nouvel anniversaire (probablement 2015e du fait des erreurs de calcul et sans doute  pas en décembre) de Celui qui a donné à notre ère de « chrétiens qui s’ignorent » non seulement son nom mais son si caractéristique souci des plus petits

Et 60 ans après la mémorable autodafé de Dijon

Petite remise des pendules à l’heure avec le site Hoaxbuster et le magistral travail de compilation du site Oncle Dom (sans compter les illustrations)

Montrant la longue évolution, de l’anniversaire de la mort du généreux évèque et légendaire protecteur des enfants d’Asie mineure (Saint Nicolas de Myre, actuelle Turquie) du 4e siècle après Jésus-Christ  à la fête du « cambrioleur à l’envers »  que nous connaissons aujourd’hui …

Via notamment les traditions nord-européennes et hollandaises (Sinterklaas) avant sa transplantation américaine par les colons hollandais de la Nouvelle Amsterdam (et future Nouvelle York) puis au reste du monde.

Comme la longue marche, notamment publicitaire (habit rouge compris), de la figure du Père Noël avant sa providentielle reprise, en ce premier hiver – saison creuse s’il en est pour les boissons rafraichissantes – de la Grande Dépression des années 30, par une boisson dont le nom doublement sulfureux la cantonnait jusque là dans les pharmacies …

Mais surtout comment nos enfants à qui on ne la fait plus n’ont en fait avec l’aide de médias peu regardants et l’antiaméricanisme ambiant…

Remplacé, preuve ultime de la redoutable efficacité des publicitaires de la célèbre firme d’Atlanta,.. qu’un mythe par un autre!

Coca et le Père Noël

Nico

Hoaxbuster

Type : Légende urbaine

En circulation depuis: Décembre 2002

Statut:Faux

Carton rouge et blanc !

Si le Père Noël est rouge et blanc c’est parce que Coca-Cola l’a habillé à ses couleurs dans une pub. En vrai… il est vert !

Le sujet est de circonstance et comme à l’accoutumée, le message refait son apparition en cette saison propice aux cyber-marronniers hivernaux. Même le très sérieux LeMonde.fr le dit dans son édition du 15 décembre « Le Père Noël est américain. On le sait depuis que Washington Irving a créé le personnage, en 1809, et que Coca-Cola lui a donné sa houppelande rouge et son air débonnaire, plus d’un siècle plus tard. » (passage modifié depuis la publication de notre article).

Alors Coca-Cola est-il responsable du changement de costume du Père Noël ou avons-nous affaire à un effet cigogne ?

Une idée très répandue

Il n’est pas rare lors d’un repas entre amis d’assister à ce type de scène : une convive pensant avoir l’esprit plus aguerri que les autres apostrophe l’assemblée avec un postulat :

– « Saviez-vous que c’est depuis une pub Coca-Cola que le Père Noël est habillé en rouge ? Avant, il portait des habits verts. »

Le locuteur avance cet exemple concret pour développer sa vision du monde et assoir sa théorie :

– « Nous sommes victimes de l’américanisation des esprits ! Tout est merchandising, maintenant. »

Chacun qualifiera cette pensée de lui-même, qu’elle soit fondée ou non.

Il est de bon ton en société de laisser la rumeur se répandre pour concentrer toutes les attentions mais ce qui nous intéresse, c’est comment la personne biaise son raisonnement avec une hypothèse douteuse.

Quels sont les faits ?

En effet, que savons-nous qui ne soit formellement avéré ?

•Le Père Noël a bien été mis en scène dans une publicité mondiale pour Coca-Cola pendant l’entre-deux-guerres.

•A une autre époque, le Père Noël portait des habits verts (mais aussi blancs et parfois bleus comme en Russie).

De là à en déduire que notre bonhomme a revu sa garde-robe lors de la campagne marketing de Coca-Cola en 1931, il y a un énorme pas à franchir. Selon les spécialistes, ce serait même l’inverse qui se serait produit.

Mise en contexte

En fait, Coca-Cola est sérieusement en manque de souffle à cette époque et se cherche une icône aux couleurs de la marque pour redynamiser les ventes. Il se trouve que depuis 1866, ce bon vieux Père Noël fait un véritable carton en publicité (notamment chez Michelin et Colgate)… tout de rouge vêtu depuis qu’un illustrateur et caricaturiste du journal new-yorkais Harper’s Illustrated Weeklyde, Thomas Nast, l’a ainsi relooké en 1860 !

Ce n’est qu’en 1931 que Coca-Cola offre à Haddon Sundblom l’opportunité de créer son porte-drapeau : un Santa Claus (Père Noël américain) à « l’air jovial et l’attitude débonnaire ». La résonnance extraordinaire que put avoir cette campagne publicitaire fît que l’image moderne du bonhomme rouge dans notre culture s’en trouva transformée.

La firme n’a donc pas « réinventé » le Père Noël, ni même changé la couleur de ses vêtements. Elle a par contre grandement participé à la vision que l’on se fait du personnage aujourd’hui dans le monde occidental.

Voila pourquoi circule l’idée reçue que le Père Noël était vert avant que Coca-Cola ne le relooke pour ses besoins publicitaires.

Le phénomène du « Cokelore »

La société Coca-Cola est devenue un des symboles de l’Amérique et pour qui souhaite critiquer le système, pourquoi ne pas utiliser une démarche imagée que tout le monde peut comprendre ? Et c’est ainsi que pour illustrer leur point de vue, d’aucuns estiment pouvoir faire feu de tout bois pour servir leur cause quitte à s’accommoder avec la réalité.

Comme toute multinationale dominante, la compagnie est en proie aux critiques et victime d’un nombre incalculable de rumeurs, à tel point qu’est apparu récemment outre-Atlantique le terme Cokelore : un concentré de rumeurs, légendes et affabulations autour de la marque.

Mais la multinationale en pâtit-elle vraiment ?

Certainement pas, sa domination est incontestable dans le secteur des sodas et il est probable que le résultat de toutes ces attaques ne fait que renforcer sa position de dominant du marché. Grâce à ces rumeurs infondées, elle peut communiquer à loisir sur sa marque. La légende urbaine du Père Noël Coca-Cola est encore plus profitable puisqu’elle lui permet de ressortir ses anciennes campagnes et ainsi d’exploiter son patrimoine historique (les marques adorent étaler leurs vieilles affiches…).

Mais au fait, le Père Noël existe-t-il ?

Vaste question, qui a nécessité que nous fassions le tour des sites scientifiques chevronnés. C’est celui de la Zététique qui a attiré toute notre attention et leur démarche intellectuelle nous a convaincu. Petit résumé de leurs conclusions :

•Le Père Noël a pour objectif de livrer près de 1000 domiciles par seconde. Pour remplir sa mission, il doit donc atteindre des vitesses de 3000 km par seconde.

•Et si le Père Noël a jamais existé, en se déplaçant à cette allure, nous sommes au regret de vous annoncer qu’il a été pulvérisé !

D’après l’enquête zététique sur le Père Noël par Richard Monvoisin qui vient de lancer un site plein de promesses, CorteX : Esprit critique et sciences.

Il ne manque rien ?

Ah si, l’effet cigogne, lui-même décrit dans un article du fameux CorteX… C’est un sophisme qui consiste à prétendre que si deux événements sont corrélés alors il y a un lien de cause à effet entre les deux.

En ce qui concerne le Père Noël et ses habits rouge, il peut être résumé par : « Avant le Père Noël était vert, Coca-Cola a fait une pub avec un Père Noël rouge, donc Coca-Cola a changé la couleur du Père-Noël ! »

Et ainsi, la boucle est bouclée ! Lorsqu’on vous sort sur un ton péremptoire qu’il est de notoriété publique que le Père Noël est rouge parce que Coca-Cola l’a relooké à son image… Vous pouvez désormais sans rougir prendre la parole et affirmer haut et fort que les faits démontrent que cette légende urbaine est infondée [Thomas Nast – 1860 vs Coca Cola – 1931] et que Coca-Cola n’a fait que populariser mondialement l’image du bonhomme rouge parce que les couleurs qu’il arborait correspondaient aux siennes !

Sources :

– Tatoufaux

– Culture.gouv.fr

– Wikipedia

– Snopes

– Suchablog

– Joyeux Noël

Voir aussi:

Histoire du Père Noël

(Chronologie de l’élaboration du mythe du Père Noël)

Nicolas de Myre, ancêtre du Père Noël

vers 270, à Patara, en Lycie (Asie mineure)

Naissance de Nicolas, fils d’Euphémius, et d’Anne, soeur de l’archevèque de Myre

Pieux et vertueux, il perd ses parents assez jeune, dans une épidémie de peste, mais hérite de leur fortune

Généreux comme son père, il aurait, offert de quoi doter une de ses filles à un noble ruiné de la ville. cela lui vaudra une réputation de générosité qui ne le quittera plus.

La légende dit qu’il apprit que ce noble envisageait de livrer ses trois filles à la prostitution, et que nuitamment, trois fois de suite, Nicolas lança chez lui, une bourse pleine d’or, par une fenètre ouverte. Cette légende auraient été à l’origine des trois sacs d’or qui auraient ensuite figuré sur les enseignes des préteurs sur gages

La piété de Nicolas incita son oncle, l’archevèque à l’ordonner prètre. On dit qu’il le nomma supérieur du monastère de Sainte-Sion, et même qu’il lui laissa la charge de son diocèse, pendant qu’il allait en terre sainte.

A la mort de l’évèque de Myre, Nicolas fut nommé évèque

en l’an 303, l’empereur Dioclétien entreprit de lutter contre le christianisme, et Nicolas fut emprisonné

Dès 311, à l’initiative de l’empereur Galère, puis de l’empereur Constantin, la liberté de culte fut rendue aux chrétiens, et Nicolas put revenir exercer ses fonctions à Myre, où il lutta contre l’idolatrie, encore vivace

Il dut aussi lutter contre la famine qui sévissait à l’époque, ce qui génèrera d’autres légendes

Une chronique affirme qu’en 325, Nicolas aurait participé au premier concile oecuménique, à Nicée. Mais son nom ne figure pas sur la liste officielle des participants

On fixe officiellement la mort de Nicolas au 6 décembre 343

« Saint » Nicolas ne fut jamais canonisé. Il fait partie des saints dont l’Eglise tolère le culte, parce le peuple les vénère ainsi depuis des siècles, mais dont certains n’ont jamais existé

Mais Saint Nicolas était devenu tellement populaire, qu’on l’invoquait en de nombreuses occasions, ce qui permit de lui attribuer de nombreux miracles:

Devenus légendaires, ces miracles susciteront en se racontant d’autres légendes de miracles. C’est ainsi que plusieurs miracles de Saint Nicolas semblent inspirés de la légende des trois officiers de Constantin:

Une révolte ayant éclaté en Phrygie, l’empereur Constantin y envoya trois officiers de son armée pour remettre de l’ordre.

Parvenus en Phrygie. Ils rétablirent l’ordre et revinrent devant l’empereur. Mais entretemps, des courtisans jaloux avait corrompu le préfet impérial pour qu’il les accuse et l’empereur les fit condamner à mort. Les officiers implorèrent Saint Nicolas, et celui ici apparut en rêve à l’empereur et au préfet et les convainquit de les relâcher. Le lendemain, ils furent graciés par l’empereur.

Comme les bénéficiaires des miracles de Saint Nicolas vont souvent par trois, on peut se demander s’il ne s’agit pas de la transformation progressive d’une même légende

Saint Nicolas ressuscite les enfants, sauve les marins, protège les innocents mal jugés. Chaque miracle lui vaudra un patronage: Il sera donc le patron des enfants, des marins, etc…

On peut même remarquer qu’à coté des miracles de Saint Nicolas, ceux du Christ lui même font pale figure

Les miracles du Christ                                                                                  Les miracles de St Nicolas

Le Christ guérit, un malade, un aveugle, un paralytique…                  A Alexandrie, St Nicolas guérit tout un groupe de malades

Le Christ multiplie les pains, suffisamment pour toute une foule    St Nicolas multiplie les sacs de grain, suffisamment pour toute une ville pendant deux ans

Le Christ calme la tempête                                                                         St Nicolas avertit de la future tempête, calme la tempête, et répète ce miracle plusieurs fois

Le Christ ressuscite Lazare, mort depuis 2 jours                                     St Nicolas ressuscite 3 enfants, coupés en morceaux depuis 7 ans

La légende de Saint Nicolas

Xème siècle

Le culte de St Nicolas est introduit en Allemagne, par Théophano, nièce de l’empereur byzantin Jean Ier Tzimiskès, et femme de l’empereur d’Allemagne, Otton II

Son fils, Otton III, fonda, près d’Aix-la-Chapelle, Saint-Nicolas-de-Burtscheid

XIème siècle

Comme certains personnages entrés dans la légende, tels Gengis Khan ou Christophe Colomb, St Nicolas est enterré en deux endroits différents: A Demré (autrefois Myre) et à Bari, ou en 1087, des marins auraient emporté ses ossements

De Plus, vers 1098, Albert de Varangéville aurait ramené l’un de ses doigts (où même toute sa main droite), de Bari, à St Nicolas de Port, ou l’on édifia une chapelle, puis une église, puis au XVème siècle, une basilique, en même temps que Saint Nicolas devenait le patron de la Lorraine. Des pélerinages eurent lieu et des miracles se produisirent

On comprend qu’avec deux tombeaux, plus un reliquaire, Saint Nicolas peut bien être affublé d’une légende de première grandeur à St Nicolas de Port

XIIème siècle

Le trouvère Wace, dans LI LIVRES DE SAINT NICHOLAY, raconte l’histoire de trois écoliers ressuscités

Treis clercs alouent escole , n’en frei une longe parole

Li ostes par nuit les occist , les cors musçat, le aver prist.

Seint Nicholas par Deu le solt , s’emprès fu la si cum Deu plout.

Les clercs à l’oste demandat , nel pout celé qu’il les mustrat;

Seint Nicholas par sa preere , mist les almes enz el cors arere

Por ceo que al clercs fit cel honur , funt li clercs la feste à son jur,

de ben lire et ben chanter et des miracles réciter.

Certains supposent qu’il s’agirait d’une mésinterprétation d’une image montrant les trois officiers de Constantin implorant le saint, que la perspective aurait fait ressembler à trois enfants

D’autres avancent l’hypothèse d’une image de trois marins, dans une nef

Il est probable que dans cette légende, il existe un (ou plusieurs) « chainon manquant »

XIIIème siècle

Dans un sermon attribué à saint Bonaventure, deux écoliers nobles et riches, faisant route vers Athènes, s’arrêtent à la ville de Myre. L’hôte qui les héberge, après les avoir occis dans leur sommeil, « les taille en morceaux comme viande de porc et met leurs chairs au saloir ». Saint Nicolas, averti par un ange, vient les ressusciter.

Un vitrail de la cathédrale de Bourges, montre une scène du même genre: A gauche, poussé par sa femme, un homme s’apprète à tailler trois jouvenceaux en pièces. A droite Saint Nicolas les ressuscite

Ces différentes versions vont aboutir à la légende chantée des trois petits enfants, qui s’en allaient glaner aux champs. Une légende qui imposera définitivement Saint Nicolas comme protecteur des enfants

Les temps modernes inventent les cadeaux aux enfants

Il est bien difficile de connaitre les anciennes coutumes vis à vis des enfants, puisqu’elles n’étaient ni codifiées, ni même écrites. On sait cependant que lors des processions profanes qu’étaient les cortéges, mascarades et autres charivari, c’étaient les participants qui quémandaient des offrandes

Vers le XVIème siècle, la tendance va s’inverser, en même temps qu’on va s’intéresser davantage à l’éducation des enfants, en leur octroyant lors des fêtes, récompenses ou punitions

Les cadeaux, comme le reste, sont distribués par des entités merveilleuses, chrétiennes ou païennes, variant selon le pays et la fète.

Dans le cadre de la Tradition Chrétienne, ce sont des saints très populaires pour leur générosité légendaire, comme Saint Martin ou Saint Nicolas, qui vont s’en charger

Dans le tradition païenne, ce seront des fées ou des lutins.

1535

La réforme a balayé l’Europe. Martin Luther veut lutter contre le culte des saints, trop proche de l’idolatrie. Il abolit la fète de Saint Nicolas, avec sa distribution de cadeaux. Désormais, ce sera l’enfant Jésus qui distribuera les cadeaux le jour de Noël. Et tant pis si un nouveau né, tout juste capable de vagir dans sa crèche, ne peut pas apporter de cadeaux. On le vieillira d’une dizaine d’années pour en faire le Christkind, vétu comme un ange. Cette réforme va susciter plusieurs formes de résistance

En Allemagne, on réintroduira, plus tard, Saint Nicolas, en le désanctifiant. Ce sera Pelznickel, vétu de fourrure, ou Ascheklas, au vétement couleur de cendre, qui distribue selon les cas jouets ou coups de martinet.

Aux Pays Bas, si les hollandais se convertissent en majorité au protestantisme, ils refusent d’abandonner leur bon St Nicolas, alias Sinterklaas. Encore aujourd’hui, ils l’attendent le soir 5 décembre, ou il arrive d’Espagne en bateau, et dépose des cadeaux pour les enfants

milieu du XVIème siècle

Parallèment aux distributeurs de cadeaux, d’autres entités vont se charger de punir les enfants désobéissants. Ils sont de deux types: le fouettard, avec des verges, et le croquemitaine, avec un grand sac pour emporter les enfants

En Lorraine c’est le père fouettard. Il est à Saint Nicolas ce que l’enfer est au ciel, et d’ailleurs, noir comme le diable. En Lorraine, ce sont ses vètements qui sont noirs.

En Alsace, c’est Hans Trapp, inspiré, parait il du terrifiant seigneur Hans von Drodt

En Hollande, c’est Zwarte Piet. Sa peau est noire, mais ses vètements sont colorés. En fait, c’est le « maure », tel qu’on le concevait à l’époque

En Allemagne, c’est Knecht Ruprecht, ou Belzebub, ou Hans Muff, Leutfresser, Böser Klaus… (il a des dizaines d’appellations)

En Autriche, c’est Krampus, avec son grand sac

C’est dire si les méchants garnements n’ont qu’à bien se tenir!

XVIIème siècle

En 1625, les dirigeants de la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales décident de construire une enceinte fortifiée, au sud de l’ile de Manhattan, pour y regrouper les activités des comptoirs commerciaux. C’est l’origine de La Nouvelle Amsterdam. Des colons s’y installent, sous la direction de Peter Minnewit, qui en 1626, réalise la meilleure opération immobilière de tout les temps, en achetant aux indiens l’ile de Manhattan, pour 60 florins de marchandises.

Les peuples, en migrant, emportent avec eux leur folklore, et c’est ainsi que les colons hollandais durent apporter Sinterklaas en Amérique, quoiqu’on n’aurait pas trouvé de preuve de son culte à la Nouvelle Amsterdam.

Prise par les anglais en 1664, la ville changea son nom en New-York, en l’honneur du duc d’York, mais n’en conserva pas moins ses traditions.

Pendant que les français croient au Père Noël, Les Américains inventent Santa Claus

C’est à New-York, hé oui, que le Saint Nicolas européen, s’est laïcisé, voire paganisé, en Santa Claus, ancètre , avec le bonhomme Noël, de notre père Noël actuel.

1773

le New York Gazette parle de Sinterklaas sous la forme dialectale Sante Klaas, qu’il abrège en St. A Claus, d’ou plus tard, Santa Claus

1804

John Pintard, brillant patriote américain, descendant d’un Huguenot de la Rochelle, fonde la New York Historical Society

Il la place sous le patronage de Saint Nicolas. Ce patronage sera à la base de la légende de Santa Claus, quand il sera récupéré par le cousin de Pintard, Washington Irving.

1807 à 1809

George Sand, qui a alors entre 3 et 5 ans, croit au Père Noël. Elle racontera plus tard, dans Histoire de ma vie, comment enfant, elle croyait à à la descente par le tuyau de la cheminée du petit père noël, bon vieillard à barbe blanche, qui, à l’ heure de minuit, devait venir déposer un cadeau dans son petit soulier.

son récit montre bien que les français n’avait pas attendu les américains pour imaginer un Père Noël de petite taille, à barbe blanche, passant par les cheminées. Il semble bien plutôt que les américains nous l’aient copié

1809

Diedrich Knickerbocker Parution de A History of New York, fiction historico-satirique, prétenduement écrite par Diedrich Knickerbocker, un vieil hollandais excentrique.

En réalité, ce n’est qu’un « procédé littéraire » pour mieux faire passer la fantaisie, et Diedrich Knickerbocker est lui même fictif. L’oeuvre est de Washington Irving.

Il y raconte comment l’équipage d’un navire hollandais, la Goede Vrouw dont la proue s’orne de la figure de St Nicholas, s’installe à l’embouchure de l’Hudson et y fonde la ville de Communipaw, future Nouvelle Amsterdam, qui sera placée sous la protection de St Nicholas.

6 décembre 1810

la New York Historical Society tient son premier banquet d’anniversaire

Un occasionnel imprimé à cette occasion, s’orne d’une gravure du Dr.Alexander Anderson, à la demande de John Pintard, qui montre un Saint Nicolas… plutôt sévère, mais que les enfants attendent.

deux semaines plus tard, Un journal de New-York publiera à cette occasion ce petit poème:

« Saint Nicholas, my dear good friend!

To serve you ever was my end,

If you will, now, me something give,

I’ll serve you ever while I live. »

1812

Washington Irving, qui était à l’anniversaire de la New York Historical Society, enrichit sa nouvelle édition:

Il y ajoute le rève du commodore Oloffe Van Kortlandt: Saint Nicholas arrive au dessus de la cime des arbres, dans le chariot qu’il utilise pour distribuer des jouets aux enfants. De sa pipe, il sort un nuage de fumée qui recouvre bientôt toute la région, et prend la forme de palais, de domes et de flèches, avant de s’évanouir. Alors St Nicholas, mettant le doigt à son nez, fait un signe à Oloffe, et remonte dans son chariot, qui s’élève dans les airs, et disparait

Il y ajoute aussi qu’aux temps bénis des premiers habitants, St Nicholas se montrait souvent les soirs de fètes, caracolant au dessus des arbres et des toits, pour larguer des cadeaux dans les cheminées de ses protégés, chose qu’il ne fait plus maintenant, qu’une fois par an, pour les seuls enfants

Ce Saint Nicholas, avec son grand chapeau et sa pipe n’a plus grand chose à voir avec le saint evèque, mais on attribue faussement à Irving cette appellation de « Santa Claus », et cette apparence de Lutin, qui n’apparaitra qu’ensuite

1821

Dans un poème d’une publication pour enfants, The Children’s Friend, attribué à William B. Gilley, apparait pour la première fois, le traineau de « Sante Claus ». Il est tiré par un seul renne

Le poème commence ainsi:

Old Santeclaus with much delight

His reindeer drives this frosty night.

O’er chimney tops, and tracks of snow,

To bring his yearly gifts to you…

23 décembre 1823

texte du poëme Le magazine Sentinel, de Troy (USA), publie un poème intitulé Account of a Visit From St. Nicholas, (aujourd’hui connu sous le nom de The Night Before Christmas).

Saint Nicholas y est décrit comme un vieux petit lutin grassouillet qui fume la pipe. Mais cette fois, il a huit rennes nains, nommés Dasher, Dancer, Prancer, Vixen, Comet, Cupid, Donder et Blitzen. Un siècle plus tard, les rennes garderont les mêmes noms, mais auront une taille normale

Ce poème, apparait ensuite dans un recueil de poèmes de 1837, ou il est attribué à Clement Clarke Moore

Il a été réédité de nombreuses fois, et ses illustrations permettent de suivre l’évolution de la représentation de Santa Claus, notamment l’augmentation de sa taille

1844

Un journal de Cincinnati annonce que:

« the sterling old Dutchman, Santa Claus, has just arrived from the renowned regions of the Manhattoes, with his usual budget of knickknacks for the Christmas times. »

Cette mention dans un journal local montre qu’à cette époque, l’appellation Santa Claus, et l’origine hollandaise du personnage était déja bien connues

3 janvier 1863

Thomas Nast, dessine la première representation moderne de Santa Claus, comme un lutin corpulent, mais avec une taille à peu près humaine, dans le magazine Harper’s Weekly

Il en publiera d’autres jusqu’à 1886. On remarque que Santa Claus distribue ses cadeaux dans un camp militaire unioniste. Nous sommes en effet en pleine guerre de Sécession, et il s’agit de maintenir le moral des troupes (Claus mit uns, aurait dit les allemands)

Sa veste couverte d’étoiles, et son pantalon à larges rayures, tirées du « star & stripes », nous renseignent sur les couleurs: veste bleue et pantalon rouge et blanc

25 décembre 1866

Sur une double page de Harper’s Weekly, intitulée Santa Claus and His Works, Thomas Nast, représente l’ensemble des activités de Santa Claus, qui est à nouveau de petite taille.

Santa fabrique lui même les jouets et repère les enfants sages au télescope. Son atelier est situé au pole nord

On peut quand même se demander comment il fait pour voir les enfants, à plusieurs milliers de km de distance… et sous l’horizon (puisque la terre est ronde)

1870

George P. Walker, reprend les images de Santa Claus and His Works, en cinq chromolthographies.

Reprenant les couleurs de l’édition de 1869 du poème de Sentinel, il habille de rouge le personnage de Thomas Nast, toujours basé au pole nord.

1875

Selon le Dictionnaire de la conversation:

Dans nos villes et dans nos campagnes, c’est l’usage de faire déposer aux enfants un soulier ou un sabot auprès de l’âtre, afin d’y recueillir le lendemain le joujou où le bonbon que le bonhomme Noël y apportera dans la nuit.

23 décembre 1880

Santa Claus franchit la frontière et vient se montrer au Canada

Le voici, entouré de ses elfes, sur une page de l’hebdomadaire canadien L’opinion publique. On ignore malheureusement, la couleur de son costume

24 décembre 1881

Les enfants ne croiraient ils déja plus au Père Noël? Voila qu’ils offrent les cadeaux eux-mêmes!

Du moins si l’on en croit cette chromolithographie du Monde Illustré, et l’explication qui va avec:

C’est le 1er janvier; deux enfants, deux petites filles appartenant aux classes extrèmes de la société, se trouvent en présence. L’une est comblée de joujoux et sort d’un luxueux et confortable coupé; elle a sa mère; l’autre est abandonnée sur le pavé boueux, et repait ses yeux, ses yeux seulement, hélas! des jouets qui passent. Mais ce qui fait le lien entre ces deux êtres, c’est la charité de l’enfant riche, présentant ses mains pleines à l’enfant pauvre, en lui disant: Choisis!

1885

Louis Prang, un des promoteurs de la chromolithographie, a inventé la carte postale de Noël en couleurs en 1875.

A partir de 1885, il y fait apparaitre Santa Claus

Sur cette image, non seulement Santa est en rouge, mais il utilise la technique moderne, en prenant les commandes des enfants par téléphone

(on se demande, d’ailleurs, quel pouvait bien être son numéro de téléphone)

1886

Nouvelle édition en chromolthographies de Santa Claus and His Works, par George P Webster.

Santa Claus est toujours chaudement vétu (au pole nord, vous pensez!) mais il n’est plus habillé en rouge.

Ce Santa Claus vétu de fourrure n’aura pas de suite. Le rouge prévaudra

1889-1895

Un certain éclectisme règne dans les revues françaises. Les numéros de Noël publient des contes où apparaissent, le petit homme de Noël, le petit Jésus, Saint Nicolas et le bonhomme Janvier

Dans Le petit Français illustré du 21 décembre 1889, Wigg, un petit garçon suédois est emmené en traineau par le petit homme de Noël, dont les minuscules chevaux s’appellent Le rapide, l’éveillé, l’élégant, et le dégourdi

Le petit Français illustré du 20 décembre 1890, publie un conte de françois Coppée, ou le petit Wolf rencontre un enfant endormi et pieds nus, devant lesquel les enfants riches ont passé indifférents. Il lui offre un de ses sabots, et rentrant à cloche pied, est vertement tancé par sa tante. Mais le lendemain, devant ses sabots réunis, la cheminée déborde de jouets, pendant que les enfants riches n’ont trouvé que des verges. Et tous de comprendre que l’enfant endormi était le petit Jésus

L’écolier illustré du 5 décembre 1895, explique comment un mauvais sentier s’est appelé chemin de St Nicolas: Un 5 décembre au soir, deux enfants miséreux y ont rencontré un homme à barbe blanche, vétu d’un large manteau sombre qui leur conseilla d’implorer Saint Nicolas. Au petit matin, ils trouvèrent des pièces d’or dans leurs souliers

Le numéro du 26 décembre 1895, raconte comment un sympathique grand-père, nommé justement Mr Janvier, s’amuse à distribuer des cadeaux achetés dans les bazars du coin, déguisé en bonhomme Janvier et monté sur un traineau

1890

La publicité récupère Santa Claus.

Sur cette image publicitaire, pour le savon Star soap, Il est à nouveau en rouge, et a toujours la pipe que lui avait donné Washington Irving, mais il n’a pas encore son gros ceinturon. Il faut dire qu’il n’a pas son gros ventre non plus.

1897

Santa Claus existe-t-il vraiment, ou non? La petite Virginia O’Hanlon, agée de 8 ans, s’en ouvre au New York Sun. La réponse du journaliste Francis Pharcellus Church est entrée dans la légende.

« … Oui, Virginia, Santa Claus existe. Il existe aussi certainement que l’amour, la générosité et la dévotion existent… »

On remarquera qu’après avoir fait croire, deux générations auparavant, aux habitants de la lune, le New York Sun pouvait bien faire croire à Santa Claus

1900

Le Nouveau Larousse illustré, qui marque l’état des connaissances au changement de siècle, ne connait pas encore le père Noël, mais témoigne de la tradition du bonhomme Noël, associé au père fouettard

Décembre 1901

Dur, le progrès technique. Le Père Noël, qui, dans Le Monde illustré, n’est déja plus le bonhomme Noël, n’a pas attendu les calculs des scientifiques pour comprendre la difficulté de sa mission

Allez donc distribuer des jouets en passant par des cheminées de 40 mètres de haut, et qui sont en activité, en plus. C’est à donner sa démission

(au fait, à qui?)

1902

Santa Claus est maintenant assez célèbre pour faire l’objet d’un livre entier: The Life and adventures of Santa Claus, par Lyman Frank Baum, l’auteur de la série du magicien d’Oz

1905

Et pourquoi Santa Claus ne bénéficierait il pas du progrès, lui aussi, hein?

Et voila Santa Claus qui fait sa tournée en voiture, dans cette publicité pour Oldsmobile.

… Et avec chauffeur, s’il vous plait!

entre 1903 et 1908

Et toujours plus loin dans le progrès: C’est maintenant en aéroplane que Santa Claus fait sa tournée!

Cette carte de la collection Summersdarling n’est pas datée, mais la représentation de l’aéroplane est celle de celui des frères Wright, ce qui permet d’en situer la date entre 1903 et 1908, époque ou les aéroplanes avaient l’empennage à l’arrière.

Santa Claus traverse l’Atlantique

1910

En France et en Belgique, commencent à cohabiter deux types de Sr Nicolas: Le Saint Nicolas traditionnel, habillé en évèque, avec mitre et crosse, qui est aidé d’un âne pour transporter les jouets, et le Saint Nicolas d’importation, habillé en Santa Claus, sans âne.

Au total, avec le Père Noël (ex bonhomme Noël), cela nous fait trois distributeurs de jouets. Dommage pour les enfants qu’ils ne passent pas simultanément

1913

Premiere illustration de Santa Claus par Norman Rockwell, probablement le meilleur illustrateur de son temps. Il en fera plus d’une trentaine

Noël 1913

Napoléon aurait rencontré le Père Noël! Du moins c’est l’historien G. Lenotre qui le dit.

Enfin… plus exactement, c’est le journaliste d’histoire Théodore Gosselin, dit G. Lenotre, qui signe dans la revue Lectures pour tous, un joli conte:

l’histoire se passe à Nasielsk, en Pologne en 1806. Une petite émigrée, de 8 ans rédige sa lettre au petit Jésus, qu’elle confie au Père Noël, qui lui sert de facteur. Elle y demande de rendre ses biens à son père, dépouillé par la révolution. Ce soir là, Napoléon est à Nasielsk. Intrigué par le Père Noël, il examine son panier de lettres, y découvre celle de la petite fille, et, ému, prend un décret rétablissant la famille émigrée dans ses droits

G. Lenotre

1914

Pendant qu’on s’active beaucoup, sur Terre et sur mer, Santa Claus surveille tout cela aux jumelles… en dirigeable. Be aware: Santa Claus is watching you

7 décembre 1918

La guerre est finie: Santa Claus qui a troqué son bonnet contre un casque, peut retrouver ses activités de Noël sur cette illustration de Joseph Christian Leyendecker pour le Saturday Evening post

Noël 1918

Les « sammies », les soldats de l’Oncle Sam, sont encore en France. L’entrée en guerre des USA, en avaient envoyé jusqu’à deux millions. Arrivés avec leur culture et leur folklore, ils organisent dans certaines villes de Bourgogne, des distributions de cadeaux, avec sapin et Santa Claus

à Cruzy, « II » était là, en personne, pour distribuer les cadeaux… On avait confié son rôle à un sous-officier habitué à tirer de sa pipe de grosses volutes de tabac, on l’avait vêtu de pantalons de femmes bouffants en flanelle rouge dérobés sur la corde à linge où ils séchaient, on l’avait chaussé des bottes du colonel réquisitionnées pour la circonstance. Tel apparut pour la première fois en Tonnerrois le Père Noël, inconnu, mystérieux, mais tout de suite sympathique.

(Jean-Pierre Fontaine, Les nouveaux mystères de l’Yonne, Editions de Borée, 2007)

12 décembre 1923

Première publicité en couleur pour un soda, dans le magazine Life.

Non ce n’est pas Coca cola, mais White Rock, qui avait déja récupéré Santa dès 1915, mais dans des publicités dessinées en gravure au trait

décembre 1930Les temps sont durs (c’est l’époque de la grande dépression économique).

Depuis 1922 Coca Cola essaie de persuader ses clients qu’il n’y a pas de saison pour la soif. Sept ans après White rock, la firme décide de récupérer le jovial Santa Claus, dont la couleur rouge lui siérait bien.

Une première publicité dessiné par Fred Mizen, l’illustrateur habituel de la firme, montre un Père Noël de grand magasin, pendant la pause. Le succès de cette image encourage la firme à continuer dans cette voie

décembre 1931

Sur les conseils d’Archie Lee, Coca Cola demande à Haddon Sundblom des illustrations publicitaires, sur le modèle du Santa Claus de Fred Mizen. Cette fois ci, il s’agit de représenter le « vrai » Père Noël, et non plus un vulgaire figurant.

Les illustrations de Sundblom sont tellement réussies que plus tard, on croira que c’est lui qui a créé cette représentation de Santa Claus, en rouge avec un gros ceinturon

1939

Un nouveau renne vient aider Santa Claus dans sa tournée: Rudolph, dont la particularité est d’avoir la truffe rouge et lumineuse, ce qui lui permet de guider le traineau quand on n’y voit goutte. Il apparait dans un poème de Robert L. May, un employé de la Montgomery Ward company, agé de 34 ans.

Le poème de May sert de thème à un album pour enfants, qui, malgré la guerre, sera tiré à 6 millions d’exemplaires

1941

Aaaarrgh… On aurait assassiné le père Noël?

Non, rassurons nous, dans le film de Christian-Jaque, L’Assassinat du Père Noël, le Père Noël n’est pas vraiment assassiné. c’est un voleur déguisé qui l’est à sa place. Y’a quand même une morale.

1944

Et voici Rudolph sur nos écrans.

Avec le dessin animé Rudolph the red nosed reindeer, Max Fleischer porte à l’écran la version la plus achevée du mythe de Santa Claus. Même la possibilité de collision avec les avions y est évoquée

23 décembre 1951

Feu le Père Noël Ils ont brulé le Père Noël!

Jeanne d’Arc et Michel Servet ne leur suffisait pas. Voila que des prètres intégristes, outrés du consumérisme que professe le père Noël, en cette période de privations, décident de le bruler

Devant plus de 200 enfants, un Père Noël de 2.5 m est brulé sur le parvis de la cathédrale Saint-Bénigne de Dijon.

Cet acte va provoquer une flambée d’étonnement. Le lendemain, le chanoine Kir, maire de Dijon, préfère le faire oublier et montrer le père Noël sur les toits de l’hotel de ville, comme chaque année

décembre 1954

Son premier timbre Le premier timbre poste à l’effigie de Santa!

On se demande d’ailleurs pourquoi il a fallu attendre aussi longtemps, pour faire un timbre à l’effigie d’un personnage aussi célébre, alors qu’il existe des quantités de timbres à l’effigie d’illustres oubliés. Et ce ne sont ni les français, ni les américains qui y ont pensé, mais les cubains

Du coup, on s’attendrait à voir un Santa Claus le cigare aux lèvres…

décembre 1955

Norad tracks Santa A la hotline du Continental Air Defense Command, on fut bien étonné d’entendre une petite voix enfantine qui demandait à parler à Santa Claus!

En fait, un magasin de Colorado Springs avait passé une publicité dans le journal local, en proposant aux enfants d’appeler le Père Noël sur une ligne téléphonique spéciale. Malheureusement, il y eut une erreur d’impression…

Comprenant ce qui se passait, le directeur des opérations, le Colonel Harry Shoup, décida de jouer le jeu, et demanda à son personnel d’examiner les données radar, pour voir si on pouvait trouver des enregistrements pouvant correspondre au passage du traineau de Santa Claus. On en trouva, et depuis, le NORAD guette chaque mois de décembre, le passage de Santa

1958

Agrandir Toujours à la pointe du progrès, Santa Claus fait désormais sa tournée en soucouoe volante!

Comment ça, les soucoupes volantes n’existent pas?

Les soucoupes volantes existent tout autant que Santa Claus, enfin quoi!

1962

Où la poste peut elle envoyer une lettre adressée au Père Noël, rue des nuages, au pole nord? Au centre de tri de Libourne, qui s’occupe des correspondances à l’adresse invalide. C’est pourquoi le ministre des PTT, Jacques Marette, crée à Libourne un service spécialement chargé du courrier du Père Noël. Il faut dire que sa soeur, la psychanalyste Françoise Dolto, fut aussi la première secrétaire du père Noël, en rédigeant sa première réponse

1964

Agrandir Alerte! Les martiens ont capturé Santa Claus!

Constatant que leurs enfants sont devenus dépendants des emissions TV terriennes montrant Santa Claus, les martiens montent une expédition sur Terre pour le capturer. Heureusement, c’est du cinéma et ça se termine bien.

Les couleurs de l’affiche sont affreuses, mais il faut se rappeler qu’à l’époque, pour le grand public, Mars était une planète rouge habitée par des hommes verts

Quant aux martiens, heu…

1972

Horreur! La science s’en mèle.

En voulant montrer qu’il est possible de réfuter un phénomène, rien que sur son hypothèse de départ, Carl Sagan démontre l’impossibilité de la distribution des jouets par Santa Claus, la nuit de noël. Sa démonstration parait imparable. C’était bien la peine que Francis P. Church se donne du mal…

1982

Le Père Noël est une ordure!

Non! C’est pas vrai? On ose diffamer le Père Noël? Ben si. Mais, dans le film, de Jean-Marie Poiré, ce n’est qu’un ivrogne habillé en Père Noël. S’y ajoute toute une galerie de marginaux, et de situations cocasses, avec des dialogues savoureux.

Devenu avec le temps un film culte, comme « les tontons flingueurs, il s’inspire d’une comédie sortie en 1979.

Et encore, on avait parlé de l’appeler: « Le père Noël s’est tiré une balle dans le cul ».

Ils ne respectent plus rien! Tout fout l’camp, mon bon monsieur…

1983

Les Canadiens respectent la croyance au Père Noël, eux!

Depuis 1974, des employés de la Société Canadienne des Postes répondaient bénévolement au courrier du père Noël. Ils furent bientôt submergés quand leur activité fut connue, et durent demander de l’aide

Finalement, en 1983, la Société Canadienne des Postes créa, comme l’avait la France 21 ans plus tôt, un service spécial destiné au courrier du Père Noël, qui recut un code postal spécial: « HOH OHO »

Le service répond dans la langue des enfants, soit une vingtaine de langues, et même en braille!

janvier 1990

Après les scientifiques, les humoristes.

Répondant 93 ans après à la question de la petite Virginia O’Hanlon (qui aurait eu alors 101 ans), Richard Waller, dans un article mémorable de Spy magazine, de janvier 1990, « is there a Santa Claus? », entreprend de réfuter lui aussi l’existence de Santa Claus. Sur la base d’une argumentation scientifique et technique en 5 points, il démontre que dans de pareilles conditions, si le père Noël a jamais fait sa distribution de cadeaux, il ne peut être que mort

Son argumentation désopilante sera reprise chaque année à l’époque des fètes, surtout après le développement du Web, et d’Usenet

1993

Enfin, un timbre français!

Il a fallu attendre qu’arrivent à La Poste des cadres qui avaient autrefois reçu une réponse du Père Noël, pour qu’on se décide enfin à lui consacrer un timbre

On se demande bien pourquoi il a des patins à glace? Ca ne doit pas ètre pratique pour évoluer sur des toits en pente.

21ème siècle

Les démystifications du père Noël se multiplient, mais depuis l’an 2000, elles se muent parfois en remystifications!

Les moins graves disent que le mot « Santa Claus » a été inventé par Washington Irving en 1809, alors que l’expression semble être apparue entre 1821 et 1844

Plus grave, il se dit que le Père Noël est apparu en France en 1945, apporté par les américains pour remplacer Saint Nicolas

Pire, la rumeur court que la représentation moderne du père Noël, avec ses vètements rouges, est une invention de Coca Cola!

C’est tout juste si on n’accuse pas Coca Cola d’avoir inventé Santa Claus

Une chose est sûre, ce n’est pas Santa Claus qui a inventé le Coca Cola!

24 décembre 2008

Abomination! Santa Claus est un fou criminel!

A Covina, en Californie, une trentaine de personnes réveillonnaient. Santa Claus se présente. Confiante, une petite fille de 8 ans va lui ouvrir…

Et soudain, c’est l’enfer. Santa Claus tire sur le petite fille, tire sur les invités, en abat plusieurs de sang froid, puis il allume une bombe incendiaire et s’enfuit

Après son suicide, on retrouvera son corps et son costume de Santa Claus. Dans les décombres de la maison, on retrouvera 9 cadavres (laissant 16 orphelins)

Il n’y a vraiment qu’aux USA qu’on puisse voir des choses pareilles. Les Américains avaient créé Santa Claus, les Américains sont en train de le tuer

Pauvre Santa Claus, pauvre Père Noël…

Dernière mise à jour: 28/12/2008

Laissez venir à moi les petits enfants, et ne les en empêchez pas; car le royaume de Dieu est pour ceux qui leur ressemblent.  Jésus (Luc 18:16)
Je vous le dis en vérité, toutes les fois que vous avez fait ces choses à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous les avez faites. Jésus (Mathieu 25 : 40)
Notre monde est de plus en plus imprégné par cette vérité évangélique de l’innocence des victimes. L’attention qu’on porte aux victimes a commencé au Moyen Age, avec l’invention de l’hôpital. L’Hôtel-Dieu, comme on disait, accueillait toutes les victimes, indépendamment de leur origine. Les sociétés primitives n’étaient pas inhumaines, mais elles n’avaient d’attention que pour leurs membres. Le monde moderne a inventé la “victime inconnue”, comme on dirait aujourd’hui le “soldat inconnu”. Le christianisme peut maintenant continuer à s’étendre même sans la loi, car ses grandes percées intellectuelles et morales, notre souci des victimes et notre attention à ne pas nous fabriquer de boucs émissaires, ont fait de nous des chrétiens qui s’ignorent. René Girard
Petits enfants qui dormez là, Je suis le grand Saint Nicolas. Le grand saint étendit trois doigts, Les trois enfants ressuscitaJoseph Guix (XIIIe?)
Old Santeclaus with much delight His reindeer drives this frosty night. O’er chimney tops, and tracks of snow,To bring his yearly gifts to you… (…) He was dress’d all in fur, from his head to his foot, And his clothes were all tarnish’d with ashes and soot ; A bundle of toys was flung on his back, And he look’d like a peddler just opening his pack His eyes–how they twinkled! his dimples how merry, His cheeks were like roses, his nose like a cherry ; His droll little mouth was drawn up like a bow. And the beard of his chin was as white as the snow ; The stump of a pipe he held tight in his teeth, And the smoke it encircled his head like a wreath. He had a broad face, and a little round belly That shook when he laugh’d, like a bowl full of jelly: He was chubby and plump, a right jolly old elf … William Gilley (1821)
‘Twas the night before Christmas, when all thro’ the house, Not a creature was stirring, not even a mouse; The stockings were hung by the chimney with care, In hopes that St. Nicholas soon would be there … Henry Livingston (1823)
The sterling old Dutchman, Santa Claus, has just arrived from the renowned regions of the Manhattoes, with his usual budget of knickknacks for the Christmas times. Journal de Cincinnati (1844)
Ce que je n’ ai pas oublié, c’ est la croyance absolue que j’ avais à la descente par le tuyau de la cheminée du petit père noël, bon vieillard à barbe blanche, qui, à l’ heure de minuit, devait venir déposer dans mon petit soulier un cadeau que j’ y trouvais à mon réveil. Minuit ! Cette heure fantastique que les enfants ne connaissent pas et qu’ on leur montre comme le terme impossible de leur veillée ! Quels efforts incroyables je faisais pour ne pas m’ endormir avant l’apparition du petit vieux ! J’ avais à la fois grande envie et grand’ peur de le voir : mais jamais je ne pouvais me tenir éveillée jusque-là, et le lendemain, mon premier regard était pour mon soulier, au bord de l’âtre. Quelle émotion me causait l’enveloppe de papier blanc, car le père noël était d’ une propreté extrême, et ne manquait jamais d’ empaqueter soigneusement son offrande. Je courais pieds nus m’ emparer de mon trésor. Ce n’ était jamais un don bien magnifique car nous n’ étions pas riches. C’était un petit gâteau, une orange, ou tout simplement une belle pomme rouge. Mais cela me semblait si précieux que j’ osais à peine le manger. L’imagination jouait encore là son rôle, et c’ est toute la vie de l’ enfant. Je n’ approuve pas du tout Rousseau de vouloir supprimer le merveilleux, sous prétexte de mensonge. La raison et l’ incrédulité viennent bien assez vite d’ elles-mêmes. Je me rappelle fort bien la première année où le doute m’ est venu sur l’ existence réelle du père noël. J’ avais cinq ou six ans, et il me sembla que ce devait être ma mère qui mettait le gâteau dans mon soulier. Aussi me parut-il moins beau et moins bon que les autres fois, et j’ éprouvais une sorte de regret de ne pouvoir plus croire au petit homme à barbe blanche. J’ ai vu mon fils y croire plus longtemps ; les garçons sont plus simples que les petites filles. Comme moi, il faisait de grands efforts pour veiller jusqu’ à minuit. Comme moi, il n’y réussissait pas, et comme moi, il trouvait, au jour, le gâteau merveilleusement pétri dans les cuisines du paradis ; mais, pour lui aussi, la première année où il douta fut la dernière de la visite du bonhomme. Il faut servir aux enfants les mets qui conviennent à leur âge et ne rien devancer. Tant qu’ ils ont besoin du merveilleux, il faut leur en donner. Quand ils commencent à s’ en dégoûter, il faut bien se garder de prolonger l’ erreur et d’ entraver le progrès naturel de leur raison. George Sand (Histoire de ma vie, 1856)
Dans nos villes et dans nos campagnes, c’est l’usage de faire déposer aux enfants un soulier ou un sabot auprès de l’âtre, afin d’y recueillir le lendemain le joujou où le bonbon que le bonhomme Noël y apportera dans la nuit. Dictionnaire de la conversation (1875)
C’est le 1er janvier; deux enfants, deux petites filles appartenant aux classes extrèmes de la société, se trouvent en présence. L’une est comblée de joujoux et sort d’un luxueux et confortable coupé; elle a sa mère; l’autre est abandonnée sur le pavé boueux, et repait ses yeux, ses yeux seulement, hélas! des jouets qui passent. Mais ce qui fait le lien entre ces deux êtres, c’est la charité de l’enfant riche, présentant ses mains pleines à l’enfant pauvre, en lui disant: Choisis! Monde Illustré
Les grands enfants n’en ont pas fini avec le Père Noël. Même s’ils ne croient plus en son existence, celui-ci fait encore l’objet d’une idée reçue, celle selon laquelle il serait la création d’une grande firme américaine de cola. Telle n’est pourtant pas la généalogie de celui qu’ils appellent Outre-Atlantique Santa Claus. Le père du Père Noël n’est autre qu’un émigré des pays protestants de l’Europe célébré le 6 décembre, le canonisé Saint-Nicolas, en néerlandais Sinterklaas, de son vrai nom Nicolas de Myre, évêque de son état. Nul besoin d’aller chercher plus loin une consonance familière avec le « Santa Claus » des petits Américains. L’image du Père Noël a également suivi celle de sa dénomination. Longue barbe blanche, vêtu d’un long manteau et coiffé de sa mitre, le St Nicolas s’est mis à prendre du poids au 19° siècle, a troqué la mitre pour un bonnet, sa crosse pour un sucre d’orge et se débarrassa du Père Fouettard, ceci sous l’œil bienveillant d’un pasteur, auteur de contes de Noël, Clément C. Moore. Mais il doit le tournant de sa carrière à un illustrateur du journal new-yorkais Harper’s Illustrated Weekly, Thomas Nast. Celui-ci, en 1860, l’habilla de son manteau dans lequel il se sent bien au chaud puisqu’il l’a gardé jusqu’à ce jour. Ce n’est ensuite qu’en 1931 que le Père Noël devient ambassadeur de la société Coca-Cola, notamment parce que son costume était aux couleurs de la marque. L’hiver étant une période moins propice à la consommation de la célèbre boisson gazeuse, quoi de mieux qu’un symbole mondialement connu et immédiatement reconnu ? Tatoufaux
Il est fréquent en ces périodes de fêtes d’entendre que le Père Noël, sous sa forme actuelle, a été inventé par Coca Cola qui l’aurait habillé aux couleurs de la marque dans les années 30. Dans deux articles parus il y’a un an le blog La boîte à images démontrait que le Père Noël avait commencé à prendre sa forme actuelle dès 1863, soit plus de 60 ans avant les pubs de Coca Cola, dessiné par un illustrateur américain, Thomas Nast. Il n’est pas prouvé qu’il lui ait donné ses couleurs (rouge et blanc) même si certains l’affirment, cependant on trouve des cartes postales dès 1886 représentant ce Père Noël en rouge et blanc ainsi que pas mal de pubs dès 1902 (Les illustrations de Nast en couleur dans ce lien auraient par contre peut-être été colorisées ultérieurement). Et récemment on apprenait qu’une autre marque de boissons américaine, White Rock, à utilisé dès 1915 (et dès 1923 en couleurs) cette image du Père Noël pour ses pubs. Donc Coca Cola a certainement contribué à propager cette image par ses nombreuses campagnes de pub mais en aucun cas ne l’a inventée, donc non, en fêtant Noël on ne fête pas Coca Cola. Junk food
Les démystifications du père Noël se multiplient, mais depuis l’an 2000, elles se muent parfois en remystifications! Les moins graves disent que le mot « Santa Claus » a été inventé par Washington Irving en 1809, alors que l’expression semble être apparue entre 1821 et 1844. Plus grave, il se dit que le Père Noël est apparu en France en 1945, apporté par les Américains pour remplacer Saint Nicolas. Pire, la rumeur court que la représentation moderne du père Noël, avec ses vètements rouges, est une invention de Coca Cola! C’est tout juste si on n’accuse pas Coca Cola d’avoir inventé Santa Claus. Oncle Dom

Attention: un mythe peut en cacher un autre!

Joseph Guix (XIIIe), George Sand (1807),  Washington Irving (1809), Thomas Nast (1863), George P. Walker (1870), Louis Prang (1875), Star soap (1890), Lyman Frank Baum (1902),  Oldsmobile (1905),  Norman Rockwell (1913), Satruday Evening Post (1918), White rock (1923) …

En ce nouvel anniversaire (probablement 2015e du fait des erreurs de calcul et sans doute  pas en décembre) de Celui qui a donné à notre ère de chrétiens qui s’ignorent non seulement son nom mais son si caractéristique souci des plus petits

60 ans après l’autodafé de Dijon …

Remise des pendules à l’heure avec le site Hoaxbuster et le magistral travail de compilation du site Oncle Do (sans compter les illustrations)

Montrant la longue évolution, de l’anniversaire de la mort du généreux évèque et légendaire protecteur des enfants d’Asie mineure(Saint Nicolas de Myre, actuelle Turquie) du 4e siècle après Jésus-Christ  à la fête du cambrioleur à l’envers  que nous connaissons aujourd’hui via notamment les traditions nord-européennes et notamment hollandaises (Sinterklaas) avant sa transplantaion américaine par les colons hollandais de la Nouvelle Amsterdam (et future Nouvelle York) puis au reste du monde

Comme la longue marche, y compris publicitaire, de la figure du Père Noël avant sa reprise par le célèbre vendeur d’eau sucrée colorée d’Atlanta, au début de la Grande Dépression des années 30 …

Mais surtout comment nos enfants à qui on ne la fait plus ont avec l’aide de médias peu regardants et l’antiaméricainisme ambiant…

Remplacé le mythe du père Noël …

Par celui de la création du mythe du Père Noël par Coca Cola!

Carton rouge et blanc !

Nico

Hoaxbuster

 

Si le Père Noël est rouge et blanc c’est parce que Coca-Cola l’a habillé à ses couleurs dans une pub. En vrai… il est vert !

. .

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Le sujet est de circonstance et comme à l’accoutumée, le message refait son apparition en cette saison propice aux cyber-marronniers hivernaux. Même le très sérieux LeMonde.fr le dit dans son édition du 15 décembre « Le Père Noël est américain. On le sait depuis que Washington Irving a créé le personnage, en 1809, et que Coca-Cola lui a donné sa houppelande rouge et son air débonnaire, plus d’un siècle plus tard. » (passage modifié depuis la publication de notre article).

Alors Coca-Cola est-il responsable du changement de costume du Père Noël ou avons-nous affaire à un effet cigogne ?

Une idée très répandue

Il n’est pas rare lors d’un repas entre amis d’assister à ce type de scène : une convive pensant avoir l’esprit plus aguerri que les autres apostrophe l’assemblée avec un postulat :

– « Saviez-vous que c’est depuis une pub Coca-Cola que le Père Noël est habillé en rouge ? Avant, il portait des habits verts. »

Le locuteur avance cet exemple concret pour développer sa vision du monde et assoir sa théorie :

– « Nous sommes victimes de l’américanisation des esprits ! Tout est merchandising, maintenant. »

Chacun qualifiera cette pensée de lui-même, qu’elle soit fondée ou non.

Il est de bon ton en société de laisser la rumeur se répandre pour concentrer toutes les attentions mais ce qui nous intéresse, c’est comment la personne biaise son raisonnement avec une hypothèse douteuse.

Quels sont les faits ?

En effet, que savons-nous qui ne soit formellement avéré ?

•Le Père Noël a bien été mis en scène dans une publicité mondiale pour Coca-Cola pendant l’entre-deux-guerres.

•A une autre époque, le Père Noël portait des habits verts (mais aussi blancs et parfois bleus comme en Russie).

De là à en déduire que notre bonhomme a revu sa garde-robe lors de la campagne marketing de Coca-Cola en 1931, il y a un énorme pas à franchir. Selon les spécialistes, ce serait même l’inverse qui se serait produit.

Mise en contexte

En fait, Coca-Cola est sérieusement en manque de souffle à cette époque et se cherche une icône aux couleurs de la marque pour redynamiser les ventes. Il se trouve que depuis 1866, ce bon vieux Père Noël fait un véritable carton en publicité (notamment chez Michelin et Colgate)… tout de rouge vêtu depuis qu’un illustrateur et caricaturiste du journal new-yorkais Harper’s Illustrated Weeklyde, Thomas Nast, l’a ainsi relooké en 1860 !

Ce n’est qu’en 1931 que Coca-Cola offre à Haddon Sundblom l’opportunité de créer son porte-drapeau : un Santa Claus (Père Noël américain) à « l’air jovial et l’attitude débonnaire ». La résonnance extraordinaire que put avoir cette campagne publicitaire fît que l’image moderne du bonhomme rouge dans notre culture s’en trouva transformée.

La firme n’a donc pas « réinventé » le Père Noël, ni même changé la couleur de ses vêtements. Elle a par contre grandement participé à la vision que l’on se fait du personnage aujourd’hui dans le monde occidental.

Voila pourquoi circule l’idée reçue que le Père Noël était vert avant que Coca-Cola ne le relooke pour ses besoins publicitaires.

Le phénomène du « Cokelore »

La société Coca-Cola est devenue un des symboles de l’Amérique et pour qui souhaite critiquer le système, pourquoi ne pas utiliser une démarche imagée que tout le monde peut comprendre ? Et c’est ainsi que pour illustrer leur point de vue, d’aucuns estiment pouvoir faire feu de tout bois pour servir leur cause quitte à s’accommoder avec la réalité.

Comme toute multinationale dominante, la compagnie est en proie aux critiques et victime d’un nombre incalculable de rumeurs, à tel point qu’est apparu récemment outre-Atlantique le terme Cokelore : un concentré de rumeurs, légendes et affabulations autour de la marque.

Mais la multinationale en pâtit-elle vraiment ?

Certainement pas, sa domination est incontestable dans le secteur des sodas et il est probable que le résultat de toutes ces attaques ne fait que renforcer sa position de dominant du marché. Grâce à ces rumeurs infondées, elle peut communiquer à loisir sur sa marque. La légende urbaine du Père Noël Coca-Cola est encore plus profitable puisqu’elle lui permet de ressortir ses anciennes campagnes et ainsi d’exploiter son patrimoine historique (les marques adorent étaler leurs vieilles affiches…).

Mais au fait, le Père Noël existe-t-il ?

Vaste question, qui a nécessité que nous fassions le tour des sites scientifiques chevronnés. C’est celui de la Zététique qui a attiré toute notre attention et leur démarche intellectuelle nous a convaincu. Petit résumé de leurs conclusions :

•Le Père Noël a pour objectif de livrer près de 1000 domiciles par seconde. Pour remplir sa mission, il doit donc atteindre des vitesses de 3000 km par seconde.

•Et si le Père Noël a jamais existé, en se déplaçant à cette allure, nous sommes au regret de vous annoncer qu’il a été pulvérisé !

D’après l’enquête zététique sur le Père Noël par Richard Monvoisin qui vient de lancer un site plein de promesses, CorteX : Esprit critique et sciences.

Il ne manque rien ?

Ah si, l’effet cigogne, lui-même décrit dans un article du fameux CorteX… C’est un sophisme qui consiste à prétendre que si deux événements sont corrélés alors il y a un lien de cause à effet entre les deux.

En ce qui concerne le Père Noël et ses habits rouge, il peut être résumé par : « Avant le Père Noël était vert, Coca-Cola a fait une pub avec un Père Noël rouge, donc Coca-Cola a changé la couleur du Père-Noël ! »

Et ainsi, la boucle est bouclée ! Lorsqu’on vous sort sur un ton péremptoire qu’il est de notoriété publique que le Père Noël est rouge parce que Coca-Cola l’a relooké à son image… Vous pouvez désormais sans rougir prendre la parole et affirmer haut et fort que les faits démontrent que cette légende urbaine est infondée [Thomas Nast – 1860 vs Coca Cola – 1931] et que Coca-Cola n’a fait que populariser mondialement l’image du bonhomme rouge parce que les couleurs qu’il arborait correspondaient aux siennes !

Histoire du Père Noël

(Chronologie de l’élaboration du mythe du Père Noël)

Nicolas de Myre, ancêtre du Père Noël

vers 270, à Patara, en Lycie (Asie mineure)

Naissance de Nicolas, fils d’Euphémius, et d’Anne, soeur de l’archevèque de Myre

Pieux et vertueux, il perd ses parents assez jeune, dans une épidémie de peste, mais hérite de leur fortune

Généreux comme son père, il aurait, offert de quoi doter une de ses filles à un noble ruiné de la ville. cela lui vaudra une réputation de générosité qui ne le quittera plus.

La légende dit qu’il apprit que ce noble envisageait de livrer ses trois filles à la prostitution, et que nuitamment, trois fois de suite, Nicolas lança chez lui, une bourse pleine d’or, par une fenètre ouverte. Cette légende auraient été à l’origine des trois sacs d’or qui auraient ensuite figuré sur les enseignes des préteurs sur gages

La piété de Nicolas incita son oncle, l’archevèque à l’ordonner prètre. On dit qu’il le nomma supérieur du monastère de Sainte-Sion, et même qu’il lui laissa la charge de son diocèse, pendant qu’il allait en terre sainte.

A la mort de l’évèque de Myre, Nicolas fut nommé évèque

en l’an 303, l’empereur Dioclétien entreprit de lutter contre le christianisme, et Nicolas fut emprisonné

Dès 311, à l’initiative de l’empereur Galère, puis de l’empereur Constantin, la liberté de culte fut rendue aux chrétiens, et Nicolas put revenir exercer ses fonctions à Myre, où il lutta contre l’idolatrie, encore vivace

Il dut aussi lutter contre la famine qui sévissait à l’époque, ce qui génèrera d’autres légendes

Une chronique affirme qu’en 325, Nicolas aurait participé au premier concile oecuménique, à Nicée. Mais son nom ne figure pas sur la liste officielle des participants

On fixe officiellement la mort de Nicolas au 6 décembre 343

« Saint » Nicolas ne fut jamais canonisé. Il fait partie des saints dont l’Eglise tolère le culte, parce le peuple les vénère ainsi depuis des siècles, mais dont certains n’ont jamais existé

Mais Saint Nicolas était devenu tellement populaire, qu’on l’invoquait en de nombreuses occasions, ce qui permit de lui attribuer de nombreux miracles:

Devenus légendaires, ces miracles susciteront en se racontant d’autres légendes de miracles. C’est ainsi que plusieurs miracles de Saint Nicolas semblent inspirés de la légende des trois officiers de Constantin:

Une révolte ayant éclaté en Phrygie, l’empereur Constantin y envoya trois officiers de son armée pour remettre de l’ordre.

Parvenus en Phrygie. Ils rétablirent l’ordre et revinrent devant l’empereur. Mais entretemps, des courtisans jaloux avait corrompu le préfet impérial pour qu’il les accuse et l’empereur les fit condamner à mort. Les officiers implorèrent Saint Nicolas, et celui ici apparut en rêve à l’empereur et au préfet et les convainquit de les relâcher. Le lendemain, ils furent graciés par l’empereur.

Comme les bénéficiaires des miracles de Saint Nicolas vont souvent par trois, on peut se demander s’il ne s’agit pas de la transformation progressive d’une même légende

Saint Nicolas ressuscite les enfants, sauve les marins, protège les innocents mal jugés. Chaque miracle lui vaudra un patronage: Il sera donc le patron des enfants, des marins, etc…

On peut même remarquer qu’à coté des miracles de Saint Nicolas, ceux du Christ lui même font pale figure

Les miracles du Christ                                                                                  Les miracles de St Nicolas

Le Christ guérit, un malade, un aveugle, un paralytique…                  A Alexandrie, St Nicolas guérit tout un groupe de malades

Le Christ multiplie les pains, suffisamment pour toute une foule    St Nicolas multiplie les sacs de grain, suffisamment pour toute une ville pendant deux ans

Le Christ calme la tempête                                                                         St Nicolas avertit de la future tempête, calme la tempête, et répète ce miracle plusieurs fois

Le Christ ressuscite Lazare, mort depuis 2 jours                                     St Nicolas ressuscite 3 enfants, coupés en morceaux depuis 7 ans

La légende de Saint Nicolas

Xème siècle

Le culte de St Nicolas est introduit en Allemagne, par Théophano, nièce de l’empereur byzantin Jean Ier Tzimiskès, et femme de l’empereur d’Allemagne, Otton II

Son fils, Otton III, fonda, près d’Aix-la-Chapelle, Saint-Nicolas-de-Burtscheid

XIème siècle

Comme certains personnages entrés dans la légende, tels Gengis Khan ou Christophe Colomb, St Nicolas est enterré en deux endroits différents: A Demré (autrefois Myre) et à Bari, ou en 1087, des marins auraient emporté ses ossements

De Plus, vers 1098, Albert de Varangéville aurait ramené l’un de ses doigts (où même toute sa main droite), de Bari, à St Nicolas de Port, ou l’on édifia une chapelle, puis une église, puis au XVème siècle, une basilique, en même temps que Saint Nicolas devenait le patron de la Lorraine. Des pélerinages eurent lieu et des miracles se produisirent

On comprend qu’avec deux tombeaux, plus un reliquaire, Saint Nicolas peut bien être affublé d’une légende de première grandeur à St Nicolas de Port

XIIème siècle

Le trouvère Wace, dans LI LIVRES DE SAINT NICHOLAY, raconte l’histoire de trois écoliers ressuscités

Treis clercs alouent escole , n’en frei une longe parole

Li ostes par nuit les occist , les cors musçat, le aver prist.

Seint Nicholas par Deu le solt , s’emprès fu la si cum Deu plout.

Les clercs à l’oste demandat , nel pout celé qu’il les mustrat;

Seint Nicholas par sa preere , mist les almes enz el cors arere

Por ceo que al clercs fit cel honur , funt li clercs la feste à son jur,

de ben lire et ben chanter et des miracles réciter.

Certains supposent qu’il s’agirait d’une mésinterprétation d’une image montrant les trois officiers de Constantin implorant le saint, que la perspective aurait fait ressembler à trois enfants

D’autres avancent l’hypothèse d’une image de trois marins, dans une nef

Il est probable que dans cette légende, il existe un (ou plusieurs) « chainon manquant »

XIIIème siècle

Dans un sermon attribué à saint Bonaventure, deux écoliers nobles et riches, faisant route vers Athènes, s’arrêtent à la ville de Myre. L’hôte qui les héberge, après les avoir occis dans leur sommeil, « les taille en morceaux comme viande de porc et met leurs chairs au saloir ». Saint Nicolas, averti par un ange, vient les ressusciter.

Un vitrail de la cathédrale de Bourges, montre une scène du même genre: A gauche, poussé par sa femme, un homme s’apprète à tailler trois jouvenceaux en pièces. A droite Saint Nicolas les ressuscite

Ces différentes versions vont aboutir à la légende chantée des trois petits enfants, qui s’en allaient glaner aux champs. Une légende qui imposera définitivement Saint Nicolas comme protecteur des enfants

Les temps modernes inventent les cadeaux aux enfants

Il est bien difficile de connaitre les anciennes coutumes vis à vis des enfants, puisqu’elles n’étaient ni codifiées, ni même écrites. On sait cependant que lors des processions profanes qu’étaient les cortéges, mascarades et autres charivari, c’étaient les participants qui quémandaient des offrandes

Vers le XVIème siècle, la tendance va s’inverser, en même temps qu’on va s’intéresser davantage à l’éducation des enfants, en leur octroyant lors des fêtes, récompenses ou punitions

Les cadeaux, comme le reste, sont distribués par des entités merveilleuses, chrétiennes ou païennes, variant selon le pays et la fète.

Dans le cadre de la Tradition Chrétienne, ce sont des saints très populaires pour leur générosité légendaire, comme Saint Martin ou Saint Nicolas, qui vont s’en charger

Dans le tradition païenne, ce seront des fées ou des lutins.

1535

La réforme a balayé l’Europe. Martin Luther veut lutter contre le culte des saints, trop proche de l’idolatrie. Il abolit la fète de Saint Nicolas, avec sa distribution de cadeaux. Désormais, ce sera l’enfant Jésus qui distribuera les cadeaux le jour de Noël. Et tant pis si un nouveau né, tout juste capable de vagir dans sa crèche, ne peut pas apporter de cadeaux. On le vieillira d’une dizaine d’années pour en faire le Christkind, vétu comme un ange. Cette réforme va susciter plusieurs formes de résistance

En Allemagne, on réintroduira, plus tard, Saint Nicolas, en le désanctifiant. Ce sera Pelznickel, vétu de fourrure, ou Ascheklas, au vétement couleur de cendre, qui distribue selon les cas jouets ou coups de martinet.

Aux Pays Bas, si les hollandais se convertissent en majorité au protestantisme, ils refusent d’abandonner leur bon St Nicolas, alias Sinterklaas. Encore aujourd’hui, ils l’attendent le soir 5 décembre, ou il arrive d’Espagne en bateau, et dépose des cadeaux pour les enfants

milieu du XVIème siècle

Parallèment aux distributeurs de cadeaux, d’autres entités vont se charger de punir les enfants désobéissants. Ils sont de deux types: le fouettard, avec des verges, et le croquemitaine, avec un grand sac pour emporter les enfants

En Lorraine c’est le père fouettard. Il est à Saint Nicolas ce que l’enfer est au ciel, et d’ailleurs, noir comme le diable. En Lorraine, ce sont ses vètements qui sont noirs.

En Alsace, c’est Hans Trapp, inspiré, parait il du terrifiant seigneur Hans von Drodt

En Hollande, c’est Zwarte Piet. Sa peau est noire, mais ses vètements sont colorés. En fait, c’est le « maure », tel qu’on le concevait à l’époque

En Allemagne, c’est Knecht Ruprecht, ou Belzebub, ou Hans Muff, Leutfresser, Böser Klaus… (il a des dizaines d’appellations)

En Autriche, c’est Krampus, avec son grand sac

C’est dire si les méchants garnements n’ont qu’à bien se tenir!

XVIIème siècle

En 1625, les dirigeants de la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales décident de construire une enceinte fortifiée, au sud de l’ile de Manhattan, pour y regrouper les activités des comptoirs commerciaux. C’est l’origine de La Nouvelle Amsterdam. Des colons s’y installent, sous la direction de Peter Minnewit, qui en 1626, réalise la meilleure opération immobilière de tout les temps, en achetant aux indiens l’ile de Manhattan, pour 60 florins de marchandises.

Les peuples, en migrant, emportent avec eux leur folklore, et c’est ainsi que les colons hollandais durent apporter Sinterklaas en Amérique, quoiqu’on n’aurait pas trouvé de preuve de son culte à la Nouvelle Amsterdam.

Prise par les anglais en 1664, la ville changea son nom en New-York, en l’honneur du duc d’York, mais n’en conserva pas moins ses traditions.

Pendant que les français croient au Père Noël, Les Américains inventent Santa Claus

C’est à New-York, hé oui, que le Saint Nicolas européen, s’est laïcisé, voire paganisé, en Santa Claus, ancètre , avec le bonhomme Noël, de notre père Noël actuel.

1773

le New York Gazette parle de Sinterklaas sous la forme dialectale Sante Klaas, qu’il abrège en St. A Claus, d’ou plus tard, Santa Claus

1804

John Pintard, brillant patriote américain, descendant d’un Huguenot de la Rochelle, fonde la New York Historical Society

Il la place sous le patronage de Saint Nicolas. Ce patronage sera à la base de la légende de Santa Claus, quand il sera récupéré par le cousin de Pintard, Washington Irving.

1807 à 1809

George Sand, qui a alors entre 3 et 5 ans, croit au Père Noël. Elle racontera plus tard, dans Histoire de ma vie, comment enfant, elle croyait à à la descente par le tuyau de la cheminée du petit père noël, bon vieillard à barbe blanche, qui, à l’ heure de minuit, devait venir déposer un cadeau dans son petit soulier.

son récit montre bien que les français n’avait pas attendu les américains pour imaginer un Père Noël de petite taille, à barbe blanche, passant par les cheminées. Il semble bien plutôt que les américains nous l’aient copié

1809

Diedrich Knickerbocker Parution de A History of New York, fiction historico-satirique, prétenduement écrite par Diedrich Knickerbocker, un vieil hollandais excentrique.

En réalité, ce n’est qu’un « procédé littéraire » pour mieux faire passer la fantaisie, et Diedrich Knickerbocker est lui même fictif. L’oeuvre est de Washington Irving.

Il y raconte comment l’équipage d’un navire hollandais, la Goede Vrouw dont la proue s’orne de la figure de St Nicholas, s’installe à l’embouchure de l’Hudson et y fonde la ville de Communipaw, future Nouvelle Amsterdam, qui sera placée sous la protection de St Nicholas.

6 décembre 1810

la New York Historical Society tient son premier banquet d’anniversaire

Un occasionnel imprimé à cette occasion, s’orne d’une gravure du Dr.Alexander Anderson, à la demande de John Pintard, qui montre un Saint Nicolas… plutôt sévère, mais que les enfants attendent.

deux semaines plus tard, Un journal de New-York publiera à cette occasion ce petit poème:

« Saint Nicholas, my dear good friend!

To serve you ever was my end,

If you will, now, me something give,

I’ll serve you ever while I live. »

1812

Washington Irving, qui était à l’anniversaire de la New York Historical Society, enrichit sa nouvelle édition:

Il y ajoute le rève du commodore Oloffe Van Kortlandt: Saint Nicholas arrive au dessus de la cime des arbres, dans le chariot qu’il utilise pour distribuer des jouets aux enfants. De sa pipe, il sort un nuage de fumée qui recouvre bientôt toute la région, et prend la forme de palais, de domes et de flèches, avant de s’évanouir. Alors St Nicholas, mettant le doigt à son nez, fait un signe à Oloffe, et remonte dans son chariot, qui s’élève dans les airs, et disparait

Il y ajoute aussi qu’aux temps bénis des premiers habitants, St Nicholas se montrait souvent les soirs de fètes, caracolant au dessus des arbres et des toits, pour larguer des cadeaux dans les cheminées de ses protégés, chose qu’il ne fait plus maintenant, qu’une fois par an, pour les seuls enfants

Ce Saint Nicholas, avec son grand chapeau et sa pipe n’a plus grand chose à voir avec le saint evèque, mais on attribue faussement à Irving cette appellation de « Santa Claus », et cette apparence de Lutin, qui n’apparaitra qu’ensuite

1821

Dans un poème d’une publication pour enfants, The Children’s Friend, attribué à William B. Gilley, apparait pour la première fois, le traineau de « Sante Claus ». Il est tiré par un seul renne

Le poème commence ainsi:

Old Santeclaus with much delight

His reindeer drives this frosty night.

O’er chimney tops, and tracks of snow,

To bring his yearly gifts to you…

23 décembre 1823

texte du poëme Le magazine Sentinel, de Troy (USA), publie un poème intitulé Account of a Visit From St. Nicholas, (aujourd’hui connu sous le nom de The Night Before Christmas).

Saint Nicholas y est décrit comme un vieux petit lutin grassouillet qui fume la pipe. Mais cette fois, il a huit rennes nains, nommés Dasher, Dancer, Prancer, Vixen, Comet, Cupid, Donder et Blitzen. Un siècle plus tard, les rennes garderont les mêmes noms, mais auront une taille normale

Ce poème, apparait ensuite dans un recueil de poèmes de 1837, ou il est attribué à Clement Clarke Moore

Il a été réédité de nombreuses fois, et ses illustrations permettent de suivre l’évolution de la représentation de Santa Claus, notamment l’augmentation de sa taille

1844

Un journal de Cincinnati annonce que:

« the sterling old Dutchman, Santa Claus, has just arrived from the renowned regions of the Manhattoes, with his usual budget of knickknacks for the Christmas times. »

Cette mention dans un journal local montre qu’à cette époque, l’appellation Santa Claus, et l’origine hollandaise du personnage était déja bien connues

3 janvier 1863

Thomas Nast, dessine la première representation moderne de Santa Claus, comme un lutin corpulent, mais avec une taille à peu près humaine, dans le magazine Harper’s Weekly

Il en publiera d’autres jusqu’à 1886. On remarque que Santa Claus distribue ses cadeaux dans un camp militaire unioniste. Nous sommes en effet en pleine guerre de Sécession, et il s’agit de maintenir le moral des troupes (Claus mit uns, aurait dit les allemands)

Sa veste couverte d’étoiles, et son pantalon à larges rayures, tirées du « star & stripes », nous renseignent sur les couleurs: veste bleue et pantalon rouge et blanc

25 décembre 1866

Sur une double page de Harper’s Weekly, intitulée Santa Claus and His Works, Thomas Nast, représente l’ensemble des activités de Santa Claus, qui est à nouveau de petite taille.

Santa fabrique lui même les jouets et repère les enfants sages au télescope. Son atelier est situé au pole nord

On peut quand même se demander comment il fait pour voir les enfants, à plusieurs milliers de km de distance… et sous l’horizon (puisque la terre est ronde)

1870

George P. Walker, reprend les images de Santa Claus and His Works, en cinq chromolthographies.

Reprenant les couleurs de l’édition de 1869 du poème de Sentinel, il habille de rouge le personnage de Thomas Nast, toujours basé au pole nord.

1875

Selon le Dictionnaire de la conversation:

Dans nos villes et dans nos campagnes, c’est l’usage de faire déposer aux enfants un soulier ou un sabot auprès de l’âtre, afin d’y recueillir le lendemain le joujou où le bonbon que le bonhomme Noël y apportera dans la nuit.

23 décembre 1880

Santa Claus franchit la frontière et vient se montrer au Canada

Le voici, entouré de ses elfes, sur une page de l’hebdomadaire canadien L’opinion publique. On ignore malheureusement, la couleur de son costume

24 décembre 1881

Les enfants ne croiraient ils déja plus au Père Noël? Voila qu’ils offrent les cadeaux eux-mêmes!

Du moins si l’on en croit cette chromolithographie du Monde Illustré, et l’explication qui va avec:

C’est le 1er janvier; deux enfants, deux petites filles appartenant aux classes extrèmes de la société, se trouvent en présence. L’une est comblée de joujoux et sort d’un luxueux et confortable coupé; elle a sa mère; l’autre est abandonnée sur le pavé boueux, et repait ses yeux, ses yeux seulement, hélas! des jouets qui passent. Mais ce qui fait le lien entre ces deux êtres, c’est la charité de l’enfant riche, présentant ses mains pleines à l’enfant pauvre, en lui disant: Choisis!

1885

Louis Prang, un des promoteurs de la chromolithographie, a inventé la carte postale de Noël en couleurs en 1875.

A partir de 1885, il y fait apparaitre Santa Claus

Sur cette image, non seulement Santa est en rouge, mais il utilise la technique moderne, en prenant les commandes des enfants par téléphone

(on se demande, d’ailleurs, quel pouvait bien être son numéro de téléphone)

1886

Nouvelle édition en chromolthographies de Santa Claus and His Works, par George P Webster.

Santa Claus est toujours chaudement vétu (au pole nord, vous pensez!) mais il n’est plus habillé en rouge.

Ce Santa Claus vétu de fourrure n’aura pas de suite. Le rouge prévaudra

1889-1895

Un certain éclectisme règne dans les revues françaises. Les numéros de Noël publient des contes où apparaissent, le petit homme de Noël, le petit Jésus, Saint Nicolas et le bonhomme Janvier

Dans Le petit Français illustré du 21 décembre 1889, Wigg, un petit garçon suédois est emmené en traineau par le petit homme de Noël, dont les minuscules chevaux s’appellent Le rapide, l’éveillé, l’élégant, et le dégourdi

Le petit Français illustré du 20 décembre 1890, publie un conte de françois Coppée, ou le petit Wolf rencontre un enfant endormi et pieds nus, devant lesquel les enfants riches ont passé indifférents. Il lui offre un de ses sabots, et rentrant à cloche pied, est vertement tancé par sa tante. Mais le lendemain, devant ses sabots réunis, la cheminée déborde de jouets, pendant que les enfants riches n’ont trouvé que des verges. Et tous de comprendre que l’enfant endormi était le petit Jésus

L’écolier illustré du 5 décembre 1895, explique comment un mauvais sentier s’est appelé chemin de St Nicolas: Un 5 décembre au soir, deux enfants miséreux y ont rencontré un homme à barbe blanche, vétu d’un large manteau sombre qui leur conseilla d’implorer Saint Nicolas. Au petit matin, ils trouvèrent des pièces d’or dans leurs souliers

Le numéro du 26 décembre 1895, raconte comment un sympathique grand-père, nommé justement Mr Janvier, s’amuse à distribuer des cadeaux achetés dans les bazars du coin, déguisé en bonhomme Janvier et monté sur un traineau

1890

La publicité récupère Santa Claus.

Sur cette image publicitaire, pour le savon Star soap, Il est à nouveau en rouge, et a toujours la pipe que lui avait donné Washington Irving, mais il n’a pas encore son gros ceinturon. Il faut dire qu’il n’a pas son gros ventre non plus.

1897

Santa Claus existe-t-il vraiment, ou non? La petite Virginia O’Hanlon, agée de 8 ans, s’en ouvre au New York Sun. La réponse du journaliste Francis Pharcellus Church est entrée dans la légende.

« … Oui, Virginia, Santa Claus existe. Il existe aussi certainement que l’amour, la générosité et la dévotion existent… »

On remarquera qu’après avoir fait croire, deux générations auparavant, aux habitants de la lune, le New York Sun pouvait bien faire croire à Santa Claus

1900

Le Nouveau Larousse illustré, qui marque l’état des connaissances au changement de siècle, ne connait pas encore le père Noël, mais témoigne de la tradition du bonhomme Noël, associé au père fouettard

Décembre 1901

Dur, le progrès technique. Le Père Noël, qui, dans Le Monde illustré, n’est déja plus le bonhomme Noël, n’a pas attendu les calculs des scientifiques pour comprendre la difficulté de sa mission

Allez donc distribuer des jouets en passant par des cheminées de 40 mètres de haut, et qui sont en activité, en plus. C’est à donner sa démission

(au fait, à qui?)

1902

Santa Claus est maintenant assez célèbre pour faire l’objet d’un livre entier: The Life and adventures of Santa Claus, par Lyman Frank Baum, l’auteur de la série du magicien d’Oz

1905

Et pourquoi Santa Claus ne bénéficierait il pas du progrès, lui aussi, hein?

Et voila Santa Claus qui fait sa tournée en voiture, dans cette publicité pour Oldsmobile.

… Et avec chauffeur, s’il vous plait!

entre 1903 et 1908

Et toujours plus loin dans le progrès: C’est maintenant en aéroplane que Santa Claus fait sa tournée!

Cette carte de la collection Summersdarling n’est pas datée, mais la représentation de l’aéroplane est celle de celui des frères Wright, ce qui permet d’en situer la date entre 1903 et 1908, époque ou les aéroplanes avaient l’empennage à l’arrière.

Santa Claus traverse l’Atlantique

1910

En France et en Belgique, commencent à cohabiter deux types de Sr Nicolas: Le Saint Nicolas traditionnel, habillé en évèque, avec mitre et crosse, qui est aidé d’un âne pour transporter les jouets, et le Saint Nicolas d’importation, habillé en Santa Claus, sans âne.

Au total, avec le Père Noël (ex bonhomme Noël), cela nous fait trois distributeurs de jouets. Dommage pour les enfants qu’ils ne passent pas simultanément

1913

Premiere illustration de Santa Claus par Norman Rockwell, probablement le meilleur illustrateur de son temps. Il en fera plus d’une trentaine

Noël 1913

Napoléon aurait rencontré le Père Noël! Du moins c’est l’historien G. Lenotre qui le dit.

Enfin… plus exactement, c’est le journaliste d’histoire Théodore Gosselin, dit G. Lenotre, qui signe dans la revue Lectures pour tous, un joli conte:

l’histoire se passe à Nasielsk, en Pologne en 1806. Une petite émigrée, de 8 ans rédige sa lettre au petit Jésus, qu’elle confie au Père Noël, qui lui sert de facteur. Elle y demande de rendre ses biens à son père, dépouillé par la révolution. Ce soir là, Napoléon est à Nasielsk. Intrigué par le Père Noël, il examine son panier de lettres, y découvre celle de la petite fille, et, ému, prend un décret rétablissant la famille émigrée dans ses droits

G. Lenotre

1914

Pendant qu’on s’active beaucoup, sur Terre et sur mer, Santa Claus surveille tout cela aux jumelles… en dirigeable. Be aware: Santa Claus is watching you

7 décembre 1918

La guerre est finie: Santa Claus qui a troqué son bonnet contre un casque, peut retrouver ses activités de Noël sur cette illustration de Joseph Christian Leyendecker pour le Saturday Evening post

Noël 1918

Les « sammies », les soldats de l’Oncle Sam, sont encore en France. L’entrée en guerre des USA, en avaient envoyé jusqu’à deux millions. Arrivés avec leur culture et leur folklore, ils organisent dans certaines villes de Bourgogne, des distributions de cadeaux, avec sapin et Santa Claus

à Cruzy, « II » était là, en personne, pour distribuer les cadeaux… On avait confié son rôle à un sous-officier habitué à tirer de sa pipe de grosses volutes de tabac, on l’avait vêtu de pantalons de femmes bouffants en flanelle rouge dérobés sur la corde à linge où ils séchaient, on l’avait chaussé des bottes du colonel réquisitionnées pour la circonstance. Tel apparut pour la première fois en Tonnerrois le Père Noël, inconnu, mystérieux, mais tout de suite sympathique.

(Jean-Pierre Fontaine, Les nouveaux mystères de l’Yonne, Editions de Borée, 2007)

12 décembre 1923

Première publicité en couleur pour un soda, dans le magazine Life.

Non ce n’est pas Coca cola, mais White Rock, qui avait déja récupéré Santa dès 1915, mais dans des publicités dessinées en gravure au trait

décembre 1930Les temps sont durs (c’est l’époque de la grande dépression économique).

Depuis 1922 Coca Cola essaie de persuader ses clients qu’il n’y a pas de saison pour la soif. Sept ans après White rock, la firme décide de récupérer le jovial Santa Claus, dont la couleur rouge lui siérait bien.

Une première publicité dessiné par Fred Mizen, l’illustrateur habituel de la firme, montre un Père Noël de grand magasin, pendant la pause. Le succès de cette image encourage la firme à continuer dans cette voie

décembre 1931

Sur les conseils d’Archie Lee, Coca Cola demande à Haddon Sundblom des illustrations publicitaires, sur le modèle du Santa Claus de Fred Mizen. Cette fois ci, il s’agit de représenter le « vrai » Père Noël, et non plus un vulgaire figurant.

Les illustrations de Sundblom sont tellement réussies que plus tard, on croira que c’est lui qui a créé cette représentation de Santa Claus, en rouge avec un gros ceinturon

1939

Un nouveau renne vient aider Santa Claus dans sa tournée: Rudolph, dont la particularité est d’avoir la truffe rouge et lumineuse, ce qui lui permet de guider le traineau quand on n’y voit goutte. Il apparait dans un poème de Robert L. May, un employé de la Montgomery Ward company, agé de 34 ans.

Le poème de May sert de thème à un album pour enfants, qui, malgré la guerre, sera tiré à 6 millions d’exemplaires

1941

Aaaarrgh… On aurait assassiné le père Noël?

Non, rassurons nous, dans le film de Christian-Jaque, L’Assassinat du Père Noël, le Père Noël n’est pas vraiment assassiné. c’est un voleur déguisé qui l’est à sa place. Y’a quand même une morale.

1944

Et voici Rudolph sur nos écrans.

Avec le dessin animé Rudolph the red nosed reindeer, Max Fleischer porte à l’écran la version la plus achevée du mythe de Santa Claus. Même la possibilité de collision avec les avions y est évoquée

23 décembre 1951

Feu le Père Noël Ils ont brulé le Père Noël!

Jeanne d’Arc et Michel Servet ne leur suffisait pas. Voila que des prètres intégristes, outrés du consumérisme que professe le père Noël, en cette période de privations, décident de le bruler

Devant plus de 200 enfants, un Père Noël de 2.5 m est brulé sur le parvis de la cathédrale Saint-Bénigne de Dijon.

Cet acte va provoquer une flambée d’étonnement. Le lendemain, le chanoine Kir, maire de Dijon, préfère le faire oublier et montrer le père Noël sur les toits de l’hotel de ville, comme chaque année

décembre 1954

Son premier timbre Le premier timbre poste à l’effigie de Santa!

On se demande d’ailleurs pourquoi il a fallu attendre aussi longtemps, pour faire un timbre à l’effigie d’un personnage aussi célébre, alors qu’il existe des quantités de timbres à l’effigie d’illustres oubliés. Et ce ne sont ni les français, ni les américains qui y ont pensé, mais les cubains

Du coup, on s’attendrait à voir un Santa Claus le cigare aux lèvres…

décembre 1955

Norad tracks Santa A la hotline du Continental Air Defense Command, on fut bien étonné d’entendre une petite voix enfantine qui demandait à parler à Santa Claus!

En fait, un magasin de Colorado Springs avait passé une publicité dans le journal local, en proposant aux enfants d’appeler le Père Noël sur une ligne téléphonique spéciale. Malheureusement, il y eut une erreur d’impression…

Comprenant ce qui se passait, le directeur des opérations, le Colonel Harry Shoup, décida de jouer le jeu, et demanda à son personnel d’examiner les données radar, pour voir si on pouvait trouver des enregistrements pouvant correspondre au passage du traineau de Santa Claus. On en trouva, et depuis, le NORAD guette chaque mois de décembre, le passage de Santa

1958

Agrandir Toujours à la pointe du progrès, Santa Claus fait désormais sa tournée en soucouoe volante!

Comment ça, les soucoupes volantes n’existent pas?

Les soucoupes volantes existent tout autant que Santa Claus, enfin quoi!

1962

Où la poste peut elle envoyer une lettre adressée au Père Noël, rue des nuages, au pole nord? Au centre de tri de Libourne, qui s’occupe des correspondances à l’adresse invalide. C’est pourquoi le ministre des PTT, Jacques Marette, crée à Libourne un service spécialement chargé du courrier du Père Noël. Il faut dire que sa soeur, la psychanalyste Françoise Dolto, fut aussi la première secrétaire du père Noël, en rédigeant sa première réponse

1964

Agrandir Alerte! Les martiens ont capturé Santa Claus!

Constatant que leurs enfants sont devenus dépendants des emissions TV terriennes montrant Santa Claus, les martiens montent une expédition sur Terre pour le capturer. Heureusement, c’est du cinéma et ça se termine bien.

Les couleurs de l’affiche sont affreuses, mais il faut se rappeler qu’à l’époque, pour le grand public, Mars était une planète rouge habitée par des hommes verts

Quant aux martiens, heu…

1972

Horreur! La science s’en mèle.

En voulant montrer qu’il est possible de réfuter un phénomène, rien que sur son hypothèse de départ, Carl Sagan démontre l’impossibilité de la distribution des jouets par Santa Claus, la nuit de noël. Sa démonstration parait imparable. C’était bien la peine que Francis P. Church se donne du mal…

1982

Le Père Noël est une ordure!

Non! C’est pas vrai? On ose diffamer le Père Noël? Ben si. Mais, dans le film, de Jean-Marie Poiré, ce n’est qu’un ivrogne habillé en Père Noël. S’y ajoute toute une galerie de marginaux, et de situations cocasses, avec des dialogues savoureux.

Devenu avec le temps un film culte, comme « les tontons flingueurs, il s’inspire d’une comédie sortie en 1979.

Et encore, on avait parlé de l’appeler: « Le père Noël s’est tiré une balle dans le cul »

Ils ne respectent plus rien! Tout fout l’camp, mon bon monsieur…

1983

Les Canadiens respectent la croyance au Père Noël, eux!

Depuis 1974, des employés de la Société Canadienne des Postes répondaient bénévolement au courrier du père Noël. Ils furent bientôt submergés quand leur activité fut connue, et durent demander de l’aide

Finalement, en 1983, la Société Canadienne des Postes créa, comme l’avait la France 21 ans plus tôt, un service spécial destiné au courrier du Père Noël, qui recut un code postal spécial: « HOH OHO »

Le service répond dans la langue des enfants, soit une vingtaine de langues, et même en braille!

janvier 1990

Après les scientifiques, les humoristes.

Répondant 93 ans après à la question de la petite Virginia O’Hanlon (qui aurait eu alors 101 ans), Richard Waller, dans un article mémorable de Spy magazine, de janvier 1990, « is there a Santa Claus? », entreprend de réfuter lui aussi l’existence de Santa Claus. Sur la base d’une argumentation scientifique et technique en 5 points, il démontre que dans de pareilles conditions, si le père Noël a jamais fait sa distribution de cadeaux, il ne peut être que mort

Son argumentation désopilante sera reprise chaque année à l’époque des fètes, surtout après le développement du Web, et d’Usenet

1993

Enfin, un timbre français!

Il a fallu attendre qu’arrivent à La Poste des cadres qui avaient autrefois reçu une réponse du Père Noël, pour qu’on se décide enfin à lui consacrer un timbre

On se demande bien pourquoi il a des patins à glace? Ca ne doit pas ètre pratique pour évoluer sur des toits en pente.

21ème siècle

Les démystifications du père Noël se multiplient, mais depuis l’an 2000, elles se muent parfois en remystifications!

Les moins graves disent que le mot « Santa Claus » a été inventé par Washington Irving en 1809, alors que l’expression semble être apparue entre 1821 et 1844

Plus grave, il se dit que le Père Noël est apparu en France en 1945, apporté par les américains pour remplacer Saint Nicolas

Pire, la rumeur court que la représentation moderne du père Noël, avec ses vètements rouges, est une invention de Coca Cola!

C’est tout juste si on n’accuse pas Coca Cola d’avoir inventé Santa Claus

Une chose est sûre, ce n’est pas Santa Claus qui a inventé le Coca Cola!

24 décembre 2008

Abomination! Santa Claus est un fou criminel!

A Covina, en Californie, une trentaine de personnes réveillonnaient. Santa Claus se présente. Confiante, une petite fille de 8 ans va lui ouvrir…

Et soudain, c’est l’enfer. Santa Claus tire sur le petite fille, tire sur les invités, en abat plusieurs de sang froid, puis il allume une bombe incendiaire et s’enfuit

Après son suicide, on retrouvera son corps et son costume de Santa Claus. Dans les décombres de la maison, on retrouvera 9 cadavres (laissant 16 orphelins)

Il n’y a vraiment qu’aux USA qu’on puisse voir des choses pareilles. Les Américains avaient créé Santa Claus, les Américains sont en train de le tuer

Pauvre Santa Claus, pauvre Père Noël…

Dernière mise à jour: 28/12/2008

Voir enfin:

Coca-Claus

Did a soda-pop company invent Santa?

Seeta Pena Gangadharan

The Boston Phoenix

December 9 – 16, 1999

Santa Claus is the result of a Coke deal.

No joke. Fat, jolly Santa — the guy with the red suit and cap, the thick black belt and sooty boots, the rosy cheeks, the luminous eyes, the brighter-than-white teeth — is the spawn of an advertising campaign by Coca-Cola back in the 1930s.

Surprised? Don’t be. As far as Coca-Cola is concerned, this is public knowledge. The company is open about its role in popularizing Santa; it has even sponsored gallery exhibitions on « Advertising as Art » that explain how it all happened, one of which was held at the Carrousel du Louvre, in Paris, in 1996. Here’s the story:

Back in the late 19th century, when Coca-Cola was new, the whole purpose of the beverage was medicinal. If you were feeling « low » or if you suffered from headaches, a Coke was the perfect remedy. The featured ingredient — cocaine, or coca-bean extract — guaranteed a renewed agility and acuity. Indeed, many people found out about Coke from their pharmacists; the company paid pharmacists a commission if drugstores allowed them to install a carbonation tap on the premises.

By the 1930s, Coca-Cola needed to re-evaluate its business plan. The more controversial aspects of the beverage had long been dealt with (as early as 1903, coca-bean extract was removed and caffeine took its place), but it was the Depression; beverage sales were slow — especially in the wintry months — and Coca-Cola needed a new hook and line to attract the American market.

So, in 1931, Coca-Cola changed its target audience: from the adult looking for a pharmaceutical pick-me-up to the whole family. Coca-Cola was now a great taste to be enjoyed by everyone! To bring the point home, the company launched an extensive advertising campaign that pioneered the use of well-known artists as ad designers. Coca-Cola blitzed pharmacies and stores with promotional material suitable for the whole family.

The most successful illustrations were by a Swedish artist named Haddon Sundblom, whose work depicted a portly white man in a red suit bringing joy to family and friends with a bottle of Coke. The figure in the illustrations was the first modern Santa.

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Naturally Coke can’t take full credit for bringing Santa into the homes and hearts of Americans everywhere; the full history of Santa Claus is much longer than the history of the Coca-Cola company. Various folk traditions incorporate mysterious holiday gift givers: St. Nicholas, loosely based on a fourth-century bishop of Asia Minor; a Scandinavian dwarf or a goat; Kolyada, the white-robed girl of pre-revolutionary Russia who arrived atop a sleigh with accompanying carolers; and the many religious gift bearers associated with the Magi.

In the United States, the Dutch were primarily responsible for spreading the idea of Sante Klaas, whose character was based on one of their revered bishops. Sante Klaas gave form to the current myth of Santa and fleshed out his reputation as a gift giver: eight flying reindeer, living near the North Pole, filling socks with presents, arriving through the chimney.

Two people are usually given credit for creating the American version of Santa: Clement C. Moore and Thomas Nast. In 1823, Moore wrote « A Visit from St. Nicholas, » the poem we generally think of as  » ‘Twas the Night Before Christmas. » His description of Santa is suggestive of a fat man, in the gnomish fashion of the earlier European versions.

The poem reads:

His eyes how they twinkled! His dimples how merry!

His cheeks were like roses, his nose like a cherry;

His droll little mouth was drawn up like a bow,

And the beard on his chin was as white as the snow . . .

He had a broad face, a little round belly

That shook when he laughed, like a bowl of jelly.

He was chubby and plump, a right jolly elf . . .

Nearly 40 years later, political cartoonist Thomas Nast drew a version of St. Nicholas for Harper’s Illustrated Weekly. Nast’s Santa, now a famous image, wears a woolly suit and resembles a stout elf with whiskers and a beard. But still, he doesn’t look quite like Santa. Most of Nast’s illustrations were black and white, but even in his color renditions, Santa prefigures the modern, commercial image only vaguely. Most notably, his trademark bright red color is missing.

As a jolly man in a red suit, Santa Claus is pure Coke. The company found that Haddon Sundblom’s image of Santa Claus — modeled, incidentally, on a retired salesman named Lou Prentice — hit the right buttons in terms of stirring the hearts and quenching the thirsts of consumers everywhere. The company contracted with Sundblom to continue making Coke ads with this model for the next 35 years.

Using Sundblom’s version of Santa, Coca-Cola orchestrated a full frontal attack on the market. Santa-Coke propaganda was everywhere. Magazine advertisements were particularly popular, as were point-of-purchase promotional items. Collectibles, too, were another way that Coca-Cola expanded its presence — a strategy that is standard today for any advertiser, from Camel to Nike.

Coca-Cola also patented a formula for the bright red color used for Coke packaging and for Santa’s suit. Any artist working for Coca-Cola was required to use this color red; every Santa in every Coke ad was the exact same red color as the Coke label. As with its famous bottle, Coke had given birth to a nearly universal American icon.

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A marketing campaign, of course, can be too successful for its own good. We no longer associate the Coca-Cola company with Santa, even a Santa dressed in the exact color of a Coke can. In becoming ubiquitous, the two icons have become independent again. Now the link is a matter of advertising history, something to be studied by marketing students and maybe the slew of tourists and French citizens who saw Coke’s exhibit at the Louvre. Occasionally, Coca-Cola revives Sundblom’s Santa in a nostalgic appeal to its loyal consumers, but the story is rarely told.

As Mark Pendergrast, author of For God, Country and Coca-Cola, concluded:

Prior to the Sundblom illustrations, the Christmas saint had been variously illustrated wearing blue, yellow, green, or red. . . . After the soft-drink ads, Santa would forever more be a huge, fat, relentlessly happy man with broad belt and black hip boots — and he would wear Coca-Cola red. . . . While Coca-Cola has had a subtle, pervasive influence on our culture, it has directly shaped the way we think of Santa.

Seeta Pena Gangadharan is a freelance writer living in London


Bilan Chirac: Nous avons été présidés par un délinquant pendant 12 ans et nous ne le savions pas! (Justice finally catches up with France’s first former head of state since WWII)

22 décembre, 2011
http://lardon.files.wordpress.com/2011/09/11-09-23-chirac_72.jpg?w=450Voici un homme qui a dû se représenter à  sa réélection l’an dernier afin de préserver son immunité  présidentielle des poursuites judiciaires pour de graves accusations de corruption. Voici un homme qui a aidé Saddam Hussein à construire un réacteur nucléaire et qui savait très bien ce qu’il comptait en faire. Voici un homme à la tête de la France qui est en fait ouvertement à vendre. Il me fait penser au banquier de « L’Education Sentimentale » de Flaubert : un homme si habitué à la corruption qu’il payerait pour le plaisir de se vendre lui-même. Ici, également, est un monstre positif de vanité. Lui et son ministre des affaires étrangères, Dominique de Villepin, ont mielleusement déclaré que la « force est toujours le dernier recours.  » Vraiment ? Ce n’était pas la position de l’establishment français quand des troupes ont été envoyées au Rwanda pour tenter de sauver le client-régime qui venait de lancer un ethnocide contre les Toutsis. Ce n’est pas, on présume, la position des généraux français qui traitent actuellement comme leur fief  la population et la nation ivoiriennes. Ce n’était pas la position de ceux qui ont commandité la destruction d’un bateau désarmé, le Rainbow à l’ancre dans un port de Nouvelle Zélande après les manifestations contre la pratique officielle française d’essais nucléaires atmosphériques dans le Pacifique. (…) Nous nous rendons tous compte du fait que Saddam Hussein doit beaucoup d’argent à des compagnies françaises et à l’Etat français. Nous espérons tous que le parti Baath irakien n’a fait aucun cadeau privé à des personnalités politiques françaises, même si le moins qu’on puisse dire c’est que de tels scrupules des deux côtés seraient une anomalie. Est-il possible qu’il y ait plus en jeu que cela ? Il est très possible que le futur gouvernement de Bagdad ne se considère plus tellement responsable des dettes de Saddam. Ce seul fait conditionne-t-il la réponse de Chirac à une fin de régime en Irak ? (…) Charles de Gaulle avait un égo colossal, mais il se sentit obligé à un moment crucial de représenter une certaine idée de la  France à un moment où cette nation avait été trahie dans le servitude et la honte par son establishment politique et militaire. (…) Il avait un sens de l’histoire. Aux intérêts permanents de la France, il tenait à joindre une certaine idée de la liberté aussi. Il aurait approuvé les propos de Vaclav Havel – ses derniers en tant que président tchèque – parlant hardiment des droits du peuple irakien. Et on aime à penser qu’il aurait eu un mépris  pour son pygmée de successeur, l’homme vain, poseur et vénal qui, souhaitant jouer le rôle d’une Jeanne d’Arc travestie, fait de la France le proxénète abject de Saddam. C’est le cas du rat qui voulait rugir. Christopher Hitchens (2003)
Attendu  que (…)  Jacques Chirac a été l’initiateur et l’auteur principal des délits d’abus de confiance, détournement de fonds publics, ingérence et prise illégale d’intérêts (…) [et] que l’ancienneté des faits, l’absence d’enrichissement personnel (…), l’indemnisation de la Ville de Paris (…), l’âge et l’état de santé actuel  (…) ainsi que les éminentes responsabilités de chef de l’Etat qu’il a exercées pendant (…) douze années  (…) ne sauraient occulter le fait que (…) Jacques Chirac a manqué à l’obligation de probité qui pèse sur les personnes publiques (…) au mépris de l’intérêt général (…). Verdict de la 11e chambre correctionnelle de Paris (15.12.11)
Jacques Chirac reste la personnalité préférée des Français, selon une étude réalisée par Ifop pour Paris Match. (…) Jacques Chirac, qui fait toujours l’objet d’une procédure judiciaire et dont les problèmes de santé ont été rendus publics, est toujours en tête du classement, malgré une baisse de un point avec 73 % de bonnes opinions. Le Point (13.09.11)
Nous avons été présidés par un délinquant pendant 12 ans, et mon adversaire de 2002 est quelqu’un qui aurait dû être condamné à la prison. Le Pen
Ce jugement rendu après un véritable marathon judiciaire est la preuve de la nécessité et de l’utilité d’une justice indépendante et qui juge à égalité l’ensemble des citoyens (…) Aujourd’hui, la justice est faite et c’est moins la sanction que la condamnation qui est aujourd’hui centrale. Nul citoyen ne doit être au-dessus des lois si nous voulons redonner confiance dans la justice et la démocratie. Dans une République exemplaire, c’est le devoir des femmes et des hommes politiques que d’en finir avec ces pratiques malsaines. Eva Joly (candidate écologiste à l’élection présidentielle)
Ces circonstances ne doivent pas faire oublier l’engagement constant de Jacques Chirac au service de la France, ce qui lui vaut et lui vaudra encore l’estime des Français. Nicolas Sarkozy
C’est une décision qui à mon sens ne viendra pas altérer la relation personnelle qui existe entre les Français et Jacques Chirac. François Fillon
Ce que démontre ce procès, c’est que ce président aura beaucoup triché avec les règles pour se faire élire.  Denis Baupin (adjoint EELV au maire de Paris)
Je me félicite que la justice passe, qu’elle ne distingue pas les justiciables selon qu’ils soient puissants ou pas. C’est un bon signe pour la démocratie française qu’une justice indépendante puisse prononcer un tel verdict à l’égard d’un ancien président de la République. Cela confirme qu’il y avait donc bien eu à la mairie de Paris ce que nous savions déjà –puisque l’UMP avait indemnisé la Ville de Paris– il y avait donc eu un manque de probité dans ce système d’emplois fictifs. Benoît Hamon (porte-parole du Parti socialiste)

Nous avons été présidés par un délinquant pendant 12 ans et nous ne le savions pas!

Marchés truqués, voyages et frais de bouche bidouillés, faux électeurs et emplois fictifs, valises  et mallettes de billets africainesbarils de pétrole irakien

Une semaine après la condamnation historique du premier ancien chef d’Etat français depuis la guerre soit depuis 66 ans pour huit présidences mais aussi, sans compter la courageuse ténacité du militant vert parisien Pierre-Alain Brossault, 17 longues années de procédure et de manoeuvres dilatoires pour une peine largement symbolique …

Et à l’heure où le Canard enchainé confirme que ce n’est que sous la menace de tout déballer de ses trois anciens directeurs de cabinet à la mairie de Paris, peu désireux de payer tout seuls pour leur ex-patron, que le délinquant multirécidiviste qui nous a tenu lieu de président pendant 12  ans s’est résigné à ne pas faire un énième appel …

Et contre toutes les larmes de crocodiles de ceux qui, l’actuel président Sarkozy et son premier ministre Fillon en tête, se félicitent de ce que  « l’engagement constant de Jacques Chirac au service de la France lui vaut et lui vaudra encore l’estime des Français » …

Comme ceux qui tentent de se rassurer à bon compte d’un prétendu bon fonctionnement de la justice et de la démocratie françaises

Comment ne  pas s’inquiéter quand on voit que, mise à part l’heureuse exception de la candidate écologiste, ancienne juge et d’origine nordique (seule à demander par ailleurs sa démission du Conseil constitutionnel dont il est membre à vie) …

C’est comme d’habitude le seul éternel repoussoir de la politique française et fondateur du parti le plus vilipendé du pays qui aura le courage de dire la triste vérité

A savoir que « nous avons été présidés par un délinquant pendant 12 ans » et que nous ne le savons toujours pas?

Procès Chirac : le verbatim du verdict

Jacques Chirac a été condamné à deux ans de prison avec sursis dans le cadre de l’affaire des emplois fictifs de la ville de Paris. Dans ses attendus, le tribunal évoque notamment le fait que l’ancien président a « manqué l’obligation de probité qui pèse sur les personnes publiques ». Voici les principaux extraits de ce jugement.

« Attendu que la responsabilité de Jacques Chirac, maire de Paris, découle du mandat reçu de la collectivité des Parisiens; qu’elle résulte également de l’autorité hiérarchique exercée par lui sur l’ensemble du personnel de la Ville de Paris et singulièrement sur ses collaborateurs immédiats au premier rang desquels son directeur de cabinet;

Attendu que le dossier et les débats ont établi que Jacques Chirac a été l’initiateur et l’auteur principal des délits d’abus de confiance, détournement de fonds publics, ingérence et prise illégale d’intérêts;

Que sa culpabilité résulte de pratiques pérennes et réitérées qui lui sont personnellement imputables (…)

Qu’en multipliant les connexions entre son parti et la municipalité parisienne, Jacques Chirac a su créer et entretenir entre la collectivité territoriale et l’organisation politique une confusion telle qu’elle a pu entraîner ses propres amis politiques;

Que le gain en résultant (…) a pu prendre la forme soit d’un renforcement des effectifs du parti politique dont il était le président soit d’un soutien à la contribution intellectuelle pour l’élaboration du programme politique de ce parti;

Attendu que par l’ensemble de ces agissements, Jacques Chirac a engagé les fonds de la Ville de Paris pour un montant total d’environ 1.400.000 euros;

Attendu que l’ancienneté des faits, l’absence d’enrichissement personnel de Jacques Chirac, l’indemnisation de la Ville de Paris par l’UMP et Jacques Chirac, ce dernier à hauteur de 500.000 euros, l’âge et l’état de santé actuel de Jacques Chirac, dont la dégradation est avérée, ainsi que les éminentes responsabilités de chef de l’Etat qu’il a exercées pendant les douze années ayant immédiatement suivi la période de prévention, sont autant d’éléments qui doivent être pris en considération pour déterminer la sanction qu’il convient d’appliquer à son encontre;

Attendu que ces éléments ne sauraient occulter le fait que, par son action délibérée, en ayant recours au cours de ces cinq années à dix neuf emplois totalement ou partiellement fictifs, Jacques Chirac a manqué à l’obligation de probité qui pèse sur les personnes publiques chargées de la gestion des fonds ou des biens qui leur sont confiés, cela au mépris de l’intérêt général des Parisiens;

Que dans ces conditions, le recours à une peine d’emprisonnement avec sursis dont le quantum sera fixé à 2 années apparaît tout à la fois adapté à la personnalité du prévenu ainsi qu’à la nature et la gravité des faits qu’il a commis. »

La rédaction (avec AFP) – leJDD.fr

Voir aussi:

Sarkozy évoque « l’engagement constant de Chirac au service de la France »

Le JDD

15 décembre 2011

Retrouvez toutes les réactions politiques à la condamnation de Jacques Chirac.

Nicolas Sarkozy. Dans un communiqué, la présidence de la République indique que Nicolas Sarkozy « a pris acte de la décision de justice qui vient d’être prise à l’encontre du Président Jacques Chirac ». « Il ne lui appartient pas de la commenter », précise le texte, qui se conclut par : « Ces circonstances ne doivent pas faire oublier l’engagement constant de Jacques Chirac au service de la France, ce qui lui vaut et lui vaudra encore l’estime des Français. »

Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier ministre de Jacques Chirac. Jean-Pierre Raffarin a qualifié mercredi sur France 3 la condamnation de l’ancien président de « triste nouvelle », estimant que ce jugement était « d’une grande sévérité et surprenant ». « Je suis franchement surpris parce qu’il y a quelque chose d’un peu anachronique : on juge aujourd’hui des situations d’une autre époque, entre-temps de nombreuses lois ont changé la donne », a souligné le sénateur UMP. Pour Jean-Pierre Raffarin, Jacques Chirac « est quelqu’un qui est en paix avec lui-même, il a conscience qu’il a donné le meilleur de lui-même pour le pays », « mais ce genre de décision laisse forcément des cicatrices ». « Aujourd’hui mon raisonnement n’est pas juridique mais personnel et c’est de la tristesse au coeur », a-t-il conclu.

Christian Jacob, président du groupe UMP à l’Assemblée nationale. Christian Jacob, très proche de Jacques Chirac, s’est dit jeudi « affecté » et « triste » de la condamnation de l’ancien président de la République. « Il souhaitait être jugé et être jugé comme un citoyen normal et assumer l’entièreté de ses responsabilités. Moi je pense qu’on aurait pu s’éviter ce procès mais ça n’était pas le souhait de Jacques Chirac », a-t-il déclaré sur France 2. « Jacques Chirac a fait le choix de se comporter comme il s’est toujours comporté, c’est-à-dire en chef, en disant : ‘j’assume l’entière responsabilité des faits’ et en protégeant ainsi en quelque sorte ses collaborateurs, ce qui est tout à son honneur », a ajouté le député de Seine-et-Marne.

François Hollande, candidate du PS à la présidentielle. François Hollande a déclaré jeudi que « la justice » était « passée » après la condamnation de Jacques Chirac à deux ans de prison avec sursis, mais a exprimé aussi « une pensée pour l’homme ». « La justice est passée et elle devait passer pour que ne s’installe pas un sentiment d’impunité », a-t-il déclaré à Bondy (Seine-Saint-Denis) en marge d’une visite sur le thème de la formation des enseignants. Il a souligné le « retard par rapport aux faits » dans le dossier des emplois fictifs de Paris, ce qui « renvoie à la question du statut pénal du chef de l’Etat ». « J’ai une pensée pour l’homme qui connaît en plus des ennuis de santé' », a-t-il ajouté.

François Fillon, Premier ministre. François Fillon a estimé jeudi que le jugement visant Jacques Chirac dans l’affaire des emplois fictifs de la Ville de Paris arrivait « vraiment trop tard », 20 ans après les faits, assurant qu’il n’allait pas modifier la bonne opinion qu’ont les Français de l’ex-président. « Je n’ai pas l’habitude de commenter des décisions de justice, je pense simplement que celle-ci arrive vraiment trop tard, plus de 20 ans après les faits », a déclaré le Premier ministre français lors d’une visite officielle au Brésil. « C’est une décision qui à mon sens ne viendra pas altérer la relation personnelle qui existe entre les Français et Jacques Chirac ».

Jean-Louis Borloo, président du Parti radical. « Ca prouve que notre République, notre démocratie fonctionnent, que la justice s’applique à tous. A titre absolument personnel, ayant travaillé sous l’autorité de Jacques Chirac, notamment sur la rénovation urbaine des banlieues, permettez-moi d’être touché pour lui et sa famille », a déclaré l’ancien ministre sur RFI et France 24.

Eva Joly, candidate d’EELV à l’élection présidentielle : « Ce jugement rendu après un véritable marathon judiciaire est la preuve de la nécessité et de l’utilité d’une justice indépendante et qui juge à égalité l’ensemble des citoyens », estime la candidate d’Europe Ecologie – Les Verts. « Aujourd’hui, la justice est faite » et « c’est moins la sanction que la condamnation qui est aujourd’hui centrale. Nul citoyen ne doit être au-dessus des lois si nous voulons redonner confiance dans la justice et la démocratie. Dans une République exemplaire, c’est le devoir des femmes et des hommes politiques que d’en finir avec ces pratiques malsaines », assure Eva Joly dans un communiqué. Sur BFMTV, elle a également demandé la démission de Jacques Chirac du Conseil constitutionnel, dont il est membre à vie.

Denis Baupin, adjoint EELV au maire de Paris. « C’est une bonne nouvelle que la justice confirme ce que nous disions depuis de nombreuses années, qu’il y avait eu à Paris des pratiques frauduleuses », a estimé Denis Baupin. « Le regret, c’est qu’elle le dise si tard. Cela ne permet pas d’avoir un impact sur la vie politique, alors que ce que démontre ce procès, c’est que ce président aura beaucoup triché avec les règles pour se faire élire. Ca en dit long sur les pratiques de ce camp politique pendant des années pour accéder au pouvoir », a-t-il ajouté à l’AFP.

Benoît Hamon, porte-parole du Parti socialiste : « Je me félicite que la justice passe, qu’elle ne distingue pas les justiciables selon qu’ils soient puissants ou pas. C’est un bon signe pour la démocratie française qu’une justice indépendante puisse prononcer un tel verdict à l’égard d’un ancien président de la République », a-t-il déclaré à l’AFP. « Cela confirme qu’il y avait donc bien eu à la mairie de Paris ce que nous savions déjà –puisque l’UMP avait indemnisé la Ville de Paris– il y avait donc eu un manque de probité dans ce système d’emplois fictifs », ajoute Benoît Hamon.

André Vallini, sénateur socialiste de l’Isère : « Le statut actuel du chef de l’Etat est inacceptable, parce qu’aujourd’hui le chef de l’Etat est totalement irresponsable sur le plan judiciaire, sur le plan pénal et Nicolas Sarkozy a encore aggravé, en 2008, cette impunité présidentielle », a déclaré sur BFMTV celui qui est chargé des questions de justice dans l’équipe de François Hollande. « Nous proposons une réforme du statut pénal du chef de l’Etat qui en ferait un justiciable ordinaire pour tous les actes délictueux qu’il aurait commis avant son entrée en fonction pendant son mandat, mais détachable de sa fonction. On ne peut pas rester en l’état actuel avec un Président irresponsable. »

Bernard Debré, député UMP de Paris : « La justice est passée et je n’ai rien à dire. Finalement les faits sont avérés, les emplois fictifs qui étaient en réalité pour beaucoup des emplois du RPR, étaient anormaux et illégaux. A cette époque c’était monnaie courante, quand on regarde ce qui se passait à l’Elysée », a-t-il réagi sur BFMTV.

Jacques Le Guen, député UMP du Finistère : « Je suis abasourdi par une décision prise par le tribunal, qui est respectable », a-t-il affirmé sur BFMTV. « Je pensais qu’on allait vers la relaxe parce que les faits reprochés correspondent à des événements anciens qui n’ont plus aucun intérêt. On reproche au Président Chirac des emplois fictifs qui existaient dans tous les partis politiques. Alors attaquer ensuite en justice un homme qui a servi la France, je trouve cela désolant. »

Jean-Marie Le Pen, président d’honneur du Front national : « On pouvait désespérer de la possibilité de faire condamner des coupables de haut niveau dans notre pays. Cette exception confirme la règle. Monsieur Chirac s’est fait pincer les doigts dans la porte avec une condamnation très grave, condamnation à la prison quand on voit que le sursis n’a été attribué que pour des raisons d’âge et de sénilité », a lancé l’ex-leader frontiste sur BFMTV. st pas la seule affaire. « Nous avons été présidés par un délinquant pendant 12 ans, et mon adversaire de 2002 est quelqu’un qui aurait dû être condamné à la prison », a-t-il estimé.

Voir également:

French ex-president Chirac convicted of corruption

Edward Cody

The Washington Post

December 15, 2011

PARIS — In a landmark decision, a French court convicted former president Jacques Chirac on Thursday of embezzling government money while he was mayor of Paris and handed him a two-year suspended sentence.

The ruling against Chirac, at 79 a grandfatherly figure who is widely admired in the polls, stained a long record of political service that started under Charles de Gaulle and included two terms as president, from 1995 to 2007. His attorneys said he would not appeal but considered the verdict unjustified.

Chirac was found guilty of embezzling money, abusing the public trust and conflict of interest by creating false jobs at Paris City Hall, which he ran from 1977 until 1995. He diverted the tax-funded salaries to finance his conservative political organization, Rally for the Republic, as he laid the groundwork for his run for the presidency, the court found.

The conviction, after a lengthy trial, was considered historic because Chirac was France’s first former head of state to face prosecution since just after World War II. Moreover, it dramatized a change in public and official attitudes toward the financing of parties and political figures in France. Until recently, sleight of hand such as Chirac’s was common practice, and many high-ranking officials were paid with paper bags stuffed with cash taken from secret slush funds.

Foreign Minister Alain Juppe, for instance, was convicted in 2004 of similar charges and given a suspended sentence of 14 months in prison along with a year of ineligibility for public office. After a spell in Canada and the United States, he returned to become mayor of Bordeaux and, eventually, foreign minister under President Nicolas Sarkozy.

Although the accusations against Chirac arose years ago, he was immune from prosecution during his years as president. After he left office, his attorneys found one reason after another to delay the proceedings, prompting anti-corruption activists to complain of favoritism. Throughout the trial, Chirac maintained that he had done nothing illegal or immoral.

The former president did not attend the hearing at which his conviction was announced. Appearing enfeebled in recent outings, he was found to be suffering from a neurological affliction leading to memory loss and received a dispensation from the obligation to attend.

An adopted daughter, Anh Dao Traxel, told reporters after the hearing that the court’s ruling seemed harsh for an elderly former president in poor health. “Our family has, more than ever, to show solidarity and be supportive,” Traxel said, tears in her eyes.

Sarkozy’s office issued a statement expressing hope that the verdict will not overshadow Chirac’s achievements in a long political career. Prime Minister Francois Fillon — queried by reporters traveling with him on a trip to Brazil — said the decision came too long after the facts.

Chirac had no immediate comment. His lead attorney, Georges Keijman, expressed hope that the conviction will not diminish the affection many people feel for Chirac.

A beer-drinking bon vivant with a fondness for earthy French dishes, Chirac is known for his readiness to pose for photos or sign a napkin for admirers. His down-home friendliness has been compared favorably to Sarkozy’s more hurried approach to public life.

Chirac caused chuckles across the country last summer when photographers snapped him drinking piña coladas and flirting with girls on the terrace of a cafe at a chic Mediterranean resort town — until his wife, Bernadette, came by and, in a scolding tone, told him it was time to leave.

Voir enfin:

The Rat That Roared

Christopher Hitchens

The Wall Street Journal

February 6, 2003

To say that the history of human emancipation would be incomplete without the French would be to commit a fatal understatement. The Encyclopedists, the proclaimers of Les Droits de l’Homme, the generous ally of the American revolution . . . the spark of 1789 and 1848 and 1871, can be found all the way from the first political measure to abolish slavery, through Victor Hugo and Emile Zola, to the gallantry of Jean Moulin and the maquis resistance. French ideas and French heroes have animated the struggle for liberty throughout modern times.

There is of course another France — the France of Petain and Poujade and Vichy and of the filthy colonial tactics pursued in Algeria and Indochina. Sometimes the U.S. has been in excellent harmony with the first France — as when Thomas Paine was given the key of the Bastille to bring to Washington, and as when Lafayette and Rochambeau made France the « oldest ally. » Sometimes American policy has been inferior to that of many French people — one might instance Roosevelt’s detestation of de Gaulle. The Eisenhower-Dulles administration encouraged the French in a course of folly in Vietnam, and went so far as to inherit it. Kennedy showed a guarded sympathy for Algerian independence, at a time when France was too arrogant to listen to his advice. So it goes. Lord Palmerston was probably right when he said that a nation can have no permanent allies, only permanent interests. It is not to be expected that any proud, historic country can be automatically counted « in. »

However, the conduct of Jacques Chirac can hardly be analyzed in these terms. Here is a man who had to run for re-election last year in order to preserve his immunity from prosecution, on charges of corruption that were grave. Here is a man who helped Saddam Hussein build a nuclear reactor and who knew very well what he wanted it for. Here is a man at the head of France who is, in effect, openly for sale. He puts me in mind of the banker in Flaubert’s « L’Education Sentimentale »: a man so habituated to corruption that he would happily pay for the pleasure of selling himself.

Here, also, is a positive monster of conceit. He and his foreign minister, Dominique de Villepin, have unctuously said that « force is always the last resort. » Vraiment? This was not the view of the French establishment when troops were sent to Rwanda to try and rescue the client-regime that had just unleashed ethnocide against the Tutsi. It is not, one presumes, the view of the French generals who currently treat the people and nation of Cote d’Ivoire as their fief. It was not the view of those who ordered the destruction of an unarmed ship, the Rainbow Warrior, as it lay at anchor in a New Zealand harbor after protesting the French official practice of conducting atmospheric nuclear tests in the Pacific. (I am aware that some of these outrages were conducted when the French Socialist Party was in power, but in no case did Mr. Chirac express anything other than patriotic enthusiasm. If there is a truly « unilateralist » government on the Security Council, it is France.)

We are all aware of the fact that French companies and the French state are owed immense sums of money by Saddam Hussein. We all very much hope that no private gifts to any French political figures have been made by the Iraqi Baath Party, even though such scruple on either side would be anomalous to say the very least. Is it possible that there is any more to it than that? The future government in Baghdad may very well not consider itself responsible for paying Saddam’s debts. Does this alone condition the Chirac response to a fin de regime in Iraq?

Alas, no. Recent days brought tidings of an official invitation to Paris, for Robert Mugabe. The President-for-life of Zimbabwe may have many charms, but spare cash is not among them. His treasury is as empty as the stomachs of his people. No, when the plumed parade brings Mugabe up the Champs Elysees, the only satisfaction for Mr. Chirac will be the sound of a petty slap in the face to Tony Blair, who has recently tried to abridge Mugabe’s freedom to travel. Thus we are forced to think that French diplomacy, as well as being for sale or for hire, is chiefly preoccupied with extracting advantage and prestige from the difficulties of its allies.

This can and should be distinguished from the policy of Germany. Berlin does not have a neutralist constitution, like Japan or Switzerland. But it has a strong presumption against military intervention outside its own border and Herr Schroeder, however cheaply he plays this card, is still playing a hand one may respect. One does not find German statesmen positively encouraging the delinquents of the globe, in order to reap opportunist advantages and to excite local chauvinism.

Mr. Chirac’s party is « Gaullist. » Charles de Gaulle had a colossal ego, but he felt himself compelled at a crucial moment to represent une certaine idee de la France, at a time when that nation had been betrayed into serfdom and shame by its political and military establishment. He was later adroit in extracting his country from its vicious policy in North Africa, and gave good advice to the U.S. about avoiding the same blunder in Indochina. His concern for French glory and tradition sometimes led him into error, as with his bombastic statements about « Quebec libre. » But — and this is disclosed in a fine study of the man, « A Demain de Gaulle, » by the former French leftist Regis Debray — he always refused to take seriously the claims of the Soviet Union to own Poland and Hungary and the Czech lands and Eastern Germany. He didn’t believe it would or could last: He had a sense of history.

To the permanent interests of France, he insisted on attaching une certain idee de la liberte as well. He would have nodded approvingly at Vaclav Havel’s statement — his last as Czech president — speaking boldly about the rights of the people of Iraq. And one likes to think that he would have had a fine contempt for his pygmy successor, the vain and posturing and venal man who, attempting to act the part of a balding Joan of Arc in drag, is making France into the abject procurer for Saddam. This is a case of the rat that tried to roar.

[RESUME]

Réseau Voltaire

 Il existe une France qui défend historiquement les libertés et « Les Droits de l’Homme », alliée traditionnelle des États-Unis, mais il y a aussi une France de Pétain, Poujade, Vichy et des colonies. Jacques Chirac est un homme corrompu qui s’est présenté à l’élection présidentielle pour ne pas être jugé. Un homme qui a aidé Saddam Hussein à construire un réacteur nucléaire. Un homme qui déclare que « la force est toujours le dernier recours », mais qui n’a jamais protesté contre l’envoi de troupes française pour protéger les auteurs de l’ethnocide du Rwanda, contre la domination des militaires français sur la Côte d’Ivoire et contre la destruction du Rainbow Warrior. En réalité, la France est le vrai pays unilatéraliste du Conseil de sécurité. Saddam Hussein doit beaucoup d’argent aux entreprises française et a offert de nombreux cadeaux aux hommes politiques français. Un nouveau gouvernement en Irak ferait tout perde à Paris. La position française n’est cependant pas qu’une question d’argent, la France a pour habitude de chercher des avantages et du prestige dans les difficultés de ses alliés, comme le montre l’invitation faite à Robert Mugabe à Paris. La politique de la France doit être différenciée de celle de l’Allemagne qui a toujours été réticente face à une intervention militaire hors de ses frontières, ce qui est une position beaucoup plus respectable que l’opportunisme français. Jacques Chirac se dit « gaulliste » mais malgré son ego colossal, De Gaulle avait un sens de l’histoire, contrairement à son pygmée de successeur qui est tel un rat qui essaye de rugir.


Irak/9e: Comment perdre une guerre déjà gagnée (How Obama lost Iraq)

21 décembre, 2011
L’Irak (…) pourrait être l’un des grands succès de cette administration. Joe Biden (10.02.10)
We think a successful, democratic Iraq can be a model for the entire region. Obama (12.12.11)
There is no question that the United States was divided going into that war. But I think the United States is united coming out of that war. We all recognize the tremendous price that has been paid in lives, in blood. And yet I think we also recognize that those lives were not lost in vain. (…) As difficult as [the Iraq war] was, and the cost in both American and Iraqi lives, I think the price has been worth it, to establish a stable government in a very important region of the world. Leon Panetta  (secrétaire américain à la Défense)
Il y a d’abord eu moins de morts qu’au Vietnam. De mémoire, il y a eu 13 500 soldats morts (sic) alors qu’en Irak il y en a eu 4 500. On est dans une autre dimension : trois fois moins pour une durée égale. Et surtout, l’armée américaine qui repart du Vietnam est une armée démoralisée, défaite. Là ce n’est pas le cas. Les Américains partent au fond assez tranquillement. Il n’y a pas eu de scènes d’évacuation comme à Saïgon. Ils quittent le pays avec l’accord du gouvernement en place. (…)Les Américains ont renversé Saddam Hussein, c’était le but. Ils ont installé un gouvernement démocratiquement élu, il n’y a pas de doutes là-dessus. Voilà pour les points positifs. Les points négatifs, c’est qu’il y a eu des dizaines de milliers de morts et une guerre civile en Irak. Le prix à payer est extrêmement lourd. D’autant qu’on n’a pas l’impression que l’économie de l’Irak a redémarré. Lorsque l’on reprend ce que l’on disait il y a huit ans, comme quoi c’était une guerre pour mettre la main sur le pétrole ; on constate que le pétrole n’a pas redémarré. Le but politique de détruire un régime dictatorial a été atteint, mais le prix à payer a été extrêmement élevé. Jean-Dominique Merchet (spécialiste des questions de défense)
The military recommended nearly 20,000 troops, considerably fewer than our 28,500 in Korea, 40,000 in Japan, and 54,000 in Germany. The president rejected those proposals, choosing instead a level of 3,000 to 5,000 troops. A deployment so risibly small would have to expend all its energies simply protecting itself — the fate of our tragic, missionless 1982 Lebanon deployment — with no real capability to train the Iraqis, build their U.S.-equipped air force, mediate ethnic disputes (as we have successfully done, for example, between local Arabs and Kurds), operate surveillance and special-ops bases, and establish the kind of close military-to-military relations that undergird our strongest alliances. The Obama proposal was an unmistakable signal of unseriousness. It became clear that he simply wanted out, leaving any Iraqi foolish enough to maintain a pro-American orientation exposed to Iranian influence, now unopposed and potentially lethal. (…) The excuse is Iraqi refusal to grant legal immunity to U.S. forces. But the Bush administration encountered the same problem, and overcame it. Obama had little desire to. Indeed, he portrays the evacuation as a success, the fulfillment of a campaign promise. Charles Krauthammer

A l’heure où, avec le pitoyable retrait américain et des prétendus mensonges de Bush au soi-disant « million de morts », de « l’exécution sommaire de Sadam Hussein » à  « la honte d’Abou Ghraib » ou  du « déclenchement d’une véritable guérilla » à la « communautarisation » d’un État supposé « laïc » sans oublier la « guerre pour le pétrole, nos médias nous ressortent les contre-vérités habituelles  sur l’Irak…

Et où, à moins d’un an d’une présidentielle rien de moins qu’assurée, le Carter noir de la Maison Blanche s’attribue les mérites d’une victoire militaire pour une guerre contre laquelle il s’était fait élire …

Tout en se retrouvant,  du fait de son évident manque de conviction (le débat sur le nombre de troupes et les garanties d’immunité apparaissant plutôt comme un prétexte) et malgré  les quelque 40 000 hommes encore dans la région notamment au Koweit voisin, sans les moindres troupes sur place …

Retour, avec Charles Krauthammer, sur la manière dont l’actuelle Administration américaine vient de réussir l’exploit… de perdre une guerre déjà gagnée!

Who Lost Iraq?

You know who.

Charles Krauthammer

The NRO

November 3, 2011

Barack Obama was a principled opponent of the Iraq War from its beginning. But when he became president in January 2009, he was handed a war that was won. The surge had succeeded. Al-Qaeda in Iraq had been routed, driven to humiliating defeat by an Anbar Awakening of Sunnis fighting side-by-side with the infidel Americans. Even more remarkably, the Shiite militias had been taken down, with American backing, by the forces of Shiite prime minister Nouri al-Maliki. They crushed the Sadr militias from Basra to Sadr City.

Al-Qaeda decimated. A Shiite prime minister taking a decisively nationalist line. Iraqi Sunnis ready to integrate into a new national government. U.S. casualties at their lowest ebb in the entire war. Elections approaching. Obama was left with but a single task: Negotiate a new status-of-forces agreement (SOFA) to reinforce these gains and create a strategic partnership with the Arab world’s only democracy.

He blew it. Negotiations, such as they were, finally collapsed last month. There is no agreement, no partnership. As of December 31, the American military presence in Iraq will be liquidated.

And it’s not as if that deadline snuck up on Obama. He had three years to prepare for it. Everyone involved, Iraqi and American, knew that the 2008 SOFA calling for full U.S. withdrawal was meant to be renegotiated. And all major parties but one (the Sadr faction) had an interest in some residual stabilizing U.S. force, like the postwar deployments in Japan, Germany, and Korea.

Three years, two abject failures. The first was the administration’s inability, at the height of American post-surge power, to broker a centrist nationalist coalition governed by the major blocs — one predominantly Shiite (Maliki’s), one predominantly Sunni (Ayad Allawi’s), one Kurdish — that among them won a large majority (69 percent) of seats in the 2010 election.

Vice President Joe Biden was given the job. He failed utterly. The government ended up effectively being run by a narrow sectarian coalition where the balance of power is held by the relatively small (12 percent) Iranian-client Sadr faction.

The second failure was the SOFA itself. The military recommended nearly 20,000 troops, considerably fewer than our 28,500 in Korea, 40,000 in Japan, and 54,000 in Germany. The president rejected those proposals, choosing instead a level of 3,000 to 5,000 troops.

A deployment so risibly small would have to expend all its energies simply protecting itself — the fate of our tragic, missionless 1982 Lebanon deployment — with no real capability to train the Iraqis, build their U.S.-equipped air force, mediate ethnic disputes (as we have successfully done, for example, between local Arabs and Kurds), operate surveillance and special-ops bases, and establish the kind of close military-to-military relations that undergird our strongest alliances.

The Obama proposal was an unmistakable signal of unseriousness. It became clear that he simply wanted out, leaving any Iraqi foolish enough to maintain a pro-American orientation exposed to Iranian influence, now unopposed and potentially lethal. Message received. Just this past week, Massoud Barzani, leader of the Kurds — for two decades the staunchest of U.S. allies — visited Tehran to bend a knee to both Pres. Mahmoud Ahmadinejad and Ayatollah Ali Khamenei.

It didn’t have to be this way. Our friends did not have to be left out in the cold to seek Iranian protection. Three years and a won war had given Obama the opportunity to establish a lasting strategic alliance with the Arab world’s second most important power.

He failed, though he hardly tried very hard. The excuse is Iraqi refusal to grant legal immunity to U.S. forces. But the Bush administration encountered the same problem, and overcame it. Obama had little desire to. Indeed, he portrays the evacuation as a success, the fulfillment of a campaign promise.

But surely the obligation to defend the security and the interests of the nation supersede personal vindication. Obama opposed the war, but when he became commander-in-chief the terrible price had already been paid in blood and treasure. His obligation was to make something of that sacrifice, to secure the strategic gains that sacrifice had already achieved.

He did not, failing at precisely what this administration so flatters itself for doing so well: diplomacy. After years of allegedly clumsy brutish force, Obama was to usher in an era of not hard power, not soft power, but smart power.

Which turns out in Iraq to be . . . no power. Years from now we will be asking not “Who lost Iraq?” — that already is clear — but “Why?”

Voir aussi:

What Obama Left Behind in Iraq

Fouad Ajami

The WSJ

December 17, 2011

There’s no need to fear the deference of Iraq’s Shiites toward Iran.

‘The tide of war is receding, and the soul of Baghdad remains, the soul of Iraq remains, » Vice President Joe Biden said at Camp Victory, by the Baghdad airport, earlier this month, in the countdown to the official end of the Iraq war. In truth, the receding tide Mr. Biden glimpsed was that of American power and influence in Iraq and in the Greater Middle East.

This wasn’t something the people of that region pined for. These are lands that crave the protection of a dominant foreign power as they feign outrage at its exercise. Nor was it decreed by the objective facts of American power, for this country still possesses all the ingredients of influence and prestige. It was, rather, a decision made in the course of the Obama presidency—the ebb of our power has become a self-fulfilling prophesy.

America was never meant to stay in Iraq indefinitely. In all fairness to President Obama, he had ridden the disappointment with Iraq from the state legislature in Illinois to the White House. He was not a pacifist, he let it be known. He did not oppose all wars. It was only « dumb » wars he was against. In every way he could, he kept Iraq at arm’s length. He never partook of the view that we had secured strategic gains in that country worth preserving. It was thus awkward to watch the president on Monday, with Iraqi Prime Minister Nouri al-Maliki by his side, explaining as we exit that « We think a successful, democratic Iraq can be a model for the entire region. » The words rang hollow.

A president who understood the stakes would have had no difficulty justifying a residual American presence in Iraq. But not this president. At the core of Mr. Obama’s worldview lies a pessimism about America and the power of its ideals and reach in the world.

The one exception to this strategic timidity is the pride Mr. Obama takes in prosecuting the war against terrorists. In a moment evocative of George W. Bush, Mr. Obama last week swatted away the charge that he had been appeasing America’s enemies abroad: « Ask Osama bin Laden and the 22 out of 30 top Al Qaeda leaders who’ve been taken off the field whether I engage in appeasement. » Fair enough.

But the world demands more than that, it begs for a larger strategic reading of things.

We shall never know with certainty what was possible and open to us in Iraq. On the face of it, the Iraqis wanted us out, and Mr. Maliki and his coalition had been unwilling to give our troops legal immunity from prosecution. But how we got there is less understood. The U.S. commanders on the ground thought that a residual presence of 20,000 soldiers would suffice to keep the order in Iraq and give the United States an anchor in that country. The White House had proposed a much lower figure, somewhere between 3,000 and 5,000. That force level would have been unsustainable, a target for the disgruntled and the conspirators.

No Iraqi government would run the gauntlet of a divided country, and a feisty parliament, for that sort of deal. Mr. Maliki may not be fully tutored in the ways of American democracy, but he is shrewd enough to recognize that this American leader was not invested in Iraq’s affairs.

Six years ago, when this war was still young and its harvest uncertain, a brilliant Iraqi diplomat and writer, Hassan al- Alawi, wrote a provocative book titled « al-Iraq al-Amriki » (« American Iraq »). It was proper, he observed, to speak of an American Iraq as one does of a Sumerian, a Babylonian, an Abbasid, an Ottoman, then a British Iraq. He didn’t think that America would stick around long in Iraq, but he thought the American impact would be monumental.

Whereas British Iraq empowered the Sunnis, the Americans would tip the scales in favor of the Shiites. All three principal communities in Iraq had a vested interest in American protection. The Kurds, the most pro- American population in the region, were desperate to have America remain—a balance to the power of Turkey, a buffer between their autonomous zone in the north and the Baghdad government. The Sunnis, the erstwhile masters of the country, had come around: An American presence with enough authority would be their shield against a sectarian, Shiite regime that would cut them out of the spoils.

Ironically, the Shiite majority, the followers of the radical cleric Moqtada al-Sadr aside, had a vested interest in an American deterrent on the ground. For all their edge in the politics of Baghdad, the Shiites are still given to a healthy measure of paranoia about the world around them. The Iraq midwifed by U.S. power had been delivered into a hostile neighborhood. The Sunni Arabs had yet to accept and make their peace with the rise of a Shiite-led government in Baghdad. And the rebellion in Syria added to the uncertainty, feeding the anxiety of Mr. Maliki and the Shiite political class over a Syrian regime to their west ruled by the Sunni majority. There is also Turkey, large and now with economic means and a view of itself as a protector of the Sunnis of the region.

And there remained Iran, to the east, with the traffic of commerce and pilgrimage, with the religious entanglements born of a common Shiite faith. For the Sunni Arabs—and for Americans who had opposed this war—Iraq is destined to slip, nay it has already slipped, into the orbit of the Persian theocracy. The American war, with all its sacrifices, had simply created a « sister republic » of the Persian state, it is said.

Those who love to organize an untidy world have spoken of a « Shiite crescent » that stretches from Iran, through Iraq, all the way to the Mediterranean and Syria and Lebanon. But the image is false. Iraq is a big and proud country, with a strong sense of nationalism, and oil wealth of its own. An Iraqi political class, with its vast oil reserves, has no interest in ceding its authority to the Iranians.

The Shiism that straddles the boundaries of the two countries divides them as well. The sacred lands of Shiism are in Iraq, and the Shiism of the Iraqis is Arab through and through. The pride of Najaf is great, I can’t see it deferring to the religious authority of strangers.

One of our ablest diplomats, Ryan Crocker, then ambassador to Baghdad, now our envoy in Kabul, once pronounced the definitive judgment on these contested Iraqi matters: « In the end, what we leave behind and how we leave will be more important than how we came. » It so happened that when it truly mattered, the president who called the shots on Iraq had his gaze fixated on the past and its disputations.

Mr. Ajami is a senior fellow at Stanford’s Hoover Institution and co-chair of Hoover’s Working Group on Islamism and the International Order.

Voir enfin:

Irak : la fin d’une sale guerre

Philippe Rioux

La Dépêche

19/12/2011

Barack Obama avait promis un retrait total des troupes américaines. Celui-ci est effectif depuis hier. Neuf ans de guerre s’achèvent sur un bilan très contrasté.

Jusqu’au dernier moment, la date de l’évacuation des dernières troupes américaines d’Irak aura été tenue secrète, par crainte d’un attentat qui vienne endeuiller cette journée historique. Hier à l’aube, neuf ans après avoir envahi le pays pour renverser le dictateur Saddam Hussein, le dernier convoi composé de 110 véhicules transportant environ 500 soldats issus de la 3e brigade de la 1re division de cavalerie a traversé la frontière à 7 h 30 locales (5 h 30 à Paris). Le dernier véhicule est passé huit minutes plus tard et l’émotion était tangible parmi les soldats, dont beaucoup avaient accroché des bannières étoilées dans leurs véhicules.

L’opération « Iraqi Freedom » – la guerre la plus controversée depuis celle du Vietnam – s’achève donc dans l’amertume. Certes, le tyran Saddam Hussein a été renversé ; certes l’Irak a connu ses premières élections démocratiques depuis cinquante ans. Mais à quel prix ? Plus de 100 000 morts parmi les civils sont à déplorer – certains observateurs avancent même des centaines de milliers de victimes. Des conflits ethnico-religieux entre sunnites, chiites et kurdes menacent la stabilité d’un gouvernement très fragile. Le bloc laïque Iraqiya de l’ancien Premier ministre Iyad Allaoui a d’ailleurs décidé de suspendre à partir de samedi sa participation aux travaux du Parlement. L’économie du pays est exsangue : les services de base comme la distribution de l’électricité et de l’eau potable sont défectueux et la reprise des exportations du pétrole – 2,2 millions de barils par jour soit 7 milliards de dollars par mois – sont bien faibles.

Espoir de paix

Cette troisième guerre du Golfe, guerre « préventive » théorisée par George W. Bush après les attentats du 11-Septembre 2001 et qui a été émaillée de nombreux scandales dont le symbole reste celui de la prison d’Abou Ghraib, aura aussi coûté cher aux États-Unis. Financièrement (770 milliards de dollars par an), humainement (4 484 soldats morts) et moralement.

Reste que la fin d’une guerre, aussi controversée soit-elle, doit laisser place à l’espoir de la paix. Dans les rues de Bagdad hier, c’est cet espoir qui animait l’homme de la rue, à l’heure où l’Irak écrit un nouveau chapitre de son histoire.

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Les 6 dossiers noirs de Bagdad

1. Une guerre lancée sur des mensonges.

Après la deuxième guerre du Golfe de 1991, les Nations Unies adoptent la résolution 687 réclamant à l’Irak d’accepter la destruction de toutes les armes chimiques, biologiques et des infrastructures les produisant. Des inspections des Nations Unies et de l’Agence Internationale pour l’Énergie Atomique (AIEA) s’enchaînent alors jusqu’en 1998, puis reprennent en 2002 après une nouvelle résolution du Conseil de sécurité. Washington acquiert la certitude que Saddam Hussein dissimule aux inspecteurs des armes de destruction massive (ADM). Mais ni la CIA, ni les services secrets britanniques ne peuvent apporter de preuves formelles. Le 5 février 2003, le secrétaire d’État américain Colin Powell présente devant le Conseil de sécurité des Nations Unies des photos satellites montrant selon lui des camions-laboratoires. L’ex-général brandit ensuite une fiole contenant une poudre blanche : de l’anthrax. Craignant un veto de la France (lire ci-contre), de la Russie et de la Chine, les États-Unis et la Grande Bretagne lanceront la guerre sans l’aval de l’ONU. La guerre sera ensuite « légitimée » par d’autres résolutions du Conseil de sécurité. À noter qu’aux États-Unis et au Royaume-Uni, plusieurs enquêtes sont en cours pour déterminer s’il y a eu mensonge ou pas.

2. Les morts américains et irakiens.

En mars 2003, la coalition amenée par les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie, compte 48 pays. Selon des sites Internet indépendants qui comptabilisent les morts (icasualties.org et antiwar.com), le bilan de la guerre est, du 20 mars 2003 au 1er décembre 2011, de 4 803 morts dans la coalition dont 4 484 soldats américains. A ces nombres s’ajoutent plus de 36 000 blessés dans la coalition dont 32 226 Américains. Du côté des civils, le nombre de victimes reste difficile à établir, mais tous les observateurs évoquent plus de 100000 morts. Depuis mars 2003, les pertes civiles s’étaleraient entre 104 035 et 113 680, selon l’organisation britannique IraqBodyCount.org. L’institut de sondage britannique Opinion research business a estimé à plus d’un million le nombre de victimes irakiennes entre mars 2003 et août 2007. Tandis que la revue The Lancet estimait en octobre 2006 que le nombre de décès irakiens imputables à la guerre était de 655 000. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) a comptabilisé en ce mois de décembre 1 323 250 réfugiés dont 549 150 reçoivent une aide.

3. L’exécution sommaire de Sadam Hussein.

Après plusieurs mois passés dans la clandestinité, l’ex-dictateur Saddam Hussein est arrêté par les Américains dans une cave de Tikrit dans la nuit du 13 au 14 décembre 2003. Le monde entier découvre les images d’un raïs méconnaissable, hirsute, hagard. En juillet 2004, le Tribunal spécial irakien (TSI), le juge pour génocide, crime contre l’humanité et crime de guerre, avec plusieurs autres membres du parti Baas. Saddam Hussein a retrouvé sa verve, invective le tribunal à plusieurs reprises durant le procès qui dure plusieurs mois. Le 15 mars 2006, il se déclare à la barre toujours président de l’Irak et appelle les Irakiens à combattre les Américains. Le 19 juin, le procureur général requiert la peine de mort contre l’ancien président. Le 5 novembre, Saddam Hussein est condamné à mort par pendaison pour crime contre l’humanité. Le 30 décembre 2006, l’ancien président irakien est exécuté à Bagdad à 6 h 0 5. Son corps sera enterré dans le centre d’Aouja, à 180 km au nord de Bagdad et 4 km au sud de Tikrit. Cette exécution sommaire déclenche une vive polémique, certains dénonçant une « mascarade » et une « parodie de justice ».

4. La honte d’Abou Ghraib

En août 2003, l’armée américaine rouvre le complexe pénitentiaire d’Abou Ghraib, construit dans les années 60 et situé à 32 km de Bagdad. Une prison de sinistre mémoire, lieu de torture du régime de Saddam. En 2004, la diffusion de photographies montrant des détenus irakiens humiliés par des militaires américains déclenche le scandale d’Abou Ghraib. Les photos montrent des soldats irakiens torturés, attachés par des câbles électriques, obligés de poser nus les uns sur les autres, menacés par des chiens de garde. Leurs dépouilles sont désacralisées après leur mort. Le tollé international oblige les États-Unis à ouvrir une enquête. En 2006, onze soldats américains sont jugés et condamnés pour les faits de tortures commis dans la prison. En mai 2006, George W. Bush admet que la prison était la « plus grosse erreur » des Américains en Irak. Abou Ghraib est aujourd’hui « Prison centrale de Bagdad » et peut accueillir 15 000 détenus.

5. Le terrorisme, les enlèvements

L’occupation de l’Irak par les Américains a déclenché une vraie guérilla. Pillages, affrontements, règlements de compte sont le lot quotidien de nombreuses villes du pays sur fond d’affrontements religieux et ethniques entre sunnites et chiites. Les forces de la coalition – dont le commandement est bunkérisé dans la « zone verte » ultra-sécurisée de Bagdad – sont confrontées à l’hostilité de la population et à des actes terroristes de plus en plus violents. En 2004, des attentats quasi quotidiens frappent les forces militaires d’occupation et les civils travaillant pour eux. Les attentats de Qahtaniya, le 14 août 2007, sont les plus meurtriers avec 572 morts et 1 562 blessés.

Aux attentats s’est aussi ajoutée la multiplication des prises d’otages opérées par des fidèles de Saddam, des djihadistes étrangers, des islamistes et des salafistes. En mai 2004, Nick Berg, un homme d’affaires américain, est décapité par les hommes de Zarqaoui. Le 20 août 2004, les journalistes français Christian Chesnot et Georges Malbrunot sont enlevés par un groupe jusqu’alors inconnu, l’Armée islamique en Irak. Les Français sont libérés le 21 décembre 2004. Le 5 janvier 2005, Florence Aubenas (photo) est à son tour enlevée à Bagdad. Sa détention prendra fin le 12 juin.

6. D’un État laïc au régime communautariste

À la faveur d’un coup d’État en 1968, Saddam Hussein devient vice-président de l’Irak, puis président du pays à partir de 1979. Dirigé par le puisant parti Baas – nationaliste arabe, laïc et socialiste – l’Irak apparaît alors aux yeux de certains occidentaux comme un rempart contre l’Iran islamique. En 1988, au sortir de huit ans de guerre avec l’Iran, l’Irak est exsangue, au bord de la banqueroute. Saddam Hussein envahit alors le Koweït, déclenchant la 2e Guerre du golfe et subissant un très dur embargo. Au cours de cette guerre, Saddam Hussein a remis au goût du jour les valeurs islamiques. La guerre de 2003 et la chute du régime ont conduit à un éclatement de l’État. Les anciens conflits religieux entre chiites et sunnites sont réapparus. Les États-Unis sont toutefois parvenus, après un gouvernement provisoire, à organiser les premières élections libres. Mais le gouvernement communautariste reste très fragile.

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Et maintenant au tour de l’Afghanistan

Après l’Irak, l’Afghanistan sera le prochain théâtre d’opérations militaires que les États-Unis vont quitter, conformément aux promesses de Barack Obama. Le président des États-Unis avait fait deux promesses aux Américains : un retrait d’Irak dès que possible et la victoire en Afghanistan. La première promesse est effective. La seconde pourrait bientôt l’être. Les États-Unis sont en passe de remporter le « dur conflit » en Afghanistan, a affirmé à des militaires américains mercredi dernier le secrétaire américain à la Défense, Leon Panetta, sur une base de l’est de l’Afghanistan. « Nous sommes à un point où nous faisons d’énormes progrès. Y a-t-il encore des menaces, y a-t-il encore des défis que nous allons devoir affronter ? Évidemment », a-t-il ajouté devant 200 des 600 hommes de la base.

« En fin de compte, ici en Afghanistan, nous allons pouvoir mettre en place un pays capable de se gouverner et de se protéger lui-même », a-t-il poursuivi, promettant que les États-Unis s’assureraient que ni les talibans ni Al-Qaïda ne pourraient « jamais plus trouver de refuge » en Afghanistan. L’Otan, États-Unis en tête, a entamé cette année le retrait progressif de la totalité de ses troupes de combat, censé s’achever fin 2014. Quelque 33 000 militaires américains auront quitté l’Afghanistan d’ici à fin septembre 2012, dont 10 000 d’ici à fin décembre. La France retirera un quart de ses soldats d’ici à fin 2012, a annoncé en juillet Nicolas Sarkozy.

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Expert : Jean-Dominique Merchet, spécialiste des questions de défense

Le prix à payer est extrêmement lourd

Certains évoquent pour l’armée américaine un nouveau Vietnam. Est-ce pertinent ?

Non, il n’y a pas de similitudes. Il y a d’abord eu moins de morts qu’au Vietnam. De mémoire, il y a eu 13 500 soldats morts alors qu’en Irak il y en a eu 4 500. On est dans une autre dimension : trois fois moins pour une durée égale. Et surtout, l’armée américaine qui repart du Vietnam est une armée démoralisée, défaite. Là ce n’est pas le cas. Les Américains partent au fond assez tranquillement. Il n’y a pas eu de scènes d’évacuation comme à Saïgon. Ils quittent le pays avec l’accord du gouvernement en place.

Pour autant, les États-Unis ont-ils gagné cette guerre ?

Les Américains ont renversé Saddam Hussein, c’était le but. Ils ont installé un gouvernement démocratiquement élu, il n’y a pas de doutes là-dessus. Voilà pour les points positifs. Les points négatifs, c’est qu’il y a eu des dizaines de milliers de morts et une guerre civile en Irak. Le prix à payer est extrêmement lourd. D’autant qu’on n’a pas l’impression que l’économie de l’Irak a redémarré. Lorsque l’on reprend ce que l’on disait il y a huit ans, comme quoi c’était une guerre pour mettre la main sur le pétrole ; on constate que le pétrole n’a pas redémarré. Le but politique de détruire un régime dictatorial a été atteint, mais le prix à payer a été extrêmement élevé.

Cette guerre a-t-elle changé la façon dont les États-Unis appréhendent les conflits armés ?

Les guerres d’Irak et d’Afghanistan se ressemblent un peu. Ce sont des guerres qui se font au sein de populations musulmanes, relativement hostiles et en tout cas très partagées. Ce sont des guerres de contre-insurrection. Cela a amené les Américains à beaucoup réfléchir sur cette notion, y compris en reprenant des auteurs français sur la guerre d’Algérie. Mais cela n’est pas forcément un modèle pour les guerres d’avenir ; cela ne marche que lorsque l’on peut s’appuyer sur un gouvernement et des forces locales assez puissantes.

A l’ONU en 2003, le « non » de la France

En 2003, les États-Unis auront tenté jusqu’au bout de convaincre les membres du Conseil de sécurité des Nations unies de l’existence d’armes de destructions massives en Irak. Des armes que Saddam Hussein aurait dissimulées depuis des années aux nombreux inspecteurs de l’ONU et de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Mais ni la CIA, ni les services britanniques n’ont produit jusqu’à présent des preuves irréfutables. Le 5 février 2003, le Conseil de sécurité se réunit une dernière fois. Le secrétaire d’État et ancien général Colin Powell, qui a des doutes à titre personnel, fait tout de même le job et présente des « preuves » : photographies aériennes de camions-laboratoires, enregistrements, fiole contenant, dit-il, de l’anthax…

En réponse, le 14 février, Dominique de Villepin, ministre français des Affaires étrangères, va prononcer un discours historique, celui du « non » de la France à cette guerre à venir. « C’est un vieux pays, la France, d’un vieux continent comme le mien, l’Europe, qui vous le dit aujourd’hui, qui a connu les guerres, l’occupation, la barbarie », conclut De Villepin qui, fait rare, sera applaudi. Craignant un veto de la France, de la Russie et de la Chine, les États-Unis passeront outre pour s’engager dans la guerre.

Voir enfin:


Hanouka/2176e: D’abord une crise interne au judaïsme (A freedom to be bound to something higher than freedom itself)

20 décembre, 2011
tied willyEn ces jours-là surgit d’Israël une génération de vauriens qui séduisirent beaucoup de personnes en disant : “Allons, faisons alliance avec les nations qui nous entourent, car depuis que nous nous sommes séparés d’elles, bien des maux nous sont advenus.” (…) Plusieurs parmi le peuple s’empressèrent d’aller trouver le roi, qui leur donna l’autorisation d’observer les coutumes païennes. Ils construisirent donc un gymnase à Jérusalem, selon les usages des nations, se refirent des prépuces et renièrent l’alliance sainte pour s’associer aux nations. 1 Maccabées 1: 11-15
On n’avait pas le droit d’observer le sabbat, ni de célébrer les fêtes traditionnelles, ni même simplement de se déclarer juif. Chaque mois, au jour commémorant la naissance du roi, on était contraint de façon humiliante à participer à un repas sacrificiel; et quand arrivait la fête de Dionysos, on était forcé de se couronner de lierre et d’accompagner le cortège en l’honneur de ce dieu. Sur la proposition des habitants de Ptolémaïs, un décret fut publié: les villes grecques des régions voisines de la Judée devaient adopter la même politique à l’égard des Juifs qui s’y trouvaient et les obliger à participer aux repas sacrificiels; l’ordre fut donné d’égorger quiconque refuserait d’adopter les coutumes grecques. Il était donc facile de prévoir les malheurs à venir. Ainsi deux femmes furent déférées en justice pour avoir circoncis leurs enfants. On les produisit en public à travers la ville, leurs enfants suspendus à leurs mamelles, avant de les précipiter ainsi du haut des remparts. D’autres s’étaient rendus ensemble dans des cavernes voisines pour y célébrer en cachette le septième jour. Dénoncés à Philippe, ils furent brûlés ensemble, se gardant bien de se défendre eux-mêmes par respect pour la sainteté du jour. (…) Parmi les principaux maîtres de la loi, il y avait alors un certain Élazar. Il était avancé en âge et de fort belle apparence. On lui tint la bouche ouverte pour l’obliger à avaler de la viande de porc. Mais il préférait mourir avec honneur plutôt que de vivre dans la honte. Il recracha donc la viande et se dirigea volontairement vers le lieu du supplice. Voilà un exemple pour ceux qui devraient avoir le courage, même au prix de leur vie, de repousser la nourriture que la loi de Dieu interdit de manger. 2 Maccabées 6 : 6-20
On célébrait à Jérusalem la fête de la Dédicace. C’était l’hiver. Et Jésus se promenait dans le temple, sous le portique de Salomon. Jean 10: 22
La crise maccabéenne n’est pas un affrontement entre un roi grec fanatique et des Juifs pieux attachés à leurs traditions. C’est d’abord une crise interne au judaïsme, d’un affrontement entre ceux qui estiment qu’on peut rester fidèle au judaïsme en adoptant néanmoins certains traits de la civilisation du monde moderne, le grec, la pratique du sport, etc.., et ceux qui au contraire, pensent que toute adoption des mœurs grecques porte atteinte de façon insupportable à la religion des ancêtres. Si le roi Antiochos IV intervient, ce n’est pas par fanatisme, mais bien pour rétablir l’ordre dans une province de son royaume qui, de plus, se place sur la route qu’il emprunte pour faire campagne en Égypte. (…) Là où Antiochos IV commettait une magistrale erreur politique, c’est qu’il n’avait pas compris qu’abolir la Torah ne revenait pas seulement à priver les Juifs de leurs lois civiles, mais conduisait à l’abolition du judaïsme. Maurice Sartre
Examined too casually, the stories of Plymouth Colony and Hanukkah seem to show heroes fighting for universal religious freedom. But the heroes of the Jewish story fought not only against a foreign persecutor. They also fought against fellow Jews who—perhaps more attracted to the cosmopolitan and sophisticated Greek culture than to the ways of their ancestors—cooperated with their rulers. Jews know the fuller history of the holiday because Christians preserved the books that the Jews themselves lost. In a further twist, Jews in the Middle Ages encountered the story of the martyred mother and her seven sons anew in Christian literature and once again placed it in the time of the Maccabees. Jon D. Levenson
Cela peut être un choc pour la plupart des Juifs américains, mais Hanukkah est à peu près le contraire de la célébration laïque moderne de Noël que célèbrent la plupart de leurs voisins. Plutôt qu’une expression de paix, la révolte des Macchabées était une bataille contre une oppression étrangère et une guerre civile sanglante. Le prêtre Mattathias et ses cinq fils et leurs partisans ont combattu à la fois leurs oppresseurs grecs syriens et les Juifs assimilés qui avaient adopté les pratiques hellénistiques de leurs oppresseurs. Les gauchistes contemporains critiques de Hanoucca n’ont pas tort de souligner que la plupart des juifs américains ont probablement beaucoup plus en commun avec ces derniers – qui embrassaient une culture universaliste et rejetaient les croyances étroites et intolérantes des rebelles – qu’avec l’héroïque Judah Maccabee. C’est précisément pourquoi Hanukkah mérite vraiment l’attention disproportionnée qu’elle reçoit des Juifs américains à cette période de l’année, par rapport à sa moindre importance dans le calendrier liturgique. Juifs et non-juifs peuvent reconnaître que la révolte des Maccabées était l’expression de la volonté d’autodétermination et de liberté politique que partagent tous les peuples. Mais pour les Juifs, c’est un rappel que la préservation de la vie juive dans un monde où les opinions universalistes et souvent coercitives et destructrices cherchent à éteindre et à marginaliser les religions minoritaires, nécessite de faire des choix difficiles. L’essence de l’identité juive depuis nos débuts a toujours été la volonté de se dresser contre les idoles de la culture populaire. A l’époque de la révolte des Maccabées, c’était la force d’attraction de l’hellénisme. La révolte des Maccabées était l’expression de la volonté d’autodétermination et de liberté politique que partagent tous les peuples. Mais pour les Juifs, c’est un rappel que la préservation de la vie juive dans un monde où les opinions universalistes et souvent coercitives et destructrices cherchent à éteindre et à marginaliser les religions minoritaires, nécessite de faire des choix difficiles. L’essence de l’identité juive depuis nos débuts a toujours été la volonté de se dresser contre les idoles de la culture populaire. A l’époque de la révolte des Maccabées, c’était la force d’attraction de l’hellénisme. C’est, ironiquement, l’une des principales raisons pour lesquelles les descendants des chefs rebelles – qui ont régné en Judée pendant plus d’un siècle au cours de la période relativement brève de l’indépendance juive qui a suivi leur victoire – en sont finalement devenus la proie et ont fini par accueillir les oppresseurs romains qui ont finalement détruit la monarchie hasmonéenne puis hérodienne. Aujourd’hui, ce n’est pas simplement le dilemme de vivre en tant que minorité religieuse dans un pays où plus de 98% ne sont pas juifs. Défendre l’identité juive signifie aussi défier les doctrines gauchistes post-coloniales qui dominent une si grande partie de la société américaine, y compris les campus et les médias grand public. L’idéologie intersectionnelle et la théorie critique de la race qualifient les Juifs d’oppresseurs « blancs » des peuples indigènes, ignorant le fait que, comme le rappelle Hanukkah, les Juifs sont indigènes de la terre d’Israël. C’est autant une menace pour l’avenir juif et pour la capacité des Juifs à maintenir leur identité et leurs communautés que l’influence de la culture chrétienne/laïque majoritaire. C’est une période d’antisémitisme croissant, issu de l’extrême droite, de l’islam fondamentaliste, de la gauche intersectionnelle et d’une communauté afro-américaine influencée par le mouvement Black Lives Matter et des fauteurs de haine comme Louis Farrakhan de la Nation of Islam. Hanukkah est un appel aux armes pour se dresser contre toutes ces forces. Cela rappelle que, tout comme ce fut le cas en 165 avant notre ère, la capacité de préserver la foi et l’identité juives exige que les Juifs ordinaires s’expriment et refusent de plier le genou devant les idoles de notre temps. Plutôt que de mettre l’accent sur ce festival mineur, il faut le comprendre comme un tremplin pour exactement le genre d’affirmations productives de la fierté juive et de la défense des droits qui sont plus que jamais nécessaires. Jonathan S. Tobin
Le Père Noël a été sacrifié en holocauste. A la vérité le mensonge ne peut réveiller le sentiment religieux chez l’enfant et n’est en aucune façon une méthode d’éducation. Cathédrale de Dijon (communiqué de presse aux journaux, le 24 décembre 1951)
In a case brought by an Israeli woman earlier this year, the country’s Supreme Court ruled that involuntary separation between the sexes on public buses was against the law. CNN
We must not allow margins groups to break our common denominator and we must keep our public spaces open and safe for all of our citizens. We must find the uniting and mediating ground rather than the things that divide and separate us. Netanyahu
Egged does not deal with seating arrangements on its buses and even if there are population groups that prefer to sit separately due to their beliefs, it is a voluntary choice and does not bind the other passengers. Spokesman for the Egged bus company)
There are a lot of lovely things about religion, but forcing people to choose religion is wrong. (…) It is wrong to use religion as an excuse to eliminate people’s basic rights: the right for freedom and the right for dignity. Tanya Rosenblit
What Yediot Acharonot doesn’t tell is that Ms. Rosenblit took one of the haredi Mehadrin buses and NOT an ordinary EGGED bus. The readership not being familiar with the different bus lines from Ashdod to Jerusalem will get the impression that the incident happened on a regular EGGED bus but this is not the case. Tanya Rosenblit apparently used one of the Mehadrin buses on purpose in order to provoke the haredi passengers and get her headlines. Shearim
We have no authority to impose our opinion on others. This is a public place. (…) If we want separation, setting up a special bus company for certain lines is legitimate, and then we’ll be the landlords. Chief Rabbi Yona Metzger
A person can be strict about himself, but not about others. If the haredim want to be strict in their own buses, let them. But imposing it on other people is irrelevant. Chief Rabbi Shlomo Amar 
 We have two states here. A First World state that is considered a pioneer, alongside a state whose citizens do not get the tools and conditions to contend with the modern-day economy. The second state’s part in the overall population keeps growing, and just like a weight it keeps pulling everything downward. We can maintain this inequality as long as the less-employed population groups are relatively small. The question is how big they’re getting. Professor Dan Ben-David (economist, Taub Center for Social Policy)
The problem is that a large slice of the population doesn’t contribute to the infrastructure of our society. And even if they do participate in the economy in any way, it isn’t in the professions or positions that demand academic education and intelligence: academia, doctors, pilots, engineers and army and law enforcement officers. We need them more than we need lawyers, which is the usual academic route they choose to follow. The problem is a serious one, which could potentially bring down the State of Israel, yet with minor policy changes this situation can be averted. Professor Menachem Megidor (mathematician and former president of the Hebrew University)
Megidor claims that Prime Minister Benjamin Netanyahu’s measures to reduce government child support stipends during his term as finance minister pressured the haredi world to go out and join the workforce and secular academic institutions.Ynetnews
Historically, the haredi community has survived only as a minority. There was never a situation whereby the ultra-Orthodox were a majority outside the ghetto. They need a secular majority to be ultra-Orthodox; they need very clear borders with the outside world, because when these borders do not exist, things such as assimilation occur. You can remain detached from modernism only when you are part of the minority. They (haredim) are prepared to become the majority (when the messiah comes), but we’re not there yet, and they are scared to death of the possibility that their community will be connected to Israel’s public affairs. Dr. Daniel Hartman (head of the Shalom Hartman Institute in Jerusalem)

En ces temps étranges  où sur fond de chants traditionnels comme de chansons écrites par ces drôles d’immigrés qui, dans leur quête d’intégration, sont devenus plus américains que les Américains jusqu’à en incarner les valeurs les plus profondes …

Pendant que continuent à s’affronter en Israël même traditionalistes et néo-hellénisés

Tant de non-juifs s’affairent, 60 ans après l’autodafé du père Noël sur le parvis de la cathédrale de Dijon pour cause d’ « usurpation et de hérésie », à préparer l’anniversaire on ne sait plus très bien pourquoi d’un prophète juif …

Et où nombre de juifs préparent leur « fête des lumières » à eux célèbrant la libération de leur sanctuaire de l’occupant hellène …

Retour, avec le professeur d’Etudes juives de Harvard Don Levenson, sur une réalité souvent oubliée de la fête de Hanoukah.

A savoir le fait que c’était d’abord une crise interne au judaïsme.

Et plus précisément, comme le rappelle aussi Maurice Sartre, d’un jeu à trois entre des factions en lutte du judaïsme (héllenisés – jusqu’à la décirconcision! – contre traditionalistes), les premiers allant, avant la (guerre de) libération que l’on fête aujourd’hui, jusqu’à faire appel à la puissante occupante pour arbitrer le conflit.

Le tout pour une fête qui n’est même pas biblique puisque non mentionnée dans le canon juif (ni protestant d’ailleurs qui s’aligne largement sur le premier) mais qu’observait cependant Jesus et dont les textes qui la mentionnent n’ont été conservés que par la seule tradition catholique (les livres des Macchabées mais aussi, en nettement plus codé  – l’équivalent, en ces temps troublés, de nos « messages personnels » de la BBC?-,  des textes apocalyptiques  comme « Daniel » et sa « petite corne » ou « royaume du nord » – Daniel 8 & 9 –  décrite comme « s’entendant à nouveau avec ceux qui auront abandonné l’alliance sacrée », « profanant le sanctuaire »,  « supprimant le sacrifice constant » et « établissant l’horreur dévastatrice » –  Daniel 11:30-32).

Période pourtant riche historiquement et lourde de développements pour la suite y compris dans l’Evangile et jusqu’à maintenant avec notamment l’origine de toutes sortes de mouvements importants.

Comme l’opposition hassidim (« fidèles », ie. résistants à l’héllenisation)/ dynasties sacerdotales (anciennes et nouvelles, notamment liées aux Macchabées après leur victoire) donnant elle-même naissance à l’opposition sadducéens/esséniens (comme les sécessionnistes de Qumran)  avec les pharisiens en voie moyenne (sages laïcs tentant à la protestante d’universaliser – tout en s’efforçant de s’en distinguer: chacun ses contradictions – à tous et à tout moment les règles morales et rituelles prévues à l’origine pour le seul clergé, d’ou la proximite mais aussi l’opposition avec le Christ ou Paul.

Mais également source du phénomène de « martyrs » avec notamment le Rabbi Eleazar qui un siècle plus tard inspirera la vague de martyrs à la Rabbis Akiva associé à la Révolte de Bar Khokba 60 ans après celle qui avait provoqué la destruction du Temple en 70, au même moment que les martyrs chrétiens …

The Meaning of Hanukkah

A celebration of religious freedom, the holiday fits well with the American political tradition.

Jon D. Levenson

The WSJ

December 16, 2011

The eight-day festival of Hanukkah, which Jews world-wide will begin celebrating Tuesday night, is one of the better known of the Jewish holidays but also one of the less important.

The emphasis placed on it now is mostly due to timing: Hanukkah offers Jews an opportunity for celebration and commercialization comparable to what their Christian neighbors experience at Christmas, and it gives Christians the opportunity to include Jews in their holiday greetings and parties. What’s more, the observances associated with Hanukkah are few, relatively undemanding, and even appealing to children.

The story of Hanukkah also fits the political culture of the United States. Its underlying narrative recalls that of the Pilgrims: A persecuted religious minority, at great cost, breaks free of their oppressors. It wasn’t separatist Protestants seeking freedom from the Church of England in 1620, but Jews in the land of Israel triumphing over their Hellenistic overlord in 167–164 B.C., reclaiming and purifying their holiest site, the Jerusalem Temple.

Examined too casually, the stories of Plymouth Colony and Hanukkah seem to show heroes fighting for universal religious freedom. But the heroes of the Jewish story fought not only against a foreign persecutor. They also fought against fellow Jews who—perhaps more attracted to the cosmopolitan and sophisticated Greek culture than to the ways of their ancestors—cooperated with their rulers.

The revolt begins, in fact, when the patriarch of the Maccabees (as the family that led the campaign came to be known) kills a fellow Jew who was in the act of obeying the king’s decree to perform a sacrifice forbidden in the Torah. The Maccabean hero also kills the king’s officer and tears down the illicit altar. These were blows struck for Jewish traditionalism, and arguably for Jewish survival and authenticity, but not for religious freedom.

Over time, the stories of the persecutions that led to this war came to serve as models of Jewish faithfulness under excruciating persecution. In the most memorable instance, seven brothers and their mother all choose, successively, to die at the hands of their torturers rather than to yield to the demand to eat pork as a public disavowal of the God of Israel and his commandments.

To the martyrs, breaking faith with God is worse than death. In one version, their deaths are interpreted as « an atoning sacrifice » through which God sustained the Jewish people in their travail.

The tone here isn’t the lightheartedness of the Christmas season. The Christian parallels lie, instead, with Good Friday and the story of Jesus’s acceptance of his suffering and sacrificial death. In both the Jewish and the Christian stories, the death of the heroes, grievous though it is, is not the end: It is the prelude to a miraculous vindication and a glorious restoration.

The Roman Catholic tradition honors these Jewish martyrs as saints, and the Eastern Orthodox Church still celebrates Aug. 1 as the Feast of the Holy Maccabees. By contrast, in the literature of the Rabbis of the first several centuries of the common era, the story lost its connection to the Maccabean uprising, instead becoming associated with later persecutions by the Romans, which the Rabbis experienced. If the change seems odd, recall that the compositions that first told of these events (the books of Maccabees) were not part of the scriptural canon of rabbinic Judaism. But they were canonical in the Church (and remain so in the Roman Catholic and Eastern Orthodox communions).

And so we encounter another oddity of Hanukkah: Jews know the fuller history of the holiday because Christians preserved the books that the Jews themselves lost. In a further twist, Jews in the Middle Ages encountered the story of the martyred mother and her seven sons anew in Christian literature and once again placed it in the time of the Maccabees.

« Hanukkah » means « dedication. » Originally, the term referred to the rededication of the purified Temple after the Maccabees’ stunning military victory. But as the story of the martyrs shows, the victory was also associated with the heroic dedication of the Jewish traditionalists of the time to their God and his Torah. If Hanukkah celebrates freedom, it is a freedom to be bound to something higher than freedom itself.

Mr. Levenson, a professor of Jewish studies at Harvard Divinity School, is co-author with Kevin J. Madigan of

« Resurrection: The Power of God for Christians and Jews » (Yale University Press, 2008).

Voir aussi:

Israel’s ‘Rosa Parks’ refuses to take back seat

Izzy Lemberg and Kevin Flower

CNN

2011-12-19

Jerusalem (CNN) — When Tanya Rosenblit boarded an inter-city bus bound for Jerusalem from her native Ashdod Friday morning, she did not anticipate the storm it would spark within Israel.

The public bus she boarded normally carries ultra-Orthodox passengers and travels to an ultra-Orthodox neighborhood in Jerusalem.

As a matter of custom women sit in the back portion of the bus, because the ultra-Orthodox avoid mingling of the sexes according to their beliefs. She was the first passenger that morning on the bus and took a seat behind the driver. As the bus took on more passengers along its route, an ultra-orthodox man demanded she should sit in the back of the bus as is the custom on that route.

« I heard him call me ‘Shikse,' » Rosenblit wrote on her Facebook page, referencing a Yiddish term for a non-Jewish woman. « He demanded I sit in the back of the bus, because Jewish men couldn’t sit behind women (!!!). I refused. »

« This is my home town of Ashdod, I live in an Israeli democracy, people cannot tell me where to sit on a bus. »

An argument ensued and ultimately the bus driver called the police to intervene, but not before a crowd of black-clad ultra-orthodox men had gathered outside the bus.

« I was starting to get scared, to tell you the truth, » Rosenblit recalled. « There were like 20 of them, all wearing black. Most of them were just curious, but they were definitely on his side. »

Rosenblit snapped throughout this disruption, and said she was comfortable knowing that Israeli law was on her side.

In a case brought by an Israeli woman earlier this year, the country’s Supreme Court ruled that involuntary separation between the sexes on public buses was against the law.

The responding police officer tried to talk to everyone and calm things down. Rosenblit said he asked if she was willing to show respect for the objectors and move to the back of the bus. She refused and, after a 30-minute delay, the bus moved on to Jerusalem with her sitting up front.

A day after posting the account on Facebook, Rosenblit’s story was picked up by the Israeli media, which has been devoting a lot of coverage to the public outcry over the growing political power of the ultra-Orthodox in Israel, and fears they are forcing the generally secular Israeli public to adopt their religious standards.

Israel’s largest circulation newspaper put her story on its front page with the headline, « They Won’t Tell Me Where to Sit, » and compared Rosenblit to the American civil rights movement’s legendary Rosa Parks.

On Sunday, Israeli Prime Minister Benjamin Netanyahu brought up her story in his weekly cabinet meeting.

« Up until this day we have agreed to live in peace with mutual respect by all sectors of the Israeli society, » he told his government ministers.

« In recent days we witness attempts to break this coexistence apart. Today, for example, I have heard of an attempt to move a woman from her seat on a bus. I oppose this unequivocally. I believe we must not allow margins groups to break our common denominator and we must keep our public spaces open and safe for all of our citizens. We must find the uniting and mediating ground rather than the things that divide and separate us. » Netanyahu said.

Rosenblit also received a call from Israel’s opposition leader, Tzipi Livni, who offered her support and called her a symbol of determination against « anti-democratic radicalization that pushes women away from the public space. »

A spokesman for Egged, the transportation company that runs the bus line, told CNN in a statement that it « does not deal with seating arrangements » on its buses and that « even if there are population groups that prefer to sit separately due to their beliefs, it is a voluntary choice and does not bind the other passengers. »

Rosenblit describes herself as secular and said she did not ride the bus looking for a confrontation. She said what motivated her to write about her experience was not « not to declare the Orthodox Jews as pure evil and the oppressors of human rights and liberties, » but to point out what she sees as societal problem in Israel.

« There are a lot of lovely things about religion, but forcing people to choose religion is wrong, » she said.

« It is wrong to use religion as an excuse to eliminate people’s basic rights: the right for freedom and the right for dignity. »

Voir enfin:

A bus ride to Jerusalem taking the wrong turn…

Tanya Rosenblit

I lived in Israel all my life. I was brought up in a free country and I was taught the value of freedom as a basic right that could never be undermined by anyone. All my life, during my teens, my military service, my university years and then after I always felt as equal among my peers. I was always proud to be a woman and never felt deprived or weakened by men, until today.I had an appointment in an Orthodox Jewish neighborhood in Jerusalem and looked for easy transportation on a Friday morning. After checking the official Egged site, which is the leading bus company in Israel, I decided to take line 451 from Ashdod (my hometown) to Jerusalem. I chose this line because it stopped a mere five minute walk from my scheduled appointment.

The driver looked at the station where I was standing and didn’t stop. I had to signal him by raising my hand for him to stop. When I entered the bus he looked surprised. He explained that the only ones who go on the bus are Orthodox Jews. I sat behind him in the first row and asked for him to tell me when we get to my station.

At the next stop, Orthodox Jews started mounting the bus. At first, they just stared at me, but said nothing and moved on to sit somewhere in the bus behind us. Only one passenger decided that he preferred standing on the stairs near the driver, although there was plenty of space. I didn’t mind that, and focused on the music in my ears. But then, another one entered the bus, but instead of entering, he prevented the driver from closing the door. He looked at me with despise, and when I took off the earphones, I heard him call me “Shikse”, which means “whore” in Yiddish. He demanded I sit in the back of the bus, because Jewish men couldn’t sit behind women (!!!). I refused.

The driver tried to talk to him, explained that he was late, but the “penguin” wouldn’t budge. Another passenger, also religious and orthodox asked the driver to be refunded because he was gonna miss his meeting. He also said that he didn’t mind what was going on, he just wanted to get to where he was going and that the fact that they decided to stop the bus is a good reason for the driver to give him his money back. For company policy, he didn’t, but that’s a different story.

The driver understood he was not going to move anytime soon, so he called the police. Until that moment, no one tried to talk to me. The only comment I heard was from the initiator of this whole mess ordering me to sit in the back of the bus as a sign of respect. In the meantime, a crowd started forming outside the bus, as a result of his cries. I was starting to get scared, to tell you the truth. There were like 20 of them, all wearing black. Most of them were just curious, but they were definitely on his side.

After a while, the police came. It was one officer who first talked to the driver. The driver explained to him that he didn’t tell me anything and that they wouldn’t budge. Then, the officer had a long conversation with the person who started this whole mess. It seemed quite friendly, and in the end, the policeman came to me and asked me if I was willing to respect them and sit in the back of the bus. I answered that I respected them enough by wearing modest cloths, because I knew I was going to an Orthodox neighborhood, but I wouldn’t be humiliated by those who can’t even respect their own mothers and wives.

The officer stepped down and so did the leader of the little protest that was going on. He stayed in Ashdod, while the rest of the Orthodox Jews, including those who got on the bus later on boarded the bus and quietly went to sit behind me. The person who chose to stand on the stairs at the beginning remained on the stairs sitting and praying throughout the entire bus ride, because he wouldn’t sit behind a woman!!!

The entire delay took about half an hour, but we managed to arrive on time. In the neighborhood, I met some very pleasant people who were very happy and eager to help me when I asked for directions, men and women, Orthodox and religious. When I later decided to take a walk around the Mahane Yehuda Market in Jerusalem, I was again treated as an equal, as a secular woman, with the utmost respect and sympathy, by men and women of all streams.

The reason I am posting this story is not to declare the Orthodox Jews as pure evil and the oppressors of human rights and liberties. I want to point out that this is a social and educational problem. There are a lot of lovely things about religion, but forcing people to choose religion is wrong. It is wrong to use religion as an excuse to eliminate people’s basic rights: the right for freedom and the right for dignity.

Voir enfin:

Why did Tanya Rosenblit use a Mehadrin bus ?

B”H

Shearim

December 18, 2011

The Israeli newspaper YEDIOT ACHARONOT greeted its readers with a huge headline this morning. The 28 – year – old student Tanya Rosenblit became the latest « hero » of those women being attacked by Haredim on certain Egged buses. HERE is the article from Yediot where Tanya Rosenblit describes her bus ride from Ashdod to Jerusalem. She placed herself in the men’s section of the bus and got attacked by the male haredi bus passengers.

However, what Yediot Acharonot doesn’t tell is that Ms. Rosenblit took one of the haredi Mehadrin buses and NOT an ordinary EGGED bus.

The readership not being familiar with the different bus lines from Ashdod to Jerusalem will get the impression that the incident happened on a regular EGGED bus but this is not the case. Tanya Rosenblit apparently used one of the Mehadrin buses on purpose in order to provoke the haredi passengers and get her headlines.

Mehadrin buses have separate seating (men in the front and women in the back) and as soon as I use such a bus, I know what to expect. I am fully aware of the separate seating but Tanya Rosenblit ignored the fact and now received her headlines.YEDIOT ACHARONOT, on the other hand, is very well – known for its anti – haredi policy and articles.

Israel’s haredi press has been reporting the whole day about the incident and came to the conclusion that Tanya Rosenblit is nothing but provoking.

A haredi article on the subject. Unfortunately only in Hebrew !

COMPLEMENT:

Hanukkah Irony: The Holiday’s Real Message is Alien to Most American Jews
Jonathan S. Tobin
JNS
December 18, 2022

According to the most recent authoritative study of American Jewry, conducted in 2020 by the Pew Research Institute, approximately 80% of respondents said they owned a menorah or, as it is properly known in Hebrew, a Chanukiah. They weren’t asked, however, whether they lit it on the holiday.

An answer to this question was provided by a different survey, conducted for a book by Shmuel Rosner and Camil Fuchs. It found that a whopping 68% of American Jews think the Festival of Lights, a minor observance in the traditional religious calendar, is “one of the three most important” Jewish holidays. Even so, the research showed, less than 60% actually light candles, as opposed to just having a menorah on display in their homes as a totemic gesture toward their origins.

Still, Hanukkah plays an important role in the Jewish effort to carve a niche in American popular culture. The 2019 debut of the first Hallmark Channel Hanukkah movies was a milestone for some.

The new such Jewish-holiday romance, among the 40 that the company produced for the 2022 holiday season, is an indication that, for all of its problems, American Jewry is still given a place at the communal cultural table, even if it’s a marginal one.

Observant Jews—and those more concerned with the serious problems of surging antisemitism and the ongoing demonization of Israel—may sneer at this “achievement.” But this sort of representation has enormous meaning to the secular majority, especially members of the not-inconsiderable group dubbed by demographers as “Jews of no religion,” the fastest-growing segment of U.S. Jewry.

For many American Jews, the issue of whether a menorah is displayed next to the Christmas tree in their town square’s holiday celebration—or if assemblies in their children’s schools include Hanukkah songs along with the carols—is a very big deal. It’s even been the source of endless debates and controversies.

There is no established religion in the United States, where Judaism enjoys the same rights as every other faith. But liberal Jewry has embraced the misguided goal of sweeping the public square clean of faith.

This has been driven, for some Jews, by an anti-religious impulse. For others, it may stem from a misplaced fear of being victimized by—or left out of—the common practice of “Merry Christmas” salutations, rather than a more ecumenical and amorphous “Happy Holidays.”

But even if we are to set aside the pointless, counterproductive arguments surrounding the issue, and take it at face value that the drive for equal time for Hanukkah comes from a place of Jewish pride, the question to be asked is what exactly are American Jews celebrating when they do take down their menorahs from their shelves?

The answer to that is fairly obvious. For most Americans, Hanukkah is merely a chance to share in the annual communal December cheer. It’s a blue-tinseled version of Christmas, marked by the same consumerist excess accompanied by largely meaningless expressions about goodwill and fellowship.

I have no criticism of Jews adopting the Christmas practice of gift-giving, in contrast to the Jewish tradition of a little Hanukkah gelt. Woke critiques of capitalism and worries about spoiling children aside, exchanging presents in blue, rather than green-and-red, wrapping paper doesn’t do much harm, especially when mixed in with feasting on latkes and sufganiyot.

What ought to be of concern is the fact that this Jewish gloss on Christmas–as well as the way in which the large and growing population of intermarried families often merge the two holidays into a hybrid entity they call “Chrismukkah”—has nothing to do with the actual Jewish festival.

It may come as a shock to most American Jews, but Hanukkah is pretty much the opposite of the modern secular celebration of Christmas that most of their neighbors celebrate. Rather than an expression of peace, the revolt of the Maccabees was a battle against foreign oppression and a bloody civil war.

The priest Mattathias and his five sons and their followers fought both their Syrian Greek oppressors and the assimilated Jews who had embraced the Hellenistic practices of their overlords. Contemporary leftists critical of Hanukkah aren’t wrong to point out that most American Jews probably have a lot more in common with the latter—who were embracing a universalist culture and rejecting the narrow, parochial beliefs of the rebels—than the heroic Judah Maccabee.

That’s precisely why Hanukkah really does deserve the disproportionate attention it gets from American Jews this time of year, relative to its lesser importance in the liturgical calendar.

Jews and non-Jews alike can acknowledge that the Maccabean revolt was an expression of the will to self-determination and political liberty that all peoples share. But for Jews, it’s a reminder that preserving Jewish life in a world where universalist and often coercive and destructive views seek to extinguish and marginalize minority faiths, requires the making of hard choices.

The essence of Jewish identity from our beginnings has always been a willingness to stand up against the idols of popular culture. In the time of the Maccabean revolt, it was the powerful pull of Hellenism.

This, ironically, was a major reason why the descendants of the rebel leaders—who ruled in Judea for more than a century in the relatively brief period of Jewish independence that followed their victory—themselves ultimately fell prey to it, and wound up welcoming the Roman overlords who eventually destroyed the Second Commonwealth.

Today, it is not merely the dilemma of living as a religious minority in a country where more than 98% are not Jewish. Defending Jewish identity also means defying the woke leftist doctrines that dominate so much of American society, including campuses and the mainstream media. Intersectional ideology and critical race theory label Jews as “white” oppressors of indigenous people—ignoring the fact that, as Hanukkah reminds, the Jews are indigenous to the land of Israel. It is as much of a threat to the Jewish future and to the ability of Jews to maintain their identity and communities as the influence of the majority Christian/secular culture.

This is a time of growing antisemitism, which comes from the far-right, fundamentalist Islam, the intersectional left and an African-American community influenced by the Black Lives Matter movement and hatemongers like the Nation of Islam’s Louis Farrakhan. Hanukkah is a call to arms to stand up against all these forces.

It calls to mind that, just as was the case in 165 B.C.E., the ability to preserve Jewish faith and identity requires ordinary Jews to speak out and refuse to bend their knees to the idols of our time.

Rather than pooh-pooh the emphasis on this minor festival, it should be understood as a springboard for exactly the kind of productive assertions of Jewish pride and defense of rights that is needed more than ever. Happy Hanukkah!

Jonathan S. Tobin is editor-in-chief of JNS (Jewish News Syndicate)


Christopher Hitchens: La vérité même contre le monde entier (Always looking for our Spanish Civil War)

19 décembre, 2011

Tu ne suivras point la multitude pour faire le mal. Exode 23: 2
My Puritan grandmother gave me a Bible with her favourite texts written on the fly-leaf. Among these was ‘Thou shalt not follow a multitude to do evil.’ Her emphasis upon this text led me in later life to be not afraid of belonging to small minorities. Bertrand Russell
Il y avait la vérité, il y avait le mensonge, et si l’on s’accrochait à la vérité, même contre le monde entier, on n’était pas fou. Orwell (« 1984 »)
La liberté, c’est la liberté de dire que deux et deux font quatre. Lorsque cela est accordé, le reste suit. George Orwell (« 1984 »)
Il est clair que la rhétorique de Bush sonne un peu plus vraie à nos oreilles qu’aux vôtres… Vaclav Havel
En Russie, le régime est plus moderne, plus démocratique et plus sophistiqué que le stalinisme. Mais il faut être vigilant. L’action de Poutine doit au moins nous inviter à la prudence. Avec lui, la Russie veut restaurer sa zone d’influence, son « étranger proche », comme ils disent là-bas. Nous n’avons pas le droit de fermer les yeux et de le laisser faire. Vaclav Havel
FIRE! Fire, fire… fire. Now you’ve heard it. Not shouted in a crowded theatre, admittedly, as I realise I seem now to have shouted it in the Hogwarts dining room – but the point is made. Everyone knows the fatuous verdict of the greatly over­praised Justice Oliver Wendell Holmes, who, asked for an actual example of when it would be proper to limit speech or define it as an action, gave that of shouting “fire” in a crowded theatre. It’s very often forgotten what he was doing in that case was sending to prison a group of Yiddish-speaking socialists, whose literature was printed in a language most Americans couldn’t read, opposing President Wilson’s participation in the First World War and the dragging of the United States into this sanguinary conflict, which the Yiddish speaking socialists had fled from Russia to escape. In fact it could be just as plausibly argued that the Yiddish speaking socialists, who were jailed by the excellent and over­praised Judge Oliver Wendell Holmes, were the real fire fighters, were the ones shouting “fire” when there really was a fire, in a very crowded theatre indeed. And who is to decide? (…) to whom do you award the right to decide which speech is harmful, or who is the harmful speaker? Orto determine in advance what the harmful consequences are going to be that we know enough about in advance to prevent ? To whom would you give this job? To whom are you going to award the task of being the censor? (…) it’s not just the right of the person who speaks to be heard, it is the right of everyone in the audience to listen, and to hear. And every time you silence someone you make yourself a prisoner of your own action because you deny yourself the right to hear something. In other words, your own right to hear and be exposed is as much involved in all these cases as is the right of the other to voice his or her view. (..) If (…) one person gets up and says, “You know what, this Holocaust, I’m not sure it even happened. In fact, I’m pretty certain it didn’t. Indeed, I begin to wonder if the only thing [isn’t] that the Jews brought a little bit of violence on themselves.” [Then] That person doesn’t just have a right to speak, that person’s right to speak must be given extra protection. Because what he has to say must have taken him some effort to come up with, might contain a grain of historical truth, might in any case get people to think about “why do they know what they already think they know”. How do I know that I know this, except that I’ve always been taught this and never heard anything else? It’s always worth establishing first principles. (…) How sure am I of my own views? Don’t take refuge in the false security of consensus, and the feeling that whatever you think you’re bound to be OK, because you’re in the safely moral majority. (…) Now, I don’t know how many of you don’t feel you’re grown up enough to decide for yourselves and think you need to be protected from David Irving’s edition of the Goebbels Diaries for example, out of which I learned more about the Third Reich than I had from studying Hugh Trevor­ Roper and A.J.B. Taylor combined when I was at Oxford. (…) I’m beginning to resent the confusion that’s being imposed on us now –and there was some of it this evening– between religious belief, blasphemy, ethnicity, profanity and what one might call “multicultural etiquette”. It’s quite common these days, for people now to use the expression “anti­-islamic racism”, as if an attack on a religion was an attack on an ethnic group. The word Islamophobia in fact is beginning to acquire the opprobrium that was once reserved for racial prejudice. This is a subtle and very nasty insinuation that needs to be met head on. (…) Now let’s not dance around, not all monotheisms are exactly the same, at the moment. They’re all based on the same illusion, they’re all plagiarisms of each other, but there is one in particular that at the moment is proposing a serious menace not just to freedom of speech and freedom of expression, but to quite a lot of other freedoms too. And this is the religion that exhibits the horrible trio of self-­hatred, self­-righteousness and self-­pity. I am talking about militant Islam. Globally it’s a gigantic power. It controls an enormous amount of oil wealth, several large countries and states with an enormous fortune, it’s pumping the ideology of Wahhabism and Salafism around the world, poisoning societies where it goes, ruining the minds of children, stultifying the young and its madrases, training people in violence, making a culture of death and suicide and murder. That’s what it does globally, it’s quite strong. In our society it poses as a cringing minority, whose faith you might offend, which deserves all the protection that a small and vulnerable group might need. (…) And up go the placards, and up go the yells and the howls and the screams, “Behead those…” –this is in London, this is in Toronto, this is in New York, it is right in our midst now– “Behead those, Behead those who cartoon Islam”. Do they get arrested for hate speech? No. Might I get in trouble for saying what I’ve just said about the prophet Mohammad? Yes, I might. Where are your priorities ladies and gentlemen? You’re giving away what’s most precious in your own society, and you’re giving it away without a fight, and you’re even praising the people who want to deny you the right to resist it. Shame on you while you do this. Christopher Hitchens (University of Toronto, November 15th, 2006)
It is a strange thing, but it remains true that our language contains no proper word for your aspiration. The noble title of « dissident » must be earned rather than claimed; it connotes sacrifice and risk rather than mere disagreement, and it has been consecrated by many exemplary men and women. « Radical » is a useful and honourable term, but it comes with various health warnings. Our remaining expressions – « maverick », « loose cannon », « rebel », « angry young man », « gadfly » – are all slightly affectionate and diminutive and are, perhaps for that reason, somewhat condescending. It can be understood from them that society, like a benign family, tolerates and even admires eccentricity. Even the term « iconoclast » is seldom used negatively, but rather to suggest that the breaking of images is a harmless discharge of energy. (…) There even exist official phrases of approbation for this tendency, of which the latest is the supposedly praiseworthy ability to « think outside the box ». I myself hope to live long enough to graduate from being a « bad boy » – which I once was – to becoming « a curmudgeon ». Go too far outside « the box », of course, and you will encounter a vernacular that is much less « tolerant ». Here, the key words are « fanatic », « troublemaker », « misfit » or « malcontent ». (…) Meanwhile, the ceaseless requirements of the entertainment industry also threaten to deprive us of other forms of critical style, and of the means of appreciating them. To be called « satirical » or « ironic » is now to be patronised in a different way; the satirist is the fast-talking cynic and the ironist merely sarcastic or self-conscious and wised up. When such a precious and irreplaceable word as « irony » has become a lazy synonym for anomie, there is scant room for originality. (…) However, let us not repine. It is too much to expect to live in an age that is propitious for dissent. And most people, most of the time, prefer to seek approval or security. None the less, there are in all periods people who feel themselves in some fashion to be apart. And it is not too much to say that humanity is very much in debt to such people, whether it chooses to acknowledge the debt or not. (Don’t expect to be thanked, by the way. The life of an oppositionist is supposed to be difficult.) (…) I nearly hit upon the word « dissenter » just now, which might do as a definition if it were not for certain religious and sectarian connotations. The same problem arises with « freethinker ». But the latter term is probably the superior one, since it makes an essential point about thinking for oneself. The essence of the independent mind lies not in what it thinks, but in how it thinks. (…) The term « intellectual » was coined by those in France who believed in the guilt of Captain Alfred Dreyfus. They thought that they were defending an organic, harmonious and ordered society against nihilism, and they deployed this contemptuous word against those they regarded as the diseased, the introspective, the disloyal and the unsound. The word hasn’t completely lost this association even now, though it is less frequently used as an insult. (One feels something of the same sense of embarrassment in claiming to be an « intellectual » as one does in purporting to be a dissident, but the figure of Emile Zola offers encouragement, and his singular campaign for justice for Dreyfus is one of the imperishable examples of what may be accomplished by an individual.) Christopher Hitchens (Letters to a young Contrarian)
Here is a man [Jacques Chirac] who had to run for re-election last year in order to preserve his immunity from prosecution, on charges of corruption that were grave. Here is a man who helped Saddam Hussein build a nuclear reactor and who knew very well what he wanted it for. Here is a man at the head of France who is, in effect, openly for sale. He puts me in mind of the banker in Flaubert’s « L’Education Sentimentale »: a man so habituated to corruption that he would happily pay for the pleasure of selling himself. Here, also, is a positive monster of conceit. He and his foreign minister, Dominique de Villepin, have unctuously said that « force is always the last resort. » Vraiment? This was not the view of the French establishment when troops were sent to Rwanda to try and rescue the client-regime that had just unleashed ethnocide against the Tutsi. It is not, one presumes, the view of the French generals who currently treat the people and nation of Cote d’Ivoire as their fief. It was not the view of those who ordered the destruction of an unarmed ship, the Rainbow Warrior, as it lay at anchor in a New Zealand harbor after protesting the French official practice of conducting atmospheric nuclear tests in the Pacific. (…) We are all aware of the fact that French companies and the French state are owed immense sums of money by Saddam Hussein. We all very much hope that no private gifts to any French political figures have been made by the Iraqi Baath Party, even though such scruple on either side would be anomalous to say the very least. Is it possible that there is any more to it than that? The future government in Baghdad may very well not consider itself responsible for paying Saddam’s debts. Does this alone condition the Chirac response to a fin de regime in Iraq? (…) Charles de Gaulle had a colossal ego, but he felt himself compelled at a crucial moment to represent une certaine idee de la France, at a time when that nation had been betrayed into serfdom and shame by its political and military establishment. (…) He had a sense of history. To the permanent interests of France, he insisted on attaching une certain idee de la liberte as well. He would have nodded approvingly at Vaclav Havel’s statement — his last as Czech president — speaking boldly about the rights of the people of Iraq. And one likes to think that he would have had a fine contempt for his pygmy successor, the vain and posturing and venal man who, attempting to act the part of a balding Joan of Arc in drag, is making France into the abject procurer for Saddam. This is a case of the rat that tried to roar. Hitchens (2003)
It’s rather sad to think that whatever happens you and I can never possibly get involved in a war. Evelyn Waugh (Brideshead Revisited)
That’s why you join a party, to take up the struggles within it. And that’s what pushed me to the left—the humiliation of the Labour Government.  Hitchens
Si nous avions quitté l’Irak selon l’agenda du mouvement pacifiste, la situation serait précisément l’inverse: le peuple irakien serait maintenant atrocement martyrisé par les sadiques d’al-Qaeda, trop contents de se vanter en plus d’avoir infligé une défaite sur le champ de bataille aux Etats-Unis. Ce qui n’aurait pas manqué de se faire rapidement savoir en Afghanistan et, nul doute, à d’autres endroits où l’ennemi opère. Christopher Hitchens
Une seule faction du monde politique américain a trouvé moyen d’excuser le genre de fanatisme religieux qui nous menace le plus directement ici et maintenant. Et cette faction, je suis désolé et furieux de le dire, est la gauche. Depuis le premier jour de l’immolation du World Trade Center jusqu’en ce moment même, une galerie de pseudo-intellectuels accepte de présenter le plus mauvais visage de l’Islam comme la voix de l’opprimé. Comment ces personnes peuvent-elles supporter de relire leur propre propagande? Les tueurs suicide palestiniens – désavoués et dénoncés par le nouveau chef de l’OLP – qualifiées de victimes du “désespoir.” Les forces d’Al-Qaida et des Taliban présentées comme des porte-paroles dévoyés de l’anti-mondialisation. Les gangsters assoiffés de sang d’Irak, qui préfereraient engloutir toute la population dans la souffrance plutôt que de les laisser voter, joliment décrits comme des “insurgés” ou même, par Michael Moore, comme l’équivalent moral de nos Pères fondateurs. Si c’est ça, le sécularisme libéral, je préfère à tous les coups un modeste et pieux Baptiste amateur de chasse au cerf du Kentucky, aussi longtemps qu’il n’essaie pas de m’imposer ses principes (ce que lui interdit d’ailleurs notre constitution). (…) George Bush est peut-être subjectivement chrétien, mais il a objectivement fait plus pour la laïcité – avec les forces armées américaines – que la totalité de la communauté agnostique américaine combinée et doublée. Christopher Hitchens
Sur la porte de ma banque à Washington, une pancarte me prie poliment, mais sans explications, d’ôter tout ce qui me cache le visage avant d’entrer dans les lieux. Une personne qui ferait irruption dans la banque avec un masque quelconque serait, à juste titre, suspecte. Cette présomption de culpabilité devrait valoir aussi hors des murs de la banque. Je serais indigné et je refuserais de traiter avec une infirmière, un docteur ou un enseignant qui cacherait son visage, ou pire, avec un inspecteur des impôts ou un douanier voilé. Ne dit-on pas toujours, dans les expressions de la vie courante, «Qu’est-ce que tu as à cacher?» et «Tu n’oses pas montrer le bout de ton nez»? (…) Je voudrais poser une question toute simple à ces pseudo-libéraux qui prônent la tolérance sur la question du voile et de la burqa: que dire alors du Ku Klux Klan? Célèbre pour ses cagoules et sa pensée réactionnaire, le gang a toujours eu pour objectif le maintien d’une pureté protestante et anglo-saxonne. Le KKK a certes le droit de défendre ses positions fondées sur la religion, c’est écrit dans le Premier amendement de la Constitution américaine. J’irais même jusqu’à dire que, lors de défilés protégés par la police, ils peuvent en toute légalité cacher leur vilain visage. Mais je ne laisserais pas un homme ou une femme encagoulés enseigner à mes enfants, entrer avec moi à la banque, ou conduire mon taxi ou mon bus -aucune loi ne m’obligera jamais à le faire. Hitchens
I don’t quite see Christopher as a ‘man of action,’ but he’s always looking for the defining moment—as it were, our Spanish Civil War, where you put yourself on the right side, and stand up to the enemy. Ian Buruma
Hitchens was a longtime observer of the cruelty of Saddam Hussein, and had spoken publicly for his removal since 1998. He supported the cause of Kurdish independence, and had been to Halabja and seen the injuries caused there by Iraqi chemical weapons; and he was friendly with dissident Iraqis in exile, including Ahmed Chalabi, of the Iraqi National Congress, which aggressively promoted the notion, now widely discounted, that Saddam was poised to become a nuclear power. After September 11th, and the subsequent defeat of the Taliban in Afghanistan (upon which Hitchens addressed the British antiwar left in the pages of the Guardian, “Ha ha ha, and yah, boo”), he had thrown himself into the debate over Iraq, making speeches and writing for Slate. Brandishing the nineteen-thirties slogan “Fascism Means War,” he argued that Saddam was something more than another tyrant; though he did not have nuclear weapons, he aspired to have them; his regime was on the verge of implosion, and better that it should implode under supervision, with the West providing “armed assistance to the imminent Iraqi and Kurdish revolutions.” Ian Parker
Between the two of them, my sympathies were with Mother Teresa. If you were sitting in rags in a gutter in Calcutta, who would be more likely to give you a bowl of soup? Alexander Cockburn
What’s great about him is that being despised is actually the source of his creativity. Thomas Cushman
He felt there was a liberal failure to get the point of what was happening.” The fatwa split the left. As “The instinct was, whenever there was any conflict between Third World opinion and the Western metropole, you’d always favor the Third World. Yet here was a case where people were forced to take the opposite view.” For Hitchens, that task was simplified by his contempt for religion. Ian Buruma

Chypre, Malouines, Affaire Rushdie, Bosnie, Kurdes, Irak, y a-t-il une cause en son temps sulfureuse que Christopher Hitchens n’aura pas défendue?

A l’heure où  le retrait américain d’Irak nous est présenté comme le prétendu accomplissement d’une promesse de campagne d’un président élu sur son opposition à la guerre …

Et au lendemain de la disparition de l’ancien dissident tchèque Vaclav Havel qui, une fois devenu président, sut prendre la défense du peuple irakien …

Pendant qu’au Pays autoproclamé des Droits de l’homme on verse des larmes de crocodile sur la condamnation, largement symbolique et 20 ans après les faits, d’un président français qui avait multiplié les casseroles et trahi son premier allié comme le peuple irakien qu’il prétendait soutenir …

Comment ne pas repenser à cet autre dissident dans l’âme, l’ancien troskyste anglo-américain Christopher Hitchens décédé deux jours plus tôt …

A qui son attachement orwellien à la vérité lui valut lui aussi de ne jamais perdre de vue, y compris contre son propre camp et ses propres préjugés anti-religieux, les droits à la liberté d’un peuple opprimé?

He Knew He Was Right

How a former socialist became the Iraq war’s fiercest defender.

Ian Parker

The New Yorker

October 16, 2006

Until not long ago, Christopher Hitchens, the British-born journalist, was a valued asset of the American left: an intellectual willing to show his teeth in the cause of righteousness. Today, Hitchens supports the Iraq war and is contemptuous of those who do not—a turn that has confused and dismayed former comrades, and brought him into odd new alliances. But his life looks much the same. He still writes a great deal, at a speed at which most people read. And, at fifty-seven, he still has an arrest-photograph air about him—looking like someone who, with as much dignity as possible, has smoothed his hair and straightened his collar after knocking the helmet off a policeman.

At a dinner a few months ago in San Francisco with his wife, Carol Blue, and some others, Hitchens wore a pale jacket and a shirt unbuttoned far enough to hint at what one ex-girlfriend has called “the pelt of the Hitch.” Hitchens, who only recently gave up the habit of smoking in the shower, was working through a pack of cigarettes while talking to two women at his end of the table: a Stanford doctor in her early thirties whom he’d met once before, and a friend of hers, a librarian. He spoke with wit and eloquence about Iranian politics and what he saw as the unnecessary handsomeness of Gavin Newsom, the mayor of San Francisco.

Hitchens writes on politics and literature; and in both lines of work he tends to start from textual readings of a subtle and suspicious-minded kind. When he is not writing, he talks in the same measured, ironic voice as his prose, with the same fluency and intellectual momentum, as if he were troubled by the thought that he might never find another audience. Hitchens likes to have his say: he takes his arguments to the cable-news channels, to West Point cadets, to panel discussions in windowless hotel conference rooms. He stays at public meetings until the crowd—dehydrated and faint—has no more questions to ask, and then he gives out his e-mail address. He is a fine, funny orator, with the mock-heroic manner of an English barrister sure of his ground (“by all means,” “if you will”), using derision, a grand diction, and looping subclauses that always carry him back to the main path. He also has the politician’s trick of eliding the last word of one sentence to the first of the next, while stressing both words, in order to close a gate against interruption. In more private settings, the rhetoric is the same—except that there are filthy jokes drawn out to twenty minutes, and longer quotations from his vast stock of remembered English poetry. He seems to be perpetually auditioning for the role of best man. Ian McEwan, the novelist, recently said of Hitchens, “It all seems instantly, neurologically available: everything he’s ever read, everyone he’s ever met, every story he’s ever heard.”

 In the noisy front room of the North Beach restaurant where the friends had met, Hitchens made a toast: “To the Constitution of the United States, and confusion to its enemies!” The conversation was amiable and boozy; Hitchens might be said to care more for history than for individual humans, but he was in an easy mood, after a drive, in beautiful early-evening light, from Menlo Park. (He and Blue, a writer working on a novel, live with their thirteen-year-old daughter in Washington, D.C., but spend the summer in California, where her parents live.) During the ride, he had discussed with the Pakistani-born taxi-driver the virtues and vices of Benazir Bhutto, while surreptitiously using a bottle of Evian to put out a small but smoky fire that he had set in the ashtray.

And then the young doctor to his left made a passing but sympathetic remark about Howard Dean, the 2004 Presidential candidate; she said that he had been unfairly treated in the American media. Hitchens, in the clear, helpful voice one might use to give street directions, replied that Dean was “a raving nut bag,” and then corrected himself: “A raving, sinister, demagogic nut bag.” He said, “I and a few other people saw he should be destroyed.” He noted that, in 2003, Dean had given a speech at an abortion-rights gathering in which he recalled being visited, as a doctor, by a twelve-year-old who was pregnant by her father. (“You explain that to the American people who think that parental notification is a good idea,” Dean said, to applause.) Dean appeared not to have referred the alleged rape to the police; he also, when pressed, admitted that the story was not, in all details, true. For Hitchens, this established that Dean was a “pathological liar.”

“All politicians lie!” the women said.

“He’s a doctor,” Hitchens said.

“But he’s a politician.”

“No, excuse me,” Hitchens said. His tone tightened, and his mouth shrunk like a sea anemone poked with a stick; the Hitchens face can, at moments of dialectical urgency, or when seen in an unkindly lit Fox News studio, transform from roguish to sour. (Hitchens’s friend Martin Amis, the novelist, has chided Hitchens for “doing that horrible thing with your lips.”) “Fine,” Hitchens said. “Now that I know that, to you, medical ethics are nothing, you’ve told me all I need to know. I’m not trying to persuade you. Do you think I care whether you agree with me? No. I’m telling you why I disagree with you. That I do care about. I have no further interest in any of your opinions. There’s nothing you wouldn’t make an excuse for.”

“That’s wrong!” they said.

“You know what? I wouldn’t want you on my side.” His tone was businesslike; the laughing protests died away. “I was telling you why I knew that Howard Dean was a psycho and a fraud, and you say, ‘That’s O.K.’ Fuck off. No, I mean it: fuck off. I’m telling you what I think are standards, and you say, ‘What standards? It’s fine, he’s against the Iraq war.’ Fuck. Off. You’re MoveOn.org. ‘Any liar will do. He’s anti-Bush, he can say what he likes.’ Fuck off. You think a doctor can lie in front of an audience of women on a major question, and claim to have suppressed evidence on rape and incest and then to have said he made it up?”

“But Christopher . . .”

“Save it, sweetie, for someone who cares. It will not be me. You love it, you suck on it. I now know what your standards are, and now you know what mine are, and that’s all the difference—I hope—in the world.”

What happened to Christopher Hitchens? How did a longtime columnist at The Nation become a contributor to the Weekly Standard, a supporter of President Bush in the 2004 election, and an invited speaker at the conservative activist David Horowitz’s forthcoming Restoration Weekend, along with Ann Coulter and Rush Limbaugh? Or, to put it another way, how did Hitchens come to be a “Lying, Self-Serving, Fat-Assed, Chain-Smoking, Drunken, Opportunistic, Cynical Contrarian”? (This is from the title of an essay posted on CounterPunch, a Web site co-edited by Hitchens’s former friend and Nation colleague Alexander Cockburn.) The question, in polite and impolite forms, goes around and around at Washington dinner parties: did Hitchens maintain high principles while the left drifted from him, or did he lose himself in vanity and ambition? The matter has even inspired a forthcoming anthology of attack and counterattack, “Terror, Iraq, and the Left: Christopher Hitchens and His Critics.”

On the time line of the Hitchens apostasy, which runs from revolutionary socialism to a kind of neoconservatism, many dates are marked in boldface—his reassessment cannot be fixed to any one of them—and those familiar with Hitchens’s work know that he has always thrived on sectarian battles, and always looked for “encouraging signs of polarization,” a phrase he has borrowed from his late friend Israel Shahak, the Israeli activist. But, when I talked with Hitchens, our conversation began with events in 2001. By that year, Hitchens said, he had begun to doubt if his future lay in political journalism. He had, by then, published fifteen books, including one on the Elgin Marbles dispute, and slim, scornful volumes—modern versions of eighteenth-century pamphleteering—making the case against Henry Kissinger (mass murderer), Bill Clinton (sex criminal), and Mother Teresa (friend of despots). He had written, but not yet published, an admiring book about George Orwell’s political clear-sightedness. He had a column for Vanity Fair, in addition to his “Minority Report” for The Nation, which he had started in 1982, a year after moving to America. But, he said, political commentary had become “increasingly boring. There were times when I was due to write a Nation column and I hadn’t got a hugely strong motive to write.” He no longer described himself as a socialist, an identity he had formed as a teen-ager, in the late sixties. He had taken to describing capitalism as the world’s only true revolutionary force.

“I was becoming post-ideological,” Hitchens recalled. “And I thought, Well, what I want is to write more about literature—not to dump politics, because one can never do that, but I remember thinking that I would make a real effort to understand Proust.” Wherever possible, Hitchens writes as an oppositionist, which means that his panegyrics are delivered in the form of a bodyguard’s shove against intruders; and in this case he had decided on a book-length riposte to Alain de Botton’s “How Proust Can Change Your Life.” Hitchens finished writing his notes on September 9th, then flew to Walla Walla, Washington, to give a lecture on Henry Kissinger that coincided with the filing of a federal lawsuit against Kissinger and other Nixon Administration officials by the family of René Schneider, the Chilean military commander murdered in 1970. “I made a speech to an excited audience, and I ended, ‘I like to think that tomorrow, 11th September 2001, will be remembered for a long time as a landmark day in the struggle for human rights’—a prescient remark, I hope you’ll agree. I got a standing ovation, signed a few books, kissed a few people, went to bed reasonably contented. You know the rest.”

He went on, “The advice I’ve been giving to people all my life—that you may not be interested in the dialectic but the dialectic is interested in you; you can’t give up politics, it won’t give you up—was the advice I should have been taking myself. Because I did know that something like 9/11 would happen.” So “it was goodbye to Marcel for a bit.” (He has not written his Proust book, but, in 2004, he published a limpid essay on a new translation of “Swann’s Way”: “Through his eyes we see what actuates the dandy and the lover and the grandee and the hypocrite and the poseur, with a transparency unexampled except in Shakespeare or George Eliot,” he wrote in The Atlantic. “And this ability, so piercing and at times even alarming, is not mere knowingness. It is not, in other words, the product of cynicism. To be so perceptive and yet so innocent—that, in a phrase, is the achievement of Proust.”)

In a 2003 interview, Hitchens said that the events of September 11th filled him with “exhilaration.” His friend Ian Buruma, the writer, told me, “I don’t quite see Christopher as a ‘man of action,’ but he’s always looking for the defining moment—as it were, our Spanish Civil War, where you put yourself on the right side, and stand up to the enemy.” Hitchens foresaw “a war to the finish between everything I love and everything I hate.” Here was a question on which history would judge him; and just as Orwell had (in his view) got it right on the greatest questions of the twentieth century—Communism, Fascism, and imperialism—so Hitchens wanted a future student to see that he had been similarly scrupulous and clear-eyed. (He once wrote, “I have tried for much of my life to write as if I was composing my sentences to be read posthumously.”) His enemies stood in two groups: first, the forces of jihad, and, second, those in “the Chomsky-Zinn-Finkelstein quarter,” as he has put it—the cohort of American leftists who seemed too ready to see the attacks as a rebuke to American imperialism. In his first Nation column after September 11th, Hitchens wrote that “the bombers of Manhattan represent fascism with an Islamic face. . . . What they abominate about ‘the West,’ to put it in a phrase, is not what Western liberals don’t like and can’t defend about their own system, but what they do like about it and must defend: its emancipated women, its scientific inquiry, its separation of religion from the state. Loose talk about chickens coming home to roost is the moral equivalent of the hateful garbage emitted by Falwell and Robertson.”

Many American liberals would have had no argument with that; nor, indeed, with the way Hitchens jabbed at the film-maker Oliver Stone at a public meeting in Manhattan a few weeks later, when Stone referred to the “revolt of September 11th.” (“Excuse me. Revolt? It was state-supported mass murder, using civilians as missiles.”) Nevertheless, Hitchens felt compelled formally to remove himself from the American left. In a clarifying sign-off a few months later, he dropped his Nation column. This may have been largely a change of address rather than a change of mind—moving out of the house long after the divorce—but he detected some inner shift in 2001. “For the first time in my life, I felt myself in the position of the policeman,” he told me. In part, this was a response to America’s panic. “Nobody knew what was going on. This giant government, and huge empire. Bush was missing. Panic, impotence, shame. I’ve never known any feeling like it. What does one do when the forces of law and order have let you down, and the whole of society is stunned and terrified? Simply, I must find out what it’s like to think like a cop. It shifts the angle, in a way that can’t really be wrenched back again.” During the I.R.A. bombing campaigns on the British mainland, which began in the nineteen-seventies, this had not happened. Then he had “kept two sets of books: I didn’t like bombs, I didn’t like the partition of Ireland.” Now he felt as if he had “taken an oath to uphold and defend the Constitution against all enemies, foreign and domestic.”

We were in Hitchens’s home in Washington. His top-floor apartment, with a wide view that includes No. 1 Observatory Circle, the Vice-Presidential residence, is large and handsome: sparely furnished, with a grand piano, books piled on the floor, a few embassy invitations on the mantelpiece, and prints and paintings propped against the walls rather than hung from them; these include an oil painting of Hitchens and Blue (a dark-haired, darkly dressed woman—a young Susan Sontag) with coffee, whiskey, and cigarettes on a table in front of them.

Hitchens has the life that a spirited thirteen-year-old boy might hope adulthood to be: he wakes up when he likes, works from home, is married to someone who wears leopard-skin high heels, and conducts heady, serious discussions late into the night. I arrived just after midday, and Hitchens said that it was “time for a cocktail”; he poured a large drink. His hair flopped over his forehead, and he pushed it back using just the tips of his fingers, his hand as unbending as a mannequin’s.

He noted that he never likes going to bed. “I’m not that keen on the idea of being unconscious,” he said. “There’s plenty of time to be unconscious coming up.” In Washington, his socializing usually takes place at home. “I can have some sort of control over who comes, what gets talked about, what gets eaten, what gets drunk, and the ashtrays,” he said. “Call me set in my ways.” (Hitchens’s predominant tone is quietly self-parodying. Even his farewells are ironic: “It’s been real,” “Stay cool.”) Guests at the Hitchens salon include people he first knew in London, who call him “Hitch,” including Salman Rushdie, Ian McEwan, and his great friend Martin Amis (“The only blond I have ever really loved,” Hitchens once said); long-standing American friends like Christopher Buckley and Graydon Carter; an international network of dissidents and intellectuals; and, these days, such figures as David Frum, the former Bush Administration speechwriter, and Grover Norquist, the conservative activist. In September, he hosted Barham Salih, a Kurd who is a Deputy Prime Minister of the new Iraqi government. Many guests can report seeing Hitchens step out of the room after dinner, write a column, then step back almost before the topic of conversation has changed.

Rushdie recalled an evening last year. “I met Paul Wolfowitz,” he said, laughing. “And I discovered, to my immense surprise, that he’s a very nice man.” Wolfowitz, the neoconservative who served as the Deputy Secretary of Defense between 2001 and 2005, and who now runs the World Bank, was a primary architect of the invasion of Iraq; he has become the emblem of Hitchens’s new political alignments. Wolfowitz respected Hitchens’s record as a writer on human rights. He called Hitchens in the fall of 2002, at the prompting of Kevin Kellems, then his special adviser, and now an adviser at the World Bank. “It felt like Cold War espionage,” Kellems recalled. “Contacting someone on the other side you think might want to defect.” Hitchens accepted an invitation to lunch at the Pentagon. “I snuck him in,” Kellems said. “We didn’t put his name on the schedule.”

As Wolfowitz knew, Hitchens was a longtime observer of the cruelty of Saddam Hussein, and had spoken publicly for his removal since 1998. He supported the cause of Kurdish independence, and had been to Halabja and seen the injuries caused there by Iraqi chemical weapons; and he was friendly with dissident Iraqis in exile, including Ahmed Chalabi, of the Iraqi National Congress, which aggressively promoted the notion, now widely discounted, that Saddam was poised to become a nuclear power. After September 11th, and the subsequent defeat of the Taliban in Afghanistan (upon which Hitchens addressed the British antiwar left in the pages of the Guardian, “Ha ha ha, and yah, boo”), he had thrown himself into the debate over Iraq, making speeches and writing for Slate. Brandishing the nineteen-thirties slogan “Fascism Means War,” he argued that Saddam was something more than another tyrant; though he did not have nuclear weapons, he aspired to have them; his regime was on the verge of implosion, and better that it should implode under supervision, with the West providing “armed assistance to the imminent Iraqi and Kurdish revolutions.” Hitchens told me, “The number of us who would have criticized Bush if he hadn’t removed Saddam—that’s certainly the smallest minority I’ve ever been a member of.”

I mentioned the Pentagon meeting. “Wolfowitz was not asking my advice about Iraq—don’t run away with that idea,” Hitchens said. “He just felt that those who worked for the ousting of Saddam should get on closer terms with each other.” According to Kellems, who attended the meeting, “Hitchens said, ‘I was trying to signal you’ ”—through his writing—“and Wolfowitz said, ‘I wondered.’” Hitchens disputes that memory; he does remember asking Wolfowitz for reassurances that, in the event of an invasion, the United States would protect the Kurds from the Turks. They talked about Rwanda and Bosnia, about the history of genocide and the cost of inaction. Kellems, who has since become a friend of Hitchens, described “two giant minds unleashed in the room. They were finishing each other’s sentences.” According to Hitchens, Wolfowitz is a “bleeding heart,” and he went on, “There are not many Republicans, or Democrats, who lie awake at night worrying about what’s happening to the Palestinians, but he does.” (Hitchens has been a decades-long agitator for the Palestinian cause; he co-edited a book on the subject with Edward Said, the late Palestinian-American scholar.) “And Wolfowitz wants America’s human-rights ethic to be straight and consistent as far as possible. And if there’s an anomaly he’s aware of it.”

On April 9, 2003, the day the statue of Saddam was pulled down in central Baghdad, Hitchens wrote, “So it turns out that all the slogans of the anti-war movement were right after all. And their demands were just. ‘No War on Iraq,’ they said—and there wasn’t a war on Iraq. Indeed, there was barely a ‘war’ at all. ‘No Blood for Oil,’ they cried, and the oil wealth of Iraq has been duly rescued from attempted sabotage with scarcely a drop spilled.” That July, Hitchens and a few other reporters flew to Baghdad with Wolfowitz. “It’s quite extraordinary to see the way that American soldiers are welcomed,” Hitchens told Fox News upon his return. “To see the work that they’re doing and not just rolling up these filthy networks of Baathists and jihadists, but building schools, opening soccer stadiums, helping people connect to the Internet, there is a really intelligent political program as well as a very tough military one.”

Three years later, Hitchens is still on Fox News talking about the Iraq war. He has not flinched from his position that the invasion was necessary, nor declined any serious invitation to defend that position publicly, even as the violence in Iraq has increased, and American opinion has turned against the intervention and the President who launched it. In this role, he has presented himself with an immense test of his rhetorical mettle—one can say that without doubting his sincerity. He often seems to have had more at stake, and certainly more oratorical energy, than anyone in the government. (In recent months, the trope of “Islamic fascism,” which Hitchens has used frequently since his 2001 Nation column, has reached the top layers of government—in August, Bush said that the country was “at war with Islamic fascists”—and he has had to deny the charge that he is writing Administration speeches.) Today, he always carries with him—like the Kurdistan flag in his lapel—debating points, worn smooth with use: Abdul Rahman Yasin, who was involved in the 1993 World Trade Center attack, took refuge in Iraq; Dr. Mahdi Obeidi, Saddam’s senior physicist, had centrifuge parts buried in his garden; as late as 2003, Iraqi agents were trying to buy missiles from North Korea; Tariq Aziz, Iraq’s Deputy Prime Minister, offered Hitchens’s friend Rolf Ekéus, the weapons inspector, a two-and-a-half-million-dollar bribe. “I feel like Bellow’s Herzog, writing crazed letters,” Hitchens said, smiling. “The occupation has not turned out as one would have liked, but the main problem is to have underestimated the utter evil of the other side. I wouldn’t have believed they could keep up a campaign of murdering people at random.”

Hitchens asks his opponents this: “We should have left Iraq the way it was? However I replay the tape, however much I wish things had been done differently, I can’t get to that position.” He acknowledged that his support of the war had caused him some intellectual discomfort. “The most difficult thing is having to defend an Administration that isn’t defensible,” he said. On television and radio, he explained, “you’re invited on to defend the Administration’s view on something and then someone’s invited on to attack it. You don’t want to begin by putting distance, because then it looks like you’re covering your ass. You take the confrontation as it actually is. I’m not going to spend a few silky minutes saying, ‘You know, I don’t really like Bush and his attitude toward stem cells.’ No. Wait. The motion before the house is this: Is this a just and necessary war or is it not?”

He went on, “I’m open to the prosecution of the Administration, even the impeachment of some members, for the way they’ve fucked up the war, and also the way they exploit it domestically. But do not run away with the idea that my telling you this would satisfy any of my critics. They want me to immolate myself, and I sincerely believe that for some of them, when they see bad news from Iraq, the reaction is simply ‘This will make Hitchens look bad!’ I’ve been trying to avoid solipsism, but I’ve come to believe there are such people.”

Hitchens finds support on the right, of course. Peter Wehner, a deputy assistant to the President and the director of the office of strategic initiatives in the White House, invited Hitchens to give a lecture to White House staff a few years ago, and now jokingly addresses him as “Comrade” in e-mails. Wehner admired Hitchens as a “fantastic political pugilist” even when they were on opposing camps in the eighties. Now, he said, “On the issues of greatest gravity and historical importance—the war against global jihadism and the liberation of Iraq—I am thrilled to be on the same side of the divide as Christopher.”

To Hitchens’s left, there is enmity and derision. This summer, a mock-obituary, published online, described him dying in the manner of Major Kong: riding a warhead out of a B-52 in a future American war in Iran. Another Internet tribute posted a photograph of him with the caption “Hitchens: ‘I’ll Kick Saddam’s Fucking Teeth In.’ ”A parodic MySpace page introduces Hitchens this way: “I am a man of the Enlightenment. Words fall from my tongue and you eat them up like a starving kitten on the street.” Last year, Hitchens was jeered when he debated the British M.P. George Galloway in New York. When he appeared on “Real Time with Bill Maher,” this summer, Hitchens said “Fuck you” to a hostile crowd and, to Maher, “Your audience, which will clap at apparently anything, is frivolous.”

Many friends and former friends have been watching Hitchens’s progress with disappointment, or something sharper. Colin Robinson, his former publisher at Verso Books, said, “I hope it might be possible to save some bits of Christopher. It’s a terrible loss to the left—it’s so rare to have someone in the mainstream media who could go out and give the other side a dusting.” Using a similar tone of regret, Eric Alterman, a Nation columnist and an estranged friend, called him a “performance artist.” Alexander Cockburn told me, “Between the two of them, my sympathies were with Mother Teresa. If you were sitting in rags in a gutter in Calcutta, who would be more likely to give you a bowl of soup?”

Hitchens claims to be unperturbed by his critics. “You’d think I’d driven over their pets and abducted their daughters,” Hitchens said. “I’d like to know what brings that on.” A pause. “So I could do it more.” He added, “People say, ‘What’s it like to be a minority of one, or a kick-bag for the Internet?’ It washes off me like jizz off a porn star’s face.” (Thomas Cushman, one of the editors of “Terror, Iraq, and the Left,” said of Hitchens, “What’s great about him is that being despised is actually the source of his creativity.”)

I asked Rushdie if recent events had taken their toll on his friend. “Christopher is well equipped to take care of himself,” Rushdie said, “but I do think that some of the people that he is now aligned with are not really people that he’s like. That must be very strange for him, and I worry about that.”

When I told Hitchens that some friends were worried, he smiled through his annoyance. “I suppose it’s nice to be worried about,” he said. “It’s almost like being cared about.”

In 1982, Hitchens wrote an essay for The Nation about Evelyn Waugh’s “Brideshead Revisited,” and the point he was most keen to make was that although the First World War predates the action of the novel, it remains at the center of the story. Hitchens quoted at length from Waugh’s honeyed description of the excursion made by Charles Ryder and Sebastian Flyte to the Venice of the early twenties, a passage of champagne cocktails and gondolas that ends with Sebastian saying, “It’s rather sad to think that whatever happens you and I can never possibly get involved in a war.”

I asked Carol Blue about this passage. She said that her husband, who was brought up in an English military family in the years following the Second World War, had an aspect of “those men who were never really in battle and wished they had been. There’s a whole tough-guy, ‘I am violent, I will use violence, I will take some of these people out before I die’ talk, which is really key to his psychology—I don’t care what he says. I think it is partly to do with his upbringing.”

The Second World War was “the entire subject of conversation” when Hitchens was growing up, he told me: “I didn’t know films were made out of anything else.” Every Boxing Day, the family would toast the sinking of the German battleship Scharnhorst. Portsmouth, where he first lived, was still scarred by Nazi air raids. Hitchens’s father was a career Navy man from a working-class family who reached the rank of commander and, with that, a foothold in the middle classes. He met Hitchens’s mother, who was from a lower-middle-class Liverpudlian family, during the war. Commander Hitchens was not a garrulous man, but some observations of his have stuck with his son. “They are all kind of solid,” Christopher said. “He said, ‘Beware of girls with thin lips’; ‘Don’t let them see you with just your socks on’; and ‘Socialism is founded on sand.’ ” His father also said that “the war was the only time when he knew what he was doing.”

His parents, Hitchens said, were of a class that “resent but sort of envy the rich, but they’re terrified of organized labor, and feel themselves to be the neglected, solid citizens.” Commander Hitchens was a conservative of the peeved, country-going-to-the-dogs sort—a Thatcherite in waiting. Christopher abandoned that conservatism as a boy but perhaps absorbed the lesson that politics is a form of anger. “My father was not a misanthrope, exactly, but he thought that the whole thing”—that is, life—“was a bit overrated.”

Commander Hitchens had a Baptist-Calvinist background. His wife was Jewish, but she never told her husband or her children. Hitchens learned this about her—and himself—only long after her death. (“On hearing the tidings, I was pleased to find that I was pleased,” he has written.) She was more social than Hitchens’s father, and more alert to signs of class slippage: it was vital to decant milk into a jug before taking it to the table, and to avoid saying “toilet.” Hitchens once overheard an argument between his parents about the cost of boarding school, in which his mother said, “If there is going to be a ruling class in this country, then Christopher is going to be in it.”

She succeeded: Christopher was privately and expensively educated (as was Peter, his younger brother, who is a prominent right-wing newspaper columnist in London) and now has the accent—and white suit—of the English upper-middle classes. Ian Buruma detects in Hitchens some mix of regard and disdain “for the ‘real’ officer class. Waugh had a bit of that, and Wodehouse—Christopher’s favorite writers—which is one reason that Wodehouse ended up in America. America allows you to play the role of the fruity upper-class Englishman, whereas in En-gland you’d feel vulnerable to exposure.”

Hitchens went to boarding school, in Devon, at the age of eight. He was happy, but, he said, “a radicalizing thing for me was the realization that my parents had scrimped and saved to allow me to be the first member of my family to go to boarding school. I was surrounded by these sons of Lancastrian businessmen who thought it was their perfect right to be there. That had a huge effect: these fuckers don’t even know when they’re well off.” He also saw through Mrs. Watts, his instructor on religious matters, “who told us how good it was of God to make all our vegetation green, because it was the color that was most restful for our eyes, and how horrible it would be if it was orange. I remember sitting there, in my shorts and sandals, and thinking, That can’t be right.” Hitchens has just finished a book informed by a lifetime of steely anticlerical thought, “God Is Not Great,” to be published next year, which begins with Mrs. Watts, and goes on to say of his religious friends, “I would be quite content to go to their children’s bar-mitzvahs, to marvel at their Gothic cathedrals, to ‘respect’ their belief that the Koran was dictated, though exclusively in Arabic, to an illiterate prophet, or to interest myself in Wicca and Hindu and Jain consolations. And as it happens, I will continue to do this without insisting on the polite reciprocal condition—which is that they in turn leave me alone. But this, religion is ultimately incapable of doing. As I write these words, and as you read them, people of faith are in their different ways planning your and my destruction. . . . Religion poisons everything.”

Hitchens used to have, at times, a “pronounced” stutter. “One way of curing it was to force yourself to speak in public,” he said. In his first school debate, Hitchens spoke against new immigration restrictions (nobody else would), and found that the techniques required—such as charm and the sudden, cutthroat withdrawal of charm—came naturally to him. His later success in America derived in part from his bruising rhetorical talents. In Britain, such qualities are on show every week at Prime Minister’s Question Time, but in America Hitchens was a novel act. “It’s extraordinary,” he said. “I’ve been invited onto shows like ‘Crossfire’ and told, ‘Can’t you hold it down a bit?’ ”

In 1964, he ran as the Labour Party candidate in his school’s mock election (again, nobody else would). He lost, but the Labour Party won in the country. The new government quickly proved itself to be, in Hitchens’s words, “completely corrupt and cynical”—backing President Johnson on Vietnam, for example. His response was to join the Party, thus starting a career of antagonistic idealism. “That’s why you join a party, to take up the struggles within it,” Hitchens explained. “And that’s what pushed me to the left—the humiliation of the Labour Government.” By the time he came to study politics, philosophy, and economics at Balliol College, Oxford—semi-official motto: “Effortless Superiority”—he had been invited to join a Trotskyist group, the International Socialists. (He was spotted while skillfully heckling a Maoist at a public meeting.)

As a student, Hitchens was good-looking and charismatic. He does not remember ever having met Bill Clinton, his Oxford contemporary, but he told me that there was a student who, at different times, was his girlfriend and Clinton’s, before she began a lifetime of lesbianism. He met Martin Amis and, for a time, shared a house with James Fenton, the poet, whom Hitchens had brought into the International Socialists. “He wore a beret—I have to tell you that he did,” Fenton said of Hitchens, remembering that his comrade “was not known as a stalwart of the ‘getting up at six to go to the factory gates’ brigade. I used to think that the revolution would break out and I’d be waking Christopher, trying to get him out of bed.”

In fact, something a little like this happened. During the Paris uprisings of 1968, transport links with France were cut before many, including Hitchens, could cross the Channel. “It’s a big regret of my life,” he said. Indeed, when he talks about the Cromwellian and American revolutions, his tone is almost nostalgic. (His personal identification with Thomas Paine is nearly as strong as it is with Orwell; his short study of Paine, published this year, was dedicated to Jalal Talabani—“first elected president of the Republic of Iraq; sworn foe of fascism and theocracy”—rather as “The Rights of Man” was dedicated to George Washington and the Marquis de Lafayette.) But wherever Hitchens might have been a witness to an explosion of popular feeling, either no explosion occurred or it was delayed until he left. He recalled flying out of Iraq the day before the deaths, in July, 2003, of Saddam’s sons, Uday and Qusay. When Hitchens described the celebrations that followed, you could hear a man struggling to transform a secondhand report into a firsthand one by force of will power alone: “I could have been there—it kills me! That night, the entire cityscape was a blaze of weapons being fired in celebration. It was like ten million Fourth of Julys . . .”

At times, Hitchens can look like a brain trying to pass as a muscle. He reads the world intellectually, but emphasizes his physical responses to it. Talking of jihadism, he said, “You know, recognizing an enemy—it’s not just your mental cortex. Everything in you physically conditions you to realize that this means no good, like when you see a copperhead coming toward you. It’s basic: it lives or I do.” When Hitchens’s prose hits an off note, it often includes the visceral or the pseudo-visceral, whether in a paean to oral sex for Vanity Fair (“I was at once bewitched and slain by the warm, moist cave of her mouth”) or in commentaries on current affairs: “reeking fumes of the suicide-murderers,” “the stench of common bribery, pungently reeking of crude oil.” On these occasions, the bookish Hitchens is elbowed aside by an alternate self: a man as twitchingly alert as Trotsky at the head of the Red Army.

Such performances of masculinity don’t appear exclusively on the page. Not long ago, in Baltimore, I saw Hitchens challenge a man—perhaps homeless and a little unglued mentally—who had started walking in step with his wife and a woman friend of hers while Hitchens walked some way ahead. Hitchens dropped back to form a flank between the women and the man, then said, “This is the polite version. Go away.” The man ambled off. Hitchens pressed home the victory. “Go away faster,” he said.

“Wouldn’t it have been easier to cross the road?” Blue asked, innocently.

While still at Oxford, Hitchens wrote his first article for the New Statesman, a left-leaning weekly. Upon graduating and moving to London, he became an occasional contributor, while taking a number of jobs in mainstream journalism, and selling the Socialist Worker on street corners. The New Statesman was enjoying a golden moment: its staff and writers included Amis, Fenton, McEwan, and Julian Barnes, the novelist. The Friday-lunch gatherings of Statesman hot shots and other writers, in which they out-joked each other on matters of sex, literature, and nuclear disarmament, now have the status of literary legend. (The Statesman staff played a game in which the task was to think of the phrase least likely to be uttered by each member. For Hitchens: “I don’t care how rich you are, I’m not coming to your party.” For Amis: “You look a bit depressed, why don’t you sit down and tell me all about it?”)

Romantically, Hitchens described himself as playing second fiddle to an unstoppable Amis: “I’d basically be holding his coat and refilling his glass, and trying to learn from the Master.” In fact, Hitchens’s own appeal was considerable; among the girlfriends he had before his first marriage was Anna Wintour, who is now the editor of Vogue. Hitchens told me, “When I was younger—this will surprise you, seeing now the bloated carcass of the Hitch—I used to get quite a bit of attention from men. And, um. It was sometimes quite difficult, especially when you hadn’t seen it coming. I was considered reasonably pretty, I suppose, between seventeen and twenty-five. I remember noticing when it stopped, and thinking, Oh dear. What? None of these guys want to sleep with me anymore?” Asked about his own activities, he said, “Nobody who’s been to public school can pretend to know nothing of the subject. And even at university there was an epicene interlude. But it wasn’t what I wanted at all.” (In 1999, Alexander Cockburn wrote, “Many’s the time male friends have had to push Hitchens’s mouth, fragrant with martinis, away” during hellos and goodbyes; Hitchens said that he had no memory of “making a bid for the clean-limbed and cupid-lipped Alexander Cockburn.”)

In December, 1973, Hitchens, then twenty-four, published a lead article about Greek politics in the New Statesman. Datelined Athens, it was a serious, rather dry analysis of political developments following the ousting of the dictator George Papadopoulos. It avoided the kind of foreign-crisis writing he abhors. (His parody: “As I stand here pissed and weeping in this burning hell, the body of a child lies like a broken doll in the street.”) Almost the only local color was a glimpse of civil and religious icons on the wall of an Athens police station.

Although the article does not hint at it, there was an awful reason for Hitchens seeing the police-station wall. He told me the story: Not long after Hitchens graduated from Oxford, his mother left his father, and moved in with another man. “He was a charmer, which my father was not. He was witty, burbling, could do music, poetry, but couldn’t make a living. He was a flake, and not always so delicious. He had this dark, depressive side.” In the fall of 1973, a friend called Hitchens one morning in his London apartment to say she’d just read a newspaper article about the death of a Mrs. Hitchens in Athens. Hitchens flew alone to Greece, to learn that, in a suicide pact, his mother had taken an overdose of sleeping pills in a bedroom of the Georges V Hotel, while, in the bathroom, her companion had done the same, and also cut himself severely. “It was a terrible Polanski scene,” Hitchens said.

At the hotel, he said, “I went out of the bathroom to the window and had my first view of the Acropolis. It was a perfect view.” He learned that his mother had tried his number in London many times in the previous days, but he had missed the calls. “Before the days of answering machines,” he said. “If I’d picked up, it could have been enough to stop her, because I usually could make her laugh. That was a bitter reflection.”

Athens was in political turmoil— “this mad, Costa-Gavras world.” Hitchens, whose skills and taste in journalism draw him to penetrating quick studies, sized the city up. “You can learn a lot in a short time when there are tanks in the street,” he said. He wrote the article when he got home. “Everyone said, ‘Christopher, how could you?’ I said, ‘How could I not?’ It was therapeutic to write. No—consoling. Useful.” He added that, in the fifteen years before his father’s death, Hitchens never again discussed with him the death of his mother.

When Turkey invaded Cyprus the following summer, Hitchens realized that he had neglected an important part of the story. Cyprus became a specialty, and, later, the subject of his first book, which described the island as having been betrayed by outside powers; an accusing finger was pointed at Henry Kissinger. Hitchens became a figure in radical Cypriot circles, where he met his first wife, Eleni Meleagrou, whom he used to introduce as “the terrorist.” James Fenton sees Cyprus as decisive in Hitchens’s political development, not only because he had the experience of becoming a “mini-celebrity” but because of his disappointment in the British failure to protect Cyprus during the invasion: in other words, the dishonorable failure of an imperial power to make a military intervention. Hitchens, unlike Fenton and most others on the British left, supported Margaret Thatcher’s gunboat response to the Argentine occupation of the Falkland Islands, in 1982.

By then, Hitchens and Meleagrou had married and moved to America. Hitchens pounded away at Reagan and capital punishment as The Nation’s Washington columnist, and reported for other magazines from the Middle East, Central America, and Eastern Europe. The couple split up in 1989, not long after Hitchens met Carol Blue in Los Angeles. (Meleagrou and their two children, now aged twenty-two and seventeen, live in London.) That winter, Hitchens and Blue flew to Eastern Europe, to be witness to the revolutionary events of the time. It may need to be said: These were events that Hitchens welcomed. In 2001, Peter Hitchens—who has Christopher’s voice exactly, but is a churchgoer who is unpersuaded by Darwin—wrote an article in The Spectator (“O Brother, Where Art Thou?”) that recalled “a Reagan-era discussion about the relative merits and faults of the Western and Soviet systems, during which Christopher said that he didn’t care if the Red Army watered its horses in Hendon,” a London suburb. On the occasion being described, as Christopher later tartly explained to readers of Vanity Fair (in an article entitled “O Brother, Why Art Thou?”), he had been telling a joke. The brothers did not speak for four years. Hitchens said to me, “I’ve spent far more time talking to you than to him in the last twenty-five years.” Peter Hitchens said, “If we weren’t related, I don’t think we’d have much to do with each other,” but he showed a kind of regard for what he sees as the consistency of his brother’s position: “He’s a Trotskyist, really, not in terms of being a Bolshevik revolutionary but in that he is an idealist and he is impressed by military command.” (Peter, too, was once in the International Socialists.)

In a similar dispute, Martin Amis, in “Koba the Dread,” a nonfiction book on Stalin, cast Hitchens as, essentially, an apologist for Soviet Communism. Hitchens was irritated. He had always been “solid” on the subject of the Soviet bloc, he said; he was as much a friend of the opposition there as he was of the opposition in South Africa or in El Salvador. “Everything I’ve thought is on the record,” Hitchens went on. If he had been a Stalinist, “It would show, even if I was trying to conceal it.” Hitchens wrote two barbed responses: one in The Atlantic, and the other in the Guardian, which was headlined “DON’T. BE. SILLY.” He told me, “Martin does not know the fucking difference between Bukharin and Bakunin.” (His friendship with Amis survived this discord.)

In 1989, the Ayatollah Khomeini issued a fatwa against Salman Rushdie, on the ground that his novel “The Satanic Verses” defamed Islam. “There’s a sense in which all this—Christopher’s move—is partly my fault,” Rushdie said. “The fatwa made Christopher feel that radical Islam was not only trying to kill his friend; it was a huge new threat to the kind of world he wanted to live in. And I have the sense he felt there was a liberal failure to get the point of what was happening.” The fatwa split the left. As Ian Buruma put it, “The instinct was, whenever there was any conflict between Third World opinion and the Western metropole, you’d always favor the Third World. Yet here was a case where people were forced to take the opposite view.” For Hitchens, that task was simplified by his contempt for religion.

Hitchens helped arrange a meeting between Rushdie and President Clinton, in 1993. But he had by then taken a position on the President, derived from policy difference and suspicion of Clinton’s character (but also, possibly, from awareness of the gap in political potency between two Oxford contemporaries, one of them being the leader of the free world). Hitchens despised him, and charged him with drug running, rape, and other crimes. He also became one of the loudest critics of Clinton’s bombing of the Al-Shifa pharmaceutical factory in Sudan at the time of the Monica Lewinsky scandal: Clinton had “killed wogs,” he wrote, to save his skin. While Hitchens’s literary and historical writing has allowed for nuanced appraisals, even forgiveness, of morally complex figures—in a 2005 book on Jefferson, for example, Hitchens finds his way past the fact of his slaveowning—the political present elicits prosecutorial zeal.

In 1992, Hitchens had begun a column for Vanity Fair; he was happy to discover that he could vastly increase his income and readership without having to watch his tongue—“a breakthrough for me,” he said. The same year, he went to Bosnia at his own expense; as he called for armed intervention there, three years before the Clinton Administration acted, he found himself endorsing the same petitions as many neoconservatives, including Wolfowitz. In 1999, in an incident that some see as the true start of Hitchens’s political pilgrimage, he told House Judiciary Committee staff members who approached him that Sidney Blumenthal, a longtime friend who was then working in the Clinton White House, had gossiped to Hitchens about Monica Lewinsky being a “stalker.” Blumenthal had testified that he had not made such remarks, so the claim put him at risk of a perjury charge and, potentially, strengthened the impeachment case against Clinton. It was possible to read Hitchens’s action as a gesture of principle, but many who knew him saw it as a vicious act: he was “Snitchens.” “He’d got to that moment in life when he was asking himself if he could Make A Difference,” Alexander Cockburn told me, in an e-mail. “So he sloshed his way across his own personal Rubicon and tried to topple Clinton via a betrayal of his close friendship.”

When I asked Hitchens about this period, he defended his actions but also said, “It seems to me to have happened to somebody else. That’s true of a lot of the fights I took part in before 2001. Seemed like a good idea at the time, but it shrinks incredibly compared to Baghdad and Beirut and New York.”

“That episode did hurt him,” Buruma said. “He lost friends, he felt isolated in Washington, and I think there was a time when he really felt bruised.”

Hitchens’s splenetic Clinton book, “No One Left to Lie To,” was published months after the Blumenthal incident. Verso, his publishing house, threw a party at Pravda, a SoHo restaurant. Colin Robinson recalled, “It’s the only launch party I’ve ever been to where people booed the author.”

The Hitchens-Blue partnership has a grad-school air. It’s hard to see who pays the bills or fills the fridge. Blue can get stuck at the post-shower, towel-wearing stage of the day. (Her husband, with affection: “Darling, you would be so much more convincing if you were dressed.”) Hitchens is not hapless—he meets his many deadlines and catches his many planes—but it’s unsettling to watch him rinse a single spoon for four minutes, or hear the pandemonium over the supply of cigarette lighters. (He has cut back from smoking three packs a day.) He is a late-learning and scary driver. He does not wear a watch, although he looks at his bare left wrist when trying to calculate the time.

One morning during the family’s summer escape to Northern California—they stay in a guesthouse built next to the home of Blue’s parents—Blue and I drove to a local supermarket. She walked the store’s aisles with an air of rock-star puzzlement that may have been heightened for my benefit; she did not want to seem like a housewife. We left with sandwiches, a cherry pie, and two bottles of whiskey, and nothing that looked beyond the horizon of the next meal.

When we returned with our provisions, at about one o’clock, Hitchens, who had been working, was sitting at his desk with a drink. On the walls around him were some color printouts of kittens and puppies sitting in lines. He pointed to a manuscript of “God Is Not Great,” a book that he thinks may have more heft and permanence than anything he has written before, in a career of rapid responses and public lashings. “I have been, in my head, writing it for many years,” he said. “Religion is going to be the big subject until the end of my life. And I wanted to make an intervention.”

Hitchens had already finished the morning period of mail and e-mail he refers to as “telegrams and anger” (a quotation from “Howards End”). He had given his attention that day to the wiretap lawsuit brought by the American Civil Liberties Union against the National Security Agency; in January, he accepted the A.C.L.U.’s invitation to become a named plaintiff, denting his reputation as an Administration cheerleader. He had also begun a review of Ann Coulter’s “Godless: The Church of Liberalism,” for an obscure new British journal. He was not doing it for free, but the gesture was still generous; Hitchens, who is unusually lacking in professional competitiveness, makes himself available to younger writers and editors. He also teaches: he is presently a visiting professor at the New School, and he is supervising the Ph.D. thesis, on Orwell, of Thomas Veale, a U.S. Army major, who calls Hitchens the “only nineteen-thirties liberal in existence.”

Hitchens had started writing an hour or so before, planning on leniency: “I was thinking of hammering her for the first half and being a bit gentle the second.” (He shares Coulter’s disregard for Joseph Wilson, the diplomat.) But he had written a thousand words, and he was not through hammering. “I thought I’d do a thousand words by lunchtime—my usual ambition if I’m doing a short piece,” he said. But he now saw that he could get it all done before eating. “If I can’t fuck up Ann Coulter before lunch then I shouldn’t be in this business,” he said. Not long afterward, he came into the kitchen and handed me the finished review.

We had lunch outside. Hitchens ignored the sandwiches and put his fork in the cherry pie, moving outward from the center. He had a postproduction glow. “Writing is mainly recreational,” he said. “I’m not happy when I’m not doing it.” He can entertain himself in other ways—he strained to remember them—such as “playing with the cats and the daughter. But if I take even a day away from it I’m very uneasy.”

In the past few years, Hitchens has published, in addition to his books on Orwell, Jefferson, and Paine, a book of oppositionist advice entitled “Letters to a Young Contrarian”; a collection of his writings on the Iraq war; and a giant miscellany, “Love, Poverty, and War.” He wrote “God Is Not Great” in four months. He has contributed to dozens of publications (including Golf Digest—he plays the game). He almost never uses the backspace, delete, or cut-and-paste keys. He writes a single draft, at a speed that caused his New Statesman colleagues to place bets on how long it would take him to finish an editorial. What emerges is ready for publication, except for one weakness: he’s not an expert punctuator, which reinforces the notion that he is in the business of transcribing a lecture he can hear himself giving.

Earlier, in answer to a question I hadn’t asked, Blue had said to me, “Once in a while, it seems like he might be drunk. Aside from that, even though he’s obviously an alcoholic, he functions at a really high level and he doesn’t act like a drunk, so the only reason it’s a bad thing is it’s taking out his liver, presumably. It would be a drag for Henry Kissinger to live to a hundred and Christopher to keel over next year.”

Hitchens, too, brought up the subject of alcohol before I did. “You’re going to want to talk about this,” he said, not wrongly, pointing at his glass. (A writer likes a coöperative subject, but it can be dispiriting to make a portrait in the shadow of a gigantic self-portrait.) He was not a “piss artist,” he explained, “someone who can’t get going without a load of beer, who’s a drunk—overconfident and flushed. I can’t bear that.” He went on, “I know what I’m doing with it. And I can time it. It’s a self-medicating thing.” I took his point. Hitchens does drink a very great deal (and said of Mel Gibson’s blood-alcohol level at the time of his recent Malibu arrest—0.12 per cent—“that’s as sober as you’d ever want to be”). But he drinks like a Hemingway character: continually and to no apparent effect.

That evening at the guesthouse, Peter Berkowitz, the Straussian intellectual and Hoover Institution fellow, and Tod Lindberg, the editor of Policy Review, dropped by with family members. The back-yard pool was suddenly full of children. Someone had brought champagne, and Hitchens poured it with exaggerated disapproval. (A few years ago, he claimed that the four most overrated things in life were champagne, lobsters, anal sex, and picnics.) Hitchens went into the house and put on Bob Dylan’s “Tryin’ to Get to Heaven”; he stood in the doorway and sung quietly along. He quoted Philip Larkin on Dylan: a “cawing, derisive voice.” He repeated Larkin’s words a few times, approvingly. His daughter got out of the pool, and said, pleasantly, “Can we close the door, so nobody else has to hear this?”

She went back to her friends. “Look,” Hitchens said happily. “They’re waiting for us to die.”

Hitchens and Blue flew back to Washington just after Labor Day. At the end of that week, in the Madison Hotel, Hitchens sat alongside William Kristol, the editor of the Weekly Standard, and others on a panel convened by the David Horowitz Freedom Center. Robert (Buzz) Patterson, the conservative author and former White House military aide, introduced the event, and was applauded for a passing dig at the A.C.L.U. Hitchens, whose remarks were delivered into a warm hum of approval—“too easy,” he later said—described it as “a pleasure as well as a duty” to kill Islamic terrorists.

Horowitz has often spoken and written about his upbringing by Communist parents. Hitchens’s response, years ago, was to ask, “Who cares about his pathetic family?” But Horowitz holds no grudge, and the two men talked in the bar afterward, with the rapport that comes from being the only people in a ten-block radius who could say they had read all three volumes of Isaac Deutscher’s biography of Leon Trotsky. Horowitz asked about Hitchens’s commitment to his Restoration Weekend, in Palm Beach, later in the year. Hitchens would never apologize for sharing a platform with anyone, but he wanted to know what Horowitz saw in Ann Coulter: Hadn’t he noticed the creationism in “Godless”?

“I didn’t read the Darwin pages,” Horowitz admitted.

“It’s nearly a third of the sodding book!” Hitchens said.

Hitchens had to be up early in the morning, and he began to make his way out. But a friend came up and asked him a favor, leading Hitchens to a group of young Horowitz fans. Hitchens sat down. “You really want to hear the most obscene joke in the world?” he asked them.

An hour later, Hitchens was at home, making a bacon sandwich. I asked him if he had felt a pang of envy when, in 2005, Michael Ignatieff, the author, public intellectual, and longtime U.K. resident, moved back to his native Canada to become a Liberal M.P.—and a likely future leader of his party. Hitchens replied, “Not a pang. A twinge.” When he was a young man, Hitchens was once sounded out about standing for Parliament as a Labour candidate. He took another path, but in subsequent years has occasionally thought of the politician he did not become. And today in Britain the political furniture is arranged as he would like it to be; that is, with opposition to the Iraq intervention heard as loudly on the Conservative side as on the left, and—as he sees it—a Labour Government acting in accordance with the radical, humanist, internationalist idealism of his youth. Earlier this year, Hitchens had a private meeting with Prime Minister Tony Blair.

I asked Hitchens if he would accept a life peerage and a seat in the House of Lords. “It would be fantastically tempting,” he said, showing more eagerness than I’d expected. “I think I couldn’t do it, even though it’s no longer hereditary. I couldn’t quite see the term ‘Lord Hitchens.’ ” He added, with some feeling, “That I never had the right to walk into Parliament is something I’ll always be sorry about.”

This year is the twenty-fifth anniversary of Hitchens’s move to America. Barring a last-minute complication, this will also be the year he becomes a citizen. He began the process not long after the attacks of 2001. The paperwork is done, he has passed the exam, and he was interviewed in June.

I asked if he’d vote in November. “I’ll run in November,” he said. “Don’t rule it out.” He added, “I can’t be President. So we can relax about that.” ♦

Voir également:

Le journaliste et écrivain Christopher Hitchens est mort à 62 ans

Slate.fr

16 décembre 2011

Les lecteurs de Slate.fr le connaissaient pour ses écrits qui ne laissaient personne indifférent, ou presque. Christopher Hitchens est mort à 62 ans ce jeudi 15 décembre au MD Anderson Cancer Center de Houston, dans le Texas.

 Ce journaliste prolifique, figure intellectuelle bien connue du grand public anglo-saxon, et anticonformiste célèbre, a entre autre écrit un best-seller antireligion, Dieu n’est pas grand: comment la religion empoisonne tout.

 Hitchens, un contributeur de Vanity Fair et de The Atlantic, et un chroniqueur régulier de Slate.com (retrouvez ses chroniques traduites sur Slate.fr), avait découvert en juin 2010 qu’il avait un cancer de l’œsophage au stade 4, un diagnostic qui avait forcé l’iconoclaste à restreindre son rythme –il fut un temps soutenu– d’apparitions publiques, mais pas à réduire sa prodigieuse production d’essais, articles, et critiques littéraires jusqu’à ses derniers jours.

 Lors d’une rare apparition dans ses derniers mois, à la convention de l’alliance athéiste d’Amérique, Hitchens avait concédé qu’il n’avait plus beaucoup de temps devant lui, mais dit qu’il ne comptait pasvarrêter de travailler à cause de la détérioration de sa santé: «Je ne vais pas abandonner jusqu’au moment où j’y serai vraiment forcé», avait-il dit, devant une ovation du public.

Hitchens a tenu sa promesse, écrivant des articles pour plusieurs publications pendant ses dernières semaines, sur tout, depuis la politique américaine jusqu’à sa propre mortalité.

En écrivant pour Vanity Fair un article publié quelques jours avant sa mort, Hitchens a réaffirmé qu’il espérait être entièrement conscient et réveillé lors de sa mort, «afin de « voir » la mort dans un sens actif, et non passif», comme il l’avait déjà expliqué à ses lecteurs avant même d’apprendre l’existence de son cancer. «J’essaye, toujours, de nourrir cette petite flamme de curiosité et de défi: prêt à jouer le jeu jusqu’à la fin et espérant qu’on ne m’épargnera rien de ce qui fait partie d’une vie», écrivait-il.

Né à Portsmouth, en Angleterre, en 1949, Hitchens a étudié à Oxford avant de lancer sa carrière journalistique dans les années 1970 avec les magazines International Socialism et le New Statesman.

Au début des années 1980, il a émigré aux Etats-Unis, où il a régulièrement chroniqué pour The Nation pendant vingt ans. Il a quitté le magazine de gauche après s’être fièrement opposé à ses rédacteurs en chef sur la guerre en Irak.

Hitchens a gagné un National Magazine Award pour ses chroniques en 2007, l’année où il est devenu, à 58 ans, citoyen américain. Le site Foreign Policy l’a inclus dans sa liste des 100 figures intellectuelles les plus importantes l’année suivante, et le magazine Forbes dans celle des 25 commentateurs progressistes les plus influents dans les médias américains en 2009, distinction qui a surpris certains étant donné le soutien bruyant d’Hitchens à la «guerre contre la terreur» de George W. Bush.

Il était souvent invité dans des émissions d’information et des débats publics et manquait rarement une occasion de défendre ses positions quand on la lui donnait. Il était l’auteur de pratiquement vingt livres dont certains traduits en français (Dieu n’est pas grand. Comment la religion empoisonne tout, Les Crimes de monsieur Kissinger) et avait récemment publié ses mémoires (Hitch-22: A Memoir) et Arguably, une compilation de ses essais les plus récents.

Hitchens est resté ferme dans sa critique de la religion même quand le pronostic sur sa maladie est devenu sombre. Dans une interview d’août 2010 avec Jeffrey Goldberg, son collègue de The Atlantic, il faisait savoir que, même si d’une manière ou d’une autre, il abjurait son athéisme fervent sur son lit de mort, cette conversion apparente ne serait qu’un geste creux.

«L’entité qui ferait un tel geste pourrait être une personne divagante et terrifiée dont le cancer a gagné le cerveau», expliquait-il. «Je ne peux garantir qu’une telle entité ne fera pas un geste aussi ridicule. Mais ce ne serait pas quelqu’un que l’on pourrait reconnaître comme moi.»

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Lire l’article original sur Slate.fr

Liens:

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[3] http://www.twitter.com/slatefr

[4] http://slatest.slate.com/posts/2011/12/16/christopher_hitchens_is_dead_iconoclast_and_public_intellectual_passes_away_at_a_houston_hospital_after_battle_with_cancer_.html

[5] http://www.slate.fr/taxonomy/term/7901

[6] http://www.slate.fr/dossier/26813/christopher-hitchens

[7] http://www.slate.fr/dossier/16807/necrologie

[8] http://www.slate.fr/dossier/13255/athéisme

[9] http://www.slate.fr/taxonomy/term/439

[10] http://www.slate.fr/taxonomy/term/241

[11] http://www.slate.fr/printmail/lien/47579/christopher-hitchens-mort

[12] http://www.slate.fr/print/lien/47579/christopher-hitchens-mort

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[14] http://www.slate.fr/story/47669/kim-jong-un-bombe-atomique

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[16] http://www.slate.fr/story/47571/areva-la-mutation-invisible

[17] http://www.slate.fr/story/47661/penser-la-france-attali-2012

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[20] http://www.slate.fr/lien/47659/president-tcheque-vaclav-havel-mort

[21] http://www.slate.fr/lien/47655/faut-il-garder-les-noms-de-rues-communistes-en-ex-rda

[22] http://www.slate.fr/lien/47653/la-chanteuse-cesaria-evora-est-morte

[23] http://www.slate.fr/lien/47649/clegg-fillon-grande-bretagne-baroin

[24] http://www.slate.fr/lien/47619/pere-noel-personnage-peu-recommandable

[25] http://www.slate.fr/lien/47617/cadeaux-plus-chers-pas-forcement-apprecies

[26] http://www.slate.fr/lien/47603/2012-egypte-pyramide-secret-archeologue-autorisation

[27] http://www.slate.fr/lien/47597/turquie-interdit-etrangers-achat-immobilier-propriete

[28] http://www.slate.fr/lien/47585/rhys-morgan-medicament-miracle

[29] http://www.slate.fr/lien/47579/christopher-hitchens-mort

[30] http://www.slate.fr/lien/47573/kebab-ambassadeur-gastronomie-allemande

[31] http://www.slate.fr/lien/47561/bruits-plus-horribles-du-monde

[32] http://www.slate.fr/lien/47559/fitch-degrade-credit-agricole-credit-mutuel

[33] http://www.slate.fr/lien/47551/devoir-conjugal-justice-divorce

[34] http://www.slate.fr/lien/47549/blackwater-irak-bavure-guerre-mercenaire

[35] http://www.slate.fr/

 Voir aussi:

http://www.nytimes.com/2011/12/16/arts/christopher-hitchens-is-dead-at-62-obituary.html?_r=1&pagewanted=all

Polemicist Who Slashed All, Freely, Dies at 62

William Grimes

The NYT

December 16, 2011

Christopher Hitchens, a slashing polemicist in the tradition of Thomas Paine and George Orwell who trained his sights on targets as various as Henry Kissinger, the British monarchy and Mother Teresa, wrote a best-seller attacking religious belief, and dismayed his former comrades on the left by enthusiastically supporting the American-led war in Iraq, died on Thursday in Houston. He was 62.

The cause was pneumonia, a complication of esophageal cancer, Vanity Fair magazine said in announcing the death, at the M. D. Anderson Cancer Center. Mr. Hitchens, who lived in Washington, learned he had cancer while on a publicity tour in 2010 for his memoir, “Hitch-22,” and began writing and, on television, speaking about his illness frequently.

“In whatever kind of a ‘race’ life may be, I have very abruptly become a finalist,” Mr. Hitchens wrote in Vanity Fair, for which he was a contributing editor.

He took pains to emphasize that he had not revised his position on atheism, articulated in his best-selling 2007 book, “God Is Not Great: How Religion Poisons Everything,” although he did express amused appreciation at the hope, among some concerned Christians, that he might undergo a late-life conversion.

He also professed to have no regrets for a lifetime of heavy smoking and drinking. “Writing is what’s important to me, and anything that helps me do that — or enhances and prolongs and deepens and sometimes intensifies argument and conversation — is worth it to me,” he told Charlie Rose in a television interview in 2010, adding that it was “impossible for me to imagine having my life without going to those parties, without having those late nights, without that second bottle.”

Armed with a quick wit and a keen appetite for combat, Mr. Hitchens was in constant demand as a speaker on television, radio and the debating platform, where he held forth in a sonorous, plummily accented voice that seemed at odds with his disheveled appearance. He was a master of the extended peroration, peppered with literary allusions, and of the bright, off-the-cuff remark.

In 2007, when the interviewer Sean Hannity tried to make the case for an all-seeing God, Mr. Hitchens dismissed the idea with contempt. “It would be like living in North Korea,” he said.

Mr. Hitchens, a British Trotskyite who had lost faith in the Socialist movement, spent much of his life wandering the globe and reporting on the world’s trouble spots for The Nation magazine, the British newsmagazine The New Statesman and other publications.

His work took him to Northern Ireland, Greece, Cyprus, Portugal, Spain and Argentina in the 1970s, generally to shine a light on the evil practices of entrenched dictators or the imperial machinations of the great powers.

After moving to the United States in 1981, he added American politics to his beat, writing a biweekly Minority Report for The Nation. He wrote a monthly review-essay for The Atlantic and, as a carte-blanche columnist at Vanity Fair, filed essays on topics as various as getting a Brazilian bikini wax and the experience of being waterboarded, a volunteer assignment that he called “very much more frightening though less painful than the bikini wax.” He was also a columnist for the online magazine Slate.

His support for the Iraq war sprang from a growing conviction that radical elements in the Islamic world posed a mortal danger to Western principles of political liberty and freedom of conscience. The first stirrings of that view came in 1989 with the Ayatollah Ruhollah Khomeini’s fatwah against the novelist Salman Rushdie for his supposedly blasphemous words in “The Satanic Verses.” To Mr. Hitchens, the terrorist attacks of Sept. 11, 2001, confirmed the threat.

In a political shift that shocked many of his friends and readers, he cut his ties to The Nation and became an outspoken advocate of the American-led invasion of Iraq in 2003 and a ferocious critic of what he called “Islamofascism.” Although he denied coining the word, he popularized it.

He remained unapologetic about the war. In 2006 he told the British newspaper The Guardian: “There are a lot of people who will not be happy, it seems to me, until I am compelled to write a letter to these comrades in Iraq and say: ‘Look, guys, it’s been real, but I’m going to have to drop you now. The political cost to me is just too high.’ Do I see myself doing this? No, I do not!”

Christopher Eric Hitchens was born on April 13, 1949, in Portsmouth, England. His father was a career officer in the Royal Navy and later earned a modest living as a bookkeeper.

Though it strained the family budget, Christopher was sent to private schools in Tavistock and Cambridge, at the insistence of his mother. “If there is going to be an upper class in this country, then Christopher is going to be in it,” he overheard his mother saying to his father, clinching a spirited argument.

He was politically attuned even as a 7-year-old. “I was precocious enough to watch the news and read the papers, and I can remember October 1956, the simultaneous crisis in Hungary and Suez, very well,” he told the magazine The Progressive in 1997. “And getting a sense that the world was dangerous, a sense that the game was up, that the Empire was over.”

Even before arriving at Balliol College, Oxford, Mr. Hitchens had been drawn into left-wing politics, primarily out of opposition to the Vietnam War. After heckling a Maoist speaker at a political meeting, he was invited to join the International Socialists, a Trotskyite party. Thus began a dual career as political agitator and upper-crust sybarite. He arranged a packed schedule of antiwar demonstrations by day and Champagne-flooded parties with Oxford’s elite at night. Spare time was devoted to the study of philosophy, politics and economics.

After graduating from Oxford in 1970, he spent a year traveling across the United States. He then tried his luck as a journalist in London, where he contributed reviews, columns and editorials to The New Statesman, The Daily Express and The Evening Standard.

“I would do my day jobs at various mainstream papers and magazines and TV stations, where my title was ‘Christopher Hitchens,’ ” he wrote in “Hitch-22,” “and then sneak down to the East End, where I was variously features editor of Socialist Worker and book review editor of the theoretical monthly International Socialism.”

He became a staff writer and editor for The New Statesman in the late 1970s and fell in with a literary clique that included Martin Amis, Julian Barnes, James Fenton, Clive James and Ian McEwan. The group liked to play a game in which members came up with the sentence least likely to be uttered by one of their number. Mr. Hitchens’s was “I don’t care how rich you are, I’m not coming to your party.”

After collaborating on a 1976 biography of James Callaghan, the Labour leader, he published his first book, “Cyprus,” in 1984 to commemorate Turkey’s invasion of Cyprus a decade earlier. A longer version was published in 1989 as “Hostage to History: Cyprus From the Ottomans to Kissinger.”

His interest in the region led to another book, “Imperial Spoils: The Curious Case of the Elgin Marbles” (1987), in which he argued that Britain should return the Elgin marbles to Greece.

In 1981 he married a Greek Cypriot, Eleni Meleagrou. The marriage ended in divorce. He is survived by their two children, Alexander and Sophia; his wife, Carol Blue, and their daughter, Antonia; and his brother, Peter.

Mr. Hitchens’s reporting on Greece came through unusual circumstances. He was summoned to Athens in 1973 because his mother, after leaving his father, had committed suicide there with her new partner. After his father’s death in 1987, he learned that his mother was Jewish, a fact she had concealed from her husband and her children.

After moving to the United States, where he eventually became a citizen, Mr. Hitchens became a fixture on television, in print and at the lectern. Many of his essays for The Nation and other magazines were collected in “Prepared for the Worst” (1988).

He also threw himself into the defense of his friend Mr. Rushdie. “It was, if I can phrase it like this, a matter of everything I hated versus everything I loved,” he wrote in his memoir. “In the hate column: dictatorship, religion, stupidity, demagogy, censorship, bullying and intimidation. In the love column: literature, irony, humor, the individual and the defense of free expression.”

To help rally public support, Mr. Hitchens arranged for Mr. Rushdie to be received at the White House by President Bill Clinton, one of Mr. Hitchens’s least favorite politicians and the subject of his book “No One Left to Lie To: The Triangulations of William Jefferson Clinton” (1999).

He regarded the response of left-wing intellectuals to Mr. Rushdie’s predicament as feeble, and he soon began to question many of his cherished political assumptions. He had already broken with the International Socialists when, in 1982, he astonished some of his brethren by supporting Britain’s invasion of the Falkland Islands.

The drift was reflected in books devoted to heroes like George Orwell (“Why Orwell Matters,” 2002), Thomas Paine (“Thomas Paine’s ‘Rights of Man’: A Biography,” 2006) and Thomas Jefferson (“Thomas Jefferson: Author of America,” 2005).

His polemical urges found other outlets. In 2001 he excoriated Mr. Kissinger, the secretary of state in the Nixon administration, as a war criminal in the book “The Trial of Henry Kissinger.” He helped write a 2002 documentary film by the same title based on the book.

Mr. Hitchens became a campaigner against religious belief, most notably in his screed against Mother Teresa, “The Missionary Position: Mother Teresa in Theory and Practice” (1995), and “God Is Not Great.” He regarded Mother Teresa as a proselytizer for a retrograde version of Roman Catholicism rather than as a saintly charity worker.

“I don’t quite see Christopher as a ‘man of action,’ ” the writer Ian Buruma told The New Yorker in 2006, “but he’s always looking for the defining moment — as it were, our Spanish Civil War, where you put yourself on the right side, and stand up to the enemy.”

One stand distressed many of his friends. In 1999, Sidney Blumenthal, an aide to Mr. Clinton and a friend of Mr. Hitchens’s, testified before a grand jury that he was not the source of damaging comments made to reporters about Monica Lewinsky, whose supposed affair with the president was under investigation by the House of Representatives.

Contacted by House investigators, Mr. Hitchens supplied information in an affidavit that, in effect, accused Mr. Blumenthal of perjury and put him in danger of being indicted.

At a lunch in 1998, Mr. Hitchens wrote, Mr. Blumenthal had characterized Ms. Lewinsky as “a stalker” and said the president was the victim of a predatory and unstable woman. Overnight, Mr. Hitchens — now called “Hitch the Snitch” by Blumenthal partisans — became persona non grata in living rooms all over Washington. In a review of “Hitch-22” in The New York Review of Books, Mr. Buruma criticized Mr. Hitchens for making politics personal.

To Mr. Hitchens, he wrote, “politics is essentially a matter of character.”

“Politicians do bad things,” Mr. Buruma continued, “because they are bad men. The idea that good men can do terrible things (even for good reasons), and bad men good things, does not enter into this particular moral universe.” Mr. Hitchens’s latest collection of writings, “Arguably: Essays,” published this year, has been a best-seller and ranked among the top 10 books of 2011 by The New York Times Book Review.

Mr. Hitchens discussed the possibility of a deathbed conversion, insisting that the odds were slim that he would admit the existence of God.

“The entity making such a remark might be a raving, terrified person whose cancer has spread to the brain,” he told The Atlantic in August 2010. “I can’t guarantee that such an entity wouldn’t make such a ridiculous remark, but no one recognizable as myself would ever make such a remark.”

Readers of “Hitch-22” already knew his feelings about the end. “I personally want to ‘do’ death in the active and not the passive,” he wrote, “and to be there to look it in the eye and be doing something when it comes for me.”

Voir de plus:

The Rat That Roared

Christopher Hitchens

The Wall Street Journal

February 6, 2003

To say that the history of human emancipation would be incomplete without the French would be to commit a fatal understatement. The Encyclopedists, the proclaimers of Les Droits de l’Homme, the generous ally of the American revolution . . . the spark of 1789 and 1848 and 1871, can be found all the way from the first political measure to abolish slavery, through Victor Hugo and Emile Zola, to the gallantry of Jean Moulin and the maquis resistance. French ideas and French heroes have animated the struggle for liberty throughout modern times.

There is of course another France — the France of Petain and Poujade and Vichy and of the filthy colonial tactics pursued in Algeria and Indochina. Sometimes the U.S. has been in excellent harmony with the first France — as when Thomas Paine was given the key of the Bastille to bring to Washington, and as when Lafayette and Rochambeau made France the « oldest ally. » Sometimes American policy has been inferior to that of many French people — one might instance Roosevelt’s detestation of de Gaulle. The Eisenhower-Dulles administration encouraged the French in a course of folly in Vietnam, and went so far as to inherit it. Kennedy showed a guarded sympathy for Algerian independence, at a time when France was too arrogant to listen to his advice. So it goes. Lord Palmerston was probably right when he said that a nation can have no permanent allies, only permanent interests. It is not to be expected that any proud, historic country can be automatically counted « in. »

However, the conduct of Jacques Chirac can hardly be analyzed in these terms. Here is a man who had to run for re-election last year in order to preserve his immunity from prosecution, on charges of corruption that were grave. Here is a man who helped Saddam Hussein build a nuclear reactor and who knew very well what he wanted it for. Here is a man at the head of France who is, in effect, openly for sale. He puts me in mind of the banker in Flaubert’s « L’Education Sentimentale »: a man so habituated to corruption that he would happily pay for the pleasure of selling himself.

Here, also, is a positive monster of conceit. He and his foreign minister, Dominique de Villepin, have unctuously said that « force is always the last resort. » Vraiment? This was not the view of the French establishment when troops were sent to Rwanda to try and rescue the client-regime that had just unleashed ethnocide against the Tutsi. It is not, one presumes, the view of the French generals who currently treat the people and nation of Cote d’Ivoire as their fief. It was not the view of those who ordered the destruction of an unarmed ship, the Rainbow Warrior, as it lay at anchor in a New Zealand harbor after protesting the French official practice of conducting atmospheric nuclear tests in the Pacific. (I am aware that some of these outrages were conducted when the French Socialist Party was in power, but in no case did Mr. Chirac express anything other than patriotic enthusiasm. If there is a truly « unilateralist » government on the Security Council, it is France.)

We are all aware of the fact that French companies and the French state are owed immense sums of money by Saddam Hussein. We all very much hope that no private gifts to any French political figures have been made by the Iraqi Baath Party, even though such scruple on either side would be anomalous to say the very least. Is it possible that there is any more to it than that? The future government in Baghdad may very well not consider itself responsible for paying Saddam’s debts. Does this alone condition the Chirac response to a fin de regime in Iraq?

Alas, no. Recent days brought tidings of an official invitation to Paris, for Robert Mugabe. The President-for-life of Zimbabwe may have many charms, but spare cash is not among them. His treasury is as empty as the stomachs of his people. No, when the plumed parade brings Mugabe up the Champs Elysees, the only satisfaction for Mr. Chirac will be the sound of a petty slap in the face to Tony Blair, who has recently tried to abridge Mugabe’s freedom to travel. Thus we are forced to think that French diplomacy, as well as being for sale or for hire, is chiefly preoccupied with extracting advantage and prestige from the difficulties of its allies.

This can and should be distinguished from the policy of Germany. Berlin does not have a neutralist constitution, like Japan or Switzerland. But it has a strong presumption against military intervention outside its own border and Herr Schroeder, however cheaply he plays this card, is still playing a hand one may respect. One does not find German statesmen positively encouraging the delinquents of the globe, in order to reap opportunist advantages and to excite local chauvinism.

Mr. Chirac’s party is « Gaullist. » Charles de Gaulle had a colossal ego, but he felt himself compelled at a crucial moment to represent une certaine idee de la France, at a time when that nation had been betrayed into serfdom and shame by its political and military establishment. He was later adroit in extracting his country from its vicious policy in North Africa, and gave good advice to the U.S. about avoiding the same blunder in Indochina. His concern for French glory and tradition sometimes led him into error, as with his bombastic statements about « Quebec libre. » But — and this is disclosed in a fine study of the man, « A Demain de Gaulle, » by the former French leftist Regis Debray — he always refused to take seriously the claims of the Soviet Union to own Poland and Hungary and the Czech lands and Eastern Germany. He didn’t believe it would or could last: He had a sense of history.

To the permanent interests of France, he insisted on attaching une certain idee de la liberte as well. He would have nodded approvingly at Vaclav Havel’s statement — his last as Czech president — speaking boldly about the rights of the people of Iraq. And one likes to think that he would have had a fine contempt for his pygmy successor, the vain and posturing and venal man who, attempting to act the part of a balding Joan of Arc in drag, is making France into the abject procurer for Saddam. This is a case of the rat that tried to roar.

Voir encore:

The spirit of 1968 may be a distant memory, but a new generation of radicals live in hope of making the world a better place. Christopher Hitchens offers them the wisdom of a seasoned campaigner

My dear X,
It is a strange thing, but it remains true that our language contains no proper word for your aspiration. The noble title of « dissident » must be earned rather than claimed; it connotes sacrifice and risk rather than mere disagreement, and it has been consecrated by many exemplary men and women. « Radical » is a useful and honourable term, but it comes with various health warnings. Our remaining expressions – « maverick », « loose cannon », « rebel », « angry young man », « gadfly » – are all slightly affectionate and diminutive and are, perhaps for that reason, somewhat condescending. It can be understood from them that society, like a benign family, tolerates and even admires eccentricity. Even the term « iconoclast » is seldom used negatively, but rather to suggest that the breaking of images is a harmless discharge of energy.

There even exist official phrases of approbation for this tendency, of which the latest is the supposedly praiseworthy ability to « think outside the box ». I myself hope to live long enough to graduate from being a « bad boy » – which I once was – to becoming « a curmudgeon ». Go too far outside « the box », of course, and you will encounter a vernacular that is much less « tolerant ». Here, the key words are « fanatic », « troublemaker », « misfit » or « malcontent ».

Meanwhile, the ceaseless requirements of the entertainment industry also threaten to deprive us of other forms of critical style, and of the means of appreciating them. To be called « satirical » or « ironic » is now to be patronised in a different way; the satirist is the fast-talking cynic and the ironist merely sarcastic or self-conscious and wised up. When such a precious and irreplaceable word as « irony » has become a lazy synonym for anomie, there is scant room for originality.

However, let us not repine. It is too much to expect to live in an age that is propitious for dissent. And most people, most of the time, prefer to seek approval or security. None the less, there are in all periods people who feel themselves in some fashion to be apart. And it is not too much to say that humanity is very much in debt to such people, whether it chooses to acknowledge the debt or not. (Don’t expect to be thanked, by the way. The life of an oppositionist is supposed to be difficult.)

I nearly hit upon the word « dissenter » just now, which might do as a definition if it were not for certain religious and sectarian connotations. The same problem arises with « freethinker ». But the latter term is probably the superior one, since it makes an essential point about thinking for oneself. The essence of the independent mind lies not in what it thinks, but in how it thinks.

The term « intellectual » was coined by those in France who believed in the guilt of Captain Alfred Dreyfus. They thought that they were defending an organic, harmonious and ordered society against nihilism, and they deployed this contemptuous word against those they regarded as the diseased, the introspective, the disloyal and the unsound. The word hasn’t completely lost this association even now, though it is less frequently used as an insult. (One feels something of the same sense of embarrassment in claiming to be an « intellectual » as one does in purporting to be a dissident, but the figure of Emile Zola offers encouragement, and his singular campaign for justice for Dreyfus is one of the imperishable examples of what may be accomplished by an individual.)

There is a saying from Roman antiquity: « Fiat justitia – ruat caelum »; « Do justice, and let the skies fall. » In every epoch, there have been those to argue that « greater » goods, such as tribal solidarity or social cohesion, take precedence over justice. It is supposed to be an axiom of « western » civilisation that the individual, or the truth, may not be sacrificed to hypothetical benefits such as « order ». But such immolations have in fact been common. Zola could be the pattern for any serious and humanistic radical, because he not only asserted the inalienable rights of the individual, but generalised his assault to encompass the vile roles played by clericalism, racial hatred, militarism and the fetishisation of « the nation ». His caustic and brilliant epistolary campaign of 1897-8 may be read as a curtain-raiser for most of the great contests that roiled the coming 20th century . . .

I think often of my late friend Ron Ridenhour, who became briefly famous when, as a service-man in Vietnam, he exposed the evidence of the hideous massacre of the villagers at My Lai in March 1968. One of the hardest things for anyone to face is the conclusion that his or her « own » side is in the wrong when engaged in a war. The pressure to keep silent and be a « team player » is reinforceable by the accusations of cowardice or treachery that will swiftly be made against dissenters. Sinister phrases of coercion, such as « stabbing in the back » or « giving ammunition to the enemy » have their origin in this dilemma and are always available to help compel unanimity.

I have had the privilege of meeting a number of brave dissidents in many and various societies. Frequently, they can trace their careers to an incident in early life where they felt obliged to take a stand. Sometimes, too, a precept is offered and takes root. Bertrand Russell records in his autobiography that his Puritan grandmother « gave me a Bible with her favourite texts written on the fly-leaf. Among these was ‘Thou shalt not follow a multitude to do evil.’ Her emphasis upon this text led me in later life to be not afraid of belonging to small minorities. » It’s affecting to find the future hammer of the Christians being « confirmed » in this way.

There is good reason to think that such reactions arise from something innate rather than something inculcated: Nickleby doesn’t know until the moment of the crisis that he is going to stick up for poor Smike. Noam Chomsky recalls hearing of the obliteration of Hiroshima as a young man, and experiencing a need for solitude because there was nobody he felt he could talk to. It may be that you, my dear X, recognise something of yourself in these instances; a disposition to resistance, however slight, against arbitrary authority or witless mass opinion, or a thrill of recognition when you encounter some well-wrought phrase from a free intelligence.

Do bear in mind that the cynics have a point, of a sort, when they speak of the « professional nay-sayer ». To be in opposition is not to be a nihilist. And there is no decent or charted way of making a living at it. It is something you are, and not something you do.

My dear X,
Your last letter reached me just as I was reading the essays of Aldous Huxley, creator of our notion of a « Brave New World ». Allow me to give you a paragraph that I marked as I went along:

« Homer was wrong, » wrote Heracleitus of Ephesus, « Homer was wrong in saying: ‘Would that strife might perish from among gods and men!’ He did not see that he was praying for the destruction of the universe; for if his prayer were heard, all things would pass away. »

These are words on which the superhumanists should meditate. Aspiring toward a consistent perfection, they are aspiring toward annihilation. The Hindus had the wit to see and the courage to proclaim the fact; Nirvana, the goal of their striving, is nothingness. Wherever life exists, there also is inconsistency, division, strife.

You seem to have grasped the point that there is something idiotic about those who believe that consensus (to give the hydra-headed beast just one of its names) is the highest good. Why do I use the offensive word « idiotic »? For two reasons that seem good to me; the first being my conviction that human beings do not, in fact, desire to live in some Disneyland of the mind, where there is an end to striving and a general feeling of contentment and bliss.

My second reason is less intuitive. Even if we did really harbour this desire, it would fortunately be unattainable. As a species, we may by all means think ruefully about the waste and horror produced by war and other forms of rivalry and jealousy. However, this can’t alter the fact that in life we make progress by conflict and in mental life by argument and disputation.

If you care about the points of agreement and civility, then, you had better be well equipped with points of argument and combativity, because if you are not then the « centre » will be occupied and defined without your having helped to decide it. That is unless you trust the transcendent sapience of the Dalai Lama, whose work I was reading in parallel with Huxley’s. Here is what the enlightened one told his interlocutor, at the opening of The Art of Happiness: A Handbook for Living, an extensive and bestselling transcription of his own words:

« I believe that the very purpose of our life is to seek happiness. That is clear. Whether one believes in religion or not, whether one believes in this religion or that religion, we all are seeking something better in life. So, I think, the very motion of our life is towards happiness. »

This is how the Dalai Lama began his address « to a large audience in Arizona ». The very best that can be said is that he uttered a string of fatuous non-sequiturs. There is not even a strand of chewing gum to connect the premise to the conclusion; the speaker simply assumes what he has to prove.

I once spent some time in an ashram in Poona, outside Bombay. I was posing as an acolyte in order to make a documentary about the guru Bhagwan Shree Rajneesh, who had built himself a large and lucrative practice among well-off westerners. The whole thing was a racket, of course – the divine purveyor of disco philosophy had the world’s largest private collection of Rolls-Royces – but what I remember best was the morning darshan with the all-wise. On the way into the assembly one had to be sniffed from head to toe by two agonisingly beautiful California girls dressed in flame-ochre kimonos. The lovely sniffers were supposed to detect any traces of alcohol or tobacco. Every morning, I passed their exacting test. But what made me personally allergic, each roseate dawn, was the large sign posted at the point where footwear had to be discarded. « Shoes and minds, » said this sign, « must be left at the gate. » Laughable, of course, but evil if it could be enforced, as it often was under Loyola’s Jesuitical injunction, « Dei sacrificium intellectus »; an immodest and hysterical desire to annihilate the intellect at the feet of an idol.

My dear X,
The irritating term or tag « Angry Young Man », with which awkward types are put in their place as callow young rebels going through a « phase », was given currency in Look Back in Anger, the mediocre play by John Osborne. The protagonist Jimmy Porter is going through one of his self-regarding soliloquies when he exclaims, rather tellingly for once, that there are « no more good, brave causes left ». This utterance struck home in the consciousness of the mid-1950s, at a time when existential anomie was trading at an inflated price.

Within a few years, millions of young people had forsaken the absurd in order to engage with such causes as civil rights, the struggle against thermonuclear statism, and the ending of an unjust war in Indochina. I was myself « of » this period, and have witnessed some truly marvellous moments at first hand.

Nobody in the supposedly affluent and disillusioned 50s had seen any of this coming; I am quite certain that there will be future opportunities for people of high ideals, or of any ideals at all. However, in the interval between 1968 and 1989 – in other words, in that period where many of the revolutionaries against consumer capitalism metamorphosed into « civil society » human-rights activists – there were considerable interludes of stasis. And it was in order to survive those years of stalemate and realpolitik that a number of important dissidents evolved a strategy for survival. In a phrase, they decided to live « as if ».

Vaclav Havel, then working as a marginal playwright and poet in a society and state that truly merited the title of Absurd, realised that « resistance » in its original insurgent and militant sense was impossible in the central Europe of the day. He therefore proposed living « as if » he were a citizen of a free society, « as if » lying and cowardice were not mandatory patriotic duties, « as if » his government had signed (which it actually had) the various treaties and agreements that enshrine universal human rights. He called this tactic the « power of the powerless » because, even when disagreement is almost forbidden, a state that insists on actually compelling assent can be relatively easily made to look stupid. At around the same time, and alarmed in a different way by many of the same things (the morbid relationship of the cold war to the nuclear arms race), Professor EP Thompson proposed that we live « as if » a free and independent Europe already existed.

The « People Power » moment of 1989, when whole populations brought down their absurd rulers by an exercise of arm-folding and sarcasm, had its origins partly in the Philippines in 1985, when the dictator Marcos called a « snap election » and the voters decided to take him seriously. They acted « as if » the vote were free and fair, and they made it so. In the late Victorian period, Oscar Wilde – master of the pose but not a mere poseur – decided to live and act « as if » moral hypocrisy were not regnant. In the deep south in the early 1960s, Rosa Parks decided to act « as if » a hardworking black woman could sit down on a bus at the end of the day’s labour. In Moscow in the 1970s, Aleksandr Solzhenitsyn resolved to write « as if » an individual scholar could investigate the history of his own country and publish his findings. They all, by behaving literally, acted ironically. In each case, as we know now, the authorities were forced first to act crassly and then to look crass, and eventually to fall victim to stern verdicts from posterity. However, this was by no means the guaranteed outcome, and there must have been days when the « as if » style was exceedingly hard to keep up.

All I can recommend, therefore (apart from the study of these and other good examples), is that you try to cultivate some of this attitude. You may well be confronted with some species of bullying or bigotry, or some ill-phrased appeal to the general will, or some petty abuse of authority. If you have a political loyalty, you may be offered a shady reason for agreeing to a lie or half-truth that serves some short-term purpose. Everybody devises tactics for getting through such moments; try behaving « as if » they need not be tolerated and are not inevitable.

My dear X,
Beware the irrational, however seductive. Shun the « transcendent » and all who invite you to subordinate or annihilate yourself. Distrust compassion; prefer dignity for yourself and others. Don’t be afraid to be thought arrogant or selfish. Picture all experts as if they were mammals. Never be a spectator of unfairness or stupidity. Seek out argument and disputation for their own sake; the grave will supply plenty of time for silence. Suspect your own motives, and all excuses. Do not live for others any more than you would expect others to live for you.

The above are extracts from Christopher Hitchens’ new book, Letters to a Young Contrarian, published this month by the Perseus Press, price £16.99.

Voir enfin:

Fire in a Crowded Theatre

Christopher Hitchens speaking at Hart House, University of Toronto, November 15th, 2006

FIRE! Fire, fire… fire. Now you’ve heard it. Not shouted in a crowded theatre, admittedly, as Irealise I seem now to have shouted it in the Hogwarts dining room – but the point is made.Everyone knows the fatuous verdict of the greatly over­praised Justice Oliver Wendell Holmes, who,asked for an actual example of when it would be proper to limit speech or define it as an action,gave that of shouting “fire” in a crowded theatre. It’s very often forgotten what he was doing in that case was sending to prison a group of Yiddish-speaking socialists, whose literature was printed in a language most Americans couldn’t read,opposing President Wilson’s participation in the First World War and the dragging of the UnitedStates into this sanguinary conflict, which the Yiddish speaking socialists had fled from Russia to escape. In fact it could be just as plausibly argued that the Yiddish-speaking socialists, who were jailed bythe excellent and over­praised Judge Oliver Wendell Holmes, were the real fire fighters, were theones shouting “fire” when there really was a fire, in a very crowded theatre indeed. And who is to decide?

Well, keep that question if you would –ladies and gentlemen, brothers andsisters, I hope I may say comrades and friends– before your minds. I exempt myself from the speaker’s kind offer of protection that was so generously [offered] at theopening of this evening. Anyone who wants to say anything abusive about or to me is quite free todo so, and welcome in fact, at their own risk. But before they do that they must have taken, as I’m sure we all should, a short refresher course onthe classic texts on this matter. Which are John Milton’s Areopagitica, “Areopagitica” being thegreat hill of Athens for discussion and free expression. Thomas Paine’s introduction to The Age ofReason. And I would say John Stuart Mill’s essay On Liberty in which it is variously said –I’ll be very daring and summarize all three of these great gentlemen of the great tradition of,especially, English liberty, in one go:– What they say is it’s not just the right of the person who speaks to be heard, it is the right ofeveryone in the audience to listen, and to hear. And every time you silence someone you makeyourself a prisoner of your own action because you deny yourself the right to hear something.

In other words, your own right to hear and be exposed is as much involved in all these cases as is theright of the other to voice his or her view. Indeed, as John Stuart Mill said, if all in society were agreed on the truth and beauty and value ofone proposition, all except one person, it would be most important, in fact it would become evenmore important, that that one heretic be heard, because we would still benefit from his perhapsoutrageous or appalling view. In more modern times this has been put, I think, best by a personal heroine of mine, RosaLuxembourg, who said that freedom of speech is meaningless unless it means the freedom of the person who thinks differently.

My great friend John O’ Sullivan, former editor of the National Review, and I think probably mymost conservative and reactionary Catholic friend, once said –it’s a tiny thought experiment– hesays, if you hear the Pope saying he believes in God, you think, “well, the Pope is doing his jobagain today”. If you hear the Pope saying he’s really begun to doubt the existence of God, you beginto think he might be on to something. Well, if everybody in North America is forced to attend, at school, training in sensitivity onHolocaust awareness and is taught to study the Final Solution, about which nothing was actuallydone by this country, or North America, or the United Kingdom while it was going on; but let’s sayas if in compensation for that everyone is made to swallow an official and unalterable story of itnow, and it is taught as the great moral exemplar, the moral equivalent of the morally lackingelements of the Second World War, a way of stilling our uneasy conscience about that combat… If that’s the case with everybody, as it more or less is, and one person gets up and says, “You know what, this Holocaust, I’m not sure it even happened. In fact, I’m pretty certain it didn’t.Indeed, I begin to wonder if the only thing [isn’t] that the Jews brought a little bit of violence onthemselves.” [Then] That person doesn’t just have a right to speak, that person’s right to speak must begiven extra protection. Because what he has to say must have taken him some effort to come upwith, might contain a grain of historical truth, might in any case get people to think about “why dothey know what they already think they know”. How do I know that I know this, except that I’ve always been taught this and never heard anything else? It’s always worth establishing first principles. It’s always worth saying “what would you do if youmet a Flat Earth Society member?” Come to think of it, how can I prove the earth is round? Am Isure about the theory of evolution? I know it’s supposed to be true. Here’s someone who says there’sno such thing; it’s all intelligent design. How sure am I of my own views? Don’t take refuge in thefalse security of consensus, and the feeling that whatever you think you’re bound to be OK, becauseyou’re in the safely moral majority.

One of the proudest moments of my life, that’s to say, in the recent past, has been defending theBritish historian David Irving who is now in prison in Austria for nothing more than the potential ofuttering an unwelcome thought on Austrian soil. He didn’t actually say anything in Austria. Hewasn’t even accused of saying anything. He was accused of perhaps planning to say something thatviolated an Austrian law that says only one version of the history of the Second World War may betaught in our brave little Tyrolean republic. The republic that gave us Kurt Waldheim as Secretary General of the United Nations, a man wantedin several countries for war crimes. You know the country that has Jorge Haider, the leader of itsown fascist party, in the cabinet that sent David Irving to jail. You know the two things that have made Austria famous and given it its reputation by any chance?Just while I’ve got you. I hope there are some Austrians here to be upset by it. Well, a pity if not, butthe two great achievements of Austria are to have convinced the world that Hitler was German andthat Beethoven was Viennese. Now to this proud record they can add, they have the courage finally to face their past and lock up aBritish historian who has committed no crime except that of thought in writing. And that’s ascandal. I can’t find a seconder usually when I propose this but I don’t care. I don’t need a seconder.My own opinion is enough for me and I claim the right to have it defended against any consensus…any majority… anywhere… any place, any time. And anyone who disagrees with this can pick anumber, get in line – and… kiss my ass. Now, I don’t know how many of you don’t feel you’re grown up enough to decide for yourselves andthink you need to be protected from David Irving’s edition of the Goebbels Diaries for example, outof which I learned more about the Third Reich than I had from studying Hugh Trevor­Roper andA.J.B. Taylor combined when I was at Oxford. But for those of you who do, I’d recommendanother short course of revision. Go again and see not just the film and the play, but read the text of Robert Bolt’s wonderful play A Man For All Seasons – some of you must have seen it. Where Sir Thomas More decides that hewould rather die than lie or betray his faith. And one moment More is arguing with the particularlyvicious witch­hunting prosecutor. A servant of the king and a hungry and ambitious man. And More says to this man, – You’d break the law to punish the devil, wouldn’t you? And the prosecutor, the witch­hunter, says, – Break it? –he said– I’d cut down, I’d cut down every law in England if I could do that, if I couldcapture him!– Yes you would, wouldn’t you? And then when you would have cornered the devil, and the devil’dturn around to meet you, where would you run for protection, all the laws of England having been cut down and flattened? Who would protect you then?Bear in mind, ladies and gentleman, that every time you violate, or propose the violate, the right tofree speech of someone else, you in potentia [are] making a rod for your own back.

Because the other question raised by Justice Oliver Wendall Holmes is simply this: who’s going to decide, towhom do you award the right to decide which speech is harmful, or who is the harmful speaker? Or to determine in advance what the harmful consequences [are] going to be that we know enoughabout in advance to prevent? To whom would you give this job? To whom are you going to awardthe task of being the censor? Isn’t a famous old story that the man who has to read all the pornography, in order to decide what’sfit to be passed and what is [not], is the man most likely to become debauched? Did you hear any speaker in the opposition to this motion, eloquent as one of them was, to whomyou would delegate the task of deciding for you what you could read? To whom you would give thejob to decide for you? Relieve you of the responsibility of hearing what you might have to hear? Do you know any one –hands up– do you know any one to whom you’d give this job? Does anyone have a nominee? You mean there is no one in Canada who is good enough to decide what I can read? Or hear? I hadno idea… But there’s a law that says there must be such a person, or some sub­section some piddling law thatsays it. Well to Hell with that law then. It is inviting you to be liars and hypocrites and to deny what youevidently know already, about this censorious instinct. We basically know already what we need to know, and we’ve known it for a long time, it comesfrom an old story about another great Englishman –sorry to sound particular about that thisevening– Dr Samuel Johnson, the great lexicographer, complier of the first great dictionary of theEnglish language. When it was complete Dr Johnson was waited upon by various delegations ofpeople to congratulate him. Of the nobility, […] of the Common, of the Lords and also by adelegation of respectable ladies of London who attended on him in his Fleet Street lodgings and congratulated him. – “Dr Johnson”, they said, “We are delighted to find that you’ve not included any indecent orobscene words in your dictionary.” – “Ladies”, said Dr Johnson, “I congratulate you on being able to look them up.” Anyone who can understand that joke –and I’m pleased to see that about ten per cent of you can–gets the point about censorship, especially prior restraint as it is known in the United States, whereit is banned by the First Amendment to the Constitution. It may not be determined in advance whatwords are apt or inapt. No one has the knowledge that would be required to make that call and – more to the point – one has to suspect the motives of those who do so. In particular those who aredetermined to be offended, of those who will go through a treasure house of English –like DrJohnson’s first lexicon– in search of filthy words, to satisfy themselves, and some instinct aboutwhich I dare not speculate…

Now, I am absolutely convinced that the main source of hatred in the world is religion, and organized religion. Absolutely convinced of it. And I am glad that you applaud, because it’s a verygreat problem for those who oppose this motion. How are they going to ban religion? How are theygoing to stop the expression of religious loathing, hatred and bigotry? I speak as someone who is a fairly regular target of this, and not just in rhetorical form. I have been the target of many death threats, I know, within a short distance of where I am currently living inWashington, I can name two or three people, whose names you probably know, who can’t goanywhere now without a security detail because of the criticisms they’ve made on one monotheism in particular. And this is in the capital city of the United States. So I know what I’m talking about, and I also have to notice, that the sort of people who ring me upand say they know where my children go to school –and they certainly know what my home number is and where I live, and what they are going to do to them and to my wife and to me– and whom Ihave to take seriously because they already have done it to people I know, are just the people whoare going to seek the protection of the hate speech law, if I say what I think about their religion,which I am now going to do. Because I don’t have any what you might call ethnic bias, I have no grudge of that sort, I can rubalong with pretty much anyone of any –as it were– origin or sexual orientation, or language group –except people from Yorkshire of course, who are completely untakable– and I’m beginning to resent the confusion that’s being imposed on us now –and there was some of it this evening– betweenreligious belief, blasphemy, ethnicity, profanity and what one might call “multicultural etiquette”. It’s quite common these days, [for example,] for people now to use the expression “anti­-Islamicracism”, as if an attack on a religion was an attack on an ethnic group. The word Islamophobia infact is beginning to acquire the opprobrium that was once reserved for racial prejudice. This is asubtle and very nasty insinuation that needs to be met head on.

Who said “what if Falwell says he hates fags? What if people act upon that?” The Bible says youhave to hate fags. If Falwell says he is saying it because the Bible says so, he’s right. Yes, it mightmake people go out and use violence. What are you going to do about that? You’re up against agroup of people who will say “you put your hands on our Bible and we’ll call the hate speech police”. Now what are you going to do when you’ve dug that trap for yourself? Somebody said that the anti­Semitism and Kristallnacht in Germany was the result of ten years of Jew­baiting. Ten years? You must be joking! It’s the result of two thousand years of Christianity,based on one verse of one chapter of St. John’s Gospel, which led to a pogrom after every Eastersermon every year for hundreds of years. Because it claims that the Jews demanded the blood ofChrist be on the heads of themselves and all their children to the remotest generation. That’s thewarrant and license for, and incitement to, anti­Jewish pogroms. What are you going to do aboutthat? Where is your piddling sub­section now? Does it say St. John’s Gospel must be censored? Do I, who have read Freud and know what the future of an illusion really is, and know that religiousbelief is ineradicable as long as we remain a stupid, poorly evolved mammalian species, think that some Canadian law is going to solve this problem? Please! No, our problem is this: our pre­frontal lobes are too small. And our adrenaline glands are too big. And our thumb/finger opposition isn’t all that it might be. And we’re afraid of the dark, and we’reafraid to die, and we believe in the truths of holy books that are so stupid and so fabricated that a child can –and all children do, as you can tell by their questions– actually see through them. And Ithink it should be –religion– treated with ridicule, and hatred and contempt. And I claim that right.

Now let’s not dance around, not all monotheisms are exactly the same, at the moment. They’re allbased on the same illusion, they’re all plagiarisms of each other, but there is one in particular that atthe moment is proposing a serious menace not just to freedom of speech and freedom of expression,but to quite a lot of other freedoms too. And this is the religion that exhibits the horrible trio of self-­hatred, self­-righteousness and self­pity. I am talking about militant Islam. Globally it’s a gigantic power. It controls an enormous amount of oil wealth, several large countriesand states with an enormous fortune, it’s pumping the ideology of Wahhabism and Salafism aroundthe world, poisoning societies where it goes, ruining the minds of children, stultifying the young andits madrases, training people in violence, making a culture death and suicide and murder. That’swhat it does globally, it’s quite strong. In our society it poses as a cringing minority, whose faith you might offend, which deserves all theprotection that a small and vulnerable group might need. Now, it makes quite large claims for itself. Doesn’t it? It says it’s the final revelation. It says that God spoke to one illiterate businessman in the Arabian Peninsula three times through an archangel,and the resulting material (which as you can see when you read it is largely [and ineptly] plagiarizedfrom the Old and the New Testament […] ) is to be accepted as a divine revelation, and as the finaland unalterable one, and those who do not accept this revelation are fit to be treated as cattle,infidels, potential chattel, slaves and victims.

Well I tell you what, I don’t think Mohammad ever heard those voices. I don’t believe it. And thelikelihood that I’m right, as opposed to the likelihood that a businessman who couldn’t read, hadbits of the Old and New Testament re­dictated to him by an archangel, I think puts me much morenear the position of being objectively correct. But who is the one under threat? The person who propagates this and says “I’d better listen becauseif I don’t I’m in danger”, or me who says “No, I think this is so silly you could even publish acartoon about it”? And up go the placards, and up go the yells and the howls and the screams, “Behead those…” –thisis in London, this is in Toronto, this is in New York, it is right in our midst now– “Behead those,Behead those who cartoon Islam”. Do they get arrested for hate speech? No. Might I get in trouble for saying what I’ve just said aboutthe prophet Mohammad? Yes, I might. Where are your priorities ladies and gentlemen? You’re giving away what’s most precious in yourown society, and you’re giving it away without a fight, and you’re even praising the people whowant to deny you the right to resist it. Shame on you while you do this. Make the best use of the time you’ve got left. This is really serious. Now, if you look anywhere you like,–because [tonight] we had invocations of a rather drivelling and sickly kind of our sympathy: “what about the poor fags, what about the poor Jews, the wretched women who can’t take the abuse andthe slaves and their descendants and the tribes who didn’t make it and were told that land wasforfeit…”–, look anywhere you like in the world for slavery, for the subjection of women as chattel, for theburning and flogging of homosexuals, for ethnic cleansing, for anti­Semitism, for all of this, youlook no further than a famous book that’s on every pulpit in this city, and in every synagogue and inevery mosque. And then just see whether you can square the fact that the force that is the main source of hatred isalso the main caller for censorship. And when you’ve realized that you’re therefore this eveningfaced with a gigantic false antithesis, I hope that still won’t stop you from giving the motion beforeyou the resounding endorsement that it deserves. Thanks awfully. ’Night, night. Stay cool.

Christopher Hitchens, speaking at Hart House, University of Toronto, November 15th, 2006 [square brackets indicate minor edits made for clarity during the transcript from a video recording]


Zahir Muhsein: Le peuple palestinien n’existe pas (Only a means for continuing our struggle against the state of Israel for our Arab unity)

16 décembre, 2011
https://jcdurbant.files.wordpress.com/2011/12/99ab4-flags-1.jpgIsraël est détruit, sa semence même n’est plus. Amenhotep III (Stèle de Mérenptah, 1209 or 1208 Av. JC)
Je me suis réjoui contre lui et contre sa maison. Israël a été ruiné à jamais. Mesha (roi de Moab, Stèle de Mesha,  850 av. J.-C.)
J’ai tué Jéhoram, fils d’Achab roi d’Israël et j’ai tué Ahziahu, fils de Jéoram roi de la Maison de David. Et j’ai changé leurs villes en ruine et leur terre en désert. Hazaël (stèle de Tel Dan, c. 835 av. JC)
Nous n’exigeons aucune séparation de la Syrie. Musa Kazim al-Husayni (conseil municipal de Jérusalem, octobre 1919)
Il n’y a pas de pays nommé la Palestine ! « Palestine » est un terme que les sionistes ont inventé ! Il n’y a pas de Palestine dans la Bible. Notre pays fait partie de la Syrie depuis des siècles. Awni Abd al-Hadi (à la Commission Peel, 1937)
La Palestine est la Jordanie et la Jordanie est la Palestine ; il n’y a qu’une seule terre, avec une histoire et un seul et même destin. Prince Hassan (Assemblée nationale jordanienne, 2 février 1970)
Le peuple palestinien n’existe pas. La création d’un État palestinien n’est qu’un moyen pour continuer la lutte contre l’Etat d’Israël afin de créer l’unité arabe. En réalité, aujourd’hui, il n’y a aucune différence entre les Jordaniens, les Palestiniens, les Syriens et les Libanais. C’est uniquement pour des raisons politiques et tactiques, que nous parlons aujourd’hui de l’existence d’un peuple palestinien, étant donné que les intérêts arabes demandent que nous établissions l’existence d’un peuple palestinien distinct, afin d’opposer le sionisme. Pour des raisons tactiques, la Jordanie qui est un Etat souverain avec des frontières bien définies, ne peut pas présenter de demande sur Haifa et Jaffa, tandis qu’en tant que palestinien, je peux sans aucun doute réclamer Haifa, Jaffa, Beersheba et Jérusalem. Toutefois, le moment où nous réclamerons notre droit sur l’ensemble de la Palestine, nous n’attendrons pas même une minute pour unir la Palestine à la Jordanie.  Zahir Muhsein (membre du comité exécutif de l’OLP, proche de la Syrie, « Trouw », 31.03. 77)
Pourquoi le soir du 4 juin 1967 j’étais Jordanien et le lendemain matin j’étais Palestinien ? (…) Nous n’étions pas trop gênés par le royaume jordanien. L’enseignement de la destruction de l’Israël était une partie intégrale du programme d’études. Nous nous sommes considérés « Jordaniens » jusqu’à ce que les Juifs soient revenus à Jérusalem. Alors soudainement nous étions des « Palestiniens »… ils ont enlevé l’étoile du drapeau jordanien et d’un coup nous avons eu un « drapeau palestinien ». (…) Le fait est que les « Palestiniens » sont des immigrés des nations environnantes ! Mon grand-père avait l’habitude de nous dire que son village était vide avant que son père ne s’y installe. Walid Shoebat, ancien terroriste islamiste de l’OLP, repenti et devenu sioniste chrétien)
Vous ne représentez pas la Palestine autant que nous. N’oubliez jamais ce point : Il n’y a pas de peuple palestinien, il n’y a pas d’entité palestinienne, il y a la Syrie (…) C’est nous, responsables syriens, qui sommes les réels représentants du peuple palestinien. Hafez Assad (à Arafat)
Les Palestiniens et les Jordaniens n’appartiennent pas à des nationalités différentes. Ils détiennent les mêmes passeports jordaniens, sont arabes et ont la même culture jordanienne. Abdul Hamid Sharif  (Premier ministre jordanien, 1980)
La vérité est que la Jordanie est la Palestine et la Palestine est la Jordanie. Hussein de Jordanie (1981)
Si les juifs n’ont jamais vraiment existé, pourquoi l’Islam et le christianisme ont-ils passé tant de temps à les supprimer ? Seth J. Frantzman
Et puis, je crois que ce n’est pas le seul cas d’invention d’un peuple. Je pense par exemple qu’à la fin du XIXe siècle, on a inventé le peuple français. Le peuple français n’existe pas en tant que tel depuis plus de 500 ans, comme on a alors essayé de le faire croire. Shlomo Sand
La Déclaration Balfour, le Mandat pour la Palestine, et tout ce qui a été fondé sur eux, sont déclarés nuls et non avenus. Les prétentions à des liens historiques et religieux des Juifs avec la Palestine sont incompatibles avec les faits historiques et la véritable conception de ce qui constitue une nation. Le judaïsme, étant une religion, ne constitue pas une nationalité indépendante. De même que les Juifs ne constituent pas une nation unique avec son identité propre ; ils sont citoyens des Etats auxquels ils appartiennent. (Art. 20).
La Palestine est le foyer du peuple arabe palestinien; c’est une partie indivisible du foyer arabe, et le peuple palestinien est une part intégrale de la nation arabe (Art. 1)
L’unité arabe et la libération de la Palestine constituent deux objectifs complémentaires. (Art. 13)
Le peuple de Palestine joue le rôle d’avant-garde dans la réalisation de ce but sacré.
Le besoin de sécurité et de paix, ainsi que le besoin de justice et de droit, requièrent de tous les Etats qu’ils considèrent le sionisme comme un mouvement illégitime, qu’ils déclarent illégale son existence, qu’ils interdisent ses opérations, afin que les relations amicales entre les peuples puissent être préservées, et que la loyauté des citoyens envers leurs pays respectifs soit sauvegardée. (article 23)
Le sionisme est un mouvement politique lié de façon organique à un impérialisme international et antagoniste à toute action pour la libération et à tout mouvement progressiste dans le monde. Le sioniste est raciste et fanatique dans sa nature, agressif, expansionniste, colonial dans ses buts, et fasciste dans ses méthodes. Israël est l’instrument du mouvement sioniste, et la base géographique de l’impérialisme mondial placé stratégiquement au sein du foyer arabe pour combattre les espoirs de libération, d’unité, et de progrès de la nation arabe. (article 22) Charte de l’OLP
Le Mouvement de la Résistance Islamique… est guidé par la tolérance islamique quand il traite avec les fidèles d’autres religions. Il ne s’oppose à eux que lorsqu’ils sont hostiles. Sous la bannière de l’islam, les fidèles des trois religions, l’islam, le christianisme et le judaïsme, peuvent coexister pacifiquement. Mais cette paix n’est possible que sous la bannière de l’islam.
Le Mouvement de la Résistance Islamique croit que la Palestine est un Waqf [patrimoine religieux] islamique consacré aux générations de musulmans jusqu’au Jugement Dernier. Pas une seule parcelle ne peut en être dilapidée ou abandonnée à d’autres […] (Art. 31 et 11). Charte du Hamas
Je suis prêt à accepter une troisième partie qui contrôle l’exécution de l’accord, par exemple les forces de l’OTAN, mais je n’accepterai pas qu’il y ait des Juifs dans ces forces ni un Israélien sur la Terre de Palestine. Mahmoud Abbas
Pas un Juif, même sous la bannière de l’OTAN ou de l’ONU, ne pourra se trouver en Palestine, mais 5 millions d’Arabes s’ajouteront au million d’Arabes israéliens vivant déjà dans l’Etat d’Israël. (…) L’Autorité palestinienne concocte en fait pour l’Etat qu’on la presse de fonder un régime raciste sur la base d’un apartheid entre une Palestine pure de sang juif et un Etat d’Israël mélangé où les Juifs deviendront une minorité. Abbas
C’est la preuve que l’appel au boycott est légal et que notre campagne pour le respect du droit international et des droits de l’homme est légitime. Farida Trichine (coordonnatrice de « Justice pour la Palestine Alsace »)
[La discrimination] commise à l’égard d’une personne physique ou morale, est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende lorsqu’elle consiste à entraver l’exercice normal d’une activité économique quelconque. Article 225-1 du code pénal
Nous laissons derrière nous un Etat souverain, stable, autosuffisant, avec un gouvernement représentatif qui a été élu par son peuple. (…) C’est une réussite extraordinaire, qui a pris neuf ans … Obama

La création du peuple palestinien était-elle autre chose que la continuation de la guerre contre Israël par d’autres moyens?

A l’heure où le climat d’amnésie collective généralisée et le politiquement correct ambiants nous valent les auto-congratulations publiques d’un président élu sur son opposition à la guerre dont il s’attribue à présent la réussite et les termes d’un retrait négocié en fait dès avant son arrivée par son prédécesseur et de fait largement imposé, contre sa volonté, par les dirigeants irakiens …

Comme les larmes de crocodile pour la condamnation, largement symbolique et 20 ans après les faits, d’un président français qui avait multiplié les casseroles et trahi son premier allié comme le peuple irakien qu’il prétendait aider …

Et où l’installation, au siège parisien de l’UNESCO, du drapeau d’un peuple dont l’invention est non seulement non terminée mais fondée sur rien de moins que la négation d’une des nations les plus anciennes du Moyen-Orient …

Pendant qu’on ne semble pas trop sinquiéter, au Pays autoproclamé des droits de l’homme, des dérives possibles et déjà avérées (et ce y compris au delà des cas particuliers de prise de positions d’élus) au niveau des protestations  du droit civique de  l’appel au boycott du fait des violences et de la pression sur les gens dont il s’accompagne fréquemment, pouvant aboutir, comme à Londres pour la boutique de produits de la Mer morte Ahava, à l’intimidation de la clientèle puis à la fermeture pure et simple …

Comment s’étonner, comme le rappelle Bruce Thornton dans Front page magazine, du tollé soulevé par l’un des candidats aux primaires républicaines américaines pour avoir osé appeler un mouvement terroriste un mouvement terroriste et rappelé son origine historique, tout peuple passant nécessairement par une invention plus ou moins ancienne ou récente?

Surtout lorsque l’on (re) découvre, au-delà des appels explicites à la destruction d’Israël des chartes du Fatah et du Hamas comme de leurs dirigeants, certaines déclarations témoignant on ne peut plus explicitement de l’existence, au sein du Monde arabe des années 70 et au coeur même du comité exécutif du PLO, de factions pronant la création du peuple palestinien comme la continuation de la guerre contre Israël par d’autres moyens.

Ou, pour reprendre les mots mêmes du membre pro-syrien du comité exécutif du PLO Zahir Muhsein lors d’un entretien au journal néerlandais Trouw en mars 1977, que la création d’un État palestinien n’est qu’un moyen pour continuer la lutte contre l’Etat d’Israël afin de créer l’unité arabe

Newt Challenges the Myth of Palestinian Nationalism

Bruce Thornton

Frontpage Magazine

December 15, 2011

Newt Gingrich touched off a mini-firestorm when he told a Jewish television channel that the Palestinians are an “invented” people “who are in fact Arabs,” and “who were historically part of the Arab community.” This simple statement of historical fact was of course met with the usual bluster from the Palestinians, who called the statements “ignorant,” “despicable,” and of course “racist,” a meaningless charge. And what response from the Palestinians would be complete without the usual threat that the statement they don’t like will “increase the cycle of violence,” as Palestinian lead negotiator Saeb Erekat put it?

The truly “ignorant,” however, are those who have bought the “Palestinian homeland” propaganda. Where was all this talk about a homeland for the Palestinians in 1948, when the Arab armies invaded Israel? Their aim was not to create a Palestinian state, but rather to carve up the rest of British Mandatory Palestine, as the secretary-general of the Arab League, Abdel Rahman Azzam, confessed at the time: “Abdullah [ruler of Transjordan] was to swallow up the central hill regions of Palestine . . . The Egyptians would get the Negev. The Galilee would go to Syria, except that the coastal part as far as Acre would be added to the Lebanon.” Until 1967, the so-called “West Bank” was part of Jordan, but none of the Arab nations agitated for the creation of a Palestinian state. The “Palestinian homeland” became a tactical weapon after violence failed to achieve the real aim, the destruction of Israel.

In fact, the Palestinians themselves have admitted that the “Palestinian homeland” is a tactical weapon for the destruction of Israel. Listen to Zahir Muhsein, a member of the Palestinian Liberation Organization executive committee, from an interview with a Dutch newspaper given in 1977: “The Palestinian people does not exist. The creation of a Palestinian state is only a means for continuing our struggle against the state of Israel for our Arab unity. In reality today there is no difference between Jordanians, Palestinians, Syrians and Lebanese. Only for political and tactical reasons do we speak today about the existence of a Palestinian people, since Arab national interests demand that we posit the existence of a distinct ‘Palestinian people’ to oppose Zionism. For tactical reasons, Jordan, which is a sovereign state with defined borders, cannot raise claims to Haifa and Jaffa, while as a Palestinian, I can undoubtedly demand Haifa, Jaffa, Beer-Sheva and Jerusalem. However, the moment we reclaim our right to all of Palestine, we will not wait even a minute to unite Palestine and Jordan.”

Muhsein’s statement is consistent with the stated aims of the Palestinian leadership for the last half century: to destroy Israel in “stages.” In 1993, on the same day that the Oslo Accords handed over the West Bank to the PLO, Yasser Arafat told Jordanian television, “Since we cannot defeat Israel in war, we do it in stages. We take any and every territory that we can of Palestine, and establish a sovereignty [sic] there, and we use it as a springboard to take more. When the time comes, we can get the Arab nations to join us for the final blow against Israel.” Indeed, before 1967, Palestinians did speak of a homeland, but it was not to exist in the West Bank, but in Israel. The 1964 PLO Charter Article 24 explicitly said, “This Organization does not exercise any territorial sovereignty over the West Bank in the Hashemite Kingdom of Jordan, on the Gaza Strip or in the Himmah Area.” After 1967, this article was removed for strategic purposes. Thus any content to the notion of a “Palestinian homeland” is inextricably predicated on the destruction of Israel, as Article 2 of the 1968 Charter makes clear: “Palestine, with the boundaries it had during the British Mandate, is an indivisible territorial unit.” Consistent with this principle, Arafat said in 1970, “We shall never stop until we can go back home and Israel is destroyed, peace for us means Israel’s destruction and nothing else.” In other words, the “two-state solution” that Westerners continue to chant like a mantra will not resolve the conflict between Israel and the Arabs.

Our failures in dealing with a dysfunctional Middle East in part result from a failure of imagination, our unwillingness to think beyond our own ideals and see beyond the duplicitous pretexts of our adversaries. The tactic of a “Palestinian homeland,” for example, exploits the Western ideal of the nation-state as forming the fundamental structure of a people and their collective identity. But nationalism is not an organic part of Islam, which recognizes no separation of church and state. A people are created by their adherence to Islam, by being members of the global umma or Muslim community. The PLO Charter makes this clear in Article 15: “The liberation of Palestine, from an Arab viewpoint, is a national (qawmi) duty and it attempts to repel the Zionist and imperialist aggression against the Arab homeland, and aims at the elimination of Zionism in Palestine. Absolute responsibility for this falls upon the Arab nation — peoples and governments — with the Arab people of Palestine in the vanguard.” Palestinian nationalism is an expression of Arab nationalism, in a way unimaginable for any Western country, for the simple reason that Arab nationalism is in fact another expression of universal Muslim identity.

In fact, every Middle Eastern Muslim country that has shaken off its kleptocratic dictators writes its government charters to reflect the religious foundations of Muslim nationalism. Iraq’s constitution — purchased with American blood and treasure — reads at the start, “Islam is the official religion of the state and is a basic source of legislation,” and asserts, “No law can be passed that contradicts the undisputed rules of Islam.” The second article proclaims, “This constitution guarantees the Islamic identity of the majority of the Iraqi people.” In Afghanistan’s Constitution, Article 2 says, “The religion of the state of the Islamic Republic of Afghanistan is the sacred religion of Islam.” Article 3 adds, “In Afghanistan, no law can be contrary to the beliefs and provisions of the sacred religion of Islam.” And these are the two states where the United States has provided billions of dollars, security, and a custodial presence all meant to create “freedom and democracy” in an Islamic state. We can imagine what will arise in Libya and Egypt, where Islamist parties dedicated to founding a state on Sharia law are driving events. Influential Egyptian cleric Safwat Higazi — who appeared on stage with Muslim Brother “Spiritual Guide” Yusuf al-Qaradawi when the latter returned in triumph to Cairo after Mubarak’s fall — has given us a clear indication of what to expect: “I am convinced that Islam is imminent, the caliphate is imminent. One of these days, the United States of Islam will be established. Allah willing, it will be soon. Egypt will be one state in this [United States of Islam.] Morocco and Saudi Arabia will be states as well.”

National identity, then, means something very different to most Muslims from what it means to us. For most Muslims in the Middle East, being Muslim takes precedence over being an Egyptian, a Libyan, or a Palestinian. And being Muslim means endorsing Sharia law, which is incompatible with Western notions of universal human rights and tolerance. The obsession with Palestinian “national identity” or “national aspirations” blinds us to the religious foundations of Arab hatred of Israel and Jews evident throughout the Middle East and driving policy toward Israel.

Voir aussi:

LA CAUSE PALESTINIENNE : UN MENSONGE HISTORIQUE
Michel Alba

Mediapart

23 mars 2011

L’invention de la cause palestinienne par Bernard Botturi, titulaire d’un DEA de philosophie, d’un DEA de psychologie et sciences de l’éducation, d’un DEA d’histoire de l’antiquité, et d’un DESS de psychologie clinique et pathologique.
Il est l’auteur d’une traduction du Tao Tö King (le livre de la tradition du Tao et de sa sagesse), aux éditions du Cerf 1984, réédité en 1997

Depuis les défaites arabes des guerres 1948/49, la cause palestinienne avait été définitivement enterrée et cela pour plusieurs raisons, parmi celles nous en citerons deux principales :
• ses leaders tels Hajj Amin al-Husseini étaient décriés à cause de leurs collaborations notoires avec le nazisme.
• La cause palestinienne était une menace séparatiste qui aurait pu contaminer les différents pays arabophones

La « Cause » reçut son acte de décès par l’annexion de la Cisjordanie à la Jordanie et de la Bande de Gaza à l’Égypte et surtout par la relégation des réfugiés dans des camps sordides ne vivant que par l’aide de l’ONU. Les Palestiniens vivant dans les camps de réfugiés étaient dépourvus de tous droits, victimes de ségrégations multiples : interdictions professionnelles, interdictions de construire en dur, liberté de déplacement en dehors des camps plus que réduite, etc.

Depuis son accession au pouvoir en 1952, Nasser était bien plus préoccupé à construire un panarabisme politique que de s’occuper des Palestiniens qui n’étaient que des figurants de 13° zone fournissant des troupes supplétives pour mener des coups de mains sur la frontière israélienne sans pouvoir être inquiété. Mais aussi groupes incontrôlés et incontrôlables menaçant l’armistice de 1957.

Puis à partir des années 1960 le leader des pays non-alignés, du Tiers Monde va essuyer plusieurs revers :
• Échec de la République Arabe Unie qui profite à l’Irak
• Hostilité de l’Arabie Saoudite qui n’a guère apprécié l’inclusion du Yémen au sein de la RAU
• Méfiance de la Jordanie qui voyait dans la RAU une menace.
• Lutte de leadership avec Bourguiba qui apparaît plus sage
À l’intérieur :
• Échec de la réforme agraire
• Échec des diverses politiques d’industrialisation
• Montée d’une bureaucratie corrompue
• Croissance de l’influence des Frères Musulmans qui récupèrent à leur profit le mécontentement populaire….
• Nasser s’il veut garder sa place tant de champion du panarabisme et de leader du tiers monde se doit de se refaire une notoriété.

Cette dislocation du panarabisme ruinait le rêve de Nasser à être le leader des pays arabes, lui donnant par cela une légitimité pour être le leader du tiers monde. Face à cet effondrement du panarabisme Nasser et ses conseillers se sont rappelés que l’antisionisme avait permis après les défaites de 1948 / 49 de masquer les divergences d’intérêts des divers pays arabes.
Certes mais comment rendre acceptable l’antisionisme ?

L’Europe garde en travers de la gorge la nationalisation du canal de Suez, est globalement pro-israélienne, depuis la shoah est très susceptible envers toute hostilité antisémite, la Gauche sociale-démocrate voyait dans les Kibboutzim l’utopie socialiste réalisée tout en respectant la Démocratie, contrairement à l’aventure soviétique dont les crimes staliniens révélés par Kroutchev commençait à perdre du prestige. Enfin le petit Israël apparaissait comme le David qui avait su résister à une coalition de six pays supérieurement équipés lors de sa création. Israël, globalement, bénéficiait d’une image positive…. Dans ce contexte il semblait périlleux de refonder le panarabisme et le leadership du tiers Monde à partir de l’antisionisme.

Dans ce contexte, Nasser sut se tourner vers des conseillers techniques spécialistes en matière de propagande : ex-nazis et soviétiques spécialistes les uns comme les autres en matière de subversion.

Les différents travaux avaient pour but premier de séparer Israël de ses soutiens naturels : la Gauche Sociale Démocrate et les Libéraux américains (nous excluons de la Gauche le PCF qui était et restera profondément stalinien). La Gauche était dans le combat de la décolonisation, l’émancipation des peuples, la lutte anti-impérialiste et néo-colonialiste.

C’est ainsi que Nasser va créer de toute pièce la Cause Palestinienne, mais une cause où bien sûr les Palestiniens seront absents : le premier Congrès National Palestinien se tient le 28 mai 1964, à Jérusalem, ses membres sont soit des délégués de la Ligue Arabe, soit des Palestiniens complètement inféodés à l’Égypte, à la Syrie, à la Jordanie, ne siègeront aucun représentant des camps… Ce premier congrès valide la proposition de création de l’OLP proposée par l’Egypte lors du sommet de la Ligue Arabe qui s’est tenu au Caire en janvier 1964.

Pendant les débats la Cause Palestinienne est présentée par deux fidèles de Nasser : Yasser Arafat et Ahmad al Choukheiri / Shuqayri, deux « Palestiniens » bon teint qui se garderont bien d’évoquer de quelque manière que ce soit un état palestinien, le sort des réfugiés et toute allusion quelconque qui ferait planer quelque velléité de séparatisme.

La Charte Nationale de l’OLP est rédigée en juin 1964, elle sera reconnue puis officialisée lors de la conférence de la Ligue arabe d’Alexandrie en septembre 1964.

Ce n’est pas un hasard si le nouveau discours antisioniste s’ancre dans la Cause palestinienne. Les Palestiniens offraient toutes les caractéristiques pour élaborer un discours délégitimant Israël :
Un peuple de réfugiés, de pauvres subsistant de la charité internationale via l’UNWRA. Bien évidemment, le discours de la Cause jettera un voile pudique sur les raisons de la relégation des Palestiniens, l’opinion publique, c’est bien connu est peu soucieuse d’Histoire et est facilement malléable par les chocs émotionnels, de ce qui relève de l’affectif.

Examinons maintenant le texte de la Charte de l’OLP :

1 / L’invention du peuple palestinien :

Dans un premier temps la charte va inventer la notion de Peuple Palestinien, alors que jusqu’à maintenant il était parlé d’Arabes vivant en Palestine, arabes aux origines diverses : syrienne, libanaise, bédouine, égyptienne, soudanaise, libyenne auxquels nous pouvons rajouter divers minorités turques, circasiennes, arméniennes, kurdes, druzes, berbères, grecque, maltaise, chypriote, etc.…. Rappelons que les divers mouvements arabes de la Palestine n’avaient pu trouver d’unité, car ils se définissaient avant tout soit comme syriens, soit comme égyptiens, soit comme bédouins mais pas comme palestiniens, seuls jusqu’en 1947 les Juifs se disaient palestiniens… humour de l’histoire.

Donc la Charte va commencer par établir, définir le Peuple Palestinien et la Palestine dans les sept premiers de ses articles :
La Palestine est le territoire du mandat britannique et « constitue une unité territoriale indivisible ».
« Le peuple arabe palestinien détient le droit légal sur sa patrie et déterminera son destin après avoir réussi à libérer son pays en accord avec ses vœux, de son propre gré et selon sa seule volonté. »
L’identité palestinienne constitue une caractéristique authentique, essentielle et intrinsèque : elle est transmise des parents aux enfants.
Le peuple palestinien désigne « les citoyens arabes qui résidaient habituellement en Palestine jusqu’en 1947 », « l’identité palestinienne est une caractéristique authentique, intrinsèque et perpétuelle » et « seul le peuple palestinien a des droits légitimes sur sa patrie”.
Il est à noter que ces premières définitions sont immédiatement temporisées par :
elle (La Palestine) constitue une partie inséparable de la patrie arabe
Le peuple palestinien fait partie intégrante de la nation arabe.
Qui permet d’étouffer à l’avance tout nationalisme particulier, ce qui est en jeu, c’est la nation arabe, le peuple arabe que les Palestiniens ne se méprennent pas ! Nasser ne tient pas à ce que se répète le particularisme libanais.
Cela dit, l’article 7 va sortir de son chapeau une historicisation de la Palestine :
L’existence d’une communauté palestinienne, qui a des liens d’ordre matériel, spirituel et historique avec la Palestine, constitue une donnée indiscutable. Tous les moyens d’information et d’éducation doivent être employés pour faire connaître à chaque Palestinien son pays de la manière la plus approfondie, tant matériellement que spirituellement

Nous pouvons apprécier l’expression de « donnée indiscutable » qui est pour le moins contestable pour quiconque s’est penché sur l’histoire. Cet article avec les précédents seront la base de toute une propagande inventant la Palestine et le Peuple Palestinien.

2/ La victimisation du peuple palestinien !

L’occupation sioniste et la dispersion du peuple arabe palestinien, par suite des malheurs qui l’ont frappé, ne lui font pas perdre son identité palestinienne, ni son appartenance à la communauté palestinienne, ni ne peuvent les effacer
Les Palestiniens sont les citoyens arabes qui résidaient habituellement en Palestine jusqu’en 1947, qu’ils en aient été expulsés par la suite ou qu’ils y soient restés
Les Palestiniens sont frappés par le malheur de l’invasion sioniste, un peuple d’expulsés, de dispersés. Il est remarquable de souligner comment les attributs du peuple juif sont repris, le texte reprend en miroir l’expulsion de la Judée romaine et la dispersion diasporique. Attributs qui ne peuvent qu’apitoyer les chaumières.

3 / La disqualification du sionisme :

L’entreprise sioniste est vue sous l’angle d’une vaste opération d’invasion et d’expulsion et va être accablé de tous les maux de la terre notamment par l’article 22 :
« le sionisme est un mouvement politique, organiquement lié à l’impérialisme mondial et opposé à tous les mouvements de libération et de progrès dans le monde. Le sionisme est par nature fanatique et raciste. Ses objectifs sont agressifs, expansionnistes et coloniaux. Ses méthodes sont celles des fascistes et des nazis. Israël est l’instrument du mouvement sioniste. C’est une base géographique et humaine de l’impérialisme mondial qui, de ce tremplin, peut porter des coups à la nation arabe pour combattre ses aspirations à la libération, à l’unité et au progrès. Israël est une menace permanente pour la paix au Proche Orient et dans le monde entier. »
Nous voyons ici se dessiner ce qui deviendra la vulgate de la Cause palestinienne qui, depuis, ne changera pas d’un iota comme nous avons pu le constater lors des manifestations pro-palestiniennes récentes clamant haut et fort « Israël=nazisme », « Israël, état raciste », « halte à la colonisation sioniste » et autres lieux communs… dans la logique du nazisme supposé du sionisme ce sont rajouté des slogans du genre « Tsahal= génocidaire » ou « Gaza= Auschwitz », quitte à faire dans la subversion allons jusqu’au bout de sa folie.

Dans cette logique de propagande le sionisme va être ravalé au rang de force obscurantiste et ainsi qualifié de « fanatique » et « opposé à tous les mouvements de libération et de progrès dans le monde ». À cela se rajoute la menace quasi apocalyptique du sionisme, « menace permanente pour la paix dans le monde »…. Israël petit état ne pouvait sérieusement apparaître comme La menace, aussi ce dernier ne va-t-il devenir qu’un instrument du sionisme « mondial », le terme de mondial n’est pas exprimé mais sous entendu par le fait que le sionisme est identifié à l’impérialisme… nous ne sommes pas loin des « Protocoles des Sages de Sion » qui seront repris par la charte du Hamas.

Et cela est doublé par un appel vibrant à la disparition du sionisme :
« Les aspirations à la sécurité et à la paix, de même que les exigences de vérité et de justice, réclament que tous les états considèrent le sionisme comme un mouvement illégal, le déclarent hors la loi, et interdisent ses activités afin de préserver les relations amicales entre les peuples et de sauvegarder la fidélité des citoyens envers leurs patries respectives » (Cf. art.23)

Discours curieux faisant du sionisme un ennemi de la paix, de la sécurité, de la vérité, de la justice, donc un mouvement belliciste, agressif, menteur, inique… nous retrouvons là les accusations classiques de l’antijudaïsme… pire le sionisme est stigmatisé comme portant atteinte à l’amitié entre les peuples, et agissant de façon occulte pour détourner les citoyens des états pour en faire des agents du sionisme… nous pointons ici en filigrane la théorie du complot juif… mais énoncé de telle manière que les lecteurs hâtifs n’y voient que du feu…pourtant cette théorie fleurit maintenant un peu partout, même en France un « humoriste » a fondé un parti « antisioniste »… nous pouvons nous demander si la réémergence du complot sioniste aurait pu s’exprimer sans le poison savamment distillé par les discours de la Cause palestinienne ?

4 / Dissocier le sionisme du judaïsme :

Les porte paroles historiques des arabes palestiniens (Hadj Amine el-Husseini ou Ahmad Choukeiry) s’étaient fait connaître par leurs sympathies pro-nazies et un anti-judaïsme virulent qui les avaient disqualifiés aux yeux de l’opinion occidentale ; la question demeurait comment légitimer la lutte contre Israël sans apparaître anti-juifs ? Tout simplement en créant un nouvel argument dissociant judaïsme et sionisme :
« l’affirmation selon laquelle des liens historiques ou spirituels unissent les Juifs à la Palestine n’est pas conforme aux faits historiques et ne répond pas aux conditions requises pour constituer un état. Le judaïsme est une religion révélée. Ce n’est pas une nationalité particulière. Les juifs ne forment pas un peuple avec son identité distincte, mais sont citoyens des états auxquels ils appartiennent ».

Cet argument permet de pouvoir se dire farouchement antisioniste tout en se défendant de faire de l’anti-judaïsme, car il va de soi dorénavant judaïsme et sionisme non seulement sont différents, mais opposés. Tour de passe-passe consistant à définir le Judaïsme et le Sionisme à la place des Juifs, tout en se dédouanant à moindre frais de tout anti-judaïsme auprès d’une opinion occidentale très susceptible depuis la Shoah…

5 / La dé-légitimation d’Israël :

Israël étant mis du côté des impérialistes, colonialistes, des forces d’oppression il est tout naturel de proclamer :
• Article 19 : Le partage de la Palestine en 1947 et l’établissement de l’État d’Israël sont entièrement illégaux, quel que soit le temps écoulé depuis lors, parce qu’ils sont contraires à la volonté du peuple palestinien et à son droit naturel sur sa patrie et en contradiction avec les principes contenus dans la charte des Nations unies, particulièrement en ce qui concerne le droit à l’autodétermination.
• Article 20 : La déclaration Balfour, le mandat sur la Palestine et tout ce qui en découle sont nuls et non avenus. Les prétentions fondées sur les liens historiques et religieux des Juifs avec la Palestine sont incompatibles avec les faits historiques et avec une juste conception des éléments constitutifs d’un État. Le judaïsme, étant une religion, ne saurait constituer une nationalité indépendante. De même, les Juifs ne forment pas une nation unique dotée d’une identité propre, mais ils sont citoyens des États auxquels ils appartiennent.
• Article 21 : S’exprimant par révolution armée palestinienne, le peuple arabe palestinien rejette toute solution de remplacement à la libération intégrale de la Palestine et toute proposition visant à la liquidation du problème palestinien ou à son internationalisation.

Il est curieux que ces articles à l’époque n’aient point soulevé de vives protestations au sein de l’ONU, car s’il existe un pays fondé par le droit international, c’est bien Israël, rappelons les deux étapes clés :
Sous les auspices de la SDN la Conférence de San Remo en avril 1920, dans l’article 22, reconnaît la création d’un « Home national » pour le peuple juif. Article 22 qui sera repris dans les articles 94 & 95 du traité de paix dit traité de Sèvres le 10 aout 1920. Où il est dit : « le mandataire (GB) sera responsable de la mise en exécution de la déclaration originale faite le 2 novembre 1917 (Déclaration Balfour) par le gouvernement britannique et adoptée par autres puissances alliées, en faveur de l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif, étant bien entendu que rien ne sera fait qui pourrait porter préjudice aux droits civils et religieux des communautés non-juives en Palestine »
Puis le 29 novembre 1947, l’ONU vote la résolution 181 partageant la Palestine mandataire, permettant la création de l’état d’Israël qui devient membre officiel de l’ONU le 11 mai 1949.
Notons au passage comment la Ligue Arabe, puis l’OCI qui n’arrêtent point de crier « Israël pays voyou » au prétexte qu’Israël n’applique point les diverses résolutions de l’ONU depuis 1967, sont les premiers à enfreindre le droit international par leur refus entêté des décisions de la SDN puis de l’ONU légitimant à la fois le sionisme et Israël.

6/ Légitimer le terrorisme :

Israël pays néo-colonialiste, agent de l’impérialisme devient tout naturellement un ennemi que l’on peut combattre de façon juste, puisque combattre Israël, c’est libérer un peuple opprimé qui a droit comme tous les autres à l’autodétermination et à la souveraineté sur son sol dont il a été injustement dépouillé.

Les Palestiniens étant trop faible sont habilités à pratiquer le terrorisme « arme des pauvres opprimés » (c’est bien connu, ben voyons…Gandhi n’y avait pas pensé, tiens !) :
• Article 9 : La lutte armée est la seule voie menant à la libération de la Palestine. Il s’agit donc d’une stratégie d’ensemble et non d’une simple phase tactique. Le peuple arabe palestinien affirme sa détermination absolue et sa ferme résolution de poursuivre la lutte armée et de préparer une révolution populaire afin de libérer son pays et d’y revenir. Il affirme également son droit à avoir une vie normale en Palestine, ainsi que son droit à l’autodétermination et à la souveraineté sur ce pays.
• Article 10 : L’action des commandos constitue le centre de la guerre de libération populaire palestinienne, ce qui exige d’en élever le degré, d’en élargir l’action et de mobiliser tout le potentiel palestinien en hommes et en connaissances, en l’organisant et en l’entraînant dans la révolution palestinienne armée. Cela suppose aussi la réalisation de l’unité en vue de la lutte nationale parmi les divers groupements du peuple palestinien, ainsi qu’entre le peuple palestinien et les masses arabes afin d’assurer la continuation de la révolution, son progrès et sa victoire.

Tous ces discours incendiaires ne seront malheureusement pas pris en considération par l’opinion occidentale qui nourrissait envers les pays arabes des sentiments oscillant entre le mépris plus ou moins raciste et la condescendance bienveillante….

7 / Un discours refondant le panarabisme :

La Palestine est trop petite pour mener à bien son « juste » combat, aussi devient-il légitime de la soutenir et de combattre à ses côtés. Les articles 12 à 15 vont étroitement lier la Cause palestinienne à la Cause pan-arabe en général
l’article 13 proclame que “l’unité arabe et la libération de la Palestine sont deux objectifs complémentaires. Chacun d’eux conduit à la réalisation de l’autre. L’unité arabe mènera à la Libération de la Palestine, et la libération de la Palestine conduira à l’unité arabe. Œuvrer en faveur de l’une revient à agir pour la réalisation des deux. »
L’article 14 : « le destin de la nation arabe, et à vrai dire l’existence même des arabes, dépend du destin de la cause palestinienne. »
L’article 15 : « la libération de la Palestine est une obligation nationale pour les arabes »

Ces divers articles, par delà leur côté surprenant, car on ne voit guère le lien qui pourrait exister entre le destin de la Palestine et celui du monde arabe, préfigurent de ce qui va devenir effectivement un des fondamentaux du panarabisme, puis plus tard du panislamisme. Ce lien entre la libération du monde arabe et celui de la Palestine, ce discours ne situe-t-il pas l’ensemble du monde arabe dans une position d’opprimé ? Et donc légitime tous les conflits et refus.

8 / Un discours séduisant

La vision flamboyante d’un combat quasi cosmique, entre d’une part les forces de libération, de progrès, de justice et de paix, représentées par la Cause palestinienne, puis d’autre part les forces fanatiques et racistes de l’impérialisme mondial expansionniste et colonialiste, va servir de tremplin à toute une propagande internationale, notamment auprès des diverses opinions de gauche, d’abord dans les milieux de l’extrême gauche anti-impérialiste, puis dans les milieux tiers-mondistes sensibles aux nouvelles formes de néo-colonialisme, enfin dans une gauche traditionnelle auprès de laquelle la Cause palestinienne s’est présentée comme résistance de progrès face au colonialisme, au racisme et au fanatisme qui bien entendu sont fascistes et nazis.

Propagande qui a réussi à séparer Israël, état de nature sociale-démocrate depuis le Bund, des gauches traditionnelles de l’Europe. Propagande qui braque le regard des progressistes sur la seule condition faite par Israël aux Palestiniens, en grossissant la moindre bavure, tout en négligeant une approche globale de la condition des réfugiés palestiniens, notamment dans les pays arabes… les massacres de Palestiniens commis par des arabes tels que ceux de Bordj et Barajneh, Tal el Zaatar, Dbayé, Tripoli, La Quarantaine, et récemment Nar El Bared ne mobili