Sacre du Printemps/110e: Quel grand retour de la sauvagerie russe ? (Looking back, as Moscow’s new Führer ressurects long-forgotten barbarity, at Stravinsky’s primal and sacrificial images of pagan Russia that, on the eve of WWI, took Paris by storm and caused, complete with a riot in the end, one of the greatest scandals in the history of Western music)

29 mai, 2023

Ígor Stravinski y el escándalo que revolucionó la música del siglo XXA Reconstruction Of 'The Rite Of Spring' As The Infamous Ballet Turns 100 | WBUR News
Le massacre du printemps
A 2002 version of The Rite Of Spring by Ballet Preljocaj

Le Sacre du printemps (Louis Barreau, 2022)

Nicholas Roerich. The Rite Of Spring. Sketch for the ballet "Spring sacred" by I. Stravinsky

Il savait que cette foule en joie ignorait, et qu’on peut lire dans les livres, que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu’il peut rester pendant des dizaines d’années endormi dans les meubles et le linge, qu’il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses, et que, peut-être, le jour viendrait où, pour le malheur et l’enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse. Albert Camus (La Peste)
Il faut se rappeler que les chefs militaires allemands jouaient un jeu désespéré. Néanmoins, ce fut avec un sentiment d’effroi qu’ils tournèrent contre la Russie la plus affreuse de toutes les armes. Ils firent transporter Lénine, de Suisse en Russie, comme un bacille de la peste, dans un wagon plombé. Winston Churchill
Ca a commencé en septembre l’an passé, puis c’est monté crescendo. Au fur et à mesure de l’année, ça a commencé à s’aggraver (…) Au mois de février, en rangeant sa chambre, j’ai trouvé une lettre de suicide sous son matelas. On a avisé l’académie, le proviseur et la police… Sans suite. On a rencontré le proviseur une seule fois, et il nous a juste conseillé de lui supprimer son téléphone. Beau-père de Lindsay
La même force culturelle et spirituelle qui a joué un rôle si décisif dans la disparition du sacrifice humain est aujourd’hui en train de provoquer la disparition des rituels de sacrifice humain qui l’ont jadis remplacé. Tout cela semble être une bonne nouvelle, mais à condition que ceux qui comptaient sur ces ressources rituelles soient en mesure de les remplacer par des ressources religieuses durables d’un autre genre. Priver une société des ressources sacrificielles rudimentaires dont elle dépend sans lui proposer d’alternatives, c’est la plonger dans une crise qui la conduira presque certainement à la violence. Gil Bailie
Les médias sociaux ont porté « l’universalisation de la médiation interne » à un nouveau niveau, tout en réduisant considérablement les « domaines de la vie qui séparaient les gens les uns des autres ». Les médias sociaux sont le miasme du désir mimétique. Si vous publiez des photos de vos vacances d’été en Grèce, vous pouvez vous attendre à ce que vos « amis » publient des photos d’une autre destination attrayante. Les photos de votre dîner seront égalées ou surpassées par les leurs. Si vous m’assurez, par le biais des médias sociaux, que vous aimez votre vie, je trouverai un moyen de dire à quel point j’aime la mienne. Lorsque je publie mes plaisirs, mes activités et mes nouvelles familiales sur une page Facebook, je cherche à susciter le désir de mes médiateurs. En ce sens, les médias sociaux fournissent une plate-forme hyperbolique pour la circulation imprudente du désir axé sur le médiateur. Alors qu’il se cache dans tous les aspects de la vie quotidienne, Facebook s’insinue précisément dans les domaines de la vie qui sépareraient les gens. Très certainement, l’énorme potentiel commercial de Facebook n’a pas échappé à Peter Thiel, l’investisseur en capital-risque et l’un de ses étudiants à Stanford à la fin des années 80 et au début des années 90. Girardien dévoué qui a fondé et financé un institut appelé Imitatio, dont le but est de « poursuivre la recherche et l’application de la théorie mimétique dans les sciences sociales et les domaines critiques du comportement humain », Thiel a été le premier investisseur extérieur de Facebook, vendant la plupart de ses actions. en 2012 pour plus d’un milliard de dollars (elles lui avaient coûté 500 000 dollars en 2004). Seul un girardien très intelligent, bien initié à la théorie mimétique, pouvait comprendre aussi tôt que Facebook était sur le point d’ouvrir un théâtre mondial de désir mimétique sur les ordinateurs personnels de ses utilisateurs. Robert Pogue Harrison
J’entrevis dans mon imagination le spectacle d’un grand rite sacral païen : les vieux sages, assis en cercle, et observant la danse à la mort d’une jeune fille, qu’ils sacrifient pour leur rendre propice le dieu du printemps. Igor Stravinsky
C’est une série de cérémonies de l’ancienne Russie. Igor Stravinsky
À la fin de la « Danse sacrale », tout le public bondit sur ses pieds et ce fut une ovation. Je suis allé sur scène saluer Monteux qui, en nage, me gratifia de l’accolade la plus salée de ma vie. Les coulisses furent prises d’assaut et, hissé sur des épaules inconnues, je fus porté en triomphe jusque sur la place de la Trinité. Igor Stravinsky
Je m’abstiendrai de décrire le scandale qu’il produisit. On en a trop parlé. La complexité de ma partition avait exigé un grand nombre de répétitions que Monteux conduisit avec le soin et l’attention qui lui sont coutumiers. Quant à ce que fut l’exécution au spectacle, j’étais dans l’impossibilité d’en juger, ayant quitté la salle dès les premières mesures du prélude, qui tout de suite soulevèrent des rires et des moqueries. J’en fus révolté. Ces manifestations, d’abord isolées, devinrent bientôt générales et, provoquant d’autre part des contre-manifestations, se transformèrent très vite en un vacarme épouvantable. Pendant toute la représentation je restai dans les coulisses à côté de Nijinski. Celui-ci était debout sur une chaise, criant éperdument aux danseurs « seize, dix-sept, dix-huit » (ils avaient leur compte à eux pour battre la mesure). Naturellement, les pauvres danseurs n’entendaient rien à cause du tumulte dans la salle et de leur propre trépignement. Je devais tenir Nijinsky par son vêtement, car il rageait, prêt à tout moment à bondir sur la scène pour faire un esclandre. Diaghilev, dans l’intention de faire cesser ce tapage, donnait aux électriciens l’ordre tantôt d’allumer, tantôt d’éteindre la lumière dans la salle. C’est tout ce que j’ai retenu de cette première. Chose bizarre, à la répétition générale, à laquelle assistaient, comme toujours, de nombreux artistes, musiciens, hommes de lettres et les représentants les plus cultivés de la société, tout se passa dans le calme et j’étais à dix lieues de prévoir que le spectacle pût provoquer un tel déchainement. Igor Stravinsky (Chroniques de ma vie, 1935)
C’est de la musique de sauvage avec tout le confort moderne. Claude Debussy
Tout ce qu’on a écrit sur la bataille du « Sacre du printemps » reste inférieur à la réalité. Ce fut comme si la salle avait été secouée par un tremblement de terre. Elle semblait vaciller dans le tumulte. Des hurlements, des injures, des hululements, des sifflets soutenus qui dominaient la musique, des gifles, voire des coups. Les mots semblent bénins lorsqu’on évoque une telle soirée. Le calme reparaissait un peu quand on donnait soudain la lumière dans la salle. Je m’amusais beaucoup de voir certaines loges vindicatives et tonitruantes dans l’obscurité, s’apaiser aussitôt dans la clarté. Je ne cacherai pas que notre calme rivière était devenue un torrent tumultueux. On y voyait entre autres Maurice Delage grenat d’indignation, Maurice Ravel combatif comme un coq furieux, Léon-Paul Fargue vociférant des épithètes vengeresses vers les loges sifflantes. Et je me demande comment cette œuvre si difficile pour 1913 put être jouée et dansée jusqu’au bout dans un tel vacarme… Valentine Gross (Hugo)
On veut nous montrer les danses de la Russie préhistorique ; on nous présente donc, pour faire primitif, des danses de sauvages, des caraïbes et de canaques… Soit, mais il est impossible de ne pas rire. Imaginez des gens affublés des couleurs les plus hurlantes, portant bonnets pointus et peignoirs de bains, peaux de bête ou tuniques pourpres, gesticulant comme des possédés, qui répètent cent fois de suite le même geste: ils piétinent sur place, ils piétinent, ils piétinent ils piétinent et ils piétinent… Ils se cassent en deux et se saluent. Et ils piétinent, ils piétinent, ils piétinent… une petite vieille tombe la tête par terre, et nous montre son troisième dessous… Et ils piétinent, ils piétinent, ils piétinent… Et puis ce sont des groupes qui évoluent en ordre ultra serré. Les danseuses sont les unes contre les autres, emboîtées comme des sardines, et toutes leurs charmantes têtes tombent sur l’épaule droite, toutes figées dans cette pose tortionnaire par un unanime torticolis. (…) Evidemment, tout cela peut se défendre ; c’est là de la danse préhistorique. Plus ce sera laid, difforme, plus ce sera préhistorique. (…) La musique de M. Stravinsky est déconcertante et désagréable. Sans doute s’est-elle proposé de ressembler à la chorégraphie « barbaresque ». On peut regretter que le compositeur de l’Oiseau de Feu se soit laissé aller à de telles erreurs. Certes, on retrouve dans le Sacre du Printemps une incontestable virtuosité de l’orchestration, une certaine puissance rythmique, une facile invention de fragments mélodiques ou d’échantillonnages sonores, combinés en vue d’accompagner, ou de situer, ou de caractériser les mouvements scéniques. Il y a là un musicien heureusement doué, ingénieux, subtil, capable de force et d’émotion, ainsi qu’il l’a déjà prouvé. Mais, dans le désir semble-t-il de faire primitif, préhistorique, il a travaillé à rapprocher sa musique du bruit. Pour cela, il s’est appliqué à détruire toute impression de tonalité. On aimerait à suivre, sur la partition (que je n’ai pas reçue), ce travail éminemment anti-musical. Adolphe Boschot (L’Echo de Paris, 1913)
J’étais placé au-dessous d’une loge remplie d’élégantes et charmantes personnes de qui les remarques plaisantes, les joyeux caquetages, les traits d’esprit lancés à voix haute et pointue, enfin les rires aigus et convulsifs formaient un tapage comparable à celui dont on est assourdi quand on entre dans une oisellerie. (…) Mais j’avais à ma gauche un groupe d’esthètes dans l’âme desquels Le Sacre du printemps suscitait un enthousiasme frénétique, une sorte de délire jaculatoire et qui ripostaient incessamment aux occupants de la loge par des interjections admiratives, par des « bravos» furibonds et par le feu roulant de leurs battements de mains ; l’un d’eux, pourvu d’une voix pareille à celle d’un cheval, hennissait de temps en temps, sans d’ailleurs s’adresser à personne, un « À la po-o-orte ! » dont les vibrations déchirantes se prolongeaient par toute la salle. Pierre Laloy (Le Temps, le 3 juin 1913)
Si M. Igor Stravinski ne nous avait pas donné un chef d’œuvre, L’oiseau de Feu, et cette œuvre pittoresque et charmante, Petrouchka, je me résignerais à être déconcerté sur ce que je viens d’entendre. Je me bornerai à constater un orchestre où tout est singulier, étrange, et ingénié, multiplié pour confondre l’ouïe et la raison. Que cet orchestre soit extraordinaire, rien n’est plus certain; je crains même qu’il ne soit que cela. Pas une fois, le quatuor ne s’y laisse entendre ; seule y dominent les instruments aux sons violents et bizarres. Et encore M. Stravinsky a-t-il pris soin, le plus souvent, de les dénaturer dans la sonorité qui leur est propre. Aussi nulle trêve, qui ne serait que simplicité, n’est-elle accordée à la stupeur de l’auditeur. (…) Je n’en ai eu que stupeur ; je vais admettre que voici l’avènement d’une nouvelle musique à l’audience de laquelle ma sensibilité et mon goût ne sont pas encore préparés. Il n’est peut-être qu’ordre, harmonie et clarté, ce sacre du Printemps, où je n’ai guère discerné que de l’incohérence, des dissonances, de la lourdeur et de l’obscurité. (…) La chorégraphie de M. Nijinski se résume, ici, à une stylisation laborieuse des liesses très lourdes, des frénésies très gauches et des extases très mornes des tous premiers Russes. Nulle beauté, nulle grâce en tout cela : mais il est probable que M. Nijinski n’en a pas eu cure ; il en est justifié par ce qu’il eut dessein de nous évoquer. Et voilà un fort mélancolique spectacle. Georges Pisch (Gil Blas, le 30 mai 1913)
Toute réflexion faite, le Sacre est encore une « œuvre fauve », une œuvre fauve organisée. Gauguin et Matisse s’inclinent devant lui. Mais si le retard de la musique sur la peinture empêchait nécessairement le Sacre d’être en coïncidence avec d’autres inquiétudes, il n’en apportait pas moins, une dynamite indispensable. De plus, n’oublions pas que la collaboration tenace de Stravinsky avec l’entreprise Diaghilev, et les soins qu’il prodigue à sa femme, en Suisse, le tenaient écarté du centre. Son audace était donc toute gratuite. Enfin, telle quelle, l’œuvre était et reste un chef-d’œuvre ; symphonie empreinte d’une tristesse sauvage, de terre en gésine, bruits de ferme et de camp, petites mélodies qui arrivent du fond des siècles, halètement de bétail, secousses profondes, géorgiques de préhistoire. Jean Cocteau (Le Coq et l’Arlequin, 1918)
Il y a quelque chose qui circule du début à la fin qui fait que cette musique draine comme une lame de fond. L’idée est une sorte de désir, de rituel sacrificiel bien sûr, qui serait là pour réactiver la fécondité de la tribu. Je trouve, cette musique le dit très bien, cela. Cette espèce de pulsion à la fois effrayante et irrésistible, qui est finalement la sexualité. Alors j’ai essayé d’évoquer le désir féminin à travers cela. Et l’idée est que cette femme qui est choisie comme étant l’élue et donc le bouc émissaire, dans ma vision, elle passe du statut de victime au statut d’héroïne. Finalement, elle va au-delà de ce qu’on lui demande. Par cette force-là, cette détermination, elle réussit à vaincre les idées préconçues de la tribu. C’est l’œuvre qui ouvre la musique du 20e siècle. C’est un peu comme on dit que le 11-Septembre a ouvert le 21e siècle, le Sacre du Printemps a ouvert le 20e siècle en termes de musique. Angelin Preljocaj (Ballet Preljocaj, Pavillon Noir, Aix-en-Provence)
1913, c’était une période de l’histoire très curieuse dans le monde de l’art et dans l’histoire de l’Europe et de la France. Toutes ces dissonances musicales, toute cette énergie de Nijinsky – beaucoup disent que c’est là que sa folie a commencé à l’envahir – tous ces excès, tout est excessif dans le Sacre du Printemps, et quand on l’entend et qu’on le réentend, tout est magnifiquement orchestré. Et en même temps, quand on pense aux œuvres musicales et chorégraphiques qui étaient appréciées à cette période-là, on n’était pas du tout prêt pour beaucoup à entendre et à voir cela. En même temps, ce qui est très important dans des œuvres qui bouleversent, c’est qu’on sait, à partir de là, on ne pourra plus jamais regarder la danse ou entendre la musique de la même manière. Brigitte Lefebvre (Opéra de Paris)
La première du Sacre du printemps de Stravinsky, c’était le 29 mai 1913. Chorégraphiée par le danseur russe Vaslav Nijinsky, la pièce avait créé un scandale au Théâtre des Champs-Élysées à Paris. (…) Le public rit, chahute, le vacarme est tel que les danseurs n’entendent plus l’orchestre et que Nijinsky doit compter dans les coulisses pour que le ballet se poursuive. Aujourd’hui considérée comme un monument de la musique classique et du ballet, cette œuvre a été si mal reçue, parce qu’elle était complètement révolutionnaire. Il y a la musique de Stravinski où le rythme est le principal élément. Le compositeur imagine un grand rite sacral païen où des vieux sages, assis en cercle, observent la danse à la mort d’une jeune fille sacrifiée au Dieu du printemps. Et il y a aussi le ballet de Nijinsky qui renversait tous les codes de la danse classique. Fi des pointes et du célèbre en-dehors des pieds. Le chorégraphe russe avant-gardiste et inspiré présente des ballerines aux chaussons tournés vers l’intérieur, les genoux pliés. La danse moderne s’impose en pleine tradition du ballet russe. Mais le public n’est pas prêt. Et pour les puristes le choc esthétique est tel et la réaction des spectateurs tellement forte que la pièce doit s’interrompre tant le vacarme est importante dans la salle. Elle ne se poursuivra qu’après l’intervention de la police. (…) Depuis la chorégraphie de Nijinsky qui a créé le scandale, de nombreux chorégraphes se sont frottés au Sacre du Printemps. C’est devenu un passage obligé, la marque de la consécration. Parmi les grands noms de la danse qui ont signé un Sacre, il y a d’abord Maurice Béjart qui a marqué les esprits avec une chorégraphie d’une énergie et d’une grande modernité à l’époque, même si aujourd’hui cette version paraît un peu datée. Il y a le Sacre de Pina Bausch, un monument de la danse contemporaine où les interprètes vêtues de robes couleurs de sable dansent dans la terre, s’en imprègnent jusqu’à l’épuisement le corps battant au rythme infernal de la musique de Stravinski. Et puis d’autres Sacre encore, celui de Jean-Claude Gallota, Martha Graham, Paul Taylor, Mats Ek et Angelin Preljocaj. Muriel Maalouf
Il recèle une force ancienne, c’est comme s’il était rempli de la puissance de la Terre. Sasha Waltz
Je dois admettre que lorsque nous arrivons au moment qui précède la dernière danse… ma pression sanguine augmente. Je ressens une sorte de poussée d’adrénaline. Le miracle de cette pièce, c’est son éternelle jeunesse. Elle est si fraîche qu’elle est toujours aussi géniale. Esa-Pekka Salonen (Philharmonia Orchestra in London)
Même au point culminant, lorsque le groupe arrache ses vêtements à l’une des femmes et lui fait danser une sorte d’orgasme sacrificiel, le mouvement ne retient pas entièrement notre attention. C’est la frénésie contrôlée de Stravinsky qui domine la scène… Judith Mackrell
C’est, semble-t-il, la laideur volontaire et la grossièreté de l’évocation par Nijinski de la préhistoire russe qui ont réellement choqué le public. (…) Le paradoxe du primitivisme dans le Sacre est qu’il peut être entendu à la fois comme une vision horrifiante de l’impitoyabilité de la nature et comme une expression de l’inhumanité de l’ère de la machine. Le destin de « l’élue » dans la Danse sacrificielle est particulièrement effrayant. Elle est prise dans un tourbillon rythmique imparable dont elle ne peut s’échapper que par la terrible dissonance qui clôt la pièce et l’accord unique qui la tue. Cette musique parvient à sonner à la fois comme mécaniste et élémentaire, ce qui rend le Sacre aussi radical en 2013 qu’il l’était il y a 100 ans. Pourtant, malgré toute sa modernité, malgré l’insistance de Stravinsky à dire que tout est venu de « ce que j’ai entendu » (et malgré le fait que Puccini l’appellera plus tard « l’œuvre d’un fou »), le Sacre est enraciné dans les traditions musicales. Comme Bela Bartók en avait eu l’intuition, et comme l’a montré le musicologue Richard Taruskin, de nombreuses mélodies du Sacre proviennent d’airs folkloriques – y compris le solo de basson d’ouverture, qui est en fait une chanson de mariage lituanienne. Les chercheurs ont identifié plus d’une douzaine de références folkloriques à ce jour, mais il existe une tradition encore plus importante derrière le Sacre. L’œuvre est l’apothéose d’une façon de concevoir la musique qui a vu le jour dans les années 1830 avec Mikhaïl Glinka, le premier grand compositeur russe, et qui a inspiré Stravinsky, dont il aimait la musique. Le mouvement du Sacre, avec ses blocs de musique juxtaposés et superposés comme une mosaïque, est préfiguré non seulement par les précédents ballets de Stravinsky pour Diaghilev (L’Oiseau de feu et Petrouchka), mais aussi par la musique de son professeur Rimski-Korsakov et même par celle de Tchaïkovski. Ces « nouveaux » sons avec toutes ces dissonances en forme de poignard ? Si vous les regardez de près, vous constaterez qu’il s’agit de versions d’accords communs empilés les uns sur les autres ou construits à partir des gammes et des harmonies que Rimski-Korsakov, Moussorgski et Debussy avaient déjà découvertes. Et tous ces rythmes saccadés ? Ils sont dérivés, quoique de loin, de la manière dont fonctionnent certains de ces airs folkloriques. Il n’y a donc rien de si vieux qu’une révolution musicale. Mais même s’il est vrai que Stravinsky a pillé des traditions anciennes et modernes pour créer le Sacre, il y a quelque chose qui, finalement, ne peut pas être expliqué, quelque chose que vous devriez ressentir dans vos tripes lorsque vous faites l’expérience de l’œuvre. Un siècle plus tard, ce qui est vraiment choquant dans Le Sacre est toujours là, à son apogée. Une bonne représentation vous pulvérisera simplement. Mais une grande représentation vous fera sentir que c’est vous – que c’est nous tous – qui sommes sacrifiés par la musique envoûtante et sauvagement cruelle de Stravinsky. Tom Service
Sifflets, hurlements, interruptions : le vacarme que suscita l’œuvre scandaleuse résonne dans toute l’histoire… Heurtant le bon goût dressé sur les barricades de l’académisme, la musique de Stravinsky autant que la chorégraphie de Nijinski ont renversé en effet toutes les lignes esthétiques de l’époque par la liberté sauvage de leur composition… avant de devenir des classiques ! Inspiré du folklore russe, le Sacre met en scène de jeunes gens, une vieille voyante et un sage qui célèbrent l’arrivée du printemps par des danses et des jeux , jusqu’à la désignation d’une Elue parmi les vierges, destinée au sacrifice. Innombrables sont les artistes qui ont depuis défié cette partition, l’une des plus puissantes de la modernité, reconstituée dans sa version originale en 1987 par deux archéologues chercheurs de la danse, Milicent Hodson et Kenneth Archer. En 1975, Pina Bausch livre sa vision, magistrale, qui exalte la force tellurique des rites anciens par un chœur tournoyant, piétinant la terre matricielle autour de l’élue. Les syncopes, le feu percussif et les notes stridentes de violon emportent les corps dans un sabbat initiatique et sensuel jusqu’à la délivrance. Aujourd’hui Sasha Waltz crée son interprétation avec le Ballet du Théâtre Mariinsky, tandis qu’Akram Khan explore la musique de Stravinsky, son impact fulgurant, sa rudesse et ses aspérités révolutionnaires. Réunies au Théâtre des Champs-Elysées, ces quatre versions témoignent de l’inépuisable richesse du Sacre. Gwénola David
Impossible de faire l’impasse sur l’un des plus célèbres scandales de l’histoire de la musique : Le Sacre du Printemps crée en 1913 au Théâtre des Champs-Elysées reste assurément le choc musical du siècle.(…) Qu’est ce qui a le plus choqué les spectateurs le soir de la première du Sacre du Printemps : la musique ou la danse ? A moins que ce ne soit l’attitude des spectateurs les plus virulents présents dans la salle et la cacophonie devenue légendaire qui y régnait ? (…) Nous sommes à l’aube de la première guerre mondiale, deux mois après l’inauguration du Théâtre des Champs-Elysées. La salle est tournée vers la musique française : celle de Debussy ou encore de Dukas. La saison musicale est conçue par Gabriel Astruc, qu’il souhaite moderne et audacieuse. C’est donc naturellement qu’il fait appel aux célèbres Ballets russes de Diaghilev, compagnie qui crée à chaque fois l’événement lors de sa venue dans la capitale. Pour ce nouveau spectacle, Diaghilev propose à Vaslav Nijinski de s’atteler à la chorégraphie, tout en confiant la musique au jeune compositeur russe Igor Stravinsky. Le jour de la première, on peut apercevoir dans la salle, Picasso, Paul Claudel, Debussy, Florent Schmitt, Ravel, Cocteau, Poulenc et tant d’autres… Le Tout-Paris est présent ! (…) Alors qu’à peine les premières notes commencent à résonner, quelques murmures se font entendre dans la salle… Rapidement, un certain désordre gagne une grande partie du théâtre, avant de laisser échapper des sifflets et des huées. La musique n’est quasiment plus dicible et est recouverte d’invectives en tout genre : « C’est la première fois en soixante ans qu’on ose se moquer de moi ! » entend-on. Les spectateurs se déplacent dans la pénombre, s’alpaguant pour tantôt défendre tantôt railler ce qui se passe sur scène et en fosse : dans une loge, une dame en vient même à gifler son voisin qui venait de siffler. Des policiers ne tardent pas à arriver pour tenter d’atténuer ce pugilat. Durant tout ce temps, le spectacle subsiste tant bien que mal : les musiciens continuent de faire vivre la rythmique enivrante de la partition de Stravinsky pendant que les danseurs poursuivent leur rite païen dans une frénésie animale qui se clôturera par le sacrifice de l’élue. Pour Stravinsky, c’est la désolation la plus totale. Pourtant Gabriel Astruc avait bien tenté de calmer les esprits en interpellant le public à plusieurs reprises : »Ecoutez d’abord, vous sifflerez après », mais pour le compositeur, l’originalité de sa partition n’a pas eu l’écho mérité, rejetant la faute à Nijinski et à sa chorégraphie… Il aura fallu attendre l’année suivante, pour que Stravinsky assiste au succès de la version de concert de ce Sacre, réhabilitant ainsi tout le génie de sa musique. Jérémie Rousseau
Imaginé initialement par Stravinsky, l’idée de mettre en scène la Russie préhistorique à travers un rite ancestral a séduit Diaghilev. La rédaction de l’argument a été confiée à Stravinsky et Roerich, qui se trouvait être aussi un spécialiste des rites slaves anciens. Cet argument, fondé sur la renaissance du printemps et la nécessité de sacrifier une jeune fille désignée par les Dieux, contribua à générer chez le public une réaction emportée. (…) Dans ses Chroniques, Stravinsky a explicité l’objet de ce prélude, où tout l’orchestre permet de recréer l’apparition du Printemps. On peut y percevoir un ensemble de courtes mélodies, isolées et indépendantes, qui apparaissent progressivement et se superposent, combinées à des éléments rythmiques, tel le réveil ancestral et le bourgeonnement de la Nature. Uneprolifération d’idées qui s’étagent et s’opposent ; le discours musical semble hétéroclite, décousu et désorganisé. Les éléments entendus se juxtaposent, se chevauchent tel un collage; certaines mélodies sont interrompues avant de réapparaître et la partition peut s’apparenter à une improvisation notée. De plus, Stravinsky use d’un langage plus archaïque, fondé sur des échelles défectives, comme un matériau originel. Les échelles musicales s’apparent aux gammes ; les gammes majeure et mineure, employées à partir de la fin du XVIIe siècle jusqu’à alors dans la musique occidentale savante, comportaient sept sons. Les échelles défectives employées par Stravinsky sont davantage tétraphoniques ou hexaphoniques. Il s’inspire des langages musicaux beaucoup plus anciens, langages que l’on retrouvait aussi dans les musiques traditionnelles et folkloriques. Le compositeur aimait en effet emprunter des thèmes populaires russes ; ainsi, la mélodie initiale jouée par le basson dans l’aigu, découle d’une chanson lituanienne. Le plus souvent cependant, Stravinsky n’imite pas mais propose une recréation de mélodies folkloriques. Là encore, ces échelles défectives sont superposées et cette surimpression peut créer des dissonances, des effets simultanés majeur/mineur et de la polymodalité. Ce passage [des Augures printaniers], l’un des plus surprenants et agressifs pour le public, repose sur une pulsation marquée sur une mesure à deux temps, un ostinato qui évoque un aspect motoriste, mais perturbé par des accentuations sonores inattendues qui déstabilisent cette organisation rythmique. Les accentuations sont placées sur des temps faibles et positionnées à des moments différents pour créer cette instabilité. Le choc musical est aussi harmonique et repose sur l’usage d’un accord nommé par Stravinsky », massif et dissonant, qui sera répété en ostinato, contribuant par cette répétition inlassable à constituer une musique incantatoire. Cet agrégat-accord, dont la nature a alimenté de nombreux débats analytiques, peut être entendu comme la superposition de deux accords consonants qui ensemble forment une masse discordante et perçue comme cacophonique, assénée dans une nuance fortissimo. Certains perçoivent cet accord comme un bloc sonore de timbres. On peut l’interpréter comme un procédé de surimpression tel un décalage de type cubiste musicalisé. La danse sacrale clôt le ballet ; le rite du sacrifice y est accompli. Construit à partir d’une forme rondo (alternance d’un refrain et de couplets différents), cette danse sacrale permet de retrouver l’ensemble des signatures musicales du ballet : la continuité-discontinuité du discours, la clarté formelle à grande échelle mais cependant noyée par la multiplicité des éléments sonores, la perturbation entre une pulsation marquée et un jeu d’accents décalés, renforcé par des changements de mesure et des cellules rythmiques asymétriques et apériodiques doublée de leurs superpositions créant de la polyrythmie, le chevauchement d’éléments hétéroclites et les innovations harmoniques (retour de « l’accord-toltchok). Dans le prélude du ballet, Stravinsky confie le premier thème au basson mais dans l’aigu, de sorte que l’instrument est à peine reconnaissable. Ce détournement de l’usage traditionnel du basson caractérise l’attitude du compositeur qui s’emploie à proposer des couleurs et des alliages davantage insolites. Si ce chatoiement orchestral n’a pas provoqué en lui-même de réactions vives et houleuses, il a contribué à façonner l’identité musicale du Sacre du printemps. La montée en puissance de la tension qui accompagne la danse de l’Élue est réalisée par l’ajout progressif des vents, des cuivres et des percussions dans un crescendo orchestral rugissant. La Belle au bois dormant (…) est un exemple emblématique du ballet romantique, avec une réelle intrigue, des péripéties, qui reposent sur un ensemble de pas, d’attitudes et de sauts qui caractérisent la danse classique, légère et aérienne. (…) Par opposition, la chorégraphie de Nijinsky abandonne ces caractéristiques ou les revisite il ne s’agit pas pour autant d’une volonté de rupture. Nijinsky a réalisé la chorégraphie après avoir pris connaissance de la musique, des décors et des costumes. Il propose de transposer les motifs géométriques des costumes en privilégiant le cercle mais aussi les ovales et des croisements de ligne. Le cercle y est valorisé car il a une signification symbolique, celle du cycle de la vie et de la Nature. Le vocabulaire de la danse classique est questionné ; Nijinsky a débuté par le solo de l’Élue à partir duquel l’ensemble de la chorégraphie a été élaborée. L’attitude des corps est en repli, courbée dans une attitude craintive, avec les pieds en dedans. Les sauts sont lourds et massifs ; on ne recherche pas la légèreté mais au contraire le trépignement et le piétinement qui s’ancre dans la Terre. Plusieurs danseurs se positionnent aussi de côté comme dans le Prélude à l’après midi d’un faune (première chorégraphie de Nijinsky signée en 1912), avec la tête penchée sur le côté. Les gestes sont saccadés et anguleux. Par ailleurs, les solos ou duos y sont rares et Nijinsky opte davantage pour des blocs et des masses. On observe aussi des moments d’exaltation où les corps sont pris de tremblements et de convulsions. Aucune expression ne transparaît sur les visages car tout passe par le corps. Ainsi, en inversant et en détournant le vocabulaire chorégraphique classique, Nijinsky a provoqué une réaction très vive de la part des spectateurs qui ont été totalement déroutés. (…) La musique du Sacre du printemps stimule d’autres chorégraphes et aujourd’hui, on compte plus d’une centaine de chorégraphies et spectacles réalisés à partir de la partition de Stravinsky. Dès 1920, Diaghilev demande à Léonide Massine de proposer une nouvelle version chorégraphique sur la musique du maître russe. Cette émulation prend un essor spécifique avec la relecture de Maurice Béjart. Donnée au Théâtre de la Monnaie à Bruxelles en 1959, sa version chorégraphique détourne l’argument pour en faire un rituel amoureux qui s’achève sur le coït des couples réunis (…) Dirigée par Pierre Boulez, [la] version de Bartabas [2000] renoue avec l’argument du Sacre du printemps en proposant un spectacle qui se rapporte aux racines primitives de l’humanité. Cependant, il inverse l’argument en présentant le sacrifice d’un jeune homme. La renaissance du printemps est incarnée par l’apparition de jeunes hommes qui rampent dans l’obscurité jusqu’au centre de la piste et commencent à exécuter divers mouvements séparément dans une polyrythmie du corps. À partir des « Augures printaniers » entrent en scène des cavaliers et des amazones avec lesquels les danseurs vont s’opposer, s’observer, s’évaluer, se pourchasser et se mesurer. La chorégraphie mélange danse équestre et Kalarippayat, un art martial du sud de l’Inde très ancien, que l’on date du Ve siècle, et dont les mouvements évoquent une danse rituelle. Les danseurs empruntent tantôt des postures proches du sol, y rampent, pour marquer leur ancrage dans la Terre ; tantôt ils exécutent des mouvements et des sauts qui les élèvent vers le ciel. Les jeux de lumière contribuent à renforcer la sacralité qui émane du ballet. La couleur ocre et feu y domine dans un éclairage en clair-obscur, complété par le bronze des corps demi-nus des danseurs et contrepointé par les robes des chevaux, blancs, noirs, crème et isabelle. La piste est recouverte de terre. L’espace scénique est marqué par un double cercle, en hommage à Nijinsky.Le metteur en scène Romeo Castelluci [2014] questionne les notions de sacrifice et de rituel à notre époque où ces mots semblent oubliés ou s’incarner dans l’industrie et la chimie. Les spectateurs découvrent ainsi sur scène des machines suspendues, accrochées au plafond, qui déversent de la poussière dans un ballet rythmé par la musique de Stravinsky. Cette danse de la poussière épouse chaque élan rythmique, chaque accent, et plonge le spectateur, par les jeux de lumière bleutée, dans une atmosphère irréelle, à la fois onirique et inquiétante. Les danseurs y sont absents ou, plus exactement selon le metteur en scène, « atomisés dans l’air ». Les particules poudreuses qui s’éparpillent sous les projecteurs sont constituées de poussière d’os d’animaux, utilisée comme fertilisant actuellement pour les cultures. Les références à la mort, au sacrifice, à la nécessité de nourrir la Terre sont ici revisitées de manière symbolique. C’est une vision synthétique où la danse renvoie autant à la vie qu’à une mort céleste. Eduscol
[Le]  scandale (…) qui accompagna la création du Sacre du printemps fut si considérable que sur la scène, les quarante-six danseurs n’entendaient plus le grand orchestre symphonique de cent vingt musiciens. Vaslav Nijinski, debout sur une chaise dans la coulisse, devait leur hurler les mesures. «Étonne-moi», avait dit Serge de Diaghilev à Jean Cocteau, pour résumer sa ligne artistique. Ce 29 mai 1913, le mentor des Ballets russes s’avouait un peu dépassé par sa propre formule. Igor Stravinsky est à l’origine du Sacre du printemps. Dans la Russie qui s’ouvre alors vertigineusement vers l’Occident, il se veut, comme d’autres artistes, attentif aux racines slaves. (…) Avec le peintre et ethnographe Nicolas Roerich, qui signe les costumes et les décors, ils ébauchent un livret. Serge de Diaghilev confie la chorégraphie de ces tableaux de la Russie païenne à Nijinski. Le dieu de la danse est fatigué des grands sauts qui font pâmer le Tout-Paris. Il cherche d’autres révolutions. Stravinsky aussi, qui devine qu’elles pourraient ne pas faire l’unanimité: «Je crains que Le Sacre du printemps, où je ne fais plus appel à l’esprit des contes de fées ni à la douleur et à la joie tout humaines, mais où je m’efforce vers une abstraction un peu plus vaste, ne déroute», écrit-il, sans museler pour autant son inspiration. «Combien de temps ça va durer?», demande Diaghilev quand Stravinsky lui joue pour la première fois au piano «La danse des adolescentes». «Le temps qu’il faudra», répond le ­compositeur. Nijinski ne cherche pas davantage à plaire. Les trois complices sont immergés dans leur souci de ­donner à voir et à entendre, selon le mot de Stravinsky, «la montée totale, panique, de la sève universelle» dans la Russie primitive. Nicolas Roerich ­habille les danseurs de longues ­tuniques. En cent vingt laborieuses ­répétitions, Nijinski leur commande de marteler le sol pieds en dedans et poings sur les joues. «La chorégraphie était incomparable ; à l’exception de quelques endroits, tout était comme je le voulais», écrit en 1913 Stravinsky, qui s’en dédiera plus tard. «Un docteur!», non «Un dentiste», «Deux dentistes», hurle-t-on dans la salle le soir de la création de ce qu’on surnomme déjà «Le Massacre du printemps». (…) En vain, Diaghilev commande-t-il aux machinistes d’éteindre et de rallumer la lumière du théâtre pour calmer le public. Ravel, qui défend l’œuvre se fait traiter de sale Juif. Debussy, qui a cru perdre l’ouïe pendant les trente-trois minutes du spectacle, résume: «C’est de la musique de sauvage avec tout le confort moderne.» «Le travail d’un fou», assène Puccini, qui assiste à la seconde le 1er juin. Le scandale est si fracassant que son écho se propage encore: pourquoi tant de bruit? «La grande nouveauté du Sacre du printemps, c’est le renoncement à la sauce», analyse génialement Jacques Rivière, détaillant son propos sur la musique et la danse dans la Nouvelle Revue ­française, en 1913. «Voici une œuvre absolument pure. Aigre et dure, si vous voulez, mais dont aucun jus ne ternit l’éclat, dont aucune cuisine n’arrange ni ne salit les contours ; (….) tout est ici franc, intact, limpide et grossier. Le ­Sacre du printemps est le premier chef-d’œuvre que nous puissions opposer à l’impressionnisme.» Avant d’être repris quatre fois à ­Londres, Le Sacre sera donné quatre fois à Paris. Dans la salle, Valentine Gross Hugo saisit les danses au crayon. Ses dessins, ajoutés à quelques photos, ­témoignages, notations de Marie ­Rambert, qui a assisté Nijinski, serviront à Millicent Hodson et Kenneth ­Archer à le reconstituer en 1987, soixante-quatorze ans après sa création. Le Figaro
« Le Sacre du Printemps » naquit d’une idée du peintre Nicolas Roerich à qui Stravinsky avait demandé le livret d’un ballet. Passionné par l’antique patrimoine des peuples slaves, mais en amateur plus ou moins éclairé, un patrimoine que des artistes comme lui faisaient découvrir à leurs compatriotes russes sans nécessairement faire preuve de rigueur scientifique, Roerich conçut l’ouvrage comme un rite païen des anciens âges, un rituel barbare célébrant le retour du printemps en sacrifiant une vierge, l’Elue, aux forces de la Nature. Le thème était brutal, même si rien de ce que l’on savait des anciens Slaves ne parlait de tels sacrifices humains. Envoûté, Stravinsky composa une musique d’une puissance tellurique qui aujourd’hui encore révolutionne les sens. Et Nijinski s’engouffrera dans le projet avec toute la sauvagerie de son génie, persuadé de la nécessité d’inventer des formes nouvelles. (…) Au Théâtre des Champs-Elysées, la Saison russe confiée à Diaghilev dure du 15 mai au 21 juin avec opéras et ballets en alternance (…) la création du « Sacre » est (…) prévue pour le 29. La générale s’est déroulée sans heurts, mais Diaghilev qui a flairé ce qui pouvait advenir dès que Stravinsky lui joua « le Sacre » au piano, l’été précédent, à Venise, installe au promenoir tout un bataillon d’inconditionnels. Il y a là Maurice Ravel, premier admirateur de Stravinsky, Florent Schmitt, Maurice Delage, Jean Cocteau, Léon-Paul Fargue et Valentine Gross, future Valentine Hugo. Pour la première qui voit accourir le Tout Paris, celui du Faubourg Saint-Germain, du côté des Guermantes, comme celui des Verdurin, un Tout Paris étincelant de pierreries et de décorations, ce promenoir courant entre les loges de la corbeille et les premières loges est donc investi par des modernes prêts à en découdre. Mais alors que pour les batailles d’ »Hernani » ou de « Tannhäuser », les belligérants étaient nettement séparés, ils sont ici au coude à coude. Un plan de guerre qui annonce l’inévitable pugilat. (…) Le public élégant se déchaîne dès les premières mesures du « Sacre ». Ou plus précisément dès que les danseurs arrivent sur scène dans des attitudes voulues primitives qui font un effet désastreux. Le vacarme est tel que sur le plateau ceux-ci n’entendent plus l’orchestre dirigé par Pierre Monteux, héroïque dans la tempête, et que Nijinski, blême, juché sur une chaise, doit leur hurler des indications depuis la coulisse. Quand les danseuses apparaissent, genoux pliés, pieds en dedans, un crétin en habit lance : »Un docteur ! » et un autre : « Un dentiste ! » alors que les jeunes femmes soutiennent du poing droit leur visage incliné de côté, selon une figure des danses russes traditionnelles dont s’est inspiré le chorégraphe. Coups, gifles, invectives fusent de toutes parts. « Taisez-vous, les garces du XVIe », hurle Florent Schmitt aux hystériques des loges alors que Ravel se fait traiter de « sale juif » par des messieurs à monocle, toujours la formule élégante à la bouche. (…) Un an plus tard, « le Sacre du Printemps » est joué en concert au Casino de Paris dans un tel climat d’exaltation que le public portera Stravinsky en triomphe jusqu’à la place de la Trinité. Mais après avoir été exécutée quatre fois à Paris et autant à Londres en juillet, la chorégraphie de Nijinski, elle, est abandonnée. Borné, Stravinsky lui attribue l’échec du « Sacre », sans réaliser l’extraordinaire accord entre danse et partition, l’une et l’autre révolutionnaires. (…) Diaghilev commandera une autre version du « Sacre » à Léonide Massine qui a succédé à Vaslav dans le lit du maître et au poste de chorégraphe. Mais il n’a pas le génie de son prédécesseur, même si sa talentueuse version, dansée elle aussi aux Champs-Elysées en 1920, annonce le style que plus tard développera Maurice Béjart. La version de Massine sera la deuxième des quelque 250 chorégraphies écrites à ce jour sur « le Sacre du printemps ». Dont deux sont des chefs d’œuvre. Celle de Maurice Béjart, créée à Bruxelles en 1960 par le futur Ballet du XXe Siècle, et reprise dans ce même Théâtre des Champs Elysées en 1971 et en 1980 par le Ballet de l’Opéra de Paris. Et celle de Pina Bausch, datant de 1975, que le Tanztheater de Wuppertal vient interpréter en juin pour la saison du centenaire. Perdue, mais demeurée dans les mémoires, la chorégraphie de Nijinski était devenue un mythe. Ayant longuement travaillé avec Marie Rambert, étudié dessins, documents de toutes sortes dont les notes rédigées par Nijinski et Roerich ou celles des danseurs, guidés encore par leur instinct de savants passionnés, deux Anglo-saxons, Milicent Hodson et Kenneth Archer, parviennent miraculeusement à reconstituer la chorégraphie originale en 1987 pour les Américains du Joffrey Ballet. Personne n’en savait plus rien et moins encore les Pourtalès d’aujourd’hui. C’est une révélation. Avec la chorégraphie ressuscitée, réapparaît tout le génie sauvage, immodéré de Nijinski, ses outrances aussi, et son œuvre est aussi bouleversante aujourd’hui qu’elle le fut en 1913, pour ceux capables de la comprendre. Presque tous les danseurs des Ballets Russes avaient appartenu au Théâtre impérial Marie, à Saint-Pétersbourg, le Mariinsky. Ce sont leurs lointains successeurs qui viennent aujourd’hui danser « le Sacre du printemps » au Théâtre des Champs-Elysées dans sa chorégraphie originale. Le 29 mai 2013, cent ans, jour pour jour, après le légendaire scandale qui salua la naissance de l’art du XXe siècle. Raphaël de Gubernatis
Un an avant que la Grande Guerre de 14-18 n’embrase l’Europe entière, la musique ouvre violemment les hostilités. Le 29 mai 1913, les Ballets russes de Serge de Diaghilev lâchent sur Paris un obus orchestral de première puissance : Le Sacre du printemps, d’Igor Stravinsky. Chorégraphié par Nijinski, danseur vedette de la troupe, ce ballet transforme en champ de bataille le Théâtre des Champs-Elysées, inauguré un mois plus tôt avenue Montaigne. Chargée d’un reportage dessiné sur le spectacle et sa préparation, Valentine Hugo se souvenait : « Ce fut comme si la salle avait été secouée par un tremblement de terre, elle semblait vaciller dans le tumulte. » Mais le théâtre bâti par les frères Perret, premier édifice parisien à être construit en béton armé, repose sur des fondations solides. (…) Quant à la composition de Stravinsky, le scandale de sa création marque un tournant historique, l’avènement d’une nouvelle ère musicale, balayant l’académisme et le ronron ambiants. Le mot mi-admiratif, mi-narquois de Debussy a fait fortune : « De la musique de sauvage avec tout le confort moderne. » Musique de sauvage comme, à la même époque, Les Demoiselles d’Avignon, de Picasso, La Femme au chapeau, de Matisse, sont de la peinture de sauvage. Fatiguée des tourments égotistes du romantisme, lassée des alanguissements morbides du symbolisme, l’Europe semble vouloir se régénérer en puisant une force brute, une vigueur vierge dans l’art primitif. Recette aussi salutaire qu’efficace. Fleuron permanent des programmes symphoniques, Le Sacre du printemps témoigne d’une vitalité intacte (…) Dans ce cadre huppé, rien ne laisse prévoir le scandale qui éclate le 29 mai 1913. La veille, la générale se déroule sans incident, devant un parterre de professionnels et d’invités. Le succès incontesté de L’Oiseau de feu, en 1909, puis celui de Petrouchka, en 1911, ont confirmé la maîtrise, gagnée à pas de géant, d’un compositeur de 30 ans. « En deux ans, j’ai l’impression d’avoir bondi de vingt »,constate l’ancien élève de Rimski-Korsakov. L’oreille avertie de Debussy ne s’y trompe pas : « Il y a dans Petrouchka une sorte de magie sonore, des sûretés orchestrales que je n’ai rencontrées que dans Parsifal ; vous irez plus loin, assure l’aîné à son cadet, mais vous pouvez déjà être fier. » Avec ce Sacre, auquel il pense depuis 1910, Stravinsky fonce plus vite et plus loin, pour frapper plus fort. Ces « Images de la Russie païenne » – sous-titre de l’œuvre –, il les a d’abord visualisées avec son compatriote le peintre et ethnologue Nicolas Roerich, futur réalisateur des costumes et des décors. C’est lui qui a évoqué au compositeur ce rite très ancien, à l’arrivée du printemps, d’adoration de la terre, à laquelle les ancêtres sacrifient en gage de fertilité une jeune vierge, « l’élue ». Cette cérémonie d’une barbarie archaïque, cette sauvagerie tribale, Stravinsky les instrumente de couleurs criarde (clarinette piccolo), agressive (petite trompette en ré) ou crue (trombones, grosse caisse) ; il les rythme de martèlements brutaux, de déflagrations tonitruantes, de chocs répétés entre blocs sonores qui se heurtent de plein fouet. En imprésario avisé, Diaghilev y pressent les clés d’un succès renouvelé pour sa huitième saison parisienne. Il en confie la chorégraphie à son danseur fétiche, Vaslav Nijinski, dont les poses lascives, d’un érotisme équivoque, ont déjà choqué dans Prélude à l’après-midi d’un faune. Cette fois, le jeune félin imagine des gestes anguleux, des piétinements saccadés, qui contreviennent aux canons classiques : pieds et genoux en dedans, cou cassé, dos voûté et bras ballants. « La vraie grâce se moque du gracieux », admire Jacques Rivière, patron clairvoyant de la NRF. « Exactement ce que je voulais », se félicite Diaghilev au sortir de cette nouvelle bataille d’Hernani, qui se reproduit les soirs suivants et s’exporte même outre-Manche pour les représentations londoniennes ! Mais, l’année suivante, l’exécution symphonique seule, sans ballet, au Casino de Paris, remporte une ovation sans bémol, tandis que Stravinsky est porté en triomphe jusqu’à la place de la Trinité. Musique sans précurseurs ni descendance, même dans le catalogue du compositeur, Le Sacre du printemps – ces « Géorgiques de la préhistoire », selon Cocteau – libère et défriche l’horizon musical, loin des macérations liturgiques d’un Wagner, de l’alchimie vaporeuse d’un Debussy. Emblème de la modernité pour tout le xxe siècle, le Sacre, si radical dans l’audace et la liberté de son écriture, ne pouvait être qu’un météore unique ; mais l’exemple de son émancipation harmonique, de ses combinaisons à l’infini de timbres et de rythmes a stimulé l’imaginaire des générations ultérieures – d’Olivier Messiaen à Steve Reich, de Pierre Boulez à John Adams. Les chorégraphes n’ont pas été en reste, de Maurice Béjart à Mats Ek, de Pina Bausch à Angelin Preljocaj. Télérama
On peut parler d’une mosaïque sonore analogue au cubisme en peinture. Benoît Chantre
Quelques livres sur Le Sacre du printemps ont pressenti la relation de ce ballet avec le cubisme, le primitivisme et le commencement de la guerre. On peut dire également que le caractère mosaïque de la danse rappelle le cubisme. Chaque groupe de danseurs a simultanément des rythmes différents à suivre. Il s’agit de la simultanéité du mouvement divers de plusieurs danseurs. Il y a plusieurs points de vue dans une oeuvre. Cette idée rejoint le cubo-futurisme russe qui est marqué par le cubisme. Par exemple en 1912, Kasilir Malevich, dans sa peinture The Knife-Grinder, a commencé à repenser l’interprétation du corps humain en déplaçant l’accent sur le temps et sur le mouvement à partir de la forme, du volume. Il a montré différentes étapes du même mouvement, comme la représentation séquentielle du corps humain dans un tableau. Préhistoire et modernité
Ce Sacre du printemps, lorsque je l’ai découvert, m’a paru comme une œuvre absolument extraordinaire sur le plan de ce que j’appelle la révélation du meurtre fondateur dans la culture moderne. C’est-à-dire le véritable avènement du christianisme. La découverte du meurtre fondateur sous une forme telle qu’il rend sa reproduction impensable, impossible, trop révélatrice ! Si on regarde Le Sacre du printemps de près, on s’aperçoit que c’est un sacrifice, le sacrifice de n’importe qui, d’une jeune femme qui est là, par une espèce de tribu païenne et sauvage de la Russie archaïque, qui se termine par la mort de cette femme. (…) est-ce qu’elle meurt d’avoir trop dansé ou est-ce que c’est un euphémisme pour nous dire la vérité sur ce qui se passe, et qui est son étouffement par la foule ? À mon avis, « mourir d’avoir trop dansé » est l’euphémisme esthétique qui explique la chose. Dans une reconstitution que j’ai vue récemment de la représentation initiale du Sacre du printemps, tout commence par une dame extrêmement respectable, de l’aristocratie américaine, qui a certainement donné de l’argent pour cette reconstitution, et qui dit : « Surtout, ne vous imaginez pas qu’il s’agit d’un sacrifice. Et qu’il s’agit d’une mort religieuse », etc. Alors je pense que cet avertissement doit être pris en sens contraire et fait partie de la révélation de la chose et la rend en quelque sorte aussi comique que tragique, ce qui me paraît parfaitement justifié. (…) à mon avis c’est la danse qui a le plus scandalisé le public parisien, danse très moderne en ceci qu’elle est faite de coups sourds, de piétinements : elle rythme les piétinements de la foule, qui au fond piétine la victime. Le spectacle n’est pas très exactement reproduit sous sa forme la plus tragique, bien entendu, mais il est là et ces piétinements sont là et en même temps, il y a quelque chose qui correspond dans les costumes de la représentation originale. (…) Dans les motifs. Ces bandes parallèles les unes aux autres, parfaitement parallèles, dont on peut dire qu’elles annoncent le cubisme ou qu’elles le rappellent. Donc un refus de la joliesse, du joli. Et une entrée dans une espèce de primitivisme dont on ne peut pas dire, chez Stravinsky, qu’il soit influencé par qui que ce soit, parce que si je comprends bien, Le Sacre du printemps c’est son arrivée de Russie. Il n’a pas été en contact avec toute l’agitation de l’art moderne. Mais il pénètre dedans avec une espèce de volupté narquoise, moqueuse et très consciente de ce qu’elle fait. Les photos de Stravinsky à l’époque me semblent faire partie du spectacle. Il a quelque chose de sardonique et de diabolique qui a l’air de dire : « Je leur fiche un truc dans la figure dont ils ne soupçonnent pas la puissance. » Mais cette puissance était quand même manifeste dans l’émeute qui a eu lieu. (…) La foule a tout cassé littéralement, les chaises, etc. Et je pense que cette émeute, parce qu’on peut parler d’une véritable émeute, c’est essentiel qu’elle soit là : à partir du moment où l’art moderne ne crée plus des réactions de ce genre, il est mort. Il est devenu beaucoup plus académique que tout art académique, dans ce sens qu’il essaie de ritualiser la révolution. On peut dire que tout le monde moderne depuis très peu de temps après 1913 n’a été qu’un effort pour ritualiser la révolution. (…) On a vu sa puissance, mais enfin on est déjà en plein art moderne et le refus du public d’une certaine manière a servi l’œuvre, a accompli son triomphe. (…) [avec] Nijinski, qui tout de suite après Le Sacre du printemps, si je comprends bien, devient fou ? (…) Il y a donc (…) un parallèle très net avec la retraite de Hölderlin, à partir du moment où il a vu que la synthèse qu’il espérait entre l’archaïque et le chrétien n’était pas possible. (…) Stravinsky était un chrétien, beaucoup plus calme que ne l’était Nijinski, mais c’était quand même un chrétien, donc il y a dans Le Sacre du printemps et c’est une chose essentielle pour moi, un aspect terreur ou tout au moins j’ai cru le percevoir dans cette scène qui démentit complètement l’idée que la jeune fille meurt par abus de la danse, donc que l’œuvre est essentiellement esthétique. C’est-à-dire qu’il voit l’idée du sacrifice, qui refait sur cette scène ce que font au fond tous les sacrifices fondateurs, c’est-à-dire la cacher, la dissimuler. Mais que d’une certaine manière Stravinsky amène une conscience qui me paraît exceptionnelle et qui fait partie de ce que j’appellerais la révélation moderne du meurtre fondateur qui est essentiellement une révélation chrétienne. (…) Et les œuvres qui révèlent ne sont pas des parodies, ce sont des œuvres qui prennent le phénomène sérieusement et qui le regardent comme étant essentiellement la tragédie de l’humanité, la tragédie de l’archaïque, c’est-à-dire le rôle que joue la violence dans le religieux et qui est indispensable à l’homme pour écarter sa propre violence, c’est-à-dire le sacrifice, qui est de rejeter notre violence sur une victime innocente, mais qui est le geste principal par lequel l’humanité se distingue au départ de l’animalité, c’est-à-dire a besoin d’évacuer sa violence. Étant trop mimétique pour vivre dans la paix et étant toujours en rivalité avec ses semblables, elle a besoin de ces expériences dont Aristote dit justement qu’elles sont cathartiques et qui sont la mise à mort d’une victime solennelle, religieuse. L’archaïque c’est cela. (…) C’est-à-dire que ce qu’il y a d’extraordinaire dans le chrétien, c’est qu’il peut apparaître à tous les gens qui se sont occupés de lui, à tous les ethnologues, comme ce qu’il est apparu à Celse au IIe siècle après J.-C. : « C’est la même chose que nos mythes et vous ne voyez pas que c’est exactement pareil. » C’est tellement vrai que c’est complètement faux, dans la mesure où la victime véritable, celle qui révèle tout, nous dit son innocence et le texte des Evangiles nous répète cette innocence sur tous les tons ; alors que la victime archaïque est essentiellement coupable aux yeux de ceux qui l’accusent, coupable du parricide et de l’inceste. C’est l’opposition entre Œdipe et le Christ. (…) L’archaïque occulte le mal de l’humanité en le rejetant sur la victime. Il n’y a qu’un héros parricide et inceste, c’est Œdipe. (…) [Le chrétien] révèle le péché de l’humanité (…) [fait de l’archaïque un spectacle (…) et un spectacle accusateur. Accusateur à juste titre. René Girard
Le réchauffement climatique met au jour des restes d’humains, d’animaux et de végétaux conservés dans le permafrost, parfois depuis des centaines de milliers d’années. Les bactéries, les virus et les parasites qu’ils contiennent ne sont pas forcément morts avec leurs hôtes, ils sont pour beaucoup seulement endormis. Les virus semblent perdre en intensité avec la congélation et le temps, ce qui n’est pas le cas pour les bactéries. En 2016, une épidémie de la maladie du charbon (anthrax) a décimé les troupeaux de rennes en Sibérie. Les deux souches de ce bacille étudiées par les scientifiques remontaient au XVIIIe et au début du XXe siècle. Le risque de propagation est bien réel. Pour l’instant, la résurgence se fait de manière locale, mais elle pourrait se répandre à l’ensemble de la planète. Avec la liquéfaction du permafrost, les agents infectieux peuvent migrer dans les eaux mais aussi s’agglomérer sous les semelles des chaussures. Car si les régions du Grand Nord abritent des populations parfois très isolées, elles attirent aussi des touristes, des scientifiques, des chasseurs de fossiles… Il est indispensable que des précautions sanitaires drastiques soient prises pour éviter une éventuelle propagation. Aujourd’hui, trop peu de scientifiques s’y intéressent. Il y a pourtant une vraie urgence à prévoir l’avenir. Des épidémies peuvent toujours survenir, causées par des bactéries très résistantes, comme le charbon (anthrax), que l’on a retrouvé dans des cadavres d’animaux en Sibérie en 2016. Ces germes sont effectivement très robustes. Mais une épidémie de charbon s’arrête facilement. Les virus, eux, tels que nous les connaissons, ne sont pas très résistants. Il y a peu de risques qu’ils puissent être conservés au point d’être viables. Ils supportent difficilement les changements d’état. Pour qu’ils soient viables, il faudrait qu’il n’y ait jamais eu de décongélation et qu’ils soient récupérés à l’état congelé. En revanche, le risque pourrait venir des expériences de l’homme. Le danger serait de pouvoir reconstituer des virus disparus à partir de virus morts. Ça a déjà été le cas. Des scientifiques ont prélevé des fragments du génome du virus de la grippe espagnole sur le cadavre d’un esquimau inuit. Ces fragments, associés à des échantillons d’hôpitaux, ont permis de reconstituer la séquence de ce virus disparu qui a décimé des populations. Philippe Charlier (médecin légiste et archéo-anthropologue)
Cette découverte démontre que si on est capable de ressusciter des virus âgés de 30.000 ans, il n’y a aucune raison pour que certains virus beaucoup plus embêtants pour l’Homme, les animaux ou les plantes ne survivent pas également plus de 30.000 ans. » Pr Claverie

Le virus venait donc bien du froid…

Que le réchauffement climatique pourrait réveiller de leur sommeil de 30 000 ans …
Poutine et ses sbires nous ressuscitent sur le peuple ukrainien une barbarie que l’on croyait enterrée depuis bientot 80 ans …
Pendant que plus près de chez nous décuplé par les réseaux sociauxle mécanisme victimaire continue à faire ses ravages dans nos écoles …
Comment ne pas repenser …
En ce 110e anniversaire, jour pour jour à Paris même, de sa légendaire première …
Au fameux Sacre du printemps du compositeur lui aussi de Saint-Pétersbourg Igor Stravinsky
Qui sous l’inspiration du peintre passionné d’ethnologie qui avait fait également les dessins, décors et costumes Nicolas Roerich
Avait livré à la veille de la 1ère Guerre mondiale ces fameuses « Images de [s]a Russie païenne », rebaptisées « massacre du printemps », par ses détracteurs …
Qui avant de devenir le classique reconnu et vénéré que l’on sait …
Via, de l’entourbisation d’une Pina Bausch à la sexualisation d’un Béjart ou d’un Prejlocaj et à la cérébralisation d’un Louis Barreau , des centaines de choréographies 
Avait sous les yeux enthousiastes d’un Ravel, Debussy, Proust ou Picasso …
Mais aussi la violente et compréhensible indignation d’un public choisi mais non averti …
Provoqué avec ses rituels printaniers primitifs et le sacrifice à la fin d’une jeune femme piétinée par la troupe …
L’un des plus grands scandales, émeute comprise, de l’histoire de la musique occidentale ?
Et comment ne pas repenser en retour en effet …
En redécouvrant ce véritable « 11-Septembre » de la musique du 20e siècle comme l’avait qualifié il y a dix ans lors de son centenaire le chorégraphe franco-albanais Angelin Preljocaj
Qui avait tant impressionné aussi le René Girard d’Achever Clausewitz lors de l’exposition du Centre Pompidou de 2008 intitulée « Traces du sacré »
Parce qu’il y retrouvait dans toute sa crudité et sa brutalité de coups sourds et de piétinements …
Préparée par les découvertes de l’ethnologie qui commencaient à infuser jusque dans les masques africains de nos Braque et de nos Picasso …
La mise au jour d’une vérité presque complètement explicite et en même temps prophétique …
Comme en a témoigné sans compter peut-être la folie subséquente de son chorégraphe Nijinski …
La violence et l’indignation de sa réception pour une bonne société endormie par des siècles d’adagios vivaldiens ou de contes de fée hoffmanisés …
Mais qui devait accoucher un an plus tard d’une des pires boucheries de l’histoire de l’humanité …
A savoir le dévoilement de la vérité au fondement même de tous nos rituels que seule pouvait permettre 2000 ans de révélation chrétienne …
De l’évacuation violente et proprement cathartique sur le dos d’une victime innocente …
Du ressentiment et des tensions accumulés de toute une société …
Au nom de divinités prétendument assoiffées de sang …
Comment ne pas repenser donc …
A cette sauvagerie et cette barbarie qui semblent nous revenir …
Du fin fond d’une Russie à nouveau aussi primitive qu’archaïque ?

Le « Sacre du printemps » a 100 ans
Cent ans après sa création, la version originale du « Sacre du printemps » est retransmise sur Arte et devant l’Hôtel de Ville de Paris depuis le théâtre des Champs-Elysées.
Raphaël de Gubernatis
Le Nouvel Obs
29 mai 2013

« J’ai soixante ans, et c’est la première fois qu’on ose se moquer de moi », s’étrangle la comtesse René de Pourtalès à la première du « Sacre du Printemps ». Ses glapissements d’idiote endiamantée résonnent encore comme un prodigieux résumé de la fureur des mondains quand ils découvrent le double chef d’œuvre d’Igor Stravinsky et de Vaslav Nijinski, le 29 mai 1913, au Théâtre des Champs-Elysées. Un an plus tard éclate la Grande Guerre qui entraînera la chute des trois empires de Russie, d’Autriche-Hongrie et d’Allemagne et la multitude des royaumes, grands duchés et principautés qui en font partie. L’ancien monde va s’écrouler et le fracas du « Sacre », annonçant le XXe siècle, semble préfigurer le séisme à venir.

Une compagnie extraordinaire

A Paris, l’impresario Gabriel Astruc vient de faire édifier par Auguste Perret ce somptueux théâtre de l’avenue Montaigne qui lui aussi annonce des temps nouveaux et ce que l’on nommera Art Déco dans les années 30. Pour la brillante saison inaugurale qui débute le 31 mars 1913 avec « Benvenuto Cellini » de Berlioz, Astruc a bien entendu convié ce qu’il y a de plus extraordinaire à l’époque, ces Ballets Russes de Serge de Diaghilev apparus pour la première fois en 1909 à Paris alors capitale mondiale des arts. Les Ballets Russes ont suscité un tel bouleversement esthétique que le monde entier, c’est-à-dire en ce temps là l’Europe et les Amériques, se dispute le bonheur de les recevoir.

La séduction des Ballets Russes

Jusque-là, en admirant « Shéhérazade », « les Danses polovtsiennes », « le Pavillon d’Armide », « l’Oiseau de feu », « Petrouchka » ou le « Spectre de la Rose », gens du monde, intellectuels, artistes s’étaient enivrés de musiques souvent inconnues, de décors fabuleux, de costumes chatoyants aux teintes inouïes où le raffinement d’un chorégraphe novateur comme Michel Fokine, les scénographies de Léon Bakst, Alexandre Benois ou Nicolas Roerich, les partitions de Rimsky-Korsakov, Borodine et Stravinsky, animaient des interprètes fascinants comme Tamara Karsavina, Anna Pavlova, Ida Rubinstein, Bronislava Nijinska, Adolf Bolm et surtout, surtout, cet être sur scène irréel qui avait pour nom Vaslav Nijinski. Diaghilev en a fait son amant et admire tant ce prodige qu’il décide d’en faire un chorégraphe. Si le danseur a du génie, le créateur en aura davantage encore. Mais cela le public ne le comprendra pas. On acclame sans retenue l’interprète de « Petrouchka » ou du « Spectre de la Rose » ; on ne saura pas mesurer la stature du chorégraphe de « L’Après-midi d’un faune » (1912), et moins encore de celui du « Sacre ».

Une puissance tellurique

« Le Sacre du Printemps » naquit d’une idée du peintre Nicolas Roerich à qui Stravinsky avait demandé le livret d’un ballet. Passionné par l’antique patrimoine des peuples slaves, mais en amateur plus ou moins éclairé, un patrimoine que des artistes comme lui faisaient découvrir à leurs compatriotes russes sans nécessairement faire preuve de rigueur scientifique, Roerich conçut l’ouvrage comme un rite païen des anciens âges, un rituel barbare célébrant le retour du printemps en sacrifiant une vierge, l’Elue, aux forces de la Nature.

Le thème était brutal, même si rien de ce que l’on savait des anciens Slaves ne parlait de tels sacrifices humains.

Envoûté, Stravinsky composa une musique d’une puissance tellurique qui aujourd’hui encore révolutionne les sens. Et Nijinski s’engouffrera dans le projet avec toute la sauvagerie de son génie, persuadé de la nécessité d’inventer des formes nouvelles.

Ardeur révolutionnaire

Menées de ville en ville, au gré des « saisons », les répétitions du « Sacre » sont difficiles, épouvantables même. Pour les danseurs, confrontés à une partition d’une nature inédite, et rebelles à une gestuelle en contradiction absolue avec leur formation académique. Et plus encore pour Nijinski, orgueilleux, buté, incapable d’expliquer son dessein à ses interprètes. Assisté par Mimi Ramberg, qui deviendra Dame de l’Empire britannique sous le nom de Marie Rambert, appuyé par sa sœur Bronislava qui croit en son talent, et plus encore soutenu par Roerich, lequel a conçu les décors (d’un intérêt assez moyen) ainsi que les extraordinaires costumes du ballet, et fortifie le jeune homme de 24 ans dans son ardeur révolutionnaire, Nijinski doit lutter pied à pied pour imposer ses vues. Et quand il apprend que sa sœur, enceinte, ne pourra danser le rôle de l’Elue, il manque, de rage, de tuer le coupable qui n’est autre que son beau-frère.

Le scandale du « Sacre »

Au Théâtre des Champs-Elysées, la Saison russe confiée à Diaghilev dure du 15 mai au 21 juin avec opéras et ballets en alternance, car on donne aussi « la Khovantchina » et « Boris Godounov » avec l’inévitable Chaliapine. Après celle de « Jeux », le 15, autre chorégraphie novatrice de Nijinski qui est un semi- échec, la création du « Sacre » est donc prévue pour le 29. La générale s’est déroulée sans heurts, mais Diaghilev qui a flairé ce qui pouvait advenir dès que Stravinsky lui joua « le Sacre » au piano, l’été précédent, à Venise, installe au promenoir tout un bataillon d’inconditionnels. Il y a là Maurice Ravel, premier admirateur de Stravinsky, Florent Schmitt, Maurice Delage, Jean Cocteau, Léon-Paul Fargue et Valentine Gross, future Valentine Hugo. Pour la première qui voit accourir le Tout Paris, celui du Faubourg Saint-Germain, du côté des Guermantes, comme celui des Verdurin, un Tout Paris étincelant de pierreries et de décorations, ce promenoir courant entre les loges de la corbeille et les premières loges est donc investi par des modernes prêts à en découdre. Mais alors que pour les batailles d’ »Hernani » ou de « Tannhäuser », les belligérants étaient nettement séparés, ils sont ici au coude à coude. Un plan de guerre qui annonce l’inévitable pugilat.

La bataille

« L’orchestre commença, le rideau s’ouvrit et de la salle s’éleva soudain un cri outragé. Vaslav pâlit », se souviendra Bronislava Nijinska. Le public élégant se déchaîne dès les premières mesures du « Sacre ». Ou plus précisément dès que les danseurs arrivent sur scène dans des attitudes voulues primitives qui font un effet désastreux. Le vacarme est tel que sur le plateau ceux-ci n’entendent plus l’orchestre dirigé par Pierre Monteux, héroïque dans la tempête, et que Nijinski, blême, juché sur une chaise, doit leur hurler des indications depuis la coulisse. Quand les danseuses apparaissent, genoux pliés, pieds en dedans, un crétin en habit lance : »Un docteur ! » et un autre : « Un dentiste ! » alors que les jeunes femmes soutiennent du poing droit leur visage incliné de côté, selon une figure des danses russes traditionnelles dont s’est inspiré le chorégraphe. Coups, gifles, invectives fusent de toutes parts. « Taisez-vous, les garces du XVIe », hurle Florent Schmitt aux hystériques des loges alors que Ravel se fait traiter de « sale juif » par des messieurs à monocle, toujours la formule élégante à la bouche.

Un tremblement de terre

« Tout ce qu’on a écrit sur la bataille du « Sacre du printemps » reste inférieur à la réalité, dira Valentine Gross. Ce fut comme si la salle avait été secouée par un tremblement de terre. Elle semblait vaciller dans le tumulte. Des hurlements, des injures, des hululements, des sifflets soutenus qui dominaient la musique, des gifles, voire des coups. Les mots semblent bénins lorsqu’on évoque une telle soirée. Le calme reparaissait un peu quand on donnait soudain la lumière dans la salle. Je m’amusais beaucoup de voir certaines loges vindicatives et tonitruantes dans l’obscurité, s’apaiser aussitôt dans la clarté. Je ne cacherai pas que notre calme rivière était devenue un torrent tumultueux. On y voyait entre autres Maurice Delage grenat d’indignation, Maurice Ravel combatif comme un coq furieux, Léon-Paul Fargue vociférant des épithètes vengeresses vers les loges sifflantes. Et je me demande comment cette œuvre si difficile pour 1913 put être jouée et dansée jusqu’au bout dans un tel vacarme… »

Ravagé par tant de violence, Nijinski doit cependant courir passer son costume du « Spectre de la rose » dès l’entracte afin de faire le joli cœur devant ce public qui va l’applaudir après l’avoir conspué.

« Exactement ce que je voulais »

« A l’issue de la représentation, rappellera Igor Stravinsky, nous étions excités, furieux, dégoûtés et …heureux. J’allai au restaurant avec Diaghilev et Nijinski. Le seul commentaire de Diaghilev fut : « Exactement ce que je voulais ». Personne n’était plus prompt que lui à saisir la valeur publicitaire d’une situation. A ce point de vue ce qui était arrivé ne pouvait être qu’excellent ». Un an plus tard, « le Sacre du Printemps » est joué en concert au Casino de Paris dans un tel climat d’exaltation que le public portera Stravinsky en triomphe jusqu’à la place de la Trinité.

On abandonne la chorégraphie de Nijinski

Mais après avoir été exécutée quatre fois à Paris et autant à Londres en juillet, la chorégraphie de Nijinski, elle, est abandonnée. Borné, Stravinsky lui attribue l’échec du « Sacre », sans réaliser l’extraordinaire accord entre danse et partition, l’une et l’autre révolutionnaires. Quant à Vaslav, sur lequel la Hongroise Romola de Pulsky a jeté son dévolu en profitant de l’absence de Diaghilev lors d’une tournée des Ballets Russes au Brésil et en Argentine, il se marie dès septembre à Buenos Aires… et se voit bientôt renvoyé de la compagnie. Diaghilev commandera une autre version du « Sacre » à Léonide Massine qui a succédé à Vaslav dans le lit du maître et au poste de chorégraphe. Mais il n’a pas le génie de son prédécesseur, même si sa talentueuse version, dansée elle aussi aux Champs-Elysées en 1920, annonce le style que plus tard développera Maurice Béjart.

Plus de 250 « Sacre du printemps » en 100 ans

La version de Massine sera la deuxième des quelque 250 chorégraphies écrites à ce jour sur « le Sacre du printemps ». Dont deux sont des chefs d’œuvre. Celle de Maurice Béjart, créée à Bruxelles en 1960 par le futur Ballet du XXe Siècle, et reprise dans ce même Théâtre des Champs Elysées en 1971 et en 1980 par le Ballet de l’Opéra de Paris. Et celle de Pina Bausch, datant de 1975, que le Tanztheater de Wuppertal vient interpréter en juin pour la saison du centenaire.

La résurrection de l’original

Perdue, mais demeurée dans les mémoires, la chorégraphie de Nijinski était devenue un mythe. Ayant longuement travaillé avec Marie Rambert, étudié dessins, documents de toutes sortes dont les notes rédigées par Nijinski et Roerich ou celles des danseurs, guidés encore par leur instinct de savants passionnés, deux Anglo-saxons, Milicent Hodson et Kenneth Archer, parviennent miraculeusement à reconstituer la chorégraphie originale en 1987 pour les Américains du Joffrey Ballet. Personne n’en savait plus rien et moins encore les Pourtalès d’aujourd’hui. C’est une révélation. Avec la chorégraphie ressuscitée, réapparaît tout le génie sauvage, immodéré de Nijinski, ses outrances aussi, et son œuvre est aussi bouleversante aujourd’hui qu’elle le fut en 1913, pour ceux capables de la comprendre.

Presque tous les danseurs des Ballets Russes avaient appartenu au Théâtre impérial Marie, à Saint-Pétersbourg, le Mariinsky. Ce sont leurs lointains successeurs qui viennent aujourd’hui danser « le Sacre du printemps » au Théâtre des Champs-Elysées dans sa chorégraphie originale. Le 29 mai 2013, cent ans, jour pour jour, après le légendaire scandale qui salua la naissance de l’art du XXe siècle.

« Le Sacre du printemps » : chorégraphie de Vaslav Nijinski, Ballet du Théâtre Mariinsky, du 29 au 31 mai à 20h; chorégraphie de Pina Bausch. Tanztheater de Wuppertal, du 4 au 7 juin à 20h. Théâtre des Champs-Elysées ; 01 49 52 50 50 ou theatrechampselysees.fr.

Diffusion en direct sur Arte ce 29 mai à 20h50. Et retransmission publique sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris dès 20h50.

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« Le Sacre du printemps » de Stravinsky fête ses cent ans

Le Théâtre des Champs-Élysées à Paris célèbre le centenaire du "Sacre du printemps" ce 29 mai, le ballet et la musique sont interprétés par le Mariinsky de Saint-Pétersbourg sous la direction du chef Valery Gergiev.

Le Théâtre des Champs-Élysées à Paris célèbre le centenaire du « Sacre du printemps » ce 29 mai, le ballet et la musique sont interprétés par le Mariinsky de Saint-Pétersbourg sous la direction du chef Valery Gergiev. Bernd Uhlig

La première du Sacre du printemps de Stravinsky, c’était le 29 mai 1913. Chorégraphiée par le danseur russe Vaslav Nijinsky, la pièce avait créé un scandale au Théâtre des Champs-Élysées à Paris. Le Théâtre des Champs-Élysées à Paris célèbre l’événement avec un gala exceptionnel, la mairie de Paris diffusera la soirée ce 29 mai à partir de 21 h sur l’écran géant de l’Hôtel de Ville. Elle sera également retransmise en direct sur la chaîne Arte. Le ballet et la musique sont interprétés par le Mariinsky de Saint-Pétersbourg sous la direction du chef Valery Gergiev. Une nouvelle version de l’oeuvre par la chorégraphe Sacha Waltz est donnée après la reconstitution du ballet historique.

Le public rit, chahute, le vacarme est tel que les danseurs n’entendent plus l’orchestre et que Nijinsky doit compter dans les coulisses pour que le ballet se poursuive. Aujourd’hui considérée comme un monument de la musique classique et du ballet, cette œuvre a été si mal reçue, parce qu’elle était complètement révolutionnaire.

Stravinski et Nijinsky

Il y a la musique de Stravinski où le rythme est le principal élément. Le compositeur imagine un grand rite sacral païen où des vieux sages, assis en cercle, observent la danse à la mort d’une jeune fille sacrifiée au Dieu du printemps. Et il y a aussi le ballet de Nijinsky qui renversait tous les codes de la danse classique. Fi des pointes et du célèbre en-dehors des pieds. Le chorégraphe russe avant-gardiste et inspiré présente des ballerines aux chaussons tournés vers l’intérieur, les genoux pliés. La danse moderne s’impose en pleine tradition du ballet russe. Mais le public n’est pas prêt. Et pour les puristes le choc esthétique est tel et la réaction des spectateurs tellement forte que la pièce doit s’interrompre tant le vacarme est importante dans la salle. Elle ne se poursuivra qu’après l’intervention de la police.

1913, une période très curieuse

 1913, c’était une période de l’histoire très curieuse dans le monde de l’art et dans l’histoire de l’Europe et de la France, explique Brigitte Lefebvre, la directrice de la danse à l’Opéra de Paris. Toutes ces dissonances musicales, toute cette énergie de Nijinsky – beaucoup disent que c’est là que sa folie a commencé à l’envahir – tous ces excès, tout est excessif dans le Sacre du Printemps, et quand on l’entend et qu’on le réentend, tout est magnifiquement orchestré. Et en même temps, quand on pense aux œuvres musicales et chorégraphiques qui étaient appréciées à cette période-là, on n’était pas du tout prêt pour beaucoup à entendre et à voir cela. En même temps, ce qui est très important dans des œuvres qui bouleversent, c’est qu’on sait, à partir de là, on ne pourra plus jamais regarder la danse ou entendre la musique de la même manière. »

De Maurice Béjart à Angelin Preljocaj

Depuis la chorégraphie de Nijinsky qui a créé le scandale, de nombreux chorégraphes se sont frottés au Sacre du Printemps. C’est devenu un passage obligé, la marque de la consécration. Parmi les grands noms de la danse qui ont signé un Sacre, il y a d’abord Maurice Béjart qui a marqué les esprits avec une chorégraphie d’une énergie et d’une grande modernité à l’époque, même si aujourd’hui cette version paraît un peu datée. Il y a le Sacre de Pina Bausch, un monument de la danse contemporaine où les interprètes vêtues de robes couleurs de sable dansent dans la terre, s’en imprègnent jusqu’à l’épuisement le corps battant au rythme infernal de la musique de Stravinski. Et puis d’autres Sacre encore, celui de Jean-Claude Gallota, Martha Graham, Paul Taylor, Mats Ek et Angelin Preljocaj :

« Il y a quelque chose qui circule du début à la fin qui fait que cette musique draine comme une lame de fond, dit Angelin Preljocaj, chorégraphe et directeur artistique du Ballet Preljocaj, installé aujourd’hui au Pavillon Noir à Aix-en-Provence. L’idée est une sorte de désir, de rituel sacrificiel bien sûr, qui serait là pour réactiver la fécondité de la tribu. Je trouve cette musique le dit très bien cela. Cette espèce de pulsion à la fois effrayante et irrésistible, qui est finalement la sexualité. Alors j’ai essayé d’évoquer le désir féminin à travers cela. Et l’idée est que cette femme qui est choisie comme étant l’élue et donc le bouc émissaire, dans ma vision, elle passe du statut de victime au statut d’héroïne. Finalement, elle va au-delà de ce qu’on lui demande. Par cette force-là, cette détermination, elle réussit à vaincre les idées préconçues de la tribu. »
 
« C’est l’œuvre qui ouvre la musique du 20e siècle »
 
Pour Angelin Preljocaj, la musique du Sacre du Printemps reste une œuvre innovatrice jusqu’à aujourd’hui : « C’est l’œuvre qui ouvre la musique du 20e siècle. C’est un peu comme on dit que le 11-Septembre a ouvert le 21e siècle, le Sacre du Printemps a ouvert le 20e siècle en termes de musique. »

Dès ce 29 mai au soir et cela jusqu’au 31 mai, le Théâtre des Champs-Élysées à Paris célèbre le centenaire du Sacre du Printemps. Là où l’œuvre a fait scandale, le Ballet russe Mariinski présente la chorégraphie originale de Nijinski ainsi que celle de Sasha Waltz, en présence de la chorégraphe allemande. L’orchestre sera dirigé par le grand chef Valéri Gergiev. Le spectacle sera retransmis ce soir en direct sur Arte et sur écran géant à l’Hôtel de Ville. Et nombre de Sacre sont en tournée cette année, notamment celui d’Angelin Preljocaj.

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Deux « Sacre » pour un centenaire

Mercredi, le Théâtre des Champs-Élysées ressuscitait l’œuvre de Stravinsky et Nijinski, et donnait la version d’aujourd’hui de Sasha Waltz.

Un livre monumental comme l’histoire du Théâtre des Champs-Élysées (TCE), un faisceau doré tombant de la tour Eiffel sur la façade pour accompagner les spectateurs s’évanouissant dans la nuit, cent ans d’affiches en cartes postales, champagne à flots à l’entracte, spectacle au diapason: Michel Franck, directeur général du Théâtre des Champs-Élysées, ne s’est pas ménagé pour commémorer le centenaire de la salle.

François Hollande n’était pas là, mais la soirée, placée sous son haut patronage, rassemblait au balcon Valérie Trierweiler, Aurélie Filippetti, Manuel Valls et son épouse, Bertrand Delanoë… autour des maîtres des lieux: Raymond Soubie, président du TCE, et Jean-Pierre Jouyet, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, propriétaire du théâtre. Autant de politiques, de mécènes (ceux du passé, comme Misia Sert, ont été remplacés par Gazprom et GDF Suez), et presque autant de personnalités des arts et des lettres qu’au moment où les Ballets russes de Diaghilev créèrent Le Sacre du printemps le 29 mai 1913. Enfin, grâce à Arte, Le Sacre a réuni un million de spectateurs entre la France et l’Allemagne.

La vitalité du Sacre célébrée

Mercredi soir, aucune duchesse en proie à l’hystérie n’a voulu arracher un strapontin pour se le briser sur la tête. Mais la soirée était électrique. On n’y remuait pas la poussière de cent ans d’histoire: on célébrait la vitalité du Sacre de Nijinski et Stravinsky. Sasha Waltz créait Le Sacre du printemps de 2013, en dialogue avec celui chorégraphié en 1913. Valeri Gergiev dirigeait son orchestre et ses danseurs du Mariinski, lointains descendants de ceux des Ballets russes de 1913. Enfin, assise au premier rang d’orchestre, Tamara Nijinski, 93 ans, fille de Nijinski, assistait pour la première fois à une représentation du Sacre dans la chorégraphie somptueusement reconstituée, en 1987, par deux chercheurs anglo-saxons, Millicent Hodson et Kenneth Archer, après dix-sept ans de recherches.

«Jusqu’à présent, j’avais refusé d’assister au spectacle. Non que je conteste sa qualité mais je ne voulais pas cautionner le fait qu’une œuvre de mon père soit donnée sans que nous touchions un centime de droits d’auteur», dit la vieille dame, qui grâce à l’intervention de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) a enfin reçu pour la première fois des droits sur Le Sacre du printemps. Venue exprès de Phoenix (Arizona), où elle s’est retirée après une carrière de marionnettiste, Tamara, émue mais alerte, s’est dite impressionnée par l’œuvre d’un Nijinski de seulement 24 ans. Tandis qu’Aurélie Filippetti lui remettait les insignes de commandeur des Arts et des Lettres, elle a rappelé les liens entre Paris et son père, révélé dans ses théâtres, et qui repose au cimetière de Montmartre.

L’événement de la soirée reste Le Sacre, de Sacha Waltz. Avant de le créer, elle a demandé à Hodson et Archer d’enseigner à ses danseurs leur version d’après Nijinski. Son Sacre se souvient des cercles et des sauts de l’œuvre première. Elle en restitue aussi la puissance, perdue dans l’interprétation trop élégante que les danseurs du Mariinsky en donnent en première partie.

Chaos de relations

L’exploit de Sasha Waltz est de signer une œuvre forte, autant par sa facture que par l’hommage qu’elle rend aux deux grands Sacre du siècle. Celui de Pina Baus­ch, bien sûr, auquel elle emprunte la fluidité des mouvements, la robe remise à l’élue et la terre apportée sur le plateau. Celui de Béjart, aussi, dans les étreintes et les fentes au sol des garçons.

Mais Waltz a son propos: dans une scénographie dépouillée, elle met en scène un rituel de sacrifice dans un groupe social réel avec des enfants et des hommes et des femmes pris dans un chaos de relations bien d’aujour­d’hui. Signe que l’œil écoute: la partition du Sacre ne résonne pas pareil quand on la «voit» avec Le Sacre de 1913 ou celui de 2013.

Au TCE, Paris VIIIe, jusqu’à vendredi et à disposition sur Arte Live Web.

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Danse: cent printemps pour Le Sacre 

L’anniversaire du chef-d’œuvre de Stravinsky et Nijinski, créé en 1913 au Théâtre des Champs-Élysées, à Paris, est célébré dans le monde entier.

Le bruit est l’unité de mesure d’un scandale. Celui qui accompagna la création du Sacre du printemps fut si considérable que sur la scène, les quarante-six danseurs n’entendaient plus le grand orchestre symphonique de cent vingt musiciens. Vaslav Nijinski, debout sur une chaise dans la coulisse, devait leur hurler les mesures. «Étonne-moi», avait dit Serge de Diaghilev à Jean Cocteau, pour résumer sa ligne artistique. Ce 29 mai 1913, le mentor des Ballets russes s’avouait un peu dépassé par sa propre formule.

Igor Stravinsky est à l’origine du Sacre du printemps. Dans la Russie qui s’ouvre alors vertigineusement vers l’Occident, il se veut, comme d’autres artistes, attentif aux racines slaves. «J’entrevis dans mon imagination le spectacle d’un grand rite sacral païen: les vieux sages, assis en cercle, et observant la danse à la mort d’une jeune fille qu’ils sacrifient pour leur rendre propice le dieu du printemps», note-t-il dans ses chroniques, alors qu’il travaille sur L’Oiseau de feu, en 1910.

« Je crains que Le Sacre du printemps , où je ne fais plus appel à l’esprit des contes de fées ni à la douleur et à la joie tout humaines, mais où je m’efforce vers une abstraction un peu plus vaste, ne déroute »

Igor Stravinsky

Avec le peintre et ethnographe Nicolas Roerich, qui signe les costumes et les décors, ils ébauchent un livret. Serge de Diaghilev confie la chorégraphie de ces tableaux de la Russie païenne à Nijinski. Le dieu de la danse est fatigué des grands sauts qui font pâmer le Tout-Paris. Il cherche d’autres révolutions. Stravinsky aussi, qui devine qu’elles pourraient ne pas faire l’unanimité: «Je crains queLe Sacre du printemps, où je ne fais plus appel à l’esprit des contes de fées ni à la douleur et à la joie tout humaines, mais où je m’efforce vers une abstraction un peu plus vaste, ne déroute», écrit-il, sans museler pour autant son inspiration.

«Combien de temps ça va durer?», demande Diaghilev quand Stravinsky lui joue pour la première fois au piano «La danse des adolescentes». «Le temps qu’il faudra», répond le ­compositeur. Nijinski ne cherche pas davantage à plaire. Les trois complices sont immergés dans leur souci de ­donner à voir et à entendre, selon le mot de Stravinsky, «la montée totale, panique, de la sève universelle» dans la Russie primitive. Nicolas Roerich ­habille les danseurs de longues ­tuniques. En cent vingt laborieuses ­répétitions, Nijinski leur commande de marteler le sol pieds en dedans et poings sur les joues. «La chorégraphie était incomparable ; à l’exception de quelques endroits, tout était comme je le voulais», écrit en 1913 Stravinsky, qui s’en dédiera plus tard.

« Le travail d’un fou »

«Un docteur!», non «Un dentiste», «Deux dentistes», hurle-t-on dans la salle le soir de la création de ce qu’on surnomme déjà «Le Massacre du printemps». Pierre Lanoy, journaliste au Temps, raconte: «J’étais placé au-dessous d’une loge remplie d’élégantes et charmantes personnes de qui les remarques plaisantes, les joyeux caquetages, (…) enfin les rires aigus et convulsifs formaient un tapage comparable à celui dont on est assourdi quand on entre dans une oisellerie. (…) Mais j’avais à ma gauche un groupe d’esthètes dans l’âme desquels Le Sacre du printemps suscitait un enthousiasme frénétique, une sorte de délire jaculatoire et qui ripostaient (…). L’un d’eux, pourvu d’une voix pareille à celle d’un cheval, hennissait de temps en temps (…) un“à la poooorte!” dont les vibrations déchirantes se prolongeaient dans toutes la salle.»

« C’est de la musique de sauvage avec tout le confort moderne »

Claude Debussy

En vain, Diaghilev commande-t-il aux machinistes d’éteindre et de rallumer la lumière du théâtre pour calmer le public. Ravel, qui défend l’œuvre se fait traiter de sale Juif. Debussy, qui a cru perdre l’ouïe pendant les trente-trois minutes du spectacle, résume: «C’est de la musique de sauvage avec tout le confort moderne.» «Le travail d’un fou», assène Puccini, qui assiste à la seconde le 1er juin. Le scandale est si fracassant que son écho se propage encore: pourquoi tant de bruit? «La grande nouveauté duSacre du printemps, c’est le renoncement à la sauce», analyse génialement Jacques Rivière, détaillant son propos sur la musique et la danse dans la Nouvelle Revue ­française, en 1913. «Voici une œuvre absolument pure. Aigre et dure, si vous voulez, mais dont aucun jus ne ternit l’éclat, dont aucune cuisine n’arrange ni ne salit les contours ; (….) tout est ici franc, intact, limpide et grossier. Le ­Sacre du printemps est le premier chef-d’œuvre que nous puissions opposer à l’impressionnisme.» Avant d’être repris quatre fois à ­Londres, Le Sacre sera donné quatre fois à Paris. Dans la salle, Valentine Gross Hugo saisit les danses au crayon. Ses dessins, ajoutés à quelques photos, ­témoignages, notations de Marie ­Rambert, qui a assisté Nijinski, serviront à Millicent Hodson et Kenneth ­Archer à le reconstituer en 1987, soixante-quatorze ans après sa création.

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Le massacre du printemps

Radio France

8 août 2021

Impossible de faire l’impasse sur l’un des plus célèbres scandales de l’histoire de la musique : Le Sacre du Printemps crée en 1913 au Théâtre des Champs-Elysées reste assurément le choc musical du siècle. Mais que s’est-il véritablement passé lors de la mythique soirée du 29 mai 1913 ?

Qu’est ce qui a le plus choqué les spectateurs le soir de la première du Sacre du Printemps : la musique ou la danse ? A moins que ce ne soit l’attitude des spectateurs les plus virulents présents dans la salle et la cacophonie devenue légendaire qui y régnait ?
Pour le comprendre, revenons à ce fameux soir de mai 1913. Nous sommes à l’aube de la première guerre mondiale, deux mois après l’inauguration du Théâtre des Champs-Elysées. La salle est tournée vers la musique française : celle de Debussy ou encore de Dukas. La saison musicale est conçue par Gabriel Astruc, qu’il souhaite moderne et audacieuse. C’est donc naturellement qu’il fait appel aux célèbres Ballets russes de Diaghilev, compagnie qui crée à chaque fois l’événement lors de sa venue dans la capitale.
Pour ce nouveau spectacle, Diaghilev propose à Vaslav Nijinski de s’atteler à la chorégraphie, tout en confiant la musique au jeune compositeur russe Igor Stravinsky. Le jour de la première, on peut apercevoir dans la salle, Picasso, Paul Claudel, Debussy, Florent Schmitt, Ravel, Cocteau, Poulenc et tant d’autres… Le Tout-Paris est présent !

« Taisez-vous, les garces du XVIe »

C’est au basson d’ouvrir le bal ! Alors qu’à peine les premières notes commencent à résonner, quelques murmures se font entendre dans la salle… Rapidement, un certain désordre gagne une grande partie du théâtre, avant de laisser échapper des sifflets et des huées. La musique n’est quasiment plus dicible et est recouverte d’invectives en tout genre : « C’est la première fois en soixante ans qu’on ose se moquer de moi ! » entend-on. Les spectateurs se déplacent dans la pénombre, s’alpaguant pour tantôt défendre tantôt railler ce qui se passe sur scène et en fosse : dans une loge, une dame en vient même à gifler son voisin qui venait de siffler. Des policiers ne tardent pas à arriver pour tenter d’atténuer ce pugilat.

Durant tout ce temps, le spectacle subsiste tant bien que mal : les musiciens continuent de faire vivre la rythmique enivrante de la partition de Stravinsky pendant que les danseurs poursuivent leur rite païen dans une frénésie animale qui se clôturera par le sacrifice de l’élue.

Pour Stravinsky, c’est la désolation la plus totale. Pourtant Gabriel Astruc avait bien tenté de calmer les esprits en interpellant le public à plusieurs reprises : « Ecoutez d’abord, vous sifflerez après« , mais pour le compositeur, l’originalité de sa partition n’a pas eu l’écho mérité, rejetant la faute à Nijinski et à sa chorégraphie…
Il aura fallu attendre l’année suivante, pour que Stravinsky assiste au succès de la version de concert de ce Sacre, réhabilitant ainsi tout le génie de sa musique.

Voir encore:

“Le Sacre du printemps”, ce grand coup de ballet

29 mai 1913. Stravinsky tire un obus musical depuis un lieu tout aussi novateur : le Théâtre des Champs-Elysées flambant neuf. Scandale. 100 ans après, “Le Sacre du printemps” a été rejoué là où il a éclot. A revoir en replay sur Arte+7.

Gilles Macassar

Télérama

01 juin 2013

Un an avant que la Grande Guerre de 14-18 n’embrase l’Europe entière, la musique ouvre violemment les hostilités. Le 29 mai 1913, les Ballets russes de Serge de Diaghilev lâchent sur Paris un obus orchestral de première puissance : Le Sacre du printemps, d’Igor Stravinsky. Chorégraphié par Nijinski, danseur vedette de la troupe, ce ballet transforme en champ de bataille le Théâtre des Champs-Elysées, inauguré un mois plus tôt avenue Montaigne. Chargée d’un reportage dessiné sur le spectacle et sa préparation, Valentine Hugo se souvenait : « Ce fut comme si la salle avait été secouée par un tremblement de terre, elle semblait vaciller dans le tumulte. » Mais le théâtre bâti par les frères Perret, premier édifice parisien à être construit en béton armé, repose sur des fondations solides. Un siècle plus tard, il demeure toujours la salle de concert aux architectures – intérieure et extérieure – les plus élégantes, alliant, avec un bon goût indémodable, modernité et classicisme, esthétisme et fonctionnalité.

Quant à la composition de Stravinsky, le scandale de sa création marque un tournant historique, l’avènement d’une nouvelle ère musicale, balayant l’académisme et le ronron ambiants. Le mot mi-admiratif, mi-narquois de Debussy a fait fortune : « De la musique de sauvage avec tout le confort moderne. » Musique de sauvage comme, à la même époque, Les Demoiselles d’Avignon, de Picasso, La Femme au chapeau, de Matisse, sont de la peinture de sauvage. Fatiguée des tourments égotistes du romantisme, lassée des alanguissements morbides du symbolisme, l’Europe semble vouloir se régénérer en puisant une force brute, une vigueur vierge dans l’art primitif. Recette aussi salutaire qu’efficace. Fleuron permanent des programmes symphoniques, Le Sacre du printemps témoigne d’une vitalité intacte, comme le théâtre de l’avenue Montaigne, restauré à l’identique à la fin des années 1980. Deux centenaires jumeaux, qui s’apprêtent à souffler vaillamment les bougies de leur gâteau d’anniversaire.

Le 1er avril 1913, Gabriel Astruc inaugure le théâtre de ses rêves. Après être passé par bien des cauchemars. A commencer par celui de l’acquisition d’un terrain. En 1906, Astruc, qui a fixé son choix sur les Champs-Elysées – de préférence aux grands boulevards, qu’il juge ne plus être assez chics –, obtient du conseil municipal de Paris une promesse de concession, sur l’emplacement de l’ancien Cirque d’été, entre les Champs-Elysées et l’avenue de Marigny. Et l’ancien journaliste-éditeur de musique, devenu entrepreneur de spectacles, de déposer dans la foulée les statuts d’une société du « Théâtre des Champs-Elysées ». Le nom sonne bien, il sera gardé, même lorsque, deux ans plus tard, le conseil municipal revient sur sa promesse. D’origine israélite, ne comptant pas que des amis politiques en ces temps d’antisémitisme virulent, Gabriel Astruc doit trouver un nouveau lieu. La mise en vente de l’hôtel du marquis de Lillers, au 15 de l’avenue Montaigne, offre l’opportunité inespérée. L’acte de vente est signé en février 1910, au plus fort de la crue de la Seine, qui, à deux pas, menace d’engloutir le zouave du pont de l’Alma.

Commence alors ce que Jean-Michel Nectoux a appelé joliment, dans le précieux catalogue de l’exposition que le musée d’Orsay a consacrée à l’histoire du théâtre en 1987, « le ballet des architectes ». D’Henri Fivaz à Roger Bouvard – chargé d’un transitoire « palais philharmonique » –, du Belge Henry Van de Velde, haute figure de l’Art nouveau, aux deux frères Perret, Auguste et Gustave, les derniers concurrents à rester en lice, ce ne fut que pas de deux rivaux, entrechats assassins.

Dans ce cadre huppé, rien ne laisse prévoir le scandale qui éclate le 29 mai 1913. La veille, la générale se déroule sans incident, devant un parterre de professionnels et d’invités. Le succès incontesté de L’Oiseau de feu, en 1909, puis celui de Petrouchka, en 1911, ont confirmé la maîtrise, gagnée à pas de géant, d’un compositeur de 30 ans. « En deux ans, j’ai l’impression d’avoir bondi de vingt », constate l’ancien élève de Rimski-Korsakov. L’oreille avertie de Debussy ne s’y trompe pas : « Il y a dans Petrouchka une sorte de magie sonore, des sûretés orchestrales que je n’ai rencontrées que dans Parsifal ; vous irez plus loin, assure l’aîné à son cadet, mais vous pouvez déjà être fier. »

Avec ce Sacre, auquel il pense depuis 1910, Stravinsky fonce plus vite et plus loin, pour frapper plus fort. Ces « Images de la Russie païenne » – sous-titre de l’œuvre –, il les a d’abord visualisées avec son compatriote le peintre et ethnologue Nicolas Roerich, futur réalisateur des costumes et des décors. C’est lui qui a évoqué au compositeur ce rite très ancien, à l’arrivée du printemps, d’adoration de la terre, à laquelle les ancêtres sacrifient en gage de fertilité une jeune vierge, « l’élue ».

Cette cérémonie d’une barbarie archaïque, cette sauvagerie tribale, Stravinsky les instrumente de couleurs criarde (clarinette piccolo), agressive (petite trompette en ) ou crue (trombones, grosse caisse) ; il les rythme de martèlements brutaux, de déflagrations tonitruantes, de chocs répétés entre blocs sonores qui se heurtent de plein fouet.

En imprésario avisé, Diaghilev y pressent les clés d’un succès renouvelé pour sa huitième saison parisienne. Il en confie la chorégraphie à son danseur fétiche, Vaslav Nijinski, dont les poses lascives, d’un érotisme équivoque, ont déjà choqué dans Prélude à l’après-midi d’un faune. Cette fois, le jeune félin imagine des gestes anguleux, des piétinements saccadés, qui contreviennent aux canons classiques : pieds et genoux en dedans, cou cassé, dos voûté et bras ballants. « La vraie grâce se moque du gracieux », admire Jacques Rivière, patron clairvoyant de la NRF.

« Exactement ce que je voulais », se félicite Diaghilev au sortir de cette nouvelle bataille d’Hernani, qui se reproduit les soirs suivants et s’exporte même outre-Manche pour les représentations londoniennes ! Mais, l’année suivante, l’exécution symphonique seule, sans ballet, au Casino de Paris, remporte une ovation sans bémol, tandis que Stravinsky est porté en triomphe jusqu’à la place de la Trinité. Musique sans précurseurs ni descendance, même dans le catalogue du compositeur, Le Sacre du printemps – ces « Géorgiques de la préhistoire », selon Cocteau – libère et défriche l’horizon musical, loin des macérations liturgiques d’un Wagner, de l’alchimie vaporeuse d’un Debussy.

Emblème de la modernité pour tout le xxe siècle, le Sacre, si radical dans l’audace et la liberté de son écriture, ne pouvait être qu’un météore unique ; mais l’exemple de son émancipation harmonique, de ses combinaisons à l’infini de timbres et de rythmes a stimulé l’imaginaire des générations ultérieures – d’Olivier Messiaen à Steve Reich, de Pierre Boulez à John Adams. Les chorégraphes n’ont pas été en reste, de Maurice Béjart à Mats Ek, de Pina Bausch à Angelin Preljocaj.

Météore unique, la saison de Gabriel Astruc le sera aussi. Formé aux affaires aux Etats-Unis, l’entrepreneur de spectacles munificent ne mégotait sur rien : « Si j’ai vu grand, transporté l’Opéra de New York au Châtelet, donné à Paris six fois de suite le Salomé de Richard Strauss, construit le Théâtre des Champs-Elysées, c’est parce que j’ai compris la mentalité américaine et conçu mes projets sous le signe du dollar. »

Mais la surenchère des cachets pratiquée par Diaghilev, la défection du public mondain devant un modernisme trop radical (Jeux, de Debussy, créé deux semaines avant le Sacre, passe inaperçu) creusent un déficit galopant. Malgré le soutien de grandes fortunes privées (Rothschild, Camondo), Gabriel Astruc dépose son bilan à la mi-octobre. Sacre du printemps, déroute de l’automne. Le bal des repreneurs est ouvert, jusqu’à la stabilisation d’aujourd’hui, sous l’autorité financière de la Caisse des dépôts et consignations. A Marcel Proust revient le mot de la fin, dans une lettre émue à Astruc : « Les difficultés qu’a rencontrées votre entreprise vous donneront plus sûrement une place dans l’histoire de l’art que n’eût fait un succès immédiat. »

À revoir
Sur le site d’Arte+7, le replay de leur soirée spéciale consacrée au 100 ans du Sacre du printemps : la retransmission en direct du ballet donné au Théâtre des Champs-Elysées
À voir
Le Sacre dans tous ses états, ballets, concerts, jusqu’au 26 juin au Théâtre des Champs-Elysées, tél. : 01 49 52 50 50.À lire
Théâtre, Comédie et Studio, trois scènes et une formidable aventure, ouvrage collectif sous la direction de Nathalie Sergent, coéd. Verlhac/15.Montaigne, 660 p., 89 €.À écouter
Igor Stravinsky dirige Le Sacre, 2 CD Sony Classical.
Igor Stravinsky, Le Sacre du printemps, 100e anniversaire, coffret de 20 CD Decca/Universal (38 interprétations de référence, d’Eduard van Beinum, en 1946, à Gustavo Dudamel, en 2010).
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Rite that caused riots: celebrating 100 years of The Rite of SpringStravinsky’s work caused a scandal in 1913 but has since been recognised as one of the 20th century’s most important piecesKim Willsher in ParisThe Guardian 27 May 2013 The audience, packed into the newly-opened Théâtre des Champs-Élysées to the point of standing room only, had neither seen nor heard anything like it.As the first few bars of the orchestral work The Rite of Spring – Le Sacre du Printemps – by the young, little-known Russian composer Igor Stravinsky sounded, there was a disturbance in the audience. It was, according to some of those present – who included Marcel Proust, Pablo Picasso, Gertrude Stein, Maurice Ravel and Claude Debussy – the sound of derisive laughter.By the time the curtain rose to reveal ballet dancers stomping the stage, the protests had reached a crescendo. The orchestra and dancers, choreographed by the legendary Vaslav Nijinsky, continued but it was impossible to hear the music above what Stravinsky described as a « terrific uproar ».As a riot ensured, two factions in the audience attacked each other, then the orchestra, which kept playing under a hail of vegetables and other objects. Forty people were forcibly ejected.The reviews were merciless. « The work of a madman … sheer cacophony, » wrote the composer Puccini. « A laborious and puerile barbarity, » added Le Figaro’s critic, Henri Quittard.It was 29 May 1913. Classical music would never be the same again.On Wednesday evening at the same theatre in Paris, a 21st-century audience – hopefully without vegetables — will fill the Théâtre des Champs-Élysées for a reconstruction of the original performance to mark the 100th anniversary of the notorious premiere. It will be followed by a new version of The Rite by the Berlin-based choreographer Sasha Waltz, among a series of commemorative performances.Today, the piece has gone from rioting to rave reviews and is widely considered one of the most influential musical works of the 20th century.« It conceals some ancient force, it is as if it’s filled with the power of the Earth, » Waltz said of Stravinsky’s music.Finnish composer and conductor Esa-Pekka Salonen, currently principal conductor and artistic adviser for the Philharmonia Orchestra in London, who will conduct the Rite of Spring at the Royal Festival Hall on Thursday and at the Théâtre des Champs-Élysées shortly afterwards, said The Rite still made his spine tingle. « I have to admit that when we come to the moment just before the last dance … my blood pressure is up. I have this kind of adrenaline surge, » he told Reuters.« It’s an old caveman reaction. »Salonen added: « The miracle of the piece is the eternal youth of it. It’s so fresh, it still kicks ass. »There is still confusion and disagreement about events that night in 1913, which the theatre describes as « provoking one of the greatest scandals in the history of music » and turning The Rite into the « founding work of all modern music ».Stravinsky, was virtually unknown before Sergei Diaghilev hired him to compose for his Ballets Russes’s 1913 Paris season. His first two works, The Firebird, performed in 1910, and Petrushka, in 1911, were generally acclaimed. The Rite, subtitled « Pictures of Pagan Russia in Two Parts », begins with primitive rituals celebrating spring, and ends with a young sacrificial victim dancing herself to death.Not only was the theatre hall packed that evening in 1913, but the stairways and corridors were full to bursting with excited and jostling spectators.The Rite opened with an introductory melody adapted from a Lithuanian folk song, featuring a bassoon playing, unusually, at the top of its register, and prompting composer Camille Saint-Saëns to exclaim: « If that’s a bassoon, then I’m a baboon! » The heavy, stomping steps were a world away from the elegance of traditional ballet, as the dancers enacted the brutal plot.As the audience erupted, Diaghilev called for calm and flashed the house lights on and off, while Nijinsky was forced to call out steps to the dancers as the beat of the music was drowned out by the riotous cacophony. Even now there is debate over whether the audience reaction was spontaneous or the work of outraged traditionalists armed with vegetables who had come looking for trouble.The turbulent premiere was followed by five more relatively peaceful performances before one show in London, which received mixed reviews, but the complete ballet and orchestral work were only performed seven times before the outbreak of the first world war.After the fighting ended, Diaghilev attempted to revive The Rite of Spring, but found nobody remembered the choreography. By then Nijinsky, the greatest dancer of his generation, was in mental decline.Since then The Rite has been adapted for and included in an estimated 150 productions around the world including gangster films, a punk rock interpretation, a nightmarish vision of Aboriginal Australia by Kenneth MacMillan, and Walt Disney’s 1940s film Fantasia. A commemorative performance was staged at the Royal Albert Hall in London to mark the 50th anniversary of the premiere.To mark this year’s centenary of The Rite of Spring, described by Leonard Bernstein as the most important piece of music of the 20th century, both Sony and Universal have released box sets reprising the best versions in their back catalogues.

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The Rite of Spring: ‘The work of a madman’It is one of the great works of the 20th century, a ballet so revolutionary it is said to have caused a riot at its premiere. But is Stravinsky’s Rite of Spring all it was claimed to be? As the work’s centenary is celebrated, Tom Service separates fact from fictionTom ServiceThe Guardian12 Feb 2013‘Mild protests against the music, » wrote Stravinsky, « could be heard from the beginning. » The composer was remembering the night of 29 May 1913 at the Théâtre des Champs-Elysées in Paris. The event was the premiere of a new ballet called The Rite of Spring – and, if you believe all the stories about what happened that celebrated evening, not least the one about the riot that ensued, it’s as if the 20th century only really got going when the audience in that gilded art-nouveau auditorium started kicking off.If you know how Stravinsky’s music begins, you may not be too surprised by the audience’s reaction to The Rite, which was choreographed by the young dancer Vaslav Nijinsky and performed by Serge Diaghilev’s Ballets Russes. After the strangest, highest and most terrifyingly exposed bassoon solo ever to open an orchestral work, the music becomes a sinewy braid of teeming, complex woodwind lines. « Then, » Stravinsky told his biographer, « when the curtain opened on the group of knock-kneed and long-braided Lolitas jumping up and down, the storm broke. »That was Nijinsky’s choreography for the Dance of the Adolescents section, the music’s first and still-shocking moment of crunching dissonance and skewed rhythm. Stravinsky said that at this point, « Cries of ‘Ta gueule’ [shut up] came from behind me. I left the hall in a rage. I have never again been that angry. » Stravinsky spent the rest of the performance in the wings, holding on to Nijinksy’s tails as the choreographer shouted out cues to his dancers over the din.What really happened on that night of nights? Was this a genuine riot, as it is so often described – a shocked response to Stravinsky’s simultaneously primitivist and modernist depiction of an ancient Russian ritual devoted to the seasons? Or was it simply a publicity stunt, a wilfully orchestrated succès de scandale that has, in the years and the retelling, grown into a great musical myth? And was The Rite really such a revolution in music, a gigantic leap of faith into a terra incognita that would inspire every subsequent composer?There is still no more influential piece of music in the 20th century. The Rite is the work that invariably tops polls of the biggest and baddest of the last 100 years. From Elliott Carter to Pierre Boulez, from Steve Reich to Thomas Adès, other composers couldn’t have done what they did without it as inspiration. Talking many years after its composition, Stravinsky claimed he had to put himself in a kind of creative trance to compose it, an echo of the fate that befalls the poor girl who dances herself to death in the ballet’s climactic Sacrificial Dance: « Very little immediate tradition lies behind The Rite of Spring – and no theory. I had only my ear to help me; I heard and I wrote what I heard. I am the vessel through which The Rite passed. »Let’s deal with the riot first. For all the « heavy noises » and shouts Stravinsky says came from the auditorium, there is no evidence of mass brawling, and nobody tried to attack the dancers (although the conductor Pierre Monteux remembered that « everything available was tossed in our direction »). One critic described the whole thing as merely a « rowdy debate » between rival factions in the audience. And if the boos and hisses had been so appalling, why would Diaghilev have been as pleased as Stravinsky says he was? « After the performance, » he noted, « we were excited, disgusted, and … happy. I went with Diaghilev and Nijinsky to a restaurant. Diaghilev’s only comment was, ‘Exactly what I wanted.’ Quite probably, he had already thought about the possibility of such a scandal when I first played him the score, months before. »It would certainly be an exaggeration to say the whole thing was engineered as a publicity stunt. But how to explain the fact that the audience was protesting right from the start about something they hadn’t properly heard yet? Significantly, when the score was performed in Paris for the first time as a concert piece just a year later, there were huge ovations, with Stravinsky carried on the shoulders of his fans in triumph.It was, it seems, the wilful ugliness and lumpenness of Nijinsky’s evocation of Russian prehistory that was really shocking to audiences – the « knock-kneed Lolitas » Stravinsky wrote of. The dance offended their sense of beauty and their vision of what a ballet should be, as much as if not more than the music. Anyway, at the premiere, the radicalism of Stravinsky’s score could hardly be heard for cat-calls, although some reports suggest the boos had calmed down before the climax. Stravinsky had great praise for Monteux’s cool head, calling the conductor as « impervious and as nerveless as a crocodile ». He added: « It is still almost incredible to me that he actually brought the orchestra through to the end. »The paradox of the primitivism in The Rite is that it can be heard as both a horrifying vision of the pitilessness of nature – and as an expression of the inhumanity of the machine age. The fate of the « chosen one » in the Sacrificial Dance is particularly chilling. She is caught in an unstoppable rhythmic vortex from which there is only one way out: through the terrible dissonance that ends the piece, and the single chord that kills her. This is music that manages to sound both mechanistic and elemental, making The Rite as radical in 2013 as it was 100 years ago.Still, for all its modernity, for all Stravinsky’s insistence that the whole thing came from « what I heard » (and for all that Puccini would later call it « the work of a madman »), The Rite is rooted in musical traditions. As Bela Bartók intuited, and as musicologist Richard Taruskin has shown, many of The Rite’s melodies come from folk tunes – including that opening bassoon solo, which is actually a Lithuanian wedding song. Scholars have identified more than a dozen folk references so far, but there’s an even more significant tradition behind The Rite.The work is the apotheosis of a way of thinking about music that began in the 1830s with Mikhail Glinka, the first important Russian composer, and an inpiration to Stravinsky, whose music he loved. The way The Rite moves, with its blocks of music juxtaposed next to and on top of one another like a mosaic, is prefigured not just by Stravinsky’s previous ballets for Diaghilev (The Firebird and Petrushka), but in music by his teacher Rimsky-Korsakov and even Tchaikovsky. Those « new » sounds with all those dagger-like dissonances? If you look at them closely, you’ll find they’re all versions either of common chords stacked up on top of each other, or are built from the scales and harmonies that Rimsky-Korsakov, Mussorgsky and Debussy had already discovered. And all those jerky, jolting rhythms? They’re derived, albeit distantly, from the way some of those folk tunes work.So there’s nothing so old as a musical revolution. But even if it’s true that Stravinsky plundered traditions both ancient and modern to create The Rite, there’s something that, finally, can’t be explained away, something you should feel in your gut when you experience the piece. A century on, the truly shocking thing about The Rite is still with us, right there at its climax. A good performance will merely pulverise you. But a great one will make you feel that it’s you – that it’s all of us – being sacrificed by Stravinsky’s spellbinding and savagely cruel music.The London Philharmonic Orchestra plays The Rite of Spring on 17 February at the Royal Festival Hall, London SW1, as part of The Rest Is Noise festival. Box office: 0844 875 0073.

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Ballet PreljocajJudith MackrellThe Guardian1 May 2002 Angelin Preljocaj has already stamped his sparky revisionist ideas on three of the old Ballets Russes masterpieces, but recreating The Rite of Spring is a different kind of challenge. How do you add to the history of a ballet that’s already made legends of its most distinguished interpreters? Where do you find a choreographic idea strong enough to survive the treacherous peaks and unyielding terrain of Stravinsky’s score? Unfortunately, Preljocaj doesn’t have totally convincing answers to these questions, though he looks very hard for them in sex. Picking up from the implacable energy which propels the music, Preljocaj opts to portray the rites of modern lovers rather than the sacred rituals of a prehistoric tribe. From the moment that his six women throw down their knickers as casual gauntlets to the six watching men, the piece embarks on a trajectory from the titillation of desire through to its destruction. I like the analytic cast of Preljocaj’s mind in this piece – the way he moves from the lovers’ constrained taunting of each other, to the first blows that tighten the strings of their desire, to the aggressive seduction routines, and to the sex itself which becomes flagellatory in its efforts to sustain its own excitement. Preljocaj mocks the men as studs and forces the exhausted lovers to shuffle like a slave gang in thrall to their own libidos. Yet rarely does he find enough material to elaborate these images into substantial choreography. Even at the climax, when the group strip one of the woman naked and make her dance a kind of sacrificial orgasm, the movement doesn’t fully hold our attention. It is left to Stravinsky’s controlled frenzy to dominate the stage…

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The Fight of Spring: The score was so unlike anything heard before that, at rehearsals, the musicians wondered if there had been a printing mistake

The Fight of Spring: The score was so unlike anything heard before that, at rehearsals, the musicians wondered if there had been a printing mistake

PARIS 1913

Looking nervously through the peephole in the curtain of the Théâtre des Champs-Élysées, the young choreographer Vaslav Nijinsky could see a murmuring ocean of bejewelled ladies, and their escorts in white tie and tails, waiting for his ballet to begin.

It was the French capital, on May 29, 1913, and the audience’s mood was one of excited expectation.

They were about to witness one of the most hotly anticipated cultural events in history; the first performance of Igor Stravinsky’s Le Sacre Du Printemps (The Rite Of Spring), designed by Nicholas Roerich, choreographed by Nijinsky and produced by Sergei Diaghilev.

The people packed into the sweltering theatre represented ‘the thousand varieties of snobbism, super-snobbism, (and) anti-snobbism’.

First there were the grandes dames of French society, diamonds blazing on their powdered bosoms.

These powerful women were life models for Marcel Proust, the reclusive novelist whose ground-breaking À La Recherche Du Temps Perdu, the first section of which was published in 1913, chronicled this tiny group of aristocrats and their hangers-on.

Although they could be generous patrons, their kindness came at a price – they expected their world view to be reflected in the work they supported.

While the grandees in their red velvet boxes had paid double the usual ticket price, Diaghilev – the charismatic impresario of the Ballets Russes, the company that had bewitched Paris four years earlier – had also given out free passes to a group of rebellious intellectuals.

The young men wore soft collars and short jackets, and the women were in turbans and bright, loose dresses.

Sergei Diaghilev, left, with Igor Stravinsky

Sergei Diaghilev, left, with Igor Stravinsky

Even if they could have afforded better clothes they would have refused to wear them, as a demonstration of their rejection of outdated traditions.

Torn between his devotion to art as an ideal and his need for a hit, and devastated by the private knowledge that Nijinsky, his acknowledged lover for the past four years, was moving away from him, Diaghilev was desperate for Sacre to succeed.

He had opened the programme with Les Sylphides, his favourite piece and one of the Ballets Russes’ most popular shows.

The lonely poet dancing with ghostly maidens in long white tutus was romantic and heart-stoppingly beautiful; for most of the audience, exactly what they expected.

Others, though, had begun to hope that ballet, like literature and the visual arts, might begin to form a new, truer idea of beauty.

Even though the first strains of Sacre are hauntingly delicate, the unusually high register used by Stravinsky for the opening bassoon solo caused a commotion.

The ballet was 24-year-old Vaslav Nijinsky's first major composition

The ballet was 24-year-old Vaslav Nijinsky’s first major composition

The composer Camille Saint-Saëns hissed to his neighbour: ‘If that’s a bassoon, I’m a baboon.’

Whistles, boos and laughter broke out. The score was so unlike anything heard before that, at rehearsals, the musicians wondered if there had been a printing mistake.

Stravinsky would shout: ‘Gentlemen, you do not have to laugh, I know what I wrote!’ and would race to the piano to pound out the music as he wanted  it played.

The sweating dancers waited in their heavy costumes to begin the performance, an imagined enactment of the fertility ritual of an ancient Slavonic tribe.

The ballet was 24-year-old Nijinsky’s first major composition.

Despite his universally acknowledged genius as a dancer (since his Parisian debut in 1909, aged 20, he had been acclaimed Le Dieu De La Danse) his talents as a choreographer aroused debate.

Some found his two previous ballets – L’Après-Midi D’un Faune (1912) and Jeux, which had premiered only weeks earlier – thrillingly new, but many dismissed them as ugly, even obscene.

As the music swelled into a frenzy of dissonance, the dancers began moving, but what the audience saw bore almost no relation to the grace of Les Sylphides.

The dancers’ steps were heavy, as Nijinsky imagined the movements of ancient tribespeople. For much of the performance they faced away from the audience and there was no storyline to follow.

This was, as one critic later wrote, ‘not the usual spring sung by poets . . . [but] spring seen from inside, with its violence, its spasms and its fissions’.

The audience erupted – with some shouting in rage at having been mocked and insulted, as they saw it, by this ‘non-ballet’ and others defending it, understanding that what they were seeing and hearing was as revolutionary as the writings of Nietzsche and Freud, the discoveries of Einstein, the paintings of Cézanne and Picasso.

As one said, they were witnessing ‘an utterly new vision, something never before seen . . . art and anti-art at once’.

However, the arguments quickly descended into the visceral. Members of rival factions were observed rapping one another on the head with their canes; one tugged another’s top hat down over his face.

One of the young bohemians, a critic, cried out: ‘Down with the whores of the Sixteenth (arrondissement; Paris’s Mayfair)!’

HIGH JINKS: The Finnish National Ballet performing a reconstruction of Nijinsky's The Rite Of Spring

HIGH JINKS: The Finnish National Ballet performing a reconstruction of Nijinsky’s The Rite Of Spring

Gabriel Astruc, the theatre’s owner and a long-term supporter of the Ballets Russes, leaned out of his box and screamed: ‘First listen! Then hiss!’

Nijinsky’s mother fainted. Some people remembered seeing  policemen arriving to break up fights.

The premiere would pass into legend as one of the great moments of cultural history, but for each of the protagonists it was a personal turning point, too.

Although some critics hailed Le Sacre Du Printemps as a masterpiece it was a commercial failure. Nijinsky’s choreography was dismissed and all but forgotten until the first revival of his work more than 70 years later.

Stravinsky and Nijinsky would never work together again. Astruc was forced to close the Théâtre des Champs-Élysées because Sacre had bankrupted him.

Diaghilev was on the verge of sacking Nijinsky when the choreographer eloped with a female follower of the Ballets Russes.

After the performance, Diaghilev, Nijinsky and Stravinsky drove around the empty city.

The evening ended with Diaghilev reciting Pushkin in the Bois de Boulogne, the tears on his face lit up in the carriage lamps, while Stravinsky and Nijinsky listened intently.

They were, said Stravinsky, ‘excited, angry, disgusted and . . . happy’, convinced that it would take people years to understand what they had been shown.

Even so, they could scarcely have imagined that Nijinsky’s choreography would never be danced again after its nine performances in 1913 but would resonate throughout the century to come, while Stravinsky’s score would go on to be acclaimed the soundtrack of the 20th century.

‘Nijinsky’ by Lucy Moore is published by Profile, priced £25. To order your copy at £18 with free p&p, please call the Mail Book Shop on 0844 472 4157 or visit mailbookshop.co.uk.

THE LORD OF MODERN DANCE

Nijinsky – the journey from genius to tortured madman

Nijinsky’s parents were Polish itinerant dancers who often performed in the large theatre-circuses, such as Salamonsky’s, which were hugely popular attractions throughout the Russian empire.

His first paid role, aged seven, was as a chimney sweep.

Almost immediately after graduating from the Imperial Theatre School, Nijinsky attracted the attention of a rich patron, Prince Lvov, who seduced him by pretending that a princess who was in love with Nijinsky had asked him to act as her go-between.

Lvov introduced Nijinsky to Diaghilev and encouraged their romance, well aware of how instrumental Diaghilev could be in promoting Nijinsky’s career.

It was only dancer Anna Pavlova’s last-minute absence from the Ballets Russes’ opening two weeks in Paris in 1909 that allowed Diaghilev to present Nijinsky as his star.

In 1913, soon after the debacle in Paris, Nijinsky met a star-struck Hungarian socialite Romola de Pulszky on a month-long voyage to South America – and they married.

When he discovered Nijinsky had eloped, Diaghilev consoled himself with a debauched tour through Southern Italy before his thoughts turned to revenge.

Nijinsky’s first mental breakdown probably took place in 1914, soon after Diaghilev sacked him.

He put on a programme at a London music hall, but it was a disaster. Nijinsky was so hysterical that, on one occasion, the stage manager had to pour a jug of water over him.

As Nijinsky’s mental health declined in the mid-1910s his behaviour became increasingly erratic. Influenced by the writings of Tolstoy, he began wearing hair shirts next to his skin and refusing to eat meat.

By 1919 Nijinksy was experiencing periods of lucidity and terrifying moments of hallucination and mania.

Nijinksy, Romola and their daughter, Kyra, were living quietly in St Moritz and he took to driving their sleigh into the paths of oncoming sleighs.

He pushed Romola down the stairs and spent hundreds of francs on sweaters in a rainbow of colours.

According to the frenzied diary he began on the day of his last public performance, Nijinsky believed that he was entering into a marriage with God.

When Romola took him to a psychiatrist to be diagnosed, he was told by the doctor that he was incurably insane.

His daughter, Tamara, aged 17, seeing Nijinsky after many years’ absence in 1937, was alone with him for a moment.

She picked him a bunch of flowers, and recalled: ‘Silently, he gazed at the daisies, lifted them upward to the sky . . . like an offering, then sank back in his chair, shut his eyes, and pressed the flowers to his heart.’

Nijinsky died in a London clinic in 1950.

Voir enfin:

Le Sacre du printemps

Introduction

La danse devrait exprimer … toute l’époque à laquelle appartient le sujet du ballet» – Michel Forkin

En 1913, la danse « Le Sacre du printemps » est achevée. Avant cela, Isadora Duncan et Fokine nous avaient déjà montré le retour à la nature et aux sources grecques pour trouver le nouveau vocabulaire de la danse.

Mais aussi nous avons déjà Les Demoiselles d’Avignon de Picasso où l’on trouve la recherche des cubistes sur la forme géométrique et l’idée du primitivisme.

Également on a déjà commencé à sentir l’air de la guerre qui commence l’année suivante. Le Sacre du printemps représente le sacrifice de la Russie païenne à l’époque de la préhistoire. C’est le commencement de la danse contemporaine. Voici la photo de l’idole slave.

Sa pose évoque une pose de la danse du « Sacre du printemps » comme ce qui suit.

Est-ce qu’il y a une relation entre la chorégraphie de la danse du XX siècle et les idoles slaves en bois sculptées, typiques des communautés païennes dans le pré-christianisme russe ? Une problématique s’apparente au rapport entre préhistoire et modernité. En quoi le Sacre du printemps de 1913 recherchait-il le nouveau vocabulaire de la danse classique en consultant l’idée de préhistoire. D’abord nous voyons le contexte du retour à la préhistoire, ensuite le primitivisme dans cette danse enfin la manière dont elle reflète l’influence de l’âge de la pierre.

1.1. Un rôle important de Roerich, artiste, érudit en archéologie

Le sacre du printemps de 1913 est une collaboration parmi trois principaux artistes. On attribue la musique à Stravinsky, la chorégraphie à Nijinsky et les dessins, décors et costumes à Roerich.

Cependant il reste une question: qui a écrit ce scénario? Kenneth Archer indique la possibilité de la grande influence de Roerich non seulement sur ce scénario mais aussi sur cette danse classique totale. Car pour créer Le sacre du printemps, on a besoin d’une connaissance sûre de la Russie archaïque.

Roerich est un grand artiste, un philosophe et un érudit. Nijinska écrit dans son livre qu’au cours de ses nombreuses fouilles et explorations de grottes, il a découvert des vestiges de l’âge primordial.

1 Il semble que Roerich ait partagé des sources de rites, comme l’idole avec Nijinsky. Nous revenons à cette idole.

Kenneth indique que le geste de la figure masculine en haut est similaire à celui du danseur du Sacre du printemps. Tous les deux posent leur main droite sur l’estomac ou la poitrine et leur main gauche sur la taille en pliant les bras. Leur pose met les pointes des coudes en évidence. C’est tout à fait contraire à la tradition de la danse classique où « la courbe l’emporta sur la ligne droite »2.

1.2. La différence et l’analogie entre Isadora Duncan et Nijinsky

Duncan a essayé de libérer le corps et de retourner à la nature en s’inspirant de la danse grecque antique peinte sur le vase. Elle reste sous l’influence de la Grèce classique et de la ligne serpentine. Nous pouvons trouver son influence (à travers Folkin) dans l’Après-midi d’un Faune que Nijinsky a chorégraphié. Les attitudes des Nymphes étaient bien stylisées en continuant à nous montrer la silhouette latérale. Cela évoque une frise peinte.

Leurs gestes et attitudes se trouvent sur des vases attiques aux alentours du Vème et du IVème siècles avant J.-C.1 Cependant il semble que à l’aide de Diaghilev, Nijinsky ait pu aller plus loin. Diaghilev a parlé de « repenser le temps passé plutôt que de tenter de le faire revivre.»2 La structuration et stylisation de la nouvelle grammaire de la danse sont caractéristiques chez Nijinsky. À savoir qu’il ne retient pas le passé, il a avancé jusqu’à la modernité en restructurant le mouvement du passé.

Il a pu créer un système cohérent de la danse en s’inspirant des techniques dormantes de danse rituelle archaïque.

2.1. Roerich et le design

Les dessins du peintre, Roerich pour les costumes ont beaucoup inspiré la chorégraphie du Sacre à Nijinsky. Sa série de tableaux nommée « Slav series » traite les sites religieux d’ ancien Slave où l’on voit la disposition des idoles basées sur une géométrie rituelle. Nous voyons un tableau « The idols » de Roerich.1

Un certain nombre d’idoles forment un cercle entourant une roche au centre. Des piquets en bois aiguisés font cercle autour de ces objets rituels. Sur ces pieux, on pose les crânes blancs des bêtes. Selon Archer, nous pouvons trouver le même motif géométrique rituel dans le costume dessiné par Roerich et dans la chorégraphie de Nijinsky pour le premier Acte. Par exemple, le sarrau rouge que les jeunes filles portent au premier acte évoque une disposition religieuse.1 Voici Reconstructing Roerich’s Costumes.

Le motif circulaire est omniprésent. Il y a un cercle noir au centre qui ressemble à la roche et des cercles rouges entourent ce noir. Enfin une ligne noire fait cercle autour d’eux. Ces trois couches du cercle se trouvent dans la composition de la chorégraphie du premier acte.

Au centre de la scène un sage se tient debout comme une roche, autour de lui, huit personnes courent dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, et puis de plus grands groupes de jeunes filles courent dans le sens des aiguilles d’une montre. Le motif du cercle rituel de l’âge de pierre apparaît dans la composition géométrique du costume et de la chorégraphie du XXème siècle.

En outre, le dessin de Roerich a directement influencé sur le geste. Voici son dessin : « run away looking to the left »3 Nijinsky a introduit ce geste dans le premier Acte-Scene « Ritual of Abduction ».

3.1. Le cubisme, Cubo-Futurisme et Sacre du printemps

« On peut parler d’une mosaïque sonore analogue au cubisme en peinture. » -Benoît Chantre1

Quelques livres sur Le Sacre du printemps ont pressenti la relation de ce ballet avec le cubisme, le primitivisme et le commencement de la guerre. On peut dire également que le caractère mosaïque de la danse rappelle le cubisme. Chaque groupe de danseurs a simultanément des rythmes différents à suivre. Il s’agit de la simultanéité du mouvement divers de plusieurs danseurs. Il y a plusieurs points de vue dans une oeuvre. Cette idée rejoint le cubo-futurisme russe qui est marqué par le cubisme. Par exemple en 1912, Kasilir Malevich, dans sa peinture The Knife-Grinder, a commencé à repenser l’interprétation du corps humain en déplaçant l’accent sur le temps et sur le mouvement à partir de la forme, du volume. Il a montré différentes étapes du même mouvement, comme la représentation séquentielle du corps humain dans un tableau.

Conclusion

En conclusion, à travers les connaissances de Roerich en préhistoire, Nijinsky a trouvé le nouveau style qui est tout à fait contraire à la base du ballet traditionnel. Le Sacre du printemps reflète le sacrifice non seulement de la préhistoire mais aussi l’atmosphère des foules avant la guerre. Également serait il possible d’approfondir la question du lien du cubisme avec ce ballet appelé « Cubist Dancing »  à partir de point de vue de la déshumanisation dans le pressentiment de la guerre ?

Notes:

1. W.Beaymont, Cyril. Michel Fokine and His Ballets, Londres,1935, (cité par Eksteins, Modris. Le sacre du printemps:la Grande Guerre et la naissance de la modernité, Trans. Leroy-Battistelli, Martine. Paris : Plon, 1991, p.44.).
2. Hodson, Millicent,Nijinsky’s crime against grace : reconstruction score of the original choreography for Le Sacre du printemps, Stuyvesant (N.Y.) : Pendragon, 1996,XXVII-205 p. : voir aussi p.103, «A Slavic idol, this nine foot high obelisk reflects earlier Russian pagan beliefs. The large figures at the tops probably sky gods, with a horse at the foot of one-dwarf the tiny men below, underworld demons crouch at the idol’s base.»

1.Kisselgoff, Anna. « Introduction » in Bronislava, Nijinska. (ed.), Nijinska, Irina. Rawlinson, Jean, Early Memoire,   NewYork : Holt, Rinehart and Winston, 1981, 448p. ( cité par Archer, Kenneth. Hodson, Millicent. The lost Rite: rediscovery of the 1913 Rite of spring, London : KMS, 2014,  p. 31).
2.Eksteins, Modris. Le sacre du printemps:la Grande Guerre et la naissance de la modernité, Trans. Leroy-Battistelli, Martine. Paris : Plon, 1991, 424 p., p.55  « En 1828, dans le Code de Terpsichore, Carlo Blasis écrivait : « Veillez à ce que vos bras soient si arrondis que les pointes des coudes soient imperceptibles. »

1.Kenneth, Archer. Millicent, Hodson. The lost Rite: rediscovery of the 1913 Rite of spring, London : KMS, 2014, p.31.

2.Hodson, Millicent. Nijinsky’s crime against grace: reconstruction score of the original choreography for Le Sacre du printemps ,Stuyvesant (N.Y.) : Pendragon, 1996, p.119.

3.Hodson, Millicent.Nijinsky’s Crime against grace, ibid. p.40, « Ritual of Abduction (Act I, Scene 2 ) at 37 in the orchestral score. ».

[fig] Kenneth, Archer. Millicent, Hodson. The lost Rite: rediscovery of the 1913, op.cit. p.33, « Costume design in tempera on paper by Nichoras Roerich for an Act 1 Maiden, Le Sacre du Printemps, Paris,1913″.

1.Girard, René. « Le Religieux, vraie science de l’homme Entretien avec Benoît Chantre », in La conversion de l’art, Paris,  Carnets Nord, 2008, p.222.
2.Millicent, Hodson. Nijinsky’s crime against grace: reconstruction score of the original choreography for Le Sacre du printemps, Stuyvesant (N.Y.), Pendragon, 1996. p.114

[fig.] Malevich, Kasimir. The Knife Grinder or Principle of Glitterin, 1912-13, Oil on canvas, 79.5 x 79.5 cm (31 5/16 x 31 5/16 in.), Yale University Art Gallery.

Bibliographie

Buckle, (Richard)., Diaghilev : biographie, traduit de l’anglais par Tony Mayer, Paris: J.-C. Lattès, 1980, 717 p.

Eksteins, (Modris)., Le sacre du printemps:la Grande Guerre et la naissance de la modernité ;trad. de l’anglais par Martine Leroy-Battistelli, Paris:Plon, 1991, 424 p.

Girard, (René)., « Le religieux, vraie science de l’homme Entretien avec Benoît Chantre », in La conversion de l’art, Paris : Carnets Nord, 2008,287 p.

Kenneth,(Archer). Millicent,(Hodson)., The lost Rite: rediscovery of the 1913 Rite of spring, London : KMS, 2014, 266 p.

Millicent,(Hodson)., Nijinsky’s crime against grace: reconstruction score of the original choreography for Le Sacre du printemps, Stuyvesant (N.Y.) : Pendragon, 1996, XXVII-205 p.

Nectoux, (Jean-Michel)., Après-midi d’un Faune Mallarmé, Debussy, Nijinsky,1989, Paris : Les Dossiers du musée d’orsay,64 p.

Wilfrid Dyson, (Hambly)., Tribal dancing and social development, Binsted :Noverre, 2009,296 p.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Est-ce qu’il y a une relation entre la chorégraphie de la danse du XX siècle et les idoles slaves en bois sculptées, typiques des communautés païennes dans le pré-christianisme russe ? Une problématique s’apparente au rapport entre préhistoire et modernité. En quoi le Sacre du printemps de 1913 recherchait-il le nouveau vocabulaire de la danse classique en consultant l’idée de préhistoire. D’abord nous voyons le contexte du retour à la préhistoire, ensuite le primitivisme dans cette danse enfin la manière dont elle reflète l’influence de l’âge de la pierre.

W.Beaymont, Cyril. Michel Fokine and His Ballets, Londres,1935, ( cité par Eksteins, Modris. Le sacre du printemps:la Grande Guerre et la naissance de la modernité, Trans. Leroy-Battistelli, Martine. Paris : Plon, 1991, p.44.).
Hodson, Millicent,Nijinsky’s crime against grace : reconstruction score of the original choreography for Le Sacre du printemps, Stuyvesant (N.Y.) : Pendragon, 1996,XXVII-205 p. : voir aussi p.103, «A Slavic idol, this nine foot high obelisk reflects earlier Russian pagan beliefs. The large figures at the tops probably sky gods, with a horse at the foot of one-dwarf the tiny men below, underworld demons crouch at the idol’s base.»

Voir par ailleurs:

Faut-il craindre la résurgence de virus et de bactérie disparus, avec le dégel du permafrost ?
Les réponses de Philippe Charlier, médecin légiste et archéo-anthropologue, Jean-Claude Manuguerra, virologiste, directeur de la Cellule d’intervention biologique d’urgence (Cibu) de l’Institut Pasteur.
Recueilli par Laureline Dubuy
La Croix
02/12/2019

Faut-il craindre la résurgence de virus et de bactérie disparus, avec le dégel du permafrost ?

« Il y a un risque réel de propagation planétaire des agents infectieux »

Philippe Charlier, médecin légiste et archéo-anthropologue (1)

Le réchauffement climatique met au jour des restes d’humains, d’animaux et de végétaux conservés dans le permafrost, parfois depuis des centaines de milliers d’années. Les bactéries, les virus et les parasites qu’ils contiennent ne sont pas forcément morts avec leurs hôtes, ils sont pour beaucoup seulement endormis. Les virus semblent perdre en intensité avec la congélation et le temps, ce qui n’est pas le cas pour les bactéries. En 2016, une épidémie de la maladie du charbon (anthrax) a décimé les troupeaux de rennes en Sibérie. Les deux souches de ce bacille étudiées par les scientifiques remontaient au XVIIIe et au début du XXe siècle.

Le risque de propagation est bien réel. Pour l’instant, la résurgence se fait de manière locale, mais elle pourrait se répandre à l’ensemble de la planète. Avec la liquéfaction du permafrost, les agents infectieux peuvent migrer dans les eaux mais aussi s’agglomérer sous les semelles des chaussures. Car si les régions du Grand Nord abritent des populations parfois très isolées, elles attirent aussi des touristes, des scientifiques, des chasseurs de fossiles…

Il est indispensable que des précautions sanitaires drastiques soient prises pour éviter une éventuelle propagation. Aujourd’hui, trop peu de scientifiques s’y intéressent. Il y a pourtant une vraie urgence à prévoir l’avenir.

« Le danger serait de reconstituer des virus disparus à partir de virus morts »

Jean-Claude Manuguerra, virologiste, directeur de la Cellule d’intervention biologique d’urgence (Cibu) de l’Institut Pasteur

Des épidémies peuvent toujours survenir, causées par des bactéries très résistantes, comme le charbon (anthrax), que l’on a retrouvé dans des cadavres d’animaux en Sibérie en 2016. Ces germes sont effectivement très robustes. Mais une épidémie de charbon s’arrête facilement. Les virus, eux, tels que nous les connaissons, ne sont pas très résistants. Il y a peu de risques qu’ils puissent être conservés au point d’être viables. Ils supportent difficilement les changements d’état. Pour qu’ils soient viables, il faudrait qu’il n’y ait jamais eu de décongélation et qu’ils soient récupérés à l’état congelé.

→ VIDEO. La fonte du pergélisol, bombe à retardement pour le climat

En revanche, le risque pourrait venir des expériences de l’homme. Le danger serait de pouvoir reconstituer des virus disparus à partir de virus morts. Ça a déjà été le cas. Des scientifiques ont prélevé des fragments du génome du virus de la grippe espagnole sur le cadavre d’un esquimau inuit. Ces fragments, associés à des échantillons d’hôpitaux, ont permis de reconstituer la séquence de ce virus disparu qui a décimé des populations.

Aujourd’hui, nous avons des outils très performants pour identifier les bactéries ou les virus et réagir rapidement. Le risque microbiologique venu de l’Arctique n’est pas le plus grand danger du réchauffement climatique, selon moi. Par exemple, le virus contemporain du chikungunya étend de plus en plus sa zone géographique avec l’augmentation des températures.

(1) Auteur avec David Alliot de « Autopsies des morts célèbres », éditions Tallandier, 272 p., 19,90 €

Voir enfin:

Changement climatique
CO2 et virus oubliés : le permafrost est « une boîte de Pandore »
Boris Loumagne
Radio France
15 décembre 2018

Vue aérienne de lacs formés par le dégel du pergélisol sibérien à Yamalo-Nenets, en Russie.

Vue aérienne de lacs formés par le dégel du pergélisol sibérien à Yamalo-Nenets, en Russie.

© Getty – Asahi Shimbun

Tandis que les règles d’application de l’accord de Paris ont été adoptées lors de la COP24 en Pologne, en Sibérie ou au Canada le pergélisol (permafrost en anglais) poursuit son dégel. Cette couche de sol renferme d’énormes quantités de carbone et des virus potentiellement dangereux pour l’Homme.

Les effets du réchauffement climatique sont multiples : hausse des températures, fontes des glaciers, hausse du niveau des mers, sécheresse, changements de la biodiversité, migrations humaines, etc. Parmi toutes ces catastrophes en cours ou à venir, il en est une majeure, qui se déroule en ce moment en Alaska, au Canada et en Russie. Selon les scénarios les plus optimistes, d’ici 2100, 30% du pergélisol pourraient disparaître. Entamé depuis plusieurs années, le dégel de cette couche géologique, composée de glace et de matières organiques, menace de libérer des quantités astronomiques de CO2, entraînant potentiellement un réchauffement climatique encore plus important et rapide que prévu. Le pergélisol préserve également de nombreux virus, oubliés ou inconnus. En 2016, un enfant a ainsi été tué par de l’anthrax. Le virus de la maladie du charbon avait été libéré suite au dégel d’un cadavre de renne vieux de 70 ans !

Pour étudier les risques liés au dégel du pergélisol, nous avons sollicité l’éclairage de deux spécialistes. Florent Dominé, d’une part, est chercheur, directeur de recherche au CNRS. Il travaille à l’Unité Mixte Internationale Takuvik, issue d’un partenariat entre l’Université Laval à Québec (Canada) et le Centre National de la Recherche Scientifique. Ses activités se concentrent essentiellement dans l’Arctique canadien où il travaille sur les problématiques climatiques et en particulier sur la transformation et le dégel du pergélisol. Sur place, il étudie également l’évolution de la végétation et de la biodiversité. Par ailleurs, concernant la question des virus, nous avons fait appel à Jean-Michel Claverie, professeur de médecine de l’Université Aix-Marseille, directeur de l’institut de Microbiologie de la Méditerranée et du laboratoire Information Génomique et Structurale. En 2014, lui et son équipe ont découvert deux nouveaux virus, des virus géants, datés de 30 000 ans, dans le pergélisol sibérien.

Un réservoir de gaz à effet de serre

Le pergélisol est un vaste territoire. Sa superficie est estimée entre 10 et 15 millions de mètres carrés (entre 20 et 30 fois la superficie de la France). On trouve du pergélisol au nord du Canada et de l’Alaska, ainsi qu’au nord de la Sibérie. Selon les zones, la profondeur de cette couche varie : de quelques mètres à environ un kilomètre dans certains points de la Sibérie où le pergélisol se maintient alors depuis des millions d’années. Selon certaines études, ces couches du sol renfermeraient des milliards de tonnes de carbone. Une analyse confirmée par le chercheur Florent Dominé :

Le pergélisol contient de la glace et de la matière organique issue essentiellement de la décomposition partielle des végétaux. Cette matière organique est formée en grande partie de carbone. Il y a environ deux fois plus de carbone dans le pergélisol que dans l’atmosphère. Ce carbone, quand il est gelé, est peu accessible à la minéralisation bactérienne. Les bactéries peuvent se nourrir de cette matière organique dès lors qu’elle est dégelée. Et là, les bactéries vont pouvoir la métaboliser et la transformer en CO2. Ce dioxyde de carbone va alors s’échapper dans l’atmosphère et potentiellement faire augmenter les teneurs de ce gaz à effet de serre.

En somme, le CO2 qui s’échappe dans l’atmosphère participerait au réchauffement climatique, qui lui même accélère la fonte du pergélisol. Toutefois, difficile de prévoir exactement quelle sera la quantité réelle de ces émissions, comme le rappelle Florent Dominé : « La fourchette serait comprise entre 50 et 250 milliards de tonnes de CO2. Mais il y a tellement de rétroactions qui n’ont pas encore été découvertes et qui n’ont pas été incluses dans les modèles, que toutes ces projections sont soumises à d’énormes incertitudes. Et puis il y a des incertitudes sur le processus inverse qui est celui de la fixation de matière organique, de carbone, par la végétation. Imaginons : si il fait plus chaud, la végétation pousse. La toundra herbacée est remplacée par de la toundra arbustive. Il y a plus de biomasse dans les arbustes que dans les herbes. Donc les sols arctiques vont servir de puits de carbone quand le pergélisol servira de source de carbone. Bref, il y a encore trop d’incertitudes. Mais quoiqu’il en soit, au nom de principe de précaution, il y a lieu de faire très attention à cette libération du carbone.« 

Florent Dominé, lors d'une étude du réchauffement du pergélisol, près de Kuujjuarapik, au Canada en décembre 2014
Florent Dominé, lors d’une étude du réchauffement du pergélisol, près de Kuujjuarapik, au Canada en décembre 2014

© AFP – Clément Sabourin

De plus, le CO2 n’est pas le seul gaz à effet de serre que peut produire le pergélisol dégelé. « Quand la matière organique du pergélisol dégèle, détaille le chercheur_, et qu’il n’y a pas d’oxygène disponible parce que la zone est saturée en eau, alors à ce moment-là, on va avoir une fermentation bactérienne et donc_ une émission de méthane par le pergélisol. Le méthane est un gaz à effet de serre trente fois plus puissant que le CO2__. Toutefois, dans le pergélisol, il y a 100 fois moins de méthane que de CO2. » Du mercure a également été découvert dans certaines zones de l’Alaska mais d’après Florent Dominé, « le principal danger climatique reste le dioxyde de carbone« .

Biodiversité modifiée, infrastructures menacées

L’impact du dégel du pergélisol est donc potentiellement planétaire. Mais avant cela, les retombées négatives de ce réchauffement global se mesurent aussi localement. Dans les zones qui voient leur pergélisol dégeler, la biodiversité se modifie profondément. C’est ce qu’a constaté sur place Florent Dominé : « On a des changements phénoménaux dans les assemblages végétaux et dans les migrations d’espèces animales. Je travaille notamment près d’un village inuit, Umiujaq, au nord du Québec. Il y a 50 ans, la végétation était essentiellement composée de lichen à caribou. Désormais, c’est envahi par les bouleaux glanduleux, des bouleaux nains. Les renards arctiques ont disparu et ont été remplacés par des renards roux. Des orignaux commencent à arriver alors qu’avant ils étaient cantonnés plus au sud.« 

Ces changements d’éco-systèmes fondamentaux peuvent également s’accompagner de la disparation pure et simple d’espèces végétales. « Il y a également le danger, poursuit le chercheur, que des espèces cantonnées beaucoup plus au nord, au désert polaire  – certains types d’herbes ou de lichens – deviennent de plus en plus rares, voire même disparaissent avec le réchauffement climatique. »

A Newtok, en Alaska, des planches de bois ont été installées pour se déplacer sans s'enfoncer dans le permafrost dégelé
A Newtok, en Alaska, des planches de bois ont été installées pour se déplacer sans s’enfoncer dans le permafrost dégelé

© Getty – Andrew Burton

Localement, le dégel du pergélisol a également de lourdes conséquences sur les Hommes. Quand la glace du sol fond, cela peut conduire à un affaiblissement, voire à une destruction, des infrastructures bâties à une époque où le pergélisol était encore stable. « A Umiujaq, la route qui mène à l’aéroport s’est effondrée, se souvient Florent Dominé. A Iqaluit, la plus grande ville du territoire du Nunavut, la piste de l’aéroport a dû être refaite. A Salluit, à l’extrême nord du Québec, la caserne de pompier s’est effondrée. Et dans ce village construit quasiment entièrement sur une zone riche en glace et qui existe depuis des dizaines d’années, on parle de déménager tous les habitants. On en arrive à ces situations qui peuvent être dramatiques pour les populations locales. » L’une des missions du chercheur Florent Dominé est donc notamment d’encourager les populations locales à construire sur des zones rocheuses, parfaitement stables et sans risque.

Mines d’or et virus oubliés 

En découvrant dans une revue scientifique que des chercheurs russes étaient parvenus à faire ressusciter une espèce végétale prisonnière du pergélisol pendant 30.000 ans que le Professeur Jean-Michel Claverie s’est posé cette question : « Est-il possible de faire la même chose pour un virus ? » En 2014, le Pr Claverie et son équipe ont découvert deux virus géants, inoffensifs pour l’Homme, qu’ils ont réussi à réactiver : « Cette découverte démontre que si on est capable de ressusciter des virus âgés de 30.000 ans, il n’y a aucune raison pour que certains virus beaucoup plus embêtants pour l’Homme, les animaux ou les plantes ne survivent pas également plus de 30.000 ans.« 

Pour autant, nul besoin de replonger aussi loin dans le temps pour trouver des virus dangereux pour les espèces vivantes. En 2016 en Sibérie, des spores d’anthrax vieilles de 70 ans se sont libérées du cadavre d’un renne après le dégel d’une couche de permafrost. Cet épisode a causé la mort d’un enfant ; des milliers de rennes ont également été infectés. Un drame imputable au changement climatique selon le Pr Claverie : « On a beau dire que l’on a cloîtré un certain nombre d’agents bioterroristes comme la maladie du charbon (l’anthrax), mais l’on voit bien que chaque année, quand il y a un hiver un peu chaud en Sibérie, vous avez des épidémies gigantesques dans les troupeaux de rennes. Cela est lié au réchauffement climatique puisque ces étés chauds sont de plus en plus fréquents. Chaque été une couche du permafrost dégèle. Et cet été, en 2016, la couche dégelée a été plus profonde que les années précédentes.« 

Des centaines de soldats et de vétérinaires déployés en août 2016 pour stopper le virus de l'anthrax en Sibérie
Des centaines de soldats et de vétérinaires déployés en août 2016 pour stopper le virus de l’anthrax en Sibérie

© AFP – Maria Antonova

On éradique peut-être certains agents infectieux de la surface de la planète. Mais en profondeur, dans les endroits froids et très conservateurs comme le permafrost, il est probable qu’aucun de ces agents infectieux n’ait disparu. Pr Jean-Michel Claverie

Toutefois, aussi dramatiques que puissent être ces épidémies d’anthrax, les virus libérés par le réchauffement climatique sont ceux présents dans les couches superficielles du pergélisol. Ces agents infectieux sont donc les plus récents et ils sont par conséquence connus de la médecine moderne. C’est ce qui fait dire au Pr Claverie qu’en matière de virologie, ce dégel lent des couches superficielles n’est pas le danger le plus imminent : « A cause du réchauffement climatique, des routes maritimes sont désormais ouvertes six mois par an. Vous pouvez donc accéder assez facilement en bateau jusqu’à la Sibérie. Ces côtes et ces régions, auparavant désertiques, sont connus pour receler d’importants gisements de gaz et de pétrole ; il y a également beaucoup de métaux précieux comme l’or ou les diamants. Désormais ces zones peuvent être exploitées. Là est le danger ! Prenons les Russes. Ils installent des mines à ciel ouvert. Et ils retirent le pergélisol, parce que les minerais ne sont pas dans cette couche d’humus. Ces mines font 3 à 4 kilomètres de diamètre et jusqu’à un kilomètre de profondeur. On exhume alors du permafrost qui peut être âgé d’un million d’années. Et là on tripote des choses avec lesquelles on n’a jamais été mis en contact. C’est un peu la boîte de pandore. Et connaissant les Russes, ils ne prennent aucune précaution bactériologique, il n’y a aucun encadrement pour sécuriser au mieux ces mines. Les industriels n’extraient pas des minerais en situation de confinement biologique.« 

Une mine de diamant, dans l'est de la Sibérie. L'eau noire est la glace fondue du permafrost.
Une mine de diamant, dans l’est de la Sibérie. L’eau noire est la glace fondue du permafrost.

© Getty – Scott Peterson

Qui plus est, le danger est potentiellement partout dans le permafrost, car « même si l’on se limite à creuser jusqu’à 30 mètres de profondeur, ce qui équivaut à 30.000 ans et donc à la disparition de Neandertal, cela peut être dangereux. » Le professeur Claverie argue du fait que la cause de la disparition de Neandertal est inconnue : « Imaginons qu’il ait été tué par un virus particulier. On sait désormais que les virus peuvent survivre au moins 30.000 ans. Sauf que les médecins actuels n’ont jamais vu le type d’infections auxquelles devait faire face Neandertal. Il y a là un véritable danger, qui reste toutefois difficile à évaluer. » De plus, ce danger est renforcé par la volonté politique du président russe Vladimir Poutine d’exploiter industriellement cette région du globe. « Le changement climatique fournit des conditions plus favorables pour développer le potentiel économique de cette région » avait-il déclaré en mars 2017 à propos du nord de la Russie.

Voir enfin:

Justine Chevalier
DOCUMENT BFMTV. Lindsay, une collégienne de 13 ans scolarisée à Vendin-le-Vieil, dans le Pas-de-Calais, s’est suicidée le 12 mai dernier. Elle avait dénoncé un harcèlement, une situation pas suffisament prise en compte par l’établissement et les autorités selon ses proches.

« 13 ans pour toujours ». Le 12 mai dernier, Lindsay, une collégienne de 13 ans scolarisée à Vendin-le-Vieil dans le Pas-de-Calais, s’est suicidée à son domicile, après avoir été victime de harcèlement au collège et sur les réseaux sociaux. Sa famille dénonce aujourd’hui l’attitude de la direction de l’établissement, estimant que rien n’a été fait pour protéger leur fille.

« On veut des explications, en tant que parents, on doit avoir des réponses, on doit savoir ce qu’il s’est passé », insiste le beau-père de Lindsay sur BFMTV, appelant à ce que « justice soit faite ».

« Elle aimait s’instruire »

Lindsay était élève au collège Bracke-Desrousseaux. Ce sont ses proches qui ont découvert son corps le 12 mai.

« Lindsay, c’était une petite fille joyeuse, souriante, agréable, très serviable, qui s’occupait très très bien de ses petits frères. Toujours là pour nous donner un petit coup de main. Elle aimait s’instruire », témoigne sur BFMTV le beau-père de Lindsay.

Ce mercredi 24 mai, date de l’anniversaire de Lindsay, une marche blanche a été organisée devant le collège par la famille et les proches de l’adolescente. Ils souhaitaient alerter sur le phénomène du harcèlement scolaire dont était victime la jeune fille. « Elle avait des rêves qui sont maintenant gâchés », déplore sur BFMTV son oncle Corentin.

Harcelée depuis septembre

Selon la famille de Lindsay, l’adolescente était victime de harcèlement depuis la rentrée de septembre dernier par d’autres collégiennes, qui se matérialisait par des insultes puis un harcèlement en ligne sur les réseaux sociaux.

« Elle se faisait harceler dans la rue, à l’école, chez elle… », s’indigne l’oncle de la jeune fille.

Ce harcèlement régulier s’est accentué au mois de février, alors que le mal-être de l’adolescente semble lui aussi se renforcer. À cette époque, une bagarre de plusieurs minutes éclate au sein de l’établissement entre Lindsay et une autre jeune fille. La scène est filmée et circule sur les réseaux sociaux. Cette bagarre vaudra une sanction aux deux collégiennes.

Cette situation a été dénoncée auprès de la direction de l’établissement. La mère de Lindsay a porté plainte à deux reprises au mois de février. Sa grand-mère découvre une « lettre d’adieu » rédigée par l’adolescente à la même époque, elle décide alors de se tourner vers Emmanuel Macron pour le sensibiliser à ce que vit sa petite-fille.

« On a signalé les faits, que ce n’était pas une histoire banale, mais c’est resté sans réponse », déplore le beau-père de l’adolescente.

La veille de son suicide, Lindsay a été victime d’un malaise au collège qui avait nécessité l’intervention des pompiers.

Une adolescente « habituée aux insultes »

Alertée de la situation dans laquelle vivait Lindsay en début d’année, la direction du collège a lancé une commission « harcèlement ». Des entretiens avaient été menées avec la victime, la famille, différents élèves.

« La seule réponse qu’on a eu de la part du principal, c’était ‘confisquez le téléphone de votre fille et ça s’arrêtera’, on s’est demandé si ce n’était pas une farce », dénonce le beau-père de la collégienne, qui en appelle aux autorités pour prendre des « mesures » contre le phénomène de harcèlement scolaire.

« Des sanctions adéquates ont été prononcées » assure le ministère de l’Éducation nationale contacté par BFMTV, sans donner plus de détails et rappelant qu’une enquête judiciaire est en cours.

Lindsay, elle, n’a jamais souhaité changer de collège, se disant « habituée » aux insultes, selon son oncle. « On savait qu’elle se battait avec ces filles-là, mais après quand on la voyait elle était tout le temps en train de rigoler, elle était toujours joyeuse », témoigne une collégienne.

« Le harcèlement à l’école est un fléau que nous devons combattre collectivement: pour le bien-être de nos élèves, pour leur sécurité, pour le vivre-ensemble. En remettant aujourd’hui le prix ‘Non au Harcèlement’, je pense à Lindsay, sa famille, ses amis », a écrit Pap Ndiaye mercredi soir sur Twitter.

Une cellule de soutien a été mise en place au sein du collège depuis le décès de Lindsay.

L’émotion et la colère sur les réseaux sociaux

Sur TikTok, l’émotion est très grande. Ce jeudi matin, les douze vidéos les plus vues sur la page d’accueil du réseau social étaient liées à Lindsay. Restée jusqu’alors confidentielle, l’affaire du suicide de la jeune fille est désormais largement relayée.

« Depuis des mois, elle se plaint d’être harcelée, humiliée, torturée au quotidien et aujourd’hui à 13 ans elle a mis fin à ses jours », ne décolère pas Ramous, suivi par 1,4 million d’abonnés sur TikTok.

Le nom d’une jeune fille considérée comme l’une des harceleuses de Lindsay a été révélé sur les réseaux sociaux.

Depuis février 2022, les peines en cas de harcèlement scolaire ont été alourdies. Il peut entraîner une peine de dix ans d’emprisonnement et 150.000 euros d’amende lorsque les faits ont conduit la victime à se suicider ou à tenter de le faire.


Guerre d’Ukraine: C’est le djihad final ! (After Lenin’s final struggle, Hitler’s kampf and Islam’s jihad, will Putin’s nuclear-armed pan-Slavism bring the world the ultimate holy war ?)

30 septembre, 2022

Putin listens to Russian Orthodox Patriarch Kirill during the Easter service in the Christ the Savior Cathedral in Moscow, ahead of the constitutional changes that would allow him to extend his rule until 2036 ( Apr 28, 2019)

Poutine déclare la guerre sainte au « satanisme » occidental
Gardez-vous des faux prophètes. Ils viennent à vous en vêtements de brebis, mais au dedans ce sont des loups ravisseurs. (…) C’est donc à leurs fruits que vous les reconnaîtrez. Jésus (Mat 7: 15-20)
Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée. Car je suis venu mettre la division entre l’homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa belle-mère; et l’homme aura pour ennemis les gens de sa maison. Jésus (Matthieu 10: 34-36)
Vous entendrez parler de guerres et de bruits de guerres: gardez-vous d’être troublés, car il faut que ces choses arrivent. (…) Une nation s’élèvera contre une nation, et un royaume contre un royaume, et il y aura, en divers lieux, des famines et des tremblements de terre. Tout cela ne sera que le commencement des douleurs. (…) Cette bonne nouvelle du royaume sera prêchée dans le monde entier, pour servir de témoignage à toutes les nations. Alors viendra la fin. Jésus (Matthieu 24 : 6-8)
Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. Jésus (Jean 15: 13-20)
Le bolchevisme ne durera pas éternellement en Russie. Un jour viendra où l’ordre s’y rétablira et où la Russie, reconstituant ses forces, regardera autour d’elle. Ce jour-là, elle se verra telle que la paix va la laisser, c’est à dire privée de l’Estonie, de la Finlande, de la Pologne, de la Lituanie, peut-être de l’Ukraine. S’en contentera-t-elle ? Nous n’en croyons rien. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on reverra la Russie reprendre sa marche vers l’Ouest et le Sud-Ouest. De quel côté la Russie recherchera-t-elle un concours pour reprendre l’œuvre de Pierre le Grand et de Catherine II ? Ne le disons pas trop haut, mais sachons-le et pensons-y : c’est du côté de l’Allemagne que fatalement elle tournera ses espérances. Voilà, Messieurs, pourquoi la France prête à la Pologne et à la Roumanie un si large concours militaire ; et voilà pourquoi nous sommes ici. […] Chacun de nos efforts en Pologne, Messieurs, c’est un peu plus de gloire pour la France éternelle. Charles de Gaulle (1919)
J’annonce au monde entier, sans la moindre hésitation, que si les dévoreurs du monde se dressent contre notre religion, nous nous dresserons contre leur monde entier et n’auront de cesse avant d’avoir annihilé la totalité d’entre eux. Ou nous tous obtiendrons la liberté, ou nous opterons pour la liberté plus grande encore du martyre. Ou nous applaudirons la victoire de l’Islam dans le monde, ou nous tous irons vers la vie éternelle et le martyre. Dans les deux cas, la victoire et le succès nous sont assurés. Ayatollah Khomeiny
Le peuple a fait son choix (…) c’est là leur droit, leur droit inaliénable, inscrit dans l’article premier de la Charte des Nations Unies, l’égalité des droits et de l’autodétermination des peuples. Je le répète  : il s’agit d’un droit inaliénable des peuples. (….) C’est ici, en Nouvelle Russie, qu’ont lutté Rumjancev, Suvorov et Ušakov. C’est ici que Catherine II et Potëmkine ont fondé de nouvelles villes. C’est ici que nos grands-pères et arrière-grands-pères se sont battus jusqu’à la mort pendant la Seconde Guerre mondiale. Nous n’oublierons jamais les héros du «  Printemps Russe  », ceux qui ont refusé le coup d’État néonazi dans l’Ukraine de 2014, ceux qui ont perdu la vie pour le droit de parler leur langue, de conserver leur culture, leurs traditions, leur foi, pour le droit même de vivre. Nous n’oublierons jamais les combattants du Donbass, les martyrs de la «  Khatyn d’Odessa  », les victimes des attentats inhumains orchestrés par le régime de Kiev. Nous commémorons les volontaires et les miliciens, les civils, les enfants, les femmes, les vieillards, les Russes, les Ukrainiens, des gens des nationalités les plus diverses  (…) Je vous demande d’observer une minute de silence en leur mémoire. (…) Derrière ce choix de millions d’habitants des Républiques populaires de Donetsk et Lougansk, des districts de Zaporojie et Kherson, se lisent à la fois notre futur commun et notre histoire millénaire. Les populations ont transmis ce lien spirituel à leurs enfants et leurs petits-enfants. Malgré toutes les épreuves, ils ont transmis leur amour de la Russie à travers les âges. Personne ne pourra détruire ce sentiment qui nous habite. C’est la raison pour laquelle les anciennes générations et les plus jeunes, ceux qui sont nés après l’effondrement tragique de l’URSS, ont voté d’une seule voix pour notre unité, pour notre avenir commun. En 1991 (…) sans aucune considération pour la volonté des citoyens ordinaires, les représentants de l’élite du parti de l’époque ont pris la décision de dissoudre l’URSS. Du jour au lendemain, les gens se sont retrouvés arrachés à leur patrie. Notre communauté nationale a été déchirée, démantelée à vif, ce qui s’est soldé par une catastrophe nationale. (…) Pendant huit longues années, les habitants du Donbass ont été soumis au génocide, aux bombardements, au blocus. (…) y compris pendant les référendums, le régime de Kiev a menacé de représailles et de mort les enseignants et les femmes qui officiaient dans les commissions électorales, intimidant des millions de personnes venues exprimer leur volonté.  (…) Nous appelons le régime de Kiev à un cessez-le-feu immédiat, à mettre fin à cette guerre qu’il a déclenchée en 2014 et à revenir à la table des négociations. Nous y sommes prêts, comme nous l’avons signalé à de nombreuses reprises. En revanche, la décision des peuples de Donetsk, Lougansk, Zaporojie et Kherson n’est pas discutable. Leur décision a été prise et la Russie ne la trahira pas. Les autorités actuelles de Kiev doivent traiter cette libre expression de la volonté d’un peuple avec respect, et pas autrement. C’est le seul chemin possible vers la paix. Nous défendrons notre terre avec toutes nos forces et par tous les moyens à notre disposition. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour garantir la sécurité de nos concitoyens. Telle est la grande mission libératrice de notre nation. (…) Je veux m’adresser aujourd’hui aux soldats et aux officiers qui participent à l’opération militaire spéciale (…) Je veux m’adresser à eux, à leur famille, à leurs épouses et à leurs enfants pour leur dire contre qui, contre quel genre d’ennemi notre peuple se bat, pour leur dire qui précipite le monde dans de nouvelles guerres et de nouvelles crises, retirant un profit sanglant de toute cette tragédie. Nos compatriotes, nos frères et nos sœurs d’Ukraine, cette partie intégrante de notre nation unie, ont vu de leurs propres yeux le sort que les sphères dirigeantes du soi-disant Occident réservent à l’humanité entière. Ici, elles ont enfin tombé les masques et révélé leur vraie nature. Après la chute de l’Union soviétique, l’Occident a décidé que le monde entier, que chacun de nous devait supporter à jamais ses diktats. En 1991, l’Occident s’imaginait que la Russie ne se relèverait jamais de ces bouleversements et s’effondrerait d’elle-même. Ils y ont presque réussi. Nous gardons en mémoire les années 1990, ces années terribles, de faim, de froid et de désespoir. Mais la Russie a survécu. Elle renaît, se renforce, réclame à nouveau la place qui lui revient dans le monde. (…) Ils ne seront pas en paix tant qu’il existera un pays si grand, si considérable, avec son territoire, ses richesses naturelles, ses ressources, son peuple qui ne sait pas et ne saura jamais vivre sous les ordres de quelqu’un d’autre. L’Occident est prêt à tout pour conserver ce système néocolonial qui lui permet de parasiter, de dépouiller le monde grâce à la puissance du dollar et de la technologie, de percevoir un véritable tribut de l’humanité tout entière, de jouir de la principale source de richesse indue  : la rente de l’hégémon. La préservation de cette rente est leur principale motivation, leur motivation réelle, fruit de la pure avidité. C’est la raison pour laquelle ils ont intérêt à la dé-souverainisation systématique. Ainsi s’expliquent leurs agressions d’États indépendants, de valeurs traditionnelles et de cultures authentiques, leurs tentatives de saper les processus internationaux et interrégionaux, les nouvelles monnaies globales et les nouveaux pôles de développement technologique qui échappent à leur contrôle. Il est capital pour eux que tous les États abandonnent leur souveraineté au profit des États-Unis. (… Je veux souligner une fois encore que ce sont leur cupidité insatiable et leur désir de maintenir leur pouvoir illimité qui sont la véritable raison de cette guerre hybride que l’«  Occident collectif  » mène contre la Russie. Ils ne veulent pas nous voir libres  ; ils rêvent que nous soyons une colonie. Ils ne veulent pas collaborer sur un pied d’égalité  ; ils rêvent de pillage. Ils ne veulent pas que nous soyons une société libre, mais une foule d’esclaves sans âme. (…) L’Occident mise sur son impunité, sur sa capacité à tout se permettre. (…) Les accords de sécurité stratégique ont filé droit à la poubelle  ; les conventions conclues au plus haut niveau politique ont été déclarées fictives  ; les promesses les plus fermes de ne pas étendre l’OTAN vers l’Est, arrachées fut un temps par nos anciens dirigeants, se sont révélées un mensonge immonde  ; les traités sur les forces nucléaires à portée intermédiaire ont été unilatéralement abrogés sous des prétextes fantaisistes. Mais de tous les côtés, on n’entend que  : «  L’Occident incarne l’état de droit, fondé sur des règles  ». D’où viennent-elles  ? Qui en a jamais vu la couleur  ? Qui y a consenti  ? Écoutez, ce ne sont que des absurdités, un mensonge absolu, des doubles ou des triples standards. Ils doivent nous prendre pour des imbéciles. La Russie est une grande puissance millénaire, un pays-civilisation qui ne vivra jamais sous le joug de ces règles truquées, faussées. C’est bien le soi-disant Occident qui a piétiné le principe de l’inviolabilité des frontières et qui décide maintenant, selon son bon vouloir, qui a le droit à l’autodétermination et qui ne l’a pas, qui en est digne et qui ne l’est pas. On ignore à quel titre ils agissent ainsi, qui leur en a donné le droit, sinon eux-mêmes. (…) L’Occident n’a aucun droit moral à distribuer les bons points, ni à prononcer le moindre mot sur la liberté de la démocratie. Ils ne l’a pas et il ne l’a jamais eu. Les élites occidentales ne se contentent pas de nier souveraineté des nations et le droit international. Leur hégémonie présente clairement les traits d’un totalitarisme, d’un despotisme, d’un apartheid. Avec insolence, ils divisent le monde entre, d’un côté, leurs vassaux, les pays soi-disant civilisés, et de l’autre le reste de la planète, ceux que des racistes occidentaux voudraient inscrire sur la liste des barbares et des sauvages. Des étiquettes mensongères comme «  État voyou  » ou «  régime autoritaire  » sont stigmatiser des peuples et des États entiers, ce qui n’est pas nouveau. Il n’y a rien de nouveau là-dedans, parce que les élites occidentales sont restées ce qu’elles étaient  : colonialistes. Elles discriminent et divisent les peuples entre la «  première classe  » et «  le reste  ». Nous n’avons jamais souscrit et ne souscrirons jamais à ces formes de nationalisme politique et de racisme. Est-ce autre chose que du racisme qui, sous la forme de la russophobie, se répand aujourd’hui dans le monde entier  ? Que peut bien être, sinon du racisme, cette conviction inébranlable de l’Occident que sa civilisation et sa culture néolibérale sont le modèle indépassable pour le reste du monde  ? «  Qui n’est pas avec nous est contre nous  ».  (…) Il n’est pas jusqu’à la responsabilité de leurs propres crimes historiques que les élites occidentales rejettent sur les autres, exigeant à la fois de leurs citoyens et des autres peuples qu’ils se repentent de ce à quoi ils n’ont jamais contribué, par exemple, la période des conquêtes coloniales. Il est bon de rappeler à l’Occident qu’il a commencé sa politique coloniale dès l’époque du Moyen Âge, avant que se développe la traite mondiale des esclaves, le génocide des tribus indiennes en Amérique, le pillage de l’Inde, de l’Afrique, les guerres de l’Angleterre et de la France contre la Chine, qui l’ont obligée à ouvrir ses ports au commerce de l’opium. Ce qu’ils ont fait, c’était de rendre des peuples entiers accros aux drogues, d’exterminer délibérément des groupes ethniques entiers pour leurs terres et leurs ressources, de pratiquer une véritable chasse à l’homme, comme on chasse des bêtes. Tout cela est contraire à la nature même de l’humain, à la vérité, à la liberté et à la justice. Pour notre part, nous sommes fiers qu’au XXe siècle, ce soit précisément notre pays qui ait pris la tête du mouvement anticolonial, lequel a offert à de nombreux peuples du monde la possibilité de se développer, de réduire la misère et les inégalités, de vaincre la faim et les maladies. Je tiens à souligner que l’un des motifs de la russophobie pluriséculaire, de l’évidente animosité de ces élites occidentales vis-à-vis de la Russie, vient justement du fait que nous ayons refusé de nous laisser dépouiller à l’époque de la conquête coloniale et que nous ayons forcé les Européens à commercer avec nous pour notre bénéfice mutuel. Nous y sommes parvenus grâce à la création en Russie d’un État centralisé, qui s’est développé et consolidé à partir des hautes valeurs morales de l’orthodoxie, de l’islam, du judaïsme et du bouddhisme, mais aussi d’une culture et d’une langue russes ouvertes à tous. D’innombrables plans d’invasion de la Russie ont été échafaudés. On a tenté de profiter du temps des troubles du début du XVIIe siècle et des bouleversements qui ont suivi la Révolution de 1917, mais sans succès. Ce n’est qu’à la fin du XXe siècle, lorsque cet État s’est effondré, qu’ils ont finalement réussi à mettre la main sur les richesses de la Russie. Ils nous qualifiaient alors d’amis et de partenaires mais, dans les faits, ils nous traitaient comme une colonie  : des milliers de milliards de dollars ont été siphonnés du pays par toutes sortes de machinations.  (…) Les pays occidentaux clament depuis des siècles qu’ils apportent la liberté et la démocratie aux autres nations. C’est exactement le contraire. Au lieu de la démocratie, ils apportent la répression et l’exploitation  ; au lieu de la liberté, l’asservissement et l’oppression. L’ordre mondial unipolaire est intrinsèquement anti-démocratique et non-libre, menteur et hypocrite de bout en bout. Les États-Unis sont le seul pays du monde à avoir fait usage par deux fois de l’arme nucléaire, lorsqu’ils ont détruit les villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki. D’ailleurs, en agissant ainsi, ils ont créé un précédent. Je rappelle que les États-Unis, avec l’aide des Britanniques, ont réduit à l’état de ruines Dresde, Hambourg, Cologne et nombre d’autres villes allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale sans aucune nécessité militaire  : ils l’ont fait ostensiblement et, je le répète, sans aucune nécessité militaire. Leur unique objectif, comme dans le cas des bombardements nucléaires au Japon, était d’intimider notre pays et le reste du monde. Les États-Unis ont laissé une trace épouvantable dans la mémoire des peuples de Corée et du Vietnam par leurs «  tapis de bombes  » barbares, l’usage du napalm et des armes chimiques. Aujourd’hui encore, ils occupent encore de facto l’Allemagne, le Japon, la République de Corée et encore d’autres pays, tout en les appelant cyniquement des égaux et des alliés. Écoutez, je me demande bien de quel genre d’alliance il peut s’agir. Le monde entier sait que les dirigeants de ces pays sont espionnés, que leurs chefs d’État sont mis sur écoute non seulement à leur bureau, mais à leur domicile. C’est une véritable honte. Une honte pour ceux qui agissent ainsi et une honte pour ceux qui, comme des esclaves, avalent ces impertinences en silence et servilement. Ils parlent de solidarité euro-atlantique pour qualifier les ordres, les cris brutaux et insultants qu’ils adressent à leurs vassaux  ; ils parlent de noble recherche médicale pour qualifier le développement d’armes biologiques et les expérimentations sur des sujets vivants, notamment en Ukraine. Ce sont bien leurs politiques dévastatrices, leurs guerres et leurs pillages qui ont provoqué le considérable essor des flux migratoires actuels. Des millions de personnes endurent les pires privations, les pires abus, et meurent par milliers en essayant de rejoindre l’Europe. Aujourd’hui, ils exportent du blé d’Ukraine. Où va ce blé, sous le prétexte de «  garantir la sécurité alimentaire des pays les plus pauvres du monde  »  ? Où va-t-il  ? Tout va dans ces mêmes pays d’Europe. Seuls 5 % sont partis dans les pays pauvres. Voilà un nouvel exemple d’escroquerie et de mensonge éhonté. Dans les faits, l’élite américaine se sert de la tragédie que vivent ces personnes pour affaiblir ses rivaux, pour détruire les États-nations. Cela vaut également pour l’Europe, pour l’identité de pays comme la France, l’Italie, l’Espagne, et d’autres nations à l’histoire multiséculaire. Washington exige toujours plus de sanctions pour la Russie, et les politiciens européens, dans leur majorité, acceptent docilement. Ils ne saisissent pas bien que les États-Unis, en poussant l’Union Européenne à renoncer entièrement aux ressources russes, notamment énergétiques, sont en réalité en train de provoquer la désindustrialisation de l’Europe et de s’emparer du marché européen. Bien sûr, elles en ont conscience, ces élites européennes, elles en ont conscience mais préfèrent servir les intérêts d’une autre nation. Ce n’est même plus une marque de servilité, mais une véritable trahison de leurs propres peuples.  (…) Cependant, les sanctions ne suffisent plus aux Anglo-Saxons. Ils recourent maintenant au sabotage – cela semble incroyable, mais c’est un fait – en faisant sauter les gazoducs internationaux de «  Nord Stream  », qui passent au fond de la mer Baltique, ruinant du même coup l’infrastructure énergétique de l’Europe tout entière. Chacun sait qui en bénéficie. (…) Le diktat américain est fondé sur la force brute, sur la loi du plus fort. Il est parfois joliment emballé, parfois sans fioriture, mais le fond est le même  : c’est la loi du plus fort. D’où le déploiement et l’entretien de centaines de bases militaires aux quatre coins du monde, l’expansion de l’OTAN et les tentatives de former de nouvelles alliances militaires comme l’AUKUS ou d’autres encore  : c’est ainsi qu’on cherche activement à créer une alliance militaire et politique entre Washington, Séoul et Tokyo. Tous les États qui possèdent ou aspirent à posséder une véritable souveraineté stratégique et qui sont en mesure de contester l’hégémonie occidentale sont automatiquement déclarés ennemis. (…) Les élites occidentales présentent leurs plans néocoloniaux d’une manière tout aussi hypocrite, en agitant des prétentions pacifistes, en parlant d’«  endiguement  », et ces mots-clefs sournois se retrouvent d’une stratégie à l’autre alors qu’en réalité ils ne signifient qu’une seule chose  : saper tous les centres de pouvoir souverains. On nous a ainsi parlé de l’endiguement de la Russie, de la Chine, de l’Iran. J’imagine que d’autres pays d’Asie, d’Amérique Latine, d’Afrique, du Proche-Orient, ainsi que des partenaires et alliés actuels des États-Unis, sont les prochains sur la liste. Nous le savons bien  : lorsque quelque chose leur déplaît, ils sont prêts à imposer des sanctions à leurs propres alliés – tantôt à telle ou telle banque  ; tantôt à telle ou telle entreprise. (…) Ils ont noyé la vérité dans un océan de mythes, d’illusions et de faux, en pratiquant une propagande extrêmement agressive, en mentant comme Goebbels. Plus le mensonge est gros, plus on y croit – c’est ainsi qu’ils fonctionnent, en suivant ce principe. Mais on ne peut pas nourrir les populations avec des dollars et des euros imprimés sur des billets de banque. On ne peut pas les nourrir avec du papier-monnaie, on ne peut pas chauffer un foyer avec la capitalisation aussi virtuelle et que surévaluée des réseaux sociaux occidentaux. Tout ce dont je vous parle est de la plus haute importance, mais il faut insister sur ce dernier point. On ne peut nourrir personne avec du papier, il faut de la nourriture  ; ces capitalisations surévaluées ne peuvent chauffer personne, il faut de l’énergie. C’est pourquoi les dirigeants européens en sont réduits à convaincre leurs concitoyens de manger moins, de se laver moins souvent, de s’habiller plus chaudement à la maison. Et ceux qui commencent à se poser les bonnes questions – «  Pourquoi en serait-il ainsi  ?  » – sont immédiatement déclarés ennemis, extrémistes et radicaux. Ils retournent la situation contre la Russie en disant  : «  Vous voyez, c’est la source de tous nos malheurs  ». Des mensonges, encore une fois. (…) Les gains de la Seconde Guerre mondiale ont permis aux États-Unis de surmonter enfin les conséquences de la Grande Dépression et de devenir la première économie mondiale, de soumettre la planète entière à la puissance du dollar en tant que monnaie de réserve globale. C’est largement en s’appropriant les restes et les ressources de l’Union soviétique en déliquescence que l’Occident a surmonté la crise qui s’est aggravée dans les années 1980.  (…) Désormais, pour sortir de ce nouveau nœud de contradictions, il leur faut à tout prix briser la Russie et les autres États qui choisissent une voie souveraine de développement, afin de piller de nouvelles richesses et de colmater ainsi leurs propres vides. Si cela ne se passe pas ainsi, je n’exclus pas l’idée qu’ils tentent de provoquer l’effondrement total du système pour se dédouaner de leurs responsabilités, ou encore, Dieu nous en garde, qu’ils décident d’employer une formule bien connue  : «  La guerre efface toutes les dettes  ». La Russie a conscience de sa responsabilité envers la communauté mondiale et fera son possible pour ramener ces têtes brûlées à la raison. À l’évidence, le modèle néocolonial actuel est condamné à disparaître. Mais, je le répète, ses maîtres réels s’y accrocheront jusqu’à la dernière seconde. Ils n’ont tout simplement rien à proposer au monde, si ce n’est la préservation de ce système de pillage et de racket. En substance, ils crachent sur le droit naturel de milliards de personnes, la majeure partie de l’humanité, à la liberté et à la justice, ainsi qu’à la détermination de leur propre destinée. Ils en viennent maintenant à nier l’ensemble des normes morales, de la religion et de la famille. (…) est-ce que nous voulons avoir, ici, dans ce pays, en Russie, au lieu d’une mère et d’un père, un «  parent numéro un  » et un «  parent numéro deux  » (ils sont devenus complètement dingues sur ce coup)  ? Est-ce que nous voulons que l’on enseigne dans nos écoles primaires des perversions qui conduisent à la dégradation et à l’extinction  ? Est-ce que nous voulons enseigner aux enfants qu’il n’existe pas que des femmes et des hommes, mais des soi-disant genres et qu’on leur propose des opérations de changement de sexe  ? Est-ce cela que nous voulons pour notre pays et pour nos enfants  ? Tout cela est tout simplement inacceptable pour nous. (…) Je le répète  : la dictature des élites occidentales vise toutes les sociétés, y compris les pays occidentaux eux-mêmes. C’est un défi adressé à tout le monde. Cette négation profonde de l’humanité, cette subversion de la foi et des valeurs traditionnelles, cet écrasement de la liberté prennent les traits d’une «  religion à l’envers  » – d’un satanisme pur et simple. Dans le sermon sur la montagne, Jésus Christ, dénonçant les faux prophètes, dit  : «  C’est donc à leurs fruits que vous les reconnaîtrez  ». Et beaucoup savent bien que ces fruits sont empoisonnés, non seulement chez nous, mais dans tous les pays, y compris en Occident. Le monde est entré dans une période de transformations fondamentales, révolutionnaires. De nouvelles puissances émergent. Elles représentent la majorité – la majorité  ! – de la communauté mondiale et sont prêtes non seulement à proclamer leurs intérêts, mais à les défendre. Elles voient dans la multipolarité un moyen de renforcer leur souveraineté et ainsi de conquérir la liberté véritable, une perspective historique, leur droit au développement indépendant, créatif, original, à un développement harmonieux. Dans le monde entier, y compris en Europe et aux États-Unis, comme je l’ai déjà souligné, de nombreuses personnes partagent nos idées et nous ressentons, nous voyons leur soutien. Au sein des pays et des sociétés les plus variés se dessine déjà un mouvement de libération anticolonial contre l’hégémonie unipolaire, et sa force ne fera que croître. C’est cette force qui déterminera le futur des réalités géopolitiques. (…) Aujourd’hui, nous combattons pour un futur juste et libre, avant tout pour nous-mêmes, pour la Russie, pour que la dictature et le despotisme deviennent à jamais un souvenir du passé. Ma conviction est que les nations et les peuples comprennent à quel point une politique fondée sur l’exceptionnalisme, sur la suppression des autres cultures et des autres peuples, est fondamentalement criminelle, que cette page honteuse de l’histoire ne demande qu’à être tournée. L’effondrement de l’hégémonie occidentale est en cours. Il est irréversible. Je le répète  : les choses ne seront plus comme avant. Le champ de bataille sur lequel nous ont convoqués le destin et l’histoire est un champ de bataille pour notre peuple, pour la grande Russie historique. (Applaudissements.) Pour une grande Russie historique, pour les générations futures, pour nos enfants, nos petits-enfants et nos arrière-petits-enfants. Nous devons les préserver de l’asservissement, des expérimentations monstrueuses qui veulent estropier leurs consciences et leurs âmes. Aujourd’hui, nous combattons pour que personne ne pense plus jamais que la Russie, notre peuple, notre langue, notre culture, puissent être rayés de l’histoire. Aujourd’hui, nous devons consolider notre société et cette solidarité ne pourra reposer que sur la souveraineté, la liberté, la création et la justice. Nos valeurs sont l’humanité, la miséricorde et la compassion. Et je voudrais conclure cette allocution sur les mots d’un véritable patriote, Ivan Aleksandrovič Il’in  : «  Si je considère la Russie comme ma patrie, cela signifie que j’aime, que je contemple et que je pense comme un Russe, que je chante et que je parle comme un Russe  ; que je crois aux forces spirituelles du peuple russe. Son esprit est mon esprit  ; sa destinée est ma destinée  ; sa souffrance est ma souffrance  ; sa prospérité est ma joie  ». Dans ces mots, on retrouve le grand chemin spirituel que de nombreuses générations de nos ancêtres ont emprunté pendant plus d’un millénaire d’existence de l’État russe. Aujourd’hui, c’est nous qui empruntons ce chemin, ce sont les habitants des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, des districts de Zaporojie et de Kherson qui ont fait ce choix. Ils ont pris la décision de vivre avec leur propre peuple, avec leur patrie, de s’associer à son destin et de vaincre avec elle. La victoire est avec nous, la Russie est avec nous  ! Vladimir Poutine
Ce qui se passe aujourd’hui.. ne relève pas uniquement de la politique… Il s’agit du Salut de l’homme, de la place qu’il occupera à droite ou à gauche de Dieu le Sauveur, qui vient dans le monde en tant que Juge et Créateur de la création.  (…) Aujourd’hui, il existe un test de loyauté envers ce pouvoir, une sorte de laissez-passer vers ce monde « heureux », un monde de consommation excessive, un monde de « liberté » apparente. Savez-vous ce qu’est ce test ? Le test est très simple et en même temps terrifiant : il s’agit d’une parade de la gay pride. La demande de nombreux pays d’organiser une gay pride est un test de loyauté envers ce monde très puissant ; et nous savons que si des personnes ou des pays rejettent ces demandes, ils ne font pas partie de ce monde, ils en deviennent des étrangers. Et donc, aujourd’hui, en ce dimanche du pardon, moi, d’une part, en tant que votre berger, j’appelle tout le monde à pardonner les péchés et les offenses, y compris là où il est très difficile de le faire, là où les gens se battent entre eux. Mais le pardon sans la justice est une capitulation et une faiblesse. Le pardon doit donc s’accompagner du droit indispensable de se placer du côté de la lumière, du côté de la vérité de Dieu, du côté des commandements divins, du côté de ce qui nous révèle la lumière du Christ, sa Parole, son Évangile, ses plus grandes alliances données au genre humain.  Patriarche Kirill
You don’t understand, George, that Ukraine is not even a state. What is Ukraine? Part of its territories is Eastern Europe, but the greater part is a gift from us. Putin (to Bush during the NATO Summit in Bucharest, Romania, May 25, 2009)
[Anton Denikin, a commander in the White Army, which fought the Bolsheviks after the revolution in 1917] has a discussion (…) about Big Russia and Little Russia — Ukraine. He says that no one should be allowed to interfere in relations between us; they have always been the business of Russia itself. Putin (May 25, 2009)
There is no historical basis for the idea of Ukrainian people as a nation separate from the Russians. Putin (Kremlin, July 12, 2021)
There will be no more Ukraine as anti-Russia. Vladimir Putin has asserted a historic responsibility by deciding not to leave the solution of the Ukrainian question to future generations. Ukraine’s return to Russia will not mean its statehood’s “liquidation”; instead, Ukraine will be reorganized, re-established and returned to its natural state of part of the Russian world. RIA Novosti (February 26, 2022)
I hate them. They are bastards and geeks. They want death for us, Russia. And as long as I’m alive, I will do everything to make them disappear. Medevedev (June 7, 2022)
As a result of Western involvement, Ukraine may lose the remnants of state sovereignty and disappear from the world map and “Ukrainian criminals will definitely be tried for the atrocities committed against the people of Ukraine and Russia. Medvedev (July 21, 2022)
Ukraine has several million people who need to be partially eliminated and partially squeezed out. « New Russia,” or the territories from Kharkov, Odessa, Zaporozhye, and Dnepropetrovsk, should be joined to the Russian regions, with full denazification, deukrainization. Russia should institute a complete ban on Ukrainian fonts, Ukrainian texts, programs on the Ukrainian language, on teaching Ukrainian – ie completely. These implementations will cause a surplus population – let the surplus population go to the Far East. Mikhail Khazin (Russian economist and pundit, December 27, 2016)
There is no Ukraine, although there is Ukrainianism – a “specific mental disorder. Surprisingly brought to the extreme degree passion for ethnography. Such bloody lore. Muddle instead of the state. There is borscht, Bandera, bandura. But there is no nation. Donbass “does not deserve such humiliation” of returning to Ukraine. Ukraine “does not deserve such honor. Vladislav Surkov (Former Putin aide, February 26, 2020)
The Ukrainian regime is not just Nazi and anti-Russian, it is anti-human. Ukrainian statehood is Moloch, to whom children are sacrificed. This filthy idol must be destroyed, it has no place in history. Sergey Aksyonov (Russian head of occupation authority in Crimea (Jul. 27, 2022)
Les dirigeants russes ont commencé par traiter les dirigeants ukrainiens de « nazis » pour dissimuler leur plan de guerre d’agression prédatrice. Maintenant, ils appellent au génocide. Le président Biden a eu raison de tirer la sonnette d’alarme sur le génocide. Le monde doit agir. À la veille de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le président russe Vladimir Poutine a lancé une campagne de désinformation visant à contester le droit du pays à exister. Il a décrit l’Ukraine comme une « création artificielle des bolcheviks » et a qualifié ses dirigeants de « nazis ». Le 24 février, Poutine a annoncé qu’il avait lancé une « opération militaire spéciale » pour « dénazifier » l’Ukraine. La semaine dernière, alors que le monde apprenait des détails horribles sur le viol, la torture et le meurtre de civils par l’armée russe, ce discours sur la « dénazification » s’est transformé dans les médias d’État russes en un appel effrayant à la « désukrainisation ». La désukrainisation est un génocide. Le monde doit agir. Un article publié par RIA-Novosti le 5 avril a répété l’affirmation de Poutine selon laquelle « les Ukrainiens sont une construction artificielle anti-russe ». Il a proclamé que « l’élite politique ukrainienne doit être éliminée ». Et il a déclaré que les Ukrainiens ordinaires sont des « nazis passifs » qui « doivent vivre toutes les horreurs de la guerre et absorber l’expérience comme une leçon historique et une expiation pour leur culpabilité ». Expliquant que « la dénazification sera inévitablement aussi une désukrainisation », l’article lançait un appel inquiétant à une « purification totale ». Ce n’est pas la première fois que des idées aussi viles sont exprimées dans les médias russes. Il y a eu une série d’articles et de vidéos en 2016 et 2017 prônant la « désukrainisation ». L’économiste et expert Mikhail Khazin a appelé à la transformation de Kyiv, Tchernihiv et Soumy en «arrière-pays agricole dépouillé d’industrie et de forces armées», avec une «population excédentaire» déportée vers l’Extrême-Orient russe. Il a en outre suggéré que « plusieurs millions » d’Ukrainiens « devraient être » soit « éliminés » soit « expulsés ». Mais l’article de RIA-Novosti est différent pour deux raisons essentielles. Il a été publié au milieu de la guerre d’agression prédatrice de la Russie – alors que des atrocités étaient commises à Bucha, Marioupol et dans d’autres villes, et que des civils ukrainiens étaient kidnappés, déportés et envoyés dans des camps de filtration. Il a été publié pendant une censure extrême de temps de guerre en Russie, indiquant son approbation par les autorités russes. Depuis la publication de l’article de RIA-Novosti, les responsables russes ont continué à signaler au peuple russe – et à l’armée russe – que le génocide était à l’ordre du jour. Le lendemain de la parution de l’article, l’ancien président russe Dmitri Medvedev, l’un des conseillers de Poutine, a déclaré que « l’identité ukrainienne est un faux grossier et le but de la dénazification est de changer la façon dont les Ukrainiens perçoivent leur identité. » Plus tard dans la semaine, la première chaîne de télévision d’État russe a présenté une « discussion » sur l’élimination de l’Ukraine. Ces appels à la « désukrainisation » sont une incitation au génocide : à « détruire, en tout ou en partie », la nation ukrainienne. Certains juristes internationaux objectent qu’il n’y a pas encore suffisamment de preuves de génocide. Et ils ont en partie raison. Nous aurons besoin de plus de preuves pour condamner les dirigeants et les soldats russes pour génocide, qui peut être poursuivi soit comme crime de guerre (comme à Nuremberg) soit comme crime contre l’humanité. Mais la Convention sur le génocide et le Statut de Rome appellent également à la prévention du génocide. Et il y a suffisamment de preuves en ce moment pour demander au monde d’agir. J’aborde cette question en tant qu’historienne des procès de Nuremberg, et non en tant qu’avocate. Et de ce point de vue, il y a plusieurs choses à garder à l’esprit. Premièrement, le génocide ne ressemble pas toujours à l’Holocauste. Dans son discours de clôture des procès de Nuremberg, le procureur en chef britannique Sir Hartley Shawcross a réexaminé les preuves concernant Auschwitz et l’extermination des Juifs. Il a ensuite rappelé au tribunal que le génocide pouvait prendre plusieurs formes. La méthode que les nazis ont appliquée à l’intelligentsia polonaise, a-t-il noté, était «l’anéantissement pur et simple», alors qu’en Alsace, la déportation était le programme de choix. Dans l’Union soviétique occupée par l’Allemagne, la technique était la mort par famine ; en Bohême et en Moravie, les nazis se sont lancés dans une politique de germanisation forcée. Deuxièmement, l’histoire nous montre que nous devons prendre les dictateurs au mot. Ceux qui incitent au génocide tentent généralement de donner suite. Il n’est pas rare qu’ils fassent connaître leurs campagnes par le biais de propagandistes et de médias. Adolf Hitler avait Joseph Goebbels, Alfred Rosenberg et d’autres pour faire ce travail. Poutine a Medvedev et les experts des médias d’État russes. Enfin, plus les soldats russes s’engageront dans la campagne de « désukrainisation », plus la guerre deviendra brutale – et plus il sera difficile pour la Russie de trouver une issue autre que la victoire ou la défaite totale. La complaisance de la société russe devient complicité au meurtre. Il ne s’agit pas simplement d’une question académique ou d’un débat sur la terminologie. Nous devons comprendre les objectifs de guerre de la Russie pour comprendre la nature de ce conflit. Biden avait raison de dire que l’objectif de Poutine était « d’éliminer même l’idée d’être Ukrainien ». La communauté internationale doit affirmer qu’il existe des valeurs universelles. Elle doit soutenir l’Ukraine et dénoncer les mensonges de Poutine. Elle doit agir pour empêcher la destruction de la nation ukrainienne. Francine Hirsch (Université du Wisconsin à Madison)
Russia has just issued a genocide handbook for its war on Ukraine.  The Russian official press agency « RIA Novosti » published last Sunday an explicit program for the complete elimination of the Ukrainian nation as such.  It is still available for viewing, and has now been translated several times into English. As I have been saying since the war began, « denazification » in official Russian usage just means the destruction of the Ukrainian state and nation.  A « Nazi, » as the genocide manual explains, is simply a human being who self-identifies as Ukrainian.  According to the handbook, the establishment of a Ukrainian state thirty years ago was the « nazification of Ukraine. »  Indeed « any attempt to build such a state » has to be a « Nazi » act.  Ukrainians are « Nazis » because they fail to accept « the necessity that the people support Russia. »  Ukrainians should suffer for believing that they exist as a separate people; only this can lead to the « redemption of guilt. » (…) Putin’s Russian regime talks of “Nazis” not because it opposes the extreme right, which it most certainly does not, but as a rhetorical device to justify unprovoked war and genocidal policies. Putin’s regime is the extreme right.  It is the world center of fascism. It supports fascists and extreme-right authoritarians around the world.  In traducing the meaning of words like « Nazi, » Putin and his propagandists are creating more rhetorical and political space for fascists in Russia and elsewhere. The genocide handbook explains that the Russian policy of « denazification » is not directed against Nazis in the sense that the word is normally used.  The handbook grants, with no hesitation, that there is no evidence that Nazism, as generally understood, is important in Ukraine.  It operates within the special Russian definition of « Nazi »: a Nazi is a Ukrainian who refuses to admit being a Russian.  The « Nazism » in question is « amorphous and ambivalent »; one must, for example, be able to see beneath the world of appearance and decode the affinity for Ukrainian culture or for the European Union as « Nazism. » (…) The Russian handbook is one of the most openly genocidal documents I have ever seen.  It calls for the liquidation of the Ukrainian state, and for abolition of any organization that has any association with Ukraine.  It postulates that the « majority of the population » of Ukraine are « Nazis, » which is to say Ukrainians. (…) Such people, « the majority of the population, » so more than twenty million people, are to be killed or sent to work in « labor camps » to expurgate their guilt for not loving Russia.  Survivors are to be subject to « re-education. »  Children will be raised to be Russian.  The name « Ukraine » will disappear. Had this genocide handbook appeared at some other time and in a more obscure outlet, it might have escaped notice.  But it was published right in the middle of the Russian media landscape during a Russian war of destruction explicitly legitimated by the Russian head of state’s claim that a neighboring nation did not exist.  It was published on a day when the world was learning of a mass murder of Ukrainians committed by Russians. Russia’s genocide handbook was published on April 3, two days after the first revelation that Russian servicemen in Ukraine had murdered hundreds of people in Bucha, and just as the story was reaching major newspapers.  The Bucha massacre was one of several cases of mass killing that emerged as Russian troops withdrew from the Kyiv region.  This means that the genocide program was knowingly published even as the physical evidence of genocide was emerging.  The writer and the editors chose this particular moment to make public a program for the elimination of the Ukrainian nation as such. As a historian of mass killing, I am hard pressed to think of many examples where states explicitly advertise the genocidal character of their own actions right at at the moment those actions become public knowledge.  From a legal perspective, the existence of such a text (in the larger context of similar statements and Vladimir Putin’s repeated denial that Ukraine exists) makes the charge of genocide far easier to make.  Legally, genocide means both actions that destroy a group in whole or in part, combined with some intention to do so.  Russia has done the deed and confessed to the intention. Timothy Snyder (Yale)
Dans l’Islam, de même que dans le Judaïsme et le Christianisme, certaines croyances portent sur une bataille cosmique marquant la fin des temps – Gog et Magog, l’Antéchrist, Armageddon et, pour les Musulmans chiites, le retour tant attendu de l’Imam caché, qui doit déboucher sur la victoire finale des forces du bien sur celles du mal, quelle qu’en soit la définition. Il est évident qu’Ahmadinejad et ses adeptes croient que ce temps est venu et que la lutte finale est déjà entamée, et même bien avancée. Bernard Lewis
Dans le vocabulaire politique, l’expression « millénarisme » peut servir à désigner, de manière métaphorique, une forme de doctrine aspirant à une révolution radicale, qui aboutirait à la mise en place définitive d’un ordre social supposé plus juste, et sans commune mesure avec ce qui a existé jusqu’à présent. Dans cette acception, le terme a pu servir à qualifier aussi bien le communisme que le nazisme. Wikipedia
Le bolchevisme (…) avait la volonté de détruire tous les autres courants politiques. Par imitation, le national-socialisme voulait de même détruire ses ennemis. On retrouve cela aussi dans le fascisme italien. On devine dans tous ces cas le même tropisme destructeur, appliqué bien entendu avec des méthodes tout à fait différentes. L’Italie exilait ses ennemis sur des îles ; Hitler les tuait. (…) J’ai tenté de définir l’islamisme comme un mouvement réactionnaire symptomatique de l’histoire de la révolution libérale ou capitaliste. Le marxisme fut une première réaction. Il ne voulait pas accepter le mélange du bon et du mauvais inhérent au pragmatisme libéral. Le marxisme visait une perfection, un monde totalement moral et bon. Ernst Nolte
Nous imaginons, parce que la Guerre froide est finie en Europe, que toute la série de luttes qui ont commencé avec la Première guerre mondiale et qui sont passées par différents mouvements totalitaires — fasciste, nazi et communiste — était finalement terminée. (…) Hors de la Première guerre mondiale est venue une série de révoltes contre la civilisation libérale. Ces révoltes accusaient la civilisation libérale d’être non seulement hypocrite ou en faillite, mais d’être en fait la grande source du mal ou de la souffrance dans le monde. (…) [Avec] une fascination pathologique pour la mort de masse [qui] était elle-même le fait principal de la Première guerre mondiale, dans laquelle 9 ou 10 millions de personnes ont été tués sur une base industrielle. Et chacun des nouveaux mouvements s’est mis à reproduire cet événement au nom de leur opposition utopique aux complexités et aux incertitudes de la civilisation libérale. Les noms de ces mouvements ont changé comme les traits qu’ils ont manifestés – l’un s’est appelé bolchévisme, et un autre s’est appelé fascisme, un autre s’est appelé nazisme. (…) À un certain niveau très profond tous ces mouvements étaient les mêmes — ils partageaient tous certaines qualités mythologiques, une fascination pour la mort de masse et tous s’inspiraient du même type de paranoïa. (…) Mon argument est que l’islamisme et un certain genre de pan-arabisme dans les mondes arabe et musulman sont vraiment d’autres branches de la même impulsion. Mussolini a mis en scène sa marche sur Rome en 1922 afin de créer une société totalitaire parfaite qui allait être la résurrection de l’empire romain. En 1928, en Egypte, de l’autre côté de la Méditerranée, s’est créée la secte des Frères musulmans afin de ressusciter le Califat antique de l’empire arabe du 7ème siècle, de même avec l’idée de créer une société parfaite des temps modernes. Bien que ces deux mouvements aient été tout à fait différents, ils étaient d’une certaine manière semblables. (…) La doctrine islamiste est que l’Islam est la réponse aux problèmes du monde, mais que l’Islam a été la victime d’une conspiration cosmique géante pour la détruire, par les Croisés et les sionistes. (le sionisme dans la doctrine de Qutb n’est pas un mouvement politique moderne, c’est une doctrine cosmique se prolongeant tout au long des siècles.) L’Islam est la victime de cette conspiration, qui est également facilitée par les faux musulmans ou hypocrites, qui feignent d’être musulmans mais sont réellement les amis des ennemis de l’Islam. D’un point de vue islamiste, donc, la conspiration la plus honteuse est celle menée par les hypocrites musulmans pour annihiler l’Islam du dedans. Ces personnes sont surtout les libéraux musulmans qui veulent établir une société libérale, autrement dit la séparation de l’église et de l’état. (…) De même que les progressistes européens et américains doutaient des menaces de Hitler et de Staline, les Occidentaux éclairés sont aujourd’hui en danger de manquer l’urgence des idéologies violentes issues du monde musulman. Paul Berman
Le 30 janvier 33, la foule n’a pas acclamé l’antisémite Hitler, mais bien plus celui qui allait diriger un nouveau gouvernement national. Les Allemands étaient avides de changement. Il s’agissait pour eux de se libérer du carcan du Traité de Versailles, de faire oublier la honte allemande. Il s’agissait de retrouver une certaine grandeur nationale et de se détacher des querelles entre partis démocratiques. Les Allemands ont acclamé Hitler, parce qu’ils voulaient un gouvernement fort, dirigé par une figure charismatique. Ils en avaient assez des beaux parleurs, ils voulaient des résultats tangibles. (…) La peur d’une révolution communiste, la peur d’une guerre civile, c’est cela qui a le plus aidé Hitler dans sa conquête du pouvoir. Wolfgang Benz (historien, spécialiste de la Shoah)
Le meilleur allié du communisme a été le nazisme et le plus utile des idiots, si l’on peut dire, fut Hitler. Les deux totalitarismes se sont entraidés avant de se combattre. Ils avaient la même haine du monde occidental, de la démocratie et leur système politique était cousin germain. Après avoir aidé Hitler à arriver au pouvoir en 1933 grâce à la lutte conjointe des communistes allemands (aux ordres de Moscou) et des nazis, contre le gouvernement social-démocrate en place à Berlin ; après avoir soutenu l’effort de guerre du Führer grâce au pacte germano-soviétique d’août 1939 ; après s’être partagé l’Europe au début de la guerre, les deux totalitarismes se sont affrontés. À partir de là, toute l’intelligence de Staline, toute la tactique communiste a consisté à se présenter comme le meilleur rempart, le seul même face à la peste brune, jusqu’à faire oublier l’alliance passée. L’antifascisme a servi de paravent au stalinisme pour accomplir ses noirs desseins, d’abord contre son peuple puis contre les peuples conquis à la faveur du conflit mondial. Communisme et nazisme sont deux variantes du totalitarisme. Être contre l’un aurait dû amener à être contre l’autre, c’est cela que dit Orwell. Or l’hémiplégie d’une partie de l’opinion publique (cela va bien au-delà des intellectuels) consiste toujours à diaboliser un totalitarisme, le brun, pour excuser ou minorer l’autre, le rouge. C’est l’un des héritages du communisme dans les têtes. La seule attitude morale qui vaille est d’être antitotalitaire et de renvoyer dos à dos toutes les idéologies qui en sont le substrat. (…) Le communisme a représenté un grand espoir de justice sociale, il a mis ses pas dans la démarche chrétienne. Cela explique en partie son succès: au message christique «les derniers seront les premiers» au paradis, l’idéologie a substitué l’idée que les prolétaires (les plus pauvres) gouverneront le monde pour instaurer l’égalité pour tous. L’échec est d’autant plus durement ressenti. La mort du communisme revient pour certains à la mort de Dieu pour les croyants: inacceptable, impensable. Le communisme n’est toujours pas sorti de cette phase de deuil, d’où le négationnisme dont je parle: on nie la réalité de ce qui fut pour ne pas souffrir des espoirs qu’il a suscité. Il est certes désormais reconnu que ces régimes ont fait des millions de morts. C’est un progrès. Il n’empêche, être anti communiste reste péjoratif, quand cela devrait être une évidence. L’intellectuel qui a eu des faiblesses envers le fascisme demeure coupable à jamais quand celui qui a idolâtré le stalinisme ou le maoïsme, ou le pol-potisme (le Cambodge des Khmers rouge) est vite pardonné. C’est aussi cela le négationnisme communiste. Il ne s’agit pas de faire des procès, mais de regarder la réalité historique en face. En outre, la complicité envers le communisme a été telle, elle a pris une telle ampleur – des militants des PC du monde entier aux intellectuels, des dirigeants politiques des démocraties aux hommes d’affaires -, qu’il existe un consensus tacite pour oublier cette face sombre de l’humanité. L’être humain n’aime pas se sentir coupable, alors il passe à autre chose. Ce ne peut être que transitoire. La dimension du drame communiste fait qu’il est impossible d’en faire l’impasse. Je fais le pari que la réflexion sur cette époque va prendre de l’ampleur pour que l’histoire se fasse enfin. Il faudra sans doute pour cela que tous les témoins (acteurs ou simples spectateurs) de cette époque disparaissent. Et avec eux ce négationnisme diffus qui sert de garde-fou à l’émergence de la mauvaise conscience. (…) Le philosophe anglais Bertrand Russell remarquait déjà au début des années 1920 une ressemblance entre communisme et islamisme, notamment la même volonté de convertir le monde. N’oublions pas que la propagande communiste, très présente au XXe siècle, a développé des thèmes anti-occidentaux au nom de la lutte contre l’abomination capitaliste, et contre l’impérialisme. Cela a façonné des esprits, y compris dans des pays musulmans influencés par l’URSS, leur allié contre l’ennemi principal, Israël. La doxa communiste contre la liberté d’être, de penser, de se mouvoir, d’entreprendre, etc., se retrouve dans le discours des islamistes, présentée comme des tentations de Satan. En tant qu’idéologie totalitaire, le communisme cherchait à atomiser les individus en les arrachant de leurs racines sociales, politiques, culturelles, voire familiales, pour mieux les dominer, les contrôler. L’islamisme, lui, propose des repères, des codes, à des individus déjà déracinés sous la poussée d’une mondialisation dont les effets ont tendance à déstructurer les sociétés traditionnelles. La démarche est différente, mais le résultat est comparable: dans les deux cas il s’agit d’unir des personnes isolées grâce à des sentiments identitaires – la communauté socialiste, la communauté des croyants -, de donner sens à leur collectif grâce à un mythe absolu et exclusif, le parti pour les communistes, l’oumma pour les islamistes, terme qui désigne à la fois la communauté des croyants et la nation. Enfin, on retrouve dans l’islamisme des marqueurs du communisme: la contre-modernité du propos, une explication globale du monde et de sa marche, une opposition radicale entre bons et mauvais – croyants/impies en lieu et place des exploités/exploiteurs -, la volonté de modeler les hommes, et un esprit de conquête planétaire. Dès lors, la substitution est possible. Thierry Wolton
Combattez, combattez, parlez, parlez. Mao
La révolution iranienne fut en quelque sorte la version islamique et tiers-mondiste de la contre-culture occidentale. Il serait intéressant de mettre en exergue les analogies et les ressemblances que l’on retrouve dans le discours anti-consommateur, anti-technologique et anti-moderne des dirigeants islamiques de celui que l’on découvre chez les protagonistes les plus exaltés de la contre-culture occidentale. Daryiush Shayegan
Il est malheureux que le Moyen-Orient ait rencontré pour la première fois la modernité occidentale à travers les échos de la Révolution française. Progressistes, égalitaristes et opposés à l’Eglise, Robespierre et les jacobins étaient des héros à même d’inspirer les radicaux arabes. Les modèles ultérieurs — Italie mussolinienne, Allemagne nazie, Union soviétique — furent encore plus désastreux …Ce qui rend l’entreprise terroriste des islamistes aussi dangereuse, ce n’est pas tant la haine religieuse qu’ils puisent dans des textes anciens — souvent au prix de distorsions grossières —, mais la synthèse qu’ils font entre fanatisme religieux et idéologie moderne. Ian Buruma et Avishai Margalit
Parler de choc des civilisations, c’est dire que c’est la différence qui l’emporte. Alors que je crois, moi, que c’est l’identité des adversaires qui sous-tend leur affrontement. J’ai lu le livre de l’historien allemand Ernst Nolte, La guerre civile européenne, où il explique que, dans le choc des idéologies issues de la Première Guerre mondiale – communisme et nazisme –, l’Allemagne n’est pas la seule responsable. Mais le plus important est ceci : Nolte montre que l’URSS et le IIIe Reich ont été l’un pour l’autre un « modèle repoussoir ». Ce qui illustre la loi selon laquelle ce à quoi nous nous heurtons, c’est ce que nous imitons. Il est frappant qu’un historien pense les rapports d’inimitié en terme d’identité, en terme de copie. Ce que Nolte appelle le modèle repoussoir, c’est ce que la théorie mimétique appelle le modèle obstacle : dans la rivalité, celui qu’on prend pour modèle, on désire ce qu’il désire et par conséquent il devient obstacle. Le rapport mimétique conduit à imiter ses adversaires, tantôt dans les compliments, tantôt dans le conflit. (…) Les islamistes tentent de rallier tout un peuple de victimes et de frustrés dans un rapport mimétique à l’Occident. René Girard
Dans la foi musulmane, il y a un aspect simple, brut, pratique qui a facilité sa diffusion et transformé la vie d’un grand nombre de peuples à l’état tribal en les ouvrant au monothéisme juif modifié par le christianisme. Mais il lui manque l’essentiel du christianisme : la croix. Comme le christianisme, l’islam réhabilite la victime innocente, mais il le fait de manière guerrière. La croix, c’est le contraire, c’est la fin des mythes violents et archaïques. René Girard
Le christianisme (…) nous a fait passer de l’archaïsme à la modernité, en nous aidant à canaliser la violence autrement que par la mort.(…) En faisant d’un supplicié son Dieu, le christianisme va dénoncer le caractère inacceptable du sacrifice. Le Christ, fils de Dieu, innocent par essence, n’a-t-il pas dit – avec les prophètes juifs : « Je veux la miséricorde et non le sacrifice » ? En échange, il a promis le royaume de Dieu qui doit inaugurer l’ère de la réconciliation et la fin de la violence. La Passion inaugure ainsi un ordre inédit qui fonde les droits de l’homme, absolument inaliénables. (…) l’islam (…) ne supporte pas l’idée d’un Dieu crucifié, et donc le sacrifice ultime. Il prône la violence au nom de la guerre sainte et certains de ses fidèles recherchent le martyre en son nom. Archaïque ? Peut-être, mais l’est-il plus que notre société moderne hostile aux rites et de plus en plus soumise à la violence ? Jésus a-t-il échoué ? L’humanité a conservé de nombreux mécanismes sacrificiels. Il lui faut toujours tuer pour fonder, détruire pour créer, ce qui explique pour une part les génocides, les goulags et les holocaustes, le recours à l’arme nucléaire, et aujourd’hui le terrorisme. René Girard
L’erreur est toujours de raisonner dans les catégories de la « différence », alors que la racine de tous les conflits, c’est plutôt la « concurrence », la rivalité mimétique entre des êtres, des pays, des cultures. La concurrence, c’est-à-dire le désir d’imiter l’autre pour obtenir la même chose que lui, au besoin par la violence. Sans doute le terrorisme est-il lié à un monde « différent » du nôtre, mais ce qui suscite le terrorisme n’est pas dans cette « différence » qui l’éloigne le plus de nous et nous le rend inconcevable. Il est au contraire dans un désir exacerbé de convergence et de ressemblance. (…) Ce qui se vit aujourd’hui est une forme de rivalité mimétique à l’échelle planétaire. (…) Ce sentiment n’est pas vrai des masses, mais des dirigeants. Sur le plan de la fortune personnelle, on sait qu’un homme comme Ben Laden n’a rien à envier à personne. Et combien de chefs de parti ou de faction sont dans cette situation intermédiaire, identique à la sienne. Regardez un Mirabeau au début de la Révolution française : il a un pied dans un camp et un pied dans l’autre, et il n’en vit que de manière plus aiguë son ressentiment. Aux Etats-Unis, des immigrés s’intègrent avec facilité, alors que d’autres, même si leur réussite est éclatante, vivent aussi dans un déchirement et un ressentiment permanents. Parce qu’ils sont ramenés à leur enfance, à des frustrations et des humiliations héritées du passé. Cette dimension est essentielle, en particulier chez des musulmans qui ont des traditions de fierté et un style de rapports individuels encore proche de la féodalité. (…) Cette concurrence mimétique, quand elle est malheureuse, ressort toujours, à un moment donné, sous une forme violente. A cet égard, c’est l’islam qui fournit aujourd’hui le ciment qu’on trouvait autrefois dans le marxisme. René Girard
Il faut se souvenir que le nazisme s’est lui-même présenté comme une lutte contre la violence: c’est en se posant en victime du traité de Versailles que Hitler a gagné son pouvoir. Et le communisme lui aussi s’est présenté comme une défense des victimes. Désormais, c’est donc seulement au nom de la lutte contre la violence qu’on peut commettre la violence. René Girard
Dans le christianisme, on ne se martyrise pas soi-même. On n’est pas volontaire pour se faire tuer. On se met dans une situation où le respect des préceptes de Dieu (tendre l’autre joue, etc.) peut nous faire tuer. Cela dit, on se fera tuer parce que les hommes veulent nous tuer, non pas parce qu’on s’est porté volontaire. Ce n’est pas comme la notion japonaise de kamikaze. La notion chrétienne signifie que l’on est prêt à mourir plutôt qu’à tuer. C’est bien l’attitude de la bonne prostituée face au jugement de Salomon. Elle dit : « Donnez l’enfant à mon ennemi plutôt que de le tuer. » Sacrifier son enfant serait comme se sacrifier elle-même, car en acceptant une sorte de mort, elle se sacrifie elle-même. Et lorsque Salomon dit qu’elle est la vraie mère, cela ne signifie pas qu’elle est la mère biologique, mais la mère selon l’esprit. Cette histoire se trouve dans le Premier Livre des Rois (3, 16-28), qui est, à certains égards, un livre assez violent. Mais il me semble qu’il n’y a pas de meilleur symbole préchrétien du sacrifice de soi par le Christ. René Girard
Le conflit avec les musulmans est bien plus considérable que ce que croient les fondamentalistes. Les fondamentalistes pensent que l’apocalypse est la violence de Dieu. Alors qu’en lisant les chapitres apocalyptiques, on voit que l’apocalypse est la violence de l’homme déchaînée par la destruction des puissants, c’est-à-dire des États, comme nous le voyons en ce moment. Lorsque les puissances seront vaincues, la violence deviendra telle que la fin arrivera. Si l’on suit les chapitres apocalyptiques, c’est bien cela qu’ils annoncent. Il y aura des révolutions et des guerres. Les États s’élèveront contre les États, les nations contre les nations. Cela reflète la violence. Voilà le pouvoir anarchique que nous avons maintenant, avec des forces capables de détruire le monde entier. On peut donc voir l’apparition de l’apocalypse d’une manière qui n’était pas possible auparavant. Au début du christianisme, l’apocalypse semblait magique : le monde va finir ; nous irons tous au paradis, et tout sera sauvé ! L’erreur des premiers chrétiens était de croire que l’apocalypse était toute proche. Les premiers textes chronologiques chrétiens sont les Lettres aux Thessaloniciens qui répondent à la question : pourquoi le monde continue-t-il alors qu’on en a annoncé la fin ? Paul dit qu’il y a quelque chose qui retient les pouvoirs, le katochos (quelque chose qui retient). L’interprétation la plus commune est qu’il s’agit de l’Empire romain. La crucifixion n’a pas encore dissous tout l’ordre. Si l’on consulte les chapitres du christianisme, ils décrivent quelque chose comme le chaos actuel, qui n’était pas présent au début de l’Empire romain. (..) le monde actuel (…) confirme vraiment toutes les prédictions. On voit l’apocalypse s’étendre tous les jours : le pouvoir de détruire le monde, les armes de plus en plus fatales, et autres menaces qui se multiplient sous nos yeux. Nous croyons toujours que tous ces problèmes sont gérables par l’homme mais, dans une vision d’ensemble, c’est impossible. Ils ont une valeur quasi surnaturelle. Comme les fondamentalistes, beaucoup de lecteurs de l’Évangile reconnaissent la situation mondiale dans ces chapitres apocalyptiques. Mais les fondamentalistes croient que la violence ultime vient de Dieu, alors ils ne voient pas vraiment le rapport avec la situation actuelle – le rapport religieux. Cela montre combien ils sont peu chrétiens. La violence humaine, qui menace aujourd’hui le monde, est plus conforme au thème apocalyptique de l’Évangile qu’ils ne le pensent. (…) La lutte se trouve entre le christianisme et l’islam, plus qu’entre l’islam et l’humanisme. Avec l’islam je pense que l’opposition est totale. Dans l’islam, si l’on est violent, on est inévitablement l’instrument de Dieu. Cela veut donc dire que la violence apocalyptique vient de Dieu. Aux États-Unis, les fondamentalistes disent cela, mais les grandes églises ne le disent pas. Néanmoins, ils ne poussent pas suffisamment leur pensée pour dire que si la violence ne vient pas de Dieu, elle vient de l’homme, et que nous en sommes responsables. René Girard
Il ne s’agit pas simplement d’un affrontement entre deux religions, entre musulmans radicaux d’un côté et protestants fondamentalistes de l’autre. Encore moins d’un choix de civilisations qui seraient opposées. Ce qui me frappe plutôt, c’est la diffusion de ce terrorisme. Partout, au Moyen-Orient, en Asie et en Asie du Sud-Est, il existe de petits groupes, des voisins, des communautés, qui se dressent les unes contre les autres, pour des raisons complexes, liées à l’économie, au mode de vie, autant qu’aux différences religieuses. (…) il faut regarder la réalité en face. Achever l’interprétation de ce traité, De la guerre, c’est lui donner son sens religieux et sa véritable dimension d’apocalypse. C’est en effet dans les textes apocalyptiques, dans les Evangiles synoptiques de Matthieu, Marc et Luc et dans les Epîtres de Paul, qu’est décrit ce que nous vivons, aujourd’hui, nous qui savons être la première civilisation susceptible de s’autodétruire de façon absolue et de disparaître. La parole divine a beau se faire entendre – et avec quelle force ! -, les hommes persistent avec acharnement à ne pas vouloir reconnaître le mécanisme de leur violence et s’accrochent frénétiquement à leurs fausses différences, à leurs erreurs et à leurs aveuglements. Cette violence extrême est, aujourd’hui, déchaînée à l’échelle de la planète entière, provoquant ce que les textes bibliques avaient annoncé il y a plus de deux mille ans, même s’ils n’avait pas forcément une valeur prédicative : une confusion générale, les dégâts de la nature mêlés aux catastrophes engendrées par la folie humaine. Une sorte de chaos universel. Si l’Histoire a vraiment un sens, alors ce sens est redoutable… (…) L’esprit humain, libéré des contraintes sacrificielles, a inventé les sciences, les techniques, tout le meilleur – et le pire ! – de la culture. Notre civilisation est la plus créative et la plus puissante qui fût jamais, mais aussi la plus fragile et la plus menacée. Mais, pour reprendre les vers de Hölderlin, « Aux lieux du péril croît/Aussi ce qui sauve »… René Girard
Nous assistons à une nouvelle étape de la montée aux extrêmes. Les terroristes ont fait savoir qu’ils avaient tout leur temps, que leur notion du temps n’était pas la nôtre. C’est un signe clair du retour de l’archaïque : un retour aux VIIe-IXe siècles, qui est important en soi. (…) Il nous faut entrer dans une pensée du temps où la bataille de Poitiers et les Croisades sont beaucoup plus proches de nous que la Révolution française et l’industrialisation du Second Empire. (…) Mais ce à quoi nous assistons avec l’islamisme est néanmoins beaucoup plus qu’un retour de la Conquête, c’est ce qui monte depuis que la révolution monte, après la séquence communiste qui aura fourni un intermédiaire. Le léninisme comportait en effet déjà certains de ces éléments. Mais ce qui lui manquait, c’était le religieux. La montée aux extrêmes est donc capable de se servir de tous les éléments : culture, mode, théorie de l’État, théologie, idéologie, religion. Ce qui mène l’histoire n’est pas ce qui apparaît comme essentiel aux yeux du rationaliste occidental. Dans l’invraisemblable amalgame actuel, je pense que le mimétisme est le vrai fil conducteur. Si l’on avait dit aux gens, dans les années 1980, que l’islam jouerait le rôle qu’il joue aujourd’hui, on serait passé pour dément. Or il y avait déjà dans l’idéologie diffusée par Staline des éléments para-religieux qui annonçaient des contaminations de plus en plus radicales, à mesure que le temps passerait. L’Europe était moins malléable au temps de Napoléon. Elle est redevenue, après le Communisme, cet espace infiniment vulnérable que devait être le village médiéval face aux Vikings. La conquête arabe a été fulgurante, alors que la contagion de la Révolution française a été freinée par le principe national qu’elle avait levé dans toute l’Europe. L’islam, dans son premier déploiement historique, a conquis religieusement. C’est ce qui a fait sa force. D’où la solidité aussi de son implantation. L’élan révolutionnaire accéléré par l’épopée napoléonienne a été contenu par l’équilibre des nations. Mais celles-ci se sont enflammées à leur tour et ont brisé le seul frein possible aux révolutions qui pointent. (…) J’ai personnellement l’impression que cette religion a pris appui sur le biblique pour refaire une religion archaïque plus puissante que toutes les autres. Elle menace de devenir un instrument apocalyptique, le nouveau visage de la montée aux extrêmes. Alors qu’il n’y a plus de religion archaïque, tout se passe comme s’il y en avait une autre qui se serait faite sur le dos du biblique, d’un biblique un peu transformé. Elle serait une religion archaïque renforcée par les apports du biblique et du chrétien. Car l’archaïque s’était évanoui devant la révélation judéo-chrétienne. Mais l’islam a résisté, au contraire. Alors que le christianisme, partout où il entre, supprime le sacrifice, l’islam semble à bien des égards se situer avant ce rejet. (…) la montée aux extrêmes se sert aujourd’hui de l’islamisme comme elle s’est servie hier du napoléonisme ou du pangermanisme. (…) Clausewitz nous l’a fait entrevoir, à travers ce que nous avons appelé sa religion guerrière, où nous avons vu apparaître quelque chose de très nouveau et de très primitif en même temps. L’islamisme est, de la même façon, une sorte d’événement interne au développement de la technique. Il faudrait pouvoir penser à la fois l’islamisme et la montée aux extrêmes, l’articulation complexe de ces deux réalités. L’unité du christianisme du Moyen Âge a donné la Croisade, permise par la papauté. Mais la Croisade n’a pas l’importance que l’islam imagine. C’était une régression archaïque sans conséquence sur l’essence du christianisme. Le Christ est mort partout et pour tout le monde. (…) Les chrétiens comprennent que la Passion a rendu le meurtre collectif inopérant. C’est pour cela que, loin de réduire la violence, la Passion la démultiplie. L’islamisme aurait très tôt compris cela, mais dans le sens du djihad. Il y a ainsi des formes d’accélération de l’histoire qui se perpétuent. On a l’impression que le terrorisme actuel est un peu l’héritier des totalitarismes, qu’il y a des formes de pensées communes, des habitudes prises. Nous avons suivi l’un des fils possibles de cette continuité, avec la construction du modèle napoléonien par un général prussien. Ce modèle a été repris ensuite par Lénine et Mao Tsé-Toung, auquel se réfère, dit-on, Al Qaida. Le génie de Clausewitz est d’avoir anticipé à son insu une loi devenue planétaire. Nous ne sommes plus dans la guerre froide, mais dans une guerre très chaude, étant donné les centaines, voire demain les milliers de victimes quotidiennes en Orient. René Girard
[Samuel Huntington] a eu raison de s’attaquer au sujet. Mais il l’a fait de manière trop classique : il ne voit pas que la tragédie moderne est aussi une comédie, dans la mesure où chacun répète l’autre identiquement. Parler de choc des civilisations, c’est dire que c’est la différence qui l’emporte. Alors que je crois, moi, que c’est l’identité des adversaires qui sous-tend leur affrontement. J’ai lu le livre de l’historien allemand Ernst Nolte, La guerre civile européenne, où il explique que, dans le choc des idéologies issues de la Première Guerre mondiale – communisme et nazisme –, l’Allemagne n’est pas la seule responsable. Mais le plus important est ceci : Nolte montre que l’URSS et le IIIe Reich ont été l’un pour l’autre un « modèle repoussoir ». Ce qui illustre la loi selon laquelle ce à quoi nous nous heurtons, c’est ce que nous imitons. Il est frappant qu’un historien pense les rapports d’inimitié en terme d’identité, en terme de copie. Ce que Nolte appelle le modèle repoussoir, c’est ce que la théorie mimétique appelle le modèle obstacle : dans la rivalité, celui qu’on prend pour modèle, on désire ce qu’il désire et par conséquent il devient obstacle. Le rapport mimétique conduit à imiter ses adversaires, tantôt dans les compliments, tantôt dans le conflit. (…) Les islamistes tentent de rallier tout un peuple de victimes et de frustrés dans un rapport mimétique à l’Occident. Les terroristes utilisent d’ailleurs à leurs fins la technologie occidentale : encore du mimétisme. Il y a du ressentiment là-dedans, au sens nietzschéen, réaction que l’Occident a favorisée par ses privilèges. Je pense néanmoins qu’il est très dangereux d’interpréter l’islam seulement par le ressentiment. Mais que faire ? Nous sommes dans une situation inextricable. (…) Benoît XVI respecte suffisamment l’islam pour ne pas lui mentir. Il ne faut pas faire semblant de croire que, dans leur conception de la violence, le christianisme et l’islam sont sur le même plan. Si on regarde le contexte, la volonté du pape était de dépasser le langage diplomatique afin de dire : est-ce qu’on ne pourrait pas essayer de s’entendre pour un refus fondamental de la violence ? (…) La Croix, c’est le retournement qui dévoile la vérité des religions révélées. Les religions archaïques, c’est le bouc émissaire vrai, c’est-à-dire le bouc émissaire caché. Et la religion chrétienne, c’est le bouc émissaire révélé. Une fois que le bouc émissaire a été révélé, il ne peut plus y en avoir, et donc nous sommes privés de violence. Ceux qui attaquent le christianisme ont raison de dire qu’il est indirectement responsable de la violence, mais ils n’oseraient pas dire pourquoi : c’est parce qu’il la rend inefficace et qu’il fait honte à ceux qui l’utilisent et se réconcilient contre une victime commune. (…) De même qu’il était impossible de ne pas croire au XIIe siècle, il est presque impossible de croire au XXIe siècle, parce que tout le monde est du même côté. (…) Il ne faut pas exagérer la religiosité de l’Amérique, pas plus que le recul de la religion en Europe. Il est cependant vrai que, aux Etats-Unis, les conventions sont favorables au religieux, alors que, en France surtout, elles tendent à lui être hostiles. La société américaine n’a pas subi l’antichristianisme de la Révolution française ou le laïcisme des anticléricaux. En France, le catholicisme pâtît de l’ancienne position dominante de l’Eglise. Aux Etats-Unis, la multiplicité s’impose : parce qu’ils sont minoritaires, les catholiques y sont d’une certaine manière favorisés. (…) [L’Apocalypse] ne signifie pas que la fin du monde est pour demain, mais que les textes apocalyptiques – spécialement les Evangiles selon saint Matthieu et saint Marc – ont quelque chose à nous dire sur notre temps, au moins autant que les sciences humaines. A mon sens, outre la menace terroriste ou la prolifération nucléaire, il existe aujourd’hui trois grandes zones de danger. En premier lieu, il y a les menaces contre l’environnement. Produisant des phénomènes que nous ne pourrons pas maîtriser, nous sommes peut-être au bord de la destruction par l’homme des possibilités de vivre sur la planète. En second lieu, avec les manipulations génétiques, nous pénétrons dans un domaine totalement inconnu. Qui peut nous certifier qu’il n’y aura pas demain un nouvel Hitler, capable de créer artificiellement des millions de soldats ? Troisièmement, nous assistons à une mise en mouvement de la terre, à travers des courants migratoires sans précédent. Les trois quarts des habitants du globe rêvent d’habiter dans le quart le plus prospère. Ces gens, nous serions à leur place, nous en ferions autant. Mais c’est un rêve sans issue. Ces trois phénomènes ne font que s’accélérer, une nouvelle fois par emballement mimétique. Et ils correspondent au climat des grands textes apocalyptiques. L’esprit moderne juge ces textes farfelus, parce qu’ils mélangent les grondements de la mer avec les heurts entre villes ou nations, qui sont des manifestations humaines. Depuis le XVIe siècle, sur un plan intellectuel, la science, c’était la distinction absolument nette, catégorique, entre la nature et la culture : appartenait à la science tout ce qui relève de la nature, et à la culture tout ce qui vient de l’homme. Si on regarde ce qui se passe de nos jours, cette distinction s’efface. Au Congrès des Etats-Unis, les parlementaires se disputent pour savoir si l’action humaine est responsable d’un ouragan de plus à la Nouvelle-Orléans : la question est devenue scientifique. Les textes apocalyptiques redeviennent donc vraisemblables, à partir du moment où la confusion de la nature et de la culture prive l’homme de ses moyens d’action. Dès lors qu’il n’y a plus de bouc émissaire possible, la seule solution est la réconciliation des hommes entre eux. C’est le sens du message chrétien. René Girard
Autrefois, les compagnons de route de la Russie communiste venaient de la gauche ; dans l’Amérique d’aujourd’hui, ils occupent les premières loges de la droite trumpiste et les avant-postes des médias populistes. Ce qui les rattache à M. Poutine, comme à Donald Trump, c’est l’apologie sans complexe de la grandeur nationale, l’aversion pour la «dictature woke», un culte assumé de la force et le goût d’une saine virilité, réfractaire à l’émasculation de l’homme blanc par les lubies progressistes. (…) Poutine savait cultiver avec méthode ces auxiliaires inespérés. Il recevait des évangélistes, des représentants du puissant lobby des armes à feu, des militants de «l’Amérique d’abord» hostiles à l’immigration. Il n’hésitait pas à se dire victime, lui et son pays, de la «cancel culture», ou à dénoncer les transgenres avec des accents qui ne pouvaient laisser insensibles ses nouveaux frères d’armes. «Ceux qui apprennent à un garçon à se transformer en fille et à une fille en un garçon commettent un crime contre l’humanité (…)». La Russie qu’il leur faisait découvrir renvoyait un miroir désolant à une Amérique en faillite morale, gangrenée par l’avortement, les mariages homosexuels, la pornographie, la libération des mœurs, la tyrannie multiculturelle… Il fallait une bonne dose d’aveuglement à ces pèlerins de l’eldorado russe pour éviter de voir ce qu’ils s’interdisaient de connaître: en Russie, comme le rappelle Anne Applebaum, le nombre des avortements est un des plus élevés du monde, le double de son niveau aux États-Unis ; la fréquentation des églises est négligeable ; seuls 15% des Russes reconnaissent à la religion un rôle important dans leur vie ; et le pays tient le record mondial du taux de suicide chez les hommes adultes. Quant à l’image unitaire de la nation, il n’est pas inutile d’observer que 20% des citoyens russes se revendiquent d’une autre nationalité, que plus de 6% sont musulmans et que, en Tchétchénie, la loi de l’État est la charia. Comment expliquer la réussite du poutinisme à rallier en Occident cette armée de «facilitateurs», d’«excuseurs», d’«indulgents»? Outre les raisons déjà évoquées, la paresse intellectuelle y entre aussi pour une part et l’ignorance volontaire pour beaucoup: elle n’est pas sans rappeler celle des voyageurs ingénus de la Russie soviétique et la cohorte des croyants cuirassés dans le déni des horreurs staliniennes. C’est un phénomène fascinant que l’impuissance des faits avérés à entrer dans la circulation des esprits et à s’imprimer au fond de la conscience publique. Pourtant, le maître du Kremlin a beaucoup œuvré à nous dessiller les yeux. Ce qui a conforté cette cécité renvoie surtout à la situation de nos démocraties. Le souvenir de la guerre froide, et des guerres en général, est trop éloigné pour alerter spontanément les esprits: nous livrons volontiers des guerres idéologiques, un luxe des temps de paix, mais hésitons, quand de vraies menaces sont à nos portes, à en apprécier la portée. Et nous baignons depuis trop longtemps dans une culture de la repentance pour ne pas donner créance à ceux qui nous inculpent de les avoir opprimés, ravalés, humiliés. Enfin, l’espoir de prévenir le pire porte parfois à consentir à l’inacceptable, comme un moindre mal, au préjudice des victimes sacrifiées à un «lâche soulagement», lequel ne dure jamais longtemps. Pour les zélateurs américains de M. Poutine, le fantasme d’une Russie citadelle de la civilisation était avant tout affaire de politique intérieure: un ressort essentiel, à condition de ne pas y regarder de près, de la guerre idéologique contre le wokisme. (…) Les trumpistes avaient d’autres priorités que l’Ukraine, le droit international, la liberté. Ce n’était pas leur guerre. On découvre là comment le wokisme est devenu le complice involontaire, le combustible, le pourvoyeur d’arguments – et d’absolutions – de l’illibéralisme. Ran Halévi
Alors que l’analyse géopolitique et les choix politiques de Vladimir Poutine semblent toujours plus intégrés à des motifs religieux et messianiques qui voient dans la guerre en Ukraine une dernière voie de salut pour la Russie (sur le thème sourkovien du « Que nous importe le monde si la Russie n’y existe plus ? »), il faut lire de près le discours développé par l’Église orthodoxe russe pour justifier la guerre et le positionnement poutinien. (…) le 6 mars 2022, le dimanche de la Saint-Jean, le dimanche de l’exil adamique (« dimanche du pardon »), le patriarche Kirill de Moscou et de toute la Russie a célébré la Divine Liturgie dans la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou. À la fin du service, le primat de l’Église orthodoxe russe a prononcé un sermon enflammé pour justifier les causes de la guerre, en endossant le discours de Poutine sur l’Ukraine. Ce discours (…) est marqué par les tonalités apocalyptiques (…) Ce n’est pas une surprise pour les personnes qui ont suivi de près l’évolution de l’Église orthodoxe russe qui, depuis plusieurs années, se pose en ultime défenseur de la morale sociale et des valeurs traditionnelles russes dans le cadre de « la guerre culturelle » menée par un Occident « décadent ». On remarquera que l’Église orthodoxe russe et les bureaucraties de sécurité (FSB) sont les seules grandes institutions centrales à avoir survécu à l’effondrement du système communiste, en se greffant organiquement au régime de Poutine. L’argument principal du sermon de Kirill sert à justifier l’invasion russe de l’Ukraine puisque l’Occident teste les lois naturelles de Dieu (…) C’est dans ce sens qu’une parole biblique paradoxalement consacrée au « pardon » sert de justification à la guerre dans la lignée de la tradition byzantine du césaro-papisme. (…) Avec ce discours nous sommes face à une vision du monde qui dépasse de très loin le storytelling politique et la définition d’un narratif auxquels nous sommes habitués dans nos espaces politiques. Au fond, et c’est ce qui rend la lecture de ce texte urgente, depuis l’invention de la bombe atomique nous n’avions peut-être jamais vécu le moment le plus intense du théologico-politique : une puissance nucléaire engagée dans une « guerre sainte ». Jean-Benoît Poulle
Le patriarche Kirill reprend des éléments traditionnels de la théologie chrétienne du sacrifice de la croix, de la justification de l’homme pécheur par la mort rédemptrice du Christ. Mais certains choix de vocabulaire interrogent : pourquoi parler d’une « exécution », qui « servait à exécuter les criminels » au détriment de l’insistance sur la mort volontaire du Christ ? L’Église, en Occident, n’est plus guère habituée depuis Vatican II à prêcher sur ces thèmes de la « colère du Père », de son « juste châtiment » destiné aux pécheurs qui retomberait sur son Fils innocent… Plus subtilement, dans ce texte, le sacrifice divin est mondanisé, ramené à des réalités terrestres : « la meilleure des qualités humaines » et « la plus haute expression de l’amour de l’homme pour ses semblables ». En théologie chrétienne, tout cela est vrai mais ne suffit pas : c’est la vie donnée sans défense qui revêt une véritable valeur rédemptrice, et constitue donc le « vrai sacrifice ». (…) Kirill entreprend un second et majeur infléchissement de la notion chrétienne du sacrifice, qui permet de l’appliquer à des soldats d’une armée d’invasion. Le patriarche mélange à dessein le fait de se sacrifier pour les autres, de donner sa vie volontairement pour sauver les siens dans un geste héroïque ou saint, et « l’accomplissement de son devoir militaire », action qui peut être vertueuse selon les conceptions de la guerre juste, mais uniquement en cas de guerre défensive. En bonne théologie, en aucun cas la mort au combat en participant à une armée d’invasion n’est équivalente à la mort pour sauver la vie des siens — même si certains soldats ressentent peut-être subjectivement cette équivalence. Le véritable sacrifice chrétien est celui des martyrs qui, par définition, exposent leur vie et n’attentent pas à celle des autres. Kirill fait au fond l’amalgame entre un « sacrifice patriotique », métaphorique, qui n’est pas toujours permis en théologie morale — il dépend de la licéité de la guerre menée — et ce véritable sacrifice chrétien, sans armes à la main. (…) Cette expression, répétée à dessein, est une ligne de force du discours de Kirill et d’autres soutiens de l’invasion : c’est la théorie du monde russe (rousky mir), d’une sorte d’unité civilisationnelle imperméable au droit international, qui justifierait donc la violation des frontières reconnues par ce même droit. C’est pourquoi, de manière frappante, et alors même que les référendums d’annexion ne sont pas achevés, Kirill se permet de dire que la guerre se déroule dans les « vastes étendues de la Russie » au moment même où elle a lieu ukrainien… Sa Sainte  Russie imaginée — ce qu’il appelle de manière étonnante dans le texte « l’espace spirituel uni de la Sainte Russie — serait au fond davantage une communauté mystique qu’un État westphalien. Selon cette logique pervertie, si donc la guerre en Ukraine est une guerre civile russe, elle ne peut opposer que des « bons Russes », partisans de l’État central, et meilleurs représentants de la russité, et ces « mauvais Russes » que seraient des Ukrainiens, adeptes d’un mouvement centrifuge par attirance de l’étranger. (…) (…) Comme si cela ne suffisait pas, Kirill insiste un peu plus : la « terre de Russie » dépasse donc largement les frontières étatiques de la Fédération de Russie, puisque la « Sainte Russie » — vieille expression de la propagande tsariste — est au fond un espace mystique plus que matériel, celui de la « chrétienté véritable », où la foi orthodoxe a été supposément gardée la plus pure, loin de toute influence néfaste, donc l’espace sous la juridiction du Patriarche Kirill. Il est piquant de voir que cette identification au christianisme orthodoxe le plus sourcilleux doit parfois composer, pour les besoins de la propagande étatique, avec d’autres affirmations nettement syncrétistes, par exemple celles affirmant l’unité de croyance entre tous les sujets de la Fédération russe,  qu’ils soient chrétiens, musulmans comme les Tchétchènes, voire chamanistes comme certains Bouriates… (…) Derrière l’appel final à la réconciliation, à la paix et à la justice, se devine surtout la raison du plus fort : c’est en définitive à une « justice »  adossée à la force, le droit du vainqueur, que s’en remet le patriarche. Jean-Benoît Poulle

C’est le djihad final !

A l’heure où reprenant en parfait « loup ravisseur en vêtements de brebis »

Face à une petite armée d’idiots utiles occidentaux que le rejet du wokisme et la hantise de la décadence …

A fait rejoindre, dans leur déni de la réalité russe, les lourds bataillons de l’apaisement et du profit à tout prix à la Chirac ou à la Merkel

Le langage et les formes de la démocratie et des droits de la personne, le nouvel Hitler de Moscou

Efface à coups de canon et de coups de force pour mieux les protéger, les frontières de ses voisins …

Et pour mieux les sauver, massacre les populations

Comme l’avait annoncé prophétiquement dès 1919 un certain capitaine de Gaulle

Comment ne pas s’inquiéter peut-être plus encore de son instrumentalisation, via le patriarche et ex-officier du FSB Kirill, de la religion orthodoxe …

Et comment ne pas repenser à ce que René Girard avait déjà pointé dans l’actuel djihad islamique …

A savoir une monstrueuse et diabolique synthèse du léninisme et du christianisme…

Qui, sur le dos d’un biblique perverti à l’instar de l’islam, tente de rallier tout un peuple de victimes et de frustrés dans un rapport mimétique à l’Occident…

Et à présent l’orthodoxie pour en faire une religion archaïque plus puissante que toutes les autres …

Et même, avec la menace nucléaire, un véritable instrument apocalyptique …

Où  reprenant la dénonciation évangélique de la violence et du sacrifice, elle la retourne en une nouvelle guerre sainte contre un Occident tombé en pleine décadence ?

Poutine déclare la guerre sainte au « satanisme » occidental

Le président russe Vladimir Poutine a invoqué Jésus, Satan et des épouvantails transsexuels lors d’une cérémonie du Kremlin pour dépecer l’Ukraine vendredi 30 septembre.
Nouvelles du jour
30.09.2022

Poutine a signé des tomes reliés en cuir avec un aigle en relief faisant de quatre régions ukrainiennes une partie de la Russie dans une salle somptueuse, pleine de VIP russes applaudissant, dont le patriarche Kirill, accompagnés de soldats en uniforme de grande tenue.

La dernière fois que cela s’est produit, lorsque la Russie a annexé la Crimée en 2014, a marqué une heure sombre pour l’ordre de sécurité de l’Europe après la Seconde Guerre mondiale.

Cette fois, c’est plus dangereux, car la Russie n’a pas le contrôle total des nouveaux territoires qu’elle a revendiqués, au milieu des menaces du Kremlin de protéger la grande Russie de Poutine avec des armes nucléaires si nécessaire.

Poutine a décrit l’annexion comme une guerre sainte contre l’Occident, utilisant une rhétorique surprenante.

« Ils [l’Occident] évoluent vers un satanisme ouvert », a-t-il déclaré dans un discours diffusé à des millions de personnes en ligne.

Les élites occidentales enseignaient la « déviation sexuelle » aux enfants qui changeaient de sexe, a-t-il dit. « Nous nous battons pour la Russie historique, pour protéger nos enfants et petits-enfants de cette expérience pour changer leur âme », a-t-il ajouté.

Poutine a invoqué Jésus par son nom pour témoigner de sa « vérité » et s’est décrit en termes messianiques.

« Je crois au pouvoir spirituel du peuple russe et mon esprit est son esprit, la souffrance du peuple est ma souffrance », a-t-il déclaré.

« La destruction de l’hégémonie occidentale est irréversible », a ajouté Poutine, alors qu’il approchait du point culminant de son discours.

Son nouveau mysticisme contrastait avec sa justification pour s’emparer de la Crimée en 2014, qu’il fondait sur des bases historiques.

Poutine a également accusé les « Anglo-Saxons », se référant au Royaume-Uni et aux États-Unis, d’avoir fait sauter deux gazoducs russes vers l’Allemagne cette semaine – dans un casus belli potentiel avec l’OTAN.

Il s’est moqué du public européen pour la flambée des prix des aliments et de l’énergie due à son invasion. « Vous avez besoin de nourriture », a déclaré Poutine. « Vous ne pouvez pas chauffer vos appartements », a-t-il déclaré.

Mais le reste de son discours a suivi des lignes bien éculées, accusant « l’Occident » d’impérialisme, de colonialisme, d’hypocrisie et de péchés historiques tels que les bombardements d’Hiroshima et de Dresde pendant la Seconde Guerre mondiale.

La fantasmagorie satanique et les discours de haine sexuelle sont également des thèmes familiers de la propagande russe.

Alors que Poutine est connu pour utiliser un langage étonnamment grossier, comme des blagues nécrophiles, lors d’événements publics, son mélange de sexe, de religion et de géopolitique vendredi était plus extrême que jamais.

De leur côté, les dirigeants européens se préparent à imposer de nouvelles sanctions à la Russie lors de leur rencontre à Prague la semaine prochaine.

Ils visent à mettre sur liste noire l’idéologue russe Alexander Dugin, qui parle de la guerre en Ukraine et de l’identité russe en des termes tout aussi toxiques, avec 28 autres personnes.

Ils doivent frapper les industries russes du pétrole, de l’acier et de la foresterie.

L’UE se prépare également à copier-coller son interdiction de voyage et d’affaires en Crimée dans les nouvelles zones annexées à la Russie, alors que la guerre s’éternise.

« Documents de voyage russes délivrés dans ces régions [the four Ukrainian areas annexed by Russia on Friday] ne sont pas reconnus par les États membres ainsi que par l’Islande, la Norvège, la Suisse et le Lichtenstein aux fins de la délivrance d’un visa et du franchissement des frontières extérieures », indique un document interne de l’UE, qui est en préparation parallèlement aux nouvelles listes noires de la Russie.

L’Ukraine a déclaré vendredi qu’elle postulait pour rejoindre l’Otan en riposte au stratagème de Poutine.

La fête de Poutine

Les solennités du Kremlin ont vu les quatre dirigeants fantoches de la Russie dans l’est de l’Ukraine serrer la main de Poutine tout en scandant « Russie ! Russie ! » à une ovation debout.

Deux d’entre eux portaient des insignes de revers avec le symbole Z, un logo devenu synonyme des atrocités russes commises en Ukraine au cours des six derniers mois.

L’annexion de la Crimée, il y a huit ans, a vu l’Arménie, la Biélorussie, la Bolivie, Cuba, le Nicaragua, la Corée du Nord, le Soudan, la Syrie, le Venezuela et le Zimbabwe soutenir Poutine à l’ONU, signe de ce à quoi il pourrait s’attendre cette fois-ci.

Cuba, le Nicaragua et la Syrie ont officiellement reconnu la Crimée comme faisant partie de la Russie, mais les plus grands amis de la Russie, comme la Chine et l’Iran, ne se sont jamais liés à la fantaisie de Poutine.

Le modèle est apparu pour la première fois lorsque la Russie a reconnu l’indépendance de deux régimes fantoches russes en Géorgie en 2008, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, et lorsque Poutine a été rejoint par Nauru, le Nicaragua, la Syrie et le Venezuela uniquement sur la scène mondiale.

Voir aussi:

Le sacrifice comme arme de guerre
On avait connu Daesh et le djihad par l’épée. Kirill, patriarche de Moscou, veut aujourd’hui faire de l’invasion de l’Ukraine par la Russie de Poutine une guerre sainte — en présentant la mort de l’envahisseur en terres ennemies comme un sacrifice chrétien.
Jean-Benoît Poulle
28.09.2022

Depuis le commencement de l’invasion russe de l’Ukraine, le patriarche Kirill de Moscou  paraît vouloir lier à la politique du Kremlin non seulement son destin personnel, mais encore celui de toute l’Eglise orthodoxe russe dont il est le chef. Après avoir déclaré en mars qu’il s’agissait d’un « combat métaphysique » contre les « forces du mal », il a ignoré les appels à la paix, à la prise de distance ou, au moins à la neutralité, qui venaient pourtant d’horizons très divers, du pape François, engagé avec lui dans un dialogue oecuménique risqué, au patriarche de Constantinople Bartholomée, primus inter pares des Églises orthodoxes. Si sa parole est, semble-t-il, encore écoutée avec respect dans la population russe, les conséquences n’ont pas tardé à se faire sentir à l’extérieur : en Ukraine, le chef des orthodoxes ukrainiens encore placés sous sa juridiction — le métropolite Onuphre — a décidé de rompre avec sa tutelle. Comme d’autres soutiens de la guerre, Kirill a été visé par les sanctions de l’Union européenne et d’autres pays de la communauté internationale qui, par exemple, lui ont interdit de voyager — interdiction dont Viktor Orban, en Hongrie, s’est désolidarisé, hostile à ce que des représailles frappent un chef spirituel.

Lorsque, au lendemain de l’annonce conjointe par Vladimir Poutine le 21 septembre des référendums de rattachement dans les territoires ukrainiens occupés et de la mobilisation partielle en Russie, sa parole était attendue : allait-il enfin s’en distancier, voire le critiquer ? Le discours que nous traduisons et commentons ci-dessous montre qu’il n’en est rien. Bien au contraire. À travers la glorification du « sacrifice » des soldats russes qui verraient ainsi leurs péchés remis, et la reprise du thème du « monde russe », Kirill endosse encore les justifications du Kremlin, en y ajoutant la tonalité apocalyptique et mystique qui lui est propre. Cette intensification correspond en fait, dans son registre propre, à l’escalade verbale de nombreux responsables politiques russes de ces derniers jours.

Sur le site du patriarcat de Moscou, le texte suivant introduit le sermon :

« Le 25 septembre 2022, la 15ème semaine après la fête de la Nativité de la Très Sainte Mère de Dieu, Sa Sainteté le Patriarche Kirill de Moscou et de toute la Russie a célébré la Divine Liturgie dans l’église du Prince Béni Alexandre Nevsky dans l’ermitage du même nom près de Peredelkin. À la fin de la liturgie, le Primat de l’Église orthodoxe russe a prononcé un sermon. »

Ce lieu et ce nom sont déjà tout un programme. Alexandre Nevski (1220-1263) est un monarque russe, grand-prince de Vladimir et de Novgorod, célèbre pour avoir vaincu en 1240, sur la Neva — d’où son surnom de Nevski —, les Suédois, puis en 1242 les chevaliers Teutoniques, mettant un terme définitif à leur poussée vers l’Est. Canonisé en 1547 par l’Église orthodoxe russe, il est devenu un héros national qui symbolise la résistance à tout envahisseur venu de l’Ouest. Un sondage de 2008 le désigne comme le  Russe le plus populaire de tous les temps. C’est également sous son règne que la ville de Moscou est mentionnée pour la première fois dans l’histoire.

Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit.

Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique (Jean 3, 16). À la mort ! Le Fils unique, le Fils divin ! Et pourquoi ce terrible Sacrifice divin était-il nécessaire, dont l’étendue et la signification ne peuvent être saisies par l’esprit humain ? Le Dieu tout-puissant s’est livré à une exécution, qui servait à exécuter des criminels, des parias de la société humaine, qui avaient effectivement commis des crimes terribles et dangereux.

Lorsque l’on considère ce sacrifice divin indescriptible, il est difficile pour l’esprit humain de saisir l’ensemble du plan divin. Mais il est clair que le Seigneur ne se donne pas, ne souffre pas et ne meurt pas de manière humaine pour quelque chose qui serait totalement incompréhensible pour nous et qui n’est inhérent qu’à Lui, qui a une immense connaissance de Lui-même. Il nous permet de comprendre que si Dieu, dans son Fils, donne sa vie humaine pour le bien des autres, pour le bien de la race humaine, alors le sacrifice est la plus haute expression de l’amour de l’homme pour ses semblables. Le sacrifice est la plus grande manifestation de la meilleure des qualités humaines.

Dans les deux paragraphes précédents, le patriarche Kirill reprend des éléments traditionnels de la théologie chrétienne du sacrifice de la croix, de la justification de l’homme pécheur par la mort rédemptrice du Christ. Mais certains choix de vocabulaire interrogent : pourquoi parler d’une « exécution », qui « servait à exécuter les criminels » au détriment de l’insistance sur la mort volontaire du Christ ? L’Église, en Occident, n’est plus guère habituée depuis Vatican II à prêcher sur ces thèmes de la « colère du Père », de son « juste châtiment » destiné aux pécheurs qui retomberait sur son Fils innocent… Plus subtilement, dans ce texte, le sacrifice divin est mondanisé, ramené à des réalités terrestres : « la meilleure des qualités humaines » et « la plus haute expression de l’amour de l’homme pour ses semblables ». En théologie chrétienne, tout cela est vrai mais ne suffit pas : c’est la vie donnée sans défense qui revêt une véritable valeur rédemptrice, et constitue donc le « vrai sacrifice ».

Nous savons qu’aujourd’hui, de nombreuses personnes meurent sur les champs de bataille des guerres intestines. L’Église prie pour que cette bataille prenne fin le plus rapidement possible, afin que le moins de frères possible s’entretuent dans cette guerre fratricide.

Est-ce ici l’amorce d’une concession ? Kirill, ou son entourage, paraissent peut-être conscients des dommages que l’invasion russe inflige au leadership du Patriarcat de Moscou dans le monde orthodoxe. Il affirme donc prier pour la fin des combats et l’arrêt d’une guerre « fratricide ». Mais cela peut aussi s’entendre comme un appel aux Ukrainiens, spécialement ceux encore placés sous sa juridiction spirituelle, à déposer les armes afin de cesser toute résistance « inutile »… L’expression de « guerre fratricide », dans la plus pure propagande, permet enfin de renvoyer dos-à-dos les belligérants, sans distinguer envahisseur ni pays envahi.

Et en même temps, l’Église est consciente que si quelqu’un, poussé par le sens du devoir, par la nécessité de remplir son serment, reste fidèle à sa vocation et meurt dans l’accomplissement de son devoir militaire, il commet sans aucun doute un acte qui équivaut à un sacrifice. Il se sacrifie pour les autres. Et nous croyons donc que ce sacrifice lave tous les péchés que l’on a commis.

Kirill entreprend un second et majeur infléchissement de la notion chrétienne du sacrifice, qui permet de l’appliquer à des soldats d’une armée d’invasion. Le patriarche mélange à dessein le fait de se sacrifier pour les autres, de donner sa vie volontairement pour sauver les siens dans un geste héroïque ou saint, et « l’accomplissement de son devoir militaire », action qui peut être vertueuse selon les conceptions de la guerre juste, mais uniquement en cas de guerre défensive. En bonne théologie, en aucun cas la mort au combat en participant à une armée d’invasion n’est équivalente à la mort pour sauver la vie des siens — même si certains soldats ressentent peut-être subjectivement cette équivalence. Le véritable sacrifice chrétien est celui des martyrs qui, par définition, exposent leur vie et n’attentent pas à celle des autres. Kirill fait au fond l’amalgame entre un « sacrifice patriotique », métaphorique, qui n’est pas toujours permis en théologie morale — il dépend de la licéité de la guerre menée — et ce véritable sacrifice chrétien, sans armes à la main.

La guerre, qui se déroule actuellement dans les vastes étendues de la Russie, est une guerre intestine.

Cette expression, répétée à dessein, est une ligne de force du discours de Kirill et d’autres soutiens de l’invasion : c’est la théorie du monde russe (rousky mir), d’une sorte d’unité civilisationnelle imperméable au droit international, qui justifierait donc la violation des frontières reconnues par ce même droit. C’est pourquoi, de manière frappante, et alors même que les référendums d’annexion ne sont pas achevés, Kirill se permet de dire que la guerre se déroule dans les « vastes étendues de la Russie » au moment même où elle a lieu ukrainien… Sa Sainte  Russie imaginée — ce qu’il appelle de manière étonnante dans le texte « l’espace spirituel uni de la Sainte Russie — serait au fond davantage une communauté mystique qu’un État westphalien. Selon cette logique pervertie, si donc la guerre en Ukraine est une guerre civile russe, elle ne peut opposer que des « bons Russes », partisans de l’État central, et meilleurs représentants de la russité, et ces « mauvais Russes » que seraient des Ukrainiens, adeptes d’un mouvement centrifuge par attirance de l’étranger

Et c’est pourquoi il est si important qu’à l’issue de cette guerre ne surgisse pas une vague d’amertume et d’aliénation, et que les peuples frères ne soient pas divisés par le mur infranchissable de la haine. Et la façon dont nous nous comportons tous les uns envers les autres aujourd’hui, ce que nous demanderons au Seigneur dans nos prières, ce que nous espérerons, déterminera dans une large mesure non seulement l’issue des batailles, mais aussi ce qui se passera à la suite de tout cela. Que Dieu fasse en sorte que les hostilités actuelles ne détruisent pas l’espace spirituel uni de la Sainte Russie et n’endurcissent pas d’autant plus nos peuples. Afin que, par la grâce de Dieu, toutes les blessures puissent être guéries. Pour que, par la grâce de Dieu, tout ce qui aujourd’hui afflige de très nombreuses personnes soit effacé de la mémoire. Pour que ce qui remplace la situation actuelle, y compris les relations entre nos peuples frères, soit lumineux, pacifique et joyeux.

Il en va de même, plus loin, pour la mention des « peuples frères », qui rappelle un thème de la propagande soviétique, au temps du pacte de Varsovie, qui a donné lieu à de multiples plaisanteries dans les pays occupés sur la conception de la « fraternité » entre peuples socialistes et souvent slaves mise en oeuvre par l’Armée Rouge…

Cette fraternité incantatoire, à laquelle Anna Colin Lebedev a récemment consacré un livre important, suppose au fond un « grand frère », le peuple « Grand Russe » — comme les ethnologues désignaient autrefois les « Russes ethniques », habitants de l’Etat issu de la Moscovie — qui contrôlerait les activités de deux « petits frères » turbulents, les « Petits Russes » — comme étaient parfois désignés les Ukrainiens au temps de l’Empire russe — et les « Russes Blancs », ou Biélorusses, eux un peu « plus sages » grâce à leur lien de vassalité avec Moscou…

Et cela ne peut se produire que si nous vivons avec la foi dans nos cœurs. Parce que la foi détruit la peur, la foi permet le pardon mutuel, la foi renforce les relations entre les peuples et peut effectivement transformer ces relations en relations fraternelles, cordiales et bonnes. Dieu fasse qu’il en soit ainsi, que tout ce qui obscurcit maintenant l’âme de beaucoup de gens prenne fin. Dieu fasse que le moins de personnes possible soient tuées ou mutilées au cours de cette lutte intestine. Dieu fasse qu’il y ait le moins possible de veuves et d’orphelins, moins de familles divisées, moins d’amitiés et de confréries brisées.

Là encore, il est permis de s’interroger sur la sincérité de ces prières pour l »arrêt des combats, certes davantage conformes à ce que l’on attendrait de la part d’un responsable spirituel. Auparavant, la mention de la « foi » censée permettre le « pardon mutuel » et « renforcer les relations entre les peuples » tait les conditions d’un tel appel : c’est une foi russe, de même qu’une paix russe dans l’ordre séculier, qui sont offertes, et signifient en définitive la soumission spirituelle au patriarcat de Moscou

L’Église, qui exerce son ministère pastoral auprès des peuples de Russie, d’Ukraine, de Biélorussie et de bien d’autres dans les étendues de la Russie historique, souffre aujourd’hui et prie tout particulièrement pour que cessent rapidement les luttes intestines, que soit célébrée la justice, que soit restaurée la communion fraternelle et que soit surmonté tout ce qui, s’étant accumulé au fil des ans, a conduit à la fin à un conflit sanglant.

Cette précision capitale va très loin : outre les trois peuples mentionnés comme constitutifs du « monde russe » (Russes, Ukrainiens, Biélorusses), Kirill  en mentionne encore « d’autres dans les étendues de la Russie historique », c’est-à-dire qu’il considère que la Russie historique, et donc ce « monde russe » intemporel et mystique, s’étend même au-delà de ces trois États. Et il est vrai que le Patriarcat de Moscou a ou prétend avoir une juridiction qui les déborde, y compris sur toute la diaspora russe : le ressort de l’Église orthodoxe russe s’étend ainsi sur tous les pays de l’ex-URSS — y compris l’Asie centrale et les pays Baltes, la Mongolie, la Chine et le Japon. Que le Patriarcat russe y exerce son « ministère pastoral » est une chose ; qu’il prétende les amalgamer aux « étendues de la Russie historique » en est une autre, grosse de velléités annexionnistes, spécialement pour des pays comme la Lettonie ou l’Estonie, qui recèlent une très importante minorité russophone : cela serait donc suffisant à en faire des composantes de cet « espace spirituel » qui a en outre l’avantage d’être suffisamment flou pour se prêter à des avancées ou des reculades…

Nous croyons que tous les saints qui ont brillé sur la terre de Russie — dans ce cas, en utilisant l’expression déjà acceptée « sur la terre de Russie », nous voulons dire la Russie, toute la terre russe, la Sainte Russie — offrent aujourd’hui avec nous leurs prières au Seigneur pour que la paix s’établisse sur la terre, pour que vienne la réconciliation des peuples frères et, surtout, pour que la justice prévale, car sans justice il ne peut y avoir de paix durable.

Comme si cela ne suffisait pas, Kirill insiste un peu plus : la « terre de Russie » dépasse donc largement les frontières étatiques de la Fédération de Russie, puisque la « Sainte Russie » — vieille expression de la propagande tsariste — est au fond un espace mystique plus que matériel, celui de la « chrétienté véritable », où la foi orthodoxe a été supposément gardée la plus pure, loin de toute influence néfaste, donc l’espace sous la juridiction du Patriarche Kirill. Il est piquant de voir que cette identification au christianisme orthodoxe le plus sourcilleux doit parfois composer, pour les besoins de la propagande étatique, avec d’autres affirmations nettement syncrétistes, par exemple celles affirmant l’unité de croyance entre tous les sujets de la Fédération russe,  qu’ils soient chrétiens, musulmans comme les Tchétchènes, voire chamanistes comme certains Bouriates…

Derrière l’appel final à la réconciliation, à la paix et à la justice, se devine surtout la raison du plus fort : c’est en définitive à une « justice »  adossée à la force, le droit du vainqueur, que s’en remet le patriarche.

Que le Seigneur nous protège tous et nous aide à parcourir dignement notre chemin chrétien, malgré les circonstances difficiles de la vie, qui est aujourd’hui la réalité de notre existence terrestre. Par les prières des saints, dont nous avons loué les noms aujourd’hui, que le Seigneur nous aide tous à être fortifiés dans la paix, l’amour, la fraternité et la pureté.

Voir également:

La guerre sainte de Poutine

Par la voix du patriarche Kirill, Poutine se projette dans une guerre de fin du monde. Voici comment l’Église orthodoxe russe justifie l’invasion de l’Ukraine.

Jean-Benoît Poulle
03.07.2022

Alors que l’analyse géopolitique et les choix politiques de Vladimir Poutine semblent toujours plus intégrés à des motifs religieux et messianiques qui voient dans la guerre en Ukraine une dernière voie de salut pour la Russie (sur le thème sourkovien du « Que nous importe le monde si la Russie n’y existe plus ? »), il faut lire de près le discours développé par l’Église orthodoxe russe pour justifier la guerre et le positionnement poutinien.

Hier, le 6 mars 2022, le dimanche de la Saint-Jean, le dimanche de l’exil adamique (« dimanche du pardon »), le patriarche Kirill de Moscou et de toute la Russie a célébré la Divine Liturgie dans la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou. À la fin du service, le primat de l’Église orthodoxe russe a prononcé un sermon enflammé pour justifier les causes de la guerre, en endossant le discours de Poutine sur l’Ukraine.

Ce discours – que nous traduisons pour la première fois en français et que nous commentons ligne à ligne ici – est marqué par les tonalités apocalyptiques (« Ce qui se passe aujourd’hui.. ne relève pas uniquement de la politique… Il s’agit du Salut de l’homme, de la place qu’il occupera à droite ou à gauche de Dieu le Sauveur, qui vient dans le monde en tant que Juge et Créateur de la création. »).

Ce n’est pas une surprise pour les personnes qui ont suivi de près l’évolution de l’Église orthodoxe russe qui, depuis plusieurs années, se pose en ultime défenseur de la morale sociale et des valeurs traditionnelles russes dans le cadre de « la guerre culturelle » menée par un Occident « décadent ». On remarquera que l’Église orthodoxe russe et les bureaucraties de sécurité (FSB) sont les seules grandes institutions centrales à avoir survécu à l’effondrement du système communiste, en se greffant organiquement au régime de Poutine.

L’argument principal du sermon de Kirill sert à justifier l’invasion russe de l’Ukraine puisque l’Occident teste les lois naturelles de Dieu : « aujourd’hui, il existe un test de loyauté envers le pouvoir [occidental], une sorte de laissez-passer vers ce monde « heureux », un monde de consommation excessive, un monde de « liberté » apparente. Savez-vous ce qu’est ce test ? Le test est très simple et en même temps terrifiant : il s’agit d’une parade de la gay pride. »  C’est dans ce sens qu’une parole biblique paradoxalement consacrée au « pardon » sert de justification à la guerre dans la lignée de la tradition byzantine du césaro-papisme : « Et donc, aujourd’hui, en ce dimanche du pardon, moi, d’une part, en tant que votre berger, j’appelle tout le monde à pardonner les péchés et les offenses, y compris là où il est très difficile de le faire, là où les gens se battent entre eux. Mais le pardon sans la justice est une capitulation et une faiblesse. Le pardon doit donc s’accompagner du droit indispensable de se placer du côté de la lumière, du côté de la vérité de Dieu, du côté des commandements divins, du côté de ce qui nous révèle la lumière du Christ, sa Parole, son Évangile, ses plus grandes alliances données au genre humain. »

Avec ce discours nous sommes face à une vision du monde qui dépasse de très loin le storytelling politique et la définition d’un narratif auxquels nous sommes habitués dans nos espaces politiques. Au fond, et c’est ce qui rend la lecture de ce texte urgente, depuis l’invention de la bombe atomique nous n’avions peut-être jamais vécu le moment le plus intense du théologico-politique : une puissance nucléaire engagée dans une « guerre sainte ».

Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.

À vous tous, mes chers Seigneurs, Pères, Frères et Sœurs, je vous félicite de tout cœur en ce dimanche, dimanche du Pardon, dernier dimanche avant le début de la Quadragésime, le grand Carême

Il s’agit ici d’une fête spécifique aux orthodoxes : le Dimanche du Pardon, qui fait mémoire de l’expulsion d’Adam et Eve du Paradis (Genèse, 3, 22-24 : c’est donc le souvenir du péché originel, mais aussi de la promesse de Rédemption), est le dernier avant le passage du Petit Carême (équivalent à ce qu’on appelait autrefois le temps de la Septuagésime dans l’Eglise catholique latine) au Grand Carême, les 40 jours précédant Pâques où le jeûne est beaucoup plus strict, passant au régime végétalien intégral. C’est bien sûr un temps d’intensification des efforts spirituels.

De nombreux adeptes considèrent le carême comme un printemps spirituel. Il coïncide avec le printemps de la vie physique et est en même temps considéré par la conscience de l’Église comme un printemps spirituel. Et qu’est-ce que le printemps ? Le printemps est la renaissance de la vie, le renouveau, une nouvelle force. Nous savons que c’est au printemps que la sève puissante éclate à dix, vingt, cent pieds de haut, donnant vie à l’arbre. C’est en effet un étonnant miracle de Dieu, un miracle de la vie. Le printemps est la renaissance de la vie, un certain grand symbole de la vie. Et c’est pourquoi ce n’est pas tout à fait par hasard que la principale fête de printemps est la Pâque du Seigneur, qui est aussi un signe, un gage, un symbole de la vie éternelle. Et nous croyons qu’il en est ainsi, et cela signifie que toute la foi chrétienne, que nous partageons avec vous, est la foi qui affirme la vie, qui est contre la mort, contre la destruction, qui affirme la nécessité de suivre les lois de Dieu pour vivre, pour ne pas périr dans ce monde, ni dans l’autre.

Les analogies ici présentées entre le printemps, la renaissance et la résurrection, sont de véritables lieux communs théologiques, qu’on s’attend à voir figurer dans une homélie ; mais plus subtilement, avec l’installation de l’opposition entre « la foi qui affirme la vie » et la mort, Kirill se place déjà sur le terrain des valeurs de « défense de la vie » face aux forces de la décadence assimilées à l’Occident.

Mais nous savons que ce printemps est assombri par de graves événements liés à la détérioration de la situation politique dans le Donbass, presque le début des hostilités. Je voudrais dire quelque chose à ce sujet.

C’est là un trait frappant de ce sermon : l’Ukraine n’est jamais évoquée en tant que telle, c’est toujours le « Donbass » qui fait l’objet de la sollicitude du patriarche. Or on sait que la guerre d’invasion déborde largement cette région séparatiste. Mais la contre-information russe a tout intérêt à revenir constamment vers le terrain de l’origine du conflit, comme pour mieux en exhiber les responsables. 

Depuis huit ans, on tente de détruire ce qui existe dans le Donbass.

Il s’agit ici d’une reprise mot pour mot d’un grand thème de la propagande du Kremlin : la guerre a commencé en réalité en 2014, quand l’Ukraine a tenté de réduire militairement les Républiques séparatistes de Donetsk et Louhansk, en les bombardant. C’est une vision qui fait l’impasse sur l’origine de l’établissement de ces Républiques en les présentant comme des réalités autonomes et subsistantes, comme si elles ne provenaient pas du territoire ukrainien, et que leur séparatisme n’avait pas été provoqué par le Kremlin en réponse à la révolution de Maïdan.

Et dans le Donbass, il y a un rejet, un rejet fondamental des soi-disant valeurs qui sont proposées aujourd’hui par ceux qui prétendent au pouvoir mondial. Aujourd’hui, il existe un test de loyauté envers ce pouvoir, une sorte de laissez-passer vers ce monde « heureux », un monde de consommation excessive, un monde de « liberté » apparente. Savez-vous ce qu’est ce test ? Le test est très simple et en même temps terrifiant : il s’agit d’une parade de la gay pride. La demande de nombreux pays d’organiser une gay pride est un test de loyauté envers ce monde très puissant ; et nous savons que si des personnes ou des pays rejettent ces demandes, ils ne font pas partie de ce monde, ils en deviennent des étrangers.

Le patriarche Kirill place d’emblée le conflit sur le terrain des valeurs morales, en le réduisant à l’affrontement entre un Occident décadent et une Russie porte-étendard des valeurs traditionnelles.
Peu importe ici que la question des droits des minorités sexuelles n’ait absolument rien à voir avec la guerre du Donbass ni avec l’invasion de l’Ukraine, cela permet à Kirill de lui assigner un sens pour les Russes orthodoxes ordinaires, très conservateurs sur les questions de société. À noter également des accents complotistes dans l’évocation du « monde très puissant », le monde occidental étant présenté comme uniforme sur la question (alors qu’il n’est pas non plus facile d’organiser une gay pride en Pologne orientale…). Le terrain civilisationnel est donc investi.

Mais nous savons ce qu’est ce péché, qui est promu par les soi-disant « marches de la fierté » (gay pride). C’est un péché qui est condamné par la Parole de Dieu – tant l’Ancien que le Nouveau Testament. Et Dieu, en condamnant le péché, ne condamne pas le pécheur. Il l’appelle seulement à la repentance, mais ne fait en aucun cas du péché une norme de vie, une variation du comportement humain – respectée et tolérée – par l’homme pécheur et son comportement.

Si l’humanité accepte que le péché n’est pas une violation de la loi de Dieu, si l’humanité accepte que le péché est une variation du comportement humain, alors la civilisation humaine s’arrêtera là. Et les gay pride sont censées démontrer que le péché est une variante du comportement humain. C’est pourquoi, pour entrer dans le club de ces pays, il faut organiser une gay pride. Pas pour faire une déclaration politique « nous sommes avec vous », pas pour signer des accords, mais pour organiser une parade de la gay pride. Nous savons comment les gens résistent à ces demandes et comment cette résistance est réprimée par la force. Il s’agit donc d’imposer par la force le péché qui est condamné par la loi de Dieu, c’est-à-dire d’imposer par la force aux gens la négation de Dieu et de sa vérité.

Dans ces deux paragraphes, Kirill réinvestit le terrain religieux, en rappelant les deux condamnations bibliques explicites de l’homosexualité (Lévitique, 20, 13, et l’Epître aux Romains, 24, 32). Il fait ici appel à la volonté des fidèles orthodoxes d’éviter le péché et sa promotion, en la réinvestissant dans une mobilisation politique et guerrière. Le discours sur la gay pride comme acte d’allégeance au monde occidental n’a évidemment aucun fondement réel, mais il trouve des résonances dans des critiques russes de la décadence : pensons au discours de Harvard d’Alexandre Soljenitsyne en 1978.

Par conséquent, ce qui se passe aujourd’hui dans la sphère des relations internationales ne relève pas uniquement de la politique. Il s’agit de quelque chose d’autre et de bien plus important que la politique. Il s’agit du Salut de l’homme, de la place qu’il occupera à droite ou à gauche de Dieu le Sauveur, qui vient dans le monde en tant que Juge et Créateur de la création. Beaucoup aujourd’hui, par faiblesse, par bêtise, par ignorance, et le plus souvent parce qu’ils ne veulent pas résister, vont là, du côté gauche. Et tout ce qui a trait à la justification du péché condamné dans la Bible est aujourd’hui le test de notre fidélité au Seigneur, de notre capacité à confesser la foi en notre Sauveur.

Comme Mgr Vigano, Kirill mondanise et politise ici des réalités avant tout spirituelles : en identifiant la guerre larvée entre la Russie et l’Occident à l’affrontement du Bien et du Mal, il ne laisse aucune solution alternative aux fidèles de l’orthodoxie, semblant dire à tous les orthodoxes du monde qu’il faut choisir le camp de la Russie sous peine de damnation éternelle (ce que signifie « aller à la gauche du Sauveur », cf. Matthieu, 25, 33). Le test de loyauté politique est assimilé à l’épreuve de la tentation spirituelle.

Tout ce que je dis a plus qu’une simple signification théorique et plus qu’une simple signification spirituelle. Il y a une véritable guerre autour de ce sujet aujourd’hui. Qui s’attaque aujourd’hui à l’Ukraine, où huit années de répression et d’extermination de la population du Donbass, huit années de souffrance, et le monde entier se tait – qu’est-ce que cela signifie ?

Reprise ici d’un argument classique de la propagande du Kremlin, qui s’indigne des doubles standards de l’indignation médiatique dans le traitement de la guerre entre l’Ukraine et le Donbass, « passée sous silence » selon lui, et l’invasion de l’Ukraine, en masquant la différence d’intensité de ce qui est vécu : l’Ukraine, n’a ainsi jamais cherché à « exterminer » la population du Donbass. Kirill s’aligne ainsi sur le vocabulaire poutinien.

Mais nous savons que nos frères et sœurs souffrent réellement ; de plus, ils peuvent souffrir pour leur loyauté envers l’Église. Et donc, aujourd’hui, en ce dimanche du pardon, moi, d’une part, en tant que votre berger, j’appelle tout le monde à pardonner les péchés et les offenses, y compris là où il est très difficile de le faire, là où les gens se battent entre eux. Mais le pardon sans la justice est une capitulation et une faiblesse. Le pardon doit donc s’accompagner du droit indispensable de se placer du côté de la lumière, du côté de la vérité de Dieu, du côté des commandements divins, du côté de ce qui nous révèle la lumière du Christ, sa Parole, son Évangile, ses plus grandes alliances données au genre humain.

Kirill semble dans ce paragraphe esquisser un timide appel à l’apaisement avec l’évocation du « pardon », thème liturgique du jour, mais se reprend bien vite avec la mention de la justice, et l’appel à « se placer du côté de la lumière », qui est donc en creux un encouragement à poursuivre le combat, puisqu’on est du bon côté. Il est frappant de voir que la phrase sur « le pardon sans la justice » pourrait très bien s’appliquer à plus juste titre pour encourager la résistance du peuple ukrainien…

Tout cela dit, nous sommes engagés dans une lutte qui n’a pas une signification physique mais métaphysique. Je sais comment, malheureusement, les orthodoxes, les croyants, choisissant dans cette guerre la voie de la moindre résistance, ne réfléchissent pas à tout ce sur quoi nous réfléchissons aujourd’hui, mais suivent docilement la voie qui leur est indiquée par les pouvoirs en place.

Nous ne condamnons personne, nous n’invitons personne à monter sur la croix, nous nous disons simplement : nous serons fidèles à la parole de Dieu, nous serons fidèles à sa loi, nous serons fidèles à la loi de l’amour et de la justice, et si nous voyons des violations de cette loi, nous ne supporterons jamais ceux qui détruisent cette loi, en effaçant la ligne de démarcation entre la sainteté et le péché, et surtout ceux qui promeuvent le péché comme modèle ou comme modèle de comportement humain.

Ici encore, la rétorsion est frappante : Kirill critique ici une attitude qui pourrait très bien s’appliquer à lui-même, tant sa proximité avec le Kremlin est notoire, de même que celle de son prédécesseur Alexis.

Aujourd’hui, nos frères du Donbass, les orthodoxes, souffrent sans aucun doute, et nous ne pouvons qu’être avec eux – avant tout dans la prière. Nous devons prier pour que le Seigneur les aide à préserver leur foi orthodoxe et à ne pas succomber aux tentations. Dans le même temps, nous devons prier pour que la paix revienne au plus vite, pour que le sang de nos frères et sœurs cesse de couler, pour que le Seigneur accorde sa grâce à la terre du Donbass, qui souffre depuis huit ans et qui porte l’empreinte douloureuse du péché et de la haine humaine.

Kirill semble dire que seuls les séparatistes du Donbass (et sans doute par extension, les Ukrainiens pro-russes) sont des « frères orthodoxes » ; il oublie tous les orthodoxes d’Ukraine, y compris les très nombreux fidèles du Patriarcat de Moscou, qui sont sous sa juridiction. Il paraît donc, ce qui est assez inouï pour un chef spirituel, désigner une grande partie de ses propres ouailles comme l’ennemi à abattre…

Alors que nous entrons dans la saison du Carême, essayons de pardonner à tout le monde. Qu’est-ce que le pardon ? Lorsque vous demandez pardon à quelqu’un qui a enfreint la loi ou vous a fait du mal et injustement, vous ne justifiez pas son comportement mais vous cessez simplement de le haïr. Il cesse d’être votre ennemi, ce qui signifie que par votre pardon vous le livrez au jugement de Dieu. C’est la véritable signification du pardon mutuel pour nos péchés et nos erreurs. Nous pardonnons, nous renonçons à la haine et à l’esprit de vengeance, mais nous ne pouvons pas effacer la faute humaine au ciel ; c’est pourquoi, par notre pardon, nous remettons les fautifs entre les mains de Dieu, afin que le jugement et la miséricorde de Dieu s’exercent sur eux. Pour que notre attitude chrétienne à l’égard des péchés, des torts et des offenses des hommes ne soit pas la cause de leur ruine, mais que le juste jugement de Dieu s’accomplisse sur tous, y compris sur ceux qui prennent sur eux la plus lourde responsabilité, creusant le fossé entre les frères, le remplissant de haine, de malice et de mort.

Que le Seigneur miséricordieux exécute son juste jugement sur nous tous. Et de peur qu’à la suite de ce jugement, nous nous retrouvions du côté gauche du Sauveur venu dans le monde, nous devons nous repentir de nos propres péchés. Aborder notre vie avec une analyse très profonde et dépassionnée, se demander ce qui est bon et ce qui est mauvais, et en aucun cas se justifier en disant : « J’ai eu une dispute avec ceci ou cela, parce qu’ils avaient tort. C’est un faux argument, c’est une mauvaise approche. Vous devez toujours demander devant Dieu : Seigneur, qu’ai-je fait de mal ? Et si Dieu nous aide à prendre conscience de notre propre iniquité, nous devons nous repentir de cette iniquité.

Dans les paragraphes précédents, Kirill retourne enfin à une conception plus spirituelle de son rôle, avec en fin de compte un prêche centré sur le thème du jour, et donc l’explication de la notion, centrale pour tous les chrétiens, de Pardon, suivie d’un appel à le pratiquer dans la vie quotidienne, et à pratiquer l’examen de conscience. Tout cela est traditionnel dans un sermon de (pré-)Carême et celui de Kirill serait tout à fait normal s’il s’en était tenu à cette partie. Malgré tout, la mention que le pardon consiste aussi à abandonner le pécheur au « juste jugement de Dieu » n’en garde pas moins une tonalité menaçante, surtout   quand le patriarche l’invoque sur ceux qui « creusent le fossé entre les frères ». Il s’agit là d’une évocation de l’Eglise orthodoxe ukrainienne du patriarcat de Kiev, et de son chef, le métropolite Epiphane, accusé de diviser le monde orthodoxe en s’affranchissant de la tutelle de Moscou ; Kirill étend peut-être ce reproche jusqu’au patriarche de Constantinople, qui a reconnu l’Eglise ukrainienne autocéphale.

Aujourd’hui, à l’occasion du dimanche du Pardon, nous devons accomplir l’exploit de renoncer à nos propres péchés et injustices, l’exploit de nous remettre entre les mains de Dieu et l’acte le plus important – le pardon de ceux qui nous ont offensés.

Que le Seigneur nous aide tous à traverser les jours du Carême de telle sorte que nous puissions entrer dignement dans la joie de la Résurrection du Christ. Et prions pour que tous ceux qui combattent aujourd’hui, qui versent le sang, qui souffrent, entrent aussi dans cette joie de la Résurrection dans la paix et la tranquillité. Quelle joie y a-t-il si les uns sont dans la paix et les autres dans la puissance du mal et dans la douleur des luttes intestines ?

En conclusion, l’injonction à prier pour ceux qui combattent (pour un seul camp, bien sûr, les soldats russes), se trouve là pour masquer qu’il n’y a aucun appel à la paix et à la réconciliation dans cette homélie, alors même qu’elle a lieu le dimanche du Pardon. Pourtant le patriarche Kirill a été de nombreuses fois sollicité par des membres ukrainiens et russes de son propre clergé , pour, à défaut de s’élever contre un conflit fratricide, au moins prier pour l’apaisement ; le représentant du patriarcat de Moscou en Ukraine, le métropolite Onuphre, a lui-même condamné l’invasion. Même si elle est volontairement dissimulée dans des termes généraux et une tonalité spirituelle, cette homélie représente in fine un alignement assez net sur la rhétorique du Kremlin, comme à l’époque de l’Union soviétique.

Que le Seigneur nous aide tous à entrer dans le chemin du Saint Carême de telle manière, et pas autrement, qu’Il puisse sauver nos âmes et favoriser la multiplication du bien dans notre monde pécheur et souvent terriblement erroné, afin que la vérité de Dieu puisse régner et diriger le genre humain. Amen.

Voir enfin:

En Ukraine, les frontières confessionnelles se redéploient. L’atmosphère d’union nationale qui prévaut depuis l’invasion semble avoir réduit le clivage entre les Églises orthodoxes rivales – mais pour combien de temps ? Là comme ailleurs, la guerre semble avoir produit des effets opposés à ceux recherchés par le Kremlin. Une synthèse en 10 points.
Jean-Benoît Poulle
Le Grand continent
8 mars 2022

1 — L’invalidation de la théorie huntingtonienne du choc des civilisations
Que l’Ukraine soit étymologiquement une «  marche  », une région frontalière, se vérifie aussi dans le domaine religieux. Les fractures confessionnelles, auxquelles il ne faut certes pas accorder une importance démesurée en regard d’autres critères, peuvent tout de même fournir une clé de lecture significative du conflit en cours. Ces fractures sont complexes, et donc souvent peu analysées en profondeur, d’abord parce qu’elles mobilisent de multiples acteurs religieux, ensuite parce qu’elles ont vu des repositionnements d’ampleur au cours des dernières années, qu’il n’a pas toujours été aisé de suivre en détail. C’est pourquoi il faut se garder d’en faire une lecture uniquement civilisationnelle, et donc simpliste  ; elles ne se réduisent pas à la ligne de front entre un monde occidental identifié à la Chrétienté latine, et une orthodoxie assimilable en tout point à la civilisation russe.Du reste, chez Huntington, l’Ukraine est-elle bien incluse dans la «  civilisation orthodoxe », et l’hypothèse d’une guerre Russie-Ukraine était précisément, pour lui, un exemple qui pouvait invalider sa théorie du choc des civilisations. En fait, ces fractures  passent à l’intérieur même des deux confessions catholique et orthodoxe, qui sont les principales de ce pays officiellement laïc1, et dont les habitants se définissent comme croyants à 70 %.
2 — Quelles sont les principales confessions en Ukraine ?
Selon des chiffres du Pew Research Center de 2016 2, plus de 65 % des Ukrainiens adhèrent en effet au christianisme orthodoxe (ce que l’on appelle également les «  Églises des Sept Conciles  », qui sont séparées de Rome depuis le schisme d’Orient de 1054), et un peu moins de 9 % au catholicisme. Les autres religions sont très minoritaires  : 1,9 % pour les chrétiens protestants toutes dénominations confondues, 1,1 % pour les musulmans, dont la présence est endogène et ancienne, remontant au XIVe siècle  ; celle des juifs est résiduelle (0,2 %) depuis la Seconde Guerre mondiale, alors que l’ouest du pays formait le cœur du Yiddishland. Il est à noter que près de 7 % de la population se déclare seulement «  chrétienne  », sans appartenance confessionnelle, signe d’une religiosité plus vague, attachée sans doute à quelques croyances et rituels de passage, et que 16,2 % se dit sans religion, chiffre important (quoique moindre que dans les pays Baltes) qui représente sans doute un héritage de l’athéisme d’État de l’ère soviétique.
3 — Quelle a été l’histoire des catholiques en Ukraine ?

Tant le catholicisme que l’orthodoxie sont pluriels en Ukraine. Pour le premier, la situation est comparativement plus simple : il se répartit entre la population catholique de rite latin, assez marginale (1 % des Ukrainiens, surtout dans l’Ouest et le Centre), et en fait assimilable à la minorité d’origine polonaise, et trois Églises catholiques de rite oriental. Celles-ci sont définies par leur unité de foi et leur obédience au pape, et donc leur communion avec les autres catholiques, mais aussi par leur autonomie interne hiérarchique et liturgique, comprenant leurs rites propres.

La principale d’entre elles est l’Église gréco-catholique ukrainienne, qui rassemble 8 % de la population du pays, soit plus de 5 millions de fidèles, situés très majoritairement à l’Ouest. Sa liturgie, le rite byzantin, est quasiment identique à celle des orthodoxes du monde russophone, dont la langue liturgique est le slavon d’église. On peut en faire remonter l’origine au XVe siècle, lorsque le métropolite Isidore de Kiev se rallia au concile de Florence, qui proclama l’union des Églises latine et grecque, mais son véritable acte de naissance a été plutôt l’union de Brest (aujourd’hui en Biélorussie) de 1595-15963, quand une partie du clergé orthodoxe sous domination polono-lituanienne s’est mise sous l’obédience du pape. De là vient également le sobriquet péjoratif «  d’uniates  » accolé aux catholiques orientaux, dont le ralliement à l’autorité romaine en échange de la conservation de leurs traditions liturgiques a pu être perçu par d’autres comme une trahison de la foi «  orthodoxe  » (dans tous les sens du terme). Les autres catholiques orientaux ukrainiens forment une partie de l’Église catholique ruthène, issue d’une union plus tardive avec Rome (1646, union d’Oujohrod), concentrée à l’extrême ouest dans la région des Carpates, et devenue majoritairement diasporique4. Si les gréco-catholiques ont été encouragés et soutenus dans les territoires actuellement ukrainiens qui se trouvaient en Pologne ou dans l’Empire austro-hongrois, ils ont été assez constamment réprimés dans la Russie des tsars (jusqu’à voir leur culte interdit au XIXe siècle), puis par l’Union soviétique. La persécution antireligieuse indiscriminée a culminé pendant la Grande Terreur stalinienne des années 1930  ; puis en 1946, lors du synode de Lvov, l’Église gréco-catholique a été rattachée de force à l’Église orthodoxe russe, ou condamnée à la clandestinité d’une «  Église des catacombes  »  : ce n’est qu’à la chute du bloc soviétique qu’elle retrouve une existence légale. Le conflit avec les orthodoxes, spécialement avec le Patriarcat de Moscou, est pourtant loin d’être soldé, car l’Église gréco-catholique leur réclame la restitution des biens et lieux de culte confisqués en 1946, et jamais rendus depuis. Le transfert en 2005 du siège du primat des gréco-catholiques de Lviv (où ils représentent près de 30 % de la population) à Kiev a également été très mal perçu par beaucoup d’orthodoxes, comme une velléité expansionniste.

4 — Quelles sont les relations entre le Vatican et l’Église gréco-catholique ukrainienne ?

Contrairement à Jean-Paul II, qui avait défendu avec ténacité la cause des catholiques orientaux en Europe au prix d’un refroidissement net de ses relations avec le monde orthodoxe, Benoît XVI puis François ont privilégié le dialogue œcuménique en direction de l’orthodoxie. Le premier avait constaté une certaine convergence de vues autour des valeurs familiales conservatrices  ; le second s’est engagé plus résolument dans toutes les formes de rapprochements interconfessionnels, et a engrangé des succès symboliques  : il a ainsi pu rencontrer le patriarche de Moscou, Kirill (Cyrille) lors de son voyage à La Havane du 12 février 2016 – un lieu emblématique de la diplomatie « non-alignée  » sur l’agenda occidental–, ce qu’aucun pape n’avait fait avant lui. Mais il en a résulté un certain sentiment de relégation, voire d’abandon, pour nombre de gréco-catholiques  : dès 1993, une déclaration conjointe de responsables catholiques et orthodoxes condamnait «  l’uniatisme  » (mais entendu uniquement au sens prosélytisme) au nom de l’œcuménisme, semblant donc indiquer que la tradition catholique orientale était dépassée5 ; cette condamnation a été réitérée par le pape après une rencontre entre François et le porte-parole du Patriarcat de Moscou le 30 mai 20166. Certains signes ont été ressentis comme vexatoires par l’Église gréco-catholique  : ainsi l’archevêque majeur Sviatoslav Shevchuk, primat de l’Église gréco-catholique ukrainienne, n’a pas été créé cardinal, à la différence de son prédécesseur, le cardinal Husar, issu de l’Église des catacombes  ; Shevchuk n’a pas non plus vu sa demande ancienne d’être promu patriarche exaucée, car il s’agirait alors d’un casus belli avec le monde orthodoxe7. On a même prêté au pape le dessein de créer une grande Église ruthène transnationale pour les catholiques de rite byzantin d’Europe centrale, ce qui était vu très défavorablement par les gréco-catholiques ukrainiens8, mais ce projet été démenti par le Saint-Siège9.

5 — Quelle a été l’attitude du pape François lors de la crise ukrainienne de 2014 ?

Surtout, c’est l’attitude du Vatican lors de la crise de 2014 qui a pu interroger. Alors que les manifestations de la place Maïdan avaient été l’occasion d’un véritable élan de concorde nationale interreligieuse, les clergés de toutes les confessions s’y relayant pour prier, le pape François s’était montré d’une très grande prudence au moment de la crise du Donbass, se contentant de prononcer des appels à la paix en termes généraux, sans dénoncer la répression des catholiques dans les Républiques séparatistes de Donetsk et Louhansk, où seul le clergé orthodoxe du Patriarcat de Moscou a droit de cité10. Le Saint-Siège, pour sauvegarder son crédit international et son réseau diplomatique, a alors pu donner (sur ce dossier comme sur d’autres, ainsi de l’accord avec la Chine) l’impression de privilégier l’éthique de responsabilité par rapport à l’éthique de conviction. En somme, cette diplomatie conduite principalement par le cardinal-secrétaire d’Etat Parolin a semblé marquer un retour à l’Ostpolitik vaticane des années 1970, menée par son prédécesseur Agostino Casaroli (1914-1998)11.

Or avec la guerre ouverte, la crainte des gréco-catholiques est devenue existentielle  : comme l’a rappelé une catholique ruthène de Philadelphie, «  chaque fois que la Russie a pris dans l’Histoire, le contrôle de l’Ukraine, l’Église catholique ukrainienne a été détruite  »12. La brutalité de l’invasion, comme la répression des cultes non-alignés sur Moscou dans les Républiques séparatistes du Donbass depuis 2014 augurent mal, en effet, du respect des minorités religieuses.

6 — Les orthodoxes ukrainiens, combien de divisions  ?

Si l’Église catholique en Ukraine est marquée par des tiraillements internes et des luttes d’influence qui ont pu aller jusqu’à des scissions marginales13, la division des orthodoxes est bien plus notable. Rappelons que dans l’ecclésiologie orthodoxe, beaucoup moins centralisée que la catholique, les «  Églises-sœurs  » sont dites autocéphales, indépendantes hiérarchiquement les unes des autres, mais unies spirituellement par la même foi. En principe, chaque Église autocéphale peut-être rattachée à une réalité nationale (il y a ainsi une Église orthodoxe grecque, une serbe, une roumaine, etc.). Depuis 2019, la situation s’est clarifiée quelque peu  : le principal clivage a lieu entre l’Église orthodoxe d’Ukraine, avec à sa tête le métropolite Épiphane de Kiev (né en 1979), et la branche ukrainienne du Patriarcat de Moscou.

L’Église orthodoxe d’Ukraine est elle-même née officiellement en décembre 2018 de la fusion de deux entités précédentes, lors d’un concile tenu à la demande expresse du président Porochenko et de la Rada (Assemblée nationale)  : le Patriarcat de Kiev, créé en 1992 par le métropolite Philarète (né en 1929), dissident du Patriarcat de Moscou, et l’Église orthodoxe ukrainienne autocéphale, issue quant à elle de la première indépendance du pays (1917-1920) puis de la diaspora ou de la clandestinité. Quoique le Patriarcat de Kiev ait unilatéralement contesté cette fusion en juin 2019 (semble-t-il avant tout pour des querelles de personnes entre Philarète et son successeur désigné Épiphane), l’Église orthodoxe d’Ukraine est aujourd’hui devenue la première dénomination religieuse du pays, rassemblant 25 % de sa population, soit près de 15 millions d’habitants (contre 12 % pour le Patriarcat de Kiev en 2005), et souhaiterait unifier tous les orthodoxes ukrainiens sous la juridiction de cette Église nationale autocéphale. Cette Église unifiée a également recueilli l’assentiment relatif de la population, mais avec de très fortes disparités entre l’Ouest, où 60 % des Ukrainiens y sont favorables, et l’Est, où ils ne sont plus que 28 % à l’approuver, selon un sondage de 201814.

Or c’est toujours le Patriarcat de Moscou qui possède le clergé le plus nombreux et le plus grand nombre de paroisses dans le pays, avec 40 diocèses, 200 monastères et plus de 12 000 églises sous son contrôle  ; près de 18 % des Ukrainiens s’y rattachent encore (très majoritairement à l’est et au centre), même si ce chiffre est en nette diminution. Non seulement le Patriarcat de Moscou représente l’organisation religieuse la plus puissante en Ukraine, mais encore, à l’échelle même de son territoire russe, sa branche ukrainienne est-elle la plus riche en biens et en effectifs, regroupant 40 % de ses paroisses15. Enfin, ajoutons l’importance symbolique de Kiev, «  lieu saint  » du monde slave orthodoxe  : la conversion au christianisme de son grand-prince, Vladimir, en 988, a pour les Russes et les Ukrainiens une importance mémorielle équivalente au baptême de Clovis pour la France. Le Patriarcat de Moscou, dont la proximité avec le Kremlin est notoire depuis la Grande Guerre patriotique de 1941-1945, ne veut en aucun cas reconnaître l’autocéphalie de l’Église orthodoxe en Ukraine, car ce serait du même coup accréditer l’existence de la nation ukrainienne. Pour le patriarche Kirill et ses soutiens16, Kiev est dans l’orbite religieuse de Moscou depuis 1686, lorsque le patriarche œcuménique de Constantinople, autorité spirituelle suprême du monde orthodoxe, a délégué au patriarche moscovite le droit de nommer le métropolite de Kiev17.

7 — Pourquoi peut-on parler d’une rivalité globale entre Constantinople et Moscou à l’échelle du monde orthodoxe ?

C’est donc vers Constantinople que se sont tournés les orthodoxes ukrainiens pour obtenir la reconnaissance de leur Église nationale  : le 5 janvier 2019, son patriarche, Bartholomée, a bien accordé le tomos (décret) d’autocéphalie à l’Église orthodoxe d’Ukraine. Il en a résulté une grave crise entre Moscou et Constantinople, qui est allée jusqu’à la rupture mutuelle de la communion eucharistique, signe de schisme formel18. Toutes les Églises autocéphales ont été sommées de prendre parti pour l’un des deux grands patriarcats en reconnaissant ou non l’Église ukrainienne, et seule une minorité d’entre elles19 se sont alignées sur la décision de Bartholomée20. Derrière la question ukrainienne, se joue donc un affrontement plus global pour le leadership dans le monde orthodoxe, où les armes sont inégales21  : nul ne conteste la primauté d’honneur de Constantinople, mais son patriarche est semblable à un général sans troupes, qui a juridiction directe sur un territoire très mince et une population clairsemée, quand le Patriarcat de Moscou rassemble 90 millions de personnes sous son obédience – près du tiers des orthodoxes dans le monde. Un signe éclatant de cette rivalité a été donné à l’occasion du concile panorthodoxe de 2016 en Crète, voulu par le patriarcat de Constantinople depuis plus de 50 ans, mais qui a échoué par suite de la décision du patriarche de Moscou, et de quelques autres hiérarques dépendants de lui, de ne pas s’y rendre22.

8 — Comment Moscou présente-t-il cette rivalité pour le public occidental ?

La propagande pro-russe à destination des Européens s’est complu à déguiser cette rivalité de pouvoir derrière des prétextes idéologiques  : engagé dans les enjeux environnementaux et migratoires, résolument en faveur du dialogue œcuménique, le patriarche Bartholomée serait une sorte de pendant oriental d’un pape François «  mondialiste  », voire «  wokisé  », là où les orthodoxes russes ou pro-russes sont érigés en rempart de tout l’Occident chrétien. Or il suffit de constater la discordance entre de telles déclarations avec le discours ad intra du patriarcat moscovite, très anticatholique, pour comprendre le leurre qu’elles représentent. Il s’en faut de peu que Moscou accuse l’Église orthodoxe d’Ukraine d’une forme d’uniatisme déguisé, dans un schéma séculaire où Rome et l’Occident figurent l’ennemi par excellence de la «  Troisième Rome  », et toute velléité d’autonomie, un pas vers l’hérésie.

9 — Quelle a été l’attitude du Vatican face à l’invasion de l’Ukraine ?

L’invasion russe de l’Ukraine du 24 février dernier, sur ce point comme en bien d’autres, recompose la situation à une vitesse inconnue jusque-là. D’abord parce qu’en s’affranchissant aussi clairement du droit international, la Russie a provoqué un engagement plus net du Vatican en faveur de la paix et de la coexistence religieuse, mais aussi des droits de la minorité catholique  : le lendemain de l’invasion, l’archevêque gréco-catholique Shevchuk a été appelé par le pape, qui lui a assuré qu’il ferait tout ce qui est en son pouvoir pour mettre fin au conflit. François, qui s’est également entretenu au téléphone avec le président Zelensky, semble déterminé à prendre une part très active dans la cessation du conflit, jusqu’à proposer instamment la médiation officielle du Saint-Siège  : dans un geste inédit, et alors même qu’il a dû récemment annuler plusieurs engagements pour raisons de santé, il s’est rendu lui-même à l’ambassade de Russie près le Saint-Siège pour exhorter à la paix dès le lendemain de l’invasion. La portée de cette démarche est d’autant plus forte qu’elle semble avoit été prise par le pape personnellement, sans en avoir informé au préalable sa secrétairerie d’Etat. Dimanche 27 février, François a appelé solennellement à l’ouverture de couloirs humanitaires à l’issue de l’angélus place St-Pierre, le cardinal Parolin faisant quant à lui, selon une vieille tradition de la diplomatie vaticane, l’offre de ses bons offices23.

10 — Comment la guerre ouverte a-t-elle changé la situation des Églises orthodoxes ?

Mais la recomposition touche aussi les Églises orthodoxes  : certes, le patriarche Kirill de Moscou semble plus que jamais inféodé au Kremlin, avec un appel, lors de son homélie du 27 janvier, à préserver les «  terres russes  » – parmi lesquelles il a explicitement nommé la Biélorussie et l’Ukraine – des «  forces du mal  »  ; mais la défense d’une telle obédience en Ukraine est devenue intenable devant la réalité de l’agression  : pour la première fois, le métropolite Onuphre, plus haut hiérarque de l’Église orthodoxe russe en Ukraine, a pris ses distances avec son supérieur dès le jour de l’invasion  ; puis dans une déclaration du 28 février reprise par son saint-synode, il s’est engagé en faveur de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, et a déclaré que la guerre était «  un péché grave devant Dieu  », une «  répétition du péché de Caïn  ». Il a été imité par de nombreux membres de son clergé, jusque dans le diocèse de Soumy, pourtant frontalier avec la Russie, qui ont décidé de ne plus prononcer le nom de Kirill à l’office, ce qui entérine la rupture de la communion ecclésiale.

L’atmosphère d’union nationale qui prévaut depuis l’invasion semble ainsi avoir réduit le clivage entre les Églises orthodoxes rivales ; quant à savoir si elle ira jusqu’à le résorber, il est encore bien trop tôt pour le dire. Il reste patent que, là comme ailleurs, la guerre a produit des effets opposés à ceux recherchés par le Kremlin  ; et que la présence des troupes russes constitue à court et moyen terme une menace grave pour le pluralisme religieux, une réalité pourtant constitutive de l’Ukraine.

Sources
  1. https://mjp.univ-perp.fr/constit/ua1996.htm#2  : art. 32 de la Constitution ukrainienne.
  2. http://www.globalreligiousfutures.org/countries/ukraine#/?affiliations_religion_id=0&affiliations_year=2010&region_name=All%20Countries&restrictions_year=2016
  3. Cf. l’ouvrage récent de Laurent Tatarenko, Une réforme orientale à l’âge baroque. Les Ruthènes de la grande-principauté de Lituanie et Rome au temps de l’Union de Brest (milieu du xvie siècle – milieu du xviie siècle), Rome, École française de Rome, «  Bibliothèque des Écoles Françaises d’Athènes et de Rome  », 392, 2021, 645 p. qui relate de manière détaillée les grandes étapes de cette rupture.
  4. Au point qu’aux États-Unis, les catholiques issus de cette Église ont formé une Église orientale autonome, «  l’Église catholique byzantine  », avec son siège à Pittsburgh. L’Église catholique arménienne est quant à elle quasiment éteinte en Ukraine.
  5. https://www.cath.ch/newsf/moscou-le-patriarche-orthodoxe-russe-alexis-ii-pret-a-rencontrer-le-pape-jean-paul-ii/
  6. https://www.diakonos.be/settimo-cielo/guerres-de-religion-pourquoi-en-ukraine-les-plus-oecumeniques-sont-les-grecs-catholiques.
  7.  https://www.diakonos.be/settimo-cielo/en-coulisses-le-cadeau-rate-de-francois-aux-ukrainiens/
  8. https://www.diakonos.be/settimo-cielo/depuis-lorient-non-pas-la-lumiere-mais-les-tenebres-etranges-remplacements-dans-la-curie-romaine/
  9. https://www.diakonos.be/settimo-cielo/le-reve-irreel-dune-eglise-des-ruthenes-une-lettre-de-clarification/.
  10. Référence de Sandro Magister, diakonos.
  11.  John M. Kramer, « The Vatican’s Ostpolitik”, The Review Politics, vol. 42/3, 1980, Cambridge University Press, p. 283-308.
  12. Relayé par https://fsspx.news/fr/news-events/news/ukraine-les-cles-une-guerre-aux-dimensions-religieuses-71930
  13. Pour être complet, mentionnons l’existence de deux scissions traditionalistes  : la Fraternité Saint-Josaphat, variante de la Fraternité Saint-Pie X pour le rite byzantin, opposée à sa relative délatinisation consécutive à Vatican II, et «  l’Église grecque-catholique orthodoxe ukrainienne  », née en 2009, ultra-conservatrice et pro-russe.
  14. https://dif.org.ua/article/stvorennya-pomisnoi-avtokefalnoi-pravoslavnoi-tserkvi-v-ukraini-shcho-dumayut-ukraintsi
  15. https://www.diakonos.be/settimo-cielo/en-orient-cest-la-rupture-entre-cyrille-et-bartholomee-et-le-pape-penche-plutot-pour-le-premier/
  16. Dont le plus actif est son porte-parole pour les relations extérieures, le métropolite Hilarion de Vokolamsk.
  17. https://www.diakonos.be/settimo-cielo/en-orient-cest-la-rupture-entre-cyrille-et-bartholomee-et-le-pape-penche-plutot-pour-le-premier/
  18. https://www.diakonos.be/settimo-cielo/schisme-dans-lorthodoxie-entre-moscou-et-constantinople-et-rome-ne-sait-quel-camp-choisir/. Il faut noter que cette crise a connu une préfiguration très exacte en 2006-2007 (avec un schisme temporaire entre les deux patriarcats), du fait la reconnaissance par Constantinople de l’Église autocéphale estonienne. Moscou ne semble pas prêt à voir éclore des Églises orthodoxes autonomes a minima dans le territoire de l’ex-URSS.
  19.  Les Églises orthodoxes de Grèce, de Chypre et d’Alexandrie
  20. Bartholomée vient d’ailleurs de déclarer à la télévision turque «  je suis une cible pour Moscou  » (2 mars).
  21.  Cette rivalité a eu des conséquences jusque chez les orthodoxes de France, par exemple à l’Institut St-Serge  : https://www.la-croix.com/Religion/En-Ukraine-lecart-creuse-entre-lEglise-orthodoxe-ukrainienne-patriarche-2022-03-01-1201202769
  22. https://www.lemonde.fr/le-monde-des-religions/article/2022/03/04/l-ukraine-catalyse-une-crise-au-sein-du-monde-orthodoxe-entre-moscou-et-constantinople_6116091_6038514.html
  23. https://www.la-croix.com/Religion/Le-Vatican-pret-aider-dialogue-entre-Russie-lUkraine-2022-02-28-1201202584

Voir enfin:

QUEL AVEUGLEMENT VOLONTAIRE DES IDIOTS UTILES ET DES COMPAGNONS DE ROUTE DU NOUVEL HITLER DE MOSCOU ? (Comment entre détestation de l’Amérique et de l’Union européenne et désarroi devant la décomposition démocratique, le délitement du lien national, les revendications communautaristes, les effets délétères de l’immigration et les dérives du wokisme, nombre de souverainistes occidentaux en sont arrivés à nier la réalité du régime russe)

 

Ran Halévi: « L’aveuglement volontaire des compagnons de route occidentaux de Vladimir Poutine »

Ran Halévi

Le Figaro

30.09.2022

TRIBUNE – L’historien analyse les ressorts qui, selon lui, ont poussé certains à droite, dans les démocraties occidentales, et en particulier la droite trumpienne aux États-Unis, à l’indulgence, voire à la complaisance envers l’autocrate du Kremlin.

Ran Halévi est directeur de recherche au CNRS et professeur au Centre d’études sociologiques et politiques Raymond-Aron. Il estime que le rejet du wokisme et la hantise de la décadence les ont conduits à nier la réalité du régime russe.

S’il ne s’est jamais avisé de parader en parangon de la démocratie, Vladimir Poutine s’évertuait, non sans succès, à se poser en sentinelle morale de la tradition, des valeurs familiales, de la religion chrétienne. Son régime offre une version toute personnelle du principe de la division du travail.

D’un côté, une autocratie légale (lui au moins se dispense d’employer l’oxymore bancal de «démocratie illibérale»), des élections truquées, une Constitution courbée à l’impératif de pérenniser le mandat présidentiel, une cleptocratie systémique, des assassinats d’opposants, des violations répétées du droit international, annexions hors-la-loi, massacres de masse, déportations, crimes de guerre. Sans oublier le culte de la personnalité, les millions empochés dans des comptes personnels, enfin l’isolement graduel du président et son enfermement psychologique qui ont fini, c’est classique, par dérégler son discernement politique.

Et de l’autre, l’appel à un passé immémorial, la célébration des valeurs nationales, la poursuite des aspirations impériales: un curieux syncrétisme entre la gloire de l’époque tsariste, l’héroïsme patriotique sous l’ère soviétique et, pour compléter le narratif, la théorie – pourtant largement démentie – de l’humiliation de la Russie par l’Occident après la chute de l’URSS.

Jusqu’à l’invasion de l’Ukraine, cet attelage fonctionnait passablement. M. Poutine réussit à rallier, en France et ailleurs, une foule éclectique de sympathisants, animés des motifs les plus divers: détestation de l’Amérique, de l’Otan, des aspérités fédéralistes de l’Union européenne ; désarroi devant la décomposition démocratique, le délitement du lien national, les revendications communautaristes, les effets délétères de l’immigration… À quoi s’ajoute, péché commun de l’extrême gauche et de la droite extrême, de Le Pen à Mélenchon, une fascination jamais éteinte pour l’homme fort qui sait allier un verbe haut à une main de fer, en malmenant les principes poussiéreux de la démocratie libérale.

Les plus engagés parmi les dévots du poutinisme étaient les ultraconservateurs américains. Autrefois, les compagnons de route de la Russie communiste venaient de la gauche ; dans l’Amérique d’aujourd’hui, ils occupent les premières loges de la droite trumpiste et les avant-postes des médias populistes. Ce qui les rattache à M. Poutine, comme à Donald Trump, c’est l’apologie sans complexe de la grandeur nationale, l’aversion pour la «dictature woke», un culte assumé de la force et le goût d’une saine virilité, réfractaire à l’émasculation de l’homme blanc par les lubies progressistes.

Tucker Carlson, l’animateur sur Fox News du talk-show le plus regardé aux États-Unis, est un admirateur de longue date du président russe et son meilleur agent de relations publiques: il le tient, à l’égal de M. Trump, pour l’archétype de l’homme d’État conservateur. Carlson, comme d’autres trumpistes de choc, a fait plusieurs fois le pèlerinage de Moscou (et de Budapest) pour régaler ses auditeurs des images d’une société qui résiste à la corruption de Hollywood, de Wall Street et des théories diversitaires.

M. Poutine savait cultiver avec méthode ces auxiliaires inespérés. Il recevait des évangélistes, des représentants du puissant lobby des armes à feu, des militants de «l’Amérique d’abord» hostiles à l’immigration. Il n’hésitait pas à se dire victime, lui et son pays, de la «cancel culture», ou à dénoncer les transgenres avec des accents qui ne pouvaient laisser insensibles ses nouveaux frères d’armes. «Ceux qui apprennent à un garçon à se transformer en fille et à une fille en un garçon commettent un crime contre l’humanité (…)». La Russie qu’il leur faisait découvrir renvoyait un miroir désolant à une Amérique en faillite morale, gangrenée par l’avortement, les mariages homosexuels, la pornographie, la libération des mœurs, la tyrannie multiculturelle…

Il fallait une bonne dose d’aveuglement à ces pèlerins de l’eldorado russe pour éviter de voir ce qu’ils s’interdisaient de connaître: en Russie, comme le rappelle Anne Applebaum, le nombre des avortements est un des plus élevés du monde, le double de son niveau aux États-Unis ; la fréquentation des églises est négligeable ; seuls 15% des Russes reconnaissent à la religion un rôle important dans leur vie ; et le pays tient le record mondial du taux de suicide chez les hommes adultes. Quant à l’image unitaire de la nation, il n’est pas inutile d’observer que 20% des citoyens russes se revendiquent d’une autre nationalité, que plus de 6% sont musulmans et que, en Tchétchénie, la loi de l’État est la charia.

Comment expliquer la réussite du poutinisme à rallier en Occident cette armée de «facilitateurs», d’«excuseurs», d’«indulgents»? Outre les raisons déjà évoquées, la paresse intellectuelle y entre aussi pour une part et l’ignorance volontaire pour beaucoup: elle n’est pas sans rappeler celle des voyageurs ingénus de la Russie soviétique et la cohorte des croyants cuirassés dans le déni des horreurs staliniennes. C’est un phénomène fascinant que l’impuissance des faits avérés à entrer dans la circulation des esprits et à s’imprimer au fond de la conscience publique. Pourtant, le maître du Kremlin a beaucoup œuvré à nous dessiller les yeux.

Ce qui a conforté cette cécité renvoie surtout à la situation de nos démocraties. Le souvenir de la guerre froide, et des guerres en général, est trop éloigné pour alerter spontanément les esprits: nous livrons volontiers des guerres idéologiques, un luxe des temps de paix, mais hésitons, quand de vraies menaces sont à nos portes, à en apprécier la portée. Et nous baignons depuis trop longtemps dans une culture de la repentance pour ne pas donner créance à ceux qui nous inculpent de les avoir opprimés, ravalés, humiliés. Enfin, l’espoir de prévenir le pire porte parfois à consentir à l’inacceptable, comme un moindre mal, au préjudice des victimes sacrifiées à un «lâche soulagement», lequel ne dure jamais longtemps.

Pour les zélateurs américains de M. Poutine, le fantasme d’une Russie citadelle de la civilisation était avant tout affaire de politique intérieure: un ressort essentiel, à condition de ne pas y regarder de près, de la guerre idéologique contre le wokisme. À la veille de l’invasion russe, Tucker Carlson ne se trompait pas de combat: «Est-ce que M. Poutine m’a jamais traité de raciste? A menacé de me licencier parce que je ne pense pas comme lui? Essayé de détruire le christianisme?» Les trumpistes avaient d’autres priorités que l’Ukraine, le droit international, la liberté. Ce n’était pas leur guerre. On découvre là comment le wokisme est devenu le complice involontaire, le combustible, le pourvoyeur d’arguments – et d’absolutions – de l’illibéralisme.

Voir par ailleurs:

Discours de Vladimir Poutine

30 septembre 2022

Citoyens de Russie, citoyens des républiques populaires de Donetsk et Lougansk, habitants des districts de Zaporojie et Kherson, députés de la Douma d’État, sénateurs de la Fédération de Russie,Comme vous le savez, des référendums ont eu lieu dans les républiques populaires de Donetsk et Lougansk ainsi que dans les districts de Zaporojie et Kherson. Les bulletins ont été décomptés, les résultats ont été annoncés. Le peuple a fait son choix, un choix univoque.Nous signons aujourd’hui les accords relatifs à l’admission de la République populaire de Donetsk, de la République populaire de Lougansk, du district de Zaporojie et du district de Kherson au sein de la Fédération de Russie. Je suis certain que l’Assemblée fédérale confirmera les lois constitutionnelles sur l’intégration et la formation en Russie de quatre nouvelles régions, quatre nouvelles entités de la Fédération de Russie, parce que telle est la volonté de millions de personnes. (Applaudissements.)

Cette annonce est le résultat d’un processus complexe et longtemps incertain. Depuis des mois, le pouvoir russe s’est efforcé de s’ancrer administrativement dans ces régions occupées. D’après une enquête du média Proekt, les citoyens russes représentent 92 % des 36 personnes nommées dans les gouvernements de ces quatre régions depuis l’occupation. On compte ainsi 20 % de Russes parmi les dirigeants de la République populaire autoproclamée de Lougansk, 40 % chez ceux de Donetsk, jusqu’à 75 % du gouvernement du district de Kherson et 100 % de celui de Zaporojie. Malgré tout, au cours de ces derniers mois, les autorités russes semblent avoir hésité à organiser les référendums qu’elles voulaient originellement planifier en avril, puis en mai, avant de les reporter à septembre, novembre, et enfin «  indéfiniment  ».

 Soudainement, en l’espace de quelques jours, tout s’est accéléré ces dernières semaines. Ce qui ne devait plus être qu’un horizon lointain est devenu un impératif de toute urgence. Aussi les référendums ont-ils commencé le vendredi 23 septembre dans ces régions qui représentent environ 15 % de l’ensemble du territoire ukrainien et plus de 6 millions d’habitants avant la guerre. Les observateurs internationaux ignorent le nombre réel de votants, d’autant plus que certaines zones ont été tout à fait dépeuplées. Selon le maire de Melitopol’ Ivan Fëdorov, il ne reste plus aujourd’hui que 60 000 des 150 000 habitants que comptait sa ville au début de l’année. On connaît par ailleurs l’exemple frappant de ce village de Novotoškovskoe, à soixante kilomètres de Lougansk, où il ne restait plus, en ce mois de septembre, que dix habitants sur les 2 000 personnes qui y résidaient avant la guerre.

Sans aucun doute, c’est là leur droit, leur droit inaliénable, inscrit dans l’article premier de la Charte des Nations Unies, qui énonce explicitement le principe de l’égalité des droits et de l’autodétermination des peuples.

Je le répète  : il s’agit d’un droit inaliénable des peuples. Ce droit se fonde sur l’unité historique qui a porté à la victoire des générations entières de nos prédécesseurs, ceux qui édifié et défendu la Russie durant de nombreux siècles, depuis les origines de l’ancienne Rus’.

C’est ici, en Novorossija, qu’ont lutté Rumjancev, Suvorov et Ušakov. C’est ici que Catherine II et Potëmkin ont fondé de nouvelles villes. C’est ici que nos grands-pères et arrière-grands-pères se sont battus jusqu’à la mort pendant la Seconde Guerre mondiale.

Nous n’oublierons jamais les héros du «  Printemps Russe  », ceux qui ont refusé le coup d’État néonazi dans l’Ukraine de 2014, ceux qui ont perdu la vie pour le droit de parler leur langue, de conserver leur culture, leurs traditions, leur foi, pour le droit même de vivre. Nous n’oublierons jamais les combattants du Donbass, les martyrs de la «  Khatyn d’Odessa  », les victimes des attentats inhumains orchestrés par le régime de Kiev. Nous commémorons les volontaires et les miliciens, les civils, les enfants, les femmes, les vieillards, les Russes, les Ukrainiens, des gens des nationalités les plus diverses  : à Donetsk, le meneur d’hommes Aleksandr Zakharčenko  ; les commandants militaires Arsen Pavlov et Vladimir Žoga, Ol’ga Kočura et Aleksei Mozgovoj  ; le procureur de la République de Lougansk Sergej Gorenko  ; le parachutiste Nurmagomed Gadžimagomedov et tous les soldats et les officiers qui sont morts de la mort des braves pendant l’opération militaire spéciale. Ce sont des héros. (Applaudissements) Les héros de la Grande Russie. Je vous demande d’observer une minute de silence en leur mémoire.

(Minute de silence)

Merci.

Derrière ce choix de millions d’habitants des Républiques populaires de Donetsk et Lougansk, des districts de Zaporojie et Kherson, se lisent à la fois notre futur commun et notre histoire millénaire. Les populations ont transmis ce lien spirituel à leurs enfants et leurs petits-enfants. Malgré toutes les épreuves, ils ont transmis leur amour de la Russie à travers les âges. Personne ne pourra détruire ce sentiment qui nous habite. C’est la raison pour laquelle les anciennes générations et les plus jeunes, ceux qui sont nés après l’effondrement tragique de l’URSS, ont voté d’une seule voix pour notre unité, pour notre avenir commun.

En 1991, à Belovežskaja Pušča, sans aucune considération pour la volonté des citoyens ordinaires, les représentants de l’élite du parti de l’époque ont pris la décision de dissoudre l’URSS. Du jour au lendemain, les gens se sont retrouvés arrachés à leur patrie. Notre communauté nationale a été déchirée, démantelée à vif, ce qui s’est soldé par une catastrophe nationale. Tout comme les gouvernements avaient, en coulisse, délimité les frontières des républiques soviétiques après la Révolution de 1917, les derniers dirigeants de l’Union Soviétique ont déchiré notre grand pays, ont placé le peuple devant le fait accompli, au mépris du souhait exprimé par la majorité lors du référendum de 1991.

J’imagine qu’ils n’ont pas eu entièrement conscience de ce qu’ils étaient en train de faire et des conséquences qu’auraient inévitablement leurs actions. Mais cela n’a plus d’importance. Il n’y a plus d’Union soviétique et on ne fera pas revivre le passé. Ce n’est pas ce dont la Russie a besoin aujourd’hui, ce n’est pas ce à quoi nous aspirons. Mais il n’y a rien de plus fort que la détermination de millions de personnes qui, par leur culture, leur foi, leurs traditions, leur langue, se sentent faire partie de la Russie et dont les ancêtres ont vécu durant des siècles au sein d’un même État. Il n’y a rien de plus puissant que leur résolution à retrouver leur véritable patrie historique.

Pendant huit longues années, les habitants du Donbass ont été soumis au génocide, aux bombardements, au blocus. À Kherson et Zaporojie, une politique criminelle a tout fait pour diffuser la haine de la Russie et de tout ce qui est russe. Désormais, y compris pendant les référendums, le régime de Kiev a menacé de représailles et de mort les enseignants et les femmes qui officiaient dans les commissions électorales, intimidant des millions de personnes venues exprimer leur volonté. Mais le peuple irréductible du Donbass, de Zaporojie et de Kherson s’est prononcé.

Je veux que les autorités de Kiev et leurs véritables suzerains occidentaux m’entendent et se souviennent de ceci  : les habitants de Lougansk et de Donetsk, de Kherson et de Zaporojie, sont devenus nos concitoyens, à jamais. (Applaudissements.)

Nous appelons le régime de Kiev à un cessez-le-feu immédiat, à mettre fin à cette guerre qu’il a déclenchée en 2014 et à revenir à la table des négociations. Nous y sommes prêts, comme nous l’avons signalé à de nombreuses reprises. En revanche, la décision des peuples de Donetsk, Lougansk, Zaporojie et Kherson n’est pas discutable. Leur décision a été prise et la Russie ne la trahira pas. (Applaudissements.) Les autorités actuelles de Kiev doivent traiter cette libre expression de la volonté d’un peuple avec respect, et pas autrement. C’est le seul chemin possible vers la paix.

Nous défendrons notre terre avec toutes nos forces et par tous les moyens à notre disposition. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour garantir la sécurité de nos concitoyens. Telle est la grande mission libératrice de notre nation.

Nous nous engageons à reconstruire les villes et les villages détruits, les logements, les écoles, les hôpitaux, les théâtres et les musées, à restaurer et développer les entreprises industrielles, les usines, les infrastructures, les systèmes de protection sociale, de retraite, de santé et d’éducation.

Nous allons bien sûr travailler au renforcement de la sécurité. Ensemble, nous veillerons à ce que les citoyens des nouvelles régions russes se sentent soutenus par l’ensemble du peuple russe, par l’intégralité du pays, des républiques, des provinces et des districts de notre vaste patrie (Applaudissements.)

Chers amis, chers collègues,

Je veux m’adresser aujourd’hui aux soldats et aux officiers qui participent à l’opération militaire spéciale, aux combattants du Donbass et de Novorossija, à tous ceux qui, après le décret de mobilisation partielle, ont rejoint les rangs de nos forces armées, accomplissant ainsi leur devoir patriotique, tous ceux qui répondent aux injonctions de leur cœur et se rendent aux bureaux de recrutement militaire. Je veux m’adresser à eux, à leur famille, à leurs épouses et à leurs enfants pour leur dire contre qui, contre quel genre d’ennemi notre peuple se bat, pour leur dire qui précipite le monde dans de nouvelles guerres et de nouvelles crises, retirant un profit sanglant de toute cette tragédie.

Nos compatriotes, nos frères et nos sœurs d’Ukraine, cette partie intégrante de notre nation unie, ont vu de leurs propres yeux le sort que les sphères dirigeantes du soi-disant Occident réservent à l’humanité entière. Ici, elles ont enfin tombé les masques et révélé leur vraie nature.

Après la chute de l’Union soviétique, l’Occident a décidé que le monde entier, que chacun de nous devait supporter à jamais ses diktats. En 1991, l’Occident s’imaginait que la Russie ne se relèverait jamais de ces bouleversements et s’effondrerait d’elle-même. Ils y ont presque réussi. Nous gardons en mémoire les années 1990, ces années terribles, de faim, de froid et de désespoir. Mais la Russie a survécu. Elle renaît, se renforce, réclame à nouveau la place qui lui revient dans le monde.

Pendant ce temps, l’Occident a continué de rechercher de nouvelles occasions de nous frapper, d’affaiblir et d’écraser la Russie, comme il a toujours rêvé de le faire, de fragmenter notre État, de dresser nos peuples les uns contre les autres, de les condamner à la misère et à l’extinction. Ils ne seront pas en paix tant qu’il existera un pays si grand, si considérable, avec son territoire, ses richesses naturelles, ses ressources, son peuple qui ne sait pas et ne saura jamais vivre sous les ordres de quelqu’un d’autre.

L’Occident est prêt à tout pour conserver ce système néocolonial qui lui permet de parasiter, de dépouiller le monde grâce à la puissance du dollar et de la technologie, de percevoir un véritable tribut de l’humanité tout entière, de jouir de la principale source de richesse indue  : la rente de l’hégémon. La préservation de cette rente est leur principale motivation, leur motivation réelle, fruit de la pure avidité. C’est la raison pour laquelle ils ont intérêt à la dé-souverainisation systématique. Ainsi s’expliquent leurs agressions d’États indépendants, de valeurs traditionnelles et de cultures authentiques, leurs tentatives de saper les processus internationaux et interrégionaux, les nouvelles monnaies globales et les nouveaux pôles de développement technologique qui échappent à leur contrôle. Il est capital pour eux que tous les États abandonnent leur souveraineté au profit des États-Unis.

Dans certains États, les élites dirigeantes acceptent délibérément de s’y plier, de se laisser vassaliser  ; d’autres y sont réduites par la corruption ou l’intimidation. En cas d’échec, elles n’hésitent pas à détruire des États entiers, ne laissant derrière eux que des catastrophes humanitaires, des désastres, des ruines, des millions de destins humains détruits ou mutilés, des enclaves terroristes, des zones socialement dévastées, des protectorats, des colonies ou des semi-colonies. Peu leur importe, tant qu’ils en retirent du profit.

Je veux souligner une fois encore que ce sont leur cupidité insatiable et leur désir de maintenir leur pouvoir illimité qui sont la véritable raison de cette guerre hybride que l’«  Occident collectif  » mène contre la Russie. Ils ne veulent pas nous voir libres  ; ils rêvent que nous soyons une colonie. Ils ne veulent pas collaborer sur un pied d’égalité  ; ils rêvent de pillage. Ils ne veulent pas que nous soyons une société libre, mais une foule d’esclaves sans âme.

Ils voient notre pensée et notre philosophie comme une menace directe  : c’est pourquoi ils s’en prennent à nos philosophes. Ils pensent que notre culture et notre art représentent un péril pour eux  : c’est pourquoi ils s’efforcent de les interdire. Notre développement et notre prospérité les menacent également, parce que la concurrence s’intensifie. Ils n’ont pas besoin de la Russie, c’est nous qui en avons besoin. (Applaudissements.)

Je tiens à rappeler que, par le passé, les rêves de domination mondiale ont été brisés plus d’une foi par le courage et la résilience de notre peuple. La Russie sera toujours la Russie. Nous défendrons toujours nos valeurs et notre patrie.

L’Occident mise sur son impunité, sur sa capacité à tout se permettre. De fait, tel a été le cas jusqu’à présent. Les accords de sécurité stratégique ont filé droit à la poubelle  ; les conventions conclues au plus haut niveau politique ont été déclarées fictives  ; les promesses les plus fermes de ne pas étendre l’OTAN vers l’Est, arrachées fut un temps par nos anciens dirigeants, se sont révélées un mensonge immonde  ; les traités sur les forces nucléaires à portée intermédiaire ont été unilatéralement abrogés sous des prétextes fantaisistes.

Mais de tous les côtés, on n’entend que  : «  L’Occident incarne l’état de droit, fondé sur des règles  ». D’où viennent-elles  ? Qui en a jamais vu la couleur  ? Qui y a consenti  ? Écoutez, ce ne sont que des absurdités, un mensonge absolu, des doubles ou des triples standards. Ils doivent nous prendre pour des imbéciles.

La Russie est une grande puissance millénaire, un pays-civilisation qui ne vivra jamais sous le joug de ces règles truquées, faussées.

C’est bien le soi-disant Occident qui a piétiné le principe de l’inviolabilité des frontières et qui décide maintenant, selon son bon vouloir, qui a le droit à l’autodétermination et qui ne l’a pas, qui en est digne et qui ne l’est pas. On ignore à quel titre ils agissent ainsi, qui leur en a donné le droit, sinon eux-mêmes.

C’est pourquoi le choix des habitants de Crimée, de Sébastopol, de Donetsk, de Lougansk, de Zaporojie et de Kherson les rend fous de rage. L’Occident n’a aucun droit moral à distribuer les bons points, ni à prononcer le moindre mot sur la liberté de la démocratie. Ils ne l’a pas et il ne l’a jamais eu.

Les élites occidentales ne se contentent pas de nier souveraineté des nations et le droit international. Leur hégémonie présente clairement les traits d’un totalitarisme, d’un despotisme, d’un apartheid. Avec insolence, ils divisent le monde entre, d’un côté, leurs vassaux, les pays soi-disant civilisés, et de l’autre le reste de la planète, ceux que des racistes occidentaux voudraient inscrire sur la liste des barbares et des sauvages. Des étiquettes mensongères comme «  État voyou  » ou «  régime autoritaire  » sont assignées pour stigmatiser des peuples et des États entiers, ce qui n’est pas nouveau. Il n’y a rien de nouveau là-dedans, parce que les élites occidentales sont restées ce qu’elles étaient  : colonialistes. Elles discriminent et divisent les peuples entre la «  première classe  » et «  le reste  ».

Nous n’avons jamais souscrit et ne souscrirons jamais à ces formes de nationalisme politique et de racisme. Est-ce autre chose que du racisme qui, sous la forme de la russophobie, se répand aujourd’hui dans le monde entier  ? Que peut bien être, sinon du racisme, cette conviction inébranlable de l’Occident que sa civilisation et sa culture néolibérale sont le modèle indépassable pour le reste du monde  ? «  Qui n’est pas avec nous est contre nous  ». Ça sonne même étrangement.

Il n’est pas jusqu’à la responsabilité de leurs propres crimes historiques que les élites occidentales rejettent sur les autres, exigeant à la fois de leurs citoyens et des autres peuples qu’ils se repentent de ce à quoi ils n’ont jamais contribué, par exemple, la période des conquêtes coloniales.

Il est bon de rappeler à l’Occident qu’il a commencé sa politique coloniale dès l’époque du Moyen Âge, avant que se développe la traite mondiale des esclaves, le génocide des tribus indiennes en Amérique, le pillage de l’Inde, de l’Afrique, les guerres de l’Angleterre et de la France contre la Chine, qui l’ont obligée à ouvrir ses ports au commerce de l’opium. Ce qu’ils ont fait, c’était de rendre des peuples entiers accros aux drogues, d’exterminer délibérément des groupes ethniques entiers pour leurs terres et leurs ressources, de pratiquer une véritable chasse à l’homme, comme on chasse des bêtes. Tout cela est contraire à la nature même de l’humain, à la vérité, à la liberté et à la justice.

Pour notre part, nous sommes fiers qu’au XXe siècle, ce soit précisément notre pays qui ait pris la tête du mouvement anticolonial, lequel a offert à de nombreux peuples du monde la possibilité de se développer, de réduire la misère et les inégalités, de vaincre la faim et les maladies.

Je tiens à souligner que l’un des motifs de la russophobie pluriséculaire, de l’évidente animosité de ces élites occidentales vis-à-vis de la Russie, vient justement du fait que nous ayons refusé de nous laisser dépouiller à l’époque de la conquête coloniale et que nous ayons forcé les Européens à commercer avec nous pour notre bénéfice mutuel. Nous y sommes parvenus grâce à la création en Russie d’un État centralisé, qui s’est développé et consolidé à partir des hautes valeurs morales de l’orthodoxie, de l’islam, du judaïsme et du bouddhisme, mais aussi d’une culture et d’une langue russes ouvertes à tous.

D’innombrables plans d’invasion de la Russie ont été échafaudés. On a tenté de profiter du temps des troubles du début du XVIIe siècle et des bouleversements qui ont suivi la Révolution de 1917, mais sans succès. Ce n’est qu’à la fin du XXe siècle, lorsque cet État s’est effondré, qu’ils ont finalement réussi à mettre la main sur les richesses de la Russie. Ils nous qualifiaient alors d’amis et de partenaires mais, dans les faits, ils nous traitaient comme une colonie  : des milliers de milliards de dollars ont été siphonnés du pays par toutes sortes de machinations. Nous nous souvenons de tout cela, nous n’avons rien oublié.

Et il y a quelques jours, les habitants de Donetsk et Lougansk, de Kherson et de Zaporojie, se sont exprimés pour restaurer notre unité historique. Merci  ! (Applaudissements.)

Les pays occidentaux clament depuis des siècles qu’ils apportent la liberté et la démocratie aux autres nations. C’est exactement le contraire. Au lieu de la démocratie, ils apportent la répression et l’exploitation  ; au lieu de la liberté, l’asservissement et l’oppression. L’ordre mondial unipolaire est intrinsèquement anti-démocratique et non-libre, menteur et hypocrite de bout en bout.

Les États-Unis sont le seul pays du monde à avoir fait usage par deux fois de l’arme nucléaire, lorsqu’ils ont détruit les villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki. D’ailleurs, en agissant ainsi, ils ont créé un précédent.

Je rappelle que les États-Unis, avec l’aide des Britanniques, ont réduit à l’état de ruines Dresde, Hambourg, Cologne et nombre d’autres villes allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale sans aucune nécessité militaire  : ils l’ont fait ostensiblement et, je le répète, sans aucune nécessité militaire. Leur unique objectif, comme dans le cas des bombardements nucléaires au Japon, était d’intimider notre pays et le reste du monde.

Les États-Unis ont laissé une trace épouvantable dans la mémoire des peuples de Corée et du Vietnam par leurs «  tapis de bombes  » barbares, l’usage du napalm et des armes chimiques.

Aujourd’hui encore, ils occupent encore de facto l’Allemagne, le Japon, la République de Corée et encore d’autres pays, tout en les appelant cyniquement des égaux et des alliés. Écoutez, je me demande bien de quel genre d’alliance il peut s’agir. Le monde entier sait que les dirigeants de ces pays sont espionnés, que leurs chefs d’État sont mis sur écoute non seulement à leur bureau, mais à leur domicile. C’est une véritable honte. Une honte pour ceux qui agissent ainsi et une honte pour ceux qui, comme des esclaves, avalent ces impertinences en silence et servilement.

Ils parlent de solidarité euro-atlantique pour qualifier les ordres, les cris brutaux et insultants qu’ils adressent à leurs vassaux  ; ils parlent de noble recherche médicale pour qualifier le développement d’armes biologiques et les expérimentations sur des sujets vivants, notamment en Ukraine.

Ce sont bien leurs politiques dévastatrices, leurs guerres et leurs pillages qui ont provoqué le considérable essor des flux migratoires actuels. Des millions de personnes endurent les pires privations, les pires abus, et meurent par milliers en essayant de rejoindre l’Europe.

Aujourd’hui, ils exportent du blé d’Ukraine. Où va ce blé, sous le prétexte de «  garantir la sécurité alimentaire des pays les plus pauvres du monde  »  ? Où va-t-il  ? Tout va dans ces mêmes pays d’Europe. Seuls 5 % sont partis dans les pays pauvres. Voilà un nouvel exemple d’escroquerie et de mensonge éhonté.

Dans les faits, l’élite américaine se sert de la tragédie que vivent ces personnes pour affaiblir ses rivaux, pour détruire les États-nations. Cela vaut également pour l’Europe, pour l’identité de pays comme la France, l’Italie, l’Espagne, et d’autres nations à l’histoire multiséculaire.

Washington exige toujours plus de sanctions pour la Russie, et les politiciens européens, dans leur majorité, acceptent docilement. Ils ne saisissent pas bien que les États-Unis, en poussant l’Union Européenne à renoncer entièrement aux ressources russes, notamment énergétiques, sont en réalité en train de provoquer la désindustrialisation de l’Europe et de s’emparer du marché européen. Bien sûr, elles en ont conscience, ces élites européennes, elles en ont conscience mais préfèrent servir les intérêts d’une autre nation. Ce n’est même plus une marque de servilité, mais une véritable trahison de leurs propres peuples. Mais peu importe, c’est leur affaire.

Cependant, les sanctions ne suffisent plus aux Anglo-Saxons. Ils recourent maintenant au sabotage – cela semble incroyable, mais c’est un fait – en faisant sauter les gazoducs internationaux de «  Nord Stream  », qui passent au fond de la mer Baltique, ruinant du même coup l’infrastructure énergétique de l’Europe tout entière. Chacun sait qui en bénéficie. Et, bien sûr, ce sont ceux qui en bénéficient qui en sont responsables.

Le diktat américain est fondé sur la force brute, sur la loi du plus fort. Il est parfois joliment emballé, parfois sans fioriture, mais le fond est le même  : c’est la loi du plus fort. D’où le déploiement et l’entretien de centaines de bases militaires aux quatre coins du monde, l’expansion de l’OTAN et les tentatives de former de nouvelles alliances militaires comme l’AUKUS ou d’autres encore  : c’est ainsi qu’on cherche activement à créer une alliance militaire et politique entre Washington, Séoul et Tokyo. Tous les États qui possèdent ou aspirent à posséder une véritable souveraineté stratégique et qui sont en mesure de contester l’hégémonie occidentale sont automatiquement déclarés ennemis.

C’est sur ces mêmes principes que reposent les doctrines militaires des États-Unis et de l’OTAN, qui exigent une domination absolue. Les élites occidentales présentent leurs plans néocoloniaux d’une manière tout aussi hypocrite, en agitant des prétentions pacifistes, en parlant d’«  endiguement  », et ces mots-clefs sournois se retrouvent d’une stratégie à l’autre alors qu’en réalité ils ne signifient qu’une seule chose  : saper tous les centres de pouvoir souverains.

On nous a ainsi parlé de l’endiguement de la Russie, de la Chine, de l’Iran. J’imagine que d’autres pays d’Asie, d’Amérique Latine, d’Afrique, du Proche-Orient, ainsi que des partenaires et alliés actuels des États-Unis, sont les prochains sur la liste. Nous le savons bien  : lorsque quelque chose leur déplaît, ils sont prêts à imposer des sanctions à leurs propres alliés – tantôt à telle ou telle banque  ; tantôt à telle ou telle entreprise. C’est ainsi qu’ils agissent et qu’ils continueront d’agir. Le monde entier est dans leur ligne de mire, y compris nos voisins les plus proches, les pays de la Communauté des États Indépendants.

Dans le même temps, il est clair que l’Occident prend depuis longtemps ses désirs pour des réalités. En lançant une guerre-éclair de sanctions contre la Russie, ils s’imaginaient qu’ils pourraient une fois de plus mettre le monde entier à leurs pieds. Pourtant, il s’est avéré que cette perspective était loin d’enthousiasmer tout le monde – sauf les masochistes purs et durs et les praticiens d’autres formes non-traditionnelles de relations internationales. La plupart des États refusent ce «  salut au drapeau  » et optent plutôt pour des modalités raisonnables de coopération avec la Russie.

Par cette métaphore de sexualisation agressive des relations internationales, Vladimir Poutine entend une fois de plus dénoncer les identités de genre et les pratiques sexuelles qui ne correspondent pas au spectre de l’orthodoxie la plus traditionnelle.

L’Occident ne s’attendait pas à rencontrer une telle insubordination, tant il est habitué à agir par la force, le chantage, la corruption et l’intimidation, convaincu que ces méthodes fonctionneront toujours – comme s’il étaient figé, fossilisé dans le passé.

Cette confiance en soi est une conséquence directe de l’idée, tristement célèbre, bien qu’elle ne cesse pas d’étonner, de son propre exceptionnalisme, mais aussi de la véritable «  faim d’information  » qui sévit en Occident. Ils ont noyé la vérité dans un océan de mythes, d’illusions et de faux, en pratiquant une propagande extrêmement agressive, en mentant comme Goebbels. Plus le mensonge est gros, plus on y croit – c’est ainsi qu’ils fonctionnent, en suivant ce principe.

Mais on ne peut pas nourrir les populations avec des dollars et des euros imprimés sur des billets de banque. On ne peut pas les nourrir avec du papier-monnaie, on ne peut pas chauffer un foyer avec la capitalisation aussi virtuelle et que surévaluée des réseaux sociaux occidentaux. Tout ce dont je vous parle est de la plus haute importance, mais il faut insister sur ce dernier point. On ne peut nourrir personne avec du papier, il faut de la nourriture  ; ces capitalisations surévaluées ne peuvent chauffer personne, il faut de l’énergie.

C’est pourquoi les dirigeants européens en sont réduits à convaincre leurs concitoyens de manger moins, de se laver moins souvent, de s’habiller plus chaudement à la maison. Et ceux qui commencent à se poser les bonnes questions – «  Pourquoi en serait-il ainsi  ?  » – sont immédiatement déclarés ennemis, extrémistes et radicaux. Ils retournent la situation contre la Russie en disant  : «  Vous voyez, c’est la source de tous nos malheurs  ». Des mensonges, encore une fois.

Je voudrais tout particulièrement souligner qu’il y a toutes les raisons de croire que les élites occidentales n’ont pas l’intention de chercher des solutions constructives à la crise alimentaire et énergétique mondiale qui s’est déclarée par leur propre faute, en conséquence des politiques qu’ils mènent de longue date, bien avant notre opération spéciale en Ukraine, dans le Donbass. Ils n’ont aucune intention de résoudre les problèmes d’injustice et d’inégalité. On peut plutôt craindre qu’ils s’apprêtent à employer d’autres méthodes, qui leur sont plus familières.

Il convient de rappeler ici que l’Occident est sorti des contradictions du début du XXe siècle par la Première Guerre mondiale. Les gains de la Seconde Guerre mondiale ont permis aux États-Unis de surmonter enfin les conséquences de la Grande Dépression et de devenir la première économie mondiale, de soumettre la planète entière à la puissance du dollar en tant que monnaie de réserve globale. C’est largement en s’appropriant les restes et les ressources de l’Union soviétique en déliquescence que l’Occident a surmonté la crise qui s’est aggravée dans les années 1980. C’est un fait.

Désormais, pour sortir de ce nouveau nœud de contradictions, il leur faut à tout prix briser la Russie et les autres États qui choisissent une voie souveraine de développement, afin de piller de nouvelles richesses et de colmater ainsi leurs propres vides. Si cela ne se passe pas ainsi, je n’exclus pas l’idée qu’ils tentent de provoquer l’effondrement total du système pour se dédouaner de leurs responsabilités, ou encore, Dieu nous en garde, qu’ils décident d’employer une formule bien connue  : «  La guerre efface toutes les dettes  ».

La Russie a conscience de sa responsabilité envers la communauté mondiale et fera son possible pour ramener ces têtes brûlées à la raison.

À l’évidence, le modèle néocolonial actuel est condamné à disparaître. Mais, je le répète, ses maîtres réels s’y accrocheront jusqu’à la dernière seconde. Ils n’ont tout simplement rien à proposer au monde, si ce n’est la préservation de ce système de pillage et de racket.

En substance, ils crachent sur le droit naturel de milliards de personnes, la majeure partie de l’humanité, à la liberté et à la justice, ainsi qu’à la détermination de leur propre destinée. Ils en viennent maintenant à nier l’ensemble des normes morales, de la religion et de la famille.

Répondons ensemble à quelques questions très simples. Je veux revenir sur ce point, je veux m’adresser à tous les citoyens de notre pays – pas seulement aux collègues qui sont ici dans le public, mais à tous les citoyens russes – pour leur demander  : est-ce que nous voulons avoir, ici, dans ce pays, en Russie, au lieu d’une mère et d’un père, un «  parent numéro un  » et un «  parent numéro deux  » (ils sont devenus complètement dingues sur ce coup)  ? Est-ce que nous voulons que l’on enseigne dans nos écoles primaires des perversions qui conduisent à la dégradation et à l’extinction  ? Est-ce que nous voulons enseigner aux enfants qu’il n’existe pas que des femmes et des hommes, mais des soi-disant genres et qu’on leur propose des opérations de changement de sexe  ? Est-ce cela que nous voulons pour notre pays et pour nos enfants  ? Tout cela est tout simplement inacceptable pour nous. Nous avons notre propre avenir, et ce n’est pas celui-là.

Je le répète  : la dictature des élites occidentales vise toutes les sociétés, y compris les pays occidentaux eux-mêmes. C’est un défi adressé à tout le monde. Cette négation profonde de l’humanité, cette subversion de la foi et des valeurs traditionnelles, cet écrasement de la liberté prennent les traits d’une «  religion à l’envers  » – d’un satanisme pur et simple. Dans le sermon sur la montagne, Jésus Christ, dénonçant les faux prophètes, dit  : «  C’est dont à leurs fruits que vous les reconnaîtrez  ». Et beaucoup savent bien que ces fruits sont empoisonnés, non seulement chez nous, mais dans tous les pays, y compris en Occident.

Le monde est entré dans une période de transformations fondamentales, révolutionnaires. De nouvelles puissances émergent. Elles représentent la majorité – la majorité  ! – de la communauté mondiale et sont prêtes non seulement à proclamer leurs intérêts, mais à les défendre. Elles voient dans la multipolarité un moyen de renforcer leur souveraineté et ainsi de conquérir la liberté véritable, une perspective historique, leur droit au développement indépendant, créatif, original, à un développement harmonieux.

Dans le monde entier, y compris en Europe et aux États-Unis, comme je l’ai déjà souligné, de nombreuses personnes partagent nos idées et nous ressentons, nous voyons leur soutien. Au sein des pays et des sociétés les plus variés se dessine déjà un mouvement de libération anticolonial contre l’hégémonie unipolaire, et sa force ne fera que croître. C’est cette force qui déterminera le futur des réalités géopolitiques.

Chers amis,

Aujourd’hui, nous combattons pour un futur juste et libre, avant tout pour nous-mêmes, pour la Russie, pour que la dictature et le despotisme deviennent à jamais un souvenir du passé. Ma conviction est que les nations et les peuples comprennent à quel point une politique fondée sur l’exceptionnalisme, sur la suppression des autres cultures et des autres peuples, est fondamentalement criminelle, que cette page honteuse de l’histoire ne demande qu’à être tournée. L’effondrement de l’hégémonie occidentale est en cours. Il est irréversible. Je le répète  : les choses ne seront plus comme avant.

Le champ de bataille sur lequel nous ont convoqués le destin et l’histoire est un champ de bataille pour notre peuple, pour la grande Russie historique. (Applaudissements.) Pour une grande Russie historique, pour les générations futures, pour nos enfants, nos petits-enfants et nos arrière-petits-enfants. Nous devons les préserver de l’asservissement, des expérimentations monstrueuses qui veulent estropier leurs consciences et leurs âmes.

Aujourd’hui, nous combattons pour que personne ne pense plus jamais que la Russie, notre peuple, notre langue, notre culture, puissent être rayés de l’histoire. Aujourd’hui, nous devons consolider notre société et cette solidarité ne pourra reposer que sur la souveraineté, la liberté, la création et la justice. Nos valeurs sont l’humanité, la miséricorde et la compassion.

Et je voudrais conclure cette allocution sur les mots d’un véritable patriote, Ivan Aleksandrovič Il’in  : «  Si je considère la Russie comme ma patrie, cela signifie que j’aime, que je contemple et que je pense comme un Russe, que je chante et que je parle comme un Russe  ; que je crois aux forces spirituelles du peuple russe. Son esprit est mon esprit  ; sa destinée est ma destinée  ; sa souffrance est ma souffrance  ; sa prospérité est ma joie  ».

Sans être originale, sa citation d’un extrait ampoulé d’Ivan Ilyin, émigré russe de l’entre-deux-guerres aux idées antisémites, attiré par le fascisme et la révolution conservatrice, confirme, s’il en était besoin, l’orientation résolument réactionnaire du discours.

Dans ces mots, on retrouve le grand chemin spirituel que de nombreuses générations de nos ancêtres ont emprunté pendant plus d’un millénaire d’existence de l’État russe. Aujourd’hui, c’est nous qui empruntons ce chemin, ce sont les habitants des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, des districts de Zaporojie et de Kherson qui ont fait ce choix. Ils ont pris la décision de vivre avec leur propre peuple, avec leur patrie, de s’associer à son destin et de vaincre avec elle.

La victoire est avec nous, la Russie est avec nous  !

COMPLEMENT:

La guerre mondiale de Poutine

Le discours de Vladimir Poutine du vendredi 30 septembre inaugure une nouvelle phase du conflit. Fidèle à sa stratégie de la « désescalade par l’escalade », la Russie annexe des territoires, étend le domaine de la guerre et précise les termes de sa menace. Il faut le lire attentivement pour comprendre comment Poutine entend transformer la guerre régionale qu’il a déclenchée en conflit mondial.

Guillaume Lancereau

Le Grand Continent

01.10.2022

Comme on pouvait le redouter, Vladimir Poutine a annoncé ce vendredi 30 septembre l’incorporation à la Fédération de Russie de quatre régions ukrainiennes : celles de Donetsk et de Lougansk, ainsi que les districts de Kherson et Zaporojie. Tout l’annonçait : la veille encore, dans la nuit, le président russe avait reconnu la souveraineté et l’indépendance des régions de Kherson et Zaporojie, les arrachant ainsi à l’Ukraine pour mieux les enchaîner à la Russie.

Comme cela avait été le cas en 2014, lorsque Vladimir Poutine avait voulu officialiser l’annexion de la Crimée, la mise en scène de cette nouvelle proclamation a eu lieu, entre décorum d’État et simulacre de légalité, dans le salon Georgievskij du Kremlin, devant un parterre de députés, de ministres et de représentants religieux. Ce public a pu suivre le long discours du président russe, dont nous proposons ci-dessous la première traduction intégrale en français, encadré par quatre drapeaux de la Fédération de Russie à sa gauche et, à sa droite, par les quatre drapeaux des territoires ukrainiens concernés. Au terme de ce discours, l’accord a été signé, à la suite de Vladimir Poutine, par des « représentants » de ces quatre territoires  : Vladimir Sal’do et Evgenij Balickij pour Kherson et Zaporojie  ; Denis Pušilin et Leonid Pasečnik pour les républiques populaires autoproclamées de Donetsk et Lougansk.

Cette journée a inauguré une nouvelle phase du conflit. Après les annonces de Vladimir Poutine, l’horizon qui se découvre est celui d’une nouvelle escalade, dont le seul résultat certain est l’incertitude. Pour en saisir les enjeux essentiels, il faut tenir compte avant tout de la récente contre-attaque ukrainienne, à laquelle la Russie s’est révélée incapable d’opposer les ressources et les forces nécessaires. La récente mobilisation, qui n’a de «  partielle  » que le nom, a été décidée bien après celle de l’Ukraine qui a, elle, mobilisé officiellement dès le 23 février, mais en réalité dès le mois de décembre 2021. Cette mobilisation russe ne saurait, de surcroît, produire des effets décisifs à court terme, vu l’incompressibilité des délais de formation d’une partie des recrues. Pour sortir de cette impasse, le pouvoir russe s’est, semble-t-il, inspiré des réflexions des stratèges soviétiques et russes qui, depuis les années 1980, ont développé une véritable doctrine de la dissuasion1. Cette doctrine conçue pour lutter contre un ennemi plus puissant et mieux armé a acquis une actualité renouvelée désormais que la Russie se considère en conflit, non avec la seule Ukraine, mais avec les États-Unis et l’OTAN. Dans un contexte militaire de ce type, cette logique prescrit de cibler moins la capacité militaire de l’ennemi que sa volonté même de poursuivre le combat. Sachant que les forces russes ne vaincront pas sur le terrain, il ne leur reste qu’à passer l’envie à l’adversaire de continuer la lutte, afin d’arracher, sinon la victoire, du moins une paix dans des conditions favorables.

Dès lors, la surenchère est l’arme de choix du pouvoir russe. En proclamant l’annexion de Donetsk, Kherson, Lougansk et Zaporojie, celui-ci se donne les moyens de considérer toute opération militaire sur ces territoires comme une atteinte à la souveraineté de la Fédération de Russie – quoi qu’en disent les puissances étrangères, le Conseil de sécurité de l’ONU ou le droit international. Or Vladimir Poutine a promis de défendre cette souveraineté du territoire russe par tous les moyens possibles. L’une des conditions de possibilité de sa stratégie de surenchère était, est et restera la menace nucléaire. L’ancienne chancelière allemande Angela Merkel, dans une interview au Süddeutsche Zeitung, a récemment exhorté les Européens à prendre au sérieux le chantage nucléaire de Vladimir Poutine. Les États-Unis ne signalent pas autre chose lorsque leurs services de renseignement renforcent la surveillance des mouvements ou communications militaires qui pourraient trahir les préparatifs d’une frappe nucléaire sur le territoire ukrainien, en confessant eux-mêmes que l’armée états-unienne n’en aurait sans doute connaissance que trop tard2.

De fait, la doctrine russe de la «  désescalade par l’escalade  » (ėskalacija dlja deėskalacii) nucléaire est au point depuis des années. Dans son discours du 21 septembre, le président russe prévenait qu’il n’excluait pas l’usage de l’arme nucléaire si « la souveraineté, la sécurité et l’intégrité territoriale » de la Russie étaient en péril. Le lendemain, Dmitrij Medvedev, vice-président du Conseil de sécurité russe, précisait à son tour que « tous les types d’armes russes, y compris les armes nucléaires stratégiques », pouvaient être mis en œuvre pour défendre le territoire de la Russie et ceux qu’elle annexerait au lendemain des référendums. Aujourd’hui encore, la menace nucléaire était encore présente en trame de fond, lorsque Vladimir Poutine évoque les « précédents » posés par l’Occident lui-même à Hiroshima et Nagasaki. Notons cependant que le régime russe envisage d’autres moyens de pression. Parmi les menaces que laisse planer son discours, il faut souligner celle d’une coupure totale des livraisons de gaz. La volonté d’intimider est claire, lorsque le président russe souligne que les billets de banque et les capitalisations boursières ne nourrissent pas les populations ni ne chauffent leurs foyers  : le risque d’un hiver terrible, énergétiquement et économiquement, se précise.

Tout l’enjeu consiste désormais à savoir quelles seront les conséquences de ce discours, à la suite duquel Volodymyr Zelensky a annoncé la demande officielle d’adhésion accélérée de l’Ukraine à l’OTAN.

Citoyens de Russie, citoyens des républiques populaires de Donetsk et Lougansk, habitants des districts de Zaporojie et Kherson, députés de la Douma d’État, sénateurs de la Fédération de Russie,

Comme vous le savez, des référendums ont eu lieu dans les républiques populaires de Donetsk et Lougansk ainsi que dans les districts de Zaporojie et Kherson. Les bulletins ont été décomptés, les résultats ont été annoncés. Le peuple a fait son choix, un choix univoque.

Nous signons aujourd’hui les accords relatifs à l’admission de la République populaire de Donetsk, de la République populaire de Lougansk, du district de Zaporojie et du district de Kherson au sein de la Fédération de Russie. Je suis certain que l’Assemblée fédérale confirmera les lois constitutionnelles sur l’intégration et la formation en Russie de quatre nouvelles régions, quatre nouvelles entités de la Fédération de Russie, parce que telle est la volonté de millions de personnes. (Applaudissements.)

Cette annonce est le résultat d’un processus complexe et longtemps incertain. Depuis des mois, le pouvoir russe s’est efforcé de s’ancrer administrativement dans ces régions occupées. D’après une enquête du média Proekt, les citoyens russes représentent 92 % des 36 personnes nommées dans les gouvernements de ces quatre régions depuis l’occupation. On compte ainsi 20 % de Russes parmi les dirigeants de la République populaire autoproclamée de Lougansk, 40 % chez ceux de Donetsk, jusqu’à 75 % du gouvernement du district de Kherson et 100 % de celui de Zaporojie3. Malgré tout, au cours de ces derniers mois, les autorités russes semblent avoir hésité à organiser les référendums qu’elles voulaient originellement planifier en avril, puis en mai, avant de les reporter à septembre, novembre, et enfin «  indéfiniment  ».

 Soudainement, en l’espace de quelques jours, tout s’est accéléré ces dernières semaines. Ce qui ne devait plus être qu’un horizon lointain est devenu un impératif de toute urgence. Aussi les référendums ont-ils commencé le vendredi 23 septembre dans ces régions qui représentent environ 15 % de l’ensemble du territoire ukrainien et plus de 6 millions d’habitants avant la guerre. Les observateurs internationaux ignorent le nombre réel de votants, d’autant plus que certaines zones ont été tout à fait dépeuplées. Selon le maire de Melitopol’ Ivan Fëdorov, il ne reste plus aujourd’hui que 60 000 des 150 000 habitants que comptait sa ville au début de l’année. On connaît par ailleurs l’exemple frappant de ce village de Novotoškovskoe, à soixante kilomètres de Lougansk, où il ne restait plus, en ce mois de septembre, que dix habitants sur les 2 000 personnes qui y résidaient avant la guerre4.

Sans aucun doute, c’est là leur droit, leur droit inaliénable, inscrit dans l’article premier de la Charte des Nations Unies, qui énonce explicitement le principe de l’égalité des droits et de l’autodétermination des peuples.

Je le répète  : il s’agit d’un droit inaliénable des peuples. Ce droit se fonde sur l’unité historique qui a porté à la victoire des générations entières de nos prédécesseurs, ceux qui édifié et défendu la Russie durant de nombreux siècles, depuis les origines de l’ancienne Rus’.

C’est ici, en Novorossija, qu’ont lutté Rumjancev, Suvorov et Ušakov. C’est ici que Catherine II et Potëmkin ont fondé de nouvelles villes. C’est ici que nos grands-pères et arrière-grands-pères se sont battus jusqu’à la mort pendant la Seconde Guerre mondiale.

Les trois noms énumérés sont ceux d’un maréchal, d’un généralissime et d’un amiral au service de l’Empire Russe entre le milieu du XVIIIe et le début du XIXe siècle.

Nous n’oublierons jamais les héros du «  Printemps Russe  », ceux qui ont refusé le coup d’État néonazi dans l’Ukraine de 2014, ceux qui ont perdu la vie pour le droit de parler leur langue, de conserver leur culture, leurs traditions, leur foi, pour le droit même de vivre. Nous n’oublierons jamais les combattants du Donbass, les martyrs de la «  Khatyn d’Odessa  », les victimes des attentats inhumains orchestrés par le régime de Kiev. Nous commémorons les volontaires et les miliciens, les civils, les enfants, les femmes, les vieillards, les Russes, les Ukrainiens, des gens des nationalités les plus diverses  : à Donetsk, le meneur d’hommes Aleksandr Zakharčenko  ; les commandants militaires Arsen Pavlov et Vladimir Žoga, Ol’ga Kočura et Aleksei Mozgovoj  ; le procureur de la République de Lougansk Sergej Gorenko  ; le parachutiste Nurmagomed Gadžimagomedov et tous les soldats et les officiers qui sont morts de la mort des braves pendant l’opération militaire spéciale. Ce sont des héros. (Applaudissements) Les héros de la Grande Russie. Je vous demande d’observer une minute de silence en leur mémoire.

(Minute de silence)

Le président russe fait ici une double référence  : aux massacres de Khatyn commis par les nazis en Biélorussie en 1943 et au drame de l’incendie de la Maison des Syndicats à Odessa en 2014. Par ce rapprochement, il s’agit pour Vladimir Poutine, comme à son habitude, de dénoncer le régime de Kiev comme le successeur des massacreurs nazis.

Merci.

Derrière ce choix de millions d’habitants des Républiques populaires de Donetsk et Lougansk, des districts de Zaporojie et Kherson, se lisent à la fois notre futur commun et notre histoire millénaire. Les populations ont transmis ce lien spirituel à leurs enfants et leurs petits-enfants. Malgré toutes les épreuves, ils ont transmis leur amour de la Russie à travers les âges. Personne ne pourra détruire ce sentiment qui nous habite. C’est la raison pour laquelle les anciennes générations et les plus jeunes, ceux qui sont nés après l’effondrement tragique de l’URSS, ont voté d’une seule voix pour notre unité, pour notre avenir commun.

En 1991, à Belovežskaja Pušča, sans aucune considération pour la volonté des citoyens ordinaires, les représentants de l’élite du parti de l’époque ont pris la décision de dissoudre l’URSS. Du jour au lendemain, les gens se sont retrouvés arrachés à leur patrie. Notre communauté nationale a été déchirée, démantelée à vif, ce qui s’est soldé par une catastrophe nationale. Tout comme les gouvernements avaient, en coulisse, délimité les frontières des républiques soviétiques après la Révolution de 1917, les derniers dirigeants de l’Union Soviétique ont déchiré notre grand pays, ont placé le peuple devant le fait accompli, au mépris du souhait exprimé par la majorité lors du référendum de 1991.

J’imagine qu’ils n’ont pas eu entièrement conscience de ce qu’ils étaient en train de faire et des conséquences qu’auraient inévitablement leurs actions. Mais cela n’a plus d’importance. Il n’y a plus d’Union soviétique et on ne fera pas revivre le passé. Ce n’est pas ce dont la Russie a besoin aujourd’hui, ce n’est pas ce à quoi nous aspirons. Mais il n’y a rien de plus fort que la détermination de millions de personnes qui, par leur culture, leur foi, leurs traditions, leur langue, se sentent faire partie de la Russie et dont les ancêtres ont vécu durant des siècles au sein d’un même État. Il n’y a rien de plus puissant que leur résolution à retrouver leur véritable patrie historique.

Pendant huit longues années, les habitants du Donbass ont été soumis au génocide, aux bombardements, au blocus. À Kherson et Zaporojie, une politique criminelle a tout fait pour diffuser la haine de la Russie et de tout ce qui est russe. Désormais, y compris pendant les référendums, le régime de Kiev a menacé de représailles et de mort les enseignants et les femmes qui officiaient dans les commissions électorales, intimidant des millions de personnes venues exprimer leur volonté. Mais le peuple irréductible du Donbass, de Zaporojie et de Kherson s’est prononcé.

Je veux que les autorités de Kiev et leurs véritables suzerains occidentaux m’entendent et se souviennent de ceci  : les habitants de Lougansk et de Donetsk, de Kherson et de Zaporojie, sont devenus nos concitoyens, à jamais. (Applaudissements.)

Ces pseudo-consultations se sont déroulées dans les conditions les plus suspectes. Des adolescents âgés de 13 à 17 ans ont été appelés à s’exprimer  ; des votants ont été forcées à signer pour des parents éloignés  ; des citoyens ont dû voter par peur de perdre leur emploi ou sous la pression de membres des commissions électorales qui se présentaient à leur domicile accompagnés d’une escorte en armes. D’autre part, une portion variable de la population masculine s’est gardée d’aller voter, craignant que l’on s’empare de cette occasion pour les envoyer au combat en première ligne.

Quoi qu’il en soit, ce mardi 27 septembre ont été révélés à Moscou les résultats de cette consultation à valeur d’affligeant plébiscite, dont les chiffres viennent plus assurément d’un dossier élaboré au Kremlin que d’un décompte réel des voix. Le «  oui  » vainc sans péril, dans des proportions comprises entre 87 % dans le district de Kherson et 99 % dans la République populaire (autoproclamée) de Donetsk. Ils ont été immédiatement suivis d’une série d’annonces. Du côté des dirigeants des républiques populaires du Donbass, Denis Pušilin a averti que cette intégration de Donetsk à la Fédération de Russie inaugurait «  une nouvelle étape dans la conduite des hostilités  ». Leonid Pasečnik, pour sa part, a prononcé une allocution télévisuelle dans laquelle il demandait au président Vladimir Poutine de prendre acte du rattachement de la République populaire de Lougansk à la Russie et soulignait «  les liens historique, culturels et spirituels avec le peuple multinational de la Fédération de Russie  ».

Nous appelons le régime de Kiev à un cessez-le-feu immédiat, à mettre fin à cette guerre qu’il a déclenchée en 2014 et à revenir à la table des négociations. Nous y sommes prêts, comme nous l’avons signalé à de nombreuses reprises. En revanche, la décision des peuples de Donetsk, Lougansk, Zaporojie et Kherson n’est pas discutable. Leur décision a été prise et la Russie ne la trahira pas. (Applaudissements.) Les autorités actuelles de Kiev doivent traiter cette libre expression de la volonté d’un peuple avec respect, et pas autrement. C’est le seul chemin possible vers la paix.

Nous défendrons notre terre avec toutes nos forces et par tous les moyens à notre disposition. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour garantir la sécurité de nos concitoyens. Telle est la grande mission libératrice de notre nation.

Nous nous engageons à reconstruire les villes et les villages détruits, les logements, les écoles, les hôpitaux, les théâtres et les musées, à restaurer et développer les entreprises industrielles, les usines, les infrastructures, les systèmes de protection sociale, de retraite, de santé et d’éducation.

Nous allons bien sûr travailler au renforcement de la sécurité. Ensemble, nous veillerons à ce que les citoyens des nouvelles régions russes se sentent soutenus par l’ensemble du peuple russe, par l’intégralité du pays, des républiques, des provinces et des districts de notre vaste patrie (Applaudissements.)

Chers amis, chers collègues,

Je veux m’adresser aujourd’hui aux soldats et aux officiers qui participent à l’opération militaire spéciale, aux combattants du Donbass et de Novorossija, à tous ceux qui, après le décret de mobilisation partielle, ont rejoint les rangs de nos forces armées, accomplissant ainsi leur devoir patriotique, tous ceux qui répondent aux injonctions de leur cœur et se rendent aux bureaux de recrutement militaire. Je veux m’adresser à eux, à leur famille, à leurs épouses et à leurs enfants pour leur dire contre qui, contre quel genre d’ennemi notre peuple se bat, pour leur dire qui précipite le monde dans de nouvelles guerres et de nouvelles crises, retirant un profit sanglant de toute cette tragédie.

Nos compatriotes, nos frères et nos sœurs d’Ukraine, cette partie intégrante de notre nation unie, ont vu de leurs propres yeux le sort que les sphères dirigeantes du soi-disant Occident réservent à l’humanité entière. Ici, elles ont enfin tombé les masques et révélé leur vraie nature.

Contrairement à ce que l’on pouvait en attendre, Vladimir Poutine n’a consacré que quelques minutes de son nouveau discours-fleuve à la question de la guerre en Ukraine. L’essentiel de son propos s’est en réalité concentré sur une mise en procès agressive et caricaturale de l’«  Occident collectif  », aux accents tiers-mondistes tout droit venus des années 1960-1970. Ce qui devait être une cérémonie à caractère politique et stratégique s’est ainsi transformé en improbable leçon d’histoire, voire de théologie, qui a laissé pantois la plupart de celles et ceux qui le commentaient en direct. Tout en se défendant de vouloir faire revivre l’Union soviétique, tel est bien l’exercice rhétorique auquel s’emploie Vladimir Poutine, en évoquant la «  tragédie  » de son démantèlement et en dépeignant l’Occident comme une puissance obscure et manipulatrice, usant de la ruse et de l’argent pour imposer son hégémonie sur toute la surface du globe sous la forme du néocolonialisme le plus brutal.

Après la chute de l’Union soviétique, l’Occident a décidé que le monde entier, que chacun de nous devait supporter à jamais ses diktats. En 1991, l’Occident s’imaginait que la Russie ne se relèverait jamais de ces bouleversements et s’effondrerait d’elle-même. Ils y ont presque réussi. Nous gardons en mémoire les années 1990, ces années terribles, de faim, de froid et de désespoir. Mais la Russie a survécu. Elle renaît, se renforce, réclame à nouveau la place qui lui revient dans le monde.

Pendant ce temps, l’Occident a continué de rechercher de nouvelles occasions de nous frapper, d’affaiblir et d’écraser la Russie, comme il a toujours rêvé de le faire, de fragmenter notre État, de dresser nos peuples les uns contre les autres, de les condamner à la misère et à l’extinction. Ils ne seront pas en paix tant qu’il existera un pays si grand, si considérable, avec son territoire, ses richesses naturelles, ses ressources, son peuple qui ne sait pas et ne saura jamais vivre sous les ordres de quelqu’un d’autre.

L’Occident est prêt à tout pour conserver ce système néocolonial qui lui permet de parasiter, de dépouiller le monde grâce à la puissance du dollar et de la technologie, de percevoir un véritable tribut de l’humanité tout entière, de jouir de la principale source de richesse indue  : la rente de l’hégémon. La préservation de cette rente est leur principale motivation, leur motivation réelle, fruit de la pure avidité. C’est la raison pour laquelle ils ont intérêt à la dé-souverainisation systématique. Ainsi s’expliquent leurs agressions d’États indépendants, de valeurs traditionnelles et de cultures authentiques, leurs tentatives de saper les processus internationaux et interrégionaux, les nouvelles monnaies globales et les nouveaux pôles de développement technologique qui échappent à leur contrôle. Il est capital pour eux que tous les États abandonnent leur souveraineté au profit des États-Unis.

Dans certains États, les élites dirigeantes acceptent délibérément de s’y plier, de se laisser vassaliser  ; d’autres y sont réduites par la corruption ou l’intimidation. En cas d’échec, elles n’hésitent pas à détruire des États entiers, ne laissant derrière eux que des catastrophes humanitaires, des désastres, des ruines, des millions de destins humains détruits ou mutilés, des enclaves terroristes, des zones socialement dévastées, des protectorats, des colonies ou des semi-colonies. Peu leur importe, tant qu’ils en retirent du profit.

Je veux souligner une fois encore que ce sont leur cupidité insatiable et leur désir de maintenir leur pouvoir illimité qui sont la véritable raison de cette guerre hybride que l’«  Occident collectif  » mène contre la Russie. Ils ne veulent pas nous voir libres  ; ils rêvent que nous soyons une colonie. Ils ne veulent pas collaborer sur un pied d’égalité  ; ils rêvent de pillage. Ils ne veulent pas que nous soyons une société libre, mais une foule d’esclaves sans âme.

Ils voient notre pensée et notre philosophie comme une menace directe  : c’est pourquoi ils s’en prennent à nos philosophes. Ils pensent que notre culture et notre art représentent un péril pour eux  : c’est pourquoi ils s’efforcent de les interdire. Notre développement et notre prospérité les menacent également, parce que la concurrence s’intensifie. Ils n’ont pas besoin de la Russie, c’est nous qui en avons besoin. (Applaudissements.)

Je tiens à rappeler que, par le passé, les rêves de domination mondiale ont été brisés plus d’une foi par le courage et la résilience de notre peuple. La Russie sera toujours la Russie. Nous défendrons toujours nos valeurs et notre patrie.

L’Occident mise sur son impunité, sur sa capacité à tout se permettre. De fait, tel a été le cas jusqu’à présent. Les accords de sécurité stratégique ont filé droit à la poubelle  ; les conventions conclues au plus haut niveau politique ont été déclarées fictives  ; les promesses les plus fermes de ne pas étendre l’OTAN vers l’Est, arrachées fut un temps par nos anciens dirigeants, se sont révélées un mensonge immonde  ; les traités sur les forces nucléaires à portée intermédiaire ont été unilatéralement abrogés sous des prétextes fantaisistes.

Mais de tous les côtés, on n’entend que  : «  L’Occident incarne l’état de droit, fondé sur des règles  ». D’où viennent-elles  ? Qui en a jamais vu la couleur  ? Qui y a consenti  ? Écoutez, ce ne sont que des absurdités, un mensonge absolu, des doubles ou des triples standards. Ils doivent nous prendre pour des imbéciles.

La Russie est une grande puissance millénaire, un pays-civilisation qui ne vivra jamais sous le joug de ces règles truquées, faussées.

C’est bien le soi-disant Occident qui a piétiné le principe de l’inviolabilité des frontières et qui décide maintenant, selon son bon vouloir, qui a le droit à l’autodétermination et qui ne l’a pas, qui en est digne et qui ne l’est pas. On ignore à quel titre ils agissent ainsi, qui leur en a donné le droit, sinon eux-mêmes.

C’est pourquoi le choix des habitants de Crimée, de Sébastopol, de Donetsk, de Lougansk, de Zaporojie et de Kherson les rend fous de rage. L’Occident n’a aucun droit moral à distribuer les bons points, ni à prononcer le moindre mot sur la liberté de la démocratie. Ils ne l’a pas et il ne l’a jamais eu.

Les élites occidentales ne se contentent pas de nier souveraineté des nations et le droit international. Leur hégémonie présente clairement les traits d’un totalitarisme, d’un despotisme, d’un apartheid. Avec insolence, ils divisent le monde entre, d’un côté, leurs vassaux, les pays soi-disant civilisés, et de l’autre le reste de la planète, ceux que des racistes occidentaux voudraient inscrire sur la liste des barbares et des sauvages. Des étiquettes mensongères comme «  État voyou  » ou «  régime autoritaire  » sont assignées pour stigmatiser des peuples et des États entiers, ce qui n’est pas nouveau. Il n’y a rien de nouveau là-dedans, parce que les élites occidentales sont restées ce qu’elles étaient  : colonialistes. Elles discriminent et divisent les peuples entre la «  première classe  » et «  le reste  ».

Nous n’avons jamais souscrit et ne souscrirons jamais à ces formes de nationalisme politique et de racisme. Est-ce autre chose que du racisme qui, sous la forme de la russophobie, se répand aujourd’hui dans le monde entier  ? Que peut bien être, sinon du racisme, cette conviction inébranlable de l’Occident que sa civilisation et sa culture néolibérale sont le modèle indépassable pour le reste du monde  ? «  Qui n’est pas avec nous est contre nous  ». Ça sonne même étrangement.

Il n’est pas jusqu’à la responsabilité de leurs propres crimes historiques que les élites occidentales rejettent sur les autres, exigeant à la fois de leurs citoyens et des autres peuples qu’ils se repentent de ce à quoi ils n’ont jamais contribué, par exemple, la période des conquêtes coloniales.

Il est bon de rappeler à l’Occident qu’il a commencé sa politique coloniale dès l’époque du Moyen Âge, avant que se développe la traite mondiale des esclaves, le génocide des tribus indiennes en Amérique, le pillage de l’Inde, de l’Afrique, les guerres de l’Angleterre et de la France contre la Chine, qui l’ont obligée à ouvrir ses ports au commerce de l’opium. Ce qu’ils ont fait, c’était de rendre des peuples entiers accros aux drogues, d’exterminer délibérément des groupes ethniques entiers pour leurs terres et leurs ressources, de pratiquer une véritable chasse à l’homme, comme on chasse des bêtes. Tout cela est contraire à la nature même de l’humain, à la vérité, à la liberté et à la justice.

Pour notre part, nous sommes fiers qu’au XXe siècle, ce soit précisément notre pays qui ait pris la tête du mouvement anticolonial, lequel a offert à de nombreux peuples du monde la possibilité de se développer, de réduire la misère et les inégalités, de vaincre la faim et les maladies.

Je tiens à souligner que l’un des motifs de la russophobie pluriséculaire, de l’évidente animosité de ces élites occidentales vis-à-vis de la Russie, vient justement du fait que nous ayons refusé de nous laisser dépouiller à l’époque de la conquête coloniale et que nous ayons forcé les Européens à commercer avec nous pour notre bénéfice mutuel. Nous y sommes parvenus grâce à la création en Russie d’un État centralisé, qui s’est développé et consolidé à partir des hautes valeurs morales de l’orthodoxie, de l’islam, du judaïsme et du bouddhisme, mais aussi d’une culture et d’une langue russes ouvertes à tous.

D’innombrables plans d’invasion de la Russie ont été échafaudés. On a tenté de profiter du temps des troubles du début du XVIIe siècle et des bouleversements qui ont suivi la Révolution de 1917, mais sans succès. Ce n’est qu’à la fin du XXe siècle, lorsque cet État s’est effondré, qu’ils ont finalement réussi à mettre la main sur les richesses de la Russie. Ils nous qualifiaient alors d’amis et de partenaires mais, dans les faits, ils nous traitaient comme une colonie  : des milliers de milliards de dollars ont été siphonnés du pays par toutes sortes de machinations. Nous nous souvenons de tout cela, nous n’avons rien oublié.

Et il y a quelques jours, les habitants de Donetsk et Lougansk, de Kherson et de Zaporojie, se sont exprimés pour restaurer notre unité historique. Merci  ! (Applaudissements.)

Les pays occidentaux clament depuis des siècles qu’ils apportent la liberté et la démocratie aux autres nations. C’est exactement le contraire. Au lieu de la démocratie, ils apportent la répression et l’exploitation  ; au lieu de la liberté, l’asservissement et l’oppression. L’ordre mondial unipolaire est intrinsèquement anti-démocratique et non-libre, menteur et hypocrite de bout en bout.

Les États-Unis sont le seul pays du monde à avoir fait usage par deux fois de l’arme nucléaire, lorsqu’ils ont détruit les villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki. D’ailleurs, en agissant ainsi, ils ont créé un précédent.

Je rappelle que les États-Unis, avec l’aide des Britanniques, ont réduit à l’état de ruines Dresde, Hambourg, Cologne et nombre d’autres villes allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale sans aucune nécessité militaire  : ils l’ont fait ostensiblement et, je le répète, sans aucune nécessité militaire. Leur unique objectif, comme dans le cas des bombardements nucléaires au Japon, était d’intimider notre pays et le reste du monde.

Les États-Unis ont laissé une trace épouvantable dans la mémoire des peuples de Corée et du Vietnam par leurs «  tapis de bombes  » barbares, l’usage du napalm et des armes chimiques.

Aujourd’hui encore, ils occupent encore de facto l’Allemagne, le Japon, la République de Corée et encore d’autres pays, tout en les appelant cyniquement des égaux et des alliés. Écoutez, je me demande bien de quel genre d’alliance il peut s’agir. Le monde entier sait que les dirigeants de ces pays sont espionnés, que leurs chefs d’État sont mis sur écoute non seulement à leur bureau, mais à leur domicile. C’est une véritable honte. Une honte pour ceux qui agissent ainsi et une honte pour ceux qui, comme des esclaves, avalent ces impertinences en silence et servilement.

Ils parlent de solidarité euro-atlantique pour qualifier les ordres, les cris brutaux et insultants qu’ils adressent à leurs vassaux  ; ils parlent de noble recherche médicale pour qualifier le développement d’armes biologiques et les expérimentations sur des sujets vivants, notamment en Ukraine.

Ce sont bien leurs politiques dévastatrices, leurs guerres et leurs pillages qui ont provoqué le considérable essor des flux migratoires actuels. Des millions de personnes endurent les pires privations, les pires abus, et meurent par milliers en essayant de rejoindre l’Europe.

Aujourd’hui, ils exportent du blé d’Ukraine. Où va ce blé, sous le prétexte de «  garantir la sécurité alimentaire des pays les plus pauvres du monde  »  ? Où va-t-il  ? Tout va dans ces mêmes pays d’Europe. Seuls 5 % sont partis dans les pays pauvres. Voilà un nouvel exemple d’escroquerie et de mensonge éhonté.

Dans les faits, l’élite américaine se sert de la tragédie que vivent ces personnes pour affaiblir ses rivaux, pour détruire les États-nations. Cela vaut également pour l’Europe, pour l’identité de pays comme la France, l’Italie, l’Espagne, et d’autres nations à l’histoire multiséculaire.

Washington exige toujours plus de sanctions pour la Russie, et les politiciens européens, dans leur majorité, acceptent docilement. Ils ne saisissent pas bien que les États-Unis, en poussant l’Union Européenne à renoncer entièrement aux ressources russes, notamment énergétiques, sont en réalité en train de provoquer la désindustrialisation de l’Europe et de s’emparer du marché européen. Bien sûr, elles en ont conscience, ces élites européennes, elles en ont conscience mais préfèrent servir les intérêts d’une autre nation. Ce n’est même plus une marque de servilité, mais une véritable trahison de leurs propres peuples. Mais peu importe, c’est leur affaire.

Cependant, les sanctions ne suffisent plus aux Anglo-Saxons. Ils recourent maintenant au sabotage – cela semble incroyable, mais c’est un fait – en faisant sauter les gazoducs internationaux de «  Nord Stream  », qui passent au fond de la mer Baltique, ruinant du même coup l’infrastructure énergétique de l’Europe tout entière. Chacun sait qui en bénéficie. Et, bien sûr, ce sont ceux qui en bénéficient qui en sont responsables.

Le diktat américain est fondé sur la force brute, sur la loi du plus fort. Il est parfois joliment emballé, parfois sans fioriture, mais le fond est le même  : c’est la loi du plus fort. D’où le déploiement et l’entretien de centaines de bases militaires aux quatre coins du monde, l’expansion de l’OTAN et les tentatives de former de nouvelles alliances militaires comme l’AUKUS ou d’autres encore  : c’est ainsi qu’on cherche activement à créer une alliance militaire et politique entre Washington, Séoul et Tokyo. Tous les États qui possèdent ou aspirent à posséder une véritable souveraineté stratégique et qui sont en mesure de contester l’hégémonie occidentale sont automatiquement déclarés ennemis.

C’est sur ces mêmes principes que reposent les doctrines militaires des États-Unis et de l’OTAN, qui exigent une domination absolue. Les élites occidentales présentent leurs plans néocoloniaux d’une manière tout aussi hypocrite, en agitant des prétentions pacifistes, en parlant d’«  endiguement  », et ces mots-clefs sournois se retrouvent d’une stratégie à l’autre alors qu’en réalité ils ne signifient qu’une seule chose  : saper tous les centres de pouvoir souverains.

On nous a ainsi parlé de l’endiguement de la Russie, de la Chine, de l’Iran. J’imagine que d’autres pays d’Asie, d’Amérique Latine, d’Afrique, du Proche-Orient, ainsi que des partenaires et alliés actuels des États-Unis, sont les prochains sur la liste. Nous le savons bien  : lorsque quelque chose leur déplaît, ils sont prêts à imposer des sanctions à leurs propres alliés – tantôt à telle ou telle banque  ; tantôt à telle ou telle entreprise. C’est ainsi qu’ils agissent et qu’ils continueront d’agir. Le monde entier est dans leur ligne de mire, y compris nos voisins les plus proches, les pays de la Communauté des États Indépendants.

Dans le même temps, il est clair que l’Occident prend depuis longtemps ses désirs pour des réalités. En lançant une guerre-éclair de sanctions contre la Russie, ils s’imaginaient qu’ils pourraient une fois de plus mettre le monde entier à leurs pieds. Pourtant, il s’est avéré que cette perspective était loin d’enthousiasmer tout le monde – sauf les masochistes purs et durs et les praticiens d’autres formes non-traditionnelles de relations internationales. La plupart des États refusent ce «  salut au drapeau  » et optent plutôt pour des modalités raisonnables de coopération avec la Russie.

Par cette métaphore de sexualisation agressive des relations internationales, Vladimir Poutine entend une fois de plus dénoncer les identités de genre et les pratiques sexuelles qui ne correspondent pas au spectre de l’orthodoxie la plus traditionnelle.

L’Occident ne s’attendait pas à rencontrer une telle insubordination, tant il est habitué à agir par la force, le chantage, la corruption et l’intimidation, convaincu que ces méthodes fonctionneront toujours – comme s’il étaient figé, fossilisé dans le passé.

Cette confiance en soi est une conséquence directe de l’idée, tristement célèbre, bien qu’elle ne cesse pas d’étonner, de son propre exceptionnalisme, mais aussi de la véritable «  faim d’information  » qui sévit en Occident. Ils ont noyé la vérité dans un océan de mythes, d’illusions et de faux, en pratiquant une propagande extrêmement agressive, en mentant comme Goebbels. Plus le mensonge est gros, plus on y croit – c’est ainsi qu’ils fonctionnent, en suivant ce principe.

Mais on ne peut pas nourrir les populations avec des dollars et des euros imprimés sur des billets de banque. On ne peut pas les nourrir avec du papier-monnaie, on ne peut pas chauffer un foyer avec la capitalisation aussi virtuelle et que surévaluée des réseaux sociaux occidentaux. Tout ce dont je vous parle est de la plus haute importance, mais il faut insister sur ce dernier point. On ne peut nourrir personne avec du papier, il faut de la nourriture  ; ces capitalisations surévaluées ne peuvent chauffer personne, il faut de l’énergie.

C’est pourquoi les dirigeants européens en sont réduits à convaincre leurs concitoyens de manger moins, de se laver moins souvent, de s’habiller plus chaudement à la maison. Et ceux qui commencent à se poser les bonnes questions – «  Pourquoi en serait-il ainsi  ?  » – sont immédiatement déclarés ennemis, extrémistes et radicaux. Ils retournent la situation contre la Russie en disant  : «  Vous voyez, c’est la source de tous nos malheurs  ». Des mensonges, encore une fois.

Je voudrais tout particulièrement souligner qu’il y a toutes les raisons de croire que les élites occidentales n’ont pas l’intention de chercher des solutions constructives à la crise alimentaire et énergétique mondiale qui s’est déclarée par leur propre faute, en conséquence des politiques qu’ils mènent de longue date, bien avant notre opération spéciale en Ukraine, dans le Donbass. Ils n’ont aucune intention de résoudre les problèmes d’injustice et d’inégalité. On peut plutôt craindre qu’ils s’apprêtent à employer d’autres méthodes, qui leur sont plus familières.

Il convient de rappeler ici que l’Occident est sorti des contradictions du début du XXe siècle par la Première Guerre mondiale. Les gains de la Seconde Guerre mondiale ont permis aux États-Unis de surmonter enfin les conséquences de la Grande Dépression et de devenir la première économie mondiale, de soumettre la planète entière à la puissance du dollar en tant que monnaie de réserve globale. C’est largement en s’appropriant les restes et les ressources de l’Union soviétique en déliquescence que l’Occident a surmonté la crise qui s’est aggravée dans les années 1980. C’est un fait.

Désormais, pour sortir de ce nouveau nœud de contradictions, il leur faut à tout prix briser la Russie et les autres États qui choisissent une voie souveraine de développement, afin de piller de nouvelles richesses et de colmater ainsi leurs propres vides. Si cela ne se passe pas ainsi, je n’exclus pas l’idée qu’ils tentent de provoquer l’effondrement total du système pour se dédouaner de leurs responsabilités, ou encore, Dieu nous en garde, qu’ils décident d’employer une formule bien connue  : «  La guerre efface toutes les dettes  ».

La Russie a conscience de sa responsabilité envers la communauté mondiale et fera son possible pour ramener ces têtes brûlées à la raison.

À l’évidence, le modèle néocolonial actuel est condamné à disparaître. Mais, je le répète, ses maîtres réels s’y accrocheront jusqu’à la dernière seconde. Ils n’ont tout simplement rien à proposer au monde, si ce n’est la préservation de ce système de pillage et de racket.

En substance, ils crachent sur le droit naturel de milliards de personnes, la majeure partie de l’humanité, à la liberté et à la justice, ainsi qu’à la détermination de leur propre destinée. Ils en viennent maintenant à nier l’ensemble des normes morales, de la religion et de la famille.

Répondons ensemble à quelques questions très simples. Je veux revenir sur ce point, je veux m’adresser à tous les citoyens de notre pays – pas seulement aux collègues qui sont ici dans le public, mais à tous les citoyens russes – pour leur demander  : est-ce que nous voulons avoir, ici, dans ce pays, en Russie, au lieu d’une mère et d’un père, un «  parent numéro un  » et un «  parent numéro deux  » (ils sont devenus complètement dingues sur ce coup)  ? Est-ce que nous voulons que l’on enseigne dans nos écoles primaires des perversions qui conduisent à la dégradation et à l’extinction  ? Est-ce que nous voulons enseigner aux enfants qu’il n’existe pas que des femmes et des hommes, mais des soi-disant genres et qu’on leur propose des opérations de changement de sexe  ? Est-ce cela que nous voulons pour notre pays et pour nos enfants  ? Tout cela est tout simplement inacceptable pour nous. Nous avons notre propre avenir, et ce n’est pas celui-là.

Je le répète  : la dictature des élites occidentales vise toutes les sociétés, y compris les pays occidentaux eux-mêmes. C’est un défi adressé à tout le monde. Cette négation profonde de l’humanité, cette subversion de la foi et des valeurs traditionnelles, cet écrasement de la liberté prennent les traits d’une «  religion à l’envers  » – d’un satanisme pur et simple. Dans le sermon sur la montagne, Jésus Christ, dénonçant les faux prophètes, dit  : «  C’est dont à leurs fruits que vous les reconnaîtrez  ». Et beaucoup savent bien que ces fruits sont empoisonnés, non seulement chez nous, mais dans tous les pays, y compris en Occident.

Le président russe emprunte les éléments de langage plus spécifiques des guerres culturelles du XXIe siècle, en dénonçant les «  valeurs  » perverties que l’Occident chercherait à imposer et universaliser, au mépris de la diversité morale et spirituelle de la planète. Ce discours fait ainsi directement écho à celui des conservateurs et populistes de droite du continent européen et des États-Unis, soutien de facto de Vladimir Poutine dans une lutte à mort pour l’hégémonie culturelle. L’une des cibles principales en est la communauté LGBTQI+, accusée par le président russe de saper les valeurs morales de la civilisation russe et dépeinte comme une forme de déviance au caractère «  sataniste  ». On retrouve ici la rhétorique discriminatoire des évangélistes les plus durs et des politiques les plus agressivement traditionalistes, encore renforcée par une référence directe aux Évangiles.

Le monde est entré dans une période de transformations fondamentales, révolutionnaires. De nouvelles puissances émergent. Elles représentent la majorité – la majorité  ! – de la communauté mondiale et sont prêtes non seulement à proclamer leurs intérêts, mais à les défendre. Elles voient dans la multipolarité un moyen de renforcer leur souveraineté et ainsi de conquérir la liberté véritable, une perspective historique, leur droit au développement indépendant, créatif, original, à un développement harmonieux.

Dans le monde entier, y compris en Europe et aux États-Unis, comme je l’ai déjà souligné, de nombreuses personnes partagent nos idées et nous ressentons, nous voyons leur soutien. Au sein des pays et des sociétés les plus variés se dessine déjà un mouvement de libération anticolonial contre l’hégémonie unipolaire, et sa force ne fera que croître. C’est cette force qui déterminera le futur des réalités géopolitiques.

Chers amis,

Aujourd’hui, nous combattons pour un futur juste et libre, avant tout pour nous-mêmes, pour la Russie, pour que la dictature et le despotisme deviennent à jamais un souvenir du passé. Ma conviction est que les nations et les peuples comprennent à quel point une politique fondée sur l’exceptionnalisme, sur la suppression des autres cultures et des autres peuples, est fondamentalement criminelle, que cette page honteuse de l’histoire ne demande qu’à être tournée. L’effondrement de l’hégémonie occidentale est en cours. Il est irréversible. Je le répète  : les choses ne seront plus comme avant.

Le champ de bataille sur lequel nous ont convoqués le destin et l’histoire est un champ de bataille pour notre peuple, pour la grande Russie historique. (Applaudissements.) Pour une grande Russie historique, pour les générations futures, pour nos enfants, nos petits-enfants et nos arrière-petits-enfants. Nous devons les préserver de l’asservissement, des expérimentations monstrueuses qui veulent estropier leurs consciences et leurs âmes.

Aujourd’hui, nous combattons pour que personne ne pense plus jamais que la Russie, notre peuple, notre langue, notre culture, puissent être rayés de l’histoire. Aujourd’hui, nous devons consolider notre société et cette solidarité ne pourra reposer que sur la souveraineté, la liberté, la création et la justice. Nos valeurs sont l’humanité, la miséricorde et la compassion.

Et je voudrais conclure cette allocution sur les mots d’un véritable patriote, Ivan Aleksandrovič Il’in  : «  Si je considère la Russie comme ma patrie, cela signifie que j’aime, que je contemple et que je pense comme un Russe, que je chante et que je parle comme un Russe  ; que je crois aux forces spirituelles du peuple russe. Son esprit est mon esprit  ; sa destinée est ma destinée  ; sa souffrance est ma souffrance  ; sa prospérité est ma joie  ».

Sans être originale, sa citation d’un extrait ampoulé d’Ivan Ilyin, émigré russe de l’entre-deux-guerres aux idées antisémites, attiré par le fascisme et la révolution conservatrice, confirme, s’il en était besoin, l’orientation résolument réactionnaire du discours5.

Dans ces mots, on retrouve le grand chemin spirituel que de nombreuses générations de nos ancêtres ont emprunté pendant plus d’un millénaire d’existence de l’État russe. Aujourd’hui, c’est nous qui empruntons ce chemin, ce sont les habitants des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, des districts de Zaporojie et de Kherson qui ont fait ce choix. Ils ont pris la décision de vivre avec leur propre peuple, avec leur patrie, de s’associer à son destin et de vaincre avec elle.

La victoire est avec nous, la Russie est avec nous  !

Sources
    1. https://meduza.io/feature/2022/09/29/zachem-kremlyu-anneksiya-ukrainskih-territoriy-chem-na-eto-otvetit-kiev-i-kuda-vse-eto-nas-zavedet
    2. https://www.politico.com/news/2022/09/27/putin-nuke-russia-ukraine-intel-surveillance-00059020
    3. https://www.proekt.media/guide/kto-rukovodit-okkupirovannymi-territoriyami-ukrainy/
    4. https://www.bbc.com/russian/features-63040911
    5. Sur les risques du réductionnisme fasciste dans la lecture d’Ivan Ilyin, notamment Marlène Laruelle, Is Russia Fascist ? Unraveling Propaganda East and West, Ithaca, Cornell University Press, 2021, p. 140.

Voir par ailleurs:

Russia’s genocide handbook
The evidence of atrocity and of intent mounts
Timothy Snyder
Apr 8 2022

Russia has just issued a genocide handbook for its war on Ukraine.  The Russian official press agency « RIA Novosti » published last Sunday an explicit program for the complete elimination of the Ukrainian nation as such.  It is still available for viewing, and has now been translated several times into English.

As I have been saying since the war began, « denazification » in official Russian usage just means the destruction of the Ukrainian state and nation.  A « Nazi, » as the genocide manual explains, is simply a human being who self-identifies as Ukrainian.  According to the handbook, the establishment of a Ukrainian state thirty years ago was the « nazification of Ukraine. »  Indeed « any attempt to build such a state » has to be a « Nazi » act.  Ukrainians are « Nazis » because they fail to accept « the necessity that the people support Russia. »  Ukrainians should suffer for believing that they exist as a separate people; only this can lead to the « redemption of guilt. »

For anyone still out there who believes that Putin’s Russia opposes the extreme right in Ukraine or anywhere else, the genocide program is a chance to reconsider.  Putin’s Russian regime talks of “Nazis” not because it opposes the extreme right, which it most certainly does not, but as a rhetorical device to justify unprovoked war and genocidal policies. Putin’s regime is the extreme right.  It is the world center of fascism. It supports fascists and extreme-right authoritarians around the world.  In traducing the meaning of words like « Nazi, » Putin and his propagandists are creating more rhetorical and political space for fascists in Russia and elsewhere.

The genocide handbook explains that the Russian policy of « denazification » is not directed against Nazis in the sense that the word is normally used.  The handbook grants, with no hesitation, that there is no evidence that Nazism, as generally understood, is important in Ukraine.  It operates within the special Russian definition of « Nazi »: a Nazi is a Ukrainian who refuses to admit being a Russian.  The « Nazism » in question is « amorphous and ambivalent »; one must, for example, be able to see beneath the world of appearance and decode the affinity for Ukrainian culture or for the European Union as « Nazism. »

The actual history of actual Nazis and their actual crimes in the 1930s and 1940s is thus totally irrelevant and completely cast aside.  This is perfectly consistent with Russian warfighting in Ukraine.  No tears are shed in the Kremlin over Russian killing of Holocaust survivors or Russian destruction of Holocaust memorials, because Jews and the Holocaust have nothing to do with the Russian definition of « Nazi. »  This explains why Volodymyr Zelens’kyi, although a democratically-elected president, and a Jew with family members who fought in the Red Army and died in the Holocaust, can be called a Nazi.  Zelens’kyi is a Ukrainian, and that is all that « Nazi » means.

On this absurd definition, where Nazis have to be Ukrainians and Ukrainians have to be Nazis, Russia cannot be fascist, no matter what Russians do.  This is very convenient.  If « Nazi » has been assigned the meaning « Ukrainian who refuses to be Russian » then it follows that no Russian can be a Nazi.  Since for the Kremlin being a Nazi has nothing to do with fascist ideology, swastika-like symbols, big lies, rallies, rhetoric of cleansings, aggressive wars, abductions of elites, mass deportations, and the mass killing of civilians, Russians can do all of these things without ever having to ask if they themselves on the wrong side of the historical ledger.  And so we find Russians implementing fascist policies in the name of « denazification. »

The Russian handbook is one of the most openly genocidal documents I have ever seen.  It calls for the liquidation of the Ukrainian state, and for abolition of any organization that has any association with Ukraine.  It postulates that the « majority of the population » of Ukraine are « Nazis, » which is to say Ukrainians. (This is clearly a reaction to Ukrainian resistance; at war’s beginning the assumption was that there were only a few Ukrainians and that they would be easily eliminated.  This was clear in another text published in RIA Novosti, the victory declaration of 26 February.)  Such people, « the majority of the population, » so more than twenty million people, are to be killed or sent to work in « labor camps » to expurgate their guilt for not loving Russia.  Survivors are to be subject to « re-education. »  Children will be raised to be Russian.  The name « Ukraine » will disappear.

A girl looks back as she is being evacuated from Irpin. Many civilians who remained in that Kyiv suburb were murdered by Russian servicemen. According to local officials, their bodies were then crushed with tanks.

Had this genocide handbook appeared at some other time and in a more obscure outlet, it might have escaped notice.  But it was published right in the middle of the Russian media landscape during a Russian war of destruction explicitly legitimated by the Russian head of state’s claim that a neighboring nation did not exist.  It was published on a day when the world was learning of a mass murder of Ukrainians committed by Russians.

Russia’s genocide handbook was published on April 3, two days after the first revelation that Russian servicemen in Ukraine had murdered hundreds of people in Bucha, and just as the story was reaching major newspapers.  The Bucha massacre was one of several cases of mass killing that emerged as Russian troops withdrew from the Kyiv region.  This means that the genocide program was knowingly published even as the physical evidence of genocide was emerging.  The writer and the editors chose this particular moment to make public a program for the elimination of the Ukrainian nation as such.

As a historian of mass killing, I am hard pressed to think of many examples where states explicitly advertise the genocidal character of their own actions right at at the moment those actions become public knowledge.  From a legal perspective, the existence of such a text (in the larger context of similar statements and Vladimir Putin’s repeated denial that Ukraine exists) makes the charge of genocide far easier to make.  Legally, genocide means both actions that destroy a group in whole or in part, combined with some intention to do so.  Russia has done the deed and confessed to the intention.

Voir enfin:

‘De-Ukrainization’ is genocide — Biden was right to sound the alarm
Francine Hirsch
The Hill
04/14/22

Russian leaders began by calling Ukraine’s leaders “Nazis” to cover up their plan for a predatory war of aggression. Now they are calling for genocide. President Biden was right to sound the alarm about genocide. The world must act.

On the eve of Russia’s invasion of Ukraine, Russian President Vladimir Putin ramped up a disinformation campaign designed to challenge the country’s right to exist. He described Ukraine as an “artificial creation of the Bolsheviks” and called its leaders “Nazis.” On Feb. 24, Putin announced that he had launched a “special military operation” to “de-Nazify” Ukraine. Last week, while the world was learning horrifying details about the Russian military’s rape, torture and murder of civilians, this talk of “de-Nazification” morphed in the Russian state media into a chilling call for “de-Ukrainization.”

De-Ukrainization is genocide. The world must act.

An article published by RIA-Novosti on April 5 repeated Putin’s claim that “Ukrainians are an artificial anti-Russian construct.” It proclaimed that “Ukraine’s political elite must be eliminated.” And it declared that ordinary Ukrainians are “passive Nazis” who “must experience all the horrors of war and absorb the experience as a historical lesson and atonement for their guilt.” Explaining that “De-Nazification will inevitably also be a de-Ukrainization,” the article issued an ominous call for “total purification.”

This is not the first time such vile ideas have been expressed in the Russian media. There was a spate of articles and videos in 2016 and 2017 espousing “de-Ukrainization.” Economist and pundit Mikhail Khazin called for the transformation of Kyiv, Chernihiv and Sumy into “agricultural hinterland stripped of industry and armed forces,” with “excess population” deported to Russia’s Far East. He further suggested “several million” Ukrainians would “need to be” either “terminated” or “expelled.”

But the RIA-Novosti article is different for two critical reasons. It was published amid Russia’s predatory war of aggression — while atrocities were being committed in Bucha, Mariupol and other towns, and while Ukrainian civilians were being kidnapped, deported and sent to filtration camps. It was published during extreme wartime censorship in Russia, indicating its approval by the Russian authorities.

Since the publication of the RIA-Novosti article, Russian officials have continued to signal to the Russian people — and the Russian military — that genocide is on the agenda. The day after the article came out, former Russian President Dmitry Medvedev, one of Putin’s advisers, declared that “Ukrainian identity is one big fake and the goal of the de-Nazification is to change how Ukrainians perceive their identity. ” Later in the week, Russian State TV Channel One featured a “discussion” about the elimination of Ukraine.

These calls for “de-Ukrainization” are an incitement to genocide: to “destroy, in whole or in part,” the Ukrainian nation. Some international lawyers object that there is not yet enough evidence of genocide. And they are partly correct. We will need more evidence to convict Russia’s leaders and soldiers of genocide, which can be prosecuted either as a war crime (as at Nuremberg) or as a crime against humanity. But the Genocide Convention and the Rome Statute also call for the prevention of genocide. And there is enough evidence right now to ask the world to act.

I come at this as a historian of the Nuremberg Trials, not as a lawyer. And from this perspective there are several things to keep in mind. First, genocide does not always look like the Holocaust. In his closing speech at the Nuremberg Trials, British chief prosecutor Sir Hartley Shawcross revisited the evidence about Auschwitz and the extermination of the Jews. He then reminded the court that genocide could take many forms. The method the Nazis applied to the Polish intelligentsia, he noted, was “outright annihilation,” whereas in Alsace, deportation was the program of choice. In the German-occupied Soviet Union, the technique was death by starvation; in Bohemia and Moravia, the Nazis embarked on a policy of forced Germanization.

Second, history shows us that we should take dictators at their word. Those who incite genocide usually attempt to follow through. It is not unusual for them to publicize their campaigns through propagandists and media. Adolf Hitler had Joseph Goebbels, Alfred Rosenberg and others doing this work. Putin has Medvedev and the pundits of Russian state media. Finally, the more that Russian soldiers embrace the campaign of “de-Ukrainization,” the more brutal the war will become — and the harder it will be for Russia to find an exit short of total victory or defeat. Russian society’s complacency becomes complicity in murder.

This is not simply an academic question or a debate about terminology. We must understand Russia’s war aims to understand the nature of this conflict. Policymakers who still think that this war is about Russia’s security concerns have it wrong. Western lawyers who put forward draft peace proposals that ask Ukraine to make concessions are playing into Putin’s hands. Biden was correct that Putin’s goal is “to wipe out even the idea of being Ukrainian.”

The international community must affirm that there are universal values. It must support Ukraine and call out Putin’s lies. It must act to prevent the destruction of the Ukrainian nation.

Francine Hirsch is a professor of history at the University of Wisconsin-Madison and author of “Soviet Judgment at Nuremberg.”

Voir par ailleurs:

Ukraine : notre avenir s’y joue
Cela fait déjà plus de quatre mois que la pudiquement nommée « opération spéciale » de la Russie a commencé en Ukraine. Quatre mois de destructions, de déplacements de populations, de drames. La guerre n’est plus une possibilité, elle s’est installée sur le sol européen, pour l’heure fixée à l’est de l’Ukraine martyrisée et meurtrie. L’avenir de notre continent n’a jamais été aussi incertain depuis la Seconde Guerre mondiale.

Gabriel Robin
L’Incorrect
11 juillet 2022

Il est difficile de dresser un bilan exhaustif des combats comme des conséquences directes de la guerre pour l’économie mondiale ainsi que les équilibres géopolitiques et militaires. D’autres le font mieux que nous, à l’image de Michel Goya qui prend le temps de détailler hebdomadairement les avancées de l’armée russe et les actes de résistance de son homologue ukrainienne. Tout juste peut-on désormais affirmer avec une réserve de bon aloi que la Russie progresse dans le Donbass, but de guerre officiel du conflit. Le 14 juin dernier, les forces ukrainiennes ont ainsi annoncé avoir abandonné le centre de Sievierodonestk, suivies dans la foulée par une déclaration pessimiste de Serhiy Haïdaï, gouverneur de la région de Louhansk forcé d’admettre que 70 à 80 % de la ville étaient tombés sous le contrôle de l’armée russe.

Le 3 juillet, c’était au tour de la ville de Lysychansk de tomber, des suites d’une manœuvre d’encerclement réussie par les forces russes. La bataille du Donbass se réduit donc à la zone de Sloviansk-Kramatorsk, ce qui va pousser l’Ukraine à tenter de résister coûte que coûte en attendant un hypothétique rééquilibrage des forces. Contrairement à ce qu’affirment nombre de commentateurs français enivrés de propagande russe, le grand Satan occidental n’est pas si « va-t-en-guerre » que ça. Les envois d’armes ont été tardifs et sont trop limités pour permettre à l’Ukraine de garder le Donbass. Il semblerait même, si l’on pousse un peu, qu’une partie des Occidentaux se contenterait bien d’une prise rapide de l’est ukrainien, afin de pousser Moscou à la négociation de la paix … qui passerait donc par une partition de l’Ukraine.

L’habile chantage militaire russe produirait donc ses effets sur un ensemble occidental affaibli, mené par une Amérique partiellement déclinante qui, sous Barack Obama, avait déjà fait montre d’une certaine faiblesse à l’égard d’une Russie poutinienne qui ne recule jamais quand il s’agit de faire parler la poudre. En Tchétchénie, en Syrie, en Ossétie-du-Sud et en Ukraine, la Russie sait joindre les actes à la parole, tétanisant une Union européenne à la faible coordination militaire et dépendante de l’énergie de son encombrant voisin à l’est. Les lignes ont d’ailleurs bougé, l’invasion russe ayant provoqué les demandes d’adhésion conjointes de la Suède et de la Finlande à l’OTAN. Laquelle OTAN, longtemps invoquée pour expliquer, ou, plus sûrement, pour excuser l’invasion russe, avec une grande imprécision et des mensonges, l’Ukraine ne pouvant pas la rejoindre du fait des combats continus au Donbass depuis 2014, semble ne plus être l’obsession de Moscou.

Vladimir Poutine déclarait en personne il y a quelques jours à peine, que l’adhésion des pays scandinaves à l’OTAN n’était désormais plus un casus belli pouvant conduire à une « escalade ». De fait, il devient difficile de suivre les sinueuses inflexions du Kremlin qui peut en deux jours affirmer que « les choses sérieuses » n’ont pas commencé en Ukraine comme se dire « pacifiste ». Peut-être faudrait-il d’ailleurs ressusciter les spécialistes en kremlinologie d’autrefois, bien qu’ils aient été remplacés par d’autres, plus proches des télégraphistes de L’Humanité de la période Thorez que de véritables analystes neutres. Ces Machiavel d’opérette, prêts à toutes les instrumentalisations émotionnelles quand ça les arrange, et si peu emphatiques quand leur narration parcellaire est mise en danger, sont désormais en première ligne pour affirmer que l’Ukraine a déjà perdu et qu’il faut « chercher la paix ».

Soit. Personne ne pourra contredire le fait que la paix est la résolution de toute guerre ; et que plus tôt nous l’aurons trouvée, mieux ce sera. Mais cette paix tant souhaitée, qui nous permettrait d’éviter une cruelle « escalade », nous ne pouvons la décider unilatéralement. Si paix, il y a, elle ne se trouvera qu’au terme de la fin des combats armés. Soit par la destruction d’une des deux armées, ou son incapacité à poursuivre les combats. Soit par la proclamation d’un cessez-le-feu russe appelant à une négociation – c’en est même la condition sine qua none. Soit, et c’est bien ce que souhaitent certains sans oser le dire, par la reddition pure et simple de l’Ukraine. Nous ne pouvons pas le leur demander. Ajoutons, par suite, que nous ne sommes absolument pas co-belligérants, et moins encore la France qui en fait, il faut bien l’admettre, assez peu. Nous nous contentons d’aider l’Ukraine à se défendre, comme toute nation en a le droit. L’Ukraine veut vivre libre et souveraine, c’est un fait.

La position consistant à renvoyer dos-à-dos la Russie et l’Ukraine comme étant des « acteurs rationnels défendant leurs intérêts » n’est pas du réalisme mais du cynisme

La Russie aurait aussi pu se vivre en tant que nation, mais la nostalgie de son empire lui fait convoiter l’Ukraine et dominer autrement la Biélorussie, État qui est aujourd’hui son dominion et son factotum. Quid, donc, des suites de cette tragédie, car c’est bien à une immense tragédie que nous assistons, de celles qui peuvent à tout jamais changer nos destins collectifs et individuels ? Dans un premier temps, évoquer la morale et la notion du bien ne sera pas vain. Laissons aux schmittiens de comptoir et aux gaullistes de salon la rhétorique des « intérêts » mal comprise, elle ne sert que les intérêts d’un camp, qui, s’il n’est pas celui « du mal », encore qu’il soit à l’origine d’un mal, n’est pas le nôtre. Oui, la guerre russe est immorale. Elle le serait même si l’Ukraine avait réellement fait peser une menace sur la seconde armée du monde aux réserves nucléaires capables de détruire la moitié de la planète en quelques jours.

Elle est aussi menée de manière immorale. Dans une excellente tribune accordée au journal Le Monde, le chercheur en relations internationales Jean-Baptiste Jeangène Vilmer a bien résumé la situation : la position consistant à renvoyer dos-à-dos la Russie et l’Ukraine comme étant des « acteurs rationnels défendant leurs intérêts » n’est pas du réalisme mais du cynisme. « Avant la guerre, c’est l’absence de “réalisme” qui aurait permis l’expansion de l’OTAN, laquelle aurait “provoqué” le président Poutine, qui n’aurait fait que défendre ses intérêts en attaquant l’Ukraine, ce dont il est, par conséquent, presque excusé. Pendant la guerre, c’est encore au nom du “réalisme” qu’il faudrait ne pas trop soutenir les Ukrainiens et ménager une porte de sortie honorable aux Russes. Et, après la guerre, les mêmes “réalistes” nous inviteront à rapidement normaliser nos relations avec Moscou », ajoute-t-il avec panache.

Oui, la Russie est le diviseur du monde contemporain. Elle est la nation perturbatrice, celle qui provoque et cherche l’étincelle. Elle va plus loin et terrorise. Son premier objectif est d’ailleurs d’influencer les opinions occidentales, pour que ces dernières pensent nos nations faibles et inaptes à faire face à toute menace, même à y résister sur le simple plan de la morale. Le réalisme n’est pas contraire à la morale, il ne s’y réduit pas. C’est, vous noterez, très différent. Quand la République populaire du Donbass déclare qu’elle exécutera des soldats qui se sont rendus d’eux-mêmes, elle s’affranchit de toute morale. Il s’agit bien de crimes de guerre qui s’opposent aux principes de la Convention de Genève, et même à toutes les lois traditionnelles de la guerre, à des usages qui ont toujours eu cours en Europe. Comment ne pas le condamner ? Comment ne pas s’en émouvoir ? Si nous ne sommes plus capables de cette résistance spirituelle, que nous restera-t-il à défendre ?

Évidemment, nous devons tenir compte de tous les paramètres. Nous n’avons pas à nous précipiter dans la guerre, ni à condamner nos économies. Mais nous avons le devoir de nous y préparer, d’avoir conscience que le camp d’en face y est prêt et l’envisage sérieusement. Que les sanctions décidées contre la Russie se retournent temporairement contre nous est une réalité. Il est toutefois aussi une réalité que la Russie en souffre bien davantage, son acharnement à ironiser ou à vouloir contourner les mesures prouvant bien qu’elle est en grandes difficultés – son économie est d’ailleurs celle d’un colosse aux pieds d’argile, et sa dépendance à l’industrie chinoise augmentera exponentiellement, mais passons. Si être réaliste nous commande donc de comprendre dans quel état se trouvent réellement nos forces, cela ne doit pas nous conduire à la lâcheté ou à l’amoralité, deux conduites perdantes dans l’histoire des nations.

Nous ne faisons pas la guerre à une grande nation, nous nous opposons à la dérive d’un régime

En 1919, dans une conférence donnée sur l’alliance franco-polonaise, le futur général de Gaulle cité en modèle par tous ceux qui n’y comprennent rien, déclarait : « Le bolchevisme ne durera pas éternellement en Russie. Un jour viendra où l’ordre s’y rétablira et où la Russie, reconstituant ses forces, regardera autour d’elle. Ce jour-là, elle se verra telle que la paix va la laisser, c’est à dire privée de l’Estonie, de la Finlande, de la Pologne, de la Lituanie, peut-être de l’Ukraine. S’en contentera-t-elle ? Nous n’en croyons rien. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on reverra la Russie reprendre sa marche vers l’Ouest et le Sud-Ouest. De quel côté la Russie recherchera-t-elle un concours pour reprendre l’œuvre de Pierre le Grand et de Catherine II ? Ne le disons pas trop haut, mais sachons-le et pensons-y : c’est du côté de l’Allemagne que fatalement elle tournera ses espérances. Voilà, Messieurs, pourquoi la France prête à la Pologne et à la Roumanie un si large concours militaire ; et voilà pourquoi nous sommes ici. […] Chacun de nos efforts en Pologne, Messieurs, c’est un peu plus de gloire pour la France éternelle ».

Nul ne peut dire avec certitude de quoi l’avenir sera fait, mais celui-ci se joue aujourd’hui en Ukraine. Y construire la paix, c’est prévoir la guerre. Tout faire pour l’éviter, ce n’est pas refuser de la penser.  Les Français et les autres Européens doivent aussi entendre que c’est la Russie qui a provoqué la guerre, qui pratique un chantage énergétique, qui empêche l’Ukraine d’exporter son blé ce qui pourrait provoquer une catastrophe migratoire ; elle et elle seule. Dans ce cadre, les sanctions sont tant un impératif moral qu’une difficulté pour l’effort de guerre russe, mais pour qu’elles soient efficaces il faut que le camp occidental fasse bloc et divise celui des BRICS. La Chine et la Russie n’ont aucun intérêt à rompre brutalement avec le commerce mondial. Ne nous laissons pas embobiner par la guerre d’influence russe. Ce sont les derniers feux de l’URSS. Nous ne faisons pas la guerre à une grande nation, nous nous opposons à la dérive d’un régime.


Guerre d’Ukraine: Il a même traité les Alliés de mauvais payeurs et l’Allemagne de captive de la Russie ! (Guess who four years ago laughed so hard when they were warned about not paying their military dues and relying on Russian oil and gas ?)

8 mars, 2022

Keith Farrell🇮🇪 (@lonewolfkeith85) / Twitter

FLASHBACK: Trump Ripped Germany's Cozy Relationship With Russia To The NATO General Secretary's Face | The Daily Caller“On commence ?” Tjeerd, Pays-Bas.NATO members' promise of spending 2% of their GDP on defence is proving hard to keep | The Economist


Un message annonce que la chaîne Youtube de RT est indisponible en Europe, le 1er mars 2022. (EYEPRESS NEWS / AFP)

On ne peut comprendre la vie qu’en regardant en arrière; on ne peut la vivre qu’en regardant en avant. Søren Kierkegaard
S’il a fallu repenser de fond en comble la sociologie des intellectuels, c’est que, du fait de l’importance des intérêts en jeu et des investissements consentis, il est suprêmement difficile, pour un intellectuel, d’échapper à la logique de la lutte dans laquelle chacun se fait volontiers le sociologue — au sens le plus brutalement sociologiste — de ses adversaires, en même temps que son propre idéologue, selon la loi des cécités et des lucidités croisées qui règle toutes les luttes sociales pour la vérité. Pierre Bourdieu
Presque aucun des fidèles ne se retenait de s’esclaffer, et ils avaient l’air d’une bande d’anthropophages chez qui une blessure faite à un blanc a réveillé le goût du sang. Car l’instinct d’imitation et l’absence de courage gouvernent les sociétés comme les foules. Et tout le monde rit de quelqu’un dont on voit se moquer, quitte à le vénérer dix ans plus tard dans un cercle où il est admiré. C’est de la même façon que le peuple chasse ou acclame les rois. Marcel Proust
Pour qu’il y ait cette unanimité dans les deux sens, un mimétisme de foule doit chaque fois jouer. Les membres de la communauté s’influencent réciproquement, ils s’imitent les uns les autres dans l’adulation fanatique puis dans l’hostilité plus fanatique encore. René Girard
Même le renoncement au mimétisme violent ne peut pas se répandre sans se transformer en mécanisme social, en mimétisme aveugle. Il y a une lapidation à l’envers symétrique de la lapidation à l’endroit non dénuée de violence, elle aussi. C’est ce que montrent bien les parodies de notre temps. Tous ceux qui auraient jeté des pierres s’il s’était trouvé quelqu’un pour jeter la première sont mimétiquement amenés à n’en pas jeter. Pour la plupart d’entre eux, la vraie raison de la non-violence n’est pas la dure réflexion sur soi, le renoncement à la violence : c’est le mimétisme, comme d’habitude. Il y a toujours emballement mimétique dans une direction ou dans une autre. En s’engouffrant dans la direction déjà choisie par les premiers, les « mimic men » se félicitent de leur esprit de décision et de liberté. Il ne faut pas se leurrer. Dans une société qui ne lapide plus les femmes adultères, beaucoup d’hommes n’ont pas vraiment changé. La violence est moindre, mieux dissimulée, mais structurellement identique à ce qu’elle a toujours été. Il n’y a pas sortie authentique du mimétisme, mais soumission mimétique à une culture qui prône cette sortie. Dans toute aventure sociale, quelle qu’en soit la nature, la part d’individualisme authentique est forcément minime mais pas inexistante. Il ne faut pas oublier surtout que le mimétisme qui épargne les victimes est infiniment supérieur objectivement, moralement, à celui qui les tue à coups de pierres. Il faut laisser les fausses équivalences à Nietzsche et aux esthétismes décadents. Le récit de la femme adultère nous fait voir que des comportements sociaux identiques dans leur forme et même jusqu’à un certain point dans leur fond, puisqu’ils sont tous mimétiques, peuvent néanmoins différer les uns des autres à l’infini. La part de mécanisme et de liberté qu’ils comportent est infiniment variable. Mais cette inépuisable diversité ne prouve rien en faveur du nihilisme cognitif ; elle ne prouve pas que les comportements sont incomparables et inconnaissables. Tout ce que nous avons besoin de connaître pour résister aux automatismes sociaux, aux contagions mimétiques galopantes, est accessible à la connaissance. René Girard
 Il faut se souvenir que le nazisme s’est lui-même présenté comme une lutte contre la violence: c’est en se posant en victime du traité de Versailles que Hitler a gagné son pouvoir. Et le communisme lui aussi s’est présenté comme une défense des victimes. Désormais, c’est donc seulement au nom de la lutte contre la violence qu’on peut commettre la violence. René Girard
Je me souviens très bien de la remilitarisation de la Rhénanie en 1935. Si les Français étaient entrés en Allemagne, ils auraient pu changer le cours des événements : les Allemands étaient incapables de leur opposer la moindre résistance. Seulement Albert Sarraut [président du Conseil] et le gouvernement français seraient passés pour les salopards qui empêchaient le monde de revenir à la normale. Ils n’étaient pas assez forts moralement pour tenir le coup. Par la suite, on a beaucoup reproché à Sarraut sa passivité. Mais il était dans une situation inextricable. René Girard
Les moyens dits pacifiques ne sont pas toujours ni même nécessairement les meilleurs pour préserver une paix existante. On sait aujourd’hui que si les Français et les Anglais avaient eu une autre attitude lors de l’entrée des troupes allemandes dans la zone démilitarisée en 1935, on aurait peut-être réussi à faire tomber Hitler et ainsi empêché la guerre de 1939. Il y a également de fortes chances qu’une action offensive des Alliés les aurait fait passer pour coupables aux yeux de l’opinion mondiale. En général ; on ne connaît qu’après coup l’utilité d’une guerre préventive pour préserver la paix. Julien Freund
Un des grands problèmes de la Russie – et plus encore de la Chine – est que, contrairement aux camps de concentration hitlériens, les leurs n’ont jamais été libérés et qu’il n’y a eu aucun tribunal de Nuremberg pour juger les crimes commis. Thérèse Delpech (2005)
Les responsables c’est l’Otan qui n’a cessé de s’étendre, les Français, les Allemands, les Américains, qui n’ont pas fait respecter les accords de Minsk et qui n’ont cessé d’étendre l’Otan pour qu’elle soit autour de la Russie comme une sorte d’encerclement. Eric Zemmour
Je pense que tout a commencé au sommet de l’Otan de Bucarest en 2008, avec l’annonce que la Géorgie et l’Ukraine deviendraient membres de l’Otan. Les Russes ont indiqué à cette époque que cela constituerait pour eux une menace existentielle et qu’ils s’y opposeraient… Néanmoins les occidentaux ont continué de transformer l’Ukraine en bastion occidental à la frontière russe… L’expansion de l’Otan, et l’expansion de l’Union européenne, sont au coeur de cette stratégie, tout comme la volonté de faire de l’Ukraine une démocratie libérale pro-américaine, ce qui du point de vue russe est une menace existentielle. John Mearsheimer (université de Chicago)
L’Alliance atlantique, moribonde il y a quelques années, est redevenue incontournable et va accueillir probablement deux nouveaux membres, la Finlande et la Suède. L’ironie majeure de ce renforcement est que ces deux pays vont doubler la longueur des frontières russes partagées avec l’Otan, alors que c’est, entre autres, pour contrer l’encerclement supposé de son pays par les forces atlantiques que Poutine a déclenché sa guerre… Effet inverse de celui recherché ! Les Etats-Unis qui fournissent à l’Ukraine armes, équipements et entrainement ont fait, sur le terrain, par soldats ukrainiens interposés, la démonstration de la qualité de leur matériel et de leur efficacité militaire. Ils pourront continuer de vendre leurs armes et leur protection aux pays européens, ainsi même que leur gaz naturel, tandis que leur grand rival de la guerre froide se retrouve empêtré dans un conflit durable, isolé sur la scène internationale et ciblé par des sanctions économiques débilitantes à très long terme. Cette nouvelle réalité enrage d’ailleurs les zélés de l’anti-américanisme primaire qui se vengent comme ils peuvent en déversant leur haine de l’Amérique sur les ondes et les réseaux sociaux. Certains n’hésitent pas à prétendre que si l’Amérique sort première gagnante de ce conflit c’est bien sûr parce qu’elle avait tout manigancé à l’avance. Ce conflit serait le résultat d’une « manipulation » américaine ! Il aurait été « orchestré » par les Etats-Unis ! Le vrai responsable, à les croire, c’est le grand satan américain. Ainsi, Vladimir Poutine, l’ex-espion du KGB et du FSB, homme retors, froid et calculateur, se serait fait berner par Joe Biden, le vieux pantin démocrate gaffeur aux capacités cognitives incertaines… Ahurissante analyse qui rassemble dans un même camps les ennemis de l’Amérique, l’extrême gauche radicale, l’extrême droite nationaliste, et même des terroristes islamistes. Gérald Olivier
La série Occupied (Okkupert en norvégien) (…) production franco-suédo-norvégienne tend (…) un miroir bien sombre à l’Europe et à ses voisins sur leur futur proche. Les géopoliticiens savent désormais que la culture populaire en général et les séries télévisées en particulier illustrent et façonnent les représentations collectives qui jouent un rôle essentiel dans les relations internationales. (…) De même que Homeland a révélé aux Américains plusieurs aspects inconnus ou occultés de la « global war on terror », de même, Occupied, diffusée peu après l’annexion de la Crimée par la Russie, peut avoir un effet de révélation sur eux-mêmes pour les Européens. Mais une dystopie est bien souvent l’envers d’une utopie… ou une utopie qui a mal tourné. Occupied n’est ni un réquisitoire radical contre l’Europe ni une déploration sur le sort de la Norvège. L’épisode inaugural de la série donne le ton. Conçu par le romancier norvégien Jo Nesbo, il plonge en quelques minutes le téléspectateur dans le cauchemar de la guerre hybride. Voici les éléments essentiels de cette exposition magistrale : dans un futur proche, les États-Unis ont quitté l’Alliance atlantique et se murent dans l’isolationnisme, comme les premières minutes de l’épisode nous l’apprennent. Les éléments se sont conjurés contre le Royaume de Norvège : le réchauffement climatique vient de produire inondations dans le pays, comme le montrent les images du générique. Ces événements ont conduit à l’élection de Jesper Berg au poste de premier ministre sur un programme de transition énergétique radicale : arrêter complètement la production et l’exportation d’hydrocarbures qui alimentent l’Europe et font la richesse du royaume. L’objectif est de remplacer toutes les énergies fossiles par des centrales au thorium. Le décor géopolitique est planté : le futur de l’Europe est marqué par l’abandon d’États-Unis isolationnistes, par le retrait de l’OTAN et par une transition énergétique rendue drastique par les effets dévastateurs du réchauffement climatique. Les risques structurels inhérents à la présidence Trump constituent la donne géopolitique et géoéconomique de notre continent. Toutefois, l’Union ne reste pas longtemps dans un statut de victime passive : au moment où il inaugure la grande centrale au thorium, le premier ministre Berg est enlevé par des forces spéciales russes et reçoit, lors de cet enlèvement, un avertissement vidéo de la part du commissaire européen français : la Norvège doit reprendre la production et l’exportation d’hydrocarbures vers l’Europe, faute de quoi, l’Union demandera à la Russie d’intervenir militairement en Norvège pour rétablir la production. (…) les forces armées russes s’engagent dans une occupation graduelle, l’Union européenne utilise la menace russe comme instrument de chantage, la population civile norvégienne hésite entre collaboration pour réduire les dommages et résistance armée… la Norvège sombre dans la guerre civile et dans un conflit international. Les origines du cauchemar ne sont donc pas seulement exogènes à l’Europe : elles lui sont internes. C’est la soif de ressources naturelles de l’Europe qui la conduisent à fouler aux pieds le choix souverain des électeurs norvégiens et à sous-traiter la violence militaire envers le territoire du royaume. Victime du réchauffement climatique et de l’abandon américain, l’Europe est elle-même un prédateur écologique, politique et militaire. La dystopie révèle crûment les principaux chefs d’accusation brandis depuis des mois contre l’Europe : mépris pour les souverainetés nationales, politiques de voisinage cyniques, dépendance à l’égard des États-Unis, etc. (…) À première vue, l’Union européenne d’Occupied est la caricature qu’en présentent ses détracteurs. Le Commissaire européen incarné par Hippolyte Girardot a tous les vices imputés à la construction européenne : soumis à une Chancelière allemande dont le nom n’est jamais prononcé, il exécute tous ses ordres destinés à répondre aux besoins de l’industrie allemande ; indifférent au sort d’une démocratie voisine et partenaire, il soumet le premier ministre norvégien à un chantage permanent ; ne visant que l’accroissement de son pouvoir, il utilise la violence militaire russe pour soumettre un État souverain. (…) Technocratie hors sol et méprisante pour les souverainetés nationales et populaire, l’Union semble démasquée. Toutefois (…) le téléspectateur (…) peut découvrir une image inversée de l’Union actuelle où ses faiblesses chroniques ont trouvé leur remède. Régulièrement accusée d’idéalisme, de pacifisme et de naïveté, notamment par Hubert Védrine, l’Union européenne apparaît dans la série comme prête et capable de défendre ses intérêts vitaux. Soucieuse de défendre ses capacités industrielles et ses lignes d’approvisionnement en matière première, l’Union met en œuvre les attributs de la puissance sur la scène internationale en exerçant une pression diplomatique sur ses partenaires et ses voisins. Prenant acte de l’abandon américain, elle se refuse à nourrir la chimère d’une Pax Americana et sous-traite son action extérieure à la seule puissance militaire disponible, la Russie. (…) La figure de la Russie est elle aussi présentée sous une forme apparemment caricaturale : puissance militaire sans égard pour la vie humaine, imperium en reconstruction, elle n’hésite pas à déclencher des opérations clandestines pour occuper les plates-formes pétrolières norvégiennes, traquer les opposants à l’occupation jusque dans les rues d’Oslo et faire disparaître les résistants. (…) Exécutrice des basses œuvres de l’Union européenne, prise dans une spirale impérialiste, la Russie d’Occupied est celle de la guerre dans le Donbass et de l’annexion de la Crimée. Plusieurs autorités publiques russes ont d’ailleurs protesté contre la série. En réalité, [l]es concepteurs de la série rappellent au public européen que Vladimir Poutine peut être perçu comme un centriste dans son propre pays. D’autre part, les forces d’occupation russes sont elles aussi prises dans la spirale et les dilemmes de l’occupation. Soit elles prennent entièrement la maîtrise de la Norvège mais suscitent un rejet complet et manquent leur objectif. Soit elles respectent a minima les institutions du pays et elles risquent d’apparaître comme faibles. Dans la série comme dans la réalité, l’action extérieure de la Russie paraît aventureuse. Loin de la stratégie mondiale qu’on lui prête. La russophobie attribuée à Occupied pourrait bien se révéler plus complexe que prévu : moins qu’un empire en reconstitution, la Russie apparaît comme une puissance fragile, opportuniste et subordonnée aux latitudes laissées par l’Union européenne. (…) Occupied apparaît comme un cauchemar norvégien : longtemps en conflit avec la Russie pour la délimitation de sa zone économique exclusive dans le Grand Nord, poste avancé de l’OTAN durant toute la guerre froide malgré une tradition de neutralisme et de pacifisme, cible d’incursions navales et aériennes, ce pays de 5 millions d’habitants se sait dépendant de l’extérieur pour assurer sa sécurité. Occupied le présente comme une victime de son environnement naturel et politique. Sans le soutien des États-Unis et de l’Union, la Norvège se considère elle-même comme une Ukraine aisément la proie des impérialismes environnants. La série est en réalité bien plus critique envers le royaume nordique que le téléspectateur français ne pourrait le penser. (…) La série pointe la naïveté de cette démocratie opulente et exemplaire. On peut même percevoir dans la mise en scène du personnel politique norvégien une certaine mauvaise conscience : forts de leurs convictions écologiques, assurés de leur prospérité économique et confiants dans les règles de droit, ils négligent l’alliance avec l’Union. Le pays a en effet refusé à deux reprises d’adhérer à l’Union européenne, en 1972 et 1994. Soucieux de préserver tout à la fois le modèle de protection sociale, sa souveraineté nationale et son alliance avec les États-Unis, la Norvège est dans une situation précaire à l’égard de l’Europe : la solidarité ne peut pleinement s’exercer pour un État partenaire mais non membre. La Norvège d’Occupied, victime idéale, ne paie-t-elle pas les conséquences de son refus de l’Europe ? Cyrielle Bret
La collection « 20 H 55 le jeudi » (auparavant  « 20 H 55 le dimanche »), initiée avec des films sur Ben Laden et sur le Vatican, propose des biopics documentés de personnages d’envergure exceptionnelle dont l’histoire épouse celle d’un pays, d’une région, du monde… Vladimir Poutine entre tout naturellement dans cette catégorie. C’est sans conteste un des hommes les plus puissants de la planète. À cela s’ajoute une dimension indéniablement romanesque. Lui consacrer un film permettait de mêler deux enjeux : raconter un pan de l’histoire contemporaine – l’URSS post-stalinienne, l’effondrement du communisme, la réorganisation de la Russie dans les années 90, le fonctionnement du pouvoir, ses coulisses – tout en racontant une trajectoire individuelle fascinante, celle d’un fils d’ouvriers pauvres, sauvé de la délinquance par une de ses institutrices et devenu officier du KGB, le parcours d’un homme de l’ombre qui, lorsqu’il accède au pouvoir, est vu par beaucoup comme une marionnette et qui, au terme d’une ascension fulgurante, concentre entre ses mains un pouvoir immense. L’histoire personnelle de cet homme en dit long sur la Russie d’hier et d’aujourd’hui, sur son rapport à la vie, à la mort, à la dureté et parfois à la cruauté. Et puis, elle nous permet de plonger dans un monde de coulisses, de complots, de manigances, de corruption, de mélange des genres… (…) Nous avons fait une demande de visa et d’autorisation de tournage. Il nous a fallu expliquer aux autorités russes quel était notre projet, en restant suffisamment vagues mais en présentant néanmoins une liste de personnes à interviewer la plus équilibrée possible. Ce n’était pas si difficile puisque notre film ne se veut ni à charge ni à décharge. Nous ne demandions pas aux gens de s’exprimer pour ou contre Poutine, même s’il y a forcément des personnes qui appartiennent à un camp ou à l’autre, voire qui affichent clairement leurs affinités ou inimitiés. Quoi qu’il en soit, on ne nous a pas fait de difficultés. Vous savez, les Russes, on est avec eux ou contre eux. C’est ainsi qu’ils voient les choses. Si nous étions allés enquêter sur des questions très précises, des sujets qui fâchent, la fortune cachée de Poutine, tel ou tel de ses amis, sa famille, les attentats de 1999 qui ont contribué à sa prise du pouvoir, etc., nous aurions eu des soucis, c’est certain. Mais notre démarche a été jugée suffisamment générale et équilibrée, sans doute. Les véritables difficultés sont souvent ailleurs, en fait. Dans la nécessité de faire le tri entre les points de vue, les thèses, les témoignages, la propagande… La notion de vérité est très complexe dans ce pays. Dans les propos des témoins de la jeunesse de Poutine, il y a sans doute pas mal de choses vraies. Mais leur récit cadre aussi très bien avec l’image que Poutine lui-même veut donner, celle d’un homme du peuple. Il est très rare de rencontrer quelqu’un qui dise la vérité ou qui ne dise que la vérité. (…) C’est le mode d’écriture et la grammaire visuelle propres à Magneto Presse et plus particulièrement à cette collection. Des interviews posées – avec quelques principes de réalisation, comme ces photos projetées qui évoquent le personnage –, des archives retravaillées et enfin des séquences d’évocation. Ainsi, pour l’enfance et la jeunesse de Poutine, qui sont évidemment peu ou pas du tout documentées en images, nous avons recréé en studio l’appartement communautaire où il a grandi, ses cours au KGB, son séjour en Allemagne de l’Est en utilisant des « sosies de dos » ou des « sosies flous ». Ces moments qui jouent des codes de la fiction – et qui sont filmés comme tels, avec assistant réalisateur, chef op’, équipe technique, figurants, etc. – donnent une puissance extraordinaire au récit en conviant tout un imaginaire de thriller, d’espionnage, de complots, etc. (…) Faire passer aux téléspectateurs un bon moment en leur apprenant des choses. Pour le reste, chacun se fera ou tentera de se faire sa propre opinion. Il y a des gens pour qui la fin justifie les moyens, ou plutôt pour qui des fins exceptionnelles justifient certains moyens hors normes, y compris par leur violence. Nous donnons cependant des pistes pour dépasser et remettre en question cette image de quasi-smicard incorruptible restaurant la fierté d’un peuple que véhicule la propagande. Elle est très éloignée de la véritable nature du pouvoir de cet homme. Ceux qui ont peur trouveront peut-être de quoi nourrir leur peur. Mais aussi de la relativiser. Il est vrai que Poutine concentre entre ses mains plus de force qu’aucun autre chef d’État car son pouvoir souffre peu de médiation. Mais la force de son pays est moindre qu’on veut bien le dire. Elle repose sur une économie à base d’hydrocarbures (c’est dire si elle est peu armée pour l’avenir), des têtes nucléaires, un siège à l’ONU, l’utilisation habile et opportuniste des faiblesses des autres… L’homme le plus puissant du monde est à la tête d’une puissance, pas d’une superpuissance. Christophe Widemann
As journalism, this is scattershot at best, but as a conversation that covers a vast span of Russian history, culture, and politics as refracted through the mind of Russia’s president – it’s often remarkable. Putin has a lot to say. Stone lets him say it. While the many points he makes are impossible to summarize here, Putin’s motives for this interview are not: He emerges as an intelligent, sane, reasonable leader caught in the vortex of an occasionally feckless, often contradictory superpower called the United States. Touché. Gay Verne (Newsday, June 12, 2017)
I can tell you this, that as head of state today, I believe it’s my duty to uphold traditional values and family values. But why? Because same-sex marriages will not produce any children. God has decided, and we have to care about birth rates in our country. We have to reinforce families. But that doesn’t mean that there should be any persecutions against anyone. (…)There is no longer an Eastern Bloc, no more Soviet Union. Therefore, why does NATO keep existing? My impression is that in order to justify its existence, NATO has a need of an external foe, there is a constant search for the foe, or some acts of provocation to name someone as an adversary. Nowadays, NATO is a mere instrument of foreign policy of the U.S. It has no allies, it has only vassals. Once a country becomes a NATO member, it is hard to resist the pressures of the U.S. And all of a sudden any weapon system can be placed in this country. An anti-ballistic missile system, new military bases, and if need be, new offensive systems. And what are we supposed to do? In this case we have to take countermeasures. We have to aim our missile systems at facilities that are threatening us. The situation becomes more tense. Why are we so acutely responding to the expansion of NATO? Well, as a matter of fact, we understand the value or lack thereof, and the threat of this organization. But what we’re concerned about is the following: We are concerned by the practice of how decisions are taken. I know how decisions are taken there. (…) Unlike many partners of ours, we never interfere within the domestic affairs of other countries. That is one of the principles we stick to in our work. Vladimir Putin
Oliver Stone, a revisionist history buff who’s spent the past few decades cozying up to dictators like Fidel Castro, Hugo Chavez, and Putin (…) in addition to qualifying Hitler and claiming the Jews run the media, Stone helmed the 2014 documentary Ukraine on Fire—a bizarre slice of Kremlin propaganda alleging that the CIA orchestrated the 2014 Ukrainian revolution (based on scant evidence), and featuring cameos from Viktor Yanukovych and Putin. If that weren’t enough, in September, the JFK filmmaker posited that the Democratic National Committee hack was an inside job and not, as 17 U.S. intelligence agencies concluded, the work of Russian agents. Stone’s The Putin Interviews, a new four-part series debuting on Showtime on June 12, should thus be viewed as nothing short of hero worship (…) The Putin Interviews, a documentary comprised of conversations with the Russian president that took place between July 2015 and February 2017, is clearly intended to humanize Putin and demonize America.  (…) Stone not only fails to challenge Putin, but essentially cedes him the floor, allowing the cunning ex-KGB operative to spin more than the president’s toupee in a tornado. Putin denies Russia was the aggressor in virtually every global conflict, including the invasions of Georgia and Ukraine. He champions Russia’s economy over that of the U.S., despite his GDP being a little more than half that of California’s. He even blames the Cuban Missile Crisis on the U.S. (…) The lion’s share of The Putin Interviews’ B-roll consists of news clips from RT, the propaganda arm of the Kremlin, and pro-Russia graphics.  (…) Stone suggests that Putin could influence the U.S. election by endorsing a candidate, thereby causing his or her popularity to plummet. “Unlike many partners of ours, we never interfere within the domestic affairs of other countries,” replies Putin, smiling wide. “That is one of the principles we stick to in our work.” The Putin Interviews offer, first and foremost, a staggering display of mendacity on the part of both interviewer and interviewee. During a back and forth aboard his jet, Putin claims to have in his possession a letter from the CIA admitting that they provided technical support to the Chechens—including terrorist organizations—during the Second Chechen War. When Stone requests that he provide the letter, Putin responds, “I don’t think it would be appropriate. My words are enough.” For Oliver Stone, they most certainly are. Marlow Stern
Oliver Stone filme Vladimir Poutine, lui donne la parole, comme s’il était un parfait inconnu. Ne connaissant rien à la Russie, le réalisateur américain est incapable de lui apporter la contradiction, ni même de saisir les perches lancées par Poutine, que ce soit sur l’Otan, les oligarques, la Tchétchénie, les pays voisins. Il n’approfondit jamais les thèmes abordés.   Stone se montre tellement inculte que, par contraste, Poutine apparaît modéré, plus fin, plus intelligent -ce qu’il est sans aucun doute. « Vous avez amélioré les salaires… stoppé les privatisations ». « Non, je n’ai pas arrêté les privatisations », le corrige Poutine. Au cours de l’exercice, Poutine ment de nombreuses fois, mais à plusieurs reprises, les mensonges ne sortent même pas de sa bouche. Il se contente d’enchaîner sur les affirmations du cinéaste.   Les compliments de Stone sur les avancées économiques dues au président reprennent sans recul la propagande du Kremlin. Il est vrai que le niveau de vie a augmenté entre 2000 et 2008, mais selon les économistes russes, c’est presque entièrement attribuable à la hausse des prix du baril. Un journal russe a d’ailleurs publié un article livrant 20 exemples de la façon dont Poutine a trompé Oliver Stone, après la sortie de ce film. Il montre notamment que Poutine semble ignorer que les fonds de réserve gouvernementaux sont inclus dans les fonds de réserve de la Banque centrale, sans être contredit par Stone.  (…) Donner la parole à Vladimir Poutine est tout à fait légitime. A condition qu’en face on lui apporte la contradiction. Ce que dit le président russe tout au long de ce film n’a rien de nouveau. On le retrouve intégralement sur RT et Sputnik [les chaines de propagande du Kremlin]. Ce n’est pas un documentaire. C’est un clip publicitaire. Il est surprenant qu’une chaîne publique consacre autant de temps à un tel objet.  (…) D’un bout à l’autre, la complaisance et la vacuité des échanges sont consternants. Cette façon de montrer le président avec son cheval ou faisant du sport… La naïveté de Stone est même parfois drôle. Il découvre étonné que les fidèles ne s’assoient pas dans les églises orthodoxes, avant d’embrayer sur le rôle de l’orthodoxie en Russie. Le décalage entre son ignorance et la question centrale de la religion dans la société russe est troublante. Son ingénuité l’amène à dérouler sans complexe le discours du Kremlin. Par exemple sur la promesse de non-élargissement de l’Otan que les Occidentaux auraient faite à Mikhaïl Gorbatchev à la chute de l’URSS. Gorbatchev lui-même a démenti que de telles promesses lui avaient été faites. Là encore, Poutine est plus subtil que Stone. Il soutient que cette promesse a été donnée par oral, non par écrit. Impossible à vérifier, donc.  Et à aucun moment Stone ne s’interroge sur la raison pour laquelle les pays de l’ex-bloc soviétique ont voulu rejoindre l’Otan. Pourquoi l’opinion ukrainienne qui était, il y a quelques années encore, hostile à l’entrée dans l’Alliance atlantique y est favorable, depuis la guerre dans l’est de son territoire?  (…) Le documentaire ne pêche pas seulement par ce qu’il affirme, mais aussi par ce qu’il élude…  Les exemples ne manquent pas. Aucune question sur sa fortune personnelle, sur les fastes du gouvernement. Il n’aborde pratiquement pas la société russe, à l’exception de l’homosexualité. Aucune mention de l’effondrement du système médical, de l’éducation. Rien sur les grands-mères à qui le gouvernement refuse que leurs retraites soient indexées sur le taux de l’inflation… Le réalisateur ne l’interroge pas non plus sur ce qu’a fait Poutine entre 1991 (la chute de l’URSS) et 1996″, moment où il entre au Kremlin. Ni sur son attitude au moment du putsch d’août 1991 contre Gorbatchev. Rapidement évoquées, la question des oligarques et celle de la privatisation de l’économie russe dans les années 1990, auraient mérité d’être creusées. Stone se contente d’étaler la vision du maître du Kremlin. Rien sur les véritables raisons pour lesquelles certains oligarques ont été adoubés et d’autres jetés derrière les barreaux. La stigmatisation de Mikhaïl Khodorkovski, qui a passé dix ans en prison m’a particulièrement choquée. Stone ne se contente pas de servir la soupe à Poutine, il se fait complice de la persécution de cet homme. Cécile Vaissié
En Italie, aujourd’hui, être un Russe est considéré une faute. Et apparemment, même être un Russe décédé, qui de plus a été condamné à mort en 1849 pour avoir lu une chose interdite. Ce qui est en train d’arriver en Ukraine est une chose horrible qui me donne envie de pleurer, mais ces réactions sont ridicules. Quand j’ai lu ce mail de l’université, je ne pouvais pas y croire. Paolo Nori
Quand on censure des médias, c’est qu’on est en guerre, mais on n’est pas en guerre et il va y avoir une réciprocité des Russes. Vladimir Poutine va frapper nos médias.  Nous avions un média très puissant en Russie, France 24, qui touche à peu près 28,2% de l’espace d’information russe, qui est multilingue, français et anglais. Fragiliser ça pour un petit média comme RT, qui avait très peu d’audience en France, est ridicule. Fabrice D’Almeida (historien et vice-président de l’Université Panthéon-Assas)
Le respect de l’accord de Minsk signifie la destruction du pays. Quand ils ont été signés sous le canon du pistolet russe – et le regard des Allemands et des Français – il était déjà clair pour toutes les personnes rationnelles qu’il était impossible d’appliquer ces documents. (…) S’ils insistent sur le respect des accords de Minsk tels qu’ils sont, ce sera très dangereux pour notre pays. Si la société n’accepte pas ces accords, cela pourrait conduire à une situation interne très difficile et la Russie compte là-dessus. (…) Personne n’a le droit de nous dicter si nous devons ou non rejoindre des alliances. C’est le droit souverain de notre peuple. (…) Malheureusement, [les Allemands] ne se sont pas excusés d’avoir tué des millions de nos concitoyens. Ils s’excusent auprès des Russes comme si nous étions un seul pays. Ils ne devraient pas parler de démocratie et puis dire qu’ils soutiennent des régimes autoritaires et s’associent à eux. Oleksiy Danilov (chef de la sécurité ukrainienne, 31 janvier 2022)
Sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire (…) Pour Moscou, en revanche, rétablir le contrôle sur l’Ukraine ― un pays de cinquante-deux millions d’habitants doté de ressources nombreuses et d’un accès à la mer Noire –, c’est s’assurer les moyens de redevenir un État impérial puissant, s’étendant sur l’Europe et l’Asie. La fin de l’indépendance ukrainienne aurait des conséquences immédiates pour l’Europe centrale. (…) La Russie peut-elle, dans le même mouvement, être forte et démocratique ? Si elle accroît sa puissance, ne  cherchera-t-elle pas à restaurer son domaine impérial ? Peut-elle prospérer en tant qu’empire et en tant que démocratie ? (…) Et la « réintégration » de l’Ukraine reste, à ce jour, une position de principe qui recueille le consensus de la classe politique. Le refus russe d’entériner le statut d’indépendance de l’Ukraine, pour des raisons historiques et politiques, se heurte frontalement aux vues américaines, selon lesquelles la Russie ne peut être à la fois impériale et démocratique. (…) D’autant que la Russie postsoviétique n’a accompli qu’une rupture partielle avec son passé. Presque tous ses dirigeants « démocratiques », bien que conscients du passif et sans illusions sur la valeur du système, en sont eux-mêmes le produit et y ont accompli leur carrière jusqu’au sommet de la hiérarchie. Ce n’étaient pas des anciens dissidents comme en Pologne ou  en République tchèque. Les institutions clés du pouvoir soviétique ― même affaiblies et frappées par la démoralisation et la corruption ― n’ont pas disparu. À Moscou, sur la place Rouge, le mausolée de Lénine, toujours en place, symbolise cette résistance de l’ordre soviétique. Imaginons un instant une Allemagne gouvernée par d’anciens gauleiters nazis, se gargarisant de slogans démocratiques et entretenant le mausolée d’Hitler au centre de Berlin. Zbigniew Brzezinski (“Le Grand Echiquier”, 1997)
Imagine-t-on qu’après les accords de Münich, la France ait vendu des bombardiers à la Wehrmacht et qu’elle ait entrainé sur son sol les officiers du Reich ? Et pourtant nous avons construit des porte-hélicoptères Mistral pour la Russie quelques mois après l’amputation de la Géorgie, alors que le comportement de plus en agressif du Kremlin sautait aux yeux. Françoise Thom
Entre 2015 et 2020, malgré l’escalade militaire avec l’Ukraine, la France a discrètement équipé l’armée de Vladimir Poutine avec des technologies militaires dernier cri. Du matériel qui a contribué à moderniser les forces terrestres et aériennes de la Russie, et qui pourraient aujourd’hui être utilisées dans la guerre en Ukraine. D’après des documents « confidentiel-défense » obtenus par Disclose et des informations en sources ouvertes, la France a délivré au moins 76 licences d’exportation de matériel de guerre à la Russie depuis 2015. Montant total de ces contrats : 152 millions d’euros, comme l’indique le dernier rapport au Parlement sur les exportations d’armement, sans toutefois préciser le type de matériel livré. Selon notre enquête, ces exportations concernent essentiellement des caméras thermiques destinées à équiper plus de 1 000 tanks russes, ainsi que des systèmes de navigation et des détecteurs infrarouges pour les avions de chasse et les hélicoptères de combat de la force aérienne russe. Principaux bénéficiaires de ces marchés : les sociétés Thales et Safran, dont l’Etat français est le premier actionnaire. Pourtant, l’Union européenne impose depuis le 1er août 2014 un embargo sur les armes à destination de la Russie. Une décision qui fait suite à l’annexion de la Crimée, en février 2014, à l’auto proclamation des républiques séparatistes pro-russes de Louhansk et Donetsk deux mois plus tard, et au crash d’un Boeing 777 abattu par un missile russe en juillet de la même année. En 2015, sous pression de ses partenaires européens et des Etats-Unis, le président François Hollande avait fini par annuler la vente de deux navires Mistral à la Russie. Mais d’autres livraisons, moins visibles, vont se poursuivre. Les gouvernements de François Hollande puis d’Emmanuel Macron ont profité d’une brèche dans l’embargo européen : il n’est pas rétroactif. En clair, les livraisons liées à des contrats signés avant l’embargo peuvent être maintenues. Ce que confirme à Disclose la Commission européenne, en rappelant néanmoins que ces exportations sont censées respecter « la position commune de 2008 ». Celle-ci stipule que les Etats membres doivent refuser les exportations d’armement dès lors qu’elles peuvent provoquer ou prolonger un conflit armé. Un risque bien présent en Ukraine. Or, depuis 2014, ni François Hollande ni son successeur n’ont mis fin aux livraisons d’armement à la Russie. Un paradoxe, alors qu’Emmanuel Macron s’active depuis des années sur la scène internationale pour privilégier la voie diplomatique en Ukraine, plutôt que celle des armes. En 2007, Thales signe un premier contrat avec la Russie pour la vente de caméras thermiques baptisées « Catherine FC ». Puis un second, en 2012, pour l’exportation de 121 caméras « Catherine XP » – un autre modèle de la gamme – destinées à « l’armée de terre russe », comme l’indique une note de mai 2016 du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) que Disclose s’est procurée. Selon nos informations, 55 caméras Catherine XP ont encore été livrées à la Russie en 2019. Intégrée au système de visée d’un char d’assaut, la caméra Catherine permet de détecter des cibles humaines en pleine nuit ou de repérer un véhicule dans un rayon de dix kilomètres. L’avantage, selon la communication de Thales :« Etre le premier à ouvrir le feu. » (…) L’industrie de l’armement française équipe aussi l’armée de l’air russe. Sans qu’à aucun moment le gouvernement français ne se soit inquiété de moderniser la flotte des bombardiers de Poutine. Selon nos informations, depuis un contrat signé en 2014, avec des livraisons qui se sont étalées jusqu’en 2018, le groupe Thales a doté 60 avions de chasse Soukhoï SU-30 de son système de navigation TACAN, son écran vidéo SMD55S et son viseur dernier cri HUD. Ces avions de combat, qui ont déjà tué des dizaines de milliers de civils en Syrie, bombardent l’Ukraine nuit et jour depuis février. Des SU-30 ont ainsi été filmés en train de survoler la région de Soumy, au nord-est de l’Ukraine, ou à Mykolaïv et à Tchernihiv, le 5 mars, après avoir été abattus par la défense ukrainienne. Le géant de l’aéronautique a aussi livré son système de navigation TACAN pour équiper certains avions de chasse Mig-29 – à ce stade, nous n’avons pas été en mesure de documenter l’emploi de Mig-29 en Ukraine, ainsi qu’une vingtaine de casques Topowl, dotés d’écrans infrarouges et de jumelles destinés aux pilotes russes, selon le site russe Topwar. Les Mig-29 et les SU-30 sont également munis d’un système de navigation livré par Safran à partir de 2014 : le Sigma 95N. Cette technologie permet aux pilotes de l’armée de l’air russe de se localiser sans avoir recours aux satellites américains ou européens. (…) Pour traquer des cibles en pleine nuit, ces hélicoptères militaires peuvent aussi compter sur un système d’imagerie infrarouge produit par Safran, comme l’a révélé le site d’investigation EU observer, en 2015. Une société détenue par Thales et Safran a aussi profité de l’appétit militaire de Vladimir Poutine pour lui vendre des caméras infrarouges. La société Sofradir, c’est son nom, a signé un contrat de 5,2 millions d’euros avec la Russie, en octobre 2012. Quatre ans plus tard, d’après la note « confidentiel-défense » de la SGDSN citée plus haut, Sofradir devait encore livrer « 258 détecteurs infrarouges » à une société russe de défense. Contacté par Disclose, le groupe Safran assure respecter « scrupuleusement la réglementation française et européenne » et ne plus fournir « d’équipements, de composants, de soutien ou de prestations de maintenances à la Russie » depuis l’embargo européen de 2014. Thales n’a pas répondu à nos questions. Pas plus que le gouvernement, qui n’a réagi que plusieurs heures après la publication de l’enquête, sur Twitter. Le porte-parole du ministère des armées, Hervé Grandjean, reconnait que « la France a permis l’exécution de certains contrats passés depuis 2014 ». Il ajoute : « Aucune livraison n’a été effectuée à la Russie depuis le début de la guerre en Ukraine. » En décidant de poursuivre ces livraisons à la Russie au moins jusqu’en 2020, la France a donné un atout militaire de plus à Vladimir Poutine, dont l’armée est déjà en supériorité numérique face aux Ukrainiens. Un soutien embarrassant à celui que le ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a qualifié, au déclenchement de la guerre, de « dictateur ». Disclose
La propagande russe présente la Russie comme un État menacé qui a besoin de toute urgence de « garanties de sécurité » de la part de l’Occident. (…) [Mais] il y a actuellement plus d’ogives nucléaires stockées en Russie que dans l’ensemble des trois États membres de l’OTAN dotés d’armes nucléaires : les États-Unis, le Royaume-Uni et la France. Moscou dispose d’un large éventail de vecteurs pour ses milliers d’armes nucléaires : des missiles balistiques intercontinentaux aux bombardiers de longue portée en passant par les sous-marins nucléaires. La Russie possède l’une des trois armées conventionnelles les plus puissantes du monde, ainsi qu’un droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU. La Fédération de Russie est donc l’un des États les plus protégés du monde sur le plan militaire. Le Kremlin utilise des troupes régulières et irrégulières, ainsi que le potentiel de sa menace nucléaire, pour mener diverses guerres et occuper de manière permanente plusieurs territoires dans les anciennes Républiques soviétiques. Non seulement en Europe orientale, mais aussi en Europe occidentale et sur d’autres continents, le Kremlin revendique sans complexe des droits spéciaux pour faire valoir ses intérêts sur le territoire d’États souverains. Contournant les règles, les traités et les organisations internationales, Moscou chasse des ennemis dans le monde entier. Le Kremlin tente de saper les processus électoraux, l’État de droit et la cohésion sociale dans des pays étrangers par des campagnes de propagande, des fake news et des attaques de pirates informatiques, entre autres. Ces agissements sont réalisés en partie en secret, mais dans le but évident d’entraver ou de discréditer la prise de décision démocratique dans les États pluralistes. Il s’agit en particulier de porter atteinte à l’intégrité politique et territoriale des États post-soviétiques en voie de démocratisation. En tant que première puissance économique d’Europe, l’Allemagne observe ces activités d’un œil critique, mais reste largement passive, depuis maintenant trois décennies. (…) En outre, la politique étrangère et la politique économique de Berlin ont contribué à l’affaiblissement politique et économique des pays d’Europe orientale non dotés d’armes nucléaires et au renforcement géo-économique d’une superpuissance nucléaire de plus en plus expansive. En 2008, l’Allemagne a joué un rôle central pour empêcher la Géorgie et l’Ukraine de rejoindre l’OTAN. (…) Pour les relations ukraino-russes déjà fragiles, la mise en service du premier gazoduc Nord Stream en 2011-2012, totalement superflu en termes énergétiques et économiques, a été une catastrophe. Rétrospectivement, cela semble avoir ouvert la voie à l’invasion de l’Ukraine par la Russie deux ans plus tard. Une grande partie de la capacité existante de transport de gaz entre la Sibérie et l’UE n’a pas été utilisée en 2021. Pourtant, la République fédérale se prépare maintenant à éliminer complètement le dernier levier économique de l’Ukraine sur la Russie avec l’ouverture du gazoduc Nord Stream 2 (…) L’attaque de Poutine contre l’Ukraine en 2014 apparaît comme une conséquence presque logique de la passivité politique allemande des vingt années précédentes vis-à-vis du néo-impérialisme russe. (…) Le Kremlin remet désormais aussi en question la souveraineté politique de pays comme la Suède et la Finlande. Il demande l’interdiction d’une éventuelle adhésion à l’OTAN non seulement pour les pays post-soviétiques mais aussi pour les pays scandinaves. Le Kremlin fait peur à toute l’Europe en lui promettant des réactions « militaro-techniques » au cas où l’OTAN ne répondrait pas « immédiatement », selon Poutine, aux exigences démesurées de la Russie visant à réviser l’ordre de sécurité européen. La Russie brandit la menace d’une escalade militaire si elle n’obtient pas de « garanties de sécurité », c’est-à-dire l’autorisation pour le Kremlin de suspendre le droit international en Europe. (…) Les crimes perpétrés par l’Allemagne nazie sur le territoire de l’actuelle Russie en 1941-1944 ne peuvent justifier l’attitude réservée de l’Allemagne d’aujourd’hui face au revanchisme et au nihilisme juridique international du Kremlin. Lettre ouverte de 73 experts allemands (Die Zeit, 14 janvier 2022)La propagande russe présente la Russie comme un État menacé qui a besoin de toute urgence de « garanties de sécurité » de la part de l’Occident. (…) [Mais] il y a actuellement plus d’ogives nucléaires stockées en Russie que dans l’ensemble des trois États membres de l’OTAN dotés d’armes nucléaires : les États-Unis, le Royaume-Uni et la France. Moscou dispose d’un large éventail de vecteurs pour ses milliers d’armes nucléaires : des missiles balistiques intercontinentaux aux bombardiers de longue portée en passant par les sous-marins nucléaires. La Russie possède l’une des trois armées conventionnelles les plus puissantes du monde, ainsi qu’un droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU. La Fédération de Russie est donc l’un des États les plus protégés du monde sur le plan militaire. Le Kremlin utilise des troupes régulières et irrégulières, ainsi que le potentiel de sa menace nucléaire, pour mener diverses guerres et occuper de manière permanente plusieurs territoires dans les anciennes Républiques soviétiques. Non seulement en Europe orientale, mais aussi en Europe occidentale et sur d’autres continents, le Kremlin revendique sans complexe des droits spéciaux pour faire valoir ses intérêts sur le territoire d’États souverains. Contournant les règles, les traités et les organisations internationales, Moscou chasse des ennemis dans le monde entier. Le Kremlin tente de saper les processus électoraux, l’État de droit et la cohésion sociale dans des pays étrangers par des campagnes de propagande, des fake news et des attaques de pirates informatiques, entre autres. Ces agissements sont réalisés en partie en secret, mais dans le but évident d’entraver ou de discréditer la prise de décision démocratique dans les États pluralistes. Il s’agit en particulier de porter atteinte à l’intégrité politique et territoriale des États post-soviétiques en voie de démocratisation. En tant que première puissance économique d’Europe, l’Allemagne observe ces activités d’un œil critique, mais reste largement passive, depuis maintenant trois décennies. (…) En outre, la politique étrangère et la politique économique de Berlin ont contribué à l’affaiblissement politique et économique des pays d’Europe orientale non dotés d’armes nucléaires et au renforcement géo-économique d’une superpuissance nucléaire de plus en plus expansive. En 2008, l’Allemagne a joué un rôle central pour empêcher la Géorgie et l’Ukraine de rejoindre l’OTAN. (…) Pour les relations ukraino-russes déjà fragiles, la mise en service du premier gazoduc Nord Stream en 2011-2012, totalement superflu en termes énergétiques et économiques, a été une catastrophe. Rétrospectivement, cela semble avoir ouvert la voie à l’invasion de l’Ukraine par la Russie deux ans plus tard. Une grande partie de la capacité existante de transport de gaz entre la Sibérie et l’UE n’a pas été utilisée en 2021. Pourtant, la République fédérale se prépare maintenant à éliminer complètement le dernier levier économique de l’Ukraine sur la Russie avec l’ouverture du gazoduc Nord Stream 2 (…) L’attaque de Poutine contre l’Ukraine en 2014 apparaît comme une conséquence presque logique de la passivité politique allemande des vingt années précédentes vis-à-vis du néo-impérialisme russe. (…) Le Kremlin remet désormais aussi en question la souveraineté politique de pays comme la Suède et la Finlande. Il demande l’interdiction d’une éventuelle adhésion à l’OTAN non seulement pour les pays post-soviétiques mais aussi pour les pays scandinaves. Le Kremlin fait peur à toute l’Europe en lui promettant des réactions « militaro-techniques » au cas où l’OTAN ne répondrait pas « immédiatement », selon Poutine, aux exigences démesurées de la Russie visant à réviser l’ordre de sécurité européen. La Russie brandit la menace d’une escalade militaire si elle n’obtient pas de « garanties de sécurité », c’est-à-dire l’autorisation pour le Kremlin de suspendre le droit international en Europe. (…) Les crimes perpétrés par l’Allemagne nazie sur le territoire de l’actuelle Russie en 1941-1944 ne peuvent justifier l’attitude réservée de l’Allemagne d’aujourd’hui face au revanchisme et au nihilisme juridique international du Kremlin. Lettre ouverte de 73 experts allemands (Die Zeit, 14 janvier 2022)
L’Otan du futur doit se concentrer sur le terrorisme et l’immigration, ainsi que sur les menaces de la Russie sur les frontières est et sud de l’Otan. (…) Des milliers et des milliers de personnes se répandent dans nos différents pays et se dispersent, et dans de nombreux cas, nous ne savons pas qui elles sont. Nous devons être durs, nous devons être forts et nous devons être vigilants. C’est pour ces mêmes raisons que j’ai été très, très direct avec le secrétaire Stoltenberg et les membres de l’Alliance, quand je leur ai dit qu’ils devaient enfin payer leur part et respecter leurs obligations financières. 23 des 28 nations membres ne payent toujours pas ce qu’elles devraient payer. C’est injuste envers les contribuables américains. Président Trump (2017)
Nous protégeons l’Allemagne, et c’est des mauvais payeurs. Cela n’a pas de sens. Alors, j’ai dit, « nous allons ramener le nombre à 25 000 soldats ». Et ils nous traitent très mal sur le commerce.  Président Donal Trump
Bonjour tout le monde. Bonjour aux médias – les médias légitimes et les faux médias. Bonjour à tous les deux. Beaucoup de gens bien  ici. Surprenant. (…) Il suffit de regarder le tableau. Jetez un œil au tableau. C’est public. Et de nombreux pays ne paient pas ce qu’ils devraient. Et, franchement, de nombreux pays nous doivent une énorme somme d’argent depuis de nombreuses années, où ils nous sont débiteurs, en ce qui me concerne, parce que les États-Unis ont dû payer pour eux. Donc, si vous revenez 10 ou 20 ans en arrière, vous additionnez tout cela. Ce sont des sommes énormes qui sont dues. Les États-Unis ont payé et intensifié comme personne. Cela dure depuis des décennies, cela dit en passant. Cela a duré sous de nombreux présidents. Mais aucun autre président n’en a parlé comme moi. Il faut donc faire quelque chose, et le secrétaire général y a travaillé très dur. Cette année, depuis notre dernière réunion, des engagements ont été pris pour plus de 40 milliards de dollars supplémentaires dépensés par d’autres pays. C’est donc un pas, mais c’est un tout petit pas. Cela ressemble à beaucoup d’argent – et c’est le cas – mais c’est une très petite somme d’argent par rapport à ce qu’ils doivent et à ce qu’ils devraient payer. Et c’est un fardeau injuste pour les États-Unis. Nous sommes donc ici pour en parler, et je suis sûr que ce sera résolu. J’ai une grande confiance en le Secrétaire Général. Il a travaillé très, très dur là-dessus, et il sait que c’est un fait. Mais j’ai une grande confiance en lui et en ses représentants. (…) Je pense que c’est très triste quand l’Allemagne conclut un énorme accord pétrolier et gazier avec la Russie, où vous êtes censé vous protéger contre la Russie, et que l’Allemagne sort et paie des milliards et des milliards de dollars par an à la Russie. Nous protégeons donc l’Allemagne. Nous protégeons la France. Nous protégeons tous ces pays. Et puis de nombreux pays vont conclure un accord de gazoduc avec la Russie, où ils versent des milliards de dollars dans les coffres de la Russie. Nous sommes donc censés vous protéger contre la Russie, mais ils versent des milliards de dollars à la Russie, et je pense que c’est très inapproprié. Et l’ancien chancelier d’Allemagne est à la tête de la société de gazoduc qui fournit le gaz. En fin de compte, l’Allemagne aura près de 70 % de son pays contrôlé par la Russie avec du gaz naturel. Alors, dites-moi, est-ce normal ? (…) Je m’en suis plaint depuis que je suis entré. Cela n’aurait jamais dû être autorisé. Mais l’Allemagne est totalement contrôlée par la Russie, car elle obtiendra de 60 à 70 % de son énergie de la Russie et d’un nouveau gazoduc. Et vous me dites si c’est normal, parce que je pense que ce n’est pas le cas, et je pense que c’est une très mauvaise chose pour l’OTAN et je ne pense pas que cela aurait dû arriver. Et je pense que nous devons en parler avec l’Allemagne. En plus de cela, l’Allemagne ne paie qu’un peu plus de 1 %, alors que les États-Unis, en chiffres réels, paient 4,2 % d’un PIB beaucoup plus important. Donc je pense que c’est inapproprié aussi. Vous savez, nous protégeons l’Allemagne ; nous protégeons la France ; nous protégeons tout le monde, et pourtant nous payons beaucoup d’argent pour protéger. Or, cela dure depuis des décennies. Cela a été soulevé par d’autres présidents. Mais d’autres présidents n’ont jamais rien fait à ce sujet parce que je ne pense pas qu’ils l’aient compris ou qu’ils ne voulaient tout simplement pas s’impliquer. Mais je dois en parler, car je pense que c’est très injuste pour notre pays. C’est très injuste pour notre contribuable. Et je pense que ces pays doivent augmenter leur contribution non pas sur une période de 10 ans ; ils doivent le faire immédiatement. L’Allemagne est un pays riche. Ils disent qu’ils vont l’augmenter un peu d’ici 2030. Eh bien, ils pourraient l’augmenter immédiatement demain et n’avoir aucun problème. Je ne pense pas que ce soit juste pour les États-Unis. Alors il va falloir faire quelque chose parce qu’on ne va pas le supporter. Nous ne pouvons pas supporter ça. Et c’est anormal. Nous devons donc parler des milliards et des milliards de dollars qui sont versés au pays contre lequel nous sommes censés vous protéger. Vous savez, tout le monde est — tout le monde en parle partout dans le monde. Ils diront, eh bien, attendez une minute, nous sommes censés vous protéger de la Russie, mais pourquoi payez-vous des milliards de dollars à la Russie pour l’énergie ? Pourquoi les pays de l’OTAN, à savoir l’Allemagne, ont-ils un grand pourcentage de leurs besoins énergétiques payés, vous savez, à la Russie et pris en charge par la Russie ? Maintenant, si vous regardez cela, l’Allemagne est prisonnière de la Russie parce qu’elle fournit — elle s’est débarrassée de ses centrales au charbon. Ils se sont débarrassés de leur nucléaire. Ils obtiennent une grande partie du pétrole et du gaz de la Russie. Je pense que c’est quelque chose que l’OTAN doit examiner. Je pense que c’est très anormal. Vous et moi avons convenu que c’était anormal. Je ne sais pas ce que vous pouvez faire à ce sujet maintenant, mais cela ne semble certainement pas logique qu’ils aient payé des milliards de dollars à la Russie et maintenant nous devons les défendre contre la Russie. (…) Comment pouvez-vous être ensemble quand un pays tire son énergie de la personne contre laquelle vous voulez être protégé ou du groupe dont vous voulez être protégé ? (…) Cous ne faites que rendre la Russie plus riche. Vous ne traitez pas avec la Russie. Vous rendez la Russie plus riche. (…) Je pense que le commerce est merveilleux. Je pense que l’énergie est une toute autre histoire. Je pense que l’énergie est une histoire très différente du commerce normal. Et vous avez un pays comme la Pologne qui n’accepte pas le gaz [russe]. Vous jetez un coup d’œil à certains pays – ils ne l’accepteront pas, car ils ne veulent pas être captifs de la Russie. Mais l’Allemagne, en ce qui me concerne, est captive de la Russie, car elle tire une grande partie de son énergie de la Russie. Nous sommes donc censés protéger l’Allemagne, mais ils tirent leur énergie de la Russie. Expliquez-moi ça. Et cela ne peut pas être expliqué  et vous le savez. Président Trump (Petit-déjeuner de travail bilatéral de l’OTAN, Bruxelles, 11 juillet 2018)
L’Amérique est gouvernée par les Américains. Nous rejetons l’idéologie du mondialisme et nous embrassons la doctrine du patriotisme. Partout dans le monde, les nations responsables doivent se défendre contre les menaces à la souveraineté non seulement de la gouvernance mondiale, mais aussi d’autres nouvelles formes de coercition et domination. En Amérique, nous croyons fermement en la sécurité énergétique pour nous-mêmes et pour nos alliés. Nous sommes devenus le plus grand producteur d’énergie de la surface de la Terre. Les États-Unis sont prêts à exporter notre approvisionnement abondant et abordable de pétrole, de charbon propre et de gaz naturel. L’OPEP et les nations de l’OPEP, comme d’habitude, arnaquent le reste du monde, et je n’aime pas ça. Personne ne devrait aimer ça. Nous défendons beaucoup de ces nations pour rien, et ensuite ils en profitent. Nous voulons qu’ils arrêtent d’augmenter les prix, nous voulons qu’ils commencent à baisser les prix, et ils doivent désormais contribuer substantiellement à la protection militaire. Nous n’allons pas supporter ça – ces horribles prix — beaucoup plus longtemps. Le recours à un seul fournisseur étranger peut rendre un pays vulnérable à l’extorsion et à l’intimidation. C’est pourquoi nous félicitons les États européens, comme la Pologne, d’avoir dirigé la construction d’un gazoduc baltique afin que les nations ne dépendent pas de la Russie pour répondre à leurs besoins énergétiques. L’Allemagne deviendra totalement dépendante de l’énergie russe si elle ne change pas immédiatement de cap. Ici, dans l’hémisphère occidental, nous nous engageons à maintenir notre indépendance face à l’empiètement des puissances étrangères expansionnistes. Président Trump (ONU, New York, septembre 2018)
J’ai moi-même vécu dans une partie de l’Allemagne occupée par l’Union soviétique. Je suis très heureuse que nous soyons aujourd’hui unis, dans la liberté. Angela Merkel

Rira bien qui rira le dernier !

A l’heure où sous les yeux de nos caméras, l’un des deux derniers régimes à n’avoir toujours pas eu droit à son procès de Nuremberg pour leurs quelque 100 millions de victimes

Et de ce fait, incapable de faire son deuil d’empire

Le régime kleptocratique de Poutine poursuit sa destruction du peuple ukrainien

Profitant, sans compter l’étrange hémiplégie des plus perspicaces d’entre nous, de l’incroyable faiblesse d’un président américain

Qui après la débâcle militaire afghane et l’arrêt de toute nouvelle production de gaz et de pétrole aux Etats-Unis mêmes …

Comme de la levée des sanctions sur le gazoduc russo-allemand

Annonce enfin l’arrêt de ses faibles importations de pétrole russe

Tout en appelant à un nouvel accord nucléaire avec l’Etat-voyou iranien

Qui sous prétexte de libérer sa production pétrolière ….

Va lui permettre, avant sa sanctuarisation nucléaire, de relancer ses activités terroristes dans tout le Moyen-orient …

Comment ne pas repenser du côté européen …

Comme l’illustre étrangement bien sept ans après la série norvégienne « Occupied » actuellement sur Netflix …

Sans compter la France qui profitant d’une brèche dans les sanctions internationales a continué à moderniser, à coups de contrats déjà signés, l’armée russe pendant six ans après l’annexion de la Crimée …

A ces décennies d’apaisement et de compromissions …

Dont l’actuel emballement, entre interdiction contreproductive de médias russes et censure imbécile d’un cours sur Dostoievski,  dans la juste condamnation n’est que l’envers tout aussi mimétique …

Largement compensé néanmoins par la diffusion sur des chaines de télévision publiques à des heures de grande écoute par des publi-reportages à la gloire de Poutine

Après n’avoir cessé d’affaiblir la pauvre Ukraine …

A l’image d’une Allemagne qui après avoir profité du parapluie américain depuis plus de 70 ans pour accumuler les excédents commerciaux …

Tout en refusant l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN …

Et lui imposant des accords inacceptables

A poussé la provocation jusqu’à construire non pas un mais deux gazoducs largement inutiles privant cette dernière de son dernier levier économique sur la Russie …

Mais comment ne pas repenser aussi à ces paroles, rétrospectivement si prophétiques, du président Trump tout au long de son mandat …

Qui avait alors provoqué, de la part de nos médias comme de nos responsables politiques, tant les condamnations que les moqueries …

Jusqu’à la délégation allemande à l’ONU un certain jour de septembre il y a quatre ans ?

FLASHBACK: Trump Warned UN About Relying On Russian Oil, Was Laughed At By German Delegation

Brianna Lyman
The Daily Caller

The German delegation appeared to laugh at former President Donald Trump during a 2018 United Nations (U.N.) speech in which the president warned about relying on Russian oil.

While speaking at the 73rd U.N. General Assembly, Trump criticized Germany for relying on Russian oil exports.

“Reliance on a single foreign supplier can leave a nation vulnerable to extortion and intimidation. That is why we congratulate European states, such as Poland, for leading the construction of a Baltic pipeline so that nations are not dependent on Russia to meet their energy needs,” Trump said. “Germany will become totally dependent on Russian energy if it does not immediately change course.”

“Here in the Western Hemisphere, we are committed to maintaining our independence from the encroachment of expansionist foreign powers,” Trump continued as the camera then panned to the German delegation, who appeared to be laughing.

Trump made similar comments warning about Germany’s energy dependence during a 2018 meeting with German and NATO leaders.

“It’s very sad when Germany makes a massive oil and gas deal with Russia,” Trump said. “Where, you’re supposed to be guarding against Russia and Germany goes out and pays billions and billions of dollars a year to Russia. So we’re supposed to protect you against Russia, but they’re paying billions of dollars to Russia, and I think that’s very inappropriate.”

“Germany is totally controlled by Russia because they will be getting 60-70% of their energy from Russia and a new pipeline, and you tell me if that’s appropriate, and I think it’s not,” he said while addressing NATO Secretary General Jens Stoltenberg.

Trump approved sanctions to deter the completion of the Nord Stream 2 pipeline, which would allow Russia to bypass Ukraine to get gas to Europe and served as a major geopolitical win for Russian President Vladimir Putin.

Upon taking office, President Joe Biden revoked the sanctions, only recently putting them back in place following Russia’s invasion of Ukraine.

Voir aussi:

FLASHBACK: Trump Ripped Germany’s Cozy Relationship With Russia To The NATO General Secretary’s Face

Anders Hagstrom

Former President Donald Trump ripped Germany’s cozy relationship with Russia in 2018, a relationship some argue contributed to Russia’s decision to invade Ukraine.

Numerous current and former German officials have stated that their efforts to create a “special relationship” with Russia since 2014 was a mistake and that Germany’s Russia policy is now in “ruins.” Trump warned Germany that its relationship with Russia could turn sour during a 2018 meeting with German and NATO leaders.

“It’s very sad when Germany makes a massive oil and gas deal with Russia. Where, you’re supposed to be guarding against Russia and Germany goes out and pays billions and billions of dollars a year to Russia,” Trump said at the time. “So we’re supposed to protect you against Russia, but they’re paying billions of dollars to Russia, and I think that’s very inappropriate.”

“Germany is totally controlled by Russia because they will be getting 60-70% of their energy from Russia and a new pipeline, and you tell me if that’s appropriate, and I think it’s not,” he said, addressing NATO Secretary General Jens Stoltenberg.

Trump maintained a critical tone against Germany throughout his presidency, accusing the country of “delinquency” in its NATO payments in 2020.

Germany, Hungary and Italy have reportedly stood in the way of the U.S. and NATO imposing the most stringent sanctions against Russia for its invasion of Ukraine this week. President Joe Biden alluded to the situation Thursday, saying that removing Russia from the international SWIFT banking system “is not a position that the rest of Europe wishes to take.”

Germany has since halted the certification of the Nord Stream 2 pipeline from Russia to Germany following Russian President Vladimir Putin’s decision to move forward with a full-scale invasion of Ukraine.

Biden also announced that the U.S. would sanction Putin personally Friday, one day after reporters pressed the White House on why it hadn’t already taken the step.

Russia carried out coordinated airstrikes on Ukrainian military bases across the country beginning Thursday morning. Ukrainian President Volodymyr Zelensky gave a general call-to-arms to his citizens Thursday, saying the government will provide weapons.

“We will give weapons to anyone who wants to defend the country,” Zelensky tweeted early Thursday. “Be ready to support Ukraine in the squares of our cities.”

Biden’s Thursday sanctions package included blocks on technology exports to Russia, as well as sanctions against four major Russian banks, among other measures.

While the U.S. has ruled out deploying troops directly to Ukraine, Biden has increased the number of U.S. troops in NATO countries near Russia. Biden has threatened that if Putin goes beyond Ukraine and invades a NATO country, Russia will face the full force of American power, a threat he reiterated Thursday.

Voir également:

Sommet de l’Otan : Trump épingle les mauvais payeurs

Le président des États-Unis a insisté sur la répartition du budget. Il a notamment dénoncé une injustice envers les contribuables américains.

Source AFP

Sommet de l’Otan : duel entre Donald Trump et Angela Merkel

VIDÉO. Le président américain a accusé Berlin d’être sous le joug de la Russie et de ne pas assez contribuer aux efforts militaires de l’organisation.Source AFP

  • François d’Alançon, envoyé spécial à Bruxelles
  • La Croix

Comment les alliés réagissent au grand chambardement du lien transatlantique orchestré par Donald Trump ? Le sommet de l’Otan, mercredi 11 et jeudi 12 juillet à Bruxelles, a donné un aperçu des stratégies de « coping », adoptées par les uns et les autres, pour maîtriser, réduire ou tolérer les imprécations du président américain, comparé par Robin Niblett, directeur du think tank britannique Chatham House, à un parrain mafieux extorquant des concessions commerciales en échange d’une protection.

Mis sous pression sur la question du partage du fardeau financier, les alliés ont évité de s’opposer frontalement à Donald Trump, certains exhibant leurs efforts quand d’autres faisaient profil bas. Toujours pas satisfait, le président a proposé aux alliés de fixer un nouvel objectif de dépenses militaires à 4 % du PIB. « Chacun s’est demandé s’il était sérieux », a affirmé le président bulgare Roumen Radev. « L’Otan n’est pas un marché où l’on peut acheter la sécurité. » Dans un tweet, Donald Trump a ensuite exigé le respect immédiat de l’objectif des 2 % du PIB, et non en 2024, comme les pays de l’Alliance l’avaient décidé lors d’un sommet en 2014.

Trump attaque Merkel

L’explosion a été presque instantanée, au cours d’un petit-déjeuner de travail à l’ambassade des États-Unis. Donald Trump s’y est livré à un exercice de communication très calculé, tirant à boulets rouges sur sa cible favorite, Angela Merkel, en présence du secrétaire général de l’Alliance Jens Stoltenberg et sous l’œil des caméras des chaînes de télévision américaines. « L’Allemagne est totalement contrôlée par la Russie. Ils tirent 60 % de leur énergie de la Russie, ils lui paient des milliards de dollars et nous devons les défendre contre la Russie. Ce n’est pas normal », a lâché le président américain, comme s’il voulait se dédouaner de toute complicité envers la Russie, à quatre jours de son sommet bilatéral avec Vladimir Poutine à Helsinki.

Cette attaque planifiée lui a également permis d’enfoncer un coin dans l’unité des Européens sur un dossier, – la dépendance énergétique vis-à-vis de Moscou – qui les divise. La Pologne, notamment, estime que l’Europe n’a pas besoin du gazoduc Nord Stream 2 qui vise à doubler d’ici à 2020 les livraisons directes de gaz en Allemagne à partir de la Russie, via la mer Baltique.

Toujours prudente, Angela Merkel a répondu sur un ton courtois mais ferme, laissant entendre qu’elle n’avait pas besoin de leçon sur la façon de traiter avec les régimes autoritaires, compte tenu de son expérience de l’Allemagne de l’Est. « J’ai moi-même vécu dans une partie de l’Allemagne occupée par l’Union soviétique, a déclaré la chancelière. Je suis très heureuse que nous soyons aujourd’hui unis, dans la liberté, en tant que République fédérale d’Allemagne. Nous pouvons par conséquent mener nos propres politiques, nous pouvons prendre des décisions indépendantes ».

La tension a baissé d’un cran au cours d’une rencontre bilatérale en marge du sommet. Visage fermé, Donald Trump a assuré, sans vraiment convaincre, avoir de « très bonnes relations » avec Angela Merkel qui s’est, elle-même, prudemment déclarée satisfaite de leurs échanges de vues.

Macron définit quatre priorités

Autre souffre-douleur de Donald Trump, le premier ministre canadien Justin Trudeau a tenté de se prémunir contre des réprimandes en annonçant que les Forces armées canadiennes commanderont dès l’automne prochain une mission d’entraînement militaire de l’Otan en Irak où le Canada déploiera 250 militaires et quatre hélicoptères.

Dans un registre différent, Emmanuel Macron s’est voulu le bon élève de la classe en définissant quatre priorités pour l’Alliance : la « crédibilité des moyens de défense collective », « l’efficacité dans la lutte contre le terrorisme et dans les opérations », « la modernité dans la gestion des ressources » de l’Otan et « l’unité ». Selon son entourage, le chef de l’État a appelé « à ne pas fragiliser l’Alliance », sachant qu’« un contexte plus incertain serait source de davantage de dépenses militaires ». Le président français a, lui aussi, eu droit à un entretien bilatéral avec Donald Trump. « Nous avons une relation formidable », a assuré son homologue américain.

Dans le rôle d’homme-orchestre, le secrétaire général de l’Otan Jens Stoltenberg s’est employé à arrondir les angles, en insistant sur la capacité de l’Alliance à prendre des décisions, attribuant à Donald Trump le mérite de l’augmentation des dépenses militaires des alliés, « 6 % en termes réels, en 2017 ». Les différends ont toujours existé au sein de l’Alliance plaide le Norvégien qui s’efforce de maintenir l’unité au sein d’une alliance fracturée entre un pôle autoritaire incarné par Donald Trump, Recep Tayyip Erdogan et Viktor Orban, avec l’appui de la Pologne, et un pôle libéral représenté par Theresa May, Angela Merkel, Justin Trudeau et Emmanuel Macron.

Jens Stoltenberg a, par ailleurs, mis l’accent sur la déclaration de vingt-cinq pages adoptée par les 29 pays membres qui dénonce notamment « les actions agressives de la Russie portant atteinte à l’ordre international fondé sur les règles », condamne son action déstabilisatrice dans l’est de l’Ukraine et son annexion de la Crimée et adopte une série de mesures pour renforcer la réactivité militaire de l’Alliance.

« Dans le monde de Trump, les alliés sont un fardeau »

Les alliés, en particulier les Européens, font-ils le bon choix en s’efforçant de répondre aux exigences de Donald Trump, un partenaire en chef qui prend un malin plaisir à les diviser et distribue bons et mauvais points, comme dans un épisode de The Apprentice, son ancienne émission de téléréalité ?

Rien n’est moins sûr. « Les Européens se considèrent comme des alliés de l’Amérique, ce qui les rend particulièrement vulnérables face à Trump », commente le politologue bulgare Ivan Krastev, président du Center for Liberal Strategies à Sofia. « Dans le monde de Trump, l’Amérique n’est pas une force de stabilité mais un perturbateur et les alliés sont un fardeau. Le défi pour les dirigeants européens est d’apprendre à vivre dans un monde où l’Amérique n’a pas d’alliés en investissant dans une capacité de défense européenne autonome plutôt que dépendre des États-Unis. Le plus grand risque pour l’Union européenne serait de devenir le gardien d’un statu quo qui a cessé d’exister. »

Voir par ailleurs:

L’Organisation du traité de l’Atlantique nord mourra-t-elle sous peu, à l’âge de 70 ans, de la main d’un président américain ? Donald Trump a tant critiqué l’OTAN que le sommet de Londres, les 3 et 4 décembre prochains, pourrait bien commencer son éloge funèbre. Surtout si le président sortant est réélu en 2020 à la magistrature suprême des États-Unis. La tentation serait alors forte, pour lui, de quitter l’organisation et de la remplacer par des alliances bilatérales rénovées. Et un retrait américain de l’OTAN précipiterait assurément l’agonie d’une organisation déclarée en « mort cérébrale » par Emmanuel Macron.

Quel paradoxe ! L’alliance militaire sortie victorieuse de la Guerre froide et de son affrontement avec le Pacte de Varsovie, dissous en 1991, redoutée et critiquée à Moscou, à Téhéran et à Pékin, risque d’être démantelée, de l’intérieur, par son promoteur historique, les États-Unis. Quelle est l’espérance de vie réelle de l’OTAN ? Est-elle promise à la mort tant de fois annoncée ? Ou bien sera-t-elle ressuscitée par la résurgence de la puissance militaire russe ?

Le réquisitoire de Donald Trump contre l’OTAN

En matière d’Alliance atlantique, Donald Trump fait preuve d’une cohérence bien rare. Ses critiques sont constantes. Durant la campagne électorale de 2016, sa première déclaration de politique étrangère a consisté en u netirade contre l’OTAN. Dans son discours au Center for National Interest du 27 avril 2016, il avait été explicite : la clé de voûte de son action, la priorité donnée aux États-Unis (« America First ! »), exige un désengagement à l’égard de l’OTAN.

Depuis, le président n’a pas déjugé le candidat. Déclaration après déclaration, tweet après tweet, le locataire de la Maison Blanche a fustigé l’organisation créée en 1949. Quels sont ses griefs envers une institution où les États-Unis détiennent les leviers de commandement, à commencer par le commandement militaire suprême, le poste de Commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR) ?

Le principal grief de Donald Trump est budgétaire et financier. Les États-Unis sont le principal contributeur au budget général de l’organisation : leur contribution directe au budget de l’OTAN s’est élevée en 2018 à plus de 22 %, devant l’Allemagne (14 %), la France (10 %) et le Royaume-Uni (9,8 %). Ils sont également le principal fournisseur d’effectifs militaires et civils. La présidence Trump estime que le fardeau est excessif pour les finances publiques américaines. L’effort de défense américain n’est selon elle payé que d’une ingratitude insigne de la part des alliés européens. En un mot, le retour sur investissement paraît trop faible au président-businessman.

La deuxième critique est d’ordre stratégique : les États-Unis de Donald Trump jugent l’OTAN obsolète. La raison d’être de l’Organisation était en effet la lutte contre l’URSS et le Pacte de Varsovie ainsi que le combat contre le communisme. Une fois ces ennemis disparus, l’Alliance a (désespérément) cherché d’autres missions : la principale a été d’intervenir militairement pour rétablir la paix en Bosnie (1995), au Kosovo (1999), en Afghanistan (2003) en solidarité avec les États-Unis pour répondre aux attentats du 11 septembre 2001, puis en Libye en 2011. Mais sa crise de vocation n’est aujourd’hui toujours pas surmontée. Pour Donald Trump, l’OTAN remplit très mal sa principale mission résiduelle, la seule qui vaille à ses yeux : non pas contenir la Russie mais lutter contre le terrorisme.

Un troisième grief essentiel tient à la transformation de la politique extérieure américaine par la présidence Trump : la critique du multilatéralisme ne concerne pas seulement le commerce, les droits de l’homme ou la non-prolifération nucléaire. Elle vise aussi les institutions de sécurité collective comme l’OSCE, l’ONU… et bien entendu l’OTAN. Le président américain a relancé les relations bilatérales en Europe au détriment des structures multilatérales. On le comprend : dans le face-à-face des relations bilatérales, le poids des États-Unis se fait bien mieux sentir que dans des formats multilatéraux ou ce poids est dilué, même s’il reste majeur.

Qu’elles soient tonitruantes ou modérées, les déclarations du président américain ont pour horizon un retrait de l’Alliance. Le réquisitoire viserait un arrêt de mort.

Chronique d’une mort (américaine) annoncée

Les Français aiment à brocarder les transgressions, les dérapages et les saillies du président américain en matière de politique étrangère. Toutefois, concernant l’OTAN, Donald Trump n’est pas profondément disruptif aux États-Unis.

Tout d’abord, le réquisitoire trumpien contre l’OTAN est la caisse de résonance d’un mouvement puissant, ancien et profond parmi les Républicains, qui sont nombreux à voir dans l’Alliance une entrave à la liberté d’action des États-Unis dans le monde. Les plus gaulliens des Français aiment à dépeindre l’OTAN comme un cheval de Troie américain en Europe. Pour bien des Américains, l’OTAN est plutôt une bride imposée à la puissance américaine par des coalitions d’États nettement plus faibles et beaucoup moins responsables stratégiquement. La revanche des nains militaires coalisés contre le géant stratégique américain, en quelque sorte.

La présidence Trump n’est même pas en rupture profonde avec les présidences précédentes malgré les déclarations de Bill Clinton et George Bush Jr. Au contraire, elle prolonge plusieurs critiques traditionnelles visant l’OTAN et les alliés des États-Unis. Le débat passe moins entre isolationnistes et interventionnistes ou entre néo-conservateurs et réalistes qu’entre ceux qui imaginent une vocation à l’OTAN et ceux qui la considèrent comme un fossile périmé. Ainsi, la présidence Clinton a artificiellement maintenu l’Alliance en vie pour l’adapter à la donne post-soviétique. Elle a abouti, en 1999 à la redéfinition du concept stratégique de l’OTAN vers des missions de maintien de la paix, de police des espaces maritimes et d’interventions humanitaires. La présidence Bush a utilisé le dispositif de solidarité entre alliés prévu par l’article 5 du Traité de Washington mais a été peu satisfaite de l’OTAN en raison du son fardeau budgétaire et de sa solidarité plus que limitée en Irak. Quant à la présidence Obama, elle a anémié l’Alliance en mettant en avant la nécessité d’un pivot vers l’Asie.

L’espérance de vie de l’OTAN paraît donc limitée dans la mesure où Donald Trump est loin d’être isolé dans sa posture de défiance à son égard.


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L’OTAN, un zombie régulièrement ressuscité

Le départ des États-Unis de l’OTAN est une dystopie redoutée par toute une partie de l’Europe – déjà imaginée dans la série Occupied comme je l’avais souligné sur The Conversation. Dans cette excellente fiction produite par Arte, le retrait américain de l’OTAN créait un appel d’air pour l’impérialisme russe en Norvège, pilier de l’Alliance en Arctique.

La mort de l’Alliance, tant de fois annoncée, n’est pourtant pas avérée. Plusieurs facteurs concourent à la maintenir en vie, bon an mal an.

Pour de nombreux États parties au traité de l’Atlantique nord, l’OTAN est tout à la fois la principale assurance vie et la colonne vertébrale de leur défense nationale. C’est tout particulièrement le cas des États ayant rejoint l’Alliance après la fin de l’URSS et qui redoutent de retomber dans la sphère d’influence russe. Dans les documents tenant lieu de Livre Blanc de la défense de la Pologne, de la Roumanie et des États baltes mais aussi des Pays-Bas, de la Norvège et de l’Allemagne, la participation à l’Alliance atlantique apparaît comme la raison d’être de l’action des forces armées. Agir en coalition avec l’OTAN et s’intégrer dans ses structures de commandement est le mode normal de ces États en matière militaire.

N’oublions pas à Paris que l’OTAN est également l’horizon stratégique et une véritable Terre promise stratégique pour plusieurs États directement exposés aux nouveaux risques géopolitiques : l’Ukraine et la Géorgie font de l’adhésion à l’Organisation leur objectif diplomatique et militaire cardinal à l’instar du Monténégro, intégré il y a peu.

Des forces de rappel essentielles agissent aussi aux États-Unis eux-mêmes. Pour les industries de défense américaines et donc pour la base industrielle et technologique de défense du pays, l’OTAN constitue un atout commercial essentiel. Pour s’intégrer techniquement dans les actions en coalition et pour solidifier leurs relations avec les États-Unis, plusieurs États membres ou partenaires de l’Alliance ont fait le choix d’équipements américains. Ainsi, la Pologne, la Roumanie et la Suède ont choisi de se procurer des systèmes de défense anti-aérienne Patriot. De même, l’achat d’avions de chasse F35 apparaît comme la garantie d’un soutien américain au sein de l’OTAN.

L’OTAN se trouve aujourd’hui dans une situation clinique bien difficile à définir : d’une part, elle a survécu à sa crise de vocation issue de la Guerre froide en se (re)trouvant un nouvel ennemi dans la Russie. C’est une cure de jeunesse précaire. Mais, d’autre part, elle est critiquée par son principal pilier, les États-Unis, qui menacent de lui couper les vivres. Aujourd’hui, l’organisation a tout d’un zombie de série B : elle est régulièrement mise en pièces, y compris par les administrations présidentielles américaines. Mais elle est incapable de mourir, régulièrement revivifiée par la résurgence de menaces sur la scène internationale. Et par l’incapacité européenne à se doter d’une solution de remplacement.

Voir aussi:

La série « Occupied », une dystopie européenne ?
Cyrille Bret, Géopoliticien et philosophe, Sciences Po

La Conversation

24 mai 2019

A quelques semaines des élections européennes, du 23 au 26 mai 2019, il est particulièrement plaisant et stimulant de voir (ou de revoir) la série Occupied (Okkupert en norvégien) diffusée sur Arte depuis 2015. Cette production franco-suédo-norvégienne tend en effet un miroir bien sombre à l’Europe et à ses voisins sur leur futur proche.

Les géopoliticiens savent désormais que la culture populaire en général et les séries télévisées en particulier illustrent et façonnent les représentations collectives qui jouent un rôle essentiel dans les relations internationales. Depuis La Géopolitique des séries publiée par Dominique Moïsi en 2016, l’analyse géopolitique des séries télévisées a même gagné le grand public. De même que Homeland a révélé aux Américains plusieurs aspects inconnus ou occultés de la « global war on terror », de même, Occupied, diffusée peu après l’annexion de la Crimée par la Russie, peut avoir un effet de révélation sur eux-mêmes pour les Européens. Mais une dystopie est bien souvent l’envers d’une utopie… ou une utopie qui a mal tourné. Occupied n’est ni un réquisitoire radical contre l’Europe ni une déploration sur le sort de la Norvège.

Du cauchemar au réquisitoire

L’épisode inaugural de la série donne le ton. Conçu par le romancier norvégien Jo Nesbo, il plonge en quelques minutes le téléspectateur dans le cauchemar de la guerre hybride. Voici les éléments essentiels de cette exposition magistrale : dans un futur proche, les États-Unis ont quitté l’Alliance atlantique et se murent dans l’isolationnisme, comme les premières minutes de l’épisode nous l’apprennent. Les éléments se sont conjurés contre le Royaume de Norvège : le réchauffement climatique vient de produire inondations dans le pays, comme le montrent les images du générique. Ces événements ont conduit à l’élection de Jesper Berg au poste de premier ministre sur un programme de transition énergétique radicale : arrêter complètement la production et l’exportation d’hydrocarbures qui alimentent l’Europe et font la richesse du royaume. L’objectif est de remplacer toutes les énergies fossiles par des centrales au thorium.

Le décor géopolitique est planté : le futur de l’Europe est marqué par l’abandon d’États-Unis isolationnistes, par le retrait de l’OTAN et par une transition énergétique rendue drastique par les effets dévastateurs du réchauffement climatique. Les risques structurels inhérents à la présidence Trump constituent la donne géopolitique et géoéconomique de notre continent.

Toutefois, l’Union ne reste pas longtemps dans un statut de victime passive : au moment où il inaugure la grande centrale au thorium, le premier ministre Berg est enlevé par des forces spéciales russes et reçoit, lors de cet enlèvement, un avertissement vidéo de la part du commissaire européen français : la Norvège doit reprendre la production et l’exportation d’hydrocarbures vers l’Europe, faute de quoi, l’Union demandera à la Russie d’intervenir militairement en Norvège pour rétablir la production. Le tragique du dilemme est souligné par la violence physique : le commando russe assassine un civil norvégien sur son passage. L’engrenage qui structure la série s’enclenche alors : les forces armées russes s’engagent dans une occupation graduelle, l’Union européenne utilise la menace russe comme instrument de chantage, la population civile norvégienne hésite entre collaboration pour réduire les dommages et résistance armée… la Norvège sombre dans la guerre civile et dans un conflit international.

Les origines du cauchemar ne sont donc pas seulement exogènes à l’Europe : elles lui sont internes. C’est la soif de ressources naturelles de l’Europe qui la conduisent à fouler aux pieds le choix souverain des électeurs norvégiens et à sous-traiter la violence militaire envers le territoire du royaume. Victime du réchauffement climatique et de l’abandon américain, l’Europe est elle-même un prédateur écologique, politique et militaire. La dystopie révèle crûment les principaux chefs d’accusation brandis depuis des mois contre l’Europe : mépris pour les souverainetés nationales, politiques de voisinage cyniques, dépendance à l’égard des États-Unis, etc.

La série n’est toutefois pas seulement un réquisitoire contre l’Europe. Comme toutes les dystopies subtiles, elle évite le manichéisme et révèle les ambiguïtés.

L’Union européenne entre cynisme et revendication de puissance

À première vue, l’Union européenne d’Occupied est la caricature qu’en présentent ses détracteurs. Le Commissaire européen incarné par Hippolyte Girardot a tous les vices imputés à la construction européenne : soumis à une Chancelière allemande dont le nom n’est jamais prononcé, il exécute tous ses ordres destinés à répondre aux besoins de l’industrie allemande ; indifférent au sort d’une démocratie voisine et partenaire, il soumet le premier ministre norvégien à un chantage permanent ; ne visant que l’accroissement de son pouvoir, il utilise la violence militaire russe pour soumettre un État souverain. La suite de la série montre même qu’il n’a que peu d’égards pour l’intégrité physique des dirigeants avec lesquels il négocie. Technocratie hors sol et méprisante pour les souverainetés nationales et populaire, l’Union semble démasquée.

Toutefois, la série n’est pas seulement à charge. Si le téléspectateur surmonte le dégoût qu’il éprouve pour le personnage qui incarne l’Union, il peut découvrir une image inversée de l’Union actuelle où ses faiblesses chroniques ont trouvé leur remède. Régulièrement accusée d’idéalisme, de pacifisme et de naïveté, notamment par Hubert Védrine, l’Union européenne apparaît dans la série comme prête et capable de défendre ses intérêts vitaux. Soucieuse de défendre ses capacités industrielles et ses lignes d’approvisionnement en matière première, l’Union met en œuvre les attributs de la puissance sur la scène internationale en exerçant une pression diplomatique sur ses partenaires et ses voisins. Prenant acte de l’abandon américain, elle se refuse à nourrir la chimère d’une Pax Americana et sous-traite son action extérieure à la seule puissance militaire disponible, la Russie.

Concernant l’Union européenne, la dystopie d’Occupied pourrait bien en réalité répondre au souhait d’une Europe puissance. Reste à savoir si les Européens sont prêts à la promouvoir.

La Russie entre opportunisme et impérialisme

La figure de la Russie est elle aussi présentée sous une forme apparemment caricaturale : puissance militaire sans égard pour la vie humaine, imperium en reconstruction, elle n’hésite pas à déclencher des opérations clandestines pour occuper les plates-formes pétrolières norvégiennes, traquer les opposants à l’occupation jusque dans les rues d’Oslo et faire disparaître les résistants. L’ambassadrice russe à Oslo, incarnée par l’actrice Ingeborga Dapkūnaitė, rendue célèbre par Soleil trompeur de Mikhalkov, reprend avec brio ce mélange de froideur, de calcul, de dureté et de cruauté prêté au président russe (réel) dans les relations internationales. Exécutrice des basses œuvres de l’Union européenne, prise dans une spirale impérialiste, la Russie d’Occupied est celle de la guerre dans le Donbass et de l’annexion de la Crimée. Plusieurs autorités publiques russes ont d’ailleurs protesté contre la série.

En réalité, la série est plus nuancée. D’une part, l’ambassadrice Sidorova, victime d’une tentative d’assassinat durant le premier épisode, n’est pas la plus radicale des impérialistes. La suite de la série souligne qu’elle agit pour un équilibre entre occupation des plates-formes pétrolières et respect minimal des institutions norvégiennes. Les concepteurs de la série rappellent au public européen que Vladimir Poutine peut être perçu comme un centriste dans son propre pays. D’autre part, les forces d’occupation russes sont elles aussi prises dans la spirale et les dilemmes de l’occupation. Soit elles prennent entièrement la maîtrise de la Norvège mais suscitent un rejet complet et manquent leur objectif. Soit elles respectent a minima les institutions du pays et elles risquent d’apparaître comme faibles. Dans la série comme dans la réalité, l’action extérieure de la Russie paraît aventureuse. Loin de la stratégie mondiale qu’on lui prête.

La russophobie attribuée à Occupied pourrait bien se révéler plus complexe que prévu : moins qu’un empire en reconstitution, la Russie apparaît comme une puissance fragile, opportuniste et subordonnée aux latitudes laissées par l’Union européenne.

La Norvège et sa mauvaise conscience européenne

Occupied apparaît comme un cauchemar norvégien : longtemps en conflit avec la Russie pour la délimitation de sa zone économique exclusive dans le Grand Nord, poste avancé de l’OTAN durant toute la guerre froide malgré une tradition de neutralisme et de pacifisme, cible d’incursions navales et aériennes, ce pays de 5 millions d’habitants se sait dépendant de l’extérieur pour assurer sa sécurité. Occupied le présente comme une victime de son environnement naturel et politique. Sans le soutien des États-Unis et de l’Union, la Norvège se considère elle-même comme une Ukraine aisément la proie des impérialismes environnants.

La série est en réalité bien plus critique envers le royaume nordique que le téléspectateur français ne pourrait le penser. La Norvège est victime d’elle-même. En effet, le premier ministre Jesper Berg provoque la crise et l’amplifie par sa naïveté politique. Il décrète unilatéralement la cessation de la production d’hydrocarbures, fort du vote populaire mais sans avoir préparé ses voisins et partenaires internationaux. La série pointe la naïveté de cette démocratie opulente et exemplaire. On peut même percevoir dans la mise en scène du personnel politique norvégien une certaine mauvaise conscience : forts de leurs convictions écologiques, assurés de leur prospérité économique et confiants dans les règles de droit, ils négligent l’alliance avec l’Union. Le pays a en effet refusé à deux reprises d’adhérer à l’Union européenne, en 1972 et 1994. Soucieux de préserver tout à la fois le modèle de protection sociale, sa souveraineté nationale et son alliance avec les États-Unis, la Norvège est dans une situation précaire à l’égard de l’Europe : la solidarité ne peut pleinement s’exercer pour un État partenaire mais non membre.

La Norvège d’Occupied, victime idéale, ne paie-t-elle pas les conséquences de son refus de l’Europe ?

Voir aussi:

Guerre en Ukraine : quatre questions sur l’interdiction de diffusion des médias russes RT et Sputnik dans l’Union européenne

La décision a été officialisée au Journal officiel de l’Union européenne, mercredi 2 mars.

Franceinfo

Clap de fin pour RT et Sputnik. Les Vingt-Sept ont approuvé de nouvelles sanctions contre Moscou, mardi 1er mars, avec l’interdiction de diffusion de ces médias russes au sein de l’Union européenne. En réponse à la guerre en Ukraine, les contenus de Sputnik et des chaînes de RT (ex-Russia Today) en anglais, allemand, français et espagnol ne pourront plus être diffusés sur les réseaux de télévision, ni sur internet.

Les deux médias sont les « canaux » des « actions de propagande » et « de déformation des faits » de la Russie, qui « menacent directement et gravement l’ordre et la sécurité publics de l’Union », écrivent les Vingt-Sept. Ces mesures d’interdiction « devraient être maintenues jusqu’à ce que l’agression contre l’Ukraine prenne fin et jusqu’à ce que la Fédération de Russie et ses médias associés cessent de mener des actions de propagande contre l’Union et ses Etats membres ». Franceinfo fait le point sur cette interdiction.

1Quels sont les médias visés ?

RT est une chaîne de télévision lancée en 2005 à l’initiative du Kremlin, sous le nom de « Russia Today », et financée par l’Etat russe. En France, elle emploie 176 salariés dont 100 journalistes. Une autorisation d’émettre dans l’Hexagone lui a été accordée par le CSA en décembre 2015. La France est ainsi le seul Etat membre de l’UE à accueillir sur son sol une filiale de RT et à lui accorder cette licence de diffusion.

Au quotidien, sur sa chaîne télévisée et ses contenus multimédia, RT promeut la position du Kremlin à l’étranger. Sa création résulte d’un besoin pour les élites russes « de repenser leur dispositif d’influence, de reforger un ensemble d’instruments, notamment médiatiques », analyse pour franceinfo Maxime Audinet, docteur en études slaves et auteur du livre Russia Today, un média d’influence au service de l’Etat russe » (éditions de l’INA). Franceinfo, qui a écouté ses programmes durant plusieurs heures, a observé peu de voix dissonantes parmi les invités.

Sputnik est un média web également financé par l’Etat russe. Il possède un site internet, ainsi qu’une déclinaison vidéo sur YouTube et sur les réseaux sociaux.

2Pourquoi cette décision a-t-elle été prise ?

Face à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la présidente de la Commission européenne a estimé qu’il était impératif de lutter contre ce qu’elle appelle « la machine médiatique du Kremlin ». « Les médias d’Etat Russia Today et Sputnik ainsi que leurs filiales (…) ne pourront plus diffuser leurs mensonges pour justifier la guerre de Poutine et pour semer la division dans notre Union. Nous développons donc des outils pour interdire leur désinformation toxique et nuisible en Europe », a déclaré Ursula von der Leyen le 27 février, trois jours après le début du conflit.

Un constat partagé par Pieyre-Alexandre Anglade. « Nous avons été, nous Européens, trop naïfs, trop indulgents avec ces organes de propagande et de désinformation massive », a jugé le porte-parole des députés La République en marche, mardi 1er mars.

3Où en est-on de l’entrée en vigueur de l’interdiction ?

L’interdiction de RT et Sputnik est officiellement entrée en vigueur dans l’UE mercredi 2 mars, à la mi-journée. Ursula von der Leyen avait annoncé le bannissement des chaînes RT dans toute l’UE trois jours plus tôt, sans préciser les contours d’une telle décision.

Chaque Etat membre, via son autorité de régulation des médias et ses opérateurs télécoms, est chargé de faire respecter cette interdiction. En avance sur le reste des Européens, l’Allemagne avait annoncé début février l’interdiction de la chaîne RT, dans un contexte de tensions avec le Kremlin.

En France comme dans le reste de l’Europe, le bannissement est intervenu progressivement après une réunion avec le secrétaire d’Etat au Numérique, Cédric O, lundi 28 février. Dans la foulée, TikTok et Facebook ont annoncé suspendre l’accès à ces comptes en Europe. Mardi, c’était au tour de YouTube de bloquer ces chaînes sur le continent « avec effet immédiat », « compte tenu de la guerre en cours en Ukraine ». Twitter a bloqué les comptes des deux chaînes jeudi, après avoir apposé la mention « Média affilié à un Etat, Russie » aux comptes de leurs journalistes et anciens journalistes. La diffusion à la télévision de RT France a cessé mercredi après-midi chez les différents opérateurs qui proposaient cette chaîne.

4Comment cette mesure est-elle justifiée juridiquement ?

Selon le texte publié au Journal officiel de l’UE« toute licence ou autorisation de diffusion, tout accord de transmission et de distribution conclu avec les personnes morales, entités ou organismes énumérés (…) sont suspendus ». Cela concerne tous les moyens de diffusion, que ce soit « le câble, le satellite, la télévision sur IP, les fournisseurs de services internet, les plateformes ou applications, nouvelles ou préexistantes, de partage de vidéos sur l’internet ». Le texte précise que « ces mesures n’empêchent pas ces médias et leur personnel d’exercer dans l’Union d’autres activités que la diffusion, telles que des enquêtes et des entretiens ».

En France, l’Autorité publique française de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) assure que ces décisions ont « pour effet de suspendre la convention et la distribution de RT France ». Elles sont « d’application directe et immédiate par tous les opérateurs concernés », dès le 2 mars.

Cette décision devrait toutefois faire l’objet de recours devant la justice. Mardi, le régulateur russe des médias, Roskomnadzor, a protesté contre ces mesures, estimant qu’elles « violent les principes fondamentaux de la libre circulation de l’information et son accès sans entrave ». RT France a de son côté lancé une pétition sur la plateforme Change.org pour dénoncer cette interdiction, réunissant 10 500 signatures en trois heures.

L’UE réfute toutefois ces accusations. Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne, a estimé que ces médias ne produisaient pas une information libre mais « une désinformation massive »« Nous nous appuyons sur de solides bases juridiques (…) et nous défendrons notre décision devant les tribunaux » européens, a également assuré une source européenne anonyme à l’AFP, tout en admettant que des représailles contre des médias européens en Russie étaient « une possibilité »« Vladimir Poutine va frapper nos médias », a ainsi prévenu Fabrice D’Almeida, historien et vice-président de l’Université Panthéon-Assas.

Voir également:

En Italie, Dostoïevski victime d’une tentative de censure ?

L’écrivain transalpin Paolo Nori, qui devait donner un cours sur le célèbre auteur russe Dostoïevski, a dénoncé une tentative de censure de l’université Milano Bicocca. La direction lui a demandé de reporter ses leçons au vu de l’actualité. L’université affirme qu’il s’agit d’un malentendu, mais Nori refuse désormais de se rendre sur place.

Il s’est exprimé dans une vidéo Instagram où il apparaît au bord des larmes, la voix cassée par l’émotion. Mardi 1er mars, l’écrivain italien Paolo Nori a dénoncé ce qui est à ses yeux une tentative de censure. En effet, l’université Milano Bicocca, où il devait tenir un cours sur Dostoïevski, lui a communiqué par courriel le report de ses leçons pour “éviter toute forme de polémique dans ce moment de forte tension”.

Une décision jugée incompréhensible par l’intéressé, qui a réagi avec des mots très durs :

En Italie, aujourd’hui, être un Russe est considéré une faute. Et apparemment, même être un Russe décédé, qui de plus a été condamné à mort en 1849 pour avoir lu une chose interdite. Ce qui est en train d’arriver en Ukraine est une chose horrible qui me donne envie de pleurer, mais ces réactions sont ridicules. Quand j’ai lu ce mail de l’université, je ne pouvais pas y croire.”

“Un équilibre littéraire en temps de guerre”

Quelques heures plus tard, la polémique rebondissait dans les médias transalpins, poussant l’université milanaise à faire marche arrière. Simple malentendu, s’est-on justifié depuis l’institut, qui a invité Nori à tenir son cours avant que la précision qui a suivi de la part d’un responsable ne ravive la polémique.

“L’intention était de restructurer le cours en ajoutant à Dostoïevski des auteurs ukrainiens”, a expliqué Maurizio Casiraghi, dont les propos sont rapportés par le Corriere della Sera. Une précision qui a fini de persuader Paolo Nori de ne pas se rendre à cette université.

“Un équilibre littéraire en temps de guerre” était donc la solution envisagée par l’institut, poursuit le quotidien milanais, qui, à travers un article signé par un de ses éditorialistes, propose une réflexion plus large sur le comportement à adopter vis-à-vis des Russes en ce moment de tension :

Dostoïevski est sauvé, mais reste le fond du débat : est-il juste d’exiger des Russes contemporains une prise de distance avec Poutine ? Si nous le faisions, le principe selon lequel les personnes se jugent sur la base de leur action et non par leur nationalité viendrait à manquer.”

Toutefois, le journal italien reconnaît une exception à cette règle pour les Russes “célèbres et liés à Poutine” : il est juste d’exiger de leur part une prise de distance de ce conflit.

Une référence à la polémique qui a entouré Valery Guerguiev, le chef d’orchestre considéré proche de Poutine, que le maire de Milan a “banni” du célèbre théâtre de La Scala, faute d’avoir accepté de se déclarer opposé à la guerre.

Une décision qui a fait couler beaucoup d’encre, mais qui rencontre donc l’approbation de l’éditorialiste transalpin.

Voir par ailleurs:

Le film d’Oliver Stone sur Poutine: « un clip publicitaire, pas un documentaire » 

Spécialiste de la Russie, l’universitaire Cécile Vaissié réagit à la diffusion par France 3 du film d’Oliver Stone Conversations avec Poutine.

« Consternant d’ignorance et de complaisance ». France 3 a diffusé lundi soir le premier volet de quatre heures de Conversations avec Poutine, un film réalisé par Oliver Stone, le réalisateur de Platoon et de JFK.

Le metteur en scène trois fois oscarisé, a réalisé ce montage à partir de 12 entretiens filmés entre juillet 2015 et février 2017 avec le président russe. Cécile Vaissié*, professeur en études russes et soviétiques à l’Université Rennes 2, réagit à ce document controversé.

Qu’est-ce qui vous a le plus frappé dans Conversations avec Poutine?

Oliver Stone filme Vladimir Poutine, lui donne la parole, comme s’il était un parfait inconnu. Ne connaissant rien à la Russie, le réalisateur américain est incapable de lui apporter la contradiction, ni même de saisir les perches lancées par Poutine, que ce soit sur l’Otan, les oligarques, la Tchétchénie, les pays voisins. Il n’approfondit jamais les thèmes abordés.

Stone se montre tellement inculte que, par contraste, Poutine apparaît modéré, plus fin, plus intelligent -ce qu’il est sans aucun doute. « Vous avez amélioré les salaires… stoppé les privatisations ». « Non, je n’ai pas arrêté les privatisations », le corrige Poutine. Au cours de l’exercice, Poutine ment de nombreuses fois, mais à plusieurs reprises, les mensonges ne sortent même pas de sa bouche. Il se contente d’enchaîner sur les affirmations du cinéaste.

Les compliments de Stone sur les avancées économiques dues au président reprennent sans recul la propagande du Kremlin. Il est vrai que le niveau de vie a augmenté entre 2000 et 2008, mais selon les économistes russes, c’est presque entièrement attribuable à la hausse des prix du baril. Un journal russe a d’ailleurs publié un article livrant 20 exemples de la façon dont Poutine a trompé Oliver Stone, après la sortie de ce film. Il montre notamment que Poutine semble ignorer que les fonds de réserve gouvernementaux sont inclus dans les fonds de réserve de la Banque centrale, sans être contredit par Stone.

L’objectif de Stone était peut-être de démontrer la vision de monde qu’a Poutine…

Donner la parole à Vladimir Poutine est tout à fait légitime. A condition qu’en face on lui apporte la contradiction. Ce que dit le président russe tout au long de ce film n’a rien de nouveau. On le retrouve intégralement sur RT et Sputnik [les chaines de propagande du Kremlin]. Ce n’est pas un documentaire. C’est un clip publicitaire. Il est surprenant qu’une chaîne publique consacre autant de temps à un tel objet.

Certains points vous ont-ils plus choqué que d’autres?

D’un bout à l’autre, la complaisance et la vacuité des échanges sont consternants. Cette façon de montrer le président avec son cheval ou faisant du sport…

La naïveté de Stone est même parfois drôle. Il découvre étonné que les fidèles ne s’assoient pas dans les églises orthodoxes, avant d’embrayer sur le rôle de l’orthodoxie en Russie. Le décalage entre son ignorance et la question centrale de la religion dans la société russe est troublante.

Son ingénuité l’amène à dérouler sans complexe le discours du Kremlin. Par exemple sur la promesse de non-élargissement de l’Otan que les Occidentaux auraient faite à Mikhaïl Gorbatchev à la chute de l’URSS. Gorbatchev lui-même a démenti que de telles promesses lui avaient été faites. Là encore, Poutine est plus subtil que Stone. Il soutient que cette promesse a été donnée par oral, non par écrit. Impossible à vérifier, donc.

Et à aucun moment Stone ne s’interroge sur la raison pour laquelle les pays de l’ex-bloc soviétique ont voulu rejoindre l’Otan. Pourquoi l’opinion ukrainienne qui était, il y a quelques années encore, hostile à l’entrée dans l’Alliance atlantique y est favorable, depuis la guerre dans l’est de son territoire?

Le seul moment qui aurait pu être intéressant est celui où il visionne Docteur Folamour avec Poutine. Il aurait pu discuter avec lui de cinéma, un sujet que Stone maîtrise, l’interroger sur le cinéma russe.

Le documentaire ne pêche pas seulement par ce qu’il affirme, mais aussi par ce qu’il élude…

Les exemples ne manquent pas. Aucune question sur sa fortune personnelle, sur les fastes du gouvernement. Il n’aborde pratiquement pas la société russe, à l’exception de l’homosexualité. Aucune mention de l’effondrement du système médical, de l’éducation. Rien sur les grands-mères à qui le gouvernement refuse que leurs retraites soient indexées sur le taux de l’inflation…

Le réalisateur ne l’interroge pas non plus sur ce qu’a fait Poutine entre 1991 (la chute de l’URSS) et 1996, moment où il entre au Kremlin. Ni sur son attitude au moment du putsch d’août 1991 contre Gorbatchev.

Rapidement évoquées, la question des oligarques et celle de la privatisation de l’économie russe dans les années 1990, auraient mérité d’être creusées. Stone se contente d’étaler la vision du maître du Kremlin. Rien sur les véritables raisons pour lesquelles certains oligarques ont été adoubés et d’autres jetés derrière les barreaux. La stigmatisation de Mikhaïl Khodorkovski, qui a passé dix ans en prison m’a particulièrement choquée. Stone ne se contente pas de servir la soupe à Poutine, il se fait complice de la persécution de cet homme.

Voir enfin:

 ‘The Putin Interviews’: Oliver Stone’s Wildly Irresponsible Love Letter to Vladimir Putin

TWO PEAS IN A POD

Showtime’s four-part series of interviews between Stone and Putin sees Russia’s authoritarian ruler give his thoughts on NATO, women, gays, Snowden, and more.

Marlow Stern

The Daily Beast

Jun. 06, 2017

When America sends its people to interview Vladimir Putin, they’re not sending their best. They’re not sending an Anderson Cooper or a Christiane Amanpour, intrepid journalists well-versed in geopolitics and the art of the spiel. They’re sending people like Megyn Kelly, a race-baiter who rode the wave of one semi-challenging debate question all the way to a cushy gig at NBC News, or Oliver Stone, a revisionist history buff who’s spent the past few decades cozying up to dictators like Fidel Castro, Hugo Chavez, and Putin.

Yes, in addition to qualifying Hitler and claiming the Jews run the media, Stone helmed the 2014 documentary Ukraine on Fire—a bizarre slice of Kremlin propaganda alleging that the CIA orchestrated the 2014 Ukrainian revolution (based on scant evidence), and featuring cameos from Viktor Yanukovych and Putin. If that weren’t enough, in September, the JFK filmmaker posited that the Democratic National Committee hack was an inside job and not, as 17 U.S. intelligence agencies concluded, the work of Russian agents. Stone’s The Putin Interviews, a new four-part series debuting on Showtime on June 12, should thus be viewed as nothing short of hero worship; the rough equivalent of a Twihard probing Robert Pattinson or Donald Trump interrogating a tacky gold chair.

The Putin Interviews, a documentary comprised of conversations with the Russian president that took place between July 2015 and February 2017, is clearly intended to humanize Putin and demonize America. In the first two parts provided to press, there are scenes of Putin feeding horses and strolling through lush gardens as string instruments sound; footage of the sexagenarian schooling men one-third of his age in hockey; and fawning Stone comments ranging from “You have a lot of discipline, Sir” to “You are a very lucky man” to “What do you bench?” OK, that last one I made up.

Stone not only fails to challenge Putin, but essentially cedes him the floor, allowing the cunning ex-KGB operative to spin more than the president’s toupee in a tornado. Putin denies Russia was the aggressor in virtually every global conflict, including the invasions of Georgia and Ukraine. He champions Russia’s economy over that of the U.S., despite his GDP being a little more than half that of California’s. He even blames the Cuban Missile Crisis on the U.S.

At one point Stone, in an apparent effort to name-drop one of his movies, asks Putin: “Is Wall Street actively working to destroy the Russian economy in the interests of the United States?” He shrugs it off. “Do you think the National Security Agency had gone too far in its eavesdropping?” Of course he does.

Some of the director’s lame questions bear fruit in spite of themselves. When Stone asks Putin, “Do you ever have a bad day?” during a tour of the throne room, the Russian strongman giddily answers, “I’m not a woman so I don’t have bad days.” He then doubles down on the misogyny, explaining that, “There are certain natural cycles which men probably have as well, just less manifested. We are all human beings. It’s normal. But you should never lose control.”

A conversation about whether gays can serve in the military in Russia leads to the Stone question: “If you’re taking a shower in a submarine with a man and you know he’s gay, do they have a problem with that?”

Putin’s answer is not only homophobic, but completely bonkers. “Well, I prefer not to go to shower with him,” exclaims a cackling Putin. “Why provoke him? But you know, I’m a judo master and a SAMBO master as well. And I can tell you this, that as head of state today, I believe it’s my duty to uphold traditional values and family values. But why? Because same-sex marriages will not produce any children. God has decided, and we have to care about birth rates in our country. We have to reinforce families. But that doesn’t mean that there should be any persecutions against anyone.”

The lion’s share of The Putin Interviews’ B-roll consists of news clips from RT, the propaganda arm of the Kremlin, and pro-Russia graphics. Putin admits to never having seen Dr. Strangelove, and, in the first two episodes’ most surreal sequence, the two sit down to watch Stanley Kubrick’s 1964 Cold War satire. “[Kubrick] foresaw some issues even from a technical point of view, things that make us think about real threats that exist,” Putin says in his mini-review. “The thing is that since that time, little has changed. The only difference is that the modern weapons systems have become more sophisticated, more complex. But this idea of a retaliatory weapon, and the inability to control such weapons systems, still hold true to this day. It has become even more difficult, even more dangerous.”

Stone and Putin chat in various locations throughout the doc, from the halls of the Kremlin to the great outdoors. In one exchange aboard Putin’s plane, he reveals his unvarnished thoughts on the North Atlantic Treaty Organization.

“There is no longer an Eastern Bloc, no more Soviet Union. Therefore, why does NATO keep existing? My impression is that in order to justify its existence, NATO has a need of an external foe, there is a constant search for the foe, or some acts of provocation to name someone as an adversary,” says Putin.

“Nowadays, NATO is a mere instrument of foreign policy of the U.S. It has no allies, it has only vassals. Once a country becomes a NATO member, it is hard to resist the pressures of the U.S.,” he continues. “And all of a sudden any weapon system can be placed in this country. An anti-ballistic missile system, new military bases, and if need be, new offensive systems. And what are we supposed to do? In this case we have to take countermeasures. We have to aim our missile systems at facilities that are threatening us. The situation becomes more tense. Why are we so acutely responding to the expansion of NATO? Well, as a matter of fact, we understand the value or lack thereof, and the threat of this organization. But what we’re concerned about is the following: We are concerned by the practice of how decisions are taken. I know how decisions are taken there.”

Huddled inside a car with Putin behind the wheel—in what is without question the worst episode of Carpool Karaoke ever—they discuss the plight of whistleblower Edward Snowden, a former NSA contractor who was granted asylum in Russia after leaking top-secret government documents revealing a complex web of surveillance conducted by the U.S. against its allies and own citizens. Putin claims that the U.S. refused to agree to a deal years back that “stipulated for a mutual extradition of criminals,” and since “Snowden didn’t violate any [Russian] law,” and since “the U.S. has never extradited any criminals to us who have sought asylum there,” they refused to extradite Snowden back to America.

While he doesn’t agree with what Snowden did, Putin refers to him as “courageous” several times and asserts, “Snowden is not a traitor. He didn’t betray the interests of his country. Nor did he transfer any information to any other country which would have been pernicious to his own country or to his own people. The only thing Snowden does he does publicly.”

The 2016 U.S. presidential election is briefly mentioned during a February 2016 chat within the halls of the Kremlin, with Putin maintaining that Russia is “going to be ready to work with whoever gets elected by the people of the United States.” When he adds, “I believe nothing is going to change no matter who gets elected,” he can’t help but unleash a knowing smirk.

Stone suggests that Putin could influence the U.S. election by endorsing a candidate, thereby causing his or her popularity to plummet. “Unlike many partners of ours, we never interfere within the domestic affairs of other countries,” replies Putin, smiling wide. “That is one of the principles we stick to in our work.”

The Putin Interviews offer, first and foremost, a staggering display of mendacity on the part of both interviewer and interviewee. During a back and forth aboard his jet, Putin claims to have in his possession a letter from the CIA admitting that they provided technical support to the Chechens—including terrorist organizations—during the Second Chechen War. When Stone requests that he provide the letter, Putin responds, “I don’t think it would be appropriate. My words are enough.”

For Oliver Stone, they most certainly are.

Voir par ailleurs:

Ukraine security chief: Minsk peace deal may create chaos

Yuras Karmanau

AP News

January 31, 2022

KYIV, Ukraine (AP) — Ukraine’s security chief warned the West on Monday against forcing the country to fulfill a peace deal for eastern Ukraine brokered by France and Germany, charging that an attempt to implement it could trigger internal unrest that would benefit Moscow.

Oleksiy Danilov, the secretary of Ukraine’s National Security and Defense Council, told The Associated Press that Ukraine has the capability to call up to 2.5 million people if Russia invades.

He said that about 120,000 Russian troops are concentrated near Ukraine and Moscow may stage provocations “at any moment,” but argued that launching a full-fledged invasion would require massive preparations that would be easily spotted.

“The preparatory period that will be noticed by the entire world could take from three to seven days,” Danilov said. “We aren’t seeing it yet. We clearly understand what’s going on and we are calmly preparing for it.”

He deplored the decision by the U.S., Britain, Australia, Germany and Canada to withdraw some of their diplomats and dependents from the Ukrainian capital of Kyiv, saying the move “wasn’t pleasant for us” and empasizing that “we don’t think that there is a threat right now.”

U.S. President Joe Biden told Ukrainian President Volodymyr Zelenskyy in a call Thursday that there is a “distinct possibility” that Russia could invade the country in February. But the Ukrainian leader played down the war fears, arguing Friday that the Russian troop buildup could be part of Moscow’s attempts to exert “psychological pressure” and sow panic.

“We can’t allow panic in the country,” Danilov told the AP. “It’s very difficult for us to maintain control over the economic situation when all the media keep saying that the war will start tomorrow. Panic is a sister of defeat.”

Danilov said that Ukraine has the potential to quickly and dramatically beef up its 250,000-strong military in case of a Russian offensive.

“They will face a response from our society, our citizens, our military,” Danilov told the AP. “We can put 2 (million) to 2.5 million people under arms.”

He noted that up to 420,000 Ukrainians have gained combat experience in fighting with Russia-backed separatists in eastern Ukraine and up to 1 million in the nation of 41 million people have hunting licenses.

Danilov pointed at the Ukrainian Interior Ministry’s announcement Monday that it had thwarted a plot to stage riots in Kyiv and other Ukrainian cities, saying that Russian President Vladimir Putin hopes to achieve his goal of destroying Ukraine through internal destabilization even without an invasion.

“Regrettably, we have many agents of influence of the Russian Federation here, who are behind the plans of destabilizing our country from within,” he said pointing at a pro-Russian party that has a sizeable presence in Ukraine’s parliament.

After the 2014 ouster of a Kremlin-friendly president in Kyiv, Moscow annexed Ukraine’s Crimean Peninsula and backed an insurgency in the country’s eastern industrial heartland. Fighting between Ukrainian forces and Russia-backed rebels has killed over 14,000 people, and efforts to reach a settlement there have stalled.

Since the start of the separatist conflict in Ukraine, Russia has been accused of sending troops and weapons to the separatists, something it has denied. It has given out over 700,000 Russian passports to people living in rebel-held areas in eastern Ukraine.

“I have a question: Why the West is not reacting to that?” Danilov said.

He argued that Ukraine needs to revise the 2015 peace deal signed in Minsk that requires Ukraine to provide a broad autonomy to the rebel-held east and a sweeping amnesty to the rebels.

“The fulfillment of the Minsk agreement means the country’s destruction,” Danilov said. “When they were signed under the Russian gun barrel — and the German and the French watched — it was already clear for all rational people that it’s impossible to implement those documents.”

The agreement, which was brokered by France and Germany after a string of Ukrainian military defeats, was widely abhorred by the Ukrainian public as a betrayal of their national interests. Zelenskyy and his officials have made repeated calls for its modification.

Moscow has staunchly refused to amend the Minsk agreement and criticized Ukraine’s Western allies for failing to encourage Ukraine to fulfill its obligations.

Envoys from Russia, Ukraine, France and Germany met Wednesday for more than eight hours in Paris to discuss ways to implement the Minsk agreement. They made no visible progress but agreed to meet again in two weeks in Berlin.

Danilov warned the West against pressuring Ukraine into fulfilling the Minsk deal, saying it would provoke dangerous instability.

“If they insist on the fulfillment of the Minsk agreements as they are it will be very dangerous for our country,” he said. “If the society doesn’t accept those agreements, it could lead to a very difficult internal situation and Russia counts on that.”

He also argued that if Ukraine honors the deal it, that will allow Russia to demand the lifting of Western sanctions that were contingent on progress in implemeting the Minsk agreement.

Danilov called for negotiating a new document that could be realistically implemented, adding that it should force “Putin to simply pull his troops and tanks back.”

He denounced the Russian demands for NATO to bar Ukraine from ever joining the alliance, saying that the country, a former Soviet republic, has made a choice to seek to integrate into NATO and the European Union, which is reflected in its constitution. It is not a member of either bloc at this time.

“No one has the right to dictate to us whether we should or shouldn’t join alliances,” Danilov said. “It’s our people’s sovereign right.”

He also noted that Ukraine needs more Western weapons, saying “it’s our only request to our partners — give us more weapons to defend ourselves.”

He criticized Germany for refusing to provide Ukraine with weapons, charging that Berlin has also failed to properly apologize to Ukrainians for Nazi crimes during World War II when Ukraine was part of the Soviet Union.

“Regrettably, they haven’t apologized for killing millions of our citizens,” he said. “They apologize to the Russians as if we were one country. They shouldn’t talk about democracy then and say that they support authoritarian regimes and partner with them.”

Voir encore:

Guerre en Ukraine: Comment Poutine a fait le jeu des Etats-Unis

Gérald Olivier

France Amérique

2 mai 2022

Vieux de deux mois déjà, le conflit russo-ukrainien ne semble pas près de se conclure. Ni la Russie, ni l’Ukraine, n’ont les moyens militaires de l’emporter. Et aucune solution politique ne se dessine. La guerre est devenue un face à face dévastateur et sanglant dans le Donbass qui pourrait se prolonger des mois, voire des années. Cependant, ce conflit a déjà fait deux vainqueurs: l’Otan et les Etats-Unis !

L’Alliance atlantique, moribonde il y a quelques années, est redevenue incontournable et va accueillir probablement deux nouveaux membres, la Finlande et la Suède. L’ironie majeure de ce renforcement est que ces deux pays vont doubler la longueur des frontières russes partagées avec l’Otan, alors que c’est, entre autres, pour contrer l’encerclement supposé de son pays par les forces atlantiques que Poutine a déclenché sa guerre… Effet inverse de celui recherché !

Les Etats-Unis qui fournissent à l’Ukraine armes, équipements et entrainement ont fait, sur le terrain, par soldats ukrainiens interposés, la démonstration de la qualité de leur matériel et de leur efficacité militaire. Ils pourront continuer de vendre leurs armes et leur protection aux pays européens, ainsi même que leur gaz naturel, tandis que leur grand rival de la guerre froide se retrouve empêtré dans un conflit durable, isolé sur la scène internationale et ciblé par des sanctions économiques débilitantes à très long terme.

Cette nouvelle réalité enrage d’ailleurs les zélés de l’anti-américanisme primaire qui se vengent comme ils peuvent en déversant leur haine de l’Amérique sur les ondes et les réseaux sociaux.

Certains n’hésitent pas à prétendre que si l’Amérique sort première gagnante de ce conflit c’est bien sûr parce qu’elle avait tout manigancé à l’avance. Ce conflit serait le résultat d’une « manipulation » américaine ! Il aurait été « orchestré » par les Etats-Unis ! Le vrai responsable, à les croire, c’est le grand satan américain. Ainsi, Vladimir Poutine, l’ex-espion du KGB et du FSB, homme retors, froid et calculateur, se serait fait berner par Joe Biden, le vieux pantin démocrate gaffeur aux capacités cognitives incertaines… Ahurissante analyse qui rassemble dans un même camps les ennemis de l’Amérique, l’extrême gauche radicale, l’extrême droite nationaliste, et même des terroristes islamistes.

En Chine, le Quotidien du peuple qui est l’organe du Parti Communiste écrit : « Derrière la crise en Ukraine se cache l’ombre de l’hégémonie américaine. L’expansion de l’Otan vers l’est, menée par les États-Unis, est à l’origine de la crise en Ukraine. Les États-Unis sont l’initiateur de la crise. »

La Corée du Nord reprend la voix de son maître : « La cause profonde de la crise ukrainienne réside dans l’autoritarisme et l’arbitraire des États-Unis…(leur) politique de suprématie militaire au mépris de la demande légitime de la Russie pour sa sécurité. Tout est de la faute des États-Unis. »

Au Liban, Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah déclarait récemment « L’Amérique est responsable de ce qui se passe en Ukraine. Elle a fait de la provocation, n’a pas aidé pour trouver une solution diplomatique et n’a rien fait pour arrêter la guerre. »

En Israël, le parti communiste a condamné « l’agression de l’Otan qui sert les États-Unis bellicistes »…« Quiconque ignore la provocation des États-Unis par le biais de l’Otan a tort et se trompe…  » a précisé son représentant à la Knesset, le parlement israélien.

En Italie, l’agence de presse altermondialiste Pressenza ne dit rien d’autre : « Ce dont nous sommes témoins est la conséquence de 30 ans d’agression américaine contre la Russie avec le soutien de l’Europe. »

En France, Éric Zemmour, a estimé Vladimir Poutine «coupable » du déclenchement du conflit, mais «pas le seul responsable». « Les responsables c’est l’Otan qui n’a cessé de s’étendre, a-t-il dit, les Français, les Allemands, les Américains, qui n’ont pas fait respecter les accords de Minsk et qui n’ont cessé d’étendre l’Otan pour qu’elle soit autour de la Russie comme une sorte d’encerclement. »

Nikola Mirkovic, auteur de l’Amérique Empire, ouvrage dénonçant « l’impérialisme américain » a tenu à peu près les mêmes propos au politologue anti-islamiste Alexandre Del Valle : « Les Etats-Unis ont fait monter les tensions avec la Russie… et ont tenté d’utiliser l’Ukraine comme un coin entre la Russie et l’Europe… en Ukraine, l’ingérence des Etats-Unis et d’autres pays européens a été un grand facteur de déstabilisation. »

Le même Alexandre del Valle a développé la thèse du « piège tendu par les Etats-Unis qui ont agité le chiffon rouge d’une Ukraine dans l’Otan pour pousser Poutine à intervenir » dans un long entretien au site suisse Les Observateurs.

Aux Etats-Unis même, la thèse de la responsabilité occidentale a été mise en avant par John Mearsheimer, professeur à l’université de Chicago et tenant de l’école « réaliste » en politique étrangère, dans une interview à l’hebdomadaire de la gauche socio-libérale américaine The New Yorker : « Je pense que tout a commencé au sommet de l’Otan de Bucarest en 2008, avec l’annonce que la Géorgie et l’Ukraine deviendraient membres de l’Otan. Les Russes ont indiqué à cette époque que cela constituerait pour eux une menace existentielle et qu’ils s’y opposeraient… Néanmoins les occidentaux ont continué de transformer l’Ukraine en bastion occidental à la frontière russe… L’expansion de l’Otan, et l’expansion de l’Union européenne, sont au coeur de cette stratégie, tout comme la volonté de faire de l’Ukraine une démocratie libérale pro-américaine, ce qui du point de vue russe est une menace existentielle. »

Nul doute que si la Russie était parvenue à renverser le régime de Kiev en quelques jours, comme elle l’escomptait, ces mêmes analystes auraient loué la stratégie et l’audace du maître du Kremlin. Le « piège américain » n’est invoqué que pour masquer la monumentale erreur de Vladimir Poutine qui a surestimé les capacités de son armée, et sous-estimé celles de son adversaire.

Dans ce conflit, choisi, et provoqué par Moscou, il n’y a pas eu de « piège américain », pas plus qu’il n’y a eu de « responsabilité de l’Otan ». D’ailleurs pour justifier son intervention contre l’Ukraine, la Russie n’a pas parlé de l’Otan. Elle a parlé du besoin de « démilitariser » et « dénazifier » l’Ukraine par une « opération militaire spéciale ». En choisissant un tel motif Poutine a révélé la réalité de sa motivation. Toutes ces années passées l’Otan n’a été qu’un prétexte utilisé par Vladimir Poutine pour préserver à la Russie un droit de regard sur ses voisins proches, « droit de regard » auquel elle n’a justement pas droit… Pas plus qu’aucun autre pays indépendant n’a de « droit de regard » sur la politique intérieure ou étrangère d’un autre pays indépendant, fut-il son voisin.

Voici donc les mythes russes sur les agressions de l’Otan démasqués.

Premier mythe, l’encerclement. La Russie prétend que les puissances occidentales cherchent à « encercler » son territoire et que les bases de l’Otan tout au long de sa frontière ouest n’ont d’autre objectif que de permettre cet encerclement. Il suffit de regarder une carte pour réaliser que cet argument ne tient pas la route. La Russie est le plus vaste pays du monde. Elle couvre a elle seule 11% de la surface terrestre de la planète. Elle est deux fois plus vaste que les Etats-Unis continentaux. Sa superficie est trente fois supérieure à celle de la France et elle compte plus de vingt mille kilomètres de frontières. Elle partage ses frontières terrestres avec quatorze pays, dont seulement cinq sont aujourd’hui membres de l’Otan. Ce qui représente mille deux cents kilomètres de frontières communes avec l’Otan. Soit un vingtième de ses frontières totales. Les trois pays ayant les plus longues frontières avec la Russie sont le Kazakhstan, la Mongolie et la Chine.

Second mythe, l’Otan est une puissance hostile vouée à vassaliser la Russie. L’Otan est une alliance défensive fondée en 1949 pour contenir l’expansionnisme soviétique. Cette alliance a vu son mandat prolongé au-delà de la guerre froide, précisément pour protéger les ex-républiques soviétiques nouvellement indépendantes d’un quelconque revirement politique à Moscou. L’Otan ne s’est pas montré hostile envers la Russie mais l’a, au contraire, incluse dans des actions communes – au Kosovo, en Afghanistan et dans la Corne de l’Afrique, sous mandat de l’Onu – et a cherché à l’intégrer dans un nouvel ensemble eurasiatique et transatlantique allant de San Francisco à Vladivostok. Tentatives d’ouvertures rejetées par la Russie, notamment à partir des années 2000 et l’arrivée à la présidence de Vladimir Poutine.

Troisième mythe, l’Otan serait revenu sur sa promesse de ne pas s’étendre à l’Est. Cette promesse est un vrai mythe. Elle n’existe pas et n’a jamais été faite à la Russie. Elle n’apparait dans aucun texte ou traité ! Les partisans de cette thèse font référence à des discussions ayant eu lieu du temps de l’Union soviétique, entre le président Gorbatchev et le secrétaire d’Etat américain de l’époque James Baker. Ces discussions portaient sur la réunification allemande et remontent au printemps 1991, alors que l’Union soviétique existait encore et qu’un certain nombre de pays d’Europe de l’Est lui étaient liés dans le cadre du Pacte de Varsovie. Tout empiétement sur cet ensemble aurait été une agression. Mais une fois l’Union soviétique dissoute, le pacte de Varsovie également dissout et ses ex-membres devenus des pays indépendants ces derniers avaient toute liberté et légitimité de rechercher des alliances internationales y compris celle de l’Otan. Ce qui fut le cas.

Dans ce contexte, loin de provoquer la Russie, l’Otan a attendu près de dix ans pour laisser rentrer ces pays. Le premier « round » d’intégration d’anciens pays de l’Est est intervenu en 1999, au sommet de Washington, avec l’intégration de la Pologne, de la Hongrie et de la République Tchèque. Cinq ans plus tard, en 2004, au sommet d’Istanbul, sept nouveaux pays européens furent accueillis au sein de l’Alliance atlantique (Bulgarie, Estonie, Lettonie, Lithuanie, Roumanie, Slovaquie et Slovénie ). Certains pays ont alors pris soin de faire approuver cette entrée par référendum auprès de leur population.

Quatrième mythe : L’Otan a cherché à isoler la Russie et à la marginaliser sur la scène internationale. C’est faux. Dès 1991 l’Otan a ouvert un « partenariat pour la paix » avec la Russie. En 1997 la Russie et l’Otan ont signé un Acte fondateur pour des relations mutuelles, pour la coopération et pour la sécurité, établissant un Conseil Permanent Otan-Russie, et initiant une coopération dans le domaine de la lutte anti-terroriste et contre le trafic de drogue. Cette coopération s’est prolongée au-delà de 2008 en dépit de l’invasion de la Géorgie par la Russie. Cette coopération a été suspendue à partir de 2014 suite à l’annexion de la Crimée par la Russie.

Cinquième mythe L’Otan a commencé ses actes d’agression contre la Russie lors du sommet de Bucarest en 2008. La réalité est exactement inverse. Lors de ce sommet, qui s’est tenu au mois d’avril, l’Otan a repoussé les processus d’adhésion de la Géorgie et de l’Ukraine, préférant évoquer une « vocation » à intégrer l’alliance sans toutefois mettre une date sur cette possible entrée. Cette décision fut prise au nom de l’apaisement. Justement pour ne pas froisser Moscou et donner l’impression d’une quelconque agressivité de l’Alliance. En langage diplomatique une promesse d’intégration, non accompagnée d’une date butoir, c’est un report sine die En 2008, l’Otan n’a pas provoqué la Russie de Vladimir Poutine. L’Otan a au contraire plié devant Poutine. Car en tant que pays indépendants, l’Ukraine et la Georgie auraient du avoir toute liberté de déposer leur candidature si tel était leur souhait.

Poutine a d’ailleurs interprété ce report comme un aveu de faiblesse. Quelques mois plus tard, en août 2008, il n’hésitait pas à envahir la Géorgie pour prendre le contrôle d’une partie de son territoire, l’Ossétie du Sud. Cette occupation du territoire géorgien par la Russie est parfaitement illégale mais elle dure toujours et prive la Géorgie d’une véritable indépendance ! C’est exactement la même tactique que celle employée en Ukraine, en Moldavie et ailleurs : soutenir des éléments russophones pour justifier une présence militaire et garder dans le giron russe une ancienne république soviétique officiellement indépendante depuis trente ans… .

Au regard de l’évolution de la guerre russo-ukrainienne, il apparaît de plus en plus clairement que l’Otan ne fut qu’un prétexte et que le véritable objectif de Vladimir Poutine est la reconstitution d’un empire Russe, dont il considère que l’Ukraine fait partie. Au même titre d’ailleurs que les pays Baltes et d’autre pays d’Europe de l’Est… Ce qui laisse augurer d’autres engagements militaires !

Ces pays l’ont bien compris et c’est pour se prémunir contre toute agression russe que, depuis le début du conflit, ils se sont tournés vers les Etats-Unis pour leur protection, leur armement, leur entrainement militaire et même leur approvisionnement énergétique.

Pour commencer, l’Allemagne a passé commande de trente-cinq avions furtifs F-35, construits par la firme Lockheed Martin aux Etats-Unis. Une commande évaluée à 3,5 milliards de dollars. Berlin prévoit d’assortir cette commande de l’achat de quinze appareils euro-fighters construits par une consortium européen avec Airbus en son sein. Olaf Scholz, le chancelier allemand, a également assuré que son pays allait investir plus de cent milliards d’euros et consacrer plus de 2% de son budget à la défense. C’est ce que demandaient les Américains depuis quinze ans, sans être parvenus à l’obtenir (excepté Donald Trump qui avait menacé de quitter l’Otan si les partenaires européens, à commencer par les Allemands, ne payaient pas « leur part » du budget de l’alliance).

La Finlande et la Suisse, deux pays neutres et non-membres de l’Otan, ont également passé commande d’avions F-35. Or cet appareil a l’avantage d’offrir une interopérabilité avec les forces de l’Otan, ce qui souligne de la part de ces pays, notamment la Finlande, une volonté d’intégrer l’alliance atlantique…

De son côté, la Pologne a passé commande de 250 chars M1A2 Abrams aux Etats-Unis. Commande approuvée sans tarder par le Pentagone.

Le président américains Joe Biden a annoncé une hause de 4% du budget militaire américain pour le porter à 812 milliards de dollars, soit 40% de toutes les dépenses militaires dans le monde.

Les Allemands affirment également vouloir se désengager de leur dépendance envers le gaz russe. Le projet de gazoduc sous-marin entre la Russie et l’Allemagne, Nord-Stream 2, a été abandonné. Les Allemands devront trouver du gaz ailleurs. Tout comme la Pologne et la Bulgarie, qui se sont vu supprimer tout approvisionnement russe. Ces pays ont désormais le choix entre plusieurs alternatives : le Qatar, l’Algérie, le Turkménistan et … les Etats-Unis !

Les Etats-Unis sont en effet un nouvel acteur majeur sur le marché du gaz , avec leur gaz naturel liquéfié (GNL), et depuis le début du conflit les Européens sont devenus les premiers importateurs de ce gaz. Les sanctions contre la Russie, qui resteront inévitablement en place à l’issue du conflit, garantissent aux Etats-Unis un marché captif pour des années.

Les Etats-Unis possèdent les cinquièmes plus importantes réserves de gaz naturel au monde (après la Russie, l’Iran, le Qatar et le Turkménistan), et ils sont actuellement le premier producteur mondial de gaz avec près de mille milliards de mètres cubes par an, loin devant la Russie (650 milliards de m3 environ) et l’Iran (250 milliards de m3).

Une partie de cette production est exportée en dépit du fait que les Etats-Unis continuent d’importer d’énormes quantités de gaz et de pétrole pour leur propre consommation. D’ailleurs, à la veille de la guerre en Ukraine, ils importaient près d’un million de barils de pétrole brut de Russie tous les jours.

Mais Vladimir Poutine a été victime de son propre hubris. Involontairement, l’ancien apparatchik du KGB a rendu un service inestimable à Joe Biden, dont la présidence est par ailleurs désastreuse, et aux Etats-Unis. Il a enrichi la machine de guerre américaine, il a renforcé la cohésion européenne autour des Etats-Unis et il a fait de l’Amérique plus que jamais la « nation essentielle ».

Voir enfin:

Ukraine : la France a livré des armes à la Russie jusqu’en 2020

Entre 2015 et 2020, la France a livré des équipements militaires de pointe à la Russie, malgré un embargo européen. Un armement qui a permis à Vladimir Poutine de moderniser sa flotte de tanks, d’avions et d’hélicoptères de combat, et qui pourrait être utilisé dans la guerre en Ukraine. 

Disclose
14 mars 2022

Face caméra, le ton est grave, chaque mot pesé. Mercredi 2 mars, dix jours après le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Emmanuel Macron s’adresse à la nation. « Poutine a choisi la guerre, déclare-t-il aux 21 millions de téléspectateurs qui suivent son allocution en direct. Les forces russes bombardent Kiev, assiègent les villes les plus importantes du pays. Des centaines de civils ukrainiens ont été tués. »  Il ajoute : « Nous nous tenons aux côtés de l’Ukraine. »

Ce soir-là, Emmanuel Macron omet de préciser une information de taille : entre 2015 et 2020, malgré l’escalade militaire avec l’Ukraine, la France a discrètement équipé l’armée de Vladimir Poutine avec des technologies militaires dernier cri. Du matériel qui a contribué à moderniser les forces terrestres et aériennes de la Russie, et qui pourraient aujourd’hui être utilisées dans la guerre en Ukraine.

Embargo sur les armes

D’après des documents « confidentiel-défense » obtenus par Disclose et des informations en sources ouvertes, la France a délivré au moins 76 licences d’exportation de matériel de guerre à la Russie depuis 2015. Montant total de ces contrats : 152 millions d’euros, comme l’indique le dernier rapport au Parlement sur les exportations d’armement, sans toutefois préciser le type de matériel livré.

Selon notre enquête, ces exportations concernent essentiellement des caméras thermiques destinées à équiper plus de 1 000 tanks russes, ainsi que des systèmes de navigation et des détecteurs infrarouges pour les avions de chasse et les hélicoptères de combat de la force aérienne russe. Principaux bénéficiaires de ces marchés : les sociétés Thales et Safran, dont l’Etat français est le premier actionnaire.

Pourtant, l’Union européenne impose depuis le 1er août 2014 un embargo sur les armes à destination de la Russie. Une décision qui fait suite à l’annexion de la Crimée, en février 2014, à l’auto proclamation des républiques séparatistes pro-russes de Louhansk et Donetsk deux mois plus tard, et au crash d’un Boeing 777 abattu par un missile russe en juillet de la même année.

En 2015, sous pression de ses partenaires européens et des Etats-Unis, le président François Hollande avait fini par annuler la vente de deux navires Mistral à la Russie. Mais d’autres livraisons, moins visibles, vont se poursuivre.

Une habitante d’Irpin, au nord ouest de Kiev, après un bombardement russe, le 13 mars 2022. A ce jour, 564 civils ont été tués en Ukraine, selon l’ONU. © Dimitar Dilkoff/ AFP

Les gouvernements de François Hollande puis d’Emmanuel Macron ont profité d’une brèche dans l’embargo européen : il n’est pas rétroactif. En clair, les livraisons liées à des contrats signés avant l’embargo peuvent être maintenues. Ce que confirme à Disclose la Commission européenne, en rappelant néanmoins que ces exportations sont censées respecter « la position commune de 2008 ». Celle-ci stipule que les Etats membres doivent refuser les exportations d’armement dès lors qu’elles peuvent provoquer ou prolonger un conflit armé. Un risque bien présent en Ukraine.

Or, depuis 2014, ni François Hollande ni son successeur n’ont mis fin aux livraisons d’armement à la Russie. Un paradoxe, alors qu’Emmanuel Macron s’active depuis des années sur la scène internationale pour privilégier la voie diplomatique en Ukraine, plutôt que celle des armes.

« Être le premier à ouvrir le feu »

En 2007, Thales signe un premier contrat avec la Russie pour la vente de caméras thermiques baptisées « Catherine FC ». Puis un second, en 2012, pour l’exportation de 121 caméras « Catherine XP » – un autre modèle de la gamme – destinées à « l’armée de terre russe », comme l’indique une note de mai 2016 du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) que Disclose s’est procurée. Selon nos informations, 55 caméras Catherine XP ont encore été livrées à la Russie en 2019.

Intégrée au système de visée d’un char d’assaut, la caméra Catherine permet de détecter des cibles humaines en pleine nuit ou de repérer un véhicule dans un rayon de dix kilomètres. L’avantage, selon la communication de Thales :« Etre le premier à ouvrir le feu. » 

Ces caméras infrarouges ont déjà servi à « ouvrir le feu » en Ukraine. C’était en 2014, lors du conflit dans le Donbass à l’Est de l’Ukraine, comme le prouve une vidéo de l’époque filmée à l’intérieur d’un tank russe T-72.

Huit ans plus tard, cette technologie française pourrait de nouveau équiper certains des chars qui terrorisent la population ukrainienne.

Le 4 mars dernier, dans la ville de Zaporija, des combats font rage aux abords de la plus grande centrale nucléaire d’Europe. Un incendie se déclare dans l’un des bâtiments du site. Aucun réacteur n’est touché, mais le lendemain, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky accuse le Kremlin de « terreur nucléaire ». Selon lui, les tanks russes qui étaient en première ligne au cours des combats « savent ce qu’ils visent », puisqu’ils seraient « équipés de caméras thermiques ». Des caméras haute résolution qui pourraient donc porter le logo de Thales. Ou celui de son concurrent :  Safran.

Selon nos informations et la note « confidentiel-défense » du SGDSN, le groupe Safran a signé la vente, en novembre 2013, de caméras thermiques « Matis STD » à la Russie. En 2016, 211 de ces caméras infrarouges devaient encore être livrées.

Les caméras Matis STD équipent trois types de chars russes : le T-72, le T-90 et le T-80 BVM. Tous trois sont actuellement présents sur le front ukrainien, comme le prouvent des vidéos et des photos diffusées sur les réseaux sociaux.

Comme ce tank russe T-80 BVM filmé par des hommes en arme :

Ou ces chars T-72, pris en photo après leur destruction par l’armée ukrainienne.

Ou encore cette vidéo d’un tank T-90 filmé en train de tirer sous les fenêtres d’un immeuble d’habitation à Borodyanka, une ville située à une cinquantaine de kilomètres de Kiev, la capitale ukrainienne :

Les bombardiers de Poutine

L’industrie de l’armement française équipe aussi l’armée de l’air russe. Sans qu’à aucun moment le gouvernement français ne se soit inquiété de moderniser la flotte des bombardiers de Poutine.

Selon nos informations, depuis un contrat signé en 2014, avec des livraisons qui se sont étalées jusqu’en 2018, le groupe Thales a doté 60 avions de chasse Soukhoï SU-30 de son système de navigation TACAN, son écran vidéo SMD55S et son viseur dernier cri HUD.

Ces avions de combat, qui ont déjà tué des dizaines de milliers de civils en Syrie, bombardent l’Ukraine nuit et jour depuis février. Des SU-30 ont ainsi été filmés en train de survoler la région de Soumy, au nord-est de l’Ukraine, ou à Mykolaïv et à Tchernihiv, le 5 mars, après avoir été abattus par la défense ukrainienne.

Le géant de l’aéronautique a aussi livré son système de navigation TACAN pour équiper certains avions de chasse Mig-29 – à ce stade, nous n’avons pas été en mesure de documenter l’emploi de Mig-29 en Ukraine, ainsi qu’une vingtaine de casques Topowl, dotés d’écrans infrarouges et de jumelles destinés aux pilotes russes, selon le site russe Topwar.

Emmanuel Macron teste un casque Topowl, en mai 2016, lors du salon de l’armement Eurosatory. © Thales

Les Mig-29 et les SU-30 sont également munis d’un système de navigation livré par Safran à partir de 2014 : le Sigma 95N. Cette technologie permet aux pilotes de l’armée de l’air russe de se localiser sans avoir recours aux satellites américains ou européens.

Les hélicoptères de combat

Le 24 février dernier, les hélicoptères Ka-52 ont été parmi les premiers à survoler le territoire ukrainien, comme en attestent de nombreuses images postées sur les réseaux sociaux. Certains ont été rapidement mis hors de combat et ont pu être photographiés de près.

L’agence de presse gouvernementale russe RIA Novosti a elle-même publié les images d’un de ces hélicoptères larguant des missiles en pleine campagne ukrainienne.

Pour traquer des cibles en pleine nuit, ces hélicoptères militaires peuvent aussi compter sur un système d’imagerie infrarouge produit par Safran, comme l’a révélé le site d’investigation EU observer, en 2015.

« dictateur »

Une société détenue par Thales et Safran a aussi profité de l’appétit militaire de Vladimir Poutine pour lui vendre des caméras infrarouges. La société Sofradir, c’est son nom, a signé un contrat de 5,2 millions d’euros avec la Russie, en octobre 2012. Quatre ans plus tard, d’après la note « confidentiel-défense » de la SGDSN citée plus haut, Sofradir devait encore livrer « 258 détecteurs infrarouges » à une société russe de défense.

Contacté par Disclose, le groupe Safran assure respecter « scrupuleusement la réglementation française et européenne » et ne plus fournir « d’équipements, de composants, de soutien ou de prestations de maintenances à la Russie » depuis l’embargo européen de 2014. Thales n’a pas répondu à nos questions. Pas plus que le gouvernement, qui n’a réagi que plusieurs heures après la publication de l’enquête, sur Twitter.

Le porte-parole du ministère des armées, Hervé Grandjean, reconnait que « la France a permis l’exécution de certains contrats passés depuis 2014 ». Il ajoute : « Aucune livraison n’a été effectuée à la Russie depuis le début de la guerre en Ukraine. »

En décidant de poursuivre ces livraisons à la Russie au moins jusqu’en 2020, la France a donné un atout militaire de plus à Vladimir Poutine, dont l’armée est déjà en supériorité numérique face aux Ukrainiens. Un soutien embarrassant à celui que le ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a qualifié, au déclenchement de la guerre, de « dictateur ».

Elie Guckert, Ariane Lavrilleux, Geoffrey Livolsi & Mathias Destal


Présidentielle/2022: Qui nous délivrera des Russes et des Sarrasins ? (What tragic moment for a Western world incapable of confronting at the same time both the Islamic and Russian threats ?)

25 février, 2022

Vous avez finalement un paradoxe aujourd’hui dans la politique française, qui est presque une tenaille. C’est à dire que nous sommes pris en tenaille entre d’une part une gauche qui dans son ensemble ne reconnait pas le danger de l’islamisme, ou en tout cas ne l’évalue pas à sa juste dimension. (…)  Et puis, (…) une droite qui est incapable de penser la question russe. (…) Il y a un côté, que je dirais presque tragique pour nous Français, de se dire qu’il n’y a pas vraiment sur la scène politique un homme politique qui est capable de penser de manière vraiment sérieuse ces deux menaces en même temps. Laure Mandeville
S’il a fallu repenser de fond en comble la sociologie des intellectuels, c’est que, du fait de l’importance des intérêts en jeu et des investissements consentis, il est suprêmement difficile, pour un intellectuel, d’échapper à la logique de la lutte dans laquelle chacun se fait volontiers le sociologue — au sens le plus brutalement sociologiste — de ses adversaires, en même temps que son propre idéologue, selon la loi des cécités et des lucidités croisées qui règle toutes les luttes sociales pour la vérité. Pierre Bourdieu
Nous n’avons point trouvé d’autres moyens de garantir nos frontières que de les étendre. Catherine II (lettre à Voltaire, 1772)
Messieurs, charbonnier est maître chez soi. Nous sommes un Etat souverain. Tout ce qu’a dit cet individu ne nous regarde pas. Nous faisons ce que nous voulons de nos socialistes, de nos pacifistes et de nos juifs, et nous n’avons à subir de contrôle ni de l’humanité ni de la SDN. Joseph Goebbels (SDN, Genève, 1933)
L’erreur est toujours de raisonner dans les catégories de la « différence », alors que la racine de tous les conflits, c’est plutôt la « concurrence », la rivalité mimétique entre des êtres, des pays, des cultures. La concurrence, c’est-à-dire le désir d’imiter l’autre pour obtenir la même chose que lui, au besoin par la violence. Sans doute le terrorisme est-il lié à un monde « différent » du nôtre, mais ce qui suscite le terrorisme n’est pas dans cette « différence » qui l’éloigne le plus de nous et nous le rend inconcevable. Il est au contraire dans un désir exacerbé de convergence et de ressemblance. (…) Ce qui se vit aujourd’hui est une forme de rivalité mimétique à l’échelle planétaire. (…) Ce sentiment n’est pas vrai des masses, mais des dirigeants. Sur le plan de la fortune personnelle, on sait qu’un homme comme Ben Laden n’a rien à envier à personne. Et combien de chefs de parti ou de faction sont dans cette situation intermédiaire, identique à la sienne. Regardez un Mirabeau au début de la Révolution française : il a un pied dans un camp et un pied dans l’autre, et il n’en vit que de manière plus aiguë son ressentiment. Aux Etats-Unis, des immigrés s’intègrent avec facilité, alors que d’autres, même si leur réussite est éclatante, vivent aussi dans un déchirement et un ressentiment permanents. Parce qu’ils sont ramenés à leur enfance, à des frustrations et des humiliations héritées du passé. Cette dimension est essentielle, en particulier chez des musulmans qui ont des traditions de fierté et un style de rapports individuels encore proche de la féodalité. (…) Cette concurrence mimétique, quand elle est malheureuse, ressort toujours, à un moment donné, sous une forme violente. A cet égard, c’est l’islam qui fournit aujourd’hui le ciment qu’on trouvait autrefois dans le marxisme. René Girard
Un des grands problèmes de la Russie – et plus encore de la Chine – est que, contrairement aux camps de concentration hitlériens, les leurs n’ont jamais été libérés et qu’il n’y a eu aucun tribunal de Nuremberg pour juger les crimes commis. Thérèse Delpech (2005)
Taiwan est un des rares problèmes stratégiques qui puisse provoquer une guerre mondiale aussi sûrement que l’Alsace-Lorraine au début du siècle dernier. Thérèse Delpech
Le XXe siècle n’est pas encore terminé en Asie et ni la guerre froide ni même la Seconde Guerre mondiale n’ont dit leur dernier mot dans cette région. Thérèse Delpech
Le bolchevisme ne durera pas éternellement en Russie. Un jour viendra où l’ordre s’y rétablira et où la Russie, reconstituant ses forces, regardera autour d’elle. Ce jour-là, elle se verra telle que la paix va la laisser, c’est à dire privée de l’Estonie, de la Finlande, de la Pologne, de la Lituanie, peut-être de l’Ukraine. S’en contentera-t-elle ? Nous n’en croyons rien. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on reverra la Russie reprendre sa marche vers l’Ouest et le Sud-Ouest. De quel côté la Russie recherchera-t-elle un concours pour reprendre l’œuvre de Pierre le Grand et de Catherine II ? Ne le disons pas trop haut, mais sachons-le et pensons-y : c’est du côté de l’Allemagne que fatalement elle tournera ses espérances. Voilà, Messieurs, pourquoi la France prête à la Pologne et à la Roumanie un si large concours militaire ; et voilà pourquoi nous sommes ici. (…) Chacun de nos efforts en Pologne, Messieurs, c’est un peu plus de gloire pour la France éternelle. Charles de Gaulle (1919)
Sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire (…) Pour Moscou, en revanche, rétablir le contrôle sur l’Ukraine ― un pays de cinquante-deux millions d’habitants doté de ressources nombreuses et d’un accès à la mer Noire –, c’est s’assurer les moyens de redevenir un État impérial puissant, s’étendant sur l’Europe et l’Asie. La fin de l’indépendance ukrainienne aurait des conséquences immédiates pour l’Europe centrale. (…) La Russie peut-elle, dans le même mouvement, être forte et démocratique ? Si elle accroît sa puissance, ne  cherchera-t-elle pas à restaurer son domaine impérial ? Peut-elle prospérer en tant qu’empire et en tant que démocratie ? (…) Et la « réintégration » de l’Ukraine reste, à ce jour, une position de principe qui recueille le consensus de la classe politique. Le refus russe d’entériner le statut d’indépendance de l’Ukraine, pour des raisons historiques et politiques, se heurte frontalement aux vues américaines, selon lesquelles la Russie ne peut être à la fois impériale et démocratique. (…) D’autant que la Russie postsoviétique n’a accompli qu’une rupture partielle avec son passé. Presque tous ses dirigeants « démocratiques », bien que conscients du passif et sans illusions sur la valeur du système, en sont eux-mêmes le produit et y ont accompli leur carrière jusqu’au sommet de la hiérarchie. Ce n’étaient pas des anciens dissidents comme en Pologne ou  en République tchèque. Les institutions clés du pouvoir soviétique ― même affaiblies et frappées par la démoralisation et la corruption ― n’ont pas disparu. À Moscou, sur la place Rouge, le mausolée de Lénine, toujours en place, symbolise cette résistance de l’ordre soviétique. Imaginons un instant une Allemagne gouvernée par d’anciens gauleiters nazis, se gargarisant de slogans démocratiques et entretenant le mausolée d’Hitler au centre de Berlin. Zbigniew Brzezinski (“Le Grand Echiquier”, 1997)
C’est toujours la même chose. (…) La Russie se présente comme faible: il faut l’aider, se garder de l’humilier, consolider ses progrès. Elle se présente en même temps comme redoutable par son immensité, son armée, son arsenal atomique, son pétrole. Elle fait planer une vague menace. Elle pourrait être encore pire. Apaisons-la. (…) Que veut la Russie de Poutine ? Pour commencer, reconstituer l’URSS. Elle est en contentieux de frontières avec l’Ukraine, l’Estonie, la Lettonie, la Moldavie, le Kazakhstan, la Géorgie. Elle a soin d’entretenir ce contentieux, de le faire suppurer et quand l’occasion se présente, de l’enflammer, comme aujourd’hui. Au lieu de s’occuper de l’épouvantable niveau sanitaire, de l’école à la dérive, elle construit des sous-marins, des porte-avions, développe des systèmes d’armes, pratique la menace et le chantage tous azimuts. Nous saluons : «La Russie a retrouvé sa fierté.» En fait elle court à sa ruine. Elle ne peut concevoir la négociation qu’en termes de victoire. (…) À force de répétition, de crise en crise, cet appétit pour l’agrandissement finit par nous paraître naturel. C’est comme un vieux travers de la Russie, presque un élément du folklore, comme le samovar. C’est leur habitude et nous nous y habituons. Notre jobardise, notre crédulité, notre naïveté sont, avec la domination, l’autre grande satisfaction de l’État russe. Alain Besançon
La Russie a su nous instiller une culpabilité corrosive pour avoir gagné la guerre froide. Elle s’est constamment posée en victime, au point que le refrain de la diplomatie française a été pendant des années qu’ »il ne fallait pas humilier la Russie ». Au nom de ce principe, cette dernière a bénéficié d’une indulgence exceptionnelle, dont elle a usé et abusé. Quel autre pays au monde peut en effet se permettre de raser des villes, de spolier les étrangers, d’assassiner les opposants hors de ses frontières, de harceler les diplomates étrangers, de menacer ses voisins, sans provoquer autre chose que de faibles protestations ? La raison en est que la Russie se pose constamment en victime, et elle a réussi à persuader les Occidentaux qu’ils étaient responsables de la débâcle des premières années de l’après-communisme, alors que la cause de ce fiasco tenait à l’héritage du communisme et aux caractéristiques de la nouvelle élite qui a émergé sur les ruines de l’Etat soviétique. De même que Hitler jouait à fond sur la culpabilité suscitée en Europe par le traité de Versailles, de même les Russes paralysent notre volonté en nous faisant endosser la faute de leurs déboires pendant les années Eltsine. Ainsi tout est bon : nous avons élargi l’OTAN, nous avons fait la guerre à la Yougoslavie, nous avons proclamé l’indépendance du Kosovo. En réalité, le tournant de la Russie vers ce qui allait devenir la dictature poutinienne a été pris avant ces événements. Il remonte à la crise de l’automne 1993, lorsque Boris Eltsine a donné la troupe contre la Douma et fait adopter une nouvelle Constitution qui mettait un terme à la séparation des pouvoirs et fermait à la Russie la voie de la démocratie libérale à l’européenne, – et cela, dès cette époque, au nom d’un renouveau impérial. Les propagandistes du Kremlin ont parfaitement assimilé la phraséologie occidentale et ils la manipulent en maîtres. Encore une fois, le précédent de Hitler, qui sut jusqu’en 1938 dissimuler ses projets de conquêtes sous le slogan du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » et du « droit du peuple allemand à l’autodétermination », est particulièrement instructif : les régimes autoritaires savent concentrer le mensonge en un rayon laser dévastateur qu’ils braquent sur les centres nerveux des démocraties pétrifiées. Aussi devons-nous avant tout nous débarrasser de cette culpabilité débilitante, à tous les sens du terme. Nous devons nous rappeler comment Vladimir Poutine est arrivé au pouvoir, par la provocation et une guerre menée contre des citoyens russes. Nous devons nous rappeler ce qu’il a réalisé en quelques années : la mise au pas totale du pays, la redistribution de la propriété au profit de son clan, l’organisation d’une propagande systématique de haine contre les Occidentaux, l’occultation des crimes du communisme, la réhabilitation de Staline, un lavage de cerveau quotidien des citoyens russes visant à leur inculquer la paranoïa, le culte de la force et l’esprit de revanche. (…) C’est devant cette Russie dangereuse que nous nous trouvons. Cessons de nous accuser et de trouver à la Russie mille excuses, qui ne servent qu’à justifier notre lâcheté. Elle nous dit qu’elle défend ses intérêts légitimes en envahissant un pays indépendant. Et dans les chancelleries occidentales, nombreux sont ceux qui sont prêts à lui reconnaître implicitement une « sphère d’influence », pour la « rassurer, apaiser » son complexe d’encerclement (c’est par les mêmes arguments que les Anglo-Saxons ont justifié l’abandon de la Pologne à Staline en 1944-1945). A ceux-là il faut rappeler que, une semaine avant de lancer l’opération d’annexion de la Géorgie, la Russie avait discrètement cédé à la Chine les territoires contestés qui avaient failli mener à une guerre entre les deux pays en 1969. (…) La conclusion est simple : la Russie poursuit de sa vindicte les Occidentaux et les pays qui s’orientent vers l’Europe et les Etats-Unis. Elle se prétend encerclée par l’OTAN et ne se soucie nullement d’une Chine autrement agressive, dynamique et dangereuse pour sa « sphère d’influence ». Ce qu’elle hait et redoute, c’est la liberté. Elle guette avidement chez nous les signes de faiblesse, d’aveuglement, de corruption et de capitulation préventive – et elle n’a que trop d’occasions de se réjouir. Or chaque démission en appellera d’autres plus grandes. Tant que demeurera une Europe indépendante alliée aux Etats-Unis, la Russie se sentira encerclée. La réalisation des prétendus intérêts de sécurité russes passe par l’asservissement par cercles successifs de tous ses voisins occidentaux et méridionaux. Françoise Thom (2008)
Les intellectuels et le communisme étaient faits pour se rencontrer depuis que Lénine a compris que le prolétariat n’allait pas briser ses chaînes d’exploité, comme le croyait Marx, et qu’il fallait un parti de révolutionnaires professionnels pour prendre le pouvoir, comme il l’écrit dans Que faire? en 1902. La révolution, devenait du coup une affaire d’intellectuels éclairés, chargés de faire le bonheur du peuple malgré lui. Être au centre du pouvoir, en tant que conseiller ou comme acteur, est un vieux rêve de l’élite pensante depuis Platon. De plus, le déterminisme historique qui caractérise la théorie marxiste, avec la lutte des classes comme moteur de l’histoire et l’inéluctable avènement du communisme, stade suprême de l’humanité, offrait aux intellectuels la feuille de route dont ils rêvaient. Les voilà au cœur de l’action avec la boussole pour les diriger. Le communisme une fois instauré, tous les régimes en question ont éliminé les intellectuels qui n’étaient pas dans la ligne, mais tant qu’il s’est agi du sang des autres là-bas, au loin, de ceux qui subissaient, la plupart des intellectuels occidentaux sympathisants ont continué à croire en l’avenir radieux. (…) L’expression «opium des intellectuels» est de Raymond Aron, l’un de nos rares intellectuels à avoir échappé à l’attraction communiste. L’appétence particulière de nos «penseurs» pour cette idéologie tient à plusieurs facteurs. Pour l’essentiel, disons que le rapport de l’intellectuel français au pouvoir est singulier, au phénomène de cour mis en place sous la royauté: être proche, avoir l’oreille du prince a toujours été une marque de reconnaissance. En France le pouvoir attire, jusqu’à aveugler souvent. D’autre part, la philosophie des Lumières qui a annoncé la Révolution française a démontré comment la pensée pouvait préparer les esprits aux bouleversements politiques et sociaux, ce que le communisme systématise avec le parti de Lénine justement. Le facteur révolution joue aussi son rôle, toute la culture post 1789 a magnifié ce moment, c’est seulement récemment que nous avons pris conscience que l’instrumentalisation idéologique pouvait conduire à la Terreur, comme en 1793. L’expression populaire «on ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs» présente les excès révolutionnaires comme nécessaires, donc acceptables. En réalité, il n’y a jamais eu de révolution communiste, c’est l’une des impostures de cette histoire. Dans les faits, le pouvoir n’a jamais été conquis à la suite d’une révolte populaire: le coup d’État de Lénine en octobre 1917, la guerre civile gagnée par Mao en 1949, la guerre de libération nationale conduite par Ho Chi Minh au Vietnam en sont quelques exemples. Le terme de «révolution communiste» est un oxymore que nos intellectuels ont vénéré. (…) L’expression [« compagnon de route »] est due à Trotski, en 1922. Elle désigne l’intellectuel qui est prêt à faire un bout de chemin avec les communistes sans pour autant adhérer au parti. (…) Dans à peu près tous les pays du monde il y a eu des compagnons de route: GB Shaw en Grande Bretagne, Dashiell Hammett aux Etats Unis, Bertolt Brecht en Allemagne, Alberto Moravia en Italie, etc. Il serait plus court de citer les intellectuels restés lucides. (…) Lénine désignait par ce terme [« idiot utile »] l’homme politique, l’homme d’affaires qui pouvaient être utilisés pour promouvoir tel ou tel aspect du communisme, par orgueil (se rendre intéressant), par ignorance, par cupidité, bref en usant de tous les ressorts humains. Le plus connu des « idiots utiles » est l’ancien président du Conseil français, sous la IIIe République, Edouard Herriot, invité en Ukraine au début des années 1930 alors que la famine, instrumentalisée par Staline pour liquider les paysans récalcitrants à la collectivisation, battait son plein. Il en a nié la réalité, soit plusieurs millions de morts. Plus près de nous, François Mitterrand s’est prêté à la même opération pour le compte de Mao. Reçu par le Grand Timonier alors que la famine décimait le pays à cause du Grand bond en avant, il en a contesté l’ampleur comme Mao lui avait dit. De 30 à 50 millions de Chinois sont morts à cette époque. On ne compte pas les hommes d’affaires capitalistes qui ont aidé les régimes communistes à survivre par des crédits ou en livrant du matériel, de la technologie jusque et y compris à l’usage des travailleurs forcés des camps de concentration. Tout ce passé est douloureux pour nos consciences, voilà pourquoi aussi il est tentant de l’oublier, voire de l’escamoter. (…) La fameuse phrase de Sartre sur « il ne faut pas désespérer Billancourt », peut-être une explication de cette cécité. Le communisme a représenté un tel espoir que peu importait la réalité. Pour beaucoup il était préférable de croire que de voir, donc ils se sont aveuglés d’eux-mêmes car la vérité sur le communisme a été connue dès les premiers mois, les témoignages n’ont jamais cessé de s’accumuler: qui voulait savoir pouvait savoir. C’est bien ce qui rend cet aveuglement coupable, autant, quitte à choquer, que ceux qui savaient sur la Shoah avant la découverte des camps d’extermination en 1945 mais qui se sont tus pour raison d’État, dans un contexte de guerre mondiale. L’indifférence, pis les mensonges qui ont couvert la réalité communiste, ne bénéficient même pas d’une telle excuse. C’est ainsi que des dizaines de millions de personnes ont disparu dans ces régimes que la doxa intellectuelle présentait comme LE modèle pour l’humanité. La culpabilité est immense ce qui rend ce passé si douloureux pour la conscience universelle. Certains sont toutefois plus coupables que d’autres. Un Aragon, apparatchik communiste jusqu’à ses derniers jours, est cent fois plus blâmable qu’un Sartre qui a fait des allers-retours avec l’idéologie. (…) En exergue à l’un de mes chapitres je cite cette phrase de Camus: «Toute idée fausse finit dans le sang mais il s’agit toujours du sang des autres». Le communisme a été une idée fausse, des hectolitres de sang ont été versés en son nom, mais qu’importe…. L’intellectuel, d’une manière générale, s’embarrasse peu de la réalité surtout s’il n’y est pas confronté directement. Cette indifférence, voire cet amour du sang des autres a des ressorts profonds dont l’une des sources est probablement la haine de soi éprouvée en tant que profiteur d’un monde que l’on abhorre. L’adhésion au communisme a été d’autant plus forte que le rejet du capitalisme a été profond, un système vu, jugé comme l’exploitation du plus grand nombre, l’enrichissement d’une minorité, et le fourrier de la guerre (celle de 1914-1918) qui venait de meurtrir le monde. La charge était telle que s’en débarrasser devenait une libération pour l’humanité, quel qu’en soit le coût humain puisque le capitalisme ne pouvait en ce domaine donner de leçon. La violence est devenue une nécessité pour s’arracher de ce monde. L’enchaînement capitalisme – haine – égalité – révolution – violence annonçait l’indifférence à venir. Les intellectuels s’y sont complus tant qu’ils n’en étaient pas les victimes. (…) Avoir été maoïste est à la fois plus grave et moins grave qu’avoir été stalinien. Plus grave puisqu’intervenant après, quand on pouvait tout savoir des dégâts provoqués par l’aveuglement sur Staline. Plus grave encore car Mao est responsable de bien plus de morts que Staline. La complicité est donc moralement plus grave. En même temps, l’aveuglement a duré moins longtemps et certains maoïstes occidentaux s’en sont repentis. Moins grave aussi parce que le maoïsme a pris en Occident un côté folklorique qui lui conférait un aspect ridicule: voir des intellectuels brandir le Petit livre rouge en ânonnant les slogans du Grand Timonier pouvait difficilement être pris aux sérieux. Le maoïsme a démontré de manière éclatante combien l’aveuglement idéologique abêtit, en cela il a été utile si j’ose dire. Maintenant, que Mao garde une stature de commandeur quand Staline a été déboulonné, la responsabilité en revient en premier lieu au régime chinois qui en est l’héritage. Que tous les billets de banque de la République populaire de Chine soient encore à l’effigie du Grand Timonier est aussi scandaleux que si les Deutsche Marks d’après guerre avaient mis le Führer en emblème. (…) Le meilleur allié du communisme a été le nazisme et le plus utile des idiots, si l’on peut dire, fut Hitler. Les deux totalitarismes se sont entraidés avant de se combattre. Ils avaient la même haine du monde occidental, de la démocratie et leur système politique était cousin germain. Après avoir aidé Hitler à arriver au pouvoir en 1933 grâce à la lutte conjointe des communistes allemands (aux ordres de Moscou) et des nazis, contre le gouvernement social-démocrate en place à Berlin ; après avoir soutenu l’effort de guerre du Führer grâce au pacte germano-soviétique d’août 1939 ; après s’être partagé l’Europe au début de la guerre, les deux totalitarismes se sont affrontés. À partir de là, toute l’intelligence de Staline, toute la tactique communiste a consisté à se présenter comme le meilleur rempart, le seul même face à la peste brune, jusqu’à faire oublier l’alliance passée. L’antifascisme a servi de paravent au stalinisme pour accomplir ses noirs desseins, d’abord contre son peuple puis contre les peuples conquis à la faveur du conflit mondial. Communisme et nazisme sont deux variantes du totalitarisme. Être contre l’un aurait dû amener à être contre l’autre, c’est cela que dit Orwell. Or l’hémiplégie d’une partie de l’opinion publique (cela va bien au-delà des intellectuels) consiste toujours à diaboliser un totalitarisme, le brun, pour excuser ou minorer l’autre, le rouge. C’est l’un des héritages du communisme dans les têtes. La seule attitude morale qui vaille est d’être antitotalitaire et de renvoyer dos à dos toutes les idéologies qui en sont le substrat. (…) Le communisme a représenté un grand espoir de justice sociale, il a mis ses pas dans la démarche chrétienne. Cela explique en partie son succès: au message christique «les derniers seront les premiers» au paradis, l’idéologie a substitué l’idée que les prolétaires (les plus pauvres) gouverneront le monde pour instaurer l’égalité pour tous. L’échec est d’autant plus durement ressenti. La mort du communisme revient pour certains à la mort de Dieu pour les croyants: inacceptable, impensable. Le communisme n’est toujours pas sorti de cette phase de deuil, d’où le négationnisme dont je parle: on nie la réalité de ce qui fut pour ne pas souffrir des espoirs qu’il a suscité. Il est certes désormais reconnu que ces régimes ont fait des millions de morts. C’est un progrès. Il n’empêche, être anti communiste reste péjoratif, quand cela devrait être une évidence. L’intellectuel qui a eu des faiblesses envers le fascisme demeure coupable à jamais quand celui qui a idolâtré le stalinisme ou le maoïsme, ou le pol-potisme (le Cambodge des Khmers rouge) est vite pardonné. C’est aussi cela le négationnisme communiste. Il ne s’agit pas de faire des procès, mais de regarder la réalité historique en face. En outre, la complicité envers le communisme a été telle, elle a pris une telle ampleur – des militants des PC du monde entier aux intellectuels, des dirigeants politiques des démocraties aux hommes d’affaires -, qu’il existe un consensus tacite pour oublier cette face sombre de l’humanité. L’être humain n’aime pas se sentir coupable, alors il passe à autre chose. Ce ne peut être que transitoire. La dimension du drame communiste fait qu’il est impossible d’en faire l’impasse. Je fais le pari que la réflexion sur cette époque va prendre de l’ampleur pour que l’histoire se fasse enfin. Il faudra sans doute pour cela que tous les témoins (acteurs ou simples spectateurs) de cette époque disparaissent. Et avec eux ce négationnisme diffus qui sert de garde-fou à l’émergence de la mauvaise conscience. Il est évident que l’étude approfondie de cette époque est indispensable pour la compréhension de notre monde actuel, l’héritage somme toute du XXe siècle communiste. (…) En premier lieu, il reste encore des régimes communistes: outre la Chine, la Corée du Nord, le Laos, le Vietnam, Cuba, l’Erythrée notamment. Ces pays fonctionnent sous l’égide d’un parti unique qui se réclame de l’idéologie marxiste-léniniste, avec tout ce que cela comporte d’atteinte aux libertés et de drames humains. Maintenant, l’échec du bloc soviétique a discrédité ce type de système politique. Je doute que des régimes communistes nouveaux apparaissent. En fait, il n’y a plus le terreau nécessaire pour cela. L’idéal, comme les régimes qui s’en réclament, sont apparus dans un contexte idéologico-politico-économique particulier, fait à la fois de scientisme, de guerres, de massification des individus, de crises sociales, toutes choses que je développe largement dans mon livre, qui ne sont plus. J’ajoute que la mondialisation, l’ouverture obligée des frontières pour y participer, est antinomique avec l’esprit totalitaire qui oblige à l’enfermement des êtres comme des esprits. On peut d’ailleurs constater que les pays qui restent communistes s’ouvrent économiquement tout en restant fermés politiquement. La Chine en est le meilleur exemple. Or, à terme, cette schizophrénie politico-économique n’est pas viable. Non seulement le contexte mondial a changé pour que de nouveaux pays tombent dans la nasse communisme, mais ceux qui y restent sont condamnés à terme à disparaître, en tout cas tels qu’ils existent. Dans nos contrées démocratiques, seul un quarteron d’idéologues se réclame encore du communisme marxiste-léniniste vieille manière, celui qui a brillé au XXe siècle. Mais ils n’ont plus d’influence. La page est tournée. La protestation sociale née des inégalités, qui elles ne cesseront sans doute jamais, prend et prendra d’autres chemins, mais pas celui emprunté tout au long du XXe siècle. (…) Le philosophe anglais Bertrand Russel remarquait déjà au début des années 1920 une ressemblance entre communisme et islamisme, notamment la même volonté de convertir le monde. N’oublions pas que la propagande communiste, très présente au XXe siècle, a développé des thèmes anti-occidentaux au nom de la lutte contre l’abomination capitaliste, et contre l’impérialisme. Cela a façonné des esprits, y compris dans des pays musulmans influencés par l’URSS, leur allié contre l’ennemi principal, Israël. La doxa communiste contre la liberté d’être, de penser, de se mouvoir, d’entreprendre, etc., se retrouve dans le discours des islamistes, présentée comme des tentations de Satan. En tant qu’idéologie totalitaire, le communisme cherchait à atomiser les individus en les arrachant de leurs racines sociales, politiques, culturelles, voire familiales, pour mieux les dominer, les contrôler. L’islamisme, lui, propose des repères, des codes, à des individus déjà déracinés sous la poussée d’une mondialisation dont les effets ont tendance à déstructurer les sociétés traditionnelles. La démarche est différente, mais le résultat est comparable: dans les deux cas il s’agit d’unir des personnes isolées grâce à des sentiments identitaires – la communauté socialiste, la communauté des croyants -, de donner sens à leur collectif grâce à un mythe absolu et exclusif, le parti pour les communistes, l’oumma pour les islamistes, terme qui désigne à la fois la communauté des croyants et la nation. Enfin, on retrouve dans l’islamisme des marqueurs du communisme: la contre-modernité du propos, une explication globale du monde et de sa marche, une opposition radicale entre bons et mauvais – croyants/impies en lieu et place des exploités/exploiteurs -, la volonté de modeler les hommes, et un esprit de conquête planétaire. Dès lors, la substitution est possible. Thierry Wolton
Poutine a eu le plus de succès, paradoxalement, dans les domaines de l’économie et de la politique, où l’Occident pensait que son pouvoir était le plus fort. (…) Menés par la Chine et rejoints par l’Inde et le Brésil, les pays du monde entier choisissent le commerce avec la Russie (…) Depuis que le dirigeant russe a attaqué la Géorgie en 2008, les dirigeants occidentaux ont constamment mal interprété et sous-estimé la menace que représentent les puissances révisionnistes (Chine, Russie et Iran) [en] Géorgie, Crimée, mer de Chine méridionale et au Moyen-Orient. Tactiquement, M. Poutine veut absorber autant d’Ukraine que possible, mais cette guerre ne concerne pas vraiment quelques tranches du Donbass. Stratégiquement, MM. Poutine, Xi et leurs acolytes iraniens cherchent à détruire ce qu’ils considèrent comme une hégémonie mondiale dirigée par les Américains et dominée par l’Occident. Ils estiment que malgré ses atouts imposants (les pays du G-7 représentent 45 % du produit intérieur brut mondial et 52 % des dépenses militaires mondiales), cet ordre est décadent et vulnérable. (…) Alors que la sagesse conventionnelle occidentale croit que l’élément « basé sur les valeurs » de la politique étrangère américaine et européenne est une source vitale de force dans le monde, les révisionnistes croient que le narcissisme et l’aveuglement occidentaux ont conduit les puissances occidentales dans un piège historique. (…) Les défenseurs conventionnels de l’ordre mondial occidental répliquent en vantant son attachement à des valeurs universelles telles que les droits de l’homme et la lutte contre le changement climatique. L’ordre mondial actuel peut, reconnaissent-ils, être historiquement enraciné dans la puissance impériale occidentale, mais en tant qu’« empire de valeurs », l’ordre mondial occidental mérite le soutien de tous ceux qui se soucient de l’avenir de l’humanité. Malheureusement, le programme de valeurs de plus en plus « woke » de l’Occident n’est pas aussi crédible ou aussi populaire que l’espèrent les libéraux. (…) De nombreuses valeurs chères au cœur des leaders culturels occidentaux (droits LGBTQ, avortement à la demande, liberté d’expression comprise comme autorisant la pornographie incontrôlée sur Internet) intriguent et offensent des milliards de personnes dans le monde qui n’ont pas suivi les modes actuelles sur les campus américains. Les tentatives des institutions financières et des régulateurs occidentaux de bloquer le financement de l’extraction et du raffinage des combustibles fossiles dans les pays en développement exaspèrent à la fois les élites de là-bas et le grand public. De plus, le nouveau programme de valeurs post-judéo-chrétiennes de l’Occident libéral divise l’Occident. Les guerres culturelles chez nous ne favorisent pas l’unité à l’étranger. Si M. Biden, avec le soutien du Parlement européen, fait de l’avortement à la demande un élément clé de l’agenda des valeurs de l’ordre mondial, il est plus susceptible d’affaiblir le soutien américain à l’Ukraine que d’unir le monde contre M. Poutine. La confusion morale et politique de l’Occident contemporain est l’arme secrète qui, selon les dirigeants de la Russie et de la Chine, mettra à genoux l’ordre mondial américain. MM. Poutine et Xi pourraient avoir tort ; et on l’espère bien. Mais leur pari sur la décadence occidentale porte ses fruits depuis plus d’une décennie. La survie occidentale et l’épanouissement mondial nécessitent plus de réflexion et des changements plus profonds que ce que peuvent actuellement imaginer l’administration Biden et ses alliés européens. Walter Russell Mead
Sur fond de grave crise aux confins orientaux de l’Ukraine, où le bruit des bottes fait redouter une nouvelle offensive militaire russe, le Kremlin a ordonné le tir d’une salve de missiles hypersoniques « Zircon », et ce la veille de Noël (selon le calendrier grégorien). Vladimir Poutine s’est félicité de ce succès : « un grand événement pour le pays et une étape significative pour renforcer la sécurité de la Russie et ses capacités de défense ». Au vrai, il ne s’agit pas du premier essai mais il intervient dans un contexte particulier, quand le Kremlin pose de manière claire et explicite un ultimatum qui exige des Occidentaux qu’ils signent deux traités ordonnant le repli de l’OTAN et donc, à brève échéance, son sabordage. Dans l’esprit des dirigeants russes et de nombreux commentateurs à Moscou, enthousiasmés par la possibilité d’une grande guerre à visée hégémonique, il ne s’agit pas tant de démontrer l’avance acquise dans la gamme des armes dites « nouvelles » que d’intimider et de menacer l’Europe et les États-Unis. Et la discrétion des dirigeants occidentaux quant à ces essais répétés laisse dubitatif. Dès lors se pose la question des possibles effets produits par ces « armes nouvelles ». S’agirait-il là d’une rupture technologique, vecteur d’une révolution stratégique ? En d’autres termes, le problème est de savoir si la Russie, posée par ses dirigeants comme puissance révisionniste, prête à recourir aux armes pour modifier le statu quo international, aligne son discours géopolitique, son système militaire et sa stratégie. On se souvient du discours prononcé par Vladimir Poutine au Parlement, le 1er mars 2018, le président russe ayant alors présenté un programme de nouveaux missiles qui impressionna la classe dirigeante russe et nombre d’observateurs internationaux. Ces armes dites de rupture sont hypersoniques (soit une vitesse supérieure à Mach 5), sur une partie de leur trajectoire à tout le moins. Elles sont présentées comme étant capables d’effectuer des manœuvres qui permettent de déjouer les capacités d’interception adverses, c’est-à-dire les défenses antimissiles des États-Unis et de l’OTAN. Parmi ces « super-missiles », citons le « Kinjal » (un missile lancé par un avion), l’« Avangard » (un planeur hypersonique lancé par une fusée « Sarmat ») et le « Zircon » (un missile antinavire déployé sur des bâtiments de surface, des sous-marins ainsi que des batteries côtières). Curieusement, le « Zircon » dont il est désormais question ne fut pas mentionné lors de la prestation du 1er mars 2018. En revanche, d’autres armes furent présentées, à l’instar de la torpille « Poséidon », capable de déclencher un tsunami radioactif de l’autre côté de l’Atlantique, le drone sous-marin « Peresvet », à propulsion nucléaire et à charge atomique, et le missile « Bourevestnik » qualifié d’« invincible » par Vladimir Poutine. Il existe des interrogations sur le degré réel d’avancement de ces programmes et leur opérationnalité effective. Ainsi l’accident survenu le 8 août 2019, sur une base septentrionale russe, serait-il lié à un nouvel échec du « Bourevestnik » (l’explosion a fait plusieurs morts et provoqué une hausse de la radioactivité). Nonobstant des imprécisions et des effets d’annonce parfois trop hâtifs, le programme d’armes nouvelles illustre la réalité du réarmement russe, plus axé sur la qualité des technologies que sur le volume des arsenaux. Les optimistes veulent voir dans la posture russe une forme contre-intuitive de « dialogue stratégique » avec les États-Unis, en vue d’un renouvellement de l’arms control (la maîtrise des armements). Le sort du traité sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI), violé par la Russie, dénoncé en conséquence par Washington (Moscou suivit), ainsi que les incertitudes autour des négociations nucléaires stratégiques ne sont pas de bon augure. Faut-il voir dans ces armes une rupture technologique et stratégique ? D’aucuns soulignent le fait que l’hypervélocité et la capacité à manœuvrer de ces « armes nouvelles » ne font pas une révolution stratégique. D’une part, les fusées balistiques outrepassent l’hypervélocité de ces engins. S’il est vrai, d’autre part, que leur capacité à manœuvrer permettrait de contourner les défenses antimissiles des Alliés (États-Unis et OTAN), il en serait de même avec un missile balistique intercontinental. Au demeurant, les défenses antimissiles n’ont pas été pensées pour intercepter les missiles balistiques intercontinentaux de la Russie ou de la Chine populaire mais pour contrer une puissance proliférante, du type de l’Iran ou de la Corée du Nord, détentrice d’un nombre réduit d’engins. Soulignons ici la mauvaise foi russe qui, tout en développant ses propres défenses antimissiles, ne cesse de dénoncer les effets prétendument déstabilisateurs du dispositif américano-otanien. En première analyse, le déploiement d’« armes nouvelles » russes ne changerait donc pas l’équation stratégique ; quand bien même leur hypervélocité réduirait le délai de réaction, les puissances nucléaires occidentales conserveraient une capacité de frappe en second, pour exercer des représailles sur l’État agresseur. Théoriquement, une telle perspective devrait le détourner de la tentation d’une première frappe désarmante, « dissuader » signifiant « empêcher de passer à l’acte ». Pourtant, la Russie, ces dernières années, a amplement modernisé ce que les spécialistes nomment la « triade stratégique », ses armes nucléaires stratégiques terrestres (missiles intercontinentaux), aériennes (missiles lancés depuis un bombardier) et sous-marines (missiles lancés par des sous-marins nucléaires lance-engins). Aussi le développement et le déploiement d’engins « exotiques » (les « armes nouvelles ») posent question : à quelles fins et selon quels scénarios ? (…) Sur le plan de la réflexion stratégique, rappelons l’important article de l’Américain Albert Wohlstetter sur le « fragile équilibre de la terreur » (« The Delicate Balance of Terror », Rand Corporation, 6 novembre 1958). Selon l’analyse de ce stratège, l’équilibre de la terreur est instable et la dissuasion de l’adversaire potentiel n’est en rien automatique, la symétrie des arsenaux pouvant coexister avec l’asymétrie morale. (…) Dès lors, le développement et le déploiement par la Russie d’« armes nouvelles », hors du cadre de l’« arms control », ne viserait-il pas à sortir de la parité pour acquérir une position de supériorité nucléaire ? Dans une telle perspective, les armes nucléaires ne seraient plus au seul service de la dissuasion, pour préserver le territoire national et ses approches de toute entreprise guerrière ; elles pourraient être le moyen d’une stratégie d’action et de coercition visant des buts d’acquisition. (…) Il suffit d’ailleurs de se reporter à la présente situation, nombre d’officiels russes n’hésitant pas à menacer l’Europe d’une frappe préventive s’ils n’obtiennent pas une sphère d’influence exclusive dans l’« étranger proche » (l’espace post-soviétique), élargie à toute l’Europe si les États-Unis se retiraient de l’OTAN. (…) Ainsi une « escalade pour la désescalade », c’est-à-dire une frappe nucléaire théoriquement destinée à interdire l’intensification d’une guerre classique (conventionnelle), n’est pas exclue. En d’autres termes, cela signifierait la volonté de vaincre en ayant recours à l’arme nucléaire. Sur ce point, ajoutons que Vladimir Poutine, à la différence du secrétaire général du parti communiste soviétique autrefois, n’est pas limité par un Politburo. À tout le moins, il importe d’envisager le fait que la Russie mette son arsenal au service d’une stratégie de « sanctuarisation agressive » : lancer une offensive armée classique sur les espaces géographiques convoités (l’Ukraine, en tout ou en partie, ainsi que d’autres républiques post-soviétiques refusant un statut d’État croupion, privées de leur souveraineté), les puissances extérieures étant dissuadées de leur porter secours en les menaçant d’une escalade nucléaire. Si l’on considère l’Ukraine, n’est-ce pas déjà le cas ? La lecture attentive des projets de traité que Moscou prétend imposer aux États-Unis laisse penser qu’outre les trois États baltes, seules ex-républiques soviétiques intégrées dans l’OTAN, les anciens satellites d’« Europe de l’Est » — le syntagme d’« Europe médiane », entre Baltique, mer Noire et Adriatique, est aujourd’hui plus approprié — seraient également l’objet de cette grande manœuvre. C’est ici que certaines des « armes nouvelles » russes, notamment le « Zircon », si elles n’apportent rien à la dissuasion russe, trouvent leur place. Qu’elles soient déployées au sol, en mer ou dans les airs, ces armes sont duales : elles peuvent tout aussi bien être dotées de charges conventionnelles que de têtes nucléaires. D’ores et déjà, le « Zircon » et d’autres systèmes d’armes pourraient servir à verrouiller la Baltique et la mer Noire (mise en place d’une « bulle stratégique » sur ces mers et leur pourtour), l’objectif étant d’écarter les alliés occidentaux des pays riverains. Alors, ces derniers seraient à la merci d’une agression militaire russe. Le seul poing levé pourrait convaincre les récalcitrants. (…) Ainsi placée sous la menace d’une première frappe désarmante, avec un temps de réaction de quelques minutes (insuffisant pour disperser les cibles), l’Europe serait prise en otage. Certes, la France et le Royaume-Uni, a fortiori les États-Unis, conserveraient leur capacité de frappe en second, mais ces puissances occidentales, possiblement épargnées par cette première frappe, non nucléaire de surcroît, porteraient alors la responsabilité de l’escalade nucléaire. Gageons qu’il ne manquerait pas dans ces pays de politiques et de publicistes pour poser la question fatidique : « Mourir pour Dantzig ? » et plaider qui le « grand retranchement », qui la cause d’une « grande Europe, de Lisbonne à Vladivostok ». À l’évidence, un tel scénario n’est pas sans rappeler la configuration géostratégique générée par le déploiement par les Soviétiques des missiles SS-20 (1977), une arme jugée alors déstabilisante du fait de sa précision. L’objectif de ces armes de théâtre, ensuite baptisées « forces nucléaires intermédiaires », était de provoquer de prendre en otage l’Europe occidentale et de provoquer un découplage géostratégique entre les deux rives de l’Atlantique Nord. S’ensuivit la « bataille des euromissiles », l’OTAN exigeant le retrait des SS-20 et, à défaut, menaçant de déployer des missiles encore plus précis et véloces (missiles balistiques Pershing-II et missiles de croisière Tomahawk). (…) En 1987, Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev signèrent un traité portant sur le retrait de toutes les forces nucléaires intermédiaires, d’une portée de 500 à 5 500 kilomètres. Peu après, l’armée soviétique devrait évacuer l’Afghanistan puis, après la chute du mur de Berlin, la réunification de l’Allemagne et la « révolution de velours », mettre à bas les régimes communistes d’Europe médiane : l’URSS implosait (1991). Mutatis mutandis, la situation actuelle semble mener à une nouvelle bataille des euromissiles, si tant est que les Occidentaux se montrent unis et déterminés à résister aux ambitions de Vladimir Poutine et, il faut en convenir, d’une partie des Russes qui semblent considérer la fin de la précédente guerre froide comme une simple trêve, nécessaire pour reconstituer le potentiel russe de puissance et de nuisance. (…) le discours géopolitique révisionniste du Kremlin et le positionnement de la Russie comme « État perturbateur » est difficilement conciliable avec la vision classique de la dissuasion et du nucléaire comme arme de statu quo. Quitte à se répéter, il nous faut donc envisager le pire et s’y préparer, politiquement, intellectuellement et moralement. Jean-Sylvestre Mongrenier
Alors que l’extrême droite et les néonazis tirent parti des échecs des politiques européennes, comparer le communisme au nazisme est historiquement faux, dangereux et inacceptable. En outre, le fait que le gouvernement estonien décide de se concentrer sur les ‘crimes communistes’ montre clairement son intention d’utiliser la présidence tournante de l’UE à des fins idéologiques. Groupe de la Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique
En cette période où les valeurs fondamentales de l’UE sont ouvertement remises en question par la montée des mouvements d’extrême droite et des partis néonazis en Europe, cette initiative est très maladroite. L’organisation d’une conférence sur ce thème spécifique, avec ce titre spécifique, envoie un message politique faussé et dangereux […] ranime l’esprit de la Guerre froide, qui a tant fait souffrir l’Europe, contredit les valeurs de l’UE et ne reflète certainement pas les vues du gouvernement et du peuple grecs : le nazisme et le communisme ne devraient jamais être considérés comme similaires. Les horreurs vécues durant la période nazie n’ont qu’une version, terrible, alors que le communisme, au contraire, a donné naissance à des dizaines de tendances idéologiques, dont l’eurocommunisme. Stavros Kontonis (ministre de la Justice du gouvernement de gauche de Syriza)
La conférence qui a lieu le 23 août à Tallinn est dédiée à l’enquête sur l’héritage laissé par les crimes commis par le régime communiste. Il s’agit de l’expérience estonienne, partagée par les autres pays baltes et certains autres États d’Europe de l’Est. Du point de vue estonien, cette période ne s’est terminée qu’il y a 26 ans. Katrin Lunt (ministère estonien de la Justice)
Le groupe GUE/NGL a appelé les ministres de la Justice des États membres, surtout ceux qui appartiennent à des gouvernements progressistes, à boycotter l’événement, comme l’a fait le gouvernement grec. Il souligne que les « horreurs » vécues durant la période nazie n’ont qu’une version, terrible, alors que « le communisme, au contraire, a donné naissance à des dizaines de tendances idéologiques, dont l’eurocommunisme ». Faudrait-il exacerber les divisions de nos sociétés en vilipendant les anciens régimes ? Sur ce point, les États membres qui ont connu le communisme sont divisés. L’an dernier, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne et la Roumanie ont publié une critique des nations qui célébraient leur Histoire communiste. En Bulgarie, à l’inverse, un monument a été récemment érigé en l’honneur de Todor Zhivkov, personnalité forte de l’ère communiste, dans sa ville natale de Pravets, et est régulièrement visité par des dirigeants socialistes. Contactée par Euractiv, Katrin Lunt, porte-parole du ministère estonien de la Justice, a rappelé que dans le pays, le régime stalinien avait fait des dizaines de milliers de victimes, même après la fin de la guerre. Les crimes commis par le régime soviétique ont laissé des traces encore visibles dans le pays, a-t-elle assuré. La porte-parole a également indiqué que Tallinn avait déjà organisé une conférence sur le sujet en 2015. Euractiv
En 1989, lors de la chute des « démocraties populaires », l’Europe de l’Est s’est tournée vers la démocratie et l’économie de marché, l’intégration dans l’Otan et l’Union européenne. Le tournant s’accompagna du processus de lustration (transparence sur les responsabilités individuelles sous le régime défunt et sanctions éventuelles, NDLR) qui variait d’un pays à l’autre. (…)  Si la « lustration » a touché des milliers d’individus dans chaque pays concerné, les procès de ceux qui avaient donné ou exécuté des ordres criminels du régime communiste ont été bien plus rares. (…) Cependant, le Nuremberg de l’Est n’a jamais eu lieu, qui aurait condamné non seulement des criminels, mais la nature criminelle des régimes communistes, plus ou moins meurtriers, selon les époques, malgré la résolution n° 1481 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur la «Nécessité d’une condamnation internationale des crimes des régimes communistes totalitaires», adoptée en janvier 2006 ; et celle adoptée par le Parlement européen le 2 avril 2009, qui instaure, en tant que Journée européenne du souvenir, la date du 23 août: l’anniversaire de l’infâme pacte Molotov-Ribbentrop ayant partagé l’Europe de l’Est entre deux alliés totalitaires, Hitler et Staline. L’unique proposition d’organiser un tribunal international pour enquêter sur les « crimes du communisme » a été faite à la conférence internationale « Héritage criminel du communisme et du nazisme », à Tallinn, en 2017. Cette initiative du ministre de la Justice estonien de l’époque fut soutenue par les ministères de la Justice de Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie et Croatie, mais rien n’est concrétisé à ce jour. C’est probablement la réticence fréquente de comparer nazisme et communisme qui bloque de telles initiatives, comme l’a bien démontré la critique acharnée contre le directeur de l’ouvrage Le Livre noir du communisme (Robert Laffont, 1997), Stéphane Courtois, pour son rapprochement du génocide nazi et de la répression stalinienne, et plus largement, contre l’ensemble de l’ouvrage qui met en cause l’idéologie communiste elle-même. Or, pour les peuples qui avaient vécu sous l’occupation soviétique, comme les pays baltes, ou sous la domination soviétique, comme l’ensemble de l’Europe de l’Est, le traumatisme reste extrêmement vif. En témoignent les musées du KGB à Riga, à Vilnius et à Tallinn et dans d’autres capitales ; la création d’Instituts de mémoire nationale dans plusieurs pays dont la Pologne et l’Ukraine, chargés non seulement d’étudier et de rendre accessibles, au public général, les archives des services secrets communistes, mais aussi d’élaborer les narratifs historiques nationaux indépendants ; les procédures de décommunisation, à savoir le démantèlement de l’héritage idéologique de l’État communiste, y compris ses symboles et sa toponymie ; un flot de livres et de films, comme Purge de Sofi Oksanen (Stock, 2008) ou Katyn (2007) et Les Fleurs bleues (2016) de Wajda. Il est d’autant plus regrettable que la Russie postcommuniste ait adopté, au cours des dernières années, une attitude opposée en justifiant et en glorifiant son passé soviétique, y compris la période stalinienne, au nom de sa « fierté retrouvée ».  Galia Ackerman
Si vous écoutez les médias russes, ce que disent les officiels russes, y compris le président Poutine, cela semble tout à fait plausible. Je ne dit pas qu’il y aura une guerre. Mais tous les préparatifs pour la guerre sont là : il y a une concentration de troupes, il y a un discours extrêmement agressif et des ultimatums qui ne peuvent pas être satisfaits car totalement irréalistes. On a l’impression qu’ils ne sont qu’un prétexte pour envahir l’Ukraine. [Et ce] Parce qu’il y a une haine de l’Ukraine depuis plusieurs années. Cette haine a très fortement augmenté à la suite de la révolution ukrainienne : je rappelle qu’à ce jour, on parle non pas de Maïdan, non pas d’une révolution populaire mais d’un coup d’Etat, on parle de nazis au pouvoir, on exige que les accords de Minsk soient réalisés à 100% mais surtout dans l’interprétation de Moscou et il est tout à fait clair que la Russie ne veut pas tolérer que son proche étranger prenne une orientation qui ne lui plaît pas, celle de sortir totalement de la sphère d’influence russe. (…) Ils disent tout le temps que l’Ukraine en soi n’a aucune importance, que c’est un terrain que l’OTAN, les Etats-Unis, l’Union européenne, utilisent pour rapprocher les équipements militaires dirigés contre la Russie, pour l’assaut du pays. C’est totalement faux. 73 experts allemands de la Russie ont publié une lettre dans le journal allemand « Die Zeit », ils disent que tout ce que la Russie dit sur sa sécurité menacée est faux : la Russie a la 3e armée au monde, qu’elle est un pays nucléarisé qui a plus de nucléaire que les Etats-Unis, la France et la Grande Bretagne réunis. Personne ne peut menacer la Russie, mais elle prend une pose de personne offensée et demande à ce que ses exigences soient satisfaites : c’est à dire non pas seulement la démilitarisation de l’Ukraine, mais la démilitarisation de toute l’Europe de l’est. Galia Ackerman
La propagande russe présente la Russie comme un État menacé qui a besoin de toute urgence de « garanties de sécurité » de la part de l’Occident. (…) [Mais] il y a actuellement plus d’ogives nucléaires stockées en Russie que dans l’ensemble des trois États membres de l’OTAN dotés d’armes nucléaires : les États-Unis, le Royaume-Uni et la France. Moscou dispose d’un large éventail de vecteurs pour ses milliers d’armes nucléaires : des missiles balistiques intercontinentaux aux bombardiers de longue portée en passant par les sous-marins nucléaires. La Russie possède l’une des trois armées conventionnelles les plus puissantes du monde, ainsi qu’un droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU. La Fédération de Russie est donc l’un des États les plus protégés du monde sur le plan militaire. Le Kremlin utilise des troupes régulières et irrégulières, ainsi que le potentiel de sa menace nucléaire, pour mener diverses guerres et occuper de manière permanente plusieurs territoires dans les anciennes Républiques soviétiques. Non seulement en Europe orientale, mais aussi en Europe occidentale et sur d’autres continents, le Kremlin revendique sans complexe des droits spéciaux pour faire valoir ses intérêts sur le territoire d’États souverains. Contournant les règles, les traités et les organisations internationales, Moscou chasse des ennemis dans le monde entier. Le Kremlin tente de saper les processus électoraux, l’État de droit et la cohésion sociale dans des pays étrangers par des campagnes de propagande, des fake news et des attaques de pirates informatiques, entre autres. Ces agissements sont réalisés en partie en secret, mais dans le but évident d’entraver ou de discréditer la prise de décision démocratique dans les États pluralistes. Il s’agit en particulier de porter atteinte à l’intégrité politique et territoriale des États post-soviétiques en voie de démocratisation. En tant que première puissance économique d’Europe, l’Allemagne observe ces activités d’un œil critique, mais reste largement passive, depuis maintenant trois décennies. (…) En outre, la politique étrangère et la politique économique de Berlin ont contribué à l’affaiblissement politique et économique des pays d’Europe orientale non dotés d’armes nucléaires et au renforcement géo-économique d’une superpuissance nucléaire de plus en plus expansive. En 2008, l’Allemagne a joué un rôle central pour empêcher la Géorgie et l’Ukraine de rejoindre l’OTAN. (…) Pour les relations ukraino-russes déjà fragiles, la mise en service du premier gazoduc Nord Stream en 2011-2012, totalement superflu en termes énergétiques et économiques, a été une catastrophe. Rétrospectivement, cela semble avoir ouvert la voie à l’invasion de l’Ukraine par la Russie deux ans plus tard. Une grande partie de la capacité existante de transport de gaz entre la Sibérie et l’UE n’a pas été utilisée en 2021. Pourtant, la République fédérale se prépare maintenant à éliminer complètement le dernier levier économique de l’Ukraine sur la Russie avec l’ouverture du gazoduc Nord Stream 2 (…) L’attaque de Poutine contre l’Ukraine en 2014 apparaît comme une conséquence presque logique de la passivité politique allemande des vingt années précédentes vis-à-vis du néo-impérialisme russe. (…) Le Kremlin remet désormais aussi en question la souveraineté politique de pays comme la Suède et la Finlande. Il demande l’interdiction d’une éventuelle adhésion à l’OTAN non seulement pour les pays post-soviétiques mais aussi pour les pays scandinaves. Le Kremlin fait peur à toute l’Europe en lui promettant des réactions « militaro-techniques » au cas où l’OTAN ne répondrait pas « immédiatement », selon Poutine, aux exigences démesurées de la Russie visant à réviser l’ordre de sécurité européen. La Russie brandit la menace d’une escalade militaire si elle n’obtient pas de « garanties de sécurité », c’est-à-dire l’autorisation pour le Kremlin de suspendre le droit international en Europe. (…) Les crimes perpétrés par l’Allemagne nazie sur le territoire de l’actuelle Russie en 1941-1944 ne peuvent justifier l’attitude réservée de l’Allemagne d’aujourd’hui face au revanchisme et au nihilisme juridique international du Kremlin. Lettre ouverte de 73 experts allemands (Die Zeit, 14 janvier 2022)
Nous n’allons pas demander pardon… il n’y a aucune raison de demander pardon. Viktor Tchernomyrdine (ambassadeur de Russie en Ukraine, août 2003)
L’URSS a connu en 1932-1933 une sérieuse disette conduisant à un strict renforcement du rationnement, pas une famine et en tout cas pas une famine à « six millions de morts. » Annie Lacroix-Riz
Ils ont fait plus fort que Hitler: parce qu’il y avait réellement des Allemands sur le territoire des Sudètes, tandis que Poutine a dû inventer de toutes pièces sa “minorité russe opprimée” en Géorgie. Stuart Koehl
Le gouvernement russe actuel n’est pas communiste ou stalinien. Ce sont plutôt des gens intéressés par l’argent. Ils inscrivent leurs enfants dans les écoles occidentales, ils vont passer leurs vacances en Occident. Ils ont donc tout intérêt à entretenir de bonnes relations avec l’Ouest. Mais ils sont aussi très cyniques vis-à-vis de cet Occident qu’ils aiment tant. Ils pensent qu’ils peuvent manipuler à leur guise les Européens. Poutine a proféré à plusieurs reprises des menaces contre la Géorgie en nous disant :«Vous croyez que vos amis occidentaux vont venir se battre dans le Caucase ? » (…) Nous n’avions pas d’autre choix que d’intervenir. Les Russes avaient mobilisé les irréguliers ossètes. Ils avaient massé des troupes en Ossétie du Nord. Ils avaient remplacé les gardes frontières ossètes par leurs propres soldats à l’entrée du tunnel de Roki. Nous avons prévenu les Américains que quelque chose se préparait pour qu’ils disent aux Russes d’arrêter. Et les Russes ont jugé que le mois d’août, en pleine campagne électorale américaine, d’un côté, et pendant les Jeux olympiques, de l’autre, était la meilleure période pour agir. Ils ne nous ont pas laissé le choix. Mikheïl Saakachvili
Ce qui est incompréhensible, c’est l’incapacité des démocraties de réaliser que la Russie, une fois requinquée par ses exportations de pétrole, gaz et autres métaux, une fois débarrassée, avec l’argent américain, d’une partie de ses cimetières de sous-marins nucléaires et de moult missiles qui rouillaient sans entretien, fait ce qu’elle veut et ne fera rien de ce que l’Occident attend. Sur tous les fronts d’aujourd’hui : Afghanistan, Irak, Liban, Hezbollah, Gaza, Hamas, Soudan, Somalie, la Russie se trouve toujours du côté adverse à l’Occident : en fournissant des armes, en s’opposant aux sanctions contre l’Iran pour arrêter son programme nucléaire militaire, bref, en s’opposant à tout ce qui pourrait atténuer ou faire disparaître les menaces «extrémistes» (pour ne pas dire islamistes, pour ne fâcher personne…). Michel Poirier
Grâce à la déclassification des comptes-rendus de réunions provenant aussi bien des archives allemandes qu’américaines et russes, Mark Kramer, chercheur à Harvard, démontre dans un article publié par The Washington Quarterly que le non-élargissement de l’OTAN n’a même pas été un sujet de discussion en 1990. Et pour cause: à cette époque, personne n’imagine encore que l’URSS va s’effondrer avec le pacte de Varsovie. L’enjeu principal est alors de savoir si l’Allemagne, dont la partie ouest faisait déjà partie de l’alliance, resterait ou non au sein de l’OTAN en tant que nation réunifiée, et à quelles conditions. Les Occidentaux s’engagent alors sur trois points. Premièrement: ne déployer en Allemagne de l’Est que des troupes allemandes ne faisant pas partie de l’OTAN tant que le retrait soviétique n’est pas fini. Deuxièmement: des troupes allemandes de l’OTAN pourront être déployées en Allemagne de l’Est après le retrait soviétique, mais aucune force étrangère ni installation nucléaire. Et enfin, troisièmement: ne pas augmenter la présence militaire française, britannique et américaine à Berlin. Après d’âpres négociations, ces conditions ont finalement été acceptées par Gorbatchev et inscrites dans le traité concernant les aspects internationaux de la réunification, signée par toutes les parties en septembre 1990. Nulle part, y compris dans les archives russes, n’est fait mention d’une quelconque promesse formelle de ne pas inclure d’autres pays d’Europe de l’Est dans l’OTAN à l’avenir. Même après 2009, l’accusation a pourtant continué à prospérer. Et ce en dépit des dénégations de Mikhaïl Gorbatchev en personne, pourtant assez bien placé pour savoir ce qui s’est vraiment dit à l’époque. Dans une interview accordée en 2014 à Russia Beyond the Headlines, l’ancien président de l’URSS se montre catégorique: «Le sujet de l’expansion de l’OTAN n’a pas du tout été abordé et n’a pas été abordé au cours de ces années.» Gorbatchev précise que l’URSS voulait surtout «s’assurer que les structures militaires de l’OTAN n’avanceraient pas, et que des forces armées supplémentaires ne seraient pas déployées sur le territoire de l’ex-RDA après la réunification allemande». Et d’ajouter: «Tout ce qui aurait pu être et devait être fait pour consolider cette obligation politique a été fait.» Gorbatchev y affirme bien que l’élargissement de l’OTAN constituerait une trahison de ce qu’était selon lui «l’esprit» des discussions de l’époque, mais réaffirme qu’aucun engagement formel n’avait été pris. Les Russes continuent d’affirmer que les Occidentaux auraient néanmoins offert des garanties informelles. Une théorie qui a l’avantage d’être par nature impossible à vérifier. La pertinence de l’expansion de l’OTAN continue cependant de faire débat, y compris au sein des experts occidentaux. Comme le notait le chercheur Olivier Schmitt en 2018, la question a repris de l’importance à partir de 1993 sous l’impulsion du président américain Bill Clinton, alors même qu’une bonne partie de l’administration américaine y était défavorable par crainte des perceptions russes. Mais pour rassurer la Russie, l’OTAN avait justement fait le choix en 1993 de l’intégrer dans son Partenariat pour la paix. Le but: «bâtir un partenariat avec la Russie, en instaurant un dialogue et une coopération pratique dans des domaines d’intérêt commun». Cette coopération n’a été suspendue qu’en 2014, quand la Russie a décidé d’annexer la Crimée. Ce que les supporters de Vladimir Poutine prennent bien soin de ne pas préciser, c’est qu’au moment de l’invasion de la Crimée, c’est bien la Russie qui bafouait une promesse, réelle celle-là. Signé par la Russie, les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et la Chine en 1994, le mémorandum de Budapest garantissait à l’Ukraine le respect de sa souveraineté et de son intégrité territoriale, en échange de son adhésion au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires et de l’abandon des stocks d’armes nucléaires héritées de l’URSS. Surtout, outre leur passé douloureux avec l’URSS, c’est la politique agressive de la Russie vis-à-vis des anciennes républiques soviétiques, et leur volonté de s’arrimer à un espace démocratique, qui ont en partie poussé celles-ci dans les bras de l’OTAN. Ainsi, alors qu’une majorité d’Ukrainiens s’opposaient à une adhésion à l’alliance transatlantique avant 2014, l’opinion publique a totalement basculé dans le sens inverse depuis le début de la guerre: 58% des Ukrainiens souhaitent désormais rejoindre l’alliance. Le mythe de la Russie assiégée a tout d’une prophétie autoréalisatrice. Slate
La question de savoir s’il y a eu une promesse de la part de responsables politiques occidentaux de ne pas élargir l’Otan vers l’Est post-chute du mur, notamment dans le contexte de l’unification des deux Allemagne, continue d’être débattue. Certains assurent qu’une telle promesse avait été donnée, mais le sens exact des propos tenus à l’époque ne semble pas faire consensus. Certains pensent que [les occidentaux] se référaient uniquement à la partie “Est” de l’Allemagne, donc au-delà de l’Elbe, d’autres le comprennent comme ayant trait également aux pays à l’Est de la ligne «Oder-Neisse», la frontière avec la Pologne entérinée par les accords 2+4. Mais il faut souligner qu’au moment de ces négociations, un élargissement de l’Otan pour inclure des pays anciennement du Pacte de Varsovie ne figurait nullement à l’agenda, et qu’il s’agissait du règlement du statut de l’Allemagne unifié, ses frontières, et de la question des troupes et d’armes de l’Otan dont l’Allemagne fédérale était déjà membre. En revanche, il semble avéré qu’aucun engagement formel de la part ni de l’Otan, ni des Etats-Unis, ni du Royaume-Uni, ni de la France n’ait été formulé. Johanna Möhring (Université de Bonn)
Il n’y a pas eu de traité formel garantissant à l’URSS que l’OTAN ne s’élargira pas. Il y a eu des discussions en février 1990 entre le secrétaire d’Etat des Etats-Unis, James Baker et Mikhaïl Gorbatchev, notamment à propos du statut de l’Allemagne réunifiée et de l’inclusion de la RDA au sein de l’Otan. L’expression «pas d’un pouce» fait référence à une déclaration du secrétaire d’Etat James Baker à Mikhaïl Gorbatchev, lors de ces échanges. Effectivement, la question d’un élargissement plus à l’Est de l’Otan n’est alors pas envisagée tout simplement parce que cela est inconcevable dans le contexte de l’époque. L’URSS existe encore, les pays d’Europe de l’Est font toujours partie des structures de coercition soviétiques (Pacte de Varsovie et Conseil d’assistance économique mutuelle [CAEM], ndlr). Le Pacte ne sera officiellement dissous qu’en juillet 1991. Il est donc inconcevable d’évoquer alors un élargissement de l’Otan aux pays d’Europe centrale et orientale. Il est difficile de parler de trahison car il va y avoir en peu de temps un enchaînement d’événements imprévisibles qui fera entrer l’Europe dans une nouvelle configuration de sécurité. Amélie Zima (chercheuse en relations internationales)
Ce que [Poutine] craint énormément aussi, et ça, il ne le dit absolument pas, c’est qu’il craint la progression démocratique. Quand vous vous promenez à Kiev et que vous voyez toute cette proximité, culturelle, architecturale avec la Russie, vous comprenez que là un pouvoir autoritaire russe se sent menacé parce que si ça se passe à Kiev, pourquoi est-ce que ça ne se passerait pas à Moscou ? Sylvie Kauffmann
Le fait que l’OTAN exerce une grande influence sur l’Ukraine et la Géorgie ne nous indispose pas. (…) Cela dit, si d’autres républiques de l’ex-URSS adhèrent à l’OTAN, nous respecterons leur choix. C’est leur droit souverain en matière de défense. Vladimir Poutine (2005)
Ce qui suscite chez nous une préoccupation et une inquiétude particulières, de ces menaces fondamentales pour la sécurité de notre pays que des hommes politiques irresponsables à l’Occident créent pas à pas, sans détours et brutalement, depuis des années. Je fais allusion à l’élargissement de l’OTAN vers l’est, au rapprochement de son infrastructure militaire vers les frontières russes. (…) Ce que j’évoque ne concerne pas uniquement la Russie, et nous ne sommes pas seuls à nous inquiéter. Cela concerne tout le système des relations internationales, et parfois même les propres alliés des Etats-Unis. (…) D’abord, sans aucune autorisation du Conseil de Sécurité de l’ONU, une opération militaire sanglante a été menée contre Belgrade. On a utilisé l’aviation, des missiles au centre même de l’Europe. Plusieurs semaines de bombardements incessants sur des villes pacifiques, sur des infrastructures vitales. (…) Après, cela a été le tour de l’Irak, de la Lybie, de la Syrie. (…) La promesse faite à notre pays de ne pas élargir d’un pouce l’Otan vers l’est en fait partie. Je le répète: on nous a trompés (…) dans les années 1990 et au début des années 2000, quand ce qu’on appelle l’Occident a soutenu de la manière la plus active le séparatisme et des bandes de mercenaires dans le sud de la Russie. Quelles pertes, combien de victimes cela nous a coûté avant de briser définitivement le terrorisme international dans le Caucase. (…) Du reste, jusqu’à encore récemment on n’a cessé de tenter de nous utiliser à profit, de détruire nos valeurs traditionnelles et de nous imposer des prétendues valeurs qui auraient détruit notre peuple de l’intérieur, les principes qu’ils imposent déjà de manière agressive dans leurs propres pays et qui mènent directement à la dégradation et à la dégénérescence puisqu’elles vont à l’encontre de la nature humaine elle-même. (…) Pour ce qui concerne le domaine militaire, la Russie, même après l’effondrement de l’URSS et la perte d’une part significative de son potentiel, est aujourd’hui une des plus grandes puissances nucléaires au monde, et dispose en outre d’avantages certains dans une série de nouveaux types d’armements. En ce sens, personne ne doit avoir de doutes sur le fait qu’une attaque directe contre notre pays mènera à la destruction et à d’épouvantables conséquences pour tout agresseur potentiel. (…) Le problème est que, sur des territoires voisins des nôtres – je souligne qu’il s’agit de nos propres territoires historiques – se crée une « anti-Russie » qui nous est hostile et qui est placée entièrement sous contrôle extérieur, où les forces armées de pays de l’Otan prennent leurs aises et où sont introduits les armements les plus modernes. (…) sur la situation dans le Donbass. Nous voyons que les forces qui ont effectué en 2014 un coup d’Etat en Ukraine se sont emparées du pouvoir et le conservent grâce à ce qui est en fait des procédures électorales décoratives, ont définitivement renoncé à un règlement pacifique du conflit. Durant huit ans, d’interminables huit années (…) on ne peut pas regarder sans compassion ce qui se passe là-bas. Il n’était simplement plus possible de rester sans rien faire. Il fallait mettre fin sans délai à ce cauchemar – un génocide à l’égard des millions de personnes qui vivent là-bas et qui ne fondent leurs espoirs que sur la Russie. (…) Les principaux pays de l’Otan, pour parvenir à leurs fins, soutiennent en Ukraine les ultra-nationalistes et des néonazis, qui à leur tour ne pardonneront jamais le choix libre des habitants de la Crimée et de Sebastopol, la réunification avec la Russie. Ils vont bien entendu s’attaquer à la Crimée, comme au Donbass, pour tuer, comme les bandes de nationalistes ukrainiens, complices d’Hitler au moment de la Seconde guerre mondiale, tuaient des gens sans défense. Et ils déclarent ouvertement qu’ils ont des vues sur toute une série d’autres territoires russes. (…) Maintenant ils ambitionnent même d’acquérir l’arme nucléaire. (…) Les républiques populaires du Donbass ont demandé l’aide de la Russie. Par conséquent, conformément à l’article 51 alinea 7 de la Charte de l’ONU, avec l’accord du Conseil de sécurité russe et dans le cadre des accords d’Amitié et d’assistance mutuelle avec la République populaire de Donetsk et la la République populaire de Lougansk, ratifiés le 22 février par le Conseil de la Fédération, j’ai pris la décision d’une opération armée spéciale. Son objectif – défendre les gens qui depuis huit ans sont soumis à des brimades et à un génocide de la part du régime de Kiev. Dans ce but nous allons nous efforcer de parvenir à la démilitarisation et à la dénazification de l’Ukraine, ainsi que de traduire devant la justice ceux qui ont commis de nombreux crimes sanglants contre des civils, y compris contre des citoyens de la Fédération de Russie. (…) Les résultats de la Seconde guerre mondiale, tout comme les pertes apportées par notre peuple sur l’autel de la victoire sur le nazisme, sont sacrés. Mais cela ne contredit pas les hautes valeurs des droits et libertés de l’homme, si l’on part des réalités qui se sont établies depuis la fin de la guerre. Cela n’annule pas davantage le droit des nations à l’autodétermination, inscrit à l’article 1 de la Charte de l’ONU. (…) Au fondement de notre politique, la liberté, la liberté de choix pour chacun de déterminer librement son avenir et l’avenir de ses enfants. Et nous jugeons important que ce droit – le droit à choisir – puisse être exercé par tous les peuples qui vivent sur le territoire de l’actuelle Ukraine, tous ceux qui le voudront. En ce sens je m’adresse aux citoyens ukrainiens. En 2014 la Russie a été dans l’obligation de défendre les habitants de la Crimée et de Sebastopol face à ceux que vous appelez vous-mêmes les « naziki ». Les habitants de la Crimée et de Sebastopol ont fait leur choix – être avec leur patrie historique, avec la Russie, et nous les avons soutenus. Je le répète, nous ne pouvions nous comporter autrement. (…) Je le répète, nos actes sont une autodéfense contre des menaces créées contre nous et contre des malheurs encore plus grands que ceux qui surviennent aujourd’hui. (…) Maintenant quelques mots importants, très importants pour ceux qui peuvent avoir la tentation de s’immiscer depuis l’extérieur dans les événements en cours. Quiconque tentera de nous gêner, a fortiori de créer une menace pour notre pays pour notre peuple, doit savoir que la réponse de la Russie sera immédiate et infligera des conséquences telles que vous n’en avez jamais connu dans votre histoire. Nous sommes prêts à tout développement de la situation. Toutes les décisions en ce sens ont déjà été prises. J’espère que je serai entendu. Vladimir Poutine (24.02.2022)
La question de l’élargissement de l’OTAN n’a dans l’ensemble pas été discutée et ne se posait pas au cours de ces années-là. Je dis cela en toute responsabilité. Aucun pays d’Europe de l’Est n’a soulevé cette question, y compris après la dissolution du pacte de Varsovie en 1991. Elle n’a pas non plus été soulevée par les dirigeants occidentaux. Une autre question a en revanche été abordée : le fait qu’après la réunification de l’Allemagne, aucune extension des structures militaires de l’OTAN ni aucun déploiement de forces militaires supplémentaires de l’alliance ne devait avoir lieu sur le territoire de l’ancienne RDA. C’est dans ce contexte que M. Baker a prononcé les paroles mentionnées dans votre question. Des déclarations similaires ont été faites par M. Kohl et M. Genscher. Tout ce qui pouvait et devait être fait pour consolider ce règlement politique a été fait. Et respecté. Mikhaïl Gorbatchev (04.11.2014)
Chrobog said we needed new ideas on how to provide for the Security of Central and East European Countries. We had made it clear during the 2+4 negotiations that we would not extend Nato beyond the Elbe (sic). We could not therefor offer membership of Nato to Poland and the others. British memo (March 6, 1991)
The term NATO eastward expansion is a term of a later epoch. Vladislav Petrovich Terekhov (first Soviet and later Russian ambassador in Bonn from 1990 to 1997)
Gorbachev never spoke to me about the eastward expansion of NATO. Dimitri Yasov  (Former Marshal of the Soviet Union)
This is a “myth. There couldn’t be such an agreement, it was only about the territory of the GDR. There was no trickery. Everything else is inventions, with which one wants to pin something on us, the Germans or anyone else. Gorbachev
There was never a discussion about NATO expansion in the general sense. During the two-plus-four negotiations, NATO was only discussed in connection with the GDR. James Baker (US Secretary of State)
A la chute du mur de Berlin fin 1989, on s’interroge sur le statut de la future Allemagne réunifiée. Doit-elle être neutre ou intégrer l’Otan ? A l’époque, c’était logique. L’URSS et ses alliances ne s’effondreraient qu’à partir de 1991. L’idée d’élargir l’Otan à l’Europe centrale et orientale était hors de propos, on parlait uniquement de la RDA. Jean-Sylvestre Mongrenier 
Vladimir Poutine a admis lui-même qu’il n’y avait pas eu d’engagement contraignant. Il l’utilise plutôt comme un argument moral. David Teurtrie 
Cette assurance faite par Baker à Gorbatchev de ne pas s’étendre à l’Est a été faite dans le cadre d’une discussion sur l’Allemagne et la RDA et seulement dans ce cadre-là. Le texte final, le Traité de Moscou signé le 12 septembre 1990, mentionne effectivement “l’interdiction du déploiement de forces armées autres que les forces allemandes sur le territoire de l’ex-RDA”. Cette promesse ne pouvait pas concerner les pays de l’Est, puisqu’ils auraient pu difficilement prévoir à l’époque la chute de l’URSS et l’éparpillement des pays du Bloc soviétique. (…) Enfin, et c’est surtout là que le bât blesse pour la Russie: cette promesse de ne pas “avancer d’un pouce vers l’Est”, ne figure sur aucun texte officiel. Elle est seulement visible sur des “mémorandums”, c’est-à-dire des comptes rendus de discussions entre les Soviétiques et leurs principaux interlocuteurs occidentaux. Huffington post
Rien n’avait été couché sur le papier. Ce fut une erreur de Gorbatchev. En politique, tout doit être écrit, même si une garantie sur papier est aussi souvent violée. Gorbatchev a seulement discuté avec eux et a considéré que cette parole était suffisante. Mais les choses ne se passent pas comme cela! Vladimir Poutine
Dans le discours qu’il a prononcé devant le Parlement russe, le 18 avril 2014, et dans lequel il justifiait l’annexion de la Crimée, le président Poutine a insisté sur l’humiliation subie par la Russie du fait des nombreuses promesses non tenues par l’Ouest, et notamment la prétendue promesse de ne pas élargir l’OTAN au-delà des frontières d’une Allemagne réunifiée. Poutine touchait là, chez ses auditeurs, une corde sensible. Pendant plus de 20 ans, le récit de la prétendue « promesse non tenue » de ne pas élargir l’OTAN vers l’est a fait partie intégrante de l’identité post-soviétique. Il n’est guère surprenant, par conséquent, que ce récit ait refait surface dans le contexte de la crise ukrainienne. S’appesantir sur le passé demeure le moyen le plus commode pour nous distraire du présent. (…) Au cours des dernières années, d’innombrables documents et autres matériaux d’archives ont été rendus publics, permettant aux historiens d’aller au-delà des interviews ou des autobiographies des dirigeants politiques qui étaient au pouvoir lors des évènements décisifs qui se sont produits entre la chute du mur de Berlin, en novembre 1989, et l’acceptation par les soviétiques, en juillet 1990, d’une appartenance à l’OTAN de l’Allemagne réunifiée. Pourtant, même ces nouvelles sources ne modifient pas la conclusion fondamentale: il n’y a jamais eu, de la part de l’Ouest, d’engagement politique ou juridiquement contraignant de ne pas élargir l’OTAN au-delà des frontières d’une Allemagne réunifiée. (…) Le mythe de la « promesse non tenue » tire ses origines de la situation politique sans précédent dans laquelle se sont trouvés en 1990 les acteurs politiques clés, et qui a façonné leurs idées sur le futur ordre européen. Les politiques de réforme entreprises par l’ancien dirigeant de l’URSS, Mikhaïl Gorbatchev, avaient depuis longtemps échappé à tout contrôle, les États baltes réclamaient leur indépendance, et des signes de bouleversements commençaient à apparaître dans les pays d’Europe centrale et orientale. Le mur de Berlin était tombé; l’Allemagne avait entamé son chemin vers la réunification. Toutefois, l’Union soviétique existait encore, tout comme le Pacte de Varsovie, dont les pays membres d’Europe centrale et orientale n’évoquaient pas une adhésion à l’OTAN, mais plutôt la « dissolution des deux blocs ». Ainsi, le débat autour de l’élargissement de l’OTAN s’est déroulé exclusivement dans le contexte de la réunification allemande. Au cours de ces négociations, Bonn et Washington ont réussi à assouplir les réserves soviétiques quant au maintien dans l’OTAN d’une Allemagne réunifiée. Une aide financière généreuse et la conclusion du Traité « 2+4 » excluant le stationnement de forces OTAN étrangères sur le territoire de l’ex-Allemagne de l’Est ont contribué à ce résultat. Cette réussite a toutefois été, aussi, le résultat d’innombrables conversations personnelles au cours desquelles Gorbatchev et d’autres dirigeants soviétiques ont été assurés que l’Ouest ne profiterait pas de la faiblesse de l’Union soviétique et de sa volonté de retirer ses forces armées d’Europe centrale et orientale. Ce sont peut-être ces conversations qui ont pu donner à certains politiciens soviétiques l’impression que l’élargissement de l’OTAN, dont le premier acte fut l’admission de la République tchèque, la Hongrie et la Pologne en 1999, avait constitué un manquement à ces engagements occidentaux. Certaines déclarations d’hommes politiques occidentaux – et en particulier du ministre allemand des Affaires étrangères, Hans Dietrich Genscher, et de son homologue américain, James A. Baker – peuvent en fait être interprétées comme un rejet général de tout élargissement de l’OTAN au-delà de l’Allemagne de l’Est. Toutefois, ces déclarations ont été faites dans le contexte des négociations sur la réunification allemande, et leurs interlocuteurs soviétiques n’ont jamais exprimé clairement leurs préoccupations. Au cours des négociations décisives à « 2+4 », qui ont finalement conduit Gorbatchev à accepter, en juillet 1990, que l’Allemagne réunifiée demeure au sein de l’OTAN, la question n’a jamais été soulevée. L’ancien ministre soviétique des affaires étrangères, Édouard Chevardnadze, devait déclarer plus tard que les protagonistes de cette époque ne pouvaient même pas imaginer une dissolution de l’Union soviétique et du Pacte de Varsovie et l’admission au sein de l’OTAN des anciens membres de ce Pacte. Mais, même si l’on devait supposer que Genscher et d’autres auraient en effet cherché à prévenir un futur élargissement de l’OTAN afin de respecter les intérêts de sécurité de l’URSS, ils n’auraient jamais pu le faire. La dissolution du Pacte de Varsovie et la fin de l’Union soviétique, en 1991, ont ensuite créé une situation complètement nouvelle, puisque les pays d’Europe centrale et orientale se trouvaient finalement en mesure d’affirmer leur souveraineté et de définir leurs propres objectifs de politique étrangère et de sécurité. Ces objectifs étant centrés sur l’intégration à l’Ouest, tout refus catégorique de l’OTAN aurait signifié une continuation de facto de la division de l’Europe suivant les lignes établies précédemment au cours de la guerre froide. Le droit de choisir sa propre alliance, garanti par la Charte d’Helsinki de 1975, en aurait été nié – une approche que l’Ouest n’aurait jamais pu soutenir, ni politiquement, ni moralement. (…) Lorsque le débat sur l’élargissement de l’OTAN a débuté sérieusement, vers 1993, sous la pression croissante des pays d’Europe centrale et orientale, il s’est accompagné de sérieuses controverses. Dans les milieux universitaires, en particulier, certains observateurs ont exprimé leur opposition à l’admission de nouveaux membres au sein de l’OTAN, car elle aurait inévitablement pour effet de contrarier la Russie et pourrait compromettre les résultats positifs ayant suivi la fin de la guerre froide. En fait, dès le début du processus d’élargissement de l’OTAN entamé après la fin de la guerre froide, le souci premier des occidentaux a été de trouver les moyens de concilier ce processus et les intérêts de la Russie. C’est pourquoi l’OTAN a rapidement cherché à créer un contexte de coopération propice à l’élargissement et à développer, dans le même temps, des relations spéciales avec la Russie. En 1994, le programme de « Partenariat pour la paix » a instauré une coopération militaire avec pratiquement tous les pays de la zone euro-atlantique. En 1997, l’Acte fondateur OTAN-Russie créait le Conseil conjoint permanent, un cadre spécialement consacré à la consultation et à la coopération. L’année 2002, au cours de laquelle les Alliés ont préparé la nouvelle grande phase d’élargissement, a été aussi celle de la création du Conseil OTAN-Russie, donnant à cette relation une focalisation et une structure renforcées. Ces diverses mesures s’inscrivaient dans le cadre d’autres efforts déployés par la communauté internationale pour attribuer à la Russie la place qui lui revient, en l’admettant au sein du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale, du G7 et de l’Organisation mondiale du commerce. La nécessité d’éviter de contrarier la Russie a également été évidente dans la manière dont l’élargissement de l’OTAN est intervenu dans le domaine militaire. En 1996, les Alliés déclaraient que, dans les circonstances actuelles, ils n’avaient « aucune intention, aucun projet et aucune raison de déployer des armes nucléaires sur le territoire de nouveaux membres ». Cette déclaration a été intégrée, en 1997, à l’Acte fondateur OTAN-Russie, ainsi que des références du même ordre à d’importantes forces de combat et à l’infrastructure. Cette approche militaire « douce » du processus d’élargissement devait envoyer à la Russie le signal suivant: le but de l’élargissement de l’OTAN n’est pas « l’encerclement » militaire de la Russie, mais l’intégration de l’Europe centrale et orientale dans un espace atlantique de sécurité. (…) L’intervention militaire de l’OTAN dans la crise du Kosovo a été interprétée comme un coup de force géopolitique mené par un camp occidental déterminé à marginaliser la Russie et son statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies. L’approche de l’OTAN en matière de défense antimissile, bien que dirigée contre des pays tiers, a été interprétée par la Russie comme une tentative de compromettre sa capacité de seconde frappe nucléaire. Pire encore, la « Révolution orange » en Ukraine et la « Révolution des roses » en Géorgie ont porté au pouvoir des élites qui envisageaient l’avenir de leurs pays respectifs au sein de l’UE et de l’OTAN. Dans un tel contexte, les arguments des occidentaux quant au caractère bienveillant de l’élargissement de l’OTAN n’ont jamais eu – et n’auront probablement jamais – un très grand poids. Demander à la Russie de reconnaître le caractère inoffensif de l’élargissement de l’OTAN néglige un point tout à fait essentiel: l’élargissement de l’OTAN – tout comme celui de l’Union européenne – est conçu comme un projet d’unification du continent. Il ne comporte par conséquent pas de « point final » susceptible d’une définition convaincante, que le point de vue adopté soit intellectuel ou moral. Autrement dit, et précisément parce que les processus respectifs d’élargissement des deux organisations ne sont pas conçus comme des projets antirusses, ils n’ont pas de limites et – paradoxalement – sont inévitablement perçus par la Russie comme un assaut permanent contre son statut et son influence. Tant que la Russie se dérobera à un débat honnête sur les raisons pour lesquelles un si grand nombre de ses voisins cherchent à se rapprocher de l’Ouest, cela ne changera pas – et la relation OTAN-Russie demeurera hantée par les mythes du passé au lieu de se tourner vers l’avenir. Michael Rühle
Qu’est-ce qui menace l’existence de la Russie elle-même aujourd’hui ? (…) Tous les domaines vitaux, y compris la démographie, ne cessent de se détériorer, et le taux d’extinction de la population bat des records mondiaux. Et la dégradation est systémique, et dans tout système complexe, la destruction d’un des éléments peut conduire à l’effondrement de tout le système. Et cela, à notre avis, est la principale menace pour la Fédération de Russie. Mais il s’agit d’une menace de nature interne, fondée sur le modèle de l’État, la qualité du pouvoir et l’état de la société. Et les raisons de sa formation sont internes : l’inviabilité du modèle étatique, l’incapacité totale et le manque de professionnalisme du système de pouvoir et de gestion, la passivité et la désorganisation de la société. Aucun pays ne vit dans cet état pendant longtemps. Quant aux menaces extérieures, elles sont bien présentes. Mais, selon notre évaluation d’expert, elles ne sont pas pour le moment critiques, menaçant directement l’existence de l’État russe, ses intérêts vitaux. En général, la stabilité stratégique persiste, les armes nucléaires sont sous contrôle fiable, les groupes de forces de l’OTAN n’augmentent pas, il n’y a pas d’activité menaçante. Par conséquent, la situation qui s’est aggravée autour de l’Ukraine est, avant tout, de nature artificielle et égoïste pour certaines forces internes, dont la Fédération de Russie. À la suite de l’effondrement de l’URSS, dans lequel la Russie (Eltsine) a joué un rôle décisif, l’Ukraine est devenue un État indépendant, membre de l’ONU et, conformément à l’article 51 de la Charte des Nations Unies, a le droit à la liberté individuelle et à la défense collective. (…) Naturellement, pour que l’Ukraine reste une voisine amie de la Russie, il fallait qu’elle démontre l’attractivité du modèle russe d’Etat et de système de pouvoir. Mais la Fédération de Russie en est très loin, son modèle de développement et son mécanisme de politique étrangère de coopération internationale repoussent presque tous ses voisins, et pas seulement eux. L’acquisition de la Crimée et de Sébastopol par la Russie et leur non-reconnaissance par la communauté internationale (et, par conséquent, la grande majorité des pays du monde les considèrent toujours comme appartenant à l’Ukraine) montre de manière convaincante l’échec de la politique étrangère russe et le manque d’attrait de la politique intérieure. Les tentatives par le biais d’un ultimatum et de menaces de recours à la force pour « aimer » la Fédération de Russie et ses dirigeants sont dénuées de sens et extrêmement dangereuses. L’utilisation de la force militaire contre l’Ukraine, premièrement, remettra en question l’existence même de la Russie en tant qu’État ; deuxièmement, cela fera à jamais des Russes et des Ukrainiens des ennemis mortels. Troisièmement, il y aura d’une part des milliers (des dizaines de milliers) d’enfants jeunes et en bonne santé morts, ce qui aura certainement une incidence sur la situation démographique future de nos pays en voie de disparition. (…) Le président de la République de Turquie, Recep Erdogan, a clairement indiqué de quel côté la Turquie combattra. Et on peut supposer que deux armées de campagne et la flotte turque recevront l’ordre de « libérer » la Crimée et Sébastopol et éventuellement d’envahir le Caucase. De plus, la Russie sera définitivement classée parmi les pays menaçant la paix et la sécurité internationale, soumise aux sanctions les plus sévères, se transformera en paria de la communauté mondiale, et risquera d’être privée du statut d’État indépendant. (…) La question se pose : quels sont les véritables objectifs de provoquer ainsi des tensions qui nous précipitent au bord de la guerre, et le possible déclenchement d’hostilités généralisées ? (…) A notre avis, la direction du pays, se rendant compte qu’elle n’est pas en mesure de sortir le pays d’une crise systémique, et cela peut conduire à un soulèvement du peuple et à un changement de pouvoir dans le pays, avec le soutien de l’oligarchie, les fonctionnaires corrompus, nourris des médias et des forces de sécurité, ont décidé d’intensifier la ligne politique pour la destruction définitive de l’État russe et l’extermination de la population indigène du pays. Et la guerre est le moyen qui résoudra ce problème afin de conserver un temps son pouvoir anti-national et de préserver les richesses pillées au peuple. Nous ne pouvons supposer aucune autre explication. Au président de la Fédération de Russie, nous sommes des officiers russes, nous exigeons l’abandon de l’actuelle politique criminelle et va-t-en-guerre, dans laquelle la Fédération de Russie sera seule contre les forces combinées de l’Occident, pour créer les conditions de la mise en œuvre de l’art. 3 des Constitutions de la Fédération de Russie et démissionner. Colonel-général Leonid Grigorievich Ivashov (président de « l’Assemblée panrusse des officiers »)
La Russie ainsi que la Chine et d’autres puissances œuvrant à la transformation du système mondial (…) disposent d’une fenêtre d’opportunité pour accélérer l’expulsion des États-Unis du trône mondial en augmentant la pression sur eux. Car si l’affaiblissement de l’Occident est en cours depuis un certain temps, les phénomènes de crise actuels indiquent que le processus est passé à un niveau qualitativement nouveau, et il serait donc insensé de ne pas saisir cette chance. D’autant plus que, pour notre part, nous avons achevé de nous donner nos propres mécanismes et outils stratégiques — alternatifs  ceux de l’Occident — nécessaires au bon fonctionnement de l’économie nationale et des relations avec les autres pays, qu’il s’agisse de la production de biens, des règlements monétaires, de la diffusion d’informations, etc… (…) Il ne s’agit pas de propositions de discussion, mais bien d’un ultimatum — d’une demande de reddition inconditionnelle. L’Occident n’a pas d’autre choix que de perdre la face — à moins de tenir fièrement bon et d’entrer en guerre avec la Russie. À en juger par la façon dont les Occidentaux ont commencé à s’agiter de l’autre côté, ils en sont bien conscients. (…)En brandissant la menace d’une guerre, Moscou souligne que la Russie est prête — moralement, techniquement et dans tous les autres sens du terme — à toute évolution des événements. Et la réputation qu’elle a acquise au cours des années précédentes confirme que les Russes seront effectivement prêts à recourir à la force s’ils l’estiment nécessaire. Il convient de rappeler les propos de Vladimir Poutine, qui a déclaré sans ambages cet été que si la Russie coulait le destroyer britannique responsable d’une provocation au large des côtes de Crimée, il n’y aurait pas de conséquences majeures : le tollé de la presse mondiale ne doit pas être compté comme tel.[…] Non, cette fois-ci, l’Occident va payer de sa personne. (…) De hauts responsables américains ont effectué de fréquentes visites à Moscou. La venue en novembre du directeur de la CIA, William Burns, était à l’époque la quatrième visite d’un haut responsable de l’administration de la Maison Blanche depuis la réunion de Genève. Il n’est pas difficile de deviner que le but de la visite personnelle du directeur de la CIA n’était pas du tout de présenter des demandes à propos de l’Ukraine, comme les médias occidentaux ont essayé de le présenter, mais de tenter de trouver un compromis. Face à la chute de l’autorité internationale due au retrait infructueux d’Afghanistan, la Maison Blanche souhaitait vivement trouver un accord avec le Kremlin. Irina Alksnis (RIA Novosti)
Pour amener les États-Unis et l’OTAN à la table des négociations, une sorte de super arme est nécessaire. Pour le moment, la Russie ne montre pas ce potentiel à ses adversaires. Mais il existe. La Russie a la capacité d’utiliser des munitions super puissantes d’une capacité allant jusqu’à 100 mégatonnes. […] Nous devons répéter que nous ne sommes pas intéressés par un monde sans la Russie, comme Poutine l’a dit un jour, et démontrer notre détermination à frapper si l’OTAN s’élargit. Après cela, je peux vous assurer qu’ils [les Occidentaux] auront peur. Rien d’autre ne peut les arrêter. […] Il est naïf de compter sur des procédés diplomatiques. […] La démarche de la Russie est un signal indiquant que des mesures déjà radicales vont être prises. Vous avez refusé, alors tant pis… (…) Nous ne pouvons résoudre le problème de la neutralisation de l’Europe et des États-Unis qu’en les éliminant physiquement avec notre potentiel nucléaire. […] Les USA et l’Europe disparaîtront physiquement. Il n’y aura presque pas de survivants. Mais nous aussi, nous serons détruits. A moins que le sort de la Russie ne soit meilleur, car nous avons un grand territoire. Nos adversaires ne pourront pas tout détruire avec des frappes nucléaires. Par conséquent, le pourcentage de la population survivante sera plus élevé. Cependant la Russie en tant qu’État peut disparaître après une guerre nucléaire à grande échelle. Elle risque de se fragmenter. Konstantin Sivkov (expert militaire)
En plus de l’espace post-soviétique, l’initiative de Moscou englobe un large éventail de pays situés entre l’Europe occidentale et la Russie. Mais ce sont principalement la Pologne et les États baltes qui sont visés car des forces supplémentaires de l’Alliance de l’Atlantique Nord y ont été déployées comme il a été décidé lors du sommet de l’OTAN de Varsovie en 2016. La Russie a maintenant on ne peut plus nettement tracé ses lignes rouges, non seulement le refus d’étendre l’OTAN à l’Est, mais aussi, comme indiqué dans le projet d’accord avec l’alliance, le refus « de mener toute activité militaire sur le territoire de l’Ukraine, ainsi que d’autres États d’Europe de l’Est, de Transcaucasie et d’Asie centrale. Il est clair que les États-Unis ne rapatrieront leurs armes nucléaires que lorsque le projet anglo-saxon de domination mondiale s’effondrera enfin, mais il est bon de préparer le terrain… Si l’Occident ne veut pas remarquer nos lignes rouges (plus précisément, s’il fait semblant de ne pas vouloir les remarquer), alors c’est avant tout son problème, pas le nôtre. Piotr Akopov
L’initiative russe pourrait aider les Américains à quitter tranquillement l’Europe centrale et orientale. (…) Bien sûr, la Pologne et les pays baltes seront mécontents. Mais ils seront probablement les seuls à s’opposer au retrait américain d’Europe centrale et orientale. Après tout, le reste des « Jeunes Européens » est guidé par la position du « noyau » de l’Union européenne, et ils n’ont pas de complexes anti-russes stables. (…) Au cours de la prochaine année et demie, la Russie modifiera considérablement l’équilibre du pouvoir planétaire. (…) La situation historique actuelle de la Russie est unique. L’État s’est préparé aux défis majeurs qui peuvent survenir sous une pression critique. D’énormes réserves ont été accumulées, y compris en or. Des plans nationaux d’infrastructure financière et d’information ont été créés et lancés. La numérisation a commencé à englober l’ensemble de l’économie, l’amenant à un nouveau niveau de compétitivité. L’expansion de notre propre base industrielle, y compris dans des domaines high-tech très sensibles, se fait à pas de géant, le « fossé technologique » se comble. Nous sommes sortis de la dépendance critique dans le domaine de la sécurité alimentaire. (…) L’armée est depuis cinq ans la première de la planète. Dans ce domaine, le « fossé technologique » est en notre faveur et ne fait que s’élargir… De plus, l’explosion de l’inflation planétaire entraîne une crise énergétique, ce qui rend les Européens, pour la plupart, beaucoup plus accommodants et exclut un blocus de nos approvisionnements énergétiques, QUOI QUE NOUS FASSIONS. […] » Si la Russie et la Chine coordonnent leurs actions à l’encontre de l’Ukraine et de Taïwan respectivement, « tout deviendra beaucoup plus simple pour nous. Et pour la Chine aussi, de laquelle nous détournerons l’attention, ce qui nous libérera encore davantage les mains…» Bref, la Russie a restauré son poids dans l’arène internationale au point qu’elle est capable de dicter ses propres conditions dans l’élaboration de la sécurité internationale.  Quant à  l’empire décrépit des Stars and Stripes, affaibli par les LGBT, BLM, etc., il est clair qu’il ne survivra pas à une guerre sur deux fronts. Russtrat
Le monde d’avant et le monde d’après le 17 décembre 2021 sont des mondes complètement différents… Si jusqu’à présent les États-Unis tenaient le monde entier sous la menace des armes, ils se retrouvent désormais eux-mêmes sous la menace des forces militaires russes… Une nouvelle ère s’ouvre, de nouveaux héros arrivent, et un nouveau Danila Bagrov [personnage du truand patriotique dans le film populaire Brat], levant sa lourde poigne et regardant dans les yeux son interlocuteur, demande à nouveau doucement : quelle est ta force, l’Américain ? Vzgliad
Les Européens doivent aussi réfléchir s’ils veulent éviter de faire de leur continent le théâtre d’un affrontement militaire. Ils ont le choix. Soit prendre au sérieux ce que l’on met sur la table, soit faire face à une alternative militaro-technique. Alexandre Grouchko (vice-ministre des Affaires étrangères)
Nos partenaires doivent comprendre que plus ils feront traîner l’examen de nos propositions et l’adoption de vraies mesures pour créer ces garanties, plus grande est la probabilité qu’ils subissent une frappe préventive. Andrei Kartapolov (ancien vice-ministre de la Défense)
Eh bien, j’espère que les notes [du 17 décembre] seront ainsi plus convaincantes. Dmitri Peskov (porte-parole du Kremlin, commentant une salve de missiles hypersoniques tueurs de porte-avions, 24/12/2021)
Quels sont nos arguments ? Ce sont, bien sûr, avant tout nos alliés les plus fiables — l’armée et la marine. Pour être plus précis, le missile hypersonique Zircon (« tueur de porte-avions », comme on l’appelle affectueusement en Occident), qui rend absurde pour les États-Unis d’avoir une flotte de porte-avions. L’impact du Zircon fend un destroyer comme une noix. Plusieurs Zircons coulent immanquablement un porte-avions. Le Zircon fait simplement son travail : il tire méthodiquement sur d’énormes porte-avions maladroits, comme un revolver sur des canettes. Vladimir Mojegov
L’ultimatum de Poutine : la Russie, si vous voulez, enterrera toute l’Europe et les deux tiers des États-Unis en 30 minutes (…) Le Kremlin devra prouver par des actes le bien-fondé de sa position. Il n’est probablement possible de forcer les « partenaires » à s’asseoir à la table des négociations que par la contrainte. Économiquement, la Fédération de Russie ne peut rivaliser avec l’Occident. Il reste la guerre. Svpressa
Vladimir Poutine a sonné l’heure de la revanche. L’heure de régler enfin ses comptes avec l’Histoire. Avec l’Ukraine. Et avec l’Occident. Rien ne peut être compris de la folle aventure qui a commencé ce jeudi au petit jour avec l’attaque massive par la terre et par l’air lancée par l’armée russe à travers tout le territoire ukrainien, si on n’a pas en tête que l’homme tout-puissant qui est aux commandes de la Russie veut se venger. Avec un grand V. «Nous allons démilitariser et dénazifier l’Ukraine», a-t-il lancé à la face du monde, en annonçant «une opération spéciale», utilisant – ce qui est loin d’être un hasard – un vocable propre aux tchékistes de l’époque soviétique pour désigner la guerre qu’il a déclaré à l’Ukraine. Il s’agit d’une reconquête. Où s’arrêtera-t-elle? Pour comprendre cette obsession de vengeance, il faut remonter des années en arrière à cette journée historique du 8 au 9 novembre 1989, qui soudain voit des milliers d’Allemands escalader le mur de Berlin en train de tomber. À l’époque, le lieutenant-colonel du KGB Vladimir Poutine, 39 ans, est basé à Dresde, en RDA, avant-poste de la présence militaire soviétique. Mais son cœur n’est pas à l’unisson des foules en liesse qui dansent et pleurent à travers le pays pour célébrer les retrouvailles émues des deux Allemagnes et la réunification en marche de l’Europe. Il est du côté des vaincus. Son monde, celui de la superpuissance soviétique invincible qui tenait dans ses griffes la moitié de l’Europe, est en train de s’écrouler comme un château de cartes, sous ses yeux stupéfiés. (…) Pour cet espion, dont l’enfance a été baignée par la propagande des films d’espionnage sur la grandeur de la mère patrie, c’est l’heure de la retraite, humiliante. Tandis que des centaines de milliers de soldats soviétiques plient bagage dans une ambiance de déroute, Vladimir Poutine quitte Dresde à son tour en février 1990, emportant la machine à laver qu’il a acquise et quelques leçons de haute politique… (…) Pour Vladimir Poutine commence alors ce qu’il faut bien appeler la reconquête. En dix ans, elle va le mener au Kremlin, en trois temps. Le temps de l’infiltration/intégration des nouvelles structures démocratiques qui émergent avant et surtout après le putsch raté d’août ; le temps de l’installation au pouvoir qui commence en 2000, après sa nomination en 1999 au poste de premier ministre d’un Boris Eltsine chancelant qui cherche un successeur ; et le temps de la reconquête extérieure, qui s’affirme à partir de l’invasion militaire de la Géorgie en 2008. (…) Au départ, l’Occident hésite sur la nature de Poutine. Sa capacité à jouer sur tous les tableaux, à alterner tous les visages qu’il a appris à adopter pendant sa montée éclair vers le pouvoir – celui du réformateur, celui du guerrier, celui du législateur – déconcerte ses interlocuteurs, qui s’interrogent sur la nature de ses intentions, modernisatrices ou impériales. Mais peu à peu, la reconquête va déborder vers l’empire. Cela commence en réalité dès le début des années 2000 avec toutes les opérations hybrides de déstabilisation et d’infiltration qu’il déclenche, des pays Baltes, à la Géorgie et l’Ukraine. La rage que provoquent les révolutions de couleur qui balaient les régimes pro-russes installés en Ukraine et en Géorgie va accroître son désir de revanche. Convaincu d’être encerclé par un Occident qui cherche à déstabiliser son propre pouvoir, Poutine va dès lors, contre-attaquer par la guerre hybride: désinformation, cyber-attaques, achat d’élites, et finalement la force militaire. Il est frappant de constater que de 2000 à 2022 Vladimir Poutine a finalement peu hésité à utiliser la force, de la Tchétchénie, à la Géorgie, en passant par la Syrie et aujourd’hui l’Ukraine. Il a aussi beaucoup utilisé la violence, allant éliminer ses adversaires là où ils se trouvaient comme on le vit avec les anciens espions Litvinenko et Skripal, assassinés avec des poisons. Il est aussi à l’offensive à l’Ouest, où il a multiplié les offensives de charme et de propagande et les attaques contre les élections. Il y a cultivé des alliés politiques. Et chaque nouvelle crise l’a convaincu de la pusillanimité de l’Occident, de sa décadence et de ses divisions. L’intellectuel Vladimir Pastoukhov, très inquiet, est persuadé que l’invasion actuelle de l’Ukraine cache en réalité un projet beaucoup plus vaste, visant à défaire l’Occident, avec une pression maximale, pour le faire imploser de l’intérieur par une guerre d’usure tous azimuts, allant de l’effet de la sidération à l’intimidation. Pourrait-il tenter sa chance vers les pays Baltes pour détruire la légitimité de l’article 5 de l’Otan? À Moscou, les opposants abasourdis par l’audace de l’attaque disent se demander si leur «tsar» «de ténèbres», ivre de toute-puissance, n’a pas perdu la tête. Le journaliste Alexandre Nevzorov estime par exemple que « l’on assiste aux obsèques de la Russie », pas à celles de l’Ukraine. «Il n’y a personne qui puisse l’arrêter», note le rédacteur en chef de Novaya Gazeta, Dmitri Mouratov, qui dit sa « honte ». Laure Mandeville
Auprès de Besançon, j’ai appris l’importance de l’éthique, et compris qu’on ne pouvait pas considérer le régime communiste comme un autre, car c’était un régime criminel. Evidemment, ce n’était pas très à la mode. Françoise Thom
Quel autre pays au monde peut en effet se permettre de raser des villes, de spolier les étrangers, d’assassiner les opposants hors de ses frontières, de harceler les diplomates étrangers, de menacer ses voisins, sans provoquer autre chose que de faibles protestations? Françoise Thom
Quel intérêt y a-t-il à introniser à nouveau un pays dont le but avoué est la destruction de l’ordre international et le ralliement de toute l’Europe à son régime militaro-policier ?  (…) L’initiative Macron, sans avoir consulté les partenaires européens, est extrêmement risquée à un moment où les Etats-Unis sont totalement paralysés. Le premier service qu’on puisse rendre à la Russie est de lui tenir un discours de vérité, or le président français ne le fait pas quand il cite tous les poncifs, il la conforte au contraire dans une voie calamiteuse.  Françoise Thom
Il n’aurait pas fallu, en Occident, approuver la destruction du Parlement en octobre 1993 [en butte au Congrès des députés du peuple, Boris Eltsine fit intervenir l’armée et prononça sa dissolution au terme de plusieurs jours d’affrontements meurtriers dans les rues de Moscou] car c’était une violation gravissime du droit. Les germes du poutinisme sont là, dans cette liquidation du Parlement par la force, et l’impossible séparation des pouvoirs. C’était la fin de l’espérance d’une démocratie libérale. Françoise Thom
Moscou mise sur l’effet démoralisant sur l’Europe de cette négociation russo-américaine sur son sort dont elle est exclue et sur la faiblesse de la partie américaine en l’absence des alliés européens. (…) Le pacte Ribbentrop-Molotov n’est jamais loin dans la tête des dirigeants du Kremlin. C’est aussi une question de statut, et le reflet de l’obsession de Poutine d’effacer l’effondrement de l’URSS. (…) En négociant d’égal à égal avec le président des Etats-Unis Poutine démontre en même temps aux Russes que sa position de capo est reconnue par les maudits Occidentaux. Le sentiment d’avilissement qu’ils éprouvent au fond d’eux-mêmes en se pliant au despotisme se dissipe au spectacle de l’humiliation des Occidentaux : eux aussi courbent l’échine devant Poutine. La propagande du régime sait admirablement jouer de ces cordes sensibles. Il est important de comprendre quelles motivations ont poussé Poutine à lancer ce défi aux pays occidentaux. Comme toujours le comportement russe est dicté par une analyse soigneuse de la « corrélation des forces », qui, selon les experts du Kremlin, vient de basculer en faveur des puissances révisionnistes anti-occidentales. Après 20 ans de préparation à la guerre, la position russe est jugée forte comme jamais, à en croire le think tank Russtrat (…) Car en face, les Etats-Unis affrontent une crise sans précédent, avec une inflation galopante, des pénuries d’approvisionnement, un président faible, une société plus divisée que jamais. D’où la démarche du Kremlin : « Il ne s’agit pas de propositions de discussion, mais bien d’un ultimatum — d’une demande de reddition inconditionnelle. L’Occident n’a pas d’autre choix que de perdre la face — à moins de tenir fièrement bon et d’entrer en guerre avec la Russie. À en juger par la façon dont les Occidentaux ont commencé à s’agiter de l’autre côté, ils en sont bien conscients. » En brandissant la menace d’une guerre, fait remarquer RIA Novosti, « Moscou souligne que la Russie est prête — moralement, techniquement et dans tous les autres sens du terme — à toute évolution des événements. (…) Évidemment la guerre n’est pas sans risques, ce dont, espérons-le, les militaires russes essaient de persuader Poutine.  (…) Mais (…) il ressort des analyses de Russtrat (entre autres) que le déclic pour le Kremlin a été la politique malencontreuse de la Maison Blanche qui, après la débandade en Afghanistan, a multiplié cet automne les émissaires à Moscou, rendant encore plus manifeste aux yeux de Poutine la faiblesse des Etats-Unis :  (…) Le 2 novembre 2021, Burns a effectivement rencontré le secrétaire du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie Nikolaï Patrouchev et, probablement, le président Poutine. C’est un personnage apprécié du Kremlin : en 2005-2008, il a été ambassadeur en Russie et « a trouvé un langage commun avec Poutine. Sobre et pragmatique, totalement dépourvu du complexe messianique caractéristique des Américains, Burns a toujours prôné le refus d’élargir l’OTAN vers l’Est. » La visite de Burns a été interprétée à Moscou comme l’indice du choix d’une politique d’appeasement à Washington et donc un encouragement à faire monter les enchères et à « s’emparer de l’initiative stratégique ». Au fond, nous retrouvons dans ces considérations un substrat léniniste. Les États-Unis et leurs alliés européens étaient les nantis de l’ordre international, les principaux bénéficiaires du système existant, qui leur apportait des avantages disproportionnés par rapport à leur contribution. Grâce à la crise, leur hégémonie est sur le déclin. Les Etats autrefois « prolétaires » sont en train de l’emporter, sous le leadership russe. Là encore Poutine est en train de rejouer la guerre froide, avec un happy end cette fois. (…) Les Occidentaux doivent d’abord percevoir la situation telle qu’elle est, si désagréable fût-elle pour nos Etats démocratiques plus habitués à des entreprises futiles qu’à assurer leur préservation. Pour cela nous devons nous extraire du mensonge russe. Le premier mensonge concerne les prétendues inquiétudes de Moscou pour la sécurité russe, le danger que représenterait pour elle des missiles de l’OTAN déployés dans les pays frontaliers. Il suffit de prendre connaissance des textes cités plus haut pour constater que les préoccupations de « sécurité » mises en avant par Moscou ne sont qu’un rideau de fumée, que l’OTAN même est considéré comme un tigre en papier (…) Quand Moscou parle de « sécurité » il faut entendre « domination russe » et « impunité », car c’est de cela qu’il s’agit. Le Kremlin considère en effet que tout ce qu’il ne contrôle pas peut mettre le régime en péril. On le voit à la politique intérieure russe, où depuis des années les oasis de liberté sont asséchées une à une. Ce que Moscou craint en Ukraine, ce ne sont pas les quelques instructeurs de l’OTAN, ce sont les libertés. Elle veut une Ukraine désarmée de manière à pouvoir intimider les rebelles de Kiev et mettre en place un régime haï par son peuple, donc dépendant totalement du Kremlin. On se souvient que la Russie a laissé faire Aliev en Arménie justement parce que le président Pachinian avait été choisi par le peuple arménien contre les marionnettes du Kremlin. Si la Russie parvient à chasser les Etats-Unis d’Europe, elle ne tardera pas à se sentir menacée par les libertés des pays d’Europe de l’Ouest, et sous prétexte d’assurer sa « sécurité », elle mettra le même acharnement chez nous que chez elle à asservir les media, à éradiquer les institutions démocratiques et les partis indépendants. Aujourd’hui déjà, Lavrov se permet de réclamer la démission de Stoltenberg, secrétaire de l’OTAN, qui selon lui « n’est pas à la hauteur de sa tâche ». Autre illusion dont il faut se défaire, l’idée d’une société civile bouillonnante en Russie qui pourrait freiner les aspirations belliqueuses du président Poutine. Les sondages montrent que le lavage de cerveau effectué par la propagande officielle est fort efficace : 50 pour cent des Russes interrogés considèrent que l’OTAN et l’Occident en général sont responsables de la tension actuelle. 16 pour cent incriminent l’Ukraine. Les rares opposants qui subsistent critiquent très rarement la politique étrangère et ne dénoncent guère le chauvinisme nauséabond qui émane du régime de Poutine. Enfin, mentionnons cette vache sacrée démocratique qui doit être sacrifiée : la foi absolue dans la vertu du « dialogue », que la plupart des responsables occidentaux, de Florence Parly à Mario Draghi, continuent à préconiser face à Moscou. Or rien n’est plus dangereux que ces échanges au sommet, qui, quoi qu’on dise, alimentent immanquablement soit la paranoïa, soit la folie des grandeurs et l’ivresse de puissance russes. Si les Occidentaux se montrent fermes, le Kremlin en tire la conclusion qu’ils veulent détruire la Russie ; si les Occidentaux offrent des concessions, le Kremlin en conclut qu’ils sont faibles et qu’il faut foncer. Très souvent avec la Russie la meilleure politique est celle du silence et de la distance : ne rien faire, ne rien dire et tenir bon l’arme au pied. S’accrocher au dialogue à tout prix, surtout quand Moscou nous tient en joue comme un forcené détenant un otage, ne fait qu’étaler notre faiblesse et encourager le Kremlin à l’escalade. Surtout nous devons cesser de donner à la guerre froide la connotation péjorative qu’elle ne mérite nullement. La ministre de la Défense Florence Parly vient de déclarer que les pays occidentaux doivent éviter l’escalade avec la Russie afin de ne pas provoquer une nouvelle guerre froide. Tant que nous restons dans ces cadres conceptuels la Russie sera gagnante. Il faut se rappeler que la guerre froide a commencé en 1946, lorsque les Occidentaux ont cessé de céder à Staline, après lui avoir laissé en pâture les pays d’Europe centrale et orientale. C’est grâce à la guerre froide que les pays de l’Europe occidentale ont conservé leur liberté. Les leçons des années 1946-7 sont d’actualité aujourd’hui. Les pionniers de la guerre froide furent les Britanniques, qui constituèrent un bloc occidental autour du noyau anglo-français et persuadèrent les Américains tentés par l’isolationnisme de rester en Europe. Au printemps 1947, les gouvernements français, italien et belge expulsèrent les ministres communistes, conscients du danger que représentait la cinquième colonne de Moscou en Europe. Cette volonté manifeste de résister à Staline acheva de persuader Washington de s’engager dans la sécurité européenne. Il s’agissait de tout un programme d’action dont nous pourrions nous inspirer aujourd’hui, au lieu de nous livrer à une puérile guerre des boutons avec la Grande-Bretagne. Mais pour cela nous devons réapprendre à voir les choses en face, à raisonner en termes politiques, au lieu de flotter au gré des passions médiatiques et des sondages. En 1946-7 on savait que la liberté valait la peine qu’on meure pour elle, ce qui visiblement est oublié aujourd’hui. Après Munich, en 1938, les Occidentaux éprouvèrent une grande honte d’avoir abandonné la Tchécoslovaquie dans les griffes d’Hitler. Aujourd’hui nous sommes en train de laisser tomber lâchement l’Ukraine, mais nous ne nous rendons même pas compte de notre déshonneur, ni du péril qu’il y a à céder à un agresseur. Nous discutons du sexe des anges, comme les Byzantins lorsque les forces ottomanes étaient en train de détruire les remparts de la ville. Françoise Thom
Ceux qui préconisent le « dialogue » ne voient pas que toute main tendue de l’Occident est perçue en Russie soit comme une agression camouflée – l’expression du projet prêté à l’Occident de « démembrer la Russie » pour mettre le grappin sur ses richesses –, soit comme le signal d’une disposition à la capitulation de « l’adversaire » (car le Kremlin considère comme des adversaires tous les pays qui ne sont pas des dictatures). Il résulte de ceci que toute démarche des Occidentaux à l’égard de la Russie se retournera contre eux. Une bonne politique russe est une politique où on en fait le moins possible, où l’on parle le moins possible, une politique d’isolement, sans les déclarations fracassantes, sans les menaces creuses, qui nourrissent à la fois la paranoïa et l’arrogance des occupants du Kremlin. Ceci ne veut pas dire qu’il ne faille pas marquer le coup quand Moscou pratique le fait accompli, agresse ses voisins ou se livre à des répressions. Toutefois ce n’est pas en paroles qu’il faut réagir, mais en actes, et en actes mis en place sans crier gare, à la manière des opérations spéciales qu’affectionne le président Poutine. Si nous nous donnons le luxe d’être imprévisibles, Poutine cessera de jouer sur le velours. Ceci concerne avant tout les sanctions. On nous dit que les sanctions sont inutiles, qu’elles permettent au régime de provoquer un sursaut patriotique autour du pouvoir ; on laisse entendre que les sanctions sont imposées par les Etats-Unis à une Europe qui ne demanderait pas mieux que de manifester son « indépendance » en pratiquant une politique accommodante avec Moscou, bref que les Européens doivent être « réalistes », privilégier leurs « intérêts », assurer leur « sécurité énergétique » en soutenant le Nord Stream 2 [projet de gazoduc entre la Russie et l’Allemagne]. Justement, soyons « réalistes » et réfléchissons où sont nos vrais « intérêts », sans que le Kremlin nous dicte le sens qu’il faut attribuer à ces termes. D’abord, contrairement à ce qu’on ne cesse de prétendre, les sanctions marchent, et c’était déjà le cas à l’époque soviétique. Les archives montrent qu’elles ont dissuadé Khrouchtchev de pratiquer l’escalade au moment de la crise de Berlin [entre 1958 et 1962], qu’elles ont dissuadé Brejnev et Andropov d’intervenir en Pologne en 1981 [au moment des grèves massives conduites par le mouvement Solidarnosc]. Si des sanctions sérieuses avaient été adoptées après le démembrement de la Géorgie en 2008, au lieu du pathétique « reset » [la relance des relations russo-américaines voulue par le président Obama], on aurait évité l’annexion de la Crimée, en 2014. Mais venons-en aux relations économiques, dont on nous assure qu’elles vont permettre un rapprochement entre l’Europe et la Russie. C’est oublier que pour Moscou, les relations d’affaires sont avant tout un instrument de projection de la puissance et de l’influence russe. En devenant le fournisseur de pétrole et de gaz de l’Europe, le Kremlin se crée de puissants oligarques au sein des élites politiques occidentales, qui, comme les oligarques russes, sont autorisés à s’enrichir à condition de servir Moscou. Les grandes sociétés faisant des affaires en Russie deviennent les vecteurs de la politique russe en Europe. Quant à la « sécurité énergétique » qu’assurerait le Nord Stream 2, souvenons-nous de la manière dont le Kremlin ferme les robinets du gaz aux pays de « l’étranger proche » qui ont le malheur de lui déplaire. L’Europe a-t-elle vraiment « intérêt » à se passer la corde au cou ? A-t-elle « intérêt » à augmenter les flux financiers vers la Russie, quand on sait que ces ressources vont alimenter la guerre hybride menée contre les Occidentaux, acheter notre classe politique, nos médias et nos think tanks, financer le déploiement de nouveaux missiles braqués contre l’Europe ? Les sanctions sont un outil efficace, surtout si elles visent les oligarques et les siloviki [soit « les hommes en uniforme », issus des services de sécurité russes – le KGB, puis le FSB] proches du pouvoir, ou si elles entravent le développement des secteurs de puissance de la Russie (énergétique et armement), les seuls qui comptent aux yeux du Kremlin. Une politique résolue de sanctions dures obligerait les hommes du Kremlin à se demander si la politique de confrontation voulue par le président Poutine est vraiment conforme aux intérêts nationaux russes. La claque infligée à Josep Borrell (…) jette une lumière crue sur un aspect essentiel de la stratégie du Kremlin. Il s’agit de faire une démonstration éclatante de la faiblesse des Occidentaux, pour hâter l’avènement d’un ordre, ou plutôt, d’un désordre international postoccidental. C’est un signal lancé à Xi Jingping, Erdogan et consorts : voyez, nous pouvons impunément nous essuyer les pieds sur l’UE et elle passera par nos volontés. C’est pourquoi, si nous voulons éviter que Poutine fasse des émules, la première règle que les Européens doivent adopter est de ne plus faire étalage de leur faiblesse et de leur désunion, de riposter sans tarder aux humiliations publiques et aux provocations. Mieux vaut agir sans parler que parler sans agir. Dans le monde de voyous qui nous entoure, il est temps que l’UE apprenne à se faire craindre. Françoise Thom
Désespérons Billancourt !  Désespérons Billancourt !  Désespérons Billancourt ! Georges de Valera (escroc qui se fait passer pour un ministre soviétique ayant choisi la liberté », Nekrassov, Sartre, 1955)
Je me rappelle votre belle enquête : « La Guerre, demain ! » On transpirait d’angoisse. Et vos montages photographiques : Staline entrant à cheval dans Notre-Dame en flammes ! De purs chefs-d’œuvre. Mais voici plus d’un an que je note un relâchement suspect, des oublis criminels. Vous parliez de famine en URSS et vous n’en parlez plus. Pourquoi ? Prétendez-vous que les Russes mangent à leur faim ?  Mouton (Nekrassov, Sartre)
Depuis Kravtchenko, sais-tu combien j’en ai vu défiler, moi, de fonctionnaires soviétiques ayant choisi la liberté ? Cent vingt-deux, mon ami, vrais ou faux. Nous avons reçu des chauffeurs d’ambassade, des bonnes d’enfants, un plombier, dix-sept coiffeurs et j’ai pris l’habitude de les refiler à mon confrère Robinet du Figaro, qui ne dédaigne pas la petite information. Résultat : baisse générale sur le Kravtchenko. […] Ah ! monsieur a choisi la liberté ! Eh bien ! fais-lui donner une soupe et envoie-le, de ma part, à l’Armée du salut.  Sibilot (Nekrassov, Sartre)
Je décidai qu’en cette occurrence, l’URSS fût innocente et que le scandale vînt essentiellement de la presse française. Sartre (1978)
Nekrassov (…) est jouée huit ans après le procès Kravtchenko qu’elle évoque explicitement. On s’en souvient, Kravtchenko, haut fonctionnaire soviétique envoyé aux États-Unis en 1943 dans une commission d’achat, a décidé d’y rester et écrit un livre, J’ai choisi la liberté, dans lequel il racontait ce qu’il avait vu en URSS : la collectivisation, les famines, les purges, les camps, la terreur, la surveillance généralisée. Ce livre a été un succès mondial et a entraîné un procès qui s’est tenu à Paris en 1949 et dans lequel Kravtchenko affrontait le journal communiste Les Lettres françaises et ses partisans. Simone de Beauvoir a assisté avec Sartre à une audience et, si elle parle en termes peu amènes de Kravtchenko et de ses témoins, elle admet dans ses Mémoires qu’« une réalité ressortait de leurs dépositions : l’existence des camps de travail » en URSS. Dès 1949, la question n’était donc plus de savoir s’il existait des camps et des répressions en URSS, mais si ces camps et ces répressions justifiaient de ne pas soutenir l’URSS et l’espoir révolutionnaire que celle-ci était censée incarner. Pour Sartre, non, cela ne le justifiait pas, comme en témoignent ses interviews de 1954 et sa pièce de 1955. L’intrigue de Nekrassov est basée sur un quiproquo volontairement créé. Un escroc recherché par la police, Georges de Valera, se cache chez la fille du journaliste Sibilot, qui travaille pour Soir à Paris. Jules Palotin dirige ce journal et semble inspiré par Pierre Lazareff, le directeur de France-Soir, qui a lui aussi visité l’URSS au printemps 1954 avec son épouse russophone et qui, dans une polémique publique, a reproché à Sartre d’idéaliser ce pays. Palotin a chargé Sibilot de lutter contre « la propagande communiste », et ce dernier, qui reconnaît être « un professionnel de l’anticommunisme », se plaint de ses conditions matérielles : l’argent est sa motivation première. De même, Palotin veut avant tout que son journal se vende. Or Mouton, directeur du conseil d’administration, lui ordonne de renforcer les attaques contre les communistes avant des élections locales (…) Le danger de guerre, les famines et le niveau de vie soviétique, très bas, ne seraient donc que des thématiques caricaturales, destinées à effrayer, à faire vendre le journal et à influer sur la politique intérieure française. Dès lors, selon Sartre, les articles sur ces sujets devraient susciter l’ironie de ceux qui, comme lui, ne seraient pas dupes. (…) L’URSS avait commandité des attaques contre Kravtchenko, et la pièce apparemment si légère de Sartre était aussi une tentative pour donner un second souffle à ces attaques. Consciemment ou pas, l’intellectuel n° 1 d’Occident était utile à ses nouveaux amis : il ridiculisait les opposants à l’URSS, réduisait toute critique de l’URSS à des motivations matérielles et mettait en doute les crimes, les oppressions et les difficultés matérielles dont le pouvoir soviétique était directement responsable. Cécile Vaissié
Welcome Gorby, bienv’nue ici Où on est quelques-uns, je crois Un copain à moi et puis moi A espérer Qu’tu vas v’nir avec tes blindés Nous délivrer T’as fait tomber l’mur de Berlin (…) Ici y’a des chaînes à briser Commence par les chaînes de télé (…) Que tu nous débarrasses un peu De ce « Big Brother » de mes deux J’te fais confiance Tu pourras aussi liquider Les radios FM à gerber Qu’ nous balancent De nos chanteurs hydrocéphales Et de leur poésie fécale Toute l’indigence (…) Où on est quelques-uns, je crois (…) A espérer Qu’tu vas v’nir avec ton armée Tout balayer Tu peux construire, si tu t’amènes Quelques goulags au bord d’la Seine De toute urgence Ici y’a un paquet d’nuisibles Qui nous font péter les fusibles De la conscience Des BHL et des Foucault Pas l’philosophe, non, l’autre idiot Des Dorothée Fort sympathiques au demeurant Je dirais plus exactement Aux demeurés (…) Que tu vas v’nir claquer l’beignet A ces tares On a ici, c’est bien pratique Quelques hôpitaux psychiatriques Qu’tu peux vider Pour y foutre les psychanalystes Les députés, les journalistes Et les Musclés (…) Si t’en as marre du communisme J’te raconte pas l’capitalisme Comme c’est l’panard Comment on est manipulés Intoxiqués, fichés, blousés Par ces connards Viens donc contempler nos idoles Elles sont un peu plus rock and roll Que ton Lénine Bernard Tapie et Anne Sinclair ‘Vec ça tu comprends qu’notr’misère Soit légitime (…) Qu’si tu v’nais avec tes blindés Y voudraient sur’ment pas rester. Renaud (1991)
Au lieu de recevoir Poutine avec des pincettes, au lieu de l’humilier en bloquant la construction du centre orthodoxe du quai Branly et de bouder l’inauguration du monument à la mémoire des soldats russes morts pour la France durant la Grande Guerre, le gouvernement français devrait faire preuve de réalisme et d’un peu de courage pour construire une relation de confiance avec la Russie! Ce n’est pas à New York que la crise syrienne se dénouera, c’est à Moscou. Que Poutine lâche le régime syrien, et il tombera comme le fruit pourri qu’il est. Si j’étais François Hollande, je prendrais l’avion maintenant pour Moscou, si possible avec Angela Merkel, et je chercherais à offrir à la Russie de véritables garanties sur sa sécurité et sur une relation de confiance avec l’Otan, qui doit inclure la question de la défense antimissile à laquelle les Russes doivent être réellement associés. L’ours russe n’est dangereux que quand il a peur. Offrons-lui sans détour la perspective d’un accord historique d’association avec l’Europe. Ce que François Hollande ne comprend pas, c’est qu’il faut ancrer la Russie à l’espace européen. Je sais bien que les diplomates trouveront dix mille raisons qui empêchent cette avancée historique: l’insuffisance de l’État de droit en Russie, l’instabilité des règles juridiques et commerciales, la corruption… Tout cela est vrai mais tout cela ne peut justifier que nous restions inactifs face au piège infernal qui est en train de s’armer aux confins de la Perse, de la Mésopotamie et l’Assyrie. Que notre président normal comprenne qu’il n’y a rien de normal dans le monde dont il est désormais l’un des principaux responsables. Qu’il prenne des risques, qu’il abandonne ses postures bourgeoises et atlantistes version guerre froide. Qu’il parle avec la Russie. François Fillon (2012)
On sait que la Russie n’est pas une démocratie, on sait que la Russie est un régime instable et dangereux. La question posée c’est : ‘est-ce qu’on doit continuer à provoquer les Russes, à refuser toute espèce de dialogue avec eux en les poussant à être de plus en plus violents, agressifs, et de moins en moins européens?’ François Fillon (2016)
La Russie, c’est le plus grand pays du monde par sa superficie. C’est un pays dangereux car c’est un pays instable, qui n’a jamais connu la démocratie. (…) Traiter ce pays comme si c’était le Luxembourg ou le Panama, c’est juste une énorme bêtise. (…) Il n’y a jamais eu de démocrate à la tête de la Russie. Vouloir faire de Poutine un monstre aux mains pleines de sang, c’est juste ridicule par rapport à l’histoire de la Russie. François Fillon (2016)
Pour moi, l’homme de l’année est Vladimir Poutine. Il (…) fut le seul à oser donner l’asile politique à Snowden, l’homme qui révéla la folle réalité de l’espionnage américain. Mais cette année restera avant tout celle où le chef de l’Etat russe est sorti vainqueur du grand bras de fer diplomatique autour de la Syrie. Poutine tient dans cette histoire le rôle glorieux d’un Chirac qui aurait réussi à empêcher la guerre en Irak. (…) Poutine a remis le couvert avec l’Iran, servant d’honnête courtier avec les Américains. Et il a parachevé son triomphe diplomatique en empêchant le ralliement de l’Ukraine à l’Europe. (…) Poutine n’est pas en odeur de sainteté ni dans les médias français ni au Quai d’Orsay. On évoque non sans raisons ses penchants autoritaires, ses accointances avec certains cercles plus ou moins mafieux, son incapacité à couper l’économie de sa rente pétrolière et gazière. Mais personne ne peut contester qu’il été élu démocratiquement. (…) La bourgeoisie occidentalisée conteste ses manières, mais la majorité du peuple lui sait gré d’avoir restauré l’Etat. (…) Poutine a mis au pas les oligarques qui dépeçaient la Russie et rétabli la souveraineté de la Russie face à la pression impériale de l’Amérique. Poutine a peu à peu endossé les habits de nouveau tsar dans la grande tradition russe. Il reste le dernier résistant à l’ouragan politiquement correct qui, parti d’Amérique, détruit toutes les structures traditionnelles, famille, religion, patrie. Eric Zemmour (20.12.2013)
Poutine a eu des mots très justes, il y a déjà bien longtemps, sur la colonisation de l’Europe par ses anciens colonisés. À ce propos, je rejoins mot pour mot ses analyses : il a décrit à l’avance, et avec tout le mépris qui convenait, ce qui est en train de se produire. Mais je ne le vois pas comme un ami : plutôt comme un joueur très doué qui sert à merveille ses propres intérêts et, dans une certaine mesure, ceux de son pays (plus que de son peuple). On peut s’inspirer de sa détermination, de son talent diplomatique, de son patriotisme. On peut même les admirer, et les envier pour nos propres nations. Mais on ne saurait oublier qu’il ne s’agit nullement d’un ami, et que ses intérêts ne sont pas les nôtres. Renaud Camus (2017)
Qu’ont en commun François Fillon, Jean-Luc Mélenchon, Nadine Morano et Jean-Pierre Chevènement ? Pas grand-chose, sauf l’admiration qu’ils portent à Vladimir Poutine. Chapeau l’artiste : non content d’être devenu la vedette du théâtre stratégique international, dont on se demande tous les mois quel sera le prochain tour, Poutine est applaudi à gauche (un peu) et à droite (surtout). Nicolas Sarkozy a bien senti le vent : depuis 2015, il justifie l’annexion de la Crimée – au motif que ses habitants auraient librement choisi leur sort – et adopte le tropisme moscovite d’une grande partie de ses électeurs potentiels. Cette vision de Poutine résulte d’une convergence exceptionnelle : admiration pour le « défenseur des valeurs chrétiennes », qui a surfé sur la vague de l’opposition au « mariage pour tous » ; respect pour un pouvoir fort et viril, antithèse à la fois de François Hollande et de Barack Obama ; applaudissements saluant la maestria diplomatique de Moscou au Moyen-Orient, qui contraste avec la pusillanimité de Washington ; vision romantique de la relation franco-russe, qui a toujours existé chez les gaullistes, mais qui séduit aussi par son anti-américanisme ; fierté de quelques vieux communistes pour le révisionnisme historique aujourd’hui à l’œuvre au Kremlin… Que les extrêmes communient dans cette « panthéonisation », cela n’a rien de très surprenant. Mais qu’une large frange des Républicains y participe, c’est plus ennuyeux, car cela révèle un aveuglement sur la nature du pouvoir russe actuel. La défense des « valeurs traditionnelles » par le Kremlin est, au mieux, un malentendu. Il est vrai qu’elle est entretenue par une propagande habile : moderne, affûtée, non dénuée de sens de l’humour. Avec un investissement considérable dans les réseaux sociaux et les blogs, et l’entretien d’une cohorte de propagandistes rémunérés pour répandre la bonne parole dans les médias, sans compter les idiots utiles. Mais un régime dont les principaux ressorts sont la corruption, la manipulation, la répression et l’élimination physique des opposants incarne-t-il dignement les « valeurs conservatrices » ? La répression de la différence sexuelle relève-t-elle des leçons de l’Évangile ? La criminalisation du « blasphème » mérite-t-elle les applaudissements des catholiques ? L’intimidation des Églises non affiliées au patriarcat est-elle une preuve d’amour de son prochain ? La relation de co-dépendance qu’entretient Moscou avec la satrapie néo-wahhabite de Tchétchénie, dont les hommes de main sont les exécuteurs des basses œuvres du Kremlin, est-elle d’essence chrétienne ? Le bombardement délibéré d’hôpitaux en Syrie est-il un témoignage de charité ? Quant à la « défense des chrétiens d’Orient », dont Poutine est crédité à travers son soutien à Damas, elle relève d’un mythe : Bachar el-Assad n’a aucune sympathie particulière pour les chrétiens, qui ont tout autant souffert de son régime que les autres et ne sont qu’un pion dans sa stratégie. Le pouvoir fort admiré par les thuriféraires de Moscou ? Une clique cynique et affairiste composée d’anciens des services de sécurité dans le premier cercle, et de potentats mafieux dans le second. Une caste dirigeante qui a, depuis 2012, achevé sa mue autoritaire entamée en 1999 au prix d’une série de coups tordus, et réalisé une habile synthèse de néo-tsarisme et de néo-stalinisme. Avec la bénédiction d’une grande partie de sa propre population, dont la capacité à exercer librement ses choix démocratiques est, il est vrai, aujourd’hui sujette à caution. (…) Écouter les arguments de la Russie au motif que c’est une « grande civilisation » ? L’Iran a beau être une « civilisation bimillénaire » et la Grèce « le berceau de l’Occident », cela n’éteint pas la critique des mollahs révolutionnaires ou des gauchistes impécunieux. (…) Accepter que le Kremlin fasse des pays limitrophes une « sphère d’influence » ? Ce serait bénir une logique impérialiste et se moquer de l’autodétermination des peuples. Et si la Crimée avait « toujours été russe », pourquoi ne pas « rendre » Kaliningrad (Königsberg) à l’Allemagne ? (…) « Quand vous trouvez un accord avec la Russie, elle le respecte », prétendait François Fillon début avril. Que Moscou ait foulé aux pieds tous les traités sur la sécurité européenne signés depuis 1975 et tous les textes régissant sa relation avec l’Ukraine indépendante depuis 1994 ne semble pas troubler l’ancien Premier ministre. (…) l’admiration pour Poutine rappelle décidément, à droite, l’attitude d’une partie de la bourgeoisie européenne entre 1933 et 1939. La posture diplomatique recommandée par certains néogaullistes relève ainsi de l’imposture politique. La nostalgie pour « l’Europe de l’Atlantique à l’Oural » concerne la reconstruction à posteriori : derrière une rhétorique habile, des gestes à portée symbolique forte et une certaine admiration pour la culture russe, le général ne s’est jamais fourvoyé dans une fausse équivalence entre Washington et Moscou. (…) Mais « tendre la main » à Moscou ? Cela relève de l’illusion tant le pouvoir russe raisonne aujourd’hui en termes de jeu à somme nulle, et sur le mode « ce qui est à moi est à moi, ce qui est à toi est négociable. » « Tenir compte des intérêts de Moscou » ? Pas au détriment des nôtres. Comme souvent, les Français sont plus lucides que leurs dirigeants et leurs intellectuels. Si l’on en croit une enquête menée en 2015 dans huit pays occidentaux, ils sont les plus nombreux (30 %) à avoir une image positive de la Russie, mais les moins nombreux (15 %) à faire confiance à Vladimir Poutine. C’est une bonne réponse aux poutinolâtres qui reprochent à leurs adversaires une supposée « russophobie ». Bruno Tertrais
Nos souverainistes, si sourcilleux de notre indépendance quand il s’agit des États-Unis, s’alignent sans états d’âme sur les positions du Kremlin, même les plus scandaleuses, comme on l’a vu à droite et à gauche au moment de la guerre hybride contre l’Ukraine (…). Poutine a imposé une propagande ahurissante charriant la haine et le mensonge. Et c’est dans ce pays que notre droite cherche son inspiration. Françoise Thom
Comme Nicolas Tenzer et Garry Kasparov l’ont déjà relevé dans Desk Russie, François Fillon n’a eu aucun scrupule à se faire récemment recruter par une entreprise étatique russe, Zaroubejneft, dès lors que ce « personnage sournois, arrogant et corrompu », pour reprendre le portrait qu’en a dressé Jean-Louis Bourlanges en février 2017, peut en tirer profit. L’annexion de la Crimée, l’affaire Navalny, les atteintes systématiques aux libertés, les ingérences dans les affaires de l’Occident, le soutien inconditionnel au sanguinaire el-Assad ne paraissent guère émouvoir l’ancien Premier ministre. Un membre distingué de l’Institut, éminent spécialiste de la Russie, a démenti le propos que lui prêtait Le Figaro du 28 février 2017, à savoir que Fillon était « un agent des Russes » (Commentaire, n°158, 2017, p. 471). Peut-être pas agent, mais pour le moins « prorusse et antiaméricain » selon Le Monde du 11 novembre 2016. En effet, il paraît comme « fasciné » (Le Point, 3 déc. 2015) par son ami Poutine, s’en prend systématiquement à l’Amérique, coupable de tous les maux de la terre ou presque, sans parler d’une écoute attentive de la CGT lorsqu’il était ministre du Travail, position dénoncée avec vigueur à l’époque par Marc Blondel, le secrétaire général de Force ouvrière (Chronique économique, syndicale et sociale, sept. 2004). L’ancien élu de la Sarthe, qui, comme son ancien soutien Mariani, n’a jamais exercé d’autre métier que la politique, partage, au fond, les convictions d’un Chevènement, notamment son hostilité au traité de Maastricht, tout en se prononçant pour l’entrée de la Turquie au sein de l’Europe, afin de « jouer un rôle d’équilibre face aux États-Unis » (Libération, 10 déc. 2004). Déjà, en 1989, le ministre de la Défense, en déplacement officiel à Moscou, avait invité Fillon à faire partie de la délégation française. En 1991, ils déjeunent ensemble (Le Maine libre, 21 fév. 1991). Vingt-six ans plus tard, dans le cadre de la campagne présidentielle, le candidat Fillon, lors d’un meeting à Besançon, plaçait sur le même plan de Gaulle, Séguin et Chevènement Bien avant, Fillon admettait qu’il y avait avec ce dernier « convergence mais pas identité » (Le Quotidien de Paris, 27 oct. 1990). Par ailleurs, s’il rend hommage à Régis Debray, il se dit en désaccord avec Finkielkraut sur la Russie (Le Point, 7 janv. 2016). En sa qualité de Premier ministre, on le voit déplorer, en septembre 2008, à propos de l’offensive russe en Géorgie, la condamnation par l’Europe de cette Russie « humiliée », ce qui pourrait rappeler la formule du Führer au lendemain du traité de Versailles. Il s’en prend à ceux qui « continuent à piétiner la Russie », laquelle, annonce-t-il, ne fera pas l’objet, comme déjà soumis à celle-ci, de sanctions (Le Figaro, 5 sept. 2008) Au cours de son règne à Matignon, il rencontre Poutine deux à trois fois par an mais refusera de recevoir Hervé Mariton, président du groupe parlementaire d’amitié franco-russe, qui, lui, ne fait pas partie des affidés de Moscou (L’Express, 29 janv. 2014). Dans son livre Faire (Albin Michel, 2015), Fillon déclare avoir « aimé nos rencontres [avec Poutine] parce qu’elles étaient utiles, parce qu’on pouvait y nouer à l’improviste des accords qui n’étaient pas préparés à l’avance ». Il le définit comme « patriote » (Valeurs actuelles, 20 oct. 2016). Son alignement sur le régime russe ne fait que s’accentuer après l’élection de François Hollande à l’Élysée : « Au lieu de recevoir Poutine avec des pincettes, déplorait Fillon dans Le Figaro du 13 août 2012, au lieu de l’humilier 1 […] le gouvernement français devrait faire preuve de réalisme et d’un peu de courage pour construire une relation de confiance avec la Russie ! […] Si j’étais François Hollande, je prendrais maintenant l’avion pour Moscou […] et je chercherais à offrir à la Russie de véritables garanties sur sa sécurité et sur une relation de confiance avec l’OTAN. […] Qu’il prenne des risques, qu’il abandonne ses postures bourgeoises et atlantistes, version guerre froide. » (…) Concernant la perspective d’une intervention des Occidentaux en Syrie, Fillon — devenu député de Paris — exhorte, avec Villepin, la présidence Hollande à la prudence, surtout si la France doit agir avec ses alliés ; le préalable, c’est d’« informer nos partenaires russes. Nous devons tenter une dernière fois d’essayer de les convaincre d’agir avec les moyens qui sont les leurs sur le régime d’Assad » (Le Monde, 30 août 2013). En septembre 2013, il est de nouveau en Russie où, en violation des usages, il critique, avec véhémence, la position française, lui faisant grief de s’aligner sur l’Amérique : « Je souhaiterais, proclame-t-il, que la France retrouve cette indépendance et cette liberté de jugement et d’action qui seules lui confèrent une autorité dans cette crise », à la grande jubilation, souligne Le Monde du 21 septembre, de l’élite russe venue entendre la bonne parole. Le socialiste Arnaud Leroy voit en Fillon « le laquais de la Volga » tandis que le porte-parole du parti dénonce cette « dérive », laquelle fait l’objet d’un éditorial plus que sévère du Monde du 22, déplorant « la faute de ce voyage ». Sur sa lancée, Fillon séjourne, en octobre 2013, au Kazakhstan, pas gêné par ses atteintes systématiques à la liberté ; sa prestation, « truffé de banalités », lui aurait rapporté, si l’on se réfère au Nouvel Observateur du 31 octobre, 30 000 €. S’agissant de ses émoluments, Le Canard enchaîné du 22 mars 2017 titre « Fillon a fait le plein chez Poutine » et sous-titre « Pour jouer les entremetteurs entre le président russe, un milliardaire libanais et le pédégé de Total, le candidat, alors député de Paris, a palpé 50 000 dollars en 2015. Avec promesse d’intéressement aux bénéfices ». « Récemment, relève Le Monde du 13 juin 2018, il aurait œuvré au rapprochement de Tikehau avec le fonds Mubadala d’Abou Dhabi, et le fonds russe d’investissement direct. » Toujours aussi désintéressé ! À l’issue de la primaire qu’il a remportée pour la présidentielle de 2017, Fillon paraît être le candidat préféré des Russes, à l’instar de de Gaulle en 1965, Pompidou en 1969, Giscard en 1974 et 1981… Mariani s’en félicite : « En politique étrangère, il est le plus constant et le plus régulier dans ses choix, notamment sur la Russie. » Fillon se prononce, comme il se doit, pour la levée des sanctions à l’encontre de Moscou, qui salue sa présence à la future élection (Le Monde, 23 nov. 2016), notamment par un Poutine célébrant « cet homme intègre, qui se distingue fortement des hommes politiques de la planète », pas moins (ibid., 25 nov.). Selon lui, la Russie respecte les accords lorsqu’elle les signe, ce qui lui vaut cette réplique cinglante de Bruno Tertrais dans Causeur de juin 2016 : « Que Moscou ait foulé aux pieds tous les traités sur la sécurité européenne signés depuis 1975 et tous les textes régissant sa relation avec l’Ukraine indépendante depuis 1994 ne semble pas troubler l’ancien Premier ministre. » Poursuivant sur la même lancée, son programme officiel de 2017 annonce que la France sera « un allié loyal et indépendant des États-Unis». La France serait-elle indépendante de Moscou ? Voilà qui est moins sûr lorsque Fillon appelle à « rétablir le dialogue et des relations de confiance avec la Russie, qui doit redevenir un grand partenaire », en levant les sanctions. (…) [Sur l’Ukraine] Là encore, l’ex-chef du gouvernement ne verse pas vraiment dans la nuance, exonérant la Russie de toute implication ou presque : « On doit tout faire, estime-t-il, pour empêcher l’intervention russe. […] Et en même temps, on ne peut pas désigner les Russes comme les seuls fauteurs de troubles, il y a aussi des erreurs qui ont été commises par le nouveau pouvoir de Kiev », lequel n’est pourtant pas celui ayant déclenché les hostilités… Son conseil ne varie pas, revenant comme des litanies, mettant même en accusation la France, surtout pas la Russie : « Il faut parler avec les Russes […]. La France n’a cessé de traiter la Russie d’une manière assez légère » (Le Nouvel Obs, 3 avril 2016) ; cette position suscite une vigoureuse réaction d’indignation de la part du philosophe Alain Laurent dans Le Point du 10 juillet 2014. La faute incombe, comme de bien entendu, aux Américains, estimant qu’une « erreur historique a été commise en repoussant les frontières de l’OTAN juste sous le nez des Russes » (Le Point, 24 avril 2014). « On ne peut pas laisser s’installer, s’indigne-t-il, la guerre à l’est de l’Europe. Surtout quand les États-Unis risquent d’attiser un conflit qui est très loin de chez eux, en proposant notamment d’armer les Ukrainiens » (Le Figaro, 6 fév. 2015). L’Amérique, pour lui, « n’est pas qualifiée pour continuer à discuter avec la Russie ». Ce même 6 février, sur LCI-Radio classique, il estime que « l’agresseur n’est pas Poutine ». Pas un mot sur les aspirations du peuple ukrainien ; s’il consent à reconnaître que Moscou viole le droit international en Crimée, c’est pour aussitôt tempérer son propos, estimant qu’il a des droits historiques sur ce territoire, et de prétendre que « la responsabilité la plus élevée incombe aux États-Unis » (Valeurs actuelles, 18 juin 2015). Dans une lettre ouverte au chef de l’État, Fillon préconise la création d’« une véritable alliance internationale, intégrant l’Iran et la Russie, contre l’État islamique » (JDD, 12 juil. 2015), semblant considérer — il est bien le seul — que l’Iran est étranger au terrorisme. Dans son ouvrage, Faire, il appelle aussi à discuter avec Bachar al-Assad, thème qu’il développe dans une interview accordée au Figaro du 14 novembre 2015 : « La seule voie, c’est de stopper l’effondrement du régime syrien […]. Les Russes l’ont compris depuis longtemps. » Et de les féliciter dans Valeurs actuelles du 19 novembre : « Heureusement que Poutine l’a fait, sinon nous aurions sans doute en face de nous un État islamique. […] Il faut donc se féliciter que la Russie soit intervenue. Maintenant, il faut engager le dialogue avec Moscou pour bâtir une stratégie de reconquête du territoire syrien. » (…) Ignore-t-il que le dirigeant syrien a élargi de ses prisons nombre de dirigeants djihadistes et qu’il n’a pas bombardé les quartiers généraux islamistes (Commentaire, n° 144, hiver 2013/2014, p. 795) ? Ignore-t-il que l’intervention russe n’a visé Daech que de façon marginale (France Inter, 28 nov. 2016) ? Comme l’a justement remarqué Alain Frachon dans Le Monde du 21 octobre 2016, sous le titre « La Syrie de M. Fillon », « choisir al-Assad comme rempart contre le djihadisme […], c’est faire équipe avec Al Capone pour démanteler la Mafia. Ou, si l’on préfère, s’appuyer sur un pompier pyromane pour éteindre l’incendie djihadiste ». (…) À la tribune de l’Assemblée nationale, le 25 novembre 2015, il va jusqu’à suggérer d’associer le Hezbollah, organisation terroriste, à la recherche d’une solution en Syrie, insistant sur la nécessité de réintégrer l’Iran dans les discussions (Le Figaro, 26 nov. 2015). (…) Selon lui, « la Russie est la seule puissance à faire preuve de réalisme en Syrie » (Marianne, 1er avril 2016) (…)  Déjà, au Mans, en décembre 1998, il participe à un colloque de trois jours dont l’objet porte sur « les États-Unis, maîtres du monde ? », en compagnie de toute la fine fleur de l’antiaméricanisme : Alain Gresh et Serge Halimi, du Monde diplomatique, Pascal Boniface, Paul-Marie de La Gorce. Fillon s’en prend, pour sa part, à la « fragilité » du président Clinton (Ouest-France, 14 déc. 1998). Lors du conflit opposant Israël au Hamas, à l’été 2014, il dénonce la culpabilité de l’Occident, « et, premièrement, des États-Unis » (Le Monde, 20 juil. 2014). « L’Europe, confie-t-il au Point du 16 avril 2015, est trop dépendante pour sa sécurité et son économie. C’est flagrant concernant […] la nouvelle guerre froide avec la Russie », pauvre victime ! La solution ? Sortir de la domination du dollar contre laquelle l’Europe doit, pas moins, « se révolter » (Valeurs actuelles, 18 juin 2015). Dans son programme présidentiel, le dollar est présenté comme une « nouvelle forme d’impérialisme » (Le Monde, 16 déc. 2016). Dans un tweet, révélé par Nicolas Hénin dans La France russe (Fayard, 2016, p. 117), Fillon place, sur le même pied, en tant qu’ennemis de l’Europe, « totalitarisme islamique, impérialisme américain, dynamique du continent asiatique » ; on appréciera le parallèle ! Si la France, d’après lui, est hostile à la Russie, c’est qu’on « est influencé par l’administration américaine, le Congrès américain et ce que pensent les journaux américains » (Le Point, 25 août 2016). Il pense — mais pense-t-il ? — que « c’est une erreur de la traiter à la fois comme un adversaire et un pays sous-développé » (Le Monde, 14 sept. 2016). Un mois plus tard, il déplore que « la France coure après les États-Unis » (Valeurs actuelles, 20 oct. 2016) (…) Il récidive dans Le Progrès du 11 novembre 2016, où il préconise de « renforcer l’Europe face à la menace du totalitarisme islamique mais aussi face à la mainmise économique américaine, demain chinoise » : singulière juxtaposition, encore une fois, que de placer le terrorisme sur le même plan que l’Amérique. C’est quasiment obsessionnel chez lui : dans L’Opinion du 27 octobre 2016, il insiste « pour sortir un jour de cette dépendance très forte vis-à-vis des États-Unis […]. Ainsi, je suis choqué par les discours des responsables de l’OTAN sur la Russie. Cela relève de la provocation verbale. On ne peut pas considérer Moscou comme l’ennemi n° 1 alors que le totalitarisme islamique nous menace directement ». Il va même jusqu’à proposer, au début 2017, une conférence Europe-Russie sans les Américains (Le Monde, 26 janv. 2017). Le problème, pour lui, ce n’est pas la Russie, allant jusqu’à mettre en cause voire en accusation Washington : « Dans beaucoup de cas, la politique américaine qui pilote l’OTAN n’est pas la solution contre le totalitarisme islamique, elle est plutôt le problème. Nous avons commis des erreurs par le passé en poussant la Russie dans ses travers ». Vincent Laloy
C’est, jusqu’au bout, un aveuglement. (…) [Eric Zemmour] « condamne sans réserve l’intervention militaire », qu’il qualifie d’ « injustifiable ». Mais [il] accuse aussi, peu après, dans une déclaration filmée en direct, les Occidentaux d’avoir envenimé la situation « depuis des années, avec l’expansion ininterrompue de l’OTAN ». Il appelle toujours à signer un traité pour garantir que l’Ukraine n’entrera « jamais » dans l’Alliance atlantique. « Comme ça, monsieur Poutine sera rassuré », ajoutait-il dimanche. (…) Depuis plusieurs mois, Eric Zemmour et Marine Le Pen minimisaient les menaces lancées par Moscou, tout en reprenant la propagande du Kremlin sur de prétendues prétentions américaines. (…) Des positions constantes, mais qui comportent leurs contradictions. Si les deux candidats s’affirment souverainistes, Eric Zemmour et Marine Le Pen faisaient peu de cas de la souveraineté de l’Ukraine, Etat indépendant depuis 1991, membre de l’ONU, ayant inscrit légalement dans sa constitution, en 2019, son aspiration à adhérer un jour à l’Union européenne et à l’OTAN. Ce pays, déclarait Marine Le Pen en décembre 2021, dans un entretien au média polonais Rzeczpospolita, « appartient à la sphère d’influence russe ». Pour Eric Zemmour, « l’Ukraine n’existe pas », comme il le développe dans Un quinquennat pour rien (Albin Michel, 2016), puisque Kiev est, écrit-il, « le berceau de la civilisation russe ». Patriotes autoproclamés, tous deux se sont évertués à affaiblir Emmanuel Macron, Marine Le Pen en le traitant de « petit télégraphiste » de Joe Biden ; Eric Zemmour en l’accusant d’être « impuissant », et même « le néant ». Jeudi 24 février, le candidat d’extrême droite a appelé le chef de l’Etat à se rendre de nouveau à Moscou et à Kiev pour « s’interposer » et réclamer un cessez-le-feu immédiat. Une position en totale contradiction avec ce qu’il soutenait quatre jours auparavant, en citant le « porte-parole de Vladimir Poutine qui a tout dit en une phrase  : “Emmanuel Macron est membre de deux organisations, l’Union européenne et l’OTAN, dont il n’est pas le chef.” C’est tout notre problème. Nous sommes vus par les Russes comme les petits télégraphistes de Washington. (…) Notre parole ne vaut rien, en vérité. » En écho, Marine Le Pen a déclaré jeudi que « la France devrait prendre l’initiative d’une réunion diplomatique », oubliant qu’elle avait deux jours avant étrillé « l’échec diplomatique » français. (…) Les deux candidats vouent une profonde admiration à Poutine. En mars 2017, Marine Le Pen s’était rendue auprès du dirigeant russe à Moscou et avait vanté un « point de vue sur l’Ukraine qui coïncide avec celui de la Russie ». En septembre 2018, Eric Zemmour avait déclaré qu’il « rêv[ait] d’un Poutine français » puis, en septembre 2020, sur CNews, qu’il voyait en Poutine « l’allié qui serait le plus fiable, plus que les Etats-Unis, l’Allemagne ou la Grande-Bretagne ». Dimanche, il discourait au pied du Mont-Saint-Michel (Manche) en agitant le spectre de « la prochaine guerre » et clamait qu’être président de la République, « c’est savoir regarder le pire en face, justement pour l’éviter ». Les deux candidats n’ont pas su regarder. Ivanne Trippenbach

Comme ça, Monsieur Poutine sera rassuré !

A l’heure où l’injustifiable agression contre le peuple ukrainien aurait dû nous ouvrir les yeux …

Sur le cynique et proprement dément (jusqu’à pousser à rejoindre l’OTAN des petits pays jusque là neutres comme la Suède ou la Finlande ?) projet de l’actuel régime kleptocratique et revanchiste russe …

Contraint à l’instar de son illustre prédécesseuse la Grande Catherine d’absorber ses voisins pour « garantir ses frontières » …

Pour un pays dont la superficie atteint à peine celles de la première et de la deuxième puissance mondiale – cumulées !

Sur la base de contre-vérités comme la prétendue promesse américaine de non-élargissement de l’OTAN

Et appuyé sur un nouveau chantage stratégique à base de nouvelles armes de théâtre hypersoniques pour s’assurer une « bulle stratégique » pour verrouiller la Baltique et la mer Noire …

Si bien décrit par les travaux de notre meilleure « soviétologue » Françoise Thom

De profiter, comme il y a huit ans sous l’Administration Obama/Biden, de la fenêtre d’opportunité d’une présidence américaine proprement cacochyme …

Mais aussi de plus de 20 ans de passivité européenne et notamment allemande …

Pour tout simplement tenter de bouter hors d’Europe et du monde via ses clones et complices chinois la seule garantie de stabilité et de protection pour les prochaines victimes …

Après la Géorgie et la Crimée ou Hong Kong et peut-être bientôt Taiwan

Et sans parler des famines fabriquées d’Ukraine ou de Chine

De la part du dernier système politique à n’avoir toujours pas eu (merci la gauche européenne !) de procès de Nuremberg pour ses quelque 100 millions de morts

Et donc incapable de faire leur deuil d’empire

Comment ne pas voir la triste implication d’un tel aveu …

Et ne pas se désoler …

Avec la journaliste spécialiste des Etats-Unis et de la Russie Laure Mandeville

De cette tragique incapacité de nombre de nos compatriotes …

A l’instar de l’habituellement si perspicace candidat Zemmour sur la menace islamiste et wokiste …

Qui oubliant étrangement les avertissements prophétiques de son maitre de Gaulle dès 1919 …

Pousse en même temps l’aveuglement sur le jeu victimaire et le nationalisme complètement dévoyé derrière lequel se cache l’impérialisme poutinien

Jusqu’à à jouer, au nom d’un souverainisme sans limites quasi-goebbelsien, les petits télégraphistes de Moscou …

A penser ensemble ces deux menaces proprement existentielles …

Pour notre pays comme pour l’avenir de notre monde libre ?

Eric Zemmour et Marine Le Pen fragilisés par l’attaque de Vladimir Poutine en Ukraine
Les deux candidats d’extrême droite à la présidentielle opèrent une volte-face dans la foulée des premiers bombardements russes, après avoir relayé durant des mois la propagande du Kremlin.
Ivanne Trippenbach
24 février 2022

C’est, jusqu’au bout, un aveuglement. Dimanche 20 février, l’un des principaux candidats à l’élection présidentielle, Eric Zemmour, livre sa vision de la crise ukrainienne. « Je suis sceptique, dit-il sur Europe 1, je pense qu’il y a beaucoup de propagande, d’agitation des services américains pour hystériser cette histoire. » Vingt-quatre heures plus tard, Vladimir Poutine déclare reconnaître l’indépendance des zones séparatistes prorusses, puis ordonne à son armée d’entrer en Ukraine. Interrogée à son tour, mardi 22 février sur RTL, Marine Le Pen regrette une « escalade claire », mais se prononce contre les sanctions visant Moscou et accuse Emmanuel Macron d’avoir « essayé de jouer un rôle et de se servir » de cette crise.

Ce n’est qu’une fois la guerre déclarée par Poutine au nom d’une « dénazification de l’Ukraine », les frappes russes tombées sur Kiev comme dans tout le pays, les premières morts civiles annoncées, jeudi 24 février, que Le Pen et Zemmour se sont empressés de rétropédaler par voie de communiqués. La première y appelle à la « cessation immédiate des opérations militaires russes en Ukraine ». Le second y« condamne sans réserve l’intervention militaire », qu’il qualifie d’« injustifiable ». Mais Eric Zemmour accuse aussi, peu après, dans une déclaration filmée en direct, les Occidentaux d’avoir envenimé la situation « depuis des années, avec l’expansion ininterrompue de l’OTAN ». Il appelle toujours à signer un traité pour garantir que l’Ukraine n’entrera « jamais » dans l’Alliance atlantique. « Comme ça, monsieur Poutine sera rassuré », ajoutait-il dimanche.

« C’est Poutine l’agressé ! »

Depuis plusieurs mois, Eric Zemmour et Marine Le Pen minimisaient les menaces lancées par Moscou, tout en reprenant la propagande du Kremlin sur de prétendues prétentions américaines. « Les Américains n’ont pas respecté leur parole et ont avancé, avancé [et] mangé petit à petit ce glacis », justifiait Zemmour sur France 5, il y a un mois, en comparant l’adhésion à l’OTAN à des annexions territoriales. Un discours en cohérence avec celui qu’il tenait sur CNews, en juin 2021 : « Il faut arrêter de faire de Poutine l’agresseur, c’est Poutine l’agressé ! Evidemment, après, il se défend. » « Le problème de l’Ukraine n’est pas une invasion, je n’y crois pas, assénait encore le candidat avec assurance, le 9 décembre sur France 2. La Russie, j’en prends le pari, n’envahira pas l’Ukraine. »

Marine Le Pen n’était pas en reste. « Je ne le crois pas du tout, je ne vois vraiment pas ce que les Russes feraient en Ukraine », martelait-elle le 7 février, sur Franceinfo. La candidate du Rassemblement national (RN) répétait ce qu’elle nomme elle-même les « éléments de langage » du Kremlin, en soutenant que « les Etats-Unis veulent absolument faire entrer l’Ukraine dans l’OTAN, donc on est en train de créer un conflit qui n’a pas lieu d’être ». Mardi 22 février, elle estimait que « la France s’est soumise à une forme de guerre froide imposée par l’Union européenne, à l’écoute des Américains ».

Des positions constantes, mais qui comportent leurs contradictions. Si les deux candidats s’affirment souverainistes, Eric Zemmour et Marine Le Pen faisaient peu de cas de la souveraineté de l’Ukraine, Etat indépendant depuis 1991, membre de l’ONU, ayant inscrit légalement dans sa constitution, en 2019, son aspiration à adhérer un jour à l’Union européenne et à l’OTAN. Ce pays, déclarait Marine Le Pen en décembre 2021, dans un entretien au média polonais Rzeczpospolita, « appartient à la sphère d’influence russe ». Pour Eric Zemmour, « l’Ukraine n’existe pas », comme il le développe dans Un quinquennat pour rien (Albin Michel, 2016), puisque Kiev est, écrit-il, « le berceau de la civilisation russe ».

Profonde admiration pour Poutine

Patriotes autoproclamés, tous deux se sont évertués à affaiblir Emmanuel Macron, Marine Le Pen en le traitant de « petit télégraphiste » de Joe Biden ; Eric Zemmour en l’accusant d’être « impuissant », et même « le néant ». Jeudi 24 février, le candidat d’extrême droite a appelé le chef de l’Etat à se rendre de nouveau à Moscou et à Kiev pour « s’interposer » et réclamer un cessez-le-feu immédiat. Une position en totale contradiction avec ce qu’il soutenait quatre jours auparavant, en citant le « porte-parole de Vladimir Poutine qui a tout dit en une phrase  : “Emmanuel Macron est membre de deux organisations, l’Union européenne et l’OTAN, dont il n’est pas le chef.” C’est tout notre problème. Nous sommes vus par les Russes comme les petits télégraphistes de Washington. (…) Notre parole ne vaut rien, en vérité. » En écho, Marine Le Pen a déclaré jeudi que « la France devrait prendre l’initiative d’une réunion diplomatique », oubliant qu’elle avait deux jours avant étrillé « l’échec diplomatique » français.

A la place d’Emmanuel Macron, « j’essaierais de trouver une issue diplomatique à cette crise, à cette violation massive, évidente du droit international », a-t-elle réitéré, dans la soirée sur France 2. Elle s’est dit « tout à fait opposée à ce qu’on envoie des troupes françaises en Ukraine », sans évoquer les victimes ni l’inquiétude des pays européens proches de la Russie. Elle a tenté d’expliquer son opposition aux sanctions par le risque d’une baisse du pouvoir d’achat, jugeant « si ça entraîne une explosion des prix de l’énergie, alors ce sera un véritable drame pour la population française », malgré le bouclier tarifaire bloquant les tarifs réglementés de vente du gaz.

Les deux candidats vouent une profonde admiration à Poutine. En mars 2017, Marine Le Pen s’était rendue auprès du dirigeant russe à Moscou et avait vanté un « point de vue sur l’Ukraine qui coïncide avec celui de la Russie ». En septembre 2018, Eric Zemmour avait déclaré qu’il « rêv[ait] d’un Poutine français » puis, en septembre 2020, sur CNews, qu’il voyait en Poutine « l’allié qui serait le plus fiable, plus que les Etats-Unis, l’Allemagne ou la Grande-Bretagne ». Dimanche, il discourait au pied du Mont-Saint-Michel (Manche) en agitant le spectre de « la prochaine guerre » et clamait qu’être président de la République, « c’est savoir regarder le pire en face, justement pour l’éviter ». Les deux candidats n’ont pas su regarder.

Voir aussi:

Poutine: la patiente reconquête du petit kagébiste, métamorphosé en champion de l’Empire russe
Laure Mandeville
Le Figaro
25 février 2022

RÉCIT – L’ancien lieutenant-colonel du KGB, marqué par la chute du mur de Berlin, a autorisé une opération militaire en Ukraine. Une forme de revanche.

Vladimir Poutine a sonné l’heure de la revanche. L’heure de régler enfin ses comptes avec l’Histoire. Avec l’Ukraine. Et avec l’Occident. Rien ne peut être compris de la folle aventure qui a commencé ce jeudi au petit jour avec l’attaque massive par la terre et par l’air lancée par l’armée russe à travers tout le territoire ukrainien, si on n’a pas en tête que l’homme tout-puissant qui est aux commandes de la Russie veut se venger. Avec un grand V.

«Nous allons démilitariser et dénazifier l’Ukraine», a-t-il lancé à la face du monde, en annonçant «une opération spéciale», utilisant – ce qui est loin d’être un hasard – un vocable propre aux tchékistes de l’époque soviétique pour désigner la guerre qu’il a déclaré à l’Ukraine. Il s’agit d’une reconquête. Où s’arrêtera-t-elle?

La chute du mur de Berlin

Pour comprendre cette obsession de vengeance, il faut remonter des années en arrière à cette journée historique du 8 au 9 novembre 1989, qui soudain voit des milliers d’Allemands escalader le mur de Berlin en train de tomber. À l’époque, le lieutenant-colonel du KGB Vladimir Poutine, 39 ans, est basé à Dresde, en RDA, avant-poste de la présence militaire soviétique. Mais son cœur n’est pas à l’unisson des foules en liesse qui dansent et pleurent à travers le pays pour célébrer les retrouvailles émues des deux Allemagnes et la réunification en marche de l’Europe. Il est du côté des vaincus. Son monde, celui de la superpuissance soviétique invincible qui tenait dans ses griffes la moitié de l’Europe, est en train de s’écrouler comme un château de cartes, sous ses yeux stupéfiés.

Le 5 novembre, il a vu des foules prendre d’assaut et investir le siège de la redoutée police politique allemande, la Stasi, à quelques rues seulement de la grosse maison blanche où se trouve le siège des services spéciaux soviétiques, au 4, rue Angelika. Et voilà que dans la nuit du 8 au 9 novembre, une foule de quelques centaines de personnes pénètre dans le jardin du propre QG du KGB. C’est Vladimir Poutine qui sort avec un pistolet pour leur faire face et les prévenir de ne pas forcer le passage, d’après ce qu’il en racontera dans ses Conversations à la première personne. «Qui êtes-vous? Vous parlez trop bien allemand», lui lancent les manifestants. «Un interprète», répond-il sans perdre son sang-froid, tirant apparemment en l’air pour qu’ils se dispersent. «La situation était sérieuse… Les gens étaient agressifs. J’ai téléphoné à notre base militaire… Mais on m’a répondu: nous ne pouvons rien faire sans ordre de Moscou. Et Moscou se tait», raconte Poutine dans son livre.

Ce «Moscou se tait», une phrase capitale pour comprendre la suite. Elle explique 2022. «J’ai eu alors le sentiment que le pays n’existai