Pendant qu’après des décennies des pires violences, le seul petit Etat d’Israël se voit refuser à nouveau toute compassion pour l’actuel djihadisme au couteau de cuisine qu’il subit …
« J’ai reçu un courrier qui me demande de ne pas venir », a déclaré sur RTL le présentateur des bulletins météo sur France 2, qui a publié le 1er octobre « Climat investigation » (Ring), dans lequel il met en cause la probité des scientifiques du Groupe d’experts sur l’évolution du climat (Giec) qui regroupe des spécialistes du monde entier et fait référence.
« Je n’en sais pas plus, je ne connais pas la durée de la décision », a-t-il déclaré, ajoutant : « Cela a à voir avec mon livre ».
« C’est une décision de France Télévisions, je ne suis pas en congé », a précisé le présentateur qui initialement devait retourner à l’antenne lundi après une campagne de promotion de son livre.
Interrogée par l’AFP, France Télévisions n’a pas souhaité commenter la situation de Philippe Verdier mais a rappelé une règle déontologique « selon laquelle on ne peut pas utiliser son statut professionnel, porté par l’image de l’entreprise, pour faire avancer des opinions personnelles ».
Sur le fond, guère mieux. Brossant un tableau très sombre de la jeunesse française actuelle, évoquant sans distinction les différentes formes de radicalité politique, qu’il s’agisse de zadistes, de jeunes identitaires ou de candidats au djihad, Malek Boutih désarçonne. Quant aux propositions, elles sont « faibles » selon un socialiste. Ou détonantes comme celle de créer des boîtes de nuit associatives ou un commissariat à la souveraineté numérique.
Comprendre : difficile d’attendre autre chose de l’ancien de SOS racisme. Le député de l’Essonne, à trop vouloir mettre les pieds dans le plat, a finalement « dérapé ». Julien Dray, ancien « pote » et aujourd’hui « meilleur ennemi » de Malek Boutih, explique lui avoir « dit franchement que mettre toutes les radicalités sur le même plan était une erreur » :
Alexis Bachelay ne dit pas moins. Déçu, il s’attendait, au vue de la liberté de ton et des propos iconoclastes de Malek Boutih, à un « rapport au vitriol ». « C’est tiède ». Il estime que son collègue enfonce des portes ouvertes.
Il regrette notamment un rapport fait de « recyclé », une « impression de non-dits », et une fois encore, d’avoir mis dans le même sac tous les jeunes.
« J’ai dit au député de l’Essonne que j’avais trouvé sa lecture stimulante », fait valoir Jérôme Guedj, l’un des rares interrogés à avoir trouvé des qualités au rapport de l’électron libre du PS :
Alors forcément, « il ne peut que faire réagir, ce qui devait être son objectif dès le départ ». Jérôme Guedj concède volontiers que « le rapport est caricatural et qu’il s’expose lui-même à être caricaturé pour ses raccourcis parfois simplistes ».
« J’ai proposé une analyse politique, elle s’expose de fait à la critique et aux désaccords, je le savais, c’est normal », se défend Malek Boutih.
Critiqué pour avoir élaboré un constat partagé par tous, et depuis longtemps, Malek Boutih se justifie encore : « La politique ce n’est pas inventer. Je ne suis pas là pour trouver une réponse gadget et c’est justement contre ce process que mon rapport a été construit ».
Enfin sur les deux auditions qui ont suscité la critique, il répond encore. Jean-Paul Ney auditionné ?
La lecture du rapport a en revanche reçu un accueil très favorable parmi les personnes interrogées. Ceux qui ont bien voulu répondre à nos questions reconnaissent une méthode surprenante mais se réjouissent de pouvoir lire un rapport très peu technique et disent avoir apprécié les échanges informels, et la disponibilité de Malek Boutih. Serge Hefez, psychiatre et consultant pour le CPDSI, confie :
Serge Blisko, président de la Miliviludes, balaie les critiques et une « campagne à charge » :
« Je crains qu’il ne finisse dans une armoire et qu’on ne reparle jamais », confie Alexis Bachelay. « Je ne vois pas en quoi ce qui est dit dans ce rapport peut se concrétiser en action… »
Il suffit d’observer la réaction du PS et du gouvernement à la suite de sa présentation en bureau national. Pas un communiqué de presse, pas une seule déclaration officielle. Seule consolation pour Malek Boutih : Manuel Valls a affirmé devant les députés à l’Assemblée nationale avoir « lu attentivement » son rapport.
Une attitude qui tranche singulièrement avec celle de la droite qui a, elle, applaudi à tour de bras le rapport. Le soutien le plus surprenant est venu de l’extrême droite. Lors du lancement de sa campagne pour les élections régionales de décembre, la jeune députée frontiste Marion Maréchal-Le Pen évoque son souhait d’avoir une région « bleu, blanc, rouge » plutôt que « black, blanc, beur », fustige une France « où prospère aujourd’hui une idéologie totalitaire, guerrière, haineuse, celle de l’islamisme ». Et la nièce de Marine Le Pen de lâcher : « L’ampleur du phénomène et sa pénétration dans tous les milieux, avec la radicalisation des jeunes étudiants, des jeunes filles en particulier, indiquent que l’on pourrait basculer dans un phénomène de masse »…
Phrase que l’on retrouve mot pour mot dans le rapport de l’ancien président de SOS Racisme.
Malek Boutih, lui, garde espoir.
Dix ans après, Malek Boutih, député socialiste de l’Essonne et ancien président de SOS Racisme, a rendu un rapport au gouvernement au début de l’été, dans lequel il établit un état des lieux des banlieues. « En dix ans, les choses ont changé, puisque la situation s’est aggravée. C’est plus difficile aujourd’hui qu’avant », estime-t-il sur BFMTV.
« Il y a un toboggan dans lequel on est installés depuis plusieurs années, et qui nous amène à l’irréparable, puisque maintenant, malheureusement, ces quartiers produisent des terroristes. Dix ans après, ce ne sont plus des émeutiers, ce sont des terroristes », poursuit Malek Boutih.
Le député estime que les politiques n’ont plus aucun effet depuis plusieurs années sur les cités. « Il n’y a pas d’efficacité car il y a une mécompréhension du problème. » « Au-delà des clivages, la question des banlieues a toujours été vécue comme: ‘Ce sont des quartiers pauvres et modestes, quand l’économie ira mieux, ça ira mieux dans les quartiers’. Or, l’aspect économique n’est pas le coeur du problème, qui est beaucoup plus vaste », observe Malek Boutih.
Le député de l’Essonne félicite par ailleurs le Premier ministre Manuel Valls, « qui a pris conscience depuis janvier, comme d’autres élus politiques, que la poussière sous le tapis, ce n’était plus seulement un problème politique mais un problème de sécurité nationale. Il a la volonté d’agir. »
Lui craint toutefois que la présidentielle de 2017 ne soit « jouée d’avance ». « Je ne crois pas que ce soit une question de casting. On est dans une crise politique. Ma crainte n’est pas que la gauche perde 2017. C’est que la République perde 2017. En l’état actuel des choses, je ne vois pas comment Marine Le Pen peut ne pas gagner l’élection présidentielle« .
Ce dimanche, une nouvelle déclaration de Malek Boutih a mis le feu aux poudres et suscité la colère de l’élu communiste de Grigny.
Interrogé par les journalistes de BFMTV sur la situation dans les banlieues dix ans après les émeutes, le député avait déclaré : « Je pense qu’il y a un toboggan dans lequel on est installé depuis plusieurs années qui nous amène à l’irréparable puisque maintenant ces quartiers produisent des terroristes. C’est donc extrêmement différent, dix ans après ce ne sont plus des émeutiers, ce sont des terroristes ».
Choqué par les propos de Malek Boutih, Philippe Rio a aussitôt répondu via un communiqué. « De telles paroles, qui établissent un lien entre des territoires et une dérive terroriste trahissent une profonde erreur d’analyse, fustige le maire. Dix ans après les émeutes de 2005, les habitants des quartiers populaires se seraient bien passés de telles déclarations […] Malek Boutih condamne chaque jeune de ces quartiers à être considéré comme un terroriste potentiel », conclut le maire en s’inquiétant pour « la cohésion sociale » et « le pacte républicain ».
INFO LE FIGARO – Dans un rapport qu’il vient de transmettre à Manuel Valls, et que Le Figaro s’est procuré, le député PS Malek Boutih décrit «une jeunesse frustrée, prête à basculer». Il craint que la dérive islamiste en France ne se transforme en phénomène de masse
«Génération radicale»: le titre du rapport que le député PS de l’Essonne Malek Boutih vient de transmettre au premier ministre, et que Le Figaro s’est procuré, traduit bien son contenu. Dès la troisième ligne, il aborde son sujet: «L’analyse et la prévention des phénomènes de radicalisation et du djihadisme en particulier.» C’est une lecture politique que livre l’ancien président de SOS-Racisme, mandaté après les attentats de janvier. Il ne biaise pas avec son sujet, qui concerne avant tout la dérive islamiste d’une partie de la jeunesse française, sachant que près de 65 % des individus impliqués dans les filières djihadistes ont moins de 25 ans. Le député assure que son enquête a conforté son hypothèse de départ: «Le succès des recruteurs djihadistes auprès des jeunes repose sur l’adhésion à un projet politique entrant en résonance avec leurs préoccupations internationales et leur rejet de la société démocratique occidentale, plus qu’à une doctrine religieuse fondamentaliste.» D’où cette conséquence: «Une grande partie de la jeunesse se détourne de notre modèle de société.»
Mondialisation, 11 Septembre, guerre en Irak, conflit israélo-palestinien ont marqué la jeune génération et façonné sa vision du monde, note Malek Boutih. Mais au-delà de ces événements, un nouveau marqueur – «l’enracinement d’un nouvel antisémitisme» – est particulièrement inquiétant. «Dans les quartiers, le discours du “deux poids deux mesures”, entre des juifs qui seraient insérés et protégés et des musulmans au contraire stigmatisés et marginalisés socialement, a rencontré un large écho, écrit le député. Les vieux préjugés sur les juifs qui seraient partout, tirant les ficelles du monde de la finance et des médias sont de retour. De façon remarquable, ils sont très largement répandus chez les jeunes aujourd’hui alors que cela aurait été inenvisageable il y a encore une vingtaine d’années.»
«La société est vécue comme totalement verrouillée, ce qui génère une grande frustration», analyse Malek Boutih, qui parle de «jeunesse frustrée, prête à basculer». Il va plus loin: «Le corpus de valeurs et l’ordre social très peu contraignant de nos sociétés démocratiques occidentales ne fournissent pas un cadre suffisamment englobant et sécurisant pour s’y ancrer et s’y attacher (…). La notion de République est inintelligible, comme diluée dans le libéralisme et la modernité, et le sentiment d’appartenance à une communauté nationale est très affaibli. Or une partie de la jeunesse refuse ces valeurs trop “molles” et cherche à se distinguer.»
Reprenant les chiffres, notamment ceux, en hausse croissante, des départs de jeunes Français pour la Syrie, l’auteur du rapport estime que «la radicalité islamiste est dans un mouvement ascendant au sein de notre société», qu’il met en parallèle avec le niveau historique de l’extrême droite. Cependant, «face aux autres offres radicales qui visent la jeunesse, le djihadisme a une longueur d’avance, aussi bien dans sa dimension politique que théorique, note le député. Pour un jeune homme, une jeune femme assoiffée d’action, le djihad serait l’évidence. Il ne s’agit pas simplement d’assouvir réellement des pulsions meurtrières ou des envies de guerre. La dimension théorique du djihad est la plus complète dans son rejet de la démocratie, dans la désignation de responsables à abattre et enfin dans l’affirmation d’un contre-modèle total. Au creux de l’offre idéologique des forces politiques traditionnelles, le djihad propose des explications et une solution globale.» Conclusion sans appel: «Le djihadisme est bien la radicalité qui prédomine aujourd’hui dans l’offensive antidémocratique.»
Les signalements recueillis par le numéro vert, destiné aux familles ou aux autorités que la dérive d’un jeune inquiète, sont éclairants sur la diversification des individus prêts à basculer dans l’extrémisme. Mais Malek Boutih va encore plus loin: «L’ampleur du phénomène et sa pénétration dans tous les milieux, avec la radicalisation de jeunes étudiants, et de jeunes filles en particulier, indiquent qu’on pourrait basculer dans un phénomène de masse.» «Si les premières vagues de djihadistes comportaient essentiellement des individus fragilisés, plus faciles à recruter, désormais les recruteurs ciblent des proies au profil plus stable et moins détectable et on peut penser que ce phénomène va s’amplifier», ajoute-t-il.
«Les islamistes ont mis sur pied un réseau social humain où chacun joue un rôle dans l’expression de leur idéologie», remarque le député. Leur «emprise» se construit ainsi sur certains quartiers. Même si tous les jeunes, loin de là, ne sont pas tentés par l’expérience, «il faut tout de même prendre garde aux effets de contagion et d’identification croisée entre pairs, par lesquels une frange radicale peut influencer l’ensemble d’une génération», estime Malek Boutih.
Au terme de son rapport, son auteur dresse une série de propositions qui passent par l’école, la culture, les familles. Et la nécessité de réaffirmer avec force le credo républicain.
Comme le temps va vite dès qu’il se passe quelque chose ! Rappelez-vous : il y a moins de trois semaines, ce n’est pas les djihadistes que l’on traquait à Paris, mais les intellectuels déviants. Houellebecq, Zemmour, Finkielkraut, Onfray – avant eux, Taguieff et même Gauchet – étaient accusés d’être réacs, islamophobes, et, bien entendu, de faire le lit du Front national. Dans la presse « bien-pensante », le Monde, Libé, l’Obs, la chasse à l’homme avait pris une telle ampleur que, lors d’un meeting qui fit couler beaucoup d’encre, Marianne avait posé la question : « Peut-on encore débattre en France ? » Et, comme pour se rassurer, les mêmes publiaient des listes, falotes et ridicules, de « vrais » intellectuels de gauche.
L’événement a fait exploser cette orthodoxie de la pensée et du langage, a libéré la parole et a posé au grand jour des questions qu’il était déjà jugé « courageux » de murmurer en douce.
Cette réintroduction de la masse musulmane dans l’ensemble national s’était révélée impossible, aussi longtemps que le terrorisme islamiste, comme en janvier, ciblait ses victimes : les juifs, les journalistes critiques. Les tueries aveugles du 13 novembre ont opéré cette mutation : les musulmans sont des cibles comme les autres ; nous les voyons chaque jour en tirer les conséquences et proclamer leur horreur de ces abominables coreligionnaires. Il y a bel et bien, comme en temps de guerre, un impératif d’union sacrée, qui ne doit laisser de côté aucune fraction de la population.
Si nous sommes bel et bien en guerre, il n’est pas possible de laisser des ressortissants français aller tranquillement s’entraîner au djihad en Syrie et en Irak, et de les accueillir à leur retour pour leur permettre d’appliquer ici à notre encontre le savoir terroriste qu’ils ont acquis là-bas. En temps de guerre, cela s’appelle intelligence avec l’ennemi. Des traîtres à la nation doivent être traités comme des traîtres et non comme une poignée de loups solitaires, de paumés et de désaxés relevant de la psychiatrie, ainsi qu’on a essayé de nous le faire accroire après Charlie.
Ô Lévi-Strauss ! Que de sottises on a déjà débitées en ton nom ! Poser ou supposer une égalité axiologique entre l’Occident et le monde islamique explicitement représenté par Daech, c’est jouer de la confusion entre les civilisations au pluriel, dont aucune ne saurait, selon le grand ethnologue, se prévaloir d’une supériorité morale sur les autres, et la civilisation au singulier, c’est-à-dire le mode de vie et de pensée qui s’opposent à la barbarie. Pour le moment, je n’ai encore jamais entendu dire que les Alliés auraient eu tort de combattre Hitler sous prétexte qu’il aurait été le représentant d’une hypothétique « civilisation hitlérienne » ! Non, l’Etat islamique n’est pas l’islam, il ne peut être tenu comme représentatif de la civilisation musulmane.
Pour ma part, et quels que soient les fautes et les crimes de l’Occident, d’hier à aujourd’hui, la lutte contre l’Etat islamique est bel et bien une lutte pour la civilisation contre la barbarie.
Bien entendu, la défense des valeurs de la République doit se faire dans le respect de ces valeurs. Ce n’est pas parce que certains s’apprêtent à faire d’une crispation pointilleuse sur les libertés individuelles la ligne de repli de leur défaite intellectuelle qu’il en faudra démordre. Nous défendons la liberté avec les armes de la liberté. Certes, toutes les guerres révolutionnaires ou nationales, de 1792 à 1914, se sont accompagnées d’une restriction provisoire de celles des libertés qui nuisaient à la sécurité et au combat. Mais les libertés françaises sont dans de bonnes mains, celles d’un peuple dont on ne peut aujourd’hui qu’admirer le sang-froid. Comme vient de le souligner Robert Badinter, nous vivons dans un pays libre et qui entend bien le rester.
La COP21 se rapproche à petites foulées pas vraiment feutrées, écrasant avec délicatesse tout ce qui pourrait se trouver sur son large chemin chaotique. Profitant du raout présidentiel international, tous les petits ayatollahs du fascisme vert montent au créneau pour accroître encore leur mainmise physique et intellectuelle sur le paysage politique et médiatique français.
Oh, là, « ayatollah », « fascisme », que voilà des termes choisis bien extrêmes pour ces gens tous animés d’une soif de saine verdure, mus par cette joyeuse volonté de rendre la Nature plus belle et plus duveteuse à coup d’anathèmes, de censure, d’interdiction et de taxes carbone ! Ne serait-ce pas aller un peu fort pour désigner ainsi des gens qui ont, à de maintes reprises, montré à quel point ils appartenaient au Camp du Bien et qu’à ce titre, ils étaient aux antipodes de l’extrême, du fascisme et des interdictions tous azimuts ?
En fait, à bien y réfléchir… non.
Sans reprendre tout l’historique (maintenant fort chargé) des climato-excités, les dernières semaines ont largement prouvé que leur appartenance au Camp du Bien leur avait permis certains débordements qu’il est bien hasardeux de classer dans des démonstrations de tendresse pour la démocratie, la liberté d’expression ou le débat scientifique.
Difficile en effet de trouver cohérente la réaction de la direction de France 2 qui a décidé de débarquer Philippe Verdier, un monsieur-météo trop encombrant au livre en désaccord ouvert avec l’alarmisme climatique officiel : France Télévisions n’est-elle pas censée incarner les principes de liberté d’expression, de soutien sans faille à l’information, à la pluralité des opinions qui forment les piliers d’une rédaction de presse moderne, en démocratie, surtout quand elle appartient officiellement au Camp du Bien ? En tout cas, outre l’effet Streisand provoqué, licencier un salarié pour cause d’opinion déviante, c’est bien faire preuve d’extrémisme.
De la même façon, on pourra trouver assez inquiétante la décision du gouvernement de fermer les frontières françaises pendant la COP21, afin de protéger les dignitaires présents de tous débordements éventuels de méchants activistes (du climat ou d’autre chose, on ne saurait dire tant les dangers s’accumulent sur ce pays), alors que cette fermeture ne garantit absolument rien en termes de sécurité supplémentaire, et représente même une véritable insulte au peuple comme le fait judicieusement remarquer Stéphane Montabert dans un récent article paru sur Contrepoints. Là encore, les fermetures unilatérales de frontières ne sont pas franchement la marque d’un État confiant dans son avenir et sa capacité à gérer les soucis, mais plutôt celle d’un État qui prolonge son naufrage dans le tout sécuritaire dont on sait qu’il ne mène qu’assez rarement à des champs de roses et de petits oiseaux qui font cui-cui niaisement.
Dès lors, on ne sera pas fondamentalement surpris d’apprendre la derrière lubie de Corinne Lepage. Corinne, pour ceux qui ne s’en souviendraient pas, c’est un mélange subtil d’avocat, de député européen, de ministre de l’environnement et de direction d’une association loi 1901 qui s’est auto-bombardée « Comité de recherche et d’information », qui pond avec une constance assez effarante des rapports consternants sur les OGM et toutes ces méchantes choses qui tuent des bébés communistes par paquets de douze.
Corinne est de tous les combats (écolos), de toutes les luttes (vertes), et de tous les militantismes (éco-conscients), et elle serait assez partante pour un bon petit fichage des familles pour tous ces climato-sceptiques qui l’empêchent de refroidir le climat tranquillement.
Interloqué, le journaliste tente alors d’en savoir plus et notamment si cette responsabilité permettra de condamner les impétrants sceptiques :
Ben voyons.
On va tenir un joli registre, qui ne nous rappellera absolument pas les heures les plus sombres de toute l’Humanité, et on y notera scrupuleusement le nom et les coordonnées (GPS, par exemple – c’est pratique pour les frappes par drones) de ceux qui ont proféré une connerie climato-sceptique, histoire qu’un jour, on leur fasse bien ressentir leur responsabilité.
Vous le voyez se profiler, ce joli tribunal pénal international, avec ses juges et ses avocats (Corinne serait de ceux-là, soyez-en sûr), avec ses jurés et ses sentences, avec ses potences et ses bourreau ? Vous le voyez, ce grand registre des déviants ? Et vous la voyez, la belle société que dessine Corinne de ses gros doigts gourds et pleins de bonnes intentions dégoulinantes et de moraline empesée du chaud caramel de collectivisme éco-compatible ?
Et si ceci n’est pas du point de croix, si ce n’est pas l’expression chaleureuse d’une envie de débattre, de respecter l’opinion des autres, qu’est-ce que c’est à part du bon gros fascisme ? Et à tous les suiveurs, à tous les niais opineurs de chef dans le sillage délétère de la Corinne, que vous faut-il exactement pour déciller enfin, pour comprendre le piège qui, lentement, se referme sur toute la société à mesure que l’escroquerie du Réchauffement Climatique Anthropique se fait plus évidente ?
FIGAROVOX/ENTRETIEN – Si Rémy Prud’homme ne nie pas le rechauffement climatique, il regrette que sur les questions concernant le climat se développe une pensée unique. Attention, ça va chauffer.
Le réchauffisme est un phénomène social qui s’est construit à partir du réchauffement, et qui comprend une explication, des projections de castastrophes, la désignation d’un coupable – le CO2 – promu au statut d’ennemi public n°1, la mise en œuvre de politiques révolutionnaires. Le réchauffisme présente tous les caractères d’une idéologie identifiés par Hanna Arendt: un système monocausal, une révérence/référence à la science, le contrôle par des Etats, la lutte contre un ennemi unique, l’adhésion des masses. Bien entendu, le réchauffisme n’a pas le bilan abominable des idéologies analysées par Arendt: d’où l’appellation de mini-idéologie.
Le climat est un objet scientifique très complexe, largement ignoré jusque dans les années 1980. Pour que l’étude de cet objet devienne une science comme les autres, il faut beaucoup de temps (un demi-siècle, peut être) et beaucoup d’indépendance. La climatologie n’a eu ni l’un ni l’autre. Le thème a été pris en main par des organisations internationales et des des politiciens, qui ont créé une organisation à leur main chargée de «montrer le caractère anthropique du réchauffement»; trois ans plus tard, le GIEC remettait sa copie; la science avait parlé.
Des accords internationaux ne peuvent pas être véritablement «contraignants» . Au mieux (ou au pire), ils exercent une pression morale sur les pays qui tiennent mal ou pas du tout leurs engagements. Mais personne n’imagine les Nations Unies intervenant militairement en Chine pour punir ce pays d’ouvrir plusieurs centrales
au charbon par semaine. La COP21 sera évidemment un échec. L’objectf visé, décrété par le G8, est de diminuer de 50% les rejets de CO2 du globe d’ici 2050; c’est ça ou la fin du monde, comme on nous l’a assez seriné. La quasi totalité des pays en développement, qui rejettent actuellement bien plus de CO2 que les pays développés, ont affiché par écrit leur intention d’augmenter de beaucoup plus de 50% leurs émissions de CO2 d’ici 2030. Il sera amusant de voir comment les politiciens, les diplomates, et les médias vont s’y prendre pour présenter cet échec comme un grand succès.
Ces anathèmes sont faciles à comprendre. Les climato-crédules sont absolument persuadés de connaître, de détenir, et de défendre le Vrai et le Bien, et que leur croyance est la clé de la survie de l’humanité. Tous ceux qui ne pensent pas comme eux sont donc dans le Faux et le Mal, et menacent la survie de l’humanité. Les réchauffistes se font donc un devoir moral de maudire et de faire taire les sceptiques. C’est la logique de l’inquisiteur. Ce n’est pas par méchanceté, qu’il torture le mécréant. C’est par bonté, pour le sauver des flammes éternelles. Evidemment, cette attitude ne prédispose pas au débat. Le climato-crédule n’éprouve pas le besoin de débattre, puisqu’il sait ; il éprouve au contraire l’envie de censurer, pour empêcher le doute et le mal de se répandre.
Les églises, et pas seulement l’église catholique, retrouvent dans le réchauffisme des thèmes qui leurs sont chers: l’homme est coupable ; il conduit le monde et lui-même à la ruine ; seule la punition, la foi, l’ascétisme feront apparaître un homme nouveau qui pourra être sauvé. En ce qui concerne l’encyclique, elle adoube sans nuances la vision noire et apocalyptique des réchauffistes (§ 23), prône (avec le patriarche Bartholomée) le «passage de la consommation au sacrifice» (§12), écrit que «l’heure est venue d’accepter une certaine décroissance» (dans les pays riches) (§193), et va jusqu’à inviter les catholiques à «se convertir» à une autre religion, la religion réchauffiste. Dans au moins l’une édition en français, l’encyclique est accompagnée d’une préface de Nicolas Hulot, comme si le texte du souverain pontife avait besoin de cette béquille. Même le non-croyant éprouve une certaine gêne en observant ces capitulations devant l’air du temps.
Pour chacun des rapports quinquenaux du GIEC, le pluriel est de mise. Il y en a en effet trois. Le rapport proprement dit, en trois volumes de 1500 pages chacun, assez indigeste, et que presque personne ne lit, qui est principalement écrit par des scientifiques (même si ceux-ci sont choisis par les gouvernements, et si des militants peu ou pas scientifiques se glissent parmi eux). Un rapport résumé, d’une centaine de pages, préparé conjointement par des bureaucrates et des scientifiques. Et un résumé pour décideurs d’une trentaine de pages, pratiquement rédigé uniquement par des diplomates et des militants, qui est le seul document effectivement lu. Dans ce texte, ce sont les gouvernements qui se parlent à eux-mêmes: ils s’écoutent en effet. Il arrive que ce résumé pour décideur contredise le rapport technique. C’est ainsi, par exemple, qu’un rapport technique écrit que l’aggravation des événements extrêmes n’est généralement pas prouvée ; son résumé sur décideur en parle comme d’une certitude, et c’est ce que médias et gouvernements en retiennent.
Le réchauffement au cours du XXème siècle est un fait, mesuré, même si la production d’une mesure globale agrégeant de millions d’observations n’est pas un exercice évident. L’explication de cette évolution par les rejets de CO2 est une conjecture, appuyée sur une théorie assez séduisante (rejetée par certains physiciens cependant), mais assez mal vérifiée empiriquement. Du reste, le bon sens suggère qu’un phénomène aussi complexe que l’évolution des températures a (comme la plupart des phénomènes physiques ou sociaux complexes) est pluricausal, et non monocausal. Le passage de la température aux catastrophes est un autre chapitre, encore plus complexe et plus mal connu que le passage du CO2 à la température.
La «croissance verte» est d’abord une trouvaille de langage. Comme tout le monde est pour le vert et pour la croissance, tout le monde est pour une économie verte qui créerait de la croissance. Mais il ne suffit pas d’accoler les deux mots pour créer une causalité. En réalité, si la lutte contre le CO2 crée bien des emplois et de l’activité dans les secteurs qu’elle subventionne, les impôts qui la financent réduisent les ressources des ménages et des entreprises et donc leurs dépenses et détruisent des emplois dans le reste de l’économie; au total, l’effet des créations d’emplois nettes des destructions d’emplois est très faible, et probablement légèrement négatif. Si la dépense publique «créait» des emplois, la France, championne du monde de la dépense publique, n’aurait plus un chômeur depuis longtemps. Quant à l’effet sur le bien-être des ménages, il est très largement négatif. En Europe, le prix de l’électricité est d’autant plus élevé que les investissements éoliens et photovoltaïque sont importants. Et cet effet est régressif, parce que les dépenses affectées (électricité, logement, transports) pèsent plus lourd dans le budget des pauvres que dans celui des riches. La comparaison des dépenses environnementales (vertes) avec les dépenses militaires (rouges) est éclairante: objectifs de lutte comparables, financements également étatiques, prétentions à la croissance identiques. L’impact économique des dépenses rouges a été très étudié: il apparaît négatif. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on est conduit à penser que celui des dépenses vertes est également négatif. Pas pour tout le monde: le complexe écolo-industriel qui est le pendant du célèbre complexe militaro-industriel y trouve son compte. Ségolène Royal a bien compris ou senti que l’écologie (elle veut dire la politique écologiste) peut être «punitive» ; elle cherche à éviter cela, mais elle a beaucoup de mal à y parvenir car la politique écologique, nécessairement faite de taxes et de contraintes, est naturellement punitive. Jean Tirole, réchauffiste convaincu, mais économiste génial (et homme honnête), est le premier à reconnaître que la lutte contre le CO2 a un prix. Il pense que ce prix vaut la peine d’être payé parce qu’il nous évitera des catastrophes épouvantables.
La propagande est aux idées ce que la publicité est aux produits. Ca paye.
Ce point est à mes yeux le point essentiel. Le réchauffisme est une idéologie née, développée et répandue dans les pays riches: États-Unis, Royaume-Uni (Margaret Thatcher fut le premier leader politique converti), Allemagne, France, pays scandinaves. Le spectacle des G8 qui se réunissent, et qui décident – vous avez bien lu: décident – pas seulement pour leurs propres pays, mais bien pour l’ensemble de la planète, la réduction de moitié des émissions de CO2, sent son néo-colonialisme à plein nez. Pendant trop longtemps, le fossé entre pays riches et pauvres a été terrible, effrayant, et croissant. Depuis une trentaine d’années, il a enfin commencé à se combler. Aujourd’hui, les pays pauvres se développent plus vite que les pays riches. Contrairement à ce que beaucoup (le pape par exemple) pensent et disent, la misère, la faim, l’illettrisme, la maladie, la mort reculent partout, y compris au Bangladesh, en Inde, en Afrique. Au cours des 20 dernières années, la mortalité infantile (bon reflet des revenus, de leur répartition, de l’hygiène, de l’accès aux soins, de l’éducation des femmes, de la production de nourriture) a diminué de 70% en Afrique et de 50% en Asie. Si tout s’explique par le réchauffement, comme on veut nous le faire croire, alors: vive le réchauffement! Bien entendu, le combat contre la pauvreté, qui reste encore dramatique pour bien trop de millions de personnes, est loin d’être achevé, et doit rester notre première préoccupation. Il est la priorité des pays pauvres, bien avant le combat contre le CO2. La volonté des pays riches de réduire à tout prix les rejets de CO2 partout est donc en conflit avec la volonté des pays pauvres de se développer. Ce conflit est particulièrement aigu en matière d’électricité. Sans électricité, pas de développement. Et en Afrique ou en Inde, sans centrales à charbon, pas d’électricité. Au nom du CO2, les pays riches prétendent empêcher les pays pauvres de construire des centrales à charbon. Ils ont tous interdit à leurs agences d’aide, et aux banques de développement internationales qu’ils contrôlent, de prêter un sou à cet effet. Et en prime les ONG environnementales des pays riches s’opposent souvent aux barrages hydro-électriques. Laissons la parole à un Africain, Donald Kaberula, président de la Banque Africaine de Développement: «Les gouvernements occidentaux sont hypocrites; eux qui se sont enrichis avec les combustibles fossiles, disent maintenant aux pays africains: vous n’avez pas le droit de construire des barrages, ni des centrales à charbon, contentez-vous de ces renouvelables hors de prix. Les pays africains ne les écouteront pas». Avec d’autres mots, l’Inde dit exactement la même chose. On a là les germes d’un véritable et dramatique conflit qui va éclater dans les prochaines semaines à la COP21 à Paris.
Notre degré d’avachissement intellectuel et moral est tel qu’il faut s’entortiller de précautions pour émettre le moindre propos… Soyons bien clair, aux lecteurs choqués par le titre de cet article, par son contenu ou les titres et qualités de l’auteur, qu’ils sachent que les devoirs, publics et privés, à rendre aux morts, qui devaient leur être rendus l’ont été.
Paix aux morts et, maintenant, debout les hommes !
D’abord, une lecture mystique.
L’idée circule sur les réseaux. Oh, très mollement, comme une sorte de dissonance, de grincement dans la mécanique de sidération collective. Personne ne s’y risque vraiment. D’ailleurs, l’injonction fuse. Le rappel à l’ordre claque ! Vous n’y pensez pas ! Bigot ! Réac ! Coincé !
Il faut bien que quelqu’un se dévoue. Que voulez-vous, j’ai été bercé dans ma jeunesse cléricale, par l’injonction de « lire les signes des temps ».
Quels « signes » ? Pas les corps entassés, les rues ensanglantées, les hurlements des blessés. Non, des images sous-jacentes, en arrière-plan, si fortes qu’elles aveuglent.
Qu’avons-nous vu ? Il est 21 h, ce funeste vendredi 13, au Bataclan. Devant 1 500 personnes en transe, serrées et échauffées comme dans une matrice, les Aigles de la Mort Métal – Eagles of Death Metal en v.o. – entonnent : « Qui va aimer le diable ? Qui va aimer sa chanson ? Qui va aimer le diable et sa chanson ?… ». Personne, et pour cause, n’entendra la conclusion : « … j’aimerai le diable et sa chanson ! ».
Et cette phrase de l’Évangile selon saint Luc, proclamée le matin même à la messe : « Où sera le corps, là aussi se rassembleront les aigles » (trad. Crampon, 17, 37). D’autres traduisent « vautours », mais c’est la même chose : les rapace qui se repaissent des morts. Voilà des signes ! Je les vois multipliés, sur les tee-shirts, sur les tatouages, sur les pochettes de disques : « mort… diable… », et les ingrédients qui vont avec : violence… sexe… défonce… jouissance… vacarme…, codes partagés de la culture de masse.
Qu’on ne me dise pas, avec des pudeurs de chaisières, que ce n’est pas du « métal ». Enfumage ! Ne me dites pas non plus que ce ne sont que des mots. Que c’est pour rire. À force de ne rien prendre au sérieux, tout fini par devenir tragique. Si vous élevez des pitbulls vicieux et pervers, parce qu’ils sont utiles pour faire peur aux voisins, ne vous étonnez pas si, un jour, ils sautent à la gorge de vos enfants. Vous invoquez le diable en rigolant ? Lui vous prend au sérieux. Un exorciste extraordinaire me le disait le jour même des attentats : « Si vous lui ouvrez la porte, il se fait une joie d’entrer. » On ne joue pas avec les icônes, elles véhiculent le sacré…
Je vais allez plus loin. Tant pis pour les lecteurs sensibles. Regardez les photos des spectateurs quelques instants avant le drame. Ces pauvres enfants de la génération bobo, en transe extatique, « jeunes, festifs, ouverts, cosmopolites… » comme dit le “quotidien de révérence”. Mais ce sont des morts-vivants. Leurs assassins, ces zombis-haschishin, sont leurs frères siamois. Mais comment ne pas le voir ? C’est tellement évident ! Même déracinement, même amnésie, même infantilisme, même inculture… Les uns se gavaient de valeurs chrétiennes devenues folles : tolérance, relativisme, universalisme, hédonisme… Les autres, de valeurs musulmanes devenues encore plus folles au contact de la modernité : intolérance, dogmatisme, cosmopolitisme de la haine… Les uns portent le maillot du PSG – « Fly Emirates » en effaçant le berceau de Louis XIV, et les autres profitent du même argent pour se faire offrir un costume en bombes. Une minute avant leur mort, les uns et les autres étaient penchés sur leurs smartphones, comme accrochés au sein de leur nourrice. Ce n’est pas le retour du Moyen Âge, contrairement à ce que disent les crétins, c’est la postmodernité dans toute son absurdité. Le drame de l’humanisme athée, qui aime le diable, la mort, la violence, et qui le dit… et qui en meurt ! Le signe de la mort et du chaos ne flotte pas que sur les rues de Paris, un vendredi soir maudit. 130 morts, c’est affreux ! Et 600 morts, c’est quoi ? C’est le chiffre des avortements en France le même jour (Ministère de la Santé – merci Orwell !). Où est l’horreur, la vraie ?
Écoutez le sage : « Chers djihadistes, chevauchant vos éléphants de fer et de feu, vous êtes entrés avec fureur dans notre magasin de porcelaine. Mais c’est un magasin de porcelaine dont les propriétaires de longue date ont entrepris de réduire en miettes tout ce qui s’y trouvait entassé. […] Vous êtes les premiers démolisseurs à s’attaquer à des destructeurs. Les premiers incendiaires en concurrence avec des pyromanes. Nous triompherons de vous. Nous vaincrons parce que nous sommes les plus morts » (Philippe Muray).
Puis une lecture politico-sociologique.
Qu’avons-nous vu ? Des rockers californiens de deuxième zone, entretenant la flamme d’une musique désormais recyclée dans la grande lessive consumériste, une fausse rébellion pour de juteuses connexions avec l’industrie. Loin de moi l’idée d’encenser le rock et ses valeurs, mais on peut accorder au minimum à la génération « beat » le désir d’avoir voulu ébranler non pas tant la société patriarcale, que le matérialisme. Ses solutions étaient mauvaises, mais la révolte contre Mammon pouvait avoir quelque chose de sincère. Tout cela est aujourd’hui totalement intégré dans la matrice. Pire, la tentative de révolte a été « retournée » pour servir à la domination, par le divertissement (au sens étymologique), l’abrutissement de la moindre velléité de révolte. On peut écarter d’un revers de la main dédaigneux ces faits en estimant qu’ils relèvent d’un humour au second degré. Lorsqu’un membre du groupe revendique son goût pour les armes, la pornographie et la méthamphétamine… (Wikipedia), il ne fait que dealer un cocktail particulièrement efficace pour le contrôle social. Pas besoin de complot, pas besoin de police, l’appât du gain des trafiquants, les névroses sociales pullulantes et l’intérêt du système financier suffisent à faire le boulot. Des milliers de romans de science-fiction l’ont mieux dit que tous les sociologues. Voilà d’ailleurs en grande partie pourquoi vous ne pouvez pas faire la moindre remarque critique sur le sujet, sans vous faire agonir de sottises. Les chiens de garde veillent…
Ne parlons même pas des propos consternants de premières communiantes chez ces rockers revenus peureusement à la maison : « Bien que nous soyons désormais rentrés chez nous et en sécurité, nous sommes horrifiés et tentons toujours de comprendre ce qu’il s’est passé… », avant de remercier servilement la police et le FBI… Ils vénéraient Satan mais n’étaient visiblement pas impatients de le rencontrer. Ah, ils peuvent s’afficher avec leurs tatouages virils, leurs admiratrices en bikini et leurs grosses motos, « c’est rien que des demi-sels » comme dirait Audiard, des aigles déplumés, bien loin de la mère des Maccabées, « cette femme héroïque qui parlait avec un courage viril » comme dit l’Écriture Sainte ces jours-ci.
Pour finir, le sordide et les intérêts bien compris. Ils vont gagner au grattage après le tirage. Les victimes ne sont même pas enterrées qu’un journaliste du système peut tranquillement expliquer : « Lancée dans la foulée des attaques terroristes ayant frappé Paris vendredi 13 novembre, la campagne visant à porter la chanson Save A Prayer au sommet des ventes de singles britanniques bat son plein » (Le Figaro). C’est nous les complotistes, les obscurantistes, les réactionnaires, mais eux, ils peuvent tranquillement se repaître sur le dos des morts, ça ne gêne personne ! À vomir ! Il n’y a pas que ceux qui tiennent les kalachnikovs qui sont des monstres.
Grégoire Nysse : « Quand on dit que Dieu inflige un châtiment douloureux à ceux qui font un usage pervers de leur liberté, il convient de comprendre que c’est en nous-mêmes que ces souffrances ont leur principe et leur cause » (La vie de Moïse, 2, 87).
P. S. : Les formulaires de dénonciations à quelque autorité qu’on voudra sont à la disposition du public.
Voir aussi:
Dieudonné condamné à 2 mois de prison ferme par la Belgique pour antisémitisme
Il est condamné pour des propos tenus lors d’un spectacle à Herstal en 2012, et devra faire publier à ses frais le jugement qui le condamne dans « Le Soir » et « La Libre ».
Le tribunal correctionnel de Liège a tenu compte, ce mercredi en rendant son jugement dans le dossier de Dieudonné M’Bala M’Bala, de la longueur du délai qui s’est écoulé entre le spectacle qui lui valait d’être poursuivi, qui remonte au 14 mars 2012, et la sanction prononcée. Reconnu coupable d’incitation à la haine ou à la violence à l’encontre des personnes handicapées, des homosexuels et de la communauté juive, de diffusion d’idées visant à attiser la haine ou prônant la supériorité raciale et de négationnisme, il a écopé d’une peine de 2 mois de prison ferme et de 9000 euros d’amende.
Mais il est également condamné, et c’est sans doute ce qui marquera les esprits, à faire publier à ses frais, dans les journaux Le Soir et La Libre, l’entièreté du jugement qui vient d’être prononcé et qui fait pas moins d’une trentaine de pages.
Pour Dieudonné, les handicapés sont « indignes de vivre »
Le juge Kuty a mis une petite heure pour détailler chaque prévention, expliquant à quel point les propos émis par le polémiste à Herstal, lors de deux one-man shows organisés le même jour par le comité de quartier des jeunes du quartier de Bressoux-Droixhe à Liège, forment les éléments constitutifs des infractions pour lesquels il était poursuivi. Ainsi, le tribunal se dit « frappé par le fait que le prévenu fasse siennes diverses thèses national socialistes ». Le polémiste a évoqué la trisomie 21 en parlant d’un pseudo ami qui en serait atteint : « normalement on ne les laisse pas vivre mais lui, il est passé sur le côté », déclarait le Français dans son show. Il estime donc que les personnes handicapées sont « indignes de vivre », conclut le tribunal, qui rappelle que le premier programme de meurtre du national socialisme était la suppression des handicapés mentaux.
Au sujet des homosexuels, Dieudonné, résume le tribunal, « tend à les présenter comme des personnes lubriques, dégénérées, n’ayant aucune pudeur ». Il dresse aussi les musulmans contre les homosexuels, résume le tribunal, en expliquant que les musulmans qui doivent prier dehors parce que la mosquée est pleine sont réprimandés tandis que les pseudo « actes lubriques » des homosexuels en rue, en référence notamment à la gay pride, sont cautionnés. « Les homosexuels étaient envoyés dans camps de concentration par le régime hitlérien », rappelle le jugement.
Insultes et injures envers les Juifs
Enfin, en « utilisant un catalogue d’insultes et injures », le Français parle de la communauté juive, qualifiant notamment le Talmud de « merde », évoquant un « terrier à rats d’Israël », fustigeant l’attitude de diverses personnes d’origine juive « en utilisant une phraséologie évoquant sans ambiguïté de vieilles rengaines national socialistes ».
Entendu au sujet des faits par le biais d’une commission rogatoire internationale, Dieudonné M’Bala M’Bala avait invoqué le droit à l’humour. Il était défaillant à l’occasion de son procès, mais le juge lui a tout de même répondu que la cour européenne avait eu l’occasion, tout récemment, de rappeler au prévenu que « la justification d’une politique pro-nazie ne peut bénéficier de la protection de l’article 10 de la convention. »
Condamné à une amende de 10.000 euros par l’État français à la suite de propos tenus lors d’un spectacle, Dieudonné M’Bala M’Bala s’était tourné vers la cour europénne des droits de l’Homme. Celle-ci avait rendu son arrêt le 10 novembre dernier, et un paragraphe de celui-ci figure dans le jugement prononcé ce mercredi : « une prise de position haineuse et antisémite caractérisée, travestie sous l’apparence d’une production artistique, est aussi dangereuse qu’une attaque frontale et abrupte », avait conclu la CEDH.
Les constitutions de parties civiles du centre interfédéral pour l’égalité des chances, du Foyer culturel juif de Liège et du Comité de coordination des organisations juives de Belgique sont déclarées fondées et elles obtiennent chacune un euro définitif d’indemnité. Leurs conseils, Me Berbuto et Me Lemmens, se sont dit « très satisfaits face à ce jugement particulièrement bien étayé ».
S’il n’est pas d’accord avec cette sanction, le polémiste peut faire opposition et être rejugé par la même chambre, devant le même juge.
Voir également:
If we’re serious about free speech, we should say ‘Je Suis Dieudonné’
Hateful people must be as free as decent people to express their beliefs.
Brendan O’Neill
26 November 2015
It’s the 21st century and Europe is meant to be an open, enlightened continent, and yet a man has just been sentenced to jail — actual jail — for something that he said. Will there be uproar? It’s unlikely. For the man is Dieudonné M’bala M’bala, the French comedian, and what he says — that Jews are scoundrels and the Holocaust is a fiction — is deeply unpleasant. Yet if we’re serious about freedom of speech, if we are truly committed to ensuring everyone has the liberty to think and say whatever they please, then the jailing of Dieudonné should outrage us as much as the attempts to shut down Charlie Hebdo or the jailing of a Saudi blogger for ridiculing religious belief. We should be saying ‘Je Suis Dieudonné’.
Due to the regimen of hate-speech laws in 21st-century Europe — which police and punish everything from Holocaust denial to Christian denunciations of homosexuality — Dieudonné has been having run-ins with the law for years. In 2009, a French court fined him €10,000 for inviting a Holocaust denier on stage during a gig. In March this year, a French court gave him a two-month suspended prison sentence for saying he sympathised with the attack on Charlie Hebdo and with the anti-Semite who murdered Jews at a Parisian supermarket a few days later. Now, this week, a Belgian court has given him an actual prison sentence: a court in Liège found him guilty of incitement to hatred for making anti-Semitic comments during a recent show and condemned him to two months in jail.
In all these cases, Dieudonné has been punished simply for thinking and saying certain things. This is thought-policing. It’s a PC, spat-and-polished version of the Inquisition, which was likewise in the business of raining punishment upon those who said things the authorities considered wicked. To fine or imprison people for expressing their beliefs is always a scandal, regardless of whether we like or hate their beliefs. Dieudonné really believes the Holocaust is a myth, as much as a Christian fundamentalist believes that people who have gay sex will go to hell or American liberals believe Hillary Clinton will make a good president. He is wrong, massively, poisonously so; but then, so are those Christians about gays and those liberals about Hillary. If every person who says wrong, malicious or stupid things were carted off to jail, Europe’s streets would be emptied overnight.
There are two reasons we should be furious about Dieudonné’s sentence. The first is that it sets an extremely dangerous precedent, or rather boosts an already established precedent whereby the state in Europe has assumed the authority to punish not only criminal action and violent behaviour, but also thought and speech. Anyone who feels tempted to smirk at the imprisonment of a lumbering, unfunny anti-Semite should think very carefully, for the authorities haven’t only flexed their muscles against Dieudonné — they’ve asserted their dominion over thought itself, over emotion (particularly hatred), over the right of people to say out loud what lurks in their hearts. The jailing of Dieudonné represents a further encroachment by officialdom into the psychic, emotional lives of their citizens.
Europe’s hate-speech laws do not merely punish explicitly racist stuff (which would be bad enough). They have also been used against people who are seen as possessing the wrong moral beliefs. From the Swedish Christian pastor given a one-month suspended prison sentence for describing homosexuality as a tumour on society to the former actress Brigitte Bardot being fined 30,000 francs for railing against the ‘barbaric’ way in which Muslims slaughter animals for meat, people are being punished for their deeply held, if unpopular convictions. This is the logic of anti-hatred laws: once the state is invited to monitor and govern thought, then anyone who is nasty or edgy or different becomes fair game.
Jewish groups cheering the jailing of Dieudonné should consider the fact that, informally at least, on campuses, Zionism is now treated as ‘hate speech’ and is frequently shut down by intolerant self-styled warriors against ‘prejudice’. The institutionalisation of hate-policing is generating armies of censors keen to shut up things they find offensive or wrong; it gives people a licence to silence ideas that they hate.
The second reason we should oppose the arrest of people like Dieudonné is because censorship is the worst tool imaginable for combatting real prejudice. It is precisely if you are opposed to Dieudonné’s thinking that you must defend Dieudonné’s freedom of speech, because it is only through hearing his ideas that we can know them, expose them, and challenge them.
People who are serious about standing up to the foul ideologies of racism, anti-Semitism and Holocaust denial should not seek to silence such ideas but rather should welcome their expression. Because it’s only in a free, rowdy public sphere that we can argue against them and potentially defeat them. Forbidding the expression of such ideas makes it more difficult for those of us who take seriously our responsibility as citizens to shine the light of reason on this dark and backward way of thinking, which allows the thinking to fester and grow, underground, far from the rationalism and corrections of the rest of us.
To criminalise Holocaust denial is to turn it into an edgy ideology that will be embraced by many of the alienated as a kind of stupid rebellion against what they see as a defensive and uncaring state. In the underbelly of the internet, in smoky halls in French and Belgian suburbs, some youths say things they aren’t allowed to say in public — or listen to Dieudonné saying them — and in those cut-off, anti-social bubbles their prejudices become more fixed, free from the mocking or questioning of those who aren’t racist and who know that the Holocaust happened. Censoring racial hatred doesn’t challenge it; it can intensify it.
It is incredibly illiberal for the state to police hatred. Hatred might not be big or clever, but it’s only an emotion. And officialdom has no business telling us what we may feel — or think, or say, or write. Allowing the state to monitor belief represents a brutal reversal of the Enlightenment itself. John Locke, in his Letter Concerning Toleration (1689), set the tone for the Enlightenment as an attempt to ‘settle the bounds’ between the business of government and the business of morality. ‘The business of laws is not to provide for the truth of opinions, but for the safety and security of every particular man’s goods and person’, he wrote. That ideal is now turned on its head. Across Europe, governments ‘provide for the truth of opinions’, and in the process they silence those they don’t like and patronise the rest of us, reducing us to imbeciles incapable of working out what is right and wrong, and of speaking out against the wrong.
All hate-speech laws should be scrapped. Dieudonné should be freed. And a continent whose governments argue against the imprisonment of bloggers in Saudi Arabia while jailing comedians at home needs to take a long, hard look in the mirror.
Voir encore:
Sortie (de route) de l’histoire : comment la chute du mur de Berlin a précipité l’Europe dans l’illusion d’un présent perpétuel sans passé ni futur
La réunification des deux Allemagnes a ressuscité chez les Allemands la crainte enfouie de son lourd passé. Une attitude inconciliable avec son important potentiel d’influence, et qui handicape jusqu’à l’Union européenne dans la mise en perspective de son avenir.
Série chute du mur de Berlin
9 Novembre 2014
Atlantico : Il y a 25 ans tombait le mur de Berlin, mettant fin à la partition du monde en deux blocs. Comment pourrait-on décrire l’état d’esprit qui prévalait en occident pendant les années 1980, avant l’événement ? La pacification de la majeure partie de l’occident, la prospérité… Etait-ce l’insouciance de l’instant présent qui dominait, et comment en était-on arrivé là ?
Gil Mihaely : La « belle époque », comme on le sait, est devenue belle vue des tranchées de la guerre de 14-18… Essayons de ne pas succomber à la nostalgie en parlant des années 1980. Rappelons que pour l’opinion publique en Occident la Guerre Froide était toujours d’actualité au moins au début de la décennie et la Révolution iranienne avec sa suite (prise d’otages), avait déjà donné des éléments probants sur la logiques des clivages et conflits à venir. Rappelons aussi à ceux qui l’ont oublié le bourbier libanais avec Drakkar, les otages et les attentats en France. Si ces années sont aussi caractérisées par un certain optimisme (à relativiser d’ailleurs) c’est parce que la dérégulation graduelle de l’économie et la révolution informatique ont donné l’impression que la croissance n’avait pas de limite. Et puisque la plupart des citoyens étaient encore protégés par les acquis des Trente Glorieuses, il y avait un moment très particulier où on pouvait avoir le beurre et l’argent du beurre. L’écroulement de l’URSS a été dans ce sens la cerise sur le gâteau : on pensait pouvoir diminuer les crédits militaires, éviter des crises géopolitiques, ouvrir de nouveaux marchés et intégrer des dizaines de millions de personnes au mode de vie occidental.
Quand on se souvient des films que nous aimions collectivement (les blockbusters), il s’agit de E.T, Indiana Jones ou Retour vers le futur. Une dizaine d’années plus tard on a Jurassic Park, Forrest Gump, Apollo 13 et bien sûr Titanic, Armageddon et le Soldat Ryan… On commençait à s’inquiéter sérieusement et à se poser des questions angoissantes sur les limites, comme si nous avions redécouvert notre finitude. Cependant, il faut souligner un fait important : depuis la fin des années 1950, l’Occident vit au rythme de la génération des baby-boomers (nés entre 1942-1960). Leurs goûts, leurs envies et leurs angoisses façonnent notre culture. Or, si dans les années 1980 ils avaient entre 25 et 40 ans et donc avaient beaucoup d’avenir, des projets et de l’espoir, ils commencent à vieillir et à avoir les idées noires de leur âge. Les fans de « salut les copains » sont toujours là et les spectacles des stars de l’époque ont beaucoup de succès. Il y a donc, au-delà des éléments objectifs, un effet générationnel assez fort à prendre en compte quand on analyse nos humeurs collectives.
Pierre-Henri Tavoillot : J’étais alors étudiant en Allemagne et je suis allé fêter le 1er janvier 1990 à Berlin escaladant le mur pour la première fois à la Porte de Brandebourg et retrouvant là une amie hongroise qui arrivait de l’Est. Ce fut une fête indescriptible, de joie pure et d’insouciance, en effet, où se mêlaient toutes les nationalités européennes. La destruction du mur a été un moment fort de la construction d’une identité européenne positive. Et sans doute la véritable fin d’un XXe siècle qui fut tragique mais heureusement court : 1914 pour son début et, donc, 1989 pour son terme.
Peut-on dire que l’année 1989 a achevé de nous plonger dans l’illusion d’un présent absolu, dans une caricature de « la fin de l’histoire » de Francis Fukuyama ?
Pierre-Henri Tavoillot : Il ne faut pas caricaturer la thèse de Fukuyama qui est plus subtile qu’on le dit. Elle ne consiste nullement à affirmer qu’il ne se passe plus rien dans le monde ! Pour une part, il reprend une version light de la thèse hégélienne de la « fin de l’histoire » qui consiste à dire que nous disposons désormais, dans un espace mondial globalisé, des instruments d’intelligibilité des événements historiques. Le monde est certes complexe dans le détail, mais nous disposons des grilles d’analyse pour en comprendre les phénomènes globaux. Pour une autre part, il constatait, avant même la chute du mur, que l’humanité avait atteint une forme d’unanimité. Pour le dire d’un mot, le capitalisme et la démocratie constituent « l’horizon indépassable de notre temps ». On peut dénoncer le capitalisme financier et être déçu par la démocratie parlementaire, mais les critiques les plus virulentes (à quelques exceptions — un tantinet snob — près) ne remettent en cause ni l’un ni l’autre : elles envisagent un capitalisme plus juste et plus durable ; une démocratie plus participative et plus efficace. Ce sont des critiques internes qui pointent le décalage entre la promesse et la réalisation, mais ne proposent aucune remise en cause totale et surtout aucun autre possible crédible. C’est en ce sens que notre époque est tentée par l’idéologie de la fin des idéologies. On peut même contester que l’Islam radical constitue une « alternative », puisqu’il use habilement du capitalisme financier le plus classique, des techniques de communication les plus « marketées » et aspire à une démocratie épurée. Sa contradiction insurmontable est qu’il mobilise toute la modernité pour lutter contre elle : ce n’est pas tenable, même si cela peut durer longtemps ! Les radicalismes religieux représentent des pathologies classiques d’entrée dans la modernité — et nous sommes bien placés en Occident pour savoir que cette entrée dans la modernité peut durer fort longtemps et produire des terribles tragédies …
Gil Mihaely : On fait un mauvais procès à Fukuyama. En gros, il dit que la démocratie libérale est l’horizon indépassable de l’humanité. On peut ajouter que, si on croit à la thèse selon laquelle une guerre entre démocraties libérales est hautement improbable, cela signifie aussi une relative paix mondiale. Cela ne veut pas dire qu’il souhaite voir des démocraties libérales sur le modèle de celles des années 1980-1990… On peut tout à fait accorder démocratie libérale et nationalisation des banques par exemple… Et puis, est-ce que l’individu contemporain qu’on connait, quelqu’un comme nous, accepterait un régime où il n’a pas son mot à dire ? Fukuyama a donc mis le doigt sur quelque chose de profond : depuis la fin de l’URSS il n’y a plus d’alternative radicalement différente. Aujourd’hui encore, on ne voit pas un véritable projet politique et idéologique crédible et mobilisateur qui propose une rupture totale avec les systèmes politiques et économiques existants.
Voir enfin:
GENERATION RADICALE
Malek Boutih, Député de l’Essonne
– JUIN 2015 –
« C’est une folie de haïr toutes les roses parce qu’une épine vous a piqué, d’abandonner tous les rêves parce que l’un d’entre eux ne s’est pas réalisé, de renoncer à toutes les tentatives parce qu’on a échoué. C’est une folie de condamner toutes les amitiés parce qu’une vous a trahi, de ne croire plus en l’amour juste parce qu’un d’entre eux a été infidèle, de jeter toutes les chances d’être heureux juste parce que quelque chose n’est pas allé dans la bonne direction. Il y aura toujours une autre occasion, un autre ami, un autre amour, une force nouvelle. Pour chaque fin il y a toujours un nouveau départ ».
Antoine de Saint-Exupéry – Le Petit Prince – 1943
Par décret du 26 février 2015, le Premier Ministre a nommé M. Malek Boutih, Député de l’Essonne, parlementaire en mission auprès du ministre de l’Intérieur et l’a chargé d’une réflexion sur l’analyse et la prévention des phénomènes de radicalisation et du djihadisme en particulier. Le présent rapport restitue les travaux de cette mission.
Tout d’abord, constatant que près de 65% des individus impliqués dans les filières djihadistes ont moins de 25 ans et que les autres formes de radicalisation politique relèvent également le plus souvent de jeunes contestataires, le choix a été fait de centrer le propos sur la jeunesse. L’approche choisie est une approche générationnelle, au sens où elle s’attache d’abord à identifier l’état d’esprit de la jeunesse dont sont issus ceux qui se radicalisent. A cet effet des auditions des organisations de jeunesse ont été menées pour approfondir les constats issus des enquêtes des sociologues et comprendre le rapport de cette génération à la politique et à l’engagement.
Il est également apparu pertinent d’aborder les différentes formes de radicalité, à travers l’actualité des mouvements de jeunesse et de contestation, car si elles ne partagent pas les mêmes objectifs que le djihadisme, elles témoignent tout de même d’un même rejet des mécanismes démocratiques de représentation et de règlements des conflits.
Dans un second temps, des entretiens avec les acteurs publics, les associations et les professionnels qui accompagnent les familles des jeunes qui basculent dans la radicalisation djihadiste ont permis de comprendre les mécanismes qui conduisent à la radicalisation. Leur éclairage a conduit à formuler une hypothèse qui s’est confirmée au fil des entretiens : le succès des recruteurs djihadistes auprès des jeunes repose sur l’adhésion à un projet politique entrant en résonnance avec leurs préoccupations internationales et leur rejet de la société démocratique occidentale, plus qu’à une doctrine religieuse fondamentaliste. Si le discours des djihadistes a d’abord touché des individus au profil fragile, il faut noter que les jeunes concernés proviennent désormais de toutes les régions françaises et de différentes catégories sociales. Il ne s’agit pas uniquement de jeunes issus de milieux défavorisés ou de culture musulmane ; des convertis, des enfants d’enseignants, des étudiants ont également basculé, ce qui confirme la primauté de la dimension politique.
Evidemment cette hypothèse est déstabilisante, mais il est nécessaire de faire le bon diagnostic pour poser les bases d’une politique de prévention efficace : il ne s’agit pas seulement de prévenir la dérive de quelques individus marginalisés ; il faut plutôt s’interroger sur le fait qu’une grande partie de la jeunesse se détourne de notre modèle de société.
Ce rapport propose une analyse politique des dynamiques à l’oeuvre dans la jeunesse et pointe les objectifs des politiques publiques qui sont à inventer. Il ne prétend pas néanmoins à l’exhaustivité et pourrait être utilement complété par d’autres travaux, des monographies de cas notamment, et des évaluations détaillées de certaines politiques publiques. L’enjeu est bien d’identifier les différents ressorts de la radicalisation, y compris ceux que l’on préférerait ignorer, pour élaborer une stratégie de prévention pertinente.
Le 11 janvier ou rien !
Depuis quelques années, plusieurs signaux nous ont alertés sur l’effritement de la confiance en nos valeurs républicaines. De la multiplication des revendications communautaires, régionalistes et corporatistes au succès populaire de Dieudonné en passant par la banalisation des propos racistes, les lignes de faille au sein de notre société sont devenues nettement perceptibles. Avec les évènements de janvier ces failles sont devenues des plaies béantes. La nature et l’ampleur des attentats, perpétrés par des français, ont d’abord sidéré nos concitoyens puis ont suscité une mobilisation sans précédent. Beaucoup ont eu envie de s’engager mais sans savoir comment se rendre utile, car pour agir il faut d’abord comprendre. C’est dans cette perspective que s’inscrit ce rapport, analyser avec lucidité la progression de la radicalité, en particulier djihadiste, dans notre société, pour y apporter des réponses adaptées.
Existe-t-il un « esprit du 11 janvier » ? Notre pays est-il en capacité, non seulement de se défendre, mais de juguler tous les dangers, toutes les failles révélées par ces évènements ?
La réponse n’est pas dans l’analyse, le décryptage de la réaction massive et historique des français, qui ont exprimé leur unité, leur refus de la violence, leur soutien aux institutions républicaines face à cette épreuve. Face à un tel évènement la simple observation de données statistiques, de cartes et de graphiques, ne suffit pas à construire une analyse politique. Si un « esprit du 11 janvier » existe, il ne sera perceptible que dans la capacité collective de notre pays à tirer la leçon de ces évènements, de ce qui a précédé, et surtout dans la capacité de l’Etat républicain à relever le plus grand défi politique auquel il est confronté depuis l’après-guerre.
Par le choix des cibles, par les discours, les auteurs des attaques du mois de janvier 2015 ont en effet frappé au coeur notre modèle républicain, en visant la liberté d’expression, la laïcité, l’unité nationale. Nos ennemis auraient pu viser des intérêts diplomatiques, militaires ou économiques, mais ils ont choisi des cibles plus symboliques. L’équipe de Charlie Hebdo représentait la liberté d’expression, le droit de blasphémer, les policiers abattus étaient le symbole d’une diversité française au service de tous, les citoyens juifs symboles d’un pays qui combat l’antisémitisme et garantit la liberté d’identité.
La France a été visée par cette attaque, mais précisément c’est la République, son modèle laïc et émancipateur qui étaient la cible. Du point de vue de nos agresseurs, le point faible de la France n’est pas tant son déclin économique que son modèle républicain fragilisé.
Le gouvernement a d’abord apporté des réponses visant à assurer la sécurité de nos concitoyens. Des dispositifs législatifs ont fourni des outils supplémentaires aux services de sécurité et un effort budgétaire conséquent va renforcer leurs effectifs et leurs équipements. Pourtant, comme l’a exprimé le Premier Ministre lors de son discours du 14 janvier 2015 devant l’Assemblée nationale, le défi à relever est de plus grande ampleur. C’est au coeur de notre pays que se trouve la plus grande adversité. Pas simplement parce que les tueurs étaient tous français, mais parce que c’est dans les failles, les déchirures du tissu républicain, qu’a grandi et prospéré leur haine avant qu’ils ne passent à l’acte.
Par le travail de nos diplomates, de nos services de renseignement, de nos experts, par celui de la presse, nous en savons maintenant davantage sur les djihadistes et ceux qui nous menacent. Deux commissions parlementaires se sont penchées sur les filières et réseaux djihadistes, préconisant un certain nombre de réponses et d’adaptation des dispositifs de sécurité et de surveillance. Mais quid du sens, des motivations de ces passages à l’acte ? Comment expliquer que des enfants de la République se soient retournés contre elle ? L’aspect identitaire et religieux est présent mais n’explique pas tout. Comment comprendre le basculement de jeunes filles et de jeunes hommes de toutes origines, de toutes les régions, qui partagent cette « haine » alors que leurs parcours n’ont rien de semblable ?
Une grande partie de la réponse aux djihadistes de toutes sortes, à ceux qui veulent imposer leurs vues par la violence, repose donc sur notre capacité à cerner les ressorts profonds qui ont conduit à cette situation et à y apporter des réponses structurelles. L’histoire de la République l’a démontré, sans cohésion nationale, sans patriotisme, sans volonté de vivre ensemble, nous sommes faibles et exposés aux dangers. L’unité nationale, l’adhésion à la République, sont au coeur de notre projet collectif, indispensables à notre sécurité.
Ce rapport se propose de cerner les dynamiques profondes qui poussent aux actions radicales et violentes, pour comprendre bien sûr, mais surtout pour anticiper et prévenir les dangers qui pèsent sur notre société. Protéger la République, c’est d’abord remettre en ordre la responsabilité de chacun. Notre défense nationale, nos services de renseignement et de police agissent sur leurs terrains respectifs. Leur efficacité est incontestable mais leur action ne peut pas répondre à l’ensemble des défis posés par le djihadisme. Les Etats démocratiques ont une expérience du terrorisme, ils savent le combattre et le neutraliser. Le danger du processus en cours c’est qu’il dépasse désormais la dimension terroriste par le nombre et la diversité des candidats au djihad. La responsabilité des institutions de notre pays n’est donc pas seulement d’accompagner et de soutenir l’action de nos forces de sécurité. Tout le monde doit être sur le front, non pas militaire, mais sur le front de la défense républicaine. Du gouvernement à l’institution de village, nous voilà tous responsables de l’avenir de notre pays.
Répondre à la question de savoir si l’esprit du 11 janvier existe, c’est choisir l’action réfléchie et déterminée pour faire vivre cet « esprit ». L’alternative étant la défaite, le reniement de notre histoire. Pour la République, c’est l’esprit du 11 janvier ou rien !
1. Portrait d’une génération au bord de au bord de la rupture
Dans nos sociétés mondialisées, les conflits internationaux se sont peu à peu éteints au profit d’une paix et d’une sécurité collective symbolisées par la création d’organisations internationales telles que l’ONU et l’Union Européenne. La dernière génération française confrontée à la guerre fut celle des conscrits appelés durant la guerre d’Algérie il y a plus de cinquante ans maintenant. Cette stabilité dans la paix ferait presque croire que la guerre, qui a touché auparavant toutes les générations, est désormais l’affaire de professionnels agissant loin de nos territoires.
Le djihadisme, depuis ses débuts en Afghanistan, ne concernait qu’un nombre restreint d’adultes très engagés. Depuis le confit en Syrie et l’avènement de l’Etat islamique, des centaines de jeunes issus de tous les départements français ont fait le choix de la guerre et sont partis pour la faire les armes à la main. Pourquoi ? Comment est-on passé de quelques individus convaincus, à ce qui pourrait devenir un phénomène de masse dans la jeunesse de France et d’autres pays européens ?
L’observation de ce phénomène au travers du seul prisme des convictions religieuses, d’une spiritualité dévoyée, n’est pas simplement insuffisante. Elle est dangereuse à terme car elle fait le jeu des ennemis de nos sociétés, dont la propagande vise à semer le doute, la confusion, à provoquer des erreurs de notre part. Il nous faut voir plus loin que leur « fatwa » et nous intéresser à cette jeunesse française que l’on pensait apolitique, désengagée et simplement consommatrice. Qui est la jeunesse candidate à la guerre ? Sommes-nous confrontés à des dérives individuelles ou aux prémices d’un phénomène de masse ? Comprendre la jeunesse ce n’est pas seulement l’observer, c’est aussi regarder le monde et notre époque à travers ses yeux.
Pour aborder la question de la montée de la radicalité dans la jeunesse et comprendre le contexte à partir duquel certains basculent, une première étape est nécessaire. Qui sont les jeunes d’aujourd’hui ? Dans quel monde ont-ils grandi, quels évènements ont forgé leur perception du monde ? Sans prétendre à l’exhaustivité, on s’attachera d’abord à dresser à grands traits le portrait de la jeunesse d’aujourd’hui : ses conditions de vie, son état d’esprit, son rapport à la politique.
1. a – Les marqueurs historiques et politiques qui façonnent leur vision du monde
Chaque génération voit son rapport au monde façonné par de grands évènements historiques. Celle qui nous intéresse a grandi dans le monde de l’après 11 septembre, un univers très éloigné des références du XXème siècle qui ont structuré les générations précédentes (l’affrontement des idéologies et la construction des social-démocraties européennes). Les dernières décennies sont celles d’une mondialisation libérale hégémonique, émaillées par une succession de soubresauts et de crises de toute nature.
Une mondialisation heureuse ?
L’époque a consacré le caractère libéral de la mondialisation, qui n’est plus concurrencé par des modèles alternatifs. La ratification du traité européen malgré la victoire du non au référendum de 2005 illustre très bien cet état de fait. Les seuls débats de politique économique auxquels les jeunes assistent portent sur la meilleure façon de s’adapter, les réformes à conduire pour améliorer la flexibilité ou la compétitivité. S’il reste quelques économistes pour critiquer le néolibéralisme, ils sont comme l’exception qui confirme la règle.
Néanmoins la mondialisation a montré ses failles lors de crises qui l’ont fortement ébranlée. La plus marquante est évidemment la crise des subprimes qui a débuté aux Etats-Unis pour ensuite s’étendre au monde entier à partir de 2007. Les faillites des plus grands établissements bancaires mondiaux et surtout la ruine de centaines de milliers d’américains, mis à la porte de leur maison, ont donné à voir de façon spectaculaire le « colosse aux pieds d’argile » qu’est le système économique et financier international. Et depuis 2010 c’est en Europe, chez nos voisins grecs notamment, qu’on assiste à ce type d’ajustement structurel brutal. Ces crises montrent la fragilité mais aussi la force du libéralisme, qui en sort chaque fois renforcé, le remède préconisé étant d’administrer toujours plus de dérégulation et de flexibilité.
Une opposition à cette mondialisation offensive a bien émergé, avec la création d’ATTAC dans les années 90, puis le développement des mouvements altermondialistes, qui se retrouvent lors des grands forums sociaux mondiaux depuis Porto Allegre en 2001. Ils dénoncent les politiques d’ajustement structurel imposées aux Etats par les banquiers internationaux (FMI, Banque Mondiale et Banque Centrale Européenne) et se font entendre en manifestant bruyamment lors des grands sommets économiques mondiaux comme à Seattle en 1999. Mais la tournure prise par les manifestations, qui virent au saccage des banques et aux affrontements avec les forces de l’ordre, apparait comme un aveu d’impuissance.
Plus récemment, les mouvements Occupy Wall Street en janvier 2011 ou Podemos en Espagne en 2014 ont illustré un renouveau des luttes et surpris par leur ampleur. Mais là encore les débouchés politiques de ces mobilisations ont été difficiles à trouver, en raison de la nature de ces mouvements, se réclamant de la démocratie directe, refusant de désigner des chefs en leur sein, et de l’hétérogénéité de leurs membres. Si l’irruption de Podemos dans la bataille électorale et ses premiers succès sont encourageants, aux Etats-Unis la contestation s’est dissoute avec la destruction du campement de Wall Street.
Et que dire des printemps arabes, en Tunisie en décembre 2010 puis en Egypte février 2011, centrés eux sur des revendications démocratiques, autour des institutions et des libertés publiques ? Ces révolutions ont finalement débouché sur la mise en place de régimes et l’émergence de forces politiques qui ne sont pas ceux que l’on attendait, laissant le goût amer d’une dynamique avortée, d’un élan gâché. Enfin pour clore cette liste d’espoirs déçus, il ne reste qu’à évoquer l’élection de Barack Obama en 2008, à se rappeler l’engouement qu’avait suscité son « Yes we can » au regard ce qui s’est réellement passé. Voilà pour enfoncer le clou et disqualifier profondément les processus traditionnels de transformation aux yeux des jeunes.
Le tournant du 11 septembre
Sur le plan international, les attentats du 11 septembre 2001 constituent l’évènement fondateur du monde dans lequel évolue la jeune génération. D’abord parce qu’ils inaugurent une série d’attaques contre le monde occidental (Madrid en 2004, Londres en 2005) et installent durablement un climat de menace. L’origine des groupes terroristes qui se revendiquent de l’islam radical fait naître au sein des pays occidentaux une suspicion diffuse sur la communauté musulmane aux effets délétères à long terme. Surtout, les attentats de 2001 conduisent au déclenchement de la seconde guerre d’Irak en 2003, sur la base de l’existence d’armements lourds dont les « preuves » se révèleront fausses. Cette guerre fut lourde de conséquences géopolitiques, d’abord parce qu’elle n’a pas lieu seulement sur le terrain, mais sur tous les écrans de la planète. Comme pour le conflit israélo-palestinien, la charge émotionnelle des images relayées par les médias jouent un rôle central, la réalité des violences suscite de l’empathie pour les victimes et empêche de prendre du recul. Le discours des peuples musulmans opprimés par les occidentaux se nourrit très largement des images des victimes civiles des bombardements américains ou encore de la répression brutale de la seconde intifada.
Ces deux conflits ont fortement marqué les consciences de la jeune génération, qui éprouve l’injustice pour la première fois à cette échelle mondiale et développe une sensibilité particulière sur les sujets internationaux. En témoigne l’ampleur des mobilisations de l’été 2014 à l’appel de collectifs de solidarité avec les palestiniens, qui ont rassemblé plus de jeunes que les manifestations aux mots d’ordre économiques et sociaux. Leur vision du monde est fortement polarisée, les Etats-Unis et Israël incarnant la morgue et le cynisme des puissances occidentales, convaincues de leur supériorité. Les conflits qui ont suivi n’ont pas démenti cette logique de légitimation de la violence, qu’il s’agisse de l’opération Plomb durci en 2008 ou de la traque de Ben Laden.
Insistons sur ce point, la jeunesse est plus sensible à la géopolitique qu’à des débats qui la touchent plus directement. Parce que les évènements se déroulent dans des contextes lointains, méconnus, ils peuvent y appliquer une lecture simpliste et binaire. L’identification au camp des victimes et des opprimés, le rejet des injustices sont les premiers mécanismes de conscientisation politique. Ils ne nécessitent pas de manipuler des notions complexes ou de s’approprier des théories élaborées. Et ils fonctionnent à plein régime à la faveur du flot d’images toujours plus sensationnelles diffusées par les médias modernes, qui décuple l’impact des faits et bannit toute distance avec le réel.
Un monde anxiogène
Pour compléter ce tableau du monde vécu par les jeunes d’aujourd’hui il faut évoquer les catastrophes naturelles et sanitaires. Le tsunami de 2004 en Indonésie, l’ouragan Katerina en 2005 à la Nouvelle Orléans, la catastrophe dans la centrale nucléaire de Fukushima en 2011, et dernièrement le virus Ebola qui s’est répandu en Afrique, sont autant d’évènements apocalyptiques vécus en direct, même s’ils se déroulent à des milliers de kilomètres de la France, qui nous rappellent brutalement la fragilité de la prospérité et du confort moderne. Ces catastrophes font office de signal d’alerte sur les conséquences climatiques de certains modes de développement et contribuent à l’éveil des consciences écologiques.
Les faits cités ci-dessus n’embrassent évidemment pas toute l’histoire des dernières décennies mais ils sont de nature à influencer la lecture du monde que se construisent les jeunes. Or ils sont significatifs d’une situation paradoxale : alors que la mondialisation et le libéralisme sont censés amener le confort et le progrès à travers l’accès à la consommation, les crises mettent sur le devant de la scène des populations faibles et vulnérables. Certes on peut boire du coca en regardant MTV vêtu des derniers modèles d’H&M à Bamako, mais cela ne fait pas le poids face aux images implacables des populations déplacées, des enfants affamés, ou des migrants risquant leur vie pour traverser la Méditerranée. La mondialisation semble s’imposer comme la seule dynamique possible de développement, mais force est de constater qu’elle s’accommode d’une grande instabilité et se soucie peu de laisser une partie du monde sur le côté.
Et au plan national, la situation n’est pas exempte de ces contradictions. Le progrès est censé permettre la réussite de tous et l’accumulation des richesses, mais à la condition de s’adapter, d’être plus flexible, d’évoluer vers l’économie de l’innovation… Les jeunes avant même d’entrer dans le monde du travail perçoivent chez leurs aînés cette pression et cette injonction à la performance. Or comment prétendre ressembler aux actifs urbains ultra-connectés lorsque l’on grandit dans un quartier relégué ou dans un territoire rural et que l’on n’a pas les moyens de s’acquitter d’un abonnement téléphonique ou d’une carte de transports ?
Il y a bien un décalage entre le développement économique et technologique que vivent les classes moyennes supérieures, et la précarité, l’insécurité auxquelles doivent faire face les employés et les travailleurs non-qualifiés.
De cette dichotomie sont nées des crispations dans la société française, certains cherchant à désigner des coupables. L’émergence des identitaires sur la scène publique, ayant pris pour cibles les immigrés et les musulmans, en est l’illustration, mais aussi plus largement la progression continue du Front National.
L’une des manifestations de cette intolérance qui a prospéré est le succès des listes constituées autour du personnage de Dieudonné aux élections européennes de 2009. Il témoigne en particulier de l’enracinement d’un nouvel antisémitisme. Celui-ci combine plusieurs sources. D’abord le conflit israélo palestinien, à travers lequel sous l’effet d’une certaine gauche à court d’idéologie, les musulmans sont devenus la figure du peuple opprimé et Israël, puis les juifs par extension, le symbole de l’oppresseur occidental. D’autre part, à la faveur des discours de l’extrême-droite et des actes dénoncés comme islamophobes et par une sorte de renversement ou d’effet miroir, s’est installée l’idée que les musulmans sont traités par les démocraties occidentales comme l’ont été les juifs dans les années trente, stigmatisés et opprimés. Enfin, le travail de mémoire sur la Shoah est de plus en plus contesté au nom d’autres mémoires qui seraient tout autant légitimes et injustement sous-traitées, celle de la colonisation et celle de l’esclavage, comme s’il y avait un gâteau de la mémoire à répartir et donc une « concurrence mémorielle ».
Dans les quartiers le discours du « deux poids deux mesures », entre des juifs qui seraient insérés et protégés et des musulmans au contraire stigmatisés et marginalisés socialement, a rencontré un large écho. Les vieux préjugés sur les juifs qui seraient partout, tirant les ficelles du monde de la finance et des médias sont de retour. De façon remarquable ils sont très largement répandus chez les jeunes aujourd’hui alors que cela aurait été inenvisageable il y a encore une vingtaine d’années. Les enseignants et associations qui interviennent dans les établissements en témoignent.
Enfin, les distorsions liées aux inégalités en France sont d’autant plus clivantes qu’elles se combinent avec une relégation territoriale, sociale et culturelle. Les émeutes urbaines de 2005, bien plus qu’une réaction de circonstances à la mort de deux jeunes à Clichy-sous-Bois, actaient dans ces territoires la fin de la promesse républicaine pour une génération.
Ainsi les évènements retracés ici et qui ont façonné la conscience politique de la jeunesse dressent le tableau d’un monde instable et paradoxal, ébranlé par les soubresauts de la mondialisation, et d’un libéralisme dans lequel tout le monde n’a pas sa place, loin de la dynamique homogène et continue de progrès qu’il est censé prodiguer. Il y a incontestablement une forte distorsion entre les progrès de la mondialisation et la diffusion d’un consumérisme planétaire censé offrir partout l’accès au confort, à la modernité, aux mêmes modes, aux mêmes produits, et les réalités telle qu’elles sont vécues et constatées. Que ce soit au niveau national, avec le décrochage de certains territoires, la précarisation et la paupérisation d’une jeunesse qui n’a pas les moyens de se déplacer ou de se connecter à internet, ou au niveau international, avec des conflits meurtriers, des populations entières déplacées, des Etats inexistants ou corrompus, des milliers de migrants qui meurent en Méditerranée…
1. b – L’enfermement social de la jeunesse
Pour mieux comprendre cette génération, après avoir décrit le monde dans lequel elle évolue, il faut s’intéresser à ses conditions de vie. En effet l’environnement familial, les conditions de vie matérielles, les perspectives scolaires et professionnelles des jeunes, matricent nécessairement leur vision du monde.
« Il n’y a pas une seule jeunesse », c’est l’expression qu’emploient en général ceux qu’on interroge sur l’état de la jeunesse. Plus précisément, ce que met en évidence cet état des lieux c’est d’une part une inquiétude partagée sur les chances de réussite, et d’autre part le décrochage d’une frange de la jeunesse, qui aurait en quelque sorte perdu d’avance.
Rappelons d’abord quelques chiffres qui montrent que les enfants ne sont pas épargnés par les inégalités et la pauvreté qui touchent l’ensemble de la société, bien au contraire. En 2011, 1 famille sur 5 est monoparentale, deux fois plus que dans les années 70. Dans plus de 90 % des cas il s’agit de femmes seules et près du tiers de ces familles sont pauvres (au sens de l’Insee, soit des revenus inférieurs de 60% aux revenus médians). Au total ce sont plus de 3 millions d’enfants qui vivent sous le seuil de pauvreté, soit près d’un mineur sur cinq. Et parmi les 3.5 millions de mal logés dénombrés par la Fondation Abbé Pierre en 2015 on compte 500 000 mineurs.
La situation économique et sociale des jeunes adultes n’est pas plus favorable. En 2014, 23% des jeunes vivent sous le seuil de pauvreté, et jusqu’à un tiers d’entre eux renoncent aux soins pour des raisons financières.
Et c’est surtout dans le domaine de l’insertion professionnelle que le constat est alarmant : 150 000 jeunes sortent du système éducatif sans qualification chaque année et c’est donc entre 1,6 et 1,9 millions de jeunes soit 13.1% des 16-25 ans, qui sont actuellement sans emploi et sans formation (les «Neet» pour «Not in education, employment or training»).
Quant à ceux qui poursuivent leurs études et obtiennent une qualification, ils ne sont pas pour autant sortis d’affaire. Un jeune sur cinq est toujours à la recherche d’un emploi trois ans après sa sortie du système scolaire. Et 55% des 15-29 ans occupent un emploi précaire. Or ces périodes prolongées d’insertion, où les jeunes alternent entre les stages, le chômage et des emplois précaires peu rémunérés, altèrent durablement leurs perspectives salariales et professionnelles et minent leur confiance en eux, c’est ce que les sociologues appellent l’ « effet cicatrice ». Les jeunes vont en quelque sorte de déception en déception : ils peinent à accéder à l’emploi malgré de longues études, se voient contraints de passer par de longues années de statut précaire, et pour ceux qui travaillent en tant qu’employés le constat de ce à quoi ils peuvent prétendre sur le marché immobilier en particulier au regard de leur revenu est amer.
On comprend ainsi aisément que ¾ des 18-25 ans aient la conviction que leur vie ne sera pas meilleure que celle de leurs parents. Les enquêtes sociologiques évoquent « le sentiment d’appartenir à une génération sacrifiée » et expliquent ce pessimisme record par les « crises en cascade » : le manque de croissance, la dette publique, la crise du logement, de l’université, de l’intégration… Le fonctionnement actuel du marché du travail instaure une barrière à l’entrée difficilement franchissable, ce qui génère une incertitude des jeunes sur leur capacité à prendre leur autonomie.
Plus préoccupant encore que cette inquiétude généralisée, l’affaiblissement de la méritocratie et de la mobilité sociale crée les conditions d’un enfermement d’une partie de la jeunesse qui a de bonnes raisons de se sentir d’avance exclue du jeu. En cause ici des institutions scolaires censées incarner les possibilités d’ascension sociale grâce au mérite personnel, qui ne remplissent plus leur rôle. Symptomatique de ce changement de paradigme, une étude consacrée à l’Ecole Polytechnique conclut que « mieux vaut être parisien issu d’une famille aisée que jeune provincial boursier » et souligne qu’ « on compte aujourd’hui moins de fils d’ouvriers dans les classes préparatoires qui mènent aux grandes écoles que dans la France des années 50 ». Plusieurs études et ouvrages récents amènent aux mêmes conclusions, si bien qu’aujourd’hui personne ne nie plus cette réalité : l’école reproduit les inégalités. En 2005, Georges Felouzis dans L’apartheid scolaire : enquête sur la ségrégation ethnique dans les collèges, levait ce tabou en mesurant pour la première fois en France le niveau de ségrégation ethnique dans une académie. Il mettait ainsi en évidence l’existence d’établissements scolaires fortement ségrégués, du fait notamment des stratégies d’évitement des familles, connus depuis sous l’appellation de « ghettos scolaires ».
Cette année dans Le destin au berceau, inégalités et reproduction social, le sociologue Camille Peugny rappelle que la République « méritocratique » est un mythe. La mobilité sociale, après avoir progressé des années 50 aux années 70, stagne depuis 1977. Le clivage entre qualifiés et non-qualifiés supplante progressivement celui entre employés et ouvriers, l’école consolidant la stratification sociale en la faisant reposer sur des critères scolaires plutôt que sociaux. Et le milieu social d’origine reste pénalisant, puisqu’à niveau de diplôme et orientation équivalents, les enfants d’ouvriers ont statistiquement moins de chances de parvenir à un métier de CPIS (cadres et professions intermédiaires supérieures) que les enfants de cadres.
La réalité est donc bien loin de la France démocratique et « moyennisée ». La jeunesse est coupée en deux et le destin au sein d’une même classe d’âge sera différent selon que le jeune sera diplômé ou non. L’école produit de l’échec et le marché du travail accentue les clivages. Les jeunes sans diplôme et sans soutien familial se retrouvent dans des situations de grande détresse économique sans pouvoir bénéficier d’aucune aide sociale tant les conditions d’accès sont restrictives lorsqu’on a moins de vingt-cinq ans.
En définitive l’élimination des plus faibles est quasi-systématique. Pour les enfants qui grandissent dans des quartiers relégués, mais également pour les jeunes issus de l’immigration, les dés seraient pipés ; ce n’est pas une affirmation controversée d’auteur de pamphlet, mais bien une observation formulée par les institutions elles-mêmes, qu’il s’agisse du Conseil national d’évaluation du système scolaire ou de France Stratégie.
En effet, une note du CNESO intitulée « École, immigration et mixités sociale et ethnique » montre que les résultats scolaires des élèves issus de l’immigration se sont dégradés durant la dernière décennie. A 15 ans, près de la moitié de ces élèves issus de l’immigration présentent des difficultés scolaires sévères qui vont obérer la poursuite de leurs études secondaires et supérieures.
Ce phénomène est intimement lié à la ségrégation sociale et ethnique en milieu scolaire et va au-delà de la performance scolaire. Plus les écoles sont ségréguées socialement et ethniquement, plus les problèmes de santé des jeunes, leur consommation de stupéfiants, les incivilités, les maternités précoces, l’intolérance vis-à-vis de l’étranger ou plus généralement de l’altérité, la difficulté à dialoguer et à travailler avec des jeunes de milieux sociaux et culturels différents… progressent. Notre système scolaire produit du séparatisme ethnique et plus globalement social, il génère donc logiquement un fort sentiment d’injustice.
Les travaux de France Stratégie confirment ce constat en matière d’insertion professionnelle des jeunes issus de l’immigration (« Jeunes issus de l’immigration, quels obstacles à leur insertion économique ? »).
Les jeunes descendants d’immigrés sont plus souvent sans diplôme à la fin de leur scolarité que les natifs, ou atteignent en moyenne des niveaux de diplôme moins élevés, dans des filières souvent moins porteuses en matière d’insertion professionnelle. Plusieurs facteurs sont relevés, comme la ségrégation spatiale encore une fois (70 % de jeunes d’origine immigrée à Saint-Denis ou Grigny, environ 75 % à Clichy-sous-Bois, Aubervilliers et La Courneuve – Aubry B. et Tribalat M., 2011) et le retard dans la maîtrise de la langue, et les difficultés d’apprentissage, lié à une scolarisation plus tardive en maternelle. Les conséquences en termes d’emploi sont sans surprise : les descendants d’immigrés sont davantage exposés au chômage que les natifs sans ascendance migratoire directe (14,2 % de taux de chômage contre 8,6 % en 2012) et c’est particulièrement vrai pour les jeunes de moins de 25 ans d’origine africaine dont le taux de chômage dépasse les 40 %, soit presque le double du taux des jeunes sans ascendance migratoire directe. On peut noter également que le seul fait d’habiter en ZUS accroît la probabilité d’être au chômage de moitié par rapport à un habitant hors ZUS.
A ce stade, sans trop anticiper sur les développements qui suivent, on perçoit déjà la profondeur des frustrations qui peuvent détourner une grande partie de la jeunesse de la société. Les enquêtes montrent que les aspirations des jeunes sont relativement simples : exercer un métier et fonder une famille, or pour les plus défavorisés ces objectifs semblent inatteignables, ce qui nourrit frustration et défiance à l’égard de la société démocratique, mine leur sentiment d’appartenance et peut éventuellement les conduire à des comportements de rupture.
1. c – La fébrilité psychique et morale
Les comportements à risque et l’état psychique des jeunes nous renseignent également sur leur état d’esprit et leur rapport à la société. De ce point de vue, le diagnostic est celui d’une jeunesse insouciante, tant certains comportements relèvent d’un déni manifeste du danger, mais aussi celui d’un mal-être croissant.
La pratique du « binge drinking », qui consiste à boire de grandes quantités d’alcool le plus rapidement possible, chez les adolescents de plus en plus jeunes, est symptomatique des risques pris par les jeunes en toute connaissance de cause. Malgré les multiples campagnes d’information et de prévention sur les dangers encourus, ils persistent dans leurs comportements à risque. La consommation d’alcool ou d’autres substances psychoactives, les relations sexuelles non protégées, les conduites routières dangereuses, les ivresses répétées correspondent chez certains, notamment les garçons, à la recherche du plaisir et de l’adrénaline, mais ces comportements à risque peuvent aussi être l’expression d’un mal-être et dans tous les cas ils conduisent à des risques accrus de marginalisation sociale et de pathologie à l’âge adulte.
Une étude menée en 2014 par l’Unicef France relève que plus d’un jeune sur trois (36.3%) serait en souffrance psychologique. Conduite auprès de 11 000 jeunes de 6 à 18 ans, elle a été intitulée « Adolescents en France : le grand malaise ». Ce mal-être concerne leurs conditions et cadre de vie, relations familiales, amicales, ou leur expérience scolaire. Il a conduit 28% des adolescents interrogés à penser au suicide (34 % chez les filles, 19.5 % chez les garçons), 1 sur 10 déclare avoir tenté de se suicider.
Les relations familiales ont un rôle important : si 1 jeune seulement sur 10 a le sentiment de ne pas pouvoir compter sur (ou compter pour) sa mère ou son père, environ 40% ont des relations tendues avec un de leur parents (tensions qui surviennent le plus souvent en cumul avec d’autres difficultés : familles monoparentales ou recomposées, problèmes économiques…).
Conséquence ultime de ce mal-être, le suicide est la 2ème cause de mortalité chez les jeunes (après les accidents de la circulation, 16.3 % du total des décès). Certes ce n’est pas chez les jeunes que le taux de mortalité par suicide est le plus élevé, mais environ 600 jeunes de moins de 25 ans se suicident chaque année. Trois facteurs récurrents sont cités par les professionnels : manifestations psychiques (troubles anxieux, dépressifs), consommation de produits psychoactifs (tabac, alcool, stupéfiants) et conditions de vie (précarité, relations interpersonnelles…), à côté des autres facteurs de risque comme les discriminations (homophobie notamment), le harcèlement à l’école ou sur les réseaux sociaux (1/3 des jeunes déclare faire l’objet de harcèlement ou être ennuyé à l’école), les évènements douloureux durant l’enfance et les situations de stress économique.
Une note de l’INJEP de 2015 sur le suicide des jeunes pointe d’autre part un fait remarquable. Un tiers des jeunes qui ont tentés de se suicider n’ont eu recours ni à une structure ni à un professionnel de santé. Toutes les tentatives de suicide ne donnent pas lieu à enregistrement, c’est le cas quand il n’y a pas d’hospitalisation, ou seulement passage aux urgences, et quand les conséquences de la tentative sont jugées peu graves sur le plan somatique. Les chiffres sont donc probablement sous-estimés, cela révèle surtout des carences évidentes dans la prise en charge.
Les services psychiatriques existent pour prendre en charge les cas pathologiques graves, mais qu’en est-il de l’accompagnement des jeunes en souffrance dans leur quotidien ? A priori, comme pour ceux dont la tentative de suicide est passée inaperçue, ils n’ont pas accès à un soutien psychologique. La psychologie et la psychothérapie se sont peut-être banalisées dans une frange intellectuelle et urbaine de la société, mais c’est loin d’être le cas partout. La récente grève des personnels du secteur de pédopsychiatrie en Seine-Saint-Denis qui ne peuvent plus assurer leur mission de service public (plusieurs mois de délais sont nécessaires avant d’obtenir un rendez-vous) illustre bien cette situation.
1. d – Une génération connectée
Enfin, ce qui distingue incontestablement cette génération des précédentes, c’est son rapport aux nouvelles technologies de l’information et de la communication. Comme le souligne l’expression anglaise « digital natives », les jeunes dont nous parlons ont grandi dans un monde connecté et maîtrisent parfaitement les outils numériques et les réseaux sociaux.
Le fonctionnement des nouveaux médias impacte les formats et le contenu des produits culturels qu’ils consomment : primat de l’image, recherche du divertissement, de la provocation… L’environnement culturel de cette génération est caractérisé par la diffusion rapide et massive des succès, qui va de pair avec leur nature éphémère. La popularité de la plate-forme Youtube en est le symbole, de façon inédite ce réseau permet la diffusion en quelques jours et à l’échelle mondiale des succès musicaux ou des modes. Et il faut souligner que si ces mécanismes de diffusion rapide fonctionnent pour les artistes célèbres ou les grandes entreprises qui investissent dans la communication virale, ils sont aussi à la portée du simple bloggeur depuis son salon. Tout internaute peut créer ses contenus et les mettre en ligne, certains inconnus ont ainsi rencontré un grand succès.
Danah Boyd, qui a travaillé surtout auprès de jeunes américains, est considérée comme l’une des meilleures spécialistes des pratiques des jeunes sur internet. Elle décrit les réseaux sociaux comme « un espace public » dans lequel traînent les jeunes, se substituant aux lieux de rencontre physiques qui disparaissent avec la transformation des villes. Elle note en effet que si le monde virtuel permet de bannir les frontières géographiques, en réalité les jeunes l’utilisent d’abord pour communiquer avec leur cercle d’amis proches.
D’autre part elle décrypte les comportements et l’utilisation des applications. Les selfies ne sont pas qu’un geste narcissique, ils sont une manière de « prendre possession d’un lieu, d’un moment et d’un contexte ». Les images ou les phrases partagées dans l’espoir d’un « j’aime » participent d’une recherche et d’un besoin d’attention, tout-à-fait naturelle à un âge où l’on se construit une identité. Il est intéressant de constater qu’internet induit de nouveaux usages mais ne modifie pas les motivations ou les objectifs recherchés par les jeunes : échanger avec leurs amis en dehors des adultes, construire son image et son identité, rechercher l’assentiment… Il en va de même pour les centres d’intérêt des jeunes qui sont très proches de ceux de leurs parents plusieurs décennies auparavant. Sur l’application YAX utilisée par les adolescents par exemple, où ils peuvent aborder tous les sujets, on observe que les thématiques les plus récurrentes sont le sexe et l’amitié, suivies par la religion, ce qui est plus original mais s’explique par la date de ce relevé, février 2015.
Il faut donc comprendre qu’internet est devenu une partie de l’univers social des jeunes, ils s’y comportent comme des acteurs tout-à-fait maîtres de leurs mouvements car ils en maîtrisent les codes. Par le choix des sites consultés, des images « likées » ou « retwitées », l’adhésion à des communautés, ils se forgent un profil à leur image et interagissent en produisant ou en diffusant des contenus. C’est un lieu d’échanges, où ils jouent, où ils nourrissent et entretiennent des amitiés, où ils nouent des relations sentimentales…. Si pour les adultes internet est un outil (de recherche d’information, de gain de temps, de communication) mis au service de leurs activités réelles, pour les jeunes c’est une partie de leur vie, au même titre que le réel.
Défiance envers les médias traditionnels
D’autre part, si internet n’est pas nécessairement facteur d’acculturation, il est vrai qu’il contribue à la diffusion de croyances irrationnelles. Le phénomène désarçonne les adultes, qui manquent d’arguments pour contrer des théories finement élaborées, images à l’appui, et distillées par de multiples canaux. En 2014, la MIVILUDES (mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) a observé la propagation des théories du complot, sans parvenir à identifier de source structurée. Elle faisait alors l’analogie avec la mode du satanisme et du spiritisme dans les années 90-2000 et rappelait que le questionnement du monde, la volonté de chercher des réponses ésotériques, de provoquer les adultes et de bousculer leurs certitudes étaient des comportements adolescents typiques.
Dès 2005, Pierre-André Taguieff expliquait le succès des récits sur les Illuminati dans La Foire aux illuminés : « Le récit Illuminati donne l’impression de connaître la cause de nos malheurs : discriminations, pauvreté, racisme. Pour des jeunes qui se sentent victimisés, ce grand récit explicatif omnipotent est séduisant : ils tiennent leurs coupables. Les Illuminati englobent les capitalistes, les francs-maçons, les juifs, les monarques, les clubs d’hommes politiques, les sociétés pseudo-secrètes, les finances apatrides, les banquiers, etc. ». Rudy Reichstadt, directeur du site Conspiracy Watch, spécialisé sur ces questions, met également en avant la fonction gratifiante des théories complotistes pour des jeunes qui acquièrent ainsi « un discours politique propre ».
S’il faut s’inquiéter de ces phénomènes plutôt que de les mettre sur le compte d’une rébellion adolescente passagère, c’est d’une part à cause du public qu’ils touchent : des jeunes issus des milieux défavorisés, des ZEP et lycées professionnels, mais aussi de plus en plus d’étudiants, même au niveau de la licence, et d’autre part parce qu’ils font écho aux thèses de Dieudonné et de Soral qui professent qu’une oligarchie financiaro-américano-israéelienne (« l’empire ») dirige le monde.
Enfin, le fait que les téléphones portables soient devenus les principaux terminaux consultés par les jeunes, y compris pour prendre connaissance de l’actualité, va de pair avec la perte d’influence des médias d’information traditionnels que sont la presse et la télévision. Les jeunes les consultent moins, mais au-delà certains ne leur font plus confiance. Alors que les adultes considèrent la presse comme la source d’information la plus fiable, une grande partie de la jeunesse s’en méfient parce qu’ils seraient « du système ». L’expression témoigne de l’influence des théories complotistes, mais plus généralement c’est par le biais de sites d’information alternatifs, ou des vidéos qui circulent sur les grandes plateformes d’échange, que le doute s’installe sur certains faits. Et en quelque sorte plus la supercherie serait grande plus elle serait crédible aux yeux des jeunes, puisque dès le lendemain des attentats du 11 septembre, un élève de Seine-Saint-Denis affirmait à son professeur que « c’était un coup des juifs ».
1. e – La politique sans les partis
Après avoir décrit les évènements qui ont façonné leur vision du monde et relevé les éléments saillants de leurs conditions de vie, sur le plan économique et social et sur le plan psychique, ce portrait de la jeunesse s’achève sur son rapport à la politique et sur la façon dont elle s’engage.
Avant de s’intéresser aux jeunes engagés dans des actions militantes ou des organisations politiques, arrêtons-nous sur le regard que porte la jeunesse sur la société et le monde politique. L’enquête menée par France Télévisions fin 2013, « Génération quoi ? », à laquelle plus de 210 000 jeunes de 18 à 34 ans ont répondu, nous renseigne sur leur état d’esprit.
En premier lieu la crise économique et les difficultés d’accès au monde du travail semblent peser très lourd sur leur vision de l’avenir, d’autant plus que pour 81 % d’entre eux le travail est important dans leur vie. Si deux tiers d’entre eux sont plutôt optimistes quant à leur devenir personnel, ils sont en revanche majoritairement désabusés quant aux perspectives offertes à leur génération, qu’ils qualifient de « sacrifiée » ou « perdue ». Les mots sont forts et reflètent un constat très sombre : 45 % des jeunes interrogés imaginent que leur vie sera pire que celle de leurs parents. Olivier Galland, sociologue spécialiste de la jeunesse, cite dans son dernier ouvrage un sondage de 2012 selon lequel 79% des 18-30 ans se déclarent pessimistes concernant l’avenir de la société française. Camille Peugny qui a analysé les résultats de l’étude de France Télévision remarque que le « poids du discours de crise dans lequel nous baignons » peut conduire certains à noircir le tableau mais note cependant que le pessimisme est d’autant plus fort chez les jeunes peu diplômés ou en statut précaire et qu’il est donc bien corrélé à une réalité.
La désillusion qui semble caractériser cette jeunesse s’explique aussi par la fin du mythe de la société méritocratique. 70 % des jeunes ont le sentiment que la société française ne leur donne pas les moyens de montrer ce dont ils sont capables (ils étaient 53 % en 2006) et 61 % pensent que le système éducatif ne récompense pas le mérite. Enfin deux phénomènes découlent assez logiquement de ce qui précède : la famille apparaît comme une valeur refuge, vécue majoritairement positivement, et trois quarts des jeunes sont tentés par un départ à l’étranger. Notons que les doutes de la jeunesse sur son avenir et sa vision d’une société et d’un système scolaire bloqués correspondent en tout point à ce que les données socio-économiques et les sociologues mettent en évidence.
Quant au jugement des jeunes sur la politique, il est sans appel. Certes certaines valeurs restent plus fortes dans la jeunesse, en particulier la solidarité et la tolérance (70% par exemple estiment que l’immigration est une source d’enrichissement). Ils s’engagent volontiers dans des actions locales et sont favorables à 80% à un service civique obligatoire. Mais la défiance face à la politique traditionnelle et aux institutions est immense, qu’il s’agisse des médias (40 % de non-confiance) ou des hommes et femmes politiques. La moitié des jeunes pensent qu’ils sont « tous corrompus», et surtout ils sont 90 % à considérer que les politiques laissent la finance diriger le monde. Dès lors il semble évident que les jeunes ne voient pas leur salut dans l’engagement politique traditionnel dans un parti et se détournent aussi du vote. Une autre étude, réalisée par Audirep auprès de 15-30 ans a abouti au même constat, ce sont 30 % des jeunes qui ne se retrouvent dans aucune proposition de l’échiquier politique actuel.
Quelles dynamiques peuvent découler de ces résultats ? Deux perspectives significatives se dessinent. D’abord, comme le décrit Cécile Van de Velde, « à l’image de ce qui se passe dans l’ensemble de la société, une grosse minorité campe sur des positions autoritaires et xénophobes. Une véritable bombe à retardement. Ce sont les jeunes invisibles, dans des vies d’impasse, perdants de la mondialisation. Beaucoup de ruraux et de périurbains, en difficulté, déclassés. Ils sont souvent tentés par le Front national. »
D’autre part, nous retiendrons tout particulièrement un chiffre de l’étude Génération quoi ? : 61% des jeunes interrogés participeraient à un mouvement de révolte de grande ampleur. Rien de surprenant lorsque la frustration se combine à l’impuissance du monde politique. Les conditions de la radicalisation sont réunies, pas seulement pour une frange marginalisée, mais bien pour une majorité de la jeunesse.
Des organisations de jeunesse en mutation
Pour confirmer les analyses issues des enquêtes sociologiques, mais aussi pour confronter l’état des lieux statistique de la jeunesse aux réalités vécues et aux paroles des jeunes eux-mêmes, différentes organisations de jeunesse, syndicats, mouvements d’éducation populaire, ou organisations politiques ont été interrogés. Leurs représentants ont été questionnés dans le cadre de ce rapport sur les formes d’engagement, l’appétence pour le militantisme et les revendications les plus mobilisatrices.
Ce qui ressort de ces auditions confirme que les aspirations relativement simples des jeunes (un métier, une famille) sont contrariées par les difficultés d’insertion professionnelle et la précarité dans l’emploi. Doutant d’avoir accès à une réelle autonomie, ils sont dans l’incapacité de se projeter. Ce qui a significativement changé c’est qu’ils n’attendent plus des institutions qu’elles leur donnent les moyens de leur autonomie. Professeurs et conseillers d’orientation sont disqualifiés et ne sont donc plus respectés. Pour s’en sortir et réaliser leurs projets les jeunes comptent sur leurs proches, parents et copains.
N’y a-t-il pas un reflux de l’engagement ? Pour les aînés de cette génération qui ont assisté aux mouvements sociaux des années 90 et 2000 qui réunissaient dans les rues des centaines de milliers de jeunes (manifestations lycéennes ou mouvements contre le CIP), tels que l’on n’en a plus connu depuis les manifestations contre le CPE en 2006, l’hypothèse d’un recul de l’engagement chez les jeunes est logique.
Les responsables des organisations de jeunesse, quelle que soit leur orientation politique, ne partagent pas cette hypothèse. Pour eux les jeunes ne sont pas moins engagés, en revanche leurs motivations ont évolué. Les jeunes ne militent plus pour des transformations radicales ou pour des valeurs ; au contraire ils s’investissent sur des combats concrets, relevant de leur quotidien. Ils attendent de leur engagement un enrichissement personnel et des résultats visibles. Cette approche pragmatique de l’engagement, on la trouve chez les jeunes de la JOC qui s’entraident localement pour s’insérer professionnellement, ou chez les lycéens qui signent massivement une pétition pour que l’apprentissage du code de la route soit dispensé dans leurs établissements. Moins d’idéologie et plus de pragmatisme en somme. Ces témoignages reflètent une partie de la réalité et ne sont pas nécessairement contradictoires avec le fort potentiel de révolte qui ressort des enquêtes évoquées précédemment, les processus de conscientisation politique étant toujours faits d’une combinaison de différentes postures et niveaux de revendication.
Autre élément mis en avant par les organisations, le manque d’espace d’expression libre pour les jeunes, l’absence de lieux pour se retrouver et échanger. Cela semble difficile à concevoir à l’heure où internet est censé offrir une multitude de possibilités de s’exprimer et où les médias alternatifs se multiplient. Pourtant à bien y regarder, le manque de dialogue est bien réel. Dans le milieu scolaire tout d’abord, il n’y a pas qu’entre professeurs et parents qu’on ne parvient pas à se comprendre. N’a-t-on pas, après les attentats de janvier, entendu les professeurs témoigner de leur difficulté à aborder certains sujets avec leurs élèves ? Qu’il s’agisse de l’éducation à la sexualité ou de la déconstruction des préjugés, les associations qui interviennent dans les établissements témoignent autant de la disponibilité et de la forte participation des élèves que de l’attitude ambiguë des enseignants et responsables d’établissements, partagés entre demande de formation et crainte d’être débordés par l’ouverture d’espaces de dialogue.
Et dans la société civile, si le jeunisme s’impose dans le marketing ou dans la mode, c’est l’image des jeunes qui est recherchée (les attitudes, les vêtements, la musique) et certainement pas ses idées ou son point de vue. Les adultes cherchent parfois à leur ressembler mais ne s’intéressent pas réellement à ce qu’ils ont à dire. Tout simplement on ne donne pas la parole aux jeunes, les responsables des organisations politiques le déplorent mais qui les entend ?
Un dernier aspect de ce qui se joue dans le déficit de dialogue et d’expression, l’absence de confrontation entre les points de vue, doit être relevé. Les communautés virtuelles et réelles dans lesquelles les jeunes évoluent sont de plus en plus des communautés d’identité, de ressemblance ; or en évoluant dans ce type de milieu fermé et homogène on ne se confronte pas à l’altérité, on finit même par ignorer qu’un autre point de vue est possible. Les associations qui interviennent dans les établissements scolaires pour travailler sur les préjugés et tenter de les déconstruire en dialoguant avec les élèves témoignent que la méconnaissance est souvent à l’origine des stéréotypes. L’une des forces de leur action est de faire intervenir dans les classes des animateurs issus de diverses cultures et confessions, tout simplement pour répondre aux questions que les élèves se posent. On voit bien ici, si trivial que cela puisse paraître, tous les bénéfices à retirer du développement des échanges et du dialogue dans les établissements scolaires et dans toutes les collectivités.
Une jeunesse frustrée, prête à basculer
Le portrait de la jeunesse dressé ici n’est évidemment pas exhaustif mais il met en évidence quelques traits saillants qui la rendent singulière et la différencient des générations précédentes.
D’abord la frustration. Elle nait d’une situation paradoxale : l’entrée précoce dans le monde adulte est favorisée par l’autonomie dans l’accès à l’information et les relations sociales (socialisations multiples et choisies, en dehors des cadres physiques de l’école, du voisinage ou des loisirs) permise par les nouvelles technologies ; mais l’insertion professionnelle et l’accès à l’autonomie réelle, financière ou termes de logement, s’avèrent difficiles et plus tardifs. Cette génération n’a connu que la société mondialisée et très concurrentielle, elle a totalement intériorisé le « struggle for life », la lutte contre le déclassement, dans laquelle se débattent ses aînés. Elle n’a pas expérimenté le volet intégrateur des mécanismes de protection sociale ou la capacité émancipatrice de l’éducation nationale et à cet égard les acquis sociaux-démocrates ou progressistes sont ressentis comme les privilèges d’une génération qui ne veut pas céder sa place. Dès lors la société est vécue comme totalement verrouillée, ce qui génère une grande frustration.
Ce sentiment que, quels que soient leurs efforts, ils pourront difficilement assouvir leurs aspirations est destructeur pour des jeunes qui rêvent eux de réussite rapide et clinquante. Pour beaucoup ils prennent le contrepied de la bien-pensance adulte qui les enjoint à l’abnégation et à la modération et refusent de rester anonymes. A l’origine de cette aspiration se trouve probablement le rôle crucial de l’image et du regard des pairs chez les adolescents, qui a toujours existé mais est devenu prépondérant aujourd’hui. On le constate dans l’environnement scolaire où les jeunes cherchent absolument à être associés à un groupe car le moindre faux pas peut conduire au harcèlement et à l’exclusion.
Cette soif de reconnaissance des pairs et de valorisation de son image, qui revient à maîtriser sa réputation, à être performant, renvoie à une logique de domination : l’obligation d’affirmation virile pour les garçons et de choix radicaux (tout ou rien) en terme de sexualité pour les filles.
Pour comprendre leur vision du monde, il faut prendre la mesure de ce que donnent à voir les conflits armés, les crises financières et les catastrophes environnementales, qui installent une atmosphère « apocalyptique » de « crise perpétuelle ». Comment les jeunes appréhendent-ils cette instabilité ? L’omniprésence de la violence, les conflits armés qui se succèdent et l’exclusion partout visible dans l’espace public, tout porte à croire que nous n’allons pas vers l’apaisement et la prospérité généralisée. Au contraire, cette conjoncture millénariste serait le signe que le vieux système se craquèle et s’essouffle, créant une situation propice aux bouleversements et donc aux radicalités.
Enfin, si la situation donne l’impression aux jeunes que tout peut basculer, c’est à cause de ces crises en cascade, mais c’est aussi parce qu’ils ne s’inscrivent pas dans une perspective solide, structurante et mobilisatrice. Le corpus de valeurs et l’ordre social très peu contraignant de nos sociétés démocratiques occidentales ne fournit pas un cadre suffisamment englobant et sécurisant pour s’y ancrer et s’y attacher. Chacun est libre de ses pensées, de son comportement et peut mener sa vie comme il l’entend dès lors qu’il n’empêche pas les autres d’en faire autant. La notion de République est inintelligible, comme diluée dans le libéralisme et la modernité, et le sentiment d’appartenance à une communauté nationale est très affaibli. Or une partie de la jeunesse refuse ces valeurs trop « molles » et cherche à se distinguer. A côté de ceux qui briguent la richesse et la célébrité, certains réclament de l’ordre et la moralisation de la société décadente pour retrouver une fierté et un sentiment de supériorité (l’extrême-droite et les identitaires), d’autres essaient de mettre en pratique une contre-culture et des alternatives à nos modes de production et de consommation, les derniers enfin sont tentés de renverser la table…
2. 2. Dé mocratie de façade mocratie de façade mocratie de façademocratie de façademocratie de façade mocratie de façademocratie de façademocratie de façade mocratie de façademocratie de façademocratie de façademocratie de façade mocratie de façade et et et répurépurépurépublique désincarnée blique désincarnée blique désincarnéeblique désincarnée blique désincarnéeblique désincarnée blique désincarnée blique désincarnée blique désincarnée , comment la , comment la , comment la , comment la , comment la , comment la , comment la crise nourrit les extrêmes crise nourrit les extrêmes crise nourrit les extrêmescrise nourrit les extrêmes crise nourrit les extrêmes crise nourrit les extrêmes crise nourrit les extrêmescrise nourrit les extrêmescrise nourrit les extrêmes crise nourrit les extrêmescrise nourrit les extrêmes crise nourrit les extrêmescrise nourrit les extrêmes ?
Le développement de formes d’action alternatives aux mouvements sociaux traditionnels, l’usage de la violence dans les manifestations et la radicalisation de certains discours politiques traduisent l’affaiblissement des mécanismes démocratiques de régulation et de règlement des conflits. La radicalité politique s’exprime à travers des mouvements très variés, aux valeurs parfois opposées, mais qui partagent le rejet de la démocratie représentative. En cela les groupes radicaux, certes minoritaires, sont le symptôme d’une crise politique profonde, confirmée à chaque élection par les taux d’abstention très élevés.
En passant en revue rapidement les nouvelles formes de radicalité, il apparaît nettement que le radicalisme islamiste est aujourd’hui le plus dangereux, du point de vue de son emprise et des failles qu’il creuse au sein de notre société. Néanmoins l’implantation de l’extrême-droite dans le paysage politique, et notamment son audience auprès de la jeunesse, est également très préoccupante car facteur de division et de délitement de la cohésion nationale.
2. a – Défiance envers la démocratie
Nouvelles formes de lutte
Dans le domaine de la contestation sociale, le début du XXIème siècle marque indéniablement un tournant avec la disparition des luttes sociales adossées aux idéologies révolutionnaires marxistes qui ont structuré des générations de militants. L’ultra-gauche n’a pas disparu mais ses combats et ses modes d’organisation ont changé de nature.
On a affaire aujourd’hui à des groupes d’individus autonomes à la recherche d’actions directes plutôt qu’à des organisations militantes structurées. Constellations, ouvrage collectif paru en 2014, témoigne de l’émergence de modalités d’action alternatives en retraçant les luttes « alter » depuis 2000. Ces mouvements liés à des projets spécifiques ou à une revendication précise (le mouvement Génération Précaire qui défendait les stagiaires et précaires ou Don Quichotte sur le logement par exemple) menés par des communautés protéiformes réinventant les outils révolutionnaires. On y trouve le récit des squats organisés dans les villes ou à la campagne, des expériences de jardins communautaires, des actions de soutien aux sans-papiers… de multiples initiatives qui ne s’inscrivent pas nécessairement dans un projet de grand bouleversement, de « grand soir », mais participent plutôt d’une volonté de s’ancrer et de se réapproprier le territoire.
L’une des caractéristiques de ces luttes, qui les distingue des mouvements sociaux traditionnels, est leur capacité à « s’organiser sans organisation ». Les Indignados ou les occupants de Wall Street par exemple revendiquaient le fait d’être « apolitique » et « sans-chef ». On retrouve ce principe d’autogestion dans le fonctionnement des Zones à Défendre (ZAD) qui illustrent sûrement le mieux ces nouvelles formes de mobilisation. La première est née à Notre-Dame-des-Landes en 2012 pour contester le projet d’aéroport qualifié de « Grand Projet Imposé Inutile », elle rassemble des profils divers, écologistes, décroissants, anarcho-autonomes… autour de la volonté de construire un mode de vie collectif alternatif
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à la société de consommation. La primauté du combat local, la méfiance vis-à-vis des médias, les modes d’organisation informels et collaboratifs, le mépris des forces de l’ordre, sont autant de traits qui distinguent les zadistes de leurs aînés militants. Certains d’ailleurs font débat chez les théoriciens révolutionnaires contemporains qui s’interrogent sur les débouchés potentiels de ces mobilisations, la nécessité de globaliser les combats et d’y associer d’autres pans de la société.
Dans un autre registre, le développement des Anonymous s’inscrit dans cette même recherche d’action directe et de nouveaux outils de contestation.
Violence et « radicalité antisystème » assumées
D’autre part depuis quelques années des groupes radicaux revendiquent l’usage de la violence dans les manifestations. La radicalité antisystème est assumée, l’action directe devient une finalité en soi et la violence prend la place du discours politique.
Les Black Blocs, pour qui « frapper un flic ce n’est pas de la violence mais de la vengeance » contre des institutions illégitimes, s’inscrivent dans cette logique. Apparus en 1999 lors du sommet de l’OMC à Seattle ils sont à l’origine de pillages et de dégradations en marge des manifestations, recherchent sciemment l’affrontement avec les forces de l’ordre, et surtout ils n’ont pas d’autre existence que ces manifestations brutales et ponctuelles. A l’extrême-gauche comme à l’extrême-droite, plusieurs groupuscules recourent ainsi à la violence. Cela a conduit à la mort d’un militant, Clément Méric, en juin 2013, lors d’une rixe contre des jeunes nationalistes révolutionnaires, ou encore aux violences commises en marge des manifestations de la Manif pour Tous.
Et sans que cela ne relève tout-à-fait de la même logique, puisque ce n’est pas le fait de groupes plus ou moins organisés, la profanation du cimetière juif de Sarre Union ou le projet d’attentat contre une mosquée de jeunes du lycée militaire de Montbonnot-Saint-Martin (Isère) sont symptomatiques du niveau de violence dont est capable la jeunesse et de sa banalisation.
Radicalisation politique
Enfin, l’extrême-droite se radicalise, non pas tant dans ses actes que dans son discours. On observe un double mouvement, la banalisation et l’institutionnalisation politique d’une part, et l’affirmation des identitaires comme tête de pont dans la société d’autre part.
Ces dernières années, l’extrême-droite s’est installée dans le paysage politique français au gré de ses victoires électorales. Elle a acquis une forme de respectabilité qui permet désormais à ses électeurs et ses partisans de s’afficher publiquement, ce qui est une nouveauté. Elle est même devenue la première force politique chez les moins de 35 ans : 30 % d’entre eux ont en effet voté pour les candidats du Rassemblement Bleu Marine aux élections européennes de 2014. Cette ascension traduit la banalisation de ses idées dans la société qui se manifeste également par la multiplication des insultes racistes ou homophobes assumées par leurs auteurs dans l’espace public.
Quant au mouvement des identitaires, il dépoussière en quelque sorte l’image de l’extrême-droite en adoptant des outils modernes, ils sont très présents sur internet, et en s’investissant par exemple dans la création de groupes musicaux. Le Bloc Identitaire s’est fait connaître en créant du buzz avec ses apéros « saucisson-pinard » par exemple, et on ne compte plus les sites d’information comme « fdesouche.com » (français de souche) qui distillent sous couvert d’une information objective des idées réactionnaires, des arguments contre l’immigration et l’islam. A cet égard le lissage des discours électoraux ne doit pas occulter la radicalité du projet politique. Fermer les frontières et sortir de l’euro, cesser d’accueillir des immigrés sur notre territoire, stigmatiser les musulmans, retirer la possibilité de se marier aux couples homosexuels, envisager, même par le biais d’un référendum, de rétablir la peine de mort, toutes ces propositions de l’extrême-droite sont d’une violence symbolique extrêmement forte pour une grande partie de la communauté nationale.
En dehors de l’émergence des identitaires, qui s’appuient sur un discours banalisé dans la société française et disposent des soutiens nécessaires pour s’installer dans la durée, comme une sorte d’avant-garde de l’extrême-droite, on note que les groupes radicaux tels que les Black Blocks ou les antifascistes ne cherchent pas à se constituer comme des entités structurées et stables. Au contraire il s’agit plutôt de nébuleuses, de regroupements ponctuels liés à un évènement.
Ces différentes formes de radicalisation semblent contenues par les services de police et de renseignement. Qu’il s’agisse de l’ultra-droite ou de l’ultra-gauche, les effectifs sont peu nombreux, et les actions restent classiques, des occupations de chantier notamment. Pour y faire face, les autorités ont des moyens adaptés et bénéficient d’un savoir-faire éprouvé en matière de maintien de l’ordre. Quant aux mouvances anarcho-autonomes, leur nature même, très désorganisée, incite à croire qu’ils ne représentent pas une menace réelle dans l’immédiat.
Ce que l’on retient surtout, c’est l’investissement des sujets environnementaux et des enjeux de territoire par l’ultra-gauche, comme point de départ de la contestation du système démocratique et de la construction de modes de vie collectifs alternatifs. Compte tenu de la sensibilité des questions environnementales dans la société et chez les jeunes en particulier, l’hypothèse de la multiplication dans les années à venir de sites de ZAD et de projets d’aménagement contestés est réaliste et par la même préoccupante.
2. b – Djihadisme, l’hybride politico-religieux
La révolution convertie à l’islam
Le succès du fondamentalisme religieux auquel souscrivent des milliers de personnes y compris dans les sociétés les plus développées ne cesse d’interroger les observateurs. Comment à l’ère du numérique, de la modernité débordante, peut-on adhérer à des idéologies présentées comme relativement primaires et sans fondement théologique solide ?
L’émergence de l’islamisme radical et particulièrement du djihadisme n’ont pas été perçues immédiatement par nos sociétés démocratiques comme un réel danger. Les pays concernés au Maghreb, au Moyen-Orient ou en Asie du Sud-Est partageaient des points communs : pas ou peu démocratiques, un niveau de développement faible, des disparités sociales extrêmes, un système éducatif primaire et une absence de séparation entre religion et Etat, voire une religion portée par l’Etat lui-même. Ces caractéristiques permettaient de comprendre, si ce n’est la forme, du moins les raisons des actes de rébellion contre les autorités et institutions de ces pays. Si la diatribe révolutionnaire iranienne a dans un premier temps inquiété, l’image plutôt sympathique du peshmerga afghan luttant contre les hélicoptères soviétiques aux cris d’ « allah akbar » a détourné l’attention du phénomène naissant.
Présenté comme avant tout un phénomène sectaire (déjà !), l’islamisme révolutionnaire iranien marque en réalité la naissance d’un nouveau syncrétisme, celui du fait totalitaire religieux et de la contestation politique révolutionnaire. Dès lors l’islam n’est plus uniquement un fait religieux, mais il est revendiqué comme un fait politique. De tels mouvements ont eu lieu au sein des églises chrétiennes, le plus connu étant la « théologie de la libération », mais le fait religieux et l’acte politique restaient séparés et le projet politique passait toujours par l’alliance avec d’autres forces autour d’idéaux démocratiques ou sociaux. Aussi si l’idéologie islamiste est souvent datée du début du XXème siècle, avec la pensée des Frères musulmans, la révolution iranienne reste l’acte politique majeur et réalisé qui va influencer d’abord les pays musulmans puis le reste du monde, et ce dans un projet assumé de révolution radicale et mondiale. Des attentats du 11 septembre à l’émergence de Daesh, c’est le même processus qui se développe.
Crise politique et radicalité
Au coeur du processus à l’oeuvre on retrouve une constante. L’expression politique radicale, le basculement dans la violence, se fait toujours quand apparaît une double impasse politique. « Ni Est ni Ouest, Dieu » proclament les banderoles islamistes. Quand les forces politiques progressistes et les forces conservatrices se retrouvent renvoyées dos à dos, la solution la plus aboutie radicalement parlant peut se développer. Dans les pays musulmans et avec beaucoup de facilité, l’islamisme radical s’est imposé. Dans les pays non musulmans, d’autres forces de radicalité voient le jour, souvent à caractère nationaliste et xénophobe dans les pays les plus fragiles démocratiquement. Au coeur même des pays les plus avancés ces tendances s’expriment : poussée électorale fulgurante ou durable de l’extrême-droite, émergence d’une gauche « révolutionnaire » parfois victorieuse aux élections comme en Grèce, organisations clandestines de contestation symbolique violente tel les Black Blocks, multiplication des actions de blocage, d’occupation de lieux publics, création de Zones à Défendre (ZAD), résurgence des théories révolutionnaires et anarchistes violentes…
Pour comprendre ce désir d’action directe, de destruction du système, qui semble exclure tout mot d’ordre intermédiaire, il faut rappeler l’effondrement des forces de contestation traditionnelles. Les idéologies et les structures d’encadrement qui canalisaient auparavant les volontés de transformation sont disqualifiées, dès lors le champ est libre pour les extrêmes.
République momifiée
De tels phénomènes sont présents depuis longtemps dans notre pays. La crise des « bonnets rouges » en Bretagne par exemple illustrait les risques de déchirement qui menacent notre nation. L’appréciation politique du danger pour l’équilibre de la société de telle ou telle forme de radicalité ne fait pas consensus dans notre pays. Certains trouvent normal d’occuper de force un territoire, d’affronter les forces de l’ordre, de prendre le risque de blessures graves et de victimes car la cause serait juste. D’autres comprennent l’expression de violences homophobes, de menaces sur les élus, de refus de l’autorité, parce qu’ils partagent le point de vue de leurs auteurs.
Le consensus républicain s’est effiloché pour devenir un decorum, respecté, fêté, solennisé. La République Française semble être une expression historique, souvent nostalgique, pour les forces politiques françaises. Le changement de paradigme de la société mondialisée, l’intégration européenne actuelle, la mondialisation économique agissent comme des « normalisateurs » de la société française, de la même façon que pour les autres nations qui nous entourent.
La République se distingue des autres modèles démocratiques parce qu’elle constitue la nation autour d’un projet collectif émancipateur tel qu’il fut rappelé par le Conseil National de la Résistance. Résumer la crise française aux difficultés économiques est réducteur, les faits politiques de ces dernières années le prouvent, en particulier l’élection présidentielle de 2002. En définitive, la crise politique est déterminante, y compris dans la persistance de nos difficultés sociales et économiques. Sans projet collectif puissant, notre pays est soumis aux forces centrifuges du monde, aux intérêts divergents de groupes et d’individus. De fait la France est affaiblie. Nos institutions sont de plus en plus contestées, l’action publique bloquée, la morale citoyenne reléguée derrière l’esprit de communauté, de territoire, voire les valeurs consuméristes. Dans un jeu de faux-semblant, les références nationales, nos symboles, notre drapeau sont de plus en plus présents, alors même qu’au coeur de la société ce qui nous unit s’étiole et se déchire.
La crise française est une vieille connaissance. On en parle depuis tellement longtemps que chacun a fini par se lasser et par s’adapter de gré ou de force aux nouvelles réalités qui s’imposent. La déstructuration sociale a atteint un stade critique, mais surtout une double fracture territoriale s’est produite ces dernières années. D’abord dans les zones rurales où la fin de l’Etat providence, la rationalisation des politiques publiques et la désindustrialisation ont rompu un continuum républicain. Avoir 20 ans dans certains territoires c’est se sentir enfermé et sans perspective ; pour les plus âgés c’est attendre son tour, celui où tout s’effondre, où plus rien n’est comme avant. L’autre fracture c’est celle des banlieues des pôles urbains. Comment douter de leur « explosivité » ? Misère aux portes des richesses, déstructuration des forces sociales traditionnelles, concentration des populations étrangères ou des « minorités visibles »… Les émeutes de 2005, par leur durée et par leur ampleur, suffisent pour décrire cette fracture républicaine. La France rurale, territoire symbole de la droite, les quartiers populaires, étendards de la gauche, une double fracture, un double échec qui rassemble les conditions d’émergence de la radicalité politique.
Islamisme vs fascisme
Dans la diversité radicale du paysage français deux forces semblent avoir pris l’ascendant. L’extrême-droite a atteint en France un niveau historique ces dernières années lors des différentes élections. Dans de nombreuses régions, des nébuleuses de groupes violents d’extrême-droite apparaissent, même si à ce jour ils restent à l’état groupusculaire.
La radicalité islamiste est elle aussi dans un mouvement ascendant au sein de notre société. Au-delà des chiffres officiels des départs vers le théâtre de guerre (457 français sont actuellement en Syrie et en Irak, 320 sont en transit et 521 projettent de s’y rendre), il faut prendre en compte l’organisation de réseaux sur le territoire et surtout l’influence croissante des djihadistes sur une partie de la population. Si la résurgence et l’attractivité de l’extrême-droite est relativement bien analysée, l’implantation et l’adhésion des jeunes de notre pays au djihadisme surprennent. Pourquoi ? Tout part de l’a priori religieux sur ce phénomène. La religion joue son rôle, les musulmans sont particulièrement visés par cette idéologie et les auteurs des différents attentats et crimes sur notre territoire le démontrent. Pourtant les djihadistes de la nouvelle génération ne viennent pas que des banlieues, nombre d’entre eux ne sont pas issus de culture ou de famille musulmane (près de 30 %) et ne correspondent pas aux profils d’individus fragiles psychologiquement ou d’adolescents en rupture. La diversité des recrues du djihadisme s’élargit sans cesse. Ni musulmanes, ni fragiles, ni en crise d’adolescence, les nouvelles recrues marquent par leur profil la nouvelle dimension de cette radicalité, sa dimension politique.
Face aux autres offres radicales qui visent la jeunesse, le djihadisme a une longueur d’avance aussi bien dans sa dimension politique que théorique. Bénéficiant de territoires, de pays conquis, d’une zone de guerre contrôlée, cette force a acquis une expérience et des moyens puissants et revendique maintenant le statut d’Etat. C’est une chose de proclamer l’action directe, c’en est une autre de la réaliser, surtout à grande échelle. Pour un jeune homme, une jeune femme assoiffée d’action, le djihad serait l’évidence. Il ne s’agit pas simplement d’assouvir réellement des pulsions meurtrières ou des envies de guerre. La dimension théorique du djihad est la plus complète dans son rejet de la démocratie, dans la désignation de responsables à abattre et enfin dans l’affirmation d’un contre modèle total. Au creux de l’offre idéologique des forces politiques traditionnelles, le djihad propose des explications et une solution globales.
Théorie du complot
Au coeur des radicalités de différentes natures on trouve toujours la propagande, le discours et la manipulation. Tous les mouvements et regroupements qui prônent la violence comme forme d’action ont besoin de la justifier et d’amener les individus qu’ils manipulent à ne pas avoir d’autre choix que le passage à l’acte. Evidemment le vecteur essentiel de cette action psychologique est internet mais pas seulement. Ouvrages, article de presse, rumeurs, chaînes de SMS… par capillarité de multiples moyens s’entrecroisent pour rendre efficace le « bourrage de crâne ». Et dans ce domaine l’extrême-droite et les islamistes radicaux sont en pointe.
La particularité de ces deux radicalités repose sur leur capacité à relayer leur vision du monde par l’ensemble de leurs membres et sympathisants de manière à faire croire à l’objectivité de leur point de vue. Ces mouvements ont des outils identifiés de communication et expriment par voie certifiée leurs positions. Pourtant, conscients du rejet a priori des idéologies, ils prennent soin de diffuser l’essentiel de leur message par les rumeurs, les fausses informations, les montages et autres manipulations d’images.
L’efficacité de leur technique de manipulation repose sur deux éléments. Le premier c’est la défiance de plus en plus forte de la population, et des jeunes en particulier, vis-à-vis des médias installés et plus encore de la parole de l’autorité publique. Quand, en choeur, journaux et responsables dénoncent la « théorie du complot », les nouveaux manipulateurs leur retournent l’argument. Le recours outrancier aux techniques de communication pour justifier l’action de certains états et en particulier des Etats-Unis finit par se retourner contre ses utilisateurs. Ainsi l’accès aux archives textuelles et visuelles et la possibilité de les diffuser massivement brisent les codes de la manipulation. Il suffit pour un jeune de voir quelques images sur la guerre en Irak menée par les Etats-Unis pour être « accroché » d’abord au doute, puis lentement à la conviction que tout le monde ment et que la vérité est ailleurs. La preuve de la présence d’armes de destruction massive « bidonnée » à l’ONU, la fille d’un ambassadeur koweïtien présentée comme une jeune réfugiée, chaque acte de « communication maîtrisée » a fourni autant
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d’arguments pour décrédibiliser la parole des démocraties et celle des médias qui l’ont relayée. Les organisations islamistes sont dans ce domaine les plus outillées, les plus pointues dans leurs techniques de déconstruction du discours des autorités.
La seconde technique repose sur le relais par la population elle-même de leur idéologie. Tout dans leur action porte vers cet objectif : travailler en profondeur les populations, semer le doute, lever une contre opinion pour agir efficacement et à long terme. Dans cette logique, la forme particulière des attentats, volontairement spectaculaire (New York, Madrid, Londres, Paris…) est un déclencheur puissant de leur manipulation. En choquant les opinions, en créant un trouble chez les autorités (perceptible dans l’image du président américain le 11 septembre), l’objectif est de briser le cycle classique de l’information de masse, de percuter les esprits les plus faibles et d’entraîner la recherche par les individus eux-mêmes d’une autre explication. Si les adultes plus expérimentés en restent souvent au stade du doute, les jeunes eux deviennent très vite les relais de la propagande, par l’intermédiaire de la rumeur et de la circulation d’images, de textes parfois grossièrement manipulés mais qui impactent fortement.
Au-delà de justifier leurs actes, les techniques de propagande des radicaux islamistes visent à construire et renforcer une vision binaire du bien et du mal et à déconstruire tout ce qui créerait un doute à leur égard. Aussi à la suite des attentats de janvier 2015, c’est autour des images du véhicule des frères Kouachi que l’opération de désinformation s’est organisée. L’affaire des rétroviseurs de différentes couleurs, qui semblait si simpliste aux yeux des médias, avait un but précis : semer le doute sur le meurtre du policier Ahmed Merabet. Pourquoi ? S’agissant d’un policier français, musulman, se sacrifiant pour sa mission et exécuté sans défense, cet acte risquait de nuire à leur image de « justicier ». Autant la tuerie à Charlie Hebdo que les crimes de l’Hyper Cacher sont assumés, autant ces images du policier à terre leur posaient problème, c’est donc sur ce fait que l’action de propagande s’est concentrée. Si elle paraissait grossière dans un premier temps, le doute distillé dans l’esprit de certains individus a tout de même fait son chemin et à moyen ou long terme le meurtre pourrait être remis en question. Aucun site islamiste, aucune expression de ce mouvement ne reviendra sur ce fait, c’est au coeur de la population et dans la jeunesse que la propagande continuera de prospérer, sous forme de rumeurs et de fausses affirmations. Ce qu’il est convenu de nommer « théorie du complot » n’est donc qu’un outil de la guerre de l’information que mènent les forces islamistes radicales. Le désemparement des médias et des autorités face à ce discours démontre simplement qu’à ce jour les techniques et l’expérience de ces mouvements sont redoutables de modernité et d’efficacité. Ce n’est pas l’outil internet en soi qui est à l’origine de la puissance de la propagande des djihadistes, mais leur maîtrise de cet outil, leur connaissance des phénomènes d’opinion et leur usage de la « neutralité » du net.
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3. 3. Succès du djihadisme, radicalité ultiuccès du djihadisme, radicalité ulti uccès du djihadisme, radicalité ulti uccès du djihadisme, radicalité ultiuccès du djihadisme, radicalité ultiuccès du djihadisme, radicalité ultiuccès du djihadisme, radicalité ultiuccès du djihadisme, radicalité ulti uccès du djihadisme, radicalité ultiuccès du djihadisme, radicalité ulti uccès du djihadisme, radicalité ulti uccès du djihadisme, radicalité ulti uccès du djihadisme, radicalité ulti uccès du djihadisme, radicalité ultiuccès du djihadisme, radicalité ulti uccès du djihadisme, radicalité ultiuccès du djihadisme, radicalité ulti uccès du djihadisme, radicalité ultiuccès du djihadisme, radicalité ulti uccès du djihadisme, radicalité ulti uccès du djihadisme, radicalité ultiuccès du djihadisme, radicalité ultiuccès du djihadisme, radicalité ultiuccès du djihadisme, radicalité ultime, qu’est me, qu’est me, qu’est me, qu’est -ce qui conduit à ce qui conduit à ce qui conduit à ce qui conduit à ce qui conduit à ce qui conduit à ce qui conduit à ce qui conduit à ce qui conduit à prendre les armesprendre les armesprendre les armes prendre les armesprendre les armesprendre les armes prendre les armesprendre les armes prendre les armesprendre les armesprendre les armes ?
Le portrait de la jeunesse dressé au début de ce rapport souligne les difficultés de celle-ci à se projeter et à trouver sa place dans la société. Le choix de la radicalité dans l’expression ou les modes d’action des contestataires et le rejet des mécanismes traditionnels de régulation et de représentation indiquent que le malaise va au-delà d’une question d’insertion professionnelle et économique. Il y a bien une défiance forte vis-à-vis de nos institutions et de notre démocratie.
Mais cette défiance est sans commune mesure avec le phénomène de rupture totale avec la République auquel on assiste avec le basculement de centaines de jeunes Français dans le djihadisme. Apparu en 2013, le phénomène a rapidement pris de l’ampleur et prospéré en 2014, bénéficiant des victoires militaires et de la création de l’Etat islamique. De jeunes européens affichent fièrement leur rôle de bourreaux dans des vidéos d’exécution, des citoyens français commettent des attentats sur le territoire national contre des journalistes, des policiers, des juifs ; la société française a été sidérée en réalisant que ses propres enfants pouvaient la haïr au point de rejoindre les rangs des terroristes.
Si l’on considère le nombre français partis rejoindre les rangs des combattants islamistes en Irak et en Syrie ou se préparant à partir (plus de 1 750 français sont impliqués d’une façon ou d’une autre dans les filières djihadistes) et le niveau d’implication personnelle que requiert cet engagement, le djihadisme est bien la radicalité qui prédomine aujourd’hui dans l’offensive anti-démocratique. La description et la lecture de ce phénomène présentées dans ce rapport s’appuient sur des entretiens avec des acteurs publics et associatifs qui prennent en charge les familles, ainsi que des journalistes et universitaires qui travaillent sur cette question.
Il en ressort tout d’abord que le public touché n’est pas limité à des individus marginalisés et fragiles, le phénomène se répand dans toutes les catégories de la jeunesse, y compris chez des étudiants ou des jeunes filles de milieux catholiques favorisés par exemple. D’autre part on ne peut pas réduire cette radicalisation à un phénomène religieux. La dimension politique et géopolitique, de combat contre l’oppresseur occidental, et la légitimation de la violence érigée en programme politique, sont déterminants dans l’attractivité du djihadisme. Ces deux éléments confèrent au phénomène un fort potentiel de développement et font craindre qu’il ne devienne un phénomène de masse.
Une nouvelle génération de djihadistes
Tout d’abord, même si quelques européens étaient partis lors des conflits d’Afghanistan et de Bosnie rejoindre le théâtre des opérations, c’est bien à une nouvelle génération de djihadistes que nous avons affaire, comme le soulignent Gilles Kepel ou Farhid Khosrokhavar. En effet dans les années 90, les chiffres étaient sans commune mesure avec ceux que l’on connaît aujourd’hui et les profils étaient beaucoup moins diversifiés. Ce qui marque la nouvelle forme de djihadisme depuis 2013, c’est en effet qu’elle attire de nouveaux profils, jeunes des classes moyennes, jeunes femmes, « des jeunes pas du tout issus des banlieues, (qui) n’ont aucun passif judiciaire, ne sont pas dans la délinquance ». « Le djihadisme s’élargit donc, en acquérant de nouveaux visages. Il y a des jeunes filles, (…) des convertis aussi. Des anciens bouddhistes, qui se sont convertis à l’islam. On a quelques cas de juifs qui se sont reconvertis à l’islam radical. On a des chrétiens. Des laïcs. » (Farhad Khosrokhavar). Peter Neumann de
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l’ICSR, centre de recherche londonien, souligne la jeunesse du public touché en Europe, des mineurs de 15 à 17 ans.
Ces nouveaux profils s’ajoutent aux profils observés à partir des années 90, décrits par Farhad Khosrokhavar : celui des jeunes issus pour la plupart de cités, de troisième ou quatrième génération d’origine nord-africaine, « qui pensent que la société leur en veut, les déteste, qu’ils sont les victimes innocentes de gens qui les marginalisent en les enfermant dans ces espèces de ghettos que sont les cités » ; celui des individus radicalisés en prison et celui des jeunes totalement « désislamisés » qui consomment de l’alcool, de la drogue, fréquentent des filles, puis finissent par se « réislamiser » radicalement.
Les signalements recueillis par le numéro vert créé en avril 2014 et par les services déconcentrés (les états-majors de sécurité départementaux) confirment la diversification des profils des personnes qui basculent. Le phénomène touche toutes les régions et toutes les catégories sociales, ce qui amène certains acteurs à parler d’ « épidémie ». Parmi les 3 600 individus détectés, engagés dans un processus de radicalisation, on compte d’abord une majorité de jeunes de moins de 25 ans (65 %). La tranche d’âge des 18-25 ans est la plus concernée et s’y ajoute 25 % de mineurs.
De plus, il faut relever que l’on trouve 40 % de femmes, 55% de convertis et que 50% des individus signalés n’étaient pas connus des services de police et de gendarmerie. En termes de catégorie socio-professionnelle, on peut noter, même s’il ne faut pas extrapoler ce chiffre à l’ensemble des signalements, que parmi les 160 familles suivies par le CPDSI (Centre de Prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam) de Dounia Bouzar, 80 % sont issues des CSP moyennes et supérieures.
Enfin la carte des signalements montre que toutes les régions sont concernées (un seul département est épargné). Celles qui sont le plus touchées sont assez logiquement les régions urbaines denses, l’Ile-de-France, le Nord, le Sud-Est et le Sud-Ouest, mais des départs ont lieu également depuis des zones rurales et des villes moyennes.
L’ampleur du phénomène et sa pénétration dans tous les milieux, avec la radicalisation de jeunes étudiants et de jeunes filles en particulier, indiquent qu’on pourrait basculer dans un phénomène de masse. Depuis janvier 2015, de 150 appels par mois environ au CNAPR (la plateforme du numéro vert), on est passé à 300, cette augmentation pourrait être liée à la médiatisation du djihadisme suite aux attentats et aux campagnes de sensibilisation sur le numéro vert, mais elle témoigne surtout de la diffusion du phénomène. Quant aux nouveaux profils, des diplômés et des jeunes filles, ils correspondent à des cibles spécifiquement visées par les recruteurs. En effet les écoutants du numéro vert ont remarqué que certaines compétences semblent plus particulièrement recherchées : infirmiers, artificiers, sportifs, ingénieurs. Au même titre que la stratégie de recrutement axée sur les jeunes filles, cela démontre leur volonté de construire une société.
Au vu de ces données, désigner les individus radicalisés comme des fous ou des marginaux serait une contre vérité. Dans son livre Le vrai visage des terroristes, Marc Sageman l’exprime très clairement : « l’idée que nous nous faisons du terroriste est en fait un cliché : celui du déshérité-révolté ayant grandi dans les faubourgs misérables du monde arabe et en proie à quelque désordre mental (…) Le djihadiste (…) ressemble davantage à un étudiant petit-bourgeois acculturé et frustré qu’à un damné de la terre ».
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Des profils d’individus fragiles ou marginalisés
Les jeunes en difficulté et fragiles font bien partie des proies des recruteurs djihadistes qui exploitent leurs failles en leur offrant une nouvelle communauté et en répondant à leurs doutes d’individus en construction. Les psychologues qui ont suivi des jeunes radicalisés soulignent que beaucoup ont en commun des questionnements identitaires et des structures familiales défaillantes. Ils décrivent des jeunes « sans père ni repère », en quête de sens et d’identité, ne se sentant pas appartenir à la communauté nationale, ayant connu des enfances difficiles, liées à l’absence de père, à la maltraitance parfois.
Les traumatismes liés à des maltraitances psychiques, physiques, verbales ou sexuelles peu ou mal pris en charge, les parcours chaotiques, les évènements traumatiques ou les « chocs moraux » liés à des images, la défaillance ou l’absence de la figure d’autorité, ces facteurs isolés ou combinés sont à l’origine d’une fragilité qui rend l’individu plus perméable aux logiques d’endoctrinement. Un mécanisme similaire est à l’oeuvre chez des garçons avec des problèmes psycho-pathologiques qui consomment beaucoup de haschich, à qui les religieux tendent la main et proposent de s’en sortir tout en accédant à la connaissance.
Chez des individus fragiles l’emprise du discours des recruteurs est d’autant plus forte qu’ils apportent une réponse totale qui comprend à la fois des valeurs très strictes et des règles de comportement pour tous les moments de la vie quotidienne. En opposition à la société de liberté, ils fournissent un véritable manuel de vie et un accompagnement permanent, en rythmant toute la journée par les prières et les rites, en réglementant les comportements vestimentaires, l’alimentation, les lectures, les fréquentations et en apportant une réponse identitaire qui tranche avec le consumérisme anomisant et l’identité laïque et républicaine désincarnée.
Cette première approche du processus de radicalisation centrée sur la fragilité des individus touchés reflète effectivement une partie de la réalité, elle est rassurante pour les observateurs car elle fournit une explication intelligible et laisse entrevoir une solution. Les djihadistes séduisent des jeunes qui sont déjà dans des situations de décrochage parce qu’ils sont les premiers à leur tendre la main ; il suffirait alors d’apporter de l’aide à ces jeunes pour les détourner de la voie radicale.
Malheureusement on ne peut se contenter de cette explication mécanique fondée sur les facteurs sociologiques et psychologiques. Plusieurs études européennes dont l’objectif était d’identifier les profils et les facteurs de radicalisation ont en effet montré qu’il ne s’agissait pas d’un processus linéaire et renoncé à distinguer des parcours types, tant les facteurs et combinaisons de facteurs multiples observés étaient nombreux.
Si les premières vagues de djihadistes comportaient essentiellement des individus fragilisés, plus faciles à recruter, désormais les recruteurs ciblent des proies au profil plus stable et moins détectable et on peut penser que ce phénomène va s’amplifier.
Les convictions djihadistes
« En France comme dans le reste de l’Occident, il y a un recrutement de la désespérance sociale, de gens issus de milieux sociaux très défavorisés, mais la nouveauté réside dans le phénomène des conversions, qui touche les classes moyennes et procède donc d’une analyse sociologique totalement différente :
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dans ce cas ça n’est pas la situation économique et sociale qui justifie les postures radicales » (Pierre Conesa). On ne peut donc pas faire l’impasse sur d’autres dimensions du basculement des jeunes, beaucoup plus déstabilisantes pour notre société, celle du projet de vie et de l’adhésion au projet politique.
En écoutant les parents qui parlent de ce que leurs enfants partis en Syrie leur écrivent et les psychologues qui suivent des jeunes signalés pour leur projet de départ, on distingue nettement un facteur positif, volontaire, dans l’engagement des jeunes dans le djihad. Il peut être de deux types.
D’abord il y a la volonté de bâtir un projet de vie, dans cette dynamique ce qui attire en Syrie ce sont les perspectives professionnelles et le statut social qu’offrent Daesh. Il s’agit d’une réalité, à leur arrivée les apprentis djihadistes reçoivent une somme d’argent, une maison ; ils se voient confier un rôle dans la communauté et sont payés. 2000 dollars à l’arrivée, puis 800 dollars par mois plus 200 dollars supplémentaires par femme et par enfant. Outre l’offre de pureté, de rédemption et d’accès au paradis pour soi et 70 membres de sa famille, le djihad prend en charge financièrement, professionnellement et maritalement ses membres. Le fait est que Daesh a entrepris de structurer le territoire qu’il a conquis comme un Etat et recrute des médecins, des juges, des électriciens, etc. afin de s’en donner les attributs. Si bien que des jeunes installés en Syrie ou en Irak disent à leurs proches y avoir trouvé « leur paradis ». D’un certain point de vue des jeunes vont faire le djihad simplement pour avoir une vie meilleure, à l’image de ce jeune homme qui pour convaincre sa petite amie de partir avec lui faisait remarquer qu’en restant en France ils ne pourraient jamais se payer la maison qui leur serait mise à disposition là-bas. Cet aspect du succès du djihadisme est sûrement trop dérangeant pour être mis en avant, mais il n’en est pas moins vrai.
Les observateurs qui se sont penchés sur le parcours de français qui ont commis des attentats, les Kouachi, Merah ou Nemmouche, notent que tous, à un moment ou à un autre de leur vie, ont tenté de s’en sortir positivement, en essayant d’entrer dans l’armée par exemple, et qu’ils ont échoué, ce qui les a alors conduit à envisager d’autres voies. Il y a une forme d’accomplissement dans leur décision de passer à l’acte, aussi difficile que cela puisse être à concevoir.
L’autre facteur d’engagement volontaire et positif au djihadisme est l’adhésion à un projet politique, à une idéologie de rupture avec les sociétés occidentales décadentes. L’offre de Daesh fait écho à la contestation de l’impérialisme américain, aux thèses complotistes et antisémites, éléments présents à différents niveaux dans l’imaginaire de la jeunesse (les palestiniens opprimés par les juifs soutenus par les Etats-Unis, les médias noyautés pour formater des consommateurs, etc.). Son discours s’appuie judicieusement sur la réalité de la multiplication des conflits internationaux et les ambiguïtés diplomatiques : chaos irakien, guerre en Libye, financement de groupes armés par certains pays du Golfe. La sensibilité des jeunes aux questions internationales et géopolitiques explique que beaucoup aient été happés par la propagande réalisée autour du peuple syrien martyrisé, décimé dans l’indifférence de la communauté internationale et sous le regard des grandes puissances. Et cette accroche fonctionne autant chez des jeunes filles en quête de pureté, désireuses de s’investir dans l’humanitaire, qui ont une vision très idéalisée et naïve, que chez des garçons pétris de « haine » de l’Etat français, rêvant de passer à l’action. Aussi violente donc que soit l’action djihadiste, elle se pare des attraits de ce qui ressemble à un nouveau romantisme révolutionnaire.
Xavier Crettiez, professeur de sciences politiques, en a décrypté l’un des ressorts. Avec le déclin de l’ultra-gauche depuis les générations des années 60 et 70, la notabilisation de l’extrême-droite et son
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intégration au système politique, l’abandon de la violence par les mouvements nationalistes et indépendantistes, la véritable radicalité est aujourd’hui du côté des djihadistes. Pierre Conesa a également insisté sur l’importance de la dimension géopolitique du phénomène. « Toutes les analyses ne tiennent pas compte des politiques extérieures. Or la radicalisation sectaire salafiste/djihadiste, contrairement à d’autres sectes, se base avant tout sur des thèmes internationaux : victimisation des musulmans, théorie du complot américano-juif… Quand vous trouvez sur des sites web djihadistes : « 2000 morts à Gaza et on ne fait rien, 4 occidentaux égorgés on envoie l’armée », vous ne pouvez pas avoir de contre-arguments face à ce type de posture diplomatique. Et tant qu’on ne prend pas en compte cette dimension de la politique extérieure, une des causes de la mobilisation et de la radicalisation ne sera pas arrêtée ». « Par ailleurs, à la mobilisation du tiers-mondisme des années 70-80, à la lutte contre l’impérialisme et à l’action violente de l’extrême-gauche, succède, pour certains, la défense des musulmans, nouvelle cause du héros positif qui part défendre des victimes. »
L’un des arguments développés systématiquement par les recruteurs est la discrimination à l’égard des populations de confession musulmane installées dans les pays occidentaux. Il s’inscrit dans la stratégie développée par Al-Souri en 2004, dont les thèses ont été traduites par Gilles Kepel en 2008 dans Terreur et martyr. Cette stratégie est d’approfondir les failles dans les sociétés occidentales entre les populations d’origine musulmane et les autres, taxées d’islamophobie, pour créer à terme des situations de guerre civile selon la logique « provocation – répression – solidarité ». Cet argument de l’islamophobie des sociétés occidentales est d’autant plus facile à utiliser pour les recruteurs djihadistes qu’il a été installé depuis plusieurs années par les militants islamistes. Ils ont d’ailleurs inventé le terme d’islamophobie pour évoquer le racisme contre les musulmans, afin de renforcer l’union des populations musulmanes autour de revendications qui les singularisent de la communauté nationale.
Géraldine Casutt, chercheuse travaillant sur les femmes djihadistes à l’EHESS, met en évidence la déclinaison de cet argument à destination des femmes. « L’idéologie djihadiste a tendance à présenter la femme comme un être de très grande valeur, complémentaire de l’homme. Une image de la femme musulmane (« al-ukhti », « ma soeur » en arabe) bafouée, selon eux, en Occident et dans les pays musulmans qu’ils estiment corrompus. (…) Ce discours résonne dans l’esprit des jeunes femmes et jeunes hommes qui ont développé un certain ressentiment à l’encontre des politiques religieuses menées dans leur pays. Ces femmes ont le sentiment de servir une cause qu’elles estiment juste. A travers le djihad syrien, et l’éventuelle création d’un nouvel État islamique, elles endossent la défense des musulmans et musulmanes réprimés dans le monde». Nahida Nakad, journaliste, consultante en relations internationales, évoque ce même « lavage de cerveau visant à faire croire aux femmes que seul l’islam les respecte et que l’Occident leur manque de respect, puisque cette société montre leur corps et les oblige à côtoyer des hommes ».
La force de l’endoctrinement
La force des djihadistes est d’avoir su développer un discours et des arguments qui résonnent chez les jeunes mais elle s’explique aussi par le recours à des mécanismes qui relèvent de l’endoctrinement.
Les recruteurs utilisent en effet des techniques qui relèvent des dynamiques sectaires. Ils sèment le doute chez leurs cibles et leur imposent petit à petit une nouvelle croyance, en remplaçant leur raison par la répétition et le mimétisme. La nouvelle recrue est intégrée dans une nouvelle communauté et entretenue dans l’état d’esprit de la clandestinité, ce qui l’amène à cesser ses anciennes activités mais surtout à rompre avec sa famille, soit frontalement soit par désaffiliation progressive. Ce processus
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sectaire fait du débutant un prosélyte qui critique l’attitude impure de ses proches et cherche à leur imposer certaines pratiques, ce qui accélère la rupture.
Ce mécanisme de « captation de l’âme » et de la raison d’un individu fonctionne parce qu’il est relayé par un travail qui relève du harcèlement. Les vidéos très élaborées des recruteurs agissent comme des appâts en quelque sorte, pour « hameçonner » et diriger les individus vers des forums et des blogs où des tuteurs vont les prendre en charge, prenant la posture du grand frère, du séducteur ou de la soeur. Ces individus jouent un rôle, aussi voire plus déterminant, qu’internet dans la radicalisation des jeunes ciblés. Ils les contactent dès lors quotidiennement, par internet ou par téléphone, pour leur rappeler les rites à effectuer, leur enseigner des préceptes religieux ou distiller des commentaires sur l’actualité. Et il y a également des lieux de prière clandestins, des cybercafés, où ils se retrouvent physiquement.
Les convertis illustrent bien cette logique où le débutant devient prosélyte car ils sont souvent les plus zélés, se sentant obligés d’en faire plus pour démontrer leur loyauté et la sincérité de leur nouvelle foi. Et il s’avère que leur maîtrise des codes des deux mondes, par leur milieu social et culturel d’origine et la connaissance qu’ils ont acquis de l’islam au cours de leur apprentissage pour se convertir (alors que les individus d’origine musulmane n’ont en général pas suivi d’enseignements théologiques), leur confère une autorité et un ascendant particulier. C’est ce que l’on observe dans les prisons notamment, mais c’est aussi le cas au sein des troupes de l’Etat islamique, plusieurs convertis étant à la tête de katibas.
Conscients de ce phénomène, les responsables de la plateforme de recueil des signalements conservent la trace des appels portant sur des conversions même s’ils ne les transmettent pas dans un premier temps aux préfectures concernées comme des signalements avérés, parce qu’ils ont constaté que dans la majorité des cas les conversions rapides sont suivies de radicalisation.
D’autre part les discours des djihadistes exploitent des ressorts psychologiques « basiques », en promettant l’accès au paradis, l’épanouissement conjugal et la puissance. La sexualité joue bien sur un rôle et le tour de force des djihadistes est d’arriver à attirer aussi bien des jeunes filles dont la vision de l’amour est totalement idéalisée que des garçons à qui ils offrent tout simplement l’accès à une vie sexuelle par le mariage.
Surtout, ils proposent aux jeunes une aventure concrète qui fera d’eux des héros, leur offrent la possibilité d’échapper à la médiocrité et à l’anonymat de leur quotidien pour rejoindre une élite, une « race de seigneurs ». C’est le rôle de l’identité nouvelle de combattant qu’affichent fièrement ceux qui sont déjà partis rejoindre Daesh et postent sur internet leur portrait dans des postures sans équivoque sur leur fierté et leur sentiment de puissance. A cet égard, l’affirmation de soi, l’envie de plaire et de se singulariser, font indéniablement partie des motivations des jeunes tentés par le djihad.
Une jeunesse seule face au monde
Au moment même où le monde est en bouleversement, où de nouveaux outils d’information s’imposent, l’encadrement de la jeunesse n’a jamais été aussi faible. Les associations de proximité, dans les quartiers populaires comme dans les zones rurales, sont quasiment en voie de disparition. Dans une période de recul idéologique, de méfiance face aux formations politiques traditionnelles, le secteur associatif reste une des rares références de confiance chez les jeunes. Pourtant peu d’associations
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résistent sur le terrain, parfois par manque d’engagement mais le plus souvent faute de moyens. En effet même si les chiffres publiés régulièrement ne semblent pas indiquer de recul de l’activité associative, ils mettent en évidence l’évolution des modes d’engagement, plus ponctuels, sur des projets précis et sur des durées plus courtes.
Dans une société d’abondance en termes d’offre culturelle commerciale, les notions d’éducation populaire, d’accès à la culture et aux savoirs, de citoyenneté de proximité ont pu paraitre désuètes et onéreuses. Ces dernières années les politiques publiques n’ont cessé de se désengager du secteur associatif. Cette évolution s’est traduite sur le terrain par l’assèchement des subventions au profit d’une logique d’appels d’offres. Le caractère souple et amateur des associations s’est heurté à l’accumulation de règlements et de normes comptables contraignantes, tant et si bien que peu de jeunes souhaitent continuer l’aventure. Les meilleures volontés se brisent sur le « mur administratif » français.
Le maillage associatif, le liant social qu’il produisait, manque aux jeunes eux-mêmes, particulièrement les plus isolés, les plus démunis, mais il manque aussi aux institutions locales qui se retrouvent sans repère dans la jeunesse, sans interlocuteur. Les dispositifs publics destinés à la jeunesse sont eux totalement déconnectés des réalités des nouvelles générations. Souvent conçus comme des points de ressources et d’information, à l’heure d’internet ils se retrouvent sans utilité et sans capacité à remonter les informations sur la jeunesse.
Cette crise du milieu associatif jeune a un impact très fort sur les organisations politiques républicaines. Le monde associatif est le principal « réservoir » de futurs cadres politiques et les organisations de jeunesse des formations politiques manquent aujourd’hui de militants et de dirigeants portant les aspirations des nouvelles générations. Des sections jeunes en dépérissement c’est aussi, à terme, un assèchement du vivier des futurs cadres des partis et élus de la République.
Le réseau social humain
Différencier les organisations et les individus radicalisés et violents de ceux qui auraient simplement des convictions religieuses ou politiques radicales semble évident du point de vue de la loi et des libertés publiques. En tirer comme conclusion que les radicalités de discours et d’acte sont séparées et sans lien serait une erreur. Le djihadisme doit être conçu comme la partie la plus avancée de la radicalité politico-religieuse de l’islamisme. Non pas dans l’objectif de criminaliser tous ceux qui pensent contre nous, mais pour comprendre et combattre plus efficacement ce phénomène. Les dispositifs législatifs et institutionnels adoptés ces derniers mois en matière de surveillance et de prévention de la radicalisation apportent un début de réponse. Les signalements très nombreux depuis l’ouverture du numéro vert par le ministère de l’Intérieur et les institutions territoriales (3630) démontrent l’ampleur du phénomène. Et il faut y ajouter la partie non visible, les radicalisés qui ne laissent rien percevoir à l’extérieur.
Comment procèdent-ils pour avoir une si grande influence ? Les islamistes ont mis sur pied un réseau social humain où chacun joue un rôle dans l’expression de leur idéologie. Forts de leur longue expérience dans les pays arabes totalitaires, mélangeant les techniques de recrutement des sectes, des religions et des organisations révolutionnaires, ils ont élaboré une méthode pour s’implanter, élargir leur sphère d’influence et recruter dans notre pays sur tout le territoire.
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Les étapes de ce mécanisme apparaissent désormais assez clairement.
1. Commencer par planter un drapeau, autrement dit afficher ouvertement l’existence d’individus radicalisés. C’est là le rôle du voile puis de la burqa, ou des barbes non taillées et des vêtements traditionnels, voire de codes comme le port permanent de pantalons courts laissant voir les chevilles.
2. Construire un noyau assez convaincu pour essaimer sur le territoire à conquérir.
3. Elargir le cercle de connaissances aux sympathisants, c’est-à-dire celles et ceux qui ne veulent que discuter.
4. A partir de ce moment ne jamais laisser le sympathisant sans contact journalier pour le convaincre avant tout et en priorité sur le message religieux et les rites de purification. Le téléphone portable et les SMS sont alors utilisés en permanence pour faire basculer les individus dans des rites journaliers. A cela s’ajoutent des premiers éléments politiques centrés sur l’actualité et son interprétation.
5. Le néo-converti devient alors lui-même un élément moteur de recrutement, ce qui permet par capillarité de toucher de plus en plus de monde.
Il faut comprendre que l’objectif de ce réseau social humain n’est pas destiné à recruter simplement les combattants. C’est toute une communauté humaine qu’ils cherchent aussi à structurer, certains faisant le djihad pacifique (propagande, finance, logistique) et d’autres étant ciblés pour basculer dans la dimension militaire ou terroriste. Ce type d’implantation privilégie bien entendu les milieux urbains et particulièrement les cités populaires, mais on peut aussi le retrouver à petite échelle dans des zones rurales comme ce fut le cas à Lunel dans l’Hérault.
La nouvelle dimension du djihadisme doit donc nous interpeller sur les conséquences qu’elle engendre. L’implantation du radicalisme islamiste dans certaines parties de notre territoire et sa volonté de structuration de la population portent en germe des conflits de plus en plus compliqués à gérer par les institutions et les services de sécurité. Dès 2004, un rapport, rédigé par Jean-Pierre Obin sur les signes et manifestations d’appartenance religieuses dans les établissements scolaires, alertait sur les pressions exercées sur les jeunes filles, sur le financement problématique de certaines associations religieuses, et sur l’ethnicisation de l’identité musulmane liée à la montée de l’intégrisme. Si à l’époque on a pu croire que cela relevait uniquement d’une problématique religieuse, on comprend aujourd’hui comment les radicaux ont construit leur emprise sur certains quartiers.
Un phénomène qui impacte toute une génération
Plusieurs centaines de jeunes français ont basculé dans un processus de radicalisation, témoignant d’une véritable rupture avec la société française. C’est très préoccupant en soi mais aussi parce que cela impacte l’ensemble de la jeunesse.
Evidemment les jeunes ne sont pas tous tentés par le djihadisme, on peut même affirmer que nombre d’entre eux, qui disposent d’un bagage culturel solide et sont parfaitement insérés, sont à l’abri de cette dérive. Mais il faut tout de même prendre garde aux effets de contagion et d’identification croisée entre pairs, par lesquels une frange radicale peut influencer l’ensemble d’une génération.
On a pu constater lors de la minute de silence organisée dans les établissements scolaires en hommage aux victimes des attentats du mois de janvier le malaise exprimé par une grande partie des élèves. Près
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de la moitié d’entre eux ne se reconnaissaient pas dans le slogan « Je suis Charlie », il faut prendre la mesure de cette réalité. Cela ne signifie pas pour autant qu’ils sont prêts à passer à l’acte, mais c’est un indicateur du trouble semé dans leurs esprits par les discours sur le « deux poids deux mesures » et les diatribes antisystème et antimondialiste. Plus trivialement, dans certains établissements ou dans certains quartiers, le djihad bénéficie d’une sorte d’effet de mode. Cette influence est rendue possible par la démonétisation des valeurs démocratiques, et cette désaffection, ce détachement de la jeunesse des principes républicains, sont très alarmants parce qu’ils peuvent être lourds de conséquence.
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4. Les premières Les premièresLes premièresLes premières Les premièresLes premières réponseréponse réponse s publiquepubliquepubliquepubliquepublique publiquepubliques au djihadisme au djihadismeau djihadismeau djihadisme au djihadisme au djihadismeau djihadisme au djihadisme : d : détecter et étecter et étecter et étecter et étecter et étecter et étecter et prévenir les passages à l’acte prévenir les passages à l’acte prévenir les passages à l’acte prévenir les passages à l’acte prévenir les passages à l’acte prévenir les passages à l’acte prévenir les passages à l’acte prévenir les passages à l’acte prévenir les passages à l’acte prévenir les passages à l’acte prévenir les passages à l’acte prévenir les passages à l’acte prévenir les passages à l’acte
Les politiques de lutte contre le terrorisme et la radicalisation dans les pays occidentaux se sont développées depuis 2001. A partir de l’expérience des Pays-Bas et du Royaume-Uni qui les premiers ont initié des programmes de déradicalisation, des réseaux européens de recherche et de partage de bonnes pratiques se sont constitués, notamment à l’initiative de la Commission européenne. Mais la France était jusqu’à présent peu investie dans ces démarches, son approche vis-à-vis du terrorisme étant essentiellement répressive et judiciaire.
Ce n’est que récemment, au printemps 2014, que les pouvoirs publics français ont pris la pleine mesure du phénomène des départs de leurs ressortissants vers les théâtres d’opération syriens et irakiens pour rejoindre des organisations terroristes. L’identification du risque généré par cette nouvelle génération de terroristes, susceptibles de frapper le territoire national à leur retour, et la pression des familles désemparées face au départ de leurs proches, ont suscité une réaction déterminée de l’Etat français, rejoignant ainsi nombre de pays européens, comme la Belgique, l’Allemagne, le Danemark ou le Royaume-Uni, déjà dotés de politiques actives de lutte contre la radicalisation.
C’est dans ce contexte que, lors du conseil des Ministres du 23 avril 2014, le Gouvernement a présenté un plan de lutte contre la radicalisation violente et les filières terroristes, comportant un volet répressif, avec la présentation d’un nouveau projet de loi anti-terroriste visant à compléter un arsenal juridique déjà très complet, et un volet préventif destiné à combler les insuffisances du dispositif existant.
Un système de détection des individus en cours de radicalisation est mis en place, avec la création d’un numéro vert permettant de recueillir les signalements des proches ou des professionnels, pour prendre le relai des services de renseignement. En effet les effectifs de ces derniers, même renforcés, ne sont pas dimensionnés pour assurer le suivi de cohortes aussi nombreuses d’individus, et leurs méthodes ne sont pas adaptées aux nouveaux profils concernés, individus inconnus des services de police, jeunes étudiants insérés, etc.
En ce qui concerne la méthode de prévention de la radicalisation et l’accompagnement des familles, les pouvoirs publics ont choisi de s’appuyer sur l’expérience, même récente, des associations en contact avec les familles des jeunes radicalisés, et sur des dispositifs existants relevant essentiellement de la prévention de la délinquance, de la protection de l’enfance et de l’assistance aux victimes de maltraitances. Ces dispositifs mobilisent, au plan local, de multiples acteurs (administrations de l’Etat et des collectivités locales, institution judiciaire) et les actions mises en place s’appuient soit sur la notion d’assistance sociale, soit sur la notion de protection judiciaire. Dans un cas, elles nécessitent l’accord des intéressés (ou de leurs parents dans le cas de mineurs), dans l’autre cas, au titre de la protection de la jeunesse, les actions de suivi peuvent être imposées par le juge.
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Le dispositif de signalement et de prise en charge
Les modalités de mise en oeuvre du plan de lutte contre la radicalisation violente ont été précisées par la circulaire du ministre de l’Intérieur, en date du 29 avril 2014 qui affiche l’objectif de détecter les cas de radicalisation et de proposer aux individus non judiciarisés un suivi psychologique et social.
Le dispositif retenu s’appuie sur la mise en place d’un Centre national d’assistance et de prévention de la radicalisation (CNAPR) doté d’un numéro vert pour recueillir les signalements, complété d’une page web dédiée sur le site internet du ministère de l’Intérieur. Le CNAPR est géré par l’UCLAT (Unité de Coordination de la lutte anti-terroriste) au sein d’un nouveau département de lutte contre la radicalisation. Il regroupe une équipe d’une dizaine de professionnels, pour la plupart réservistes de la police nationale, formés à écouter et orienter les familles. Cette équipe d’écoutants est épaulée par une psychologue clinicienne, qui prend le relai dans les cas les plus difficiles.
Leur première mission est d’évaluer la pertinence des signalements, en interrogeant l’appelant à partir d’une grille d’indicateurs de basculement qui évalue le niveau de rupture de l’individu avec son environnement. Cette étape dite de « discernement » vise à identifier les cas qui relèvent uniquement de la dimension religieuse des cas de basculement dans une idéologie violente.
Dans les cas de présomption avérée de radicalisation, les appels sont transformés en signalements via l’établissement d’une fiche standardisée au niveau national, puis transmis très rapidement aux préfets concernés, selon le lieu de résidence du signalant, dans la perspective d’une prise en charge adaptée. Les fiches sont également envoyées aux états-majors de la DGSI et du SCRT, ainsi qu’à la Police de l’Air et des Frontières (DCPAF) en cas de présomption de départ vers la zone syro irakienne.
A la date du 4 juin, 2243 signalements ont ainsi été confirmés et transmis aux préfectures, à la DGSI et au SCRT.
Un rôle majeur a été confié dans le dispositif de prévention aux préfets de département auxquels il est demandé de mobiliser l’ensemble des services de l’Etat et leurs partenaires institutionnels (collectivités locales, associations) pour analyser chaque signalement, prévenir d’éventuels départs vers le Proche-Orient et, pour les individus non judiciarisés, mettre en place des parcours individualisés de réinsertion. Dans les départements les préfets ont été ainsi conduits à préciser les procédures d’instruction des signalements et d’opposition à la sortie du territoire, pour protéger les mineurs.
Ils ont également été chargés de mettre en place le cadre administratif de pilotage et les instances du dispositif. Un comité restreint, l’état-major de sécurité, autour du préfet et du procureur de la république, définit les mesures à prendre en urgence, par exemple un retrait de passeport, ou une saisine du juge au titre de l’enfance en danger. Puis une cellule départementale de suivi composée des services de l’état concernés par la prévention de la délinquance, l’éducation et la politique de la ville, des collectivités locales et de professionnels tels que des psychologues et des éducateurs spécialisés, élabore pour chaque cas un programme d’accompagnement constitué de deux volets. L’un porte sur la déconstruction psychologique, pris en charge par une association, et qui associe généralement les familles, l’autre concerne la reconstruction sociale et prend la forme d’un parcours de réinsertion (rescolarisation, chantier humanitaire) suivi par un référent de parcours identifié.
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L’objectif est de construire une réponse ciblée en direction de publics identifiés, les démarches d’accompagnement sont volontairement individualisées, élaborées dans un cadre pluridisciplinaire et expérimental.
Pour faire fonctionner ce dispositif les préfets doivent rechercher les bons interlocuteurs afin de s’appuyer sur un réseau de référents de terrain, impliquer l’ensemble des services pour capter les signaux faibles et faire remonter les signalements, et mobiliser les professionnels en capacité de prendre en charge l’accompagnement social et le soutien psychologique des individus signalés. Ils disposent à cet effet de crédits disponibles du FIPD (Fonds interministériel de prévention de la délinquance), pour développer par exemple des groupes de parole de soutien aux parents, mettre en place des chantiers d’insertion sociale ou des séjours éducatifs, ou encore recruter des référents de parcours, des psychologues et des psychiatres.
Depuis peu a été créée, au niveau national, une équipe mobile d’intervention, chargée d’apporter un soutien aux cellules de suivi départementales, notamment en les aidant à intervenir auprès des jeunes et de leurs familles et en formant sur le terrain les équipes locales à la méthodologie de soutien et d’accompagnement. Cette équipe d’intervention est celle du CPDSI (Dounia Bouzar).
Enfin le comité interministériel de prévention de la délinquance (CIPD) est chargé du pilotage national du dispositif. Il lui revient à ce titre la responsabilité de coordonner l’action des différentes cellules de veille au sein d’un comité de pilotage, mais aussi de recenser et de diffuser les bonnes pratiques et d’organiser des actions de formation spécialisées à l’attention des acteurs locaux.
Difficultés et limites
Le phénomène de radicalisation constitue pour les pouvoirs publics français et singulièrement pour les administrations de terrain un sujet nouveau : méconnaissance des mécanismes psychologiques des jeunes concernés, méconnaissance des méthodes employées par les recruteurs, méconnaissance de la culture musulmane sont autant de facteurs qui font que les administrations sont démunies sur ce champ largement étranger à leurs domaines traditionnels d’intervention. La principale difficulté est donc, pour les acteurs engagés dans ce dispositif, qu’il leur faut apprendre tout en agissant. C’est pourquoi il est nécessaire de capitaliser le plus rapidement et le plus efficacement possible la connaissance sur le phénomène, ainsi que sur les bonnes pratiques permettant de prévenir le basculement. C’est le rôle du CIPD d’effectuer cette capitalisation, de faire circuler les bonnes pratiques et de dispenser les formations adaptées. L’UCLAT qui est en première ligne puisque ce sont les écoutants du numéro vert qui recueillent les premiers les signalements, plaide de son côté pour la mise en réseau des psychologues de terrain (il y en aurait une cinquantaine sur tout le territoire, dans les commissariats ou auprès des préfectures). Ce réseau pourrait ainsi être animé par une cellule de professionnels spécialisés (psychologues cliniciens, ethnopsychologues, etc.) placée auprès du CNAPR, qui serait la « tête de réseau » chargée d’accélérer, à partir de l’analyse des cas concrets, la connaissance des mécanismes à l’oeuvre dans la radicalisation et des méthodes susceptibles de les enrayer.
Quelles que soient les modalités qui seront retenues pour former et sensibiliser les agents de l’Etat, il faudra surtout prendre en compte les obstacles intrinsèques à l’appréhension de la problématique de la radicalisation djihadiste par les fonctionnaires. Les travailleurs sociaux par exemple, habitués à signaler des cas de maltraitance ou de décrochage scolaire, sont beaucoup moins à l’aise avec le signalement de
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cas de radicalisation religieuse qui s’apparenterait pour certains à de la délation. Parce qu’ils connaissent mal les enjeux, parce qu’ils s’identifient aux populations concernées, et parce qu’ils privilégient une approche sociologique, de nombreux travailleurs sociaux ne perçoivent les conséquences de la radicalisation religieuse qu’une fois la rupture des individus avec leur environnement consommée, les premiers signes ne constituant pas pour eux un problème en soi. Une autre dimension entre en jeu pour les agents des préfectures, celle de la culture de neutralité et du principe de laïcité. Aborder le problème de la radicalisation serait s’immiscer dans une question d’ordre privée et cultuelle, et donc contre-nature, c’est ce qui explique les réticences et parfois le déni de certaines administrations. Pour que ces postures ne freinent pas l’action des pouvoirs publics, il est nécessaire d’en tenir compte dans les programmes de formation à destination des agents, d’autant plus que nombre d’entre eux souhaiteraient être mieux outillés pour faire face à ce défi républicain.
La deuxième difficulté est d’ordre juridique. Le droit français permet d’intervenir auprès des mineurs, soit avec l’accord des parents, soit par décision judiciaire dans le cadre de la protection de l’enfance ; dans les deux cas, les travailleurs sociaux, ou les psychologues, peuvent prendre en charge le jeune et travailler par le dialogue et d’autres mesures appropriées (parcours citoyens, chantiers à caractère humanitaire, etc.) à éviter le basculement. Cependant, lorsqu’il s’agit d’un jeune majeur, il est très difficile de proposer et plus encore d’imposer un suivi. La seule solution est de passer par la phase judiciaire, ce qui est délicat juridiquement tant que les intéressés n’ont pas commis d’actes répréhensibles.
Enfin, la question du dimensionnement du dispositif au regard d’une possible montée en puissance du phénomène se pose inévitablement. Si le dispositif, qui repose au niveau national sur 10 personnes au CNAPR (numéro vert) et 20 personnes au département de lutte contre la radicalisation, permet d’assurer la prise en charge de l’ensemble des cas à ce jour, qu’en serait-il si le public touché venait à doubler ?
Premiers enseignements
En France, la mise en oeuvre de la politique de détection et de prise en charge des individus en cours de radicalisation date de quelques mois, il est donc difficile de tirer des conclusions définitives sur son efficacité. En revanche le témoignage des acteurs du dispositif, mais aussi l’évaluation des programmes de déradicalisation plus anciens expérimentés par d’autres pays, permettent d’identifier des points d’appui et des points de vigilance méthodologiques.
D’abord il faut souligner l’importance des familles. Elles détiennent une partie de la clé parce qu’elles sont le premier socle de socialisation et de construction du jeune. Les mères en particulier jouent un rôle essentiel, elles doivent être conseillées et soutenues pour être capables de maintenir le contact avec leur enfant. Il faut veiller à ne pas faire reposer uniquement sur les familles les processus de « retour à la raison » des jeunes radicalisés et surtout les aider à traverser ce qui est un réel traumatisme, d’autant plus qu’elles n’osent pas évoquer ce qu’elles vivent dans leur entourage.
La prise en charge des jeunes avec leur famille est très importante. Elle repose sur la mise à disposition de lieux spécifiques, la mobilisation de professionnels sensibilisés à l’approche de la thérapie familiale et le développement des actions d’appui et de soutien à la parentalité comme celles qu’organisent les réseaux d’appui et d’accompagnement des parents (REAAP).
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Au regard des expériences étrangères, le choix des interlocuteurs chargés du suivi des individus radicalisés est déterminant. Il faut veiller en particulier à distinguer les interventions qui relèvent des autorités de sécurité, comme les mesures préventives d’interdiction de sortie du territoire, et la démarche d’accompagnement et de réinsertion qui doit être conduite par des acteurs distincts de ces autorités. Donner en quelque sorte une double casquette, répressive et préventive à la fois, aux services de sécurité, serait une erreur dans la mesure où cela décrédibiliserait la dimension de réinsertion de l’accompagnement proposé. Il est ainsi nécessaire de trouver des intermédiaires et des interlocuteurs indépendants des services de sécurité pour assurer le volet de réinsertion de l’accompagnement, mais également pour recevoir les témoignages de familles de certains milieux que l’on sait réticentes à faire appel aux autorités.
Un autre élément clé de l’efficacité du dispositif est la pertinence de la grille d’évaluation et des indicateurs utilisés pour déterminer le niveau de radicalisation et sélectionner les signalements pertinents. Le CIPD a d’ores et déjà initié un travail pour actualiser et approfondir les indicateurs de radicalisation. En effet il est indispensable d’adapter régulièrement cet outil pour l’enrichir de l’expérience acquise auprès des premières cohortes d’individus suivis et contrer les stratégies de dissimulation mises en place par les recruteurs afin de contourner la vigilance des familles.
Enfin, il ne faut pas négliger les acteurs qui sont quotidiennement au contact des publics ciblés par les recruteurs djihadistes et s’appuyer sur ce maillage de professionnels pour renforcer la vigilance et la détection des individus dès les premiers signes de radicalisation. Les professionnels qui travaillent auprès des jeunes et des familles, professeurs, médecins, infirmières, assistantes sociales, sont d’ailleurs de plus en plus nombreux parmi les signalants qui contactent le numéro vert. Le déploiement de la formation à destination de l’ensemble de ces acteurs est donc essentiel et l’effort initié par le CIPD doit se poursuivre et s’amplifier, d’autant plus qu’il y a une réelle disponibilité et une réelle demande chez les agents des services de l’Etat notamment, qui souhaitent contribuer au combat national contre le djihadisme.
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5. Apporter des réponsespporter des réponsespporter des réponsespporter des réponses pporter des réponses pporter des réponsespporter des réponsespporter des réponses pporter des réponsespporter des réponsespporter des réponsespporter des réponses structurelles pour prévenir la structurelles pour prévenir la structurelles pour prévenir la structurelles pour prévenir la structurelles pour prévenir la structurelles pour prévenir la structurelles pour prévenir la structurelles pour prévenir la structurelles pour prévenir la structurelles pour prévenir la structurelles pour prévenir la structurelles pour prévenir la structurelles pour prévenir la structurelles pour prévenir la structurelles pour prévenir la structurelles pour prévenir la structurelles pour prévenir la structurelles pour prévenir la structurelles pour prévenir la radicalisationradicalisation radicalisation radicalisation radicalisation radicalisationradicalisation radicalisation
Le dispositif de prévention de la radicalisation mis en place depuis 2014 est efficace pour détecter et prendre en charge les individus qui basculent, il n’est pas conçu pour empêcher les jeunes de basculer. Or il y a bien un contexte et des conditions dans la société française qui conduisent les jeunes à la rupture. Certes la situation internationale est un facteur aggravant, certes le phénomène est mondial et concerne donc des sociétés dont les modèles d’intégration sont très différents, mais cela ne doit pas occulter les facteurs internes à notre société, et en particulier la lame de fond que représente le nombre croissant de jeunes qui ne croient plus au modèle républicain.
A cet égard, prévenir la radicalisation, c’est s’attaquer aux enjeux de cohésion sociale et surtout redonner corps au pacte républicain. Les djihadistes, pétris de haines et de slogans réactionnaires, n’ont pas de projet émancipateur, nous pouvons donc leur opposer un contre-projet fondé sur le progrès, l’autonomie, l’émancipation, qui redonne tout son sens à la citoyenneté républicaine. C’est une nécessité car d’autres mouvements, y compris nationaux, pourraient prendre le relais du djihad et canaliser la volonté partagée par une grande partie de cette génération, de manière plus ou moins forte, de renverser un système qui ne tient pas ses promesses.
Les propos du Premier Ministre évoquant un long combat contre le radicalisme doivent être entendus. Un long combat avant tout contre les organisations radicales qui s’ancrent sur notre territoire. Au-delà de l’engagement militaire sur le terrain, le gouvernement a mis en alerte l’ensemble de nos forces de sécurité face à un danger à l’extérieur comme à l’intérieur de nos frontières. Les moyens humains et budgétaires conséquents affectés à la protection du pays sont à la hauteur de cette situation que l’on pourrait qualifier de « guerre en pointillés », tant elle dépasse le simple stade du terrorisme. Nous sommes confrontés à des ennemis nombreux, organisés et engagés dans une lutte sans concession contre notre société. Au regard de leurs objectifs, on peut considérer que nous sommes au-delà du terrorisme. Les islamistes radicaux sont lancés dans une dynamique interne sans limite. Chaque nouvelle génération exprime dans ses actes comme dans ses revendications des objectifs toujours plus radicaux. Avec l’émergence de Daesh, les djihadistes ne prétendent plus seulement prendre le pouvoir dans un pays, comme en Iran, mais dans l’ensemble du Moyen-Orient et de l’Afrique. A chaque avancée leur appétit de conquête est revu à la hausse et il ne faudrait pas prendre à la légère leur ambition de dominer, ou pour le moins de déstabiliser profondément les pays démocratiques hors terre d’islam et particulièrement notre pays. C’est d’ailleurs pourquoi, même si tous les efforts militaires et diplomatiques pour conscrire cette flambée et rechercher la paix sont légitimes, la recherche à terme d’un compromis ou d’une stabilisation de la situation semble illusoire. La vocation internationaliste de l’islam radical lui est consubstantielle ; soit la démocratie, les droits de l’homme, s’imposeront là-bas, soit leur vision du monde cherchera à s’imposer ici.
Le long combat c’est aussi celui qui nous attend sur notre propre territoire pour reconstruire les bases d’une société homogène et unie. Les grands moments de la vie d’une nation renvoient souvent à son histoire et à sa nature profonde. La République française est toujours sortie victorieuse de ses épreuves quand elle a été unie, elle s’est trouvée affaiblie quand des fractures trop importantes la traversaient. Or, précisément, l’unité nationale est mise à mal par la montée des radicalismes. L’ampleur du phénomène est telle que les méthodes classiques de surveillance sont désormais aux limites de leur
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capacité. Même avec des moyens supplémentaires, les services de sécurité ne peuvent juguler un phénomène qui emporte des centaines, voire des milliers, de jeunes hommes et femmes. La logique d’expansion et de recrutement des radicaux crée un effet « tonneau des Danaïdes » : pour un cas repéré combien de nouveaux convertis aux thèses radicales ?
Comme nous l’avons expliqué, les causes de la radicalité sont diverses et profondes, l’enjeu n’est pas tant de trouver des réponses ponctuelles mais de concevoir une politique de sécurité nationale nouvelle s’installant dans le long terme et mobilisant tous les moyens de la nation. Face aux radicalismes, la sécurité n’est pas qu’une question de moyens humains, financiers ou législatifs. Il s’agit d’un débat politique pour reconstruire et régénérer l’esprit républicain dans notre pays, celui qui fait de chaque citoyen français le protecteur de tous les autres.
Nous devons donc concevoir une action de prévention autour de deux temps. Celui de l’urgence d’abord, c’est dans ce cadre que les premières mesures publiques ont été décidées. Le dispositif de détection, de suivi et de traitement des individus happés par la logique radicale pourrait d’ailleurs être utilement complété par un travail de sensibilisation pour outiller en profondeur la société afin qu’elle cerne et combatte la pensée radicale.
Dans le même temps, l’action de long terme doit être engagée. Un combat sans perspective est un combat perdu. L’action quotidienne des services de l’Etat ne prend son sens que dans un mouvement général qui attaque à la racine les causes de la radicalité. Cette action profonde est sans doute la plus difficile car l’urgence mobilise les énergies alors que la restructuration républicaine devra faire face à toutes les inerties, tous les égoïsmes. Si l’esprit du 11 janvier a un sens c’est celui-là, reconstruire l’idéal républicain, affronter nos déficiences, faire les choix qui seront partagés par nos concitoyens et surtout par la nouvelle génération, cette jeunesse française qui est la première victime des forces radicales islamistes.
Pour mener à bien cette action de long terme et lui donner tout son sens, son pilotage doit être placé au plus haut niveau et dépasser les logiques sectorielles. Nommer un énième délégué interministériel ou missionner un nouveau Secrétariat d’Etat serait donner l’impression qu’il s’agit d’une politique parmi d’autres et ne permettrait pas de créer l’impulsion nécessaire. Au vu des enjeux c’est bien au plus haut sommet de l’Etat qu’une volonté et des orientations doivent être affirmées. Si l’ambition est de mobiliser l’ensemble des citoyens et des institutions pour reconstruire le pacte républicain, c’est aux chefs de l’Etat et du gouvernement de prendre la tête de ce combat.
Le fonctionnement en comités interministériels est pertinent pour coordonner les choix politiques de moyen et long terme. Cependant le travail spécifique sur la reconstitution du lien républicain nécessite un outil d’action souple, rapide, capable de mobiliser les institutions mais aussi la société civile. La constitution d’un Etablissement public national doté d’antennes locales et ouvert aux forces sociales et culturelles semble indispensable pour mener à bien une action d’ampleur. Sous l’autorité directe du Premier Ministre une personnalité choisie pour ses compétences ou son autorité serait nommée à la tête de ce nouvel outil bénéficiant d’une marge de manoeuvre décisionnelle et budgétaire. Nommé pour une période courte (3 ans) renouvelable une seule fois, il serait aux yeux de l’opinion un interlocuteur sur les enjeux républicains et surtout il aurait la responsabilité de s’assurer que les décisions et choix politiques trouvent une traduction rapide sur le terrain.
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Les premières réponses du comité interministériel du 6 mars 2015
Quelques semaines seulement après les événements de début janvier, lors du comité interministériel du 6 mars 2015, le gouvernement prenait une première série de décisions s’inscrivant dans cette logique de long terme, destinées à conforter les fondations de la République. L’objectif de ce programme qui embrasse tous les domaines de la vie sociale à travers une cinquantaine d’actions concrètes est d’affirmer les valeurs essentielles de citoyenneté, d’appartenance à une communauté de destin et d’égalité des citoyens, que ce soit en termes de chances données à chacun ou de devoirs qui s’imposent à tous.
Une première série de mesures vise l’éducation : enseigner les valeurs essentielles de la République, en mettant un accent particulier sur la laïcité, souvent mal comprise ; renforcer la maitrise de la langue française, vecteur essentiel de communication et d’appartenance ; renforcer la mixité sociale à l’école et lutter contre l’échec scolaire, source d’inégalité durable.
En second lieu de nombreuses actions sont destinées à accélérer l’intégration et à renforcer la cohésion nationale : développer la mixité dans l’habitat de chaque quartier ; favoriser la mixité sociale dans les collèges et les lycées ; favoriser la participation du plus grand nombre aux activités qui créent du lien : associatives, sportives, culturelles ou citoyennes, avec notamment le développement du service civique et la création de la réserve citoyenne.
Une troisième série de mesures a pour objectif de faire vivre la promesse républicaine de permettre à chacun de bâtir son projet de vie : lutter contre les discriminations à l’embauche ; faciliter un accès égal à la fonction publique ; travailler au développement économique endogène des territoires ; développer le parrainage des jeunes ; développer les dispositifs de deuxième chance ; favoriser les expériences à l’international, y compris pour les jeunes des quartiers populaires ; s’appuyer sur le numérique pour créer de nouveaux métiers, développer de nouveaux usages et former de nouveaux professionnels.
Enfin le plan propose des mesures à forte valeur symbolique ainsi que des actions dans le domaine de la communication : solenniser les cérémonies d’accueil dans la nationalité ; soutenir les médias de proximité ; gagner la bataille des idées sur Internet.
Les propositions qui suivent s’inscrivent dans cette logique de reconquête républicaine à long terme. Il ne s’agit pas d’une liste exhaustive et les modalités précises de mise en oeuvre des propositions ne sont pas détaillées. Les mesures suggérées illustrent surtout la façon d’agir qui paraît la plus pertinente au regard de l’analyse de la situation.
Retrouver la vigueur de l’esprit républicain n’est pas cultiver la nostalgie d’un ancien ordre, d’un vieux monde avec ses blouses grises. La république du XXIème siècle est celle qui permet la liberté des individus dans tous leurs choix en protégeant chacun de la pression communautariste. Moderne, ouvert, acceptant les contre-pouvoirs et la transparence, l’Etat républicain doit non seulement être exemplaire, il doit surtout susciter de nouveau de la fierté : autorité retrouvée, dynamisme renouvelé, la République doit de nouveau donner envie.
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5. a – Ecole et jeunesse au coeur du réacteur
En faisant du budget de l’Education Nationale le premier budget de la nation, le gouvernement a apporté une première réponse aux difficultés rencontrées par la nouvelle génération. Il y avait urgence à soutenir l’école qui, malgré tout, est une des institutions qui résiste le mieux aux dérives de notre époque. Ceux qui font porter à l’école la responsabilité de la violence et de la radicalité d’une partie de la jeunesse se trompent lourdement. De la maternelle à l’université, l’Education nationale reste la « grande muraille » de la République. Même si son rôle d’ascenseur social a été mis à mal ces dernières années, il n’en reste pas moins que l’école publique est laïque, gratuite, obligatoire et qu’elle dispense un enseignement de qualité. Même dans les secteurs les plus en difficultés, les plus ghettoïsés, grâce à la loi sur les signes religieux et l’esprit républicain du corps enseignant, le basculement communautaire au sein des établissements n’a pas eu lieu. L’école a son lot de difficultés et d’inégalités, mais elle reste une institution républicaine qui forme des millions de citoyens et perpétue la culture d’unité de notre pays.
L’école doit donc être la colonne vertébrale d’une nouvelle politique de la jeunesse audacieuse dont l’objectif serait de lever une génération d’éclaireurs républicains, une génération d’enfants du 11 janvier et de faire de l’école un lieu de vie. Faire de l’école la base d’une nouvelle politique de la jeunesse c’est répondre à l’urgence, car parler de jeunes et de résultats à long terme est un oxymore, seul le court terme compte. Si le dispositif de détection et de sensibilisation aux dérives radicales a son utilité, en matière de jeunesse il faut plus qu’ailleurs gagner la bataille du coeur et des esprits. C’est une erreur de penser que les jeunes qui sont recrutés et radicalisés ne sont que des victimes. Il ne faut pas nier la part de jugement, de choix par raison, et surtout chez les jeunes de conviction.
Former des éclaireurs républicains c’est s’engager pour contrer le mouvement de fond, contrer pied à pied le radicalisme, ses méthodes, sa pensée. C’est aussi proposer un nouveau pacte de confiance entre la jeunesse et la République en donnant aux jeunes non pas des prestations, mais un rôle et des responsabilités. Un programme d’instruction civique approfondi pourrait ainsi être dispensé aux élèves volontaires, qui seraient ensuite chargés d’intervenir dans les classes, car on sait que des jeunes qui s’adressent à des jeunes seront davantage entendus que des adultes.
Dire de l’école qu’elle est au coeur de la reconquête républicaine n’est pas qu’une image ou un schéma administratif. En trois ans un lycée accueille un adolescent pour en faire un adulte autonome. Les bâtiments scolaires et universitaires, le corps enseignant et le personnel de l’Education Nationale représentent les institutions les plus proches et les mieux connues des jeunes de France. Un nouveau fonctionnement doit être fondé sur la base du volontariat et de l’engagement consenti de tous ceux qui font vivre l’école. Des états généraux de l’école républicaine pourraient mettre chacun à contribution, permettre de partager les expériences réussies et de déterminer les nouvelles responsabilités de l’école. L’objectif est de faire de l’école, en dehors des enseignements, un lieu ouvert aux jeunes pour des activités sportives, culturelles, de loisirs, voire militantes. Les enseignants doivent trouver de nouvelles responsabilités là où vivent leurs élèves, être associés ou responsabilisés dans les politiques de jeunesse ou les investissements d’avenir. Hors des temps d’enseignement les établissements scolaires pourraient devenir des lieux d’élaboration de projets locaux associant toutes les composantes des communautés locales. On peut penser à des universités populaires, à des échanges de services, à des partenariats avec les agriculteurs locaux pour organiser des circuits courts, à des chantiers de rénovation thermique ou de mise en accessibilité, à des spectacles culturels, à des groupes de parole de parents… mais aussi à toutes les idées nouvelles qui pourraient ainsi voir le jour.
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Il ne s’agit pas ici de décrire en détail ce qui doit être compris comme un processus nouveau marquant une inflexion de l’Etat dans son rapport à la société. La neutralité de l’Etat, de ses serviteurs, ne doit plus être conçue comme un désarmement de la puissance publique, de l’intérêt général et des choix démocratiques. Au contraire, les administrations publiques peuvent être mises au service du vivre ensemble en outillant la société civile, en l’aidant à déployer ses projets, et en étant le garant des valeurs républicaines.
5. b – Que mille associations s’épanouissent
En lien avec l’école, le secteur associatif, en particulier les associations de jeunesse et d’éducation populaire, doit prendre une nouvelle dimension. Face au réseau humain des radicaux décrit précédemment (cf. page 35), la République doit structurer et renforcer le réseau républicain que constitue le tissu associatif.
En s’appuyant sur l’expertise du milieu associatif, les rapports parlementaires récents et une politique d’essaimage à partir des structures existantes, l’objectif d’un doublement du maillage associatif semble réalisable à deux conditions, une simplification drastique des normes administratives et un investissement budgétaire significatif. L’Etat doit reprendre les rênes dans l’attribution des subventions, sa responsabilité, en lien avec les collectivités, étant de veiller à un accès égalitaire aux subsides de l’Etat et à l’état d’esprit républicain des bénéficiaires.
D’autre part, pour qu’elles puissent jouer pleinement leur rôle, les associations doivent retrouver une place d’interlocuteur incontournable dans les politiques publiques concernant leur territoire ou le domaine dans lequel elles interviennent. Pour en finir avec les consultations sans lendemain, le monde associatif jeune pourrait voir ses représentants aux instances représentatives (CNVA) élus par un suffrage direct ouvert à tous. D’autant plus que ce type d’élection serait l’occasion de regrouper et remobiliser un secteur émietté autour des grands enjeux qui le concernent.
5. c – La culture, levier d’émancipation
La violence terroriste frappe le plus souvent des lieux fréquentés par des civils, des gares ou des bâtiments publics. En janvier, la cible des terroristes était bien spécifique. En s’en prenant aux journalistes et caricaturistes de Charlie Hebdo, ils ont attaqué la liberté d’expression mais aussi la culture en général. Par leur geste ils ont désigné en quelque sorte la tradition culturelle française comme leur ennemi. Dans les territoires qu’ils occupent, ils s’emploient d’ailleurs à effacer toute culture, détruisent les monuments, les livres, interdisent la musique, les images… Prenant le prétexte du respect littéral de vieux préceptes religieux revisités, cette annihilation de la culture vise surtout à éteindre toutes les facultés critiques, toutes les formes d’émancipation ne serait-ce qu’intellectuelle, des populations qu’ils maintiennent sous leur joug.
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Pour les combattre la culture française, sa richesse et sa diversité, est donc une arme précieuse. Car elle est un levier puissant pour dépasser les préjugés, combattre la fatalité du déterminisme et faire évoluer les consciences. Si l’on ne peut remédier à la ségrégation territoriale en un tour de mains, s’il n’est pas possible de transformer du jour au lendemain les conditions de vie de certaines populations, il est en revanche plus facile de développer les pratiques culturelles. Or l’accès à la culture, en donnant à voir des univers qu’on ne côtoie pas, en valorisant l’individu à travers un talent particulier, en fournissant des clés de lecture sur le monde qui nous entoure, en multipliant les moyens d’expression, est un facteur d’émancipation très efficace.
Quand une jeune fille qui porte le voile se découvre pour son cours de danse, quand un enfant qui n’a jamais assisté à un spectacle découvre l’opéra, quand un élève en échec scolaire reprend confiance en lui en se découvrant un talent en dessin, quand l’atelier photo ou le cours de théâtre est la seule activité mixte pour certains enfants, quand un jeune apprend à connaître les codes d’une autre culture et cesse d’en avoir peur… des portes s’ouvrent et l’horizon s’élargit. La diversité des pratiques culturelles est telle que chacun y trouvera un centre d’intérêt. Et ces pratiques confèrent un rôle, soit en tant qu’acteur d’une activité culturelle soit en tant que spectateur amené à interpréter, à commenter, qui est accessible à tous, sans qualification requise ni critère de sélection.
Pour toutes ces raisons la culture devrait être une priorité, alors qu’elle est aujourd’hui trop souvent considérée comme accessoire, comme une variable d’ajustement. La vie culturelle repose bien souvent sur des amateurs et des bénévoles. Et sans institutionnaliser ces activités artistiques qui y perdraient sûrement en créativité, on pourrait néanmoins les soutenir davantage, en particulier en mettant à leur disposition les infrastructures adaptées (salles de spectacles, instruments de musique, salles d’enregistrement, de montage et de projection, etc.).
On ne peut pas en effet se reposer sur l’offre commerciale de biens culturels ou sur internet et considérer que l’accès à la culture est assuré. Le rôle des acteurs culturels et des infrastructures de proximité est essentiel. En ce sens nous avons besoin d’une dynamique comparable à celle du Plan Malraux qui a permis d’implanter des MJC sur tout le territoire. Ces réseaux locaux continuent tant bien que mal d’animer la vie culturelle, y compris dans les quartiers relégués, mais ils sont à bout de souffle. Une forte impulsion et des moyens supplémentaires sont indispensables pour redéployer ces réseaux et inciter les acteurs territoriaux à développer de nouveaux projets. En effet la France dispose de ressources extraordinaires dans ce domaine, sans quoi il ne serait pas question d’exception culturelle française, mais malheureusement l’expression fait davantage référence aux quelques artistes qui s’exportent plutôt qu’à la richesse des initiatives locales.
5. d – Un antiracisme républicain
Afin de pousser une partie de la jeunesse à épouser leurs thèses, les organisations radicales utilisent et manipulent les faits pour discréditer les sociétés démocratiques. Ainsi ils recourent sans cesse au terme « islamophobie » pour transformer des tensions sociales en conflit religieux et font de la lutte antiraciste, qui est un combat civique, un combat identitaire à travers deux arguments principaux.
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Le premier repose sur ce qu’il est convenu d’appeler la concurrence mémorielle, l’objectif étant de briser l’unité de l’antiracisme en créant une hiérarchie supposée parmi les victimes. Les radicaux visent ainsi à modifier la perception du racisme, il ne serait pas lié à des aprioris et des mécanismes socio-politiques mais serait fondé sur la stigmatisation d’identités particulières, et évidemment en premier lieu de l’identité religieuse. Soufflant ainsi sur les braises identitaires, les radicaux poussent au regroupement de la population musulmane autour de la défense de la religion pour mieux la prendre en otage de futurs conflits. Comment dans un tel contexte peut-on penser que les statistiques ethniques seraient une réponse ? Au contraire les données récoltées ainsi parées d’objectivité deviendraient des éléments à charge contre la République. Et il y aura toujours une catégorie pour faire de la surenchère, se plaindre d’être maltraitée et finalement rompre avec la logique d’égalité républicaine.
D’autre part au coeur de cette manipulation on retrouve tout l’attirail du nouvel antisémitisme, désignant les juifs comme des victimes préférentielles, toujours protégés alors que les autres populations et singulièrement les musulmans seraient eux abandonnés à leur sort. L’un des principaux objectifs des actes et crimes antisémites est de susciter l’indignation, afin d’utiliser ensuite la réaction des pouvoirs publics pour prouver que certains seraient mieux protégés, davantage considérés que d’autres. Cette manipulation s’appuie également sur la stigmatisation de l’Etat d’Israël dans une dialectique qui identifie l’antisionisme et l’antisémitisme pour pouvoir répandre ce poison au travers des sociétés démocratiques en contournant la législation interdisant la propagande raciste et antisémite. A ce jeu les dégâts provoqués par cette propagande antisémite sont considérables. Cautionné par des forces politiques, des associations de droits de l’homme, des intellectuels, l’antisionisme / antisémitisme s’est diffusé dans toute la société et est maintenant ancré chez beaucoup de jeunes au point parfois de devenir une opinion dominante. L’antisémitisme est bien un élément central de la propagande radicale, au coeur de la thèse complotiste et de la justification du djihad des islamistes.
Face à cette dérive l’erreur dramatique serait de croire qu’en faisant l’ « inverse » on amoindrirait la pression radicale sur notre société. Passer sous silence l’antisémitisme, accepter de distinguer les différentes victimes du racisme, concéder le moindre élément sur cette question est totalement contradictoire avec la lutte contre les violences radicales. Non seulement nos sociétés doivent assumer sans trembler le combat contre les nouveaux antisémites, mais il est essentiel d’expliquer en quoi, par ses caractérisations politiques et historiques, l’antisémitisme est porteur de tous les totalitarismes, de toutes les violences, et qu’il est à cet égard un racisme particulier. Il serait aussi utile et pédagogique de rappeler comment nos pays démocratiques ont sombré face au nazisme parce qu’ils avaient laissé en leur sein prospéré l’antisémitisme. Ou encore de signaler que l’apogée politique et culturelle des sociétés musulmanes est, sans hasard, concomitante avec une période de cohabitation pacifique avec les populations juives. L’histoire, le savoir, sont dans ce domaine des outils bien plus puissants que le tabou ou l’interdit.
L’autre priorité des pouvoirs publics concerne la situation des populations noires qu’elles soient d’origine africaine ou antillaise. Il est incontestable qu’elles subissent des discriminations plus violentes que d’autres et ces discriminations antinoires sont d’ailleurs très fortes dans de nombreux pays. La place qu’occupe la lutte pour les droits civiques des noirs américains dans l’imaginaire politique de la jeunesse, souvent par la figure de Martin Luther King mais aussi par le parcours de Malcom X, est très significative. Car tous ceux qui se sont intéressés à ces deux leaders notent que l’un était pasteur et que le second s’est converti à l’islam durant quelques années, comme symbole de rupture avec l’occident, conférant ainsi à l’islam une connotation révolutionnaire.
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L’instrumentalisation des discriminations par les radicaux islamistes peut donc trouver un écho également auprès de populations qui ne sont pas toutes de confession ou de culture musulmane. La progression des thèses extrémistes dans une partie de la jeunesse échappe d’ailleurs aux dispositifs de détection et de prévention, tant le reflexe musulman=arabe est fortement ancré.
Pour la population noire de France les pouvoirs publics ont donc une obligation d’agir pour éviter une dérive aux conséquences lourdes. Evidemment il n’y a rien de comparable entre la situation des noirs aux Etats-Unis et celle de nos concitoyens. Récemment arrivés en France, en cours d’intégration dans notre pays, il n’y a aucun fatalisme à voir se reproduire chez nous des phénomènes de ghettoïsation générale de cette population. Les outils législatifs, les dispositifs décidés en matière de peuplement, doivent permettre aux populations noires vivant dans notre pays de trouver toute leur place et de se sentir protégées par la République.
Certains spécialistes tiennent à la distinction entre la pratique salafiste de l’islam et les dérives sectaires des radicaux. Cela va de soi sur le plan de la légalité, mais sur un plan plus politique il existe un continuum entre les deux mouvances. C’est bel et bien à partir du discours et des pratiques salafistes qu’un révisionnisme de l’histoire musulmane s’est constitué et répandu dans notre pays comme ailleurs. Derrière un discours sur les préceptes et les pratiques religieuses s’installe une véritable idéologie faisant des musulmans des victimes et appelant à rompre avec les sociétés modernes et démocratiques. Du port du voile obligatoire aux discriminations de genre en passant par les interdits alimentaires, le salafisme prépare le terrain aux thèses les plus radicales. Ce qui sépare les deux mouvements est souvent infime, la condamnation formelle des violences terroristes par les quiétistes par exemple est immédiatement relativisée par un discours déresponsabilisant ceux qui passent à l’acte. Bien entendu notre régime nous oblige à laisser faire ce qui n’est pas hors la loi, mais cela ne doit pas se traduire pour autant par un déni et une inaction totale de notre société. C’est le devoir de la République de ne pas laisser une vision unique de l’islam s’imposer en France.
Pour contrer la propagande radicale il faut donc répondre au défi de la fameuse « islamophobie » manipulée par certains acteurs du débat. En rappelant tout d’abord que le caractère laïc de notre nation ne réduit pas les citoyens à leur identité religieuse ou à leur origine, et que le droit individuel de pratiquer sa religion est garanti en principe et de fait par la République. Les musulmans qui vivent en France ont bien les mêmes droits que tous les citoyens ; on peut même dire que la France offre éminemment plus de liberté à la pratique de l’islam que nombre de pays musulmans et est aux antipodes des comportements sectaires et totalitaires observés dans les territoires djihadistes.
La République doit combattre sans relâche le travail de sape de la propagande djihadiste auprès de la jeunesse visant à inculquer une image « victimaire » de l’islam et des musulmans. Le dialogue permanent avec les représentants religieux peut y contribuer. Mais les autorités publiques n’ont pas de légitimité à influencer le discours religieux, tout dépend donc du bon vouloir et surtout des capacités des représentants religieux des musulmans à mener à bien la sécularisation de l’islam de France dans l’esprit des règles et moeurs de notre pays. En revanche la République a les moyens d’agir indirectement sur le terrain. La France entretient depuis longtemps des relations culturelles avec le monde musulman, nous avons de nombreux spécialistes de l’islam reconnus internationalement, autant d’éléments qui peuvent nous permettre de contrer les discours stigmatisant des extrémistes et de redonner aux musulmans de France une image de leur croyance, de leur histoire, plus digne et plus apaisée. Si la République n’a pas vocation à s’immiscer dans le fait religieux, elle a toute légitimité à agir sur le terrain
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des sciences sociales et historiques pour outiller les musulmans sur le terrain intellectuel et culturel. Au travers des manuels scolaires, des activités culturelles, des médias publics, un travail sur l’image de l’islam dans l’opinion publique doit être mené, pour lutter contre les préjugés discriminant et pour réhabiliter la vérité historique de la civilisation musulmane.
En se donnant les moyens nécessaires pour réhabiliter l’histoire des musulmans, leur apport à la culture mondiale, à la science et au progrès, nous renforcerons la compatibilité de l’islam avec la démocratie, nous permettrons aux jeunes musulmans ou de culture musulmane de se sentir en phase avec les lois et modes de vie de notre pays. En refusant que soit imposé un islam politique qui enferme les musulmans dans la défiance nous répondrons par l’action aux radicaux religieux qui pensent que la démocratie est un régime faible, incapable de se défendre, et dont on peut exploiter les contradictions.
Assumer le caractère spécifique du combat contre l’antisémitisme, empêcher la ghettoïsation de la population noire, combattre le discours intégriste de marginalisation des musulmans, sont les priorités de l’action contre les préjugés et pour la défense de la République.
5. e – Money !
Quelques centaines d’euros de prime d’installation, un salaire régulier, une maison offerte, un statut professionnel, voilà ce qu’apporte l’Etat islamique à nombre de ses recrues. Si la guerre, le djihad, reste la première motivation des jeunes candidats au départ, l’aspect économique, les promesses de réussite jouent également un rôle non négligeable pour attirer les futurs djihadistes. Là où la société se demande pourquoi part-on mourir à vingt ans au bout du monde, le djihadiste, lui, voit un chemin pour sortir de l’ennui de la pauvreté, de l’absence de perspectives. La notion de « terre promise », le sentiment d’être un pionnier, de vivre une aventure, sont très présentes dans la motivation des jeunes. Dans ce domaine les radicaux islamistes se sont inspirés des mouvements émancipateurs indépendantistes pour faire une véritable offre sociale à leurs recrues. C’est probablement pourquoi ils ont accentué leurs efforts de recrutement sur les jeunes filles qui représentent désormais près de 40 % des départs de notre pays.
Si la foi déplace les montagnes, la faim déplace les êtres humains. Cette dimension est peu présente dans les médias, elle est pourtant perceptible dans les contacts entre les djihadistes qui sont partis et leurs familles et amis. Ils y décrivent un quotidien confortable et affirment s’épanouir dans leur nouvelle vie. A cet égard il n’est pas surprenant que l’Etat islamique permette aux néo-djihadistes de rester en contact avec leurs proches, puisque c’est aussi un moyen de propagande sous leur contrôle. Le combat contre le djihad est donc aussi un combat économique et social. Une partie de ceux qui sont attirés par le radicalisme sont influencés par des éléments économiques, particulièrement dans les zones de rupture du territoire républicain, les villages pauvres et les cités urbaines. Après plusieurs années de récession aigüe et en prenant appui sur la reprise et le fonds d’investissement européen, une action volontariste des pouvoirs publics doit permettre de créer des dispositifs spécifiques à la jeunesse et aux plus pauvres d’entre eux.
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Bankbus
Dans les milieux populaires que ce soit à la campagne ou dans les banlieues, le chômage endémique des jeunes s’explique en partie par l’image dégradée renvoyée par le monde du travail à cette génération. Cette défiance est très forte dans les catégories de jeunes les moins qualifiés. Etre ouvrier, travailler sur un chantier, c’est une image sociale négative sans réelle contrepartie en confort financier ou même en sécurité de l’emploi. Sans charge familiale, peu rompus à défendre leurs droits, les jeunes sont une variable d’ajustement quasi systématique dans les entreprises, sans compter les multiples statuts et dispositifs qui finissent par l’emporter sur une embauche en bonne et due forme. Le monde du travail accueille peu et mal les jeunes non qualifiés et la jeunesse est prête à tout pour gagner sa vie sans « aller à l’usine ». C’est dans cet espace que les filières djihadistes distillent les notions d’utilité à la communauté, d’amour propre retrouvé.
Pour répondre à cette situation, il ne s’agit pas de créer une nouvelle allocation mais de réinvestir l’esprit d’initiative, la faim de réussite sociale de cette jeunesse. Pour aider les jeunes à développer leurs projets, et pas uniquement les mieux lotis ou les mieux informés, un outil inspiré de la Banque Publique d’Investissement pourrait voir le jour, une « BPI jeune » dont les fonds seraient distribués aux porteurs de projet de moins de 30 ans.
Un dispositif spécifique aux zones de fracture pourrait être pensé autour de deux axes. Proposer un micro-crédit destiné aux petits projets commerciaux ou de services des jeunes, sans aucune condition de garantie financière, et déplacer la banque plutôt que d’inviter le jeune à s’y rendre. Des bankbus sillonneraient le pays avec des rendez-vous réguliers dans les territoires concernés afin de toucher un nouveau public jeune. Car celui-ci est souvent très peu mobile, pour des raisons financières, d’infrastructures de transports inexistants, mais aussi par une spirale d’immobilisme qui entretient l’inactivité. L’impact du chômage, la désocialisation, l’extrême précarité des revenus des jeunes génèrent une forme de refus de quitter son territoire, d’assignation à résidence. Dès lors, la présence de la BPIJ par un bus serait un signal fort, une main tendue de la République pour cette génération.
Au-delà de l’impact concret en matière d’insertion professionnelle, c’est tout l’état d’esprit de la République à l’égard des jeunes qui s’en trouverait transformé. Emancipatrice, la République se doit de créer un nouveau lien de confiance avec sa jeunesse. C’est par la jeunesse que notre pays est attaqué, c’est aussi grâce aux jeunes que nous pourrons nous défendre efficacement, à condition qu’ils soient davantage fiers d’être français, qu’ils se sentent pleinement citoyens. Intervenir sur les problématiques sociales de la jeunesse ne doit pas être conçu simplement comme de la solidarité mais comme un investissement d’avenir pour le pays.
5. f – Miser sur les familles
Si notre politique familiale est plébiscitée au regard de la démographie elle ne joue plus aujourd’hui le rôle de stabilisateur social qu’elle devrait endosser. L’illusion d’une modernité qui réduit l’aide aux familles aux prestations de la CAF, qui monopolisent tous les débats parlementaires sur la famille, est un non-sens. La famille française est en crise et en mutation. Crise dans les catégories populaires où la cellule familiale fragilisée voire déchirée aggrave considérablement les conditions de vie des femmes et des enfants en particulier. Dans toute la population le modèle familial est en cours de transformation.
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Depuis quelques années maintenant les enfants nés hors-mariage sont les plus nombreux, les familles recomposées sont devenues banales et la séparation des couples presque la règle. Les réseaux de voisinage qui constituaient une sorte de famille élargie disparaissent dans l’anonymat urbain renforçant l’isolement des parents. Pourtant, dans le domaine de la politique familiale, tout fonctionne comme avant, comme si rien n’avait changé !
L’impact dans la jeunesse de ce mouvement de fond est considérable. Les séparations et les recompositions dans les familles peuvent affecter les jeunes, perturbés par l’absence de repères affectifs solides. La stabilité matérielle et sociale est remise en cause et des changements parfois violents impactent les enfants. Le suivi scolaire ou psychologique est également rendu plus chaotique par les changements de situation. Reconstruire un maillage républicain passe donc par une politique familiale actualisée qui s’adapte aux familles telles qu’elles sont et remette en avant la présence humaine plutôt que l’offre prestataire uniquement.
Des assistants de vie familiale
Par nature toutes les situations de familles en difficultés ne se ressemblent pas et les simples critères de revenus sont à cet égard très insuffisants pour déterminer l’accompagnement adéquat. Lieux de vie, contraintes professionnelles, situation sanitaire, environnement culturel, liens affectif etc. autant d’éléments concrets qu’il faut connaître pour aider au mieux une famille. De plus, vivre en famille ne s’enseigne pas, les pratiques se transmettent informellement mais il n’existe aucun manuel. Confronté à un bouleversement, une situation de crise, les parents peuvent se retrouver démunis, incapables de reconstruire un équilibre, de trouver la bonne organisation. Pour agir efficacement un corps d’assistants de vie de famille, présent sur le terrain, pourrait être constitué. Sans nécessairement créer de toutes pièces un nouveau corps administratif de l’action sociale, un redéploiement des crédits de la politique familiale et du personnel en fonction des priorités et dans les zones les plus en difficultés doit être envisagé. Et le soutien du réseau associatif familial doit évidemment être intégré dans ce nouveau maillage d’aide et de soutien aux familles.
Les femmes monoparentales
Séparation, divorce, abandon du domicile conjugal, la part des familles dites monoparentales ne cesse de croître. Derrière l’expression monoparentale se cache quasi-exclusivement des femmes qui élèvent seules leurs enfants. Ces femmes, quelle que soit leur catégorie sociale, se retrouvent confrontées à d’importantes difficultés matérielles, un tiers d’entre elles sont même dans une très grande précarité, sous le seuil de pauvreté. Des mesures de soutien financier ont été décidées par le gouvernement dans le cadre de la lutte contre la grande pauvreté. Pourtant il n’existe pas de dispositif ciblé sur ces familles qui ont besoin d’un soutien spécifique. Aider les femmes seules avec enfants à trouver des emplois qui leur permettent de subvenir à leur besoins et soient compatibles avec les horaires scolaires de leurs enfants. Créer un nouveau critère prioritaire pour leur faciliter l’accès aux logements sociaux alors qu’aujourd’hui les bailleurs considèrent leur situation comme un risque d’insolvabilité. Permettre aux enfants de ces familles d’être prioritaires pour accéder aux internats ou aux chambres universitaires. Autant de mesures concrètes, parmi d’autres, dont la vocation est de permettre la stabilité matérielle et affective dans les familles monoparentales.
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Droit des femmes et éducation sexuelle
Pour les français la montée de la radicalisation islamiste s’est manifestée par la généralisation du port du voile par les femmes et les jeunes filles de culture musulmane ou converties, qui a été opportunément freinée par la loi interdisant les signes religieux à l’école. Le port du voile par les femmes est toujours la première campagne du radicalisme, sous une forme insidieuse mélangeant prescription religieuse et pressions plus ou moins amicales. Les libertés individuelles et la laïcité ne permettent évidemment pas d’interdire une telle pratique. En France la femme musulmane a le choix, mais a-t-elle vraiment le libre arbitre ? Sans nier la responsabilité de toutes ces femmes, pour certaines on peut s’interroger. Derrière les convaincues, les volontaires, combien sont plus ou moins contraintes de le porter ? Les musulmans vivant souvent dans les mêmes quartiers, comment une jeune fille peut-elle se soustraire aux regards, au jugement de sa « communauté » ? Les femmes musulmanes ont la liberté de porter le voile islamique, cela ne peut être remis en cause, mais la République doit donner aussi les moyens de ne pas le porter à celles qui le souhaitent.
Cela passe par un travail éducatif spécifiquement en direction des femmes sur les droits, y compris les droits des enfants et la sexualité. Malgré l’inscription de l’éducation à la sexualité dans les programmes de l’Education Nationale, les interventions sur ces sujets auprès des élèves sont de plus en plus rares. Pour de multiples raisons, par crainte de la réaction des élèves ou des parents notamment, les équipes éducatives renoncent à aborder ces questions. Et si la sexualité n’est pas non plus abordée au sein de la famille, ce qui est fréquent, le seul discours audible pour le jeune sur ce sujet est celui des religieux.
Or depuis longtemps maintenant les mouvements féministes ont prouvé qu’une femme maîtrisant sa sexualité, au fait de la contraception, est une femme plus autonome, plus en capacité de choisir sans pression son mode de vie. L’éducation à la sexualité doit donc reprendre toute sa place, à l’école mais pas seulement. Des relais doivent aussi être présents sur le terrain et on peut imaginer que la CAF soit un des lieux ressources avec les associations du planning familial et les organisations féministes.
La souffrance affective et sexuelle touche aussi les jeunes hommes pris en tenaille entre l’injonction de la « performance », de la virilité, et la réalité d’un vécu souvent coupé des filles. En zone rurale ou urbaine, les jeunes hommes se retrouvent souvent privés de rencontres avec des femmes de leur génération parce que trop isolés, trop pauvres, trop discriminés. Il n’y a qu’à constater le nombre d’unions avec des femmes d’autres pays pour comprendre comment cette coupure entre les genres impacte les choix de vie. Sous-estimer la frustration ainsi accumulée ne permet pas de comprendre pourquoi l’offre matrimoniale et sexuelle proposée par les djihadistes a un impact certain. Développer l’éducation sexuelle chez les garçons est donc aussi utile. Mais il nous faut aussi favoriser la mixité dans notre société et en particulier dans les classes populaires. Mixité dans le sport, à l’école et surtout dans les loisirs. Peut-être pourrait-on expérimenter, à cet égard, l’ouverture de « boîtes de nuit » gérées par des associations et financées publiquement. La haine qui germe chez un « refoulé » des boîtes de nuit est porteuse d’énormes frustration et de haine. Plus on rencontre de jeunes de son âge, plus on flirte, plus on échange, plus on s’éloigne intimement des logiques radicales.
Echanger les familles
Un des signes positifs de la vivacité républicaine est le nombre important de mariages mixtes chez les enfants des immigrés installés dans notre pays. Plus que tout discours ou modèle, les alliances familiales ainsi constituées resserrent les liens dans la population et contribuent à lutter contre le repli
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communautaire. Ce n’est pas un hasard si les prêcheurs radicaux dénoncent les mariages mixtes, sauf bien entendu dans les cas de conversions.
Dans ce domaine, qui relève évidemment de la vie privée des individus, la puissance publique ne peut pas s’immiscer. En revanche cela pourrait inspirer un dispositif d’échange de familles pour resserrer les liens entre cultures différentes et influencer positivement les choix de vie des uns et des autres, en multipliant les modèles à suivre. Il y a quelques années les enfants de familles en difficultés étaient ainsi placés pour quelques semaines de vacances dans d’autres familles pour « souffler ». Ce même dispositif pourrait être reconstitué, mais sans dimension sociale, basé sur le volontariat des enfants et des familles d’accueil. Notre société a des ressources propres que la République doit solliciter. Les nouvelles solidarités familiales nées de ces échanges auraient un impact considérable pour accélérer le processus d’intégration, lutter contre les stéréotypes racistes et créer des réseaux de solidarité pour ceux qui n’ont pas de grande famille. Elles offriraient des référents affectifs aux enfants et aux jeunes, renforçant leur sentiment d’appartenir à la communauté républicaine, d’être français au quotidien et aux yeux des autres. Par un investissement minime, les pouvoirs publics lanceraient ainsi une dynamique profonde, autonome et positive pour l’ensemble de la société.
La première expérience, sur la base du volontariat, devrait solliciter les familles de culture musulmane et juive. La montée de l’antisémitisme, les agressions, ont entraîné une séparation physique de ces familles françaises, sous la pression de la violence. Elles ne se côtoient plus ni dans les quartiers, ni au supermarché et même plus à l’école. Comment alors lutter contre les préjugés, la défiance ? En accueillant les enfants des « autres », en créant de nouveaux ponts, nous pouvons reconstituer une digue de fraternité capable de contrer la vague de haine. La République doit redevenir la maison commune des citoyens et pas l’hôtel des communautés !
5. g – Recoudre le territoire républicain
L’identité républicaine de notre pays s’est constituée par un corpus législatif, réglementaire et une conception territoriale égalitaire, pour que chaque citoyen, où qu’il vive, se sente totalement partie prenante de la nation. Au cours de ces dernières années cette homogénéité territoriale s’est distendue pour de multiples raisons. Deux fractures importantes sont apparues et c’est dans les zones concernées par ces fractures que le radicalisme recrute le plus massivement et le plus facilement.
Du village au djihad
Les zones rurales paupérisées sont les grandes oubliées des politiques publiques. Transformation de la production agricole, désindustrialisation, désengagement partiel des services publics… une lente érosion économique et sociale a isolé ces territoires de la marche au progrès et des valeurs républicaines. Avoir 18 ans dans ces régions c’est souvent vivre sans perspective réelle autre que le déracinement, c’est ne pas avoir d’avenir. Dans les grandes villes, l’accès des jeunes aux transports est facilité par des politiques tarifaires favorables et subventionnées. Ailleurs il faut trouver vingt euros pour payer l’essence, calculer au plus juste les horaires pour ne pas rater le seul bus, et le plus souvent les jeunes restent assignés à leur territoire parce qu’ils n’ont pas le choix. Avec un taux d’emploi extrêmement faible, un recours aux prestations sociales très élevé, de nombreux territoires ont
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décroché du rythme de développement du reste du pays. On comprend bien dans ce contexte comment la propagande radicale peut devenir tentante pour celles et ceux qui pensent qu’ils n’ont rien à perdre et que toute aventure serait une meilleure issue que ce qui les attend.
La difficulté des pouvoirs publics pour traiter ces poches de réclusion est qu’elles ne forment pas des territoires vastes et homogènes ; la pauvreté, la relégation en milieu rural se présente sous forme de « taches de léopard ». L’Etat et les collectivités locales savent agir sur des départements ou des régions mais ont plus de difficultés à être efficaces à petite échelle avec les outils d’intervention et d’investissement actuels. On retrouve là la même difficulté que celle rencontrée pour le traitement des cités où s’accumulent les difficultés dans les zones urbanisées.
Il faut donc utiliser les mêmes outils pour permettre à l’action publique d’avoir une attention, des solutions et des budgets spécifiques aux territoires ruraux en déprise. Plutôt que constituer ex nihilo un nouvel outil public, il semble opportun que le ministère de la ville, compte tenu de son expérience, soit chargé de la mise en oeuvre de cette politique. Devenu Ministère de l’égalité des territoires, il aura pour charge de proposer aux collectivités locales, aux populations et aux jeunes en particulier, des dispositifs pour sortir de l’enclavement territorial et de la marginalisation économique et sociale. Donner aux villages pauvres ce que l’on donne aux cités défavorisées, c’est reconstruire du lien et du sens républicain en considérant à égalité les situations de toutes les populations, loin des notions de préférences communautaires, territoriales ou identitaires.
Ghettos urbains, le nécessaire retour de l’Etat régalien
Sans surprise c’est dans les quartiers urbains les plus dégradés et les plus ghettoïsés que le radicalisme a réussi son implantation sur notre territoire. Le fait que les éléments les plus violents soient issus de ces territoires est révélateur de l’emprise de l’idéologie radicale auprès d’une partie de la population de ces quartiers. Dans ces territoires l’enjeu désormais va au-delà de la simple prévention ou du suivi de quelques individus. Ici le radicalisme a pour objectif de maîtriser le territoire, d’y imposer ses normes pour implanter son projet au coeur de la république. A ce jour les islamistes radicaux ne contrôlent pas encore ces quartiers, mais ils y ont établi un rapport de force nettement visible, à travers l’affichage ostentatoire de signes religieux, le contrôle des commerces de proximité, et parfois même les affrontements contre la force publique. Les faits qui se sont déroulés à Dammarie-les-Lys suite à la verbalisation d’une femme portant la burqa sont à cet égard très inquiétants.
Evidemment tous les quartiers de banlieue et cités HLM ne sont pas dans la même situation, mais un axe Nord/Sud de grands ghettos urbains violents s’est dessiné ces dernières années. Des quartiers Nord de Marseille à la banlieue lilloise en passant par la périphérie lyonnaise et des secteurs de la région parisienne, de nombreux quartiers ont rompu avec l’ordre républicain. Ces bastions radicaux se caractérisent par trois critères majeurs. La présence majoritaire de populations issues de l’immigration et de culture musulmane, une concentration de misère sociale et humaine au-dessus de la moyenne et enfin une violence et une délinquance endémiques qui frappent les plus jeunes générations. En effet paradoxalement les militants radicaux s’implantent souvent en se présentant comme engagés contre la délinquance pour gagner la confiance des familles. Combien d’entre elles se sont félicitées de voir leur fils sortir de la consommation de drogue et d’alcool ou de la délinquance sous l’influence religieuse, sans comprendre le risque de les voir pris en main par des organisations criminelles ?
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Ne faut-il pas que les points de repère républicain et laïc se soient tous dissous pour que des autorités locales, des élus aient accordé leur soutien à des représentants cultuels ou des associations contrôlées par les radicaux. Il ne s’agit pas là de juger ou de leur faire porter une responsabilité, mais d’illustrer la « facilité » avec laquelle parfois le radicalisme se fraie un chemin dans des territoires abandonnés par la république où règne désormais un sentiment d’impuissance face au fatalisme du ghetto. En outre, l’influence grandissante des leaders religieux, des réseaux radicaux, leur donne une opportunité politique. Au coeur de la théorie islamiste, la démocratie est présentée comme un régime « faible », dont il faut profiter. A cet égard pousser ses ouailles à s’inscrire sur les listes électorales, les mobiliser le jour d’élections territoriales, est une manière d’influencer la démocratie.
On constate que dans les quartiers devenus des bases fortes du radicalisme, l’action des pouvoirs publics, avec son cadre juridique et ses modes d’interventions classiques, devient inopérante. Avant que l’ampleur du phénomène devienne une difficulté majeure pour le pays, il faut agir vite et fort pour étouffer dans l’oeuf ce qui s’apparente à des sécessions antirépublicaines. Seul l’Etat est aujourd’hui en situation d’agir. La première réunion interministérielle concernant la politique de logement et de peuplement va dans le bon sens. Ce n’est qu’un début qui doit s’accompagner d’une offensive plus importante pour récupérer le terrain et les populations qui y vivent. Radicalisme, misère, violence, l’action à entreprendre sur le court et long terme dans ces quartiers appelle à la constitution d’un nouveau statut dérogatoire particulier dans lequel l’Etat par ses représentants prend autorité sur ces territoires et y mène des actions et investissements hors du commun. Cette « mise sous tutelle » de territoires doit être ciblée sur quelques quartiers et limitée dans le temps avec pour objectif de retourner le plus vite possible au droit commun. Et il ne s’agit pas seulement de la redéfinition des circuits administratifs ou de la constitution d’une nouvelle commission ad hoc mais bien d’une prise en main directe par l’Etat.
Face à ce défi inédit, il semble utile de doter la puissance publique d’un outil adapté, destiné à des opérations publiques fortes et relativement ponctuelles. En prenant appui sur l’expérience des GIP (groupements d’intérêt public) ou des PPP (partenariats public privé) pourraient être constitués des GAR (groupements d’action républicaine) alliant la puissance de l’Etat et le dynamisme des acteurs sociaux et économiques. Sous le contrôle exclusif de l’Etat ces groupements dirigés nationalement et localement par des femmes et des hommes d’expérience seraient engagés contractuellement sur des objectifs et un calendrier précis. Forts d’un cadre d’action élargi et des ressources appropriées les GAR auraient toute latitude pour intervenir sur l’ensemble des dimensions de la vie d’un territoire, y compris sur le terrain de l’école, de la police ou du logement, en laissant place aux expériences et aux nouvelles pratiques. Rétablir l’autorité républicaine passera alors par le rétablissement de la sécurité et le recul de la violence, le soutien à toutes les initiatives en direction de la jeunesse, la reconstruction sociale de la population et du tissu économique local. En y associant le secteur privé par le biais d’entreprises, de professionnels de santé, ou encore d’acteurs culturels, les GAR doivent devenir le fer de lance républicain pour faire reculer significativement le radicalisme et ses réseaux.
L’enjeu urbain pour ces quartiers ne se limite pas aux objectifs de rénovation urbaine et de sécurisation. La crise des banlieues est liée à l’absence de politique urbaine au sens le plus philosophique du terme. Certains quartiers ne sont plus des lieux de vie mais des enchevêtrements de liens qui enferment ceux qui y vivent. Les urbanistes, les architectes, les artisans doivent reprendre du service ! Une pensée nouvelle et globale de la ville est à développer autour de plusieurs questions : Comment éviter, ou relativiser, la projection des ségrégations sociales dans l’espace ? Comment rendre la ville durable et écologique ? Comment effacer la frontière entre ville et campagne ? Autrement dit, on ne change pas les
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quartiers sans changer toute la ville. Aussi la réponse républicaine n’est pas une politique de compensation ou de rééquilibrage mais bel et bien d’intérêt général, et donc une politique soutenue par tous les citoyens.
Le constat fait par le Premier Ministre sur la situation de ces quartiers nous oblige à agir et à bousculer les frilosités et les habitudes. L’urgence de traiter ces abcès au coeur de notre territoire est absolue, cette action politique est sans doute la plus essentielle et la plus attendue par notre société après les attentats du mois de janvier. Et elle doit être menée avec une rapidité exceptionnelle, parallèlement à d’autres combats de longue haleine, pour la cohésion nationale et le développement économique et social. Ce qui est en jeu est essentiel. Des pans entiers de la population finiront-ils par être plus ou moins sous l’influence du radicalisme religieux ? La République française a-t-elle encore la force et les moyens de s’imposer sur son propre territoire ? Nous sommes ici concrètement face aux dangers qui nous menacent et devant notre responsabilité de répondre au moment historique du 11 janvier.
5. h – Une immigration républicaine
Théoriser un lien direct entre immigration et radicalité ne repose sur aucun fondement, puisque les candidats au djihad ou ceux prêts à des actions violentes sont issus de différentes catégories de la population. Ce lien entre migration et violence politique est un argument utilisé par l’extrême-droite pour manipuler l’opinion et faire croire à des solutions simplistes et dangereuses, de la même manière que lorsqu’elle impute toutes les difficultés économiques à l’euro. Cette manipulation fonctionne dans une partie de l’opinion publique pour deux raisons, d’abord parce qu’il est indéniable que des enfants ou petits-enfants des immigrations récentes ont franchi le pas du djihad, ensuite parce que dans les quartiers ghettoïsés la présence du radicalisme est visible. A cet égard le port du voile qui s’est généralisé dans les jeunes générations à travers tout le territoire inquiète jusqu’aux citoyens engagés dans la lutte contre les préjugés, troublés par ce qui est vu comme un « repli communautaire ».
L’immigration n’est pas en soi le vecteur du radicalisme qui s’implante dans notre pays. Mais au même titre que l’aménagement du territoire ou la marginalisation sociale de la jeunesse, l’absence de politique organisée de l’immigration y participe sûrement. Sujet maintes fois abordé dans le débat politique, la politique d’immigration de notre pays a fait l’objet de plusieurs législations. Pourtant force est de constater que l’arrivée des immigrés se fait dans la désorganisation la plus totale et ne répond de fait qu’aux logiques purement économiques autour de la main d’oeuvre non qualifiée que représentent majoritairement les immigrés. Pourquoi ? La disponibilité historique d’une main d’oeuvre issue des colonies depuis l’après-guerre a laissé de mauvaises pratiques s’enkyster. Alors que la France accueille une population immigrée importante depuis longtemps, elle ne s’est jamais donnée les moyens d’organiser en amont ce flux de population comme d’autres nations peuvent le faire. La raison de ce laisser-faire dans notre pays, plutôt habitué à multiplier les normes, tient à la difficulté historique des dirigeants politiques à traiter rationnellement l’immigration, sans cesse renvoyée à des enjeux symboliques ou culturels. Finalement la « main invisible du marché » impose sa réalité.
Dans le nouveau contexte historique que nous vivons ce « laisser-faire » doit cesser pour l’intérêt de tous et pour renforcer la République. Se doter d’une politique migratoire républicaine nécessite de sortir d’un système de pensée binaire : stop ou encore. Stratégiquement l’apport de l’immigration est
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essentiel pour la France, mais elle doit désormais anticiper les conséquences et la responsabilité de cet accueil de population étrangère. Le débat qui ressurgit sur les « seuils de tolérance » est à cet égard totalement superficiel et sans fondement. Bien entendu la quantification des capacités d’accueil est importante, mais elle doit être fondée sur des données objectives. Et c’est dans l’organisation de la filière légale d’immigration et les critères de choix que notre pays doit évoluer.
Les aspects techniques et logistiques (accueil, alphabétisation, logement…) sont importants pour la répartition territoriale des populations migrantes et leur rapport avec les autorités publiques, mais c’est sur les critères d’accueil que l’évolution doit être la plus marquée. Les qualifications professionnelles et le marché du travail ne peuvent être l’unique référent pour s’installer dans notre pays. La République française est en droit de demander une adhésion aux valeurs qui organisent la collectivité, en particulier sur deux points essentiels et non négociables.
En premier lieu le statut des femmes immigrées, qui doivent bénéficier de l’égalité des droits mais surtout de la liberté individuelle dont elles sont privées par les lois ou traditions de leur pays d’origine. Polygamie, excision, mariages forcés, esclavage domestique, obligation du port de signes religieux n’ont pas de place dans la République. Les candidates à l’installation en France doivent souscrire à ces conditions de manière à structurer les familles étrangères présentes chez nous autour de nos valeurs d’égalité et d’émancipation. Protéger et garantir les droits des femmes immigrées c’est créer un pare-feu interne et puissant contre le recrutement et l’influence du radicalisme religieux.
Le second point essentiel est bien entendu le principe de laïcité qui régit l’ensemble des relations sociales de notre pays. La laïcité doit être imposée et l’étranger qui souhaite vivre en France doit s’engager clairement à la respecter. Cette obligation n’est en rien attentatoire aux libertés individuelles et à la liberté de conscience toutes deux garanties dans le droit et dans les faits par la République. Les manipulations dialectiques autour des valeurs démocratiques pour contester la laïcité en France doivent être contrées. La laïcité n’est pas une option, pas plus qu’un choix individuel. C’est une règle qui s’impose à toutes et tous comme garante de l’équilibre entre les individus et la nation. Droits des femmes garantis et laïcité acceptée sont les deux piliers indispensables à la réussite d’une intégration politique et culturelle. Ce n’est pas le nombre d’immigrés qui pose des difficultés à la République mais le processus d’intégration sans ces valeurs structurantes.
Certains objecteront que ces nouvelles normes d’une politique migratoire seraient discriminantes. Cela est faux sur deux points. Tout d’abord, il faut rappeler que toutes les libertés individuelles doivent s’inscrire dans le cadre des droits de l’homme. De plus la France étant membre de l’espace Schengen, un candidat à l’immigration qui ne partagerait pas nos valeurs républicaines pourrait tout-à-fait s’installer dans un pays voisin, aux traditions et législations différentes.
La France est un des pays d’Europe qui accueille le plus d’étrangers et qui a une des plus grandes communautés musulmanes. En prenant des décisions politiques offensives, l’Etat peut faire de cette réalité une protection face à nos ennemis et à ceux qui veulent déstabiliser la population française. Plutôt que de se lamenter sur l’importation des idées radicales, la République doit se donner les moyens d’exporter un modèle d’émancipation et de progrès qui fasse envie aux populations qui vivent sous le joug des radicaux. Voltaire, l’esprit des lumières, reste une des forces de notre République, fille infidèle des religions mais mère protectrice des droits de l’homme !
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5. i – Internet, la loi du Far West
Les derniers dispositifs législatifs et réglementaires renforçant les mesures de sécurité sur internet ciblent les canaux d’expression, de propagande et de recrutement des djihadistes. Depuis longtemps le constat a été fait de l’utilisation subtile d’internet par les groupes radicaux. Pourtant les décisions prises par les pouvoirs publics ne sont que des réponses d’urgence et de colmatage qui n’élimineront pas l’activité des djihadistes sur la toile. Cela tient bien sûr à la difficulté d’opérer un contrôle total du réseau et aux limites évidentes du respect des libertés individuelles et collectives. Il y a de grandes chances qu’après une période d’adaptation, les djihadistes trouvent les moyens de contourner les barrières sur le net. Et leur propagande peut continuer à se diffuser de manière édulcorée sur des sites qui restent dans le cadre juridique légal. Faut-il en conclure que les pouvoirs publics, l’état de droit, ne peut s’imposer sur la toile ?
La réponse à cette question a été apportée par Pierre Bellanger, spécialiste incontesté des enjeux du réseau, qui a théorisé le concept de souveraineté numérique. Son constat, basé sur des années d’expérience, est que derrière l’anarchie supposée de la toile, se cache un ordre, celui des opérateurs américains qui de fait sont les vrais maîtres. Sa démonstration est implacable quand il évoque par exemple la plateforme YouTube. Premier site mondial de vidéos, il est utilisé par les djihadistes pour afficher leur propagande et en particulier les vidéos les plus violentes et les plus criminelles. Confronté aux demandes de particuliers ou d’Etats de censurer ces images, YouTube s’est toujours réfugié derrière le droit américain et les notions de liberté pour refuser de répondre aux injonctions. Aussi les images d’une décapitation peuvent rester accessibles plusieurs jours alors qu’une association de lutte contre le cancer du sein est censurée dans les minutes qui suivent sa mise en ligne pour cause de pornographie !
Bien entendu les Etats-Unis sont nos alliés dans le combat contre le djihadisme et c’est aussi leur intérêt de lutter contre leur propagande. Les révélations sur l’entrisme des services américains sur les réseaux démontrent que le gouvernement américain n’est en tout cas pas dans une politique de laisser-faire. Maîtrisant mieux les technologies d’internet, étant géographiquement plus éloignés du danger djihadiste, les américains, tout en étant dans le combat contre le radicalisme, sont aussi dans une stratégie impérialiste dans le domaine de la nouvelle économie et des nouveaux outils de surveillance. Autrement dit, si internet n’est pas régulable par les démocraties européennes, le réseau n’échappe pas à l’autorité américaine.
C’est à partir de ce constat que Pierre Bellanger en appelle à une prise de conscience rapide des autorités publiques pour assurer une souveraineté démocratique sur internet et défendre nos intérêts vitaux. Cela ne passe pas par une action juridique ou réglementaire, mais par le contrôle du coeur de la toile qu’est le système d’exploitation. La création d’un Commissariat à la souveraineté numérique s’impose comme l’outil indispensable permettant l’alliance des pouvoirs publics et du privé pour doter la France et l’Europe de leur propre infrastructure numérique, sans reproduire la logique autarcique du modèle chinois. Il ne faut pas oublier que sur internet les affaires continuent même pendant les guerres, et que les intérêts de nos alliés ne sont pas nécessairement les nôtres.
Invoquer la souveraineté à propos d’internet, c’est avant tout comprendre ce que représente le réseau pour la nouvelle génération. Pour cette net-génération, le réseau est une chambre, un salon, une rue, une place, une école, une entreprise, etc. Ils ne sont pas dans l’utilisation d’un média, mais se déplacent
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dans une nouvelle dimension, un nouvel espace dématérialisé. Au-delà de leur vie privée, la construction du lien social, de la conscience politique est désormais générée par l’interaction de réel et du virtuel. De fait cette segmentation n’a plus de sens pour eux, le réseau est souvent leur réalité et parfois le réel leur apparaît comme un artifice. Imaginer internet comme un tuyau à image et à texte que l’on pourrait filtrer est une illusion. Pourrait-on empêcher les individus de se parler ?
Et si internet est un territoire il faut y établir des règles de droit, mais surtout il faut que l’esprit républicain y soit présent en permanence. A cet égard, internet n’est pas un espace neutre, aujourd’hui c’est le droit américain qui le régente, demain c’est le modèle français qui doit s’y imposer comme garant de réelles libertés et de progrès. Tel est l’enjeu de la souveraineté numérique.
5. j – Libérer la parole, construire la fraternité
Le triptyque républicain concentre l’identité de notre nation, l’équilibre des termes qui le composent structure le débat politique. Liberté et égalité ont leur partisans, un peu plus de l’un ou de l’autre, voilà ce qui organise la segmentation gauche / droite et anime la vie politique.
La fraternité est consensuelle, ce qui dans l’esprit français passionné est aussi une marque de désintérêt. Pourtant c’est là que se trouve la plus grande blessure de notre pays. Aux crises successives sur le terrain social et économique s’est ajouté depuis près de trente ans la crispation d’un débat identitaire alimenté par l’extrême-droite mais traversant l’ensemble des familles idéologiques dans une ronde sans fin. Immigration, droit du sol et droit du sang, différentialisme contre égalité, nation contre Europe, identité régionale face à identité nationale, tous ces débats ont déchiré petit à petit le pacte fraternel qui lie notre pays. En matière d’identité, les haines, les rejets, les aprioris naissent du repli de chacun dans son camp, des points de vue univoques qui enferment et finissent par rendre inconcevable l’idée de vivre ensemble. En France on parle donc beaucoup d’identité mais on n’échange pas, on n’écoute pas l’autre qui de son côté se méfie aussi. Cette suspicion identitaire nourrit les tabous et dérégule en profondeur notre société. N’importe qui se croit autorisé à dire tout haut ce que les autres penseraient tout bas ! La place est alors largement ouverte à toutes les peurs, tous les fantasmes, tous les replis.
L’épisode de la minute de silence dans les écoles en hommage aux victimes des attentats en fut une illustration spectaculaire. Les uns montraient du doigt des enfants parfois très jeunes comme de véritables « criminels », les autres se sont enfermés dans le déni face à une jeunesse décalée de l’unité nationale qui régnait alors. Les deux parties étaient pourtant dans leur tort, car nul ne savait réellement ce que la jeunesse ressentait. Pourquoi ? Parce qu’une confusion s’est installée entre la nécessité de moments solennels et une minute de silence à contre-emploi. Il eut été alors utile de lier un acte d’hommage symbolique à une prise de parole des élèves pour comprendre. Comprendre que finalement près d’un jeune sur deux ne se sentait pas « Charlie », les uns par esprit rebelle, d’autres par incompréhension des enjeux, certains par adhésion symbolique aux arguments anti-Charlie.
Cette minute de silence dure en fait depuis des années, et finalement, à sa manière le monde adulte porte les mêmes contradictions, les mêmes désaccords, les mêmes ambiguïtés que la jeunesse. Regretter la « libération de la parole » à chaque fois que s’expriment des points de vue extrêmes est une
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posture confortable mais totalement contreproductive. Notre pays souffre à l’inverse du non-dit, de la confusion à laquelle mène l’absence de dialogue, d’échange et de contradiction. Tout ce qui est à la naissance du langage ! Dans toutes les communautés humaines, dans toutes les nations, l’identité est un sujet passionnel marqué par l’histoire. Les blessures ne guérissent pas seules, même avec le temps qui passe, il n’y a qu’à observer le traitement de la Révolution française ou de l’histoire coloniale pour le constater. Invoquer la fraternité républicaine pour qu’elle apaise notre pays n’est pas suffisant. Il faut guérir des blessures, des humiliations, chasser des peurs. Donner place à la raison face à la passion passe alors par la parole libre, non contrainte, qui seule permettra de reconstruire un dialogue national constructif.
Pour que l’esprit du 11 janvier perdure, il faut le remettre entre les mains du peuple français. Aucun parti, aucune institution n’est à l’origine de ce mouvement historique. Ce sont les femmes, les hommes, les enfants de notre pays qui l’ont fait naître en étant Charlie, en sortant dans la rue, en ne cédant pas à la violence, à l’envie de revanche. La parole doit être rendue à notre peuple.
A l’image du processus créé par Nelson Mandela en Afrique du Sud, un réel échange sur l’avenir de la République, sur les changements nécessaires, sur le bien commun, doit être organisé à travers tout le pays, dans tous les territoires. Les élus de toutes les obédiences et leurs administrations doivent organiser des rencontres en donnant la parole à tous pour que chacun puisse enfin dire ce qu’il a sur le coeur, dénoncer et proposer sans aucune censure, avec les mots de son choix, fussent-ils brutaux.
Le gouvernement, le Parlement, coeur de notre démocratie, doivent participer au processus et lui donner une traduction concrète dans des mesures exceptionnelles de salut républicain. Seule la vérité est révolutionnaire disait un homme politique russe. L’esprit de la révolution française, la République qui en est née, a besoin de cette vérité pour reconstruire la fraternité sans qui ni la liberté, ni l’égalité n’existeraient dans notre pays.
5. k – Toujours plus de République
Les grands évènements qui marquent l’histoire républicaine sont révélateurs des tendances lourdes et des mouvements de fond qui impactent notre société. Le défi lancé par le radicalisme à notre pays survient alors même que nous sommes en plein doute sur notre destin commun. Dans la mondialisation économique et technologique la France est en perte de repères. Puissance économique, puissance militaire, puissance culturelle, notre pays ne semble pourtant pas trouver sa place originale dans le concert des nations. Le projet européen pour les français se limite à des enjeux économiques au détriment de l’identité politique particulière que nous portons. La crise d’identité nationale ne peut se réduire aux difficultés économiques et sociales d’insertion dans la globalisation. Elle s’explique aussi par l’affaiblissement de la promesse républicaine, du pacte historique, celui de constituer un modèle qui conjugue liberté et progrès.
Un dicton populaire dit qu’ « à toute chose malheur est bon ». Quelle espérance pouvons-nous tirer du drame du mois de janvier 2015 ? La réponse repose sur la mobilisation historique du 11 janvier, là où nos ennemis ont frappé nous devons relever la tête et agir, pas simplement pour nous protéger, mais surtout pour assurer, défendre et relancer une République honnie par tous les obscurantismes. Nous ne
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sommes pas confrontés à un problème sécuritaire mais bel et bien à un défi politique majeur : opposer un contre modèle puissant à la montée du radicalisme sous toutes ses formes et au retour des obscurantismes. Nous n’avons plus le droit de douter, de pinailler, de calculer. L’heure est à l’action déterminée pour imposer le projet républicain. Si la France échoue, non seulement elle perd le fil de sa propre histoire, mais les autres nations perdront également un repère indispensable. L’action publique en réponse au radicalisme doit s’inscrire dans une logique de contre-attaque, en rendant à la République toute sa force et tout son attrait.
Pays de la diversité, pays de la laïcité, la France a un rôle central à jouer dans le combat mondial contre le radicalisme. Même si l’unité républicaine est menacée par des extrémismes de plus en plus influents, même si les français doutent, l’attachement à la démocratie et aux grandes institutions républicaines comme l’école ou le système de santé est profondément ancré chez nos concitoyens. Le radicalisme étant l’objet de ce rapport, l’accent a été mis sur les risques de division, les tentations de sécession, mais il ne faut pas occulter pour autant l’existence d’une matrice républicaine du corps social. Les nombreux mariages mixtes ou la présence de toutes les communautés au sein de l’armée française témoignent de la puissance intégratrice de notre modèle. Les français, dans leur grande majorité, reconnaissent les vertus de notre système républicain et sont imprégnés de ses valeurs. Soins médicaux de qualité, école gratuite, indépendance de la justice… les français tiennent à ces acquis qui sont autant de points d’appui pour redorer le blason républicain. Avant qu’elle ne soit minée par les extrêmes, il faut donc s’appuyer sur cette majorité pour mener le combat républicain.
Ce combat pour l’avenir est avant tout un engagement pour la jeunesse, pour lui redonner les raisons d’espérer et de faire de sa révolte un levier positif plutôt qu’un engrenage de violence et de destruction. C’est un long combat dans une période où l’éphémère règne, où le superficiel et l’égoïsme dominent. La puissance publique, par l’intermédiaire de l’Etat et de ses institutions, a l’occasion de retrouver son autorité. En effet dans l’épreuve les citoyens ont plébiscité nos institutions, nos fonctionnaires, à rebours des discours déclinistes qui alimentent notre quotidien.
Il nous faut être à la hauteur de cette confiance et de cette responsabilité. Pourtant, quelques semaines après l’union nationale qui a prévalu face aux attaques, la France semble déjà retomber dans ses vieux travers. Les grandes déclarations d’hier, les serments d’engagement semblent s’évanouir au profit des petites affaires du quotidien. Plus que de la force de nos adversaires, nous devons nous méfier de nous-mêmes, de l’esprit de résignation, d’autodénigrement, qui mène à la faillite morale et politique. Considérer que l’impact politique et émotionnel des attaques du mois de janvier 2015 est suffisant pour nous garantir un avenir serait une erreur considérable.
L’histoire de notre génération n’est pas encore écrite, notre destin est entre nos mains, c’est à nous de défendre la liberté dont les ennemis de notre pays veulent nous priver. Agissons pour être fidèle à notre histoire, pour notre peuple et toutes celles et ceux qui dans le monde se sentent « Charlie ».
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Annexes
Lettre de mission
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Liste des personnes auditionnées
PJJ – Protection judiciaire de la jeunesse
Mme Catherine Sultan, directrice de la PJJ
Mme Delphine Bérgère-Ducote, adjointe au chef de bureau des méthodes et de l’action éducative
CIPD – Comité Interministériel de Prévention de la Délinquance
M. Pierre N’Gahane, secrétaire général du CIPD
M. Matthieu Piton, chef de cabinet
UCLAT – Unité de Coordination de la lutte Anti-Terroriste
Rencontre dans leurs locaux avec M. Jean-François Gayraud, adjoint au chef de l’UCLAT et son équipe
M. le Préfet Alain Zabulon, coordonnateur national du renseignement
M. Eric Bellemin-Comte, conseiller sécurité intérieure
M. Patrick Kanner, Ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports
M. le Préfet Lambert, ancien chef du Raid, ancien commissaire de Police devenu Préfet
M. Pierre Conesa, ancien haut fonctionnaire du Ministère de la Défense (France), auteur d’un rapport sur la contre-radicalisation pour la Fondation d’aide aux victimes du terrorisme (2014).
M. Bernard Schmeltz, Préfet de l’Essonne
Maison de la prévention et de la famille (cellule de déradicalisation)
Mme Sonia Imloul, responsable de la cellule
Mme Valérie Aubry-Dumont, interlocutrice des familles
Mme Carole Grandu, psychologue
Mme Inès Weber, psychologue clinicienne spécialisée en psychopathologie de l’enfance et de l’adolescence
M. Tobie Nathan, professeur émérite de psychologie, ethnopsychiatre
M. Gilles Kepel, spécialiste de l’islam et du monde arabe contemporain, professeur des universités à l’Institut d’études politiques de Paris
M. Serge Hefez, psychiatre et psychanalyste français, responsable de l’unité de thérapie familiale dans le service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à la Pitié-Salpêtrière de Paris, consultant pour le CPDSI
MIVILUDES – Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires
M. Serge Blisko, Président
Mme Audrey Keysers, conseillère
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CEIS – Compagnie Européenne d’Intelligence Stratégique
Mme Olivia Cahuzac, mission de veille et d’analyse sur les questions de défense et de sécurité
M. Axel Dyevre, Directeur du Bureau européen de CEIS
JOC – Jeunesse ouvrière chrétienne
Mme Fabienne Ferrerons, Secrétaire Nationale
UNI – Union nationale inter-universitaire
M. Olivier Vial, Président
M. Kevin Fontaine
FNJ – Front national de la jeunesse
M. Gaëtan Dussausaye, Directeur national du FNJ
M. Jordan Bardella, secrétaire départemental du Front National du 93
FIDL – Fédération indépendante et démocratique lycéenne
Mme Zoia GULCHBAUER, Présidente
UEJF – Union des étudiants juifs de France
M. Sacha Reingewirtz, Président de l’UEJF
Mme Judith Cohen Solal, fondatrice et formatrice du module Coexist
EMF – Etudiants musulmans de France
M. Anas Saghrouni, Président
M. Yanis Khalifa, responsable relations publiques de EMF
FAGE – Fédérations des associations générales étudiantes
M. Alexandre Leroy, Président
MJS – Mouvement des Jeunes Socialistes
Mme Mathilde Maulat, secrétaire nationale en charge de la Conférence Climat
M. Quentin Henaff, secrétaire national à l’éducation et à la jeunesse
Planning familial
Mme Véronique Sehier, coprésidente
Mme Carine Favier, coprésidente
M. Jean-Paul Ney, ancien éducateur, auteur de Génération Merah, Pourquoi font-ils le djihad ?
MJC de Sainte-Geneviève-des-Bois
Mme Virginie Tellenne – Frigide Barjot, porte-parole de la Manif pour Tous
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Ont contribué à l’élaboration de ce rapport, Madame Olivia Jean et Monsieur Xavier Dupont, administrateur civil hors classe, Ministère de l’Intérieur.