Mort de Salinger: Holden Caulfield pouvait-il être autre chose qu’un anti-David Copperfield? (All that David Copperfield kind of crap: Hold on to your caul, Holden Caulfield!)

31 janvier, 2010
Le succès est toujours issu d’un malentendu. Paul Valéry (?)
Au héros du plus grand désir succède le héros du moindre désir. (…) Le romantique ne veut pas vraiment être seul; il veut qu’on le voit choisir la solitude. René Girard (Pour un nouveau procès de L’Etranger, Critiques dans un souterrain, 1976)
Coming thro’ the rye, poor body, Coming thro’ the rye, She draiglet* a’ her petticoatie, Coming thro’ the rye. (…) Gin a body meet a body, Comin thro’ the rye, Gin a body kiss a body, Need a body cry? Robert Burns (Coming thro’ the Rye”, 1796)
Si vous voulez vraiment que je vous dise, alors sûrement la première chose que vous allez demander c’est où je suis né, et à quoi ça a ressemblé, ma saloperie d’enfance, et ce que faisaient mes parents avant de m’avoir, et toutes ces conneries à la David Copperfield, mais j’ai pas envie de raconter ça et tout. Holden Caufield (1ère phrase de L’attrape-coeurs, 1951)
(…) Je suis né coiffé: on mit ma coiffe en vente par la voie des annonces de journaux, au très-modique prix de quinze guinées. Je ne sais si c’est que les marins étaient alors à court d’argent, ou s’ils n’avaient pas la foi et préféraient se confier à des ceintures de liège, mais ce qu’il y a de positif, c’est qu’on ne reçut qu’une seule proposition; elle vint d’un courtier de commerce qui offrait cinquante francs en argent, et le reste de la somme en vin de Xérès: il ne voulait pas payer davantage l’assurance de ne jamais se noyer. On renonça donc aux annonces qu’il fallut payer, bien entendu. Quant au xérès, ma pauvre mère venait de vendre le sien, ce n’était pas pour en acheter d’autre. Dix ans après on mit ma coiffe en loterie, à une demi-couronne le billet, il y en avait cinquante, et le gagnant devait ajouter cinq shillings en sus. J’assistai au tirage de la loterie, et je me rappelle que j’étais fort ennuyé et fort humilié de voir ainsi disposer d’une portion de mon individu. La coiffe fut gagnée par une vieille dame qui tira, bien à contre-coeur, de son sac les cinq shillings en gros sols, encore y manquait-il un penny; mais ce fut en vain qu’on perdit son temps et son arithmétique à en convaincre la vieille dame. Le fait est que tout le monde vous dira dans le pays qu’elle ne s’est pas noyée, et qu’elle a eu l e bonheur de mourir victorieusement dans son lit à quatre-vingt- douze ans. On m’a raconté que, jusqu’à son dernier soupir, elle s’est vantée de n’avoir jamais traversé l’eau, que sur un pont: souvent en buvant son thé (occupation qui lui plaisait fort), elle s’emportait contre l’impiété de ces marins et de ces voyageurs qui ont la présomption d’aller «vagabonder» au loin. En vain on lui représentait que sans cette coupable pratique, on manquerait de bien de petites douceurs, peut-être même de thé. Elle répliquait d’un ton toujours plus énergique et avec une confiance toujours plus entière dans la force de son raisonnement:«Non, non, pas de vagabondage.» Mais pour ne pas nous exposer à vagabonder nous-même, revenons à ma naissance. David Copperfield (Charles Dickens, 1850)
Le problème avec les enfants, c’est que s’ils veulent récupérer l’anneau en or, il faut les laisser faire et ne rien dire. S’ils tombent, ils tombent. Holden Caulfield
C’est ça le problème. Vous pouvez jamais trouver un endroit qui soit sympa et paisible, parce qu’y en a pas. Ça peut vous arriver de croire qu’y en a un mais une fois que vous y êtes, pendant que vous regardez pas, quelqu’un s’amène en douce et écrit « je t’enc… » Juste sous votre nez. Essayez pour voir. Holden Caulfield
Je suis sûr que la plus grande partie de moi même est Holden Caulfield. L’autre doit être le diable. Mark David Chapman (assassin de John Lennon)
In its modern form the American bildungsroman (the novel of formation) descends from  »The Catcher in the Rye » (1951). Reinvigorated by feminism in the 70’s, urbanized and coked-up in the 80’s, it was grunged-down and nonfictionalized in the memoir-mad 90’s (not necessarily a terrible development since most first novels are quasi memoirs anyway.)Though often disappointed and frequently bored senseless by the antics of Holden’s progeny, I still believe there’s a type of cultural news that can be delivered only by those who’ve recently crossed over from the riotous country of adolescence, as well as a new spin on the literary traditions that have long since become reified in the minds of older writers. There are certain zeitgeist frequencies to which young ears are more attuned. Jay Mcinerney
Le jeune Holden Caufield est donc un anti-David Copperfield (cité dans l’incipit). Un anti-héros. Contrairement à la mythologie américaine, il ne va pas vers l’Ouest (vers Hollywood, par exemple, où son frère DB a fait fortune comme scénariste) mais retourne plutôt vers l’Est, vers New-York, vers sa famille, ses origines sociales (bourgeoisie intello East Coast). (…) On le voit: L’attrape-coeurs n’est pas un roman d’apprentissage, ni même un roman de voyage. Il crée plutôt un genre: le roman de la résignation. Le héros ne parvient ni à découvrir le monde ni à le fuir, encore moins à l’enchanter ou à le transformer. Il n’en tire ni sagesse ni émerveillement; au contraire, le personnage est réduit à néant par des forces sociales qui le soumettent. Skanderkali
L’auteur de L’attrape-cœurs est mon écrivain préféré, il a 88 ans et j’en ai marre qu’il soit mon contraire absolu. Quand il avait mon âge, Salinger était une star qui draguait les filles, dînait au Stork Club, jouait au poker, fréquentait les journalistes, et se saoûlait au Chumley’s avec des écrivains et des éditeurs. Et puis, un beau jour, il a complètement disparu.(…) Son célèbre héros Holden Caulfield, l’éternel adolescent fugueur, a changé ma vie: un garçon qui s’enfuit de son école, ment sur son âge pour entrer dans des bars, harcèle une pute, prend des taxis qui puent le vomi, se demande où vont les canards de Central Park en hiver, dit «nom de Dieu» tout le temps avant de tomber amoureux d’une bonne sœur ne pouvait que devenir mon meilleur copain. (…) En Amérique, The Catcher in the Rye est un peu l’équivalent de L’étranger de Camus, publié dix ans plus tôt (si Albert Camus n’avait pas eu d’accident de voiture en 1960, il aurait aujourd’hui à peu près le même âge que Salinger – à peine six ans de plus). Frédéric Beigbeder

Holden Caufield pouvait-il être autre chose qu’un anti-David Copperfield?

Alors qu’avec son ultime disparition, l’auteur du livre culte qui avait mis à la portée de tant de générations d’ados (et de quelques criminels) la révolte et les poses romantiques de notre « Etranger » national, semble avoir relancé pour un tour le mythe à présent plus que cinquantenaire de l’ « Attrape-cœurs » …

Retour sur une intéressante critique de 2006 du site Skandrkali qui a le mérite de rappeler l’étrange affinité de l’escapade du « fils-à-papa ado et new-yorkais des années 40 » avec « les fils-à-papa parigots de [pas seulement] 2007 ».

Et surtout son côté anti-roman d’apprentissage où un anti-héros et véritable anti-David Copperfield (contre lequel, dès la première phrase, le roman se positionne justement) passe son temps à refuser tout ce qui l’entoure pour s’enfermer (comme plus tard son auteur dans le silence) dans la maladie mentale.

Mais qui pourtant semble étrangement oublier tout ce que ces refus ont de (sur)joué et surdéterminé pour, dix ans après le triomphe de « l’Etranger » et à la veille de la « génération beat » et de la contreculture (et, de « la Fureur de vivre » à « A bout de souffle », tous leurs émules du « mal de vivre »), ce bon élève de nos existentialistes à la Sartre et Camus (« l’enfer c’est les autres » et la « phoniness » est-elle autre chose que la bonne vieille « aliénation » ou « mauvaise foi » de nos « philosophes de classe terminale »?).

Le reste n’étant, comme on dit, que littérature, autrement dit qu’écran de fumée.

Comme son obsession de rattraper les enfants (« l’attrapeur dans les seigles » du titre, lui-même pourtant si pressé de perdre sa virginité) de peur qu’ils ne chutent et perdent leur innocence, métaphore centrale de l’histoire tirée de la déformation d’une vieille ritournelle du poète écossais Robert Burns où, à la faveur d’une confusion entre deux mots (« meet »/ »catch »), la défense des joies innocentes des amours des champs de seigle (une sorte d’anti-« A la Claire fontaine » où au contraire une jeune invitée de retour de noces pleure son ami perdu pour lui avoir refusé son « bouquet de roses » ou, plus explicitement, son « bouton de rose ») se transforme en son exact opposé.

Ou son nom qui, au-delà du prénom du bon ami de l’auteur Holden Bowler, musicien itinérant rencontré dans sa jeunesse sur un bateau de croisière où il travaillait comme garçon de salle, évoque le terme anglais pour la coiffe (« caul » – suivi du « field  » du « champ de seigles » mais aussi de la fin du nom du héros dickensien), la membrane avec laquelle naissent certains bébés (la poche des eaux non rompue en fait) et qui, comme pour le héros du merveilleux roman pseudo-autobiographique de Dickens (qui 100 ans plus tôt commence par… raconter sa propre naissance!) était autrefois considéré comme un signe de bonne fortune et de haute destinée (d’où l’expression « être né coiffé »), voire d’une certaine capacité de défendre la fertilité et les récoltes contre les forces du mal incarnées par les sorcières et sorciers (jusqu’à être précieusement conservée, roulée ou cousue dans les vêtements, comme amulette, voire revendue, comme dans le cas du héros de Dickens, comme porte-chance notamment à des marins!).

D’où, nouveau renforcement de la métaphore centrale de l’oeuvre, l’attrape-coeurs (ou plutôt « attrape-coiffes ») Holden Caulfield (« hold on to caul ») se voyant appeler à aider lesdits enfants à « retenir leur coiffe », autrement dit à préserver, en bon élève de Rousseau face au monde adulte jugé corrompu, l’innocence avec laquelle ils étaient censés être nés …

« L’attrape-coeurs » de Salinger: roman de la résignation et de l’enfermement
Skanderkali
décembre 26, 2007

La plupart des gens qui parlent de L’attrape-coeurs (« The catcher in the rye » en vo) ne semblent pas l’avoir lu.

En général, en évoquant ce texte, on causera de l’auteur (ah! le mythe de l’ermite Salinger…), de quelques répliques ou références (pratique pour ne pas avoir à lire l’oeuvre entièrement…) ou, pire, du vague mal-être adolescent et de la gouaille qui va avec.

Ce type de remarques paresseuses, superficielles et branchées sont d’autant plus pernicieuses qu’elles ne sont pas totalement fausses, même si elles ne font qu’effleurer la réalité. Autant réduire Wilde à l’homosexualité, Yourcenar à la bisexualité et Camus à l’Algérie des pieds-noirs. La caricature est parfois vraisemblable ; elle est souvent mensongère.

Tout ça pour dire que L’attrape-coeurs mérite d’être lu attentivement et non pas cité pour ses quelques bons mots, insignifiants hors de leur contexte.

Mais ce n’est pas un hasard si cette oeuvre fait un tabac parmi les fils-à-papa parigots de 2007 qui ne prennent pas vraiment le temps de lire (d’ailleurs, aiment-ils vraiment ça, lire ?)

Car justement, le héros du « Catcher in the rye », Holden Caufield est un fils-à-papa ado et new-yorkais des années 40.

Lycéen « emprisonné » dans une pension pour gosses de riches en Pennsylvannie, Holden fait une « fugue » qui le ramène dans son quartier, à New-York, en plein Manhattan chicos. Entre bars branchés, rencontres urbaines et micro-aventures, il retournera même chez ses parents, clandestinement, afin de rendre visite à sa petite soeur.

Le jeune Holden Caufield est donc un anti-David Copperfield (cité dans l’incipit). Un anti-héros. Contrairement à la mythologie américaine, il ne va pas vers l’Ouest (vers Hollywood, par exemple, où son frère DB a fait fortune comme scénariste) mais retourne plutôt vers l’Est, vers New-York, vers sa famille, ses origines sociales (bourgeoisie intello East Coast).

On le voit : L’attrape-coeur n’est pas un roman d’apprentissage, ni même un roman de voyage. Il crée plutôt un genre : le roman de la résignation. Le héros ne parvient ni à découvrir le monde ni à le fuir, encore moins à l’enchanter ou à le transformer. Il n’en tire ni sagesse ni émerveillement; au contraire, le personnage est réduit à néant par des forces sociales qui le soumettent.

Autrement dit, malgré sa pseudo-fugue, Holden se trouve englué dans son milieu, dans ses amitiés, dans ses flirts. La brouille avec sa copine Sally qui refuse de le suivre dans une improbable escapade pour le Massachussets est symptomatique. La dispute se conclut d’ailleurs par un aveu d’échec existentiel :

« Y aura pas d’endroits merveilleux où aller quand j’aurai fini mes études. »

Et c’est là qu’apparaît un des thèmes majeurs du texte : l’enfermement.

L’enfermement physique (pensionnat), géographique (New-York et précisèment Manhattan), social (une bourgeoisie où tout se monnaie en dollars, où les relations sociales sont codées et les avenirs déterminés) et surtout psychologique.

L’enfermement est psychologique, avant tout. Car Holden Caufield est, même si personne n’évoque jamais ce point assez subtil, un maniaco-dépressif interné. Ce point discret mais manifeste est souligné dès la première page :

« Je veux juste vous raconter ce truc dingue qui m’est arrivé l’année dernière vers la Noël avant que je sois pas mal esquinté et obligé de venir ici pour me retaper. »

Ce ici ne peut qu’être qu’une maison de repos. Ce point est d’ailleurs évoqué, de manière synthétique, à la fin du texte :

« Je pourrais vous raconter […] comment je suis tombé malade et […] quand je serai sorti d’ici. Y a un tas de gens comme ce type, le psychanalyste qu’ils ont ici, ils arrêtent pas de me demander si je vais m’appliquer en classe…. »

Bref, Holden est un malade psychiatrique interné qui raconte une fugue dans un univers clos. Et ses pulsions de mort omniprésentes structurent sa narration. D’où les répétitions constantes de l’expression « ça m’a tué’ ou l’évocation de la mort de son jeune frère Allie atteint d’une leucémie ou encore, la scène macabre dans la salle-de-bains où Holden s’imagine avec « une balle dans le ventre ».

D’où une voix narrative saturée de répétitions et de variations sur la mort, la saleté, la dévalorisation. Son langage « ado » n’est pas pauvre, au contraire : il souligne le ressassement d’Holden et son enfermement linguistique pathologique.

D’ailleurs une lecture fine mettrait en valeur la mise en scène du langage lui-même : entre les noms propres, les noms de marques, de lieu, les titres, les italiques et le discours indirect, toute parole semble étrangère, sujette à commentaire ou à réinterprétation par le héros psychopathe.

Voilà. Enfermement psychiatrique, pulsions morbides, déterminisme social implacable, résignation : c’est la réalité textuelle de L’attrape-coeur. Pas forcèment glamour et paillettes. Heureusement. En tout cas mieux vaut lire ce bon vieux Salinger qu’en parler…

Voir aussi:

A l’occasion de la mort de l’écrivain américain, nous republions une série d’articles sortis en 1995 et 2001 dans Le Monde des Poches.
Le mystère « Attrape-cœurs »
Martine Silber
Le Monde
28.01.10
Le Monde des Poches

Le 16 juillet 1951, The Catcher in the Rye est publié aux Etats-Unis. L’auteur en est un jeune homme, Jerome David Salinger, dont on a déjà pu lire quelques nouvelles, très applaudies dans les milieux littéraires, dans des magazines comme Collier, Story ou The New Yorker. Rien toutefois qui puisse laisser deviner la déferlante provoquée par The Catcher.

Difficile d’imaginer aujourd’hui qu’un livre puisse déclencher à la fois un tel enthousiasme et un tel rejet. Il a marqué de façon indélébile toute la jeunesse américaine, et cela de façon continue pendant des années – Mark Chapman, l’assassin de John Lennon, en avait un exemplaire dans sa poche –, puis la jeunesse européenne, en particulier en France. Plus de cinquante ans après (l’action se situe à la fin décembre 1949), on a du mal à comprendre à la fois comment ce livre a pu avoir un succès si phénoménal et susciter tant de hargne et de rejet aux Etats-Unis, où il a été exclu des bibliothèques de certaines écoles et par certaines communautés : ainsi, en 1982, il a été retiré des bibliothèques scolaires de Calhoun County, en Alabama.

Le succès du Catcher n’a pas été immédiat – il lui faudra quatre ou cinq années avant de devenir un livre « culte » – mais il ne fera que croître et embellir avec la publication des recueils de nouvelles qui vont suivre, même si la critique anglo-saxonne, qui avait encensé les premiers livres, se mobilise pour descendre en flammes Franny and Zooey : de John Updike à Norman Mailer en passant par John Steinbeck, George Steiner, Mary McCarthy ou Katherine Anne Porter, c’est à qui vilipendera le plus l’auteur et ses œuvres : il ne sait pas écrire, il ne rédige que de « prétentieux divertissements », il n’a aucune maturité, il est une sorte d’ « industrie » à lui tout seul, « un homme sandwich »… Les paroles s’envolent, le succès reste.

Quand The Catcher in the Rye est publié en France, par Robert Laffont, en 1953 – sous ce titre raté mais qui lui est resté, L’Attrape-cœurs, qui faisait écho au déjà très célèbre roman de Boris Vian : L’Arrache-coeur –, il passe quasiment inaperçu, atteignant à peine 7 000 exemplaires jusqu’en 1960, alors qu’à la même époque il s’en vendait quelque 250 000 exemplaires par an aux Etats-Unis, rien qu’en édition de poche. Ce sont les Nouvelles (Nine Stories), publiées en français en 1961, qui produisirent sur les jeunes Français et sur les critiques cette onde de choc qui se fait sentir encore aujourd’hui chez tous ceux qui les ont lues, il y a donc quelque quarante années. Ce sont les lecteurs des Nouvelles qui vont se précipiter sur le roman. Un bulletin publicitaire des éditions Robert Laffont cite, au moment de la publication de Franny and Zooey, les avis (français et prémonitoires) émis à propos de L’Attrape-cœurs par d’éminents critiques comme Robert Kanters, qui compare Salinger à Alain-Fournier (et le livre au Grand Meaulnes) ou Kléber Haedens : « L’auteur vient de prouver que l’on pouvait toujours rendre neuf et surprenant le thème le plus usé de l’écriture. »

L’Attrape-cœurs comme les Nouvelles ont été traduits par un jeune homme de 19 ans qui signe Jean-Baptiste Rossi et qui deviendra plus tard Sébastien Japrisot. Ces traductions n’ont pas toujours emporté l’adhésion du public. L’éditeur fit retraduire The Catcher en 1986 par Annie Saumont – en ajoutant un « s » au titre qui devint L’Attrape-cœurs – mais aujourd’hui cette version a également beaucoup vieilli… Grâce peut-être à ces traductions contestées, J. D. Salinger a été souvent le premier auteur lu directement en anglais par les jeunes Français.

Pour des raisons jamais vraiment explicitées, Salinger s’est retiré du monde et n’a plus rien publié, à part une longue nouvelle dans The New Yorker daté du 19 juin 1965, Hapworth 16,1924, dont on attend une réédition toujours repoussée (mais promise sur Amazon.com pour novembre 2002). Cette disparition a sans aucun doute été l’un des facteurs du mythe Salinger, l’auteur en qui tant d’adolescents voyaient cet écrivain dont parle Holden Caulfield, le narrateur : « Mon rêve, c’est un livre qu’on n’arrive pas à lâcher et quand on l’a fini on voudrait que l’auteur soit un copain, un super-copain et on lui téléphonerait chaque fois qu’on en aurait envie. » J. D. Salinger a déçu toutes ces espérances en refusant tout courrier, tout entretien, tout hommage, que ce soit sous forme de livre, de film ou même de site Internet. Cela n’a pas empêché quelques paparazzi de faire des photos terribles de cet homme vieillissant. Et surtout, très récemment, une de ses anciennes petites amies, Joyce Maynard, publiait ses Mémoires, At Home in the World ; elle a même vendu aux enchères les lettres qu’il lui avait adressées, lettres achetées par un admirateur qui les lui a retournées. La fille de Salinger a également publié un livre de souvenirs, faisant de lui un portrait accablant.

Voir également:

Pour saluer Salinger

Pierre Assouline

La République des livres

29 janvier 2010

Jerome David Salinger dit J.D. Salinger a vraiment existé : la preuve vient de nous en être donnée avec l’annonce de sa mort. Il avait 91 ans. Si nombre d’écrivains sont connus pour leur notoriété, lui l’était pour sa ténacité à la fuir sous toutes formes. Ce grand absent de la scène littéraire était pourtant bien plus présent dans l’imaginaire des lecteurs que la plupart des saltimbanques du circuit. Les cyniques y trouvèrent matière à persiflage en rappelant qu’il n’est justement pas de meilleure manière de captiver l’opinion que de s’envelopper de ce mystère-là dans une société où triomphe le spectacle. Qu’importe puisque au bout du compte, seule compte l’oeuvre, ce qui restera vraiment. Peu de livres publiés, peut-être davantage écrits mais détruits ou enfermés dans un coffre, avec lui il faut s’attendre à tout. Une poignée de volumes, donc, des recueils de nouvelles Franny and Zooey (1961), et Dressez haut la poutre maîtresse, charpentiers (1963) éclipsés de toute façon dès 1951 par L’Attrape-coeurs (The Catcher in the rye, traduit de l’anglais par Jean-Baptiste Rossi alias Sébastien Japrisot, Robert Laffont, 1953, disponible au Livre de poche, retraduit longtemps après par Annie Saumont, titre original anglais inspiré du poème de Robert Burns Coming through the rye).

C’est l’un des rares romans du XXème siècle qui ait profondément marqué plusieurs générations sur plusieurs continents (on lira ici ses premières critiques). Une lecture considérée comme un rite de passage de l’adolescence à l’âge adulte. On parle de 60 millions d’exemplaires mais allez savoir. A croire que l’expression galvaudée « livre-culte » a été inventée tout exprès pour lui. Le nom même du narrateur Holden Caulfield est devenu un mot de passe et un sésame entre des lecteurs qui ne se connaissent pas : il n’est que de dresser l’inventaire de tout (chansons, poèmes, livres etc) dans la culture populaire lui lance des clins d’oeil. On s’en doute, malgré les propositions mirifiques qui n’ont pas manqué de lui être envoyées, Salinger n’a jamais cédé les droits d’adaptation cinématographiques de son livre. Mais il n’a pu empêcher que l’assassin de John Lennon lui fasse dédicacer son propre exemplaire de L’Attrape-coeurs juste avant le coup de feu.

Juif new yorkais par son père, catholique irlandais par sa mère, c’était un Américain. On peut dire qu’il a connu lui aussi les étapes assez classiques de bon nombre d’écrivains américains de sa génération : une scolarité assez médiocre, la révolte contre le père jusqu’à sa mise en à distance définitive, le traumatisme du combat au cours de la seconde guerre mondiale, les ateliers d’écriture à Columbia University (NY), la publication d’un grand nombre de nouvelles dans des petites revues puis des grands magazines… Sauf que si presque tous ont plus ou moins vécu cela, un seul a réussi comme lui à rendre les désarrois de l’élève Caulfield, ses colères d’adolescent en crise ruminées à New York durant les deux jours au sein desquels s’inscrit le récit de ce glissement progressif dans la folie, loin de Pencey Prep qui l’a jeté, un collège fortement inspiré de sa propre académie militaire de Valley Forge (Pensylvannie). Une manière tout sauf racoleuse d’interpeller le lecteur dès le début pour le rendre complice et ne plus le lâcher pendant 255 pages, un humour mâtiné d’argot d’une rare inventivité, la crudité du langage, le travail sur l’écriture prétendument parlée, l’errance d’un jeune dans la ville, les scènes sexuellement ambiguës, l’incapacité à communiquer avec les autres, la connivence avec le professeur Antolini, les sentiments très forts pour son grand frère charismatique disparu et sa petite soeur, toutes choses qui signent sa singularité, jusqu’au dévoilement final que sal.1264715717.jpgtout ceci étant une confession enregistrée ce n’est pas tant au lecteur qu’elle s’adressait…(on n’en dira pas davantage par empathie pour les heureux qui ne l’ont pas encore lu). Outre son roman et ses nouvelles, J.D. Salinger se trouve aussi, quoi qu’il en ait dit, dans la non-biographie ou la biographie impossible que Ian Hamilton lui consacra sous le titre A la recherche de J.D. Salinger (L’Olivier), exercice hautement périlleux si l’on en juge par les lambeaux de lettres qu’elle contient, l’écrivain, furieux de ce projet, ayant fait mener par son avocat une longue bataille judiciaire pour user de toutes les prérogatives qui lui conférait sa propriété de ses propres lettres. A partir des années 50, rattrapé mais pas dépassé par son succès, J.D. Salinger choisit aux yeux du monde la réclusion volontaire dans sa maison de Cornish, New Hampshire, bien moins « enfermé » que ne l’était son héros. Et basta ! lisez-le et vous verrez, même si vous n’avez plus 17 ans. Quoi encore ?

« Et tout, et tout… », comme il est dit dans un certain roman.

Voir encore:

When books kill
Movies and video games get blamed for acts of senseless violence all the time. But some famous murderers got their ideas from literature.
Aidan Doyle
Salon
December 15, 2003

We’ve all heard about how computer games and films have supposedly influenced people to commit violence. In October a $246 million lawsuit was lodged against the makers of the game Grand Theft Auto III by the families of two people shot by teenagers allegedly inspired by the game. Such movies as « Natural Born Killers, » « A Clockwork Orange » and « Money Train » have routinely been accused of inspiring copycat crimes. But what about novels? Is literature incapable of inspiring moronic acts of mayhem?

Many of the controversial novels of the last century were publicly condemned because it was believed they would lead to a decay in public morals. These criticisms were often patronizing (« Won’t somebody please think of the children? »), expressing the belief that less educated members of society were likely to imitate anything and everything they read. The prosecutor in the 1960 British obscenity trial of « Lady Chatterley’s Lover » asked jurors if it was the kind of book they wanted their wife or servants to read.

As ludicrous as that may sound today, obviously people are influenced by what they see and read, and authors have little control over how people will react to the ideas in their books. Although Isaac Asimov was a fierce critic of religion and New Age thinking, the Japanese doomsday cult Aum Shinrikyo was heavily influenced by his « Foundation » series of novels. The novels depict a universe where a galactic empire has become decadent and ripe for collapse. The empire’s ruling planet is a vast hive of people and the only natural environment is the garden surrounding the emperor’s palace. Only the foresight of Hari Seldon and his secret society of scientists can preserve civilization’s knowledge before it is lost in the dark ages. Seldon’s followers convert their society into a religion, believing « it is the most potent device known with which to control men and worlds. »

Although Asimov based his empire on ancient Rome, members of Aum Shinrikyo saw similarities between Asimov’s empire and modern Japanese society. The cult’s founder, Shoko Asahara, preached that civilization was coming to an end and only the faithful would survive. He gathered around him a team of scientists from diverse disciplines. David Kaplan and Andrew Marshall’s « The Cult at the End of the World » outlines how the cult’s chief scientist, Hideo Murai, saw Aum’s mission to save humanity from the coming apocalypse as mirroring the Foundation’s struggle:

« In an interview, Murai would state matter-of-factly that Aum was using the Foundation series as the blueprint for the cult’s long term plans. He gave the impression of ‘a graduate student who had read too many science fiction novels,’ remembered one reporter. But it was real enough to the cult. Shoko Asahara, the blind and bearded guru from Japan, had become Hari Seldon; and Aum Shinrikyo was the Foundation. »

Asahara directed his scientists to create a variety of chemical and biological weapons to fight their enemies. When the predicted apocalypse wasn’t forthcoming, Asahara decided to take matters into his own hands. On March 20, 1995, some of his followers released sarin gas in the Tokyo subway, killing 12 people and injuring more than 5,000.

An article in the Guardian, the British newspaper, speculated that « Foundation » may have also influenced Osama bin Laden and al-Qaida. It related claims that « Foundation » had been translated into Arabic under the title « al-Qaeda » — which means the base or foundation — and that bin Laden might have identified with the idea of a small group of rebels fighting against a decadent evil empire. This speculation has not, however, been widely accepted. It isn’t even clear that an Arabic version of the novel was ever published.

« Foundation » is not the only novel to have influenced terrorists. A copy of « The Turner Diaries » was found in Timothy McVeigh’s car when he was arrested. The novel was written by a leader of the National Alliance and tells the story of a white supremacist group that overthrows the government and subsequently eradicates nonwhites as well as « race traitors. » The narrator destroys FBI headquarters by detonating a truck loaded with ammonium nitrate and fuel oil. McVeigh used a similar mechanism to destroy the federal building in Oklahoma City, killing 168 people.

Several of McVeigh’s friends testified he had given them copies of the book, encouraging them to read it. McVeigh had highlighted phrases in his copy of the book including: « the real value of all of our attacks today lies in the psychological impact, not in the immediate casualties, » as well as one promising that politicians will not escape: « We can still find them and kill them. » The novel ends with the narrator flying a bomb-laden plane into the Pentagon.

Another bomber with a fondness for reading was Ted Kaczynski. The Unabomber was a big fan of Joseph Conrad’s « The Secret Agent, » an ironic novel in which a university professor turned anarchist is recruited to blow up a scientific icon, London’s Greenwich Observatory. A Washington Post article revealed that prior to Kaczynski’s arrest, the FBI had suspected the novel’s influence and contacted Conrad scholars to help them in constructing their profile.

Author Joe Haldeman has spoken about the unintended influence of a short story he published in the Magazine of Science Fiction & Fantasy in 1974. In « To Howard Hughes: A Modest Proposal, » a blackmailer forces world disarmament by developing his own nuclear bomb. Haldeman says the story contained « pretty detailed instructions for acquiring plutonium and constructing a subcritical nuclear device (information not that easy to find, pre-Internet, but nothing classified) … [Someone] used the story as a template and wrote a blackmail letter to the mayor of Los Angeles, saying he had a van parked somewhere downtown with a nuclear bomb in it, and he’d blow it up in 24 hours if he didn’t get a million dollars, delivered to such-and-such a park at noon. Evidently the details were accurate enough for them to respond with a suitcase full of money, and of course a park full of agents disguised as normal people. The miscreant turned out to be a 15-year-old science fiction fan. »

Dec 15, 2003 | Science fiction operates on a grander scale than other genres, often portraying world-changing events that can be attractive to people who want to change the world. Such was the case with Robert Heinlein’s highly influential novel « Stranger in a Strange Land. » Time magazine reported that Charles Manson used the novel as a blueprint for his infamous family and that it led to the murder of Sharon Tate and others. It was later revealed, however, that Manson had never read the novel.

Some of Manson’s followers had indeed adopted ideas and terminology from the book into their rituals. « Stranger in a Strange Land » features a Martian with superpowers who comes to earth and starts a free love movement. The novel also influenced others to form their own polygamous societies, including a « neo-pagan » group known as the Church of All Worlds. The church’s Web site explains how its founders were inspired by Heinlein’s novel: « This book suggested a spiritual and social way of life and was a metaphor expressing the awakening social consciousness of the times. » (The Church of All Worlds has not been linked to any murders.)

Films reach a much wider audience than novels and often the real public outcry about a book isn’t raised until the film version is released. « A Clockwork Orange » was blamed for inspiring so many copycat crimes — from homeless people beaten to death to a gang rape where the attackers sang « Singin’ in the Rain » — that director Stanley Kubrick had it withdrawn from cinemas in England. The book’s author, Anthony Burgess, insisted that there was no definitive proof « that a work of art can stimulate antisocial behavior … the notorious murderer Haig who killed and drank [his victims’] blood said he was inspired by the sacrament of the Eucharist. Does that mean we should ban the Bible? »

Burgess was later to change his mind after the 1993 murder near Liverpool, England, in which 2-year-old James Bulger was abducted and tortured to death by two 10-year-old boys. The horror film « Child’s Play 3 » was linked to the case, and Burgess wrote that he now accepted the arts could exert a negative influence, adding, « I begin to accept that as a novelist, I belong to the ranks of the menacing. »

Criminals will sometimes blame a work of fiction for their crimes, hoping to shift responsibility. These claims are inevitably treated with considerable skepticism. But one book that has been linked to a number of serial killers is John Fowles’ « The Collector. » The 1963 novel tells the story of a butterfly collector who becomes so obsessed with a woman called Miranda that he kidnaps and imprisons her in his cellar. California serial killers Charles Ng and Leonard Lake named one of their schemes « Operation Miranda. » Lake later committed suicide, but Ng was found guilty of the imprisonment, torture and murder of 11 people during the 1980s. Ng blamed Lake for the murders and said he had been inspired to capture the women after reading « The Collector. »

In Fowles’ novel, Miranda encourages her kidnapper to read « The Catcher in the Rye, » hoping he might identify with Holden Caulfield’s feelings of alienation. Her captor complains that he doesn’t like the book and is annoyed that Holden doesn’t try harder to fit into society. There are enough rumors about murders linked to J.D. Salinger’s classic that the unwitting assassins in the Mel Gibson film « Conspiracy Theory » are portrayed as being brainwashed with the urge to buy the novel.

John Lennon’s murderer, Mark David Chapman, was famously obsessed with « The Catcher in the Rye. » Chapman wanted to change his name to Holden Caulfield and once wrote in a copy of the book « This is my statement, » and signed the protagonist’s name. He had a copy of the book in his possession when the police arrested him.

French author Max Valentin (a pseudonym) got more than he bargained for when he wrote « On the Path of the Golden Owl, » a 1993 novel featuring clues to the location of a real-life buried treasure. France was gripped with treasure-hunting fever as readers tried to find a replica of the golden owl (which could be exchanged for the real one) that Valentin had buried somewhere in rural France. In an interview with the Times of London, the author said he had received death threats and bribes amid the torrent of mail from people wanting to know where the owl was hidden.

He does not customarily respond to questions about the owl’s location, but once had to intervene to stop someone from digging up a cemetery. Others have gone even further. « There was one who tried to dig up a train track, » he said, « and another who walked into a bank with a pickaxe and started to dig up the floor of the lobby. I’ve told everyone it is buried in a public place but some people are crazy … a man had firebombed a church and left behind a book containing the message: ‘The golden owl is underneath the chapel.' » After more than 10 years, no one has yet managed to find the golden owl.

Voir par ailleurs:

Je viens au monde

Serai-je le héros de ma propre histoire ou quelque autre y prendra-t-il cette place ? C’est ce que ces pages vont apprendre au lecteur. Pour commencer par le commencement, je dirai donc que je suis né un vendredi, à minuit (du moins on me l’a dit, et je le crois). Et chose digne de remarque, l’horloge commença à sonner, et moi, je commençai à crier, au même instant.

Vu le jour et l’heure de ma naissance, la garde de ma mère et quelques commères du voisinage qui me portaient le plus vif intérêt longtemps avant que nous pussions faire mutuellement connaissance, déclarèrent : 1° que j’étais destiné à être malheureux dans cette vie ; 2° que j’aurais le privilège de voir des fantômes et des esprits. Tout enfant de l’un ou de l’autre sexe assez malheureux pour naître un vendredi soir vers minuit possédait invariablement, disaient-elles, ce double don.

Je ne m’occupe pas ici de leur première prédiction. La suite de cette histoire en prouvera la justesse ou la fausseté. Quant au second point, je me bornerai à remarquer que j’attends toujours, à moins que les revenants ne m’aient fait leur visite quand j’étais encore à la mamelle. Ce n’est pas que je me plaigne de ce retard, bien au contraire : et même si quelqu’un possède en ce moment cette portion de mon héritage, je l’autorise de tout mon cœur à la garder pour lui.

Je suis né coiffé: on mit ma coiffe en vente par la voie des annonces de journaux, au très-modique prix de quinze guinées. Je ne sais si c’est que les marins étaient alors à court d’argent, ou s’ils n’avaient pas la foi et préféraient se confier à des ceintures de liège, mais ce qu’il y a de positif, c’est qu’on ne reçut qu’une seule proposition; elle vint d’un courtier de commerce qui offrait cinquante francs en argent, et le reste de la somme en vin de Xérès: il ne voulait pas payer davantage l’assurance de ne jamais se noyer. On renonça donc aux annonces qu’il fallut payer, bien entendu. Quant au xérès, ma pauvre mère venait de vendre le sien, ce n’était pas pour en acheter d’autre. Dix ans après on mit ma coiffe en loterie, à une demi-couronne le billet, il y en avait cinquante, et le gagnant devait ajouter cinq shillings en sus. J’assistai au tirage de la loterie, et je me rappelle que j’étais fort ennuyé et fort humilié de voir ainsi disposer d’une portion de mon individu. La coiffe fut gagnée par une vieille dame qui tira, bien à contre-coeur, de son sac les cinq shillings en gros sols, encore y manquait-il un penny; mais ce fut en vain qu’on perdit son temps et son arithmétique à en convaincre la vieille dame. Le fait est que tout le monde vous dira dans le pays qu’elle ne s’est pas noyée, et qu’elle a eu l e bonheur de mourir victorieusement dans son lit à quatre-vingt- douze ans. On m’a raconté que, jusqu’à son dernier soupir, elle s’est vantée de n’avoir jamais traversé l’eau, que sur un pont: souvent en buvant son thé (occupation qui lui plaisait fort), elle s’emportait contre l’impiété de ces marins et de ces voyageurs qui ont la présomption d’aller «vagabonder» au loin. En vain on lui représentait que sans cette coupable pratique, on manquerait de bien de petites douceurs, peut-être même de thé. Elle répliquait d’un ton toujours plus énergique et avec une confiance toujours plus entière dans la force de son raisonnement:«Non, non, pas de vagabondage.» Mais pour ne pas nous exposer à vagabonder nous-même, revenons à ma naissance.

David Copperfield (Charles Dickens, chapitre 1)

Voir enfin:

The Praises and Criticisms of J.D. Salinger’s The Catcher in the Rye

Eric Lomazoff

1996

Ever since its publication in 1951, J.D. Salinger’s The Catcher in the Rye has served as a firestorm for controversy and debate. Critics have argued the moral issues raised by the book and the context in which it is presented. Some have argued that Salinger’s tale of the human condition is fascinating and enlightening, yet incredibly depressing. The psychological battles of the novel’s main character, Holden Caulfield, serve as the basis for critical argument. Caulfield’s self-destruction over a period of days forces one to contemplate society’s attitude toward the human condition. Salinger’s portrayal of Holden, which includes incidents of depression, nervous breakdown, impulsive spending, sexual exploration, vulgarity, and other erratic behavior, have all attributed to the controversial nature of the novel. Yet the novel is not without its sharp advocates, who argue that it is a critical look at the problems facing American youth during the 1950’s. When developing a comprehensive opinion of the novel, it is important to consider the praises and criticisms of The Catcher in the Rye.

When studying a piece of literature, it is meaningful to note the historical background of the piece and the time at which it was written. Two J.D. Salinger short stories, « I’m Crazy » and « Slight Rebellion off Madison, » were published in periodicals during the 1940’s, and introduced Holden Caulfield, the main character of The Catcher in the Rye. Both short stories were revised for later inclusion in Salinger’s novel. The Catcher in the Rye was written in a literary style similar to prose, which was enhanced by the teenage slang of the 1950’s. It is a widespread belief that much of Holden Caulfield’s candid outlook on life reflects issues relevant to the youth of today, and thus the novel continues to be used as an educational resource in high schools throughout the nation (Davis 317-18).

The first step in reviewing criticism of The Catcher in the Rye is to study the author himself. Before his novel, J.D. Salinger was of basic non-literary status, having written for years without notice from critics or the general public. The Catcher in the Rye was his first step onto the literary playing field. This initial status left Salinger, as a serious writer, almost unique as a sort of free agent, not bound to one or more schools of critics, like many of his contemporaries were. This ability to write freely, his status as a nobody in the literary world, was Salinger’s greatest asset. Rather than to scope inside Salinger’s mind and create a grea tness for him, we are content instead to note him for what he is: « a beautifully deft, professional performer who gives us a chance to catch quick, half-amused, half-frightened glimpses of ourselves and our contemporaries, as he confronts us with his brilliant mirror images » (Stevenson 217).

Much of Salinger’s reputation, which he acquired after publication of The Catcher in the Rye, is derived from thoughtful and sympathetic insights into both adolescence and adulthood, his use of symbolism, and his idiomatic style, which helped to re-introduce the common idiom to American literature. While the young protagonists of Salinger’s stories (such as Holden Caulfield) have made him a longtime favorite of high school and university audiences, establishing Salinger as « the spokesman for the goals and values for a generation of youth during the 1950’s » (qtd. in Davis 317), The Catcher in the Rye has been banned continually from schools, libraries, and bookstores due to its profanity, sexual subject matter, and rejection of some traditional American ideals. Robert Coles reflected general critical opinion of the author when he called Salinger « an original and gifted writer, a marvelous entertainer, a man free of the slogans and clichés the rest of us fall prey to » (qtd. in Davis 317).

Obviously, the bulk of praise and criticism regarding any novel or piece of literature will come from published critical reviews. When a novel or any piece of literature is published in the United States, critics from newspapers, magazines, and various other sources flock to interpret the book and critique its style. The same was true for Salinger’s novel. Noted book reviewers from across America critiqued The Catcher in the Rye, bestowing both praise and criticism at different levels. Each reviewer commented on different parts of the novel, from Holden’s cynicism to the apparently homosexual Mr. Antolini. The novel, like any other, was devoured and picked apart piece by piece. It is the role of the researcher, therefore, to analyze the various reviews and develop a clear understanding of the novel.

One of the most widespread criticisms of The Catcher in the Rye deals with the adolescence and repetitive nature of the main character, Holden Caulfield. Anne Goodman commented that in the course of such a lengthy novel, the reader would weary of a character such as Holden. Goodman wrote « Holden was not quite so sensitive and perceptive as he, and his creator, thought he was » (20). She also remarked that Holden was so completely self-centered that any other characters who wandered through the book, with the exception of Holden’s sister, Phoebe, had no authenticity at all. She wrote of Salinger’s novel: « The Catcher in the Rye is a brilliant tour-de-force, but in a writer of Salinger’s undeniable talent one expects something more » (21). Goodman did have a point in the fact that Holden was something of an over-developed character. He described himself early in the novel, and with the sureness of a « wire recording, » (Goodman 20) he remained strictly in character throughout. Salinger failed in his novel to address other characters with as much detail as Holden. This is due in part to the fact that Holden tells his own story, and also to the idea that a story told by Holden Caulfield would never describe others, as he speaks only of himself.

Reviewer James Stern of the New York Times critiqued Salinger’s novel by incorporating Holden’s style of speech into his review. Stern tried to imitate Holden by using short, incomplete sentences with undeveloped ideas: « That’s the way it sounds to me, Hel said (a friend of the author), and away she went with this crazy book, The Catcher in the Rye. What did I tell ya, she said the next day. This Salinger, he’s a short story guy. And he knows how to write about kids. This book, though, it’s too long. Gets kinds of monotonous. And he should have cut out a lot about these jerks and all at that crumby school. They depress me. They really do. Salinger, he’s best with real children. I mean the ones like Phoebe, his kid sister. She’s a personality. Holden and little Phoebe, Hel said, they kill me. This last part about her and this Mr. Antolini, the only guy Holden ever thought he could trust, who ever took any interest in him, and who turned out queer — that’s terrific. I swear it is » (5).

Stern’s goal in this review was to critique the novel for its length and its melancholy nature. He saw The Catcher in the Rye as being too depressive to be of any redeeming value to the reader. Stern did praise him, however, when he commented on Salinger’s ability to write about children. Other short stories by Salinger, such as « A Perfect Day for Bananafish » and « Franny and Zooey, » are also based around children and adolescents.

Some critics have argued that Holden’s character is erratic and unreliable, as he possesses many of the middle-class values that he claims to reject. Later commentators, however, have praised the wry humor of the main character, his « technical virtuosity » (qtd. in Davis 318), and the skilled mockery of verbal speech by Salinger. These critics have commented that the structure of the novel personifies Holden’s unstable state of mind. Alastair Best remarked: « There is a hard, almost classical structure underneath Holden’s rambling narrative. The style, too, appears effortless; yet one wonders how much labour went into those artfully rough-hewn sentences » (qtd. in Davis 318).

A larger field of critics at the time of The Catcher in the Rye’s publication in 1951 took a positive view of the novel. For example, Chicago Tribune reviewer Paul Engle commented that the story was « emotional without being sentimental, dramatic without being melodramatic, and honest without simply being obscene » (3). Engle also wrote of the authenticity of Holden’s character, the idea that his voice was typical of a teenager, never childish or written down to that age level. He praised the book in noting that it was not merely another account of adolescence, complete with general thoughts on youth and growing up. Engle wrote: « The effort has been made to make the text, told by the boy himself, as accurate and yet as imaginative as possible. In this, it largely succeeds » (3). Engle’s viewpoint is one that is echoed by many. The Catcher in the Rye is not simply a coming-of-age novel with usual twists and turns, but rather, the unique story of a unique child. It is rare to find a character, actual or fictitious, who is as dazzling and enticing as Holden Caulfield. As Engle wrote, « The story is engaging and believable . . . full of right observations and sharp insight, and a wonderful sort of grasp of how a boy can create his own world of fantasy and live forms » (3).

Generally, critics view the novel as Holden Caulfield’s melodramatic struggle to survive in the adult world, a transition that he was supposed to make during his years at preparatory school. Some critics will point to the fact that Holden has flunked out of three Pennsylvania prep schools, and use it to symbolize the fact that he is not truly ready for adulthood (Davis 318). David Stevenson commented that the novel was written « as the boy’s comment, half-humorous, half agonizing, concerning his attempt to recapture his identity and his hopes for playing a man-about-town for a lost, partially tragic, certainly frenetic weekend » (216). Reviewer Charles Kegel commented that the novel could be read as Holden Caulfield’s « quest for communicability with his fellow man, and the hero’s first person after-the-fact narration indicates . . . he has been successful in his quest » (53).

Though considered by most to be a tragedy, The Catcher in the Rye is found by some critics to be humorous, witty, and clever. The use of Chaplin-like incidents serves to keep the story hovering in ambivalence between comedy and tragedy. Whenever a character is nearing the point of no return in a Salinger piece, it is usually done by route of the comic (Stevenson 216). Other commentators have noted that much of the humor in The Catcher in the Rye comes from Holden’s misconceptions about adulthood. An example is shown in Holden’s relationship with an old schoolmate, Luce. Although the older man is more experienced than Holden, he is not as mature as Holden believes him to be. After an attempt at communication with Luce fails, Holden flees to Phoebe, the only person he completely trusts (Davis 318). S.N. Behrman also noted that the literalness and innocence of Holden’s point of view in the face of complicated and depraved facts of life makes for the humor of the novel: haggles with unfriendly taxi-drivers, futile conversations with a prostitute in a hurry, an intellectual discussion with a man a few years older than himself, and a completely hilarious date with Sally Hayes, an old girlfriend (74). The humor in Holden’s character comes from his communication with the outside world. His innocence, in my point of the view, his hunger for stability and permanence, make him both a tragic and touching character, capable of making dark activities on the surface seem hilarious and silly below.

One of the most popular means by which The Catcher in the Rye is critiqued is through the comparison of Holden Caulfield to other literary characters. The novel is often compared to traditional period literature, particularly Mark Twain’s novel The Adventures of Huckleberry Finn. Both works feature naive, adolescent runaways as narrators, both commenting on the problems of their times, and both novels have been recurrently banned or restricted (Davis 318). John Aldrige remarked that both novels are « study in the spiritual picaresque, the joinery that for the young is all one way, from holy innocence to such knowledge as the world offers, from the reality which illusion demands and thinks it sees to the illusion which reality insists, at the point of madness, we settle for » (129). Harvey Breit of The Atlantic Bookshelf wrote of Holden Caulfield: « (He) struck me as an urban, a transplanted Huck Finn. He has a colloquialism as marked as Huck’s . . . Like Huck, Holden is neither comical or misanthrope. He is an observer. Unlike Huck, he makes judgments by the dozen, but these are not to be taken seriously; they are conceits. There is a drollery, too, that is common to both, and a quality of seeing that creates farce » (82). It is possible, in theory, to do an entire character study comparing Holden and Huck. Both are adolescents, runaways from society, seeking independence, growth, and stability in their lives.

Another character that Holden Caulfield is compared to, though to a lesser degree than Huck Finn, is Hamlet. Like Hamlet, as Charles Kegel wrote, Holden is a « sad, screwed-up guy » (54), bothered by words which only seem true, but are really quite phony. The honesty and sincerity that Holden cannot seem to find in others he tries to maintain within himself. Holden often makes a point of using the word « really » to assert the fact that something is really so, to prove to the reader that had not become a phony himself. Holden is distressed often by the occasional realization that he too, must be phony to exist in the adult world. With regard to the insincere « Glad to’ve met you » formula, he comments that « if you want to stay alive, you have to say that stuff, though » (qtd. in 54-5).

It is evident by studying the reviews of The Catcher in the Rye that most critics enjoy picking apart the character of Holden Caulfield, studying his every action and the basis for that action. Reviewers of the novel have gone to great lengths to express their opinions on Salinger’s protagonist. Some consider Holden to be sympathetic, others consider him arrogant, but the large majority of them find him utterly entertaining.

In her review of The Catcher in the Rye for the New York Herald Tribune, Virgilia Peterson commented on Holden Caulfield’s innocence. Peterson wrote that Holden was on the side of the angels, despite his contamination by vulgarity, lust, lies, temptations, recklessness, and cynicism. « But these are merely the devils that try him externally, » she wrote, « inside, his spirit is intact » (3). Holden does not tilt against the entire adult world, for he knows that some decent citizens still remain, nor does he loathe his worst contemporaries, for he often hates to leave them. Peterson commented: « For Holden Caulfield, despite all the realism for which he is supposedly depicted, is nevertheless a skinless perfectionist. » In addition, Peterson wrote that Salinger speaks for himself as well as his hero when he has Holden say to little Phoebe: « I keep picturing all these little kids playing some game in this big field of rye and all. Thousands of little kids, and nobody’s around- nobody big I mean- except me. And I’m standing on the edge of some crazy cliff. What I have to do, I have to catch everybody if they start to go over the cliff. I mean if they’re running and they don’t look where they’re going I have to come out from somewhere and catch them . . . I’d just be the catcher in the rye and all. . .  » (qtd. in 3; Salinger 173).

In essence, Holden Caulfield is a good guy stuck in a bad world. He is trying to make the best of his life, though ultimately losing that battle. Whereas he aims at stability and truth, the adult world cannot survive without suspense and lies. It is a testament to his innocence and decent spirit that Holden wouldplace the safety and well-being of children as a goal in his lifetime. This serves to only re-iterate the fact that Holden is a sympathetic character, a person of high moral values who is too weak to pick himself up from a difficult situation.

S.N. Behrman, in his review for The New Yorker, also took a sharp look at Holden’s personality. Behrman found Caulfield to be very self-critical, as he often refers to himself as a terrible liar, a madman, and a moron. Holden is driven crazy by phoniness, an idea under which he lumps insincerity, snobbery, injustice, callousness, and a lot more. He is a prodigious worrier, and someone who is moved to pity quite often. Behrman wrote: « Grown men sometimes find the emblazoned obscenities of life too much for them, and leave this world indecorously, so the fact that a 16-year old boy is overwhelmed should not be surprising » (71). Holden is also labeled as curious and compassionate, a true moral idealist whose attitude comes from an intense hatred of hypocrisy. The novel opens in a doctor’s office, where Holden is recuperating from physical illness and a mental breakdown. In Holden’s fight with Stradlater, his roommate, he reveals his moral ideals: he fears his roommate’s sexual motives, and he values children for their sincerity and innocence, seeking to protect them from the phony adult society. Jane Gallagher and Allie, the younger brother of Holden who died at age 11, represent his everlasting symbols of goodness (Davis 317).

A quote by Charles Kegel seems to adequately sum up the problems of Holden Caulfield: « Like Stephen Dedalus of James Joyce’s A Portrait of the Artist as a Young Man, Caulfield is in search of the Word. His problem is one of communication: as a teenager, he simply cannot get through to the adult world which surrounds him; as a sensitive teenager, he cannot get through others of his own age » (54).

When critics consider the character of Holden Caulfield, many point to the novel’s climactic scene, when Holden watches as Phoebe rides the Central Park carousel in the rain and his illusion of protecting the innocence of children is symbolically shattered. Critics regard this episode as Holden’s transition into adulthood, for although the future is uncertain, his severed ties with the dead past have enabled him to accept maturity. James Bryan observed: « The richness in the spirit of this novel, especially of the vision, the compassion, and the humor of the narrator reveal a physche far healthier than that of the boy who endured the events of the narrative. Through the telling of the story, Holden has given shape to, and thus achieved control of, his troubled past » (qtd. in Davis 318).

S.N. Behrman noted in his critique of The Catcher in the Rye that the hero and heroine of the novel, Holden’s dead brother Allie and Jane Gallagher, never appear in it, but they are always in Holden’s mind, together with his sister, Phoebe. These three people constitute Holden’s emotional frame of reference — the reader knows them better than the other characters Holden encounters, who are generally, except for Phoebe, nonessential (71).

When asked for a final comment on the character of Holden Caulfield, John Aldrige stated that the innocence of the main character was a combination of urban intelligence, juvenile contempt, and New Yorker sentimentalism. The only challenge it has left, therefore, is that of the genuine, the truly human, in a world which has lost both the means of adventure and the means of love (130).

One of the most intriguing points in Holden’s character, related to his prolonged inability to communicate, is Holden’s intention to become a deaf-mute. So repulsed is he by the phoniness around him that he wishes not to communicate with anyone, and in a passage filled with personal insight he contemplates a retreat within himself: « I figured that I could get a job at a filling station somewhere, putting gas and oil in people’s cars. I didn’t care what kind of job it was, though. Just so people didn’t know me and I didn’t know anybody. I thought what I’d do was, I’d pretend I was one of those deaf-mutes. That way I wouldn’t have to have any goddam stupid useless conversation with anybody. If anybody wanted to tell me something, they’d have to write it on a piece of paper and shove it over to me. They’d get bored as hell doing that after a while, and then I’d be through with having conversations for the rest of my life. Everybody’d think I was just a poor deaf-mute bastard and they’d leave me alone . . . I’d cook all my own food, and later on, if I wanted to get married or something, I’d meet this beautiful girl that was also a deaf-mute and we’d getmarried. She’d come and live in my cabin with me, and if she wanted to say anything to me, she’d have to write it on a piece of paper, like everybody else » (Salinger 198).

Caulfield’s inability to communicate with others is also represented symbolically in the uncompleted phone calls and undelivered messages which appear throughout the novel . . . On fifteen separate occasions, Holden gets the urge to communicate by phone, yet only four phone calls are ever completed, and even those are with unfortunate results (Kegel 55).

The final step in the critical analyzing of The Catcher in the Rye is to look at what has occurred at or near the end of the novel. John Aldrige wrote that in the end, Holden remains what he was in the beginning- cyni cal, defiant, and blind. As for the reader, there is identification but no insight, a sense of »pathos but not tragedy. » This may be Salinger’s intent, as Holden’s world does not possess sufficient humanity to make the search for humanity dramatically feasible (131).

Other critics, however, have taken a slightly more optimistic view of the novel’s conclusion. For example, S.N. Behrman remarked that Holden knows that things won’t remain the same; they are dissolving, and he cannot allow himself to reconcile with it. Holden doesn’t have the knowledge to trace his breakdown or the mental clarity to define it, for all he knows is that « a large avalanche of disintegration is occurring around him » (75). Yet there is some sort of exhilaration, an immense relief in the final scene at Central Park, when we know Holden will be all right. Behrman quipped: « One day, he will probably find himself in the mood to call up Jane. He may become more tolerant of phonies . . . or even write a novel. I would like to read it. I loved this one. I mean it- I really did » (75-6). Charles Kegel wrote that Holden will not submit to the phoniness of life, but will attain an attitude of tolerance, understanding, and love which will make his life endurable. There is no doubt that when he returns home to New York, for he will return home, he will be in the mood to give « old Jane a buzz » (56).

In the end, The Catcher in the Rye will continue to be a point of great public and critical debate. One must remember, however, in the study and critique of the novel, particularly for a researcher or critic in 1996, that the story was written in a different time. If originally published today, the novel would probably create little publicity and garner only average book sales. The fact that a novel of such radical social opinion and observation was written in a time of conservatism in America made it all the more controversial. Some critics scolded the novel as being too pessimistic or obscene, too harsh for the society of the 1950’s. Others, however, nominated Salinger himself as the top-flight « catcher in the rye » for that period in American history (Peterson 3). They argued that Salinger’s concerns represented an entire generation of American youth, frustrated by the phoniness of the world, just like Holden was. The popularity of the novel and debate over its redeeming social value have never faltered since its initial publication, due in no large part to the fact that J.D. Salinger is now a recluse. It would be conclusive to say that critics of The Catcher in the Rye have legitimate criticisms of the novel, while advocates and supporters of the story’s message also have expressed veritable praise.

Works Cited

Aldrige, John. « The Society of Three Novels. » In Search of Heresy: American Literature in an Age of Conformity. New York: McGraw-Hill Book Company, 1956, 126-48.

Behrman, S.N. « The Vision of the Innocent. » Rev. of The Catcher in the Rye by J.D. Salinger. The New Yorker, Vol. XXVII, No. 26, 11 August 1951, 71-6.

Breit, Harvey. Rev. of The Catcher in the Rye by J.D. Salinger. The Atlantic Bookshelf, Vol. CLXXXVIII, No. 2, August 1951, 82.

Davis, Robert Con, ed. Contemporary Literary Criticism. Vol. 56. Detroit: Gail Research Inc., 1989.

Engle, Paul. « Honest Tale of Distraught Adolescent. » Rev. of The Catcher in the Rye, by J.D. Salinger. Chicago Sunday Tribune Magazine of Books 15 July 1951, 3.

Goodman, Anne. « Mad about Children. » Rev. of The Catcher in the Rye by J.D. Salinger. The New Republic, Vol. 125, No. 3, 16 July 1951, 20-1.

Kegel, Charles. « Incommunicability in Salinger’s ‘The Catcher in the Rye’. » Studies in J.D. Salinger: Reviews, Essays, and Critiques of ‘The Catcher in the Rye’ and Other Fiction, Marvin Laser, ed. New York: Odyssey Press, 1963, 53-6.

Peterson, Virgilia. « Three Days in the Bewildering World of an Adolescent. » Rev. of The Catcher in the Rye, by J.D. Salinger. New York Herald Tribune Book Review 15 July 1951, 3.

Salinger, Jerome David. The Catcher in the Rye. Boston: Little, Brown, and Company, 1951.

Stern, James. « Aw, the World’s a Crumby Place. » Rev. of The Catcher in the Rye by J.D. Salinger. New York Times Book Review 15 July 1951, 5.

Stevenson, David. « J.D. Salinger: The Mirror of Crisis. » The Nation, Vol. 184, No. 10, 9 March 1957, 215-17.

J.D. Salinger page


Présidence Obama: Obama va être un président médiocre (Obama at One by Howard Zinn)

29 janvier, 2010
Zinn's quoteZinn-inspired cartoonHoward ZinnMao fashion
J’ai été consterné en apprenant que le prix Nobel de la paix avait été attribué à Barack Obama. L’idée qu’un président qui mène des guerres dans deux pays et des actions militaires dans un troisième (le Pakistan) puisse recevoir un prix de la paix m’a paru vraiment choquante. (…) On ne devrait pas décerner un prix de la paix en se fondant sur les promesses faites par tel ou tel (comme dans le cas d’Obama, qui sait user d’une grande éloquence pour faire des promesses), mais sur ses actions concrètes pour mettre fin à la guerre. Or Obama poursuit une action militaire sanglante et inhumaine en Irak, en Afghanistan et au Pakistan. Howard Zinn
Je pense que les gens sont éblouis par la rhétorique d’Obama et que les gens devraient commencer à comprendre qu’Obama va être un président médiocre – ce qui à notre époque signifie un président dangereux – à moins qu’il y ait un mouvement national pour le pousser dans une meilleure direction. Howard Zinn
Je ne vois personne qui ait eu autant d’impact et d’influence. Son oeuvre historique a changé la manière avec laquelle des millions de gens regardaient l’histoire des Etats-Unis. Noam Chomsky
Ce que Zinn a fait, c’est de sortir l’écriture de l’histoire du monde universitaire et il a effectivement démoli nombre des positions franchement partiales et racistes de l’époque. Mais c’est un vulgarisateur et sa vision de l’histoire est un monde à l’envers d’anciens coupables devenus héros et au bout d’un moment ça devient complètement irréel. Sean Wilentz (historien de Princeton)

Au lendemain de la dernière démonstration en date des « limites du verbiage » (pardon: du premier Discours sur l’état de l’Union) du président Obama …

Et, singulier hasard de calendrier, de la disparition de l’historien américain Howard Zinn

Retour sur le dernier écrit public (dans le Monde diplomatique américain, ie. The Nation) du plus populaire des historiens américains de gauche via notamment sa célébrissime « Histoire populaire des Etats-Unis » (1980) …

Qui se trouve justement être un jugement, par le grand historien des paysans, féministes, ouvriers et objecteurs de conscience, sur l’un des plus impopulaires débuts de mandat de présidents américains de l’histoire récente.

Et qui, venant d’un des maitres à penser du défaitisme révolutionnaire ayant probablement le plus contribué à la vision du monde et de l’histoire de la génération de l’Autoflagellant en chef, pourrait pourtant étrangement être repris (certes pas, évidemment, pour les mêmes raisons) par nombre de ses critiques de droite ou du simple centre …

Obama at one
Howard Zinn
The Nation
January 13, 2010

Historian

I’ ve been searching hard for a highlight. The only thing that comes close is some of Obama’s rhetoric; I don’t see any kind of a highlight in his actions and policies.

As far as disappointments, I wasn’t terribly disappointed because I didn’t expect that much. I expected him to be a traditional Democratic president. On foreign policy, that’s hardly any different from a Republican–as nationalist, expansionist, imperial and warlike. So in that sense, there’s no expectation and no disappointment. On domestic policy, traditionally Democratic presidents are more reformist, closer to the labor movement, more willing to pass legislation on behalf of ordinary people–and that’s been true of Obama. But Democratic reforms have also been limited, cautious. Obama’s no exception. On healthcare, for example, he starts out with a compromise, and when you start out with a compromise, you end with a compromise of a compromise, which is where we are now.
I thought that in the area of constitutional rights he would be better than he has been. That’s the greatest disappointment, because Obama went to Harvard Law School and is presumably dedicated to constitutional rights. But he becomes president, and he’s not making any significant step away from Bush policies. Sure, he keeps talking about closing Guantánamo, but he still treats the prisoners there as « suspected terrorists. » They have not been tried and have not been found guilty. So when Obama proposes taking people out of Guantánamo and putting them into other prisons, he’s not advancing the cause of constitutional rights very far. And then he’s gone into court arguing for preventive detention, and he’s continued the policy of sending suspects to countries where they very well may be tortured.

I think people are dazzled by Obama’s rhetoric, and that people ought to begin to understand that Obama is going to be a mediocre president–which means, in our time, a dangerous president–unless there is some national movement to push him in a better direction.

Voir aussi:

Howard Zinn, Historian, Dies at 87
THE ASSOCIATED PRESS
The New York Times
January 28, 2010

Howard Zinn, historian and shipyard worker, civil rights activist and World War II bombardier, and author of “A People’s History of the United States,” a best seller that inspired a generation of high school and college students to rethink American history, died Wednesday in Santa Monica, Calif. He was 87 and lived in Auburndale, Mass.

The cause was a heart attack, which he had while swimming, his family said.

Proudly, unabashedly radical, with a mop of white hair and bushy eyebrows and an impish smile, Mr. Zinn, who retired from the history faculty at Boston University two decades ago, delighted in debating ideological foes, not the least his own college president, and in lancing what he considered platitudes, not the least that American history was a heroic march toward democracy.

Almost an oddity at first, with a printing of just 4,000 in 1980, “A People’s History of the United States” has sold nearly two million copies. To describe it as a revisionist account is to risk understatement. A conventional historical account held no allure; he concentrated on what he saw as the genocidal depredations of Christopher Columbus, the blood lust of Theodore Roosevelt and the racial failings of Abraham Lincoln. He also shined an insistent light on the revolutionary struggles of impoverished farmers, feminists, laborers and resisters of slavery and war.

Such stories are more often recounted in textbooks today; they were not at the time.

“Our nation had gone through an awful lot — the Vietnam War, civil rights, Watergate — yet the textbooks offered the same fundamental nationalist glorification of country,” Mr. Zinn recalled in a recent interview with The New York Times. “I got the sense that people were hungry for a different, more honest take.”

In a book review in The Times, the historian Eric Foner wrote of the book that “historians may well view it as a step toward a coherent new version of American history.” But many historians, even those of liberal bent, took a more skeptical view.

“What Zinn did was bring history writing out of the academy, and he undid much of the frankly biased and prejudiced views that came before it,” said Sean Wilentz, a professor of history at Princeton University. “But he’s a popularizer, and his view of history is topsy-turvy, turning old villains into heroes, and after a while the glow gets unreal.”

That criticism barely raised a hair on Mr. Zinn’s neck. “It’s not an unbiased account; so what?” he said in the Times interview. “If you look at history from the perspective of the slaughtered and mutilated, it’s a different story.”

Few historians succeeded in passing so completely through the academic membrane into popular culture. He gained admiring mention in the movie “Good Will Hunting”; Matt Damon appeared in a History Channel documentary about him; and Bruce Springsteen said the starkest of his many albums, “Nebraska,” drew inspiration in part from Mr. Zinn’s writings.

Born Aug. 24, 1922, Howard Zinn grew up in New York City. His parents were Jewish immigrants, and his father ran candy stores during the Depression without much success.

“We moved a lot, one step ahead of the landlord,” Mr. Zinn recalled. “I lived in all of Brooklyn’s best slums.”

He graduated from Thomas Jefferson High School and became a pipe fitter in the Brooklyn Navy Yard, where he met his future wife, Roslyn Shechter. Raised on Charles Dickens, he later added Karl Marx to his reading, organized labor rallies and got decked by a billy-club-wielding cop.

He joined the Army Air Corps in 1943, eager to fight the fascists, and became a bombardier in a B-17. He watched his bombs rain down and, when he returned to New York, deposited his medals in an envelope and wrote, “Never Again.”

“I would not deny that war had a certain moral core, but that made it easier for Americans to treat all subsequent wars with a kind of glow,” Mr. Zinn said. “Every enemy becomes Hitler.”

He and his wife lived in a rat-infested basement apartment as he dug ditches and worked in a brewery. Later they moved to public housing and he went to college on the G.I. Bill.

He earned a B.A. at New York University and master’s and doctoral degrees at Columbia University. In 1956, he landed a job at Spelman College, a historically black women’s college, as chairman of the history department. Among his students were Marian Wright Edelman, founder of the Children’s Defense Fund; Alice Walker, the novelist; and the singer and composer Bernice Johnson Reagon.

Mr. Zinn served on the Student Nonviolent Coordinating Committee and marched for civil rights with his students, which angered Spelman’s president.

“I was fired for insubordination,” Mr. Zinn recalled. “Which happened to be true.”

Mr. Zinn moved to Boston University in 1964. He traveled with the Rev. Daniel Berrigan to Hanoi to receive prisoners released by the North Vietnamese, and produced the antiwar books “Vietnam: The Logic of Withdrawal” (1967) and “Disobedience and Democracy” (1968).

He waged a war of attrition with Boston University’s president at the time, John Silber, a political conservative. Mr. Zinn twice organized faculty votes to oust Mr. Silber, and Mr. Silber returned the favor, saying the professor was a sterling example of those who would “poison the well of academe.”

Mr. Zinn’s book “La Guardia in Congress” (1959) won the American Historical Association’s Albert J. Beveridge Award. “A publisher went so far as to publish my quotations, which my wife thought was ridiculous,” Mr. Zinn said. “She said, ‘What are you, the pope or Mao Zedong?’ ”

Mr. Zinn retired in 1988, concluding his last class early so he could join a picket line. He invited his students to join him.

Mr. Zinn wrote three plays: “Daughter of Venus,” “Marx in Soho” and “Emma,” about the life of the anarchist Emma Goldman. All have been produced. His last article was a rather bleak assessment of President Obama for The Nation. “I’ve been searching hard for a highlight,” he wrote.

Rosyln Zinn died in 2008. Mr. Zinn is survived by a daughter, Myla Kabat-Zinn of Lexington, Mass.; a son, Jeff Zinn, of Wellfleet, Mass.; and five grandchildren.

Mr. Zinn spoke recently of more work to come. The title of his memoir, he noted, best described his personal philosophy: “You Can’t Be Neutral on a Moving Train.”

A staff obituary by The New York Times will appear later.


Anti-américanisme: Après la violence nazie et soviétique, l’insidieuse violence américaine (After D-Day rapists and Hiroshima, French bestseller blames Americans for Auschwitz)

27 janvier, 2010
Jan Karski (Yannick Haenel, 2009)Les chambres à gaz, l’assassinat industriel d’êtres humains, non je l’avoue, je ne les ai pas imaginés, et parce que je ne pouvais pas les imaginer, je ne les ai pas vus. Raymond Aron
Jeune homme, je ne vous dis pas que vous êtes un menteur, mais je ne vous crois pas. Felix Frankfurter (juge de la Cour Suprême américaine à Karski, juillet 1943)
Je n’étais pas préparé à ce que j’ai vu, personne n’avait écrit sur une pareille réalité, je n’avais vu aucune pièce, aucun film…, je savais que des gens mouraient, mais ce n’était pour moi, que des statistiques. Ce n’était pas l’humanité, on me disait qu’ils étaient des êtres humains, mais ils ne ressemblaient pas à des être humains, ce n’était pas le monde, je n’appartenais pas à cela. C’était une sorte d’enfer. Jan Karski (sur sa visite au Ghetto de Varsovie)
Dans toutes ces rencontres, j’avais parlé, de ma propre initiative, de l’extermination des Juifs et de la destruction du ghetto de Varsovie. Pareil génocide, l’assassinat de centaines de milliers de personnes comme du bétail à l’abattoir, n’avait pas de précédent, semblait-il, dans l’histoire. Tous m’avaient écouté avec intérêt, mais aussi avec une incrédulité, qui ne m’avait pas échappé. Jan Nowak (émissaire de la Résistance polonaise)
L’importance d’Auschwitz dans nos représentations de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale est un phénomène relativement récent, qui date de la fin des années soixante-dix. Au lendemain de la guerre, l’extermination des Juifs d’Europe apparaît comme une de ses pages tragiques parmi beaucoup d’autres et n’occupe qu’une place marginale dans la culture et dans le débat intellectuel. L’attitude dominante est celle du silence. Pendant au moins trois décennies, ce silence ne sera brisé qu’occasionnellement, lors de certains événements littéraires (le prix Goncourt à André Schwarz-Bart pour Le dernier des justes, en 1959) ou politiques (le procès Eichmann à Jérusalem et les polémiques à propos du livre de Hannah Arendt sur la « banalité du mal »). Enzo Traverso
Je crois que Karski, par ses contacts avec la haute-administration américaine dans les derniers mois de la guerre, a compris des vérités sur ce qu’allaient être les temps modernes, le monde de l’après-1945. Yannick Haenel
La fiction a un rôle à jouer dans cette histoire de la transmission. Je pense qu’on vit une époque, au début du XXIè siècle, où précisément, un événement est en train d’avoir lieu qui est d’une ampleur qu’on ne mesure pas encore : c’est la disparition des témoins. Claude Lanzmann a crée le film fondamental sur le moment des témoins… d’autres processus de mémoires vont être à l’œuvre et doivent être à l’œuvre. Yannick Haenel
Le recours à la fiction n’est pas seulement un droit; il est ici nécessaire parce qu’on ne sait quasiment rien de la vie de Karski après 1945, sinon qu’il se tait pendant trente-cinq ans. Les historiens sont impuissants face au silence : redonner vie à Karski implique donc une approche intuitive. Contrairement à ce tribunal de l’Histoire d’où parle Lanzmann, la littérature est un espace libre où la « vérité » n’existe pas, où les incertitudes, les ambiguïtés, les métamorphoses tissent un univers dont le sens n’est jamais fermé. Yannick Haenel
C’est en connaissance de cause qu’ils n’ont pas cherché à arrêter l’extermination des juifs d’Europe. Peut-être à leurs yeux ne fallait-il pas qu’on puisse l’arrêter? Peut-être ne fallait-il pas que les juifs d’Europe soient sauvés? Yannick Haenel (Extrait de « Jan Karski »)
J’avais affronté la violence nazie, j’avais subi la violence des Soviétiques, et voici que de manière inattendue, je faisais connaissance avec l’insidieuse violence américaine (…) En sortant ce soir-là (…), j’ai pensé qu’à la violence du totalitarisme allait se substituer cette violence-là, une violence diffuse, civilisée, une violence si propre qu’en toutes circonstances, le beau mot de démocratie saurait la maquiller. Yannick Haenel (pensées attribuées à Karski à la sortie de sa rencontre avec Roosevelt de juillet 1943)
[le procès de Nuremberg] savamment orchestré par les Américains, n’a jamais été qu’un masquage pour ne pas évoquer la question de la complicité des alliés dans l’extermination des Juifs d’Europe. (…) Il n’y a pas eu de vainqueurs en 1945. Il n’y a eu que des complices et des menteurs. Yannick Haenel (Pensées attribuées à Karski)
Les juifs ont été abandonnés par les gouvernements, par ceux qui détenaient le pouvoir politique et spirituel. Ils n’ont pas été abandonnés par l’humanité. (…) En Pologne, un réseau secret a été constitué dans le seul but de mettre les juifs à l’abri des poursuites et de les assister dans la clandestinité. Son chef, M. Wladyslaw Bartoszewski, habite encore à Varsovie. M, Marek Edelman, un des dirigeants de l’insurrection du ghetto, vit à Lodz; d’autres, enfin, à l’étranger. Ils auraient au moins pu être cités.» (…) D’une interview de huit heures je n’ai revu à l’écran qu’un extrait de quarante minutes environ. Il y est question des souffrances des juifs du ghetto et des appels au secours adressés désespérément par leurs dirigeants clandestins aux gouvernements occidentaux. Pour des raisons évidentes de temps et de cohérence, M. Lanzmann n’a pu insérer la partie à mon sens la plus importante de l’interview, qui se rapporte à la mission que j’ai effectuée à la fin de 1942. D’autres personnes parlent des souffrances des juifs pendant plus de sept heures. Beaucoup le font mieux que moi. Pour ma part, l’essentiel de mon intervention n’était pas là mais dans le fait que j’avais réussi à passer à l’Ouest et à rendre compte à quatre membres du cabinet britannique, dont Anthony Eden, au président Roosevelt et à trois membres importants de son gouvernement, au délégué apostolique à Washington, aux dirigeants juifs américains, à d’éminents écrivains et à des commentateurs politiques, de la détresse des juifs et de leurs demandes pressantes de secours. Cela prouve que les gouvernements alliés qui seuls avaient les moyens de venir en aide aux juifs les ont abandonnés à leur sort. En dehors de moi, personne ne pouvait le dire. L’insertion de ce témoignage ainsi que l’évocation, si sommaire fût-elle, de ceux qui tentèrent d’aider les juifs aurait placé l’Holocauste dans une perspective historique plus appropriée. (…) Shoah par son autolimitation appelle un autre film, aussi puissant et aussi vrai, qui montrerait cet aspect oublié de l’Holocauste. Jan Karski (sur le film Shoah de Lanzmann)
Le livre de Karski est un livre sur la résistance polonaise, pas sur l’extermination des juifs, qui occupe à peine une dizaine de pages. Logique: juste après guerre, la Shoah n’est pas un thème central; le mot, d’ailleurs, n’existe pas dans cette acception. Dans le récit de Haenel, Jan Karski n’a que mépris pour Roosevelt, indifférent à tout sauf aux jambes de sa secrétaire. Dans son propre témoignage, au contraire, il exprime une grande admiration pour le président américain. Pourquoi Haenel accable-t-il les Américains? Pourquoi dédouane-t-il les Polonais? L’Express
Quand le romancier s’attaque à l’histoire, il a le droit d’en faire ce qu’il veut, mais cela n’a d’intérêt que s’il nous dévoile une vérité qui échappe à l’historien. Or Haenel s’est contenté de « plaquer sur le passé des idées qui sont dans l’air du temps ». Annette Wieviorka (historienne)
« Gloire de cendre » comme le dit le titre du poème de Paul Celan qui se termine avec ces vers, célèbres : « Niemand/zeugt für den/Zeugen » (« Personne/ne témoigne pour le/témoin »). Un constat qui se retrouve étrangement modifié en « Qui témoigne pour le témoin ? » dans l’exergue du roman de Yannick Haenel. Ce truquage, censé placer le livre sous l’autorité du témoin, alors même qu’il inverse et défigure gravement la parole de Celan, nous renseigne d’entrée sur l’orientation douteuse du projet. Andréa Lauterwein

Après les GI’s violeurs et le crime de guerre d’Hiroshima, la complicité à Auschwitz!

Retour, en cette journée internationale de la commémoration de la Shoah et 65e anniversaire de la libération d’Auschwitz, sur la toute récente polémique qui a suivi, après son quasi-unanime encensement par la critique, la publication du dernier prix Interallié, le mi-roman-mi-témoignage que l’écrivain Yannick Haenel a consacré au grand résistant polonais Jan Karski (de son vrai nom Jan Kozielewski) qui, ayant visité clandestinement et au péril de sa vie le ghetto de Varsovie et le camp de transit d’Izbica Lubelska, avait dès 1943 tenté d’avertir les Alliés de l’existence des camps d’extermination nazis.

Pour y découvrir, au-delà de l’importante question posée par des écrivains comme Littell ou Haenel lui-même de l’apport du romancier au travail de mémoire et à l’histoire à l’heure où les derniers témoins de la Shoah disparaissent, la triste réalité, selon les mots du cinéaste Claude Lanzmann et de l’historienne Annette Wiewiorka, à la fois d’un « faux roman » et d’un « faux témoignage ».

Où, sous couvert d’un hommage à une figure emblématique de la résistance polonaise et du combat contre l’antisémitisme comme avec le tout le confort et l’illusion du moralisme rétrospectif (ignorant tant les considérations stratégiques que la difficile « lisibilité » y compris même du côté juif de l’évènement à l’époque), l’auteur se livre au pire révisionnisme et à un réquisitoire en règle (et bien dans l’air du temps) contre les autorités américaines et notamment, contre toute vérité historique, le président Roosevelt.

Les accusant tout en blanchissant largement les Polonais de leur antisémitisme d’avoir (excusez du peu) refusé « en connaissance de cause » d’arrêter l’extermination des juifs d’Europe et, après la prétendue « orchestration du procès de Nuremberg » pour se défausser sur les Polonais de leur culpabilité, d’avoir proposé au monde une violence pire que le totalitarisme nazi ou soviétique puisque « insidieuse, diffuse et civilisée ».

D’où l’importance, mérite principal finalement de ladite polémique, de redécouvrir les mémoires devenues introuvables de Jan Karski (décédé aux Etats-Unis il y a 10 ans) que l’éditeur devrait ressortir et une partie, dès mars prochain sur Arte (« Rapport Karski » avec texte intégral dans les Temps modernes), des 8 heures de son témoignage que Lanzmann n’avait pas retenue pour son film Shoah …

Polémique autour de « Jan Karski »
Thomas Wieder
Le Monde
25.01.10

Depuis quelques semaines, il ruminait sa colère. Et puis il a décidé de passer à l’attaque. Pour cela, Claude Lanzmann a choisi l’hebdomadaire Marianne. En six pages, publiées dans l’édition du 23 janvier, le réalisateur de Shoah (1985) dit tout le mal qu’il pense de Jan Karski, un roman de Yannick Haenel paru en septembre 2009 chez Gallimard et couronné deux mois plus tard par le prix Interallié. Six pages dont la teneur est résumée dès les premières lignes : « J’ai honte d’être resté si longtemps silencieux après la parution du « roman » de Yannick Haenel. Ce livre est une falsification de l’Histoire et de ses protagonistes. »

L’article, auquel le romancier a immédiatement réagi, a également indigné le directeur de la collection dans laquelle le livre est paru, Philippe Sollers. « Je trouve étrange que Lanzmann ne réagisse que maintenant, alors que je lui en avais adressé les épreuves avant l’été », déclare l’écrivain, qui se dit « fier » d’avoir publié « un roman magnifique ».

Sur quoi la charge porte-t-elle ? Pour en saisir l’enjeu, rappelons d’abord qui est Jan Karski (1914-2000). Ce jeune Polonais catholique a 25 ans quand les Allemands et les Soviétiques envahissent son pays, en septembre 1939. Fait prisonnier dès le début de la guerre, il parvient à s’évader et rejoint rapidement la résistance polonaise.

Au sein de celle-ci, Karski jouera un rôle de messager. Envoyé à Londres en 1942, puis à Washington en 1943, il est notamment chargé d’informer les dirigeants des pays alliés de la situation de son pays. Il évoque en particulier le sort des juifs. Un dossier qu’il connaît bien pour avoir pu lui-même pénétrer dans le ghetto de Varsovie ainsi que dans un camp de la mort. A partir de cette histoire, Yannick Haenel a écrit un livre hybride, composé de trois chapitres. Plus que sur le deuxième, qui résume en 80 pages le témoignage publié par Karski en 1944 sous le titre Story of a Secret State, c’est sur les deux autres que Claude Lanzmann concentre son réquisitoire.

Le premier, d’abord. Celui-ci se lit comme le décryptage de la séquence de Shoah où Karski s’exprime face à la caméra de Lanzmann. Le romancier y cite de longs passages de cet entretien, réalisé en 1978. « Sans en avoir jamais demandé l’autorisation », s’insurge le cinéaste. « Certains appellent « hommage » ce parasitage du travail d’un autre. Le mot de plagiat conviendrait aussi bien », ajoute-t-il.

« Misère d’imagination »

Les critiques visant le troisième chapitre sont d’un autre ordre. Dans cette partie, présentée par l’auteur comme une « fiction », celui-ci se glisse dans la peau de son héros, en précisant que « les scènes, les phrases et les pensées (qu’il lui) prête relèvent de l’invention ». Pour Lanzmann, ce monologue de 70 pages est un « truquage » : « Son Karski inventé est (…) faux de part en part. »

Un passage, en particulier, l’a ulcéré : celui dans lequel est racontée l’audience que Franklin D. Roosevelt a accordée à Karski à la Maison Blanche, le 28 juillet 1943. Dans le livre, le président américain est décrit comme un vieillard lubrique, plus intéressé par les jambes des jolies femmes que par les propos de son interlocuteur. « Misère d’imagination », tonne Lanzmann : Karski, en réalité, n’aurait pas été indigné par l’attitude de Roosevelt, qui l’aurait au contraire écouté très attentivement. Le cinéaste affirme en détenir la preuve dans une partie inédite de son interview de Karski, qui sera bientôt diffusée sur Arte et publiée dans la revue Les Temps modernes, dont il est le directeur.

S’agissant des faits, l’historienne Annette Wieviorka confirme l’analyse de Lanzmann, tout en refusant de « s’acharner » contre le livre. Auteur d’une critique du livre d’Haenel dans le mensuel L’Histoire, elle qualifie aujourd’hui le roman de « régression historiographique ». Pour elle, les deux grandes idées qui s’en dégagent – la complicité des Alliés dans la Shoah et la relativisation de l’antisémitisme polonais – témoignent d’une « ignorance » des travaux des chercheurs. « Quand le romancier s’attaque à l’histoire, il a le droit d’en faire ce qu’il veut, mais cela n’a d’intérêt que s’il nous dévoile une vérité qui échappe à l’historien. » Or Haenel, regrette-t-elle, s’est contenté de « plaquer sur le passé des idées qui sont dans l’air du temps ».

D’accord sur le fond avec Claude Lanzmann, Annette Wieviorka ne peut toutefois s’empêcher de voir dans sa critique de Yannick Haenel un « effet de génération ». « Pour Lanzmann (né en 1925), la Shoah reste quelque chose de brûlant. Or, aujourd’hui, tout le monde s’en empare pour en faire ce qu’il veut. » De ce point de vue, l’actuel malaise du cinéaste en rappelle un autre. Celui – plus mesuré – qu’il avait éprouvé en 2006 à la lecture des Bienveillantes, de Jonathan Littell (Gallimard). Un romancier né en 1967. Comme Yannick Haenel.

Voir aussi:

Le recours à la fiction n’est pas seulement un droit, il est nécessaire
Yannick Haenel
Le Monde
25.01.10

Claude Lanzmann ne comprend pas la littérature. Je respecte sa personne, j’admire ses films, et mon livre Jan Karski est un hommage à Shoah. Mais l’idée qu’il se fait de l’acte littéraire relève de l’archaïsme, et de la mauvaise foi. Cinq mois après la parution de mon livre, voici qu’il m’accuse d’avoir écrit un « faux roman », un « livre obscène », et une oeuvre « malhonnête ».

Passons sur le temps qu’il aura fallu à Lanzmann pour s’apercevoir d’un si déplorable forfait : cette lenteur s’explique forcément par le sérieux que Lanzman met en toute chose. Passons aussi sur l’immensité de sa jalousie : Lanzmann ne « décolère pas », dixit Pierre Assouline, depuis que Jan Karski a obtenu le prix Interallié (« Le Monde des livres », du 22 janvier).

Si Claude Lanzmann s’avise que ce livre est soudainement si scandaleux, c’est parce que son agenda l’exige. Son attaque contre mon livre coïncide en effet avec une rediffusion de Shoah sur Arte, et avec la signature d’un contrat, sur la même chaîne, pour un film sur Karski : dans le domaine de la publicité, le hasard fait toujours bien les choses.

Comme si cela ne suffisait pas, Claude Lanzmann a demandé, je cite, mon « exécution capitale ». La première phrase de ses Mémoires s’en trouve étrangement éclairée : « La guillotine – plus généralement la peine capitale et les différents modes d’administration de la mort – aura été la grande affaire de ma vie. » L’homme qui a voué sa vie à donner voix aux victimes manifeste ainsi, à mon encontre, l’attitude du bourreau. Lanzmann veut ma mort, il l’énonce publiquement, avec l’impunité de ceux qui se prennent pour des commandeurs. Un tel voeu pourrait prêter à sourire, mais soyons clairs : comment qualifier un homme qui souhaite la mort d’un autre ?

A qui ai-je porté atteinte ? A Jan Karski ? Ses amis m’ont accueilli en Pologne avec enthousiasme ; ses héritiers m’ont invité à l’Institut Karski de Katowice, ils m’attendent bientôt à celui de Washington.

J’ai écrit un livre qui est, en partie, une fiction sur Jan Karski. Le recours à la fiction n’est pas seulement un droit ; il est ici nécessaire parce qu’on ne sait quasiment rien de la vie de Karski après 1945, sinon qu’il se tait pendant trente-cinq ans. Les historiens sont impuissants face au silence : redonner vie à Karski implique donc une approche intuitive. Cela s’appelle la fiction. Lanzmann, évidemment, est catégorique : « Je ne voyais pas comment on pouvait écrire un roman sur Karski » (entendez : il ne doit pas y avoir de roman sur Karski). Enoncer des interdits semble la vocation de Claude Lanzmann.

Ainsi serait-il le propriétaire de Jan Karski, comme on l’est d’une marque ; il serait l’unique détenteur de la « vérité », comme il dit, et personne, surtout pas moi, n’aurait le droit, après Shoah, de toucher à Karski. D’ailleurs, Lanzmann est persuadé que Karski n’existe que dans son film, il n’imagine même pas qu’il lui soit arrivé de vivre en dehors de leur rencontre. Il ignore sans doute que Karski a participé à d’autres films que le sien.

En exhibant bientôt, comme il l’annonce, une partie de ses rushes, Lanzmann va, dit-il, « rétablir la vérité » : « On saura ce que Karski et Roosevelt se sont vraiment dit ! » Ce qu’ils se sont « vraiment dit » ? Vraiment vrai de vrai ? Les croyances de Lanzmann pourraient simplement sembler rigides, mais le mot de « vérité » sonne ici comme une sentence dans la bouche d’un procureur. Contrairement à ce tribunal de l’Histoire d’où parle Lanzmann, la littérature est un espace libre où la « vérité » n’existe pas, où les incertitudes, les ambiguïtés, les métamorphoses tissent un univers dont le sens n’est jamais fermé.

Jan Karski est multiple, contradictoire, secret, comme tous les hommes. Lanzmann le reconnaît involontairement lorsqu’il constate que, au deuxième jour de tournage avec Karski, celui-ci avait changé. Mais cette attitude ne convenait pas à Lanzmann, elle ne correspondait pas à ce qu’il attendait de lui, ainsi juge-t-il soudain Karski « mondain » et « cabotin ». On mesure le respect que Lanzmann accorde aux êtres ; on comprend surtout qu’il n’aime pas Jan Karski.

Car Lanzmann se garde bien de raconter comment il l’a piégé. Dans une lettre du 7 juillet 1978, pour convaincre Karski d’être filmé, il lui écrit, à propos des juifs d’Europe : « Si quelqu’un est coupable de non-assistance à personne en danger, c’est plutôt les Alliés que les Polonais. » Il ajoute qu’il a été impressionné, lors d’un voyage en Pologne, de « découvrir combien tant de Polonais avaient mis leur vie en danger pour venir en aide aux juifs ». Puis il lui fait une promesse : « Cette question du sauvetage sera l’un des sujets majeurs de mon film. » (Lettre citée par E. Thomas Wood et Stanislaw M. Jankowski, Karski. How One Man Tried to Stop the Holocaust, J. Wiley, 1994, p.253).

Non seulement cette question n’est pas l’un des sujets de Shoah, mais en choisissant de couper la partie de l’entretien où Karski raconte sa mission en faveur des juifs, Lanzmann modifie complètement l’image donnée de la Pologne. Il est indiscutable que celle-ci a été effroyablement antisémite. « J’ai voulu protéger Jan Karski contre lui-même », ose dire Lanzmann pour justifier sa censure. Il a surtout rendu impossible qu’on puisse voir, dans son film, un Polonais qui n’est pas antisémite.

Bref, Lanzmann a menti ; il a trahi Karski. Et celui-ci, tout en accordant par loyauté son soutien à Shoah, a protesté dans un article intitulé : « Shoah, une vision biaisée de l’Holocauste » (Esprit, février 1986). Ce qui a eu lieu entre Karski et Lanzmann ne correspond donc pas à ce que celui-ci voudrait faire croire aujourd’hui. Au contraire, Lanzmann a un problème avec Karski ; c’est pourquoi mon livre le gêne, comme le retour d’un refoulé.

Yannick Haenel est écrivain, auteur de « Jan Karski » (Gallimard, « L’infini », 2009).

Voir également:

L’affaire Jan Karski et les droits du romancier
Pierre Assouline
La république des livres
22 janvier 2010

Parfois, la vie littéraire, c’est la guerre. Si en plus la vraie guerre en est le sujet, le combat se déroule ton sur ton. Depuis la parution en septembre de Jan Karski (Gallimard), le roman de Yannick Haenel sur l’action du grand résistant polonais dans les années 1940, Claude Lanzmann ronge son frein ; depuis que le livre figure dans les listes de meilleures ventes, il ne retient pas ses critiques chaque fois qu’on l’interroge à ce sujet ; depuis que Jan Karski a été couronné en novembre du prix Interallié, après l’avoir été du prix du roman Fnac, il ne décolère pas ; aussi cette semaine a-t-il décidé de faire feu sur Yannick Haenel dans la pure tradition de la contre-attaque. Mercredi, il a lancé un Scud dans sa direction au cours de la présentation de son film Shoah, intégralement rediffusé à 20 h 35 en deux soirées sur Arte, à l’occasion du 65e anniversaire de la libération d’Auschwitz. Le mitraillage est pour le week-end : six pages dans l’hebdomadaire Marianne qui se veulent « une exécution capitale de Yannick Haenel ».

Quant à la bombe, ce sera pour la fin février ou le début mars : Le Rapport Karski, un document de 52 minutes, que Claude Lanzmann a réalisé pour Arte en travaillant sur les heures d’entretien que lui avait accordées le résistant. Ce qui en ressort ? « La vérité, pardi ! Et là, on verra bien l’impression que le président Roosevelt lui a faite, on saura ce qu’ils se sont vraiment dit, les gens comprendront que Haenel est un faussaire et que c’est une mauvaise action de Philippe Sollers d’avoir publié ce livre obscène, malhonnête, une honte ! » Ce qui déplacera effectivement le champ de bataille assez loin de la guerre du goût qui avait jusqu’à présent la préférence de ce dernier. Fort opportunément, Robert Laffont rééditera au même moment Mon témoignage devant le monde. Histoire d’un Etat secret, de Jan Karski, publié en 1948 chez Self, puis aux éditions Point de mire, il y a six ans, mais introuvable depuis.

Courrier de l’armée polonaise de l’intérieur, Jan Karski y raconte notamment comment il tenta vainement d’alerter au plus haut niveau à Londres et à Washington la Résistance et les Alliés de l’extermination des juifs à l’oeuvre en Pologne occupée. En s’emparant de son histoire, Yannick Haenel a voulu se tenir à « un devoir d’humilité » dans la première partie de son roman, constituée d’un condensé des déclarations de Karski dans le film Shoah, ainsi que dans la deuxième, qui offre un résumé de ses Mémoires ; seule la troisième s’affranchit de cet impératif en laissant libre cours à la fiction : l’auteur y prête des scènes, des phrases et des pensées à Karski qui relèvent de son invention, ce qui pose problème lorsque le roman décharge les Polonais de toute accusation d’antisémitisme pour mieux charger les Américains de la maxima culpa.

Terrain mouvant

Outre le plébiscite public, une critique enthousiaste a accueilli le roman. Il a fallu attendre le compte rendu d’Annette Wievorka, spécialiste de la période, dans la revue L’Histoire (no 349, janvier 2010), pour entendre non seulement un son de cloche différent mais un véritable tocsin. Sous le titre « Faux témoignage », l’historienne l’y accuse de rien de moins que de détournement. Plus encore que les polémiques qui ont entouré Les Bienveillantes, de Jonathan Littell, l’affaire agite tant les romanciers que les historiens, car elle pousse les seconds à demander aux premiers s’ils ont vraiment tous les droits au nom des prérogatives de la fiction et de la liberté de l’esprit. Ce qui ne serait pas arrivé si Yannick Haenel, contrairement à Jonathan Littell, plus net dans son parti pris, n’avait pas usé d’un double registre d’écriture, s’engageant ainsi sur le terrain mouvant de l’ambiguïté. A supposer que cela ne correspondait pas à un projet bien établi, plus historique et politique que littéraire. Le tempérament de Claude Lanzmann aidant, on imagine que la guerre ne fait que commencer.

Si débat il y a, une fois achevé, il serait bon de transporter les participants à la Cartoucherie de Vincennes pour y assister à la représentation de La Dernière Lettre dans la mise en scène de Nathalie Colladon. Le monologue est extrait de l’inoubliable roman de Vassili Grossman Vie et destin. Prise au piège dans un ghetto d’Ukraine à l’été 1941, une femme, interprétée par Christine Melcer avec une empathie que l’on dirait naturelle, perçoit du dehors la rumeur allemande. En attendant la mort annoncée, elle s’adresse à son fils pour la dernière fois. Pas de pathos mais un espoir insensé gouverné par l’instinct. Parfois, ce qui reste de la guerre, c’est la survie littéraire.

Voir de même:

Shoah vu par Jan Karski
Jérôme Dupuis
L’Express
le 25/01/2010

L’EXPRESS.fr verse une nouvelle pièce au dossier de la polémique Lanzmann-Haenel à propos de Jan Karski, ce résistant polonais, qui a tenté, en vain, d’alerter le monde occidental sur l’Holocauste, durant la Deuxième Guerre mondiale. Dans ce texte paru dans la revue polonaise Kultura en 1985, et traduit en français par la revue Esprit, Jan Karski livre ses impressions après avoir vu Shoah, le film de Claude Lanzmann, dont il est l’un des protagonistes.

Sur le film «Shoah est sans aucun doute le plus grand film qui ait été fait sur la tragédie des juifs. Nul autre n’a su évoquer l’holocauste avec tant de profondeur, tant de froide brutalité et si peu de pitié pour le spectateur. De surcroît, la construction du film, l’enchaînement des témoignages, des événements, de la nature et des saisons débordent d’une poésie très pure.»

Sur la résistance polonaise «Toutefois, cette limitation rigoureuse du sujet du film donne l’impression que les juifs ont été abandonnés par l’humanité entière devenue insensible à leur sort. Cela est inexact et, de surcroît, déprimant, notamment pour les générations juives actuelles et futures. Les juifs ont été abandonnés par les gouvernements, par ceux qui détenaient le pouvoir politique et spirituel. Ils n’ont pas été abandonnés par l’humanité. (…) En Pologne, un réseau secret a été constitué dans le seul but de mettre les juifs à l’abri des poursuites et de les assister dans la clandestinité. Son chef, M. Wladyslaw Bartoszewski, habite encore à Varsovie. M, Marek Edelman, un des dirigeants de l’insurrection du ghetto, vit à Lodz; d’autres, enfin, à l’étranger. Ils auraient au moins pu être cités.»

Sur les circonstances du tournage «Le film contient aussi une interview de moi. Les circonstances dans lesquelles elle a été faite jettent un peu de lumière sur la méthode de travail de M. Lanzmann et sur le caractère restrictif qu’il a délibérément imposé à son oeuvre. Il est venu me voir en 1977, m’a présenté son dossier de presse et m’a exposé son projet: il avait entendu parler de moi, il était de mon devoir de lui accorder une interview. Au début j’ai refusé. J’avais, en effet, cherché à oublier ce que j’avais vécu et pendant plus de trente ans je n’étais pas revenu à mes souvenirs de guerre. Puis j’ai donné mon accord en demandant que les questions soient posées par écrit. Je voulais me donner le temps de réfléchir. M. Lanzmann a refusé, répugnant aux réponses préparées à l’avance. Il me poserait des questions relatives au sujet du film, je laisserais parler ma mémoire. J’ai accepté à condition que l’on ne glisse pas vers des controverses ou des conclusions politiques. Il a répondu que cela n’était pas son intention. L’interview a eu lieu chez moi, en 1978. Le tournage a duré deux jours, à peu près huit heures au total. M. Lanzmann est un homme difficile, passionné, voué sans réserve à son travail, implacable lorsqu’il s’agit d’établir les faits. Plusieurs fois je me suis effondré, M. Lanzmann a connu, lui aussi, un moment de découragement. Ma femme, trouvant la chose insupportable, s’est retirée.»

Regrets «D’une interview de huit heures je n’ai revu à l’écran qu’un extrait de quarante minutes environ. Il y est question des souffrances des juifs du ghetto et des appels au secours adressés désespérément par leurs dirigeants clandestins aux gouvernements occidentaux. Pour des raisons évidentes de temps et de cohérence, M. Lanzmann n’a pu insérer la partie à mon sens la plus importante de l’interview, qui se rapporte à la mission que j’ai effectuée à la fin de 1942. D’autres personnes parlent des souffrances des juifs pendant plus de sept heures. Beaucoup le font mieux que moi. Pour ma part, l’essentiel de mon intervention n’était pas là mais dans le fait que j’avais réussi à passer à l’Ouest et à rendre compte à quatre membres du cabinet britannique, dont Anthony Eden, au président Roosevelt et à trois membres importants de son gouvernement, au délégué apostolique à Washington, aux dirigeants juifs américains, à d’éminents écrivains et à des commentateurs politiques, de la détresse des juifs et de leurs demandes pressantes de secours. Cela prouve que les gouvernements alliés qui seuls avaient les moyens de venir en aide aux juifs les ont abandonnés à leur sort. En dehors de moi, personne ne pouvait le dire. L’insertion de ce témoignage ainsi que l’évocation, si sommaire fût-elle, de ceux qui tentèrent d’aider les juifs aurait placé l’Holocauste dans une perspective historique plus appropriée. (…) Shoah par son autolimitation appelle un autre film, aussi puissant et aussi vrai, qui montrerait cet aspect oublié de l’Holocauste.»

Voir de plus:

Les Mémoires de Jan Karski republiés
L’Express
le 14/01/2010

Jan Karski (1914-2000), le résistant polonais qui a tenté d’alerter le monde sur l’extermination des juifs, a été le héros posthume de la rentrée littéraire grâce au livre homonyme de Yannick Haenel (Lire la critique), publié chez Gallimard et couronné par le prix Interallié. Il devrait à nouveau faire parler de lui avec la publication, le 4 février, de sa version des faits, Mon témoignage devant le monde (Robert Laffont). Ce texte, publié en France en 1948, réédité en 2004 et depuis introuvable, met en évidence les libertés prises par l’écrivain français. Le livre de Karski est un livre sur la résistance polonaise, pas sur l’extermination des juifs, qui occupe à peine une dizaine de pages. Logique : juste après guerre, la Shoah n’est pas un thème central ; le mot, d’ailleurs, n’existe pas dans cette acception. Dans le récit de Haenel, Jan Karski n’a que mépris pour Roosevelt, indifférent à tout sauf aux jambes de sa secrétaire. Dans son propre témoignage, au contraire, il exprime une grande admiration pour le président américain. Pourquoi Haenel accable-t-il les Américains ? Pourquoi dédouane-t-il les Polonais ? Quel est son dessein ? Réponse dans un mois.

Voir enfin :

http://www.lexpress.fr/culture/livre/jan-karski-vu-par-yannick-haenel-et-bruno-tessarech_784125.html

Jan Karski vu par Yannick Haenel et Bruno Tessarech

Par Jérôme Dupuis, publié le 03/09/2009 11:32 – mis à jour le 17/09/2009 18:09

Témoin de la Shoah, le résistant polonais Jan Karski alerta en vain les Alliés : deux récits
lui sont consacrés, hélas imparfaits.

Qui connaît Jan Karski ? A part les spécialistes de la Seconde Guerre mondiale, il faut bien l’avouer, pas grand monde. Ce résistant polonais, figure tragique de l’Histoire, a été surnommé « l’homme qui a tenté d’arrêter l’Holocauste ». Son destin, ressuscité par la plume du jeune écrivain français Yannick Haenel, est fascinant. Mobilisé dans la cavalerie polonaise à la déclaration de guerre, Karski va traverser en quelques mois toutes les horreurs du XXe siècle. Interné dans un camp soviétique en Ukraine, il parvient à s’échapper.

Mais c’est pour se faire arrêter et torturer un peu plus tard par la Gestapo.Là encore, il s’évade miraculeusement, en barque, caché dans un tonneau.C’est ici que son destin va basculer. En 1942, il est conduit clandestinement par deux dignitaires juifs dans le ghetto de Varsovie. Là, halluciné, il découvre les cadavres jetés à même le sol et les bébés aux yeux fous. Plus étonnant encore, il s’introduit dans un camp de concentration, près de Belzec, et assiste au départ d’un train vers les camps de la mort. Il est l’homme qui a vu.

Le sort des Juifs ? Après les objectifs militaires alliés

Dès lors, Jan Karski n’aura plus qu’une obsession : témoigner auprès des Alliés pour arrêter l’extermination des Juifs. Il parvient à rejoindre Londres, puis Washington. Rencontre les écrivains H. G. Wells et Arthur Koestler, le ministre britannique Anthony Eden, et obtient même une entrevue avec le président américain, F.D. Roosevelt, à la Maison-Blanche. Mais, chaque fois, ce témoin des témoins sent qu’on peine à le croire. Que le sort des Juifs passe après les objectifs militaires des Alliés. Bref, qu’il ne parviendra pas à arrêter l’Holocauste. Reconnaissons à Yannick Haenel le mérite de rendre à nouveau vivant cet homme exceptionnel disparu en 2000. Même si cela n’est jamais dit, on devine qu’agacé par le raz-de-marée des Bienveillantes, il y a trois ans, l’écrivain a voulu opposer à la figure du mal absolu brossée par Jonathan Littell celle d’un juste admirable. Mais pourquoi avoir noyé cet hommage dans une construction formelle alambiquée, mêlant exégèse bavarde du film Shoah de Claude Lanzmann (dans lequel Karski apparaissait), biographie classique et construction romanesque ?

« L’homme qui a tenté d’arrêter l’Holocauste » inspire décidément les romanciers en cette rentrée littéraire. Karski est en effet aussi l’un des héros des Sentinelles, vaste roman historique signé Bruno Tessarech, où l’on croise également de Gaulle, Hitler et Wernher von Braun. Mais sans jamais vraiment emporter le lecteur. Comme si Jan Karski et ses révélations insoutenables n’étaient pas solubles dans la fiction.
Les Sentinelles, par Bruno Tessarech, Grasset, 381 p, 19 € et Jan Karski, par Yannick Haenel, Gallimard, 186 p, 16,50 €

Voir par ailleurs:

Yannick Haenel: « Lanzmann ne peut pas comprendre un roman comme le mien »
Jérôme Dupuis
L’Express
le 25/01/2010

L’auteur de Jan Karski répond au réalisateur du film Shoah, Claude Lanzmann, à propos Jan Karski, personnage de leurs deux oeuvres. Le cinéaste accusait l’écrivain d’avoir eu recourt à la fiction pour évoquer la vie de son héros.

Dans Marianne, le réalisateur de Shoah, Claude Lanzmann, attaque très durement votre roman Jan Karski. Il conteste le portrait que vous faites de ce Polonais, qui a tenté d’alerter les Alliés sur l’horreur de la Solution Finale. Votre roman serait une « description haineuse et vulgaire » et même une « falsification »…

Je suis stupéfait de l’attaque de Claude Lanzmann. D’autant que la première des trois parties de mon roman est une forme d’hommage à Shoah, que je considère comme un film capital. Je le cite abondamment. Mon éditeur, Philippe Sollers, lui avait d’ailleurs communiqué les épreuves de mon livre dès le printemps dernier, soit plusieurs mois avant sa sortie. Je lui en ai moi-même dédicacé un exemplaire, en juin. Il lui aura donc fallu huit mois pour réagir…

Comment l’expliquez-vous ?

Je crois que Claude Lanzmann a un problème avec Karski. C’est comme s’il était l’unique propriétaire du personnage, un peu comme une marque. Il n’accepte pas qu’il existe un après-Shoah. Or, Jan Karski a existé avant Shoah, il existera après Shoah. Mais sa réaction a peut-être une autre explication. Après avoir retrouvé Karski, il lui a fallu beaucoup de temps pour le convaincre de s’exprimer devant sa caméra. Dans une lettre à Karski du 7 juillet 1978, le réalisateur promettait que la question du « sauvetage des Juifs » serait l’une des parties centrales de son film et que la culpabilité des Alliés y serait évoquée, tout comme celle des Polonais. Or, ces points sont à peine mentionnés dans Shoah, Lanzmann n’ayant surtout retenu de ses longues heures d’entretien avec Karski qu’une quarantaine de minutes sur le ghetto de Varsovie. En revanche, presque rien, par exemple, sur la visite de Karski à Roosevelt. Je crois donc que Claude Lanzmann se prévaut aujourd’hui de son amitié avec Karski pour maquiller une trahison.

Vous insistez, vous, au contraire, beaucoup sur la visite de Karski aux Etats-Unis…

C’est peut-être cela, justement, qui gène Claude Lanzmann. J’ai révélé ce qui ne figurait pas dans son film. Je crois que Karski, par ses contacts avec la haute-administration américaine dans les derniers mois de la guerre, a compris des vérités sur ce qu’allaient être les temps modernes, le monde de l’après-1945. J’essaie d’interroger, dans mon livre, cette étrange passivité des Alliés face à l’extermination des Juifs d’Europe, je rappelle même l’antisémitisme de certaines personnes du département d’Etat, à Washington. Lanzmann convient lui-même aujourd’hui, en me donnant raison, que le Département d’Etat a fait de la rétention d’information, et que le secrétaire d’Etat John Mac Cloy, le même qui avait décidé ne pas bombarder les voies ferrées et installations de Birkenau, l’accueille dans son bureau de Wall Street avec ces mots : « Ah ! You come for this Jewish business ! »… A mes yeux, comme à celui des Polonais, Jan Karski est un héros, ce qui ne veut évidemment pas dire que j’occulte l’antisémitisme polonais, comme certains veulent le faire croire. Apparemment, mon livre n’a pas déplu aux héritiers de Jan Karski, puisque j’ai déjà été invité par l’Institut Karski de Katowice, en novembre dernier, et que je devrais l’être par celui de Washington, dirigé par la propre épouse de Karski, au printemps. Mon livre devrait d’ailleurs paraître en Pologne en mai.

Claude Lanzmann conteste le recours à la fiction pour évoquer le personnage de Karski. Que lui répondez-vous ?

Pour lui, le roman serait le discours du faux. Il ne peut pas comprendre un livre comme le mien. Il y a comme une surdité chez lui. Or, si j’ai eu recours à cette forme romanesque, c’est pour une raison très précise : après 1945, Jan Karski s’est muré dans un très long silence. Il m’a semblé qu’il fallait faire appel à l’intuition, à la fiction, pour tenter de combler ce silence. D’ailleurs, ma démarche est tout à fait raisonnée : je commence par donner, sous forme documentaire, les faits connus, tels qu’ils apparaissent dans Shoah et dans l’autobiographie de Jan Karski, avant, dans une troisième partie, de passer à la fiction. Mon livre est une hypothèse. Et je ne vois pas au nom de quoi Claude Lanzmann m’interdirait de la formuler.

Voir enfin :

http://www.arkheia-revue.org/Mon-temoignage-devant-le-monde-de.html

Mon témoignage devant le monde de Jan Karski
Stéphane Courtois
Critiques de livres
Arkheia
2005

Le mois de janvier 2005 a été consacré, en France et dans le monde, à la commémoration du soixantième anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz. Radio, télévisions, journaux y ont consacré une place importante, et pourtant pratiquement pas un n’a évoqué le souvenir d’un homme qui fut le premier à porter témoignage, Jan Karski. Les éditions Point de mire ont eu l’excellente idée de republier ce livre, édité en 1948 en France et devenu introuvable, précédé d’une utile présentation et suivi de notes copieuses, préparées par Céline Gervais et Jean-Louis Panné. Le témoignage de Jan Karski – de son vrai nom Jan Kozielewski – est celui d’un jeune lieutenant polonais happé par la Deuxième Guerre mondiale. Entraîné vers l’est par la débâcle polonaise de septembre 1939, Karski est d’abord fait prisonnier par l’Armée rouge qui, à la suite du pacte du 23 août 1939 entre Hitler et Staline – qualifié par antiphrase de « pacte de non agression » – a envahi la Pologne le 1er septembre 1939.

A peine évadé, il rejoint Varsovie et entre dans la résistance qui est déjà en train de créer un véritable « Etat secret ». En toute clandestinité, celui-ci va fonctionner comme un Etat, avec son gouvernement – ses ministères –, son armée, ses partis politiques qui organisent clandestinement la vie de toute la société et interdisent, dans la mesure du possible, toute collusion avec l’occupant nazi. Dès la fin janvier 1940, Karski est envoyé en mission clandestine en France où réside le gouvernement polonais en exil et ou se reconstitue une armée polonaise. Rentré en Pologne en avril 1940, porteur d’instructions capitales, il est chargé d’une nouvelle mission en France fin mai. Moins chanceux cette fois-ci, Karski est arrêté par la Gestapo, mais parvient à détruire en partie les microfilms qu’il portait sur lui. Sauvagement torturé, il tente de se suicider et se retrouve sous bonne garde dans un hôpital d’où la Résistance le fait évader. Après un temps de convalescence, il reprend le combat au poste de responsable de la presse clandestine.

A l’automne 1942, la direction de la Résistance polonaise décide de l’envoyer à nouveau en mission clandestine à l’ouest, cette fois-ci en Angleterre. Mais, avant son départ, il est chargé de rencontrer deux des principaux responsables de la communauté juive, un sioniste et un dirigeant du Bund, le parti socialiste juif. Ceux-ci, lors d’une terrible séance, lui révèlent le sort qui est réservé en secret depuis des semaines aux Juifs transférés dans les premiers camps d’extermination, dont près de 300 000 Juifs du ghetto de Varsovie. Deux jours plus tard, guidé par le leader du Bund, Karski pénètre clandestinement dans le ghetto, ce qui était formellement interdit et passible de la peine de mort. Violemment secoué par ce qu’il a vu pendant des heures, il décide néanmoins de retourner dans le ghetto, quelques jours plus tard, afin de mieux s’imprégner de la terrible tragédie qui s’y déroule quotidiennement.

De plus en plus sensibilisé, Karski accepte, la semaine suivante, de pénétrer dans un camp appartenant au processus d’extermination, le camp d’Izbica Lubelska, où les Juifs sont regroupés en provenance de différents ghettos et dépouillés de leurs maigres biens. Une minorité d’entre eux sont assassinés sur place tandis que la majorité est réexpédiée en train au camp de Belzec, l’un des cinq camps d’extermination majeurs – avec Chelmno, Sobibor, Treblinka et Auschwitz-Birkenau. Revêtu de l’uniforme d’un garde ukrainien qui a été soudoyé, Jan Karski passe une journée entière dans le camp et assiste au « chargement » des Juifs dans un train de 46 wagons. Il restera terriblement choqué par la vision dantesque de cette journée. Ayant réussi – via Berlin, Bruxelles, Paris et Barcelone – à rejoindre Londres, il fait son rapport au premier ministre du gouvernement en exil, le général Sikorski, au président de la république, Wladislaw Raczkiewicz, et au ministre britannique des Affaires étrangères, Antony Eden. Il rencontre une foule de responsables politiques. Le 2 décembre 1942, il reçoit Szmuel Zygielbojm, le leader du Bund réfugié à Londres et membre du Conseil national polonais, à qui il rend exactement compte du sort réservé aux Juifs par les nazis en Pologne. Le 12 mai 1943, alors que l’insurrection du ghetto de Varsovie sera en voie de succomber à la terreur nazie, Zygielbojm se suicidera, laissant un message où il reproche aux gouvernements alliés de ne rien avoir entrepris de concret pour sauver les Juifs.

Enfin, en juillet 1943, Karski est envoyé aux Etats-Unis par le gouvernement polonais de Londres et a le privilège, le 28 juillet, d’être reçu pendant une heure un quart par le président Franklin Roosevelt à qui il livre un rapport sur la résistance polonaise en général et à qui il détaille, en tant que témoin oculaire, le sort des Juifs. On l’aura compris à ce rapide aperçu sur un livre d’une grande richesse, le témoignage de Jan Karski, soixante ans après, demeure une référence fondamentale pour quiconque s’interroge sur la puissance du Mal dans l’Histoire et sur courage que certains hommes ont déployé pour le combattre.

Mon témoignage devant le monde de Jan Karski, Histoire d’un Etat secret, Editions du Point de Mire, 2004, 640 p

Voir enfin:

Enzo Traverso:
« Avertisseurs d’incendie »
Pour une typologie des intellectuels devant Auschwitz
in « L’Histoire déchirée. Essai sur Auschwitz et les intellectuels » ISBN 2-204-05562-X © Les Éditions du Cerf 1997
Reproduction interdite sauf pour usage personnel – No reproduction except for personal use only
Nous remercions Enzo Traverso et les Éditions du Cerf de nous avoir autorisés à reproduire ces textes. Il suffira ici de rappeler un célèbre article de Noam Chomsky, « The Responsibility of Intellectuals », New York Review of Books du 23 février 1967. Je me réfère ici au titre italien original de l’ouvrage de Primo Levi, I sommersi e i salvati, Einaudi, Turin, 1986 (Les naufragés et les rescapés, Gallimard, Paris, 1989). Walter Benjamin, Sens unique, Les Lettres Nouvelles, Paris, 1978, p. 205. Une telle classification me paraît plus adéquate, dans le cas des intellectuels, que le triptyque de Raul Hilberg, Exécuteurs, victimes, témoins. La catastrophe juive 1933-1945 (Gallimard, Paris, 1994), dans lequel la catégorie des bystanders (dont la traduction « témoins » pourrait prêter au malentendu) inclut à la fois certaines formes de collaboration et de résistance. Philippe Burrin, La France à l’heure allemande, 1940-1944, Éd. du Seuil, Paris, 1995, chap. XXII. Sur la collaboration des intellectuales en France, voir Jeannine Verdès-Leroux, Refus et violences. Les milieux littéraires à l’extrême droite des années trente aux retombées de la libération, Gallimard, Paris, 1996, qui essaye de prouver, à conclusion d’une recherche remarquable, la thèse discutable selon laquelle la valeur littéraire des collaborateurs était inversement proportionnelle à leur engagement. Voir Hugo Ott, Martin Heidegger. Éléments pour une biographie, Payot, Paris, 1990, p. 340-345. Ces deux lettres ont été publiées, en français, dans Les Temps modernes, 1989, n° 510, p. 2-4. L’histoire de l’amitié entre ces deux intellectuels a été étudiée par Elzbieta Ettinger, Hannah Arendt et Martin Heidegger, Éd. du Seuil, Paris, 1995. H. Arendt, « Martin Heidegger à quatre-vingts ans », Vies politiques, Gallimard, Paris, 1974, p. 318-319. Jean Améry, Lefeu ou la Démolition, Actes Sud, Arles, 1996. Voir à ce propos le chapitre 2 de Daniel Lindenberg, Les années souterraines 1937-1947, La Découverte, Paris, 1990. Pierre Drieu La Rochelle, Journal 1939-1945, Gallimard, 1992, p. 403. Texte d’une conférence publique tenue à Brême en 1949, citée dans Wolfgang Schirmacher, Technik und Gelassenheit. Zeitkritik nach Heidegger, Karl Albert, Freiburg, 1983, p. 25. La tentative de Rüdiger Safranski d’assimiler cette position de Heidegger avec celle développée par Adorno et Horkheimer dans La dialectique de la raison n’apparaît pas convaincante (Heidegger et son temps. Biographie, Grasset, Paris, 1996, P. 339-340). Au-delà des affinités incontestables dans leur critique de la modernité technique (encore plus accentuées dans le cas de H. Marcuse et G. Anders), la réflexion des représentants de l’école de Francfort débouche sur un nouvel « impératif catégorique » — « plus jamais Auschwitz » –, tandis que celle de Heidegger se traduit dans une pure et simple banalisation du génocide juif. Sur Heidegger et le génocide juif, voir les remarques éclairantes de Jürgen Habermas, « Martin Heidegger : l’oeuvre et l’engagement », Textes et contextes, Éd. du Cerf, Paris, 1994, p. 191-194. Omar Bartov, « Intellectuals on Auschwitz: Memory, History and Truth », History and Memory, vol. 5, 1993, n° 1, p. 102. Walter Laqueur, Le terrifiant secret. La « solution finale » et l’information étouffée, Gallimard, Paris, 1981, p. 94-95 (le mot suppression du titre original anglais évoque à mon avis autant l’« étouffement » de l’information que le « refoulement » du fait). Selon Christian Delacampagne, « face à l’ampleur de la Shoah, le monde occidental a éprouvé une culpabilité si intense que, se sentant incapable d’assumer cette dernière, il a commencé par la rejeter en bloc. Il a choisi de refouler le souvenir du crime plutôt que de tenter d’en analyser les causes. Et, pour mieux se protéger contre un éventuel retour du refoulé, il a adopté, pendant au moins un quart de siècle, une stratégie fondée sur l’indifférence » (Histoire de la philosophie au XXe siècle, Éd. du Seuil, Paris, 1995, p. 212). Voir Annette Wieviorka, Le procès de Nuremberg, Éditions Ouest-France, Mémorial, Caen, 1995, p. 126-127. M. Marrus, Les Juifs de France à l’époque de l’affaire Dreyfus, préface de P. Vidal-Naquet, Complexe, Bruxelles, 1985. Raymond Aron, Mémoires. Cinquante ans de réflexion politique, Juillard/Press Pocket, Paris, 1983, p. 242. Voir Pierre Vidal-Naquet, « Témoignage d’un Français juif. Le journal de Me Lucien Vidal-Naquet (septembre 1942-février 1944) », Réflexions sur le génocide, La Découverte, Paris, 1995, p. 100. Voir Aline Benaim, « L’itinéraire juif de Raymond Aron : hasard, déchirement et dialectique de l’appartenance », Pardès, 1990, n° 11, p. 166. Vittorio Foa, Il cavallo e la torre. Riflessioni su una vita, Einaudi, Turin, 1991, p. 106. Ibidem, p. 69-70. Sur le contexte politico-culturel italien, voir Filippo Focardi, « L’Italia antifascista e la Germania (1943-1945) », Ventesimo secolo, n° 13, 1995, p. 121-155. Voir David S. Wyman, L’abandon des Juifs, Flammarion, Paris, 1987. P. Fussel, À la guerre. Psychologie et comportements pendant la Seconde Guerre mondiale, Éd. du Seuil, Paris, 1992. Sur le silence des intellectuels juifs américains, voir Stephen J. Whitfield, « The Holocaust and the American Jewish Intellectual », Judaism, n° 4, 1979, p. 391-401. Irving Howe, A Margin of Hope. An Intellectual Autobiography, Harcourt Brace Jovanovich, New York, 1982, p. 247. Voir I. Berlin, En toutes libertés. Entretiens avec Ramin Jahanbegloo, Éd. du Félin, Paris, 1990, p. 38-39. Dwight MacDonald, « The Responsibility of Peoples », Politics, mars 1945, p. 82-93. Voir aussi I. Howe, p. 253. Sur les mécanismes psychologiques qui rendent Auschwitz innommable dans l’Allemagne de l’après-guerre, voir l’ouvrage d’Alexander et Margarete Mitscherlich, Le deuil impossible, Payot, Paris, 1972. K. Jaspers, La culpabilité allemande, préface de P. Vidal-Naquet, Éd. de Minuit, Paris, 1990, p. 81. Voir notamment sa correspondance de l’époque avec la jeune Hannah Arendt au sujet de son livre sur Max Weber (1932). En tant que juive, Arendt ne pouvait pas accepter l’exaltation presque mystique avec laquelle Jaspers soulignait la « germanité » (deutsche Wesen) de Weber. Voir H. Arendt, K. Jaspers, Correspondance 1926-1969, Payot, Paris, 1996, p. 50-53. Voir Anson Rabinbach, « Der Deutsche als Paria. Deutsche und Juden in Karl Jaspers Die Schuldfrage », dans Moltmann (éd.), Erinnerung. Zur Gegenwart des Holocaust in Deutschland-West und Deutschland-Ost, Harg+Herchen, Frankfort-sur-le-Main, 1993, p. 181. Thomas Mann, Appels aux Allemands, Balland-Martin Flinker, Paris, 1985, p. 183. 39 Thomas Mann, « Deutschland und die Deutsche », Essays, t. II Politik, Hermann Kurzke (éd.), Fischer, Frankfort-sur-le-Main, 1977, p. 297. Voir aussi Kurt Sontheimer, Thomas Mann und die Deutschen, Fischer, Frankfort-sur-le-Main, 1965, p. 115-117. Si l’on pense à un ouvrage comme les Considérations d’un apolitique (Grasset, Paris, 1975), publié au lendemain de la Première Guerre mondiale, ces affirmations de Th. Mann prennent aussi, à l’instar de la Schuldfrage de Jaspers, une saveur autocritique plus personnelle. Shoshana Felman, « Camus’ The Fall », dans S. Felman, D. Laub, Testimony. Crises of Witnessing in Literature, Psychoanalysis, and History, Routledge, New York, 1992, p. 191. Susan Sontag, On Photography, Farrar, Straus & Giroux, New York, 1977, p. 19-20. Saul Friedländer, Memory, History and the Extermination of the Jews of Europe, Indiana University Press, Bloomington, 1993, p. 44. Voir Tom Segev, Le septième million. Les Israéliens et le Génocide, Liana Lévi, Paris, 1993, p. 39. W. Benjamin, G. Scholem, Briefwechsel 1933-1940, Suhrkamp, Frankfort-sur-le-Main, 1980, p. 319. Voir aussi G. Scholem, Walter Benjamin. Histoire d’une amitié, Calmann-Lévy, Paris, 1979, p. 247. E. Ringelblum, Chroniques du ghetto de Varsovie, Laffont, Paris, 1993. Ilya Ehrenbourg, Vassili Grossman, Le livre noir, Solin-Actes Sud, Paris, 1995. Ph. Burrin, La France à l’heure allemande, p. 328. Voir aussi D. Lindenberg, Les années souterraines, p. 106-108. Ces deux historiens soulignent la volonté de Febvre de poursuivre à tout prix la publication des Annales dans les conditions de l’occupation, ce qui impliquait un certain degré d’« adaptation ». Ni l’un ni l’autre ne reprochent à Febvre une attitude de « collaborateur ». Le comportement de Febvre a été défendue par Peter Schöttler dans son essai « Marc Bloch et Lucien Febvre face à l’Allemagne nazie », Genèses, n° 21, 1995, p. 75-95. H. Arendt, La tradition cachée. Le Juif comme paria, Christian Bourgois, Paris, 1987, p. 241. P. Gay, Le suicide d’une république. Weimar 1918-1933, Calmann-Lévy, Paris, 1993, p. 180. Voir l’étude classique de Fritz K. Ringer, The Decline of the German Mandarins. The German Academic Community 1890-1933, Harvard University Press, Cambridge, 1969 et, plus récemment, Hauke Brunkhorst, Der Intellektuelle im Land der Mandarine, Suhrkamp, Frankfort-sur-le-Main, 1987. M. Löwy, Rédemption et utopie. Le judaïsme libertaire en Europe centrale, Presses universitaires de France, Paris, 1988, p. 44. On dispose maintenant de deux ouvrages fondamentaux sur l’École de Francfort : Martin Jay, L’imagination dialectique. Histoire de l’École de Francfort et de l’Institut de recherches sociales (1923-1950), Payot, Paris, 1977, et Rolf Wiggershaus, L’École de Francfort. Histoire, développement, signification, Presses universitaires de France, Paris, 1993. Au sujet de la New School for Social Research, voir Claus-Dieter Krohn, Wissenschaft im Exil. Deutsche Sozial- und Wirtschaftswissenschaftler in den USA und die New School for Social Research, Campus, Frankfort-sur-le-Main, 1987. Dans le cadre d’une immense littérature sur l’émigration intellectuelle allemande, il suffira ici de signaler les travaux de H.S. Hughes, The Sea Change. The Migration of Social Thought 1930-1965, Harper & Row, New York, 1975, A. Heilbut, Exiled in Paradise. German Refugee Artists and Intellectuals in America, Viking Press, New York, 1983, M. Jay, Permanent Exiles. Essays on Intellectual Migration from Germany to America, Columbia University Press, New York, 1986, Jean-Michel Palmier, Weimar en exil, Payot, Paris, 1987, 2 vol.; et A. Betz, Exil et engagement. Les intellectuels allemands et la France 1930-1940, Gallimard, Paris, 1991. Voir Karl Mannheim, Le problème des générations, Nathan, Paris, 1990, p. 58-60. Sur le concept de génération chez Mannheim, voir surtout les études de la traductrice de ce texte, Nia Perivolaropoulou, « Karl Mannheim et sa génération », Mil neuf cent, Revue d’histoire intellectuelle, n° 10, 1992 ; « Temps socio-historique et générations chez Karl Mannheim », L’Homme et la société, n° 111-112, 1994. J’ai essayé de donner une application historique à ce modèle conceptuel élaboré par Mannheim dans une étude sur « Les Juifs et la culture allemande. Le problème des générations intellectuelles », Revue Germanique Internationale, n° 5, 1996. Georg Simmel, « Exkursus über den Fremden », Soziologie, Verlag von Duncker und Humblot, Munich, 1922, p. 510. Sur Simmel, voir Freddy Raphaël, « L’étranger et le paria dans l’oeuvre de Max Weber et Georg Simmel », Archives des sciences sociales des religions, 1986, 61/1. Voir Enzo Traverso, Siegfried Kracauer. Itinéraire d’un intellectuel nomade, La Découverte, Paris, 1994, et Martin Jay, « The Extraterritorial Life of Siegfried Kracauer », Permanent Exiles, p. 152-197. Voir Antonio Gramsci, Quaderni del carcere, vol. III, (« Quaderno 12, 1932, Appunti e note sparse per un gruppo di saggi sulla storia degli intellettuali »), Einaudi, Turin, 1975, p. 1513-1551. K. Mannheim, Ideologie und Utopie, Verlag G. Schulte-Bulmke, Frankfort-sur-le-Main, 1969 (la traduction française, parue chez Marcel Rivière en 1956, est incomplète et se base sur la version anglaise de 1936, sensiblement différente de l’original allemand de 1929). Ce concept sera repris et nuancé par Mannheim, pendant les années quarante, dans ses Essays on the Sociology of Culture, Routledge, Londres, 1992, p. 106. Sur le concept de freischwebende Intelligenz chez Mannheim, voir Michael Löwy, « Karl Mannheim. Intellectuel sans attaches », Critique, n° 517-518, 1990, et Joseph Gabel, Mannheim et le marxisme hongrois, « Méridiens » Klinsieck, Paris, 1987, chap. VI. Voir Tomás Maldonado, Che cos’è un intellettuale? Avventure e disavventure di un ruolo, Feltrinelli, Milan, 1995, p. 27. Cette conception de l’intellectuel a été récemment réaffirmée par Edward W. Said, Representations of the Intellectual, Vintage, Londres, 1994. H. Arendt, La tradition cachée, p. 74. Dagmar Barnouw, Visible Spaces. Hannah Arendt and the German-Jewish Experience, John Hopkins University Press, Baltimore, 1990, p. 79. M. Horkheimer, Dialectique de la raison, Gallimard, Paris, 1974, p. 15. Th. W. Adorno, Minima moralia. Réflexions sur la vie mutilée, postface de Miguel Abensour, Payot, Paris, 1991, p. 54. H. Arendt, « La culpabilité organisée », Penser l’événement, Belin, Paris, 1989, p. 27. H. Arendt, « L’image de l’enfer », Auschwitz et Jérusalem, DeuxTemps Tierce, Paris, 1991, p. 154. « Gespräch mit Günther Anders », Das Günther Anders Lesebuch, Diogenes, Zürich, 1984, p. 314. Cette définition, forgée originairement par Georgy Lukacs, est ici employée dans l’acception qu’en donnent M. Löwy et R. Sayre dans Révolte et mélancolie. Le romantisme à contre-courant de la modernité (Payot, Paris, 1992). Selon James D. Wilkinson, « les hommes et les femmes de la Résistance ressemblent à leurs ancêtres spirituels du XVIIIe siècle, les philosophes », The Intellectual Resistence in Europe, Harvard University Press, Cambridge, 1981, p. 276. Pour Alain Brossat, qui souligne le contraste entre la mémoire résistante et celle du judéocide, « le récit résistant était un récit optimiste, un récit d’édification, puisqu’il célébrait la victoire du droit sur la force, celle de l’abnégation sur la tyrannie » (Libération fête folle, Autrement, Paris, 1994, p. 59). H. Arendt, The Origins of Totalitarianism, Harcourt Brace & Company, New York – London, 1973, p. 123 (trad. fr. L’impérialisme, Fayard, Paris, 1982, p. 11). Voir la dernière partie d’Ernst Cassirer, Le mythe de l’État, Gallimard, 1993. Voir à ce propos Irène Kajon, « La philosophie, le judaïsme et le mythe politique moderne chez Ernst Cassirer », dans Jean Seidengart (éd.), Ernst Cassirer. De Marbourg à New York, Éd. du Cerf, Paris, 1990, notamment p. 287-288. H. Arendt, « Compréhension et politique », La nature du totalitarisme, Payot, Paris, 1991, p. 42. W. Benjamin, « Thèses sur la philosophie de l’histoire », Essais 1935-1940, Denoël-Gonthier, Paris, 1983, p. 199. J. Améry, Par-delà le crime et le châtiment, Actes Sud, Arles, 1995, p. 164-165. H. Arendt, « De l’humanité dans de « sombres temps« », Vies politiques, Gallimard, Paris, 1974, p. 22. Th. W. Adorno, Minima moralia. Réflexions sur la vie mutilée, Payot, Paris, 1980, p. 29. Si l’on accepte la définition de l’intellectuel proposée par Pascal Ory et Jean-François Sirinelli — « Ni une simple catégorie socio-professionnelle, ni un simple personnage, irréductible. Il s’agira d’un statut, comme dans la définition sociologique, mais transcendé par une volonté individuelle, comme dans la définition éthique, et tourné vers un usage collectif » (Les intellectuels en France de l’Affaire Dreyfus à nos jours, Armand Colin, Paris, 1986, p. 10) –, il faut alors constater que c’est précisément ce dernier attribut qui faisait cruellement défaut aux émigrés. Il faudra attendre des décennies pour que leur message soit finalement entendu.

L’importance d’Auschwitz dans nos représentations de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale est un phénomène relativement récent, qui date de la fin des années soixante-dix. Au lendemain de la guerre, l’extermination des Juifs d’Europe apparaît comme une de ses pages tragiques parmi beaucoup d’autres et n’occupe qu’une place marginale dans la culture et dans le débat intellectuel. L’attitude dominante est celle du silence. Pendant au moins trois décennies, ce silence ne sera brisé qu’occasionnellement, lors de certains événements littéraires (le prix Goncourt à André Schwarz-Bart pour Le dernier des justes, en 1959) ou politiques (le procès Eichmann à Jérusalem et les polémiques à propos du livre de Hannah Arendt sur la « banalité du mal »). Étudier la première tentative de réflexion sur le génocide juif signifie aller à la recherche des exceptions, essayer de repérer les esprits qui ne se conforment pas à la règle générale, qui apparaissent profondément bouleversés par un événement invisible aux yeux du plus grand nombre des observateurs. Cela signifie, pour reprendre les mots de Benjamin, « brosser l’histoire à rebrousse-poil », étudier un fragment de culture passé inaperçu de ses contemporains, inspiré par un événement qui, au moment où il s’est produit, a été accueilli par l’incompréhension, l’incrédulité ou l’indifférence, généralement traduites par le silence, sans susciter la protestation ou l’indignation, encore moins la réflexion. Auschwitz n’est ni l’affaire Dreyfus ni la guerre civile espagnole, ni non plus la guerre d’Algérie ou celle du Vietnam, des épisodes devant lesquels les intellectuels se sont sentis interpellés et ont réagi en prenant leurs « responsabilités1 ». Ce rôle de conscience critique de la société est joué, dans le cas du génocide juif, par une toute petite minorité faite de figures marginales, dans la plupart des cas des rescapés des camps de la mort ou des exilés, coupés de leurs pays d’origines et étrangers à leurs pays d’accueil.

Sur la base d’une classification purement descriptive et quelque peu sommaire, on pourrait distinguer, à ce propos, quatre groupes principaux d’intellectuels : aux antipodes, les collaborationnistes et les rescapés, les uns aux services des persécuteurs, les autres miraculeusement échappés à la mort, « sauvés2 » dans la grande masse des victimes ; au milieu, une foule de clercs non pas « traîtres » mais, le plus souvent, tragiquement aveuglés dans le contexte de la guerre, et aux bords, à la frontière avec les victimes, le tout petit nombre de ceux qu’on pourrait bien appeler, selon une caractérisation empruntée encore une fois à Benjamin, les « avertisseurs d’incendie3 », à savoir ceux qui donnent l’alarme, reconnaissent la catastrophe, la nomment et l’analysent4.

Le premier groupe, minoritaire mais non négligeable, inclut ceux que l’historien suisse Philippe Burrin a élégamment définis comme « les muses enrôlées5 », particulièrement remarquable en France par la qualité de ses représentants (Louis-Ferdinand Céline, Robert Brasillach, Charles Maurras, Pierre Drieu La Rochelle et bien d’autres6) mais étendu à l’ensemble de l’Europe occupée par les armées allemandes (Julius Evola, Giovanni Gentile et Ezra Pound en Italie, Paul de Man en Belgique, Knut Hamsun en Norvège et beaucoup d’autres ailleurs). Le deuxième groupe, à l’extrême opposé, est celui des rescapés, les écrivains-témoins qui ont été déportés à cause de leur judéité (Jean Améry, Paul Celan, Primo Levi) ou de leur engagement politique (Robert Antelme, David Rousset, Eugen Kogon) et qui ont pu revenir des camps nazis. Le troisième, de loin le plus nombreux, est formé par la grande majorité des intellectuels européens et américains qui écrivent, pendant ou après la guerre, sur le national-socialisme (la mouvance autour de revues comme Der Ruf, Die Wandlung et Der Monat, puis du Groupe 47 en Allemagne ; les courants d’idées inspirés par un quotidien comme Combat et des revues comme Les Temps modernes, Critique ou Esprit en France, Il Ponte ou Il Politecnico en Italie ; enfin, la véritable pléiade de revues des New York Intellectuals aux États-Unis, de Partisan Review à Commentary). En dépit de certaines intuitions, ils demeurent aveugles devant le génocide, comme si leur « horizon de visibilité » ne permettait pas d’atteindre les camps de la mort. Le dernier groupe est formé par un petit noyau d’émigrés juifs allemands (Hannah Arendt, Günther Anders, Theodor W. Adorno, Max Horkheimer, Herbert Marcuse et d’autres), les premiers à placer Auschwitz au centre de leur réflexion, déjà pendant la guerre. À ce dernier groupe il faudrait ajouter un certain nombre de personnalités, tantôt appartenant au milieu des émigrés (c’est notamment le cas de Thomas Mann) ou aux pays qui les accueillent (Dwight MacDonald aux États-Unis) tantôt demeurés en Europe (Karl Jaspers en Allemagne, Vladimir Jankélévitch et Georges Bataille en France).

Cette classification est établie à partir d’un double questionnement qui prend en compte autant un engagement politique (quelle attitude à l’égard du national-socialisme ?) qu’une position intellectuelle (quelle réflexion autour d’Auschwitz ?). Il faudrait donc éviter de confondre chacun de ces quatre groupes avec un milieu intellectuel. Cette notion peut s’appliquer aux exilés judéo-allemands, organisés en cercles et réseaux aux frontières culturelles, souvent linguistiques, bien définies (l’École de Francfort, la New School for Social Research, la revue Aufbau) ; les autres figures ici analysées, en revanche, appartiennent à des milieux différents tout à fait susceptibles de traverser les clivages de ce tableau à quatre volets. Aron et Sartre, deux représentants paradigmatiques de l’intelligentsia européenne « aveuglée » devant le génocide juif, participent, en dépit de leurs divergences et spécificités, du même milieu intellectuel de Bataille (l’un des rares à essayer de penser Auschwitz dans la France de l’après-guerre). S’il y a un milieu auquel appartient le jeune chimiste turinois Primo Levi, à son retour de déportation, ce n’est pas celui de son ex-camarade de « bloc » Jean Améry, mais plutôt celui de l’antifascisme « actionniste » italien, de gauche mais non communiste (Franco Antonicelli écrit la préface de la première édition de Si c’est un homme). D’autres, comme Améry ou Celan, se réfugient, après l’expérience des camps, à Bruxelles et à Paris, où ils se tiennent à l’écart de tous les « milieux « ; inconnus de leur vivant dans le monde francophone, ils atteignent la célébrité au sein d’une culture allemande dans laquelle ils s’inscrivent comme des Heimatlose irréductibles. Certains émigrés judéo-allemands et certains collaborateurs, en revanche, ont partagé un même milieu intellectuel avant 1933. Jaspers a été l’ami de Heidegger ; H. Arendt, G. Anders et H. Marcuse ses disciples. Après la guerre, Jaspers refuse de rencontrer son ancien ami et écrit même un rapport accablant sur son attitude sous le régime hitlérien (ce témoignage sera décisif pour l’interdiction d’enseignement du philosophe de Messkirch par les autorités d’occupation7). Anders, qui lui consacre un essai en 1948, l’évite soigneusement, y compris après son retour en Europe et son installation à Vienne, en 1950. Marcuse lui écrit, en 1947 et 1948, deux lettres cinglantes dans lesquelles il s’adresse explicitement à « un homme qui s’est identifié avec un régime qui a envoyé mes coreligionnaires dans les chambres à gaz par millions8 ». Hannah Arendt, son ex-maîtresse, ne fait pas preuve d’une telle intransigeance. Ils ont rompu tout lien en 1933 et, à la fin de la guerre, elle n’hésite pas à le qualifier, dans une lettre à Jaspers, de « meurtrier potentiel », mais leur amitié sera rétablie à partir de 19509. En 1969, dans un essai qu’elle consacre à Heidegger pour ses quatre-vingts ans, l’adhésion du philosophe au national-socialisme n’est évoquée que dans une note en bas de page, où elle est minimisée comme une « escapade10 ».

Ces exemples indiquent assez clairement que ces quatre constellations intellectuelles ne sont pas séparées par des murs insurmontables. Le fait est que, à la fin de la guerre, Auschwitz n’est qu’un événement funeste parmi d’autres et, par conséquent, ceux qui ont l’intuition ou la lucidité d’y voir une rupture de civilisation, appartiennent à de milieux intellectuels formés sur la base d’autres clivages. Tous les rescapés et les exilés ne peuvent qu’être antifascistes, même si l’antifascisme ne voit pas le génocide juif (encore moins celui des Tziganes). Procéder à une classification des intellectuels en fonction de leur attitude devant Auschwitz implique donc un recul historique, un regard rétrospectif, voire même un certain « anachronisme ». Il s’agit d’interroger leurs textes à partir d’un questionnement — par exemple la singularité historique du national-socialisme et du génocide — présent aujourd’hui de manière obsédante mais pratiquement inexistant à l’époque où ils furent écrits. Un débat comme le Historikerstreit serait tout à fait inconcevable à la fin de la guerre ou même au milieu des années cinquante. C’est néanmoins grâce à ce regard rétrospectif que l’on peut reconnaître, comme les taches rouges dans les tableaux du peintre Lefeu-Améry11, les « avertisseurs d’incendie ».

On pourrait indiquer comme points de repère, afin de fixer les frontières essentielles de cette première réflexion, les Thèses de philosophie de l’histoire de Walter Benjamin (1940) et Les origines du totalitarisme de Hannah Arendt (1951). C’est en cette décennie cruciale — la période de la guerre et celle immédiatement suivante — que voit le jour un ensemble impressionnant de travaux : Erich Fromm analyse l’antisémitisme dans La peur de la liberté (1941) et Franz Neumann étudie les structures du national-socialisme dans Behemoth (1942) ; Max Horkheimer et Theodor W. Adorno écrivent La dialectique de la raison (1944), puis respectivement Éclipse de la raison (1946) et Minima moralia (1944-1947) ; Günther Anders élabore les concepts et rédige un grand nombre de textes qui seront rassemblés dans le premier tome de Die Antiquiertheit des Menschen (1956), Paul Celan compose Todesfuge (1945) et Karl Jaspers publie son essai philosophico-politique sur la « culpabilité allemande » (1946) ; Bruno Bettelheim et Leo Löwenthal consacrent des études de pionniers au problème de la terreur totalitaire (respectivement en 1943 et en 1946) et Primo Levi relate son séjour à Auschwitz dans Si c’est un homme (1947) ; Jean-Paul Sartre livre dans un essai ses réflexions sur la question juive (1946), qui suit de peu l’essai de Dwight MacDonald sur « La responsabilité des peuples » et L’univers concentrationnaire de David Rousset (tous deux parus en 1945), et précède L’espèce humaine de Robert Antelme (1947). Il s’agit donc d’un ensemble d’ouvrages couvrant des domaines très différents, de la philosophie à l’histoire, de la poésie à la sociologie politique. Le fil rouge qui les traverse et les relie est constitué par une interrogation commune sur la guerre, le nazisme, l’antisémitisme et la catastrophe qui est en train ou vient de se consommer. Le génocide juif est directement à l’origine de l’analyse de plusieurs de ces auteurs. Les textes de Benjamin et d’Arendt encadrent ce débat, le premier en proposant une vision de l’histoire dans laquelle l’idée de progrès a été remplacée par celle de catastrophe, en guise de prémonition d’une tragédie imminente, la seconde en introduisant une nouvelle catégorie politique, celle de totalitarisme, qui réinterprète le XXe siècle dans l’horizon de l’univers concentrationnaire.

Les « muses enrôlées »
Il ne sera pas question, dans ces pages, des fascistes et des collaborateurs. Leurs motivations sont différentes : parfois l’opportunisme l’emporte sur la haine, parfois ils se plient à l’autorité avec un sentiment tragique du devoir, parfois la guerre et l’occupation les arrachent à une marginalité mal vécue et créent les conditions les plus favorables à l’expression d’un antisémitisme pathologique. Quelle que soit leur situation, ils sont les derniers desquels on pourrait s’attendre un effort de penser Auschwitz.

La catégorie des « muses enrôlées » recouvre des cas fort différents. La participation de certains intellectuels et écrivains français aux réceptions de l’Institut allemand, dans Paris occupé, révèle certes autant leur opportunisme que leur volonté d’adaptation au nouvel ordre imposé par les autorités nazies, mais ne se traduit pas toujours dans la production d’écrits fascistes ou de pamphlets antisémites, qui demeurent la spécialité d’auteurs tels que Céline ou Brasillach. L’attitude de Martin Heidegger et Carl Schmitt, qui restent loyaux mais abandonnent toute responsabilité au sein du régime nazi à partir de 1934-1935, n’est pas la même que celle de Giovanni Gentile, qui avait manifesté son désaccord avec les lois antisémites promulguées par Mussolini en 1938, mais qui acceptera ensuite d’être président de l’Accademia d’Italia sous la république de Salò, au moment de la chasse aux partisans et de la déportation des Juifs (avant d’être lui-même exécuté par la Résistance).

Souvent, l’adhésion des intellectuels au IIIe Reich et à ses alliés, ainsi qu’à leur politique criminelle, tient, au-delà de l’idéologie, à une véritable fascination esthétique exercée par le nazisme. Pendant les années trente, son influence est profonde sur de larges secteurs de la culture européenne, y compris sur des figures que l’on retrouvera plus tard dans la mouvance antifasciste. Le régime hitlérien leur apparaît comme l’incarnation d’attentes apocalyptiques, d’impulsions vitalistes et irrationnelles, comme le triomphe à la fois de la nature et de la technique, de la force et du mythe, autant d’éléments qui les séduisent devant le cataclysme de la guerre et l’effondrement de l’ancien ordre européen. On peut y voir l’achèvement d’une tendance qui s’était manifestée dans la période de l’entre-deux-guerres, ou même avant, amorcée par l’enthousiasme avec lequel les futuristes italiens avaient célébré les bombardements aériens et par l’exaltation mystique de Ernst Jünger décrivant les « orages d’acier » du premier conflit mondial. Une fascination du nazisme particulièrement forte sur la « seconde génération du nihilisme européen12 », à la recherche d’une issue à la crise du monde bourgeois-libéral non pas dans le socialisme mais dans la « révolution conservatrice », une fascination que Walter Benjamin percevait comme un tournant vers une « esthétisation de la vie politique », dont les expressions les plus frappantes étaient les défilés nazis de Nuremberg et les « cathédrales de lumière » de Leni Riefenstahl. C’était l’état d’esprit, pour ne donner qu’un exemple, de Drieu La Rochelle, dont le journal témoigne de son admiration pour Hitler, y compris dans son échec, par les mots suivants : « Hitler me plaît jusqu’au bout, en dépit de toutes ses erreurs, de toutes ses ignorances, de toutes ses bourdes. En gros, il a dressé devant moi mon idéal politique : fierté physique, recherche de l’allure, du prestige, heroïsme guerrier — et même besoin romantique de s’épuiser, de se détruire dans un élan non calculé, non mesuré, excessif, fatal13. »

Sauf exception, les « muses enrôlées » ne sont pas des exécuteurs, mais contribuent, à différentes périodes et à différents degrés, à l’avènement et à la consolidation d’un régime criminel. Leur réaction devant le génocide juif va de l’approbation au silence complice. Jamais un seul mot de réprobation, de regret ou d’autocritique ne sera prononcé par Martin Heidegger, pour lequel les chambres à gaz ne sont qu’une des multiples expressions de la modernité technique, au même titre que l’agriculture mécanisée14. D’une manière générale, la réflexion des « muses enrôlées » autour d’Auschwitz ne dépasse pas l’obscenité de cet aphorisme.

Il faudra donc laisser de côté les collaborationnistes. Il sera plus utile de centrer l’attention sur les conditions d’élaboration de la mémoire des rescapés, de s’interroger sur les causes du silence général et sur la clairvoyance de quelques exilés, qui demande une explication historique et sociologique.

Les rescapés
La profondeur et la lucidité du regard des écrivains-témoins ne sont évidemment pas étonnantes : elles découlent d’une expérience vécue qui les a placé directement au coeur de l’enfer et leurs écrits semblent illustrer la célèbre assertion matérialiste de Ludwig Feuerbach selon laquelle c’est l’existence qui détermine la conscience. Certes, l’expérience vécue n’est pas toujours la même et engendre des formes d’appréhension différentes ; extrême à tous égards, elle demeure néanmoins partielle et limitée. Aucun rescapé n’a jamais pu accéder, sur la base de sa seule expérience, à une perception globale du système concentrationnaire nazi. Tous leurs écrits sont éminemment subjectifs. Ainsi, les conceptions qui se dégagent du récit autobiographique de Robert Antelme ne coïncident pas avec celles qui procèdent des réflexions philosophiques de Jean Améry, le premier insistant sur l’humanité partagée et irréductible des bourreaux et des victimes, l’autre sur l’« homme déshumanisé » comme figure nouvelle surgie dans les camps. De même, la description de l’univers concentrationnaire contenue dans l’ouvrage homonyme de David Rousset pourrait difficilement être superposée à celle d’un livre presque contemporain tel que Si c’est un homme de Primo Levi. Buchenwald n’est pas Auschwitz, le regard du déporté politique ne correspond pas toujours à celui du déporté juif. Les souvenirs personnels sont inévitablement filtrés par des sensibilités, des mentalités, des styles de pensée, des catégories d’interprétation et de jugement qui peuvent varier considérablement, ou encore être élaborés au sein de contextes culturels et politiques très différents dont l’influence ne saurait être sous-estimée. Rousset écrit L’univers concentrationnaire en militant politique. Antelme rend un témoignage dans lequel le souvenir engendre et épuise à la fois son écriture : L’espèce humaine reste son unique livre. Levi écrit son récit d’Auschwitz dès qu’il retrouve ses forces, habité par un sentiment de délivrance et de soulagement : saisir sa plume est pour lui l’accomplissement d’un acte thérapeutique. Ce récit sera le point de départ d’une oeuvre littéraire très riche, dont Auschwitz constitue le début et l’épilogue (Les naufragés et les rescapés). Améry, pour sa part, devra attendre longtemps avant de pouvoir coucher sur une page blanche tout le « ressentiment » porté par sa souffrance. À la différence de Levi, Antelme ou Rousset, il ne retrouve pas son pays après la guerre. Il n’y a plus de Heimat pour un écrivain et critique juif né à Vienne. Ni d’ailleurs pour un Juif de langue allemande de Czernowitz : Celan survit par la poésie, qu’il écrit dans une langue qui lui appartient et qu’il perçoit en même temps comme ennemie, une langue allemande qu’il brise, ouvre et transforme, jusqu’à en faire une langue du deuil universelle.

Autant d’itinéraires de vie, autant de parcours de mémoire. Souvent hantés par un sentiment de honte et de culpabilité typique des survivants, ces témoins sont guettés par une tentation autodestructrice à laquelle succomberont d’abord Celan, puis Améry et enfin Levi15. Si mon attention s’est portée sur ces derniers, c’est qu’il s’agit de deux grands écrivains dont la vocation est née de l’expérience d’Auschwitz, pour lesquels l’acte de témoigner est indissociable de la tentative de comprendre, tout en sachant que cela signifie entrer dans une zone d’ombre qu’on ne pourra jamais complètement éclairer. L’oeuvre de Celan participe, à sa façon, de cette tentative, en dépit de sa volonté de rester à l’écart de tout débat, de toute réflexion ou mouvement organisés, retranché à l’intérieur d’un champ poétique dont il a bien délimité les frontières dans Le Méridien. Tout effort de penser le rapport d’Auschwitz à la culture bute incontournablement sur Celan, comme le montrera, entre autre, la réflexion philosophique d’Adorno.

Levi et Améry n’avaient pas le choix, ils étaient pour ainsi dire condamnés, cloués au souvenir, leur séjour à Auschwitz étant inscrit dans leur chair. Ce qui les distingue des autres rescapés n’est pas une mémoire particulière, qu’ils partagent avec eux comme une condition existentielle incontournable, mais le fait d’en tirer la source inspiratrice de leur oeuvre, l’impossibilité de penser la vie et la culture en dehors de la brisure d’Auschwitz.

Il faut ajouter, à ce propos, que les textes des rescapés ne sont presque jamais le produit d’une réflexion collective. Celan, Levi, Améry et Antelme ne se fréquentaient pas. Ils communiquaient parfois par un intermédiaire, comme Levi et Améry grâce à une amie commune. Souvent, ils évitaient même les associations des ex-déportés. La chaleur humaine de ces lieux ne favorise guère l’écriture de la mémoire, qui a besoin de la solitude pour dire la « désolation » de l’expérience vécue. Les rescapés ne forment pas un groupe homogène et soudé mais plutôt un milieu intellectuel délimité par des frontières littéraires, sans réseaux ni sociabilités partagées. Peut-être ne faudrait-il même pas parler d’un milieu intellectuel ; ils constituent une sorte de cercle secret et invisible relié par des affinités électives dépassant les frontières et les langues, par une solidarité et une complicité qui impliquent la distance.

L’aveuglement des clercs
Les témoignages des rescapés, venant à des moments différents et rédigés par des écrivains souvent inconnus à leur retour des camps, ne semblent pas trouver des interlocuteurs attentifs et réceptifs. Sartre n’aurait évidemment pu écrire rien de comparable à Si c’est un homme, et personne ne pourrait lui en faire grief. Ce qui frappe, en revanche, dans ses Réflexions sur la question juive (1946), c’est l’incapacité, voire l’impossibilité dans laquelle il est de fonder une réflexion sur le génocide, ou même sur les récits des témoins. Au moment où il apparaît déjà comme l’incarnation typique de l’intellectuel engagé, Sartre désigne les Juifs comme les victimes oubliées dans le climat de l’euphorie patriotique. Cependant, il ne place pas leur extermination au centre de son analyse. Dans son essai, les chambres à gaz sont à peine mentionnées, de façon tout à fait marginale. Comme il serait absurde de l’accuser d’avoir consciemment occulté le génocide, son texte peut être interprété comme un document révélateur de l’impossibilité, pour la culture européenne issue de la Seconde Guerre mondiale, d’y reconnaître une rupture de la civilisation et de partir de ce constat pour en repenser le parcours. S’il perçoit les chambres à gaz comme un événement extrême, la  » question juive » demeure pour lui l’antisémitisme français de l’Affaire Dreyfus et de la III République. Il est pourtant l’un des rares auteurs, avec Georges Bataille et Vladimir Jankélévitch, à évoquer l’extermination des Juifs, dans un contexte culturel et politique marqué par d’autres préoccupations.

L’historien Walter Laqueur a bien saisi le mécanisme de refoulement psychologique qui amenait l’opinion publique du monde occidental, pendant la guerre, à ne pas voir le fait pourtant connu de l’extermination des Juifs. En 1942, la nouvelle de l’élimination d’un million de Juifs en Pologne ne faisait pas la Une du New York Times : ce quotidien la publiait dans ses pages intérieures, comme un fait divers, comme pour indiquer qu’il ne fallait pas trop y croire16. Une telle attitude psychologique perdure après la guerre, lorsqu’aucun doute n’est plus permis sur la réalité du génocide. La perception des événements est conditionnée par des mentalités qui s’installent dans la longue durée, façonnées au fil de plusieurs générations. Tout se passe comme si l’Europe et le monde occidental refusaient de porter leur regard sur l’événement monstrueux dont ils avaient accouché. Impossibilité à en assumer la culpabilité, comme certains le suggèrent17 ? Impossibilité, en tout cas, à regarder la réalité. A Nuremberg non plus, le crime de génocide ne sera pas placé au centre du procès18.

Cette invisibilité d’Auschwitz est bien illustrée par l’itinéraire de Raymond Aron — pur produit de la « politique de l’assimilation19 » qui a façonné le judaïsme français depuis la Révolution — lequel vit la période de la guerre à Londres, auprès du général de Gaulle, où il dirige La France libre. Dans ses mémoires, il explique assez clairement les raisons du silence de cette revue sur le génocide : « Qu’en savions-nous à Londres ? Les journaux anglais l’ont-ils évoqué ? S’ils l’ont fait, était-ce hypothèse ou affirmation ? Au niveau de la conscience claire, ma perception était à peu près la suivante : les camps de concentration étaient cruels, dirigés par des gardes-chiourme recrutés non parmi les politiques mais parmi les criminels de droit commun ; la mortalité y était forte, mais les chambres à gaz, l’assassinat industriel d’êtres humains, non, je l’avoue, je ne les ai pas imaginés et, parce que je ne pouvais pas les imaginer, je ne les ai pas sus20. » On peut être certain que, si jamais il avait pris conscience du génocide, ce Juif parfaitement « inauthentique » mais nullement « honteux » aurait, à l’instar de Lucien Vidal-Naquet, ressenti comme Français l’injure qui lui était faite comme juif21. Si l’on peut caractériser la judéité aronienne comme un mélange d’indifférence et de silence jusqu’à la guerre, puis de silence et de douleur22, il faut ajouter qu’une telle attitude était largement partagée par les Israélites français.

Ce témoignage de Raymond Aron trouve une correspondance frappante dans celui d’un intellectuel « juif-non-juif » italien, Vittorio Foa, arrêté à Turin, au milieu des années trente, en raison de son engagement dans le mouvement antifasciste. Il est l’un des animateurs de Giustizia e Libertà, qui deviendra, quelques années plus tard, le berceau de la Résistance intellectuelle dans la péninsule. En 1938, il réagit aux lois antisémites de Mussolini « non pas comme juif, mais comme un Italien qui voit son pays couvert de honte23 ». En 1945, écrit-il dans ses mémoires, l’atmosphère politique, culturelle et psychologique qui règne dans le pays n’est pas faite pour appréhender la signification du génocide juif : « Revenaient les survivants, un sur cent, des camps d’extermination. Ils racontaient et commençaient à écrire des choses inimaginables sur l’inhumanité du pouvoir et sur l’organisation scientifique de la mort, mais ces récits n’atteignaient pas notre joie de vivre finalement dans la paix. Autrement, on ne pourrait pas expliquer le fait que le livre de Primo Levi, Si c’est un homme, ait eu du mal à trouver un éditeur : on avait peur de troubler un soulagement collectif, avec le risque de tomber dans la complicité. Mais les rescapés eux-mêmes, à commencer par Primo Levi, étaient surtout occupés à se refaire une vie normale, à retrouver une famille et un travail24. »

La réaction de la culture américaine à la nouvelle des camps d’extermination n’est pas qualitativement différente, pendant et après la guerre, de celle d’Aron, de Sartre et de Foa. Puisque l’opinion publique est hostile à ouvrir les frontières pour accueillir une nouvelle masse de réfugiés, le président Roosevelt ne veut surtout pas faire apparaître l’intervention américaine dans le conflit comme un acte motivé par la volonté de défendre les Juifs25. Comme l’a souligné Paul Fussel dans son étude sur la culture populaire et la psychologie de masse pendant le conflit, la guerre américaine est tout d’abord anti-japonaise, car il s’agit d’effacer la honte de Pearl Harbor. Toujours optimiste et confiante dans la victoire finale, la presse n’arrête pas d’exalter les performances militaires de soldats, de préférence des aviateurs, blonds et d’origine anglo-saxonne. Rien ne favorise l’identification aux victimes26. La nouvelle de l’extermination des Juifs par le gaz est diffusée par la presse nationale, la presse juive y consacre même de gros titres, mais cela ne suscite aucune réaction particulière. Le silence des New York Intellectuals sur le génocide est encore plus frappant. À quelques exceptions près, ils semblent ne pas s’apercevoir de cet événement27. Irving Howe, un des représentants les plus connus de ce milieu, évoque ainsi cette période : « Quand avons-nous, pour la première fois, pris connaissance des chambres à gaz ? Comment avons-nous réagi aux nouvelles provenant d’Europe sur l’extermination systématique des Juifs ? […] Ces questions, qui ont aussi été les miennes pendant plusieurs années, déclenchaient un affrontement de souvenirs confus. […] Les gens ne réagissent pas aux grands cataclysmes avec des pensées claires et des émotions puissantes ; ils rechignent, hésitent, ils se retranchent derrière les opinions anciennes, ils fuient saisis par la crainte28. » Pendant la guerre, il ne reçut que quelques informations par la presse « de façon vague et fragmentaire », puis les faits commencèrent à se préciser, mais tout cela demeurait encore très lointain d’une véritable compréhension. Ce n’est que au cours des années cinquante, ajoute-t-il, « que je commençai à réaliser que j’avais vécu durant le moment le plus terrible de l’histoire de l’humanité ». La réaction d’Isaiah Berlin, intellectuel britannique qui travaille à l’époque à Washington pour le Foreign Office, n’est pas différente29. L’exception la plus remarquable est celle d’un intellectuel d’orientation trotskiste, Dwight MacDonald, dont il faut rappeler l’article « The Responsibility of Peoples », paru dans Politics, en mars 1945. Il critiquait la notion, à l’époque tout à fait courante, d’une culpabilité de la nation allemande dans sa globalité, mais il reconnaissait en même temps la singularité et la nouveauté radicale du génocide juif30.

Deux exceptions allemandes
Dans ce contexte, Karl Jaspers constitue un cas à part. Son essai sur la Schuldfrage (la question de la culpabilité, 1945) ne remet en cause que l’histoire allemande, mais le génocide juif en est un des thèmes implicites ; il est constamment présent, même s’il n’ose jamais le mentionner31. Ce qui le paralyse c’est un sentiment accablant de pudeur et de culpabilité. Il a vécu la période du national-socialisme et de la guerre dans un isolement presque total, à Heidelberg, interdit d’enseignement du fait de son opposition au régime nazi et constamment menacé à cause de la judéité de sa femme. En automne 1945, il a repris ses cours, dans un pays en ruines. L’horreur de la guerre est à ses yeux, tout d’abord, une tragédie allemande. « Nous les survivants — écrit-il –, nous n’avons pas cherché la mort. Quand on a emmené nos amis juifs, nous ne sommes pas descendus dans la rue, nous n’avons pas crié jusqu’à ce qu’on nous détruisît. Nous avons préféré rester en vie pour un motif bien faible, quoiqu’il soit juste : notre mort n’aurait quand même servi à rien. Que nous soyons en vie fait de nous des coupables. Nous le savons devant Dieu, et cela nous humilie profondément. Pendant ces douze années, quelque chose s’est passé en nous, comme une refonte de tout notre être32. » Il ajoutera même la nécessité d’« assumer la culpabilité de nos pères » (ibidem, p. 88), en faisant de cette faute une sorte de malédiction inscrite dans le destin de l’Allemagne, qui prenait aussi, implicitement, une certaine saveur autocritique : le reniement de l’attitude nationaliste qui avait été la sienne jusqu’en 193334.

Réfléchir, au milieu des décombres, sur la catastrophe qui vient de se produire, revient à faire un « acte de contrition » dont la force spirituelle cherche à sublimer l’impuissance politique de l’opposition antinazie. Son attitude, qui a été celle de la Résistance protestante de Martin Niemöller et Dietrich Bonhoeffer, est partagée, à différents degrés, par quelques intellectuels, tels le vieil historien Friedrich Meinecke ou le jeune écrivain Heinrich Böll, mais elle demeure isolée dans l’ensemble de la culture allemande en 1945. Jaspers est critiqué aussi bien par les communistes, qui lui reprochent son « américanisme », que par les conservateurs, qui l’accusent d’être anti-allemand et philosémite. Face à l’hostilité avec laquelle son essai sur la Schuldfrage est accueilli, il quitte Heidelberg pour se retirer à Bâle35.

La réaction de Thomas Mann présente certaines affinités avec celle de Jaspers. Il a été l’un des premiers à dénoncer, de façon extrêmement vigoureuse, dès septembre 1942, dans ses « Appels aux Allemands » transmis par la BBC, le projet nazi « d’exterminer complètement la population juive d’Europe36 ». En janvier 1945, juste après la libération du camp d’Auschwitz, il énumère les preuves du génocide retrouvées à Birkenau : « les ossements humains, les tonneaux de chaux, les canalisations du gaz de chlore et les installations pour l’incinération ; en outre, les monceaux de vêtements et de chaussures de petite taille, des chaussures d’enfants […] ». Il indique, pour le camp d’Auschwitz, le chiffre de 1 715 000 victimes, tiré d’une comptabilité meurtrière dont on avait retrouvé les traces dans les « archives de la mort » que les nazis gardaient « avec le sens allemand de l’ordre » (ibidem, p. 285-286). Mann s’adresse à ses compatriotes allemands dans le but de secouer leurs consciences et d’y instiller « l’horreur, la honte et le repentir » (ibidem, p. 287). Il perçoit le génocide juif tout d’abord comme une tragédie allemande, une catastrophe sans précédent qui aura pour conséquence la mise au ban de son pays natal du monde civilisé. Pour cet écrivain, qui conçoit pendant la guerre son Doktor Faustus comme une métaphore de l’Allemagne et du national-socialisme, ce dernier n’est que l’expression pervertie et démoniaque d’une strate profonde de l’âme germanique. Lorsqu’il évoque, dans un célèbre discours prononcé à Washington en mai 1945, l’horreur insoutenable des crimes nazis, cela n’a d’autre sens que celui de procéder à « un morceau d’autocritique allemande » (ein Stück deutscher Selbstkritik)39.

Le contexte : invisibilité et accomodation
Bref, l’attitude des intellectuels antifascistes européens et américains ne se distingue pas de celle des Alliés ; pour employer la métaphore de Shoshana Felman, ils font l’histoire sans la regarder, et surtout en passant outre l’enfer40. Différents éléments contribuent à cet aveuglement devant la réalité du génocide juif. Tout d’abord le poids d’habitudes et de mentalités bien enracinées qui se révèlent maintenant incapables de comprendre et de s’adapter à une situation nouvelle. Il subsiste un arrière-fond social et culturel d’antisémitisme, plus ou moins marqué selon les circonstances et les contextes nationaux, qui rend l’opinion publique insensible ou indifférente au sort des Juifs d’Europe. Au mieux, l’antisémitisme nazi est perçu comme la poursuite d’anciennes pratiques de discrimination et de persécution plutôt que comme la mise en oeuvre d’un projet radicalement nouveau d’anéantissement. Un deuxième élément qui réduit l’impact du génocide tient au fait qu’il a lieu pendant une guerre dont les victimes, tant militaires que civiles, se comptent par dizaines de millions. Dans le flot des nouvelles concernant les bombardements, les déportations et la dispersion de millions d’hommes et de femmes, celle du massacre des Juifs en Pologne apparaît inévitablement atténuée. Réaliser la signification des camps d’extermination et des chambres à gaz, d’une machine administrative, bureaucratique et industrielle mise au service du massacre systématique d’un peuple, devient beaucoup plus difficile lorsque ces faits s’inscrivent dans un contexte global de destruction et de mort. Dans une certaine mesure, les camps nazis sont cachés par le siège de Leningrad, par la disparition de Varsovie et de Berlin sous un tas de ruines, par les souffrances endurées par la population civile, par les bombardements qui anéantissent des villes entières, de Coventry à Dresde. Cela ne vise pas à amoindrir les responsabilités des puissances alliées et des nations européennes, leur silence et leur passivité devant les camps d’extermination, mais seulement à les replacer dans leur contexte.

Un dernier élément qui doit être pris en considération, afin de rendre compte de cette invisibilité du génocide, c’est le rapport de la conscience au pouvoir de l’image. Or, les images des camps d’extermination sont beaucoup plus connues aujourd’hui qu’elles ne l’étaient pendant ou même après la guerre. Sans le support indispensable constitué par la vision directe de l’horreur, la nouvelle des usines de la mort demeure abstraite, vague et au fond insaisissable. Le courrier du gouvernement polonais en exil, Jan Karski, n’est pas traumatisé par la nouvelle des massacres des Juifs, mais il l’est au moment où des militants du Bund lui font visiter, clandestinement, le ghetto de Varsovie. Susan Sontag a donné une définition particulièrement saisissante de ce rapport de la conscience à l’image, en évoquant son expérience personnelle : « La première rencontre d’un individu avec l’inventaire photographique de l’horreur extrême est une sorte de révélation, le paradigme de la révélation moderne : une épiphanie négative. Pour moi, ce furent les photos de Bergen-Belsen et Dachau que je vis par hasard dans une librairie de Santa Monica, en juillet 1945. Rien de ce que j’ai vu par la suite — en photo ou dans la réalité — ne m’a frappée aussi durement, profondément, instantanément41. » Mais ces matériaux photographiques et filmiques ne sont pas connus durant le conflit, et leur diffusion sera très limitée dans la période qui suit immédiatement, parfois soumise à une véritable censure, plus souvent ignorée par une opinion publique désireuse de tourner la page et d’oublier les horreurs de la guerre.

D’autres facteurs contribuent à atténuer l’impact du génocide. Pour le judaïsme officiel, Auschwitz ne représente pas un événement nouveau, mais plutôt l’éternelle répétition du passé, l’énième page de la souffrance millénaire du peuple juif. Le sionisme, quant à lui, y voit confirmée son analyse de la diaspora comme impasse tragique et renforcée sa conviction du choix national. Variante particulière d’une vision du monde judéo-centrique, l’historicisme sioniste consistera, comme l’a souligné Saul Friedländer, à intégrer Auschwitz « dans la séquence historique des catastrophes juives débouchant sur la naissance rédemptrice d’un État juif42 ». Une telle approche consiste, dans l’immédiat, à ne pas voir Auschwitz et, à long terme, à le « privatiser », à se l’approprier comme un élément de légitimation politique. Ben Gourion, qui ne prendra jamais la mesure du génocide, voit le national-socialisme surtout comme l’occasion d’une nouvelle vague migratoire juive vers la Palestine43. Plutôt rares, dans le milieu sioniste, sont ceux qui s’interrogent, à l’instar de Gershom Scholem, dès février 1940, sur l’avenir de l’Europe « après l’élimination des Juifs44 ».

Le silence de l’intelligentsia juive de Pologne, en revanche, tient tout simplement à son annihilation. Le judaïsme d’Europe orientale, étouffé en URSS sous le stalinisme et disloqué en Pologne depuis 1939, est complètement anéanti à partir de l’été 1941, d’abord par les Einsatzgruppen (unités spéciales allemandes), puis dans les ghettos et dans les chambres à gaz. La culture yiddish disparaît avec tous ses représentants. Les intellectuels ne peuvent que lancer un cri d’alarme désespéré, comme le fait, par son suicide, Shmuel Zygielbaum en 1943, ou alors « jeter une bouteille à la mer », comme le font les historiens rassemblés autour d’Emmanuel Ringelblum, qui décident d’enfouir leurs archives dans le sol du ghetto de Varsovie, afin que la postérité garde une trace de l’anéantissement45. Il faut préciser, à ce propos, que l’intelligentsia judéo-allemande a eu le privilège, par rapport à celle d’Europe orientale, de disposer de six ou sept ans, entre 1933 et le début de la guerre, pour quitter une nasse qui se resserre certes de manière inexorable, mais encore très graduellement. Les autorités nazies « encouragent » ce choix, en multipliant les mesures de discrimination et de persécution, tout au long des années trente. Le résultat est qu’une élite intellectuelle a pu, au moins pendant une certaine période, se reconstituer et se préserver en exil. Cette chance n’est pas donné aux Juifs d’Europe orientale : si Martin Buber peut attendre jusqu’à mars 1938 avant de quitter Berlin, Simon Dubnov est tué en décembre 1941, quelques mois à peine après l’occupation de Riga par l’armée allemande. Après la guerre et la soviétisation des pays d’Europe orientale, c’est l’antifascisme érigé en idéologie d’État qui détermine l’occultation de la mémoire du génocide, selon une pratique que Staline avait déjà imposée en Russie pendant la guerre, comme le prouve la censure sur le Livre noir de Vassili Grossman et Ilya Ehrenbourg46.

Les intellectuels suivent le courant et partagent, dans leur ensemble, les orientations dominantes au sein de l’opinion publique. Dans les pays occupés, la tentation la plus forte est celle de l’adaptation. Philippe Burrin a décrit, à ce propos, l’« accomodation d’opportunité » d’une revue comme les Annales. Cette revue est fermée à cause de la judéité de son directeur, Marc Bloch, qui s’engagera dans la Résistance et sera fusillé en 1944, mais Lucien Febvre se bat pour qu’elle puisse être à nouveau publiée, à Paris, sous une nouvelle direction. Dans la correspondance entre les deux hommes, les remarques de Febvre prennent parfois des tournures désagréables. La reparution prime sur toute considération de principe, afin d’assurer l’avenir de la revue dans le cadre d’une occupation allemande durable. L’enjeu implicite d’un tel conflit est l’acceptation, remarque encore Philippe Burrin, de poursuivre une vie intellectuelle dans « un horizon dont les Juifs auraient disparu47 ». Il s’agit là d’une attitude assez généralisée.

Il est sans doute possible d’inclure Sartre, au moins jusqu’en 1943, date à partir de laquelle il est attiré par la Résistance, dans la catégorie de l’« accomodation d’opportunité ». Bien différents sont les cas d’Aron, exilé à Londres, ou de Foa, interné dans une prison fasciste italienne. Ce qu’ils partagent, en revanche, c’est une même incompréhension, le fait qu’ils passent à côté du crime sans le voir, en dépit de leur engagement antifasciste dont les motivations éthiques sont par ailleurs essentielles. C’est en ce sens qu’ils font figure de « clercs aveuglés ».

Exilés et « avertisseurs d’incendie »
La réaction des exilés allemands devant le génocide juif est bien résumée par Hannah Arendt, lors d’un entretien avec l’essayiste Günther Gaus : « C’était en 1943. Et tout d’abord nous n’y avons pas cru, bien qu’à vrai dire mon mari et moi nous estimions ces assassins capables de tout. […] Et cependant nous avons bien dû y croire six mois plus tard, lorsque nous en avons eu la preuve. Ce fut là le vrai bouleversement. […] C’était vraiment comme si l’abîme s’ouvrait devant nous48. »

Le hiatus évident qui sépare ces mots des témoignages de Raymond Aron, Vittorio Foa et Irving Howe cités plus haut ne relève pas, ou en tout cas pas seulement, d’une question de sensibilités individuelles. Il suffit de rappeler le nombre impressionnant des écrits consacrés au national-socialisme et à l’antisémitisme par les exilés installés aux États-Unis, pendant et juste après la guerre, dont j’ai donné plus haut une liste incomplète, pour constater, face au silence de la culture en Europe et aux États-Unis, une spécificité dans la réception judéo-allemande du génocide. Au milieu de la catastrophe, ces intellectuels exilés sont à peu près les seuls, en dehors des victimes, à voir et à essayer de penser Auschwitz. Puisqu’une telle singularité demande à être expliquée, on essayera ici de formuler quelques hypothèses.

Tous ces philosophes, sociologues, penseurs politiques et critiques littéraires exilés appartiennent à une même génération intellectuelle. Ils sont nés au tournant du siècle, ils ont été profondément marqués par la rupture sociale et politique de la Première Guerre mondiale qui détermine la chute des empires wilhelmien et habsbourgeois en Europe centrale, ils se sont formés dans le climat culturel bouillonnant et conflictuel de la république de Weimar et ils se sont enfin tous retrouvés en exil après la montée de Hitler au pouvoir en 1933. « Marginaux de l’intérieur » (outsiders as insiders), déracinés sur le plan social et anticonformistes sur le plan culturel bien avant le nazisme, ces intellectuels juifs contribuent, selon Peter Gay, à donner à l’esprit de Weimar « son véritable foyer : l’exil49 ». Certes, l’exil signifie pour eux un traumatisme majeur : la perte d’un foyer, d’une profession, de la langue maternelle, parfois la rupture des liens familiaux et amicaux. Rares, cependant, sont ceux qui doivent abandonner une chaire universitaire ou une position établie dans les institutions. La caractéristique essentielle de ces intellectuels d’avant-garde est précisément leur marginalité sociale, qui n’est pas toujours incompatible avec leur notoriété et le rayonnement de leurs écrits. Journalistes, essayistes et critiques dans la plupart des cas, ils perdent leur travail mais pas un patrimoine qu’ils n’ont jamais possédé. Assimilés et marginalisés, ils participent de la culture allemande tout en étant radicalement séparés de l’intelligentsia officielle, du « mandarinat » académique50. Presque naturellement orientés à gauche, ils hésitent, en dépit de leur sympathie pour la Révolution russe, à adhérer au communisme, dont la base sociale est exclusivement ouvrière et dont le dogmatisme idéologique et les pratiques sectaires suscitent la plus grande méfiance. La social-démocratie leur paraît souvent trop conformiste, voire identifiée à une république qui s’est révélée un échec et qu’elle n’a pas su défendre. La culture dominante au sein du judaïsme allemand d’avant 1914, le libéralisme, n’a pas résisté à l’avènement des dictatures fascistes et n’exerce pratiquement plus aucun pouvoir d’attraction sur eux, tandis qu’ils sont trop assimilés et européens pour considérer le sionisme comme une véritable alternative. Ils sont, pour reprendre une formule saisissante de Michael Löwy, en état de disponibilité idéologique51.

A Paris comme à New York, ils se rassemblent autour de quelques revues de l’émigration, comme Aufbau, et de rares associations ou institutions scientifiques, telles l’École de Francfort (accueillie au sein de l’Université de Columbia) et la New School for Social Research, autant de réseaux et de cercles qui forment un véritable milieu intellectuel de l’exil52. Ils possèdent toutes les caractéristiques désignant, selon Karl Mannheim, une génération : l’appartenance à une même classe d’âge et à un espace historico-social commun (le monde culturel germanique pendant la première moitié du siècle), à un destin partagé (l’exil, conséquence de leur judéité et de leur orientation politique), et aussi un questionnement commun au-delà de leurs approches distinctes (pourquoi le national-socialisme ?)53.

L’anticonformisme, l’inquiétude existentielle et l’ouverture d’esprit de ces intellectuels exilés rappellent de près les traits que soulignait Georg Simmel pour désigner la dissonance de regard de « l’étranger », qui demeure un observateur critique du milieu environnant, envers lequel il maintient toujours une certaine « distance » (Entfernheit)54. On pourrait aussi placer leur parcours sous le signe de l’« exterritorialité » (à la fois géographique, politique et culturelle), selon la formule proposée par Siegfried Kracauer, écrivain et critique juif émirgé à Paris en 1933 et à New York en 194155.

Selon la typologie gramscienne, ces intellectuels ne sont ni « traditionnels » ni « organiques », à savoir ni porteurs de la vision du monde des anciennes élites dominantes (comme par exemple le clergé ou, dans une large mesure, le mandarinat académique allemand sous l’empire wilhelmien), ni les organisateurs de l’hégémonie idéologique d’une classe sociale, prolétaire ou bourgeoise56 ; ils semblent plutôt incarner l’« idéal-type » de la sozial freischwebende Intelligenz (l’intelligentsia sans attaches, littéralement « les intellectuels librement flottants sur le plan social ») théorisée par Mannheim, à partir d’une intuition d’Alfred Weber, dans Idéologie et utopie (1929)57. Selon Mannheim, cette couche sociale relativement indépendante, tant en raison de son déracinement socio-économique que de son extériorité aux points de vue dominants, peut atteindre une position singulière, lui ouvrant un « champ de visibilité » (Gesichtsfeld) plus large que celui des autres acteurs sociaux. Si la mobilité géographique et la précarité économique, autrement dit la non-insertion nationale et, dans la plupart des cas, la très faible insertion institutionnelle de ces intellectuels en font un groupe social extrêmement vulnérable, leur grand avantage consiste à pouvoir échapper, au moins en partie (relativ), aux conditionnements exercés par les mentalités dominantes et les visions du monde traditionnelles. Leur marginalité les pousse presque naturellement à remplir la fonction critique qui constitue, depuis toujours, la vocation authentique de l’intellectuel : ils incarnent l’hétérodoxie, ils pensent autrement, ils sont des dissidents58.

Pendant la guerre, la condition des intellectuels judéo-allemands exilés correspond parfaitement au modèle de la freischwebende Intelligenz. Sur le plan matériel, ils sont tous de véritables déracinés, tirant leurs ressources, dans le meilleur des cas, d’une institution scientifique émigrée (Th. W. Adorno, M. Horkheimer, F. Neumann), plongeant, pour les plus malchanceux, dans la misère la plus noire (W. Benjamin), survivant, le plus souvent, grâce à des travaux précaires : S. Kracauer obtient des bourses, H. Arendt travaille comme lectrice pour une maison d’édition d’origine allemande et G. Anders est ouvrier dans une usine californienne ; avec un meilleur sort, H. Marcuse et L. Löwenthal trouvent un emploi auprès de l’Office of War Information du gouvernement américain. En 1943, Hannah Arendt présentait ces réfugiés comme les porte-parole d’une « tradition cachée » du judaïsme moderne, celle des parias, des apatrides (Stateless) et des « hors-la-loi juridiques et politiques59 ».

Sur le plan intellectuel, leur position est tout aussi mobile et « flottante », ce qui les rend extrêmement receptifs à l’égard de tout événement nouveau et, en même temps, confère à leur regard une lucidité et une profondeur critique hors du commun. Extérieurs au milieu culturel américain (ce n’est que pendant la guerre qu’ils commencent à écrire en anglais), ils sont en rupture avec leur milieu culturel d’origine, dont ils ont été expulsés et qui a désormais été étouffé par la Gleichschaltung nazie, tandis que leur appartenance à une couche intellectuelle juive complètement assimilée leur permet d’échapper à toute contrainte de type communautaire. S’ils manifestent souvent, à cause des persécutions et de l’antisémitisme nazi, une conscience aiguë de leur judéité, cela ne fait pas — sinon exceptionnellement — du judaïsme un havre spirituel ou un foyer de repli identitaire, mais contribue plutôt à accentuer leur condition d’outsiders et de parias cosmopolites. Ils savent faire preuve d’une grande distance critique vis-à-vis de leur groupe d’origine, comme le montre l’attitude de Hannah Arendt à l’égard aussi bien de la tradition juive que du sionisme60. Autrement dit, leur point de vue n’est ni américain ni allemand, ni non plus celui du judaïsme officiel (religieux ou sioniste). Leur perspective est celle du judaïsme paria, d’une minorité d’apatrides échappés au massacre qui se déroule en Europe.

Penser Auschwitz
C’est donc un ensemble de circonstances historiques, politiques et culturelles qui place les intellectuels exilés dans une position à peu près unique, à l’abri et en même temps suffisamment proches de la destruction pour la voir et essayer de la penser. Dans ces conditions, Auschwitz leur apparaît, dès le début, comme une rupture de civilisation. En mai 1944, Th. W. Adorno et M. Horkheimer perçoivent cet événement comme un des faits majeurs et incontournables du monde moderne et n’hésitent pas à y voir l’expression d’une « autodestruction de la raison »61. Dans un texte de 1944 de Minima moralia, Adorno présente l’extermination « administrative et technique » des Juifs, mise en oeuvre par les méthodes typiques d’un « travail mécanisé », dans le cadre d’une « guerre sans haine », comme « le comble de l’inhumanité » atteint par notre civilisation62. En cette même année cruciale, Hannah Arendt désigne les « massacres administratifs » découlant des théories raciales comme des événements dépassant « non seulement l’imagination humaine, mais aussi les cadres et les catégories de la pensée et de l’action politique63 ». Deux ans plus tard, elle indique les « usines de la mort » comme « l’expérience centrale de notre époque64 ». Auschwitz et Hiroshima désignent, selon Günther Anders, le début d’une ère nouvelle, dans laquelle l’humanité est désormais « irrévocablement en mesure de s’autodétruire65 ».

Tout à fait emblématique apparaît, à ce propos, l’itinéraire des représentants de l’École de Francfort. Héritiers d’une critique romantique de la modernité bourgeoise et industrielle typique de la culture allemande au tournant du siècle, ils n’hésitent pas à considérer les camps d’extermination comme un produit effrayant de la Zivilisation, mais ils ne peuvent évidemment pas partager la vision de la Kultur prônée par des penseurs conservateurs et nationalistes comme Oswald Spengler ou Möller van der Bruck. Juifs et cosmopolites, ils sont insensibles à toute quête d’une âme germanique, atavique et profonde, perçue par d’autres tantôt comme le salut de l’Allemagne (Heidegger) tantôt comme sa malédiction (Th. Mann, Meinecke, Jaspers). En même temps, l’ancrage ou tout au moins la perméabilité de ces intellectuels juifs à la tradition de l’« anticapitalisme romantique66 » les éloigne de toute tentative d’appréhender Auschwitz par les catégories d’une philosophie du progrès particulièrement enracinée dans la culture de la Résistance. Après la parenthèse de la guerre et du fascisme, l’intelligentsia européenne veut renouer, au-delà de ses différences culturelles et politiques, avec la tradition des Lumières. Les jeunes intellectuels allemands rassemblés autour du journal Der Ruf font appel à Lessing ; Sartre fait référence à Voltaire dans la présentation des Temps Modernes ; Emmanuel Mounier s’interroge dans Esprit, dès 1944, sur la nécessité d’une nouvelle Déclaration des droits de l’homme ; l’antifascisme italien — notamment par le biais de sa revue la plus significative, Il Ponte — identifie la Résistance avec un deuxième Risorgimento67. Dans ce choeur optimiste, fondé sur la confiance retrouvée dans le droit, la raison et le progrès qui imprègne toute la culture de la Résistance, la pensée judéo-allemande introduit une dissonance dialectique, teintée de mélancolie, de douleur, parfois de désespoir. La dernière voix qui aurait pu se joindre à ce choeur, celle d’Ernst Cassirer, s’est éteinte au printemps 1945, peu avant la chute de Berlin. Les intellectuels judéo-allemands exilés font figure de trouble-fête ; tirer la leçon de la catastrophe — une catastrophe universelle qui prend, après la bombe atomique sur Hiroshima, les traits de l’Apocalypse, de la menace d’une fin du monde — les préoccupe davantage que célébrer un nouveau triomphe des Lumières.

Dans ce contexte de l’après-guerre, la position de l’intelligentsia judéo-allemande exilée est donc tout à fait singulière. Ce qui a été détruit ne peut pas être reconstruit, c’est une perte définitive ; son regard se porte davantage sur les vaincus que sur les vainqueurs. Elle a hérité à la fois la critique romantique de la modernité industrielle (expurgée de son pendant nationaliste) et l’universalisme des Lumières (libéré de sa foi aveugle dans le progrès) : c’est grâce à cet ancrage philosophique et culturel qu’elle peut élaborer une nouvelle vision de l’histoire. Dans cette perspective, Auschwitz n’apparaît pas comme un accident de parcours, quoique grave, dans l’amélioration inéluctable de l’humanité, mais comme un produit légitime et authentique de la civilisation occidentale. Auschwitz en dévoile le côté sombre et destructeur, la rationalité instrumentale qui peut être mise au service du massacre. Autrement dit, Auschwitz apparaît comme « une rupture quasi totale (an almost complete break) — selon Hannah Arendt — dans le flux ininterrompu de l’histoire occidentale telle que l’homme l’avait connue durant plus de deux millénaires68 ». Et comme une remise en cause radicale du concept de civilisation tel qu’il a été forgé tout au long de l’histoire du monde occidental. La barbarie ne figure plus comme l’antithèse de la civilisation moderne, technique et industrielle, mais comme sa face cachée, sa doublure dialectique.

Cette vision demeure cependant l’apanage d’un petit nombre d’intellectuels. Dans le spectre d’une culture judéo-allemande extrêmement diversifiée, d’autres approches sont aussi possibles. Pour Ernst Cassirer, le dernier représentant de l’Aufklärung émigré à New York à la fin de sa vie, l’antisémitisme nazi n’est que l’expression d’une régression vers le mythe dans les temps modernes, voire même d’une « intronisation » du mythe, qui s’attaque, par le biais du judaïsme, aux sources mêmes du rationalisme éthique occidental69. Une approche à certains égards analogue est celle de Georg Lukacs, pour qui le national-socialisme est l’épilogue de l’irrationalisme moderne, né par opposition aux Lumières (La destruction de la raison, 1954).

Pour d’autres, le national-socialisme est le point de départ d’un questionnement intellectuel qui ne bute pas forcément sur le génocide. Leo Strauss interprète les tragédies du présent comme une confirmation de la supériorité des Anciens sur les Modernes. Il se replie alors sur l’étude des fondements de la philosophie politique : sa recherche sur La tyrannie (1948) analyse la pensée de Xénophon, sans aborder le thème des tyrannies du XXe siècle. Karl Löwith reconstitue la métamorphose par laquelle, tout au long du XIXe siècle, la pensée allemande déplace son axe de l’idéalisme au nihilisme (De Hegel à Nietzsche, 1941). Siegfried Kracauer se met à la recherche des signes annonciateurs du nazisme dans le cinéma de la République de Weimar, comme un détective menant son enquête après le crime (De Caligari à Hitler, 1947). Quant à Karl Popper, il pose le totalitarisme au centre de sa réflexion, mais La société ouverte et ses ennemis (1945) révèle un souci beaucoup plus fort de critiquer Marx que d’appréhender le nazisme. L’attitude d’Ernst Bloch, qui a déjà analysé le nazisme dans Héritage de ce temps (1935), est encore différente. Pendant ses années d’exil aux États-Unis, entre 1937 et 1948, il se consacre à une étude monumentale sur les utopies des temps modernes (Le principe espérance) que les régimes totalitaires ne pourront jamais supprimer.

La tentative de penser Auschwitz ne concerne donc qu’une petite minorité d’intellectuels, y compris parmi les exilés. Si l’exil favorise un questionnement autour d’Auschwitz, il ne le rend certes pas normatif. Cela dit, c’est précisément par les conditions de l’exil que l’on peut expliquer la profondeur singulière du regard critique de ce petit nombre d’intellectuels. Juifs, ils ne peuvent pas rester indifférents aux nouvelles de l’extermination de leurs coreligionnaires déportés dans les ghettos et dans les camps de Pologne. Dès qu’ils reçoivent les premières bribes d’informations provenant d’Europe, ils sont secoués par un véritable choc. Exilés, ils saisissent, immédiatement ou presque, la portée de l’événement, échappant aux conditionnements des mentalités et des milieux environnants, car le génocide signifie l’effondrement irréparable et définitif du monde qui les a engendrés. Assimilés, ils ne peuvent pas interpréter Auschwitz selon des catégories purement juives, comme un événement interne à l’histoire malheureuse de leur peuple. L’extermination leur apparaît comme un événement de dimension universelle, comme un questionnement incontournable devant lequel est placée l’humanité toute entière. A leurs yeux, la leçon d’Auschwitz va bien au-delà de la « culpabilité allemande » (ne dépasse-t-elle pas les frontières de l’Allemagne ?) et du deuil juif, pour imposer un réexamen critique de tout l’itinéraire de la civilisation occidentale. Les réponses apportées à cette interrogation seront différentes, mais c’est à partir de la reconnaissance de la portée universelle d’Auschwitz que Th. Adorno et M. Horkheimer décident d’explorer la face cachée de l’Aufklärung, que H. Arendt cherche dans le totalitarisme les racines d’une horreur nouvelle qui a « manifestement pulvérisé nos catégories politiques, ainsi que nos critères de jugement moral70 », que G. Anders peut saisir une affinité entre la barbarie moderne des chambres à gaz et celle des bombes atomiques qui détruisent Hiroshima et Nagasaki, marques à ses yeux de l’« obsolescence de l’homme » dans la civilisation technique du capitalisme tardif. Tous semblent reprendre la leçon de W. Benjamin, pour lequel il faut repenser l’idée de « progrès » à partir de la notion de « catastrophe71 ».

Cette attitude universaliste est exprimée, sous une forme extrême, par Jean Améry, figure singulière d’exilé et de survivant à la fois, qui dit son incapacité, lorsqu’il assiste à une représentation du Survivant de Varsovie d’Arnold Schönberg, de s’émouvoir comme l’ami qui l’accompagne, au moment crucial où le choeur entonne le Sch’ma Israel : « Mon coeur à moi ne se mit pas à battre plus vite, mais je me sentais plus dénué que ce camarade si ébranlé par la prière des juifs accompagnée des accents du trombone. Juif, songeai-je par la suite, je ne peux pas l’être dans l’émotion, mais uniquement dans l’angoisse et la colère, quand l’angoisse se change en colère pour accéder à la dignité. « Écoute Israël », cela ne me concerne pas. Seul un « écoute monde » pourrait jaillir de moi dans un éclat de colère. Telle est la volonté du nombre de six chiffres inscrit sur mon avant-bras. Telle est la volonté du sentiment de catastrophe, dominante de toute mon existence72. »

Il ne faudrait pas confondre cet universalisme avec la conquête d’une mythique « neutralité axiologique », au sens wébérien, dans l’observation de la réalité historique, ni, dans le sillage de Mannheim, comme une synthèse des points de vue des différentes classes et groupes sociaux (ou nationaux). Si, pendant la guerre, les exilés sont les seuls à appréhender Auschwitz, c’est qu’ils sont les seuls à pouvoir s’identifier aux victimes du génocide tout en étant en condition de penser cette déchirure de l’histoire (il faudra du temps aux survivants avant de pouvoir mettre en perspective et essayer d’expliquer leur expérience vécue). C’est donc leur statut de parias qui aiguise le regard critique des intellectuels exilés. Leur supériorité épistémologique tient précisément au manque d’attaches, au déracinement et à l’« acosmie » qui caractérisent leur condition, autant de facteurs qui les placent, paradoxalement, au-dessus des points de vue étriqués, aux idées reçues et aux mentalités traditionnelles des différents groupes nationaux et politiques. Ils sont placés, dirait Mannheim, sur un observatoire plus élevé. Mais les avantages intellectuels d’une telle position sont bien minces sur le plan politique et ne débouchent, au fond, que sur un sentiment de frustration et de terrible impuissance. Apatrides, déracinés et marginaux, ils sont perçus par les élites dominantes beaucoup plus comme des enemy aliens (en France ils sont même internés dans des camps au début de la guerre) que comme des alliés ou des conseillers. Leurs écrits sont publiés, dans la plupart des cas, par des revues et des maisons d’édition de l’émigration dont la diffusion plus ou moins confidentielle ne peut absolument pas influencer l’opinion publique. S’ils peuvent voir Auschwitz au milieu d’un monde aveugle, le prix de cette clairvoyance est celui de leur propre invisibilité politique. Comme l’écrira Hannah Arendt à la fin des années cinquante, le sens profond de l’humanité et le cosmopolitisme ont « toujours été le grand privilège des peuples parias », mais ce privilège est chèrement payé, car il s’accompagne souvent d’une « acosmie » qui peut se traduire par « une atrophie terrifiante » de tous les organes au moyen desquels nous correspondons avec le monde73. Cette acosmie était la conséquence des persécutions, de la guerre et de l’exil, à une époque où, selon Adorno, la réflexion des émigrés se faisait dans les conditions d’une « vie mutilée74 ». Les conditions objectives dans lesquelles ils se trouvaient les empêchaient ainsi de remplir complètement leur fonction : ils étaient en mesure, en dépit de toutes les difficultés matérielles, d’élaborer une pensée critique et, loin de s’enfermer dans une tour d’ivoire, ils manifestaient désespérément la volonté d’intervenir dans la cité, mais ils ne pouvaient pas briser leur isolement et leur voix ne trouvait pas de destinataires75. Tout contribuait à l’étouffer. Ils étaient les avertisseurs inécoutés d’un incendie que personne ne se préoccupait d’éteindre.

Voir enfin:

Shoah : le romancier est-il un passeur de témoin ?

Andréa Lauterwein

Le Monde

13.02.2010

Tout événement historique peut-il, tôt ou tard, devenir le sujet d’une fiction ? Plus d’un demi-siècle de recherches, de réflexions et de débats n’a semble-t-il pas suffi à faire accepter que la Shoah n’est pas un événement historique comme un autre. La singularité de cette tragédie universelle appelle une mémoire qui exclut une historisation conventionnelle. Cette mémoire se présente aujourd’hui comme un chantier chaotique, contenant en germe une « réserve morale incommensurable » (Imre Kertész).

L’historien moderne, à la différence de l’écrivain, souscrit à un code de déontologie scientifique. Il recherche et vérifie des faits. Que se passe-t-il quand le romancier s’empare des faits de l’historien ? Dans le meilleur des cas, le pouvoir de révélation de la fiction peut transformer des chiffres en destinées individuelles, donner âme et corps aux documents, porter un point de vue différent sur l’écriture de l’Histoire. Si le romancier parvient à inventer un monde sans pour autant corrompre les faits historiques, il produit de la mémoire.

Les premiers témoignages écrits de la Shoah, outre qu’ils ont contribué à la connaissance historique, jusqu’à intervenir dans sa méthodologie, sont à l’origine de toute littérature sur la Shoah. Parmi d’autres, les écrits de Primo Levi, Jean Améry, Elie Wiesel, Paul Celan, Nelly Sachs, Ilse Aichinger sont aujourd’hui des textes canoniques. Peu de temps après la catastrophe, l’objectif des premiers témoins était de restituer les faits ; leur intention était d’énoncer et de rendre crédible une réalité qui repousse les limites de l’imagination.

Par leur souci d’authenticité, par l’énonciation à la première personne du singulier, certains textes se rapprochent de la déposition juridique (absente dans l’espace public jusqu’au procès Eichmann). D’autres recourent à l’essai ou à la poésie. Mais quel que soit leur genre, les écrits des premiers témoins traduisent l’impossibilité de partager un savoir obscur, ils désignent les nombreuses résistances morales et psychiques, la pudeur à l’égard des morts. L’émergence de cette parole a créé une forme d’expression unique, manifestant une crise du langage que la critique a nommé la « poétique de l’incommunicable » ou encore la « rhétorique de l’indicible ».

L’emphase naturelle des premiers témoins de la Shoah et leur rhétorique involontaire ne peuvent être imitées sans basculer dans le kitsch. Ruth Klüger, dans Fakten und Fiktionen (2000), l’a montré en parlant du roman Fragments du faux témoin Binjamin Wilkomirski : la brutalité naïve de tel passage est bouleversante quand on la lit comme l’expression nécessaire d’une souffrance vécue ; sans la caution de l’expérience, le même passage singeant la souffrance devient indécent, et se transforme en conformisme gratuit. Car reproduire l’incommunicabilité des témoins, c’est nier la situation existentielle précise (de la mort à la vie et retour) qui l’a engendrée, c’est nier le rapport spéculaire du témoin aux morts.

Il en est de même pour toute velléité de remédier à l’incommunicabilité. Le tarissement de la parole du témoin est constitutif de son témoignage, il est l’indice authentique d’un retrait du sens – d’une béance qui n’appelle pas à être comblée rétrospectivement par les élans rédempteurs d’une postérité biographiquement indemne. L’identification au témoin ou la prise de parole en son nom cannibalisent l’Histoire en cherchant à se débarrasser de son poids.

On sait à quel prix les témoins sont « retournés » dans la réalité psychotique des ghettos et des camps pour nous rendre ce qu’ils y ont vu. Terrible mission qui leur vaut aujourd’hui une « gloire de cendre » comme le dit le titre du poème de Paul Celan qui se termine avec ces vers, célèbres : « Niemand/zeugt für den/Zeugen » (« Personne/ne témoigne pour le/témoin »). Un constat qui se retrouve étrangement modifié en « Qui témoigne pour le témoin ? » dans l’exergue du roman de Yannick Haenel. Ce truquage, censé placer le livre sous l’autorité du témoin, alors même qu’il inverse et défigure gravement la parole de Celan, nous renseigne d’entrée sur l’orientation douteuse du projet.

Il peut être utile de se pencher sur les textes de certains témoins qui, par souci d’objectivité, ont « refusé » le genre du témoignage et ont fait oeuvre de fiction. Parmi d’autres, Edgar Hilsenrath (Nuit, 1966), Jurek Becker (Jakob le menteur, 1969), Imre Kertész (Etre sans destin, 1975), Ruth Klüger (Refus de témoigner, 1992). Déportés alors qu’ils étaient enfants ou adolescents, ils ont écrit et publié plus de vingt ans après. Cette distance a rendu le trauma communicable.

Elle les a conduits à se méfier de leurs propres souvenirs, altérés par le temps et la mémoire culturelle, et à anticiper leurs propres mécanismes de refoulement comme ceux du public. Le sujet de leurs récits fluides n’est donc pas en premier lieu la réalité historique des camps, mais le décalage entre leur expérience et celle des contemporains. En inscrivant le trauma dans le contexte civil de l’après-guerre, ils ont développé une forme d’écriture qui réduit l’abîme entre la mémoire du témoin et la conscience du contemporain sans souvenirs.

Les romans de ces « passeurs de témoin » produisent de la mémoire parce qu’ils réfléchissent la Shoah en termes d’aporie irréductible qui engage activement le lecteur. Comment s’y prennent-ils ? La communicabilité de leurs fictions aide à la compréhension du désastre tout en portant des corrections à la catharsis du lecteur : complice apostrophé et mis à contribution quand il s’agit de repenser la Shoah, le lecteur est dérouté, notamment par l’ironie, ou renvoyé à sa singularité lorsque ses désirs d’identification s’éveillent. Ces écrivains témoins nous apprennent que le seul témoignage envisageable pour les générations suivantes a pour point de départ leur propre place dans et face à l’Histoire.

De l’ère du deuil infini, nous passerions à l’exigence d’une problématisation éthique. En partant des techniques d’écriture et des réflexions des « passeurs de témoin », on pourrait commencer à imaginer les limites d’une fiction sur la Shoah : l’imagination serait orientée par une parfaite connaissance des faits historiques, le narrateur adopterait une perspective artificielle, extérieure aux porteurs de mémoire, où l’autodérision pourrait jouer un rôle de distanciation important. Le contrat passé avec le lecteur – témoignage ou roman, mémoires ou autofiction – serait respecté pour éviter le mensonge et le kitsch. Et la motivation de l’auteur serait altruiste. Ce serait une éthique du roman qui prendrait fait et cause pour le témoin sans témoigner en son lieu.

Chercheuse associée au Centre d’études et de recherches

sur l’espace germanophone (Cereg) Paris-III


Désinformation: Après les reportages à charge, le silence complice! (Mohammed al-Dura: Looking back at the media’s silence that made it all possible)

25 janvier, 2010
Charles Enderlin (© France) Le correspondant de France 2 à Gaza, Talal, qui a filmé la scène (…) travaille en toute confiance pour notre chaîne depuis 1988. Charles Enderlin
Pour moi, l’image correspondait à la réalité de la situation non seulement à Gaza, mais aussi en Cisjordanie. L’armée israélienne ripostait au soulèvement palestinien par l’utilisation massive de tirs à balles réelles. (…) Du 29 septembre à la fin octobre 2000, 118 Palestiniens sont morts, parmi eux 33 avaient moins de 18 ans. Onze Israéliens ont été tués, tous adultes. (…) J’ai coupé les images de l’agonie de l’enfant. C’était trop insupportable. L’histoire était racontée, l’information donnée, ça n’aurait rien ajouté. Quant au moment où le gamin reçoit des balles, il n’a même pas été filmé. Charles Enderlin
En répondant à Denis Jeambar et à Daniel Leconte dans le Figaro du 23 janvier 2005 que « l’image correspondait à la réalité de la situation, non seulement à Gaza, mais en Cisjordanie », alors que la diffusion d’un reportage s’entend comme le témoignage de ce que le journaliste a vu et entendu, Charles Enderlin a reconnu que le film qui a fait le tour du monde en entrainant des violences sans précédent dans toute la région ne correspondait peut-être pas au commentaire qu’il avait donné. Laurence Trébucq (Présidente de la Cour d’appel de Paris, le 21 mai dernier)
La tâche sacrée des journalistes musulmans est, d’une part, de protéger la Umma des « dangers imminents », et donc, à cette fin, de « censurer tous les matériaux » et, d’autre part, « de combattre le sionisme et sa politique colonialiste de création d’implantations, ainsi que son anéantissement impitoyable du peuple palestinien ». Charte des médias islamiques de grande diffusion (Jakarta, 1980)
Il s’agit de formes d’expression artistique, mais tout cela sert à exprimer la vérité… Nous n’oublions jamais nos principes journalistiques les plus élevés auxquels nous nous sommes engagés, de dire la vérité et rien que la vérité. Haut responsable de la Télévision de l’Autorité palestinienne
Je suis venu au journalisme afin de poursuivre la lutte en faveur de mon peuple. Talal Abu Rahma (lors de la réception d’un prix, au Maroc, en 2001, pour sa vidéo sur al-Dura)
Oh, ils font toujours ça. C’est une question de culture. Charles Enderlin
L’image de Mohammed et Jamal Al-Dura se cachant derrière un fût de béton, dans le vain espoir d’échapper aux balles des soldats israéliens, est devenue le symbole de la cruauté et de la brutalité d’Israël et a donné de Tsahal l’image d’une armée assoiffée de sang, et agissant selon des normes illégitimes. Les 55 secondes diffusées par France 2, la chaîne [nationale] de télévision française, au terme desquelles le journaliste, Charles Enderlin, déclara : « Mohammed est mort », ont ouvert « les vannes d’un énorme déluge de désirs de vengeance », pour reprendre les termes de Amos Arel et Avi Isacharoff, dans leur livre « La septième guerre ». Reuven Pedatzur
Nous ne voulons pas la guerre. Nous souhaitons que le calme et la paix pour notre peuple. Mais si une bataille nous est imposée, nous sommes prêts avec tous nos effectifs et équipements pour affronter n’importe quelle guerre sioniste, tout crime et toute attaque indépendamment de l’échelle. (…) L’ennemi développe ses armes et utilise des armes interdites au niveau international contre nous. Par conséquent, nous avons le droit d’utiliser toute arme que nous jugeons appropriée et nous avons le droit de faire entrer dans Gaza toute arme que nous considérons comme approprié à la bataille en cours avec l’occupation.Abu Ubaida Izz el-Deen (porte-parole des Brigades al-Qassam, branche armée du Hamas, décembre 2009)
Le Hamas continuera de rejeter l’occupation et de refuser de reconnaître la légitimité de l’entité sioniste. La priorité reste de construire et de développer la résistance. (…) La pression, le siège, les tentations, les portes ouvertes ou les canaux de communication ne berneront pas le Hamas, qui n’acceptera aucun compromis sur les droits. Le Hamas ne sera séduit que par la restitution de la terre. (…) Le Gaza triomphant est aujourd’hui encore blessé. Ses maisons sont toujours détruites. Il est toujours assiégé et ses frontières restent closes. (…) Aujourd’hui, nous ne cherchons pas la guerre (avec Israël) mais si la guerre s’impose à nous, nous combattrons farouchement. Khaled Mechaal (leader du Hamas, 1er anniversaire de la fin du conflit de Gaza, Damas, le 23 janvier 2010)

Après les articles, reportages et films à charge, voici la conspiration du silence!

Fusillade de « 45 minutes » (« au moins 400 balles ») produisant 8 trous dans le mur et aucun impact dans les corps du père et du fils et pas la moindre goutte de sang sur le sol, enfant qui lève le bras et jette un coup d’œil en direction de la caméra après avoir été déclaré mort, enfant enterré arrivé à l’hôpital Shifa à 10 h du matin pour des tirs ayant eu lieu qu’à 14 h et Mohammed évacué après 15 h, photo d’un enfant touché par balles à la jambe droite alors que l’enfant de l’hôpital Shifa avait été atteint à la jambe gauche, visages analysés comme différents par un spécialiste de l’identification biométrique, père exhibant des cicatrices de blessures au couteau datant de six ans auparavant …

A l’heure où même pour parler du bilan du président américain ou de l’épuration « ethnique » des chrétiens en terres d’islam, il faut blâmer Israël …

Où, après un rapport notoirement partial sur l’offensive de Gaza d’il y a un an, le Machin s’apprête à recommander la saisine de la Cour pénale Internationale pour de prétendus crimes de guerre …

Et où, après de fantaisistes accusations de viols de jeunes Palestiniennes par la fille du patron du Nouvel Observateur et sans compter une flopée régulière de documenteurs, un journaliste suédois a récemment dénoncé un prétendu trafic d’organes de l’armée israélienne …

Retour, avec le journaliste d’Haaretz Reuven Pedatzur, sur l’une des plus grandes victoires de la propagande palestinienne (jusqu’aux timbres et noms de rues dans tout le monde arabe), pour donner de l’armée israélienne l’image d’un « conquérant cruel tueur d’enfants« , à savoir la campagne de désinformation sur la prétendue mort du petit Mohammed al Doura.

Mais surtout sur ce qui a rendu tout cela possible, à savoir, au-delà de l’évidente carence de l’information israélienne et malgré la sortie de plusieurs documentaires et enquêtes critiques, le long silence complice (qui veut, contre l’indéboulonnable correspondant de France 2 dont on pprendra seulement plus tard qu’il n’était même pas sur place, jouer les conspirationnistes à la Meyssan?) tant de la Télévision d’Etat française et son fraichement emmédaillé correspondant Charles Enderlin que de l’ensemble de la profession …

Mohammed n’est pas mort (Israel’s worst PR failure)
Reuven Pedatzur
Haaretz
Traduction française : Menahem Macina pour debriefing.org
lundi 25 janvier 2010

L’image de Mohammed et Jamal Al-Dura se cachant derrière un fût de béton, dans le vain espoir d’échapper aux balles des soldats israéliens, est devenue le symbole de la cruauté et de la brutalité d’Israël et a donné de Tsahal l’image d’une armée assoiffée de sang, et agissant selon des normes illégitimes. Les 55 secondes diffusées par France 2, la chaîne [nationale] de télévision française, au terme desquelles le journaliste, Charles Enderlin, déclara : « Mohammed est mort », ont ouvert « les vannes d’un énorme déluge de désirs de vengeance », pour reprendre les termes de Amos Arel et Avi Isacharoff, dans leur livre « La septième guerre ».

Mohammed Al-Dura devint un martyr, le symbole de la lutte du peuple palestinien contre le conquérant cruel. Des timbres à l’effigie du père et du fils furent imprimés dans tout le monde arabe, et le nom de l’enfant fut donné à des rues. L’affaire Mohammed Al-Dura est une formidable victoire de la propagande palestinienne. Mais il s’avère qu’elle est aussi la plus grande et la plus incompréhensible carence de l’information israélienne. Carence, du fait qu’il y a suffisamment de preuves montrant que le récit de la mort de l’enfant n’a été qu’une mise en scène réalisée avec un art consommé par les Palestiniens.

Ce qui est inquiétant, dans toute cette affaire, c’est l’indifférence dont a fait preuve l’Israël officiel à l’égard des témoignages et des enquêtes qui se sont accumulés aussitôt après l’événement. Le documentaire de la journaliste allemande, Esther Shapira, et l’enquête effectuée par l’homme d’affaires français, Philippe Karsenty, font naître le soupçon que le caméraman qui a réalisé le film transmis à France 2, a concocté l’histoire en concertation avec beaucoup de gens. Le témoignage du caméraman est rempli de contradictions. Il raconte que « les soldats ont tiré de sang-froid sur le père et son fils durant 45 minutes ». Or, si les soldats de Tsahal voulaient vraiment atteindre, « de sans froid », Mohammed et son père, ils auraient pu les éliminer en moins d’une minute. A la question portant sur le nombre de balles tirées dans leur direction, Abu Rahmah a répondu : « au moins quatre cents ». Sur les lieux, on peut voir clairement qu’il n’y a que huit trous dans le mur [auquel étaient adossés Mohammed et son père].

Karsenty a obtenu les rushes réalisés par Abu Rahmah et, lors de la projection des dix secondes filmées après que Enderlin ait déclaré : « Mohammed est mort », on voit l’enfant lever le bras et jeter un coup d’œil en direction de la caméra. Dans aucune des prises de vues du film on ne voit d’impacts de balles dans les corps du père et du fils, alors même que le père affirme avoir été lui-même atteint de douze balles et son fils de trois. On n’a pas trouvé la moindre goutte de sang sur le lieu de l’événement.

Les funérailles de Mohammed Al-Dura ont rassemblé une foule de gens. Toutefois, au témoignage du médecin qui l’a réceptionné, l’enfant qui a été enterré était arrivé à l’hôpital Shifa à dix heures du matin. Les tirs au Carrefour de Netzarim n’ont eu lieu qu’à 14 heures et Mohammed a été évacué après 15 heures. Sur la photo qu’exhibe le médecin pathologiste de Gaza, on voit, certes, un enfant touché par des balles, mais ses blessures ne sont pas celles qu’a évoquées Jamal [le père de Mohammed]. Alors que le père témoigne que Mohammed a été atteint à la jambe droite, l’enfant de l’hôpital Shifa a été atteint à la jambe gauche. Un spécialiste de l’identification biométrique a comparé la photo de l’enfant inhumé avec celle de l’enfant du Carrefour de Netzarim, et il est arrivé à la conclusion qu’il s’agit de deux enfants différents.

Jamal affirme que 12 balles ont percé son corps et exhibe publiquement les cicatrices de ses bras. Mais Shapira a pu rencontrer le docteur Yehouda David, lequel témoigne qu’il a opéré Jamal six ans avant l’événement de Netzarim, et que les cicatrices que l’homme a montrées sont la conséquence de blessures au couteau.

Et malgré tout cela, l’Israël officiel garde le silence. Pour une raison difficilement compréhensible, une occasion en or de mettre en doute la fiabilité de la version palestinienne concernant l’un des événements marquants de l’histoire du conflit, a été perdue. Tsahal se rend plus d’une fois coupable d’utilisation excessive de la force militaire, causant ainsi la mort de gens innocents. Mais quand il s’avère que, dans le cas des Al-Dura, les soldats de Tsahal n’ont pas tiré sur un enfant et son père, tant les responsables de l’information de Tsahal que le ministère des Affaires étrangères se taisent. De la sorte, Israël abandonne le champ de la communication aux Palestiniens, qui en font un usage sophistiqué, en profitant de la coopération des chaînes de télévision favorables à la cause palestinienne, comme c’est le cas de France 2.

Voir aussi:

La légion d’honneur pour Charles Enderlin: Retour sur l’affaire « Mohamed Al Durah »
Dominique Vidal (Monde diplomatique)
le Post
le 03/08/2009

Acharnement contre Charles Enderlin

Le 30 septembre 2000, deuxième jour de la seconde Intifada, Talal Abu-Rahmeh, qui travaille pour France 2, se trouve au carrefour de Netzarim, au centre de la bande de Gaza. Soudain, une fusillade éclate entre combattants palestiniens et soldats israéliens : la caméra saisit la mort d’un enfant dans les bras de son père.

Via les chaînes d’information continue, des millions de téléspectateurs assistent ainsi à l’agonie du petit Mohamed Al-Dura. Des images qui symbolisent — pour l’opinion arabe, musulmane et internationale — la violence de la répression contre le soulèvement palestinien.

Pour briser cette « icône », les inconditionnels d’Israël polémiquent d’abord sur l’origine des balles meurtrières. Dans son commentaire, Charles Enderlin, le correspondant permanent de France 2, penchait pour l’hypothèse de tirs israéliens — qu’un porte-parole de l’armée n’exclura d’ailleurs pas. Eux s’efforcent, expertise balistique à l’appui, d’incriminer les Palestiniens. Avec l’entrée en scène de la Metula News Agency (MENA), l’affaire bascule. Arguant de la prétendue absence de quelques minutes de « rushes » du reportage, en fait entièrement disponible, cette officine basée en Israël prétend qu’il s’agirait d’une… mise en scène. Heureusement pour elle, le ridicule ne tue pas.

Pourquoi un journaliste franco-israélien aussi respecté que Charles Enderlin se serait-il prêté à pareille tromperie ? Outre Mohamed Al-Dura et son père, des centaines de soldats israéliens et de tireurs palestiniens auraient-ils participé à cette supercherie, sous les yeux de nombreux journalistes israéliens et étrangers ? Survivant, l’enfant aurait-il échappé à l’armée d’occupation, ses légendaires services secrets et ses dizaines de milliers de collaborateurs ? Non seulement nos propagandistes ne répondent pas à ces questions, mais ils font mine d’ignorer que 985 autres enfants palestiniens ont perdu la vie depuis la fin septembre 2000…

La fable d’un « jeu de rôles » n’a pas une once de crédibilité. Le tribunal correctionnel de Paris, en octobre dernier, avait donc logiquement donné raison à Charles Enderlin contre l’un de ses diffamateurs, M. Philippe Karsenty. La Cour d’appel vient pourtant de décider, le 26 mai 2008, que les propos tenus par ce dernier portaient « incontestablement atteinte à l’honneur et à la réputation des professionnels de l’information », mais a admis sa « bonne foi » et estimé qu’il avait « exercé son droit de libre critique » et « n’a pas dépassé les limites de la liberté d’expression ».

Sans avoir, il est vrai, jugé sur le fond, la justice a délivré ainsi un étrange « permis de diffamer ». Certes, aucun terrorisme intellectuel ne musellera les intellectuels et journalistes honnêtes qui, connaisseurs du dossier et habitués du terrain, informent l’opinion sur la colonisation et la répression israéliennes. Victimes, avant Charles Enderlin, de ce genre d’attaques, Daniel Mermet, Edgar Morin, Esther Benbassa et tant d’autres ont tenu bon. Mais ces campagnes scandaleuses pourraient intimider ceux qui, moins compétents et moins déterminés, seront tentés d’« arrondir les angles » plutôt que risquer d’être, à leur tour, ciblés.

Sans parler de l’évolution de la politique proche-orientale de la France, sous la présidence de M. Jacques Chirac à partir de 2005 et a fortiori avec le nouvel hôte de l’Elysée. On sent déjà, depuis, les effets de cette « prudence ». Une nouvelle preuve : durant la semaine tragique vécue par Gaza fin février-début mars, certains médias ont beaucoup plus parlé des quatorze victimes israéliennes des Qassam (en sept ans) que des cent quinze Palestiniens tués par Tsahal (en cinq jours).

APPEL

Pour Charles Enderlin

NOUVELOBS.COM
02.10.2008

Sept ans. Voilà sept ans qu’une campagne obstinée et haineuse s’efforce de salir la dignité professionnelle de notre confrère Charles Enderlin, correspondant de France 2 à Jerusalem. Voilà sept ans que les mêmes individus tentent de présenter comme une « supercherie » et une « série de scènes jouées » , son reportage montrant la mort de Mohammed al-Doura, 12 ans, tué par des tirs venus de la position israélienne, le 30 septembre 2000, dans la bande de Gaza, lors d’un affrontement entre l’armée israélienne et des éléments armés palestiniens.
Le 19 octobre 2006, le tribunal correctionnel de Paris avait jugé le principal animateur de cette campagne, Philippe Karsenty, coupable de diffamation.
L’arrêt rendu le 21 mai par la cour d’appel de Paris, saisie par Philippe Karsenty reconnaît que les propos tenus par ce dernier portaient « incontestablement atteinte à l’honneur et à la réputation des professionnels de l’information » mais admet, curieusement, la « bonne foi » de Philippe Karsenty qui « a exercé son droit de libre critique » et « n’a pas dépassé les limites de la liberté d’expression ». Cet arrêt qui relaxe Philippe Karsenty nous surprend et nous inquiète.
Il nous surprend, car il accorde la même crédibilité à un journaliste connu pour le sérieux et la rigueur de son travail, qui fait son métier dans des conditions parfois difficiles et à ses détracteurs, engagés dans une campagne de négation et de discrédit, qui ignorent tout des réalités du terrain et n’ont aucune expérience du journalisme dans une zone de conflit.
Il nous inquiète, car il laisse entendre qu’il existerait désormais à l’encontre des journalistes une « permission de diffamer » qui permettrait à chacun, au nom de la « bonne foi », du « droit de libre critique » et de la « liberté d’expression » de porter atteinte impunément « à l’honneur et à la réputation des professionnels de l’information ».
Au moment où la liberté d’action des journalistes est l’objet d’attaques répétées, nous rappelons notre attachement à ce principe fondamental, pilier de la démocratie et nous renouvelons à Charles Enderlin notre soutien et notre solidarité.

Paris, 27 mai 2008

Pour soutenir cet appel, envoyez vos coordonnées par mail en cliquant ici
La liste des signataires est mise à jour une fois par semaine le vendredi.

Les premiers signataires

Journalistes

Christophe Airaud (France2), Rachid Alik (Liberté), Claude Angeli (Le Canard Enchaîné), Carine Azzopardi (France 3), Farid Aïchoune (Le Nouvel Observateur), Gilles Anquetil (Le Nouvel Observateur), Hervé Algalarrondo (Le Nouvel Observateur), Guillaume Arvault (journaliste), Josette Alia (Le Nouvel Observateur), Jacqueline Ansart (Journaliste), Marie Andrieu (Le Courrier de l’Atlas), Max Armanet (Libération), Association du Prix Albert Londres, Claude Askolovitch (Le Nouvel Observateur), Florence Aubenas (Le Nouvel Observateur), Laurent Abadjian (Téléram), Nicolas Ancelin (GEO Magazine), Paul Aubriat (journaliste), Pierre Abramovici (journaliste), Jean-Claude Allanic (ex-médiateur France 2), Kristian Autain (Grand Reporter France 2), Mehdi Alami (juriste et journaliste reporter), Kamel Azzouz (RTBF), Malika Abdelaziz (journaliste-coopération), Annie Anas (La vie du rail), Eric Biesse (JRI pigiste), Xavier Baron (AFP), Alexandre Boussageon (Le Nouvel Observateur), Christine Bertrand-Nielsen (AFP), Djamal Benmerad (Journaliste-écrivain), Carole Barjon (Le Nouvel Observateur), Daniel Bouy (France 3), François Bazin (Le Nouvel Observateur), Fathi B’Chir (MedAfrique), Michel Berthelot (Journaliste), Pierre Barbancey (l’Humanité), René Backmann (Le Nouvel Observateur), Bruno Birolli (Le Nouvel Observateur), Cécile Berecz (France 2), Sophie Benoits (CBNews), Christian Billmann (RFI), Corinne Bouchouchi (Le Nouvel Observateur), Joy Banerjee (France 3), Jean-Baptiste Bussière (Canal Plus), Luc de Barochez (Le Figaro), Frédéric Barreyre (France Inter), Loïc Barrière (Radio Orient), Michel Bessaguet (GEO-Magazine), Renaud Bernard (France 2), Stéphan Breitner (journaliste), Philippe Brassard (La Dépêche du Midi), Olivier Bonnard (Le Nouvel Observateur), Tristan Berteloot (Etudiant à l’ESJ), Michel Boulen (retraité SFP), Nébia Bendjebbour (Le Nouvel Observateur), Michel Bôle-Richard (Le Monde), Christophe Boltanski (Le Nouvel Observateur), Jacques Bourget (Bakchich.Info), Nicolas Brimo (Le Canard Enchaîné), Philippe Bidalon (l’Express), Vincent Berthe (Rap Mag), Denis Brunetti (TF1), Loïck Berrou (France 24), Ariane Bouissou (France Info), Michel Bailly, Jacqueline Beaulieu, Michel Bertrand, Alain Bradfer, Andrei Brauns (TV Journalist / Producer KDB Media), Henry Beauduin (journaliste retraité), Barbara Boulet (RTBF), Anne Blanpain (RTBF), Yves Barraud (journaliste), Eric Boever (RTBF), Pascal Bustamante (RTBF), Christine Borowiak (RTBF), Marc Bouvier (RTBF), Edmond Blattchen (RTBF), Pierre Bardina (Rédacteur), Jean Belot (journaliste retraité Télérama), Gérard Beaufils (Directeur des rédactions Radio Caraïbes International – Correspondant TF1 Martinique / Guadeloupe), Djamal Benmerad (Journaliste, écrivain), Sam Bernett (journaliste-auteur-animateur), Mathieu Bouton (TF1), Philippe Bregowy (journaliste pigiste Actufax, Sud Ouest), Etienne Bastide (Radio Galère), Jean Beauchesne (journaliste retraité), Alain Bedu (ancien journaliste), Bernard Le Bars (photographe), Benoit Brigardis (journaliste pigiste), Georges et Eliane Cadiou (Radio France), Gilles Cayatte (Documentaliste), Hervé Chabalier (Capa), Sorj Chalandon, Marc de Chalvron (France 24), Peggy Cidor (Jerusalem Post), Anthony Curnow (Journaliste-retraité), Alain de Chalvron (France 2), Richard Cannavo (Le Nouvel Observateur), Jean-Jacques Coltice, Olivier Coret (photographe), Jean Corneille (JRI France 3), Germain Dagognet (LCI), Jean-Claude Dassier (LCI), Alain Chollon (Journaliste), Catherine Ceylac (France2), Jean-Gérard Cailleux (Pigiste), Patricia Costes (France 2), Olivier Coret (fedephoto), Patrice Claude (Le Monde), Maureen Cofflard (AFP), Noëlle Coussinié (Ouest-France), Sorj Chalandon (journaliste, romancier) Sylvain Cypel (Le Monde), Patricia Chaira (Troisième Œil Productions), Thomas Coex (AFP), Vincent Cotinat (Ouest-France), Vincent Cheynet (La Décroissance), Elise Colin (journaliste), François Clauss (envoyé spécial permanent Europe1 au 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Simonet (Journaliste), Isabelle Staes (France 2), Georges Servat (Le Courrier de l’Unesco), Patrick Saint Paul (Le Figaro), Samah Soula (France 2), Anne Sogno (Le Nouvel Observateur), Eric Scherer (AFP), Claire Servajean (France Inter), Christophe Sabatier (France 24), Carole Sandrel (journaliste-écrivain), Daniel Salvatore Schiffer (écrivain et journaliste), François Schlosser (Le Nouvel Observateur), Georges Sassine (Al-Balad), SCAM (Société civile des auteurs multimédia), Société des Journalistes de France 2, Syndicat SNJ-CGT de France Télévisions, Jean-Luc Slama (journaliste), Squalli Salma (Tv 2M Maroc), Arnaud Saint-Maxent (France Guyane), Maurice Szafran (Marianne), Matthias Second (France 2), Pierre Sorgue (GEO Magazine), Patrick Seale (Journaliste), Séverine Stéfanesco (France 5), Olivier Siou (France 2), Gilles Schneider (Radio France), Wala’a Said Kadim, Jean-Pierre Séguéla (France 3), Julie Safar (Chef-Monteuse, ex France 2), Clément Saccomani (photographe indépendant), 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Personnalités
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Désinformation: Rien ne va plus pour Obama mais c’est la faute à Israël (If you can’t blame Bush, blame Israel)

24 janvier, 2010
The Lobby (Latuff)A une époque où la dé-légitimation et par la suite l’éradication d’Israël est un but crié avec une ferveur grandissante par les ennemis de l’état juif, il est plus que décourageant de voir des Juifs eux-mêmes rajouter à la calomnie. Que certains le fassent même au nom du judaïsme, rend la nature de leurs attaques des plus grotesques. (…) Leurs contributions à ce qui est en train de devenir un discours normatif, sont toxiques. Elles permettent de rendre respectables les visées antisémites contre l’état juif, par exemple, en affirmant que c’est un état de type nazi, comparable à l’apartheid en Afrique du Sud, qui est engagé dans un nettoyage ethnique et un génocide. Ces accusations ne sont pas vraies mais peuvent avoir comme effet de délégitimer Israël. Alvin Rosenfeld

Les faucons affirment (…) que le président Ahmadinejad a déclaré vouloir “rayer Israël de la carte”. Mais cet argument repose sur une mauvaise traduction de ses propos. La traduction juste est qu’Israël “devrait disparaître de la page du temps”. Cette expression (empruntée à un discours de l’ayatollah Khomeiny) n’est pas un appel à la destruction physique d’Israël. Bien que très choquant, son propos n’était pas un appel à lancer une attaque, encore moins une attaque nucléaire, contre Israël. Aucun État sensé ne peut partir en guerre sur la foi d’une mauvaise traduction. John J. Mearsheimer et Stephen M. Walt

Ne l’enterrez pas si vite (…) Rien ne va plus pour Obama mais son bilan est bon et d’autres présidents avaient connu pire (…) La page n’est pas, déjà, tournée sur Barack Obama. La passe est rude, très rude, pour ce président. La veille même de l’anniversaire de son entrée à la Maison-Blanche, les démocrates ont perdu le siège sénatorial laissé vacant par la mort de Ted Kennedy. Cette défaite fait passer son parti au-dessous de la majorité qualifiée permettant d’empêcher les républicains de bloquer les débats de la Chambre haute. Priorité de Barack Obama sur la scène intérieure, le projet d’extension de la couverture médicale en est menacé alors que la résolution du conflit israélo-palestinien, sa priorité internationale, paraît toujours aussi lointaine. Bernard Guetta

Rien ne va plus pour Obama mais d’abord… Israël est un « état d’apartheid »!

Guantanamo toujours pas fermé, tribunaux militaires, détentions préventives et redditions extraordinaires maintenues, attaques de drones au Pakistan et en Afghanistan intensifiées, calendrier du retrait des troupes d’Irak pas respecté, négociations avec l’Iran et en Israël au point mort …

A l’heure, où, bilan catastrophique oblige, les thuriféraires du pire président qu’aient connu les Etats-Unis depuis au moins Carter se voient contraints, après l’avoir tant porté aux nues, de noyer le poisson …

A savourer, dans La Croix, pour l’inimitable manière dont nos médias choisissent leurs spécialistes américains pour parler de l’Amérique et en plus on a deux articles pour le prix d’un!

Recette désormais bien rodée: prenez, parmi tous les spécialistes des affaires internationales d’Harvard, un anti-républicain et anti-Bush notoire doublé d’un féroce critique d’Israël (son fameux rapport, avec son collègue de Chicago John Mearsheimer, sur le lobby pro-israélien aux Etats-Unis) et thuriféraire résolu de ses ennemis (leur tout aussi fameuse défense – fallait quand même oser! – du célèbre « rayer Israël de la carte » d’Ahmanidejad).

Et, sous couvert de parler du pire bilan d’un président américain depuis au moins Carter (il a repris ou intensifié, contre toutes ses promesses de campagne et sans jamais le dire tout en en dénonçant constamment son prédécesseur, l’essentiel des mesures que l’on reprochait à celui-ci – mais, on le sait, c’est la faute à Bush et à son « pragmatisme »!), vous vous retrouvez avec une attaque en règle de la politique israélienne qualifiée, pour faire bonne mesure, d’ »apartheid »!

Barack Obama a réalisé un changement de style, plus que de substance »
La Croix
20.01.2010

Pour Stephen M. Walt, professeur de relations internationales à l’université Harvard (1), le président n’a pas su, en un an de mandat, définir ses priorités de politique étrangère et son pragmatisme encourage plutôt ses opposants

ENTRETIEN
Stephen M. Walt
Professeur de relations internationales à l’université Harvard

La Croix : Un an après son arrivée à la Maison-Blanche, quel bilan faites-vous de la politique étrangère de Barack Obama ?
Stephen M. Walt : Un an, c’est trop tôt pour porter un jugement. George W. Bush avait très mal commencé mais au bout d’un an, après les attaques du 11 septembre 2001, il était devenu un président en guerre, très déterminé et populaire. Cela n’a pas empêché qu’à la fin, il était considéré comme un des plus mauvais présidents de l’histoire.

Barack Obama a hérité d’une situation très difficile, peut-être le défi le plus lourd à relever depuis Roosevelt : une économie en crise, deux guerres (Irak et Afghanistan), sans compter une série de problèmes difficiles comme l’Iran, le conflit israélo-palestinien, les relations avec la Russie ou le changement climatique. Affronter séparément ces problèmes, c’est compliqué, les affronter tous en même temps, c’est très difficile.

La question est de savoir si les positions prises sont les bonnes et si le président se montre résolu, capable de les maintenir même quand il rencontre une opposition. De ce point de vue, le bilan est mitigé. Il entend mettre les engagements des États-Unis plus en adéquation avec leurs ressources.

Jusque-là, il a réalisé une rupture symbolique avec l’administration Bush, un changement de style plus que de substance. La torture a été interdite, des mémorandums ont été publiés, l’interdiction des voyages à Cuba a été levée. En même temps, Guantanamo n’est toujours pas fermé, les tribunaux militaires, les détentions préventives et les redditions extraordinaires sont maintenues, tandis que les attaques de drones au Pakistan et en Afghanistan s’intensifient. Barack Obama a aussi tenté avec un relatif succès de mettre les relations avec la Russie sur une voie plus constructive.

Quel regard portez-vous sur son action au Moyen-Orient ?
Avec l’Iran, il a mis l’accent sur la diplomatie – avec raison car le recours à la force serait une énorme erreur –, mais il ne sera pas possible de parvenir à un accord dans un futur proche. En l’absence de résultats, certains continueront à soulever la question d’une action militaire, même si beaucoup de gens aux États-Unis, particulièrement parmi les militaires, y sont hostiles.

Sur la question du conflit israélo-palestinien, le président a été plus décevant. Il a commencé par exprimer de bonnes idées dans son discours du Caire, avant de faire machine arrière sur la question du gel des implantations israéliennes et de dénoncer le rapport Goldstone sur Gaza.

Sur la question de l’Afghanistan et du Pakistan, ses décisions impliquent un engagement à long terme et les perspectives de succès ne sont pas élevées. En Irak, le calendrier du retrait des troupes sera difficile à respecter. Sur ces questions, la situation dans trois ans devrait beaucoup ressembler à celle qui prévalait au moment de son élection. Le mieux qu’il puisse faire, c’est d’éviter que ces problèmes ne s’aggravent.

Comment expliquez-vous le revirement sur la question des colonies israéliennes ?
C’est une décision politique. L’administration a donné la priorité à l’adoption de la réforme de l’assurance-maladie. Elle a besoin du Congrès où beaucoup de parlementaires s’opposent à cette politique de fermeté à l’égard d’Israël. Elle n’a pas voulu risquer de compromettre le vote démocrate.

L’erreur a été de ne pas avoir su anticiper ce que serait sa politique si les Israéliens refusaient d’arrêter la construction des colonies. L’administration a pensé qu’il suffisait d’être très ferme pour obtenir très rapidement la coopération israélienne. Quand ils ne l’ont pas obtenue, ils ne savaient plus quoi faire et ils n’avaient clairement pas la volonté d’aller plus loin.

Barack Obama comprend le problème et il sait ce qu’il faudrait faire mais ce n’est pas sa priorité. C’est une tragédie car cela signifie que les négociations n’aboutiront pas et que la solution des deux États devient impossible : trop de colonies israéliennes, pas de soutien politique en Israël pour les évacuer et des Palestiniens divisés. Cela conduit à un état d’apartheid. Certains pensent que le point de non-retour a déjà été atteint. Un jour, tout le monde le reconnaîtra. Quelle sera, alors, la politique américaine ?

L’Afghanistan peut-il devenir un nouveau Vietnam ?
La décision d’envoyer des renforts supplémentaires a répondu à des considérations de politique intérieure et non à une pensée stratégique claire. Obama ne pouvait dire non aux demandes du général McChrystal sans payer un prix politique très élevé. Et comme il ne voulait pas non plus en faire trop, il a choisi une demi-mesure. L’alternative aurait été de reconnaître que le problème de l’Afghanistan ne pouvait pas être résolu militairement et n’était pas d’un intérêt vital pour les États-Unis.

Barack Obama court-il le risque de finir comme Jimmy Carter, un président faible et discrédité ?
Comme Clinton et Carter, c’est un président jeune, intelligent et curieux qui tente de faire trop de choses à la fois. Mais il a plus de flair politique que Carter et est plus discipliné que Clinton. Le système de gouvernement américain rend les changements difficiles et l’administration n’a pas su établir clairement ses priorités et s’y tenir. Ils ont essayé de résoudre trop de problèmes à la fois et ils ont fini par ne rien faire. Résultat, beaucoup de bonnes choses faites dans les premiers mois commencent à être perçues comme des gestes vides.

Barack Obama est un pragmatique. Il fixe des objectifs ambitieux dans des délais courts et il est prêt au compromis. Cela encourage ses opposants, aux États-Unis comme à l’extérieur, à chercher à gagner du temps.

Au bout du compte, politiquement, le problème le plus important pour lui reste l’économie américaine. C’est ce qui conditionnera sa réélection. Une reprise suffirait à l’assurer alors qu’une nouvelle détérioration le mettrait en position vulnérable.

Recueilli par François d’ALANÇON

(1) Auteur de plusieurs ouvrages dont Le Lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine, Éditions La Découverte, 2007.


Immigration: Quand la chance devient punition (IMF chief’s wife belatedly discovers immigration’s brave new world)

23 janvier, 2010
Marianne SinclairEtre français, une chance ou une punition? (…) Il fut un temps où l’on me fit l’honneur de me demander d’incarner Marianne. Aujourd’hui, la République française a besoin de s’assurer doublement que je n’usurpe pas ma nationalité. Ce ne sont pas que des tracasseries bureaucratiques. C’est un état d’esprit qui fait du mal à l’identité de la France. Anne Sinclair
Il fut un temps où l’idée même d’une carte d’identité, d’un repérage par empreintes digitales, voire la photographie d’un visage étaient considérés par certains comme attentatoires aux libertés personnelles. Qui le penserait aujourd’hui? Richard Pasquier
Ceux qui parlent de « rafles » et de « camps », quand la police arrête des clandestins, soutiennent que les immigrés seraient, avec ces tests autorisés par le droit européen, comparables aux Juifs sous l’Occupation. (…) Ces tests produiraient, dit-on, une inégalité de traitement entre l’étranger et son hôte. Mais il faut alors contester l’obligation de maîtriser la langue, de signer un contrat d’accueil, d’apporter un revenu minimum, conditions qui ne sont pas exigées non plus des Français. Ivan Rioufol
Dans certains pays, comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire, les deux Congo, le Togo, Madagascar ou les Comores, de 30 % à 80 % des actes d’états civils sont frauduleux. Adrien Gouteyron (sénateur UMP)
30 % à 80 % des actes d’état civil frauduleux dans nombre de pays africains, mariages entre Français et étrangers représentant près de 30 % des mariages transcrits dans notre état-civil, 50% de ces 90 700 mariages célébrés à l’étranger en 2005, 731 % plus de mariages de Français au Maghreb et en Turquie en dix ans, 1 129 ressortissants algériens à épouser un Français en 1994, onze fois plus (12 457) en 2005 … Eric Zemmour
Depuis un décret de 2005 (signé Sarkozy) tout Français né à l’étranger, et souhaitant renouveler ses papiers, doit faire la preuve de sa nationalité française, notamment en fournissant…un extrait de naissance de ses parents. Au guichet, on a même demandé à Sinclair la nationalité…de ses quatre grand-parents. Daniel Schneidermann

Quand la chance devient punition …

Filières de plus en plus organisées, identités fictives, usurpations, substitutions, vols d’identité, fausses dates de naissance, jeu sur la translittération approximative des noms arabes ou la difficulté pour des non-initiés de reconnaître les visages noirs ou asiatiques, escroqueries aux prestations sociales, travail clandestin …

Préjudices de millions voire milliards d’euros (1% du budget pour la sécurité sociale, soit 1,4 milliard d’Euros par an), 90% d’amendes impayées par an pour la SNCF soit quelque 200 millions d’Euros de pertes, sans parler des allocations familiales, ASSEDIC, banques …

Faibles taux de découverte (1 infraction révélée pour 25 commises) et d’élucidation (1 condamnation pour 5 infractions révélées), risque pénal minimal (de 10 à 12 ans pour un vol à main armée sans violences de 150 000 Euros, contre 2 ans environ pour une escroquerie avec faux et usage de faux du même montant), sans compter la présomption d’innocence qui pousse la justice à condamner légèrement les auteurs d’infractions dont elle ne peut garantir l’identité …

Après les actes d’état civil frauduleux des pays africains, (30 % à 80 % dans nombre de pays) et l’explosion des mariages entre Français et étrangers dont nombre de mariages de convenance ou blancs …

Après la découverte il y a deux ans d’un réseau de faux papiers à la Préfecture de Paris avec l’implication d’un haut fonctionnaire ou à en juin 2003, l’interpellation de 40 personnes impliquées dans un vaste trafic en bande organisée de faux papiers pour travailleurs clandestins turcs …

Après les salariés à faux papiers (ou vrais papiers avec photo falsifiée) dits abusivement sans papiers dont sont actuellement pleins nos quotidiens …

Après les réseaux de « squats » et de faux “contrats de location” d’ appartements appartenant à l’Etat ou aux collectivités locales, voire privés, avec au besoin soutien de sous-ministres …

Après les appels à la désobéissance civile et la dissimulation de sans papiers et de leurs enfants …

Après les malades qui se font enlever 17 appendices par le même médecin ou les femmes qui accouchent tous les deux mois sur la même carte de sécurité sociale …

Après les vols, comme en février 2004 à Boulogne-Billancourt, de 6 000 passeports, 6 500 permis de conduire, dont 1 500 permis internationaux, 10 000 cartes grises – tous vierges et comportant toutes les sécurités pour une valeur sur le marché noir de 55 millions d’euros …

Après les trafics d’esclaves modernes pour diplomates africains dont les noms et les nationalités ne sont jamais communiquées …

Après la découverte en février 2003, de la traite d’êtres humains par le musicien congolais Papa Wemba qui, une dizaine de fois par an, faisait venir une quinzaine de faux musiciens en Europe à 3 500 dollars le passage pour un chiffre d’affaires de plus de 2 millions d’euros ….

Voici…

Notre ancienne présentatrice-vedette de TF1, ex-Marianne, actuelle femme du fonctionnaire le mieux payé de Washington, habituée des palais nationaux et des salons VIP des aéroports et potentielle Première dame…

Mais aussi fille d’industriel et petite-fille, née à New York, d’un grand marchand d’art new-yorkais

Qui fait pleurer dans les chaumières médiatiques.

En découvrant sur le tard mais sans jamais se poser la question du pourqquoi ni du comment (merci une Administration française qui apparemment traite ses Madame Sinclair comme ses Madame tout le monde) …

Qu’à l’instar des voyages aériens post-Ben Laden, l’immigration, qu’elle et ses amis bien-pensants nous ont vendu pendant si longtemps comme une « chance pour la France« , peut aussi à l’occasion se transformer en punition

Etre français, une chance ou une punition?
Anne Sinclair
21 janvier 2010

Après beaucoup de Français dont j’ai lu les témoignages sur différents sites internet, j’ai fait l’expérience dite de la Carte d’Identité (nationale?…). J’avais souhaité la faire refaire pour qu’elle témoigne de mon changement d’adresse dans Paris. Stupide démarche, car elle était valable jusqu’en 2017, mais très instructive expérience. J’aimerais vous en faire le récit complet, même si j’ai déjà évoqué ici cette aventure désormais bouclée.

Il y a un mois, de passage à Paris pour 48h, je suis allée dans une des annexes de la Préfecture de Police faire les démarches nécessaires. Munie de mon actuelle CI, des photos, de mon extrait de naissance et d’une quittance de téléphone pour prouver mon domicile. Bref, des documents dont le site de référence demande de se munir.

Procédure habituelle donc à travers les dédales administratifs où l’accueil n’est pas toujours chaleureux dans ces temps où notre identité est questionnée.

 » Alors, vous êtes de la Guadeloupe ou vous n’êtes pas de la Guadeloupe? » demandait un guichetier à une vieille dame un peu paumée du ton dont il me semble qu’on n’aurait pas demandé « êtes vous de Loire Atlantique, oui ou non? ».

J’observe, j’écoute, j’attends, comme tous ceux qui avant moi ont pris leur ticket. Une heure et demie. Temps raisonnable car il paraît que la moyenne est de deux heures. Lorsque mon tour vient, le monsieur derrière le guichet remarque que je suis née à l’étranger et me demande non pas si mes parents sont Français, mais si mes quatre grands-parents le sont: je lui fais reposer la question tant elle me semble maladroite, sinon ahurissante. A l’évidence, il cherchait seulement à savoir de quel côté familial il me fallait apporter la preuve de ma nationalité. Mais peut-être les responsables de ces nouvelles directives devraient-ils prendre le temps d’expliquer à leurs agents au contact du public, qu’il est des formules malheureuses, rappel de temps troubles.

Il me précise en effet que depuis 2009, il me faut un document supplémentaire, un extrait de naissance de mon père ou de ma mère, qui puisse prouver ma francité. Je lui rétorque que, sur mon extrait de naissance, il est bien écrit que je suis née de Monsieur Robert S. né à Paris et de Madame Micheline R. née elle aussi à Paris. Et si donc, je ne suis pas française par le sol (car j’ai commis l’erreur de naître hors de France), je le suis par filiation et que cet extrait de naissance le prouve.

J’ajoute que je demande un renouvellement de ma carte d’identité, toujours valable, et qu’il a donc sous les yeux les preuves de ma nationalité qui, depuis quelques décennies, n’a d’ailleurs jamais été contestée. Intraitable, il veut me renvoyer chercher le papier qui me manque. Exaspérée et ne disposant que de quelques heures à Paris, je reprends mon dossier, mes photos, ma naissance suspecte et je repars.

Revenant cette semaine à Paris je me retrouve hier matin Boulevard du Palais munie cette fois de l’extrait de naissance de ma mère, née à Paris de parents français. La délicieuse dame souriante qui me reçoit, me le demande dès qu’elle constate que je suis née à l’étranger. Je répète que mon extrait de naissance a toujours suffi jusqu’à ce jour, qu’il indique la nationalité de mes parents, que je ne vois pas pourquoi on me demande de faire la preuve de ma nationalité sur trois générations, que c’est discriminatoire par rapport aux Français nés sur le territoire (il y aurait donc deux sortes de Français – les uns « plus français » que les autres ?), que ma carte d’identité toujours valable n’est pas frauduleuse, que si la France la conteste, qu’elle fasse donc la preuve de ma mauvaise foi; bref, je lui ressors mon discours.

La pauvre, elle a dû déjà l’entendre des dizaines de fois cette histoire ! Venant de gens moins bien lotis que moi, ayant moins de temps, une vie plus mouvementée ou plus de difficultés à obtenir un extrait de naissance de leurs parents ! Mais sa courtoisie ne le laisse pas deviner, et c’est toujours souriante, qu’elle m’explique que c’est le règlement, la loi, une nouvelle disposition, pour avoir une « double preuve ». Mais pourquoi pas une troisième, dis-je, une quatrième? Jusqu’à combien de générations de Français faut-il remonter pour désormais apporter la preuve d’une nationalité qui n’a jusqu’ici jamais été mise en doute?

Au nom de tous ceux qui se heurtent chaque jour à ces demandes vexatoires, humiliantes, je demande s’il est possible de voir un responsable, pour comprendre… Pas de chance, ils sont en réunion. Tous. Mais peut-être la semaine prochaine quand je viendrai retirer ma carte… ???

Longue histoire pour témoigner de ce que vous savez déjà, de ce que vous avez déjà lu, de ce que vous devinez: la nationalité française n’est plus une évidence pour qui l’a toujours eue. Il faut sans cesse être capable de la prouver.

Je connais une vieille dame, née en Suisse de parents français qui pendant un an n’a pas pu obtenir ses papiers d’identité, tant ses démarches étaient infinies et finalement rejetées. J’ai vu son courrier disant sa blessure, sa douleur de se voir exclue d’un pays auquel elle n’avait jamais pensé qu’on puisse contester son appartenance.

Je connais une femme, née en Algérie, dont les parents étaient français du fait de la colonisation, mais dont les extraits de naissance semblent difficiles à établir à cause de la disparition de certains fichiers de mairies.

Le climat de suspicion, lié à ce débat sur l’identité nationale, ajoute au malaise. Il fut un temps où l’on me fit l’honneur de me demander d’incarner Marianne. Aujourd’hui, la République française a besoin de s’assurer doublement que je n’usurpe pas ma nationalité. Ce ne sont pas que des tracasseries bureaucratiques. C’est un état d’esprit qui fait du mal à l’identité de la France.


Haïti: Attention, une catastrophe peut en cacher une autre (Will the outside world continue with the same old excuse culture?)

21 janvier, 2010

HispaniolaHispaniolaHaiti slumLes meilleurs indicateurs des “échecs des Etats modernes” – par exemple les révolutions, les changements de régime violents, l’effondrement de l’autorité, et le génocide – s’avèrent être des mesures de la pression environnementale et démographique, au même titre qu’une mortalité infantile élevée, une croissance rapide de la population, un pourcentage élevé de grands adolescents ou de jeunes adultes dans la population et des hordes de jeunes hommes sans perspectives d’emploi et mûrs pour le recrutement dans les milices. Jared Diamond
Quoique les pays développés acceptent occasionnellement d’exporter de la nourriture pour atténuer des famines provoquées par certaines crises (telles que sécheresses ou guerres) dans certains pays du tiers-monde, les citoyens des pays développés n’ont montré aucun intérêt à payer sur une base régulière (…) pour nourrir des milliards de citoyens du tiers-monde (…). Si cela devait se faire, mais sans programmes effectifs de planning familial dans ces pays (…), le résultat serait précisément le dilemme de Malthus, c’est-à-dire une augmentation de la population proportionnelle à l’augmentation de la nourriture disponible. Jared Diamond
Le 17 octobre 1989, un séisme de magnitude 7.0 dans la région de San Francisco a provoqué la mort de 63 personnes. Cette semaine, le même tremblement de terre dans la capitale haïtienne fait entre 45.000 et 50.000 victimes. Ce n’est pas une catastrophe naturelle, mais une tragédie de la pauvreté. C’est tout un système de corruption, d’immeubles construits sans respect d’aucune règles et de terribles services publics. (…) Pourquoi Haïti est-il si pauvre ? Eh bien, l’ile a une histoire d’oppression, d’esclavage et de colonialisme. Mais la Barbade aussi, et la Barbade se débrouille pas mal. Haïti a supporté des dictateurs impitoyables, la corruption et les invasions étrangères. Mais la République Dominicaine aussi, et elle est dans une forme bien meilleure. Haïti et la République dominicaine partagent la même île et le même environnement de base, pourtant la frontière entre les deux sociétés présente l’un des plus grands contrastes de la planète – avec des arbres et le progrès d’un côté et le déboisement, la pauvreté et la mort précoce de l’autre. David Brooks

Et si la tragédie haïtienne était aussi celle de la culture de l’excuse?

A l’heure où, avec l’indéniable urgence de la situation, le monde rivalise de générosité et de bons sentiments face à la dernière catastrophe en date de la République d’Haïti (jusqu’au Congo et au Sénégal!) …

Comment ne pas s’étonner du peu d’intérêt que semble susciter, dans nos médias (blogosphère exceptée) comme dans les têtes de nos dirigeants, ce véritable cas d’école que constitue l’incroyable décalage de développement (de 1 à 7 en PIB par habitant et de 149e à 90e au classement UNDP) entre ce pays et son frère jumeau de la République dominicaine avec laquelle elle partage la même ile et dont elle prit son indépendance en 1844?

Surtout que l’exemple a déjà été étudié dans un chapitre du récent bestseller du « mentor écologiste de M. Sarkozy » (dixit Le Monde diplomatique), le biogéographe et militant écologiste d’UCLA Jared Diamond (« Effondrement. Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie », 2006).

Qui, au-delà de sa perspective clairement environnementalisante (tout dépend de la population et de la surexploitation écologique), a le mérite, contre l’habituelle culture de l’excuse qui sert généralement de réflexion sur le Tiers-Monde, de poser la question de la part de responsabilité des populations elles-mêmes à leur sort.

Montrant ainsi dans une approche qui rappelle l’idée d’effet de sentier des économistes (en gros, les choix passés déterminent nos choix présents) comment une partie occidentale (Haïti) délaissée au départ par les Espagnols pour raisons « environnementales » (moins d’espace et de surface cultivable, moindre pluviosité: les montagnes et les fleuves sont de l’autre côté) a pu devenir ensuite, avec l’importation massive d’esclaves par la France (7 fois plus), la « perle des Antilles ».

Mais aussi plus tard après l’indépendance, avec la surpopulation (à peu près la même population pour 1,7 fois moins de superficie – Gaza avec les 10 000 ONG mais sans l’islam et les bombes!) et la déforestation (à la fois par la population paupérisée et les exportations françaises) qui en ont résulté comme les restrictions (inscrites dans la Constitution de 1804) à l’immigration et aux investissements européens, la véritable catastrophe économique qui a permis aujourd’hui, comme le rappelle également l’éditorialiste du NYT David Brooks (merci James), que le même degré de magnitude fasse une soixantaine de morts à San Francisco en octobre 1989 et 50 000 il y a une semaine à Haiti

The Underlying Tragedy
David Brooks
The New York Times
January 15, 2010

On Oct. 17, 1989, a major earthquake with a magnitude of 7.0 struck the Bay Area in Northern California. Sixty-three people were killed. This week, a major earthquake, also measuring a magnitude of 7.0, struck near Port-au-Prince, Haiti. The Red Cross estimates that between 45,000 and 50,000 people have died.

This is not a natural disaster story. This is a poverty story. It’s a story about poorly constructed buildings, bad infrastructure and terrible public services. On Thursday, President Obama told the people of Haiti: “You will not be forsaken; you will not be forgotten.” If he is going to remain faithful to that vow then he is going to have to use this tragedy as an occasion to rethink our approach to global poverty. He’s going to have to acknowledge a few difficult truths.

The first of those truths is that we don’t know how to use aid to reduce poverty. Over the past few decades, the world has spent trillions of dollars to generate growth in the developing world. The countries that have not received much aid, like China, have seen tremendous growth and tremendous poverty reductions. The countries that have received aid, like Haiti, have not.

In the recent anthology “What Works in Development?,” a group of economists try to sort out what we’ve learned. The picture is grim. There are no policy levers that consistently correlate to increased growth. There is nearly zero correlation between how a developing economy does one decade and how it does the next. There is no consistently proven way to reduce corruption. Even improving governing institutions doesn’t seem to produce the expected results.

The chastened tone of these essays is captured by the economist Abhijit Banerjee: “It is not clear to us that the best way to get growth is to do growth policy of any form. Perhaps making growth happen is ultimately beyond our control.”

The second hard truth is that micro-aid is vital but insufficient. Given the failures of macrodevelopment, aid organizations often focus on microprojects. More than 10,000 organizations perform missions of this sort in Haiti. By some estimates, Haiti has more nongovernmental organizations per capita than any other place on earth. They are doing the Lord’s work, especially these days, but even a blizzard of these efforts does not seem to add up to comprehensive change.

Third, it is time to put the thorny issue of culture at the center of efforts to tackle global poverty. Why is Haiti so poor? Well, it has a history of oppression, slavery and colonialism. But so does Barbados, and Barbados is doing pretty well. Haiti has endured ruthless dictators, corruption and foreign invasions. But so has the Dominican Republic, and the D.R. is in much better shape. Haiti and the Dominican Republic share the same island and the same basic environment, yet the border between the two societies offers one of the starkest contrasts on earth — with trees and progress on one side, and deforestation and poverty and early death on the other.

As Lawrence E. Harrison explained in his book “The Central Liberal Truth,” Haiti, like most of the world’s poorest nations, suffers from a complex web of progress-resistant cultural influences. There is the influence of the voodoo religion, which spreads the message that life is capricious and planning futile. There are high levels of social mistrust. Responsibility is often not internalized. Child-rearing practices often involve neglect in the early years and harsh retribution when kids hit 9 or 10.

We’re all supposed to politely respect each other’s cultures. But some cultures are more progress-resistant than others, and a horrible tragedy was just exacerbated by one of them.

Fourth, it’s time to promote locally led paternalism. In this country, we first tried to tackle poverty by throwing money at it, just as we did abroad. Then we tried microcommunity efforts, just as we did abroad. But the programs that really work involve intrusive paternalism.

These programs, like the Harlem Children’s Zone and the No Excuses schools, are led by people who figure they don’t understand all the factors that have contributed to poverty, but they don’t care. They are going to replace parts of the local culture with a highly demanding, highly intensive culture of achievement — involving everything from new child-rearing practices to stricter schools to better job performance.

It’s time to take that approach abroad, too. It’s time to find self-confident local leaders who will create No Excuses countercultures in places like Haiti, surrounding people — maybe just in a neighborhood or a school — with middle-class assumptions, an achievement ethos and tough, measurable demands.

The late political scientist Samuel P. Huntington used to acknowledge that cultural change is hard, but cultures do change after major traumas. This earthquake is certainly a trauma. The only question is whether the outside world continues with the same old, same old.

Voir aussi:

Haiti and the Dominican Republic: One Island, Two Worlds

Jared Diamond
The Globalist
January 20, 2010

Haiti and the Dominican Republic may share one island but their histories unfolded quite differently. In “Collapse,” this week’s Globalist Bookshelf selection, Jared Diamond gives insight into the vast economic, political and ecological differences between these two Caribbean countries.

Why did the political, economic and ecological histories of these two countries — the Dominican Republic and Haiti — sharing the same island unfold so differently?

Compared to the Dominican Republic, the area of flat land good for intensive agriculture is much smaller.

Part of the answer involves environmental differences. The island of Hispaniola’s rains come mainly from the east. Hence the Dominican (eastern) part of the island receives more rain and thus supports higher rates of plant growth.

Hispaniola’s highest mountains (over 10,000 feet high) are on the Dominican side, and the rivers from those high mountains mainly flow eastwards into the Dominican side.

The Dominican side has broad valleys, plains and plateaus and much thicker soils. In particular, the Cibao Valley in the north is one of the richest agricultural areas in the world.

Environmental differences

In contrast, the Haitian side is drier because of that barrier of high mountains blocking rains from the east.

Compared to the Dominican Republic, the area of flat land good for intensive agriculture in Haiti is much smaller, as a higher percentage of Haiti’s area is mountainous. There is more limestone terrain, and the soils are thinner and less fertile and have a lower capacity for recovery.

Social and political differences

Note the paradox: The Haitian side of the island was less well endowed environmentally but developed a rich agricultural economy before the Dominican side. The explanation of this paradox is that Haiti’s burst of agricultural wealth came at the expense of its environmental capital of forests and soils.

Haiti’s elite identified strongly with France rather than with their own landscape and sought mainly to extract wealth from the peasants.

This lesson is, in effect, that an impressive-looking bank account may conceal a negative cash flow.

While those environmental differences did contribute to the different economic trajectories of the two countries, a larger part of the explanation involved social and political differences — of which there were many that eventually penalized the Haitian economy relative to the Dominican economy.

In that sense, the differing developments of the two countries were over-determined. Numerous separate factors coincided in tipping the result in the same direction.

French help

One of those social and political differences involved the accident that Haiti was a colony of rich France and became the most valuable colony in France’s overseas empire. The Dominican Republic was a colony of Spain, which by the late 1500s was neglecting Hispaniola and was in economic and political decline itself.

Hence, France was able to invest in developing intensive slave-based plantation agriculture in Haiti, which the Spanish could not or chose not to develop in their side of the island. France imported far more slaves into its colony than did Spain.

A difference in population

As a result, Haiti had a population seven times higher than its neighbor during colonial times — and it still has a somewhat larger population today, about ten million versus 8.8 million.

Haiti’s poverty forced its people to remain dependent on forest-derived charcoal from fuel, thereby accelerating the destruction of its last remaining forests.

But Haiti’s area is only slightly more than half of that of the Dominican Republic. As a result, Haiti, with a larger population and smaller area, has double the Republic’s population density.

The combination of that higher population density and lower rainfall was the main factor behind the more rapid deforestation and loss of soil fertility on the Haitian side.

In addition, all of those French ships that brought slaves to Haiti returned to Europe with cargos of Haitian timber, so that Haiti’s lowlands and mid- mountain slopes had been largely stripped of timber by the mid-19th century.

Long-term investing

A second social and political factor is that the Dominican Republic — with its Spanish-speaking population of predominantly European ancestry — was both more receptive and more attractive to European immigrants and investors than was Haiti, with its Creole-speaking population composed overwhelmingly of black former slaves.

Hence, European immigration and investment were negligible and restricted by the constitution in Haiti after 1804 but eventually became important in the Dominican Republic.

Using the land

Those Dominican immigrants included many middle-class businesspeople and skilled professionals who contributed to the country’s development.

Haiti’s burst of agricultural wealth came at the expense of its environmental capital of forests and soils.

The people of the Dominican Republic even chose to resume their status as a Spanish colony from 1812 to 1821, and its president chose to make his country a protectorate of Spain from 1861 to 1865.

Still another social difference contributing to the different economies is that, as a legacy of their country’s slave history and slave revolt, most Haitians owned their own land, used it to feed themselves and received no help from their government in developing cash crops for trade with overseas European countries.

The Dominican Republic, however, eventually did develop an export economy and overseas trade.

Deforestation

Haiti’s elite identified strongly with France rather than with their own landscape, did not acquire land or develop commercial agriculture and sought mainly to extract wealth from the peasants.

Finally, Haiti’s problems of deforestation and poverty compared to those of the Dominican Republic have become compounded within the last 40 years.

Burned by biofuel

Because the Dominican Republic retained much forest cover and began to industrialize, the Trujillo regime initially planned, and the regimes of Balaguer and subsequent presidents constructed, dams to generate hydroelectric power. Balaguer launched a crash program to spare forest use for fuel by instead importing propane and liquefied natural gas.

But Haiti’s poverty forced its people to remain dependent on forest-derived charcoal from fuel, thereby accelerating the destruction of its last remaining forests.

From the book « Collapse: How Societies Choose to Fail or Succeed » by Jared Diamond, Copyright © 2005. Reprinted by arrangement with Viking, a member of the Penguin Group.

Voir enfin:

Hérodote a lu
Claude Bataillon
Hérodote
2006

Jared DIAMOND, Effondrement, comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, Gallimard, coll. « NRF Essais », Paris, 2006,648 p.

1

Glissons cette note de lecture sur la globalité du monde, dans ce numéro sur l’Amérique latine, pour souligner que les civilisations modernes du continent américain ont dans leur ensemble des relations particulièrement brutales avec leur environnement, même si l’Australie est pire à ce sujet. Faisons l’effort de recommander au lecteur ce très gros livre plutôt mal composé et parfois irritant, parce qu’il contient divers chapitres passionnants sur des sujets fondamentaux pour le géographe.

2

Nous avions jugé favorablement ici même, du même auteur, De l’inégalité parmi les sociétés, essai sur l’homme et l’environnement dans l’histoire (Gallimard, Paris, 2000). Maintenant il veut nous montrer non plus la naissance des différenciations entre les sociétés selon leur écologie, mais la mort (ou le risque de mort) de certaines d’entre elles, toujours selon la gestion de leur potentiel naturel. Dans le livre antérieur, l’auteur parlait presque exclusivement de situations du passé et surtout d’un passé préhistorique, où son apport était rarement contestable, fondé sur une connaissance très large des techniques pratiquées par les archéologues [1]. Il évoque maintenant bien plus de situations contemporaines, pour lesquelles la dimension de la « société » qu’il nous décrit importe infiniment plus : des isolats de diverses tailles ont existé dans le passé, et plus ils étaient petits, plus il est pertinent de comprendre les « chances » ou les « risques » que leurs membres ont connus. De nos jours, les acteurs sociaux qui décident de l’usage des « ressources naturelles » ne sont jamais exclusivement locaux.

3

L’auteur, dans ce nouvel ouvrage, est irritant, parce que son texte, issu directement d’un cours, est peu équilibré dans ses multiples études de cas, car un souci de convaincre l’étudiant qui écoute le cours le conduit à utiliser plusieurs fois ses exemples ou ses arguments en des développements redondants. En outre, les deux traducteurs ont fait un travail très inégal. Certes, le vocabulaire d’un tel livre est très étendu, touchant à toutes les techniques, mais on dépasse souvent [2] le seuil de négligence tolérable chez un grand éditeur, qui s’est contenté de la notoriété de l’auteur, sans lire ni l’original anglais ni la traduction française.

4

Venons-en au corps des chapitres qui composent ce livre. On commence par une longue analyse de l’État du Montana, aux États-Unis, traité depuis l’époque précolombienne, même si le cadre politicoadministratif choisi ne devient pertinent que tard dans le XIX e siècle. Malgré cela, le jeu des acteurs au XX e siècle est très intéressant :pour comprendre précisément qu’au Montana règne une démocratie de propriétaires fonciers qui débat des problèmes de ressources naturelles, esquive les décisions, ou les prend par surprise, sans prendre en compte le long terme. On sait par ailleurs qu’au Montana une grosse minorité des terres ne sont pas privées : l’auteur oublie de nous dire quels acteurs extérieurs décident de l’usage et de la préservation des terres fédérales, des réserves indiennes, etc.

5

Le livre passe ensuite en revue des cas de sociétés isolées dans le passé, pour nous en faire comprendre la mort. L’explication récurrente est celle de l’épuisement progressif de ressources (végétation, animaux, sols), sans que les sociétés ne modifient leur mode de gestion de ces ressources limitées. L’auteur est convaincant pour des sociétés de petites tailles (Île de Pâques, Pitcairn, Henderson) et pour des milieux particulièrement fragiles (des États-Unis). Sa démonstration est moins sûre pour les sociétés mayas (des millions d’habitants sur des centaines de milliers de km2 ), où il a du mal à prouver que l’alimentation des villes n’était possible que depuis quelques dizaines de kilomètres : si elle venait de bien plus loin, la crise écologique était recouverte par une crise sociale due à un monde hautement inégalitaire, ce qu’il laisse au second plan.

6

Vient ensuite son analyse des sociétés vikings et particulièrement de celle du Groenland. Ici, outre des sources archéologiques, l’auteur dispose de documents historiques. Pour lui – et il est convaincant –, ces groupes ont été victimes, dans un milieu où le froid s’accentuait, d’un « refus » des adaptations possibles : métissage avec les Inuits ou au moins adoption de leurs techniques de chasse et de leur alimentation.

7

Puis vient une description des « bonnes gestions » de milieux sur le temps long, et en conséquence de la préservation jusqu’à nos jours de sociétés qui en particulier préservent leurs forêts au lieu de les détruire : gestion locale décentralisée en Nouvelle-Guinée, ou au contraire politique forestière rigoureuse de l’État japonais… que l’auteur assimile globalement à celle qu’il attribue à l’Allemagne dès le XVI e siècle. C’est une simplification évidente, d’autant que pour lui le reste de l’Europe aurait « adopté » globalement au XVIII e siècle la politique allemande de préservation des forêts : la diversité des modes de gestion de ces forêts mériterait plus de détails.

8

Des sociétés contemporaines confrontées à la fragilité de leurs milieux sont ensuite présentées : pour le Rwanda, les relations qu’il établit entre la « surpopulation » du pays et la catastrophe sociale vécue là-bas sont imprécises. De même, la comparaison entre République dominicaine et Haïti n’insiste guère sur le rôle dans cette dernière de l’occupation sans titres par les pauvres des pentes fragiles, sans contrôle politico-administratif. Quand l’auteur passe à de vastes ensembles, le traitement « en soi » des risques écologiques est plus malaisé encore : pour la Chine, rien de bien spécifique en comparaison des États-Unis ou de l’Europe, sauf la brutalité des transformations modernisatrices sans les freins conservateurs que peut représenter un régime démocratique. Et c’est finalement avec les exemples de la démocratie australienne qu’il nous montre comment les sociétés urbaines tendent à faire monter le prix des sols ruraux et à en confier in fine la gestion à des responsables locaux qui représentent essentiellement les riches retraités possesseurs des résidences secondaires. Ces acteurs tendent soit à stimuler l’usage imprudent et spéculatif des sols, soit à freiner tout usage non récréatif de ceux-ci : ce mécanisme vaut pour les États-Unis comme pour l’Europe et sa mise en lumière est essentielle.

9

Fort original, le chapitre sur le comportement « écologique » des grandes firmes d’industries extractives inclut dans celles-ci la grande pêche et le bois, pour montrer comment elles peuvent être « moralisées » par les politiques de certification des filières « propres », sous la pression des associations de consommateurs. Pour l’auteur, le risque d’exploitation imprudente de la ressource est plus fort sur le territoire public (et donc en mer) que sur les territoires privés. Et ceci faute de contrôle réel par la puissance publique. Il nous montre comment les extractions de métaux autres que le fer sont particulièrement brutales (et ici le Montana est exemplaire…), parce que les mentalités de Far West y sont accentuées par la part élevée d’incertitude sur les rendements et sur la durée d’exploitation. Curieusement, le problème de la gestion des déchets radioactifs des centrales électriques, qu’on attendrait ici, n’est même pas abordé : peut-être comparativement un problème mineur aux États-Unis ? L’extraction du gaz et du pétrole, voire celle du charbon, peuvent techniquement être beaucoup moins destructrices de l’environnement, d’autant mieux que les entreprises peuvent en général prévoir leurs prospections et leurs extractions sur de longues périodes. Les exemples pétroliers pris en Nouvelle-Guinée montrent le contraste entre des entreprises publiques, peu précautionneuses parce qu’aucun contrôle extérieur ne les contraint, et leurs homologues privées, qui se méfient des campagnes d’opinion qui pourraient leur nuire. Au total, un livre très utile par sa description détaillée des techniques de recherche en écologie du passé comme par ses vues très larges, à base d’exemples multiples, pour l’analyse des risques de destruction des ressources naturelles.
Notes

[1]

Dans son nouveau livre, il nous explique aussi les techniques d’analyse des paléo-milieux (dendrochronologie, mais aussi analyse des dépotoirs, excréments, ossements, etc.).

[2]

Appeler « stockage » ce qui est charge de bétail sur un pâturage, ou « cheptel » le seul bétail bovin, ou pire encore traduire parfois royalties par « royautés » et non par « redevances »…

Voir enfin :

Hérodote a lu
Claude Bataillon
Hérodote
2006

Jared DIAMOND, Effondrement, comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, Gallimard, coll. « NRF Essais », Paris, 2006,648 p.
1

Glissons cette note de lecture sur la globalité du monde, dans ce numéro sur l’Amérique latine, pour souligner que les civilisations modernes du continent américain ont dans leur ensemble des relations particulièrement brutales avec leur environnement, même si l’Australie est pire à ce sujet. Faisons l’effort de recommander au lecteur ce très gros livre plutôt mal composé et parfois irritant, parce qu’il contient divers chapitres passionnants sur des sujets fondamentaux pour le géographe.
2

Nous avions jugé favorablement ici même, du même auteur, De l’inégalité parmi les sociétés, essai sur l’homme et l’environnement dans l’histoire (Gallimard, Paris, 2000). Maintenant il veut nous montrer non plus la naissance des différenciations entre les sociétés selon leur écologie, mais la mort (ou le risque de mort) de certaines d’entre elles, toujours selon la gestion de leur potentiel naturel. Dans le livre antérieur, l’auteur parlait presque exclusivement de situations du passé et surtout d’un passé préhistorique, où son apport était rarement contestable, fondé sur une connaissance très large des techniques pratiquées par les archéologues [1]. Il évoque maintenant bien plus de situations contemporaines, pour lesquelles la dimension de la « société » qu’il nous décrit importe infiniment plus : des isolats de diverses tailles ont existé dans le passé, et plus ils étaient petits, plus il est pertinent de comprendre les « chances » ou les « risques » que leurs membres ont connus. De nos jours, les acteurs sociaux qui décident de l’usage des « ressources naturelles » ne sont jamais exclusivement locaux.
3

L’auteur, dans ce nouvel ouvrage, est irritant, parce que son texte, issu directement d’un cours, est peu équilibré dans ses multiples études de cas, car un souci de convaincre l’étudiant qui écoute le cours le conduit à utiliser plusieurs fois ses exemples ou ses arguments en des développements redondants. En outre, les deux traducteurs ont fait un travail très inégal. Certes, le vocabulaire d’un tel livre est très étendu, touchant à toutes les techniques, mais on dépasse souvent [2] le seuil de négligence tolérable chez un grand éditeur, qui s’est contenté de la notoriété de l’auteur, sans lire ni l’original anglais ni la traduction française.
4

Venons-en au corps des chapitres qui composent ce livre. On commence par une longue analyse de l’État du Montana, aux États-Unis, traité depuis l’époque précolombienne, même si le cadre politicoadministratif choisi ne devient pertinent que tard dans le XIX e siècle. Malgré cela, le jeu des acteurs au XX e siècle est très intéressant :pour comprendre précisément qu’au Montana règne une démocratie de propriétaires fonciers qui débat des problèmes de ressources naturelles, esquive les décisions, ou les prend par surprise, sans prendre en compte le long terme. On sait par ailleurs qu’au Montana une grosse minorité des terres ne sont pas privées : l’auteur oublie de nous dire quels acteurs extérieurs décident de l’usage et de la préservation des terres fédérales, des réserves indiennes, etc.
5

Le livre passe ensuite en revue des cas de sociétés isolées dans le passé, pour nous en faire comprendre la mort. L’explication récurrente est celle de l’épuisement progressif de ressources (végétation, animaux, sols), sans que les sociétés ne modifient leur mode de gestion de ces ressources limitées. L’auteur est convaincant pour des sociétés de petites tailles (Île de Pâques, Pitcairn, Henderson) et pour des milieux particulièrement fragiles (des États-Unis). Sa démonstration est moins sûre pour les sociétés mayas (des millions d’habitants sur des centaines de milliers de km2 ), où il a du mal à prouver que l’alimentation des villes n’était possible que depuis quelques dizaines de kilomètres : si elle venait de bien plus loin, la crise écologique était recouverte par une crise sociale due à un monde hautement inégalitaire, ce qu’il laisse au second plan.
6

Vient ensuite son analyse des sociétés vikings et particulièrement de celle du Groenland. Ici, outre des sources archéologiques, l’auteur dispose de documents historiques. Pour lui – et il est convaincant –, ces groupes ont été victimes, dans un milieu où le froid s’accentuait, d’un « refus » des adaptations possibles : métissage avec les Inuits ou au moins adoption de leurs techniques de chasse et de leur alimentation.
7

Puis vient une description des « bonnes gestions » de milieux sur le temps long, et en conséquence de la préservation jusqu’à nos jours de sociétés qui en particulier préservent leurs forêts au lieu de les détruire : gestion locale décentralisée en Nouvelle-Guinée, ou au contraire politique forestière rigoureuse de l’État japonais… que l’auteur assimile globalement à celle qu’il attribue à l’Allemagne dès le XVIe siècle. C’est une simplification évidente, d’autant que pour lui le reste de l’Europe aurait « adopté » globalement au XVIIIe siècle la politique allemande de préservation des forêts : la diversité des modes de gestion de ces forêts mériterait plus de détails.
8

Des sociétés contemporaines confrontées à la fragilité de leurs milieux sont ensuite présentées : pour le Rwanda, les relations qu’il établit entre la « surpopulation » du pays et la catastrophe sociale vécue là-bas sont imprécises. De même, la comparaison entre République dominicaine et Haïti n’insiste guère sur le rôle dans cette dernière de l’occupation sans titres par les pauvres des pentes fragiles, sans contrôle politico-administratif. Quand l’auteur passe à de vastes ensembles, le traitement « en soi » des risques écologiques est plus malaisé encore : pour la Chine, rien de bien spécifique en comparaison des États-Unis ou de l’Europe, sauf la brutalité des transformations modernisatrices sans les freins conservateurs que peut représenter un régime démocratique. Et c’est finalement avec les exemples de la démocratie australienne qu’il nous montre comment les sociétés urbaines tendent à faire monter le prix des sols ruraux et à en confier in fine la gestion à des responsables locaux qui représentent essentiellement les riches retraités possesseurs des résidences secondaires. Ces acteurs tendent soit à stimuler l’usage imprudent et spéculatif des sols, soit à freiner tout usage non récréatif de ceux-ci : ce mécanisme vaut pour les États-Unis comme pour l’Europe et sa mise en lumière est essentielle.

9

Fort original, le chapitre sur le comportement « écologique » des grandes firmes d’industries extractives inclut dans celles-ci la grande pêche et le bois, pour montrer comment elles peuvent être « moralisées » par les politiques de certification des filières « propres », sous la pression des associations de consommateurs. Pour l’auteur, le risque d’exploitation imprudente de la ressource est plus fort sur le territoire public (et donc en mer) que sur les territoires privés. Et ceci faute de contrôle réel par la puissance publique. Il nous montre comment les extractions de métaux autres que le fer sont particulièrement brutales (et ici le Montana est exemplaire…), parce que les mentalités de Far West y sont accentuées par la part élevée d’incertitude sur les rendements et sur la durée d’exploitation. Curieusement, le problème de la gestion des déchets radioactifs des centrales électriques, qu’on attendrait ici, n’est même pas abordé : peut-être comparativement un problème mineur aux États-Unis ? L’extraction du gaz et du pétrole, voire celle du charbon, peuvent techniquement être beaucoup moins destructrices de l’environnement, d’autant mieux que les entreprises peuvent en général prévoir leurs prospections et leurs extractions sur de longues périodes. Les exemples pétroliers pris en Nouvelle-Guinée montrent le contraste entre des entreprises publiques, peu précautionneuses parce qu’aucun contrôle extérieur ne les contraint, et leurs homologues privées, qui se méfient des campagnes d’opinion qui pourraient leur nuire. Au total, un livre très utile par sa description détaillée des techniques de recherche en écologie du passé comme par ses vues très larges, à base d’exemples multiples, pour l’analyse des risques de destruction des ressources naturelles.

Notes

[1]

Dans son nouveau livre, il nous explique aussi les techniques d’analyse des paléo-milieux (dendrochronologie, mais aussi analyse des dépotoirs, excréments, ossements, etc.).

[2]

Appeler « stockage » ce qui est charge de bétail sur un pâturage, ou « cheptel » le seul bétail bovin, ou pire encore traduire parfois royalties par « royautés » et non par « redevances »…


Obamania: Ni fleurs ni couronnes (It’s the lying, stupid!)

20 janvier, 2010
Presidential honeymoons
Les gens ont cru qu’il marcherait sur l’eau, comme le Christ, mais ce n’est qu’un homme, il n’est que président. La déception est à la hauteur des attentes. Helen Thomas (doyenne des correspondants de la Maison-Blanche)
Finalement, ce qui compte, ce n’est pas la personnalité mais l’ordre du jour. Dans un pays où la politique se joue entre les lignes des 40 yards, Obama a voulu passer en force jusqu’à la ligne des 30. Et le peuple américain – désorganisé et sans leader mais néanmoins inquiet et mobilisé – l’a arrêté net juste à gauche du centre du terrain. (…) Son élection n’était pas une acceptation du modèle de démocratie sociale à l’européenne. Charles Krauthammer

L’Obamania serait-elle enfin morte et enterrée?

En ce premier anniversaire de l’investiture d’un président qui pulvérise les records de brièveté d’état de grâce (10 mois contre 37 pour son prédécesseur abhorré – seuls Ford et Clinton avaient fait mieux et Reagan aussi bien) …

Sanctionné tant par des sondages en chute libre que la perte inattendue, après plus d’un demi-siècle et les récents revers du New Jersey et de la Virginie, du fief démocrate du siège de sénateur de Ted Kennedy au Massachussets …

Avec, au-delà de la perte pour son parti de la majorité qualifiée au Sénat, la perspective, à dix mois des élections de mi-mandat, de la déroute finale de sa réforme du système de couverture médicale …

Fin de la polarisation et transparence de la vie politique, départ d’Irak et fermeture de Guantanamo, bondieuseries du discours du Caire, …

Retour, avec l’analyste Victor Davis Hanson et contre nos thuriféraires des médias qui ont vite fait de mettre ça sur le dos de la crise, de la supposée « versatilité » des électeurs ou bien sûr de l’habituel épouvantail Bush (voire… du racisme!), sur la série de mensonges et de contre-vérités qui expliquent, au fur et à mesure que passent les unes après les autres les nouvelles dates-butoir pour les promesses non tenues, pour une bonne part ce dur retour à la réalité …

“Let Me Be Perfectly Not Clear” and “Make Lots of Mistakes About It”
Victor Davis Hanson
Pajamas Media
January 19, 2010

It’s the Lying, Stupid?

“Lie” is a rather harsh word; the noun and its verb form leave little to context or extenuating circumstances. So I use it sparingly.

But I know no other word for President Obama’s long string of “misstatements,” especially the blatant ones about closing Guantanamo within a year of his inauguration or serially declaring that he would insist on healthcare debate airing live on C-SPAN.

How odd that the liberal block is quiet that once coined “Bush lied, thousands died” (even when the CIA and Defense intelligence was accepted by both parties and in sync with what the Arab world and Europe were insisting upon [recall the charge of a supposed naïve Bush taking us to war against a nut who would gas our troops marshalling in Kuwait.]). In any case, not telling the truth has a lot to do with sinking polls.

So I don’t quite buy the liberal lament that the people will support Obama when the economy improves.

It was roaring in 2005-6, and still Bush was unpopular — given the violence in Iraq and the administration’s inability to articulate our objectives there. And even when Iraq was winding down in 2008, polls still showed persistent American anger at the media narrative of a botched Katrina, the insurgency in Iraq, and a “jobless recovery.”

No, the American people are losing confidence in Team Obama because quite simply they are tiring of being lied to, and treated like children in need of Ivy-League Platonic guardians.

Yes, they intrinsically liked Obama and put away for a time their suspicions that he had not come clean on his real ideological intentions, his radical leftist past, his intimate association with the creepy Rev. Wright, and his partisanship that had made him the most liberal senator in the Congress.

Let Us Count the Ways

But almost immediately, Obama, again, in Platonic fashion, began to say things that could not possibly be true. Remember the categories.

1) The bait and switch lies. Here, we, the eager voters, were told that there are no more bad blue/red state dichotomies. We are a purple America. Instead, we immediately witnessed the demonization of the supposed “rich” (I say supposed, because the Buffet/Gates/Turner plutocrat is exempt), who are not “patriotic,” do not wish to “spread the wealth,” and must “pay their fair share.” Almost immediately Obama’s Bush became America’s Emanuel Goldstein — an Orwellian figure constructed to unify the people around an evil predecessor incapable of a single positive act — whether keeping us safe for over seven years from another 9/11-like attack, freeing 50 million from the Taliban and Saddam, or generating enormous national wealth from 2002-08.

Some deluded voters in November, 2008, went for Obama on promises of a new kinder, gentler politics. They got instead the most partisan, nasty Chicago politicking in memory.

2) The “noble” lies. These are untruths aimed at the common good. In Cairo, we were told Muslims did all sorts of wonderful things in the past like invented printing and sparked the Renaissance and Enlightenment. Why not fabricate and exaggerate when the intentions are global ecumenicalism?

Remember the new tactic of assessing job losses by “jobs saved”? And why not, since we wish to bolster our spirits and believe that our borrowing was not wasted on pork-barrel insanities, rather than “investments” that created “millions of green jobs” that otherwise would not have existed?

And we must believe that health care reform as envisioned by the Obama massive state assumption of private insured care will save “trillions in waste and fraud.” Believe that, and at last the dream of “universal healthcare” is obtainable.

Remember the phrase “using all our resources” during the high energy prices of the 2008 campaign? Obama then was a centrist who would drill, develop nuclear, look for more gas, burn coal — all to tide us over as we waited for the dream of Van Jones. That too was a noble lie, necessary for we fools to cling to, while the anointed fashioned a “green” cap-and-trade future for us, whose efficacy we could not quite yet fathom.

3) Tactical Lies. Then there are the tactical lies to achieve the desired ends in “that was then/this is now” fashion. Turn to Orwell’s Animal Farm for the right landscape. Healthcare debate on C-SPAN/healthcare debate behind congressional doors. Taxes on Cadillac health plans were an inane McCain idea/taxes on Cadillac health plans are a way to eliminate waste and fraud; stupid, clueless Bush was pushing unpopular Social Security reform that 65% of the people didn’t want/wise, hip Obama is pushing noble healthcare reform that 65% of the people don’t want. The list is endless and started in 2007 with public campaign financing as good for dark horse candidates/public campaign financing as bad for front-runner cash cows.

Apparently two or three “let me be perfectly clear”s and 3-4 “make no mistake about it”s — when prefaced to something like “no more lobbyists in government” or “posting legislation well in advance on the internet” — make it all so.

4) The Deadline Lies. Remember those? You’ve seen that sort of “if you don’t, then you….” in the supermarket when the poor harried mom has the three-year-old kid screaming and kicking on the aisle floor, and screams back as she blocks shoppers, “If you yell one more time, I’m going to spank you!” — as he screams and kicks all the louder.

Guantanamo shut by January 21, 2010? Iran in non-proliferation compliance by the U.N. summit or the G-20 meetings or the October face-to-face negotiations or the first of the new year? Remember healthcare done by the summer break? By Thanksgiving? By Christmas or else? By the first of the year?

I used to have a relative of sorts who came around the ranch and wanted $500. I gave it to him once and he’d return sheepishly every three months, and promise, “This spring I am going to pay you back.” “This summer I’ll paint your barn.” “Before the first rain, I’ll fix that tin roof on the shed.” Finally, I forgot I ever gave him the money, and now only vaguely recall how silly I was. So too, we forget the promises, so frequent and impossible they now seem.

The list could be expanded exponentially and already, reader, you are screaming even as you read this, “But Victor, you didn’t list the worst of all, the lie about (fill in the blanks)…”

The Catalysts for Such Prevarications?

1) Habit. Obama could more or less say anything in mellifluous tones, and the media would become enraptured. This ability to charm by sounding honey-tongued while saying nothing started perhaps in the Ivy-League and has never ceased. Some habitual liars persist since they are never caught or even admonished. Obama is never called to account (cf. Robert Gibbs’s angry reaction to the blasphemy when asked about the C-SPAN fantasies). The most transparent administration in history hasn’t had a news conference since mid-summer, even amid the toadies (Note to media: photo-ops and interviews are not press conferences). The media and Obama have an unspoken pact that goes something like the following: “We both are educated elites who know best for the Neanderthals. So from time to time I will have to lie to you to get our shared aspirations realized; and I accept from time to time, you will have to play act as critics to cling to some sort of legitimacy that is likewise necessary for our joint aspirations.” (And then we’ll both have a beer together afterwords.)

2) Morality. All philosopher-kings believe that the ends justify the means. To make us loving, caring equals — with no rich, no poor — we must sometimes adopt the Chicago politics that we insist we abhor. A Tony Rezko is bad, but a Tony Rezko is temporarily necessary to get the sort of hope and change we’ve been waiting for.

3) Squaring Circles. You can reconcile thinking that the U.S. is culpable for its race/class/gender felonious past, and globe-trotting the world on a presidential luxury jet with the red, white , and blue plastered all over it — the logical manifestation of a uniquely meritocratic, capitalist, and free-enterprise economy. One cannot damn insider, influence-peddling, private-jet flying Wall Street bankers, corrupt insurers, and “the rich,” and then hire the same, frequent the same, and aspire to be the same. Class warfare is hard when your own profile is the logical target. And so one is bound to change the story as hypocrisy begins to cramp.

4) Personal Confusion. Read both Obama memoirs (is that the right word for these auto-hagiographies?), and it becomes clear that he is still confused who he is. Barry Soetoro? Barry Dunham? Barack Dunham? Barack Obama? Barry Obama? Prep school upper-middle class in Hawaii or impoverished minority in need of affirmative action? African or African-American or plain old American suburbanite? Harvard Law Review and Chicago Law lecturer or unpublished wannabe legal professor? Harry Reid’s unaccented “Negro” dialect or Harry Reid’s ability to turn it on only as needed? Racial healer who wows the suburbanite and NY-DC insider clique, or angry racialist who throws out “stupidly,” the clingers speech, “typical white person” and brags about not missing a Rev. Wright sermon to the Chicago Sun-Times? When one is confused about who one is, one creates alternate narratives and personas — and, yes, often they will clash.

The economy might just be in what we heard once (wrongly, in fact, in 2004) categorized as a “jobless recovery.” And, yes, the people have roared that they don’t want the remedies of statist healthcare, mega-deficits, higher taxes, more government, green boondoggles, apologetics abroad, blanket amnesty, and more lunatic appointments like Van Jones and Anita Dunn.

But what is taking Obama down below 50% approval is mostly a public awareness that they elected a deeply cynical man, who either cannot or will not speak the truth or keep his promises (note the Nixonian resonance in “perfectly clear about…”). In fact, it is worse than that — in the postmodern world of Barack Obama there is no truth per se, just competing narratives privileged by the relative degree of power behind them and the relative perceived moral intent involved.

So when the advocates of hope and change, of non-traditional America, of the poor and the needy and the more noble, say something, it must be true because, you see, it should be true.

Voir aussi:

One year out: President Obama’s fall
Charles Krauthammer
The Washigton Post
January 15, 2010

What went wrong? A year ago, he was king of the world. Now President Obama’s approval rating, according to CBS, has dropped to 46 percent — and his disapproval rating is the highest ever recorded by Gallup at the beginning of an (elected) president’s second year.

A year ago, he was leader of a liberal ascendancy that would last 40 years (James Carville). A year ago, conservatism was dead (Sam Tanenhaus). Now the race to fill Ted Kennedy’s Senate seat in bluest of blue Massachusetts is surprisingly close, with a virtually unknown state senator bursting on the scene by turning the election into a mini-referendum on Obama and his agenda, most particularly health-care reform.

A year ago, Obama was the most charismatic politician on Earth. Today the thrill is gone, the doubts growing — even among erstwhile believers.

Liberals try to attribute Obama’s political decline to matters of style. He’s too cool, detached, uninvolved. He’s not tough, angry or aggressive enough with opponents. He’s contracted out too much of his agenda to Congress.

These stylistic and tactical complaints may be true, but they miss the major point: The reason for today’s vast discontent, presaged by spontaneous national Tea Party opposition, is not that Obama is too cool or compliant but that he’s too left.

It’s not about style; it’s about substance. About which Obama has been admirably candid. This out-of-nowhere, least-known of presidents dropped the veil most dramatically in the single most important political event of 2009, his Feb. 24 first address to Congress. With remarkable political honesty and courage, Obama unveiled the most radical (in American terms) ideological agenda since the New Deal: the fundamental restructuring of three pillars of American society — health care, education and energy.

Then began the descent — when, more amazingly still, Obama devoted himself to turning these statist visions into legislative reality. First energy, with cap-and-trade, an unprecedented federal intrusion into American industry and commerce. It got through the House, with its Democratic majority and Supreme Soviet-style rules. But it will never get out of the Senate.

Then, the keystone: a health-care revolution in which the federal government will regulate in crushing detail one-sixth of the U.S. economy. By essentially abolishing medical underwriting (actuarially based risk assessment) and replacing it with government fiat, Obamacare turns the health insurance companies into utilities, their every significant move dictated by government regulators. The public option was a sideshow. As many on the right have long been arguing, and as the more astute on the left (such as The New Yorker’s James Surowiecki) understand, Obamacare is government health care by proxy, single-payer through a facade of nominally « private » insurers.

At first, health-care reform was sustained politically by Obama’s own popularity. But then gravity took hold, and Obamacare’s profound unpopularity dragged him down with it. After 29 speeches and a fortune in squandered political capital, it still will not sell.

The health-care drive is the most important reason Obama has sunk to 46 percent. But this reflects something larger. In the end, what matters is not the persona but the agenda. In a country where politics is fought between the 40-yard lines, Obama has insisted on pushing hard for the 30. And the American people — disorganized and unled but nonetheless agitated and mobilized — have put up a stout defense somewhere just left of midfield.

Ideas matter. Legislative proposals matter. Slick campaigns and dazzling speeches can work for a while, but the magic always wears off.

It’s inherently risky for any charismatic politician to legislate. To act is to choose and to choose is to disappoint the expectations of many who had poured their hopes into the empty vessel — of which candidate Obama was the greatest representative in recent American political history.

Obama did not just act, however. He acted ideologically. To his credit, Obama didn’t just come to Washington to be someone. Like Reagan, he came to Washington to do something — to introduce a powerful social democratic stream into America’s deeply and historically individualist polity.

Perhaps Obama thought he’d been sent to the White House to do just that. If so, he vastly over-read his mandate. His own electoral success — twinned with handy victories and large majorities in both houses of Congress — was a referendum on his predecessor’s governance and the post-Lehman financial collapse. It was not an endorsement of European-style social democracy.

Hence the resistance. Hence the fall. The system may not always work, but it does take its revenge.

Voir enfin:

Obama’s Approval Rating Dips to New Low
Kevin Hechtkopf
CBS
January 11, 2010

President Obama’s job approval rating has fallen to 46 percent, according to a new CBS News poll.

That rating is Mr. Obama’s lowest yet in CBS News polling, and the poll marks the first time his approval rating has fallen below the 50 percent mark. Forty-one percent now say they disapprove of Mr. Obama’s performance as president.

In last month’s CBS News poll, 50 percent of Americans approved of how the president was handling his job, while thirty-nine percent disapproved.

Analysis: The Irony Behind Obama’s Poll Numbers

Mr. Obama still receives strong support from Democrats (eight in ten approve of his performance), but his approval rating among Republicans is only 13 percent. More importantly, Mr. Obama’s approval rating among independents has declined 10 points in recent months – and it now stands at just 42 percent.

Domestic issues – and not his response to terrorist threats – appear to be driving the president’s approval rating downward.

Just 41 percent now approve of his handling of the economy, which Americans say is the nation’s most pressing issue. Forty-seven percent disapprove. The president’s marks on handling health care, with reforms still under debate in Congress, are even lower – just 36 percent approve, while 54 percent disapprove. Both of these approval ratings are the lowest of Mr. Obama’s presidency.

Meanwhile, both parties in Congress receive even lower marks than the president on handling health care. Few Americans think the reforms in Congress hit the right note on expanding coverage, lowering costs and regulating the health insurance industry. (Read more on the health care poll results)

The president receives slightly higher ratings for his handling of the war in Afghanistan and the threat of terrorism than on domestic issues. Forty-six percent approve of Mr. Obama’s handling of Afghanistan, and 52 percent approve of how he is handling the threat of terrorism.

While some Republicans have criticized the president and Secretary of Homeland Security Janet Napolitano’s responses to the attempted Christmas Day terror attack, most Americans don’t share their opinion.

In the poll, 57 percent of Americans approve of the way the Obama administration has responded to the attempted attack, and 29 percent disapprove. Views are highly partisan – 75 percent of Democrats approve, while just 41 percent of Republicans and 55 percent of independents do.

More Findings from the Poll:

• Fear of another terrorist attack has increased since the attempted attack on a Northwest Airlines flight from Amsterdam on Christmas Day. Now, 26 percent think another attack on the United States within the next few months is very likely, up from 12 percent just before the latest incident. This is the highest percentage that has felt an attack was very likely since March 2003, just after the U.S. invasion of Iraq.

• While most Americans (56 percent) have at least a fair amount of confidence that the government will protect its citizens from future attacks, just 15 percent are very confident. In the aftermath of the 9/11 attacks, more expressed confidence.

• Few Americans – just 19 percent – think U.S. intelligence agencies are doing all they could to monitor the actions of suspected terrorists. Seventy-six think they could be doing more.

• Most Americans support conducting full body scans on travelers using a digital x-ray machine, a device some airports are now using. Seventy-four percent agree these machines should be used because they provide a detailed check for hidden weapons and explosives and reduce the need for physical searches. Just 20 percent think these machines should not be used because they would produce an image of a passenger’s naked body and are an invasion of privacy.

• Over half of Americans think the U.S. should continue to keep the Guantanamo Bay prison open. Thirty-two percent think it ought to be closed and the prisoners there transferred somewhere else.

• The American public continues to volunteer the economy and jobs as the most important problem facing the country (44 percent), with health care a distant second (14 percent). In the wake of the attempted terror attack on Christmas Day, the percentage that cites terrorism as the most pressing issue has risen to seven percent from zero percent early last month.

• The public’s overall assessment of the condition of the national economy remains grim – 82 percent of Americans say the economy is in bad shape. Looking ahead, 31 percent of Americans think the economy is getting better, while 19 percent think it is getting worse. Forty-nine percent now say the economy is staying the same.

Voir aussi:
One year out: President Obama’s fall
Charles Krauthammer
The Washigton Post
January 15, 2010

What went wrong? A year ago, he was king of the world. Now President Obama’s approval rating, according to CBS, has dropped to 46 percent — and his disapproval rating is the highest ever recorded by Gallup at the beginning of an (elected) president’s second year.

A year ago, he was leader of a liberal ascendancy that would last 40 years (James Carville). A year ago, conservatism was dead (Sam Tanenhaus). Now the race to fill Ted Kennedy’s Senate seat in bluest of blue Massachusetts is surprisingly close, with a virtually unknown state senator bursting on the scene by turning the election into a mini-referendum on Obama and his agenda, most particularly health-care reform.

A year ago, Obama was the most charismatic politician on Earth. Today the thrill is gone, the doubts growing — even among erstwhile believers.

Liberals try to attribute Obama’s political decline to matters of style. He’s too cool, detached, uninvolved. He’s not tough, angry or aggressive enough with opponents. He’s contracted out too much of his agenda to Congress.

These stylistic and tactical complaints may be true, but they miss the major point: The reason for today’s vast discontent, presaged by spontaneous national Tea Party opposition, is not that Obama is too cool or compliant but that he’s too left.

It’s not about style; it’s about substance. About which Obama has been admirably candid. This out-of-nowhere, least-known of presidents dropped the veil most dramatically in the single most important political event of 2009, his Feb. 24 first address to Congress. With remarkable political honesty and courage, Obama unveiled the most radical (in American terms) ideological agenda since the New Deal: the fundamental restructuring of three pillars of American society — health care, education and energy.

Then began the descent — when, more amazingly still, Obama devoted himself to turning these statist visions into legislative reality. First energy, with cap-and-trade, an unprecedented federal intrusion into American industry and commerce. It got through the House, with its Democratic majority and Supreme Soviet-style rules. But it will never get out of the Senate.

Then, the keystone: a health-care revolution in which the federal government will regulate in crushing detail one-sixth of the U.S. economy. By essentially abolishing medical underwriting (actuarially based risk assessment) and replacing it with government fiat, Obamacare turns the health insurance companies into utilities, their every significant move dictated by government regulators. The public option was a sideshow. As many on the right have long been arguing, and as the more astute on the left (such as The New Yorker’s James Surowiecki) understand, Obamacare is government health care by proxy, single-payer through a facade of nominally « private » insurers.

At first, health-care reform was sustained politically by Obama’s own popularity. But then gravity took hold, and Obamacare’s profound unpopularity dragged him down with it. After 29 speeches and a fortune in squandered political capital, it still will not sell.

The health-care drive is the most important reason Obama has sunk to 46 percent. But this reflects something larger. In the end, what matters is not the persona but the agenda. In a country where politics is fought between the 40-yard lines, Obama has insisted on pushing hard for the 30. And the American people — disorganized and unled but nonetheless agitated and mobilized — have put up a stout defense somewhere just left of midfield.

Ideas matter. Legislative proposals matter. Slick campaigns and dazzling speeches can work for a while, but the magic always wears off.

It’s inherently risky for any charismatic politician to legislate. To act is to choose and to choose is to disappoint the expectations of many who had poured their hopes into the empty vessel — of which candidate Obama was the greatest representative in recent American political history.

Obama did not just act, however. He acted ideologically. To his credit, Obama didn’t just come to Washington to be someone. Like Reagan, he came to Washington to do something — to introduce a powerful social democratic stream into America’s deeply and historically individualist polity.

Perhaps Obama thought he’d been sent to the White House to do just that. If so, he vastly over-read his mandate. His own electoral success — twinned with handy victories and large majorities in both houses of Congress — was a referendum on his predecessor’s governance and the post-Lehman financial collapse. It was not an endorsement of European-style social democracy.

Hence the resistance. Hence the fall. The system may not always work, but it does take its revenge.


Israël: Un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur (A new tech boom but also a new vulnerability)

19 janvier, 2010
Start up nation
Hitler-Wittgenstein school pic
Le salut vient des Juifs. Jésus (Jean 4:22)
On pouvait se demander, en effet, et on se demandait même chez beaucoup de Juifs, si l’implantation de cette communauté sur des terres qui avaient été acquises dans des conditions plus ou moins justifiables et au milieu des peuples arabes qui lui étaient foncièrement hostiles, n’allait pas entraîner d’incessants, d’interminables, frictions et conflits. Certains même redoutaient que les Juifs, jusqu’alors dispersés, mais qui étaient restés ce qu’ils avaient été de tous temps, c’est-à-dire un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur, n’en viennent, une fois rassemblés dans le site de leur ancienne grandeur, à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu’ils formaient depuis dix-neuf siècles. De Gaulle (conférence de presse du 27 novembre 1967)
Certains trouvent encore intolérable d’admettre que le peuple juif se soit trouvé, à trois reprises, plus ou moins volontairement, un élément essentiel au patrimoine de l’humanité: le monothéisme, le marché et les lieux saints. Car il n’est pas faux de dire, même si c’est schématique, que les juifs ont été mis en situation d’avoir à prêter aux deux autres monothéismes, et à les partager avec eux, leur dieu, leur argent et leurs lieux saints. Et comme la meilleure façon de ne pas rembourser un créancier, c’est de le diaboliser et de l’éliminer, ceux qui, dans le christianisme et l’islam, n’acceptent toujours pas cette dette à l’égard du judaïsme, se sont, à intervalles réguliers, acharnés à le détruire, attendant pour recommencer que le souvenir de l’élimination précédente se soit estompé. Jacques Attali

Dur dur, d’être toujours le 1er de la classe! (surtout quand on est dans une classe de cancres!)

54% des champions du monde d’échecs et 27% des lauréats des Nobel de physique pour 0,2% de la population mondiale, 21% des étudiants des meilleures universités du pays et 51% des lauréats des prix Pulitzer en «nonfiction» pour 2% de la population américaine, plus de start-ups technologiques par tête que n’importe quel autre pays, deuxième derrière les Etats-Unis pour le nombre de compagnies listées sur le Nasdaq, autant Israël, avec sept millions d’habitants, de capital risque que la France et l’Allemagne réunis …

A lire dans le NYT (et sur Slate.fr), au risque de voir confirmer le fameux jugement de De Gaulle de 1967, la reprise de l’éditorialiste David Brooks du dernier livre de Steven Pease (« The Golden Age of Jewish Achievement”) et de celui de Senor et Singer dont nous avions parlé précédemment .

Qui montre la nouvelle et formidable avance technologique qu’Israël est en train de prendre sur ses voisins et leurs milliards de pétrodollars (77 brevets aux EU pour les Saudis de 1980 à 2000 contre 7,652 pour les Israéliens !).

Mais aussi, pendant que les Palestiniens s’enlisent dans leurs petits jeux pyrotechniques, la nouvelle vulnérabilité que cela implique.

Cette nouvelle classe d’innovateurs pouvant à tout moment, ce qu’ont (contrairement à nos belles âmes occidentales) bien compris les mollahs, repartir si on leur fait assez peur pour les silicon valleys américaines où ils ont souvent gardé non seulement des contacts mais des résidences secondaires …

Israël, le nouveau dragon
LU SUR LE NEW YORK TIMES
Slate.fr
18 January 2010

Les Juifs ne représentent que 0,2% de la population mondiale, mais 54% des champions du monde d’échecs, 27% des lauréats des Nobel de physique. Ils sont 2% de la population américaine mais 21% des étudiants des meilleures universités du pays, 51% des lauréats des prix Pulitzer en «nonfiction».

David Brooks, éditorialiste du New York Times, commente le livre [3]: «L’âge d’or de la réussite des Juifs», dans lequel l’auteur, Steven L. Pease, liste quelques explications possibles d’une telle réussite: le fait que le judaïsme soit basé sur la connaissance plus que sur les rites, sur une croyance dans le progrès et la responsabilité personnelle…

«Ce qui est étrange, c’est qu’Israël n’a pas été, traditionnellement, le meilleur là où les Juifs de la diaspora l’étaient. Au lieu d’exceller dans la recherche et le commerce, les Israéliens ont été contraints de dédier leur énergie au combat et à la politique.»

Mais cela est en train de changer souligne Brooks. Avec les réformes économiques de Netanyahou, l’arrivée de millions de Russes en Israël, le processus de paix au point mort, un changement historique a eu lieu. Les Israéliens les plus débrouillards se reconvertissent dans la technologie et le commerce—pas la politique. Ce qui a eu un impact négatif sur la vie publique du pays, mais positif sur son économie.

La ville de Tel Aviv est devenue l’une des places les plus actives dans le monde en terme d’innovation. Israël a désormais plus de start-ups technologiques par tête que n’importe quel autre pays, et de loin. Il se place deuxième derrière les Etats-Unis pour le nombre de compagnies listées sur le Nasdaq. Israël, avec sept millions d’habitants, attire autant de capital risque que la France et l’Allemagne réunis.

Le succès technologique d’Israël est le fruit du rêve sioniste selon Brooks. «Le pays n’a pas été fondé pour que quelques colons isolés se retrouvent au milieu de Palestiniens en colère à Hébron. Il a été fondé pour que les Juifs puissent vivre en lieu sûr et créer, inventer, pour le reste du monde.»

Ce changement historique pourrait, pour certains, faire d’Israël le Hong Kong du Moyen-Orient et enrichir toute la région; pour d’autres cela pourrait creuser encore davantage l’écart de richesse entre Israël et ses voisins. En outre, ces nouveaux entrepreneurs sont une ressource fragile: beaucoup ont des contacts permanents voire des domiciles aux Etats-Unis. Il suffirait que l’Iran fasse peser trop lourdement la menace nucléaire pour qu’ils s’exilent.

[Lire l’article complet sur le Nytimes [3]]

The Tel Aviv Cluster
David Brooks
The New York Times
January 12, 2010

Jews are a famously accomplished group. They make up 0.2 percent of the world population, but 54 percent of the world chess champions, 27 percent of the Nobel physics laureates and 31 percent of the medicine laureates.

Jews make up 2 percent of the U.S. population, but 21 percent of the Ivy League student bodies, 26 percent of the Kennedy Center honorees, 37 percent of the Academy Award-winning directors, 38 percent of those on a recent Business Week list of leading philanthropists, 51 percent of the Pulitzer Prize winners for nonfiction.

In his book, “The Golden Age of Jewish Achievement,” Steven L. Pease lists some of the explanations people have given for this record of achievement. The Jewish faith encourages a belief in progress and personal accountability. It is learning-based, not rite-based.

Most Jews gave up or were forced to give up farming in the Middle Ages; their descendants have been living off of their wits ever since. They have often migrated, with a migrant’s ambition and drive. They have congregated around global crossroads and have benefited from the creative tension endemic in such places.

No single explanation can account for the record of Jewish achievement. The odd thing is that Israel has not traditionally been strongest where the Jews in the Diaspora were strongest. Instead of research and commerce, Israelis were forced to devote their energies to fighting and politics.

Milton Friedman used to joke that Israel disproved every Jewish stereotype. People used to think Jews were good cooks, good economic managers and bad soldiers; Israel proved them wrong.

But that has changed. Benjamin Netanyahu’s economic reforms, the arrival of a million Russian immigrants and the stagnation of the peace process have produced a historic shift. The most resourceful Israelis are going into technology and commerce, not politics. This has had a desultory effect on the nation’s public life, but an invigorating one on its economy.

Tel Aviv has become one of the world’s foremost entrepreneurial hot spots. Israel has more high-tech start-ups per capita than any other nation on earth, by far. It leads the world in civilian research-and-development spending per capita. It ranks second behind the U.S. in the number of companies listed on the Nasdaq. Israel, with seven million people, attracts as much venture capital as France and Germany combined.

As Dan Senor and Saul Singer write in “Start-Up Nation: The Story of Israel’s Economic Miracle,” Israel now has a classic innovation cluster, a place where tech obsessives work in close proximity and feed off each other’s ideas.

Because of the strength of the economy, Israel has weathered the global recession reasonably well. The government did not have to bail out its banks or set off an explosion in short-term spending. Instead, it used the crisis to solidify the economy’s long-term future by investing in research and development and infrastructure, raising some consumption taxes, promising to cut other taxes in the medium to long term. Analysts at Barclays write that Israel is “the strongest recovery story” in Europe, the Middle East and Africa.

Israel’s technological success is the fruition of the Zionist dream. The country was not founded so stray settlers could sit among thousands of angry Palestinians in Hebron. It was founded so Jews would have a safe place to come together and create things for the world.

This shift in the Israeli identity has long-term implications. Netanyahu preaches the optimistic view: that Israel will become the Hong Kong of the Middle East, with economic benefits spilling over into the Arab world. And, in fact, there are strands of evidence to support that view in places like the West Bank and Jordan.

But it’s more likely that Israel’s economic leap forward will widen the gap between it and its neighbors. All the countries in the region talk about encouraging innovation. Some oil-rich states spend billions trying to build science centers. But places like Silicon Valley and Tel Aviv are created by a confluence of cultural forces, not money. The surrounding nations do not have the tradition of free intellectual exchange and technical creativity.

For example, between 1980 and 2000, Egyptians registered 77 patents in the U.S. Saudis registered 171. Israelis registered 7,652.

The tech boom also creates a new vulnerability. As Jeffrey Goldberg of The Atlantic has argued, these innovators are the most mobile people on earth. To destroy Israel’s economy, Iran doesn’t actually have to lob a nuclear weapon into the country. It just has to foment enough instability so the entrepreneurs decide they had better move to Palo Alto, where many of them already have contacts and homes. American Jews used to keep a foothold in Israel in case things got bad here. Now Israelis keep a foothold in the U.S.

During a decade of grim foreboding, Israel has become an astonishing success story, but also a highly mobile one.


Identité nationale: Les pierres crieront (Old stones bring out France’s long-suppressed Jewish roots)

18 janvier, 2010
The very rocks will cry outS’ils se taisent, les pierres crieront! Jésus (Luc 19 : 40)
Si l’expulsion de 1306 a pu faire l’objet d’une très discrète mention au titre de commémoration nationale en 2006, la présence juive dans la France médiévale est presque absente des synthèses historiques sur le Moyen Age. Du « Petit Lavisse » aux manuels scolaires des années 1980, le judaïsme médiéval n’appartient pas au « roman national », comme l’a montré l’historienne Suzanne Citron. (…) Les découvertes récentes signalent donc, comme par effraction, que les « archives du sol » recèlent les traces d’une histoire ignorée. La connaissance de la présence juive y gagne en profondeur : chaque site exhumé témoigne d’une terre où, au Moyen Age, les juifs ont vécu, produit, reçu, pensé, échangé mais aussi été persécutés et chassés. Laurence Sigal-Klagsbald et Paul Salmona

Rue aux juifs, rue de la juiverie, rue de la synagogue, chemins aux juifs, pas aux juifs, prés aux juifs, champs aux juifs, herbages aux juifs ou aux juives, nécropoles antiques, cimetières médiévaux, synagogues, bains rituels, écoles talmudiques, juiveries, carrières, calls …

A l’heure où nos postmodernes voudraient réduire la France à « un agrégat de peuples » ou, reniant alternativement nos racines judéo-chrétiennes, nous en imposer de musulmanes avec les minarets et les burqas qui vont avec …

Pendant que continuent à brûler, comme encore en Crète ces derniers jours, synagogues et livres rares …

Et que certaines de nos chères têtes blondes se mettent à refuser, avec le sport-piscine, de visiter nos églises …

Retour du refoulé, avec cette tribune dans Le Monde de l’historienne du judaïsme Laurence Sigal-Klagsbald et de l’archéologue Paul Salmona, sur l’étrange amnésie de notre historiographie nationale pour le judaïsme médiéval.

Qui, après les édits d’expulsion, bannissements, spoliations, autodafés et persécutions du passé, semble continuer à faire l’impasse sur un véritable trésor de manuscrits comme de brillants commentateurs et en fait de témoignages uniques de notre culture et de l’évolution notre langue.

Et ce au point où ce sont les pierres elles-mêmes, ces véritables « archives du sol que sont tant les noms de rues ou de lieux que les vestiges longtemps enfouis sous la terre qui se voient (parfois contre la volonté de certains religieux eux-mêmes) à présent chargées de crier cette histoire ignorée …

Les juifs en France, une présence oubliée

Laurence Sigal-Klagsbald et Paul Salmona
Le Monde
16.01.10

Nécropoles antiques, cimetières médiévaux, synagogues, bains rituels, écoles talmudiques, juiveries, carrières en Provence, calls en Catalogne : l’essor de l’archéologie préventive au cours des vingt dernières années a révélé une myriade de vestiges qui rappellent que des communautés juives vécurent en Europe de l’Antiquité jusqu’au Moyen Age.

Ces découvertes font émerger la réalité de communautés connues à travers la littérature rabbinique mais dont ne subsistait la trace que dans de rares monuments et dans des noms de lieux : on recense ainsi, dans des centaines de communes, des « rues aux juifs », « de la juiverie » ou « de la synagogue », mais aussi des chemins, pas, prés, champs, herbages « aux juifs » ou « aux juives », remontant à l’époque médiévale. Sur notre territoire, ces communautés, qui purent compter jusqu’à 100 000 habitants à la fin du XIIIe siècle, ont presque toutes disparu à la fin du Moyen Age en raison des édits d’expulsion dont le premier – pris par Philippe Auguste en 1182 – inaugure la sinistre litanie des bannissements des juifs d’Europe occidentale.

Un jeu de rappels moyennant finances, et d’expulsions accompagnées de la spoliation des biens et des terres, se poursuivra avec les décrets pris par Philippe le Bel en 1306, Philippe V en 1322 et Charles VI en 1394. De Provence, les juifs ne seront chassés qu’en 1501, tandis qu’ils demeureront sous la protection des papes dans le Comtat Venaissin, et que des communautés de « nouveaux chrétiens », d’origine hispano-portugaise, renaîtront à Bayonne et à Bordeaux au XVIe siècle.

Ces découvertes « contribuent à recomposer un passé plus complexe, échappant à la réécriture strictement chrétienne (…) des sociétés médiévales européennes », comme le notent les archéologues Astrid Huser et Claude de Mecquenem. Et si l’expulsion de 1306 a pu faire l’objet d’une très discrète mention au titre de commémoration nationale en 2006, la présence juive dans la France médiévale est presque absente des synthèses historiques sur le Moyen Age. Du « Petit Lavisse » aux manuels scolaires des années 1980, le judaïsme médiéval n’appartient pas au « roman national », comme l’a montré l’historienne Suzanne Citron.

Et au-delà de l’historiographie scolaire, rares sont les ouvrages généraux sur l’histoire de France qui abordent ces persécutions en dehors des lapidaires chronologies de fin de volume. Il en va de même pour les synthèses d’histoire de l’art et les grandes expositions, qui font l’impasse sur les manuscrits juifs médiévaux français, admirables par l’originalité de la calligraphie et la singularité du rapport de l’image au texte.

Un corps étranger

Il en est également ainsi des sommes d’histoire culturelle qui ignorent, par exemple, le nom de Rachi, le maître champenois dont les commentaires monumentaux sur la Bible et le Talmud constituent, dès son vivant et jusqu’à aujourd’hui, l’accès le plus indispensable à la compréhension de ces textes. Sa méthode l’a conduit à insérer dans l’hébreu de ses commentaires des traductions en langue romane des termes rares ou difficiles à une époque où la langue des lettrés chrétiens reste le latin. Rachi rassemble ainsi un thésaurus de cinq mille mots qui constitue le premier témoignage de l’ancien français. Omettrait-on Bernard de Clairvaux et Pierre Abélard, ses (presque) contemporains, ou Chrétien de Troyes dans nos synthèses historiques ?

Dans un raisonnement circulaire qui prévaut encore aujourd’hui en dehors des études juives, les juifs du Moyen Age n’appartiennent pas à la communauté nationale et n’ont pas leur place dans l’histoire de France. Les représentations conventionnelles font d’eux un corps étranger, un Autre dont l’exclusion est un fait « normal », donc inexorable. L’absence de référence au judaïsme dans l’histoire médiévale entérine l’idée fausse que les juifs n’auraient pas existé en France avant la fin du XVIIIe siècle ou que leur contribution à la société médiévale serait dérisoire.

On peut s’étonner de l’amnésie durable qui frappe l’historiographie française. L’antijudaïsme chrétien dans la France médiévale serait-il d’une telle « évidence » qu’il ne mériterait pas d’être évoqué et que l’histoire contrastée, parfois catastrophique, des juifs sur notre territoire serait insignifiante ? Les exactions, massacres et expulsions ont eu raison des êtres. En 1242, le brûlement de monceaux de manuscrits du Talmud à Paris en place de Grève tenta d’en effacer l’esprit. Qui se souvient de Yéhiel de Paris qui avec ses pairs – Moïse de Coucy, Samuel dit Morel de Falaise et Juda Ben David de Melun – fut sommé à une disputation théologique par Louis IX (le « bon roi » Saint Louis), lequel ordonna la destruction par le feu du texte incriminé.

Les découvertes récentes signalent donc, comme par effraction, que les « archives du sol » recèlent les traces d’une histoire ignorée. La connaissance de la présence juive y gagne en profondeur : chaque site exhumé témoigne d’une terre où, au Moyen Age, les juifs ont vécu, produit, reçu, pensé, échangé mais aussi été persécutés et chassés. Il ne s’agit pas ici de stigmatiser les historiens, mais de montrer un déni collectif qui contribue à la persistance du fantasme d’une France historiquement chrétienne et homogène.

A l’instar des recherches archéologiques concernant le paléolithique, le néolithique ou l’Antiquité tardive, qui montrent que notre pays est le fruit de vagues de peuplement et d’acculturations successifs, chaque découverte de vestiges juifs vient réinscrire une réalité ancienne dans l’environnement d’aujourd’hui et, par là même, modifie nos représentations. L’archéologie provoque ainsi une forme de « retour du refoulé » et contribue à l’écriture d’une nouvelle histoire nationale.

Directrice du Musée d’art

et d’histoire du judaïsme à Paris

Directeur du développement culturel à l’Institut national

de recherches archéologiques préventives

Laurence Sigal-Klagsbald

Paul Salmona


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