Washington de notre correspondant

Un gros Saddam fait un pied de nez, tire la langue et postillonne abondamment. En dessous, serrés l’un contre l’autre sous un parapluie, un Français et un Allemand sourient béatement. Le Français (béret, moustache) : «Oo-la-la ! Zee weather ees très magnifique ! Non ?» L’Allemand (chapeau, cravate culotte de peau) : «Ja ! Bootiful, Mein Freund !» Paru dans le Miami Herald, l’un des grands quotidiens américains, ce dessin illustre la nouvelle bouffée de French bashing («bastonnade de Français»), qui s’est emparée des médias américains depuis une semaine. Avec, cette fois, une légère variante, l’Allemagne partageant le sort de l’Hexagone.

«Echec moral». Après la prise de position commune des deux pays («Rien ne justifie la guerre»), les esprits des conservateurs se sont échauffés. Pour désigner le couple européen, une expression, Axis of Weasel, fait florès ; Weasel désigne une belette, mais aussi, au sens figuré, un personnage sournois, une planche pourrie. Le New York Post en a fait sa manchette le 24 janvier.

Lors d’une conférence à l’American Enterprise Institute, Richard Perle, le très influent et très «faucon» président du Defense Policy Board, organisme consultatif auprès du Pentagone, l’a publiquement reprise à son compte. Selon lui, «l’axe des sournois» manifeste sa frustration de voir que «les Etats-Unis ont repris le leadership du monde». La France et l’Allemagne, ajoute Perle, affichent «leur incapacité à défendre les valeurs des démocraties libérales». Pour illustrer cet «échec moral», l’animateur de la conférence, le politologue Norman Ornstein, ajoute que Chirac n’éprouve aucune honte à recevoir le mois prochain le président du Zimbabwe Robert Mugabe. Dans la presse conservatrice, c’est un festival. Les Français, ces «singes capitulards mangeurs de fromages» (1), étaient munichois, ils ont violé l’embargo sur l’Irak, ont construit la centrale nucléaire d’Osirak et lorgnent les contrats pétroliers…

Récurrente, cette poussée antifrançaise est pourtant différente des précédentes. Car cette fois, la France a aussi des supporters aussi passionnés. «La semaine dernière, on a été débordés d’appels et d’e-mails. Pour un message d’insultes, il y avait trois messages d’encouragements. Des tas gens qui nous disaient : « Tenez bon ! »», assure un porte-parole de l’ambassade de France. La presse progressiste prend d’ailleurs la défense de l’Hexagone. «Ce n’est pas parce que les Français sont « pénibles » [en français dans le texte, ndlr] qu’ils ont toujours tort», écrivait, hier, Nicholas Kristof dans le NewYork Times, jugeant «puéril» de ne pas écouter leurs arguments. Le magazine de gauche The Nation a consacré sa une aux Français en essayant d’expliquer qu’ils étaient plus anti-Bush qu’antiaméricains (titre : «USA Oui ! Bush Non !»). Le magazine en ligne Slate tente d’élargir le débat : «Pourquoi nous haïssent-ils ?» Selon l’auteur de l’article, Chris Suellentrop, le problème de fond vient de la proximité entre les deux pays : «Comme les Etats-Unis, la France se voit comme une grande nation méritant la puissance, comme la terre de naissance de la démocratie, et considère que le monde serait avisé de copier son système culturel et politique.»

Nouvelle hypocrisie. De leurs côtés, les conservateurs ne voient dans le récent raidissement français qu’une nouvelle hypocrisie. Pour William Safire, qui rédigeait autrefois les discours de Nixon et qui tient aujourd’hui une chronique dans le New York Times, c’est le chancelier allemand, tenu par les Verts sur la question de la guerre, qui a fait basculer Paris. «Schröder a fait une offre que Chirac ne pouvait refuser : asseoir la domination franco-allemande sur les vingt-trois autres nations d’Europe continentale.» Selon lui, c’est donc seulement pour mieux sceller le changement du système de présidence de l’Union européenne que Chirac aurait accepté de s’aligner sur les positions allemandes. Richard Perle quant à lui, n’exclut pas que les Français lâchent les Allemands au dernier moment. Ce qui, selon lui, «ne serait pas la façon la plus glorieuse» de rejoindre la coalition….

(1) L’expression est tirée d’un épisode des Simpsons dans lequel le jardinier de l’école, Willie, devant faire un remplacement dans une classe de français, s’exclame : «Bonjour, you cheese-eatin’surrender-monkeys.»