
C’est un moment génial de l’histoire de France. Toute la communauté issue de l’immigration adhère complètement à la position de la France. Tout d’un coup, il y a une espèce de ferment. Profitons de cet espace de francitude nouvelle. Jean-Louis Borloo (ministre délégué à la Ville, avril 2003)
Après la prise de position commune des deux pays («Rien ne justifie la guerre»), les esprits des conservateurs se sont échauffés. Pour désigner le couple européen, une expression, Axis of Weasel, fait florès ; Weasel désigne une belette, mais aussi, au sens figuré, un personnage sournois, une planche pourrie. Le New York Post en a fait sa manchette le 24 janvier. Lors d’une conférence à l’American Enterprise Institute, Richard Perle, le très influent et très «faucon» président du Defense Policy Board, organisme consultatif auprès du Pentagone, l’a publiquement reprise à son compte. Selon lui, «l’axe des sournois» manifeste sa frustration de voir que «les Etats-Unis ont repris le leadership du monde». La France et l’Allemagne, ajoute Perle, affichent «leur incapacité à défendre les valeurs des démocraties libérales». Pour illustrer cet «échec moral», l’animateur de la conférence, le politologue Norman Ornstein, ajoute que Chirac n’éprouve aucune honte à recevoir le mois prochain le président du Zimbabwe Robert Mugabe. Dans la presse conservatrice, c’est un festival. Les Français, ces «singes capitulards mangeurs de fromages» (1), étaient munichois, ils ont violé l’embargo sur l’Irak, ont construit la centrale nucléaire d’Osirak et lorgnent les contrats pétroliers… Récurrente, cette poussée antifrançaise est pourtant différente des précédentes. Car cette fois, la France a aussi des supporters aussi passionnés. «La semaine dernière, on a été débordés d’appels et d’e-mails. Pour un message d’insultes, il y avait trois messages d’encouragements. Des tas gens qui nous disaient : « Tenez bon ! »», assure un porte-parole de l’ambassade de France. La presse progressiste prend d’ailleurs la défense de l’Hexagone. «Ce n’est pas parce que les Français sont « pénibles » [en français dans le texte, ndlr] qu’ils ont toujours tort», écrivait, hier, Nicholas Kristof dans le NewYork Times, jugeant «puéril» de ne pas écouter leurs arguments. Le magazine de gauche The Nation a consacré sa une aux Français en essayant d’expliquer qu’ils étaient plus anti-Bush qu’antiaméricains (titre : «USA Oui ! Bush Non !»). Le magazine en ligne Slate tente d’élargir le débat : «Pourquoi nous haïssent-ils ?» Selon l’auteur de l’article, Chris Suellentrop, le problème de fond vient de la proximité entre les deux pays : «Comme les Etats-Unis, la France se voit comme une grande nation méritant la puissance, comme la terre de naissance de la démocratie, et considère que le monde serait avisé de copier son système culturel et politique.» De leurs côtés, les conservateurs ne voient dans le récent raidissement français qu’une nouvelle hypocrisie. Pour William Safire, qui rédigeait autrefois les discours de Nixon et qui tient aujourd’hui une chronique dans le New York Times, c’est le chancelier allemand, tenu par les Verts sur la question de la guerre, qui a fait basculer Paris. «Schröder a fait une offre que Chirac ne pouvait refuser : asseoir la domination franco-allemande sur les vingt-trois autres nations d’Europe continentale.» Selon lui, c’est donc seulement pour mieux sceller le changement du système de présidence de l’Union européenne que Chirac aurait accepté de s’aligner sur les positions allemandes. Libération
En politique étrangère, la France a, en quelque sorte, chaussé les bottes de la défunte Union Soviétique : même politique d’obstruction à l’ONU, même démagogie tiers-mondiste, même alignement sur le monde arabe, même ambition de prendre la tête d’une coalition d’Etats « anti-impérialistes » dirigée contre Washington. La France a repris le vieux dessein eurasien de Primakov, consistant à créer un axe Paris-Berlin-Moscou-Pékin contre les Anglo-saxons, dessein auquel la Russie de Poutine a cessé de croire, mais qu’elle encourage à Paris car elle y voit un moyen d’améliorer ses positions dans ses négociations avec Washington. L’obsession anti-américaine fait que la France n’est guère regardante quant à la nature des régimes auxquels elle accorde son appui au nom de la multipolarité . Irak, Algérie, Zimbabwe, Soudan : en un mot, la France semble s’entendre mieux avec les Etats-voyous et les Etats ratés qu’avec les Etats dont elle partage la civilisation. Elle prétend défendre le droit international en s’appuyant sur des Etats qui ignorent tout du droit. L’analogie avec l’Union Soviétique va plus loin qu’il n’y paraît. En effet, la diplomatie française est moins inspirée par une Realpolitik cynique (d’où les échecs évoqués plus haut) que par une vision idéologique des choses. Son antiaméricanisme est la projection sur la scène internationale de son jacobinisme interne. La malsaine communion française dans l’anti-américanisme révèle le début de dérive totalitaire de notre pays, déjà perceptible au moment du deuxième tour des élections : Bush a remplacé Le Pen dans la fonction d’ennemi du peuple. L' »antibushisme » peut se comparer à l' »antifascisme » des années Trente et Quarante: il camoufle un consensus obligatoire de type communiste. Les dirigeants français, comme ceux de l’URSS brejnévienne, compensent par un ruineux activisme extérieur leur incapacité à lancer des réformes indispensables à l’intérieur, réformes impossibles car elles remettraient en cause les dogmes socialistes qui fondent l’étatisme français. Dans les deux cas, l’activisme extérieur accélère et accuse la crise interne. On a vu ce qu’il est advenu de l’URSS. En France, les indices d’une déliquescence de l’Etat se multiplient depuis deux ans, et l’affaire irakienne a servi de révélateur. Les dirigeants français ont cherché à justifier leur position sur la question irakienne en faisant valoir que la France refusait le « choc des civilisations » et favorisait, par conséquent, l’intégration des musulmans français. Certes, le président Chirac a été acclamé dans les banlieues. Mais l’antiaméricanisme officiel a favorisé la jonction explosive entre une mouvance trotskiste virulente, une mouvance islamiste, une mouvance anti-mondialiste et une mouvance tiers-mondiste. Ce cocktail vénéneux abreuve non seulement les jeunes des banlieues mais les lycéens et les étudiants, expédiés dans les manifestations pour la paix par leurs enseignants gauchistes, au nom de « l’engagement ». Dans ce sens, les orientations de la diplomatie française ne font que refléter la tiers-mondisation galopante de la France, à commencer par la tiers-mondisation des esprits. Le président Chirac défie Bush, mais capitule devant les banlieues. De manière révélatrice, Dominique de Villepin a déclaré devant le parlement que la mission française était de mettre en échec « le libéralisme anglo-saxon ». Comme la plupart de leurs interlocuteurs arabes, les dirigeants français estiment plus urgent de se dresser contre les Etats-Unis, même quand ils ont raison, que de mettre en chantier les réformes qui permettraient de sauver leur Etat de la faillite. Le plus grave dans tout ceci est que la passion anti-américaine a anesthésié les Français sur les conséquences de cette rupture délibérée avec le camp occidental. Conséquences déjà perceptibles dans les débordements des manifestations pour la paix, dans le fait que l’Etat français est de moins en moins capable d’assurer la sécurité des biens et des personnes, à commencer par celle de nos concitoyens juifs. La représentation, dans les médias, des premiers jours de la guerre en Irak, avec sa propagande souvent ouvertement pro-Saddam, a été proprement irresponsable, au point d’alarmer les responsables du ministère de l’Intérieur : selon l’un d’entre eux, « la médiatisation des cafouillages de la coalition en Irak nourrit, dans certains quartiers, une forme d’arrogance dont les policiers, sur le terrain, sont désormais les témoins… Il suffirait d’une étincelle pour que l’anti-américanisme dans les banlieues alimente des formes de violence incontrôlées » [Le Figaro du 3 avril 2003]. (…) La première explication du comportement de nos dirigeants est l’irresponsabilité – ils croient qu’ils n’auront de comptes à rendre à personne. Cette irresponsabilité est poussée si loin qu’ils semblent s’étonner des conséquences de leurs actes : ainsi, ils ne s’attendaient pas à la flambée de francophobie aux Etats-Unis, étant persuadés qu’ils pouvaient multiplier les provocations contre Washington sans risquer de rétorsions. L’habitude de l’impunité en politique intérieure a fini par engendrer une politique étrangère désastreuse, exactement comme pour la défunte URSS. Dans le cas français, il faut ajouter la futilité et la vanité, facteurs permanents de notre diplomatie. La deuxième explication de la politique chiraquienne tient à l’inquiétude de la classe politique devant l’échec de plus en plus patent de l' »intégration républicaine ». Au lieu de faire face au péril, on se réfugie dans la dénégation. On déclare que la France ne croit pas au « choc des civilisations », comme s’il suffisait de refuser le mot pour effacer la chose. Pour plus de sécurité on abolit jusqu’au concept de civilisation. C’est pourquoi on cherche à refouler à tout prix que la France partage la même civilisation que les Etats-Unis, en cultivant, à grande fanfare, nos relations avec la francophonie. C’est pourquoi aussi la droite française mène une politique de gauche, s’imaginant que le consensus obligatoire la mettra à l’abri du débordement des zones de non-droit. L’antiaméricanisme joue un rôle central dans ce dispositif. Notre politique étrangère exprime donc une sorte de capitulation préventive. La France prend l’initiative de rompre avec le camp occidental dans l’espoir d’éviter une épreuve de force avec sa jeunesse ensauvagée et fanatisée, après avoir failli au devoir de la civiliser. Cette couardise profonde est dissimulée derrière le panache brandi du petit pays qui s’oppose au grand. Le mythe d’Astérix camoufle une réalité nettement plus sordide. L’anti-américanisme rend possible cette imposture, et la continuation d’une politique qui risque de rendre notre mal sans remède, et d’y faire sombrer toute l’Europe. Françoise Thom
C’est la capitulation préventive, imbécile !
Toujours à l’approche du deuxième anniversaire du déclenchement de l’Opération Liberté pour l’Irak et au moment où un début de « printemps arabe » semble s’annoncer dans toute la région, nous revenons sur cette étrange période et cette étrange passion qui nous ont saisis tous ou presque …
Avec la volonté de revisiter et de faire (re)connaitre – en une manière d’hommage – les quelques rares textes et articles qui avaient alors tenté de résister à la pression majoritaire, à cette sorte d’hystérie tour à tour anti-américaine et anti-israélienne …
Et quel meilleur texte, pour ouvrir cette petite remontée dans le temps, que celui d’une … soviétologue ! Françoise Thom, qui dans une tribune du Figaro (découverte bien plus tard en fait sur le site upjf.org), avait pour moi brusquement redonné tout son sens au réalisme socialiste de cette vieille façade de la Mairie de Montreuil, comme soudain réveillé par cette banderole d’un autre âge.
Quelle meilleure analyse de cette subite soviétisation des esprits que celle qui décrit une France ayant « chaussé les bottes de la défunte Union Soviétique », aux prises à une « malsaine communion française dans l’anti-américanisme » et à un ‘antibushisme’ ayant repris la place de l’ « antifascisme des années 30 et 40 »? Implacable analyse qui n’a en effet pas pris une ride et prend même un an plus tard une étrange coloration… prophétique !
La capitulation préventive
Françoise Thom
Le Figaro
Le 6 mai 2003
La France est devenue le pays du consensus à outrance. Dans aucun domaine ce consensus n’est aussi visible que dans celui de la politique étrangère. Et pourtant, dans aucun domaine les choix des dirigeants français ne devraient être davantage soumis à un examen critique et à un débat, étant donné leurs implications et leurs conséquences probables sur l’évolution du pays et celle de l’Europe.
Malheureusement, ce débat n’est guère possible, car les Français sont quotidiennement soumis au tir continu d’une presse bétonnée par le gaullo-gauchisme. Ils sentent instinctivement les dangers auxquels les exposent les orientations imprimées à la diplomatie française par le duo Chirac-Villepin. Ils sont mal à l’aise devant les bouleversements récents de l’ordre international et l’évolution intérieure de la France, mais leurs élus, intimidés par la pensée unique distillée à longueur d’émissions et d’articles, ne se font que rarement l’écho de l’inquiétude sourde éprouvée par la France d’en bas.
Dans ce qui a été fait, rien n’est réparable. Mais ce n’est pas une raison pour persévérer dans la fuite en avant. La page de la crise irakienne se tourne. Le moment est venu de faire une pause et de dresser le bilan de notre action récente.
Pour juger une politique étrangère, il faut se poser deux questions. La première est de savoir si cette politique favorise la réalisation des objectifs qu’elle s’est fixés. La seconde consiste à se demander si ces objectifs correspondent à l’intérêt réel du pays.
L’objectif prioritaire de la diplomatie française est le containment inconditionnel des Etats-Unis
Quoi que ceux-ci entreprennent, la France juge indispensable de leur mettre des bâtons dans les roues. Nos néo-gaullistes estiment que la France retrouvera un rang digne d’elle sur la scène internationale si elle prend la tête de l’opposition à l' »hyperpuissance » américaine.
La France chiraquienne est européenne parce qu’elle conçoit l’Europe comme un pôle rival des Etats-Unis, et elle se voit sans peine en position hégémonique dans cette Europe anti-américaine.
La France chiraquienne défend l’ONU, autrefois traité de « machin » par le général de Gaulle, parce que son siège au Conseil de Sécurité lui semble un instrument privilégié dans ce containment des Etats-Unis , tout en lui conférant un poids dans la communauté internationale, auquel ni ses succès économiques, ni son rayonnement culturel ne l’autorisent plus aujourd’hui à prétendre.
Ainsi donc, les buts que s’est assignés la politique étrangère chiraquienne sont la lutte contre l’ unilatéralisme américain, la transformation de la PESC de déclaration d’intention en réalité institutionnelle, l’élévation de la France au rang de puissance écoutée sur la scène mondiale.
Or, sur tous ces objectifs, la France a obtenu des résultats opposés à ceux qu’elle poursuivait.
L’obstruction française aux Nations-Unies, la tournée faite dans quatorze capitales par le ministre des Affaires Etrangères français pour bloquer le recours à la force contre Saddam, s’ajoutant à des camouflets plus anciens, comme l’attribution de la présidence de la commission des Droits de l’homme à la Libye, ont encore accentué le penchant, déjà prononcé, de l’administration américaine pour l’ unilatéralisme . Plus que jamais, les Etats-Unis se désintéressent de l’ONU. Or, l’expérience passée montre que, sans la puissance américaine, l’ONU n’a qu’une existence formelle. L’attitude française a donc sabordé les Nations-Unies, dont Paris prétendait réaffirmer le rôle.
De même, les persévérants efforts français pour saboter l’OTAN semblent avoir porté leurs fruits après le refus franco-allemand d’une assistance militaire de l’alliance à la Turquie. Là encore, le comportement français n’a fait qu’accentuer la pente déjà prononcée de l’administration Bush vers l’unilatéralisme.
Voyons maintenant les fruits de la diplomatie chiraquienne en Europe.
A lire le compte-rendu des nombreux débats qui agitent la convention européenne, on a l’impression que l’unité des Européens ne se fait que sur un point: la nécessité de contenir les ambitions de la France.
Paris s’est bercé de l’illusion de la résurrection du couple franco-allemand. Il suffit de lire la presse allemande pour se rendre compte qu’outre-Rhin, on nous en veut beaucoup d’avoir exploité un moment difficile pour l’Allemagne, l’isolement dans lequel Berlin s’est trouvé après une campagne électorale faisant appel à l’anti-américanisme. L’Allemagne a pris peur devant les outrances françaises
« Personne ne sait au juste ce qui pousse Chirac à s’opposer à ce point aux Etats-Unis. Cela ne peut que nous inquiéter. C’est une situation effrayante », a récemment déclaré Michael Glos, un représentant de la CSU [Pour l’attitude allemande voir l’article de Thibaut de Champris dans Le Figaro du 28 mars 2003].
La France s’ingénie à persuader Washington qu’elle ne partage pas la vision française d’une Europe opposée aux Etats-Unis. Lorsque la CDU reviendra au pouvoir, la France paiera la note des concessions arrachées à l’automne dernier.
La renaissance du couple franco-allemand a également suscité de vives réticences dans les pays d’Europe centrale et orientale, candidats à l’élargissement, qui depuis le sommet de Nice, comptaient sur l’Allemagne pour contrebalancer les tendances hégémoniques de Paris : appréhensions encore aggravées par les grossières diatribes du président français, laissant entendre que l’admission à l’UE devait être payée par une totale soumission à la vision française d’une Europe anti-américaine.
Cet axe Paris-Berlin se complétant d’une entente avec Moscou, on comprend pourquoi les pays de l’ex-bloc communiste se demandent s’il vaut vraiment la peine d’entrer dans une Europe où tous les slogans de l’ère soviétique, lutte pour la paix ,lutte contre le sionisme , lutte anti-impérialiste, acquis sociaux, sont revenus en force.
La brouille avec Londres compromet le deuxième projet qui tient à coeur aux dirigeants français, la construction d’une armée européenne. Sans collaboration franco-anglaise il ne peut y avoir d’armée européenne digne de ce nom. Là encore, l’orientation anti-atlantiste prise par Paris a non seulement étouffé dans l’oeuf la tentative de mettre sur pied une défense européenne, mais elle a considérablement affaibli Tony Blair, le plus pro-européen des dirigeants britanniques. Rien ne sert mieux la cause des europhobes d’outre-Manche que la fracassante diplomatie française.
En un mot, où qu’elle se soit tournée, la France a obtenu l’inverse de ce qu’elle recherchait.
Elle voulait une Europe unie antiaméricaine, elle a réussi à diviser le continent plus gravement qu’il ne l’a jamais été.
Elle ambitionnait d’être le chef de cette Europe, elle se trouve isolée aujourd’hui face à une coalition organisée d’Etats européens, elle est en froid avec l’Angleterre et brouillée avec ses soeurs latines, avec l’appui douteux d’une Allemagne réticente et celui d’une Russie plus encline au double jeu que jamais.
Elle s’est attiré l’inimitié dangereuse de l’Amérique, sans avoir assuré ses arrières.
Du point de vue même des objectifs qu’elle prétendait atteindre, la diplomatie chiraquienne est un accablant fiasco.
Reste maintenant à aborder le point fondamental, à savoir: dans quelle mesure les orientations de la diplomatie française correspondent aux intérêts réels de notre pays.
En politique étrangère, la France a, en quelque sorte, chaussé les bottes de la défunte Union Soviétique :
même politique d’obstruction à l’ONU,
même démagogie tiers-mondiste,
même alignement sur le monde arabe,
même ambition de prendre la tête d’une coalition d’Etats « anti-impérialistes » dirigée contre Washington.
La France a repris le vieux dessein eurasien de Primakov, consistant à créer un axe Paris-Berlin-Moscou-Pékin contre les Anglo-saxons, dessein auquel la Russie de Poutine a cessé de croire, mais qu’elle encourage à Paris car elle y voit un moyen d’améliorer ses positions dans ses négociations avec Washington.
L’obsession anti-américaine fait que la France n’est guère regardante quant à la nature des régimes auxquels elle accorde son appui au nom de la multipolarité . Irak, Algérie, Zimbabwe, Soudan : en un mot, la France semble s’entendre mieux avec les Etats-voyous et les Etats ratés qu’avec les Etats dont elle partage la civilisation. Elle prétend défendre le droit international en s’appuyant sur des Etats qui ignorent tout du droit.
L’analogie avec l’Union Soviétique va plus loin qu’il n’y paraît. En effet, la diplomatie française est moins inspirée par une Realpolitik cynique (d’où les échecs évoqués plus haut) que par une vision idéologique des choses. Son antiaméricanisme est la projection sur la scène internationale de son jacobinisme interne. La malsaine communion française dans l’anti-américanisme révèle le début de dérive totalitaire de notre pays, déjà perceptible au moment du deuxième tour des élections : Bush a remplacé Le Pen dans la fonction d’ennemi du peuple. L' »antibushisme » peut se comparer à l' »antifascisme » des années Trente et Quarante: il camoufle un consensus obligatoire de type communiste.
Les dirigeants français, comme ceux de l’URSS brejnévienne, compensent par un ruineux activisme extérieur leur incapacité à lancer des réformes indispensables à l’intérieur, réformes impossibles car elles remettraient en cause les dogmes socialistes qui fondent l’étatisme français. Dans les deux cas, l’activisme extérieur accélère et accuse la crise interne. On a vu ce qu’il est advenu de l’URSS.
En France, les indices d’une déliquescence de l’Etat se multiplient depuis deux ans, et l’affaire irakienne a servi de révélateur.
Les dirigeants français ont cherché à justifier leur position sur la question irakienne en faisant valoir que la France refusait le « choc des civilisations » et favorisait, par conséquent, l’intégration des musulmans français.
Certes, le président Chirac a été acclamé dans les banlieues. Mais l’antiaméricanisme officiel a favorisé la jonction explosive entre une mouvance trotskiste virulente, une mouvance islamiste, une mouvance anti-mondialiste et une mouvance tiers-mondiste. Ce cocktail vénéneux abreuve non seulement les jeunes des banlieues mais les lycéens et les étudiants, expédiés dans les manifestations pour la paix par leurs enseignants gauchistes, au nom de « l’engagement ». Dans ce sens, les orientations de la diplomatie française ne font que refléter la tiers-mondisation galopante de la France, à commencer par la tiers-mondisation des esprits. Le président Chirac défie Bush, mais capitule devant les banlieues.
De manière révélatrice, Dominique de Villepin a déclaré devant le parlement que la mission française était de mettre en échec « le libéralisme anglo-saxon ». Comme la plupart de leurs interlocuteurs arabes, les dirigeants français estiment plus urgent de se dresser contre les Etats-Unis, même quand ils ont raison, que de mettre en chantier les réformes qui permettraient de sauver leur Etat de la faillite.
Le plus grave dans tout ceci est que la passion anti-américaine a anesthésié les Français sur les conséquences de cette rupture délibérée avec le camp occidental.
Conséquences déjà perceptibles dans les débordements des manifestations pour la paix, dans le fait que l’Etat français est de moins en moins capable d’assurer la sécurité des biens et des personnes, à commencer par celle de nos concitoyens juifs. La représentation, dans les médias, des premiers jours de la guerre en Irak, avec sa propagande souvent ouvertement pro-Saddam, a été proprement irresponsable, au point d’alarmer les responsables du ministère de l’Intérieur : selon l’un d’entre eux,
« la médiatisation des cafouillages de la coalition en Irak nourrit, dans certains quartiers, une forme d’arrogance dont les policiers, sur le terrain, sont désormais les témoins… Il suffirait d’une étincelle pour que l’anti-américanisme dans les banlieues alimente des formes de violence incontrôlées » [Le Figaro du 3 avril 2003].
Les observateurs étrangers s’interrogent sur les causes de la folie française.
Au moment où la fragilité de l’Etat français devient perceptible pour tous, en l’absence de toute défense européenne crédible, est-il vraiment prudent de rompre avec notre allié américain, au point que celui-ci nous considère maintenant comme un ennemi ? Même la Russie a compris qu’elle avait intérêt à ne pas se brouiller avec l’Amérique, justement à cause de ses faiblesses internes. Elle reste antiaméricaine, au fond, mais elle adopte un profil bas, ravie de voir la France attirer sur elle les foudres de Washington – et cette tactique est payante: les médias américains, qui n’ont pas de mots trop durs pour condamner la France, trouvent mille excuses à Poutine.
La première explication du comportement de nos dirigeants est l’irresponsabilité – ils croient qu’ils n’auront de comptes à rendre à personne.
Cette irresponsabilité est poussée si loin qu’ils semblent s’étonner des conséquences de leurs actes : ainsi, ils ne s’attendaient pas à la flambée de francophobie aux Etats-Unis, étant persuadés qu’ils pouvaient multiplier les provocations contre Washington sans risquer de rétorsions. L’habitude de l’impunité en politique intérieure a fini par engendrer une politique étrangère désastreuse, exactement comme pour la défunte URSS.
Dans le cas français, il faut ajouter la futilité et la vanité, facteurs permanents de notre diplomatie.
La deuxième explication de la politique chiraquienne tient à l’inquiétude de la classe politique devant l’échec de plus en plus patent de l' »intégration républicaine ». Au lieu de faire face au péril, on se réfugie dans la dénégation.
On déclare que la France ne croit pas au « choc des civilisations », comme s’il suffisait de refuser le mot pour effacer la chose. Pour plus de sécurité on abolit jusqu’au concept de civilisation. C’est pourquoi on cherche à refouler à tout prix que la France partage la même civilisation que les Etats-Unis, en cultivant, à grande fanfare, nos relations avec la francophonie. C’est pourquoi aussi la droite française mène une politique de gauche, s’imaginant que le consensus obligatoire la mettra à l’abri du débordement des zones de non-droit. L’antiaméricanisme joue un rôle central dans ce dispositif.
Notre politique étrangère exprime donc une sorte de capitulation préventive. La France prend l’initiative de rompre avec le camp occidental dans l’espoir d’éviter une épreuve de force avec sa jeunesse ensauvagée et fanatisée, après avoir failli au devoir de la civiliser. Cette couardise profonde est dissimulée derrière le panache brandi du petit pays qui s’oppose au grand. Le mythe d’Astérix camoufle une réalité nettement plus sordide. L’anti-américanisme rend possible cette imposture, et la continuation d’une politique qui risque de rendre notre mal sans remède, et d’y faire sombrer toute l’Europe.
Voir aussi:
Washington de notre correspondant
Un gros Saddam fait un pied de nez, tire la langue et postillonne abondamment. En dessous, serrés l’un contre l’autre sous un parapluie, un Français et un Allemand sourient béatement. Le Français (béret, moustache) : «Oo-la-la ! Zee weather ees très magnifique ! Non ?» L’Allemand (chapeau, cravate culotte de peau) : «Ja ! Bootiful, Mein Freund !» Paru dans le Miami Herald, l’un des grands quotidiens américains, ce dessin illustre la nouvelle bouffée de French bashing («bastonnade de Français»), qui s’est emparée des médias américains depuis une semaine. Avec, cette fois, une légère variante, l’Allemagne partageant le sort de l’Hexagone.
«Echec moral». Après la prise de position commune des deux pays («Rien ne justifie la guerre»), les esprits des conservateurs se sont échauffés. Pour désigner le couple européen, une expression, Axis of Weasel, fait florès ; Weasel désigne une belette, mais aussi, au sens figuré, un personnage sournois, une planche pourrie. Le New York Post en a fait sa manchette le 24 janvier.
Lors d’une conférence à l’American Enterprise Institute, Richard Perle, le très influent et très «faucon» président du Defense Policy Board, organisme consultatif auprès du Pentagone, l’a publiquement reprise à son compte. Selon lui, «l’axe des sournois» manifeste sa frustration de voir que «les Etats-Unis ont repris le leadership du monde». La France et l’Allemagne, ajoute Perle, affichent «leur incapacité à défendre les valeurs des démocraties libérales». Pour illustrer cet «échec moral», l’animateur de la conférence, le politologue Norman Ornstein, ajoute que Chirac n’éprouve aucune honte à recevoir le mois prochain le président du Zimbabwe Robert Mugabe. Dans la presse conservatrice, c’est un festival. Les Français, ces «singes capitulards mangeurs de fromages» (1), étaient munichois, ils ont violé l’embargo sur l’Irak, ont construit la centrale nucléaire d’Osirak et lorgnent les contrats pétroliers…
Récurrente, cette poussée antifrançaise est pourtant différente des précédentes. Car cette fois, la France a aussi des supporters aussi passionnés. «La semaine dernière, on a été débordés d’appels et d’e-mails. Pour un message d’insultes, il y avait trois messages d’encouragements. Des tas gens qui nous disaient : « Tenez bon ! »», assure un porte-parole de l’ambassade de France. La presse progressiste prend d’ailleurs la défense de l’Hexagone. «Ce n’est pas parce que les Français sont « pénibles » [en français dans le texte, ndlr] qu’ils ont toujours tort», écrivait, hier, Nicholas Kristof dans le NewYork Times, jugeant «puéril» de ne pas écouter leurs arguments. Le magazine de gauche The Nation a consacré sa une aux Français en essayant d’expliquer qu’ils étaient plus anti-Bush qu’antiaméricains (titre : «USA Oui ! Bush Non !»). Le magazine en ligne Slate tente d’élargir le débat : «Pourquoi nous haïssent-ils ?» Selon l’auteur de l’article, Chris Suellentrop, le problème de fond vient de la proximité entre les deux pays : «Comme les Etats-Unis, la France se voit comme une grande nation méritant la puissance, comme la terre de naissance de la démocratie, et considère que le monde serait avisé de copier son système culturel et politique.»
Nouvelle hypocrisie. De leurs côtés, les conservateurs ne voient dans le récent raidissement français qu’une nouvelle hypocrisie. Pour William Safire, qui rédigeait autrefois les discours de Nixon et qui tient aujourd’hui une chronique dans le New York Times, c’est le chancelier allemand, tenu par les Verts sur la question de la guerre, qui a fait basculer Paris. «Schröder a fait une offre que Chirac ne pouvait refuser : asseoir la domination franco-allemande sur les vingt-trois autres nations d’Europe continentale.» Selon lui, c’est donc seulement pour mieux sceller le changement du système de présidence de l’Union européenne que Chirac aurait accepté de s’aligner sur les positions allemandes. Richard Perle quant à lui, n’exclut pas que les Français lâchent les Allemands au dernier moment. Ce qui, selon lui, «ne serait pas la façon la plus glorieuse» de rejoindre la coalition….
(1) L’expression est tirée d’un épisode des Simpsons dans lequel le jardinier de l’école, Willie, devant faire un remplacement dans une classe de français, s’exclame : «Bonjour, you cheese-eatin’surrender-monkeys.»
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