Noëls interdits: C’est la préservation de la sécurité publique, imbécile ! (Continuation of holy war by other means: What strange Western blindness, from Voltaire to Jeffrey Sachs, to the weaponization of religion in both Russia and China ?)

6 janvier, 2023
L'image montre une grande pièce avec un haut plafond. Un grand escalier mange l'image et se sépare a l'étage sur la gauche et la droite. Au premier plan, 7 jeunes gens sont assis sur des canapés de style ancien, de couleur marron. Ils sont vêtus de vêtements d'époque. Sur l'image, on voit de nombreux plans floutés : un sapin de Noël, au milieu de l'image, et des décorations suspendues sur les deux côtés des escaliers. Le logo de la chaîne de télévision, « Mango TV », apparaît en haut à gauche, en caractères chinois.
Si un homme a cent brebis, et que l’une d’elles s’égare, ne laisse-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf autres sur les montagnes, pour aller chercher celle qui s’est égarée? Et, s’il la trouve, je vous le dis en vérité, elle lui cause plus de joie que les quatre-vingt-dix-neuf qui ne se sont pas égarées. Jésus (Matthieu 18: 12-13)
Je vous le dis, il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se repent, que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de repentance. Jésus (Luc 5: 7)
Mon enfant, lui dit le père, tu es toujours avec moi, et tout ce que j’ai est à toi; mais il fallait bien s’égayer et se réjouir, parce que ton frère que voici était mort et qu’il est revenu à la vie, parce qu’il était perdu et qu’il est retrouvé. Jésus (Luc 15: 31-32)
Une civilisation est testée sur la manière dont elle traite ses membres les plus faibles. Pearl Buck
Les paraboles de la brebis égarée (Mt 18, 12) et du fils prodigue (Lc 15, 11) soulignent encore plus directement l’inversion de la logique victimaire – sacrificielle: au « tous contre un » Jésus oppose le « tous pour un », l’amour préférentiel pour l’égaré, même lorsqu’il semble responsable de son errance. Bernard Perret
L’inauguration majestueuse de l’ère « post-chrétienne » est une plaisanterie. Nous sommes dans un ultra-christianisme caricatural qui essaie d’échapper à l’orbite judéo-chrétienne en « radicalisant » le souci des victimes dans un sens antichrétien. (…) Jusqu’au nazisme, le judaïsme était la victime préférentielle de ce système de bouc émissaire. Le christianisme ne venait qu’en second lieu. Depuis l’Holocauste, en revanche, on n’ose plus s’en prendre au judaïsme, et le christianisme est promu au rang de bouc émissaire numéro un. (…) Le mouvement antichrétien le plus puissant est celui qui réassume et « radicalise » le souci des victimes pour le paganiser. (…) Comme les Eglises chrétiennes ont pris conscience tardivement de leurs manquements à la charité, de leur connivence avec l’ordre établi, dans le monde d’hier et d’aujourd’hui, elles sont particulièrement vulnérables au chantage permanent auquel le néopaganisme contemporain les soumet. René Girard
De ce tour d’horizon, il ressort que 75 % des cas de persécution religieuse concernent les chrétiens, dont la condition se détériore en de nombreux endroits. En tête de liste, outre le Moyen-Orient, l’AED place la Corée du Nord, la Chine, le Vietnam, l’Inde, le Pakistan, le Soudan et Cuba. Si l’on tente de classer ces phénomènes de christianophobie en fonction de leur origine, il ressort que leur premier vecteur, à l’échelle de la planète, est constitué par l’islam politique ou le fondamentalisme musulman. (…) Même s’il est géographiquement limité, l’hindouisme constitue un deuxième facteur de persécution antichrétienne. Si cette idéologie politico-religieuse est rejetée par le gouvernement central de New Delhi, elle inspire des forces actives dans plusieurs États de la fédération indienne, provoquant des violences qui ont culminé en 2009, mais qui n’ont pas cessé depuis. Troisième vecteur antichrétien: le marxisme. En Corée du Nord, toute activité religieuse est qualifiée de révolte contre les principes socialistes, et des milliers de chrétiens sont emprisonnés. En Chine, le Parti communiste fait paradoxalement bon ménage avec le capitalisme, mais les vieux réflexes sont loin d’avoir disparu: l’État tient à contrôler les religions. (…) Le 10 décembre dernier a été publié, à Vienne, un rapport de l’Observatoire sur l’intolérance et les discriminations contre les chrétiens en Europe, concernant les années 2005-2010. Ce document recense les actes de vandalisme contre les églises et les symboles religieux, les manifestations de haine et les brimades contre les chrétiens observées sur le continent européen au cours des dernières années. La liste est impressionnante, mais les faits incriminés ont suscité une émotion bien discrète ici. Aux facteurs aggravants de la situation des chrétiens dans le monde, peut-être faudrait-il ajouter l’indifférentisme religieux en Occident: si les Européens ne respectent pas le christianisme chez eux, comment aideraient-ils les chrétiens persécutés aux quatre points de l’horizon? Jean Sévillia (Le Figaro)
Un des grands problèmes de la Russie – et plus encore de la Chine – est que, contrairement aux camps de concentration hitlériens, les leurs n’ont jamais été libérés et qu’il n’y a eu aucun tribunal de Nuremberg pour juger les crimes commis. Thérèse Delpech (2005)
L’idée d’une Chine naturellement pacifique et trônant, satisfaite, au milieu d’un pré carré qu’elle ne songe pas à arrondir est une fiction. L’idée impériale, dont le régime communiste s’est fait l’héritier, porte en elle une volonté hégémoniste. La politique de puissance exige de « sécuriser les abords ». Or les abords de la Chine comprennent plusieurs des grandes puissances économiques du monde d’aujourd’hui : la « protection » de ses abords par la Chine heurte de plein fouet la stabilité du monde. Et ce, d’autant qu’elle est taraudée de mille maux intérieurs qui sont autant d’incitations aux aventures extérieurs et à la mobilisation nationaliste. Que veut la République Populaire ? Rétablir la Chine comme empire du Milieu. (…) À cet avenir glorieux, à la vassalisation par la Chine, les Etats-Unis sont l’obstacle premier. La Chine ne veut pas de confrontation militaire, elle veut intimider et dissuader, et forcer les Etats-Unis à la reculade.  (…) Pékin a récupéré Hong-Kong – l’argent, la finance, les communications. L’étape suivante, c’est Taïwan – la technologie avancée, l’industrie, d’énormes réserves monétaires. Si Pékin parvient à imposer la réunification à ses propres conditions, si un « coup de Taïwan » réussissait, aujourd’hui, demain ou après-demain, tous les espoirs seraient permis à Pékin. Dès lors, la diaspora chinoise, riche et influente, devrait mettre tous ses œufs dans le même panier ; il n’y aurait plus de centre alternatif de puissance. La RPC contrôlerait désormais les ressources technologiques et financières de l’ensemble de la « Grande Chine ». Elle aurait atteint la masse critique nécessaire à son grand dessein asiatique. Militairement surclassés, dénués de contrepoids régionaux, les pays de l’ASEAN, Singapour et les autres, passeraient alors sous la coupe de la Chine, sans heurts, mais avec armes et bagages. Pékin pourrait s’attaquer à sa « chaîne de première défense insulaire » : le Japon, la Corée, les Philippines, l’Indonésie. La Corée ? (…) Ce que les tenants, aujourd’hui déconfits, des « valeurs asiatiques », n’avaient pas compris, dans leurs plaidoyers pro domo en faveur d’un despotisme qu’ils prétendaient éclairé, c’est que les contre-pouvoirs, les contrepoids, que sont une opposition active, une presse libre et critique, des pouvoirs séparés selon les règles d’un Montesquieu, l’existence d’une société civile et de multitudes d’organisations associatives, font partie de la nécessaire diffusion du pouvoir qui peut ainsi intégrer les compétences, les intérêts et les opinions différentes. Mais, pour ce faire, il convient de renoncer au modèle chinois, c’est-à-dire au monolithisme intérieur. La renonciation au monolithisme extérieur n’est pas moins indispensable : la Chine doit participer à un monde dont elle n’a pas créé les règles, et ces règles sont étrangères à l’esprit même de sa politique multimillénaire. La Chine vit toujours sous la malédiction de sa propre culture politique. La figure que prendra le siècle dépendra largement du maintien de la Chine, ou de l’abandon par elle, de cette culture, et de sa malédiction. Laurent Murawiec (2000)
Tout se passe comme si, à l’heure actuelle, s’effectuait une distribution des rôles entre ceux qui pratiquent le repentir et l’autocritique – les Européens, les Occidentaux – et ceux qui s’installent dans la dénonciation sans procéder eux-mêmes à un réexamen critique analogue de leur propre passé – en particulier les pays arabes et musulmans. Tout indique même que notre mauvaise conscience, bien loin de susciter l’émulation, renforce les autres dans leur bonne conscience. Jacques Dewitte (L’exception européenne, 2009)
Comme au XXe siècle, une guerre a été déclarée contre l’Occident. Certes, elle est différente dans le sens où il s’agit d’une guerre culturelle destinée à combattre la tradition occidentale. Mais, un peu comme lors de la guerre froide, c’est le camp de la démocratie, des droits et des principes universels, de la raison qui se trouve menacé. Bien sûr, les attaques contre l’Occident en ce moment sont différentes de la plupart des conflits précédents. Parce que ce sont des attaques qui sont portées sur nous-mêmes PAR nous-mêmes. Il y a de nombreuses variantes de l’antioccidentalisme. Il y a l’antioccidentalisme chinois, l’antioccidentalisme arabe et bien d’autres encore. Mais celui qui me préoccupe est l’antioccidentalisme occidental, c’est-à-dire l’attaque de nos propres fondements civilisationnels par des personnes issues de nos propres sociétés. Il s’agit d’une remise en question radicale de notre histoire et des éléments qui constituent les bases de notre fierté, de notre identité et de nos valeurs. Même si des gens comme le Kremlin et le Parti communiste chinois (PCC) font tout pour en profiter, il s’agit d’abord d’une attaque que nous menons contre nous-mêmes. Alors qu’avant, nous étions fiers et que nous défendions notre culture occidentale, nous entendons désormais un discours acerbe selon lequel il faudrait la démanteler. On ne veut plus la transmettre, l’étudier, ou alors sous un angle biaisé et accusateur. En revanche, n’importe quelle culture qui n’est pas occidentale se retrouve célébrée et vénérée. (…) Si ce mépris de la culture occidentale se propage à grande échelle, c’est par ignorance : on n’apprend aux jeunes générations incultes que les parties sombres de son histoire, on en fait une lecture biaisée et on passe sous silence tous les apports qu’elle a pu donner à notre monde. Nous avons offert de considérables avancées scientifiques, économiques, musicales, etc. La culture occidentale est celle qui vit s’épanouir le Bernin, Vinci, Michel-Ange, Mozart, Bach, La Fontaine, Pascal et tant d’autres. Elle fit sortir de la misère des millions d’individus et fit briller les lumières de l’esprit. Mais on apprend aux écoliers son rôle dans l’esclavage et ses autres fautes sans contrebalancer par ses richesses. Les artisans de ce déséquilibre sont des idéologues qui voient le monde sous un rapport de domination et à travers la politique des identités. L’Occident est vu comme raciste et patriarcal et doit alors expier ses fautes. (…) le mal vient de l’intérieur, mais il est exploité de l’extérieur. Cette haine de soi est un mal typiquement occidental que certaines puissances sont ravies d’exploiter. Comme je le montre dans mon livre, les communistes chinois trouvent particulièrement commode d’être confrontés à un concurrent occidental qui ne cesse de répéter à quel point il est raciste. Pendant ce temps, le PCC peut s’en tirer notamment en envoyant au bas mot 1 million de personnes dans des camps de concentration. Par exemple, au cours d’une session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, au cours de l’été 2021, Zhao Lijian, porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois, a déclaré devant la presse internationale que le monde occidental devait faire un « examen de conscience profond » pour lutter contre le « racisme systémique » et « la discrimination raciale ». Et ce, alors qu’un certain racisme décomplexé existe en Chine… Le Parti communiste chinois transforme ainsi les faiblesses occidentales en armes. J’ai parlé à des personnes qui ont souffert des régimes de Corée du Nord, de Chine, de Russie et de bien d’autres pays, et elles sont tout simplement stupéfaites que les pays les plus libres – les nôtres, en Occident – soient les plus obsédés par cette autocritique qui mène à l’autodénigrement, au dégoût de soi et finalement à l’automutilation. Obsédés par nos fautes, nous sommes incapables de voir les atteintes aux droits de l’homme qui ont lieu dans certains pays et toute une compréhension du monde nous échappe. Douglas Murray
Il faut du sang. Yang Shangkun (président chinois,1989)
De tout ce qui est sous le Ciel, il n’est rien qui ne soit le territoire du roi. Shijing
Le parti est comme Dieu,  il est partout, mais vous ne pouvez pas le voir. Universitaire chinois
Statues of hated Chinese historical figures that are replaced when destroyed could help other countries address their controversial pasts (…) Statues of a treacherous Song dynasty politician and his wife in Hangzhou that were built for public vilification have been replaced 11 times since 1475. For Belgium, which is considering what to do with a statue of the brutal King Leopold II, simply melting it down might be letting him off too easily. In China, the most infamous purpose-built statues for public vilification were those of the Song dynasty politician Qin Hui (1090-1155) and his wife. In the epic tale of Chinese national hero Yue Fei (1103-1142), who valiantly defended the Southern Song dynasty against invasions from the Jurchen-ruled Jin dynasty, and whose loyalty to emperor and country was rewarded with treachery, betrayal and his own death, Qin was cast as the consummate villain. For abetting her husband in causing Yue’s death, Qin’s wife Madam Wang has also been hated by generations of Chinese. Statues of Qin and Wang, some of which depicted them in various states of undress, always show them kneeling in contrition. Presently, their statues can be found in about half a dozen locations in China, but the most famous ones are found in the Yue Fei Temple in Hangzhou, on the banks of the beautiful West Lake. The first pair of statues was erected here in 1475. Since then, the images of Qin and Wang have been subjected to all manner of physical abuse. At various times in the past, they were thrown into the lake or irrevocably damaged, but each time new statues reappear and the cycle of abuse resumes. The present statues, the 12th iteration, date from 1979. It’s up to the Belgians, of course, to decide what they want to do with King Leopold’s statue, but just toppling it would be letting him off too easy. South China Morning Post
De nombreux ménages pauvres ont plongé dans la pauvreté pour cause de maladie dans la famille. Certains ont recours à la foi en Jésus pour guérir leurs maladies. Mais nous avons essayé de leur dire que tomber malade est une chose physique et que les personnes qui peuvent vraiment les aider sont le Parti communiste et le secrétaire général Xi. Beaucoup de ruraux sont ignorants. Ils pensent que Dieu est leur sauveur… Après le travail de nos cadres, ils se rendent compte de leurs erreurs et pensent : nous ne devons plus compter sur Jésus, mais sur le parti pour obtenir de l’aide. (…) Nous leur avons seulement demandé de retirer les affiches [religieuses] au centre de la maison. Ils peuvent toujours les accrocher dans d’autres pièces, nous n’interférerons pas avec cela. Ce que nous exigeons, c’est qu’ils n’oublient pas la gentillesse du parti au centre de leur salon. Ce n’est pas une offre à prendre ou à laisser. Ils ont toujours la liberté de croire en la religion, mais dans leur esprit, il faut qu’ils fassent [aussi] faire confiance à notre parti. Qi Yan(président de l’assemblée populaire de Huangjinbu)
Certaines familles mettent des couplets évangéliques sur leurs portes d’entrée lors du Nouvel An lunaire,  certaines accrochent également des tableaux de la croix. Mais ils ont tous été démolis. Ils ont tous leur conviction et, bien sûr, ils n’étaient pas d’accord. Mais il n’y a pas d’issue. S’ils n’acceptent pas, ils ne recevront pas leur quote-part du fonds de lutte contre la pauvreté. Liu
Des milliers de chrétiens d’un comté pauvre du sud-est rural de la Chine ont troqué leurs affiches de Jésus contre des portraits du président Xi Jinping dans le cadre d’un programme de lutte contre la pauvreté du gouvernement local qui vise à « transformer les croyants en la religion en croyants dans le parti ». Situé sur le bord du Poyang, le plus grand lac d’eau douce de Chine, le comté de Yugan dans la province du Jiangxi est connu aussi bien pour sa pauvreté que pour sa grande communauté chrétienne. Plus de 11% de ses 1 million d’habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté officiel du pays, tandis que près de 10% de sa population est chrétienne, selon les données officielles. Mais alors que le gouvernement local redouble d’efforts pour réduire la pauvreté, de nombreux croyants ont été invités à retirer les images de Jésus, les croix et les couplets évangéliques qui forment les pièces maîtresses de leurs maisons, et à accrocher des portraits de Xi à la place – une pratique qui marque un retour à l’ère du culte de la personnalité autour du défunt président Mao Zedong, dont les portraits étaient autrefois omniprésents dans les foyers chinois. Sous Xi, le Parti communiste au pouvoir a fait de l’élimination de la pauvreté d’ici 2020 une priorité absolue. La campagne est non seulement cruciale pour l’héritage politique du dirigeant le plus puissant du pays depuis Mao, mais sert également à consolider le contrôle du parti sur les racines de la société, qui, malgré leur grand nombre, ont été largement négligées pendant les décennies de poursuite de la  croissance économique par la Chine. À Yugan, le parti officiellement athée rivalise d’influence avec le christianisme, qui s’est rapidement répandu dans les villages ruraux pauvres et les villes prospères depuis la fin de la Révolution culturelle il y a plus de 40 ans. Selon certaines estimations, les chrétiens en Chine sont maintenant plus nombreux que les 90 millions de membres du parti. Un reportage sur les réseaux sociaux locaux a rapporté ce week-end que dans le canton de Huangjinbu de Yugan, des cadres ont rendu visite à des familles chrétiennes pauvres pour promouvoir les politiques de lutte contre la pauvreté du parti et les ont aidées à résoudre leurs problèmes matériels. Les responsables ont réussi à « faire fondre la glace dure de leur cœur » et à les « faire passer de la croyance en la religion à la croyance dans le parti », indique le reportage. En conséquence, plus de 600 villageois se sont «volontairement» débarrassés des textes religieux et des peintures qu’ils avaient chez eux, et les ont remplacés par 453 portraits de Xi. L’article avait disparu lundi après-midi, mais l’existence de la campagne a été confirmée par des villageois et des responsables locaux contactés par le South China Morning Post. Qi Yan, président de l’assemblée populaire de Huangjinbu et responsable de la campagne de lutte contre la pauvreté du canton, a déclaré que la campagne était en cours dans tout le comté depuis mars. Il a déclaré qu’il visait à enseigner aux familles chrétiennes tout ce que le parti avait fait pour aider à éradiquer la pauvreté et à quel point Xi s’était soucié de leur bien-être. Il a déclaré que le gouvernement du canton avait distribué plus de 1 000 portraits de Xi, et que tous avaient été accrochés dans les maisons des habitants. Un habitant d’un autre canton de Yugan, prénommé Liu, a déclaré que ces derniers mois, nombre de ses concitoyens avaient reçu l’ordre de retirer les objets religieux de leurs maisons. (…) [Mais] Beaucoup de croyants ne l’ont pas fait volontairement. (…) Mais Qi a rejeté les allégations selon lesquelles les fonds dépendaient du retrait des affiches religieuses. (…) Sous Xi, le parti a resserré son emprise sur la liberté religieuse dans tout le pays, allant de la suppression des croix sur les églises chrétiennes de l’est de la Chine à la suppression des pratiques islamiques dans le cœur ouïghour du Xinjiang au nom de la lutte contre le terrorisme et le séparatisme. Dans le Jiangxi, outre le retrait des affiches religieuses des habitations, plusieurs croix ont été retirées des églises depuis l’été – dont celle du comté de Yugan – poursuivant la tendance amorcée dans la province du Zhejiang. South China Morning Post
Cela fait des années que nous entendons ou lisons que la Constitution chinoise interdit l’enseignement de la religion aux jeunes de moins de 18 ans. La bonne nouvelle, comme nous pouvons le constater, est que ce n’est pas vrai. La Constitution chinoise ne dit rien de tel. La mauvaise nouvelle, en revanche, est que cette interdiction figure bien dans le « Document n° 19 – Point de vue fondamental et politique relatif aux questions religieuses au cours de la période socialiste de notre pays », diffusé par le Conseil des affaires d’Etat (le gouvernement) en 1982. (…) En d’autres termes, les Chinois peuvent croire ce qu’ils veulent, mais l’Etat se réserve le droit de mettre des limites à la pratique de leur religion. Joann Pittmann
Certains articles ont rapporté que des villes et des universités avaient « interdit Noël », ce qui a attiré l’attention de certains médias étrangers. Ceux-ci ont exagéré cette information, expliquant que la Chine interdisait Noël pour des considérations politiques et pour résister à l’invasion culturelle occidentale. Les membres du Parti communiste de Chine dans les villes majeures comme Beijing et Shanghai n’ont été informés d’aucune notification interdisant Noël. Cette interdiction dans certains lieux et certaines institutions avait pour but de préserver la sécurité publique et en aucun cas de « boycotter » Noël. France.China
It is like Taliban/ISIS style of persecution against a peaceful church. It was primarily destroyed because it refused to register. Bob Fu (China Aid)
Ces dernières années, une dizaine d’églises ont été détruites dans le pays, et de nombreuses croix ont été démontées. Dans le Jiangxi, dans le sud du pays, les portraits de Jésus ont même dû être remplacés par ceux du président Xi Jinping. RFI.
Les autorités chinoises ont démoli à l’explosif la monumentale église évangélique Jindengtai, située à Linfen, dans la province du Shanxi, « dans le cadre d’une campagne municipale visant à éliminer les constructions illégales », a précisé un responsable de la ville au journal Global Times, cité par l’AFP. « Un chrétien a donné son terrain agricole à une association chrétienne locale, et ils ont construit secrètement une église, prétextant construire un entrepôt », a indiqué la source municipale, qui a ajouté que les autorités avaient fait stopper la construction du lieu de culte en 2009. À l’époque, des fidèles avaient été arrêtés, des Bibles confisquées et des leaders religieux condamnés à de longues peines de prison. « Une nuée de policiers militaires ont été mobilisés et ont réalisé la démolition grâce à une grande quantité d’explosifs placés sous l’église », s’est insurgé de son côté Bob Fu, président de China Aid, un groupe de défense des droits religieux basé aux États-Unis. « Cette persécution est digne de l’État islamique et des talibans », a-t-il même dénoncé. (…) Le pouvoir communiste de Pékin, qui redoute l’influence des organisations religieuses, les surveille de très près. La Chine, qui compterait 60 millions de chrétiens, fait partie des 50 pays qui les persécutent le plus dans le monde, selon l’index 2018 de l’ONG Portes ouvertes. Valeurs actuelles
Les hommes des Lumières remettaient tout en cause dans la société européenne ; rien dans la société chinoise. Leur esprit critique, si aigu d’un côté, s’émoussait de l’autre. Le paradis raisonnable de la Chine athée leur permettait de dénoncer l’enfer de l’Europe soumise à l’Infâme” – au clergé. Ainsi comptèrent-ils pour rien les cruautés des empereurs, les séismes des changements de dynastie, les autodafés de livres, les supplices d’opposants, les rébellions toujours renaissantes et toujours noyées dans le sang. Alain Peyrefitte (1989)
La nouvelle guerre froide est créée en très grande majorité par les États-Unis. À partir de 2015 environ, les responsables néoconservateurs de la politique étrangère américaine ont conclu que l’hégémonie américaine était menacée par la montée en puissance de la Chine. Depuis lors, le gouvernement américain a mis en place un ensemble croissant d’outils – barrières commerciales, sanctions, contrôles des exportations, contrôle des investissements et nouvelles alliances militaires en Asie – pour tenter de « contenir » la Chine. Cette approche pourrait conduire à une guerre pure et simple, par exemple à propos de Taïwan. Les États-Unis tentent d’enrôler l’Europe dans leur effort pour contenir la Chine. Pourtant, l’intérêt profond de l’Europe n’est pas l’hégémonie américaine, mais plutôt un véritable ordre multilatéral dans lequel l’Europe et la Chine jouent toutes deux des rôles actifs et responsables – tout comme les États-Unis, bien sûr. L’Europe devrait donc résister à la nouvelle guerre froide menée par les États-Unis et poursuivre à la place des relations diplomatiques, économiques et financières actives avec la Chine. (…) Et l’opinion selon laquelle la Chine représente une grave menace pour la sécurité des États-Unis est alarmiste. Oui, la Chine est un pays grand et puissant, mais pas un pays intrinsèquement militariste ou belliqueux. La Chine n’a pas mené une seule guerre au cours des 40 dernières années, tandis que les États-Unis ont mené d’innombrables (et apparemment perpétuels) conflits. (…) Les États-Unis devraient cesser de jouer sur la peur, s’engager dans une diplomatie renforcée, rester attachés à la politique d’une seule Chine, cesser de provoquer un affrontement à propos de Taïwan et mettre fin aux mesures commerciales, technologiques et financières unilatérales qui entravent l’économie chinoise. La Chine devrait elle aussi s’engager avec les États-Unis et l’Union européenne dans une diplomatie renforcée, pour résoudre les problèmes d’intérêt commun. Je crois que la Chine est tout à fait prête à le faire. (…) Cette guerre [de Poutine avec l’Ukraine] aurait pu être évitée si les États-Unis n’avaient pas poussé à l’élargissement de l’Otan à l’Ukraine et à la Géorgie, et n’avaient pas participé au renversement de Viktor Ianoukovitch en 2014. La France et l’Allemagne auraient également dû pousser l’Ukraine à se conformer aux accords de Minsk II. Il y a déjà plusieurs centaines de milliers de morts en Ukraine à cause de cette guerre. Si l’Ukraine tente de reprendre la Crimée, je pense que nous assisterons à une escalade massive, voire à une guerre nucléaire. L’idée que l’Ukraine vaincra la Russie est un pari imprudent sur l’apocalypse. Les États-Unis et les Ukrainiens auraient dû signer la neutralité de l’Ukraine, le contrôle de facto de la Russie sur la Crimée et la mise en œuvre des accords de Minsk II. Au lieu de cela, ils parient imprudemment sur la victoire militaire contre un pays qui a 1 600 armes nucléaires. (…) Dans les deux cas [de l’origine de la pandémie et du sabotage de Nord Stream], le gouvernement américain maintient et manipule un récit invraisemblable, et le fait avec une acceptation remarquable en Europe. Sur le Covid-19, il est clair que les États-Unis ont financé des recherches très dangereuses en Chine basées sur la manipulation génétique avancée de virus de la famille du Sars. Et il est également clair que le gouvernement américain a refusé d’enquêter sur ses propres programmes de recherche qui auraient pu contribuer à la création du Sars-CoV-2. Au lieu de cela, le gouvernement américain a encouragé l’histoire scientifiquement faible d’une épidémie « naturelle » sur le marché de Huanan, à Wuhan. Sur Nord Stream, Joe Biden a promis le 7 février que si la Russie envahissait l’Ukraine, Nord Stream serait terminé. Lorsqu’on lui a demandé comment les États-Unis feraient cela, il a répondu : « Je vous promets que nous serons en mesure de le faire. » Même la Suède cache les résultats de son enquête sur Nord Stream à l’Allemagne et au Danemark, au nom de la sécurité nationale ! Je crois que les dirigeants européens savent que les États-Unis et d’autres alliés ont fait cela, mais ils ne commenteront ou n’expliqueront tout simplement pas la vérité au public. Nous ne savons pas avec certitude que le Sars-CoV-2 est venu d’un laboratoire et que les États-Unis ont fait sauter le pipeline, mais nous savons que le public n’a pas encore été informé des faits réels concernant ces deux cas. Jeffrey Sachs
Pourquoi l’Union soviétique s’est-elle désintégrée ? Pourquoi le Parti communiste soviétique s’est effondré ?  Une raison importante était que leurs idéaux et leurs convictions vacillaient. Finalement, il a suffi d’un mot silencieux de Gorbatchev pour déclarer la dissolution du Parti communiste soviétique, et un grand parti a disparu. En fin de compte, personne ne s’est comporté en homme, personne n’a osé résister. Xi Jinping
L’épidémie est un démon. Nous ne permettrons pas au démon de rester caché. Xi Jinping
Si vous vivez en Chine, peu importe la taille de votre domicile, ce n’est qu’une sorte de cellule, un substitut de prison. Les méthodes carcérales de ce pouvoir totalitaire sont bien pires que l’épidémie. La Chine tout entière n’est qu’une grande prison d’où sont exclues toute information et toute pensée. Chaque coin de rue, chaque station de métro pullule de caméras et de policiers, et il n’existe aucun endroit où l’on puisse se rencontrer et communiquer librement. Les gens traitent donc leurs amis et voisins comme des virus dont ils doivent se garder. (…) Je repense aux cinq dieux des épidémies qui sont vénérés en Chine depuis des millénaires. Cinq démons à l’origine, qui régissaient les saisons et leurs terrifiants maux respectifs. Selon la légende, les anciens ont dompté ces esprits pernicieux, les ont transformés en divinités, les « cinq commissaires des miasmes », et les ont placés dans des temples où l’on pouvait, en leur faisant des offrandes, obtenir leur protection contre les maladies. Le démon qui contrôlait les maux du printemps s’appelait Zhang Yuanbo. Le Covid s’étant déclaré au printemps, à Wuhan comme à Shanghai, le dieu des miasmes du printemps s’appelle aujourd’hui Xi Jinping : Xi est devenu un démon maléfique qui, tout comme Zhang Yuanbo, devrait être dompté. (…) Tout comme en 1958, lors du Grand Bond en avant, quand Mao Zedong a ordonné aux Chinois d’exterminer les moineaux accusés de picorer les semences. La stratégie « zéro moineaux » a été couronnée de succès, mais à quel prix : les insectes se sont multipliés, entraînant une catastrophe écologique. C’est le modèle institutionnel du Parti communiste chinois, Xi Jinping a juste remplacé les moineaux par le Covid. Le bouclage intégral de Shanghai signe en réalité une défaite pour Xi Jinping. Il y a deux ans, il avait ordonné la fermeture totale du pays tout en maintenant les vols internationaux, et ainsi permis au virus de se propager dans le monde. Cette fois, il voulait empêcher le retour en Chine du virus qui avait pourtant perdu en virulence. Quoi que fasse le dieu de la peste Xi, il montre que les virus dictatoriaux sont plus dangereux que les virus de chauve-souris. Les potentats sont bien incapables de contrôler la diffusion des maladies contagieuses, mais contrôlent parfaitement la transmission de la vérité. Il suffit que leurs propres virus se dissolvent dans un mensonge pour se glisser dans les esprits des personnes qui ne connaissent pas la vérité. Tout comme une balle ne tue que lorsqu’elle a été insérée dans le barillet d’un revolver. Xi Jinping est un dieu de la peste qui brandit un « pistolet à mensonges ». S’il n’avait pas tout fait pour dissimuler la vérité au moment où le coronavirus a surgi à Wuhan, sa propagation aurait pu être contenue, comme cela a été le cas pour le virus Ebola. A l’ère de la mondialisation, le camouflage de la vérité sur l’épidémie a eu comme conséquence que le monde entier est devenu un grand Wuhan. Absolument aucune ville n’y a échappé. A Londres, où je suis exilé, quatre membres de ma famille ont été contaminés. 160 millions de personnes dans le monde ont été infectées, des millions sont mortes. Malgré ce coût écrasant en vies humaines, nous ne connaissons toujours pas le vrai visage du fléau dissimulé sous des mensonges politiques. Cette vérité est entre les mains du commandant en chef de la peste, Xi Jinping. Mais la Chine sous le joug communiste est un pays sans vérité. Du massacre d’étudiants sur la place Tiananmen en 1989 à l’emprisonnement de millions de personnes dans les camps de concentration du Xinjiang, la vérité est toujours cachée. Les responsables des démocraties européennes devraient savoir que laisser ces mensonges se diffuser revient à tuer la vérité une deuxième fois. Et qu’oublier les victimes de ces mensonges nous rend incapables de nous en protéger. Nous vivons en un temps qui a perdu le sens du bien et du mal, réduits à assister en spectateurs aux assauts de cette calamiteuse machine à fabriquer des « mensonges rouges » contre nos vies et nos libertés. Nous sommes en 2022, mais nous nous sommes rapprochés du « 1984 » d’Orwell. Ce n’est pas seulement en Chine, à Hongkong ou au Xinjiang que l’on voit, sous l’effet du totalitarisme, le désir de changement social peu à peu remplacé par l’attrait pour le fric et le besoin de sécurité. L’espèce humaine tout entière est en train de s’engourdir et ne sait plus distinguer le vrai du faux. A cause de ce flou, dans de nombreux pays, il n’est même pas possible de vacciner la population. Et il y a tant de personnes qui développent des anticorps contre les droits humains et la démocratie, et s’habituent à vivre en symbiose avec le virus totalitaire. Car oui, trente-trois ans après le massacre de la place Tiananmen, les gens évitent de parler du carnage qui a eu lieu sur cette place, et c’est là une victoire du mensonge. L’Union européenne a même ouvert un boulevard au régime de Xi Jinping en lui permettant de faire miroiter le « rêve chinois » aux yeux de la planète. Pendant ce temps, le Covid né à Wuhan se propageait, entraînant une hécatombe des millions de fois supérieure au massacre de Tiananmen. Oui, il y a trente-trois ans, les démocraties ont vu tomber le mur de Berlin et tout le monde a cru que le communisme s’était éteint avec le XXe siècle. Mais le plus grand Parti communiste du monde, le PC chinois, n’est pas tombé ; il a envoyé 200 000 soldats réprimer le mouvement pro-démocratie sur la place Tiananmen, après quoi il a nettoyé les taches de sang, rebouché les trous laissés par les balles sur les monuments de la place, et imprégné de mensonges le cerveau de 1,3 milliard de personnes. Et le PC chinois est devenu, sous le manteau, le protecteur de Poutine et de Kim troisième du nom. Avec ses « gènes » communistes et sa pensée restée bloquée à l’époque de l’empire soviétique, Poutine est naturellement devenu un pion dans le jeu du prince rouge Xi Jinping. Ces deux dictateurs unissent désormais leurs forces en vue de dominer le monde. L’invasion de l’Ukraine montre quelle est l’ambition de Poutine. Et comment Xi Jinping manœuvre. Aujourd’hui comme il y a trente-trois ans, les pays démocratiques doivent se battre contre ces deux super-hégémons rouges. Oui, après trente-trois ans de mensonges, on finit par penser que la vérité est elle aussi indigne de confiance. Après Tiananmen, la Chine communiste s’est lancée dans le développement capitalistique, devenant vite le nouveau Big Brother. Aujourd’hui, elle ne cache plus son désir d’écraser les démocraties afin de réaliser le « rêve chinois » – la domination de l’Empire rouge sur le monde. Le virus du rêve chinois, tout comme le coronavirus de Wuhan, a besoin de se transmettre pour survivre et se perpétuer. Pour ce faire, la Chine est devenue une boîte de Pandore qui produit sans trêve des mutations et contamine tous les pays. Face à elle, nous ne sommes plus que des prisonniers enfermés dans un labyrinthe de mensonges, contraints à aspirer ses miasmes. Oui, si le Parti communiste chinois s’était désintégré en même temps que les régimes communistes de l’Est, et si les responsables politiques occidentaux ne s’étaient pas empressés d’oublier le massacre qui a eu lieu à Pékin en 1989, la pandémie qui se promène aujourd’hui dans l’air que nous respirons n’existerait pas. Mais le Parti communiste chinois a profité du Covid pour démolir à nouveau la statue de la Liberté qui avait été érigée sur Tiananmen : il a abattu le phare de liberté qu’était Hongkong. Et on a revu les mêmes scènes qu’il y a trente-trois ans : des étudiants et des enseignants en grève de la faim pour défendre la démocratie et la liberté ; des étudiantes ligotées, écrasées sous les bottes de la police militaire ; des mamies aux cheveux blancs tentant de raisonner les policiers ; des danseuses et des chanteuses se battant jusqu’à la mort… Le dieu des miasmes Xi a décrété que la vérité était « fake ». Et nous des « mensonges » qu’il veut effacer. Aujourd’hui, les Ukrainiens meurent sous les bombes de Poutine, les habitants du Xinjiang sont emprisonnés et « rééduqués » par Xi Jinping, les Taïwanais risquent à tout moment l’invasion. Ces deux dictateurs sont en train de propager une épidémie sanglante, ouvrant une époque où le glas sonne tous les jours. Souvenons-nous du poète anglais John Donne qui a écrit au tournant des XVIe et XVIIe siècles :« Nul homme n’est une île, entière en elle-même ; tout homme est un morceau du continent, une partie de l’ensemble. […] La mort de tout homme me diminue, parce que je fais partie du genre humain, aussi n’envoie jamais demander pour qui sonne le glas ; il sonne pour toi. » Quand pourrons-nous sonner le glas des dictateurs qui répandent la peste ? Notre inquiétude au XXIe siècle, c’était que la technologie, l’internet et les divertissements bouleversent trop la société, que nos enfants regardent trop la télévision et jouent trop aux jeux vidéo. Nous étions loin de nous douter que la peste rouge venue de Chine allait surgir dans nos vies, prendre la vie de nos amis et de nos proches, puis s’atteler à « purifier » nos esprits, effacer notre conscience, nos valeurs, transformer nos façons de communiquer, de nous déplacer, nos services publics et notre vie culturelle, comme elle l’a fait à Wuhan ou à Shanghai. La civilisation politique de l’Europe est d’ores et déjà endommagée. Allons-nous continuer à regarder sans réagir les moines tibétains s’immoler l’un après l’autre, les habitants du Xinjiang, des personnes âgées aux enfants, être jetés dans des camps de concentration, leurs familles être détruites, et mes amis écrivains de Hongkong être arrêtés et disparaître les uns après les autres ? Je prie pour que, quand la grande souffrance du Covid prendra fin, les pays démocratiques auront réussi à construire une cage indestructible et y auront enfermé les dieux des miasmes. Que le rêve chinois du démon de la peste Xi reste à jamais un rêve. Ou qu’il soit enfermé, en compagnie de milliers d’autres virus, dans le laboratoire de Wuhan construit avec l’aide des Français. Allons-nous laisser la civilisation humaine régresser et tomber dans le piège du rêve chinois ? Ma Jian
La publication d’un manuel scolaire contenant une histoire biblique déformée et détournée a suscité la colère parmi les fidèles de la communauté catholique en Chine continentale. Le manuel en question a été publié pour enseigner « l’éthique professionnelle et le respect de la loi ». Le manuel scolaire, publié par le service d’édition de l’Université des sciences et technologies électroniques de Chine, qui dépend du gouvernement, contient un texte évoquant le récit de Jésus et de la femme adultère pardonnée. Dans la publication, le récit évangélique (Jean 8, 1-11) est déformé et affirme que Jésus Christ a lapidé une femme pécheresse afin de respecter la loi de son temps. Le texte reprend le passage décrivant la foule voulant lapider une femme selon la loi, et Jésus leur répondant « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre ». Pourtant, la fin du récit diffère radicalement, le texte ajoutant qu’une fois la foule dispersée, Jésus se serait mis à lapider la femme à mort en ajoutant « Moi aussi je suis pécheur, mais si la loi ne devait être exécutée que par des hommes sans faute, la loi serait vaine ». Un paroissien a publié le passage en question sur les réseaux sociaux, en dénonçant la falsification d’un texte biblique à des fins politiques comme une insulte à l’Église catholique. (…) Mathew Wang, un enseignant chrétien dans une école professionnelle, confirme le contenu du texte controversé, tout en ajoutant que la publication exacte varie selon les lieux en Chine. Mathew Wang précise que le texte publié par le manuel scolaire a été relu par le Comité de contrôle des manuels scolaires pour l’éducation morale, dans le cadre de l’enseignement professionnel dans le secondaire. Il déplore que les auteurs aient utilisé un tel exemple erroné pour justifier les lois socialistes chinoises. Selon certains catholiques chinois, les auteurs du manuel auraient voulu souligner que la loi est sacrée en Chine, et que son respect absolu est essentiel. Missions étrangères
Nous avons assez remarqué ailleurs combien il est téméraire et maladroit de disputer à une nation telle que la chinoise ses titres authentiques. Nous n’avons aucune maison en Europe dont l’antiquité soit aussi bien prouvée que celle de l’empire de la Chine. (…) Laissez tous les lettrés chinois, tous les mandarins, tous les empereurs reconnaître Fo-hi pour un des premiers qui donnèrent des lois à la Chine, environ deux mille cinq ou six cents ans avant notre ère vulgaire. Convenez qu’il faut qu’il y ait des peuples avant qu’il y ait des rois. Convenez qu’il faut un temps prodigieux avant qu’un peuple nombreux, ayant inventé les arts nécessaires, se soit réuni pour se choisir un maître. Si vous n’en convenez pas, il ne nous importe. Nous croirons toujours sans vous que deux et deux font quatre. Dans une province d’Occident, nommée autrefois la Celtique, on a poussé le goût de la singularité et du paradoxe jusqu’à dire que les Chinois n’étaient qu’une colonie d’Égypte (…) Les Égyptiens allumaient des flambeaux quelquefois pendant la nuit ; les Chinois allument des lanternes : donc les Chinois sont évidemment une colonie d’Égypte. (…) Confutzée, nommé parmi nous Confucius (…) ne faisait point le prophète ; il ne se disait point inspiré ; il n’enseignait point une religion nouvelle ; il ne recourait point aux prestiges ; il ne flatte point l’empereur sous lequel il vivait, il n’en parle seulement pas. C’est enfin le seul des instituteurs du monde qui ne se soit point fait suivre par des femmes. J’ai connu un philosophe qui n’avait que le portrait de Confucius dans son arrière-cabinet (…) J’ai lu ses livres avec attention ; j’en ai fait des extraits ; je n’y ai trouvé que la morale la plus pure, sans aucune teinture de charlatanisme. Il vivait six cents ans avant notre ère vulgaire. Ses ouvrages furent commentés par les plus savants hommes de la nation.  (…) Ce n’est pas ici la peine d’opposer le monument de la grande muraille de la Chine aux monuments des autres nations, qui n’en ont jamais approché ; ni de redire que les pyramides d’Égypte ne sont que des masses inutiles et puériles en comparaison de ce grand ouvrage ; ni de parler de trente-deux éclipses calculées dans l’ancienne chronique de la Chine, dont vingt-huit ont été vérifiées par les mathématiciens d’Europe ; ni de faire voir combien le respect des Chinois pour leurs ancêtres assure l’existence de ces mêmes ancêtres ; ni de répéter au long combien ce même respect a nui chez eux aux progrès de la physique, de la géométrie, et de l’astronomie. (…) Mais on peut être un fort mauvais physicien et un excellent moraliste. Aussi c’est dans la morale et —dans l’économie politique, dans l’agriculture, dans les arts nécessaires, que les Chinois se sont perfectionnés. Nous leur avons enseigné tout le reste ; mais dans cette partie nous devions être leurs disciples. Humainement parlant, et indépendamment des services que les jésuites pouvaient rendre à la religion chrétienne, n’étaient-ils pas bien malheureux d’être venus de si loin porter la discorde et le trouble dans le plus vaste royaume et le mieux policé de la terre ? Et n’était-ce pas abuser horriblement de l’indulgence et de la bonté des peuples orientaux, surtout après les torrents de sang versés à leur occasion au Japon ? scène affreuse dont cet empire n’a cru pouvoir prévenir les suites qu’en fermant ses ports à tous les étrangers. (…) L’empereur céda bientôt après aux cris de la Chine entière ; on demandait le renvoi des jésuites, comme depuis en France et dans d’autres pays on a demandé leur abolition. Tous les tribunaux de la Chine voulaient qu’on les fît partir sur-le-champ pour Macao, qui est regardé comme une place séparée de l’empire, et dont on a laissé toujours la possession aux Portugais avec garnison chinoise. Yong-tching eut la bonté de consulter les tribunaux et les gouverneurs, pour savoir s’il y aurait quelque danger à faire conduire tous les jésuites dans la province de Kanton. En attendant la réponse il fit venir trois jésuites en sa présence, et leur dit ces propres paroles, que le P. Parennin rapporte avec beaucoup de bonne foi : « Vos Européans dans la province de Fo-Kien voulaient anéantir nos lois, et troublaient nos peuples ; les tribunaux me les ont déférés ; j’ai dû pourvoir à ces désordres ; il y va de l’intérêt de l’empire… Que diriez-vous si j’envoyais dans votre pays une troupe de bonzes et de lamas prêcher leur loi? »  (….) On abattit leurs maisons et leurs églises dans toutes les autres provinces. Enfin les plaintes contre eux redoublèrent. Ce qu’on leur reprochait le plus, c’était d’affaiblir dans les enfants le respect pour leurs pères, en ne rendant point les honneurs dus aux ancêtres ; d’assembler indécemment les jeunes gens et les filles dans les lieux écartés qu’ils appelaient églises ; de faire agenouiller les filles entre leurs jambes, et de leur parler bas en cette posture. Rien ne paraissait plus monstrueux à la délicatesse chinoise. L’empereur Yong-tching daigna même en avertir les jésuites ; après quoi il renvoya la plupart des missionnaires à Macao, mais avec des politesses et des attentions dont les seuls Chinois peut-être sont capables. (…) Le célèbre Wolf, professeur de mathématiques dans l’université de Hall, prononça un jour un très-bon discours à la louange de la philosophie chinoise ; il loua cette ancienne espèce d’hommes, qui diffère de nous par la barbe, par les yeux, par le nez, par les oreilles, et par le raisonnement ; il loua, dis-je, les Chinois d’adorer un Dieu suprême, et d’aimer la vertu ; il rendait cette justice aux empereurs de la Chine, aux colaos, aux tribunaux, aux lettrés. (…) Il ne faut pas être fanatique du mérite chinois : la constitution de leur empire est à la vérité la meilleure qui soit au monde ; la seule qui soit toute fondée sur le pouvoir paternel ; la seule dans laquelle un gouverneur de province soit puni quand, en sortant de charge, il n’a pas eu les acclamations du peuple ; la seule qui ait institué des prix pour la vertu, tandis que partout ailleurs les lois se bornent à punir le crime ; la seule qui ait fait adopter ses lois à ses vainqueurs, tandis que nous sommes encore sujets aux coutumes des Burgundiens, des Francs et des Goths, qui nous ont domptés. Mais on doit avouer que le petit peuple, gouverné par des bonzes, est aussi fripon que le nôtre ; qu’on y vend tout fort cher aux étrangers, ainsi que chez nous ; que dans les sciences, les Chinois sont encore au terme où nous étions il y a deux cents ans ; qu’ils ont comme nous mille préjugés ridicules ; qu’ils croient aux talismans, à l’astrologie judiciaire, comme nous y avons cru longtemps. (…)  mais tout cela n’empêche pas que les Chinois, il y a quatre mille ans, lorsque nous ne savions pas lire, ne sussent toutes les choses essentiellement utiles dont nous nous vantons aujourd’hui. La religion des lettrés, encore une fois, est admirable. Point de superstitions, point de légendes absurdes, point de ces dogmes qui insultent à la raison et à la nature, et auxquels des bonzes donnent mille sens différents, parce qu’ils n’en ont aucun. Le culte le plus simple leur a paru le meilleur depuis plus de quarante siècles. Ils sont ce que nous pensons qu’étaient Seth, Énoch et Noé ; ils se contentent d’adorer un Dieu avec tous les sages de la terre, tandis qu’en Europe on se partage entre Thomas et Bonaventure, entre Calvin et Luther, entre Jansénius et Molina. Voltaire
La Chine, autrefois entièrement ignorée, longtemps ensuite défigurée à nos yeux, et enfin mieux connue de nous que plusieurs provinces d’Europe, est l’empire le plus peuplé, le plus florissant et le plus antique de l’univers (…) On nous assure encore que cette vaste étendue de pays n’est point gouvernée despotiquement, mais par six tribunaux principaux qui servent de frein à tous les tribunaux inférieurs. La religion y est simple, et c’est une preuve incontestable de son antiquité. Il y a plus de quatre mille ans que les empereurs de la Chine sont les premiers pontifes de l’empire ; ils adorent un Dieu unique, ils lui offrent les prémices d’un champ qu’ils ont labouré de leurs mains. (…) Cette religion de l’empereur, de tous les colaos, de tous les lettrés, est d’autant plus belle qu’elle n’est souillée par aucune superstition. Toute la sagesse du gouvernement n’a pu empêcher que les bonzes ne se soient introduits dans l’empire, de même que toute l’attention du maître-d’hôtel ne peut empêcher que les rats ne se glissent dans les caves et dans les greniers. L’esprit de tolérance, qui faisait le caractère de toutes les nations asiatiques, laissa les bonzes séduire le peuple ; mais, en s’emparant de la canaille, on les empêcha de la gouverner. On les a traités comme on traite les charlatans : on les laisse débiter leur orviétan dans les places publiques ; mais s’ils ameutent le peuple, ils sont pendus. Les bonzes ont été tolérés et réprimés. L’empereur Kang-hi avait accueilli avec une bonté singulière les bonzes jésuites ; ceux-ci, à la faveur de quelques sphères armillaires, des baromètres, des thermomètres, des lunettes, qu’ils avaient apportés d’Europe, obtinrent de Kang-hi la tolérance publique de la religion chrétienne. On doit observer que cet empereur fut obligé de consulter les tribunaux, de les solliciter lui-même, et de dresser de sa main la requête des bonzes jésuites pour leur obtenir la permission d’exercer leur religion : ce qui prouve évidemment que l’empereur n’est point despotique, comme tant d’auteurs mal instruits l’ont prétendu, et que les lois sont plus fortes que lui. Les querelles élevées entre les missionnaires rendirent bientôt la nouvelle secte odieuse. Les Chinois, qui sont gens sensés, furent étonnés et indignés que des bonzes d’Europe osassent établir dans leur empire des opinions dont eux-mêmes n’étaient pas d’accord ; les tribunaux présentèrent à l’empereur des mémoires contre tous ces bonzes d’Europe et surtout contre les jésuites, ainsi que nous avons vu depuis peu les parlements de France requérir et ensuite ordonner l’abolition de cette société. (…) ces bonzes, sous prétexte de religion, faisaient un commerce immense, qu’ils prêchaient une doctrine intolérante ; qu’ils avaient été l’unique cause d’une guerre civile au Japon, dans laquelle il était péri plus de quatre cent mille âmes ; qu’ils étaient les soldats et les espions d’un prêtre d’Occident, réputé souverain de tous les royaumes de la terre ; que ce prêtre avait divisé le royaume de la Chine en évêchés ; qu’il avait rendu des sentences à Rome contre les anciens rites de la nation, et qu’enfin, si l’on ne réprimait pas au plus tôt ces entreprises inouïes, une révolution était à craindre. Voltaire
Sans éblouir le monde, éclairant les esprits, il ne parla qu’en sage, et jamais en prophète ; cependant on le crut, et même en son pays. Voltaire (sur Confucius)
Confucius : d’autant plus grand qu’il ne fut point prophète, car qui est envoyé de Dieu doit l’être pour les deux hémisphères. Voltaire
Confucius ne recommande que la vertu ; il ne prêche aucun mystère […] pour apprendre à gouverner il faut passer tous ses jours à se corriger. Voltaire
L’empereur est, de temps immémorial, le premier pontife : c’est lui qui sacrifie au Tien, au souverain du ciel et de la terre. Il doit être le premier philosophe, le premier prédicateur de l’empire : ses édits sont presque toujours des instructions et des leçons de morale. Voltaire
L’Empereur nous apparaît ainsi comme le juge universel du bien et du mal (…), en lui se réalise l’étroite union de la politique, de la morale et de la religion, principe fondamental du gouvernement chinois ; il est véritablement le Fils du Ciel, et son omnipotence absolue et sacrée provient de ce qu’il est le mandataire du Ciel sur la terre. Edouard Chavannes (1904 )
Le feu sacré est étranger également au formidable ramassis de préjugés gauchistes, tiers-mondistes, multiculturalistes, politiquement corrects, etc. ; qui, depuis les années soixante, ont pris le relais des anciennes excuses pour ligoter plus que jamais la recherche, au nom de la protection dont les civilisations non occidentales, même défuntes, auraient besoin, face à l’impérialisme occidental. Passer son temps à déblatérer l’impérialisme, c’est se donner plus d’importance politique que nous en avons. Tous les mouvements gauchistes minimisent les violences archaïques pour protéger ce qu’on ne peut guère appeler autrement que la “vanité culturelle” des sociétés défavorisées, pas plus respectable en fin de compte que la vanité des peuples privilégié. René Girard 
Le Père Noël a été sacrifié en holocauste. A la vérité le mensonge ne peut réveiller le sentiment religieux chez l’enfant et n’est en aucune façon une méthode d’éducation. Cathédrale de Dijon (communique de presse aux journaux, le 24 décembre 1951)
Comme ces rites qu’on avait cru noyés dans l’oubli et qui finissent par refaire surface, on pourrait dire que le temps de Noël, après des siècles d’endoctrinement chrétien, vit aujourd’hui le retour des saturnales. André Burguière
Grâce à l’autodafé de Dijon, voici donc le héros reconstitué avec tous ses caractères, et ce n’est pas le moindre des paradoxes de cette singulière affaire qu’en voulant mettre fin au Père Noël, les ecclésiastiques dijonnais n’aient fait que restaurer dans sa plénitude, après une éclipse de quelques millénaires, une figure rituelle dont ils se sont ainsi chargés, sous prétexte de la détruire, de prouver eux-mêmes la pérennité. (…)La croyance où nous gardons nos enfants que leurs jouets viennent de l’au-delà apporte un alibi au secret mouvement qui nous incite, en fait, à les offrir à l’au-delà sous prétexte de les donner aux enfants […] Les cadeaux de Noël restent un sacrifice véritable à la douceur de vivre, laquelle consiste d’abord à ne pas mourir. (…) Les cadeaux seraient donc une prière adressée aux petits enfants – incarnation traditionnelle des morts, pour qu’ils consentent, en croyant au Père Noël, « à nous aider à croire en la vie ». Claude Lévi-Strauss
Nous avons mis en ligne des e-mails jusqu’alors inédits, montrant que le Dr Fauci a dissimulé des informations à propos d’une origine du Covid-19 en provenance du laboratoire de Wuhan, et intentionnellement minimisé la thèse d’une fuite de laboratoire. Parti républicain américain
En développant massivement un programme de modification des conditions météorologiques, le pays pourra, d’ici 2025, infléchir la météo grâce aux avancées spectaculaires de la recherche en matière « d’ensemencement » des nuages, rapporte CNN. Si cette technologie n’est pas nouvelle, l’ampleur du programme impressionne : la zone concernée couvrira une surface de 5,5 millions de kilomètres carrés, soit une fois et demi la superficie de l’Inde. Le concept d’ensemencement des nuages, déjà connu, consiste à injecter de petites quantités d’iodure d’argent dans les nuages qui comportent un taux d’humidité élevé, ce qui provoque la condensation des particules, puis des précipitations. Pékin est familière de cette technologie, utilisée notamment lors des JO de 2008 pour assurer un ciel dégagé pendant les épreuves sportives, ou encore lors des grandes exhibitions politiques dans la capitale. À l’heure où le dérèglement climatique menace, la maîtrise de cette technologie permettrait à la Chine de préserver ses régions agricoles des chutes de grêle, de lutter plus efficacement contre les grands feux de forêt, ou encore de parer aux périodes de sécheresse. L’année dernière, l’agence de presse chinoise Chine nouvelle annonçait en effet que la manipulation météorologique avait permis de réduire de 70% les dommages provoqués par la grêle sur les cultures dans le Xinjiang. Cette technologie a toutefois nécessité un investissement massif de la part du gouvernement chinois qui a, au total, déboursé pas moins de 1,34 milliard de dollars entre 2012 et 2017. Cet engouement fait cependant tiquer certains pays, comme l’Inde justement. Les deux pays, qui partagent une frontière le long de l’Himalaya, s’y étaient confrontés lors de violents heurts en juin 2020. L’Inde se demande depuis plusieurs années si la modification météorologique et les chutes de neige artificielles ne pourraient pas donner l’ascendant à la Chine en cas de conflit futur dans cette zone montagneuse où les mouvements de troupes sont essentiels. Capital
Nous avions déjà connu dans les années précédentes des demandes pour retirer les sapins de Noël, car ce serait un signe ostentatoire. Je trouve la décision du tribunal très agressive vis-à-vis du président du conseil général, surtout en Vendée. Bientôt, il faudra supprimer le mot Dieu de tout notre vocabulaire. C’est un peu insensé. Il faut arrêter les provocations. (…Toutes les mairies mettent des sapins de Noël partout. Ou alors on décide d’enlever toutes les églises du pays, car c’est aussi un signe ostentatoire religieux. Il faut arrêter de répondre à quelques babas cool écervelés à un moment où tout ça est très crispant dans la société. On prend la décision de retirer une crèche juste avant Noël, alors que cette fête est uniquement féérique. Ça n’a rien à voir avec la religion. On devrait se demander si on supprime Noël dans ce cas. La connerie n’a pas de limites… (…) Il faut du discernement. C’est ça le vivre ensemble. La réponse du ministre de l’Intérieur à une question écrite en mars 2007 l’explique tout a fait. (NDLR : à une question de Jean-Luc Mélenchon, alors sénateur, au sujet d’une crèche installée par une mairie, le ministère de l’Intérieur, dirigé à l’époque par Nicolas Sarkozy, répond que « le principe de laïcité n’impose pas aux collectivités territoriales de méconnaître les traditions issues du fait religieux qui, sans constituer l’exercice d’un culte, s’y rattachent néanmoins de façon plus ou moins directe. Tel est le cas de la pratique populaire d’installation de crèches, apparue au XIIIe siècle. Tel est le cas aussi de la fête musulmane de l’Aïd-el-Adha ».) Sans discernement, on supprime tout. L’Hôtel-Dieu doit changer de nom dans ce cas… Les musulmans ne le demandent même pas. Ceux qui demandent cela sont des ramassis de gens hors-sol et anti-calotin. Il ne faut pas y céder. (…) C’est une erreur. C’est souffler sur des braises. (…) au moment où les chrétiens sont martyrisés dans une partie du monde, je crois qu’il faut arrêter. On ne va pas brûler les minarets et faire sauter les synagogues. Arrêtons les bêtises. Noël, c’est féérique et je crois qu’on doit croire au Père-Noël le plus longtemps possible. Pierre Charon (sénateur UMP de Paris)
Le Parti, la politique, le militaire, le civil, l’université, l’Est, l’Ouest, le Sud, le Nord et le Centre, le Parti dirige tout. Mao Zedong
Pourquoi l’Union soviétique s’est-elle désintégrée ? Pourquoi le Parti communiste soviétique s’est effondré ? Une raison importante était que leurs idéaux et leurs convictions vacillaient. Finalement, il a suffi d’un mot silencieux de Gorbatchev pour déclarer la dissolution du Parti communiste soviétique, et un grand parti a disparu. En fin de compte, personne ne s’est comporté en homme, personne n’a osé résister. Xi Jinping
President Xi Jinping managed to offend Buddhists more deeply through his visit in Hebei last week than he did when visiting Tibet in July, in a trip that was mostly devoted to geopolitical issues and the question of water. That Xi Jinping’s visit to Chengde, in Hebei province, on August 24 did not create an international scandal only proves how easily history, including history of genocides, is forgotten. In fact, the Chinese president visited and honored a temple built to commemorate a genocide. The Puning Temple in Chengde is inextricably connected with the 18th-century extermination of the Dzungar Buddhists, which virtually all non-Chinese historians recognize as genocide. The Dzungars were a confederation of Mongol tribes that converted to Buddhism and established a powerful Khanate in the 17th century in present-day Xinjiang. The beautiful temples and monasteries they built there were all destroyed during the Cultural Revolution. Tibetans do not have a good memory of the Dzungars. Although the Fifth Dalai Lama and the founder of the Dzungar Khanate, Erdenu Batur, were allies, by the 18th century the Khanate had become so powerful that they invaded Tibet and conquered and looted Lhasa in 1717. The Tibetans, perhaps making a mistake justified by their difficult predicament, called the Chinese for help. The Dzungars defeated the Chinese army in 1718 (something the Chinese never forgot), but a second Chinese expedition was more successful, and the Dzungars were expelled from Tibet in 1720. The defeat of 1718 was avenged in 1755, when China moved decisively to annihilate the Dzungar Khanate and exterminate the Dzungar people. Between 500,000 and 800,000 Dzungars (650,000 being the figure advanced by some recent historians) were killed, men, women, and children. Only a few thousand descendants from the Dzungars survive in present-day Mongolia. Although the Dzungar invasion of Tibet was an act of aggression, nothing can justify the genocide perpetrated by the Qianlong Emperor, the worst mass massacre of the 18th century in the world. The same Qianlong Emperor built in 1755 the Puning Temple to celebrate what he called his “pacification” of the Dzungars, which was in effect extermination and genocide. (…) On August 24, Xi Jinping came to the Puning Temple. The visit was prepared by a video the CCP produced to explain to a Chinese audience the historical significance of the event. The video explained the conquest of the Dzungar Khanate and extermination of the Dzungars by claiming that the Qianlong Emperor “put down the rebellion of the Mongol Dzungar tribe.” The temple was presented as “one temple, two styles” (Chinese and Tibetan), a symbol of “Han-Tibetan unity and national unity.” (…) This is the usual jargon for total submission of religion to the CCP, but even more significant is that from the Puning Temple Xi went on to visit at the Chengde Museum an exhibition called “Inside and Outside of the Great Wall of Hope: Records of National Unity in the Qing Dynasty,” which is a blatant celebration of the genocidal policies of the Qianlong Emperor, who is praised for having promoted “ethnic unity, border stability, and national unity.” That he did so by killing hundreds of thousands of Dzungars is not explained. In such a significant location, Xi warned ethnic minorities that they should “adhere to the leadership of the CCP, adhere to the correct path of solving ethnic problems with Chinese characteristics, fully implement the Party’s ethnic theory and ethnic policies, and constantly consolidate and develop socialist ethnic relations.” They are, Xi said, inscribed in “historical laws” —one of which seems to be that either you submit or you are exterminated through genocide. Bitter winter
Aucune religion n’interdit le cannibalisme. Je ne trouve pas non plus de loi qui nous empêche de manger les gens. J’ai profité de l’espace entre la morale et la loi et c’est là-dessus que j’ai basé mon travail. Zhu Yu 
It is worth trying to understand why China is producing the most outrageous, the darkest art, of anywhere in the world.  Waldemar Januszczak (Times art critic)
Le sinologue français Robert des Rotours (…), dans son article « Quelques notes sur l’anthropophagie en Chine », indique que la consommation de viande humaine se pratique dans quatre buts principaux : pour survivre (en période de famine), dans un but de vengeance (sur un ennemi défini), pour satisfaire ses goûts culinaires, et enfin dans un but médical. J’ajouterais une cinquième catégorie, à savoir le témoignage de la piété filiale, rattaché à deux des catégories précédentes (famine et maladie), mais dont la pratique est singulière puisqu’il se pratique sur des personnes vivantes et volontaires (don de soi). Après avoir épluché longuement l’historiographie chinoise, le Professeur Key Ray Chong (…) a dénombré pas moins de 1219 évocations d’une pratique cannibale entre l’Antiquité et 1912 : 780 motivés par la piété filiale, 329 liés à la famine, 82 à la haine et à la guerre, et une infime minorité motivée par des penchants culinaires. A tout cela, il faudra ajouter les faits qui se sont déroulés au xxe siècle, avec un cannibalisme pratiqué dans un but idéologique. (…) nous avons présenté les différentes motivations poussant à la consommation de chair humaine en Chine : guerres, vengeances, famines, idéologie, piété filiale, croyances médicales, rituels ancestraux, penchants culinaires. (…) Existe-t-il réellement dans la société chinoise des faits de cannibalisme ? Historiquement, c’est sûr. Prenez l’exemple de Yi Ya à l’époque des Royaumes Combattants, qui a donné son fils à manger au duc Huan de Qi. D’autres faits sont attestés à l’époque féodale ; la piété filiale contraignait à donner sa propre chair pour soigner ses parents ; Lu Xun et son Journal d’un fou qui se termine par l’appel « Sauvez les enfants » ; les témoignages de Zheng Yi à l’époque de la Révolution culturelle sur des actes de cannibalisme dans le sud du pays. Tout prouve que le cannibalisme a existé. Solange Cruveillé
[L’hypothèse de l’accident de laboratoire] est basée, entre autres, sur le fait que le virus le plus proche actuellement connu, donc le RaTG13, a été échantillonné par un laboratoire de virologie localisé dans la zone où les premiers cas de Sars-CoV-2 ont été détectés, et où des travaux sur ces coronavirus émergents sont conduits. Des projets de recherche importants visaient à comprendre le mécanisme de franchissement de barrières d’espèces, c’est-à-dire justement à collecter des virus chez les chauves-souris, récolter des échantillons de manière à séquencer ces virus, essayer de mettre en culture ces virus dans des cellules et essayer de comprendre comment ces virus sont potentiellement capables d’infecter des cellules d’autres mammifères, incluant des cellules humaines. (…) Chez les coronavirus, par exemple, il y a une protéine qui joue un rôle majeur dans le franchissement de la barrière des espèces, c’est la protéine Spike qui est à la surface de la particule virale et donne l’aspect en couronne des virus. Il se trouve que les laboratoires de virologie de Wuhan ont démontré, à partir de 2016, qu’il existe chez certaines chauves-souris des virus avec des protéines Spike potentiellement capables d’infecter directement des cellules humaines sans nécessiter pour autant de passer par des hôtes intermédiaires.  (…) Il est crucial, de mon point de vue, de comprendre l’origine de cette pandémie, parce qu’il y a des décisions collectives et mondiales à prendre qui seront complètement différentes si l’origine est zoonotique ou accidentelle. S’il y a eu passage par tel ou tel hôte intermédiaire, il faudra prendre des mesures de surveillance chez les animaux potentiellement infectés, donc potentiellement vecteurs de ces virus, avec à la clef des abattages systématiques, comme c’est le cas régulièrement pour la grippe aviaire. Et s’il s’avère que c’est un accident dû à des manipulations, alors il faut mieux encadrer les conditions expérimentales dans lesquelles sont faites les expériences dont on vient de parler. Par ailleurs, quelle que soit l’origine du virus, avec l’avancée rapide des nouveaux outils de biologie moléculaires, il est peut-être urgent de réfléchir de manière collective aux expériences qu’il est nécessaire de faire dans les laboratoires et à celles qu’il ne faut pas faire parce qu’elles sont trop dangereuses. Est-il raisonnable de construire dans des laboratoires, des virus potentiellement pandémiques chez l’homme qui, au départ, n’existent pas naturellement ? Ce débat éthique existe depuis les années 2010-12, quand des équipes américaines et hollandaises ont cherché à construire des virus de la grippe, potentiellement pandémiques, et cette fois-ci à partir d’un virus qui n’était pas particulièrement adapté à la transmission par aérosol. Le bénéfice qu’on escomptait de ces expériences était-il si important qu’on pouvait s’affranchir du risque de sa diffusion ? Ou, est-ce que, éthiquement, ces travaux devaient être considérés comme trop dangereux et donc interdits ? Voilà ce qui a conduit les États-Unis à décréter à partir de 2014 un moratoire sur ce type d’expérience. (…) l’une des conséquences de cette nouvelle politique a été l’arrêt des expériences sur les coronavirus par les grands laboratoires sur le territoire américain. Ce qui a conduit, à la place, à l’intensification de ces recherches dans les laboratoires de Wuhan, par exemple, avec des financements américains… notamment, entre autres, via la EcoHealth Alliance ! Paradoxalement, le moratoire américain, qui pourrait être jugé comme une décision limitant les risques biologiques, a donc peut-être eu des effets pervers, en favorisant le déploiement de recherche dans des pays ou le contrôle des risque biologiques est moindre. Étienne Decroly
Moi aussi je suis pécheur, mais si la loi ne devait être exécutée que par des hommes sans faute, la loi serait vaine. Jésus (réécrit par un manuel scolaire chinois)
Il faut une évaluation complète des traductions existantes de classiques religieux. Pour les contenus non conformes, il faut des modifications et il faut retraduire les textes. Communiqué du parti communiste chinois (6 novembre 2019)
Le régime communiste est une secte et il voit le bouddhisme tibétain, le catholicisme ou l’islam comme des idéologies rivales. Le contrôle accru sur les religions trahit en réalité la peur de voir la société lui échapper. Zhang Lifan (historien chinois)
En Chine, un manuel scolaire destiné à l’enseignement professionnel dans le secondaire, publié par un service d’édition dépendant du gouvernement, a choisi de reprendre le passage biblique concernant la femme adultère afin d’enseigner aux élèves « l’éthique professionnelle et le respect de la loi ». On aurait pu s’en féliciter dans la mesure où Jésus, dans ce texte (Jn 8, 1-11), prend la défense de la femme adultère et empêche sa lapidation avec ces mots : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre ». Mais loin d’encourager une telle charité et l’amour de son prochain, le passage biblique cité dans le manuel scolaire assure que Jésus se serait mis lui-même à lapider la femme adultère en ajoutant : « Moi aussi je suis pécheur, mais si la loi ne devait être exécutée que par des hommes sans faute, la loi serait vaine ». (…) Ce n’est pas la première fois que le gouvernement chinois s’en prend aux catholiques du pays de manière plus ou moins insidieuse. Dans la province de l’Anhui (est du pays), près de Shanghai, depuis la mi-avril, plus de 500 croix appartenant à des lieux de culte chrétiens, que ce soit des églises catholiques ou des temples protestants, ont été enlevées des clochers. Cette répression qui émane du parti communiste n’est pas nouvelle et des milliers de croix ont déjà été retirées dans les provinces du Zhejiang, du Henan, du Hebei et du Guizhou, parfois sous prétexte de respecter les règles d’urbanisme. Alteia
L’État chinois contrôle de plus en plus profondément les nouvelles diffusées dans les médias officiels, et ce qui n’est pas validé en haut lieu est souvent qualifié de rumeur, comme cela a été le cas pour les premiers messages non officiels à propos de ce nouveau virus. Dès le 30 décembre 2019, le docteur Li Wenliang, ophtalmologue à l’hôpital central de Wuhan, diffuse l’information d’une nouvelle maladie, grave et transmissible d’homme à homme, auprès de quelques collègues. Questionné par la police le 3 janvier 2020, il est accusé d’avoir propagé de fausses rumeurs. Dans la culture communiste chinoise, il doit se rétracter en signant une « lettre d’admonestation », nouvelle formule des autocritiques en vigueur dans les années 1940 avec un paroxysme pendant la Révolution culturelle, par laquelle il s’engage à ne pas recommencer sous peine de poursuites. Avec le recul et vue de nos rives occidentales, cette menace à l’encontre de la diffusion de l’existence d’une maladie qui va rapidement devenir une pandémie paraît incroyable. Pourtant, cela est courant en Chine et n’étonne personne là-bas. (…) En effet, c’est d’abord la glorification du peuple chinois réussissant sa lutte contre le virus qui doit dorénavant circuler, comme cela transparaît dans une bande dessinée de propagande nommée « Grande illustration de la lutte contre le coronavirus », publiée sur le site du Quotidien du peuple le 2 avril. (…) L’arrivée du virus est imputée au « ciel », à travers des éclairs et des coups de tonnerre soudains, malmenant la sérénité des voyageurs se préparant à rentrer en famille fêter le Nouvel An. Le ciel, dans la tradition chinoise, est la puissance cosmique fondamentale. Ciel et destin sont souvent synonymes, et une traduction courante de la maxime ci-dessus (« le ciel avait un autre plan ») est « le destin est imprévisible ». L’apparition du « ciel/destin » en tant que moteur cosmique surplombant les hommes est assez originale dans un journal communiste. S’ensuit cette parole si anodine du virus : « Je suis arrivé tout doucement » – soudaine, impromptue, insidieuse, hors de tout contrôle, cette venue enlève toute responsabilité aux humains. Car c’est bien cela qu’il faut retenir : rien n’a pu être fait pour contenir cette épidémie que personne n’a vue venir, parce qu’elle a été orchestrée par le ciel. Dès lors, il appartient aux humains de se liguer pour combattre la maladie, heureusement avec l’aide du dieu du feu et du dieu du tonnerre, qui nomment les hôpitaux bâtis en un temps record. La teneur globale du message semble être la suivante : le ciel a envoyé un défi aux hommes qui, malgré quelques pertes, l’ont relevé victorieusement. L’avenir est dans le rêve chinois, représenté par les bulles d’une petite fille solitaire, volant sous des arbres en fleur vers le ciel. Bien sûr, on peut faire d’autres interprétations : d’abord, la fresque représente évidemment une réécriture de la bataille contre le virus du point de vue des dominants ; paradoxalement, ces derniers sont absents, et c’est bien le peuple lui-même qui est glorifié pour ses sacrifices. Ensuite, on peut être frappé par les accents religieux, voire mystiques, se manifestant dans l’évocation du ciel, dans celle des dieux du feu et du tonnerre nommant les hôpitaux parce qu’ils sont traditionnellement des dieux exorcistes pourfendeurs des maladies, dans les nombreuses colombes blanches voletant – symboles universels de paix et de pureté –, et enfin dans la pagode bouddhiste, présente au début et à la fin. Comment se fait-il que la propagande chinoise doive recourir à des clichés religieux et cacher le communisme et le Parti, les commanditaires de cette fresque ? Comment peut-on interpréter la petite fille solitaire du dernier dessin ? Ne pourrait-on pas y voir signifié le souhait chinois profond d’atteindre à l’individuation loin des foules pour vivre dans un monde idéal, en accord avec une nature bienveillante, sous une protection divine ? Cependant, la douceur extérieure relative de cette fresque disparaît avec fracas dans des caricatures d’une violence extrême livrées sans retenue en ligne fin avril, critiquant la romancière Fang Fang et le docteur Zhang Wenhong. Le journal du confinement de Wuhan de Fang Fang, publié chaque soir en ligne, a été le seul récit relatant librement les sentiments d’une écrivaine confinée. (…) les éditions chinoises ayant rejeté toute publication en Chine, Fang Fang a conclu un contrat avec des éditions non chinoises. Dès lors, considérée comme traître, elle est traitée dans des termes abjects datant de l’époque de la Révolution culturelle. Sur le dessin, travestie comme un chien, objet de haine et de mépris, elle est accusée par trois jeunes gens la pointant avec un doigt, un pinceau et une plume, la jeune fille tenant une lampe rouge, le tout sur un fond de drapeaux rouges. C’est bien l’écriture libre qui est dénoncée unilatéralement par les tenants d’un communisme rouge revenant sur le devant de la scène par les « nationalistes maoïstes » via les réseaux sociaux. Une deuxième caricature dénonce également l’esprit libre d’une autorité scientifique, le docteur Zhang Wenhong, représenté un peu comme un moustique à écraser, tenu par une main rouge – communiste donc. La raison de cette attaque ? Zhang Wenhong, directeur du service de maladies infectieuses d’un hôpital de Shanghai, est extrêmement populaire, bien plus que l’officiel Zhong Nanshan, représenté dans la fresque du Quotidien du peuple, pour ses prises de paroles réalistes et parfois humoristiques. II est violemment attaqué sur les réseaux sociaux, parce qu’il a proposé aux parents chinois de donner à leurs enfants du lait et des œufs pour le petit-déjeuner, à la place de la traditionnelle bouillie de riz, pour renforcer leur immunité. Ces propos ont été considérés comme une traîtrise vis-à-vis de la culture chinoise. Quels que soient les arguments et leur validité, ces attaques visent des personnes populaires, parce qu’elles ont révélé au grand jour ce qui n’aurait pas dû l’être. La Chine actuelle reste une société du secret, où la parole publique officielle travestit ou utilise le mensonge pour cacher ce qui ne doit pas être dit. Malheur à ceux qui transgressent les consignes ! (…) Ce qui se passe actuellement en Chine revient certainement en arrière sur tous les combats pour la liberté et la démocratie entamés depuis le début du xxe siècle, portés par de nombreux acteurs, y compris le Parti communiste chinois à son origine. Depuis l’ère des réformes, dans une Chine apaisée, nombreux encore sont ceux qui ont continué sur cette lancée, malgré Tian’anmen en 1989. Bien qu’aujourd’hui, la société numérique développe encore plus la surveillance de masse et favorise la circulation d’images terribles, elle n’a pourtant pas encore réussi à entraver ces espérances. Catherine Capdeville-Zeng
Le régime communiste veut que les religions servent les objectifs du Parti communiste, et donc la construction du socialisme. Xi Jinping sait qu’il ne peut pas faire disparaître la religion par une persécution massive, donc il poursuit la mise en œuvre d’une politique de contrôle et d’instrumentalisation de la foi chrétienne et de la religion musulmane. C’est une politique qui vise l’Église catholique mais aussi les autres religions, comme le protestantisme et l’islam. Ce n’est pas une annonce spectaculaire dans le sens où c’est la suite logique cohérente d’une volonté politique de sinisation de la société, que Xi Jinping a exprimé il y a déjà des années. Lorsqu’il a employé le terme de « sinisation » pour la première fois en 2011, il l’a appliqué au marxisme. Depuis 2015, il estime que cela doit aussi s’appliquer aux religions présentes en Chine. Pour lui, les religions doivent s’adapter à la culture et aux valeurs chinoises, et donc être un relais des valeurs marxistes. (…) C’est un contrôle de plus en plus étroit et quotidien, à la fois sur tous les édifices mais également sur toutes les activités religieuses en général. En Chine, aucun journal chrétien ni revue de théologie ne peut exister. Il y a parfois quelques bulletins d’une église ou d’un temple, mais ils sont contrôlés par le régime. Pour la période de Noël, cela va encore plus loin : les autorités ont mis en place une campagne de boycott, car ils considèrent que cette fête trahit la culture chinoise. Dans les écoles, toutes les décorations de Noël sont interdites. Dans plusieurs établissements, des enfants ont été punis car ils ont dit qu’ils allaient se rendre à la messe de Noël. Cela est dû à une réglementation adoptée il y a deux ans, qui interdit aux enfants de moins de 18 ans d’aller dans les églises ou dans les temples. (…) Dans l’idéologie marxiste, la religion est « l’opium du peuple », une superstructure qu’il faut faire disparaître. Mais le régime est conscient que dans les faits, ce n’est pas possible dans l’immédiat. A défaut de détruire la religion, il cherche dont à la transformer. Cette politique de sinisation s’est traduite par exemple par une récente campagne d’affichage dans les églises. Les autorités politiques essayaient de montrer par des citations que les douze grandes valeurs du socialisme ont une correspondance directe dans la Bible, donc que la Bible annonce le socialisme. (…) À mon sentiment, c’est la suite logique de la politique engagée par Xi Jinping depuis 2013. Mais dans la décennie 1966-1976, pendant ce que l’on a appelé la Révolution culturelle, la situation était encore plus dramatique. Aucun culte religieux n’était autorisé : même les églises « officielles » (celles qui sont reconnues par le régime, ndlr) ont été fermées de force, ainsi que les temples protestants… Aucun culte religieux n’existait en Chine. Aujourd’hui, même si la liberté de pratique religieuse est gravement entravée, des églises officielles sont ouvertes, et la religion n’est pas interdite. (…) [Avoir une croyance religieuse en Chine] C’est possible, dans la mesure où aucun pays à aucune époque n’a réussi à empêcher les gens de croire. L’objectif du régime à long terme serait de supprimer la religion en Chine, mais évidemment, il n’y parviendra pas. (…) Les différentes mesures prises par les autorités chinoises depuis la signature de l’accord [avec le Vatican] sont en contradiction avec cet accord. Le régime a toujours pour objectif de contrôler davantage l’Église catholique, et d’instrumentaliser la doctrine religieuse à des fins politiques. Évidemment, en signant cet accord, le Pape essayait de préserver la liberté de l’Église et assurer sa continuité en Chine, où de nombreux diocèses étaient sans évêques… Il avait des raisons de signer cet accord. Mais la Chine et le Saint-Siège poursuivent des intérêts différents. Il est peu probable que le Vatican réagisse à cette nouvelle offensive du régime. Le Pape sait bien que 11 millions de catholiques chinois vont déjà fêter Noël dans des conditions très difficiles. Il ne voudra pas aggraver la situation. Yves Chiron
Il est impossible de comprendre la forme de la gouvernance chinoise actuelle sans s’intéresser à la Chine archaïque et à la Chine impériale. Et, quand on se livre à cet exercice, on constate combien la théorie du philosophe René Girard sur le bouc émissaire est pertinente. L’homme fonctionne toujours sur le mode mimétique : il désire ce que veut son voisin, d’où les conflits. Lorsque ceux qui déchirent une communauté finissent par converger vers un seul de ses membres, rendu responsable de tout le mal, sa mise à mort ramène l’ordre et l’harmonie. C’est un phénomène anthropologique universel que les Évangiles ont subverti en racontant ce lynchage non pas du point de vue de la foule persécutrice, mais du point de vue de la victime innocente. Cependant, ce phénomène reste particulièrement présent dans la Chine actuelle, où il structure la religion comme la politique. (…) Les mythes de la Chine la plus archaïque sont nombreux à mettre en scène un meurtre fondateur. Ainsi, Tang le Victorieux, fondateur de la dynastie Shang, est à la fois considéré comme celui qui mit à mort Jie, le dernier souverain des Xia – la première dynastie chinoise – il y a trois millénaires, et, après son arrivée au pouvoir, comme une victime émissaire, accusée d’exactement les mêmes maux que Jie en son temps. Lors d’une sécheresse, les conflits se multiplièrent et Tang s’offrit en sacrifice pour faire tomber la pluie. Tang et Yu le Grand, le fondateur des Xia, furent tous deux des infirmes portant les marques d’élection propres aux victimes émissaires. Tang était « desséché », comme les sorciers au cœur des rites de faiseurs de pluie, et Yu le Grand boitait. Le « pas de Yu » reste aujourd’hui un des principaux rituels taoïstes. (…)  c’est par les sacrifices que l’empereur pouvait faire régner l’ordre et l’harmonie ! Avant d’être un politique, l’empereur était « fils du Ciel ». Le sacrifice au Ciel, qui était son apanage jusqu’en 1912 et la fondation de la République, était un rituel sanglant auquel aucun étranger ne pouvait assister. Si les sacrifices étaient correctement effectués, cela signifiait que le monde était en ordre. Si l’empereur s’agitait pour tenter de résoudre les problèmes auxquels le pays était confronté, il risquait au contraire de semer le désordre dans la communauté. Le « décret du Ciel », une notion dont la première occurrence apparaît en 998 avant notre ère, sous la dynastie des Zhou, permettait de justifier le pouvoir en place. L’empereur devait sans cesse faire face aux risques de subversion et inspirer une peur plus grande que celle qu’il éprouvait lui-même à l’égard de la violence collective. Le regard menaçant des « dix mille êtres » (la foule) pesait constamment sur l’« être unique » qu’était l’empereur, « plus à plaindre qu’un lépreux », comme le disait le légiste Han Feizi. Pour Mencius [Mengzi], le tyran déchu doit faire face à la volonté commune du Ciel, du peuple et de celui qui l’a chassé, lequel devient le nouveau détenteur du décret du Ciel mais peut être demain une nouvelle victime sacrifiée. N’est-il pas intéressant de voir comment, lors du XXe Congrès, Hu Jintao, le prédécesseur de Xi Jinping, a été, en public, exclu de l’assemblée ? Son successeur n’a pas bougé un cil. Depuis l’avènement du Parti communiste, le « décret du Ciel » s’appelle « mission historique » et fonde la légitimité du Parti. Si la dénomination change, c’est toujours du Ciel que vient la légitimité. Tant qu’ils ont le pouvoir, les dirigeants sont légitimes. (…) la théologie joue toujours son rôle dans la Chine d’aujourd’hui. Le sinologue Joël Thoraval a démontré que souvent, dans les campagnes, les souverains occupent la place centrale sur les autels domestiques et lors des rites, aux côtés du Ciel, de la Terre, des ancêtres et des maîtres. La politique chinoise est intimement liée à la religion. Dans les années 1980 et 1990, après la fin du culte de la personnalité, décrétée par Deng Xiaoping, des empereurs autoproclamés, suivis parfois de milliers de fidèles, sont apparus partout en Chine. Le retour d’une figure impériale avec Xi Jinping marque au fond un retour à la normale. (…) [Mais] présente en Chine depuis le XVIIe siècle, [la religion chrétienne] rend plus difficile la fermeture sacrificielle sur le bouc émissaire. Le christianisme est synonyme de liberté. C’est grâce à lui que les femmes ont pu avoir accès à l’éducation et commencer à se libérer de la coutume des pieds bandés, progrès d’ailleurs revendiqué par le Parti communiste. Aujourd’hui, malgré les persécutions parfois sanglantes contre les chrétiens jusqu’aux années 1970 et les mesures prises aujourd’hui pour interdire l’accès au culte, les conversions vont croissant. Nous manquons de statistiques fiables, mais les chrétiens seraient environ 100 millions, en majorité des protestants. C’est dans ce vivier que se recrutent nombre de militants des droits de l’homme. Ce n’est donc pas un hasard si le pouvoir veut « siniser » le christianisme. En 2019, il a annoncé un projet de réécriture de la Bible, qui devrait être terminé d’ici dix ans. Il a renoncé toutefois à inclure dans un manuel d’éducation civique sa version de l’épisode de la femme adultère (Évangile de Jean), dans laquelle le Christ participe lui aussi à la lapidation ! (…)  [L’historiographie chinoise] n’est pas fondée sur la vérité, mais sur l’autojustification du pouvoir, lequel est toujours pacificateur alors que les victimes sont des « fauteurs de troubles » responsables de ce qui leur arrive. Le massacre des Dzoungars, commis par les Qing au milieu du XVIIIe siècle, est ainsi présenté dans les annales comme une expédition punitive contre des brigands rebelles au fils du Ciel. Les Dzoungars ont été exterminés ; leur principauté est devenue pour partie la province du Xinjiang, peuplée par les Ouïgours, alors alliés des Chinois, et aujourd’hui par de plus en plus de Hans. Mais ce génocide est commémoré en toute bonne conscience par le pouvoir chinois en tant que moment privilégié de l’unité entre les Hans et les Tibétains, qui les avaient alors aidés. A contrario, la Chine ne peut être que victime des Occidentaux et des Japonais, qui l’auraient humiliée, sans que le pouvoir accepte de prendre en compte le fait que c’est grâce aux « barbares » étrangers qu’elle s’est pour une part ouverte à la modernité. Elle-même d’ailleurs n’aurait jamais fait de guerres de conquête, elle se serait contentée d’unifier le territoire du Ciel… Emmanuel Dubois de Prisque
Il apparaît (…) que la Chine actuelle, malgré son « athéisme » officiel, partage avec la Chine impériale un même tropisme qui la porte à ne pas distinguer le politique du religieux. Le Parti communiste chinois agit de plus en plus comme une institution qui se pose en gardienne de ce qui est sacré pour la Chine et que des forces extérieures, politiques ou religieuses, viennent en permanence menacer, de la même façon que la « bureaucratie céleste de l’Empire était la gardienne d’un dogme contre les hérésies » qui le menaçaient. Du point de vue du rapport du politique avec le religieux, la situation actuelle se rapproche de celle que décrivait Édouard Chavannes en 1904 : « L’Empereur nous apparaît ainsi comme le juge universel du bien et du mal […], en lui se réalise l’étroite union de la politique, de la morale et de la religion, principe fondamental du gouvernement chinois ; il est véritablement le Fils du Ciel, et son omnipotence absolue et sacrée provient de ce qu’il est le mandataire du Ciel sur la terre. » (…) La « grande renaissance de la nation chinoise » (…) est le cœur du métarécit de la Chine contemporaine selon lequel la Chine a refermé en 1949 une parenthèse d’un long siècle qui s’étend du début de la première guerre de l’Opium, en 1839, à la création de la « nouvelle Chine », siècle au cours duquel elle a été « humiliée » par les puissances occidentales et japonaise qui ont tiré profit de sa faiblesse, de son ingénuité et d’un pacifisme intrinsèque à sa culture. Sans renoncer à ce qu’elle est essentiellement, une civilisation pacifique et harmonieuse, elle ne répétera pas les erreurs du passé et saura se défendre si elle est agressée. (…) La posture parfois agressive et irascible de la Chine contemporaine s’explique ainsi paradoxalement par le sentiment que la civilisation chinoise est plus pacifique que les autres. Il lui faut donc devenir forte pour redevenir ce qu’elle imagine qu’elle fut : un modèle de vertu pour elle-même et pour le monde. (…) Depuis, au moins, le traité de Westphalie en 1648, les nations européennes ont de facto renoncé à incarner la totalité de la Chrétienté, c’est-à-dire à se considérer comme un avatar de l’empire universel des Romains et ont, de ce fait, sécularisé et territorialisé leur pouvoir. La Chine, quant à elle, n’a jamais été contrainte à cette kénose politico-religieuse. L’Empereur est resté jusqu’au terme de l’Empire non seulement souverain politique, mais aussi maître des rites et des sacrifices. Plus encore, les deux aspects de sa pratique politico-religieuse n’étaient qu’une seule et même chose. Comme l’écrit Jean Levi à propos de la Chine antique, « gouverner revient à sacrifier ». Malgré l’émergence progressive dans l’histoire chinoise de religions non directement politiques, diffusant leurs doctrines plus ou moins à l’écart du pouvoir, le bouddhisme et le taoïsme, le pouvoir impérial continuera à jouir d’un monopole sur la légalité et la légitimité du phénomène religieux dans le corps social. C’est l’administration qui définit, sur la base d’une loi fondamentale, ce qui est « correct » et ce qui est « hérétique » dans les pratiques religieuses. Pendant plus de cinq siècles, une loi Ming du xive siècle, reprise par la dynastie sino-mandchoue Qing jusqu’au début du xxe, prévoit la mort par strangulation ou l’administration de cent coups de bâton suivie (s’ils survivent) du bannissement de ceux qui pratiquent des cultes « hérétiques », c’est-à-dire non conformes aux pratiques considérées comme « correctes » par la bureaucratie. Pour reprendre les termes de J. J. M. De Groot, « l’Empereur aussi bien que le Ciel est seigneur et maître de tous les dieux, et délègue cette dignité à ses mandarins, chacun pour sa juridiction. C’est d’eux que relève la décision de savoir quels dieux sont susceptibles d’être objets de culte, et quels dieux ne le sont pas. S’il faut prendre la volonté de « restauration » de Pékin au sérieux, comme cela est vraisemblable, il convient d’envisager que ce processus puisse avoir une dimension religieuse et que cette dimension religieuse soit même centrale dans le projet des autorités chinoises. Depuis 2016, Pékin applique une politique de « sinisation » des religions qui non seulement réprime les « superstitions », mais soumet l’ensemble des cinq religions « officielles » (taoïsme, bouddhisme, islam, protestantisme, catholicisme) à une tutelle pesante. Des mosquées, des églises et mêmes des temples bouddhiques sont détruits ; le prosélytisme est sévèrement réprimé, l’accès aux églises ou aux mosquées est parfois interdit aux mineurs, tout comme l’enseignement religieux, tandis que le Parti promeut sa propre « spiritualité » de façon de plus en plus insistante. La « pureté » de l’idéal révolutionnaire est mise en avant et, dans certaines régions, les autorités locales remplacent jusque dans les domiciles les effigies religieuses par des portraits de Xi Jinping. Sur les lieux de culte qui restent tolérés, les inscriptions religieuses sont parfois effacées pour être remplacées par des slogans du Parti. Les autorités religieuses sont ainsi engagées dans un vaste projet visant à supplanter les religions existantes par une « spiritualité » indistinctement politique et religieuse qui s’appuie sur la doctrine marxiste-léniniste pour neutraliser non seulement les « religions étrangères » (christianisme et islam), mais aussi les religions considérées comme chinoises (taoïsme et bouddhisme) dans la mesure où ces dernières impliquent, pour les fidèles, un ordre de loyauté concurrent de l’ordre politique. En outre, les autorités situent parfois délibérément la vocation du religieux et celle du politique sur le même plan. Le catholicisme, notamment, est critiqué pour son inefficacité dans la lutte contre la pauvreté et la maladie, tandis que le Parti vante ses résultats dans ces deux domaines. Les autorités prétendent ainsi « transformer les fidèles des religions en fidèles du Parti . C’est aussi dans ce contexte que doit se comprendre la politique menée à l’égard de l’islam ouïghour au Xinjiang. Lorsque le Parti prétend, pour répondre aux accusations occidentales, se contenter de « rééduquer » les foules musulmanes du Xinjiang plutôt que de les enfermer dans des camps de concentration, cela n’a rien de rassurant car se manifeste ainsi une foi profonde dans la vertu civilisatrice de cette abstraction qu’est « la Chine ». Mais aussi abstraite soit-elle, cette Chine conçue comme centre de civilisation exerce des effets puissants sur les cadres du Parti communiste, qui y trouvent les ressources symboliques nécessaires à la légitimation de la mise en œuvre de politiques de plus en plus coercitives à l’égard des populations qui leur sont soumises. Mais plus profondément encore que dans ses rapports avec les religions, la nature religieuse, ou plus exactement sacrificielle, du régime chinois se révèle dans sa structuration fondamentale. En se faisant le gardien et le défenseur de l’orthodoxie spirituelle et de la foi dans les idéaux révolutionnaires de ses membres, le Parti s’inscrit dans les pas du pouvoir politico-religieux chinois traditionnel, dont un des rôles essentiels était de distinguer ce qui est « correct » de ce qui est « hérétique » dans le foisonnement des rites et cultes chinois. Aujourd’hui, c’est dans sa capacité de purification du corps social, à travers l’expulsion des ennemis de la Chine ou de la Révolution, que le Parti manifeste sa puissance, de la même manière qu’autrefois la puissance de l’Empereur se manifestait dans sa capacité à respecter les rites, au premier rang desquels le grand sacrifice au Ciel. Avec lui, l’ordre social et cosmique était produit et garanti. (…) Comme nombre d’autres empereurs avant lui, Mao fut déifié après sa mort par une partie de la population chinoise, malgré la vive hostilité à la religion traditionnelle qu’il manifesta durant son existence. Ou, plutôt, cette déification se produisit en raison même de cette hostilité : sa capacité magique à chasser les esprits et les fantômes de l’ancien monde faisait de Mao un esprit d’une puissance supérieure à celle des esprits et fantômes auxquels la Chine devait faire face jusqu’alors. Aujourd’hui encore, Mao occupe parfois la place centrale dans les autels domestiques, celle du souverain, alors même que son mausolée occupe le cœur de la place centrale (Tiananmen) de la capitale chinoise.  La politique actuelle de « sinisation » des religions et d’expulsion de tout ce qui dans ces religions les rattache aux puissances étrangères renoue ainsi avec la longue tradition chinoise, malgré les soubresauts de l’histoire politique de ce pays au xxe siècle. Sur au moins un temple bouddhique chinois, on pouvait lire en 2018 un slogan frappant : « Sans parti communiste, il n’y a pas de bouddha », qui établit très clairement la nature de la hiérarchie entre le pouvoir du Parti et celui des autres organisations religieuses. Pas plus que dans la Chine d’ancien régime, il n’existe dans la Chine contemporaine un ordre politique et un ordre religieux qui existeraient parallèlement et exerceraient leurs compétences chacun sur son « royaume » qui serait celui de la terre, pour le premier, et celui des cieux, pour le second. La Chine est le « pays des dieux » ou le « pays sacré », selon une de ses appellations traditionnelles, ce qui signifie que les dieux sont indistinctement d’en bas et d’en haut. Selon un principe tout à la fois taoïste (Zhuangzi) et confucéen (Dong Zhongshu), « le Ciel et l’Humanité ne font qu’un ». Le contraste est frappant entre les rapports du politique et du religieux tels qu’ils se sont établis en Occident au cours de son histoire et ce qu’ils sont en Chine : alors que pour le christianisme la Chute a pour conséquence une séparation de Dieu d’avec sa créature et qu’en conséquence le royaume du « fils de Dieu » n’est « pas de ce monde ». En Chine le royaume du « fils du Ciel » n’est rien d’autre que le monde Tianxia : tout ce qui est sous le Ciel. « De tout ce qui est sous le Ciel, il n’est rien qui ne soit le territoire du roi », dit aussi le Shijing. (…) Autrefois du ressort du souverain et de sa « bureaucratie céleste », ces rites antiques de production, de structuration et de purification du corps sociopolitique ont été modernisés et prennent aujourd’hui des formes diverses (lutte contre la corruption, contre la « pollution spirituelle », mise en place, enfin, d’un « système de crédit social » d’évaluation et de sanction des citoyens…) : ils sont aujourd’hui du ressort du « grand dirigeant » et de sa bureaucratie moderne que sont respectivement Xi Jinping et le Parti.  La nature religieuse du projet chinois se manifeste jusque dans le vocabulaire employé pour le décrire. Un chercheur officiel prétend ainsi que l’évaluation du « crédit » des individus (c’est-à-dire de la confiance qu’on peut leur accorder) sera comme la « main invisible » qui disciplinera les citoyens et assurera l’harmonie de la société [19][19]Dai Mucai, « Poursuivre en même temps le gouvernement par la…. Ainsi, à la « main invisible » du marché qui ordonne la société selon les libéraux anglo-saxons, succède la « main invisible » de l’État chinois. Un autre déclare de façon plus explicite encore que le système de crédit social sera le « dieu » de l’ère du big data. Le système participera en outre à la répression des « cultes hérétiques ». À titre d’exemple, dans la ville pilote de Roncheng, où un système de notation est déjà en place, des bonus de points sont accordés à ceux qui dénoncent aux autorités des membres des organisations religieuses non autorisées par le gouvernement, comme à ceux qui financent de façon substantielle les bonnes œuvres du Parti. Quant à ceux qui participent aux activités de ces « cultes hérétiques », ils sont rétrogradés au « niveau d’alerte C » (juste avant le niveau le plus bas, le niveau « D », celui des criminels), le niveau de ceux qui, par exemple, refusent de remplir leurs obligations militaires. Dans un ouvrage qui reflète, semble-t-il, le point de vue du pouvoir chinois,  l’ancien interprète de Deng Xiaoping, Zhang Weiwei, présente le « Ciel » chinois (le Tian de Tianxia) de façon très éclairante. Selon Zhang, le « concept chinois traditionnel de Tian ou de Ciel […] signifie les intérêts vitaux ou la conscience de la société chinoise ». Et, affirme Zhang, lorsque cette conscience ou ces intérêts vitaux sont violés, il est légitime de s’affranchir des contraintes de l’État de droit pour punir des coupables, même si ceux-ci n’apparaissent pas comme tels aux yeux de la loi. (…) Le niveau religieux est en effet celui qui permet le mieux d’appréhender ce qui se joue ici. Pékin l’a bien compris : la volonté de restaurer l’Empire emporte avec elle une forme politique qui fait de l’empereur potentiel Xi Jinping et de sa bureaucratie les figures sacrées du pouvoir. Celles-ci ne sauraient souffrir la concurrence d’organisations religieuses pleinement libres. Pour le Parti l’alternative est claire : les religions devront se soumettre, en se sinisant, ou disparaître. Du point de vue de Pékin, ces organisations religieuses ne peuvent en effet subsister que comme supplétifs du Parti, c’est-à-dire en devenant de simples ressources spirituelles que le régime devra pouvoir détourner à son profit. Emmanuel Dubois de Prisque
Les étrangers, lorsqu’ils critiquent le régime chinois, s’en prennent à des idéologies ou à des systèmes sociopolitiques, capitalisme ou communisme, qui trouvent leur origine en Occident, comme si effectivement la culture chinoise était intouchable. Se dégage un étrange consensus pour ne pas rechercher précisément les liens qui seraient susceptibles d’exister entre la gouvernance de plus en plus totalitaire du régime chinois et la civilisation chinoise. Parallèlement, (…) l’Occident (…) devient un bouc émissaire universel (…) attaqué à la fois sur le front intérieur et sur le front extérieur, accusé d’être la cause à peu près unique de tous les malheurs du monde contemporain. (…) les anciens empires musulman et chinois assistent avec une joie mauvaise et mal dissimulée à la lente mise à mort de la bête blessée. (…) Alors même qu’elles sont le fait de civilisations profondément hiérarchisées et inégalitaires, ces dénonciations s’appuient avec habileté, et même perversité, sur les « valeurs » de l’Occident : liberté politique, liberté d’expression, égalité des conditions, et, dernière-née de ces valeurs dont nous verrons la fortune en Chine : « inclusivité ». Si son régime est soumis au feu de féroces critiques, en particulier dans les pays occidentaux, la Chine pour sa part, en tant que civilisation, fait l’objet d’une étrange complaisance, comme si l’esclavage, les guerres de religion, les génocides et le colonialisme étaient étrangers à la culture chinoise. (…) En outre, (…) un mythe, datant des Lumières, et qui est allé jusqu’à infecter les dirigeants chinois actuels, tout comme certains des commentateurs les plus influents de la Chine contemporaine, affirme que la civilisation chinoise est intrinsèquement pacifique et tolérante. Si elle s’arme aujourd’hui à une vitesse impressionnante, ce serait seulement parce qu’elle serait contrainte de se mettre au diapason des idéologies occidentales qui font du rapport de force l’alpha et l’oméga des relations internationales. (…)  En évitant de nous pencher sur les sources culturelles du sino-totalitarisme, nous nous privons de comprendre vraiment ce qui se passe en Chine. Le « système de crédit social » d’évaluation de la vertu des personnes morales et privées, la volonté de la Chine de « siniser » les religions, son obsession de la « pureté » idéologique et de la lutte contre la corruption ou contre le « démon » de la pandémie, le mélange déconcertant de bonne conscience et de férocité qui caractérise sa gouvernance, sa conception de la guerre et des conflits commerciaux, la nature de ses relations avec ses pays voisins, la forme prise par sa volonté de domination, tous ces éléments, et d’autres encore, ne peuvent se comprendre que si nous acceptons de regarder sans pudeur ce qu’est la culture traditionnelle de ce pays et la façon dont elle informe la Chine contemporaine. (…) Tous les dirigeants chinois ont affirmé sous une forme ou sous une autre ces dernières années leur conviction que le « gène de l’agression » était étranger à l’ADN chinois. Au contraire des pays occidentaux, naturellement portés à la conquête et à l’expansionnisme territorial, les Chinois n’auraient, « au cours de leur histoire de cinq mille ans », « jamais colonisé personne » et se seraient contentés, dans un esprit d’ouverture pacifique, de rendre de temps en temps visite à leurs voisins sans jamais les envahir, ni même les menacer. (…) la vanité culturelle chinoise, qui campe pour l’éternité la Chine dans le rôle de la victime bafouée par la violence des barbares, est le reflet inversé de la vanité occidentale qui se voit pour l’éternité comme la cause unique de tous les malheurs du monde. La rencontre de ces deux vanités (…) contribue à créer ce monstre surpuissant qu’est la Chine contemporaine, gavé de technologie et de bonne conscience. (…) [et] explique bien des renoncements : il est plus facile de céder sa technologie lorsqu’on a le sentiment de le faire pour la bonne cause du développement des pays du Sud que nos pères auraient hier exploités. (…) C’est aussi la vanité culturelle chinoise, alimentée par la culpabilité occidentale, qui nous a trop longtemps entravés dans une recherche libre de l’origine de la pandémie qui a bouleversé le monde en 2020. Dès les premières semaines de la propagation du virus, des scientifiques courageux se posaient des questions parfaitement légitimes sur la possibilité d’un échappement du nouveau virus d’un laboratoire wuhanais. Cependant, le 19 février 2020, vingt-sept scientifiques de premier plan bénéficiaient de l’autorité de la revue The Lancet pour dénoncer sur un ton moralisateur fort éloigné de la sérénité d’esprit qui devrait caractériser la recherche scientifique « les théories du complot qui suggèrent que le Covid-19 n’a pas une origine naturelle ». Ils échouèrent de peu à tuer dans l’œuf la recherche sur l’origine du virus. Il est apparu que le scientifique à l’origine de cet article, Peter Daszak, était un proche collaborateur des chercheurs de l’Institut de virologie de Wuhan, avec lesquels il a publié une vingtaine d’études. Il faisait également partie du groupe d’experts de l’OMS chargé à l’automne 2020 d’enquêter sur l’origine du SARS-CoV-2. Quand on connaît la mainmise exercée par la Chine sur l’organisation de Genève, il n’est guère surprenant que cette enquête n’ait pu porter ses fruits… (…) les chercheurs sont de plus en plus nombreux a estimé que certaines caractéristiques du virus semblent indiquer qu’il a pu faire l’objet d’une manipulation en laboratoire, sous la forme d’expérience de « gains de fonction ». Nous savons aujourd’hui que ce type de recherche, visant à rendre plus contagieux des coronavirus afin de mieux en étudier la possible transmission à l’homme, était mené dans plusieurs laboratoires de Wuhan. Rappelons aussi que la Chine a connu plusieurs échappements accidentels de laboratoire. La plupart des spécialistes estiment aujourd’hui que l’épidémie mondiale de grippe H1N1 en 1977 fut causée par un échappement d’un laboratoire soviétique ou chinois. (…) Il aura fallu la présidence de l’outsider Donald Trump aux États-Unis pour que l’Occident commence à prendre vraiment conscience de l’ampleur du désastre provoqué par notre cécité volontaire à l’égard de la nature du régime chinois. Quels que soient les nombreux défauts de l’ex-président américain, Trump a hâté la fin d’une politique complaisante à l’égard d’un régime qu’il faut bien qualifier de totalitaire. Le traitement par la Chine des opposants politiques, des minorités ethniques et religieuses, des intellectuels qui veulent continuer à réfléchir, ou de toute autre forme, si fragmentaire soit-elle, de société civile susceptible d’exister à l’écart du pouvoir, montre quelle est la nature de la gouvernance chinoise. Son emprise sur la société se veut totale. Avec le crédit social, la vidéosurveillance, le recueil de l’ADN de la population, sa volonté intacte d’éradiquer la puissance spirituelle des religions qui lui échappent, le pouvoir chinois met en œuvre un ensemble de solutions technologico-politiques à même de lui permettre de réaliser l’idéal traditionnel du souverain : tandis qu’il se rend opaque pour l’extérieur, l’extérieur doit lui être rendu transparent (…) Depuis quelques années, le régime chinois (…) s’est lancé dans une campagne de lutte contre les influences étrangères qui passe par une « sinisation » du christianisme [qui] passe par une réécriture de la Bible dont un manuel officiel d’éducation éthique et de morale professionnelle publié par une université publique nous a donné un avant-goût : la femme adultère sera finalement lapidée par Jésus, car c’est la loi qui le veut, et personne, y compris le Christ, n’est au-dessus de la loi. Autant dire que, pour le Parti, le seul christianisme qui tienne est un christianisme « sinisé », c’est-à-dire, semble-t-il, un christianisme lapidateur, afin que la Chine elle-même soit débarrassée de cet empêcheur de lyncher en rond qu’est le Christ : un christianisme sans le Christ…(…) la modernité occidentale est devenue pour le régime chinois un épouvantail dont l’expulsion hors de la communauté nationale constitue l’acte central de sa gouvernance. En « purifiant » le corps politique chinois de ce qui vient le corrompre de l’extérieur, le Parti renoue, par-dessus la modernité chinoise qu’il prétend incarner, avec la tradition indistinctement politique et religieuse de l’empire. Emmanuel Dubois de Prisque

Attention, un Noël interdit peut en cacher un autre !

Boycott et floutage de décorations de Noël, remplacement de portraits de la Vierge et l’Enfant par ceux de Xi Jinping dans les églises, réécriture de la Bible, destructions de croix et d’églises …

A l’heure où avec sa fausse trêve de Noël et après son prédécesseur Staline et avec le patriarche Kiril …

Le nouveau Führer de Moscou réquisitionne à son tour la religion pour sa guerre sainte contre l’Ukraine et l’Occident qui la soutient …

Et où après les philosophes de Lumières à la Voltaire, nos actuels petits télégraphistes de Moscou et de Pékin appellent à ne pas humilier une Russie et une Chine essentiellement pacifiques et victimes face au bellicisme américain …

Pendant qu’avec la fiction mensongère du Père Noël remplaçant un Saint Nicolas trop chrétien, l’éjection du petit Jésus de nos crèches et les nouveaux tabous lingusitiques, se poursuit la guerre contre Noël en Occident même …

Comment ne pas voir avec le dernier livre du sinologue, tout récemment disparu, Emmanuel Dubois de Prisque …

Derrière le peu de réactions que semblent susciter les restrictions et les menaces qui se précisent contre le christianisme et les traditions occidentales comme Noël …

Dans le pays officiellement athée et prétendument républicain d’un XI Jinping qui, en prolongeant indéfiniment son « Mandat du Ciel » du haut de sa « Cité interdite » 30 ans après le massacre de la  « Place de la porte de la Paix céleste », vient de s’offrir un poste de « Fils du Ciel » à vie

Sur fond d’exorcismes, entre crédit social et prix de vertu ou centres de quarantaine, camps de rééducation et hôpitaux aux noms d’anciennes divinités traditionnelles, contre les démons étrangers et leurs pestilences …

Sans compter, pour nos nouveaux faiseurs de pluie, l’ensemencement des nuages ou les plus dangereuses des expériences de gain de fonction dans des laboratoires construits ou financés par la France ou les Etats-unis

Ou, entre deux souvenirs de cannibalisme (y compris à but médical ou comme témoignage de piété filiale ou idéologique !), la célébration de génocides

L’étrange aveuglement occidental devant le retour à une fusion du politique et du religieux …

Qui n’a en fait jamais complètement quitté les deux seules puissances …

A n’avoir toujours pas eu comme par hasard…

Leur Nuremberg depuis la fin de la 2e guerre mondiale …?

‘Les États-Unis tentent d’enrôler l’Europe contre la Chine’

ENTRETIEN. Invité à s’exprimer à l’occasion du G20, l’économiste controversé Jeffrey Sachs défend la Chine et la Russie. Et dénonce l’hégémonie américaine.
Propos recueillis par Jérémy André
Le Point
15/11/2022

Les dirigeants des grandes puissances sont réunis cette semaine à Bali, en Indonésie, pour leur sommet annuel du G20. Invité par Djakarta pour une conférence inaugurale, l’économiste américain Jeffrey Sachs, professeur à l’université Columbia et conseiller du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, pour les objectifs du développement durable, conteste sévèrement l’hégémonie des États-Unis et se fait l’écho des critiques formulées par les puissances rivales, Chine et Russie en tête. Dans les années 1990, Jeffrey Sachs avait conseillé les pays de l’ex-bloc de l’Est pour rejoindre la mondialisation libérale. Cependant, depuis la fin des années 2010, ses commentaires sur la politique extérieure des États-Unis sont devenus de plus en plus tranchants.

Jeffrey Sachs se fait désormais l’« avocat du diable », refusant de qualifier de génocide la répression contre les Ouïghours en Chine ou de condamner Vladimir Poutine pour son invasion de l’Ukraine. La presse américaine l’étiquette « propagandiste de Xi Jinping » et « apologiste du Kremlin ». Ses dernières prises de position ont encore accentué la polémique. En tant que président de la Commission sur le Covid, créée par la revue The Lancet, il a accusé les scientifiques d’avoir étouffé l’hypothèse d’un accident de laboratoire comme origine de la pandémie. Quant au sabotage du gazoduc Nord Stream, il accuse, sans preuve et au diapason de Moscou, Washington et ses alliés. Entretien

Le Point : Joe Biden et Xi Jinping se sont rencontrés, ici, à Bali, pour la première fois depuis que le président américain a pris ses fonctions, en janvier 2021. Peuvent-ils encore échapper à une nouvelle guerre froide ?

Jeffrey Sachs : La nouvelle guerre froide est créée en très grande majorité par les États-Unis. À partir de 2015 environ, les responsables néoconservateurs de la politique étrangère américaine ont conclu que l’hégémonie américaine était menacée par la montée en puissance de la Chine. Depuis lors, le gouvernement américain a mis en place un ensemble croissant d’outils – barrières commerciales, sanctions, contrôles des exportations, contrôle des investissements et nouvelles alliances militaires en Asie – pour tenter de « contenir » la Chine. Cette approche pourrait conduire à une guerre pure et simple, par exemple à propos de Taïwan.

Les États-Unis tentent d’enrôler l’Europe dans leur effort pour contenir la Chine. Pourtant, l’intérêt profond de l’Europe n’est pas l’hégémonie américaine, mais plutôt un véritable ordre multilatéral dans lequel l’Europe et la Chine jouent toutes deux des rôles actifs et responsables – tout comme les États-Unis, bien sûr. L’Europe devrait donc résister à la nouvelle guerre froide menée par les États-Unis et poursuivre à la place des relations diplomatiques, économiques et financières actives avec la Chine. Trois domaines sont essentiels pour la coopération euro-chinoise : la décarbonation de l’énergie, les infrastructures eurasiennes et le soutien coordonné au développement à long terme de l’Afrique. Les États-Unis, de leur côté, devraient rétablir la relation avec la Chine. Je ne suis pas optimiste cependant. Leur politique étrangère reste entre les mains des néoconservateurs.

D’autres observateurs pensent que le tournant de la politique américaine vis-à-vis de la Chine n’est pas néoconservateur mais transpartisan, et qu’il a été causé par une politique étrangère plus agressive de Xi Jinping. Quel genre de compromis les États-Unis et la Chine pourraient-ils accepter ?La politique antichinoise des États-Unis est en effet transpartisane. Cela reflète deux idées. La première est que la Chine « a volé des emplois américains ». Après la victoire de Trump en 2016, les deux parties en sont venues à croire que le protectionnisme antichinois permettrait de gagner des voix dans les États pivots du Midwest. La seconde est que l’ascension de la Chine menace l’hégémonie américaine et qu’elle doit donc être ralentie ou arrêtée, ce qui reflète la prédominance de l’idéologie néoconservatrice dans les deux partis. Ces opinions sur la Chine sont cependant éloignées de la vérité.

Le commerce avec la Chine a probablement entraîné des pertes – modérées – d’emplois dans le secteur manufacturier, mais aussi des gains d’emplois compensatoires dans d’autres secteurs. Dans l’ensemble, le commerce bilatéral a été bénéfique pour les États-Unis et la Chine, et les effets secondaires négatifs pour les États-Unis (tels que la perte d’emplois dans certains secteurs) devraient être résolus par le biais de politiques intérieures (reconversion professionnelle, protection sociale, etc.) plutôt que par le protectionnisme. Et l’opinion selon laquelle la Chine représente une grave menace pour la sécurité des États-Unis est alarmiste. Oui, la Chine est un pays grand et puissant, mais pas un pays intrinsèquement militariste ou belliqueux. La Chine n’a pas mené une seule guerre au cours des 40 dernières années, tandis que les États-Unis ont mené d’innombrables (et apparemment perpétuels) conflits.

Alors que préconisez-vous ?

Les États-Unis devraient cesser de jouer sur la peur, s’engager dans une diplomatie renforcée, rester attachés à la politique d’une seule Chine, cesser de provoquer un affrontement à propos de Taïwan et mettre fin aux mesures commerciales, technologiques et financières unilatérales qui entravent l’économie chinoise. La Chine devrait elle aussi s’engager avec les États-Unis et l’Union européenne dans une diplomatie renforcée, pour résoudre les problèmes d’intérêt commun. Je crois que la Chine est tout à fait prête à le faire.

Vous avez conseillé à plusieurs reprises aux dirigeants occidentaux de ne pas humilier Vladimir Poutine. Son invasion de l’Ukraine ressemble de plus en plus à un désastre militaire, surtout après la défaite de Kherson. Pourquoi ne pas le laisser face au principe éternel de la guerre : « vae victis », « malheur aux vaincus » ?

Cette guerre aurait pu être évitée si les États-Unis n’avaient pas poussé à l’élargissement de l’Otan à l’Ukraine et à la Géorgie, et n’avaient pas participé au renversement de Viktor Ianoukovitch en 2014. La France et l’Allemagne auraient également dû pousser l’Ukraine à se conformer aux accords de Minsk II. Il y a déjà plusieurs centaines de milliers de morts en Ukraine à cause de cette guerre. Si l’Ukraine tente de reprendre la Crimée, je pense que nous assisterons à une escalade massive, voire à une guerre nucléaire. L’idée que l’Ukraine vaincra la Russie est un pari imprudent sur l’apocalypse. Les États-Unis et les Ukrainiens auraient dû signer la neutralité de l’Ukraine, le contrôle de facto de la Russie sur la Crimée et la mise en œuvre des accords de Minsk II. Au lieu de cela, ils parient imprudemment sur la victoire militaire contre un pays qui a 1 600 armes nucléaires. Récemment, le général Mark A. Milley, chef d’état-major des armées américaines, a déclaré qu’il était temps de négocier, mais la Maison-Blanche a semblé rejeter ses sages conseils.

Pourquoi maintenez-vous une position prorusse ?

Je suis pro-Ukraine et pro-paix. Je reconnais également les objections légitimes de la Russie contre l’élargissement de l’Otan, objections qui remontent à plus de trente ans. Je veux aider à accélérer la fin des souffrances et des destructions massives en Ukraine causées par la guerre par procuration entre les États-Unis et la Russie. Plus important encore, les États-Unis devraient cesser d’insister sur l’élargissement de l’Otan. Les dirigeants européens ont depuis longtemps reconnu les dangers des actions américaines sur l’Otan, mais malheureusement ils ne combattent pas les positions américaines.

Que peut accomplir cette réunion du G20, en l’absence de Vladimir Poutine ?

Le G20 devrait s’accorder sur la mise en place d’une nouvelle architecture financière mondiale pour aider les pays en développement à financer le développement durable, y compris l’adaptation au climat et la transformation énergétique. Le programme économique peut et doit aller de l’avant.

Xi Jinping peut-il aider à résoudre la crise ukrainienne ?

Oui, bien sûr. La Chine aiderait à garantir la sécurité de l’Ukraine en tant que pays neutre. La Chine n’a aucun intérêt à soutenir l’élargissement de l’Otan, d’autant plus que les États-Unis construisent des alliances militaires en Asie contre la Chine, et engagent même dangereusement l’Otan dans la politique antichinoise des États-Unis.

Selon votre dernier rapport sur les objectifs du développement durable, les efforts pour les atteindre à l’horizon 2030 sont sous-financés et sont ralentis par les crises qui s’accumulent. Ressentez-vous suffisamment d’urgence dans ce G20 pour rétablir le cap ?

Non, hélas, il n’y a aucun sentiment d’urgence. Le système politique américain, notamment les membres du Congrès, ne se soucie pas vraiment du développement économique mondial. L’élite politique se concentre plutôt sur l’hégémonie américaine. Tout au plus, l’intérêt des États-Unis pour l’Afrique s’est un peu ragaillardi pour concurrencer la Chine.

Trois ans après son déclenchement, l’origine de la pandémie est encore inconnue. Près de deux mois après le sabotage de Nord Stream, l’enquête n’a pas nommé ceux qui l’ont commis. Comment la communauté internationale peut-elle rester si divisée face à des événements majeurs ?

Dans les deux cas, le gouvernement américain maintient et manipule un récit invraisemblable, et le fait avec une acceptation remarquable en Europe. Sur le Covid-19, il est clair que les États-Unis ont financé des recherches très dangereuses en Chine basées sur la manipulation génétique avancée de virus de la famille du Sars. Et il est également clair que le gouvernement américain a refusé d’enquêter sur ses propres programmes de recherche qui auraient pu contribuer à la création du Sars-CoV-2. Au lieu de cela, le gouvernement américain a encouragé l’histoire scientifiquement faible d’une épidémie « naturelle » sur le marché de Huanan, à Wuhan.

Sur Nord Stream, Joe Biden a promis le 7 février que si la Russie envahissait l’Ukraine, Nord Stream serait terminé. Lorsqu’on lui a demandé comment les États-Unis feraient cela, il a répondu : « Je vous promets que nous serons en mesure de le faire. » Même la Suède cache les résultats de son enquête sur Nord Stream à l’Allemagne et au Danemark, au nom de la sécurité nationale ! Je crois que les dirigeants européens savent que les États-Unis et d’autres alliés ont fait cela, mais ils ne commenteront ou n’expliqueront tout simplement pas la vérité au public. Nous ne savons pas avec certitude que le Sars-CoV-2 est venu d’un laboratoire et que les États-Unis ont fait sauter le pipeline, mais nous savons que le public n’a pas encore été informé des faits réels concernant ces deux cas.

La Chine et la Russie ont un problème de transparence et de désinformation. Comment faire en sorte que les grandes puissances mettent fin à ce cycle de postvérité et de tromperie ?

Nous avons besoin d’une diplomatie structurée, systématique et renforcée entre les États-Unis, l’UE, la Russie et la Chine. La diplomatie s’est presque effondrée, emportée par une vague d’accusations, de désignation de coupables et, bien sûr, à cause de la guerre en Ukraine. Des diplomates de haut rang en Europe affirment que la diplomatie avec Poutine est impossible. Ce n’est pas vrai. La Russie a fait plusieurs tentatives diplomatiques valables ces dernières années (par exemple, pour arrêter l’élargissement de l’Otan à l’Ukraine et à la Géorgie, pour mettre en œuvre l’accord de Minsk II, etc.), mais celles-ci ont été repoussées par les États-Unis et l’Europe. De même, les États-Unis ont réduit leur diplomatie avec la Chine lorsque Joe Biden est arrivé au pouvoir. Cela aussi était une erreur.

Voir aussi:

« La politique chinoise est intimement liée à la religion »
ENTRETIEN. Pour Emmanuel Dubois de Prisque, le Parti communiste fonde, comme les anciens empereurs, sa légitimité sur le Ciel et la religion du sacrifice.
Propos recueillis par Laurence Moreau
Le Point
13/11/2022

Si moderne que cela, la Chine de Xi Jinping ? Celle qui est dirigée par un parti oligarchique dont la gouvernance ressemble fort à celle des anciens empereurs, celle qui privilégie le collectif sur l’individu, celle qui se présente volontiers comme la victime des Occidentaux mais aussi de tous ceux qui contestent son emprise, qu’il s’agisse des Tibétains, des Ouïgours ou des Taïwanais, quitte à utiliser les « faits alternatifs » pour mieux appréhender sa propre lecture de l’Histoire, cette Chine-là ne fonctionne-t-elle pas inlassablement et depuis des millénaires selon le modèle archaïque du sacrifice du bouc émissaire ? C’est la thèse du sinologue Emmanuel Dubois de Prisque, chercheur à l’Institut Thomas More et grand lecteur de l’anthropologue René Girard, l’auteur du livre culte La Violence et le Sacré (1972). Pour lui, l’opposition irréductible entre la Chine et l’Occident est le rapport à la religion, notamment le conflit sous-jacent avec le christianisme qui concurrence le culte traditionnel depuis cinq siècles.

Le Point : Dans La Chine et ses démons (Odile Jacob), votre nouveau livre, vous affirmez que la source du totalitarisme chinois repose sur le fondement sacrificiel du pouvoir. Pourquoi ?

Emmanuel Dubois de Prisque : Il est impossible de comprendre la forme de la gouvernance chinoise actuelle sans s’intéresser à la Chine archaïque et à la Chine impériale. Et, quand on se livre à cet exercice, on constate combien la théorie du philosophe René Girard sur le bouc émissaire est pertinente. L’homme fonctionne toujours sur le mode mimétique : il désire ce que veut son voisin, d’où les conflits. Lorsque ceux qui déchirent une communauté finissent par converger vers un seul de ses membres, rendu responsable de tout le mal, sa mise à mort ramène l’ordre et l’harmonie. C’est un phénomène anthropologique universel que les Évangiles ont subverti en racontant ce lynchage non pas du point de vue de la foule persécutrice, mais du point de vue de la victime innocente. Cependant, ce phénomène reste particulièrement présent dans la Chine actuelle, où il structure la religion comme la politique.De quelle manière ?

Les mythes de la Chine la plus archaïque sont nombreux à mettre en scène un meurtre fondateur. Ainsi, Tang le Victorieux, fondateur de la dynastie Shang, est à la fois considéré comme celui qui mit à mort Jie, le dernier souverain des Xia – la première dynastie chinoise – il y a trois millénaires, et, après son arrivée au pouvoir, comme une victime émissaire, accusée d’exactement les mêmes maux que Jie en son temps. Lors d’une sécheresse, les conflits se multiplièrent et Tang s’offrit en sacrifice pour faire tomber la pluie. Tang et Yu le Grand, le fondateur des Xia, furent tous deux des infirmes portant les marques d’élection propres aux victimes émissaires. Tang était « desséché », comme les sorciers au cœur des rites de faiseurs de pluie, et Yu le Grand boitait. Le « pas de Yu » reste aujourd’hui un des principaux rituels taoïstes.

Le confucianisme n’insiste-t-il pas sur la notion de Voie royale, un modèle d’État où le roi vertueux tire sa légitimité du « décret (ou mandat) du Ciel » pour faire régner l’ordre et l’harmonie ? Rien à voir avec les sacrifices sanglants…

Bien au contraire, c’est par les sacrifices que l’empereur pouvait faire régner l’ordre et l’harmonie ! Avant d’être un politique, l’empereur était « fils du Ciel ». Le sacrifice au Ciel, qui était son apanage jusqu’en 1912 et la fondation de la République, était un rituel sanglant auquel aucun étranger ne pouvait assister. Si les sacrifices étaient correctement effectués, cela signifiait que le monde était en ordre. Si l’empereur s’agitait pour tenter de résoudre les problèmes auxquels le pays était confronté, il risquait au contraire de semer le désordre dans la communauté. Le « décret du Ciel », une notion dont la première occurrence apparaît en 998 avant notre ère, sous la dynastie des Zhou, permettait de justifier le pouvoir en place. L’empereur devait sans cesse faire face aux risques de subversion et inspirer une peur plus grande que celle qu’il éprouvait lui-même à l’égard de la violence collective. Le regard menaçant des « dix mille êtres » (la foule) pesait constamment sur l’« être unique » qu’était l’empereur, « plus à plaindre qu’un lépreux », comme le disait le légiste Han Feizi. Pour Mencius [Mengzi], le tyran déchu doit faire face à la volonté commune du Ciel, du peuple et de celui qui l’a chassé, lequel devient le nouveau détenteur du décret du Ciel mais peut être demain une nouvelle victime sacrifiée. N’est-il pas intéressant de voir comment, lors du XXe Congrès, Hu Jintao, le prédécesseur de Xi Jinping, a été, en public, exclu de l’assemblée ? Son successeur n’a pas bougé un cil. Depuis l’avènement du Parti communiste, le « décret du Ciel » s’appelle « mission historique » et fonde la légitimité du Parti. Si la dénomination change, c’est toujours du Ciel que vient la légitimité. Tant qu’ils ont le pouvoir, les dirigeants sont légitimes.

Le culte du chef communiste a-t-il quelque chose à voir avec celui des empereurs ?

Oui, car la théologie joue toujours son rôle dans la Chine d’aujourd’hui. Le sinologue Joël Thoraval a démontré que souvent, dans les campagnes, les souverains occupent la place centrale sur les autels domestiques et lors des rites, aux côtés du Ciel, de la Terre, des ancêtres et des maîtres. La politique chinoise est intimement liée à la religion. Dans les années 1980 et 1990, après la fin du culte de la personnalité, décrétée par Deng Xiaoping, des empereurs autoproclamés, suivis parfois de milliers de fidèles, sont apparus partout en Chine. Le retour d’une figure impériale avec Xi Jinping marque au fond un retour à la normale.

Selon vous, ce ne sont pas les « cinq poisons » – que sont les résistants ouïgours et tibétains, les indépendantistes taïwanais, les militants pour la démocratie ou les membres de la secte Falun Gong – qui gênent vraiment le Parti communiste chinois, mais le christianisme. Pourquoi ?

Cette religion, présente en Chine depuis le XVIIe siècle, rend plus difficile la fermeture sacrificielle sur le bouc émissaire. Le christianisme est synonyme de liberté. C’est grâce à lui que les femmes ont pu avoir accès à l’éducation et commencer à se libérer de la coutume des pieds bandés, progrès d’ailleurs revendiqué par le Parti communiste. Aujourd’hui, malgré les persécutions parfois sanglantes contre les chrétiens jusqu’aux années 1970 et les mesures prises aujourd’hui pour interdire l’accès au culte, les conversions vont croissant. Nous manquons de statistiques fiables, mais les chrétiens seraient environ 100 millions, en majorité des protestants. C’est dans ce vivier que se recrutent nombre de militants des droits de l’homme. Ce n’est donc pas un hasard si le pouvoir veut « siniser » le christianisme. En 2019, il a annoncé un projet de réécriture de la Bible, qui devrait être terminé d’ici dix ans. Il a renoncé toutefois à inclure dans un manuel d’éducation civique sa version de l’épisode de la femme adultère (Évangile de Jean), dans laquelle le Christ participe lui aussi à la lapidation !

La règle du bouc émissaire a-t-elle une influence sur l’historiographie chinoise ?

Bien sûr. Celle-ci n’est pas fondée sur la vérité, mais sur l’autojustification du pouvoir, lequel est toujours pacificateur alors que les victimes sont des « fauteurs de troubles » responsables de ce qui leur arrive. Le massacre des Dzoungars, commis par les Qing au milieu du XVIIIe siècle, est ainsi présenté dans les annales comme une expédition punitive contre des brigands rebelles au fils du Ciel. Les Dzoungars ont été exterminés ; leur principauté est devenue pour partie la province du Xinjiang, peuplée par les Ouïgours, alors alliés des Chinois, et aujourd’hui par de plus en plus de Hans. Mais ce génocide est commémoré en toute bonne conscience par le pouvoir chinois en tant que moment privilégié de l’unité entre les Hans et les Tibétains, qui les avaient alors aidés. A contrario, la Chine ne peut être que victime des Occidentaux et des Japonais, qui l’auraient humiliée, sans que le pouvoir accepte de prendre en compte le fait que c’est grâce aux « barbares » étrangers qu’elle s’est pour une part ouverte à la modernité. Elle-même d’ailleurs n’aurait jamais fait de guerres de conquête, elle se serait contentée d’unifier le territoire du Ciel…

Voir également:

Tiananmen: 30 ans après, la Chine assume tout
La violence fondatrice de Tiananmen
Emmanuel Dubois de Prisque
Causeur
12 juin 2019

Tiananmen: 30 ans après, la Chine assume tout
© Yomiuti / AP / SIPA Numéro de reportage : AP22343224_000023

La violence de Tiananmen se comprend difficilement avec des yeux d’Occidentaux


Il y a un mystère Tiananmen. Alors qu’à l’extérieur de la Chine, ce massacre est toujours considéré comme une tache indélébile sur l’uniforme de l’Armée populaire de libération, le pouvoir chinois semble pour sa part de mieux en mieux l’assumer.

Cette répression par l’armée chinoise de manifestations étudiantes pacifiques, qui s’est soldée selon les sources par un bilan allant de quelques centaines à quelques milliers de morts, a longtemps été occultée par le pouvoir. Mais aujourd’hui, trente ans après les faits, le ton change à Pékin. Loin de disparaître de la conscience du Parti comme une mauvaise action qu’il s’agirait de refouler à jamais, cet acte de violence, ce coup d’État au sens premier du terme, est dorénavant revendiqué par le pouvoir comme un acte « correct » qui a mis la Chine « sur le chemin de la stabilité et du développement » (selon le ministre chinois de la Défense), ou encore comme un « incident » qui tel un vaccin «  immunise la société chinoise contre les désordres politiques les plus importants » (selon le journal officiel Global Times). Un acte bénéfique en somme, que le Parti défend aujourd’hui ouvertement, tandis qu’il se persuade que l’Occident en crise n’a plus aucune leçon à lui donner.

“Il faut du sang”

L’analogie entre vaccination et répression pourra sembler saugrenue, voire blasphématoire aux yeux d’Européens habitués à considérer toute violence, même d’État, sinon comme illégitime, au moins comme une forme d’aveu d’échec. Pourtant, ce n’est pas un auteur chinois, mais un auteur occidental qui nous permet peut-être de comprendre le mieux ce que le Global Times entend par cette analogie. Dans La Violence et le Sacré, René Girard décrit le processus de vaccination sur le modèle du sacrifice. « Que dire des procédés modernes d’immunisation et de vaccination ? (…) L’intervention médicale consiste à inoculer « un peu » de la maladie, exactement comme dans les rites qui injectent « un peu » de la violence dans le corps social pour le rendre capable de résister à la violence ». Quelques jours avant le déclenchement de la répression, fin mai 1989, alors que la direction du Parti semble plus divisée que jamais, le président de la République Yang Shangkun aura cette injonction glaçante : « il faut du sang ».

Ce qui est moderne en Chine, ce sont donc, tout autant que les pratiques de la médecine contemporaine, les procédés archaïques du sacrifice et de la violence, qui visent par la violence à mettre à distance la violence. Mais que la violence puisse porter des fruits, qu’elle puisse devenir fondatrice d’un ordre politique pérenne, cela n’est possible, à suivre René Girard, qu’à la condition qu’elle fasse l’objet d’une méconnaissance, c’est-à-dire que la responsabilité de la violence qui traverse la communauté soit attribuée non à ses auteurs véritables, mais à un bouc émissaire qui par là même mérite, aux yeux de la communauté, le sort qui lui est fait par le pouvoir. C’est ainsi que des dissidents chinois réfugiés à l’étranger peuvent aujourd’hui se voir reprocher par des étudiants éduqués en Chine d’avoir « cruellement tué des soldats de l’armée populaire » (Le Monde des 2 et 3 juin 2019).

Victimes sacrificielles

C’est seulement en mettant en lumière la logique sacrificielle qui sous-tend son discours que nous pouvons comprendre comment le pouvoir chinois peut simultanément mettre en avant son souci de l’harmonie et mettre en œuvre une répression féroce. En effet, dans cette logique, l’un ne va pas sans l’autre, car c’est en exerçant une répression féroce contre ceux qui sont accusés de répandre la discorde que l’harmonie est préservée. Ainsi, depuis des décennies, le pouvoir chinois organise de rituelles « luttes contre la corruption » ou contre la « pollution spirituelle » qui visent à fournir au système les victimes sacrificielles dont il a besoin.

René Girard pensait que partout dans le monde, les mécanismes sacrificiels de la politique avaient été rendus inefficaces par leur dévoilement progressif au cours de la période moderne. La Chine est peut-être en train de nous prouver qu’il avait tort.

La Violence et le Sacré, René Girard (Fayard/Pluriel)

Voir de même:

Le dieu chinois de la peste, par l’écrivain Ma Jian

Le courageux auteur de « China Dream », exilé à Londres, est l’un des meilleurs analystes de la propagande de Pékin et de ses mythes. Il dit, pour « l’Obs », ce que lui inspire la politique sanitaire mise en œuvre par Xi Jinping.

Ma Jian

Ecrivain

Le Nouvel Obs

Au début du printemps 2020, lorsque l’épidémie de Covid-19 a submergé Wuhan, une avocate de Shanghai, Zhang Zhan, arpentait la ville pestiférée. Elle savait que le plus effrayant n’était pas que le virus se propage, mais que la vérité soit étouffée. Elle voulait fournir aux personnes vivant hors de cette zone des informations non contaminées par le virus du mensonge. Résultat : elle a été arrêtée, ramenée à Shanghai et condamnée à quatre années de détention. Prisonnière du gouvernement chinois.

Au début du printemps 2022, après deux ans pendant lesquels il a fait le tour du monde, le Covid est arrivé à Shanghai, et les gens se sont de nouveau retrouvés enfermés chez eux. Prisonniers du gouvernement chinois. La même chose se reproduira prochainement à Pékin, à Tianjin, dans d’autres villes encore. Si vous vivez en Chine, peu importe la taille de votre domicile, ce n’est qu’une sorte de cellule, un substitut de prison. Les méthodes carcérales de ce pouvoir totalitaire sont bien pires que l’épidémie. La Chine tout entière n’est qu’une grande prison d’où sont exclues toute information et toute pensée. Chaque coin de rue, chaque station de métro pullule de caméras et de policiers, et il n’existe aucun endroit où l’on puisse se rencontrer et communiquer librement. Les gens traitent donc leurs amis et voisins comme des virus dont ils doivent se garder.

Zhang Zhan a été la première personne à être publiquement condamnée par le Parti communiste chinois pour avoir dévoilé l’épidémie de Wuhan. J’ai vu Zhang Zhan à la télévision, en fauteuil roulant, affaiblie par une grève de la faim de près de sept mois. J’ai vu aussi les images de ces Shanghaïens tellement affamés qu’ils se disputaient une botte d’ail dans un magasin. Et de ces habitants strictement confinés dans leur appartement au quatrième étage, qui descendaient par la fenêtre leur chien attaché à une corde pour qu’il puisse gambader un peu, avant de le remonter par la même voie. J’ai même vu un type qui rampait à quatre pattes dans la rue, cherchant à se faire passer pour un chien… L’absurde et l’humour noir ont toujours été omniprésents en Chine, mais j’ai le sentiment désormais que les Chinois se sont habitués à vivre sans liberté ni dignité.

Je repense aux cinq dieux des épidémies qui sont vénérés en Chine depuis des millénaires. Cinq démons à l’origine, qui régissaient les saisons et leurs terrifiants maux respectifs. Selon la légende, les anciens ont dompté ces esprits pernicieux, les ont transformés en divinités, les « cinq commissaires des miasmes », et les ont placés dans des temples où l’on pouvait, en leur faisant des offrandes, obtenir leur protection contre les maladies. Le démon qui contrôlait les maux du printemps s’appelait Zhang Yuanbo. Le Covid s’étant déclaré au printemps, à Wuhan comme à Shanghai, le dieu des miasmes du printemps s’appelle aujourd’hui Xi Jinping : Xi est devenu un démon maléfique qui, tout comme Zhang Yuanbo, devrait être dompté.

En cas d’épidémie, il est courant que les gens s’enferment quelques jours afin d’empêcher la propagation du virus, et que les gouvernements organisent ce confinement. Mais après deux années de mutations constantes, le Covid sous sa forme actuelle Omicron est devenu semblable à la grippe. Confiner strictement les villes, les quartiers et les familles revient à utiliser un canon pour écraser un moustique. Pourtant, si le commandant en chef Xi Jinping veut appliquer le « zéro Covid », la Chine tout entière doit être bouclée. Tout comme en 1958, lors du Grand Bond en avant, quand Mao Zedong a ordonné aux Chinois d’exterminer les moineaux accusés de picorer les semences. La stratégie « zéro moineaux » a été couronnée de succès, mais à quel prix : les insectes se sont multipliés, entraînant une catastrophe écologique. C’est le modèle institutionnel du Parti communiste chinois, Xi Jinping a juste remplacé les moineaux par le Covid.

« Pistolet à mensonges »

Le bouclage intégral de Shanghai signe en réalité une défaite pour Xi Jinping. Il y a deux ans, il avait ordonné la fermeture totale du pays tout en maintenant les vols internationaux, et ainsi permis au virus de se propager dans le monde. Cette fois, il voulait empêcher le retour en Chine du virus qui avait pourtant perdu en virulence. Quoi que fasse le dieu de la peste Xi, il montre que les virus dictatoriaux sont plus dangereux que les virus de chauve-souris. Les potentats sont bien incapables de contrôler la diffusion des maladies contagieuses, mais contrôlent parfaitement la transmission de la vérité. Il suffit que leurs propres virus se dissolvent dans un mensonge pour se glisser dans les esprits des personnes qui ne connaissent pas la vérité. Tout comme une balle ne tue que lorsqu’elle a été insérée dans le barillet d’un revolver. Xi Jinping est un dieu de la peste qui brandit un « pistolet à mensonges ». S’il n’avait pas tout fait pour dissimuler la vérité au moment où le coronavirus a surgi à Wuhan, sa propagation aurait pu être contenue, comme cela a été le cas pour le virus Ebola.

A l’ère de la mondialisation, le camouflage de la vérité sur l’épidémie a eu comme conséquence que le monde entier est devenu un grand Wuhan. Absolument aucune ville n’y a échappé. A Londres, où je suis exilé, quatre membres de ma famille ont été contaminés. 160 millions de personnes dans le monde ont été infectées, des millions sont mortes. Malgré ce coût écrasant en vies humaines, nous ne connaissons toujours pas le vrai visage du fléau dissimulé sous des mensonges politiques. Cette vérité est entre les mains du commandant en chef de la peste, Xi Jinping. Mais la Chine sous le joug communiste est un pays sans vérité. Du massacre d’étudiants sur la place Tiananmen en 1989 à l’emprisonnement de millions de personnes dans les camps de concentration du Xinjiang, la vérité est toujours cachée. Les responsables des démocraties européennes devraient savoir que laisser ces mensonges se diffuser revient à tuer la vérité une deuxième fois. Et qu’oublier les victimes de ces mensonges nous rend incapables de nous en protéger.

Nous vivons en un temps qui a perdu le sens du bien et du mal, réduits à assister en spectateurs aux assauts de cette calamiteuse machine à fabriquer des « mensonges rouges » contre nos vies et nos libertés. Nous sommes en 2022, mais nous nous sommes rapprochés du « 1984 » d’Orwell. Ce n’est pas seulement en Chine, à Hongkong ou au Xinjiang que l’on voit, sous l’effet du totalitarisme, le désir de changement social peu à peu remplacé par l’attrait pour le fric et le besoin de sécurité. L’espèce humaine tout entière est en train de s’engourdir et ne sait plus distinguer le vrai du faux. A cause de ce flou, dans de nombreux pays, il n’est même pas possible de vacciner la population. Et il y a tant de personnes qui développent des anticorps contre les droits humains et la démocratie, et s’habituent à vivre en symbiose avec le virus totalitaire.

Protecteur de Poutine et de Kim troisième du nom

Car oui, trente-trois ans après le massacre de la place Tiananmen, les gens évitent de parler du carnage qui a eu lieu sur cette place, et c’est là une victoire du mensonge. L’Union européenne a même ouvert un boulevard au régime de Xi Jinping en lui permettant de faire miroiter le « rêve chinois » aux yeux de la planète. Pendant ce temps, le Covid né à Wuhan se propageait, entraînant une hécatombe des millions de fois supérieure au massacre de Tiananmen.

Oui, il y a trente-trois ans, les démocraties ont vu tomber le mur de Berlin et tout le monde a cru que le communisme s’était éteint avec le XXe siècle. Mais le plus grand Parti communiste du monde, le PC chinois, n’est pas tombé ; il a envoyé 200 000 soldats réprimer le mouvement pro-démocratie sur la place Tiananmen, après quoi il a nettoyé les taches de sang, rebouché les trous laissés par les balles sur les monuments de la place, et imprégné de mensonges le cerveau de 1,3 milliard de personnes. Et le PC chinois est devenu, sous le manteau, le protecteur de Poutine et de Kim troisième du nom. Avec ses « gènes » communistes et sa pensée restée bloquée à l’époque de l’empire soviétique, Poutine est naturellement devenu un pion dans le jeu du prince rouge Xi Jinping. Ces deux dictateurs unissent désormais leurs forces en vue de dominer le monde. L’invasion de l’Ukraine montre quelle est l’ambition de Poutine. Et comment Xi Jinping manœuvre. Aujourd’hui comme il y a trente-trois ans, les pays démocratiques doivent se battre contre ces deux super-hégémons rouges.

Oui, après trente-trois ans de mensonges, on finit par penser que la vérité est elle aussi indigne de confiance. Après Tiananmen, la Chine communiste s’est lancée dans le développement capitalistique, devenant vite le nouveau Big Brother. Aujourd’hui, elle ne cache plus son désir d’écraser les démocraties afin de réaliser le « rêve chinois » – la domination de l’Empire rouge sur le monde. Le virus du rêve chinois, tout comme le coronavirus de Wuhan, a besoin de se transmettre pour survivre et se perpétuer. Pour ce faire, la Chine est devenue une boîte de Pandore qui produit sans trêve des mutations et contamine tous les pays. Face à elle, nous ne sommes plus que des prisonniers enfermés dans un labyrinthe de mensonges, contraints à aspirer ses miasmes.

Oui, si le Parti communiste chinois s’était désintégré en même temps que les régimes communistes de l’Est, et si les responsables politiques occidentaux ne s’étaient pas empressés d’oublier le massacre qui a eu lieu à Pékin en 1989, la pandémie qui se promène aujourd’hui dans l’air que nous respirons n’existerait pas. Mais le Parti communiste chinois a profité du Covid pour démolir à nouveau la statue de la Liberté qui avait été érigée sur Tiananmen : il a abattu le phare de liberté qu’était Hongkong. Et on a revu les mêmes scènes qu’il y a trente-trois ans : des étudiants et des enseignants en grève de la faim pour défendre la démocratie et la liberté ; des étudiantes ligotées, écrasées sous les bottes de la police militaire ; des mamies aux cheveux blancs tentant de raisonner les policiers ; des danseuses et des chanteuses se battant jusqu’à la mort… Le dieu des miasmes Xi a décrété que la vérité était « fake ». Et nous des « mensonges » qu’il veut effacer.

Epidémie sanglante

Aujourd’hui, les Ukrainiens meurent sous les bombes de Poutine, les habitants du Xinjiang sont emprisonnés et « rééduqués » par Xi Jinping, les Taïwanais risquent à tout moment l’invasion. Ces deux dictateurs sont en train de propager une épidémie sanglante, ouvrant une époque où le glas sonne tous les jours. Souvenons-nous du poète anglais John Donne qui a écrit au tournant des XVIe et XVIIe siècles :

« Nul homme n’est une île,
entière en elle-même ;
tout homme est un morceau du continent,
une partie de l’ensemble.
[…]
La mort de tout homme me diminue,
parce que je fais partie du genre humain,
aussi n’envoie jamais demander pour qui sonne le glas ;
il sonne pour toi. »

Quand pourrons-nous sonner le glas des dictateurs qui répandent la peste ? Notre inquiétude au XXIe siècle, c’était que la technologie, l’internet et les divertissements bouleversent trop la société, que nos enfants regardent trop la télévision et jouent trop aux jeux vidéo. Nous étions loin de nous douter que la peste rouge venue de Chine allait surgir dans nos vies, prendre la vie de nos amis et de nos proches, puis s’atteler à « purifier » nos esprits, effacer notre conscience, nos valeurs, transformer nos façons de communiquer, de nous déplacer, nos services publics et notre vie culturelle, comme elle l’a fait à Wuhan ou à Shanghai. La civilisation politique de l’Europe est d’ores et déjà endommagée.

Allons-nous continuer à regarder sans réagir les moines tibétains s’immoler l’un après l’autre, les habitants du Xinjiang, des personnes âgées aux enfants, être jetés dans des camps de concentration, leurs familles être détruites, et mes amis écrivains de Hongkong être arrêtés et disparaître les uns après les autres ? Je prie pour que, quand la grande souffrance du Covid prendra fin, les pays démocratiques auront réussi à construire une cage indestructible et y auront enfermé les dieux des miasmes. Que le rêve chinois du démon de la peste Xi reste à jamais un rêve. Ou qu’il soit enfermé, en compagnie de milliers d’autres virus, dans le laboratoire de Wuhan construit avec l’aide des Français. Allons-nous laisser la civilisation humaine régresser et tomber dans le piège du rêve chinois ?

BIO EXPRESS

Né en 1953 à Qingdao, Ma Jian est poète, peintre et romancier. Il est notamment l’auteur de « Nouilles chinoises », « Beijing Coma », « la Route sombre » et « China Dream », tous traduits aux éditions Flammarion. Il a fui la Chine en 1997, et vit à Londres depuis 1999.

Voir de plus:

Un manuel scolaire destiné à l’enseignement professionnel dans le secondaire, publié par le service d’édition de l’Université des sciences et technologies électroniques de Chine, qui dépend du gouvernement, a suscité la consternation parmi les catholiques de Chine continentale. Le texte, publié afin d’enseigner « l’éthique professionnelle et le respect de la loi » aux élèves, cite un passage du récit évangélique de la femme adultère pardonnée, mais déformé et détourné à des fins politiques. « Comment enseigner l’éthique professionnelle avec un tel manuel ? », demande un prêtre, qui souhaite rester anonyme.

Une partie de la page de couverture d’un manuel scolaire controversé, qui a suscité la consternation parmi la communauté catholique chinoise.

La publication d’un manuel scolaire contenant une histoire biblique déformée et détournée a suscité la colère parmi les fidèles de la communauté catholique en Chine continentale. Le manuel en question a été publié pour enseigner « l’éthique professionnelle et le respect de la loi ». Le manuel scolaire, publié par le service d’édition de l’Université des sciences et technologies électroniques de Chine, qui dépend du gouvernement, contient un texte évoquant le récit de Jésus et de la femme adultère pardonnée. Dans la publication, le récit évangélique (Jean 8, 1-11) est déformé et affirme que Jésus Christ a lapidé une femme pécheresse afin de respecter la loi de son temps. Le texte reprend le passage décrivant la foule voulant lapider une femme selon la loi, et Jésus leur répondant « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre ». Pourtant, la fin du récit diffère radicalement, le texte ajoutant qu’une fois la foule dispersée, Jésus se serait mis à lapider la femme à mort en ajoutant « Moi aussi je suis pécheur, mais si la loi ne devait être exécutée que par des hommes sans faute, la loi serait vaine ». Un paroissien a publié le passage en question sur les réseaux sociaux, en dénonçant la falsification d’un texte biblique à des fins politiques comme une insulte à l’Église catholique. « Je voudrais que tout le monde sache que le Parti communiste chinois a déjà essayé de déformer l’histoire de l’Église par le passé, de diffamer notre Église et d’attirer la haine du peuple sur notre Église », a-t-il souligné.

Mathew Wang, un enseignant chrétien dans une école professionnelle, confirme le contenu du texte controversé, tout en ajoutant que la publication exacte varie selon les lieux en Chine. Mathew Wang précise que le texte publié par le manuel scolaire a été relu par le Comité de contrôle des manuels scolaires pour l’éducation morale, dans le cadre de l’enseignement professionnel dans le secondaire. Il déplore que les auteurs aient utilisé un tel exemple erroné pour justifier les lois socialistes chinoises. Selon certains catholiques chinois, les auteurs du manuel auraient voulu souligner que la loi est sacrée en Chine, et que son respect absolu est essentiel. Un prêtre catholique, qui souhaite rester anonyme, affirme quant à lui que le texte publié « est lui-même immoral et illégal ». « Du coup, comment pouvons-nous encore enseigner l’éthique professionnelle avec un tel manuel ? », demande-t-il. « C’est un phénomène social bien triste que nous observons en Chine continentale », déplore-t-il. Paul, un catholique chinois, ajoute que des déformations similaires de récits chrétiens et de l’histoire de l’Église continuent d’être observées, mais il estime que les protestations des chrétiens n’auront aucun impact. « La même tendance se répète chaque année, mais l’Église ne riposte jamais, ou en tout cas elle ne reçoit jamais le respect et les excuses qu’elle mérite. » Kama, un catholique qui gère les contenus d’un groupe catholique sur les réseaux sociaux, souligne que le contenu publié par le manuel est une offense aux croyances religieuses des chrétiens. Il appelle les auteurs et les éditeurs concernés à présenter leurs excuses publiquement et corriger le texte. « Nous espérons que les autorités chrétiennes prendront la parole », ajoute-t-il.

(Avec Ucanews, Hong-Kong)

Le débat sur l’interdiction de Noël en Chine rate l’image d’ensemble
French.china.org.cn

26. 12. 2017

Lundi, c’était Noël. En Chine, de nombreux magasins lancent des promotions sur ce thème, remplissant les rues commerciales à travers le pays d’une atmosphère de Noël. Cette pratique est devenue courante dans les zones commerciales de Chine à chaque fin d’année.

Cependant, certains articles ont rapporté que des villes et des universités avaient « interdit Noël », ce qui a attiré l’attention de certains médias étrangers. Ceux-ci ont exagéré cette information, expliquant que la Chine interdisait Noël pour des considérations politiques et pour résister à l’invasion culturelle occidentale.

Les membres du Parti communiste de Chine dans les villes majeures comme Beijing et Shanghai n’ont été informés d’aucune notification interdisant Noël. Cette interdiction dans certains lieux et certaines institutions avait pour but de préserver la sécurité publique et en aucun cas de « boycotter » Noël.

Noël n’a cessé de se populariser en tant que fête commerciale. Au cours des dernières années, même les fêtes traditionnelles chinoises sont devenues plus populaires que jamais. La popularité de ces fêtes peut être attribuée aux améliorations dans la vie de la population. En effet, celle-ci a de plus grandes exigences en matière de loisirs et espère que ces fêtes pourront apporter une distraction dans leur vie bien remplie.

L’une des raisons pour la popularité des fêtes étrangères est que les jeunes Chinois les conçoivent comme un moment pour se détendre et s’amuser. Ils connaissent peu leurs origines ou leurs significations et ne ressentent pas d’obligation à suivre leurs rites.

Une autre de ces raisons est que le potentiel commercial de nombreuses fêtes traditionnelles chinoises n’a pas encore été pleinement exploré. La population montre également un intérêt de plus en plus grand dans les fêtes chinoises traditionnellement moins importantes, comme la fête de Qixi (l’équivalent chinois de la Saint-Valentin) ou encore la fête de Dongzhi (fête du solstice d’hiver), qui est célébrée avec un repas constitué de raviolis chinois, les jiaozi.

Dans cette ère de communications mondialisées et de partage interculturel, il est inévitable que les fêtes étrangères deviennent de plus en plus populaires. L’influence de la fête chinoise du Printemps devrait également se développer à travers le monde.

La culture occidentale s’est répandue en Chine pendant plus d’un siècle, tandis que la culture chinoise traditionnelle est en train de connaître un renouveau. A l’heure actuelle, il est compréhensible que la société chinoise souhaite promouvoir ses propres fêtes traditionnelles et que les officiels maintiennent une certaine distance avec les fêtes étrangères.

Certains médias occidentaux semblent très sensibles à la controverse sur Noël en Chine et l’observent sous un angle politique. La société chinoise en général n’a pas besoin de prendre cela trop au sérieux.

Voir également:

Chine : réactions en ligne après le floutage des images de Noël dans une célèbre émission de télévision
The Stand News
Véronique Danzé
12/01/2021

L'image montre une grande pièce avec un haut plafond. Un grand escalier mange l'image et se sépare a l'étage sur la gauche et la droite. Au premier plan, 7 jeunes gens sont assis sur des canapés de style ancien, de couleur marron. Ils sont vêtus de vêtements d'époque. Sur l'image, on voit de nombreux plans floutés : un sapin de Noël, au milieu de l'image, et des décorations suspendues sur les deux côtés des escaliers. Le logo de la chaîne de télévision, « Mango TV », apparaît en haut à gauche, en caractères chinois.

Copie d’écran de l’émission de télévision en ligne « Qui est le meurtrier ? »

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en chinois, ndlt.]

La version originale du reportage a été publiée en chinois le 26 décembre 2020 par The Stand News. La version suivante, traduite de l’anglais, est publiée sur Global Voices dans le cadre d’un accord de partage de contenu.

Au cours des dernières années, la campagne politique de « boycott des festivités étrangères » a pris de l’ampleur en Chine. Sous la pression du gouvernement, la majorité des médias de Chine continentale se sont abstenus de produire des programmes de promotion des festivités étrangères. Ainsi, cette année, une télévision chinoise en ligne a dû brusquement flouter le décor de Noël de sa populaire émission de variétés, lors de la diffusion de sa première la veille de Noël, générant une réaction immédiate en ligne.

Depuis 2016, l’émission de variétés « Who’s the Murderer » [en], très en vogue auprès des jeunes en Chine et à l’étranger, est produite par la populaire chaîne en ligne « Mango TV », filiale de la télévision publique, Hunan Television. Le premier épisode de la sixième saison devait être diffusé la veille de Noël depuis un grand hôtel dont la décoration était inspirée du thème de Noël.

Bien que le contenu de l’épisode ne porte pas sur Noël, le décor risquait d’être interprété comme une promotion des « festivités occidentales ». L’équipe de production de la série a donc choisi de flouter tous les sapins de Noël, couronnes, cloches et autres décorations en vue de la diffusion en ligne de l’émission. Les accessoires présents sur la tête des personnages ont même été camouflés par des chapeaux de dessin animé en post-production.

Un utilisateur de Twitter, @Chenpingcong191, a filmé certaines des scènes de l’épisode du réveillon de Noël :

Pixellisation du sapin de Noël. C’est quoi ce bordel ?

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L’image est composée de 4 plans sur lesquels on distingue des extraits de l’émission « Who’s the Murderer » (Qui est le meurtrier ?), toutes les décorations et le sapin de Noël sont floutés.

Les fans de la série ont été consternés de découvrir les effets de la post-production. Les commentaires ont également inondé le compte officiel de la série sur les médias sociaux et le hashtag #明星大侦探将圣诞元素打码# (#PixellisationDesDécorsdeNoëlSurQuiEstLeMeurtrier#) est devenu viral sur Weibo le jour même. Vous trouverez ci-dessous quelques commentaires typiques sur Weibo :

Je ne supporte pas cette mosaïque…

Je suis aveuglé par la mosaïque sur l’écran

La composante étrangère des festivités ne peut pas échapper à l’organisme chargé de la censure, comprenez bien et ne vous en plaignez pas. Par chance, l’émission a pu être diffusée.

Cette campagne de boycott des festivités étrangères s’est accélérée depuis janvier 2017, après que le Comité central du Parti communiste chinois et le Conseil d’État ont publié un document intitulé, « Suggestions sur la mise en œuvre de projets visant à promouvoir et à développer le patrimoine culturel traditionnel chinois », invitant tous les responsables gouvernementaux et les autorités à mettre en place des activités de promotion des fêtes chinoises afin de renforcer la confiance culturelle de la population et la puissance tranquille de la Chine.

L’Administration nationale de la radio et de la télévision chinoise représente désormais l’une des autorités clés dans la mise en œuvre de ce projet politico-culturel. Son rapport annuel en 2018 a mis en évidence ses accomplissements dans la lutte idéologique contre les valeurs occidentales et les influences religieuses par le biais de la censure, de l’orientation de l’opinion publique et via la promotion des fêtes et des valeurs éthiques chinoises.

Bien qu’aucun document officiel n’interdise les festivités occidentales, la répression des pratiques religieuses, dont le christianisme, dans tout le pays s’est élargie à une interdiction des décorations de Noël publiques. Ainsi, en 2018 [fr], le Bureau de l’administration urbaine et de l’application des lois de la ville de Langfang, dans la province de Hebei, a exigé le retrait des décorations de Noël placées dans les rues. Ces dernières années, certaines écoles chinoises ont banni les célébrations de Noël dans l’enceinte des établissements.

Autrefois, la majorité des Chinois pensaient que les mesures répressives pendant la période de Noël ciblaient une minorité d’activités chrétiennes et que le secteur commercial ne serait pas affecté. Cependant, la pixellisation des décorations de Noël dans l’émission de télévision mentionnée ci-dessus témoigne du fait que cette politique pourrait avoir un impact plus important sur la vie des gens. Un utilisateur de Weibo a évoqué les implications économiques de cette pratique :

Cette fête occidentale fait désormais partie de notre culture populaire et la majorité de nos centres commerciaux sont parés de toutes sortes de décorations de Noël. Notre État veut-il vraiment une ligne de démarcation ferme [avec le monde occidental], que le marché des petites marchandises de Yiwu ne serve plus qu’à l’exportation et cesse de vendre ses produits sur le marché local ? La promotion de la confiance culturelle ne signifie pas que nous devons verrouiller le pays, n’est-ce pas ?

Un autre utilisateur de Weibo a regretté le retard pris en matière de politique culturelle :

Les chrétiens sont minoritaires dans notre pays. La majorité perçoit Noël comme une fête amusante.
Le secteur commercial y voit une raison de réaliser des ventes, les consommateurs y trouvent une occasion de dépenser, les amoureux y trouvent une occasion de dévoiler leurs sentiments ou de s’embrasser. Rien à voir avec la vénération de l’Occident. La majorité des personnes estiment que Noël est sans rapport avec la religion.
Ce n’est pas ainsi que l’on construit la confiance culturelle ; la force de la culture chinoise est liée à sa capacité à absorber d’autres cultures. Nous avions l’habitude de nous approprier la culture étrangère pour que notre civilisation puisse progresser. Que sommes-nous devenus aujourd’hui ?

Sur Twitter, @HuangZhanghong s’est gaussé :

Toujours sur Twitter, le blogueur chinois @fangshimin a déploré la politique de deux poids deux mesures des autorités chinoises vis-à-vis de la célébration de Noël, en publiant sur Twitter une capture d’écran des vœux de Noël du porte-parole chinois, Hua Chunying [en] :

Comment se fait-il que le diplomate « guerrier-loup » puisse célébrer Noël alors que le simple citoyen chinois ne le peut pas ? Même les sapins de Noël doivent être pixellisés ? Les journalistes étrangers peuvent-ils poser cette question au « guerrier-loup », Hua Chunying ?

Suite au tweet de Hua Chunying [en], beaucoup ont soulevé des questions similaires et certains ont ajouté des remarques sarcastiques :

Vous employez une expression venue de l’Ouest. Cela signifie-t-il que vous êtes de connivence avec l’Occident ? L’ourson à la tête pensante ne sera pas ravi.

Est-ce que les Chinois en Chine fêtent Noël ? Et si oui, quel est le pourcentage de ceux qui le font ? Les musulmans, les bouddhistes et les Chinois athées célèbrent-ils eux aussi Noël en Chine ?

Je vous souhaite un joyeux Noël, j’espère que tout le monde profitera de cette fête ! J’espère que ceux qui ne fêtent pas Noël en Chine bénéficieront au moins de quelques remises.

Suite au tollé en ligne survenu le 24 décembre, la pixellisation des décorations de Noël de l’émission a été retirée le lendemain.

Voir de même:

Le gouvernement chinois déforme totalement un évangile dans un manuel scolaire
En Chine, un manuel scolaire publié par une maison d’édition dépendant du gouvernement s’est autorisé à réécrire le passage de la Bible concernant la femme adultère afin de mieux « coller » à l’enseignement auquel il est destiné : « l’éthique professionnelle et le respect de la loi ».
Agnès Pinard Legry
Aleteia

C’est un événement qui aurait presque pu passer inaperçu sans la vigilance de la communauté catholique chinoise. En Chine, un manuel scolaire destiné à l’enseignement professionnel dans le secondaire, publié par un service d’édition dépendant du gouvernement, a choisi de reprendre le passage biblique concernant la femme adultère afin d’enseigner aux élèves « l’éthique professionnelle et le respect de la loi ». On aurait pu s’en féliciter dans la mesure où Jésus, dans ce texte (Jn 8, 1-11), prend la défense de la femme adultère et empêche sa lapidation avec ces mots : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre ».Une volonté de justifier les lois socialistes chinoises ?Mais loin d’encourager une telle charité et l’amour de son prochain, le passage biblique cité dans le manuel scolaire assure que Jésus se serait mis lui-même à lapider la femme adultère en ajoutant : « Moi aussi je suis pécheur, mais si la loi ne devait être exécutée que par des hommes sans faute, la loi serait vaine ».C’est un paroissien qui a dénoncé cette falsification sur les réseaux sociaux : « Je voudrais que tout le monde sache que le Parti communiste chinois a déjà essayé de déformer l’histoire de l’Église par le passé, de diffamer notre Église et d’attirer la haine du peuple sur notre Église », a-t-il souligné d’après l’agence de presse UCA News. Mathew Wang, un enseignant chrétien également interrogé par l’agence de presse, déplore de son côté que les auteurs aient utilisé un tel exemple erroné pour justifier les lois socialistes chinoises.Ce n’est pas la première fois que le gouvernement chinois s’en prend aux catholiques du pays de manière plus ou moins insidieuse. Dans la province de l’Anhui (est du pays), près de Shanghai, depuis la mi-avril, plus de 500 croix appartenant à des lieux de culte chrétiens, que ce soit des églises catholiques ou des temples protestants, ont été enlevées des clochers. Cette répression qui émane du parti communiste n’est pas nouvelle et des milliers de croix ont déjà été retirées dans les provinces du Zhejiang, du Henan, du Hebei et du Guizhou, parfois sous prétexte de respecter les règles d’urbanisme.
Voir de plus:

Pourquoi Xi Jinping veut-il adapter la Bible à la ligne du Parti communiste ?

Les autorités chinoises ont demandé aux responsables religieux, lors d’une réunion qui s’est tenue le 6 novembre 2019, de veiller à la conformité des textes de référence avec les « exigences de la nouvelle époque ». Pour l’historien Yves Chiron, cette annonce est la suite logique de la politique de sinisation mise en place par Xi Jinping.

Timothée Dhellemmes

Aleteia

23/12/19

« Il faut une évaluation complète des traductions existantes de classiques religieux. Pour les contenus non conformes, il faut des modifications et il faut retraduire les textes ». C’est par ces mots que le parti communiste chinois (PCC) s’est adressé aux responsables religieux lors d’une réunion qui s’est tenu le 6 novembre 2019. La République populaire de Chine, qui surveille étroitement les religions depuis sa création en 1949, veut ainsi renforcer la mainmise du Parti communiste sur la société. Auteur de La longue marche des catholiques de Chine aux éditions Artège, l’historien Yves Chiron explique à Aleteia « qu’à défaut de pouvoir supprimer la religion, Xi Jinping cherche à la transformer ».Aleteia : en limitant de plus en plus la liberté religieuse en Chine, que cherche à faire le régime communiste ?
Yves Chiron : Le régime communiste veut que les religions servent les objectifs du Parti communiste, et donc la construction du socialisme. Xi Jinping sait qu’il ne peut pas faire disparaître la religion par une persécution massive, donc il poursuit la mise en œuvre d’une politique de contrôle et d’instrumentalisation de la foi chrétienne et de la religion musulmane. C’est une politique qui vise l’Église catholique mais aussi les autres religions, comme le protestantisme et l’islam.Ce n’est pas une annonce spectaculaire dans le sens où c’est la suite logique cohérente d’une volonté politique de sinisation de la société, que Xi Jinping a exprimé il y a déjà des années. Lorsqu’il a employé le terme de « sinisation » pour la première fois en 2011, il l’a appliqué au marxisme. Depuis 2015, il estime que cela doit aussi s’appliquer aux religions présentes en Chine. Pour lui, les religions doivent s’adapter à la culture et aux valeurs chinoises, et donc être un relais des valeurs marxistes.Quelles seraient les conséquences sur les relations, déjà très compliquées, entre les croyants et le régime ?
C’est un contrôle de plus en plus étroit et quotidien, à la fois sur tous les édifices mais également sur toutes les activités religieuses en général. En Chine, aucun journal chrétien ni revue de théologie ne peut exister. Il y a parfois quelques bulletins d’une église ou d’un temple, mais ils sont contrôlés par le régime.Pour la période de Noël, cela va encore plus loin : les autorités ont mis en place une campagne de boycott, car ils considèrent que cette fête trahit la culture chinoise. Dans les écoles, toutes les décorations de Noël sont interdites. Dans plusieurs établissements, des enfants ont été punis car ils ont dit qu’ils allaient se rendre à la messe de Noël. Cela est dû à une réglementation adoptée il y a deux ans, qui interdit aux enfants de moins de 18 ans d’aller dans les églises ou dans les temples.Le régime veut « graduellement former un système idéologique religieux aux caractéristiques chinoises ». Àterme, l’objectif est-t-il de se débarrasser de toutes les religions ?
Dans l’idéologie marxiste, la religion est « l’opium du peuple », une superstructure qu’il faut faire disparaître. Mais le régime est conscient que dans les faits, ce n’est pas possible dans l’immédiat. A défaut de détruire la religion, il cherche dont à la transformer. Cette politique de sinisation s’est traduite par exemple par une récente campagne d’affichage dans les églises. Les autorités politiques essayaient de montrer par des citations que les douze grandes valeurs du socialisme ont une correspondance directe dans la Bible, donc que la Bible annonce le socialisme.Le contrôle étroit des religions par le régime date de 1949, dès la fondation de laRépublique populaire. Cette décision, particulièrement grave, montre que le régime a franchi un nouveau palier ?
À mon sentiment, c’est la suite logique de la politique engagée par Xi Jinping depuis 2013. Mais dans la décennie 1966-1976, pendant ce que l’on a appelé la Révolution culturelle, la situation était encore plus dramatique. Aucun culte religieux n’était autorisé : même les églises « officielles » (celles qui sont reconnues par le régime, ndlr) ont été fermées de force, ainsi que les temples protestants… Aucun culte religieux n’existait en Chine. Aujourd’hui, même si la liberté de pratique religieuse est gravement entravée, des églises officielles sont ouvertes, et la religion n’est pas interdite.Est-il réellement possible d’avoir une croyance religieuse en Chine ?
C’est possible, dans la mesure où aucun pays à aucune époque n’a réussi à empêcher les gens de croire. L’objectif du régime à long terme serait de supprimer la religion en Chine, mais évidemment, il n’y parviendra pas.Le Vatican a signé un accord en 2018 reconnaissant sept évêques désignés par le régime. Certains catholiques avaient alors protesté, en particulier l’évêque émérite de Hongkong, le cardinal Joseph Zen Ze-kiun, qui avait dénoncé une « trahison ». Cette nouvelle offensive du régime lui donne-t-elle raison ? 
Les différentes mesures prises par les autorités chinoises depuis la signature de l’accord sont en contradiction avec cet accord. Le régime a toujours pour objectif de contrôler davantage l’Église catholique, et d’instrumentaliser la doctrine religieuse à des fins politiques. Évidemment, en signant cet accord, le Pape essayait de préserver la liberté de l’Église et assurer sa continuité en Chine, où de nombreux diocèses étaient sans évêques… Il avait des raisons de signer cet accord. Mais la Chine et le Saint-Siège poursuivent des intérêts différents. Il est peu probable que le Vatican réagisse à cette nouvelle offensive du régime. Le Pape sait bien que 11 millions de catholiques chinois vont déjà fêter Noël dans des conditions très difficiles. Il ne voudra pas aggraver la situation.
Voir encore:

Xi Jinping veut réécrire la Bible pour l’adapter à la ligne du Parti communiste

Sébastien Falletti
Le Figaro
22/12/2019

DÉCRYPTAGE – Les autorités chinoises ont exhorté les représentants des principaux cultes à modifier les traductions des textes de référence afin de les mettre en conformité avec «les exigences de la nouvelle époque».

De notre correspondant à Pékin

Désormais, l’Évangile devra se conformer à la vulgate marxiste-léniniste matinée de «caractéristiques chinoises», et les paraboles de Jésus-Christ, rester dans la ligne du Parti communiste, sous peine d’être expurgées des bibles à disposition des fidèles dans le pays le plus peuplé de la planète. Pékin lance une nouvelle offensive en faveur de la «sinisation» des religions, s’attaquant cette fois à la doctrine même, du Nouveau Testament au Coran en passant par les sutras bouddhistes. Les autorités ont exhorté les représentants des principaux cultes en Chine à modifier les traductions des textes de référence, lors d’une réunion le 6 novembre, afin de les mettre en conformité avec «les exigences de la nouvelle époque». Une formule codée qui fait référence à «l’ère du président Xi Jinping», dont la pensée a été inscrite dans la Constitution en 2018, dans la foulée d’un Congrès à sa gloire.

«Il faut une évaluation complète des traductions existantes de classiques religieux. Pour les contenus non conformes, il faut des modifications et il faut retraduire les textes», affirme le compte rendu en chinois, par l’agence officielle Xinhua, de ce symposium présidé par Wang Yang, l’un de sept membres du comité permanent du Politburo, le «saint des saints» du régime. «Cette réunion indique que le contrôle des religions va être encore plus strict», juge Ren Yanli, chercheur à l’Académie des sciences sociales de Chine, un centre de recherche public à Pékin.

Communautés souterraines

Les représentants des principaux cultes en Chine ont été convoqués pour mettre en application les décisions du 4e plénum du Parti, tenu fin octobre à Pékin, et qui a décrété le renforcement de sa mainmise idéologique sur la société, avec pour ambition d’affermir un contre-modèle à la démocratie occidentale. Face à ses interlocuteurs coiffés de calotte ou de costumes ethniques traditionnels, le cacique Wang a souligné «l’importance fondamentale de l’interprétation des doctrines et des règles religieuses» avec pour objectif de «graduellement former un système idéologique religieux aux caractéristiques chinoises».

Récemment un portrait de Xi Jinping a même remplacé la Vierge Marie et l’Enfant dans une église catholique

Depuis sa fondation en 1949, la République populaire surveille étroitement les religions, encadrées dans des organisations «patriotiques», auxquelles résistent nombre de fidèles réfugiés dans des communautés souterraines. Mais cette injonction à modifier la doctrine marque un seuil nouveau dans la volonté du président Xi Jinping d’étouffer toute vision alternative au Parti. Après avoir insisté sur le «patriotisme» des fidèles après son arrivée au pouvoir en 2013, Xi s’attaque désormais au message, lors de son second mandat à la tête de la seconde puissance mondiale. «La volonté de retoucher la Bible est une première», juge Ren.

Une mise au pas qui s’est illustrée par des levers de drapeaux rouges dans les temples, ou l’installation de banderoles de propagande dans les mosquées comme dans la région autonome hui du Ningxhia. Récemment un portrait de Xi Jinping a même remplacé la Vierge Marie et l’Enfant dans une église catholique à Ji’an, dans la province du Jiangxi, rapporte l’ONG Bitter Winter, qui milite pour la liberté religieuse à travers le monde. Dans la province rétive du Xinjiang, à majorité turcophone, la répression des croyants prend une dimension concentrationnaire, marquée par l’enfermement de plus d’un million de musulmans dans des «camps», selon Washington, présentés comme des «centres de formation professionnelle» par Pékin.

Effet boomerang

Cette reprise en main brutale s’inscrit dans la perspective d’une «lutte idéologique» décrétée par le dirigeant le plus autoritaire depuis Mao, sonnant la charge contre les «forces hostiles» manipulées par l’étranger et trahissant une crispation politique, selon certains observateurs. «Le régime communiste est une secte et il voit le bouddhisme tibétain, le catholicisme ou l’islam comme des idéologies rivales. Le contrôle accru sur les religions trahit en réalité la peur de voir la société lui échapper», juge Zhang Lifan, historien indépendant, dans la capitale chinoise, lui aussi sous surveillance.

Cette nouvelle offensive survient dans la foulée de l’accord conclu entre Pékin et le Vatican en 2018, marqué par la reconnaissance par le pape de sept évêques désignés par le régime et dénoncé comme une «trahison» par certains hauts responsables catholiques. Elle s’annonce comme un test de la capacité du Parti à s’immiscer étroitement au cœur de la société chinoise, selon le cap fixé par le Congrès, dans un contexte international et économique toujours plus tendu, marqué par un bras de fer stratégique avec l’Amérique de Donald Trump.

Certains mettent en garde contre les risques d’effet boomerang pour un Parti qui veut étendre son empire sur les consciences. «Le durcissement des contrôles sur les religions va s’avérer contre-productif, comme l’ont démontré les dernières décennies. Le pouvoir a pour mission de gouverner le pays, l’économie, la société, mais pas les croyances. Certains dirigeants semblent ne pas comprendre cela», juge Ren Yanli, expert dans un centre de recherche gouvernemental. La bataille pour la réécriture de l’Évangile selon Xi est lancée.

Voir aussi:

Chine : « Noël est interdit, c’est une fête occidentale »

fsspx.news
09 Février, 2022

Le 20 décembre 2021, l’Administration d’Etat pour les Affaires religieuses (SARA) a publié les nouvelles “Mesures administratives pour les services d’information religieuse sur Internet”. Adoptées conjointement avec le ministère de la Sécurité de l’Etat et d’autres ministères, ces nouvelles mesures entreront en vigueur le 1er mars 2022.

Les sermons, homélies, cérémonies et activités de formation organisées par les institutions religieuses, les monastères, les églises et les particuliers ne pourront être diffusés sur internet qu’après avoir obtenu une licence spéciale auprès de leur département provincial des Affaires religieuses.Il est également précisé qu’aucune organisation ni individu ne peut collecter des fonds « au nom de la religion » sur internet. Les activités religieuses en ligne sont également interdites pour toutes les organisations étrangères présentes en Chine.Par ailleurs, les informations religieuses diffusées ne doivent pas « inciter à la subversion contre le pouvoir de l’Etat, ni s’opposer à l’autorité du Parti, s’attaquer au système socialiste et à l’unité nationale ou menacer la stabilité sociale ».Elles ne doivent pas non plus « promouvoir l’extrémisme, le terrorisme, le séparatisme ethnique et le fanatisme religieux ». Les communications en ligne ne doivent pas « inciter les mineurs à devenir religieux, ni les amener ou les forcer à participer à des activités religieuses ».

La « sinisation » des religions

Durant les sessions de travail de la dernière conférence nationale sur les Affaires religieuses, début décembre 2021, le président chinois Xi Jinping, secrétaire général du Parti communiste, a déclaré son intention de renforcer le contrôle « démocratique » sur les religions.

En d’autres termes, renforcer la répression religieuse du régime. Selon le nouveau « Grand Timonier », la masse des croyants de différentes confessions doit s’unir autour du Parti et du gouvernement, en rejetant toute influence étrangère.

L’objectif de Pékin est de poursuivre la « sinisation » des religions, un processus entamé officiellement en 2015. En février 2021, l’Administration d’Etat pour les Affaires religieuses avait rendu publiques les “Mesures administratives pour le personnel religieux”, sur l’administration du clergé, des moines, des prêtres, des évêques, etc.

Noël interdit

L’agence Asianews, des Missions étrangères italiennes, annonçait le 21 décembre les limitations et les interdictions imposées pour la célébration de Noël, dans les écoles de la province du Guangxi. L’agence Bitter Winter a publié le 24 décembre le document officiel diffusé dans le Guangxi, ainsi que dans différentes provinces et régions de Chine.

Les mesures ont été appliquées également dans les lieux de culte de l’Eglise des Trois-Autonomies contrôlée par le gouvernement (i.e. Eglise « patriotique » officielle), soit sous prétexte de Covid-19, soit en mettant en œuvre des directives sur la « sinisation » du christianisme qui interdisent les célébrations « occidentales » : « Cela nuit à notre culture traditionnelle chinoise. »

La source confidentielle qui a divulgué le document à Bitter Winter, a confirmé qu’il était non seulement interdit aux élèves et aux enseignants de célébrer Noël à l’école, mais aussi à la maison. De même, ceux qui connaissaient des personnes qui célèbrent Noël étaient priés de le signaler immédiatement à la sécurité publique, et un agent a été désigné pour gérer les délations.

Voir également:

Le gouvernement chinois déteste Noël, sa population adore

Xi Jinping voit dans cette fête une influence occidentale indésirable.

D’une célébration chrétienne, Noël est devenue une fête qui dépasse largement la naissance du Christ. C’est désormais une période commerciale et culturelle, davantage représentée par le Père Noël et des sapins décorés que par la messe de minuit. Ce mastodonte de soft power se propage donc dans les pays qui n’ont pas de tradition chrétienne. Les Japonais par exemple, célèbrent le 25 décembre en allant au KFC.

Toutefois, au moins un pays essaye par tous les moyens d’endiguer la contagion. Depuis quelques années, Xi Jinping, le secrétaire général du Parti communiste chinois, mène une politique identitaire forte en exacerbant le nationalisme et en rejetant les influences occidentales dans le pays. Cette politique se traduit par exemple par un rejet des arts martiaux modernes au profit du kung-fu traditionnel.

Le 15 décembre, la ville de Langfang, dans la province de Hebei, a interdit l’exposition de décorations de Noël dans les écoles, les magasins, les rues et les places de la ville, arguant d’une lutte contre la «propagande religieuse». L’année dernière, la ville de Hengyang avait demandé aux officiels du parti de «résister à ce festival d’occidentalisme rampant».

En Chine, Noël souffre en plus des restrictions imposées contre les libertés religieuses. Si les musulmans sont particulièrement réprimés, certaines églises chrétiennes sont sous surveillance et récemment, cent chrétiens d’une église clandestine ont été arrêtés. C’est autre chose que les gobelets Starbucks ou l’interdiction de mettre des crèches dans les mairies d’un pays laïque.

Popularité croissante

Toutefois, tout cela ne semble pas suffisant pour tenir le pays à l’écart de la magie de Noël. D’après Bloomberg, la fabrication de décorations de Noël est un gigantesque marché de 5,6 milliards de dollars pour la Chine. À titre d’exemple, 90% des décorations de Noël importées aux États-Unis viennent de Chine. Et on ne parle même pas de tous les cadeaux manufacturés dans le pays.

Aussi, malgré les efforts du gouvernement, la célébration de fin d’année est de plus en plus populaire chez les habitants et les habitantes. Pour le constater il suffit de se tourner vers Rovaniemi, la ville du Père Noël. Cette ville finlandaise de Laponie du nord abrite un village touristique entièrement dédié à la fête de Noël. D’après Visit Rovaniemi, la société qui y organise le tourisme, le nombre de touristes chinois est passé de 3.300 en 2010 à 32.349 l’année dernière. Et des centaines de lettres d’enfants écrites en chinois s’entassent dans le bureau de poste de la ville.

L’indistinction du politique et du religieux en Chine
Un problème contemporain
Emmanuel Dubois de Prisque
Le Débat
2020/1 (n° 208), pages 57 à 69

1Alors que le pouvoir chinois prétend aujourd’hui faire « renaître » la Chine éternelle et s’inscrire ainsi dans la continuité de « 5 000 ans d’histoire [1][1]Les « 5 000 ans d’histoire » de la Chine font partie intégrante… », qu’est-ce qui, exactement, relie le régime chinois actuel à l’antique tradition politique de ce pays ? En quoi « l’empire du Milieu » actuel serait-il l’héritier de la forme politique impériale qui fut celle de la Chine sous ses différents avatars dynastiques du iiie siècle avant J.-C. à la révolution de 1911, alors même que le régime se réclame toujours (et avec vigueur) du marxisme-léninisme, allant jusqu’à prétendre avoir créé ex nihilo, au moment de son avènement en 1949, une « nouvelle Chine » qui du passé faisait table rase ? Comment concilier restauration et modernité ? communisme et empire ? capitalisme et tradition ? « La Chine » serait-elle une pure illusion, un simple instrument aux mains de Pékin, sans véritable continuité historique ?

2Il apparaît pourtant que la Chine actuelle, malgré son « athéisme » officiel, partage avec la Chine impériale un même tropisme qui la porte à ne pas distinguer le politique du religieux. Le Parti communiste chinois agit de plus en plus comme une institution qui se pose en gardienne de ce qui est sacré pour la Chine et que des forces extérieures, politiques ou religieuses, viennent en permanence menacer, de la même façon que la « bureaucratie céleste [2][2]Étienne Balazs, La Bureaucratie céleste. Recherches sur la… » de l’Empire était la gardienne d’un dogme contre les « hérésies » qui le menaçaient.

3Du point de vue du rapport du politique avec le religieux, la situation actuelle se rapproche de celle que décrivait Édouard Chavannes en 1904 : « L’Empereur nous apparaît ainsi comme le juge universel du bien et du mal […], en lui se réalise l’étroite union de la politique, de la morale et de la religion, principe fondamental du gouvernement chinois ; il est véritablement le Fils du Ciel, et son omnipotence absolue et sacrée provient de ce qu’il est le mandataire du Ciel sur la terre [3][3]Édouard Chavannes, « Les prix de vertu en Chine », Comptes…. »

L’ère des transformations

4Avec le « Grand Bond en avant » grâce auquel Mao prétendait en quelques années transformer une société rurale en grande puissance industrielle, avec aussi la « grande révolution culturelle prolétarienne » visant à éradiquer de l’esprit des Chinois les « quatre vieilleries » (idées, culture, coutumes et habitudes), avec, surtout, les transformations induites par le capitalisme qui s’impose en Chine dès la fin du xxe siècle, bien des aspects de la société traditionnelle chinoise ont été bouleversés. Aujourd’hui, le capitalisme est la révolution continuée par d’autres moyens, tout aussi efficaces. Les transformations suscitées par l’ouverture économique voulue par Deng Xiaoping il y a quarante ans sont sans équivalent dans l’histoire de la Chine. La croissance a été favorisée par une augmentation de la productivité agricole qui a entraîné un exode rural massif ; en quelques décennies, cette antique société paysanne qu’était la Chine s’urbanise massivement. L’effondrement de la natalité transforme radicalement les liens entre les générations d’une société qui faisait de la « piété filiale » une de ses pratiques cardinales. L’ouverture sur le monde rend l’éducation à l’étranger possible et, de 1978 à 2018, le nombre d’étudiants chinois à l’étranger croît de façon exponentielle. L’émigration temporaire sous la forme, par exemple, de l’expatriation des cadres et des employés des entreprises chinoises devient chose banale. Les échanges de tous ordres entre la société chinoise et les sociétés étrangères, notamment occidentales, sont intenses et exercent nécessairement des effets durables. Ils se font sentir jusqu’au niveau le plus profond et le plus structurant, le niveau religieux. Les conversions au christianisme se multiplient, au point que certains voient dans la Chine de demain le premier pays chrétien du monde, en nombre de pratiquants.

« La grande renaissance de la nation chinoise »

5Cependant, parallèlement à ces évolutions dont l’irréversibilité est probable, Pékin est engagé dans un ambitieux projet de « grande renaissance » de, au choix, la nation, le peuple ou la race chinoise, trois traductions possibles du terme chinois minzu employé par Pékin dans son slogan officiel. La « grande renaissance de la nation chinoise » – contentons-nous de la traduction officielle – est le cœur du métarécit de la Chine contemporaine selon lequel la Chine a refermé en 1949 une parenthèse d’un long siècle qui s’étend du début de la première guerre de l’Opium, en 1839, à la création de la « nouvelle Chine », siècle au cours duquel elle a été « humiliée » par les puissances occidentales et japonaise qui ont tiré profit de sa faiblesse, de son ingénuité et d’un pacifisme intrinsèque à sa culture. Sans renoncer à ce qu’elle est essentiellement, une civilisation pacifique et harmonieuse, elle ne répétera pas les erreurs du passé et saura se défendre si elle est agressée. Le sentiment d’avoir été la victime de puissances agressives alimente une ferme volonté de ne pas « se laisser berner » une nouvelle fois sur la scène internationale. La posture parfois agressive et irascible de la Chine contemporaine s’explique ainsi paradoxalement par le sentiment que la civilisation chinoise est plus pacifique que les autres. Il lui faut donc devenir forte pour redevenir ce qu’elle imagine qu’elle fut : un modèle de vertu pour elle-même et pour le monde. Par-delà la modernité imposée par l’Occident, la Chine cherche à renouer avec un passé glorieux durant lequel elle aurait occupé « la première place ».

6La normalisation chinoise impulsée par la modernisation du pays trouve donc ses limites dans les ambitions de Pékin, ambitions qui s’appuient sur son projet de « grande renaissance » de la Chine d’avant le traumatisme de la rencontre avec la modernité occidentale. Si cette « restauration » n’est pas ouvertement un projet de restauration de la forme politique de la Chine impériale au sens strict, elle est un projet de restauration de la puissance symbolique de l’Empire et de sa place dans le monde. Ce projet porte avec lui non seulement une ambition pour la Chine, mais aussi une vision chinoise du monde : ce serait alors la restauration d’une Chine qui se concevait comme la seule et unique civilisation, une civilisation qui structurait et organisait le monde, en termes chinois : tout ce qui était sous le ciel, le Tianxia.

7Précisons la contradiction structurelle dans laquelle s’enfonce aujourd’hui la Chine : pour retrouver la place centrale qu’elle occupait autrefois, la Chine doit supplanter le pays qui lui semble occuper cette place aujourd’hui. Bien qu’elle s’en défende, elle est donc engagée avec les États-Unis dans une lutte pour la suprématie, une rivalité qui l’amène par un effet mimétique puissant à se calquer plus ou moins consciemment sur ce qui lui semble être le comportement de son rival. Mais ce mimétisme, visible dans de nombreux aspects de la vie contemporaine aujourd’hui en Chine, et qui contribue à banaliser ce pays et sa civilisation, contredit la volonté affichée de Pékin de renouer avec son passé impérial. Car c’est non seulement son identité culturelle qui est menacée par l’adoption de pratiques occidentales, mais la structure même de son être politique : la Chine impériale n’avait par définition pas de rival, étant « la » civilisation, elle était d’une essence différente des peuples barbares qui l’entouraient et sur lesquels l’Empereur et sa bureaucratie céleste avaient vocation à exercer leur action civilisatrice. Ainsi, en renouant avec son passé impérial, la Chine voudrait se situer au-dessus des débats et des rivalités, trouver la formule qui la garderait de la contagion de la violence qui caractérise, selon elle, le système international occidental. Lorsqu’elle est entrée malgré elle dans le concert des nations, la Chine impériale est tombée du piédestal depuis lequel elle organisait ses relations avec les pays qui l’entouraient, sous la forme de cette semi-fiction que le sinologue John King Fairbank qualifia de « système tributaire ». Au xixe siècle, la Chine, au fil de ses défaites, fut abaissée au niveau symbolique de ceux qui triomphaient d’elle. La véritable humiliation est sans doute celle-là : qu’un empire sans équivalent dans le monde, la seule et unique civilisation, celle qui se proposait de « civiliser » l’humanité, puisse être réduit au rang de nation parmi d’autres, contraint à exercer sa souveraineté dans les limites étroites d’un territoire précis.

La dimension religieuse de la restauration de la nation chinoise

8Avec le projet de « grande renaissance » de la nation chinoise, la Chine se propose donc de sortir de la rivalité et de la violence pour qu’advienne enfin un « monde harmonieux » au sein duquel elle jouerait un rôle central. Hantée par la puissance américaine qu’elle veut supplanter, la Chine continue cependant de s’imaginer d’une autre essence que celle de ses rivaux, ayant une vocation à ordonner le monde selon des critères étrangers à la bellicosité intrinsèque aux puissances occidentales. Tout en professant formellement le principe de l’« égalité de toutes les nations » contre l’« hégémonisme » qu’il prête aux États-Unis, le Parti communiste chinois s’efforce de faire en sorte que la Chine s’approche du « centre de la scène mondiale [4][4]C’est l’expression de Xi Jinping lors de son discours devant le… », renouant ainsi avec l’imaginaire politico-religieux de la « bureaucratie céleste ».

9Depuis, au moins, le traité de Westphalie en 1648, les nations européennes ont de facto renoncé à incarner la totalité de la Chrétienté, c’est-à-dire à se considérer comme un avatar de l’empire universel des Romains et ont, de ce fait, sécularisé et territorialisé leur pouvoir. La Chine, quant à elle, n’a jamais été contrainte à cette kénose politico-religieuse. L’Empereur est resté jusqu’au terme de l’Empire non seulement souverain politique, mais aussi maître des rites et des sacrifices. Plus encore, les deux aspects de sa pratique politico-religieuse n’étaient qu’une seule et même chose. Comme l’écrit Jean Levi à propos de la Chine antique, « gouverner revient à sacrifier [5][5]Jean Levi, « Le rite, la norme et le tao : philosophie du… ». Malgré l’émergence progressive dans l’histoire chinoise de religions non directement politiques, diffusant leurs doctrines plus ou moins à l’écart du pouvoir, le bouddhisme et le taoïsme, le pouvoir impérial continuera à jouir d’un monopole sur la légalité et la légitimité du phénomène religieux dans le corps social. C’est l’administration qui définit, sur la base d’une loi fondamentale, ce qui est « correct » et ce qui est « hérétique » dans les pratiques religieuses. Pendant plus de cinq siècles, une loi Ming du xive siècle, reprise par la dynastie sino-mandchoue Qing jusqu’au début du xxe, prévoit la mort par strangulation ou l’administration de cent coups de bâton suivie (s’ils survivent) du bannissement de ceux qui pratiquent des cultes « hérétiques », c’est-à-dire non conformes aux pratiques considérées comme « correctes » par la bureaucratie [6][6]Jan Jacob Maria De Groot, Sectarianism and Religious…. Pour reprendre les termes de J. J. M. De Groot, « l’Empereur aussi bien que le Ciel est seigneur et maître de tous les dieux, et délègue cette dignité à ses mandarins, chacun pour sa juridiction. C’est d’eux que relève la décision de savoir quels dieux sont susceptibles d’être objets de culte, et quels dieux ne le sont pas [7][7]Ibid., Introduction, p. 18. ».

10En 1670, l’empereur Kangxi publie un « édit sacré » dont le but est d’instiller de la vertu chez les sujets de l’Empire. L’édit est affiché dans chaque comté et village. Son article 7 demande à chaque citoyen de l’Empire d’« éradiquer les hérésies afin de respecter la doctrine correcte ». Les hérésies, ce pouvait être, selon les circonstances, n’importe lequel des rites locaux chinois, le bouddhisme, le chamanisme, le taoïsme ou le christianisme. Quant à la doctrine correcte, ce n’est rien d’autre que celle défendue par l’Empire, le confucianisme. Son respect est donc intimement lié à un processus d’éradication de ce qui n’est pas correct : chacun, jusqu’au plus humble villageois, doit régulièrement communier dans la mise à l’écart des cultes jugés hérétiques par le pouvoir. Ce processus d’expulsion des cultes hérétiques était sans cesse renouvelé par l’action « civilisatrice » des fonctionnaires locaux, du fait de la persistance de ces cultes sur le vaste territoire de l’Empire. Ce processus prenait la forme d’un rituel tout uniment politique et religieux de purification du corps social : l’édit sacré de Kangxi formait le cœur de la doctrine impériale et faisait l’objet d’homélies exégétiques régulières par les fonctionnaires locaux, auxquelles tous les membres des communautés locales étaient tenus d’assister.

« La sinisation des religions »

11S’il faut prendre la volonté de « restauration » de Pékin au sérieux, comme cela est vraisemblable, il convient d’envisager que ce processus puisse avoir une dimension religieuse et que cette dimension religieuse soit même centrale dans le projet des autorités chinoises. Depuis 2016, Pékin applique une politique de « sinisation » des religions qui non seulement réprime les « superstitions », mais soumet l’ensemble des cinq religions « officielles » (taoïsme, bouddhisme, islam, protestantisme, catholicisme) à une tutelle pesante. Des mosquées, des églises et mêmes des temples bouddhiques sont détruits ; le prosélytisme est sévèrement réprimé, l’accès aux églises ou aux mosquées est parfois interdit aux mineurs, tout comme l’enseignement religieux, tandis que le Parti promeut sa propre « spiritualité » de façon de plus en plus insistante. La « pureté » de l’idéal révolutionnaire est mise en avant et, dans certaines régions, les autorités locales remplacent jusque dans les domiciles les effigies religieuses par des portraits de Xi Jinping. Sur les lieux de culte qui restent tolérés, les inscriptions religieuses sont parfois effacées pour être remplacées par des slogans du Parti. Les autorités religieuses sont ainsi engagées dans un vaste projet visant à supplanter les religions existantes par une « spiritualité » indistinctement politique et religieuse qui s’appuie sur la doctrine marxiste-léniniste pour neutraliser non seulement les « religions étrangères » (christianisme et islam), mais aussi les religions considérées comme chinoises (taoïsme et bouddhisme) dans la mesure où ces dernières impliquent, pour les fidèles, un ordre de loyauté concurrent de l’ordre politique. En outre, les autorités situent parfois délibérément la vocation du religieux et celle du politique sur le même plan. Le catholicisme, notamment, est critiqué pour son inefficacité dans la lutte contre la pauvreté et la maladie, tandis que le Parti vante ses résultats dans ces deux domaines. Les autorités prétendent ainsi « transformer les fidèles des religions en fidèles du Parti [8][8]Nectar Gan, « Want to Escape Poverty ? Replace Pictures of… ». C’est aussi dans ce contexte que doit se comprendre la politique menée à l’égard de l’islam ouïghour au Xinjiang. Lorsque le Parti prétend, pour répondre aux accusations occidentales, se contenter de « rééduquer » les foules musulmanes du Xinjiang plutôt que de les enfermer dans des camps de concentration, cela n’a rien de rassurant car se manifeste ainsi une foi profonde dans la vertu civilisatrice de cette abstraction qu’est « la Chine ». Mais aussi abstraite soit-elle, cette Chine conçue comme centre de civilisation exerce des effets puissants sur les cadres du Parti communiste, qui y trouvent les ressources symboliques nécessaires à la légitimation de la mise en œuvre de politiques de plus en plus coercitives à l’égard des populations qui leur sont soumises.

Religieusement correct

12Mais plus profondément encore que dans ses rapports avec les religions, la nature religieuse, ou plus exactement sacrificielle, du régime chinois se révèle dans sa structuration fondamentale [9][9]J’utilise ici le mot « sacrificiel » au sens que lui a donné…. En se faisant le gardien et le défenseur de l’orthodoxie spirituelle et de la foi dans les idéaux révolutionnaires de ses membres, le Parti s’inscrit dans les pas du pouvoir politico-religieux chinois traditionnel, dont un des rôles essentiels était de distinguer ce qui est « correct » de ce qui est « hérétique » dans le foisonnement des rites et cultes chinois. Aujourd’hui, c’est dans sa capacité de purification du corps social, à travers l’expulsion des ennemis de la Chine ou de la Révolution, que le Parti manifeste sa puissance, de la même manière qu’autrefois la puissance de l’Empereur se manifestait dans sa capacité à respecter les rites, au premier rang desquels le grand sacrifice au Ciel. Avec lui, l’ordre social et cosmique était produit et garanti.

13Une histoire religieuse de la Chine contemporaine qui porterait son attention sur les avatars de la figure du souverain dans certains rites privés et publics de la Chine impériale, républicaine et communiste, frapperait sans doute par la continuité qui s’en dégagerait, au-delà des ruptures évidentes de l’histoire événementielle. Comme nombre d’autres empereurs avant lui, Mao fut déifié après sa mort par une partie de la population chinoise, malgré la vive hostilité à la religion traditionnelle qu’il manifesta durant son existence. Ou, plutôt, cette déification se produisit en raison même de cette hostilité : sa capacité magique à chasser les esprits et les fantômes de l’ancien monde faisait de Mao un esprit d’une puissance supérieure à celle des esprits et fantômes auxquels la Chine devait faire face jusqu’alors. Aujourd’hui encore, Mao occupe parfois la place centrale dans les autels domestiques, celle du souverain, alors même que son mausolée occupe le cœur de la place centrale (Tiananmen) de la capitale chinoise.

14La politique actuelle de « sinisation » des religions et d’expulsion de tout ce qui dans ces religions les rattache aux puissances étrangères renoue ainsi avec la longue tradition chinoise, malgré les soubresauts de l’histoire politique de ce pays au xxe siècle. Sur au moins un temple bouddhique chinois, on pouvait lire en 2018 un slogan frappant : « Sans parti communiste, il n’y a pas de bouddha », qui établit très clairement la nature de la hiérarchie entre le pouvoir du Parti et celui des autres organisations religieuses. Pas plus que dans la Chine d’ancien régime, il n’existe dans la Chine contemporaine un ordre politique et un ordre religieux qui existeraient parallèlement et exerceraient leurs compétences chacun sur son « royaume » qui serait celui de la terre, pour le premier, et celui des cieux, pour le second. La Chine est le « pays des dieux » ou le « pays sacré », selon une de ses appellations traditionnelles, ce qui signifie que les dieux sont indistinctement d’en bas et d’en haut. Selon un principe tout à la fois taoïste (Zhuangzi) et confucéen (Dong Zhongshu), « le Ciel et l’Humanité ne font qu’un ». Le contraste est frappant entre les rapports du politique et du religieux tels qu’ils se sont établis en Occident au cours de son histoire et ce qu’ils sont en Chine : alors que pour le christianisme la Chute a pour conséquence une séparation de Dieu d’avec sa créature et qu’en conséquence le royaume du « fils de Dieu » n’est « pas de ce monde » [10][10]« Mon Royaume n’est pas de ce monde » (Jean, XVIII, 36). Cette…, en Chine le royaume du « fils du Ciel » n’est rien d’autre que le monde Tianxia : tout ce qui est sous le Ciel. « De tout ce qui est sous le Ciel, il n’est rien qui ne soit le territoire du roi », dit aussi le Shijing.

15À la lumière de ce rapide détour théologique, la nature du rapport de la Chine impériale avec le monde s’éclaire : source sacrée (car fondée sur le sacrifice) d’organisation de l’ensemble de l’univers, la « bureaucratie céleste » qui incarne la Chine n’a, de son propre point de vue, aucun équivalent parmi les autres États. L’égalité de principe de tous les États-nations qui fonde le système international d’après guerre, bien que formellement défendue par la Chine, est au fond pour elle hérétique. La restauration de l’Empire ne va bien sûr pas de soi, mais, avec l’émergence géopolitique actuelle de la Chine, l’héritage classique, rejeté lors du mouvement « moderniste » de 1919 (dont un des slogans était « à bas la boutique de Confucius »), est à nouveau promu et valorisé par les autorités. Les dirigeants chinois ne cessent aujourd’hui de se réclamer d’une « histoire de 5 000 ans », prétendant ainsi se situer dans la continuité d’une société qu’il faut bien qualifier d’archaïque [11][11]Grâce à de récentes études archéologiques, il est avéré que… et qui, comme toutes les sociétés archaïques, est fondée sur une économie de la violence au cœur de laquelle opèrent les rites de purification du corps sociopolitique. Autrefois du ressort du souverain et de sa « bureaucratie céleste », ces rites antiques de production, de structuration et de purification du corps sociopolitique ont été modernisés et prennent aujourd’hui des formes diverses (lutte contre la corruption, contre la « pollution spirituelle », mise en place, enfin, d’un « système de crédit social » d’évaluation et de sanction des citoyens, sur lequel je reviendrai) : ils sont aujourd’hui du ressort du « grand dirigeant » et de sa bureaucratie moderne que sont respectivement Xi Jinping et le Parti.

16Mais si la Chine a été profondément transformée par sa période maoïste et continue de l’être par sa période capitaliste, en quoi, au-delà de la structuration du rapport du politique et du religieux, cette progressive restauration de la forme impériale informe-t-elle les pratiques politiques en Chine ? À travers l’analyse de trois phénomènes saillants de la Chine contemporaine, son rapport à la guerre, son usage des statistiques et son projet d’évaluer et de noter les individus, il est possible de mettre en lumière les effets concrets qu’exerce la structuration néo-impériale de l’État chinois sur le corps sociopolitique qui lui est soumis. Mais il faut immédiatement souligner que cette structuration se produit dans un rapport de forte tension, voire souvent de contradiction, avec la normalisation continue de la Chine sous l’effet à la fois de la rivalité mimétique avec les États-Unis et de son insertion dans un monde façonné par des pratiques pour l’essentiel étrangères à sa propre tradition politico-religieuse.

La guerre juste selon la Chine ou le sacrifice réinventé

17La contradiction entre une Chine qui est à la fois une nation parmi d’autres, engagée dans une rivalité de chaque instant avec d’autres nations, et une Chine qui se conçoit comme une civilisation unique est éclatante dans son appréhension du phénomène guerrier : tout en augmentant constamment son budget militaire, plus rapidement encore que ne croît la richesse du pays, les dirigeants chinois ne cessent d’affirmer qu’ils sont les représentants d’une « civilisation pacifique » dont le pacifisme est inscrit jusque dans son adn.

18Pour dénouer cette contradiction, il faut faire retour ici encore à la Chine antique. Comme le démontre Jean Levi, la condamnation de la guerre, « activité funeste » par excellence, n’est pas une innovation de la Chine contemporaine [12][12]La Chine en guerre. Vaincre sans ensanglanter la lame…. Il s’agit, au contraire, d’un passage obligé des traités militaires et stratégiques chinois « tout au long des siècles ». Il n’y a pas, dans ces traités, de valorisation d’un ethos guerrier puisque les soldats risquent à chaque instant de se faire tuer et d’éteindre leur lignée. Selon le Hanfeizi, Confucius estime même qu’il est très honorable de fuir les combats car la « piété filiale » exige de rester en vie pour prendre soin de la lignée de ses ancêtres [13][13]Ibid., p. 227. !

19Du point de vue historique, la violence politique, exercice rituel et cynégétique limité à l’aristocratie durant les dynasties Shang (1570-1045 av. J.-C.) et Zhou (1046-256 av. J.-C.), visant à procurer des victimes sacrificielles à la communauté, s’est progressivement transformée en une activité guerrière totale, mobilisant l’ensemble de la communauté dans des affrontements pouvant entraîner la mort de plusieurs centaines de milliers de personnes en une seule bataille. Ce dérèglement du processus sacrificiel n’est que l’autre face de la désagrégation de la Chine de la dynastie Zhou pendant la période des Royaumes combattants. Le territoire formellement sous la souveraineté du duc de Zhou se fractionne alors en royaumes rivaux mobilisant chacun d’immenses ressources humaines et techniques pour triompher de ses ennemis. Alors que la guerre, à travers sa fonction sacrificielle, avait pour vocation de souder la communauté, elle devient la cause du déchirement et de la dislocation du corps politique. C’est le sort de la violence, du fait de sa nature mimétique, de se propager à l’ensemble de la communauté, lorsque, comme se lamentait Confucius, les rites ne sont plus respectés et qu’ils n’exercent plus leur fonction qui est de la contenir, aux deux sens du mot contenir (de lui octroyer une place, mais une place limitée, au sein des institutions).

20Mais le plus remarquable est que jamais les stratèges ne perdront de vue la visée sacrificielle de l’activité militaire. Idéalement, pour tous les stratèges, l’activité guerrière doit s’abolir dans le sacrifice d’un seul. C’est ce qui se passe lors de l’« expédition punitive », autre nom de la guerre juste en Chine. L’Art du commandement du commandant Liao l’affirme de la façon la plus claire : « L’unique objectif [d’une juste guerre] est le châtiment d’un seul [14][14]Cité par Jean Levi, La Chine en guerre, op. cit., p. 126.. » C’est le mauvais prince qui doit être châtié par le bon. Le Lüshi chunqiu le prétend également : « Il n’est d’opération militaire qui n’ait pour but de détruire les mauvais princes et de châtier les seigneurs iniques. N’est-il plus grand bienfait que de détruire le vice et de châtier l’iniquité [15][15]Ibid., p. 127. ? » Ainsi, la guerre dans sa forme parfaite s’apparente à un acte de justice, à l’exécution d’une sentence tout uniment populaire et divine contre le mauvais prince. Mais dans les affrontements mimétiques qui caractérisent l’histoire chinoise, comment distinguer le mauvais prince et le bon ? Le bon prince est le vicaire du ciel, c’est-à-dire celui qui représente et agit pour l’Empereur ou celui qui a vocation à le devenir en chassant le tyran. C’est donc le seul jugement de l’Histoire, celui qui prend la forme de la victoire ou de la défaite, qui devient le critère de la guerre juste. Celle-ci s’apparente ainsi à une forme de sacrifice, l’ordalie. Le prince sur qui les yeux de la foule sont constamment fixés risque toujours de devenir l’objet de la violence collective. Il lui faut donc la maintenir à distance et la retourner vers l’extérieur, si possible contre un rival qui se trouve exactement dans la même situation que lui. Le prince est le maître de la guerre tant qu’il n’en devient pas la victime. La guerre peut être appelée « art du mensonge », car elle occulte l’identité des rivaux, en lui substituant une opposition radicale entre le Bien et le Mal, dans laquelle la différence est aussi fictive que revendiquée par celui qui, par la victoire, parvient à l’imposer.

21La guerre idéale prend donc la forme du sacrifice qui évacue la violence du groupe sur un seul et restaure ainsi la paix. A contrario, la rivalité et le conflit ouvert soulignent l’indécision quant à l’identité du souverain légitime. Cette indécision est profondément troublante et demande à être résolue, autant que faire se peut, par l’émergence d’un souverain universel qui, à la manière de l’empereur, « punit » ceux qui refusent de se soumettre à son autorité sacrée. Ce tropisme impérial se manifeste dans la politique étrangère chinoise par une forte tendance à utiliser le vocabulaire de la punition et de la sanction là où l’Occident utiliserait plutôt un vocabulaire guerrier ou, à l’époque contemporaine, un vocabulaire plus platement juridique. La dernière (et désastreuse) intervention militaire chinoise, en 1979, avait officiellement pour but de « donner une leçon » au Vietnam. Aujourd’hui encore, c’est de cette façon que Pékin aborde le problème géopolitique central qui est le sien, le problème de Taïwan. Ainsi, selon Xi Jinping, avec le pouvoir taïwanais actuel (opposé à un rapprochement politique avec Pékin), les « fondations » naturelles du monde commun deviennent instables, « la terre bouge et les montagnes tremblent ». Plus encore, en s’opposant au « sens de l’Histoire », le pouvoir taïwanais risque de subir une « punition » dont il faut donc penser qu’elle serait octroyée au nom de principes qui dépassent la simple volonté humaine. Selon Pékin, l’Armée populaire de libération, si elle use un jour de la force contre Taïwan, se fera l’instrument d’une puissance transcendante en harmonie avec le sens de l’Histoire, puissance dont la volonté est de rendre à la Chine sa juste place sur la scène mondiale.

Les statistiques, ou l’impossible kénose du pouvoir chinois

22À partir du xviie siècle, les trois grands États européens que sont la France, la Prusse et l’Angleterre développent à peu près en même temps des outils qui visent à mieux comprendre leurs populations. C’est la naissance de la « statistique » (mot dont l’étymologie est la même que celle du mot état) dans ses aspects les plus modernes. Cette évolution est contemporaine de la territorialisation et de la sécularisation des États européens qui se manifestent dans le traité de Westphalie (1648). La statistique procède du même phénomène général de désacralisation progressive du pouvoir. La statistique, écrit en effet Olivier Rey, se place « non du point de vue d’un Être omniscient supposé savoir […] mais de l’être humain dans ses conditions véritables d’existence [16][16]Quand le monde s’est fait nombre, Éd. du Seuil, 2017, p. 246. ». La statistique suppose donc une disponibilité à l’égard de ce que les chiffres peuvent nous apprendre. Avec les statistiques, l’État moderne renonce à l’illusion de toute-puissance d’un souverain qui vivrait en symbiose avec son corps politique. Par cette kénose intellectuelle, le pouvoir admet qu’il peut apprendre quelque chose sur (et de) la société qui lui fait face.

23La statistique procède, en outre, d’une volonté des souverains européens de comparer leurs territoires et leurs populations à ceux de leurs rivaux. Ce phénomène ne pourrait donc se produire sans l’idée préalable de comparabilité des États européens, idée parfaitement étrangère à la situation unique de l’Empire chinois, seule « civilisation » et même source de toute civilisation. Le développement de la statistique moderne peut être imputé aux effets de long terme de la sécularisation judéo-chrétienne et reste fondamentalement étranger à la tradition chinoise. Dans celle-ci, le souverain est, à travers son activité rituelle, le producteur et le garant non seulement du monde humain, mais encore du cosmos dans son ensemble. Sa parole a pour vocation non pas de refléter une réalité qui lui préexisterait et lui échapperait mais celle de structurer la réalité d’un monde qui sans lui serait sans forme. Le souverain par ses rites et ses rescrits produit le monde : son discours est performatif.

24Dans un tel contexte, on comprend ce que la pratique chinoise des statistiques peut avoir de problématique. Au début du Grand Bond en avant, en juin 1958, un des deux dirigeants du bureau des statistiques, Xu Muqiao, affirme : « Quelles que soient les statistiques que l’administration et le Parti demanderont, nous les leur fournirons, et nos chiffres iront dans la direction des campagnes politiques et de production, quelles qu’elles soient. » Quelques mois plus tard, en août, un éditorial du Quotidien du peuple prétend pousser les chiffres vers le haut et faire faire un « grand bond en avant » à la statistique. La folie criminelle qui consiste à écraser tout écart négatif entre prévision et évaluation occasionnera une des catastrophes les plus meurtrières de l’histoire de l’humanité. La performativité de la parole du pouvoir chinois rencontrait tragiquement le volontarisme forcené du Parti et les rêves de toute-puissance de Mao Zedong.

25Aujourd’hui encore, le statut des chiffres produits par le pouvoir chinois nous apparaît souvent dans une curieuse ambiguïté. Il n’arrive presque jamais que les prévisions du pouvoir soient démenties par la réalité des chiffres, comme si Pékin se devait de contenir la réalité chinoise dans ses discours. Sans que l’on sache toujours s’il s’agit de prévisions, d’objectifs ou d’évaluations, les chiffres chinois sont cependant toujours remarquablement lisses. Les évaluations de pib, par exemple, sont produites avec une célérité inconnue des pays occidentaux, malgré la taille du pays et les écarts depuis longtemps soulignés par les observateurs entre les chiffres fournis par les échelons régionaux et ceux fournis par le pouvoir central. Depuis quelques années, des études universitaires paraissent régulièrement pour contester la fiabilité des statistiques chinoises. Un exemple parmi bien d’autres : en 1998, après la crise financière asiatique, Pékin prétendait, en dépit de toute vraisemblance, que son économie avait connu un taux de croissance de 7,8 %, tout près des 8 % que le spécialiste Tom Orlik qualifie de « chiffre magique » que, pendant longtemps, la Chine se devait d’atteindre [17][17]Tom Orlik, Understanding China’s Economic Indicators.….

26La performativité des chiffres produits par le pouvoir chinois est, bien sûr, progressivement remise en question par l’ouverture au monde de la Chine, la diffusion des pratiques occidentales et la soumission contrainte et forcée des publications officielles chinoises au libre examen de la recherche universitaire et au journalisme d’investigation occidentaux (et parfois même chinois). Mais qu’en sera-t-il demain si la Chine poursuit son effort de restauration impériale et estime progressivement qu’elle n’a plus rien à apprendre du monde extérieur ?

Le système de crédit social : comment Pékin sonde les reins et les cœurs

27Lorsque la mise en place d’un « système de crédit social » par le gouvernement chinois a progressivement été divulguée dans les médias occidentaux à partir de 2015, l’incrédulité a rapidement fait place à la stupéfaction, puis à l’inquiétude. Le régime chinois, dont beaucoup espéraient encore naguère qu’il évoluerait progressivement vers un régime plus libéral sous l’effet de son ouverture économique au monde, faisait preuve d’une capacité d’innovation étonnante non pour se démocratiser, mais, au contraire, pour renforcer son emprise sur la société. Dans un projet s’inspirant des systèmes d’évaluation de la fiabilité des clients et emprunteurs des institutions de crédit occidentales, le pouvoir chinois prévoyait de mettre en place dès 2020 un système global d’évaluation des citoyens, des entreprises et même des administrations. Selon la propagande du gouvernement, ce système avait pour but d’augmenter le niveau de la « qualité humaine » des citoyens chinois afin de lutter contre les incivilités et la délinquance (notamment financière) et d’établir clairement, grâce à une évaluation objective fondée sur l’observation constante des comportements de chacun, en qui il est possible d’avoir confiance.

28Ce projet frappe moins par son caractère « orwellien » (adjectif souvent utilisé par les médias occidentaux) que par la continuité qu’il traduit avec le système impérial, système dans lequel le pouvoir prétendait aussi injecter de la vertu dans le corps social. Dès le début des années 2000, le pouvoir veut faire de la Chine, dans la tradition confucéenne, un pays « gouverné par la vertu ». Cette expression est utilisée par Xi Jinping lui-même, qui veut « promouvoir les vertus traditionnelles chinoises et élever le niveau éthique et moral de la population [18][18]Xi Jinping, « The Rule of Law and the Rule of Virtue »… », notamment grâce à l’exemple que les membres du Parti sont susceptibles d’offrir au public. Mais, outre les effets de l’exemplarité de leur conduite, les fonctionnaires et membres du Parti sont susceptibles d’agir sur le corps social d’une autre manière encore. Le mot qui signifie « vertu » signifie aussi « puissance », une puissance qui est d’abord ce qui émane des « saints » ou de ceux qui exercent un office sacré. Chez Confucius, cette vertu irradiante est l’un des attributs du souverain. C’est grâce à cette aura qui émane de sa personne que celui-ci sera en mesure de produire l’harmonie du corps social. Le système de crédit social vise donc, en s’appuyant sur cette puissance qui émane de la tête de l’État, à contrôler et à civiliser le corps social et à en expulser tout ce qui est susceptible d’en troubler l’harmonie. La juste évaluation des citoyens par la puissance publique participera à cette harmonisation d’au moins quatre manières. Le système de crédit social, en attribuant des récompenses et en infligeant des sanctions, incite chacun à bien se comporter ; il renforce, en outre, l’adhésion au système de ceux qui, inscrits sur des « listes rouges », sont distingués par le pouvoir pour leurs bonnes actions ; il justifie le souverain lui-même en lui octroyant la place inexpugnable de juge suprême, de juge des juges. Enfin, en établissant des « listes noires » de citoyens peu recommandables, il active une fois encore le mécanisme du bouc émissaire.

29Il faut mesurer tout ce qui sépare les pays occidentaux d’un tel projet. Celui-ci procède d’une conception de la vie commune qui fait du pouvoir politique le lieu d’un jugement sans appel sur les personnes. Dans un contexte judéo-chrétien, seul Dieu sonde les reins et les cœurs, et l’existence d’un ordre spirituel vient en quelque sorte relativiser les jugements du monde. S’il est glorieux d’être riche, il n’en reste pas moins qu’il est plus difficile pour un riche d’entrer dans le royaume des Cieux que pour un chameau de passer par le chas d’une aiguille. Tandis qu’avec son système de crédit social Pékin tend à faire du jugement porté sur les hommes par les hommes un jugement dernier, sans recours possible. Le système établira en outre peu à peu une forme d’équivalence entre jugement moral et réussite sociale : si les citoyens inscrits sur les listes noires ne peuvent plus acheter de billets d’avion en classe affaires, cela signifie que ceux qui voyagent en tête des avions sont à la fois riches et vertueux tandis que ceux qui doivent se contenter de la classe économique sont à la fois pauvres et peu recommandables.

30La nature religieuse du projet chinois se manifeste jusque dans le vocabulaire employé pour le décrire. Un chercheur officiel prétend ainsi que l’évaluation du « crédit » des individus (c’est-à-dire de la confiance qu’on peut leur accorder) sera comme la « main invisible » qui disciplinera les citoyens et assurera l’harmonie de la société [19][19]Dai Mucai, « Poursuivre en même temps le gouvernement par la…. Ainsi, à la « main invisible » du marché qui ordonne la société selon les libéraux anglo-saxons, succède la « main invisible » de l’État chinois. Un autre déclare de façon plus explicite encore que le système de crédit social sera le « dieu » de l’ère du big data. Le système participera en outre à la répression des « cultes hérétiques ». À titre d’exemple, dans la ville pilote de Roncheng, où un système de notation est déjà en place, des bonus de points sont accordés à ceux qui dénoncent aux autorités des membres des organisations religieuses non autorisées par le gouvernement, comme à ceux qui financent de façon substantielle les bonnes œuvres du Parti. Quant à ceux qui participent aux activités de ces « cultes hérétiques », ils sont rétrogradés au « niveau d’alerte C » (juste avant le niveau le plus bas, le niveau « D », celui des criminels), le niveau de ceux qui, par exemple, refusent de remplir leurs obligations militaires.

La guerre des dieux, avec des caractéristiques chinoises

31Dans un ouvrage qui reflète, semble-t-il, le point de vue du pouvoir chinois [20][20]Zhang Weiwei, The China Wave (World Century, 2012), ouvrage qui…, l’ancien interprète de Deng Xiaoping, Zhang Weiwei, présente le « Ciel » chinois (le Tian de Tianxia) de façon très éclairante. Selon Zhang, le « concept chinois traditionnel de Tian ou de Ciel […] signifie les intérêts vitaux ou la conscience de la société chinoise ». Et, affirme Zhang, lorsque cette conscience ou ces intérêts vitaux sont violés, il est légitime de s’affranchir des contraintes de l’État de droit pour punir des coupables, même si ceux-ci n’apparaissent pas comme tels aux yeux de la loi. Zhang reproche ainsi aux États-Unis d’avoir été incapables de punir les responsables de la crise financière de 2008 en raison d’un « légalisme » excessif. Ce que justifie ici Zhang et ce qu’il place au cœur de la gouvernance chinoise, c’est le phénomène du bouc émissaire et son instrumentalisation par le pouvoir politique. Lorsque la communauté réclame des coupables, il est du devoir du pouvoir de les lui fournir. « Les dieux ont soif », écrivait Anatole France à propos de la Révolution française. En effet, ce qui est intéressant dans ce contexte, c’est la forme religieuse que prend, sous la plume de Zhang, ce plaidoyer en faveur du lynchage d’État. La volonté du peuple de voir punir des coupables est ainsi gravée par Zhang dans le marbre de la tradition chinoise sous sa forme la moins discutable puisqu’elle se cristallise dans ce qu’il appelle le « Ciel ». Zhang, au-delà de sa rhétorique confucéenne, met ici en lumière le fond sacrificiel de la tradition chinoise qui lui est si chère. Le phénomène du bouc émissaire, c’est l’autre face, la face sombre, de la recherche d’harmonie qui caractérise, selon lui, la tradition chinoise : l’harmonie ne sera possible que lorsque les fauteurs de troubles seront châtiés ou, plus précisément, lorsqu’on aura trouvé des fauteurs de troubles à châtier.

32*

33La mise en lumière des continuités entre l’Empire et le régime actuel ne permet cependant pas d’affirmer qu’il n’y aurait rien de nouveau sous le soleil. Bien au contraire, la modernité et l’influence de l’Occident, je l’ai souligné, ont profondément transformé et transforment encore la Chine. Les conversions multiples au christianisme en sont le signe le plus évident et sans doute le plus dangereux pour le pouvoir, car le christianisme l’attaque dans son essence sacrificielle. Cependant, la force et la nature de la réaction de Pékin sont à la mesure de ces enjeux. Le niveau religieux est en effet celui qui permet le mieux d’appréhender ce qui se joue ici. Pékin l’a bien compris : la volonté de restaurer l’Empire emporte avec elle une forme politique qui fait de l’empereur potentiel Xi Jinping et de sa bureaucratie les figures sacrées du pouvoir. Celles-ci ne sauraient souffrir la concurrence d’organisations religieuses pleinement libres. Pour le Parti l’alternative est claire : les religions devront se soumettre, en se sinisant, ou disparaître. Du point de vue de Pékin, ces organisations religieuses ne peuvent en effet subsister que comme supplétifs du Parti, c’est-à-dire en devenant de simples ressources spirituelles que le régime devra pouvoir détourner à son profit.

Notes

  • [1]
    Les « 5 000 ans d’histoire » de la Chine font partie intégrante de la mythologie officielle de Pékin, mais n’ont pas de fondement historique. Les premières traces écrites remontent à la dynastie des Shang et guère au-delà de 1200 ans avant J.-C.
  • [2]
    Étienne Balazs, La Bureaucratie céleste. Recherches sur la société et l’économie de la Chine traditionnelle, Gallimard, « Tel », 1988.
  • [3]
    Édouard Chavannes, « Les prix de vertu en Chine », Comptes rendus des séances de l’Académie des inscriptions et belles lettres, 48e année, n° 6, 1904, pp. 667-691.
  • [4]
    C’est l’expression de Xi Jinping lors de son discours devant le XIXe congrès du Parti (18 octobre 2017).
  • [5]
    Jean Levi, « Le rite, la norme et le tao : philosophie du sacrifice et transcendance du pouvoir en Chine ancienne », in John Lagerwey (sous la dir. de), Religion et société en Chine ancienne et médiévale, Cerf, 2009, p. 166.
  • [6]
    Jan Jacob Maria De Groot, Sectarianism and Religious Persecution in China, Amsterdam, Johannes Müller, 1903, p. 137.
  • [7]
    Ibid., Introduction, p. 18.
  • [8]
    Nectar Gan, « Want to Escape Poverty ? Replace Pictures of Jesus with Xi Jinping, Christian Villagers Urged », South China Morning Post, 14 novembre 2017.
  • [9]
    J’utilise ici le mot « sacrificiel » au sens que lui a donné René Girard, notamment dans La Violence et le Sacré (Grasset, 1972). Pour Girard, la politique est sacrificielle dans son essence en ce que les communautés humaines sont fondées sur une institution, le sacrifice, qui reproduit un acte originel de mise à mort d’une victime émissaire, acte qui, par la violence, met la violence à distance. Pour Girard (Des choses cachées depuis la fondation du monde, Grasset, 1978), le judéo-christianisme est ce qui permet de dépasser cette violence fondatrice par la révélation biblique de ses mécanismes.
  • [10]
    « Mon Royaume n’est pas de ce monde » (Jean, XVIII, 36). Cette simple remarque sur l’articulation du politique et du religieux tel qu’il est informé par le christianisme est nécessairement, dans le cadre d’un article consacré à la Chine, très insuffisante. Il n’est sans doute pas incongru ici de renvoyer aux pages classiques et toujours éclairantes de Marcel Gauchet, Le Désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion (Gallimard, 1985), en particulier le sous-chapitre intitulé « L’autre monde et l’appropriation du monde », pp. 92-113.
  • [11]
    Grâce à de récentes études archéologiques, il est avéré que l’institution du sacrifice (aussi bien humain qu’animal) était l’institution centrale de la dynastie semi-historique des Shang. Voir Gideon Shelach, « The Qiang and the Question of Human Sacrifice in the Late Shang Period », Asian Perspectives, vol. 35, n° 1 (été 1996), pp. 1-26. Et Roderick Campbell, « Transformations of Violence : On Humanity and Inhumanity in Early China », in R. Campbell (sous la dir. de), Violence and Civilization, Studies of Social Violence in History and Prehistory, Oxford, Oxbow Books, 2014, pp. 94-118. C’est durant cette période que le système d’écriture chinois (sorte de produit dérivé des rites sacrificiels) a été inventé.
  • [12]
    La Chine en guerre. Vaincre sans ensanglanter la lame (viiieiiie avant J.-C.), arkhe, 2018.
  • [13]
    Ibid., p. 227.
  • [14]
    Cité par Jean Levi, La Chine en guerre, op. cit., p. 126.
  • [15]
    Ibid., p. 127.
  • [16]
    Quand le monde s’est fait nombre, Éd. du Seuil, 2017, p. 246.
  • [17]
    Tom Orlik, Understanding China’s Economic Indicators. Translating the Data into Investment Opportunities, Upper Saddle River (nj), ft Press, 2011.
  • [18]
    Xi Jinping, « The Rule of Law and the Rule of Virtue » (discours du 9 décembre 2016), in The Governance of China, t. 2, Pékin, Foreign Languages Press, 2017, p. 146.
  • [19]
    Dai Mucai, « Poursuivre en même temps le gouvernement par la loi et le gouvernement par la vertu », Le Quotidien du peuple (en chinois), 14 février 2017, p. 7.
  • [20]
    Zhang Weiwei, The China Wave (World Century, 2012), ouvrage qui évite d’aborder les aspects sombres de l’histoire chinoise et dont on dit qu’il a été lu et approuvé par Xi Jinping.
  • Voir encore:

Que disent les nouveaux e-mails rendus publics sur l’origine du SARS-CoV-2 ?

La version non censurée de courriels de l’agence américaine de la santé confirme que la thèse d’une fuite de laboratoire a été sérieusement envisagée, avant de passer à l’arrière-plan.

William Audureau

Le Monde
14 janvier 2022

Au début de la pandémie, les instances de santé américaines ont-elles caché au grand public que le SARS-CoV-2 pouvait provenir d’un laboratoire ? C’est la conclusion que certains tirent d’un document d’une dizaine de pages rendu public le 11 janvier 2022 par le Parti républicain, visant Anthony Fauci, directeur de l’Institut national des maladies infectieuses américain (Niaid), principal responsable de la gestion de la pandémie aux Etats-Unis.

« Nous avons mis en ligne des e-mails jusqu’alors inédits, montrant que le Dr Fauci a dissimulé des informations à propos d’une origine du Covid-19 en provenance du laboratoire de Wuhan, et intentionnellement minimisé la thèse d’une fuite de laboratoire. »

Cette publication survient alors que le Dr Fauci, auditionné au Sénat américain, accuse les Républicains d’encourager les « détraqués » à le menacer de mort en propageant depuis des mois des accusations mensongères à son sujet.

Que contiennent ces documents ?

Le dossier mis en ligne contient neuf courriels, reçus ou émis par des responsables de l’Institut national américain de la santé (NIH), principale agence de recherche médicale, notamment le généticien Francis Collins. La plupart remontent au tout début de février 2020, quand plusieurs experts internationaux en virologie, immunologie, et biologie évolutionnaire se sont réunis en téléconférence pour discuter de l’origine possible du virus du SARS-CoV-2.

Ces courriels avaient déjà été obtenus par le Washington Post et Buzzfeed en juin 2020, mais une partie du contenu était alors caviardée : ils sont désormais partiellement ou complètement retranscrits. Deux éléments en ressortent :

  • Comme le montraient déjà plusieurs e-mails rendus publics, la thèse d’un virus « sorti » d’un laboratoire était dès le début prise au sérieux par les experts, et même parfois jugée plus probable qu’une zoonose (maladie transmise d’un animal à l’homme). « Pour moi, c’est du 70-30 ou 60-40 », écrivait ainsi le virologue Michael Farzan, le 1er février 2020.
  • Le NIH a fait pression pour que cette piste soit disqualifiée, par le truchement de publications scientifiques ou de communications de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Il l’a même réduite à une « théorie du complot très destructrice », estimant qu’elle causerait du tort à la recherche scientifique.

Que sait-on de l’authenticité de ces e-mails ?

Ils ont été obtenus dans le cadre du Freedom of Information Act, loi sur le droit à l’information qui oblige les agences fédérales américaines à partager leurs documents à quiconque en fait la demande…

 

‘Festival of shame’: Why China has cracked down on Christmas

Rising nationalism under Xi Jinping and tensions between China and the West has left little room for foreign culture that Beijing sees as an affront to Chinese values, writes Ahmed Aboudouh
The Independent
23 December 2021

Scorning it as ‘Western spiritual opium’ and the ‘Festival of Shame’, China has cracked down on Christmas in recent years as the Chinese Communist Party’s (CCP) increasingly vociferous brand of nationalism rejects any outside influence or ideas.

Christmas may not be traditional or officially recognised in China, but there are tens of millions of Christians in the country who celebrate the occasion while much of the general public enjoy festive rituals that are common worldwide – be it shopping for gifts or going out with friends.

Yet under the leadership of Xi Jinping – and since relations with the US soured under the presidency of Donald Trump – Beijing has sought to either downplay or exert control over Western culture or beliefs, and Christmas celebrations have been repeatedly denounced.

CCP notices have banned party members, government agencies, and even universities from taking part in any festivities while slogans urging citizens to boycott Christmas are common on social media platforms.

For example, in Hengyang city in Hunan province, authorities said in December 2018 that any Christmas activities or sales that blocked the streets would be removed. The previous December, a local government agency issued a letter warning CCP officials to avoid celebrating the occasion and instead promote traditional Chinese culture.

“Party members must observe the belief of communism and are forbidden to blindly worship the Western spiritual opium,” it read.

Under Mr Xi, the competition with the US and its allies emboldened nationalists at home who have become more vocal in urging society to focus on Chinese culture.

While Christmas around the world is celebrated by non-Christians and is often considered a cultural event as much as a religious one, academics said that the CCP was sensitive about China being open to any foreign influence as it espouses nationalism.

Rana Mitter, professor of history and politics in modern China at Oxford University, said Beijing was becoming more reluctant to allow the “free flow of what it regards as Western ideas”.

“This includes not just religious concepts but also ideas of liberal democracy and constitutionalism,” he told The Independent.

Speaking this month at a national conference on religious affairs, Mr Xi referred to the “sinicization of religion,” a catchphrase requiring all religions, faith, rituals and practices to align with Chinese culture and society.

Since its introduction in 2015, the concept has aimed to bring Christianity, Islam, Buddhism, Taoism and all other religions in China under the CCP’s control and in line with its tradition and ideology.

Mr Xi told the conference there was a need “to develop a religious theory of socialism with Chinese characteristics, work in line with the Party’s basic policy on religious affairs, and uphold the principle that religions in China must be Chinese in orientation.”

The Chinese government has faced global criticism and accusations of genocide from countries including the US for its treatment of the Uyghur population and other mostly-Muslim ethnic minorities in northwestern Xinjiang, where about a million people are estimated to have been detained and subjected to abuses.

By contrast, there are a relatively small number of Christians estimated to be living in China – around 38 million Protestants and 6 million Catholics – and although suffering from abuses related to their religious beliefs, they have not suffered similar targeted persecution.

“The government’s attitude toward Christians, as with other religions, is not necessarily against the religion per se but rather the potential for religion to become a political force and an alternative to the CCP,” said Xing Hang, an associate professor at Brandeis University.

“Government policy is essentially to ensure that churches put the party and state above the religion,” Mr Xing said, adding that Christians might come under greater scrutiny in the future due to growing Chinese nationalism.

This could also be affected by relations between China and the US, which have worsened in recent years after trade disputes with Mr Trump, arguments over military presence in the Indo-Pacific, and pressure put on Beijing over human rights issues by the administration of US President Joe Biden.

<p>File photo: A person dressed as Santa Claus distributes gifts to people outside a shopping complex in Beijing, China, 25 December 2020</p>

 

File photo: A person dressed as Santa Claus distributes gifts to people outside a shopping complex in Beijing, China, 25 December 2020

Some Chinese officials have tried to deflect attention from Christmas in the country by instead encouraging people to celebrate the birthday of Mao Zedong, the former leader and architect of modern China who was born on 26 December 1893 and died aged 82.

On Christmas Day in 2019, just before the world became aware of the coronavirus pandemic, officials in Linyi, a city in Shandong province, placed a cake with “Happy birthday to Mao” at the footstep of a statue of Mao in the Wangzishan Temple in Pingyi county.

And in Chinese schools, Christmas has been identified as one of the evils in a patriotic education campaign that places great emphasis on rejecting anything Western, according to Bitter Winter, a magazine focused on religious liberty.

For instance, it focuses on teaching students about the “Century of Humiliation” – an account of China’s history between the 19th and 20th centuries where China was “bullied” by Western powers and Japan.

Although any Christmas celebrations in China this year may well be curtailed by the Omicron outbreak, one can still see trees, lights and decorations adorning public spaces and shopping malls in major cities including Shanghai.

This year, one user on Weibo questioned China’s cultural influence abroad and called for promoting national festivals such as the Spring and Mid-Autumn festivals.

They asked:Wouldn’t it be great if one day the influence of the Spring Festival can reach 1 per cent or even slightly higher than that of Christmas?”

China cancels Christmas: why Santa Claus is not coming to town for Chinese kids

  • Options for Christmas celebrations beyond the malls and stores shrink as English-teaching centres shut down following a crackdown
  • Rising online nationalism combined with a boycott of Western cultural values is making many parents choose to forgo the festivities to ‘avoid trouble’
Governments around China have been trying to cool the public zest for celebrating Christmas, in a bid to resist Western cultural influences. EPA-EFE
Governments around China have been trying to cool the public zest for celebrating Christmas, in a bid to resist Western cultural influences. EPA-EFE

Josie Wang and her family are not Christian. But they have celebrated Christmas every year since 2016.

That was the year her son William, then a toddler of three, started learning English with a private education company in Beijing.

Christmas then meant singing carols under the tree with his tutors. As Wang’s flat was too small to put up a Christmas tree and festive decorations, she would usually leave the boy a gift on behalf of Santa, to “reward his good behaviour”.

1Le 31 octobre 2017, quelques jours après leur désignation à l’issue du XIXe congrès du Parti Communiste Chinois (PCC), les sept membres du Comité permanent du Bureau politique – la plus haute instance du Parti au complet –, se sont rendus à Shanghai pour commémorer la création du Parti en ce lieu, quatre-vingt-seize ans plus tôt, en 1921. Au cours d’une cérémonie dirigée par le secrétaire général Xi Jinping en personne, les hauts dirigeants ont, le poing gauche dressé, solennellement juré de servir le Parti et de garder ses secrets. Ils ont ensuite visité le « mémorial révolutionnaire du lac du sud de Jiaxing », musée dont l’objet est de rappeler à la population chinoise l’horreur des souffrances qu’elle subissait sous les jougs conjugués du féodalisme et de l’impérialisme, avant la création par le PCC, en 1949, de la « Nouvelle Chine », la République Populaire de Chine (RPC). Selon les médias chinois officiels, Xi Jinping, au cours de cette visite, s’est exclamé à plusieurs reprises « Que d’humiliations ! Que de honte ! Á cette époque, la Chine était un mouton gras attendant le sacrifice. » [1][1]http://news.xinhuanet.com/politics/2017-11/01/c_1121886406.htm.…

La Chine est-elle un bouc émissaire ?

2Ainsi, dans l’esprit de ses dirigeants actuels, la Chine du « siècle des humiliations », qui selon l’historiographie officielle chinoise, s’étend de la première Guerre de l’opium en 1839 à 1949 [2][2]Voir Alison A. Kaufman The “Century of Humiliation” and China’s…, était un bouc émissaire, un objet passif et presque consentant de l’avidité des prédateurs occidentaux et japonais qui, secrètement coalisés pour tirer profit de sa faiblesse, la violèrent et l’occupèrent pour finir par la démembrer et par s’en partager les morceaux. On a presque le sentiment que Xi Jinping a lu René Girard [3][3]Dans toute son œuvre et notamment dans La Violence et le sacré,…. Le doute est permis cependant, car si Xi décèle chez autrui la soif de persécution, il lui semble impossible d’admettre que cette soif puisse être partagée par son peuple [4][4]« Avoir un bouc émissaire, écrit Girard, c’est ne pas savoir…. En effet, au mépris de toute réalité historique, le Parti ressasse un discours qui fait de la Chine une victime innocente de l’agressivité naturelle des barbares. Cette vision manichéenne de l’histoire chinoise s’appuie paradoxalement sur un sentiment de supériorité. Du fait de la qualité supérieurement pacifique de sa civilisation, la Chine resterait en effet, pour son malheur, traditionnellement incapable de répondre à la violence qu’on exerce contre elle, mystérieusement immunisée contre la nature universellement mimétique du conflit…

3Peut-être que si Xi Jinping imagine la Chine du « siècle des humiliations » comme un mouton gras promis au sacrifice, et donc à la disparition, c’est qu’il souhaite que le souvenir de ces humiliations soit à jamais effacé. Que la « parenthèse » de la domination occidentale soit vite refermée, et oubliée. Pourtant, l’image de la Chine faible et soumise aux Occidentaux vient sans cesse hanter les nationalistes comme ces revenants de la religion traditionnelle qu’il faut régulièrement chasser de la communauté des vivants à coup d’exorcismes. Á moins que cette Chine sacrifiée puisse « renaître » [5][5]Le projet de faire renaître ou de revitaliser (复兴 fùxīng) la…, mais cette fois sous la forme d’une Chine tout à la fois éternelle et idéale, toute puissante, à jamais purifiée de ses hontes et de ses humiliations.

4En qualifiant la Chine de « mouton attendant le sacrifice », Xi Jinping s’approprie les images d’un roman publié en 2004 et qui eut un formidable succès en Chine, Le Totem du loup[6][6]Cet ouvrage, dont l’auteur, Jiang Rong, fut un de ces « jeunes…. Dans ce roman, dont l’intrigue se situe dans les régions reculées de Mongolie-Intérieure, les étrangers sont assimilés à des hordes de nomades sanguinaires, des loups assoiffés de viande rouge, et les Chinois à de passives proies sans défense, d’inoffensifs troupeaux de moutons bêlants. Son auteur ne cachait d’ailleurs pas son admiration pour les « loups » et incitait les Chinois, pour sortir de la persécution millénaire qu’ils subissent de la part des étrangers, à devenir eux-mêmes quelque peu des loups. Le paradoxe du livre était que les loups étaient progressivement décimés par la population locale, pour finir par quasiment disparaître.

5L’auteur du Totem du loup a été entendu au-delà de ses espérances. En effet, Xi refuse que la Chine soit un mouton bêlant promis au couteau du boucher : il veut la construction d’un pays fort et fier, capable de gagner une guerre. Cela passe par la culture d’un esprit guerrier, où le civil et le militaire doivent fusionner, et plus concrètement par une augmentation rapide des dépenses budgétaires non seulement de l’armée [7][7]Cette augmentation se produit alors même que la Chine n‘est…, mais aussi de la police et de la police armée. Pourtant, Xi Jinping ne renonce pas à présenter la Chine comme essentiellement pacifique. Au cours de son rapport au XIXe congrès, un impressionnant discours de trois heures et vingt-trois minutes, il a prononcé vingt fois le mot « pacifique », 和平 [8][8]français sous l’attrayant titre suivant : « Remporter la…. Comment expliquer cette contradiction ? La Chine s’imagine dans le rôle avantageux de l’ancienne victime qui s’est trop longtemps laissé faire, de la bonne pâte qui se rebelle et refuse de se laisser marcher sur les pieds plus longtemps par les voyous qui l’ont trop longtemps martyrisée. S’il entre bien sûr du calcul dans l’affirmation du caractère pacifique du développement de la Chine, qui vise à rassurer ceux qui l’entourent, il est difficile de ne pas y percevoir un accent de sincérité : la Chine se pense vraiment, en toute candeur, plus pacifique que les puissances dont elle fut la victime.

6Pour un œil extérieur, une connaissance même superficielle de l’histoire chinoise suffit pourtant à réfuter cette assertion. On pourra par exemple consulter avec profit le passionnant ouvrage récemment publié par Howard French pour constater que la prétention de la Chine à être « la » civilisation ne l’a jamais empêchée d’utiliser la force aussi souvent que n’importe quelle autre puissance d’importance, lorsque cela lui semblait utile ou nécessaire [9][9]Howard W. French, Everything Under the Heavens: How the Past…. Comment comprendre qu’au moment même où l’Europe tend à voir sa propre histoire sous un jour très sombre, s’accusant sans relâche de tous les crimes qu’elle a commis ou qu’elle n’a pas commis, la Chine pour sa part récuse tout retour critique sur sa propre histoire, qualifiant de « nihilisme historique » les efforts pour regarder en face la violence chinoise à l’encontre des étrangers au XIXe et au XXe siècles, ou pire encore les travaux visant à comprendre la logique criminelle de la Révolution culturelle [10][10]Voir par exemple “Une mémoire ambiguë en Chine : le «Massacre… ?

La structure sacrificielle de la politique chinoise

7« Un mouton gras attendant le sacrifice ». L’assimilation de la Chine du « siècle des humiliations » à la victime d’un sacrifice rituel sonne étrangement lorsqu’on se figure que dans la Chine ancienne, « gouverner revient à sacrifier », comme l’écrit Jean Lévi [11][11]« Le rite, la norme, le tao : philosophie du sacrifice et…. Il se trouve en effet que le terme utilisé ici par Xi Jinping pour dire l’acte du sacrifice 宰, zǎi, signifie tout autant « gouverner » que « sacrifier » [12][12]Selon le dictionnaire Ricci 宰爵zǎi jué dans l’administration…. Le système sacrificiel des Zhou, bien que mis à mal durant la longue agonie de la dynastie, pendant la période dite des Printemps et Automnes et celle des Royaumes combattants qui lui succède du Ve au IIIe siècle avant J.C., servira de modèle aux empereurs chinois, à travers le sacrifice au Ciel opéré par le souverain en personne après chaque solstice d’hiver. Cette pratique sacrificielle perdurera jusqu’en 1912 et la chute de l’Empire, voire jusqu’en 1915-1916, période durant laquelle Yuan Shikai tente de restaurer l’Empire. Ce sacrifice avait pour objet un animal – un jeune taureau roux, dont la couleur rousse rappelait « l’empereur enflammé » (炎帝, yándì) encore appelé « l’empereur rouge » (赤帝, chìdì), une figure mythique considérée avec « l’empereur jaune » (黄帝 huángdì) comme l’ancêtre de tous les Hans, l’ethnie majoritaire en Chine. L’animal était brûlé intégralement et consacré au Ciel. Ce sacrifice était doublé d’un sacrifice aux ancêtres d’un autre taureau roux, en tous points semblable au premier, dont le corps était démembré et les morceaux répartis entre les participants, selon un ordre strict qui (re)produisait la hiérarchie sociale. La possession territoriale de chaque chef de clan était directement conditionnée par le nombre d’ancêtres qu’il avait à honorer, et donc par la place qu’il occupait dans ce sacrifice.

8C’est ainsi que dans l’imaginaire de Xi Jinping, la consommation sacrificielle de la Chine-bouc émissaire et son démembrement par les puissances étrangères qui s’en partagent littéralement le territoire durant « le siècle des humiliations », reproduit un sacrifice ancien dont les auteurs représentaient le sommet de l’aristocratie du régime féodal. Il se trouve que dans la mythologie propre au parti, les communistes se sont rebellés tout uniment contre le féodalisme et l’impérialisme. L’histoire de la « Nouvelle Chine » communiste est celle de la libération de la Chine et de son peuple du joug qui lui était imposé par les tyrans féodaux et étrangers. Cette association symbolique entre féodaux et puissances étrangères est facilitée par la présence concrète de forces armées étrangères en Chine jusqu’au milieu du XXe siècle et par la nature « étrangère » (mandchou) de la dernière dynastie chinoise, dont la haute aristocratie n’était majoritairement pas d’ethnie Han. Mao Zedong s’identifiera à celui qu’on appelle l’empereur Qin Shihuang, le premier empereur historique qui, au IIIe siècle avant J.C., unifiera la Chine, mettra à bas le système féodal et lui substituera un système centralisé extrêmement répressif. Jean Lévi voit dans l’émergence de ce système centralisé la fin du système féodal fondé sur le sacrifice [13][13]Jean Lévi, Op. Cit. p. 186 et suivantes.. De même, dans l’imaginaire communiste, Mao est un nouvel empereur qui comme son modèle unifie le pays et pourfend les pouvoir féodaux et les impérialistes avides d’asservir la Chine et son peuple. Ce modèle est très présent aujourd’hui chez Xi Jinping dans sa lutte contre la corruption et les baronnies qui divisent la Chine, comme dans sa lutte contre toutes les formes de « séparatismes » politiques ou religieux. Aujourd’hui encore par exemple, la séparation de Taïwan de la mère patrie est comprise comme une conséquence de l’ère impérialiste et féodale durant laquelle la Chine était asservie aux étrangers. Mais est-ce que la fin du système féodal signifie pour autant la fin de la structure sacrificielle qui l’organisait ? Si l’on prend le mot « sacrificiel » au sens étroit du sacrifice au Ciel, la réponse est oui, puisque les Républicains ont mis fin à un système que la Chine communiste n’a naturellement pas restauré. Si l’on prend le mot « sacrificiel » au sens que lui a donné René Girard, on peut en douter.

9En effet, à suivre René Girard, toutes les communautés humaines archaïques sont fondées sur des rituels qui visent à expulser la violence qui les menace hors d’elles-mêmes. Le sacrifice que Girard voit à la source des communautés humaines est la reproduction ritualisée d’une scène originelle : un lynchage qui a miraculeusement restauré la paix menacée par la discorde et les conflits mimétiques. L’objet du lynchage est ce que Girard appelle la victime émissaire : toute la violence réelle de la communauté se porte sur elle, tandis qu’elle est accusée d’être la seule responsable de cette violence et des calamités frappant la communauté. Pour ce qui concerne la Chine archaïque, il est vraisemblable que le sacrifice au Ciel trouve son modèle dans une scène de lynchage dont les rois/chamans de la Chine ancienne furent l’objet.

10Ainsi, on peut citer le cas du souverain Tang, fondateur de la dynastie Shang au XVIe siècle avant J.C. [14][14]Il s’agit de la dynastie semi-historique qui précède celle des…, qui après sa victoire sur le dernier souverain de la dynastie des Xia dut faire face à une longue période de sècheresse durant laquelle rien ne fut récolté. Dans une structure typique des mythes sacrificiels, il s’accusa et accusa son gouvernement de nombreux maux sans lien apparent avec la sécheresse (concussion, luxure, dépenses somptuaires, calomnies), préfigurant ainsi les séances d’autocritique chères au parti communiste. Pour conjurer le retour des esprits persécuteurs et des démons envoyés par le Ciel pour le punir, il offrit à l’empereur d’en-Haut et à son peuple de s’immoler par le feu pour que cesse la sécheresse et que soit mis fin aux malheurs qui s’abattaient avec elle sur le pays [15][15]Cette attitude du souverain Tang servit de modèle aux empereurs…. Diverses versions de ce mythe existent. Selon l’une d’entre elles, le souverain s’en sortit en offrant au Ciel certaines parties de lui-même, ongles et cheveux, qui le représentaient tout entier auprès de la divinité. Selon une autre version, il offrit au Ciel une victime de substitution, un taureau. Le sacrifice du roi fit pleuvoir et ramena l’harmonie [16][16]Voir Anthologie des mythes et légendes de la Chine ancienne,…. Dans sa structure, ce mythe est identique au rituel du sacrifice au Ciel au cœur de la politique des Zhou : un roi, après le solstice d’hiver et avant les semences et les pluies du printemps immole par le feu, après l’avoir criblé de flèches, un taureau roux dont la couleur manifeste qu’il s’est exposé au feu du soleil, comme pour conjurer la sécheresse et assurer la permanence du retour des saisons, modèle et fondation de l’harmonie cosmique et sociale.

Sacrifier le Prince ou chasser les démons ?

11Se perçoit aussi dans ce mythe l’origine et le lien avec le sacrifice de ce que les textes de la dynastie Zhou appelleront plus tard le « mandat du Ciel » : lorsque les calamités et les conflits s’abattent sur la Chine, c’est que le mandat du Ciel a été retiré au souverain et il devient alors légitime de le remplacer, y compris par des moyens violents et illégaux. Cependant, si par son bon gouvernement et par une bonne pratique du sacrifice (ce qui dans le cadre de la dynastie Zhou est une seule et même chose), le souverain parvient à ramener concorde et harmonie, c’est que le mandat du Ciel ne lui a pas été retiré. Dans les faits, le mandat du Ciel sert bien sûr surtout aux nouveaux souverains à justifier a posteriori le renversement dynastique. Mais ce qui importe ici, c’est de constater à quel point le mandat du Ciel et son retrait possible ressemblent en tous points aux humeurs variables qui traversent les « 10 000 hommes », la foule des agriculteurs formée par les sujets du souverain, qui est lui « l’homme unique » [17][17]Id. p. 140., dans un rapport de force qui pourrait paraître inégal et inquiétant si la force structurante de l’institution sacrificielle ne permettait de maintenir à bonne distance symbolique et physique la foule de son souverain [18][18]C’est ainsi qu’on peut comprendre les multiples tabous qui….

12Cette mentalité sacrificielle inhérente à la politique en Chine fut particulièrement manifeste, dans son emballement même, pendant la Révolution culturelle. Ainsi le chercheur néerlandais Barend J. ter Haar a pu décrire la politique maoïste durant la Révolution culturelle (1966-1976) comme étant régie par un « paradigme démonologique » selon lequel la politique consiste, sur le modèle taoïste, à « chasser les démons » hors de la communauté qu’ils menacent [19][19]Barend J. ter Haar, “China’s Inner Demons: The Political Impact…. Pour éviter que la violence qui traverse la communauté politique ne se retourne contre le souverain, il faut que celui-ci la prenne entre ses propres mains et l’oriente vers des objets sacrifiables, symboliquement ou réellement. Du point de vue du souverain, il n’en est naturellement pas un lui-même : tout le monde ne peut pas avoir la vertu du souverain Tang des Shang, qui, on l’a vu, s’est offert lui-même en sacrifice. Peut-être aussi, mais les chroniques ne le disent pas, cette offre s’est-elle faite sous la pression d’une foule courroucée, sur le modèle de ces « criminels » qui aujourd’hui après avoir passé quelques semaines au secret et aux mains de la redoutable Commission de discipline et d’inspection du Parti sont envoyés en victimes expiatoires à la télévision pour confesser leur crime devant la foule des spectateurs [20][20]“Beijing’s Televised Confessions”, chinafile.com, 20 janvier…. C’est ainsi que le sacrifice rituel se transforme en châtiment, qui n’est rien d’autre qu’une nouvelle sorte de sacrifice rituel [21][21]La continuité structurelle du sacrifice et du châtiment se lit….Ce fut le cas dans la Chine antique, ou la crise de l’institution sacrificielle traditionnelle mena à l’émergence d’un courant de pensée, le légisme, qui faisait de l’aristocratie sa tête de Turc, et de la chasse aux têtes par les paysans-soldats et du châtiment par le Prince le cœur de l’art de gouverner [22][22]Sur le légisme voir Han-Fei-Tse ou le Tao du Prince, Présenté…. De même, dans l’imaginaire communiste aujourd’hui, le féodalisme et l’impérialisme qui présidaient au sacrifice de la Chine bouc-émissaire sont-ils devenus la substance même de ce qu’il faut sacrifier, c’est-à-dire expulser hors de la communauté, en même temps que les criminels ou les corrompus. Sous l’impulsion du Parti communiste, la Chine exécute chaque année plus de condamnés à mort que le reste du monde réuni, sans doute plusieurs milliers de personnes par an [23][23]Voir dans ce numéro l’entretien avec Marie Holzman, pp. 38-45..

13La Chine, dans la version idéalisée qu’en présente le Parti, d’objet du sacrifice en est devenue l’acteur légitime et tout puissant, incarnée par un souverain fermement en possession du mandat du Ciel. Ainsi, en conclusion de son discours fleuve ouvrant le XIXe congrès du PCC le 18 octobre 2017, Xi Jinping pouvait ainsi, en toute quiétude, s’identifier à un moderne fils du Ciel en citant une phrase tirée du classique des rites, le texte organisant la vie sociale, politique et administrative de la dynastie Zhou : « Quand la Voie céleste prévaut, l’esprit public règne sur Terre. » [24][24]Traduction donnée par la presse officielle de la citation par…

« Comment Satan peut-il chasser Satan ? »

14Il est maintenant enfin possible de répondre à la question posée plus haut. Pourquoi la Chine récuse-t-elle tout retour critique sur sa propre histoire ? Comment, malgré son histoire banalement chaotique, la Chine peut-elle se penser comme une civilisation plus pacifique que les autres ? C’est très certainement parce que, en vertu de la structure sacrificielle de la politique en Chine, la violence qui s’y exerce doit être expulsée en même temps que ceux qui l’incarnent, le féodalisme ou l’impérialisme, c’est-à-dire les traitres et les étrangers qui veulent diviser et humilier la Chine. D’une certaine façon, en se situant résolument dans la continuité des « 5000 ans d’histoire » de la Chine, le Parti et ses dirigeants revendiquent eux-mêmes l’archaïsme sacrificiel qui continue de structurer la politique dans ce pays. Cependant, aujourd’hui, en Chine comme ailleurs (même si sans doute plus lentement qu’ailleurs), la structure sacrificielle de la politique est subvertie par la confrontation avec les autres récits nationaux qui pour leur part ne se sentent nullement contraints d’occulter la violence chinoise, et par la difficile recherche de la vérité historique et anthropologique qui est le propre du travail intellectuel. Le pouvoir chinois tente de se protéger et de protéger la stabilité du pays par l’érection de murs numériques et symboliques. Il sait que les vieux secrets de la violence politique sont éventés, et que la révélation de la nature violente des structures sacrificielles du pouvoir peut lui être fatale. « Comment Satan peut-il chasser Satan ? » (Matt, 12,26).

Notes

  • [1]
    http://news.xinhuanet.com/politics/2017-11/01/c_1121886406.htm. 习近平总书记连连感叹:“多屈辱啊!多耻辱啊!那时的中国是待宰的肥羊。”
  • [2]
    Voir Alison A. Kaufman The “Century of Humiliation” and China’s National Narratives, 10 mars 2011 https://www.uscc.gov/sites/default/files/3.10.11Kaufman.pdf.
  • [3]
    Dans toute son œuvre et notamment dans La Violence et le sacré, Grasset 1972, et Des Choses cachées depuis la fondation du monde, Grasset 1978, René Girard explore la source sacrificielle de toutes les cultures humaines. La pertinence de ses analyses dans le cadre de la civilisation chinoise a été, à ma connaissance peu explorée.
  • [4]
    « Avoir un bouc émissaire, écrit Girard, c’est ne pas savoir qu’on l’a » (Achevez Clausewitz, Carnet Nord, 2017, p. 17).
  • [5]
    Le projet de faire renaître ou de revitaliser (复兴 fùxīng) la nation (ou l’ethnie, ou la « race », 民族, mínzú) chinoise est en effet le projet phare du PCC dans la perspective de la célébration des cent ans du PCC, en 2021.
  • [6]
    Cet ouvrage, dont l’auteur, Jiang Rong, fut un de ces « jeunes instruits » envoyé à la campagne, en l’occurrence en Mongolie Intérieure, pendant la Révolution culturelle, a été vendu à des dizaines de millions d’exemplaires en Chine et traduit en français comme dans de nombreuses autres langues (Le Totem du loup, Livre de Poche, 2009). En 2015, il a fait l’objet d’une adaptation cinématographique franco-chinoise, réalisée par Jean-Jacques Annaud, dans laquelle la dimension historique et géopolitique du livre est complètement occultée.
  • [7]
    Cette augmentation se produit alors même que la Chine n‘est actuellement engagée dans aucun conflit à l’étranger et que sa croissance ralentit.
  • [8]
    français sous l’attrayant titre suivant : « Remporter la victoire décisive de l’édification intégrale de la société de moyenne aisance et faire triompher le socialisme à la chinoise de la nouvelle ère ». http://french.xinhuanet.com/chine/2017-11/03/c_136726219.htm?from=timeline.
  • [9]
    Howard W. French, Everything Under the Heavens: How the Past Helps Shape China’s Push for Global Power, Knopf, 2017.
  • [10]
    Voir par exemple “Une mémoire ambiguë en Chine : le «Massacre de Tianjin» en 1870 », Asialyst, 26 octobre 2017 https://asialyst.com/fr/2017/10/26/chine-memoire-ambigue-massacre-tianjin-1870/. “China’s history problem: how it’s censoring the past and denying academics access to archives”, South China Morning Post, 2 mai 2017 : http://www.scmp.com/culture/books/article/2091436/why-you-cant-believe-word-xi-jinping-says-about-history-according. Historian’s Latest Book on Mao Turns Acclaim in China to Censure, The New York Time, 21 janvier 2017. https://www.nytimes.com/2017/01/21/world/asia/china-historian-yang-jisheng-book-mao.html.
  • [11]
    « Le rite, la norme, le tao : philosophie du sacrifice et transcendance du pouvoir en Chine ancienne » dans Religion et société en Chine ancienne et médiévale, sous la direction de John Lagerwey, Institut Ricci, Cerf, 2009, p. 166.
  • [12]
    Selon le dictionnaire Ricci 宰爵zǎi jué dans l’administration impériale est l’officier de bouche : responsable des sacrifices, de la répartition de la viande durant les dynasties 周 Zhou et 秦 Qin.宰夫zǎi fū, signifie à la fois sacrificateur, personne chargé de découper et répartir la viande et Administrateur-adjoint au 天官 tiān guān ou ministère du Ciel, chargé des questions politiques (selon le 周禮 Zhou Li). 宰割zǎi gē signifie dépecer, démembrer et 宰官zǎi guān fonctionnaire, mandarin. 宰肉 zǎi ròu signifie à la fois découper la viande en allusion à 陳平 Chen Ping (? -178 A.C.), premier ministre du fondateur de la dynastie 西漢 Han de l’Ouest et le talent de gouverner un pays (voir à propos de Chen Ping, Jean Lévi, Op. Cit. p. 169). 宰相zǎi xiàng signifie ministre, etc.
  • [13]
    Jean Lévi, Op. Cit. p. 186 et suivantes.
  • [14]
    Il s’agit de la dynastie semi-historique qui précède celle des Zhou, qui ritualisera le sacrifice au Ciel.
  • [15]
    Cette attitude du souverain Tang servit de modèle aux empereurs des dynasties postérieures. Ainsi, « [le règne de l’empereur Yuan] fut une succession de désastres : famines, cannibalisme, tremblements de terre, incendies, sécheresses, inondations, épidémies, éboulements, tempêtes, éclipses, invasions de papillons blancs en si grand nombre qu’ils cachent le soleil surviennent année après année, suscitant, selon une mécanique bien rodée, les stations de la contrition impériale : l’empereur constate le mal, s’en accuse, se prive, amnistie, exempte et récompense ».) Michèle Pirazzoli-t’Serstevens et Marianne Bujard, Les Dynasties Qin et Han, Histoire générale de la Chine (221 av. J.-C. – 220 apr. J.-C.), Les Belles Lettres, 2017 p. 88.
  • [16]
    Voir Anthologie des mythes et légendes de la Chine ancienne, textes choisis, traduits et indexés par Rémi Mathieu, Gallimard, 1989, pp. 139-141.
  • [17]
    Id. p. 140.
  • [18]
    C’est ainsi qu’on peut comprendre les multiples tabous qui pesaient sur la représentation de l’empereur et sur les contacts que le peuple et l’administration impériale pouvaient ou ne pouvaient pas entretenir avec lui, ainsi que l’institution du « prieur secret » (祕祝, mìzhù) « dont la fonction consistait à détourner sur des inférieurs les calamités visant le souverain ». Cette institution disparut cependant sous l’empereur Wen, réputé pour sa clémence dès le IIe siècle avant Jésus-Christ. Michèle Pirazzoli-t’Serstevens et Marianne Bujard, Les Dynasties Qin et Han, Histoire générale de la Chine (221 av. J.-C. – 220 apr. J.-C.), Les Belles Lettres, pp. 52-53.
  • [19]
    Barend J. ter Haar, “China’s Inner Demons: The Political Impact of the Demonological Paradigm” dans Woei Lien Chong (ed.), China’s Great Proletarian Revolution: Master Narratives and Post-Mao Counternarratives, Rowman & Littlefield, 2002, pp. 27-68.
  • [20]
    “Beijing’s Televised Confessions”, chinafile.com, 20 janvier 2016.
  • [21]
    La continuité structurelle du sacrifice et du châtiment se lit jusque dans l’étymologie du terme 宰, zǎi utilisé par Xi Jinping pour décrire l’abattage de la Chine bouc-émissaire par les impérialistes/féodaux. Selon le dictionnaire Ricci 宰 est en effet composé de la clé du toit et de sa partie inférieure qui signifie châtiment appliqué en rétribution d’un crime.
  • [22]
    Sur le légisme voir Han-Fei-Tse ou le Tao du Prince, Présenté et traduit du chinois par Jean Lévi, Seuil, 1999 et Shang Yang, Le livre du Prince Shang, présentation et traduction Jean Lévi, Flammarion 2005.
  • [23]
    Voir dans ce numéro l’entretien avec Marie Holzman, pp. 38-45.
  • [24]
    Traduction donnée par la presse officielle de la citation par Xi Jinping d’une phrase bien connue du classique des rites : 大道之行,天下为公dàdào zhī xíng, tiānxià wèi gōng. Rappelons puisqu’à ce point cela paraît nécessaire, que le PC reste officiellement areligieux et même athée. Sur la religion politique chinoise, je me permets de renvoyer à « XIXe congrès, le triomphe de la religion politique chinoise », Institut Thomas More, octobre 2017. http://institut-thomas-more.org/2017/10/18/dix-neuvieme-congres-du-pcc-le-triomphe-de-la-religion-politique-chinoise/.

« Can’t Let This Demon Hide »: Xi Jinping On Coronavirus As Nations Prepare Airlifts

Xi made his remarks during talks with the head of the World Health Organization in Beijing amid growing global concerns about a novel coronavirus that has infected thousands in China and reached more than a dozen other countries.

World Agence France-Presse
January 29, 2020

« The epidemic is a demon, and we cannot let this demon hide, » Xi Jinping said.

Wuhan, China: China is battling a « demon » virus that has so far killed more than 100 people, President Xi Jinping said Tuesday, as foreign nations prepared to evacuate their citizens and the US said it was developing a vaccine.

Xi made his remarks during talks with the head of the World Health Organization in Beijing amid growing global concerns about a novel coronavirus that has infected thousands in China and reached more than a dozen other countries.

In a development that could cause more jitters abroad, Japan and Germany reported the first confirmed cases of human-to-human transmission outside of China.

World markets outside Asia nevertheless rebounded following a global sell-off fuelled by the spread of the virus.

The infection is believed to have originated in a wild-animal market in the central Chinese city of Wuhan, where it jumped to humans before spreading rapidly across the country, prompting authorities to enact drastic nationwide travel restrictions in recent days.

Countries are also concerned about the fate of thousands of foreigners stuck in Wuhan, a city of 11 million that has been sealed off by Chinese authorities in a bid to contain the disease.

A plane sent by Tokyo landed in the virus-stricken metropolis late Tuesday and was scheduled to repatriate Japanese nationals on Wednesday, the same day that a US aircraft is expected to bring American citizens back to their homeland.

The European Union will fly its citizens out aboard two French planes this week, and South Korea was due to do the same. Several other countries were assessing their options.

« Chinese people are currently engaged in a serious struggle against an epidemic of a new type of coronavirus infection, » Xi told WHO chief Tedros Adhanom Ghebreyesus in Beijing.

« The epidemic is a demon, and we cannot let this demon hide, » the Chinese leader said, pledging that the government would be transparent and release information in a « timely » manner.

His comments came as anger simmered on Chinese social media over the handling of the health emergency by local officials in central Hubei province.

Some experts have praised Beijing for being more reactive and open about this crisis than it was during the SARS (Severe Acute Respiratory Syndrome) epidemic of 2002-2003.

But others say local cadres were more focused on projecting stability earlier in January than in adequately responding to the outbreak during regional political meetings.

Since then, the number of cases has soared — doubling to more than 4,500 in the past 24 hours.

In Washington, US health authorities said a vaccine was in the works but would take months to develop.

Health and Human Services Secretary Alex Azar called on Beijing to show « more cooperation and transparency, » saying the US had offered its help three times — so far without success.

– Contagion abroad –

The WHO last week stopped short of declaring the outbreak a global emergency, which could have prompted a more aggressive international response, such as travel restrictions.

Following the high-level talks with Xi in Beijing, the WHO said the two sides had agreed to send international experts to China « as soon as possible… to guide global response efforts. »

« Stopping the spread of this virus both in China and globally is WHO’s highest priority, » Tedros said.

Until Tuesday, all reported cases in more than a dozen countries had involved people who had been in or around Wuhan.

But in Japan, a man in his 60s apparently contracted the virus after driving two groups of tourists visiting from the city earlier in January, the health ministry said.

And a 33-year-old German man contracted the disease from a Chinese colleague from Shanghai who visited Germany last week, according to health officials.

Vietnam has been investigating a possible case of human-to-human transmission.

The development came after countries including Sri Lanka, Malaysia and the Philippines announced tighter visa restrictions for people coming from China.

China has taken its own drastic steps to stop the virus, which health officials say is passed between people through sneezing or coughing, and possibly through physical contact.

Zhong Nanshan, a renowned scientist at China’s National Health Commission, told the official Xinhua news agency on Tuesday that the outbreak could peak in a week or 10 days.

Authorities sealed off Wuhan and other cities in Hubei province late last week, trapping more than 50 million people.

China has since extended the Lunar New Year holiday to keep people indoors as much as possible, and suspended a wide range of train services.

On Tuesday, authorities urged Chinese citizens to delay any foreign travel « to protect the health and safety of Chinese and foreign people. »

Ghost town

Wuhan, meanwhile, has been turned into a near ghost town under a lockdown that has largely confined the industrial hub’s residents to their homes.

With a ban on car traffic, the streets were nearly deserted apart from the occasional ambulance — although the city’s hospitals are overwhelmed.

1Comments« Everyone goes out wearing masks and they are worried about the infection, » said David, a Chinese man who works in Shanghai but found himself trapped in Wuhan after it was put under quarantine. He declined to give his family name.

Want to escape poverty? Replace pictures of Jesus with Xi Jinping, Christian villagers urged

Believers urged to replace religious artefacts in their homes with posters of Communist Party leader if they want to benefit from poverty-relief efforts

Vows of Change in China Belie Private Warning
Chris Buckley
NYT

Feb. 14, 2013

HONG KONG — When China’s new leader, Xi Jinping, visited the country’s south to promote himself before the public as an audacious reformer following in the footsteps of Deng Xiaoping, he had another message to deliver to Communist Party officials behind closed doors.

Despite decades of heady economic growth, Mr. Xi told party insiders during a visit to Guangdong Province in December, China must still heed the “deeply profound” lessons of the former Soviet Union, where political rot, ideological heresy and military disloyalty brought down the governing party. In a province famed for its frenetic capitalism, he demanded a return to traditional Leninist discipline.

“Why did the Soviet Union disintegrate? Why did the Soviet Communist Party collapse? An important reason was that their ideals and convictions wavered,” Mr. Xi said, according to a summary of his comments that has circulated among officials but has not been published by the state-run news media.

“Finally, all it took was one quiet word from Gorbachev to declare the dissolution of the Soviet Communist Party, and a great party was gone,” the summary quoted Mr. Xi as saying. “In the end nobody was a real man, nobody came out to resist.”

In Mr. Xi’s first three months as China’s top leader, he has gyrated between defending the party’s absolute hold on power and vowing a fundamental assault on entrenched interests of the party elite that fuel corruption. How to balance those goals presents a quandary to Mr. Xi, whose agenda could easily be undermined by rival leaders determined to protect their own bailiwicks and on guard against anything that weakens the party’s authority, insiders and analysts say.

“Everyone is talking about reform, but in fact everyone has a fear of reform,” said Ma Yong, a historian at the Chinese Academy of Social Sciences. For party leaders, he added: “The question is: Can society be kept under control while you go forward? That’s the test.”

Gao Yu, a former journalist and independent commentator, was the first to reveal Mr. Xi’s comments, doing so on a blog hosted by Deutsche Welle, a German broadcaster. Three insiders, who were shown copies by officials or editors at state newspapers, confirmed their authenticity, speaking on the condition of anonymity because of the risk of punishment for discussing party affairs.

More on China
Covid Outbreak: Since China abandoned its strict “zero Covid” policy, the intensity and magnitude of the country’s outbreak has remained largely a mystery. But a picture is emerging of the virus spreading like wildfire.
Economic Recovery: Years of Covid lockdowns took a brutal toll on Chinese businesses. Now, the rapid spread of the virus after a chaotic reopening has deprived them of workers and customers.
Youth Unemployment: With youth unemployment high in China, millions will soon take the Civil Service exam. But for those who get entry-level government jobs, the reality can be monotonous work that blurs the line with personal lives.
Space Program: Human spaceflight achievements show that China is running a steady space marathon rather than competing in a head-to-head space race with the United States.
The tension between embracing change and defending top-down party power has been an abiding theme in China since Deng set the country on its economic transformation in the late 1970s. But Mr. Xi has come to power at a time when such strains are especially acute, and the pressure of public expectations for greater official accountability is growing, amplified by millions of participants in online forums.

Mr. Xi has promised determined efforts to deal with China’s persistent problems, including official corruption and the chasm between rich and poor. He has also sought a sunnier image, doing away with some of the intimidating security that swaddled his predecessor, Hu Jintao, and demanding that official banquets be replaced by plainer fare called “four dishes and a soup.”

Yet Mr. Xi’s remarks on the lessons of the Soviet Union, as well as warnings in the state news media, betray a fear that China’s strains could overwhelm the party, especially if vows of change founder because of political sclerosis and opposition from privileged interest groups like state-owned conglomerates. Already this year, public outcries over censorship at a popular newspaper and choking pollution in Beijing have given the new party leadership a taste of those pressures.

Some progressive voices are urging China’s leaders to pay more than lip service to respecting rights and limits on party power promised by the Constitution. Meanwhile, some old-school leftists hail Mr. Xi as a muscular nationalist who will go further than his predecessors in asserting China’s territorial claims.

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Xi Jinping came to power at a time when the pressure of public expectations for greater official accountability is growing.Credit…Feng Li/Getty Images

The choices facing China’s new leadership include how much to relax the state’s continuing grip on the commanding heights of the economy and how far to take promises to fight corruption — a step that could alienate powerful officials and their families.

“How can the ruling party ensure its standing during a period of flux?” asked Ding Dong, a current affairs commentator in Beijing. “That’s truly a real challenge, and it’s creating a sense of tension and latent crisis inside the party.”

What we consider before using anonymous sources. Do the sources know the information? What’s their motivation for telling us? Have they proved reliable in the past? Can we corroborate the information? Even with these questions satisfied, The Times uses anonymous sources as a last resort. The reporter and at least one editor know the identity of the source.

Learn more about our process.
Mr. Xi and his inner circle have about 18 months to consolidate power and begin any big initiatives before preparations for the next Communist Party Congress and leadership reshuffle in 2017 start to consume elite attention, said Christopher Johnson, an analyst on China at the Center for Strategic and International Studies in Washington.

“For now, he’s a guy who’s trying to be two things at once,” said Mr. Johnson, formerly a senior China analyst for the C.I.A. “The question is: How long will they be able to get by with gestures like four dishes and a soup before they have to make the hard choices?”

So far, Mr. Xi has been busy distinguishing himself from his predecessor through an energetic succession of visits and speeches. Mr. Hu, who formally remains state president until next month, when Mr. Xi will take over that post, also came to power accompanied by widespread expectations of change. But he proved to be a rigidly unadventurous leader.

In recent weeks, Mr. Xi has promised to clean up Beijing’s noxious smog and make it easier to hail a cab on the city’s congested streets. Before that, Mr. Xi also vowed that the party would allow “sharp criticism” of its failings, and said “power must be held in an institutional cage.”

Censors have allowed photographs showing Mr. Xi as a relaxed man of the people to spread on the Internet, including one of a jolly encounter with a man in a Santa Claus costume during a trip overseas.

Mr. Xi “doesn’t want to be known as Hu Jintao is known, as someone who didn’t make much progress,” said Ezra Vogel, an emeritus professor of social sciences at Harvard University who recently visited China, a country he has studied for decades.

Yet Mr. Xi has qualified his promises in ways that have already disappointed some proponents of faster market-driven change and political liberalization. In one speech, Mr. Xi said that change must be piecemeal, citing Deng’s dictum that progress is made “crossing the river by groping stones.” In another, he said Mao Zedong’s era of revolutionary socialism should not be dismissed as a failure.

He has also repeatedly demanded that the military show unflinching loyalty — a principle that, in his view, the Soviet Communist Party under Mikhail S. Gorbachev fatally failed to uphold.

Mr. Xi, 59, is the son of a revolutionary who worked alongside Mao until he was purged and jailed. A senior commentator for a major Chinese newspaper said that political patrimony had made Mr. Xi even more sensitive to showing that “while talking about reform, he also wants to tell the party that he won’t become a Gorbachev.”

Unlike the former Soviet leader, Mr. Xi presides over an economy that, for all its hazards, has grown robustly over three decades, propelling China to greater international influence. But Chinese officials have warned that rising stature is also generating external rivalries and domestic demands that would magnify the damage from political missteps and schisms.

“We’re a major power, and we absolutely cannot allow any subversive errors when it comes to the fundamental issues,” Mr. Xi told party officials in Guangdong. “If that happens, there’s no going back.”


Les nouveaux dazibao

Représenter la lutte contre l’épidémie en Chine

Catherine Capdeville-Zeng

Esprit

décembre 2020

Les autorités chinoises ont veillé à ce que les images et informations qui circulent glorifient la victoire du peuple chinois sur l’épidémie, mais elles ont également renoué avec la violence de la Révolution culturelle.

Le dimanche 26 janvier 2020, deux amis chinois de passage à Paris déjeunent à la maison. Contrairement à ce qui était prévu, l’homme arrive seul, sans sa femme et sa fille. Cette dernière est grippée, il n’est pas question de nous contaminer. En effet, depuis quelques jours, la rumeur qui bruissait sur l’existence d’une nouvelle grave maladie contagieuse en Chine a été confirmée officiellement. La conversation a donc roulé principalement sur cette maladie mystérieuse. Nos amis devaient-ils rentrer en Chine ? Malgré leur inquiétude, tous deux ont finalement choisi d’y retourner, principalement pour des raisons familiales. Avant de partir, ils ont essayé d’acheter des masques, mais les pharmacies parisiennes avaient déjà toutes été dévalisées par des Chinois. De retour dans leurs villes respectives loin de Wuhan, leurs premiers messages racontent qu’il est interdit d’aller nulle part sans masque. Mais il y a un problème : les masques sont introuvables en Chine aussi.

La suite, on l’a tous vécue, bien que de manière différente selon les sociétés. Si le contexte épidémique extraordinaire a favorisé partout des discussions et des circulations de messages et publications divers sur Internet, en Chine, on a vu surgir des illustrations poursuivant la tradition des dazibao, ces affiches en grands caractères placardées en masse lors des mouvements politiques qui ont rythmé la vie chinoise pendant toute l’époque maoïste, et qui avaient totalement disparu depuis les réformes, au début des années 1980. Certaines images m’ont semblé significatives et ainsi dignes d’être analysées pour réfléchir à la validité d’une parole désabusée énoncée par de nombreux Chinois, à savoir que leur pays est en train de retourner à l’extrémisme de la Révolution culturelle (1966-1976).

Glorifier le combat

L’État chinois contrôle de plus en plus profondément les nouvelles diffusées dans les médias officiels, et ce qui n’est pas validé en haut lieu est souvent qualifié de rumeur, comme cela a été le cas pour les premiers messages non officiels à propos de ce nouveau virus. Dès le 30 décembre 2019, le docteur Li Wenliang, ophtalmologue à l’hôpital central de Wuhan, diffuse l’information d’une nouvelle maladie, grave et transmissible d’homme à homme, auprès de quelques collègues. Questionné par la police le 3 janvier 2020, il est accusé d’avoir propagé de fausses rumeurs. Dans la culture communiste chinoise, il doit se rétracter en signant une « lettre d’admonestation », nouvelle formule des autocritiques en vigueur dans les années 1940 avec un paroxysme pendant la Révolution culturelle, par laquelle il s’engage à ne pas recommencer sous peine de poursuites. Avec le recul et vue de nos rives occidentales, cette menace à l’encontre de la diffusion de l’existence d’une maladie qui va rapidement devenir une pandémie paraît incroyable. Pourtant, cela est courant en Chine et n’étonne personne là-bas.

Mi-janvier, Li Wenliang, contaminé lors de l’exercice de son métier, tombe lui-même malade, et décède le 6 février 2020, à 34 ans. En signe de respect, sa photo circule largement en ligne, parfois avec la mention : tiandi buren (天地不仁), une parole extraite du Livre de la voie et de la vertu de Laozi, qui peut se traduire de cette manière dans le contexte de pandémie : « Ciel et terre n’ont pas été bienveillants. » Très rapidement, cette photo est suivie en ligne d’un dessin, cependant vite supprimé par les nettoyeurs de l’Internet chinois.

Le dernier message public de Li Wenliang, publié peu avant sa mort, aurait comporté la parole suivante : « Pour être en bonne santé, une société ne devrait pas comporter une seule voix. » Sur le dessin tiré de la photo, le masque devenu bâillon en fil de fer barbelé symbolise l’interdiction d’énoncer toute parole libre.

C’est d’abord la glorification du peuple chinois réussissant sa lutte contre le virus qui doit dorénavant circuler.

En effet, c’est d’abord la glorification du peuple chinois réussissant sa lutte contre le virus qui doit dorénavant circuler, comme cela transparaît dans une bande dessinée de propagande nommée « Grande illustration de la lutte contre le coronavirus », publiée sur le site du Quotidien du peuple le 2 avril. Elle est ensuite amplement relayée en ligne avec la mention : « Le Quotidien du peuple vient de diffuser une photo qui étonne les citoyens ! » Par sa taille, cette image est prévue pour être consultée facilement sur un téléphone portable. Elle illustre l’arrivée du virus à Wuhan, symbolisée par sa pagode de la Grue jaune, peu avant le départ des migrants pour fêter le Nouvel An en famille. Elle glorifie ensuite le combat mené par tous, qui aboutit à la victoire en un temps record. Voici quelques extraits de cette immense fresque.

Le plan du ciel

Esthétiquement et techniquement parlant, les dessins, probablement réalisés sur ordinateur, sont incontestablement réussis. Concentrons-nous à présent sur ce qu’ils montrent et disent, et sur ce qu’ils ne montrent ni ne disent.

L’arrivée du virus est imputée au « ciel », à travers des éclairs et des coups de tonnerre soudains, malmenant la sérénité des voyageurs se préparant à rentrer en famille fêter le Nouvel An. Le ciel, dans la tradition chinoise, est la puissance cosmique fondamentale. Ciel et destin sont souvent synonymes, et une traduction courante de la maxime ci-dessus (« le ciel avait un autre plan ») est « le destin est imprévisible ». L’apparition du « ciel/destin » en tant que moteur cosmique surplombant les hommes est assez originale dans un journal communiste. S’ensuit cette parole si anodine du virus : « Je suis arrivé tout doucement » – soudaine, impromptue, insidieuse, hors de tout contrôle, cette venue enlève toute responsabilité aux humains. Car c’est bien cela qu’il faut retenir : rien n’a pu être fait pour contenir cette épidémie que personne n’a vue venir, parce qu’elle a été orchestrée par le ciel.

Dès lors, il appartient aux humains de se liguer pour combattre la maladie, heureusement avec l’aide du dieu du feu et du dieu du tonnerre, qui nomment les hôpitaux bâtis en un temps record1.

Le combat est héroïque, et les dessins reflètent fidèlement les informations divulguées par les médias officiels, pendant les deux mois de confinement de Wuhan. Les travailleurs sont magnifiés, le sacrifice de chacun est souligné, depuis l’enfant qui pleure car sa mère part faire son devoir jusqu’au mari policier qui déclare à sa femme infirmière : « À ton retour, je te promets de faire le ménage pendant un an ! » À trois reprises, les chiffres officiels sont présentés : tant de cas déclarés, tant de morts, tant de guéris. Les hommes représentent les vecteurs d’autorité et les guerriers : le scientifique officiel Zhong Nanshan, puis tous les ouvriers, policiers, soldats ; les femmes, elles, se sacrifient et aident les autres comme médecins et infirmières. Mais encore, chacun prend sa part : les médecins sont épuisés, les livreurs apportent des choses de première nécessité, les professeurs enseignent en visioconférence, les gens sont confinés… Enfin, arrive le grand jour où les hôpitaux peuvent être démantelés. La vie reprend son cours : les livraisons de toutes sortes reprennent en masse, on peut se passer de faire le dîner le soir car le restaurant d’en dessous a rouvert, les jeunes se remettent à conter fleurette. Et la petite fille solitaire du dernier dessin fait des bulles avec un jouet dont la forme est indiscernable, peut-être une grenouille, un écureuil – ou une chauve-souris ? Sous la protection bienveillante de la pagode de la Grue jaune, dans un parterre de cerisiers du Japon en fleur signalant le printemps, est acté le retour au « rêve chinois » évoqué dans les dernières images : consommation, insouciance, légèreté.

L’expérience paraît finalement assez anodine : la souffrance n’y est jamais frontale, bien qu’elle soit parfois indirectement évoquée, non par pudeur, mais parce que tout élément « négatif » n’a droit de cité dans ce type de communication que pour y être combattu, comme le montrent les mains nues qui reçoivent un masque. La mort est présente à travers le nombre de décès et dans une courte séquence où une jeune fille verse une larme en envoyant des fleurs blanches vers le ciel étoilé, sous la mention : « Certains sont tombés et ne se sont pas réveillés. » L’absence de toute référence idéologique directe est à remarquer : ni le Parti, ni aucun dirigeant n’y sont montrés. Cependant, la société hypercontrôlée est parfaitement dévoilée : policiers, soldats, gardiens en tout genre sont bien présents. « Camarade, ne bouge pas ! » dit un policier en prenant la température sur le front d’une personne. Pour rentrer dans son village barricadé, un migrant doit implorer qu’on lui ouvre la barrière.

La teneur globale du message semble être la suivante : le ciel a envoyé un défi aux hommes qui, malgré quelques pertes, l’ont relevé victorieusement. L’avenir est dans le rêve chinois, représenté par les bulles d’une petite fille solitaire, volant sous des arbres en fleur vers le ciel.

Bien sûr, on peut faire d’autres interprétations : d’abord, la fresque représente évidemment une réécriture de la bataille contre le virus du point de vue des dominants ; paradoxalement, ces derniers sont absents, et c’est bien le peuple lui-même qui est glorifié pour ses sacrifices. Ensuite, on peut être frappé par les accents religieux, voire mystiques, se manifestant dans l’évocation du ciel, dans celle des dieux du feu et du tonnerre nommant les hôpitaux parce qu’ils sont traditionnellement des dieux exorcistes pourfendeurs des maladies, dans les nombreuses colombes blanches voletant – symboles universels de paix et de pureté –, et enfin dans la pagode bouddhiste, présente au début et à la fin. Comment se fait-il que la propagande chinoise doive recourir à des clichés religieux et cacher le communisme et le Parti, les commanditaires de cette fresque ? Comment peut-on interpréter la petite fille solitaire du dernier dessin ? Ne pourrait-on pas y voir signifié le souhait chinois profond d’atteindre à l’individuation loin des foules pour vivre dans un monde idéal, en accord avec une nature bienveillante, sous une protection divine ?

Retour à la Révolution culturelle

Cependant, la douceur extérieure relative de cette fresque disparaît avec fracas dans des caricatures d’une violence extrême livrées sans retenue en ligne fin avril, critiquant la romancière Fang Fang et le docteur Zhang Wenhong2.

Le journal du confinement de Wuhan de Fang Fang, publié chaque soir en ligne, a été le seul récit relatant librement les sentiments d’une écrivaine confinée. Il a été lu et transmis massivement. Parfois supprimé, il a incité à de nombreux débats de soutien, puis de rejet, quand, les éditions chinoises ayant rejeté toute publication en Chine, Fang Fang a conclu un contrat avec des éditions non chinoises. Dès lors, considérée comme traître, elle est traitée dans des termes abjects datant de l’époque de la Révolution culturelle. Sur le dessin, travestie comme un chien, objet de haine et de mépris, elle est accusée par trois jeunes gens la pointant avec un doigt, un pinceau et une plume, la jeune fille tenant une lampe rouge, le tout sur un fond de drapeaux rouges. C’est bien l’écriture libre qui est dénoncée unilatéralement par les tenants d’un communisme rouge revenant sur le devant de la scène par les « nationalistes maoïstes » via les réseaux sociaux. Une caricature datant du mouvement de critique contre Lin Biao et Confucius lors de la fin de la Révolution culturelle en 19743 semble avoir inspiré l’auteur de celle contre Fang Fang.

Les deux caricatures sont composées sur un format et des postures très semblables : trois jeunes gens, jeune fille au milieu, tiennent trois objets accusateurs représentant des armes contre ce qui est dénoncé. L’ancien dessin montre pinceau, pelle et balai ciblant un tas de vieux papiers sur les mots : « Gagnons la guerre du peuple contre Lin [Biao] et Kong [fuzi, Confucius] » ; le nouveau dessin présente pinceau, plume, doigt accusateur et une lampe-tempête tenue à bout de bras, ciblant une Fang Fang représentée en chien méprisable sur les mots : « À bas ce chien courant de l’impérialisme, traître à la patrie, Fang Fang. » Les deux images utilisent le contraste entre le rouge révolutionnaire et les couleurs sombres relevées par du blanc. En revanche, si l’ardeur révolutionnaire est bien lisible dans les yeux et les attitudes des jeunes de la Révolution culturelle, elle semble absente de ceux des jeunes modernes, dont l’un porte même des lunettes, objet autrefois honni car révélateur du statut d’intellectuel. Diffèrent aussi les vêtements ouvriers des jeunes révolutionnaires remplacés par des tenues modernes, bien bourgeoises, comme le signalent la minijupe et la cravate. L’époque a changé et, effectivement, Confucius est revenu à l’honneur ces dernières années. Pourtant, les jeunes mènent toujours le combat sous la direction des drapeaux rouges.

Une deuxième caricature dénonce également l’esprit libre d’une autorité scientifique, le docteur Zhang Wenhong, représenté un peu comme un moustique à écraser, tenu par une main rouge – communiste donc.

La Chine actuelle reste une société du secret. Malheur à ceux qui transgressent les consignes !

La raison de cette attaque ? Zhang Wenhong, directeur du service de maladies infectieuses d’un hôpital de Shanghai, est extrêmement populaire, bien plus que l’officiel Zhong Nanshan, représenté dans la fresque du Quotidien du peuple, pour ses prises de paroles réalistes et parfois humoristiques. II est violemment attaqué sur les réseaux sociaux, parce qu’il a proposé aux parents chinois de donner à leurs enfants du lait et des œufs pour le petit-déjeuner, à la place de la traditionnelle bouillie de riz, pour renforcer leur immunité. Ces propos ont été considérés comme une traîtrise vis-à-vis de la culture chinoise.

Quels que soient les arguments et leur validité, ces attaques visent des personnes populaires, parce qu’elles ont révélé au grand jour ce qui n’aurait pas dû l’être. La Chine actuelle reste une société du secret, où la parole publique officielle travestit ou utilise le mensonge pour cacher ce qui ne doit pas être dit. Malheur à ceux qui transgressent les consignes !

Les deux caricatures ont pourtant été dénoncées en ligne par Zhao Shilin, professeur à la retraite, ancien membre du Comité central du Parti communiste chinois. Selon Zhao Shilin, ces caricatures signent un réel retour à l’extrémisme et à la sauvagerie : « C’est exactement le même processus de critique que pendant la Révolution culturelle : subversion des notions de bien et de mal, renversement des valeurs morales, incapacité à tenir un discours logique et raisonné, étiquettes infamantes et propos insultants, autant d’innombrables tactiques bien organisées, soigneusement déployées, avec effet d’écho ; les auteurs en semblent complètement fous, comme dopés à l’adrénaline4. »

La bonne santé

Ce qui se passe actuellement en Chine revient certainement en arrière sur tous les combats pour la liberté et la démocratie entamés depuis le début du xxe siècle, portés par de nombreux acteurs, y compris le Parti communiste chinois à son origine. Depuis l’ère des réformes, dans une Chine apaisée, nombreux encore sont ceux qui ont continué sur cette lancée, malgré Tian’anmen en 1989. Bien qu’aujourd’hui, la société numérique développe encore plus la surveillance de masse et favorise la circulation d’images terribles, elle n’a pourtant pas encore réussi à entraver ces espérances. C’est précisément ce qu’a demandé Li Wenliang, représentant en cela les masses chinoises : que la Chine devienne une « société en bonne santé », c’est-à-dire où il n’y aurait pas qu’une seule voix.

Cette demande est tellement profonde que, malgré le tournant de plus en plus autoritaire, le journal de Fang Fang a pu continuer à paraître, certes avec des difficultés, et que la photo de Li Wenliang a pu circuler, de même que sa caricature bâillonnée, malgré les fossoyeurs d’Internet. Même dans la fresque officielle du Quotidien du peuple surgissent – peut-être à l’insu de ses réalisateurs et commanditaires – des éléments troublants : pourquoi le Parti est-il absent ? Pourquoi faire appel au religieux ? Et le souhait de la petite fille – représentante elle aussi des larges masses ? – n’est-il pas finalement celui de faire advenir un individu libre dans un monde vivable ?

Si le mouvement politique actuel est un réel recul, il reste que l’idée de liberté est cependant toujours là, comme un horizon à atteindre ; chaque fois qu’elle est bafouée, des voix ou des stylos se lèvent pour le dénoncer, selon les moyens de chacun. Li Wenliang, Fang Fang, Zhang Wenhong, Zhao Shilin, la petite fille, tous ceux qui font circuler les publications, et tous les autres qui ne peuvent rien dire, n’arrêtent pas de le penser, de le dire et le montrer.

  • 1.Tian Zhaoyuan, historien et folkoriste, indique dans The Paper (27 janvier 2020) que ces termes ne sont pas des noms de lieu et ont été choisis sciemment pour leur portée symbolique : le dieu du feu est un grand ancêtre de la région de Chu où est situé Wuhan, les dieux du feu et du tonnerre sont des divinités exorcistes, maîtrisant les épidémies dans toute la Chine ; en outre, le feu et le tonnerre, dans les théories des huit trigrammes et des cinq éléments, sont des forces ayant la capacité de combattre le mal. Ces dénominations ne représentent pas de la superstition, mais « une force spirituelle qui, grâce à l’activation de notre culture ancienne et de nos traditions, nous aide à faire face à la difficulté présente ». L’expert étant muet sur le terme de « mont », ajoutons que celui-ci est souvent utilisé pour nommer des temples taoïstes.
  • 2.Probablement mises en ligne courant avril par des extrémistes nommés en chinois des « gauchistes maoïstes », ces caricatures ont disparu depuis.
  • 3.« Critiquer Lin Biao, critiquer Confucius ». Le maréchal Lin Biao, ancien bras droit de Mao, est mort dans un accident d’avion dans des circonstances non élucidées lors de sa fuite de Chine vers l’URSS en 1971. Le mouvement politique déclenché en 1974 associe ce renégat et Confucius : tous deux sont rendus coupables des maux qui accablent la Chine lors des dernières années de la Révolution culturelle.
  • 4.Cet article, intitulé « Un mouvement politique ? Encore un mouvement politique ! » et publié le 27 avril sur http://www.ipk-media.com, est traduit et présenté en français par la sinologue Brigitte Duzan le 9 mai 2020 sur http://www.chinese-shortstories.com. Brigitte Duzan compare les deux caricatures avec d’autres, datant de la période maoïste et de la Révolution culturelle, pour en montrer l’inspiration, et traduit l’article de Zhao Shilin en explicitant ses références politiques et littéraires.
  • Voir par ailleurs:
  • Vu d’Ukraine.

    En réclamant une “trêve de Noël”, Poutine cherche à gagner du temps

    Le 5 janvier, le président russe a annoncé avoir demandé à son ministre de la Défense d’ordonner un cessez-le-feu sur toute la ligne de front du 6 janvier à midi au 7 janvier à minuit, pour le Noël orthodoxe. Une décision qui suscite la plus grande méfiance à Kiev.

     

    La déclaration de Vladimir Poutine, jeudi 5 janvier, appelant de ses vœux une “trêve de Noël” ne rencontre que suspicion et ironie en Ukraine. “Poutine a demandé à Sergueï Choïgou [le ministre de la Défense russe] d’ordonner un arrêt des combats du 6 janvier à midi au 7 janvier à minuit et a appelé la partie ukrainienne à le respecter”, rappelle l’agence de presse officielle Interfax-Oukraïna.

    Celle-ci relaie la réponse acerbe du chef du Conseil de la défense et de la sécurité nationale (RNBO) de l’Ukraine, Oleksiy Danilov. Sur Twitter, il a dénoncé un mélange de cynisme et d’hypocrisie des forces russes. “Quelle relation peut-il y avoir entre la fête chrétienne de Noël et cette tribu de diables et de démons ? Qui va croire ces misérables qui tuent des enfants, tirent sur les maternités, torturent les prisonniers ? Un cessez-le-feu ? Mensonge et hypocrisie.”

    Quant au ministre des Affaires étrangères ukrainien, Dmytro Kouleba, repris par le quotidien en ligne Oukraïnska Pravda, il estime que “le cessez-le-feu unilatéral [de la Russie] ne peut pas et ne devrait pas être pris au sérieux”. Il ajoute que “le président Zelensky a proposé une formule de paix claire, en dix points. La Russie l’a ignorée, et au lieu de cela a tiré sur Kherson la veille de Noël, lancé des frappes massives de missiles et de drones pour le Nouvel An.”

    “Moscou dit cesser la guerre pendant trente-six heures en Ukraine, mais le monde exige la fin de la guerre et non une pause, commente aussi la version ukrainienne de Voice of America. À la suite de la réaction de l’Ukraine, les dirigeants aux États-Unis et en Europe ont réagi avec fermeté aux déclarations de Moscou sur son intention de cesser temporairement le feu en Ukraine pour respecter Noël conformément au calendrier julien [décalé de treize jours par rapport au calendrier grégorien], pour la première fois depuis le début de l’invasion russe en février, laquelle a fait des milliers de victimes, causé des destructions gigantesques et transformé des millions de gens en réfugiés.”

    Un cessez-le-feu déjà violé ?

    Dès le 5 janvier, le président Volodymyr Zelensky a réagi en accusant “le Kremlin d’utiliser les trêves pendant les guerres pour poursuivre le combat avec de nouvelles forces”. Une vision des choses que l’on retrouve également chez certains analystes et dans les journaux. Ainsi, le groupe de réflexion américain Institute for the Study of War, relayé par Interfax-Oukraïna, considère que cette pause éventuelle pourrait avoir pour objectif de “reprendre l’initiative aux Ukrainiens”.

    “Poutine appelle à un cessez-le-feu pour présenter l’Ukraine comme intransigeante [et dénoncer Kiev] qui ne souhaiterait pas accomplir le nécessaire en faveur de pourparlers.”

    Du point de vue du quotidien ukrainien Gazeta, “le Kremlin parodie un ‘cessez-le-feu’ car il en a besoin. [Cela] montre seulement que les préparatifs d’une nouvelle vague de mobilisation ont ralenti en Russie alors que, de son côté, l’armée ukrainienne a mené à bien la préparation de sa prochaine contre-offensive déjà annoncée pour ce printemps.”

    Les tirs ont-ils vraiment cessé sur le terrain ? La version ukrainienne de Voice of America se permet d’en douter, rappelant que :

    “Depuis le matin du 6 janvier en Ukraine, on signale que, durant la première moitié de la journée, les Russes ont attaqué les positions ukrainiennes et tiré entre autres sur la ville de Kramatorsk, non loin du front, dans la région de Donetsk.”

    Un peu plus tard, l’alerte aérienne aurait retenti dans tout le pays.

    Voir de plus:

    Puning Temple: Why Xi Jinping Celebrated a Genocide

    The Chinese president visited the complex built by the Qianlong Emperor to commemorate his 18th-century extermination of 650,000 Dzungar Buddhists.

    Bitter winter

    Xi visiting the Puning Temple. From Weibo.

Xi visiting the Puning Temple. From Weibo.

President Xi Jinping managed to offend Buddhists more deeply through his visit in Hebei last week than he did when visiting Tibet in July, in a trip that was mostly devoted to geopolitical issues and the question of water.

That Xi Jinping’s visit to Chengde, in Hebei province, on August 24 did not create an international scandal only proves how easily history, including history of genocides, is forgotten. In fact, the Chinese president visited and honored a temple built to commemorate a genocide. The Puning Temple in Chengde is inextricably connected with the 18th-century extermination of the Dzungar Buddhists, which virtually all non-Chinese historians recognize as genocide.

The Dzungars were a confederation of Mongol tribes that converted to Buddhism and established a powerful Khanate in the 17th century in present-day Xinjiang. The beautiful temples and monasteries they built there were all destroyed during the Cultural Revolution.

Tibetans do not have a good memory of the Dzungars. Although the Fifth Dalai Lama and the founder of the Dzungar Khanate, Erdenu Batur, were allies, by the 18th century the Khanate had become so powerful that they invaded Tibet and conquered and looted Lhasa in 1717. The Tibetans, perhaps making a mistake justified by their difficult predicament, called the Chinese for help. The Dzungars defeated the Chinese army in 1718 (something the Chinese never forgot), but a second Chinese expedition was more successful, and the Dzungars were expelled from Tibet in 1720. The defeat of 1718 was avenged in 1755, when China moved decisively to annihilate the Dzungar Khanate and exterminate the Dzungar people. Between 500,000 and 800,000 Dzungars (650,000 being the figure advanced by some recent historians) were killed, men, women, and children. Only a few thousand descendants from the Dzungars survive in present-day Mongolia.

Although the Dzungar invasion of Tibet was an act of aggression, nothing can justify the genocide perpetrated by the Qianlong Emperor, the worst mass massacre of the 18th century in the world.

The Puning Temple.

The Puning Temple (credits).

The same Qianlong Emperor built in 1755 the Puning Temple to celebrate what he called his “pacification” of the Dzungars, which was in effect extermination and genocide. He personally inscribed a tablet still venerated in the temple to commemorate his victory over the Dzungars. The architecture itself of the temple, modeled after the Samye Monastery in Tibet, is a powerful political statement of Chinese hegemony over Buddhist lands.

On August 24, Xi Jinping came to the Puning Temple. The visit was prepared by a video the CCP produced to explain to a Chinese audience the historical significance of the event. The video explained the conquest of the Dzungar Khanate and extermination of the Dzungars by claiming that the Qianlong Emperor “put down the rebellion of the Mongol Dzungar tribe.” The temple was presented as “one temple, two styles” (Chinese and Tibetan), a symbol of “Han-Tibetan unity and national unity.”

“Field research” by Xi at the Puning Temple. From Weibo.
“Field research” by Xi at the Puning Temple. From Weibo.

The video mentioned that Xi “came to Puning Temple to conduct field research on religious work.” We don’t know whether the visit was long enough (slightly more than one hour) to conduct “field research.” According to the official press release, Xi “carefully inspected the historical monuments, the Palace of Heavenly Kings, the Grand Hall, and other buildings, and listened to reports on religious work. Xi Jinping emphasized that we must adhere to the Party’s basic policy of religious work, adhere to the sinicization of our country’s religions, actively guide religions to adapt to the socialist society, […] manage religious affairs in accordance with laws and regulations, and promote religions to better conform to society, serve society, and fulfill social responsibilities.”

This is the usual jargon for total submission of religion to the CCP, but even more significant is that from the Puning Temple Xi went on to visit at the Chengde Museum an exhibition called “Inside and Outside of the Great Wall of Hope: Records of National Unity in the Qing Dynasty,” which is a blatant celebration of the genocidal policies of the Qianlong Emperor, who is praised for having promoted “ethnic unity, border stability, and national unity.” That he did so by killing hundreds of thousands of Dzungars is not explained.

Xi visits the exhibition on “National Unity in the Qing Dynasty.” From Weibo.
Xi visits the exhibition on “National Unity in the Qing Dynasty.” From Weibo.

Xi Jinping was right when he said in his speech at the Chengdu Museum that the CCP has continued the work of  “the great unity of the Chinese nation” to which the Qianlong Emperor so powerfully contributed. Yes, the CCP continued with genocides against ethnic and religious minorities. Only, the CCP genocides may easily overcome the Qianlong Emperor record of brutality and murder.

Another image from Xi’s visit to the Chengdu Museum. From Weibo.
Another image from Xi’s visit to the Chengdu Museum. From Weibo.

In such a significant location, Xi warned ethnic minorities that they should “adhere to the leadership of the CCP, adhere to the correct path of solving ethnic problems with Chinese characteristics, fully implement the Party’s ethnic theory and ethnic policies, and constantly consolidate and develop socialist ethnic relations.” They are, Xi said, inscribed in “historical laws” —one of which seems to be that either you submit or you are exterminated through genocide.

Voir de plus:

La consommation de chair humaine en Chine

Les raisons d’un cannibalisme subi ou choisi
Solange Cruveillé
Impression d’Extrême-orient
2015

1Dans un récit du Youyang zazu 酉阳杂俎 (Miscellanées de Youyang)1, un général de la dynastie des Tang, réputé pour son habitude de manger tout et n’importe quoi, affirme : « Il n’y a rien qui ne puisse être mangé. Le secret réside dans la maîtrise du mode de cuisson, et dans l’art d’assaisonner. »2 Qu’en est-il de la chair humaine ? Quel rapport les Chinois entretiennent-ils avec la pratique du cannibalisme ?3 Le sujet est-il tabou dans l’Histoire de Chine ? Quelles traces en reste-t-il dans les ouvrages historiques et littéraires ?

  • 4  Cf. Lin Ling 林翎, « Zhongguo lishishang zui beican de yi ye : chi renrou » 中国历史上最悲惨的一页:吃人肉 (« L’une (…)
  • 5  Robert des Rotours, « Quelques notes sur l’anthropophagie en Chine », T’oung Pao, n° 50, 1963, p. (…)

2Pour reprendre les mots du chercheur taïwanais Lin Fu-shih 林富士 (pseudonyme Lin Ling 林翎) (1960 – ) : « L’expérience qu’ont les Chinois de la consommation de viande humaine est sans doute la plus riche du monde »4. Le sinologue français Robert des Rotours (1891 – 1980), dans son article « Quelques notes sur l’anthropophagie en Chine », indique que la consommation de viande humaine se pratique dans quatre buts principaux : pour survivre (en période de famine), dans un but de vengeance (sur un ennemi défini), pour satisfaire ses goûts culinaires, et enfin dans un but médical5. J’ajouterais une cinquième catégorie, à savoir le témoignage de la piété filiale, rattaché à deux des catégories précédentes (famine et maladie), mais dont la pratique est singulière puisqu’il se pratique sur des personnes vivantes et volontaires (don de soi).

  • 6  Cf. Georges Guille-Escuret, Sociologie comparée du cannibalisme, vol. 2 : la consommation d’autrui (…)

3Après avoir épluché longuement l’historiographie chinoise, le Professeur Key Ray Chong (1933 – ) a dénombré pas moins de 1219 évocations d’une pratique cannibale entre l’Antiquité et 1912 : 780 motivés par la piété filiale, 329 liés à la famine, 82 à la haine et à la guerre, et une infime minorité motivée par des penchants culinaires6. A tout cela, il faudra ajouter les faits qui se sont déroulés au xxe siècle, avec un cannibalisme pratiqué dans un but idéologique.

  • 7  Voir notamment les références présentées en notes 5 et 6. Voir aussi Huang Wenxiong 黃文雄,, Zhongguo (…)

4Les travaux de recherche étant déjà assez complets sur le sujet7, nous ne proposerons ici qu’un simple panorama, en nous appuyant sur diverses sources : recueils de contes fantastiques, ouvrages de pharmacopée, chroniques historiques, nouvelles, romans. Nous donnerons des exemples concrets de pratiques cannibales selon les axes préalablement cités : par plaisir, à des fins médicales, par piété filiale, pour survivre lors de périodes de famine, par vengeance et cruauté, et enfin par idéologie.

1. Le cannibalisme jouissif

  • 8  Sima Qian, Shiji, « Qi taigong shijia » 齐太公世家
  • 9  Cf. Guanzi 管子, « 小称 » : « 易牙以厨艺服侍齐桓公。齐桓公说:“只有蒸婴儿肉还没尝过。”於是易牙将其长子蒸了献给齐桓公吃. » Voir aussi Han Fei zi(…)

5Les exemples de personnages historiques amateurs de viande humaine ne manquent pas en Chine. Le cas le plus connu est sans doute celui du quinzième souverain de l’Etat de Qi (Qi Heng gong 齐恒公), sous les Royaumes Combattants, qui régna de 685 à 643 avant notre ère. Dans ses Mémoires historiques (Shiji 史记), Sima Qian 司马迁 le présente comme un dirigeant lubrique et sans morale8. Une réputation due en partie à l’anecdote selon laquelle son fidèle ministre Yi Ya 易牙, pour satisfaire ses désirs, lui offrit la chair de son propre fils9.

  • 10  Connu aussi sous le nom de Lushi zashuo 卢氏杂说, écrit par Lu Yan 卢言 sous la dynastie des Tang.

6Plus d’un millénaire après, le Lushi zaji 卢氏杂记10 raconte également :

  • 11  Traduction personnelle. Texte original : « 唐张茂昭为节镇,频吃人肉,及除统军,到京。班中有人问曰:闻尚书在镇好人肉,虚实?”昭笑曰:“人肉腥而且肕,争堪 (…)

Le gouverneur militaire Zhang Maozhao [762-811] de la dynastie des Tang était connu pour manger de la viande humaine. Lorsqu’il rejoignit le haut commandement de l’armée impériale, il se rendit à la capitale. L’un de ses collègues officiers lui demanda alors : « On dit que vous mangez de la chair humaine. Est-ce vrai ? » Zhang Maozhao répondit avec un sourire : « Allons donc ! La chair humaine est bien trop dure et fétide ! »11

  • 12  Cf. Chaoye qianzai 朝野佥载, in TPGJ, j. 267, rubrique « Actes de cruauté » 酷暴, récit « Dugu Zhuang » (…)

7Un autre récit mettant en avant la cruauté d’un gouverneur de province nommé Dugu Zhuang 独孤庄 explique qu’il termina sa vie fou, et que la seule pensée qui lui vint alors à l’esprit était de manger de la chair humaine. Par contre, il ne tua pas à dessein pour assouvir son désir : il se contenta de manger le cadavre d’une servante décédée12.

  • 13  Recueil de biji composé par Zhang Zhuo 张鷟 (657-730) sous la dynastie des Tang.

8Si cette tendance à l’anthropophagie existe, les condamnations morales sont néanmoins courantes. Le souverain de l’Etat de Qi, cité plus haut, finira, ironiquement, par mourir de faim : on pourrait voir dans cette fin tragique une punition céleste. Dans le deuxième récit présenté, la réaction de l’officier prouve que la consommation de viande humaine choque l’opinion. Enfin, dans un texte tiré du Chaoye qianzai 朝野佥载 (Rapport complet sur les affaires à la cour et en dehors)13, un amateur de viande humaine est publiquement et sévèrement puni :

  • 14  Traduction personnelle. Texte original : « 周杭州临安尉薛震好食人肉。有债主及奴诣临安,于客舍,遂饮之醉。杀而脔之,以水银和煎,并骨消尽。后又欲食其妇,妇 (…)

Sous la dynastie Zhou [690 – 705, fondée par l’Impératrice Wu Zetian], Xue Zhen, chef du district de Lin’an près de Hangzhou, adorait la chair humaine. Un jour, un de ses créanciers, accompagné d’un domestique, fit halte dans une auberge de Lin’an. Là, il burent jusqu’à l’ivresse. Xue Zhen en profita pour les tuer. Il les découpa en morceaux, arrosa le tout de mercure, les fit frire et s’en régala. Il n’en resta même pas les os. Par la suite, il projeta de manger également son épouse. En découvrant ses intentions, la femme prit la fuite. Le magistrat du district enquêta et fit un rapport aux autorités provinciales, qui elles-mêmes en référèrent aux autorités impériales. Xue Zhen fut condamné à être battu à mort.14

  • 15  Cf. Des Rotours, « Quelques notes sur l’anthropophagie en Chine », op. cit., p. 397. L’auteur cite (…)
  • 16  Cf. Marco Polo, La Description du monde, Pierre-Yves Badel (trad.), chapitre LXXIV. Paris : Le liv (…)
  • 17  Ibidem, chapitre CLIV, p. 267.
  • 18  Voir partie 5 du présent article, sur le cannibalisme guerrier.

9Mais l’exemple le plus horripilant concerne certainement la dynastie éphémère des Zhao postérieurs 后赵 (319-352), avec les habitudes du cruel dirigeant Shi Sui 石邃, qui succéda à son père Shi Hu 石虎, lui-même neveu de Shi Le石勒, brigand fondateur de la dynastie : une fois au pouvoir, il prit l’habitude de faire tuer et préparer en cuisines ses plus belles concubines, pour les offrir à ses invités lors de banquets, prenant soin de laisser sur la table la tête des belles15. Des rumeurs circulent également à propos de la dynastie mongole des Yuan. Marco Polo raconte notamment à propos de la ville de Shangdu 商都 (résidence d’été de Kubilai Khan, en Mongolie intérieure) que des devins originaires du Tibet et du Cachemire mangeaient la chair des condamnés à mort : « Quand un homme est condamné à mort et qu’il a été exécuté par le gouvernement, ils le prennent, le font cuire et le mangent. »16 Il écrit également à propos des habitants des villes et villages sous l’autorité de Fuzhou (province du Fujian) : «  […] Ils mangent de toutes les viandes, je vous assure qu’ils mangent de la chair d’un homme avec plaisir dès lors qu’il n’est pas mort de mort naturelle : ceux qui sont tués, on les recherche et on les mange avec plaisir, car on les tient pour une bonne viande »17. Il s’agit néanmoins ici de la viande d’un ennemi : le plaisir se mêle à l’esprit de vengeance et de combat18.

10Pour conclure, même si elles sont avérées, les pratiques d’un véritable « cannibalisme jouissif » en tant que tel restent minoritaires dans l’Histoire de Chine, se limitent à quelques personnages historiques la plupart du temps fous ou cruels, et sont généralement moralement condamnées.

2. La consommation de viande humaine à des fins médicales

  • 19  Chen Zangqi, après avoir étudié minutieusement le Classique de Materia medica du Divin laboureur ((…)
  • 20  Chen Zangqi 陈藏器, Bencao shiyi 本草拾遗 : « 人肉疗羸瘵 ».
  • 21  Cf. Xin Tangshu 新唐书, chap. 195. Cité in Des Rotours, « Quelques notes sur l’anthropophagie en Chin (…)
  • 22  Cf. J. Becker, La grande famine de Mao (titre original : Hungry Ghosts, China’s secret Famine), Mi (…)
  • 23  Cf. J. Becker, La grande famine de Mao, op. cit., p. 302.

11Dans son ouvrage de pharmacopée Bencao shiyi 本草拾遗19, le botaniste et médecin Chen Zangqi 陈藏器 (687-757) présente la chair humaine comme un reconstituant20. A la suite de cette annonce, « des fils pieux se firent couper des morceaux de chair pour la donner à leurs parents afin de guérir leur maladie »21. Li Shizhen 李时珍(1518-1593), médecin de l’époque des Ming, répertorie dans son Bencao gangmu 本草纲目 (Compendium de materia medica) « 35 parties ou organes du corps humain ainsi que les différentes maladies et douleurs que lesdites parties pouvaient servir à soigner. »22 Le journaliste britannique Jasper Becker (1956 – ) raconte encore que, toujours sous la dynastie des Ming, les eunuques mangeaient la cervelle de jeunes hommes vigoureux dans le but de « recouvrer leur puissance sexuelle »23.

  • 24  « Le Journal d’un fou », in Cris, Sebastian Veg (trad.). Paris : Editions rues d’Ulm, 2010, p. 24.
  • 25  Ibidem, note 7 p. 181.
  • 26  Cf. Wells Williams, The Middle Kingdom. New York, (1847) 1899, vol. I, p. 514. Cité in Des Rotours (…)

12Ces vertus médicales ont traversé les siècles. Dans la nouvelle « Le journal d’un fou », le protagoniste cite d’ailleurs le Bencao gangmu en disant : « Dans l’Herbier quelque chose de leur maître à penser Li Shizhen, il est écrit clairement que la chair humaine peut être mangée grillée. »24 Sébastian Veg signale à ce sujet qu’une prescription du Bencao gangmu recommande en effet la consommation de chair humaine grillée pour traiter la tuberculose25. Il était également courant de se procurer le sang d’un supplicié pour se donner du courage ou augmenter sa virilité26. Lu Xun 鲁迅 (1881 – 1936) s’est d’ailleurs inspiré de cette croyance pour construire l’intrigue de sa nouvelle « Le remède » (« Yao » 药).

13Dans cette nouvelle, le vieux Shuan, propriétaire d’une maison de thé, sort discrètement à l’aube acheter contre une bourse pleine d’argent un petit pain à la vapeur imbibé du sang encore frais d’un supplicié. Il se sent mal à l’aise, mais heureux de le faire, car pour lui, cette marchandise est précieuse : il la destine à son fils unique, tuberculeux. Le jeune garçon l’engloutit, sans savoir ce que c’est. Ses parents, le vieux Shuan et la mère Hua, affirment que cela le guérira. Lu Xun construit bien sa nouvelle : ce n’est qu’au troisième chapitre qu’on apprend ce que contient réellement le petit pain ainsi que l’identité de celui qui l’a vendu au vieux Shuan, c’est-à-dire le bourreau, Sieur Kang. Ce dernier vient d’ailleurs fanfaronner dans la maison de thé et s’écrie : « C’est garanti, garanti ! Il faut l’avaler chaud. Un petit pain au sang humain, c’est un remède garanti contre toute tuberculose. » Mais en dépit du grand espoir placé en ce remède, le fils Shuan décède. La mère Hua se retrouve, le jour de la fête des Morts (Qingming jie 清明节), sur la tombe de son fils. Elle y rencontre la vieille mère du supplicié, dont son fils avait bu le sang à travers le petit pain. Ce n’est pas un hasard si Lu Xun a choisi d’écrire cette nouvelle, parallèlement au « Journal d’un fou », et qu’il y a intégré, dans l’une comme dans l’autre, des références au cannibalisme. Sebastian Veg, qui a traduit les deux nouvelles en 2010, commente :

  • 27  Cf. Cris, op. cit., p. 214. Voir la traduction intégrale de la nouvelle p. 39-48.

Plusieurs raisons incitent à penser que la nouvelle forme un diptyque avec le « Journal d’un fou ». D’abord, l’intrigue du « Médicament » est annoncée à l’entrée X du « Journal » : « L’année dernière, quand on a exécuté un criminel en ville, un tuberculeux a utilisé un petit pain cuit à la vapeur pour le tremper dans son sang et le lécher. » Ensuite, les allusions historiques se complètent […]. On retrouve dans le « Médicament » les thèmes du cannibalisme, notamment à travers le petit pain trempé de sang, et de la médecine, avec un léger déplacement d’accent.27

  • 28  Cf. Han Shaogong, Pa pa pa (N. Dutrait, Hu Sishe, trad.). La Tour d’Aigues : Editions de l’Aube, c (…)
  • 29  Cf. Noël Dutrait, « Le pays de l’alcool de Mo Yan [Entretien avec l’auteur] », Perspectives chinoi (…)
  • 30  Connu en Occident sous le nom de Fruit Chan.
  • 31  Concernant la consommation de fœtus humains, citons également les exhibitions controversées de l’a (…)

14Au niveau de la littérature contemporaine, nous pouvons citer la nouvelle « Ba ba ba » 爸爸爸 de Han Shaogong 韩少功 (1953 – ), dans laquelle la mère du protagoniste, Bingzai, accoucheuse, confectionne des fortifiants à base de placentas28. Plus près de nous, Mo Yan 莫言 (1956 – ) explique que ce qui lui a donné l’idée de son roman Le Pays de l’alcool (Jiuguo 酒国) est la pratique courante de récupérer dans les hôpitaux les fœtus humains de trois mois (issus majoritairement d’avortements) et de les réduire en poudre pour en faire un fortifiant29. Fait qui n’est pas sans rappeler l’intrigue du film La nouvelle cuisine (Jiaozi 饺子), réalisé par le Hongkongais Chen Guo 陳果30 (1959 – ) en 2004, dans lequel une femme nommée Tante Mei vend des raviolis fourrés aux fœtus humains, promesses de la beauté et de la jeunesse éternelles31.

3. Les cas de piété filiale

  • 32  On trouve parfois le terme 股 (signifiant « la cuisse ») à la place de 骨 (« l’os »). Voir à ce suje (…)

15Les actes de cannibalisme réalisés dans un but de piété filiale sont, dans les ouvrages historiques, extrêmement nombreux. Nous l’avons déjà abordé dans la partie précédente, à propos du Bencao shiyi de Chen Zangqi. Il s’agit d’un don physique de soi (comprendre « don d’une partie de soi ») pour soigner ou nourrir un parent ou un beau-parent. Cette pratique porte le nom de « gegu liaoqin » 割骨疗亲32. Les premières traces remontent à l’époque des Six Dynasties, sous la dynastie des Song (420-479), où il est dit :

  • 33  Cf. J. Becker, La grande famine de Mao, op. cit., p. 302.

Les gens découpaient parfois des parties de leur corps pour nourrir un ancien vénéré. Souvent, c’est la belle-fille qui coupait une partie de sa jambe ou de sa cuisse afin de faire une soupe nourrissante pour une belle-mère malade, et cette pratique était devenue si courante que l’Etat fut contraint de publier un édit l’interdisant.33

  • 34  Cf. Key Ray Chong, Cannibalism in Chine, p. 159. Cité in Georges Guille-Escuret, Sociologie compar (…)
  • 35  Sur le fait de s’approprier l’âme d’un défunt respecté à travers l’endo-cannibalisme (principaleme (…)

16La pratique se perpétua jusque sous les dernières dynasties impériales, et peut-être plus tard… Rey Kay Chong, qui a réalisé une étude très complète sur ce sujet, révèle, chiffres à la clé, que ce sont majoritairement les femmes qui se sacrifient pour prouver leur piété filiale. Il explique par exemple que sur 653 cas répertoriés sous la dynastie des Ming : « les dons masculins représentent moins de 1% […] Deux fois sur trois, une belle-fille nourrit l’un de ses beaux-parents […]. Une fois sur quatre, la fille nourrit un de ses ascendants […]. A dix-neuf reprises, l’épouse a alimenté le mari, jamais en sens inverse. »34 Les morceaux de chair sont généralement prélevés sur la cuisse ou le bras. On peut parler ici « d’homophagie » (consommer la chair d’un parent consanguin) ou « d’endo-cannibalisme » (consommer la chair d’un proche — une belle-fille par exemple —, ou d’une personne du même clan)35, sauf que la personne mangée n’est pas une victime rituelle ici, puisqu’elle offre volontairement une partie d’elle-même.

17Les personnes qui se sacrifient pour guérir un parent proche sont louées pour leur comportement exemplaire d’enfant respectueux à l’extrême de la piété filiale, une vertu présentée comme essentielle dans le confucianisme. Cela a même donné naissance à des chefs d’œuvre littéraires. Robert des Rotours raconte notamment : « A Pékin, en 1921, j’ai vu une pièce de théâtre qui, si mes souvenirs sont exacts, était intitulée Ting-xiang ko jeou, « Ting-xiang coupe sa chair » ; l’héroïne de la pièce faisait couper sa chair pour guérir la maladie de sa mère. »36 Ses souvenirs sont bien exacts, à quelques détails près. Il s’agit en réalité d’un opéra de Pékin qui s’intitule en pinyin Dingxiang gerou 丁香割肉. L’histoire se passe dans un village. Une veuve vit avec ses trois belles-filles et son fils cadet, les deux aînés travaillant loin de la maison. Seul son fils cadet se montre pieux envers elle en s’occupant diligemment de leurs terres, et seule l’épouse de ce dernier, nommée Dingxiang, se montre polie et dévouée. Les deux autres belles-filles, perfides et jalouses, font tout pour envenimer les relations entre Dingxiang et la belle-mère, en vain. Jusqu’au jour où elles font croire à la vieille dame que Dingxiang lui a lancé une malédiction pour que son corps entier soit couvert de furoncles et qu’elle finisse par en mourir. Écœurée et terrifiée par ce qu’elle vient d’entendre, la belle-mère tombe malade : du jour au lendemain, elle ne peut plus rien avaler, ni nourriture ni liquide, et semble avoir perdu la raison. Un prêtre taoïste explique à son fils cadet que le seul remède valable est de lui faire boire un bouillon fait avec de la viande humaine. Sans hésiter un instant, Dingxiang se rend dans sa chambre et se coupe un morceau de la cuisse. L’épouse du fils aîné saisit l’occasion pour servir le bouillon à sa belle-mère en lui faisant croire qu’il s’agit de sa propre chair, et que Dingxiang reste enfermée dans sa chambre en feignant d’être malade. La belle-mère, une fois guérie, est outrée par le comportement de Dingxiang : elle sort de ses gongs et part la molester. Mais elle trouve celle-ci mal en point, alitée, couverte de sueur et gémissante. Elle comprend alors ce qui s’est réellement passé et punit les deux perfides comme il se doit. Par la suite, Dingxiang est érigée dans le village en modèle de piété filiale37.

  • 38  Cf. Cris, op. cit., p. 205. Malgré tout, rappelons que ce ne sont pas toujours les jeunes qui se s (…)

18Paradoxalement, c’est cette piété filiale tant louée dans l’Histoire de Chine que Lu Xun dénonce dans sa nouvelle « Le journal d’un fou », la présentant comme une forme cachée de cannibalisme. Comme l’explique Sebastian Veg : « La révélation nocturne du protagoniste consiste en la prise de conscience que les livres anciens sont remplis de prescriptions cannibales, recouvertes par le vernis moral des quatre vertus cardinales « humanité, justice, voie, vertu ». C’est en particulier la piété filiale, et plus généralement le pouvoir des anciens et des hommes sur les plus jeunes et les femmes »38.

4. Les périodes de famine

  • 39  Tout le monde a à l’esprit le naufrage de la frégate Méduse, de la Marine française, échouée au la (…)
  • 40  Rémi Mathieu, Anthologie des mythes et légendes de la Chine ancienne. Paris : Gallimard, coll. « C (…)

19Universellement, la faim a poussé au cannibalisme39. La Chine ne fait pas figure d’exception. Et les traces de cette pratique sont très anciennes. Les yayu 猰狳, bêtes sauvages légendaires et anthropophages, sont censées avoir régulièrement sévi durant les périodes de pénurie alimentaire à l’époque mythique. Elles sont définies par Rémi Mathieu comme des quadrupèdes à tête de dragon et parfois comme des renards ou des chats sauvages anthropophages des contrées occidentales40. Ces créatures ont-elles réellement existé ? Ou bien sont-elles utilisées pour désigner une population précise qui se serait livrée à des actes de cannibalisme durant une période de pénurie ? On peut en effet se poser la question.

  • 41  Cf. Sima Guang 司马光, Zizhi tongjian 资治通鉴 (Miroir compréhensif pour aider le gouvernement), juan 17 (…)
  • 42  Cf. Ying Shao 应劭 (140 – 206), Fengsu tongyi 风俗通义 (« Généralités sur les moeurs et les coutumes »), (…)

20Le grand avantage qu’on a lorsqu’on étudie le cannibalisme dans l’Empire du Milieu est qu’il n’y aucun tabou à cet égard en Chine. Concernant les cas de cannibalisme en période de famine, les historiographes chinois ont toujours pris soin de les noter. Comme l’explique Sima Guang 司马光 (1019-1086), historien de la dynastie des Song : « En période de famine, les humains se mangent entre eux »41. Dans la Chine ancienne, les enfants sont généralement consommés en premier : les gens s’échangent leurs enfants, pour ne pas avoir à manger leur progéniture (d’où l’expression « yi zi xi hai » 易子析骸)42. Parfois, les acteurs mis en cause peuvent constituer un groupe entier, dont les membres sont solidaires. La viande humaine est consommée dans un but de survie, que cela implique ou non de tuer les victimes. Il est dit notamment dans le Chaoye qianzai 朝野佥载, cité plus haut :

  • 43  Traduction personnelle. Texte original : « 隋末荒乱,狂贼朱粲起于襄、邓间。岁饥,米斛万钱,亦无得处,人民相食。粲乃驱男女小大,仰一大铜钟,可二百石,煮人 (…)

Lors de la période troublée de la fin des Sui [581-618], le fanatique brigand Zhu Can leva ses troupes dans la région de Xiangzhou et Dengzhou. En cette période de famine, une simple once de riz coûtait 10 000 pièces. Mais comme on ne pouvait de toute façon en acheter nulle part, les gens venaient à se manger entre eux. Zhu Can fit alors amener un groupe d’hommes et de femmes, jeunes et vieux, ainsi qu’une énorme cloche en cuivre, qui pouvait à elle seule contenir jusqu’à deux cents dan de céréales. Il y fit cuire les malheureux pour rassasier ses troupes. Et c’est ainsi que périrent de nombreuses gens.43

  • 44  Nous ne traiterons pas de tous ces cas en détail. Un grand nombre ont déjà été minutieusement répe (…)
  • 45  Cf. Ji Yun 纪昀, Yuewei caotang biji 阅微草堂笔记, « 滦阳消夏录 », juan 2 : « 盖前崇禎末,河南 、山东大旱蝗,草根树皮皆尽,乃以人为粮,官吏弗能 (…)

21Les exemples au cours de l’Histoire sont extrêmement variés : famines dues à de mauvaises récoltes, périodes troublées, villes assiégées44. La pratique semble s’être perpétuée jusque sous les Ming, puisqu’on raconte qu’à la fin du règne de l’empereur Chongzhen 崇祯 (1628 – 1644), lors d’une terrible famine, il existait des marchés de viande humaine dans les provinces du Henan et du Shandong. Les victimes, majoritairement des femmes et des enfants, étaient désignées sous le terme « d’humains d’alimentation » (cairen 菜人)45.

  • 46  Theodore White, A la quête de l’Histoire, Henri Rollet (trad.). Montréal : Stanké, 1979, p. 165-16 (…)

22Ce qui attire cependant l’attention des chercheurs depuis quelques décennies, ce sont les faits de cannibalisme qui ont eu lieu non pas sous les dernières dynasties impériales, mais au cours du xxe siècle, par exemple lors de la famine durant la guerre civile, notamment dans la province du Henan. Le journaliste américain du Time Magazine, Theodore White (1915 – 1986), nous en livre un témoignage poignant dans son ouvrage A la quête de l’Histoire. Il prend soin de préciser, néanmoins, que les personnes mangées étaient toutes décédées de mort naturelle avant d’être consommées46.

  • 47  Cf. Cris, op. cit., p. 281.
  • 48  Ibidem, p. 28.
  • 49  Ibid., p. 29.

23Ces faits historiques se retrouvent dans la littérature moderne et contemporaine. Citons par exemple un extrait de la nouvelle « Le journal d’un fou » de Lu Xun. Alors qu’une période de disette sévit dans son village, le protagoniste est pris d’un délire de persécution : il est persuadé que l’ensemble des gens qui l’entourent (voisins, villageois, membres de sa famille) projettent de le tuer pour le manger. Tout le monde est suspect à ses yeux, même son frère, même le docteur qui vient l’examiner, comme si un complot énorme se tramait autour de lui. Les habitants le pousseraient au suicide pour ne pas avoir à le tuer eux-mêmes et ne pas se heurter à la vengeance de son âme. Ils le feraient également passer pour un fou pour se déculpabiliser. La nouvelle serait avant toute chose une métaphore de la « société ancienne cannibale » forgée par Lu Xun et figée dans le discours révolutionnaire communiste à travers la dénonciation rituelle du « féodalisme »47. A travers les propos de son protagoniste, Lu Xun explique dans sa nouvelle : « Au début, les hommes sauvages ont tous dû manger un peu d’homme. Ensuite, développant des idées différentes, certains n’ont plus mangé d’homme ; en décidant de s’améliorer, ils sont devenus des êtres humains, de vrais êtres humains. »48 Et un peu plus loin : « Vous pouvez changer, changez sincèrement ! Vous devez comprendre qu’on ne tolérera plus les mangeurs d’homme dans ce monde à l’avenir. »49 Si Lu Xun avait su ce que le demi-siècle suivant allait réserver de monstruosités en la matière, il aurait sûrement ajouté une fin moins heureuse à sa nouvelle…

24Il en est de même dans le roman de Chen Zhongshi 陈忠实, Au pays du cerf blanc (Bailu yuan 白鹿原), dont le récit se situe peu après la chute de la dynastie des Qing puis pendant la lutte entre nationalistes et communistes. Au chapitre 18, alors que sévit une terrible famine, un couple essaie de convaincre son fils de tuer sa femme pour la manger :

  • 50  Cf. Chen Zhongshi, Au pays du cerf blanc, Shao Baoqing / Solange Cruveillé (trad.). Paris : Le Seu (…)

Mourir de faim n’effrayait plus, ne surprenait plus. Les premiers à périr furent les personnes âgées et les enfants, car c’étaient les plus fragiles. Quand les vieux mouraient, non seulement on n’était plus accablé, mais on se réjouissait des économies qu’on allait réaliser et qui allaient permettre aux personnes plus utiles de survivre. Seuls les ragots pouvaient encore éveiller quelque intérêt chez les gens. Ainsi, on racontait qu’une jeune femme, mariée depuis un an, réveillée au milieu de la nuit par la faim et ne parvenant pas à se rendormir, tâta le lit et se rendit compte que son mari n’était pas là. Se doutant qu’il mangeait à la dérobée avec ses beaux-parents, elle se glissa à pas feutrés sous la fenêtre de la belle-mère et surprit son mari et ses parents en pleine discussion :
— Ne t’inquiète pas, dit le beau-père, dès que la famine sera finie, on te trouvera une nouvelle femme. Il faut la tuer, sinon toute la famille va crever de faim ! Alors, non seulement tu perdras ta femme, mais en plus notre nom s’éteindra !
La jeune femme, terrifiée, partit la nuit même chez ses parents. Là, elle s’endormit, calmée par les consolations de sa mère. Mais elle ne mit pas longtemps à se réveiller à nouveau. Elle entendit son père dire :
— Plutôt que de la laisser manger par les autres, mieux vaudrait la manger nous-mêmes !
La jeune femme tomba de son lit et perdit la raison…
Les rumeurs de ce genre, à l’instar des croassements de corbeaux, faisaient froid dans le dos.50

  • 51  Cf. Yang Jisheng 楊繼繩,, Mubei : Zhongguo liushi niandai da jihuang jishi 墓碑——中國六十年代大饑荒紀實. Taïwan : (…)
  • 52  Cf. J. Becker, La grande famine de Mao, op. cit., pp. 295-305.
  • 53  Ibidem, p. 300.

25Mais l’exemple historique le plus récent concerne la période noire du Grand Bond en avant (1958 – 1962), lancé par Mao, qui entraîna la plus grande famine du siècle et fit, selon les estimations, entre 30 et 50 millions de morts en Chine51. Jasper Becker, auteur de l’ouvrage très complet La grande famine de Mao, consacre un court chapitre au cannibalisme52. On constate que de nombreuses provinces furent touchées : le Sichuan, le Liaoning, l’Anhui, le Shaanxi, le Ningxia, le Hebei, mais aussi le Tibet, le Qinghai, le Gansu et le Heilongjiang. Comme dans la Chine ancienne, les premières victimes tuées à dessein pour se nourrir étaient les enfants. Ceux qui consommaient de la chair humaine étaient même décrits comme « ayant une odeur étrange, leurs yeux et leur peau prenant une couleur rouge. »53 L’écrivain Ma Jian 马建 (1953 – ) cite également des événements similaires qui eurent lieu sous la Révolution Culturelle, dans son roman Beijing Coma (Beijing zhiwu ren 北京植物人) :

  • 54  Ma Jian, Beijing Coma, Constance de Saint-Mont (trad. de l’anglais). Paris : J’ai lu, « Par ailleu (…)

Je me rappelai un passage du journal de mon père qui décrivait un acte de cannibalisme dont il avait été témoin [dans un camp du] Gansu : « Trois jours après que Jiang est mort de faim, Hu et Gao ont découpé des tranches dans sa fesse et sa cuisse et les ont rôties sur un feu. Ils ne s’attendaient pas à ce que la femme de Jiang vienne chercher le corps le lendemain. Elle avait pleuré pendant des heures en tenant son corps mutilé dans ses bras. » […] Je n’arrive tout simplement pas à imaginer comment on peut se résoudre à manger de la chair humaine. Mon père m’a dit que sur les trois mille droitistes qui avaient été envoyés [dans le camp de rééducation du Gansu], mille sept cents étaient morts de faim. Parfois les survivants étaient si affamés qu’ils étaient obligés de manger les cadavres.54

  • 55  Nous aborderons ce point dans la partie 6.

26Nous verrons que malheureusement, à cette époque-là, les cas de cannibalisme ne furent pas tous motivés par la faim…55

5. Le cannibalisme guerrier

  • 56  Georges Guille-Escuret, Sociologie comparée du cannibalisme, vol. 2, op. cit., p. 97.
  • 57  « Chidiao diren yige shi » 吃掉敌人一个师. Cf. Dictionnaire chinois-français 汉法词典,. Beijing : Shangwu yin (…)

27Le cannibalisme peut également être pratiqué en temps de guerre ou de rivalité, dans un but de punition, de vengeance ou de simple cruauté, faisant de l’acte de dévorer les organes des victimes défaites un symbole de possession, de prise de pouvoir. Comme l’explique Georges Guille-Escuret, docteur en ethnologie et en biologie, consommer la chair de l’ennemi ou d’un prisonnier est, en cas de guerre, un symbole d’allégeance à son souverain ou à son général, et un témoignage de la solidarité et de l’unité du groupe56. Ne dit-on pas, en chinois, lorsqu’on anéantit une division ennemie, qu’on « l’engloutit » ?57 Faut-il voir dans cette expression autre chose qu’une image ? On peut se poser la question…

  • 58  Cf. Robert des Rotours, « Quelques notes sur l’anthropophagie en Chine », op. cit., p. 389. Voir a (…)
  • 59  Cf. Sima Qian, Shiji, « Qingbu liezhuan » 黥布列传.
  • 60  Des Rotours cite à ce sujet le Traité des châtiments et des Lois (Xingfa zhi 刑法志), dont un passage (…)
  • 61  Source : Sima Guang, Zizhi tongjian 资治通鉴, juan 111 : « 醢诸县令,以食其妻子;不肯食者,辄支解之». Traduction Robert de (…)

28La référence la plus célèbre concerne l’Archer Yi 羿, que ses serviteurs mirent à mort. Ils le firent ensuite bouillir et forcèrent ses fils à manger sa chair. Refusant d’obtempérer, les fils furent tués à leur tour58. Dans les Mémoires historiques, Sima Qian raconte aussi que Liu Bang 刘邦 (256 – 195 avant notre ère), fondateur de la dynastie des Han et coutumier des actes de vengeance, obligea les princes feudataires à manger la chair de son ancien allié Peng Yue 彭越, soupçonné de préparer une rébellion, qu’il avait fait occire et cuisiner59. Cette manœuvre avait pour but de dissuader les princes de se liguer contre lui60. Un autre exemple connu concerne le cruel pirate Sun En 孙恩, meneur d’une révolte paysanne d’inspiration taoïste dans la région du Zhejiang, en 399 de notre ère : « Il faisait mettre en hachis salé les sous-préfets de la région [de Shaoxing 绍兴] pour les donner à manger à leurs épouses et à leurs enfants ; si ceux-ci se refusaient à les manger, il les faisait dépecer. »61

29La punition, qui a toujours pour but d’effrayer, peut parfois être ordonnée sur un simple coup de sang, comme c’est le cas dans un texte du Tang zhiyan 唐摭言, recueil de biji composé par Wang Dingbao 王定保 (870-940) sous les Cinq dynasties :

  • 62  Traduction personnelle. Texte original : « 周岭南首陈元光设客,令一袍裤行酒。光怒,令曳出,遂杀之。须臾烂煮,以食诸客。后呈其二手,客惧,攫喉而吐。 » (…)

Sous la dynastie des Zhou [fondée par l’Impératrice Wu Zetian], Chen Yuanguang, le chef de la région de Lingnan [Guangdong et Guangxi], organisa un banquet pour recevoir des invités. Il demanda à un de ses officiers de servir l’alcool. Soudain, Chen Yuanguang se mit terriblement en colère contre lui : il ordonna qu’on le fasse sortir et qu’on le tue. En peu de temps, le cadavre du pauvre homme fut cuisiné et on le servit aux invités. Lorsque ces derniers aperçurent finalement deux mains dans le plat, ils s’enfoncèrent aussitôt les doigts dans la gorge pour se faire vomir.62

  • 63  Cf. Yutang xianhua 玉堂闲话, in TPGJ, j. 269, rubrique « Actes de cruauté », récit « Zhao Siwan » 赵思绾, (…)

30Dans son Yutang xianhua 玉堂闲话 (« Bavardages du Hall de Jade »), recueil de biji composé à la fin des Tang et au début des Cinq Dynasties, Wang Renyu 王仁裕 (880-956) raconte encore que le général séditieux Zhao Siwan 赵思绾, avant d’être vaincu, dévora les foies de soixante-six victimes. Certaines, à ce moment-là, étaient encore agonisantes63.

  • 64  Voir à ce sujet le court article de Lin Ling 林翎, « 中国历史上最悲惨的一页:吃人肉 », op. cit., p. 2.
  • 65  Tao Zongyi, Chuogeng lu, chap. 9 : « 想肉天下兵甲方殷,而淮右之军嗜食人,以小儿为上,妇女次之,男子又次之. »
  • 66  Cf. Lin Ling, op. cit., p. 4 : « 战争真正可怕的地方不是在于屠戮生命,而是在于摧残人性。 »

31Sous les Yuan, on trouve même des détails expliquant la façon de cuisiner la viande humaine. Cela se fait principalement dans un contexte de guerre, pour nourrir les troupes armées lors de périodes de pénurie alimentaire64. Tao Zongyi 陶宗仪 (fin des Yuan, début des Ming), auteur du recueil de biji Chuogeng lu 辍耕录 (Archives de l’arrêt des cultures), explique au chapitre 9 : « En période de guerre […] la chair des enfants est considérée comme la plus exquise des nourritures ; vient ensuite celle des femmes, et en dernier celle des hommes »65. La viande peut être rôtie, bouillie, les victimes cuites vivantes, entières ou en morceaux (jambes, poitrine). Ceux qui en mangent trouvent cela tellement bon qu’ils qualifient la viande humaine de « viande désirée » (xiangrou 想肉). Il faut cependant ici bien insister sur le contexte : il ne s’agit pas de combler un caprice alimentaire, ni simplement de trouver un moyen de nourrir les soldats. La barbarie est mise en avant à tout point de vue, la cruauté est sans limite, et Tao Zongyi présente ces événements comme des actes vils et inhumains. Comme l’explique Lin Fu-shih : « Ce qu’il y a de véritablement effrayant dans la guerre, ce n’est pas le fait de massacrer des vies, mais de porter atteinte à ce qui nous rend humain »66.

6. Le cannibalisme culturel et idéologique

  • 67  Cf. Han Shaogong, Pa pa pa, N. Dutrait (trad.), op. cit., p. 7

32La pratique relève, à ce stade, soit de la folie meurtrière, soit de la superstition. Comme l’explique Noël Dutrait dans la préface de la traduction française de Ba ba ba de Han Shaogong, le passé millénaire de la Chine voit s’opposer deux cultures : la culture confucéenne « rationaliste » et la culture « non orthodoxe » des minorités, régie par des règles et des religions primitives67.

  • 68  Cf. Jasper Becker, La grande famine de Mao, op. cit., p. 301.
  • 69  Cf. J. Becker, op. cit. p. 304. Voir aussi Georges Guille-Escuret, Sociologie comparée du cannibal (…)
  • 70  Cf. J. Becker, op. cit., p. 304.

33Kay Ray Chong, dans son étude le cannibalisme en Chine, défend l’idée qu’il y a en Chine un « cannibalisme de survie » (époques de famine…) et un « cannibalisme culturel ». C’est cela qui fait selon lui de la Chine un cas à part68. Cet acte barbare de manger la chair d’un ennemi est-il cantonné à la Chine ancienne et classique ? Assurément pas. En effet, des faits similaires se sont déroulés au xixe siècle à Canton, à propos d’une querelle autour du droit sur l’eau. Cet épisode est relaté par le sinologue James Dyer Ball (1847 – 1919) dans son livre Choses vues en Chine : « Après chaque escarmouche, les hommes faits prisonniers étaient abattus. Ensuite les cœurs et les foies étaient distribués et mangés ; on permettait même aux jeunes enfants de participer au festin. »69 Plus près de nous, au niveau littéraire, au chapitre IV de Ba ba ba, Han Shaogong raconte que lors d’une période de rivalités entre deux villages voisins, une guerre est déclarée. L’un des villages fait alors bouillir dans une marmite un porc et le cadavre d’un ennemi coupé en morceaux, et chaque habitant, malgré l’écœurement, est obligé de manger un morceau pioché au hasard dans le bouillon, pour prouver sa solidarité envers les membres du village. Des cas ont par ailleurs été relevés lors de la guerre civile opposant communistes et nationalistes70.

  • 71  Zheng Yi, Stèles rouges, Françoise Lemoine & Anne Auyeung (trad.). Paris : Bleu de Chine, 1999, 28 (…)
  • 72  10 000 personnes pour l’ensemble de la région.
  • 73  Voir le compte-rendu de l’ouvrage rédigé par Max Lagarrigue, in Communisme, n° 65/66, L’âge d’homm (…)

34Mais la preuve la plus démesurée est l’étude édifiante réalisée par l’écrivain Zheng Yi 郑义 (1947 – ) (de son vrai nom Zheng Guangzhao 郑光召) dans la province du Guangxi, et publiée dans son ouvrage Hongse jinianbei 紅色纪念碑 (Stèles rouges : du totalitarisme au cannibalisme)71. Il y répertorie des centaines de cas de cannibalisme qui eurent lieu durant la Révolution culturelle (1966 – 1976), avec cette fois une visée purement idéologique : « Dans le seul district de Wuxuan [Guangxi], au cours de la Révolution culturelle, 504 personnes ont été tuées et plus d’une centaine dévorée […]72. L’estimation du nombre de cannibales pour ce district est de 10 000. »73

  • 74  Sur ces faits, le lecteur intéressé pourra se reporter à l’article « Le cannibalisme au Guangxi » (…)
  • 75  Notons néanmoins qu’à la fin de la Révolution Culturelle, certaines victimes ont été réhabilitées, (…)
  • 76  Voir le compte-rendu de lecture de Jean-Jacques Gandini in Perspectives chinoises n° 57, janvier-f (…)
  • 77  Zheng Yi, Stèles rouges, op. cit., p. 163.
  • 78  Une petite nuance à apporter cependant à cette qualification, puisqu’on relève dans l’ouvrage que (…)

35Les faits les plus marquants concernent le meurtre d’une professeure d’école par ses propres élèves, qui, ensuite, se partagèrent son cœur, son foie et la chair de ses cuisses. Ceux qui ne voulaient pas suivre le mouvement risquaient le même traitement, de sorte qu’une hystérie collective submergea toute la ville puis toute la région74. Le principal prétexte à ces orgies ? La lutte des classes. Certains bourreaux clamant haut et fort qu’il ne s’agissait pas simplement de chair humaine, mais de « chair de propriétaire foncier », de « chair de traitre », de « chair d’ennemis de classe ». Les victimes étaient généralement tuées et découpées à la suite de séances de pidou 批斗, ces séances d’humiliation publique courantes sous la Révolution Culturelle. Les personnes ciblées pouvaient être des voisins, des professeurs, des élèves. Elles pouvaient être dépecées vivantes, et leur chair pouvait être consommée lors de banquets collectifs, au vu et au su des autorités75. Pour Zheng Yi : « Le cannibalisme pendant la Révolution Culturelle au Guangxi correspond au despotisme sanguinaire du Parti communiste »76. Il qualifie ainsi ces faits : « une atrocité organisée, armée par la théorie de la dictature du prolétariat, de la lutte des classes du marxisme-léninisme et de la pensée de Mao »77. En ce sens, on peut véritablement parler ici de « cannibalisme culturel »78.

  • 79  Cf. Lu Xun, Fleurs du matin cueillies le soir, François Jullien (trad.). Lausanne : A. Eibel, 1976 (…)
  • 80  Cf. « Le cannibalisme au Guangxi » (extrait de Stèles rouges de Zheng Yi), op. cit., p. 74.
  • 81  Cf. Cris, op. cit., p. 205.

36On pense aussitôt au récit de Lu Xun, Fleurs du matin cueillies le soir (Zhao hua xi shi 朝花夕拾), écrit en 1928. L’auteur se serait inspiré de la tragédie arrivée à l’un de ses amis rencontré au Japon et devenu gouverneur de l’Anhui. Le malheureux fut mis à mort puis son cœur et son foie furent donnés à manger aux soldats du gouvernement79. On pense également à la nouvelle de Lu Xun « Le journal d’un fou » vue plus haut, à propos de laquelle Zheng Yi écrit » « Ce qui n’était que du symbolisme dans son roman était malheureusement devenu réalité dans la grandiose et radieuse société socialiste. »80 Pour Sébastian Veg, le cannibalisme renvoie in fine à « la lutte de tous contre tous »81.

37Ma Jian ajoute sa pierre à l’édifice concernant les faits qui se sont déroulés dans le Guangxi sous la Révolution culturelle, toujours dans son roman Beijing Coma. Alors que le protagoniste effectue un voyage dans le fameux district de Wuxuan (où Zheng Yi mena ses investigations), il rencontre un certain Docteur Song qui lui raconte :

  • 82  Ma Jian, Beijing Coma, op. cit., pp. 89-90.

« Ici, [dans le Guangxi], ce n’est pas la faim qui poussait les gens au cannibalisme. C’était la haine. »
Je ne voyais pas ce qu’il voulait dire.
« Il ne leur suffisait pas d’exécuter leurs ennemis ? Pourquoi fallait-il qu’ils les mangent en plus ?
— C’était en 1968, une des années les plus violentes de la Révolution culturelle. [Dans le Guangxi], tuer les ennemis de classe n’était pas suffisant, les comités révolutionnaires locaux forçaient les gens à les manger en plus. Au début, les cadavres des ennemis étaient mis à mijoter dans de grandes cuves avec des pieds de porc. Mais à mesure que la campagne progressait, il y avait trop de cadavres, et seuls le cœur, le foie et la cervelle étaient cuits. […] Tu vois ces volumes que mon équipe de chercheurs vient de retrouver : Chroniques de la Révolution culturelle dans la province du Guangxi. Regarde, il est écrit ici que dans la province du Guangxi, en 1968, plus de 100 000 personnes ont été tuées, et que dans le seul district de Wuxuan, 3523 personnes ont été assassinées, et que 350 d’entre elles furent mangées. Si je n’avais pas été emprisonné en août de cette année-là, j’aurais sans doute été tué moi aussi. »82

38Il nous raconte plus en détail les actes de l’ethnie Zhuang de la province du Guangxi, dans son autre roman Chemins de poussière rouge (Hongchen 红尘), en reprenant les faits présentés plus haut concernant une professeure :

  • 83  Ma Jian, Chemins de poussière rouge, Jean-Jacques Bretou (trad. de l’anglais). Paris : « J’ai lu » (…)

J’ai passé une grande partie du mois dernier dans le village de Longzhou près de la frontière vietnamienne. […] J’ai pensé aux étudiants du village voisin qui ont massacré leur professeur pendant la Révolution culturelle. Pour prouver leur dévotion au Parti, ils l’ont découpé en morceaux, fait cuire dans une bassine avant de la manger pour le dîner. Comme ils avaient pris goût aux abats frais, avant de tuer leur victime suivante, ils lui ont ouvert le ventre et lui ont tapé dans le dos pour faire tomber le foie encore chaud dans leurs mains. Les villages locaux ont dû consommer environ trois cents ennemis de classe ces années-là.83

  • 84  Georges Guille-Escuret, Sociologie comparée du cannibalisme, vol.2 , op. cit., pp. 116-117.

39Ma Jian s’est-il inspiré de l’enquête de Zheng Yi ou bien a-t-il réellement entendu parler de ces faits connus de tous dans la région ? Quoi qu’il en soit, si barbares soient-ils, ces événements sont à relativiser. Georges Guille-Escuret voit dans l’étude de Zheng Yi un pessimisme extrême et un jugement généralisé et partial sur une nation chinoise présentée comme barbare, alors qu’à ses yeux, les pratiques cannibales de l’ethnie Zhuang du Guangxi étaient surtout influencées par un passé chamanique ancestral et par la tradition d’un cannibalisme guerrier84.

Conclusion

40Au fil de notre article, nous avons présenté les différentes motivations poussant à la consommation de chair humaine en Chine : guerres, vengeances, famines, idéologie, piété filiale, croyances médicales, rituels ancestraux, penchants culinaires. Nous avons vu les multiples influences que les événements historiques ont eues sur les auteurs anciens, notamment de recueils de contes du premier millénaire, mais aussi sur les auteurs modernes (Lu Xun) et contemporains (Han Shaogong, Mo Yan, Chen Zhongshi, Ma Jian). Il y en a assurément une multitude d’autres.

41Les écrivains chinois sont tout à fait au courant de l’existence de ces pratiques, ils en ont tous plus ou moins entendu parler. L’aveu de Mo Yan à ce sujet est significatif :

  • 85  Voir plus haut, note 8.
  • 86  Nous avons fait le choix de ne pas traiter du cannibalisme dans le Shuihu zhuan 水浒传, car il s’agit (…)
  • 87  Cf. Dutrait Noël, « Le pays de l’alcool de Mo Yan », op. cit., p. 60. Sur cette dernière phrase, o (…)

Existe-t-il réellement dans la société chinoise des faits de cannibalisme ? Historiquement, c’est sûr. Prenez l’exemple de Yi Ya à l’époque des Royaumes Combattants, qui a donné son fils à manger au duc Huan de Qi85. D’autres faits sont attestés à l’époque féodale ; la piété filiale contraignait à donner sa propre chair pour soigner ses parents ; Lu Xun et son Journal d’un fou qui se termine par l’appel « Sauvez les enfants » ; les témoignages de Zheng Yi à l’époque de la Révolution culturelle sur des actes de cannibalisme dans le sud du pays. Tout prouve que le cannibalisme a existé. On en trouve aussi des traces dans le Roman des Trois Royaumes ou dans Au bord de l’eau86 ; mais pour ce qui est de notre époque, nous n’avons pas réellement de preuves que des enfants aient été dévorés, comme je l’écris dans mon roman où le cannibalisme a une valeur plutôt symbolique.87

42La consommation de chair humaine, c’est un fait, a été récurrente dans l’Histoire de Chine et a laissé une empreinte indélébile, et ce jusqu’au siècle dernier. La grande diligence des historiographes et des écrivains chinois, mais aussi le travail énorme fourni par les spécialistes ou chercheurs chinois et européens — dont vous avons à de multiples reprises cité les ouvrages — nous ont permis d’en faire une étude succincte mais complète du sujet : nous leur sommes redevables de tant de sincérité sur une pratique, rappelons-le, généralement taboue et condamnée.

43Reste à savoir si le cannibalisme continuera ou non d’influencer les auteurs chinois, et donnera lieu à de nouvelles études qui apporteront, peut-être, un nouvel éclairage sur ces épisodes sombres de l’Histoire de Chine.

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Notes

1  Recueil de biji 笔记 de Duan Chengshi  段成式 (803-863).

2  Traduction personnelle. Texte original : « 无物不堪吃,唯在火候,善均五味。 » (Cf. Duan Chengshi 段成式, Xiyang zazu 酉阳杂俎, cité dans le Taiping guangji 太平广记 (TPGJ), juan 234, rubrique « Nourriture » 食, récit « Bai zhangni » 败障泥. Cf. Li Fang 李昉, Taiping Guangji. Beijing : Zhonghua shuju, 1986, p. 1794.).

3  A propos de la terminologie utilisée dans notre article, précisons que l’anthropophagie désigne le fait de consommer de la viande humaine (peu importe l’espèce animale qui consomme cette viande), alors que le cannibalisme désigne le fait de manger un individu de la même espèce que la sienne. À ce titre, lorsqu’on parle des êtres humains, un cannibale est forcément anthropophage et vice versa. Les deux termes seront donc utilisés dans notre article, même si nous privilégierons le mot « cannibalisme », qui peut posséder en outre, selon le contexte, une connotation rituelle.

4  Cf. Lin Ling 林翎, « Zhongguo lishishang zui beican de yi ye : chi renrou » 中国历史上最悲惨的一页:吃人肉 (« L’une des pages les plus tragiques de l’Histoire de Chine : le cannibalisme »), in Zhongyang ribao 中央日報, avril 1989, Editions Changhe, p. 1 : « 中国人吃人的经验可能是世界上最丰富的。. »

5  Robert des Rotours, « Quelques notes sur l’anthropophagie en Chine », T’oung Pao, n° 50, 1963, p. 387

6  Cf. Georges Guille-Escuret, Sociologie comparée du cannibalisme, vol. 2 : la consommation d’autrui en Asie et en Océanie. Paris : PUF, 2012, p. 89 et p. 91, d’après sa lecture de l’ouvrage de Key Ray Chong, Cannibalism in China. Wakefield : Longwood Academic, 1990, 200 p. Ledit ouvrage a été traduit en chinois sous la référence suivante : Key Ray Chong 鄭麒來, Zhongguo gudai de shiren, ren chi ren xingwei toushi 中國古代的食人: 人吃人行為透視. Beijing : Zhongguo she hui ke xue, 1994. Voir particulièrement la partie 5 sur la littérature.

7  Voir notamment les références présentées en notes 5 et 6. Voir aussi Huang Wenxiong 黃文雄,, Zhongguo shiren shi 中國食人史 (Histoire du cannibalisme en Chine). Taipei : Qianwei, 2005, 235 p. D’autres ouvrages seront cités au fil de l’article.

8  Sima Qian, Shiji, « Qi taigong shijia » 齐太公世家

9  Cf. Guanzi 管子, « 小称 » : « 易牙以厨艺服侍齐桓公。齐桓公说:“只有蒸婴儿肉还没尝过。”於是易牙将其长子蒸了献给齐桓公吃. » Voir aussi Han Fei zi 韩非子, « 二柄·难一皆 » : « 齐桓公好味,易牙蒸其子首而进之。 ».

10  Connu aussi sous le nom de Lushi zashuo 卢氏杂说, écrit par Lu Yan 卢言 sous la dynastie des Tang.

11  Traduction personnelle. Texte original : « 唐张茂昭为节镇,频吃人肉,及除统军,到京。班中有人问曰:闻尚书在镇好人肉,虚实?”昭笑曰:“人肉腥而且肕,争堪吃。” » (Cf. Lushi zazi 卢氏杂记, in TPGJ, j. 261, rubrique « Raillerie » 嗤鄙, récit « Zhang Maozhao » 张茂昭, édition de référence p. 2035).

12  Cf. Chaoye qianzai 朝野佥载, in TPGJ, j. 267, rubrique « Actes de cruauté » 酷暴, récit « Dugu Zhuang » 独狐庄, p. 2094-2095.

13  Recueil de biji composé par Zhang Zhuo 张鷟 (657-730) sous la dynastie des Tang.

14  Traduction personnelle. Texte original : « 周杭州临安尉薛震好食人肉。有债主及奴诣临安,于客舍,遂饮之醉。杀而脔之,以水银和煎,并骨消尽。后又欲食其妇,妇觉而遁。县令诘得其情,申州,录事奏,奉敕杖杀之。 ». Cf. Chaoye qianzai 朝野佥载, in TPGJ, j. 267, rubrique « Actes de cruauté » 酷暴, récit « Xuezhen » 薛震, p. 2094).

15  Cf. Des Rotours, « Quelques notes sur l’anthropophagie en Chine », op. cit., p. 397. L’auteur cite un passage du Shiliu guo chunqiu 十六国春秋, « Hou zhao lu » 后赵录.

16  Cf. Marco Polo, La Description du monde, Pierre-Yves Badel (trad.), chapitre LXXIV. Paris : Le livre de Poche, coll. « Classiques », 2012, p. 140.

17  Ibidem, chapitre CLIV, p. 267.

18  Voir partie 5 du présent article, sur le cannibalisme guerrier.

19  Chen Zangqi, après avoir étudié minutieusement le Classique de Materia medica du Divin laboureur (Shennong bencao jing 神农本草经) (époque Han), considéré comme le plus grand classique de pharmacopée chinoise, estima qu’il y avait dedans beaucoup de lacunes, et décida d’y remédier en publiant un ouvrage plus complet.

20  Chen Zangqi 陈藏器, Bencao shiyi 本草拾遗 : « 人肉疗羸瘵 ».

21  Cf. Xin Tangshu 新唐书, chap. 195. Cité in Des Rotours, « Quelques notes sur l’anthropophagie en Chine », op. cit., p. 416. On peut se demander néanmoins s’il ne s’agit pas plutôt, en fait de « fils pieux », de « filles » et de « belles-filles » pieuses. Voir la partie suivante du présent article sur le cannibalisme et la piété filiale.

22  Cf. J. Becker, La grande famine de Mao (titre original : Hungry Ghosts, China’s secret Famine), Michel Pencréach (trad.). Paris : Dagorno, 1998, p. 302. Pour une étude poussée des parties du corps humains aux vertus médicinales présentées dans le Bencao gangmu, voir W.C. Cooper et Nathan Sivin, « Man as a Medicine: Pharmacological and Ritual Aspects of Traditional Therapy Using Drugs Derived from the Human Body », in Chinese Science : Exploration of an Ancient Tradition. Cambridge : The MIT Press, 1973, p. 203-272.

23  Cf. J. Becker, La grande famine de Mao, op. cit., p. 302.

24  « Le Journal d’un fou », in Cris, Sebastian Veg (trad.). Paris : Editions rues d’Ulm, 2010, p. 24.

25  Ibidem, note 7 p. 181.

26  Cf. Wells Williams, The Middle Kingdom. New York, (1847) 1899, vol. I, p. 514. Cité in Des Rotours, « Quelques notes sur l’anthropophagie en Chine », op. cit., p. 421. Voir aussi Edgar Snow, Living China. Londres, 1936, p. 29.

27  Cf. Cris, op. cit., p. 214. Voir la traduction intégrale de la nouvelle p. 39-48.

28  Cf. Han Shaogong, Pa pa pa (N. Dutrait, Hu Sishe, trad.). La Tour d’Aigues : Editions de l’Aube, coll. « Proche », 1995.

29  Cf. Noël Dutrait, « Le pays de l’alcool de Mo Yan [Entretien avec l’auteur] », Perspectives chinoises, n° 58, avril 2000, p. 60.

30  Connu en Occident sous le nom de Fruit Chan.

31  Concernant la consommation de fœtus humains, citons également les exhibitions controversées de l’artiste chinois contemporain Zhu Yu 朱昱 (1970 – ), se présentant comme le premier « artiste cannibale » et se délectant de soupes de fœtus humains dans le simple but de choquer. Pour plus d’informations sur cet artiste, mais aussi sur le fait de manger des fœtus en Chine et à Taiwan, voir l’article de Meiling Cheng, « Violent Capital: Zhu Yu on File », The Drama Review, Vol. 49, No. 3 (Autumn, 2005), The MIT Press, p. 58-77.

32  On trouve parfois le terme 股 (signifiant « la cuisse ») à la place de 骨 (« l’os »). Voir à ce sujet l’intervention de Chün Fang Yü de l’Université de Rutgers : « Filial Piety, Iatric Cannibalism and the Cult of Kuan-yin in Late Imperial China », AAS Convention, Washington, avril 1994.

33  Cf. J. Becker, La grande famine de Mao, op. cit., p. 302.

34  Cf. Key Ray Chong, Cannibalism in Chine, p. 159. Cité in Georges Guille-Escuret, Sociologie comparée du cannibalisme, vol. 2, op. cit., p. 91-92.

35  Sur le fait de s’approprier l’âme d’un défunt respecté à travers l’endo-cannibalisme (principalement sous la préhistoire), voir l’article de M. Patou-Mathis, « Aux racines du cannibalisme », La Recherche, janvier 2000.

36  Des Rotours, « Quelques notes sur l’anthropophagie en Chine », op. cit., p. 416.

37  Nous avons trouvé le résumé de cette pièce sur le site http://www.luquanren.com/Article/ShowArticle.asp?ArticleID=302. Dernière date de consultation : 20 mai 2015.

38  Cf. Cris, op. cit., p. 205. Malgré tout, rappelons que ce ne sont pas toujours les jeunes qui se sacrifient pour les vieux. A la fin de la nouvelle Ba ba ba de Han Shaogong, en pleine période de famine, le tailleur Zheng prépare une décoction mortelle pour supprimer les vieillards (dont lui-même), les impotents et les bébés, afin de laisser plus de chances de survie aux jeunes gens, faisant passer la lignée avant tout. Tout le monde boit le breuvage volontairement.

39  Tout le monde a à l’esprit le naufrage de la frégate Méduse, de la Marine française, échouée au large de la Mauritanie en 1816 : une minorité de naufragés ayant pris place sur un radeau survécut, principalement grâce à la consommation de chair humaine. Il en fut de même pour les survivants du crash aérien du vol 571 Fuerza Aérea Uruguaya dans la cordillère des Andes le 13 octobre 1972. Pour plus d’informations à ce sujet, voir l’article en ligne du Point du 20/12/2012, « Sauvetage de seize rugbymen cannibales dans les Andes. ». http://www.lepoint.fr/c-est-arrive-aujourd-hui/20-decembre-1972-bien-avant-chabal-il-existait-deja-des-rugbymen-cannibales-dans-les-andes-20-12-2012-1604056_494.php

40  Rémi Mathieu, Anthologie des mythes et légendes de la Chine ancienne. Paris : Gallimard, coll. « Connaissance de l’Orient », 1989, p. 113

41  Cf. Sima Guang 司马光, Zizhi tongjian 资治通鉴 (Miroir compréhensif pour aider le gouvernement), juan 17 : « Da ji, ren xiang shi » 大饥,人相食.

42  Cf. Ying Shao 应劭 (140 – 206), Fengsu tongyi 风俗通义 (« Généralités sur les moeurs et les coutumes »), « 皇霸·五伯».

43  Traduction personnelle. Texte original : « 隋末荒乱,狂贼朱粲起于襄、邓间。岁饥,米斛万钱,亦无得处,人民相食。粲乃驱男女小大,仰一大铜钟,可二百石,煮人肉以喂贼。生灵歼于此矣。»,Cf. Chaoye qianzai, in TPGJ, j. 267, rubrique « Actes de cruauté », récit 朱粲, p. 2093.

44  Nous ne traiterons pas de tous ces cas en détail. Un grand nombre ont déjà été minutieusement répertoriés dans les articles de Robert des Rotours (« Quelques notes sur l’anthropophagie en Chine », op. cit. et « Encore quelques notes sur l’anthropophagie en Chine », T’oung Pao, n° 54, 1/3, Leiden : Brill, 1968, p. 1-49) ainsi que dans l’ouvrage de Key Ray Chong, Cannibalism in China, op. cit.

45  Cf. Ji Yun 纪昀, Yuewei caotang biji 阅微草堂笔记, « 滦阳消夏录 », juan 2 : « 盖前崇禎末,河南 、山东大旱蝗,草根树皮皆尽,乃以人为粮,官吏弗能禁。妇女幼孩反接鬻于市,谓之菜人 婦女幼孩,反接鬻於市,謂之菜人 ». Voir la traduction de Jacques Dars in Ji Yun, Passe-temps d’un été à Luanyang. Paris : Gallimard, coll. « Connaissance de l’Orient », 1998, p. 135, « Humains à cuisiner » : « C’est qu’à la fin de l’ère Chongzhen de la précédente dynastie, quand par suite de la sécheresse et des ravages de sauterelles au Henan et au Shandong il ne resta plus ni racines ni écorces, on se nourrit de chair humaine, sans que les fonctionnaires officiels pussent l’interdire. Femmes et jeunes enfants, mains liées derrière le dos, étaient vendus sur les marchés comme « humains à cuisiner », que les bouchers achetaient et emmenaient pour les débiter tels des moutons ou des porcs. »

46  Theodore White, A la quête de l’Histoire, Henri Rollet (trad.). Montréal : Stanké, 1979, p. 165-167. Pour la version originale, voir T. White, In search of History. Harpercollins, 1978, 561 p.

47  Cf. Cris, op. cit., p. 281.

48  Ibidem, p. 28.

49  Ibid., p. 29.

50  Cf. Chen Zhongshi, Au pays du cerf blanc, Shao Baoqing / Solange Cruveillé (trad.). Paris : Le Seuil, 2012, p. 378.

51  Cf. Yang Jisheng 楊繼繩,, Mubei : Zhongguo liushi niandai da jihuang jishi 墓碑——中國六十年代大饑荒紀實. Taïwan : Tiandi tushu, 2009, 660 p. Pour une traduction, voir Yang Jisheng, Stèles, la Grande famine en Chine, 1958-1961. Paris : Le Seuil, 2012, 660 p. Voir aussi Zhou Xun, The Great Famine in China, 1958-1962. Yale University Press, 2012.

52  Cf. J. Becker, La grande famine de Mao, op. cit., pp. 295-305.

53  Ibidem, p. 300.

54  Ma Jian, Beijing Coma, Constance de Saint-Mont (trad. de l’anglais). Paris : J’ai lu, « Par ailleurs », 2009, p. 88.

55  Nous aborderons ce point dans la partie 6.

56  Georges Guille-Escuret, Sociologie comparée du cannibalisme, vol. 2, op. cit., p. 97.

57  « Chidiao diren yige shi » 吃掉敌人一个师. Cf. Dictionnaire chinois-français 汉法词典,. Beijing : Shangwu yinshu guan, 2011, p. 87.

58  Cf. Robert des Rotours, « Quelques notes sur l’anthropophagie en Chine », op. cit., p. 389. Voir aussi Séraphin Couvreur, Tso tchouan. Ho kien fou, 1914, tome II, p. 205 ; et Marcel Granet, Danses et légendes de la Chine ancienne. Paris : Presses Universitaires de France, 1926, p. 164.

59  Cf. Sima Qian, Shiji, « Qingbu liezhuan » 黥布列传.

60  Des Rotours cite à ce sujet le Traité des châtiments et des Lois (Xingfa zhi 刑法志), dont un passage décrit les différentes façons de cuire les restes d’un condamné : en hachis, avec ou sans les os, mélangés avec des légumes ou avec de la viande, en gros ou en petits morceaux… Les destinataires de ce genre de préparation sont avertis de la nature de la viande, et se contentent souvent de la considérer comme un avertissement. Mais il arrive également qu’ils soient tenus d’en consommer, pour prouver leur solidarité envers leur souverain et leur haine à l’égard du traître (Cf. « Quelques notes sur l’anthropophagie en Chine », op. cit., pp. 391-392).

61  Source : Sima Guang, Zizhi tongjian 资治通鉴, juan 111 : « 醢诸县令,以食其妻子;不肯食者,辄支解之». Traduction Robert des Rotours, « Quelques notes sur l’anthropophagie en Chine », op. cit. ,p. 398.

62  Traduction personnelle. Texte original : « 周岭南首陈元光设客,令一袍裤行酒。光怒,令曳出,遂杀之。须臾烂煮,以食诸客。后呈其二手,客惧,攫喉而吐。 » (Cf. Zhiyan 摭言, in TPGJ, j. 267, rubrique « Actes de cruauté » 酷暴, récit « 陈元光 », p. 2094).

63  Cf. Yutang xianhua 玉堂闲话, in TPGJ, j. 269, rubrique « Actes de cruauté », récit « Zhao Siwan » 赵思绾, p. 2114.

64  Voir à ce sujet le court article de Lin Ling 林翎, « 中国历史上最悲惨的一页:吃人肉 », op. cit., p. 2.

65  Tao Zongyi, Chuogeng lu, chap. 9 : « 想肉天下兵甲方殷,而淮右之军嗜食人,以小儿为上,妇女次之,男子又次之. »

66  Cf. Lin Ling, op. cit., p. 4 : « 战争真正可怕的地方不是在于屠戮生命,而是在于摧残人性。 »

67  Cf. Han Shaogong, Pa pa pa, N. Dutrait (trad.), op. cit., p. 7

68  Cf. Jasper Becker, La grande famine de Mao, op. cit., p. 301.

69  Cf. J. Becker, op. cit. p. 304. Voir aussi Georges Guille-Escuret, Sociologie comparée du cannibalisme, vol.2, op. cit., p. 107.

70  Cf. J. Becker, op. cit., p. 304.

71  Zheng Yi, Stèles rouges, Françoise Lemoine & Anne Auyeung (trad.). Paris : Bleu de Chine, 1999, 288 p. Au départ, Zheng Yi avait commencé son enquête dans le but d’écrire un roman. Ce qu’il découvrit le fit changer d’avis et donna lieu à la publication même de l’enquête. Mais pour ce faire, Zheng Yi dut quitter la Chine continentale. Le livre est paru d’abord à Taïwan. Il vit aujourd’hui avec sa femme aux Etats-Unis. Pour plus d’informations sur cet auteur et l’histoire de la rédaction de ce livre, voir Michel Bonnin, Perspectives chinoises, n° 11-12, janvier/février 1993, pp. 68-71. Voir aussi Jacques Andrieu, « Les gardes rouges : des rebelles sous influence », Revue Cultures et Conflits, n° 18, 1995, pp.121-164. Pour une étude contextualisée des événements présentés dans le livre de Zheng Yi, voir enfin Donald Sutton, « Consuming Counterrevolution: The Ritual and Culture of Cannibalism in Wuxuan, Guangxi, China, May to July 1968 », Comparative Studies in Society and History, n° 37, 1995, pp. 136-172.

72  10 000 personnes pour l’ensemble de la région.

73  Voir le compte-rendu de l’ouvrage rédigé par Max Lagarrigue, in Communisme, n° 65/66, L’âge d’homme, 2001, p. 272.

74  Sur ces faits, le lecteur intéressé pourra se reporter à l’article « Le cannibalisme au Guangxi » (extrait de Stèles rouges de Zheng Yi), traduit par Annie Au-Yeung et Françoise Lemoine-Minaudier, paru dans la revue Perspectives chinoises, n° 11-12, 1993, pp. 72-83.

75  Notons néanmoins qu’à la fin de la Révolution Culturelle, certaines victimes ont été réhabilitées, et certains bourreaux ont été condamnés. Certains témoins ou acteurs avouent regretter leurs actes, d’autres s’être sentis obligés de le faire. D’autres encore, toutefois, gardent le silence ou continuent à vouer une haine féroce aux descendants de leurs victimes, même vingt ans plus tard (cf. Ibidem, p. 81).

76  Voir le compte-rendu de lecture de Jean-Jacques Gandini in Perspectives chinoises n° 57, janvier-février 2000, p. 100.

77  Zheng Yi, Stèles rouges, op. cit., p. 163.

78  Une petite nuance à apporter cependant à cette qualification, puisqu’on relève dans l’ouvrage que les personnes âgées qui mangeaient la chair des victimes considéraient principalement la vertu médicale de la chair humaine (avant l’aspect idéologique du cannibalisme). Dans son compte-rendu, Jean-Jacques Gandini explique en effet : « Ce qui est consommé en priorité ce sont les viscères qui sont censés guérir divers maux selon les croyances locales : la cervelle, le cœur, les intestins, l’utérus et surtout le foie, réputé donner du courage et être en outre un puissant tonique. […] La consommation de cervelle était aussi prisée par les vieillards qui en escomptaient un regain de jeunesse. » (op. cit., pp. 98-99).

79  Cf. Lu Xun, Fleurs du matin cueillies le soir, François Jullien (trad.). Lausanne : A. Eibel, 1976, p.152 (cité dans Cris, op. cit., note 13 p. 181).

80  Cf. « Le cannibalisme au Guangxi » (extrait de Stèles rouges de Zheng Yi), op. cit., p. 74.

81  Cf. Cris, op. cit., p. 205.

82  Ma Jian, Beijing Coma, op. cit., pp. 89-90.

83  Ma Jian, Chemins de poussière rouge, Jean-Jacques Bretou (trad. de l’anglais). Paris : « J’ai lu », 2014, p. 344.

84  Georges Guille-Escuret, Sociologie comparée du cannibalisme, vol.2 , op. cit., pp. 116-117.

85  Voir plus haut, note 8.

86  Nous avons fait le choix de ne pas traiter du cannibalisme dans le Shuihu zhuan 水浒传, car il s’agit là d’un cannibalisme involontaire : le couple de taverniers tue les voyageurs riches et se débarrasse de leur chair dans la farce de leurs petits pains, mais les consommateurs desdits petits pains ne sont pas au courant du contenu de leur nourriture.

87  Cf. Dutrait Noël, « Le pays de l’alcool de Mo Yan », op. cit., p. 60. Sur cette dernière phrase, on peut toutefois objecter que la pratique de consommer des fœtus humains à des fins médicinales est bien un acte de cannibalisme contemporain sur les enfants (même si ces derniers sont encore au stade de fœtus). Mo Yan lui-même reconnaît d’ailleurs s’être inspiré de cette pratique pour son roman (voir plus haut, note 29).

References

Electronic reference

Solange Cruveillé, “La consommation de chair humaine en Chine”Impressions d’Extrême-Orient [Online], 5 | 2015, Online since 15 September 2015, connection on 09 January 2023. URL: http://journals.openedition.org/ideo/379

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Solange Cruveillé

IRIEC, Université Paul-Valéry

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Voir de plus:

Chine : avec un mandat illimité, « un système à vie », le président Xi Jinping suscite la critique

L’Assemblée populaire de Chine, réunie à partir de lundi, devrait voter sans ciller un mandat illimité à l’actuel président, Xi Jinping. Une mesure que des Pékinois ne se privent pourtant pas de critiquer.

Dominique André
Radio France

L’Assemblée nationale populaire (ANP) de Chine se réunit à partir de lundi 5 mars pendant près de deux semaines. Sans surprise, les délégués chinois devraient voter la modification de la Constitution voulue par le président chinois, en supprimant la limite à deux mandats pourtant prévue Deng Xiaoping dans les années 1980. Une mesure qui ne fait pas l’unanimité parmi les Pékinois.

Xi Jinping dans les pas de Mao Tsé-toung ?

Xi Jinping est chef d’Etat depuis 2013. À 64 ans, il entame un deuxième mandat prévu jusqu’en 2023. Sans limite dans le temps cette fois, il occupe aussi les fonctions de secrétaire général du Parti communiste chinois et de président de la Commission militaire centrale. Une modification constitutionnelle, soumise aux députés, pourrait offrir au président un mandat illimité. Pourtant, en 1982, le numéro un chinois, Deng Xiao Ping, l’architecte de la Chine moderne avait introduit ce plafond à deux mandats pour prévenir la concentration excessive du pouvoir, comme l’avait montré le règne de Mao Tsé de 1949 à 1976. La mesure, qui est un séisme politique, ne plaît pas à certains Pékinois. Ils ne veulent pas revenir en arrière. « Il faut suivre l’envie du peuple avant de décider de la modification de la Constitution, sinon c’est inutile », n’hésite pas à clamer un habitant. « Je ne suis pas d’accord avec un système à vie », ajoute-t-il.

Les temps ont changé. Il faut laisser les nouvelles générations participer au gouvernement de notre pays. Il faut du sang neuf, c’est comme ça qu’on arrivera à avancer.

Un Pékinois sur la modification constitutionnelle

à franceinfo

Une Pékinoise renchérit et s’interroge sur le pouvoir et l’âge. « Je trouve qu’il ne faut pas rester au pouvoir à vie. Chaque individu a la capacité à réaliser beaucoup de projets tant qu’il est en forme. Mais ça n’est plus possible quand on vieillit, qu’on est fatigué », assène-t-elle. Cette femme précise qu’elle se contentait, jusqu’ici, d’« un système plutôt démocratique avec des réunions régulières », comme celle qui commence lundi.

Depuis l’annonce du projet présidentiel, il y a une semaine, les réseaux sociaux sont surveillés par la censure. Et parmi les experts chinois, ceux qui ne soutiennent pas la décision sont priés de se taire.

Voir encore:

La Chine avance à grand pas dans la modification de sa météo

L’Empire du Milieu s’apprête à fortement amplifier un programme expérimental de modification des conditions météorologiques. La zone concernée représentera une fois et demi la superficie de l’Inde.

La Chine, une puissance montante au point de faire la pluie et le beau temps ? La réalité devrait bientôt rattraper l’expression. En développant massivement un programme de modification des conditions météorologiques, le pays pourra, d’ici 2025, infléchir la météo grâce aux avancées spectaculaires de la recherche en matière « d’ensemencement » des nuages, rapporte CNN. Si cette technologie n’est pas nouvelle, l’ampleur du programme impressionne : la zone concernée couvrira une surface de 5,5 millions de kilomètres carrés, soit une fois et demi la superficie de l’Inde.

Le concept d’ensemencement des nuages, déjà connu, consiste à injecter de petites quantités d’iodure d’argent dans les nuages qui comportent un taux d’humidité élevé, ce qui provoque la condensation des particules, puis des précipitations. Pékin est familière de cette technologie, utilisée notamment lors des JO de 2008 pour assurer un ciel dégagé pendant les épreuves sportives, ou encore lors des grandes exhibitions politiques dans la capitale.

Un enjeu stratégique

À l’heure où le dérèglement climatique menace, la maîtrise de cette technologie permettrait à la Chine de préserver ses régions agricoles des chutes de grêle, de lutter plus efficacement contre les grands feux de forêt, ou encore de parer aux périodes de sécheresse. L’année dernière, l’agence de presse chinoise Chine nouvelle annonçait en effet que la manipulation météorologique avait permis de réduire de 70% les dommages provoqués par la grêle sur les cultures dans le Xinjiang. Cette technologie a toutefois nécessité un investissement massif de la part du gouvernement chinois qui a, au total, déboursé pas moins de 1,34 milliard de dollars entre 2012 et 2017.

Cet engouement fait cependant tiquer certains pays, comme l’Inde justement. Les deux pays, qui partagent une frontière le long de l’Himalaya, s’y étaient confrontés lors de violents heurts en juin 2020. L’Inde se demande depuis plusieurs années si la modification météorologique et les chutes de neige artificielles ne pourraient pas donner l’ascendant à la Chine en cas de conflit futur dans cette zone montagneuse où les mouvements de troupes sont essentiels.

Voir enfin:

Polémique sur les crèches de Noël : « On devrait supprimer Noël dans ce cas » ironise Pierre Charon
Avant les fêtes de Noël, c’est une polémique que la droite avive volontiers. La semaine dernière, le conseil général de Vendée, présidé par le président du groupe UMP du Sénat, Bruno Retailleau, a dû retirer la crèche de Noël qu’il avait installée.
François Vignal
Public Sénat
08 déc 2014

Avant les fêtes de Noël, c’est une polémique que la droite avive volontiers. La semaine dernière, le conseil général de Vendée, présidé par le président du groupe UMP du Sénat, Bruno Retailleau, a dû retirer la crèche de Noël qu’il avait installée. Saisi par une association de défense de la laïcité, le tribunal administratif a motivé sa décision au nom du principe de séparation de l’Église et de l’État. La décision passe mal en Vendée, terre de tradition catholique forte, et chez une partie de la droite. « Bientôt, il faudra supprimer le mot Dieu de tout notre vocabulaire », ironise Pierre Charon, sénateur UMP de Paris, qui y voit une décision anti-chrétienne « au moment où ils sont martyrisés dans une partie du monde ». Ce sarkozyste renvoie à une réponse du ministère de l’Intérieur, datant de 2007, qui affirmait que « le principe de laïcité n’impose pas aux collectivités territoriales de méconnaître les traditions issues du fait religieux ». Le ministre était à l’époque Nicolas Sarkozy. Entretien.

Vous dénoncez la décision du tribunal administratif de Nantes qui a demandé au conseil général de Vendée de retirer la crèche de Noël qu’il avait installée. Pourquoi ?
J’ai été outré par cette décision et par celui qui l’a demandée. C’est une provocation. Nous avions déjà connu dans les années précédentes des demandes pour retirer les sapins de Noël, car ce serait un signe ostentatoire. Je trouve la décision du tribunal très agressive vis-à-vis du président du conseil général, surtout en Vendée. Bientôt, il faudra supprimer le mot Dieu de tout notre vocabulaire. C’est un peu insensé. Il faut arrêter les provocations.

Mais qu’est-ce qu’une crèche de Noël a à faire dans le hall d’un conseil général ou d’une mairie ?
Toutes les mairies mettent des sapins de Noël partout. Ou alors on décide d’enlever toutes les églises du pays, car c’est aussi un signe ostentatoire religieux. Il faut arrêter de répondre à quelques babas cool écervelés à un moment où tout ça est très crispant dans la société. On prend la décision de retirer une crèche juste avant Noël, alors que cette fête est uniquement féérique. Ça n’a rien à voir avec la religion. On devrait se demander si on supprime Noël dans ce cas. La connerie n’a pas de limites…

La laïcité impose pourtant une neutralité des bâtiments publics…
Il faut du discernement. C’est ça le vivre ensemble. La réponse du ministre de l’Intérieur à une question écrite en mars 2007 l’explique tout a fait. (NDLR : à une question de Jean-Luc Mélenchon, alors sénateur, au sujet d’une crèche installée par une mairie, le ministère de l’Intérieur, dirigé à l’époque par Nicolas Sarkozy, répond que « le principe de laïcité n’impose pas aux collectivités territoriales de méconnaître les traditions issues du fait religieux qui, sans constituer l’exercice d’un culte, s’y rattachent néanmoins de façon plus ou moins directe. Tel est le cas de la pratique populaire d’installation de crèches, apparue au XIIIe siècle. Tel est le cas aussi de la fête musulmane de l’Aïd-el-Adha ».) Sans discernement, on supprime tout. L’Hôtel-Dieu doit changer de nom dans ce cas… Les musulmans ne le demandent même pas. Ceux qui demandent cela sont des ramassis de gens hors-sol et anti-calotin. Il ne faut pas y céder.

Mais il y a aussi le préfet qui a demandé à Robert Menard, maire de Beziers, soutenu par le FN, de retirer la crèche qu’il a installée car elle contrevient « aux dispositions constitutionnelles et législatives garantissant le principe de laïcité »…
C’est une erreur. C’est souffler sur des braises.

Qualifieriez-vous ces décisions d’anti-chrétiennes ?
Oui, au moment où les chrétiens sont martyrisés dans une partie du monde, je crois qu’il faut arrêter. On ne va pas brûler les minarets et faire sauter les synagogues. Arrêtons les bêtises. Noël, c’est féérique et je crois qu’on doit croire au Père-Noël le plus longtemps possible.

Voir enfin:

[Entretien] Douglas Murray : l’Occident en ligne de mire

Une attaque en règle contre notre civilisation est en cours, alimentée par la haine de soi et l’antiracisme, avertit Douglas Murray.

Valeurs actuelles. Avortements forcés parfois tardifs jusqu’à il y a peu, internements forcés : la Chine est plus que critiquable en matière de droits de l’homme et bénéficie pourtant d’une étonnante indulgence. Seul l’Occident, en effet, semble responsable de tous les maux de la planète et focalise les critiques : il serait raciste, esclavagiste, patriarcal, discriminatoire…

Désormais, dénonce Douglas Murray dans son nouvel ouvrage, « l’Occident ne peut jamais bien agir tandis que le reste du monde ne pourrait jamais mal se comporter ». L’écrivain, journaliste et commentateur politique avait déjà commencé à évoquer sans concessions la disparition de la civilisation européenne dans son best-seller l’Étrange Suicide de l’Europe, immigration, identité, islam (L’Artilleur). Une réflexion percutante qu’il avait poursuivie avec la Grande Déraison, race, genre, identité (L’Artilleur) en exposant les dangers posés par la “politique de l’identité”, dont l’antiracisme.

Avec Abattre l’Occident, l’intellectuel britannique poursuit son analyse en montrant comment une véritable guerre est menée contre l’Occident par une partie de ses propres habitants. Un ouvrage coup de poing, qui illustre les aberrations idéologiques du système de pensée perverti qu’il dénonce à l’aide de nombreux exemples.

Vous faites le parallèle entre les attaques que subirait actuellement l’Occident avec les conflits du XXe siècle, notamment la guerre froide ?

​Douglas Murray. Comme au XXe siècle, une guerre a été déclarée contre l’Occident. Certes, elle est différente dans le sens où il s’agit d’une guerre culturelle destinée à combattre la tradition occidentale. Mais, un peu comme lors de la guerre froide, c’est le camp de la démocratie, des droits et des principes universels, de la raison qui se trouve menacé.

Bien sûr, les attaques contre l’Occident en ce moment sont différentes de la plupart des conflits précédents. Parce que ce sont des attaques qui sont portées sur nous-mêmes PAR nous-mêmes. Il y a de nombreuses variantes de l’antioccidentalisme. Il y a l’antioccidentalisme chinois, l’antioccidentalisme arabe et bien d’autres encore. Mais celui qui me préoccupe est l’antioccidentalisme occidental, c’est-à-dire l’attaque de nos propres fondements civilisationnels par des personnes issues de nos propres sociétés. Il s’agit d’une remise en question radicale de notre histoire et des éléments qui constituent les bases de notre fierté, de notre identité et de nos valeurs.

Même si des gens comme le Kremlin et le Parti communiste chinois (PCC) font tout pour en profiter, il s’agit d’abord d’une attaque que nous menons contre nous-mêmes. Alors qu’avant, nous étions fiers et que nous défendions notre culture occidentale, nous entendons désormais un discours acerbe selon lequel il faudrait la démanteler. On ne veut plus la transmettre, l’étudier, ou alors sous un angle biaisé et accusateur. En revanche, n’importe quelle culture qui n’est pas occidentale se retrouve célébrée et vénérée.

Pourquoi un tel autodénigrement ?

Si ce mépris de la culture occidentale se propage à grande échelle, c’est par ignorance : on n’apprend aux jeunes générations incultes que les parties sombres de son histoire, on en fait une lecture biaisée et on passe sous silence tous les apports qu’elle a pu donner à notre monde.

Nous avons offert de considérables avancées scientifiques, économiques, musicales, etc. La culture occidentale est celle qui vit s’épanouir le Bernin, Vinci, Michel-Ange, Mozart, Bach, La Fontaine, Pascal et tant d’autres. Elle fit sortir de la misère des millions d’individus et fit briller les lumières de l’esprit. Mais on apprend aux écoliers son rôle dans l’esclavage et ses autres fautes sans contrebalancer par ses richesses.

Les artisans de ce déséquilibre sont des idéologues qui voient le monde sous un rapport de domination et à travers la politique des identités. L’Occident est vu comme raciste et patriarcal et doit alors expier ses fautes.

Vous montrez comment cette haine de soi occidentale est exploitée sur le plan géopolitique…

Oui, le mal vient de l’intérieur, mais il est exploité de l’extérieur. Cette haine de soi est un mal typiquement occidental que certaines puissances sont ravies d’exploiter. Comme je le montre dans mon livre, les communistes chinois trouvent particulièrement commode d’être confrontés à un concurrent occidental qui ne cesse de répéter à quel point il est raciste. Pendant ce temps, le PCC peut s’en tirer notamment en envoyant au bas mot 1 million de personnes dans des camps de concentration. Par exemple, au cours d’une session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, au cours de l’été 2021, Zhao Lijian, porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois, a déclaré devant la presse internationale que le monde occidental devait faire un « examen de conscience profond » pour lutter contre le « racisme systémique » et « la discrimination raciale ». Et ce, alors qu’un certain racisme décomplexé existe en Chine… Le Parti communiste chinois transforme ainsi les faiblesses occidentales en armes.

Obsédés par nos fautes, nous sommes incapables de voir les atteintes aux droits de l’homme qui ont lieu dans certains pays et toute une compréhension du monde nous échappe.

J’ai parlé à des personnes qui ont souffert des régimes de Corée du Nord, de Chine, de Russie et de bien d’autres pays, et elles sont tout simplement stupéfaites que les pays les plus libres – les nôtres, en Occident – soient les plus obsédés par cette autocritique qui mène à l’autodénigrement, au dégoût de soi et finalement à l’automutilation. Obsédés par nos fautes, nous sommes incapables de voir les atteintes aux droits de l’homme qui ont lieu dans certains pays et toute une compréhension du monde nous échappe.

Vous montrez comment Karl Marx et Michel Foucault ont influencé cet antioccidentalisme. Pourtant, ils n’étaient pas de blanches colombes, loin de là. Comment expliquer l’indulgence dont ils bénéficient ?

Quant à Foucault, nous savons maintenant quelle personne épouvantable il était.

Tous deux étaient sans aucun doute des stylistes impressionnants, capables d’exposer avec force des idées qui étaient totalement absurdes. Cela requiert une certaine compétence. Comme je le mentionne dans mon livre, Marx était bien plus raciste que son époque. C’était un convaincu vraiment vicieux et désagréable. Pourtant, étrangement, les personnes qui se sont attaquées à tous les autres personnages historiques qui ne pensaient pas comme nous dans les années 2020 ne se sont pas encore attaquées à Marx. La raison en est évidente, bien sûr. Parce qu’ils l’admirent et veulent encore défendre ses idées. Une vision catastrophique et irréalisable. Quant à Foucault, nous savons maintenant quelle personne épouvantable il était. La révélation de ses abus sexuels sur de jeunes enfants en Afrique du Nord est à la fois choquante et sans surprise. Au cœur de ses idées, il y a une obsession absolue pour le pouvoir.

Le véritable principe d’organisation le plus puissant sur terre est l’amour.

Qui l’exerce et contre qui il est exercé. Bien sûr, Foucault est extrêmement contradictoire, mais il a fourni un cadre qui semble plaire à des personnes issues d’un large éventail de disciplines. Il est toujours l’un des penseurs les plus cités dans diverses écoles de pensée. J’espère que son temps sera bientôt révolu. Sa philosophie, telle qu’il la présente lui-même, est sauvagement anti-humaine et inadaptée à la tâche qui consiste à essayer de nous comprendre. Par exemple, considérer toutes les dynamiques humaines à travers le prisme du “pouvoir” est quelque chose qui ignore ce que je pense – et surtout ce que pensaient de grands penseurs comme Rilke -, à savoir que le véritable principe d’organisation le plus puissant sur terre est l’amour. Mais Foucault n’était pas très intéressé par cela. Ses disciples non plus. Et c’est un fait éloquent.

Nous vivons à l’ère du ressentiment.

La grande indulgence dont ils bénéficient doit sans doute au travail de sape que leurs travaux ont effectué sur les institutions occidentales. Si le racisme de Marx et les viols de Foucault sur des jeunes Orientaux restent passés sous silence, c’est parce qu’ils appartiennent au camp de la gauche politique. Et leurs œuvres continuent à être diffusées. Personne ne semble trouver à redire sur le fait que l’un des penseurs à l’origine du discours antioccidental satisfaisait son appétit sexuel en utilisant des jeunes mineurs autochtones dans des pays étrangers…

Vous mettez en garde contre les hommes de ressentiment, pourquoi ?

Eh bien, nous vivons à l’ère du ressentiment. Il faut toujours traiter Nietzsche avec beaucoup de prudence, et c’est ce que je fais, mais son travail sur la question dans la Généalogie de la morale est vraiment perspicace et d’une grande utilité pour notre époque. Par exemple, sa description des hommes gonflés par le ressentiment qui rouvrent des blessures depuis longtemps guéries et pleurent ensuite sur leur douleur. Cela ne vous rappelle-t-il pas un certain type de personnes aujourd’hui ?

Le problème des personnes qui se complaisent dans le ressentiment, c’est qu’elles peuvent toujours trouver d’autres personnes responsables de leurs maux. Il y a toujours quelqu’un ou quelque chose d’autre à blâmer. Il peut s’agir d’un parent. Il peut s’agir d’un problème “structurel” de la société. Pourtant, le plus souvent, le problème vient d’eux-mêmes. Comme le dit Nietzsche, quelqu’un doit se tenir droit face à ces personnes et dire : “Oui, quelqu’un a ruiné votre vie – cette personne, c’est vous. ” Mais qui accepterait une telle tâche ? Pour ma part, je tenterais de le faire si l’occasion devait se présenter.

Regardez toutes les choses dont nous avons hérité en Occident.

Comment sauvegarder ce que nous sommes ?

Comme je le dis dans ce qui est mon chapitre préféré de ce nouveau livre, la réponse à toutes ces choses est la “gratitude”. C’est la seule chose suffisamment profonde pour faire évoluer les gens loin du “ressentiment”. Je crois qu’il est crucial que nous réalisions que le ressentiment est l’un des moteurs les plus profonds de l’esprit humain, même si celui-ci est parfois déformé. Il doit être contré par quelque chose d’aussi profond, et je suggère que cette chose soit la gratitude. Regardez toutes les choses dont nous avons hérité en Occident.

J’étais à Paris, tout récemment, pour la première fois depuis trois misérables années. Le simple fait de se promener dans les rues de Paris fait naître – ou devrait faire naître – un profond sentiment de gratitude. Regardez ce qui nous a été donné. Regardez ce qu’on nous a donné, ce qu’on nous a laissé, ce qu’on nous a confié, ce dont nous devons nous montrer à la hauteur ! Tout cela pourrait être si différent.

Je peux me plaindre des choses qui ne sont pas exactement à mon goût en ce moment ou je peux avoir une saine gratitude.

J’ai grandi dans la paix, j’ai vécu la majeure partie de ma vie dans la paix et j’ai dû me rendre dans d’autres endroits pour voir la guerre. Je vis dans un pays doté d’un État de droit, d’une démocratie représentative, d’une grande culture et de bien d’autres choses encore. Je peux me plaindre des choses qui ne sont pas exactement à mon goût en ce moment ou je peux avoir une saine gratitude. Où est passé cet esprit ? Je crois qu’il est parti en fumée sous l’impulsion de penseurs comme Foucault et Marx. Mais je crois que nous pouvons le retrouver. Non seulement nous pouvons, mais nous devons.

Abattre l’Occident, de Douglas Murray, L’Artilleur, 432 pages, 22 €.


Capitale de Noël: La pierre qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient (Decumanus maximus: Guess what could be Strasbourg’s oldest street from its Roman military camp days and who infamously got the blame for the advancing Black death while their money, properties and fine women were equally and happily divided among a motley crew of local guilds of artisans, workmen and heavily indebted local nobles ?)

1 janvier, 2023

La pierre qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient est devenue la principale de l’angle. Psaume 118: 22
On dit que les Psaumes de la Bible sont violents, mais qui s’exprime dans les psaumes, sinon les victimes des violences des mythes : “Les taureaux de Balaam m’encerclent et vont me lyncher”? Les Psaumes sont comme une fourrure magnifique de l’extérieur, mais qui, une fois retournée, laisse découvrir une peau sanglante. Ils sont typiques de la violence qui pèse sur l’homme et du recours que celui-ci trouve dans son Dieu. René Girard
Le Père Noël a été sacrifié en holocauste. A la vérité le mensonge ne peut réveiller le sentiment religieux chez l’enfant et n’est en aucune façon une méthode d’éducation. Cathédrale de Dijon (communique de presse aux journaux, le 24 décembre 1951)
Comme ces rites qu’on avait cru noyés dans l’oubli et qui finissent par refaire surface, on pourrait dire que le temps de Noël, après des siècles d’endoctrinement chrétien, vit aujourd’hui le retour des saturnales. André Burguière
Il est généralement admis par les historiens des religions et par les folkloristes que l’origine lointaine du Père Noël se trouve dans cet Abbé de Liesse, Abbas Stultorum, Abbé de la Malgouverné qui traduit exactement l’anglais Lord of Misrule, tous personnages qui sont, pour une durée déterminée, rois de Noël et en qui on reconnaît les héritiers du roi des Saturnales de l’époque romaine » : dans l’Europe du Moyen-âge il était en effet de coutume à noël que les jeunes élisent leur « abbé », présidant à toutes sortes de comportements transgressifs mais provisoirement tolérés (filiation manifeste du roi des Saturnales romaines), et Lévi-Strauss voit dans cette élection réelle une généalogie du personnage mythique, devenu vieillard bienveillant (« l’héritier, en même temps que l’antithèse » (…) Grâce à l’autodafé de Dijon, voici donc le héros reconstitué avec tous ses caractères, et ce n’est pas le moindre des paradoxes de cette singulière affaire qu’en voulant mettre fin au Père Noël, les ecclésiastiques dijonnais n’aient fait que restaurer dans sa plénitude, après une éclipse de quelques millénaires, une figure rituelle dont ils se sont ainsi chargés, sous prétexte de la détruire, de prouver eux-mêmes la pérennité. (…) La croyance où nous gardons nos enfants que leurs jouets viennent de l’au-delà apporte un alibi au secret mouvement qui nous incite, en fait, à les offrir à l’au-delà sous prétexte de les donner aux enfants […] Les cadeaux de Noël restent un sacrifice véritable à la douceur de vivre, laquelle consiste d’abord à ne pas mourir. (…) Les cadeaux seraient donc une prière adressée aux petits enfants – incarnation traditionnelle des morts, pour qu’ils consentent, en croyant au Père Noël, « à nous aider à croire en la vie ». Claude Lévi-Strauss
Le Christkindelsmärik, ou « marché de l’enfant Jésus », est le nom donné en langue alsacienne au traditionnel marché de Noël qui se tient depuis 1570 à Strasbourg, en Alsace, et a été longtemps le seul en France. Il débute le premier samedi de l’Avent pour s’achever le 24 décembre au soir. Le Christkindelsmärik attire chaque année deux millions de visiteurs venus du monde entier. Le Christkindelsmärik de Strasbourg est l’un des plus anciens marchés de Noël, lesquels étaient une spécificité du monde germanique. Le plus célèbre était celui de Nuremberg, mais ceux de Francfort, Dresde et Berlin étaient aussi très réputés. Au Moyen Âge, un marché était organisé à Strasbourg en prévision de la fête de saint Nicolas le 6 décembre. C’est en effet à ce saint, évêque de Myre en Turquie au IVe siècle, que l’on attribuait le rôle de dispensateur de cadeaux aux enfants. Pour permettre aux parents de se procurer friandises et jouets, un marché, appelé en alsacien « Klausemärik », était alors installé quelques jours avant cette date. La Réforme protestante fut adoptée par la ville de Strasbourg en 1525 et, en 1570, dans la cathédrale alors affectée au culte protestant, le pasteur Johannes Flinner s’éleva en chaire contre l’usage de remettre des cadeaux aux enfants le jour de la Saint-Nicolas. Cette pratique, jugée « papiste », donnait à un saint le rôle valorisant de donateur. Le pasteur Flinner préconisa de confier symboliquement cette mission au Christ, sous la forme de l’enfant Jésus. Impressionné par ce sermon, le Conseil des XXI de Strasbourg décida le 4 décembre 1570 de supprimer la Saint-Nicolas, mais d’autoriser les commerçants à tenir leur marché trois jours avant cette date. On y trouvait des marchands de poupées et d’autres jouets, des ciriers (ou marchands de bougies et cierges en cire), des marchands de pain d’épices et de sucreries, mais ce marché était aussi une véritable foire annuelle, qui attirait à Strasbourg des marchands venus de loin. Les premiers efforts pour faire venir des touristes à Noël sont peu concluants : Germain Muller, dans son cabaret satirique strasbourgeois, présente même un sketch mettant en scène deux Parisiennes venues à Strasbourg pour fêter Noël le soir du 24 décembre et échouant sur le quai d’une gare quasi déserte, où le porteur leur explique que le marché de Noël est fermé, les illuminations éteintes et que les Strasbourgeois sont rentrés fêter Noël en famille. (…) la ville de Strasbourg s’autoproclame en 1992 « Capitale de Noël » et lance une importante campagne de promotion de l’événement, centrée sur l’attractivité du marché de Noël. Celui-ci est agrandi sur la place Broglie même et d’autres cabanes sont installées sur la place de la Cathédrale, place d’Austerlitz, jusqu’à onze lieux dans la ville. Trois cents commerçants et artisans, installés dans des chalets en bois d’un même modèle imposé par la municipalité contribuent à la renommée du marché et profitent de ses retombées économiques. Un nouveau rôle est attribué au Christkindelsmärik est d’être à la fois l’attraction majeure et le prétexte à une manifestation touristique qui prend chaque année davantage d’ampleur. (…) Dès 1996, des voix s’élèvent à Strasbourg pour dénoncer le développement exponentiel de ce marché et le « déferlement touristique » qu’il engendre. Des marchés inspirés par celui de Strasbourg s’implantent dans d’autres régions de France et la manifestation s’est exportée sous son label à Tokyo et Moscou. Un partenariat est en cours pour l’organisation d’un marché de Noël sur le modèle strasbourgeois à New York, et le sapin du Madison Square Garden a été décoré en 2014 par Antoinette Pflimlin, qui fut la décoratrice attitrée de celui de la place Kléber pendant vingt ans. Ces décentralisations du marché de Noël ont pour but d’attirer chaque année plus de touristes étrangers à Strasbourg. En décembre 2014, la ville de Strasbourg met à la disposition des touristes et des strasbourgeois un réseau Wi-Fi gratuit, disponible sur cinq places de Strasbourg. Wikipedia
À Strasbourg, ils sont plus de deux millions venus du monde entier à venir s’imprégner de cette ambiance si particulière à la fois conviviale, chaleureuse et magique. Le marché de Noël de Strasbourg est le plus vieux de France. Il a été créé en 1570 et relancé avec force par les acteurs alsaciens du tourisme en 1992 quand la ville de Strasbourg s’autoproclame capitale de Noël. Désormais, il s’exporte partout dans le monde. Le marché de Noël de Strasbourg-Mulhouse-Colmar va prendre place au cœur de Manhattan à New York, du 6 au 22 décembre prochain. Les années précédentes, il s’était installé à Tokyo (Japon), Moscou (Russie), Beijing (Chine), Taipei (Taïwan) ou encore Séoul (Corée du Sud). Le Progrès
A 19H10, l’immense sapin qui orne la place Kléber, dans le coeur historique de la ville, s’est illuminé sous les acclamations de la foule, mais dès 14H00, les rues de la « capitale de Noël » s’étaient animées avec l’ouverture de ce marché, le plus célèbre de France (…) où quelque 2 millions de visiteurs sont attendus. (…) Avec un budget qui devrait atteindre 4,5 à 5 millions d’euros pour ce marché, dont près d’un million pour la sécurité, Strasbourg attend environ 250 millions d’euros de retombées économiques. L’0bs
The suspicion arose that the Jews had poisoned the brooks and wells, and even the air, in order to annihilate the Christians of every country at one blow.  Heinrich Graetz (History of the Jews, 1894)They burnt the Jews on a wooden platform in their cemetery. There were about two thousand of them. (…) Everything (all debt) that was owed to the Jews was cancelled… The council…took the cash that the Jews possessed and divided it among the working-men proportionately. The money was indeed the thing that killed the Jews. If they had been poor and if the feudal lords had not been in debt, they would not have been burnt. Jakob Twinger von Konigshofen
The Rue des Juifs (Jew street) is the heart of the old Jewish quarter and one of Strasbourg’s oldest streets. Over 1,600 years old, it was the Roman east-west road. On the end of the street furthest from the Cathedral, number 30, between rue des Pucelles and rue de la Faisan, was the site of the twelfth century synagogue; the community’s bakery was at number 17, the Mikvah at the corner of rue des Charpentiers, the butcher shop at 22 rue des Charpentiers and the cemetery at the Place de la Republique. Number 15 was constructed in 1290 and is the only remaining building from this periods that was inhabited by a Jewish family. Beginning in 1587, this section of the rue des Juifs was known as Zum Judenbad (to the Jewish bath). In the heart of the Jewish quarter, at 20, rue des Charpentiers is a thirteenth century Mikvah. Discovered during excavations in the neighborhood, it is not yet completely restored and in a fragile state. On the other side of the River Ill at 23 Quai Saint Nicholas is the Musee Alsacien. Here you will find two rooms devoted to Alsacien Jewish objects along with a model shtiebel. Jewish library
Mais nos propres enfants aussi sont frappés par la peste. Juif de Strasbourg
Quand on a tué le fils de Dieu, on peut bien empoisonner un de ses enfants à soi, pour faire croire à son innocence : tout le monde sait combien les Juifs sont rusés. Herrmann (boucher de la Pfalz)
Dès l’aube, un vacarme indescriptible remplissait les rues de Strasbourg : c’était le bruit des troupes en marche, avançant au rythme de chants sauvages, accompagnés des cris de femmes déchaînées. Lorsqu’elle eut brisé les barrières qui fermaient l’entrée du quartier juif, la foule se précipita dans le ghetto. Hommes et femmes, enfants et vieillards furent égorgés sans pitié. Dans les maisons incendiées, des familles entières disparurent sans laisser trace. Compagnon tanneur
The Strasbourg massacre occurred on February 14, 1349, when several hundred Jews were publicly burnt to death, and the rest of them expelled from the city as part of the Black Death persecutions. This event was heavily linked to a revolt by the guilds five days previously, the consequences of which were the displacement of the master tradesmen, a reduction of the power of the patrician bourgeoisie, who had until then been ruling almost exclusively, and an increase in the power of the groups that were involved in the revolt. The aristocratic families of Zorn and Müllenheim, which had been displaced from the council and their offices in 1332, recovered most of their power. The guilds, which until then had no means of political participation, could occupy the most important position in the city, that of the Ammanmeister. The revolt had occurred because a large part of the population on the one hand believed the power of the master tradesmen was too great, particularly that of the then-Ammanmeister Peter Swarber, and on the other hand, there was a desire to put an end to the policy of protecting Jews under Peter Swarber. (…) The Jews especially had a vital role to play in this: people depended on their credit for large-scale investments, their supra-regional role as bankers ensured a positive balance of trade for Strasbourg, and they filled the city coffers through the taxes they paid. (…)  The new rulers of the city did not care about either the contract of protection with the Jews nor the financial losses for the city which resulted from the pogrom. The two deposed officials were left with the task of leading the Jews to the place of their execution, pretending to lead them out of Strasbourg. At this place, a wooden house had been built in which the Jews were burnt alive. Those Jews who were willing to get baptized as well as children and any women considered attractive were spared from the burning alive. The massacre is said to have lasted six days. (…) After getting rid of the Jews, the murderers distributed the properties among themselves, which suggests another motive for the murders. By killing the Jews, the debtors had the opportunity to restore themselves, which they used consistently. Many of those who promoted the overthrow were in debt of the Jews, and this shows the connection between the overthrow of the master tradesmen and the pogrom. Apart from Strasbourg nobles and citizens, Bishop Berthold von Buchegg was also indebted to the Jews, as were several of the landed gentry, even some sovereign princes such as the Margrave of Baden and the Count of Württemberg. The cash of the Jews was divided among the artisans by decision of the council, maybe as a sort of « reward » for their support in overthrowing the master tradesmen. This had probably been promised to the craftsmen in advance, and the prospect of a share of the Jews’ fortune may have motivated them even more to murder. After the distribution of the loot among the citizenry had been decided, they had to ensure that this would not be reclaimed by anyone. (…) Strasbourg made an alliance on 5 June 1349 with the bishop and the Alsatian rural nobility: the city would offer aid in times of war and promised to give back all bonds, and received the assurance that the bishop and nobles would support Strasbourg against anyone wanting to hold it to account for the murder of the Jews and confiscation of their assets. (…) With these measures, Strasbourg managed to retain complete control of the Jewish assets. In a deed of 12 July 1349, Charles IV also gave up his claims. Wikipedia
Sous les pavés, le sang
Devinez …
Sous ces pavés encore tout illuminés et enguirlandés du célèbre marché de Noël de Strasbourg
Alors que sur les pavés des villes ukrainiennes pleuvent les bombes des génocidaires de Moscou
Quelle pourrait être la plus ancienne rue de Strasbourg
Depuis son temps du camp militaire romain où, avec son chiffre au X barré, elle portait le nom de la rue est-ouest séparant les tentes de la 10e cohorte et de la 9ème cohorte … ?
Et quel sang d’un certain massacre de la Saint Valentin d’il y a 680 ans …
Quand alors que menaçait la pandémie de peste qui balayait l’Europe …
Et contre l’avis du Pape mais avec le pardon commode de l’Empereur  lui-même …
Une certaine communauté dont le petit enfant, sous la forme de Saint Nicolas ou grimé en Père Noël, a tant fait pour l’actuelle prospérité de la ville …
A fini sur le bûcher d’une populace terrifiée …
Pendant qu’également répartis entre eux, leurs argent, propriétés et belles femmes firent le bonheur d’une masse hétéroclite de guildes d’artisans, d’ouvriers et de nobles lourdement endettés ?
LE MASSACRE DE LA SAINT-VALENTIN
février 1349Lazare LANDAU
Extrait de l’Almanach du KKL Strasbourg 5718-1958

La vie des juifs dans l’Europe médiévale, si riche en aspects exaltants, est jalonnée aussi par des épisodes sanglants qui illustrent abondamment l’épithète de « barbare », si souvent accolée à la société médiévale d’Occident. Le massacre des juifs de Strasbourg, connu sous le nom de « massacre de la Saint-Valentin », apparaît comme le type de ces flambées de haine dont les manifestations ont ensanglanté le calvaire d’Israël au long des siècles passés.

Les premières décades du 14e siècle avaient été marquées dans le Saint Empire Germanique par des guerres et des troubles continuels, conséquences des luttes d’influence entre les nombreux princes allemands. Aux approches de l’an 1340, des bandes de brigands s’étaient formées en de nombreux pays relevant de l’Empire : elles pratiquaient sans risque leur sinistre industrie à la faveur de la disparition quasi-complète d’une autorité publique capable de faire régner l’ordre.

L’Alsace n’était pas épargnée par le fléau. Des groupes de brigands s’étaient constitués qui, sous la direction d’un certain Armleder, rançonnaient les habitants et mettaient le pays à feu et à sang. Les principaux seigneurs d’Alsace se décidèrent à une rigoureuse réaction collective. A cette fin, l’évêque de Strasbourg conclut alliance avec le Landgrave d’Alsace et les villes de la Décapole. Les coalisés prêtèrent le serment de sévir sans faiblesse contre les bandes d’Armleder et contre tous ceux qui s’étaient joints à lui dans l’intention de participer au massacre des Juifs entrepris par ses tueurs.

Les massacres de juifs étaient un phénomène assez fréquent dans le Saint-Empire pour laisser en paix la conscience publique. Celui qui commença vers 1347 revêtit pourtant une ampleur et une importance particulières. A son origine se trouvait l’apparition d’un fléau horrible, la peste noire, qui s’étant déclarée pour la première mois en Europe au cours de cette année, faisait d’effrayants ravages. Or, les Juifs étaient moins frappés par le fléau que les chrétiens. Cet apparent privilège était dû très probablement à leur pratique d’une morale sévère qui interdisait certains excès et à l’observance de lois alimentaires qui s’avérèrent en l’occurrence une sauvegarde précieuse contre la maladie.

Le bas-peuple pourtant ne l’entendit pas ainsi. Il donnait à la peste une interprétation lourde de menaces pour les Juifs. D’une part on disait que la peste noire était un châtiment envoyé par le Ciel pour punir les princes coupables d’avoir arrêté l’oeuvre d’extermination entreprise par Armleder ; d’autre part, on accusait formellement les juifs d’avoir provoqué le fléau en empoisonnant tous les points d’eau : sources, fontaines, citernes. La populace, ulcérée par les ravages du mal, cherchait un bouc-émissaire : les Juifs, comme il va de soi, étaient tout désignés pour ce rôle. Pour s’attaquer aux Juifs en toute quiétude, il fallait détenir des preuves de leur culpabilité : on en trouva sans peine. Des juifs torturés à Wintzenheim avouèrent tout ce que les tortionnaires voulaient. Désormais, on pouvait passer aux actes : les Juifs le savaient et vivaient dans l’angoisse. A Strasbourg, à l’approche du mois d’Adar – au début de l’année 1349 – aucun Juif ne se risquait plus dans la rue. Le Stettmeister de Strasbourg, désireux de protéger ses Juifs contre les violences de la populace, ordonna la fermeture du quartier juif. Des pays de l’Empire, comme des régions voisines, des nouvelles alarmantes atteignirent les juifs d’Alsace. Des massacres atroces endeuillaient jour après jour des communautés de Suisse, de Rhénanie et de Haute-Alsace. Les seigneurs alsaciens, inquiétés par ce mouvement dont ils n’avaient pas le contrôle, se réunirent en congrès à Benfeld pour aviser aux moyens les plus propices à rétablir l’ordre. Mais ils se contentèrent d’appeler la populace au calme, sans se faire illusion sur la valeur de cette manifestation. Brusquement, la situation atteignit un degré d’extrême gravité en Basse-Alsace.

Du jour au lendemain, la situation des juifs était devenue intenable à Strasbourg. Non pas, certes, du fait du gouvernement strasbourgeois : Sturm et Kuntz de Winterthur, les deux Stettmeister, jouissaient de, même que l’Ammeister (chef de corporations de métiers) Pierre Schwarber, de la réputation d’hommes justes et honnêtes dont les Juifs n’avaient rien à craindre. Mais les corporations des métiers – très puissantes ici – et la populace, travaillées par des agitateurs fanatiques, nourrissaient des sentiments très différents de ceux des gouvernants. Dès le 9 février, les députés des corporations demandaient à l’Ammeister – magistrat comparable au maire de l’époque moderne – l’arrestation de tous les Juifs et leur mise en jugement. Pierre SCHWARBER, non seulement repoussa cette requête, mais encore il prononça un discours empreint de grave noblesse pour apaiser la populace déchaînée. Les députés furieux répondirent par des insultes au discours de l’Ammeister : « Ne le savait-on depuis longtemps vendu aux Juifs ? » Pierre Schwarber n’était pas homme à tolérer les écarts de langage des trublions : sur-le-champ, il les fit arrêter tous.

Un seul député du groupe parvint à prendre la fuite et son action fut décisive. Sans tarder, il ameuta les corporations qui, toutes, répondirent à son appel en se réunissant, avec la noblesse, place de la Cathédrale. On délibéra sur la conduite à tenir envers les juifs. Bouchers et tanneurs étaient les adversaires les plus acharnés des Juifs parce qu’ils avaient contracté envers eux des dettes considérables : ils espéraient liquider en même temps créances et créanciers. Les deux Stettmeister vinrent assister à la réunion, place de la Cathédrale. Ils y furent très mal accueillis. Alors qu’ils appelaient la foule au calme, ils furent grossièrement insultés et accusés à leur tour de corruption.

Le massacre des Juifs de Strasbourg

Le 10 février marque une étape décisive dans l’évolution de l’émeute strasbourgeoise. Ce jour, en effet, les émeutiers se rendirent maîtres du gouvernement de la petite république. Ils s’empressèrent de proclamer la déchéance des magistrats qui passaient pour être favorables aux juifs : Sturm, Kuntz de Winterthur et surtout de l’Ammeister Pierre Schwarber, la bête noire de la populace. Les insurgés nommèrent Ammeister le boucher Betschold, connu pour être l’ennemi juré des Juifs. A cette nouvelle, de nombreux juifs quittèrent Strasbourg à la hâte, cependant que d’autres cherchaient, dans la ville même, un refuge chez des Chrétiens.

Au cours des jours suivants, les émeutiers s’efforcèrent de donner une apparence légale à la situation créée par leur coup de force. Le 13 février ils installèrent un nouveau sénat peuplé de leurs créatures. Pierre Schwarber, l’Ammeister intègre, fut durement frappé par les vainqueurs. Condamné au bannissement perpétuel, à la confiscation de tous ses biens, il se voyait en outre déchu de la qualité de bourgeois de Strasbourg. Pendant que les assemblées nouvelles prenaient ces mesures, la multitude déchaînée grondait dans les rues : une catastrophe paraissait désormais inévitable.

Elle se produisit, totale, le 14 février, jour de la Saint-Valentin. Les chroniques de Clossner et de Kœnigshoffen rapportent, sur cette journée, le témoignage, émouvant dans sa simplicité, d’un compagnon tanneur qui assista impuissant aux scènes atroces qui ensanglantèrent alors la ville.

« Dès l’aube, un vacarme indescriptible remplissait les rues de Strasbourg : c’était le bruit des troupes en marche, avançant au rythme de chants sauvages, accompagnés des cris de femmes déchaînées. Lorsqu’elle eut brisé les barrières qui fermaient l’entrée du quartier juif, la foule se précipita dans le ghetto. Hommes et femmes, enfants et vieillards furent égorgés sans pitié. Dans les maisons incendiées, des familles entières disparurent sans laisser trace. »

Le témoin auquel nous avons fait allusion plus haut, rapporte un dialogue touchant entre un chef de famille juif et l’un des assassins. Comme le prétexte du massacre résidait dans la prétendue responsabilité des juifs dans la propagation de la peste noire, le juif s’écria : « Mais nos propres enfants aussi sont frappés par la peste ». A quoi le gros Herrmann, le boucher de la Pfalz, répliqua : « Quand on a tué le fils de Dieu, on peut bien empoisonner un de ses enfants à soi, pour faire croire à son innocence : tout le monde sait combien les Juifs sont rusés ».

Malgré l’ampleur du massacre, des juifs assez nombreux – on parle de plusieurs milliers – avaient survécu. Ils furent tous rassemblés et traînés au cimetière juif. Là s’élevait un grand bûcher auquel on mit le feu. La foule s’acharna avec prédilection sur les petits enfants juifs : ils recevaient le baptême avant d’être jetés au bûcher. Les chroniqueurs relèvent avec admiration la noble attitude des femmes juives : elles arrachaient leurs enfants aux mains des baptiseurs pour les jeter sur le bûcher où elles les suivaient aussitôt.

Sur cette vision dantesque s’achève le récit de notre tanneur. Il témoigne durement contre l’état d’esprit du petit peuple strasbourgeois, prompt aux entraînements irréfléchis et aux atrocités barbares accomplies joyeusement derrière le fallacieux prétexte de la culpabilité juive dans les grands fléaux qui, périodiquement, frappaient l’Occident médiéval. Le courage tranquille des juifs, l’héroïsme des mères, méritent une admiration qui ne soit pas de pure convention. Si le souvenir du massacre de la Saint-Valentin doit demeurer vivace parmi nous, c’est que si nos ancêtres ont su avec simplicité mourir pour une idée, il vaut sans doute aussi la peine de vivre pour elle.

Voir aussi:

Dr. Yvette Alt Miller
Aish

On Valentine’s Day 1349 thousands of Jews were burned to death, accused of poisoning wells.

Most people associate February 14 with love and romance. Yet hundreds of years ago Valentine’s Day saw a horrific mass murder when 2,000 Jews were burned alive in the French city of Strasbourg.

The year was 1349 and the Bubonic Plague, known as the Black Death, was sweeping across Europe, wiping out whole communities. Between 1347 and 1352, it killed millions of people. Historian Ole J. Benedictow estimates that 60% of Europeans died from the disease. One Italian writer recorded what the plague did to the city of Florence, where he lived: “All the citizens did little else except to carry dead bodies to be buried… At every church they dug deep pits down to the water-table; and thus those who were poor who died during the night were bundled up quickly and thrown into the pit.”

Bubonic Plague is caused by a bacterium called Yersinia pestis and is most commonly spread by fleas that live on rodents like rats and mice. The disease still exists, and sickens thousands of people each year, including a handful of people in the United States and other developed countries. Caught early, Bubonic Plague is treatable with modern medicines. In the Middle Ages, of course, no medical treatment existed to mitigate the Plague’s devastating effects. It’s estimated that about 80% of people who contracted the Plague in Medieval Europe died.

The first major European outbreak of Plague occurred in Messina, Italy, in 1347, and it spread rapidly from there. Historians estimate that the largest wave of Bubonic Plague – the pandemic that was dubbed The Black Death – originated in Central Asia. As it began sweeping through European communities, terrified people cast about for someone to blame. Jews were a natural choice. As the Black Death advanced, Christians turned on the Jews in their midst, accusing them of spreading the Plague by poisoning Christian people’s wells.

Jews, often forced into overcrowded and fenced-in Jewish quarters, suffered from the Black Death at rates comparable to their Christian neighbors. Yet even though it was apparent that Jews were sickening and dying as well, many Christians leapt to accuse Jews of deliberately spreading the disease to harm Christians. Historian Heinrich Graetz described the fevered atmosphere of hate and accusations leveled at European Jews: “…the suspicion arose that the Jews had poisoned the brooks and wells, and even the air, in order to annihilate the Christians of every country at one blow”. (Detailed in Graetz’s History of the Jews, 1894).

Jewish communities found themselves under attack. Of the approximately 363 Jewish communities in Europe at the time, Jews were attacked in fully half of them by mobs blaming them for spreading the Plague.

These attacks were horrifically violent. In Cologne, Jews were locked into a synagogue which was then set on fire. In Mainz, the entire town’s sizeable Jewish community was murdered in just one day. Jews were massacred and tortured across Europe, in Spain, Italy, France, the Low Countries, and the Germanic Lands. Emperor Charles IV, the Holy Roman Emperor, decreed that the property of Jews murdered for supposedly spreading the Plague could be seized by their Christian neighbors with impunity. With this financial incentive to kill Jews, the attacks only intensified.

In 1349, a group of feudal lords in the Alsace region of what is, today, France, attempted to make the attacks on Jews official. They assembled in the French town of Benfeld, and formally blamed Jews for the Black Death. They also adopted a series of steps to target Jews, singling Jews out for murder and calling for them to be expelled from towns. This “Benfeld Decree” had an immediate effect as Jews in thirty communities across Alsace were attacked. Only the city of Strasbourg, which had a large Jewish community, resisted, protecting their city’s Jews.

The atmosphere in Strasbourg in early 1349 was tense. The Black Death had not yet reached the city, though anxious citizens awaited the first case of victims to sicken and die any day. Strasbourg’s Bishop Berthold III railed against Jews, but the city’s elected officials held firm. Mayor Kunze of Wintertur, Strasbourg’s sheriff, Gosse Sturm, and a local lay leader named Peter Swaber all vociferously defended and protected Strasbourg’s Jews.

On February 10, 1349, the restless citizens finally had enough. A mob rose up and overthrew Strasbourg’s city government, installing an unstable government “of the people” instead. This hateful group that was now in charge was a strange amalgam: led by the local guilds of butchers and tailors, it was financially backed by local nobles who hated the Jews and hoped to seize their property. One of this new mob’s first acts was to arrest the city’s Jews on the charge of poisoning Christian wells in order to spread the Black Death.

The Black Death

Friday, February 13, 1349 was a black day for Strasbourg’s Jews. Normally, they would have spent the day preparing for Shabbat, baking challah, cleaning their homes and preparing festive meals. Instead, under heavy armed guard, women, children and men were dragged from their homes, imprisoned, and charged with murder. Any Jew who was willing to convert to Christianity would be spared, they were told. As the terrified Jews awaited their fate, the city’s new governors were building a huge wooden platform that could hold thousands of people inside the Jewish cemetery. For the Jews, the next day was Shabbat. For Strasbourg’s Christian citizens, the next day was February 14, St. Valentine’s Day. They designated this saint’s day as the date on which they would execute Strasbourg’s entire Jewish population.

In the morning of Valentine’s Day, a large crowd assembled to watch. A local priest named Jakob Twinger von Konigshofen recorded the grisly massacre: “they burnt the Jews on a wooden platform in their cemetery,” he wrote. “There were about two thousand of them.” Some young children were yanked away from their parents’ arms, and saved so that they could be baptized and raised as Christians. For most Jews, however, no such aid arrived. As the enormous wooden structure went up in flames, around 2,000 thousand Jews were slowly burned alive.

Their murder took hours. Afterwards, eager townspeople combed through the smoldering ashes, not searching for survivors, but looking for valuables. von Konigshofen recorded the financial motive for this enormous massacre: “…everything (all debt) that was owed to the Jews was cancelled… The council…took the cash that the Jews possessed and divided it among the working-men proportionately. The money was indeed the thing that killed the Jews. If they had been poor and if the feudal lords had not been in debt, they would not have been burnt.”

Strasbourg’s mob government and citizens faced no criticism. A few months later, Emperor Charles IV officially pardoned the citizens of Strasbourg for killing their town’s Jews and for stealing their money.

With the passage of so much time, many have seemed to forget the cataclysm of violence that led to the torture and murder of so many Jews during the Black Death. Yet we owe it to the victims to remember.
Voir aussi:
Strasbourg massacre
Wikipedia
The Strasbourg massacre occurred on February 14, 1349, when several hundred Jews were publicly burnt to death, and the rest of them expelled from the city as part of the Black Death persecutions.

Starting in the spring of 1348, pogroms against Jews had occurred in European cities, starting in Toulon. By November of that year they spread via Savoy to German-speaking territories. In January 1349, burnings of Jews took place in Basel and Freiburg, and on 14 February the Jewish community in Strasbourg was destroyed.

This event was heavily linked to a revolt by the guilds five days previously, the consequences of which were the displacement of the master tradesmen, a reduction of the power of the patrician bourgeoisie, who had until then been ruling almost exclusively, and an increase in the power of the groups that were involved in the revolt. The aristocratic families of Zorn and Müllenheim, which had been displaced from the council and their offices in 1332, recovered most of their power. The guilds, which until then had no means of political participation, could occupy the most important position in the city, that of the Ammanmeister. The revolt had occurred because a large part of the population on the one hand believed the power of the master tradesmen was too great, particularly that of the then-Ammanmeister Peter Swarber, and on the other hand, there was a desire to put an end to the policy of protecting Jews under Peter Swarber.

Causes

Anti-Semitism in the population

The causes of the increased anti-semitism are easy to make out. Its development found fertile territory in the religious and social resentments against Jews that had grown deeper over the centuries (with allegations such as host desecration, blood libel, and deicide).

Through their role as money-lenders, one of the few roles available to Jews, who were forbidden by local and often canon law, to own land or to be farmers, the Jews took an important position in the city’s economy. However, this brought serious problems. The chroniclers report that the Jews were criticised for their business practices: they were said to be so arrogant that they were unwilling to grant anyone else precedence, and those who dealt with them, could hardly come to an agreement with them. This supposed ruthlessness of the Jews did not, however, derive from any particular hard-heartedness, but was rather due to the huge levies and taxes that they were made to pay, mostly in exchange for protection. Formally, the Jews still belonged to the King’s chamber, but he had long since ceded these rights to the city (the confirmation of the relevant rights of the city by Charles IV occurred in 1347). Strasbourg therefore took in the most part of the Jews’ taxes, but in exchange had to take over their protection (the exact amount of the taxes was determined by written agreements). In order to satisfy the city’s demands, the Jews therefore had to do business accordingly, but in doing so further increased the population’s, and certainly the debtors’, anti-Semitism.

With the threat of Black Death, there were also accusations of well poisoning, and some who now openly called for the burning of Jews.

The government’s policy of protecting Jews

Unlike the majority of the population, the council and the master tradesmen remained committed to the policy of protecting the Jews and attempted to calm the people and prevent a pogrom. The Catholic clergy had been advised by two papal bulls of Pope Clement VI the previous year (July and September 1348) to preach against anyone accusing the Jews of poisoning wells as « seduced by that liar, the Devil. »

Tactical measures

At first the council tried to rebut the claims of well poisoning by initiating court proceedings against a number of Jews and torturing them. As expected, they did not confess to the crimes. Despite this, they were still killed on the breaking wheel. Furthermore, the Jewish quarter was sealed off and guarded by armed persons, in order to protect the Jews from the population and possible over-reactions. The master tradesmen wanted to maintain the legal process with respect to the Jews; in their situation in which they themselves increasingly came under attack, this was a matter of self-preservation and holding on to power. A pogrom could easily escalate and turn into an uncontrollable revolt of the people. How seriously this threat of revolt was taken is shown by a letter from the city council of Cologne on 12 January 1349 to the leaders of Strasbourg, which warned that such riots by the common people had led to much evil and devastation in other towns. Furthermore, this unrest could give the opponents the possibility of taking power themselves. The bourgeoisie had after all come to occupy the leading political positions in a similar way, when they had used the dispute between the Zorn and Müllenheim noble families to their advantage.

The duty to protect the Jews

As the de facto master over the Jews, the city had a duty to protect them, especially since they paid significant amounts of money in exchange for this. Peter Swarber also pointed to this: the city had collected the money and had given in return a guarantee for their security—with a letter and a seal. The city must fulfill this duty towards the Jews. He, therefore could not and would not agree to an extermination of the Jews, a stance in which he was undoubtedly strengthened by the fear of the adverse effects on the economic development of the city. A weakening of the city would also mean a weakening of the patrician bourgeoisie, which was reliant on stable political conditions and a healthy city economy for their long-distance trade. The Jews especially had a vital role to play in this: people depended on their credit for large-scale investments, their supra-regional role as bankers ensured a positive balance of trade for Strasbourg, and they filled the city coffers through the taxes they paid. There were reasons enough, therefore, to remain attached to the policy of protecting the Jews.
Overthrow

The motivations of the master tradesmen were concealed from the people of Strasbourg. Instead, they thought another reason far more likely: there were rumours that the master tradesmen had allowed themselves to be bribed by the Jews, which was why they were protecting them so determinedly against the will of the majority. It was therefore seen as important to first remove the masters from power, which would allow the majority to push through the will of the people.
Rebellion of the artisans

The chronicles have delivered a detailed overview of the process of the displacement of the masters. On Monday 9 February, the artisans gathered in front of the cathedral and, in front of the crowd, informed the masters that they would not allow them to remain in office anymore, as they had too much power. This action appears to have been organised beforehand among the guilds, since they had their guild banners with them and also appeared organised by guilds. The masters attempted to persuade the artisans to break up the assembled crowd—without success—but made no moves to comply with the rebels’ demands. The artisans, after an exhaustive debate which involved not only the guilds’ representatives but also the most eminent of the knights and citizens, decided to make a new attempt. It now became finally clear to the masters that they had no support any more, and so they gave up their posts. One craftsman became Ammanmeister, namely « Betscholt der metziger. » The guilds had thereby attained their goal: the last obstacle to their demand of destroying the Jews was pushed aside, and they now had increased possibilities of participating in town politics. This had previously been denied to them, although in 1332 they had helped the bourgeois patricians to get a position of power.
Organisers of the coup

The noble families of Zorn and Müllenheim, who had been forced from power at that time, tried to regain their old position of power, but in order to do this they had to cooperate with the guilds. In the chronicles, this cooperation comes across again and again: the noble families brought their weapons at the same time as the craftsmen when the latter assembled before the cathedral, they were involved with the debates during the rebellion, and it was noblemen who put the demands to the masters, in the name of the artisans. The nobles cooperated not only with the guilds, but also with the Bishop of Strasbourg. This is proved by a meeting which took place one day before the rebellion and which concerned the « Jewish issue. » This meeting can only have revolved around the method of getting rid of the Jews; the fact that they had to go had already been decided a month previously. On that occasion, the Strasbourg bishop, representatives of the cities of Strasbourg, Freiburg and Basel, and Alsatian local rulers met in Benfeld, in order to plan their actions towards the Jews. Peter Swarber was in fact aware of this agreement by the bishop and Alsatian nobles, which is why he warned: if the bishop and the nobles were successful against him in the « Jewish issue », they would not rest until they were also successful in other cases. But he was not able to dissuade from the anti-Jewish stance.
Result of the coup

Through the coup, the old noble families regained a great deal of their former power, the guilds regained their political participation, and many expected an anti-Semitic policy from the new political leadership (whereas between 1332 and 1349 not one nobleman had held the office of a master, now two of four town masters were nobles). The demand to reduce the power of the masters was also granted. The old masters were punished (the town masters were banned from election to the council for 10 years, the hated Peter Swarber was banished, his assets confiscated), the council was dissolved and reconstituted in the next three days, and the pogrom began a day later.
The pogrom

The new rulers of the city did not care about either the contract of protection with the Jews nor the financial losses for the city which resulted from the pogrom. The two deposed officials were left with the task of leading the Jews to the place of their execution, pretending to lead them out of Strasbourg. At this place, a wooden house had been built in which the Jews were burnt alive. Those Jews who were willing to get baptized as well as children and any women considered attractive were spared from the burning alive. The massacre is said to have lasted six days.
Result

After getting rid of the Jews, the murderers distributed the properties among themselves, which suggests another motive for the murders. By killing the Jews, the debtors had the opportunity to restore themselves, which they used consistently. Many of those who promoted the overthrow were in debt of the Jews, and this shows the connection between the overthrow of the master tradesmen and the pogrom. Apart from Strasbourg nobles and citizens, Bishop Berthold von Buchegg was also indebted to the Jews, as were several of the landed gentry, even some sovereign princes such as the Margrave of Baden and the Count of Württemberg. The cash of the Jews was divided among the artisans by decision of the council, maybe as a sort of « reward » for their support in overthrowing the master tradesmen. This had probably been promised to the craftsmen in advance, and the prospect of a share of the Jews’ fortune may have motivated them even more to murder.
Securing Jewish property

After the distribution of the loot among the citizenry had been decided, they had to ensure that this would not be reclaimed by anyone. For King Charles IV started to play politics with the Strasbourg Jewish legacy, by granting large-scale debt repayments for Jews. It is possible that the few Strasbourg Jews who were still alive also wanted to redeem their rights to the property. Counter-measures were therefore decided. Strasbourg made an alliance on 5 June 1349 with the bishop and the Alsatian rural nobility: the city would offer aid in times of war and promised to give back all bonds, and received the assurance that the bishop and nobles would support Strasbourg against anyone wanting to hold it to account for the murder of the Jews and confiscation of their assets. The Strasbourg council demanded that its allies should also take action against the Jews. In fact, it even tried to force those towns and nobles who did not do so to take action via the Landfrieden. With these measures, Strasbourg managed to retain complete control of the Jewish assets. In a deed of 12 July 1349, Charles IV also gave up his claims.
Political dimension of the massacre in the Empire

In the Late Middles Ages, Strasbourg was the most important city on the Upper Rhine. Since it had rid itself of rule by the bishop in 1262, the city was autonomous and effectively enjoyed Imperial immediacy. Thus, the throne disputes between the House of Luxembourg (with Charles IV) and the House of Wittelsbach (with Louis IV (until 1347) and Günther von Schwarzburg) also played out on the level of city politics, inasmuch as both sides tried to form alliances. The bourgeois-patrician leadership was on the Wittelsbachs’ side until Louis’ death, after which they supported Charles IV, the city’s nobility on the other hand now supported Günther von Schwarzburg.

The contrasts of both groups are also reflected in the throne dispute. Through this, the Schutzjuden (« protected Jews ») became a politically misused power instrument. The disputes brought huge costs, which and these were partly offset by selling of the royal rights concerning the Jews. Thus curious situation came about in Strasbourg that the kingdom’s Jewish right had been given by the rivals to different individuals (Charles IV sold it on 12 December 1347 to the Count of Öttingen, Günther sold it on 2 January 1349 to the Counts of Katzenelnbogen). Therefore there was now legal uncertainty, as it was not clear who was responsible for protecting the Jews.
Voir par ailleurs:

Le marché de Noël de Strasbourg est ouvert, Castaner affiche sa « sérénité »

L’OBS/AFP

Strasbourg (AFP) – Un an après l’attentat sanglant qui avait endeuillé le célèbre marché de Noël de Strasbourg le 11 décembre 2018, Christophe Castaner a affiché vendredi sa « sérénité », déambulant dans les allées le jour même de l’ouverture, tandis que les touristes commençaient à admirer décorations et illuminations.

« Le message que nous voulons passer (est) celui de la sérénité et du sentiment que nos forces seront totalement engagées aux côtés des élus pour que l’événement international qu’est le marché de Noël se passe bien », a souligné le ministre de l’Intérieur.

Même s’il n’existe « aucune inquiétude particulière pour Strasbourg », le « risque terroriste est permanent en France et reste à un niveau élevé », a encore observé Christophe Castaner.

Puis il a repris cette déambulation de plus d’une heure parmi les 300 chalets du marché, dégustant un vin chaud et se prêtant de bonne grâce au jeu des selfies, mais remerciant aussi les nombreux membres des forces de l’ordre rencontrés pour leur « présence rassurante et leur engagement ». Parmi elles, des sections d’intervention antiterroristes ou les soldats de l’opération Sentinelle.

Selon le ministre, ce sont « près de 760 personnes, hommes, femmes, de la police, de la gendarmerie, de la Sécurité civile, des sapeurs-pompiers, de la police municipale, de l’armée qui seront mobilisées pour garantir » la sécurité du marché de Noël jusqu’au 30 décembre.

A 19H10, l’immense sapin qui orne la place Kléber, dans le coeur historique de la ville, s’est illuminé sous les acclamations de la foule, mais dès 14H00, les rues de la « capitale de Noël » s’étaient animées avec l’ouverture de ce marché, le plus célèbre de France.

« Il est bon ? » demande une vendeuse dans son chalet à Fabienne et sa fille Solène, venues de Nice, qui dégustent dès l’ouverture des chalets leur premier verre de jus de pomme chaud dans le quartier touristique de la Petite France. « C’est vraiment très joli et en plus dans plusieurs quartiers différents, c’est très sympa », se réjouit Fabienne, ravie de l’ambiance bon enfant.

Ce marché, « c’est l’émerveillement des petits et des grands et même des personnes âgées », résume Christiane pendant que son compagnon Dany prend en photo le sapin de la place Kléber.

« L’attentat, on y pense mais cela ne nous arrête pas, il faut sortir quand même, se serrer les coudes, ne pas extérioriser la peur, sinon ils auront gagné », ajoute cette retraitée strasbourgeoise.

– Vin chaud –

Sous les odeurs de vin chaud affleure pourtant le souvenir du soir où Cherif Chekatt avait semé la terreur dans les ruelles du centre, à l’heure où le marché de Noël s’apprêtait à fermer.

Armé d’un pistolet et d’un couteau, il avait tué cinq hommes et blessé une dizaine de personnes avant d’être tué par une patrouille de police après deux jours de cavale.

Le 11 décembre, une journée d’hommage sera organisée en souvenir des victimes de l’attentat, moment d’émotion à mi-course du marché de Noël. Vendredi soir, le maire de Strasbourg Roland Ries leur a dédié cette 450e édition de la manifestation, où quelque 2 millions de visiteurs sont attendus.

Cette année, les mesures de sécurité ont encore été renforcées, qu’il s’agisse des effectifs des forces de l’ordre ou du filtrage des visiteurs sur les ponts qui conduisent au centre historique.

La crainte du terrorisme ne semble pourtant pas avoir découragé les visiteurs, pour la plupart convaincus que les attentats peuvent se dérouler « n’importe où ».

« Les tendances sont bonnes, on a une montée en charge des réservations qui est très encourageante pour l’ensemble de la saison des marchés de Noël, mais on a toujours une inquiétude à cause de la grève SNCF du 5 décembre », explique Pierre Siegel, du Groupement des hôteliers, restaurateurs et débitants de boissons du Bas-Rhin.

« Vous voir aussi nombreux ce soir, ça montre qu’on est forts et qu’on ne lâchera rien ! », a lancé vendredi soir à la foule la marraine des illuminations de cette édition, la chanteuse Chimène Badi, avant d' »allumer » une à une les rues de la ville à l’aide d’une baguette magique.

Avec un budget qui devrait atteindre 4,5 à 5 millions d’euros pour ce marché, dont près d’un million pour la sécurité, Strasbourg attend environ 250 millions d’euros de retombées économiques.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


R.M.N: On ne veut pas être le zoo de l’Europe ! (Guess why Cristian Mungiu’s masterful scanning of the way politically correct globalization keeps its victims from expressing their despair at the ransacking of their way of life came out empty-ended at Cannes last year ?)

25 octobre, 2022

https://cdn.sortiraparis.com/images/80/99712/800404-r-m-n-de-cristian-mungiu.jpgR.M.N. | Viennalehttps://medias.lavie.fr/api/v1/images/view/634eaaf31009e504b02e6466/width_1000/image.jpg



Tu n’as voulu ni sacrifice ni oblation… Donc j’ai dit: Voici, je viens. Psaume 40: 7-8
Voici l’Agneau de Dieu, qui ôte le péché du monde. Jean le baptiste (Jean 1: 29)
Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée. Car je suis venu mettre la division entre l’homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa belle-mère; et l’homme aura pour ennemis les gens de sa maison. Jésus (Matthieu 10 : 34-36)
Vous ne réfléchissez pas qu’il est dans votre intérêt qu’un seul homme meure pour le peuple, et que la nation entière ne périsse pas. Caïphe (Jean 11: 50)
Dionysos contre le ‘crucifié’ : la voici bien l’opposition. Ce n’est pas une différence quant au martyre – mais celui-ci a un sens différent. La vie même, son éternelle fécondité, son éternel retour, détermine le tourment, la destruction, la volonté d’anéantir pour Dionysos. Dans l’autre cas, la souffrance, le ‘crucifié’ en tant qu’il est ‘innocent’, sert d’argument contre cette vie, de formulation de sa condamnation. (…) L’individu a été si bien pris au sérieux, si bien posé comme un absolu par le christianisme, qu’on ne pouvait plus le sacrifier : mais l’espèce ne survit que grâce aux sacrifices humains… La véritable philanthropie exige le sacrifice pour le bien de l’espèce – elle est dure, elle oblige à se dominer soi-même, parce qu’elle a besoin du sacrifice humain. Et cette pseudo-humanité qui s’institue christianisme, veut précisément imposer que personne ne soit sacrifié. Nietzsche
Le christianisme est une rébellion contre la loi naturelle, une protestation contre la nature. Poussé à sa logique extrême, le christianisme signifierait la culture systématique de l’échec humain. Adolf Hitler
Le religieux et l’homme sont sans doute la même chose. C’est cela, l’invention de la culture, ce qui différencie l’homme des animaux. Les animaux vivent selon des réseaux de dominant/dominé. Quand ils se rencontrent pour la première fois, ils ont une relation mimétique, autour d’une femelle par exemple. Ils se battent et le moins fort se rend toujours au plus fort qui lui épargne la vie. Les hommes, eux, luttent jusqu’à la mort parce qu’ils ont des capacités mimétiques beaucoup plus fortes. La capacité mimétique étant aussi bien l’intelligence que la puissance. C’est pour éviter cette lutte à la mort qu’intervient le religieux, ses interdits et ses rituels. (…) C’est pourquoi [l’homme] se trouve dans une situation impossible : quand il est bridé par des interdits idiots ou devenus inadaptés, il végète ; quand il les brise, il crée une ouverture qui enclenche les crises. Rompre avec l’interdit est très bénéfique, car cela libère l’intelligence humaine. Pour défricher un champ, passer à l’agriculture, les primitifs ont dû se débarrasser de tous les esprits qui les en empêchaient. L’homme moderne ne connaît plus ces obstacles, il peut donc entreprendre toutes sortes de choses. Mais il se trouve de ce fait exposé à une violence beaucoup plus forte. C’est pourquoi le religieux s’accompagne également du rite sacrificiel, celui du bouc émissaire, central dans tous les mythes et les religions archaïques. Quand la crise atteint son apogée, il advient un moment où le mimétique tend à se polariser sur un individu. Ce phénomène social fondamental a un caractère mécanique et spontané dont il faut prendre conscience. En lui-même, ce phénomène n’a pas de sens, mais les hommes lui en donnent un. Car lorsque le mimétisme se transforme pour se contenter d’une seule victime dont le sacrifice réconcilie la communauté, il apparaît comme un phénomène merveilleux qu’il faut réitérer pour guérir les crises suivantes. C’est pourquoi l’homme lui donne un sens religieux. (…) la critique que l’on me fait [c’est que] parce que je suis religieux, toute ma réflexion serait religieuse. Bien au contraire, je donne là une explication parfaitement athée du religieux, fondée sur ce mimétisme. Cela dit, je suis en effet christo-centré. L’expérience fondamentale du Christ me paraît irremplaçable car, si elle s’inscrit dans la rupture que fait l’Ancien Testament avec le rituel des religions archaïques, elle ne se contente plus de refléter la scène du sacrifice. Au lieu de l’accepter, de l’entériner et de l’interpréter comme un phénomène transcendental, le Christ la révèle et la condamne. (…) Et c’est précisément ce que les religions archaïques ne peuvent pas voir. Elles voient Dieu comme un être méchant qui cause ces crises, et très secourable parce que c’est également lui qui les règle. Mais de loin. C’est pourquoi il faut faire des sacrifices. Seul le christianisme supprime totalement le sacrifice sanglant. (…) dans la logique rituelle du sacrifice mimétique, on pourrait penser que la violence actuelle est peut-être le signe inquiétant que l’effet pacificateur des grandes catastrophes du XXe siècle est terminé. Si le dépassement de cette mécanique est présent dans les Evangiles, il n’a pas encore gagné l’Histoire. D’une certaine manière, le christianisme nous expose à la violence parce qu’en nous faisant trop bien comprendre la logique du bouc émissaire, il nous prive et prive la société de ce mode d’organisation. Le christianisme ne fait que dire cela : « Je séparerai le père, la mère, etc. » ; « Ne croyez pas que je suis venu apporter la paix, j’apporte la guerre ». Mais par méconnaissance des textes, on considère le christianisme comme une espèce d’aspirine contre la violence qui ne produirait pas l’effet voulu. (…) L’homme ne se dit jamais qu’il est naturellement conflictuel. Le bouc émissaire ce n’est jamais soi, mais toujours les autres. Il n’y a pas d’expérience subjective du bouc émissaire. Sauf dans les Evangiles et chez Paul. Pierre fait cette expérience, après son reniement, quand il comprend qu’en ayant renié le Christ, il a participé à son sacrifice. Paul la fait aussi sur le chemin de Damas lorsque le Christ lui dit « pourquoi me persécutes-tu ? » L’expérience chrétienne fondamentale, c’est donc de comprendre que nous sommes incapables de nous passer de bouc émissaire. Et c’est justement ce que le christianisme nous demande : que nous nous en passions. Il nous appelle à une autre vocation. René Girard
Le christianisme (…) nous a fait passer de l’archaïsme à la modernité, en nous aidant à canaliser la violence autrement que par la mort.(…) En faisant d’un supplicié son Dieu, le christianisme va dénoncer le caractère inacceptable du sacrifice. Le Christ, fils de Dieu, innocent par essence, n’a-t-il pas dit – avec les prophètes juifs : « Je veux la miséricorde et non le sacrifice » ? En échange, il a promis le royaume de Dieu qui doit inaugurer l’ère de la réconciliation et la fin de la violence. La Passion inaugure ainsi un ordre inédit qui fonde les droits de l’homme, absolument inaliénables. (…) l’islam (…) ne supporte pas l’idée d’un Dieu crucifié, et donc le sacrifice ultime. Il prône la violence au nom de la guerre sainte et certains de ses fidèles recherchent le martyre en son nom. Archaïque ? Peut-être, mais l’est-il plus que notre société moderne hostile aux rites et de plus en plus soumise à la violence ? Jésus a-t-il échoué ? L’humanité a conservé de nombreux mécanismes sacrificiels. Il lui faut toujours tuer pour fonder, détruire pour créer, ce qui explique pour une part les génocides, les goulags et les holocaustes, le recours à l’arme nucléaire, et aujourd’hui le terrorisme. René Girard
La même force culturelle et spirituelle qui a joué un rôle si décisif dans la disparition du sacrifice humain est aujourd’hui en train de provoquer la disparition des rituels de sacrifice humain qui l’ont jadis remplacé. Tout cela semble être une bonne nouvelle, mais à condition que ceux qui comptaient sur ces ressources rituelles soient en mesure de les remplacer par des ressources religieuses durables d’un autre genre. Priver une société des ressources sacrificielles rudimentaires dont elle dépend sans lui proposer d’alternatives, c’est la plonger dans une crise qui la conduira presque certainement à la violence. Gil Bailie
Je viens vous aider à protéger votre belle diversité. Compteur d’ours français
Vous n’avez plus d’ours chez vous, on ne veut pas être le zoo de l’Europe ! Villageois roumain
Vous n’avez rien appris de Charlie Hebdo, vous n’avez plus rien de sacré ! Villageois roumain
Pendant le tournage, je suis tombé sur une photo de la fin du 19e siècle dans l’un des lieux de tournage, intitulée : L’Agneau de Dieu. J’ai pensé que ça ferait un bon titre. Christian Mungiu
L’histoire (…) parle de la façon dont nos croyances peuvent façonner nos choix, de nos instincts, de nos pulsions irrationnelles et de nos peurs, des animaux enfouis en nous, de l’ambiguïté de nos sentiments, de nos actions et de l’impossibilité de les comprendre pleinement. (… ) Il s’agit aussi d’une histoire sur la mondialisation et ses effets secondaires. (…) Le film évoque les effets de la mondialisation sur une petite communauté enracinée dans des traditions séculaires : les valeurs d’autrefois se sont dissipées, l’accès à l’internet n’a pas apporté à ces gens de nouvelles valeurs, mais les a plutôt accablés par la difficulté de distinguer la vérité de leurs opinions personnelles dans le chaos informationnel et moral actuel. R.M.N. aborde également les effets secondaires du politiquement correct : les gens ont appris qu’il valait mieux ne pas s’exprimer à haute voix quand leurs opinions diffèrent de la norme actuelle. Seulement le politiquement correct n’est pas un processus formateur et il n’a pas changé les opinions en profondeur ; il a juste fait en sorte que les gens expriment moins ce qu’ils pensent. Mais les choses finissent par s’accumuler et, à un moment donné, elles débordent. Christian Mungiu
Je savais dès le départ que cette scène serait capitale pour le film. Et pour l’écrire, je me base d’abord sur mes recherches. J’ai ainsi découvert que l’équivalent de cette scène existait sur Internet et avait d’ailleurs fait scandale lors de sa mise en ligne. Comme si ces échanges avaient mis en lumière des choses que personne ne voulait voir, alors que ceux qui l’ont mis en ligne l’avaient fait de manière tout à fait naïve sans se douter de ce que ça allait provoquer. Et ce que je trouve passionnant dans ce type de réunion, c’est la transformation de chaque individu au contact du groupe. Voilà pourquoi je voulais montrer le maximum de personnages à l’intérieur de cette scène. Le tout sans perdre le spectateur ni leur dire quoi penser. [le choix du plan-séquence, c’était] Pour respecter le continuum de la réalité et pour responsabiliser en quelque sorte le spectateur, en lui laissant le choix d’à travers qui suivre ces moments. Je ne l’oriente pas en passant par des champs contre-champs. Alors que je sais qu’aujourd’hui, on a plutôt tendance à pré-mâcher les choses. Je me sens à contre-courant en écrivant, tournant et montant R.M.N. et j’en ai pleinement conscience. Pour moi, s’il veut raconter la réalité, le cinéma ne peut pas diviser le monde en blanc et noir. Et c’est dans cette logique-là que cette scène est un pivot. (…) [Mes producteurs] craignaient que ce soit un film dans le film, une sorte de reportage filmé qui détonne avec le reste. Moi, j’avais exactement ce que je voulais en tête mais ce n’était pas simple de le formuler. A part une chose : le fait que, pendant tout ce plan-séquence, je n’allais jamais perdre de vue mon personnage central donc le fil de mon récit. Ce fut même la base de ma mise en scène. Mais par celle-ci, je devais aussi trouver le moyen de raconter ce que je cherchais à montrer : le rapport entre l’intimité et la société d’aujourd’hui. Car je trouve qu’il existe une grande différence – plus importante qu’avant – entre ce qu’on dit dans l’intimité et en public. Beaucoup s’autocensurent. Or, avec cette réunion, c’est l’inverse, il faut que les gens s’expriment et mettent tout sur la table pour régler les problèmes. (…) [Ce qui me plait au final dans cette scène, c’est] le fait qu’elle soit différente selon le personnage que vous allez choisir de suivre. Qu’elle puisse se lire et se voir de plein de façons. J’aime aussi son côté polyphonique et l’énergie qui va avec. Une dynamique qui épouse ce qui se passe dans nos sociétés actuelles et qui ambitionne d’en retranscrire la complexité. Cette complexité qui existe en chacun de nous entre notre côté animal et notre côté raisonnable. Je comprends que certains décrochent mais sans cette complexité, RMN n’aurait aucun intérêt. Christian Mungiu
R.M.N. (…) est l’acronyme local de notre IRM, l’Imagerie par résonance magnétique, autrement dit le scanner cérébral qui permet de révéler la maladie derrière la surface. Soit une bonne définition du cinéma de Cristian Mungiu qui, depuis ses débuts, diagnostique avec sa mise en scène au scalpel les maux de la société roumaine d’hier et d’aujourd’hui. Après les ravages de la politique nataliste sous la tyrannie de Ceausescu dans 4 mois, 3 semaines, 2 jours (Palme d’or 2007), la violence du pouvoir religieux dans Au-delà des collines (2012) ou la corruption endémique dans Baccalauréat (2016), les ravages du nationalisme et de la xénophobie sont au cœur de R.M.N. Et c’est aussi déprimant sur le plan politique qu’exaltant en termes de cinéma. Le film se déroule dans un petit village de Transylvanie, la région la plus à l’ouest de la Roumanie, où vivent encore une importante communauté hongroise et une petite minorité allemande. C’est là qu’est né Matthias, et où il revient après avoir perdu son boulot en Allemagne (…) Comme la quasi-totalité de ses voisins, Matthias refuse de travailler pour la boulangerie industrielle, le seul employeur du coin – mais qui ne paye pas assez… La patronne de l’usine et son adjointe, très impliquée dans la vie associative du village, n’ont d’autre solution que d’embaucher des ouvriers immigrés. Quand le village découvre qu’il s’agit de trois Sri-Lankais, ça coince… R.M.N. est, d’abord, une histoire d’incompréhension liée à la langue – ou, plutôt, aux langues. Le film passe sans arrêt (mais avec des couleurs différentes dans les sous-titres pour s’y retrouver !) du roumain au hongrois, avec quelques répliques en allemand et d’autres en anglais, l’idiome universel utilisé par les « étrangers » de l’histoire, dont, belle ironie, un zoologiste français venu, avec l’argent de l’Union européenne, recenser la population d’ours dans les forêts alentour. Les dialogues, remarquablement écrits et souvent très vifs, révèlent petit à petit le contexte explosif de l’intrigue : le poids de l’Histoire, les discriminations anti-Roms, l’exode massif des jeunes à l’Ouest pour une vie meilleure, et résumant tout cela, la haine d’une Europe perçue, au pire, comme une pseudo-dictature qui exploite le pays comme un vampire et voudrait imposer un mode de vie unique de Porto à Bucarest, au mieux, comme une tirelire à subventions. (…) lorsque les citoyens se réunissent dans la salle communale pour débattre du sort à réserver aux nouveaux venus (…) vingt-six personnages différents prennent la parole dans un flot d’invectives ininterrompu. Un grand déballage où toutes les rivalités culturelles ou économiques, tous les antagonismes personnels longtemps en sommeil se réveillent. Et où la haine de l’autre, surtout s’il vient de loin, l’obsession de l’invasion et du « grand remplacement » s’expriment sans la moindre retenue. R.M.N. se déroule en Roumanie mais difficile de ne pas penser à la situation en France ici et maintenant… Télérama
Radiographier le mal ou la maladie, c’est le projet du cinéaste, à l’échelle d’un village de Transylvanie, à la population multiethnique. (…) Matthias (…) un homme rustre et taciturne, impulsif. Humain malgré tout ? (…) son garçon, mutique depuis une rencontre traumatisante dans la forêt (…) son père, un berger vieillissant et malade (..) Csilla, son ancienne maîtresse (…) numéro 2 d’une boulangerie industrielle, seule entreprise dynamique du coin, mais aux salaires trop bas pour les jeunes locaux, qui ont préféré partir vers l’ouest (…) la main-d’œuvre étrangère, deux Sri-Lankais (…) la communauté, paupérisée, mécontentement et ressentiment (…) La violence xénophobe [qui] menace alors d’embraser le village. Il n’est pas question pour Cristian Mungiu (…) de la justifier, mais bien de la décortiquer, en exposant de manière magistrale les ressorts multiples qui l’alimentent. On écrit « magistrale », car le nombre d’éléments, à la fois économiques, culturels, religieux, anthropologiques, qu’il est parvenu à réunir force le respect. Ambitieuse est cette fresque, où l’on parle au moins cinq langues. Où se réfléchit le poids de l’histoire de la Transylvanie, avec un éclairage sur ses minorités — hongroises et allemandes. Et où sont montrés avec une ironie mordante les effets pervers de l’Union européenne et de la mondialisation. (…) Le privé et le public, le particulier et l’universel restent liés. Quant aux conflits, ils sont aussi intérieurs : le versatile Matthias ne sait plus très bien à quel camp lui-même appartient. R.M.N. montre comment chacun peut très vite se retrouver « le sale Gitan » d’un autre. Et comment la bête raciste tapie en nous peut se réveiller à tout moment, si on laisse les bas instincts prendre le dessus sur la raison. La peur de l’autre, de la nuit, des animaux traverse le film. Une peur implacable mais aussi grotesque, risible. L’atout majeur de R.M.N. réside sans doute dans son alliage de noirceur terrible et de farce absurde. Qui culmine dans la scène de la salle communale, où les habitants prennent à tour de rôle la parole pour débattre du sort des immigrés. Un formidable morceau de bravoure — dix-sept minutes de plan-séquence — pour un grand déballage, un théâtre de l’invective, de la rancœur, de la zizanie. On repense alors à ces vieux westerns qui finissent en bataille rangée, pire, en curée punitive. Mais celui-ci, glaçant, évoque l’ici et maintenant, un peu partout en Europe. Pourtant, dans une ultime pirouette, Cristian Mungiu réfute le pessimisme, en montrant ce que la nuit recèle aussi de profondeur énigmatique… Pas si loin, étrangement, de la magie de Noël. Télérama
Le titre de R.M.N. (…) résume bien l’horizon du récit, qui scanne les pulsions racistes et violentes d’un village perturbé par l’arrivée de travailleurs sri-lankais. Le programme n’est pas sans lourdeur – en témoigne un dernier plan métaphorique appuyé – mais la méthode de Mungiu, elle, se révèle plus sinueuse. Le film repose sur un entremêlement de petites scènes conservant une part lacunaire (le prologue où un enfant traverse seul un bois) ou qui mettent en exergue la complexité du maillage communautaire ici ausculté, afin d’entretenir un flottement permanent. Malin, le scénario brouille volontairement les pistes et dépeint un microcosme où la présence rampante du mal revêt potentiellement de multiples visages. D’une certaine manière, R.M.N. est ce que l’on pourrait appeler un film à « clignotants » : de nombreuses scènes font « signal », semblent indiquer que quelque chose d’important se joue, sans pour autant que l’on sache exactement quoi. (…) On voit un peu trop les coutures de la manœuvre : la stratégie, indéniablement habile, consiste à semer des petits cailloux pour donner l’impression d’une profondeur tentaculaire des enjeux, à force de sous-entendus et d’ambiguïtés, mais cette profondeur n’est dès lors qu’artificielle, fruit d’un calcul. Le film est en revanche plus intéressant lorsqu’il dépeint, en plan-séquence, des situations qui laissent libre cours à la parole et à l’impromptu. Ainsi d’une assemblée qui rappelle presque certains débats de City Hall de Frederick Wiseman. Si l’on devine que la scène est préparée au millimètre près, le retrait dont témoigne à ce moment-là la mise en scène permet de réellement donner vie à la communauté multi-ethnique divisée au cœur de l’intrigue. Critikart
Cristian Mungiu, qui avait reçu la palme d’or en 2007 pour 4 mois, 3 semaines et 2 jours et qui n’est pas connu pour sa puissance comique, sans doute parce qu’il a grandi dans un pays qui a connu la morne déliquescence d’une dictature grotesque et qu’il s’est forgé la certitude qu’il n’y a rien de bon à attendre de quelque organisation humaine que ce soit, nous offre avec R.M.N. une parenthèse de noirceur morale et de constats accablants. Le personnage principal est un type antipathique, Matthias, roumain travaillant dans un abattoir en Allemagne. Un contremaître le rappelle à l’ordre en le traitant de «gitan», ce qu’il prend très mal, secouant le mec et prenant la fuite. Il s’en revient dans sa Transylvanie natale où il avait laissé sa femme et son fils qui n’ont pas l’air particulièrement ravis de le voir rentrer. Le gamin ne parle plus depuis quelque temps, apparemment saisi d’horreur dans la forêt voisine qu’il doit traverser pour se rendre à l’école. Matthias, lui, est surtout pressé de renouer le contact très charnel avec son ex, devenue gérante d’une boulangerie industrielle qui tourne à plein régime mais doit recruter des travailleurs migrants pour le coup de pression des fêtes de fin d’année puisque apparemment les Roumains du secteur ne répondent pas aux petites annonces d’emplois trop mal payés. Trois Sri-Lankais débarquent dans le village où ils sont bien accueillis par une partie de la population mais aussi en butte à une coalition fortement organisée au sein de l’église locale qui veut les éjecter. Une longue scène de réunion publique tournée en plan-séquence montre les arguments des différents membres d’un bled traversé par le racisme, la haine de tout ce qui vient de l’Ouest associé à une forme de décadence morale, les conséquences jugées délétères de la construction européenne et de son libéralisme. Parmi les habitants, certains revendiquent toutes sortes de lubies folkloriques de défense d’une identité locale en peau de bêtes et virilisme gueulard, toujours prompt à sortir le fusil de chasse. Il faut savoir que la Transylvanie est composée d’une mosaïque de populations entre Roumains, Hongrois, Roms, Allemands… Il s’agit évidemment d’orchestrer la cacophonie contemporaine, ce grand désordre des points de vue, des opinions, des affects qui prend la forme d’un fascisme en gésine dont la petite musique terrifiante et mesquine contamine peu à peu le moindre espace de ce biotope asphyxié. La pesanteur démonstrative de l’ensemble qui ne laisse vraiment que peu d’espace aux personnages pour qu’ils puissent se sauver de ce traquenard (d’ailleurs à la fin, l’un d’eux se pend) rend finalement le film aussi peu aimable que ce qu’il entend dénoncer. Libération
En faisant tout sursignifier et en portant au rouge les affects […], R.M.N. prend hélas le risque de faire de son propre film le “zoo” de la société qu’il dépeint, et d’assigner au spectateur la place de Rudi, l’enfant coi. Cahiers du cinéma
Depuis sa palme d’or avec 4 mois, 3 semaines, 2 jours, en 2007, le Roumain Cristian Mungiu est toujours revenu du Festival de Cannes bardé de prix. En 2012, il est récompensé du prix du meilleur scénario et d’un double prix d’interprétation féminine pour Au-delà des collines. En 2016, il obtient le prix du meilleur scénario pour Baccalauréat . De retour cette année en compétition avec R.M.N., Mungiu est reparti bredouille. Son absence au palmarès interroge car il signe peut-être là son meilleur film. Il confirme en tout cas qu’il est un cinéaste passionnant. Un grand moraliste, le contraire d’un donneur de leçons. Et avant tout un vrai raconteur d’histoire. Matthias quitte l’abattoir où il travaille en Allemagne sur un coup de tête. Au propre comme au figuré. Il se fait traiter de «Gitan». L’insulte revient dans la bouche de plusieurs protagonistes de R.M.N., et change de cible selon le pays, la communauté, la position sociale. Chacun est le Gitan d’un autre. Matthias est Roumain. Il est de retour dans son village natal quelques jours avant Noël. Un village de Transylvanie, multiethnique, où l’on parle roumain, hongrois et allemand. Son fils Rudi, lui, ne parle plus depuis qu’il a vu «quelque chose de mal» dans la forêt. Son père aussi est mutique, de plus en plus impotent. Matthias retrouve son ancienne maîtresse, Csilla. Elle gère une usine qui fabrique du pain, parle anglais, joue du violoncelle. Elle peine à trouver des employés, les habitants refusant de travailler pour des salaires aussi bas. Elle finit par recruter trois Sri-Lankais qui débarquent sous la neige. Les premières tensions affleurent dans la communauté. Les forums internet déversent des torrents de haine à l’encontre de ces hommes à la peau sombre. R.M.N. n’est pas sans rapport avec As Bestas. L’Espagnol Rodrigo Sorogoyen mettait en scène Denis Ménochet et Marina Foïs en couple de bobos français pétris de bons sentiments dans un village isolé de Galice, affrontant une famille autochtone décidée à vendre sa ferme à un projet d’éoliennes pour ne pas crever de faim. Les meilleures scènes prenaient la forme de joutes verbales dans un café, purs moments de rhétorique. C’est aussi le cas ici, notamment dans la séquence de dix-sept minutes tournée en un seul plan. La scène n’est pas qu’un morceau de bravoure. Dans la salle des fêtes du village où se rassemble la communauté, 26 personnages prennent la parole. Dans ce laboratoire de la mondialisation malheureuse et du populisme, on entend 26 nuances d’intolérance et de xénophobie. De bonne conscience et d’hypocrisie aussi. L’Union européenne est incarnée par un Français candide, membre d’une ONG pour la préservation des ours. «Je viens vous aider à protéger votre belle diversité», assène la belle âme aux travailleurs qui ont vu leur mine fermer à cause des écologistes. Il se fait rembarrer: «Vous n’avez plus d’ours chez vous, on ne veut pas être le zoo de l’Europe!» Ou encore: «Vous n’avez rien appris de Charlie Hebdo, vous n’avez rien de sacré!» Matthias ne sait pas vraiment quoi penser de tout cela. Il chevauche sa moto, son fusil en bandoulière. Tempête sous un crâne. Entre les beaux yeux de Csilla et le poids des préjugés, son cœur balance. Comme le corps d’un pendu dans une forêt sombre de Transylvanie. Le Figaro
Dans tous ses films, Cristian Mungiu explore la société roumaine. Après l’avortement, les années Ceaușescu, la religion et l’éducation, il s’attaque aujourd’hui à la xénophobie qui gangrène le pays suite à la vague migratoire de ces dernières années. Le titre R.M.N. (I. R. M. en roumain) désigne l’imagerie médicale du cerveau du père de Mathias qu’il consulte régulièrement sur son portable. Cette représentation d’un cerveau dégénérescent pourrait renvoyer au logiciel roumain déréglé. Mais l’acronyme du titre fait aussi penser à celui de la Roumanie, comme sur une plaque minéralogique. Il évoquerait alors une Roumanie globale, à travers le cas particulier de ce village roumain. Le bilan n’est pas glorieux. (…) Le film s’enlise quelque peu dans la chronique de ce village enneigé, traversé d’anecdotes successives anodines dont il ressort une dramaturgie assez pauvre. Pourquoi pas ? Mais l’on se demande où Mungiu veut en venir avec ce collier de perles, aux épisodes répétitifs. Jusqu’à ce que le sujet de fond émerge enfin : l’opposition radicale de la population à la présence de trois étrangers dans le village. C’est la partie la plus intéressante du film, avec une scène de réunion municipale remarquable, jouée par des acteurs non professionnels qui improvisent leur texte. Mais quel déséquilibre dans la construction et le rythme du film. La scène finale, avec des acteurs grimés en ours est assez ridicule, et donne le coup de grâce à ce qui s’avère le moins bon film d’un cinéaste par ailleurs passionnant. France info
Au sein d’une ville dont tous les liants communautaires sont effilochés par un ordre libéral et supra-national incompréhensible, le metteur en scène chronique une inexorable spirale de folie et de mort. (…) Les récits portés par Cristian Mungiu, ambassadeur du cinéma roumain depuis tout juste deux décennies, ont toujours cherché, explorent les contradictions qui minent le corps social, quitte à le pousser à une forme d’auto-prédation terrible. Non-dits, révoltes rentrées ou compromissions insolubles, son cinéma a toujours pris le pouls de la société roumaine. Mais si depuis 2002 il aura alternativement traité de l’avortement, des liens parfois étroits entre religieux et superstition, ou encore des arrangements déraisonnables qui lestent l’ascenseur social de son pays, on aurait tort de décrire l’auteur comme un ascétique doloriste. La vibration inquiète qui a toujours porté ses films est surmultipliée dans R.M.N.. Pourtant, au premier abord, l’ensemble semble vouloir nous happer par la précision et la rigueur quasi-documentaire avec laquelle il aborde une problématique humaine et économique spécifique, à savoir le mouvement d’écartèlement vécu par des régions, dont la population active masculine s’expatrie pour travailler dans d’autres pays de l’Union européenne, contraignant leur localité d’origine à “importer” des travailleurs, souvent accueillis dans un climat de tension, voire de franc racisme. (…) La force première de R.M.N. est de feindre un geste naturaliste, dont on devine que la photographie comme les décors usent au maximum d’éléments réels, pour mieux laisser un sens de la dramaturgie (qui emprunte volontiers au réalisme magique, voire à l’horreur) s’insinuer comme un lent poison. En témoignent ces plans fixes qui pourraient n’être que d’innombrables pastilles grisâtres, mais dont l’étrangeté finit systématiquement par impressionner. Le monde qu’habite Matthias est saturé de violence, pollution qui a contaminé l’existant bien avant que notre anti-héros n’entame son chemin de croix. Dès l’ouverture, la lumière blafarde de l’abattoir, le son mat des coups sur les chairs dévitalisées de bovins… tout concourt à nous entraîner par petites, mais irrésistibles touches dans une réalité viciée, contaminée. Sous nos yeux, la Transylvanie de Mungiu dévisse, se dérègle et se complexifie. Le titre de l’œuvre nous intéresse puisqu’il peut à la fois se comprendre comme un quasi-acronyme de “Roumanie”, tandis qu’il s’entend aussi comme la traduction roumaine d’IRM. Examen que subit le père du protagoniste. Vieil homme à l’apparence paisible, harmonieuse, dont la santé se dégrade, son corps pourrissant par la tête. Et son fils de scruter, entre horreur et fascination, les clichés de son cerveau, comme pour détecter quelque insondable secret. (…) Connu pour un usage rigoureux et parfois sidérant de plans-séquences orchestrés autour d’un plan fixe, le metteur en scène propose ici une série de moments hallucinants. Le plus évident demeurera un conseil municipal (pas exactement un haut-lieu du romanesque sur grand écran) au cours duquel, à la faveur d’un cadre unique, toutes les passions mauvaises qui gangrènent les personnages vont entrer en éruption. L’image se compose autour des mains nouées de deux amants clandestins, qui jouent simultanément leur avenir amoureux et professionnel. Autour d’eux, fusent bientôt questionnements et invectives, une partie des habitants exigeant le départ des travailleurs étrangers, une autre fraction craignant que leur éviction ne s’accompagne de violences racistes, tout en menaçant le fragile équilibre économique de la région. Les arguments fusent, les faciès se croisent, se toisent et se tordent. (…) Finalement plus autopsie qu’examen médical, R.M.N. dresse un portrait terrible de la Roumanie. Pour autant, le scénario comme le filmage se gardent bien de trouver des coupables faciles ou monochromatiques à la putrescence qui menace de toute part. Le libéralisme inhumain est pointé du doigt, sans dissimuler non plus combien les mauvaises volontés individuelles ou désirs de dévoyer certains dispositifs sont au moins aussi responsables de la progression des haines. Personne n’échappe ni à la lumière ni aux ténèbres. Matthias n’est pas un homme hostile à des travailleurs étrangers dont il a partagé la condition, mais l’idée que sa maîtresse lui porte assistance éveille en lui une masculinité dominatrice et prédatrice. Le prêtre voudrait rassembler ses ouailles dans la paix et l’amour de leur prochain. De leur prochain, mais pas des Sri Lankais qu’il est prêt à sacrifier pour sauvegarder sa popularité. Csilla rêve de violon et d’émancipation, mais demeure l’exécutrice des basses-oeuvres d’une firme faisant des humains du bétail. « Pour survivre, il faut être impitoyable », explique tranquillement un père à son fils. Et les loups de sortir, vêtus de leurs capuches blanches et armés de torches, comme autant de spectres ou de monstres anciens, postés à la frontière entre lumière et ténèbres, pour mieux mordre qui aura l’inconséquence de s’approcher pour mieux les ramener à l’humanité. Et le film de le devenir radicalement dans son dernier mouvement, où le rideau du réel se déchire purement et simplement. (…) Ce que montre Mungiu, c’est le surgissement de ce que l’humanité a toujours voulu repousser, contenir loin de ses villes, de ses champs, de ses rêves, une forme d’animalité et de monstruosité qu’un XXIe siècle vorace et impitoyable convoque, et dont le surgissement est désormais imminent. Thierry Cheze
Si les cinéphiles connaissent la Transylvanie, c’est surtout parce que c’est dans cette région de la Roumanie qu’était censé habiter le comte Dracula, le héros de l’écrivain irlandais Bram Stoker et le personnage principal d’un grand nombre de films. La Transylvanie, toutefois, n’est pas que cela, c’est aussi une région que son histoire a rendu pluriethnique, même si elle l’est moins aujourd’hui qu’il y a un siècle. C’est ainsi que, dans la petite ville de Transylvanie où nous entraine Cristian Mungiu, cohabitent des populations roumaines, hongroises et allemandes, des gens de religions différentes, des gens qui, entre eux, parlent des langues différentes mais des gens qui, finalement, donnent l’impression de bien s’entendre. Comme beaucoup d’habitants de cette petite ville, Matthias était allé travailler à l’étranger et le voici de retour d’Allemagne à quelques jours de Noël, lui qui n’a pas supporté d’être traité de gitan par un collègue. A titre personnel, il s’inquiète pour Rudi, son fils de 8 ans, qui, en son absence, a pris de mauvaises habitudes et qui a peur d’aller seul à l’école car il a vu sur le chemin des choses qui l’ont effrayé. Il s’inquiète aussi pour Otto, son père, un homme âgé qui s’inquiète pour ses moutons, et il a hâte de retrouver Csilla, une femme de la communauté hongroise, qui était sa maîtresse avant son départ à l’étranger. Quant à la petite ville, elle est en train de prendre de plein fouet les méfaits de la mondialisation : en Roumanie, les salaires sont très bas par rapport aux autres pays européens et la population locale en âge de travailler préfère le plus souvent partir occuper un poste à l’étranger plutôt que d’en chercher un sur place. Comment, dans ces conditions, Csilla peut-elle arriver à embaucher du personnel dans la boulangerie industrielle qu’elle dirige, dans le but de dépasser le nombre de 50 employés et permettre ainsi l’obtention d’une subvention de l’Union Européenne ? En engageant des hommes ou des femmes venant de pays plus pauvres que la Roumanie, des sri-lankais, par exemple ? Sauf que les habitants de la ville qui refusent les salaires de misère qu’on leur propose sur place ne veulent pas entendre parler de l’installation chez eux d’une population venant de l’autre bout du monde et ils se liguent pour obtenir leur départ. Entourée d’une forêt épaisse et de collines, la petite ville roumaine dans laquelle se déroule l’action a tendance à vivre en vase clos. Certes, des communautés d’origines différentes, de langues différentes, de religions différentes arrivent à y vivre de façon cordiale les unes avec les autres, mais cette situation dure depuis longtemps et les antagonismes qui ont très probablement existé dans le passé ont petit à petit disparu. Par contre, il n’est pas question d’accueillir à bras ouverts une nouvelle communauté, qui plus est venant de très loin : dans cet environnement étriqué, tout nouvel arrivant est considéré comme un éventuel ennemi.  En fait, des évènements à peu près similaires à ceux que raconte le film se sont réellement déroulés en Transylvanie dans les années précédant la pandémie. Il est bon de se rappeler, toutefois, que de telles situations sont loin d’être une exclusivité de la Roumanie et que, malheureusement, on les retrouve, plus ou moins prononcées, un peu partout dans le monde, ne serait-ce que dans notre beau pays. En fait, attirés par les salaires de l’ouest de l’Europe, de nombreux roumains acceptent d’y être mal accueillis, d’être rejetés comme l’a été Matthias, et, simultanément, rejettent avec force les populations du tiers-monde qui viennent occuper les postes qu’ils considèrent comme sous-payés et dont ils ne veulent pas. (…) R.M.N., le titre original du film, dit tout sur ce que voulait montrer le réalisateur : Rezonanta Magnetica Nucleara en roumain, Imagerie par résonance magnétique, IRM, en français, une technique qui permet de détecter ce qui se passe sous la surface. Tant au niveau de cette histoire que d’un point de vue cinématographique, le point d’orgue de R.M.N. se niche dans une grande assemblée publique qui réunit dans une salle municipale, sur le sort à réserver aux travailleurs sri-lankais, une très grande partie de la population et où cours de laquelle s’expriment des discours racistes et xénophobes à l’encontre des gitans et des immigrés : un plan séquence de 17 minutes avec une intervention orale de la part de 26 personnes, dont un prêtre qui n’est pas le dernier dans le discours haineux. Pour arriver au résultat recherché par le réalisateur, plus de 20 prises ont été nécessaires, sur une durée de 48 heures. Alors que les rôles secondaires sont interprétés par des non professionnels, les rôles principaux de R.M.N. sont tenus par des acteurs professionnels, dont Marin Grigore dans le rôle de Matthias et Judith Slate dans celui de Csilla (…) Vu le contexte général de l’histoire, un grand nombre de langues sont parlées dans le film : roumain, hongrois, allemand, sinhala, la langue des sri-lankais, anglais, puisque le film parle des effets de la mondialisation, français, puisqu’un français est là, dépêché par la Commission Européenne pour faire le décompte des ours de la région. A noter qu’un effort à base de couleurs différentes a été fait pour distinguer les langues au niveau du sous-titrage. (…) A partir d’une histoire qui se déroule dans une région isolée de la Roumanie, [Cristian Mungiu] embrasse un sujet malheureusement universel, le rejet de l’autre, le rejet de celui que l’on ne connait pas, le rejet de celui qui vient d’ailleurs. Jean-Jacques Corrio

Devinez pourquoi avec son démontage magistral de l’actuel politiquement correct Cristian Mungiu est revenu bredouille du Festival de Cannes l’an dernier ?

« Portrait au vitriol d’une Roumanie xénophobe », « scanner, auscultation ou radiographie de la xénophobie ordinaire » …

« Ravages des populismes », « nationalisme »,  « rejet de l’autre », « virilisme gueulard en peau de bêtes et du fusil de chasse », « fascisme en gésine », « obsession de l’invasion et du grand remplacement »…

Héros rustre et taciturne, impulsif ayant fui son pays aux emplois sous-payés pour une Allemagne qui le traite de gitan ….

Petit garçon, mutique depuis une rencontre traumatisante dans la forêt …

Berger vieillissant et malade qui voit son troupeau décimé par les ours et ne trouvant d’issue que dans le suicide …

Ou acceptant plutôt de finir en agneau sacrificiel, en cette nuit de Noël, pour éviter le lynchage que l’on sentait venir des trois étrangers …

Ancienne maîtresse numéro 2 d’une boulangerie industrielle rêvant, entre verre de vin français et morceau de violoncelle, émancipation et vie associative …

Mais exécutrice des basses-oeuvres d’une firme seule entreprise dynamique du coin mais faisant des humains du bétail, mais aux salaires trop bas pour les jeunes locaux, qui ont préféré partir vers l’ouest …

Main-d’œuvre étrangère importée jusque du Sri-Lanka pour remplacer les locaux ayant quitté leur pays pour cause de bas salaires ..

Village isolé de la forêt transylvanienne du légendaire Dracula, à l’histoire à peine pacifiée d’une histoire mouvementée entre des minorités de langues (hongroise, allemande et roumaine) et de religion (catholique, luthérienne et orthodoxe) différentes…

Mais à présent dévorée par le ressentiment, suite à sa paupérisation via la fermeture d’une mine d’or qui sous Ceausescu avait noyé et détruit l’environnement sous une eau remplie de cyanure …

Prêtre roulant en Mercedes prêt à sacrifier, sur fond de fêtes de Noël mêlant appel chrétien à la bienveillance universelle et processions au flambeau et en peaux d’ours, les nouveaux venus pour sauvegarder sa popularité…

Mondialisation et Union européenne incarnées par un zoologiste français anglophone et membre d’une ONG pour la préservation de la vie sauvage …

Venu « protéger », derrière la « belle diversité » annoncée, les ours mêmes qui dévastent les troupeaux des bergers du coin  ..

Tout en prêchant un vivre ensemble qu’entre deux massacres, la France elle-même est incapable de réaliser …

Reprise d’une scène qui existait déjà sur Internet et avait fait scandale pour avoir mis en lumière des choses que personne ne voulait voir …

Comment ne pas être épaté, à l’instar de l’incroyable et inextricable complexité qu’est devenu notre monde, du nombre d’éléments, à la fois économiques, culturels, religieux, historiques et anthropologiques …

Que, mêlant habilement le plus grand naturalisme et le réalisme magique, le réalisateur roumain Cristian Mungiu a réussi à réunir dans cette histoire d’expulsion impossible (R.M.N. comme à la fois le terme roumain pour nos IRM et l’acronyme de la Roumanie) …

Et aussi comment contre le politiquement correct de la mondialisation heureuse et du vivre ensemble triomphant …

Il arrive à libérer comme peut-être jamais aussi explicitement dans le cinéma actuel …

La parole des victimes de ladite mondialisation, tout à leur désespoir face au saccage de leurs traditions et de leur mode de vie…

Mais comment ne pas voir aussi l’inévitable contresens de la plupart des critiques, n’y voyant que la dénonciation facile et habituelle de la xénophobie et du racisme ordinaire …

Et comment dès lors s’étonner de la sorte d’expulsion qu’a subi à son tour ce palmé d’or de Cannes et habitué multi-récompensé de ces temples du politiquement correct que sont devenus les grands festivals du cinéma mondiaux…

En en revenant pour la première fois bredouille l’an dernier ?

Cristian Mungiu : « Avec RMN, j’ambitionne de raconter la complexité de notre époque »
Thierry Cheze
Première
18/10/2022

Le cinéaste roumain décrypte le saisissant plan séquence de 17 minutes au cœur de son nouveau film qui ausculte la xénophobie ordinaire dans un petit village de Transylvanie.

RMN raconte comment, dans un village multi-ethnique de Transylvanie, l’embauche dans une usine locale de travailleurs venus du Sri- Lanka va faire exploser les haines de classe, de religion et de race enfouies depuis des années. Un film sur la xénophobie ordinaire au cœur duquel on trouve un plan-séquence renversant de 17 minutes captant la réunion municipale où se décide si les Sri-Lankais doivent quitter le village ou non. Comment naît ce plan- séquence à l’écriture ?

Cristian Mungiu : Je savais dès le départ que cette scène serait capitale pour le film. Et pour l’écrire, je me base d’abord sur mes recherches. J’ai ainsi découvert que l’équivalent de cette scène existait sur Internet et avait d’ailleurs fait scandale lors de sa mise en ligne. Comme si ces échanges avaient mis en lumière des choses que personne ne voulait voir, alors que ceux qui l’ont mis en ligne l’avaient fait de manière tout à fait naïve sans se douter de ce que ça allait provoquer. Et ce que je trouve passionnant dans ce type de réunion, c’est la transformation de chaque individu au contact du groupe. Voilà pourquoi je voulais montrer le maximum de personnages à l’intérieur de cette scène. Le tout sans perdre le spectateur ni leur dire quoi penser.

Pourquoi le choix du plan-séquence pour capter ce moment ?

Pour respecter le continuum de la réalité et pour responsabiliser en quelque sorte le spectateur, en lui laissant le choix d’à travers qui suivre ces moments. Je ne l’oriente pas en passant par des champs contre-champs. Alors que je sais qu’aujourd’hui, on a plutôt tendance à pré-mâcher les choses. Je me sens à contre-courant en écrivant, tournant et montant R.M.N. et j’en ai pleinement conscience. Pour moi, s’il veut raconter la réalité, le cinéma ne peut pas diviser le monde en blanc et noir. Et c’est dans cette logique-là que cette scène est un pivot

Est-ce qu’une telle scène a inquiété vos producteurs ?

Pas vraiment. Mais j’ai dû leur expliquer ce que je voulais faire car ils craignaient que ce soit un film dans le film, une sorte de reportage filmé qui détonne avec le reste. Moi, j’avais exactement ce que je voulais en tête mais ce n’était pas simple de le formuler. A part une chose : le fait que, pendant tout ce plan-séquence, je n’allais jamais perdre de vue mon personnage central donc le fil de mon récit. Ce fut même la base de ma mise en scène. Mais par celle-ci, je devais aussi trouver le moyen de raconter ce que je cherchais à montrer : le rapport entre l’intimité et la société d’aujourd’hui. Car je trouve qu’il existe une grande différence – plus importante qu’avant – entre ce qu’on dit dans l’intimité et en public. Beaucoup s’autocensurent. Or, avec cette réunion, c’est l’inverse, il faut que les gens s’expriment et mettent tout sur la table pour régler les problèmes.

Cette scène a-t’elle beaucoup évolué entre son écriture et le tournage ?

Oui parce qu’il faut s’adapter aux moyens qu’on a. Dans le scénario, la scène faisait 26 pages. Mais quand j’ai su que j’aurais seulement une journée pour répéter et deux jours pour la tourner, j’ai pris la décision de la réduire pour tenir les délais. Et ce en m’appuyant sur son essence-même, le fait que tout le monde parle en même temps et que personne n’écoute personne. J’ai donc choisi de mêler les dix premières pages puis j’ai entraîné les comédiens à parler les uns sur les autres. En ayant évidemment conscience de la prouesse technique que cela allait nécessiter de mon équipe son pour parvenir à tout capter et le rendre intelligible. Et le jour J, sur le plateau, j’ai demandé à tout le monde quelques heures de réflexion. Je me suis servi de morceaux de bois en les mettant au sol pour créer les positions et le mouvement que j’allais avoir à faire. Pour jouer aussi avec la lumière. Tout un travail qui doit être invisible aux yeux des spectateurs

Qu’avez-vous dit précisément à vos comédiens ?

Je leur ai envoyé un message la veille pour leur dire que ça allait être la scène la plus compliquée que j’ai jamais tournée dans un film et que cela serait sans doute la même chose pour eux. Je leur ai donc demandé de savoir leurs dialogues par cœur en leur assurant qu’à partir de là, je me débrouillerai, mais que sans cela, la scène irait droit dans le mur. Mais, le lendemain, j’ai tout de suite senti que les premières réactions des figurants ne donnaient pas aux comédiens l’énergie nécessaire. Je suis alors allé les voir et leur parler comme s’ils n’étaient plus des figurants mais des interprètes à part entière. Je leur ai donc laissé la possibilité de s’exprimer et ce faisant je les ai responsabilisés. Ca été un bordel sans nom au départ mais j’ai régulé tout ça et très vite, ça a donné une impulsion aux comédiens qui devaient s’imposer davantage. Puis, au fil des prises, je régulais le niveau des réactions comme un chef d’orchestre, ayant aussi besoin de moments de silence, et ce en changeant mes habitudes puisque d’habitude je reste derrière mon moniteur. Et pour que ceux qui ne soient plus dans le champ restent concentrés, j’ai inventé une deuxième caméra qui faisait partie intégrante de la scène avec un personnage de journaliste. Il était clair que je ne me servirai pas de ces images mais cela a changé l’implication des comédiens.

Comment s’est passée la post-production de cette scène ?

En tournant, je n’entendais pas tout ce que les gens disaient. Juste un mix dans le casque. C’est donc en post- production que j’ai écouté les pistes une par une et là j’ai entendu que tout ce petit monde avait dit des choses extrêmement intéressantes qui ne figuraient pas dans le scénario. J’ai pu les réintégrer. Le mixeur a eu un travail titanesque à faire. Ca peut servir de cas d’étude à la FEMIS ! (rires)

Qu’est ce qui vous plait au final dans cette scène telle qu’elle existe à l’écran ?

Le fait qu’elle soit différente selon le personnage que vous allez choisir de suivre. Qu’elle puisse se lire et se voir de plein de façons. J’aime aussi son côté polyphonique et l’énergie qui va avec. Une dynamique qui épouse ce qui se passe dans nos sociétés actuelles et qui ambitionne d’en retranscrire la complexité. Cette complexité qui existe en chacun de nous entre notre côté animal et notre côté raisonnable. Je comprends que certains décrochent mais sans cette complexité, RMN n’aurait aucun intérêt.

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R.M.N. : critique qui a vu la bête
Simon Riaux
Ecran large
18 octobre 2022

Multi-primé depuis le début de sa carrière, Cristian Mungiu est de retour avec R.M.N., une plongée suffocante au coeur de la Roumanie. Au sein d’une ville dont tous les liants communautaires sont effilochés par un ordre libéral et supra-national incompréhensible, le metteur en scène chronique une inexorable spirale de folie et de mort.

Dans les bois, sur le chemin de l’école, Rudi a vu quelque chose. Ou quelqu’un. Quoique ce fût, sa découverte a marqué l’enfant assez profondément pour transformer son quotidien dans une petite ville de Transylvanie en un long flux d’irrépressibles angoisses. Angoisses qui décontenancent sa mère, aussi bien que son père, Matthias, de retour après avoir vécu à Berlin en tant que travailleur détaché des mois durant.

Les récits portés par Cristian Mungiu, ambassadeur du cinéma roumain depuis tout juste deux décennies, ont toujours cherché, explorent les contradictions qui minent le corps social, quitte à le pousser à une forme d’auto-prédation terrible. Non-dits, révoltes rentrées ou compromissions insolubles, son cinéma a toujours pris le pouls de la société roumaine. Mais si depuis 2002 il aura alternativement traité de l’avortement, des liens parfois étroits entre religieux et superstition, ou encore des arrangements déraisonnables qui lestent l’ascenseur social de son pays, on aurait tort de décrire l’auteur comme un ascétique doloriste.

Le miracle économique allemand

La vibration inquiète qui a toujours porté ses films est surmultipliée dans R.M.N.. Pourtant, au premier abord, l’ensemble semble vouloir nous happer par la précision et la rigueur quasi-documentaire avec laquelle il aborde une problématique humaine et économique spécifique, à savoir le mouvement d’écartèlement vécu par des régions, dont la population active masculine s’expatrie pour travailler dans d’autres pays de l’Union européenne, contraignant leur localité d’origine à “importer” des travailleurs, souvent accueillis dans un climat de tension, voire de franc racisme.

Le sujet est complexe, ultra-contemporain, tandis que les conditions de tournage du métrage (au beau milieu de la crise sanitaire internationale) le contraignent, a priori, à opter pour des dispositifs de mise en scène légers, au plus près du réel. Soit la recette d’une sécheresse souvent caricaturée par un public qui aime à tancer les “films roumains”, quand bien même il a rarement l’occasion d’en découvrir. Mais R.M.N. déjoue toutes les attentes : la nouvelle création de Cristian Mungiu est une des propositions de cinéma les plus puissantes, débordantes d’idées et de style qu’on ait vu depuis bien longtemps.

Qu’a-t-il vu qui aurait rendu un autre fou ?

La force première de R.M.N. est de feindre un geste naturaliste, dont on devine que la photographie comme les décors usent au maximum d’éléments réels, pour mieux laisser un sens de la dramaturgie (qui emprunte volontiers au réalisme magique, voire à l’horreur) s’insinuer comme un lent poison. En témoignent ces plans fixes qui pourraient n’être que d’innombrables pastilles grisâtres, mais dont l’étrangeté finit systématiquement par impressionner. Le monde qu’habite Matthias est saturé de violence, pollution qui a contaminé l’existant bien avant que notre anti-héros n’entame son chemin de croix. Dès l’ouverture, la lumière blafarde de l’abattoir, le son mat des coups sur les chairs dévitalisées de bovins… tout concourt à nous entraîner par petites, mais irrésistibles touches dans une réalité viciée, contaminée.

Sous nos yeux, la Transylvanie de Mungiu dévisse, se dérègle et se complexifie. Le titre de l’œuvre nous intéresse puisqu’il peut à la fois se comprendre comme un quasi-acronyme de “Roumanie”, tandis qu’il s’entend aussi comme la traduction roumaine d’IRM. Examen que subit le père du protagoniste. Vieil homme à l’apparence paisible, harmonieuse, dont la santé se dégrade, son corps pourrissant par la tête. Et son fils de scruter, entre horreur et fascination, les clichés de son cerveau, comme pour détecter quelque insondable secret.

L’amour au premier regard sur le contrat de travail

C’est dans ces instants suspendus que le style de Mungiu est le plus reconnaissable. Distinct, mais certainement pas dans un geste de répétition, car atteignant pour la première fois un degré d’incandescence ainsi qu’une puissance évocatrice qui font de cette fable amère un objet de cinéma purement sensitif, difficilement catégorisable. Connu pour un usage rigoureux et parfois sidérant de plans-séquences orchestrés autour d’un plan fixe, le metteur en scène propose ici une série de moments hallucinants. Le plus évident demeurera un conseil municipal (pas exactement un haut-lieu du romanesque sur grand écran) au cours duquel, à la faveur d’un cadre unique, toutes les passions mauvaises qui gangrènent les personnages vont entrer en éruption.

L’image se compose autour des mains nouées de deux amants clandestins, qui jouent simultanément leur avenir amoureux et professionnel. Autour d’eux, fusent bientôt questionnements et invectives, une partie des habitants exigeant le départ des travailleurs étrangers, une autre fraction craignant que leur éviction ne s’accompagne de violences racistes, tout en menaçant le fragile équilibre économique de la région. Les arguments fusent, les faciès se croisent, se toisent et se tordent. Le dispositif pourrait n’être qu’un happening austère, si Mungiu ne parvenait pas, dans ce cadre traversé de morceau de bravoure de ces comédiens 18 minutes durant, à transformer soudain tout l’espace filmique en une terrifiante dimension carcérale.

Quand le corps social pourrit de l’intérieur

Finalement plus autopsie qu’examen médical, R.M.N. dresse un portrait terrible de la Roumanie. Pour autant, le scénario comme le filmage se gardent bien de trouver des coupables faciles ou monochromatiques à la putrescence qui menace de toute part. Le libéralisme inhumain est pointé du doigt, sans dissimuler non plus combien les mauvaises volontés individuelles ou désirs de dévoyer certains dispositifs sont au moins aussi responsables de la progression des haines. Personne n’échappe ni à la lumière ni aux ténèbres.

Matthias n’est pas un homme hostile à des travailleurs étrangers dont il a partagé la condition, mais l’idée que sa maîtresse lui porte assistance éveille en lui une masculinité dominatrice et prédatrice. Le prêtre voudrait rassembler ses ouailles dans la paix et l’amour de leur prochain. De leur prochain, mais pas des Sri Lankais qu’il est prêt à sacrifier pour sauvegarder sa popularité. Csilla rêve de violon et d’émancipation, mais demeure l’exécutrice des basses-oeuvres d’une firme faisant des humains du bétail.

Quand le violon scelle

« Pour survivre, il faut être impitoyable », explique tranquillement un père à son fils. Et les loups de sortir, vêtus de leurs capuches blanches et armés de torches, comme autant de spectres ou de monstres anciens, postés à la frontière entre lumière et ténèbres, pour mieux mordre qui aura l’inconséquence de s’approcher pour mieux les ramener à l’humanité.

Et le film de le devenir radicalement dans son dernier mouvement, où le rideau du réel se déchire purement et simplement. R.M.N. verse-t-il alors dans la démence pure, dans l’expérimentation, s’assume-t-il finalement comme un pur film d’horreur ? Une allégorie ? Il revient au spectateur de prendre la responsabilité de trancher, face à une conclusion hypnotique, inattendue, brutale et surtout terrifiante. Ce que montre Mungiu, c’est le surgissement de ce que l’humanité a toujours voulu repousser, contenir loin de ses villes, de ses champs, de ses rêves, une forme d’animalité et de monstruosité qu’un XXIe siècle vorace et impitoyable convoque, et dont le surgissement est désormais imminent.

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Critique : R.M.N.
Jean-Jacques Corrio
Critique
15 octobre 20220

S’il n’est pas particulièrement prolifique, avec seulement 5 longs métrages en 20 ans, le réalisateur roumain Cristian Mungiu peut se vanter qu’ils aient été tous les 5 présents au Festival de Cannes, dont 4 en compétition officielle. L’un d’entre eux, 4 mois, 3 semaines, 2 jours, a été récompensé de la Palme d’Or en 2007, Au delà des collines a obtenu le Prix du scénario et un double prix d’interprétation féminine en 2012 et Baccalauréat est reparti avec le Prix de la mise en scène en 2016. De nouveau en compétition cette année avec R.M.N., Cristian Mungiu est, cette fois ci, reparti bredouille malgré la grande qualité de son film.

Synopsis : Quelques jours avant Noël, Matthias est de retour dans son village natal, multiethnique, de Transylvanie, après avoir quitté son emploi en Allemagne. Il s’inquiète pour son fils, Rudi, qui grandit sans lui, pour son père, Otto, resté seul et il souhaite revoir Csilla, son ex-petite amie. Il tente de s’impliquer davantage dans l’éducation du garçon qui est resté trop longtemps à la charge de sa mère, Ana, et veut l’aider à surpasser ses angoisses irrationnelles. Quand l’usine que Csilla dirige décide de recruter des employés étrangers, la paix de la petite communauté est troublée, les angoisses gagnent aussi les adultes. Les frustrations, les conflits et les passions refont surface, brisant le semblant de paix dans la communauté.

Le retour de Matthias

Si les cinéphiles connaissent la Transylvanie, c’est surtout parce que c’est dans cette région de la Roumanie qu’était censé habiter le comte Dracula, le héros de l’écrivain irlandais Bram Stoker et le personnage principal d’un grand nombre de films. La Transylvanie, toutefois, n’est pas que cela, c’est aussi une région que son histoire a rendu pluriethnique, même si elle l’est moins aujourd’hui qu’il y a un siècle. C’est ainsi que, dans la petite ville de Transylvanie où nous entraine Cristian Mungiu, cohabitent des populations roumaines, hongroises et allemandes, des gens de religions différentes, des gens qui, entre eux, parlent des langues différentes mais des gens qui, finalement, donnent l’impression de bien s’entendre. Comme beaucoup d’habitants de cette petite ville, Matthias était allé travailler à l’étranger et le voici de retour d’Allemagne à quelques jours de Noël, lui qui n’a pas supporté d’être traité de gitan par un collègue.

A titre personnel, il s’inquiète pour Rudi, son fils de 8 ans, qui, en son absence, a pris de mauvaises habitudes et qui a peur d’aller seul à l’école car il a vu sur le chemin des choses qui l’ont effrayé. Il s’inquiète aussi pour Otto, son père, un homme âgé qui s’inquiète pour ses moutons, et il a hâte de retrouver Csilla, une femme de la communauté hongroise, qui était sa maîtresse avant son départ à l’étranger. Quant à la petite ville, elle est en train de prendre de plein fouet les méfaits de la mondialisation : en Roumanie, les salaires sont très bas par rapport aux autres pays européens et la population locale en âge de travailler préfère le plus souvent partir occuper un poste à l’étranger plutôt que d’en chercher un sur place. Comment, dans ces conditions, Csilla peut-elle arriver à embaucher du personnel dans la boulangerie industrielle qu’elle dirige, dans le but de dépasser le nombre de 50 employés et permettre ainsi l’obtention d’une subvention de l’Union Européenne ? En engageant des hommes ou des femmes venant de pays plus pauvres que la Roumanie, des sri-lankais, par exemple ? Sauf que les habitants de la ville qui refusent les salaires de misère qu’on leur propose sur place ne veulent pas entendre parler de l’installation chez eux d’une population venant de l’autre bout du monde et ils se liguent pour obtenir leur départ.

Un comportement malheureusement universel

Entourée d’une forêt épaisse et de collines, la petite ville roumaine dans laquelle se déroule l’action a tendance à vivre en vase clos. Certes, des communautés d’origines différentes, de langues différentes, de religions différentes arrivent à y vivre de façon cordiale les unes avec les autres, mais cette situation dure depuis longtemps et les antagonismes qui ont très probablement existé dans le passé ont petit à petit disparu. Par contre, il n’est pas question d’accueillir à bras ouverts une nouvelle communauté, qui plus est venant de très loin : dans cet environnement étriqué, tout nouvel arrivant est considéré comme un éventuel ennemi.  En fait, des évènements à peu près similaires à ceux que raconte le film se sont réellement déroulés en Transylvanie dans les années précédant la pandémie. Il est bon de se rappeler, toutefois, que de telles situations sont loin d’être une exclusivité de la Roumanie et que, malheureusement, on les retrouve, plus ou moins prononcées, un peu partout dans le monde, ne serait-ce que dans notre beau pays. En fait, attirés par les salaires de l’ouest de l’Europe, de nombreux roumains acceptent d’y être mal accueillis, d’être rejetés comme l’a été Matthias, et, simultanément, rejettent avec force les populations du tiers-monde qui viennent occuper les postes qu’ils considèrent comme sous-payés et dont ils ne veulent pas.

Une mise en scène virtuose

C’est dans une mise en scène très virtuose, utilisant le plan séquence avec maestria, que Cristian Mungiu nous raconte l’histoire de cette petite ville roumaine sombrant dans le racisme et la xénophobie. R.M.N., le titre original du film, dit tout sur ce que voulait montrer le réalisateur : Rezonanta Magnetica Nucleara en roumain, Imagerie par résonance magnétique, IRM, en français, une technique qui permet de détecter ce qui se passe sous la surface. Tant au niveau de cette histoire que d’un point de vue cinématographique, le point d’orgue de R.M.N. se niche dans une grande assemblée publique qui réunit dans une salle municipale, sur le sort à réserver aux travailleurs sri-lankais, une très grande partie de la population et où cours de laquelle s’expriment des discours racistes et xénophobes à l’encontre des gitans et des immigrés : un plan séquence de 17 minutes avec une intervention orale de la part de 26 personnes, dont un prêtre qui n’est pas le dernier dans le discours haineux. Pour arriver au résultat recherché par le réalisateur, plus de 20 prises ont été nécessaires, sur une durée de 48 heures.

Alors que les rôles secondaires sont interprétés par des non professionnels, les rôles principaux de R.M.N. sont tenus par des acteurs professionnels, dont Marin Grigore dans le rôle de Matthias et Judith Slate dans celui de Csilla, un comédien et une comédienne déjà rencontré.e.s chez Cristi Puiu pour l’un, chez Cristi Puiu et Marius Olteanu pour l’autre. Vu le contexte général de l’histoire, un grand nombre de langues sont parlées dans le film : roumain, hongrois, allemand, sinhala, la langue des sri-lankais, anglais, puisque le film parle des effets de la mondialisation, français, puisqu’un français est là, dépêché par la Commission Européenne pour faire le décompte des ours de la région. A noter qu’un effort à base de couleurs différentes a été fait pour distinguer les langues au niveau du sous-titrage.

Conclusion

Une fois de plus, Cristian Mungiu prouve par le sujet qu’il a choisi et par sa mise en scène, qu’il est un des grands réalisateurs de notre époque. A partir d’une histoire qui se déroule dans une région isolée de la Roumanie, il embrasse un sujet malheureusement universel, le rejet de l’autre, le rejet de celui que l’on ne connait pas, le rejet de celui qui vient d’ailleurs. Par rapport au niveau de qualité très élevé de la plus grande partie du film, on regrettera les choix faits par le réalisateur pour le conclure, choix qui laissent les spectateurs dans le flou, chacun pouvant y aller de sa propre interprétation. Même si on peut apprécier qu’une fin ouverte nous soit offerte, on aurait aimé qu’elle soit mieux présentée !

Voir de même:

R.M.N.

Traité de “sale Gitan” en Allemagne, un homme revient dans son village de Transylvanie, où couve aussi la violence xénophobe. Une fresque magistrale.

Dissipons la perplexité possible devant le titre. RMN est le sigle en roumain d’IRM (l’imagerie par résonance magnétique), soit un scanner très précis, cérébral en général. Radiographier le mal ou la maladie, c’est le projet du cinéaste, à l’échelle d’un village de Transylvanie, à la population multiethnique. Matthias y revient précipitamment, après avoir cogné son chef qui l’avait traité de « sale Gitan », en Allemagne, où il travaillait durement, dans un abattoir. Il n’est pas vraiment le bienvenu chez lui. Sa femme, qui élève seule leur fils, tient à garder ses distances : Matthias est un homme rustre et taciturne, impulsif. Humain malgré tout ? Il s’inquiète en tout cas pour la santé de son garçon, mutique depuis une rencontre traumatisante dans la forêt dont il ne veut rien dire. Et pour celle de son père, un berger vieillissant et malade. Le seul réconfort que le personnage semble trouver est entre les bras de Csilla, son ancienne maîtresse. Elle est la numéro 2 d’une boulangerie industrielle, seule entreprise dynamique du coin, mais aux salaires trop bas pour les jeunes locaux, qui ont préféré partir vers l’ouest. Csilla a donc fait appel à de la main-d’œuvre étrangère, deux Sri-Lankais parlant l’anglais. Elle les accueille, en leur trouvant un logement, chez des amis. Les nouveaux venus travaillent bien mais suscitent vite au sein de la communauté, paupérisée, mécontentement et ressentiment. La violence xénophobe menace alors d’embraser le village.

Il n’est pas question pour Cristian Mungiu (4 Mois, 3 semaines, 2 jours) de la justifier, mais bien de la décortiquer, en exposant de manière magistrale les ressorts multiples qui l’alimentent. On écrit « magistrale », car le nombre d’éléments, à la fois économiques, culturels, religieux, anthropologiques, qu’il est parvenu à réunir force le respect. Ambitieuse est cette fresque, où l’on parle au moins cinq langues. Où se réfléchit le poids de l’histoire de la Transylvanie, avec un éclairage sur ses minorités — hongroises et allemandes. Et où sont montrés avec une ironie mordante les effets pervers de l’Union européenne et de la mondialisation.

Tout cela pourrait s’avérer indigeste, mais le film reste étonnamment fluide, captivant de bout en bout, la fiction intime solidement chevillée à l’intrigue. On suit partout les deux personnages, Matthias et Csilla, au travail, en famille, chez le médecin ou dans l’alcôve. Le privé et le public, le particulier et l’universel restent liés. Quant aux conflits, ils sont aussi intérieurs : le versatile Matthias ne sait plus très bien à quel camp lui-même appartient. R.M.N. montre comment chacun peut très vite se retrouver « le sale Gitan » d’un autre. Et comment la bête raciste tapie en nous peut se réveiller à tout moment, si on laisse les bas instincts prendre le dessus sur la raison.

La peur de l’autre, de la nuit, des animaux traverse le film. Une peur implacable mais aussi grotesque, risible. L’atout majeur de R.M.N. réside sans doute dans son alliage de noirceur terrible et de farce absurde. Qui culmine dans la scène de la salle communale, où les habitants prennent à tour de rôle la parole pour débattre du sort des immigrés. Un formidable morceau de bravoure — dix-sept minutes de plan-séquence — pour un grand déballage, un théâtre de l’invective, de la rancœur, de la zizanie. On repense alors à ces vieux westerns qui finissent en bataille rangée, pire, en curée punitive. Mais celui-ci, glaçant, évoque l’ici et maintenant, un peu partout en Europe. Pourtant, dans une ultime pirouette, Cristian Mungiu réfute le pessimisme, en montrant ce que la nuit recèle aussi de profondeur énigmatique… Pas si loin, étrangement, de la magie de Noël.

Voir aussi:

Cannes : avec “R.M.N.”, Cristian Mungiu passe au scanner la xénophobie ordinaire

Télérama

COMPÉTITION – Le cinéaste roumain, lauréat de la palme d’or en 2007, revient sur la Croisette avec une chronique implacable des ravages du nationalisme dans un village de Transylvanie. Magistral

Impossible, au bout de cinq jours de festival de Cannes, de savoir quel prix le jury présidé par Vincent Lindon décernera (ou pas) à R.M.N. samedi 28 mai. Mais le nouveau film de Cristian Mungiu décroche déjà la palme du titre le plus énigmatique de cette soixante-quinzième édition. À moins de parler le roumain couramment… R.M.N. (merci le dossier de presse !) est l’acronyme local de notre IRM, l’Imagerie par résonance magnétique, autrement dit le scanner cérébral qui permet de révéler la maladie derrière la surface.

Soit une bonne définition du cinéma de Cristian Mungiu qui, depuis ses débuts, diagnostique avec sa mise en scène au scalpel les maux de la société roumaine d’hier et d’aujourd’hui. Après les ravages de la politique nataliste sous la tyrannie de Ceausescu dans 4 mois, 3 semaines, 2 jours (Palme d’or 2007), la violence du pouvoir religieux dans Au-delà des collines (2012) ou la corruption endémique dans Baccalauréat (2016), les ravages du nationalisme et de la xénophobie sont au cœur de R.M.N. Et c’est aussi déprimant sur le plan politique qu’exaltant en termes de cinéma.

Le film se déroule dans un petit village de Transylvanie, la région la plus à l’ouest de la Roumanie, où vivent encore une importante communauté hongroise et une petite minorité allemande. C’est là qu’est né Matthias, et où il revient après avoir perdu son boulot en Allemagne, pour retrouver son jeune fils, son père à la santé défaillante, sa femme avec qui les relations sont polaires et son ex-maîtresse qu’il aimerait bien reconquérir. Comme la quasi-totalité de ses voisins, Matthias refuse de travailler pour la boulangerie industrielle, le seul employeur du coin – mais qui ne paye pas assez… La patronne de l’usine et son adjointe, très impliquée dans la vie associative du village, n’ont d’autre solution que d’embaucher des ouvriers immigrés. Quand le village découvre qu’il s’agit de trois Sri-Lankais, ça coince…

Un plan fixe de dix-sept minutes

R.M.N. est, d’abord, une histoire d’incompréhension liée à la langue – ou, plutôt, aux langues. Le film passe sans arrêt (mais avec des couleurs différentes dans les sous-titres pour s’y retrouver !) du roumain au hongrois, avec quelques répliques en allemand et d’autres en anglais, l’idiome universel utilisé par les « étrangers » de l’histoire, dont, belle ironie, un zoologiste français venu, avec l’argent de l’Union européenne, recenser la population d’ours dans les forêts alentour. Les dialogues, remarquablement écrits et souvent très vifs, révèlent petit à petit le contexte explosif de l’intrigue : le poids de l’Histoire, les discriminations anti-Roms, l’exode massif des jeunes à l’Ouest pour une vie meilleure, et résumant tout cela, la haine d’une Europe perçue, au pire, comme une pseudo-dictature qui exploite le pays comme un vampire et voudrait imposer un mode de vie unique de Porto à Bucarest, au mieux, comme une tirelire à subventions.

Le talent de Mungiu pour les plans-séquences trouve son apogée lorsque les citoyens se réunissent dans la salle communale pour débattre du sort à réserver aux nouveaux venus. Dans ce plan fixe magistral de dix-sept minutes (!), vingt-six personnages différents prennent la parole dans un flot d’invectives ininterrompu. Un grand déballage où toutes les rivalités culturelles ou économiques, tous les antagonismes personnels longtemps en sommeil se réveillent. Et où la haine de l’autre, surtout s’il vient de loin, l’obsession de l’invasion et du « grand remplacement » s’expriment sans la moindre retenue. R.M.N. se déroule en Roumanie mais difficile de ne pas penser à la situation en France ici et maintenant…

Voir également:

Multirécompensé au Festival de Cannes, Cristian Mungiu est reparti bredouille de l’édition 2022 avec un film consacré à l’immigration en Roumanie.
Jacky Bornet
France Télévisions
19/10/2022

Trois fois récompensé à Cannes, avec une Palme d’or pour 4 mois, 3 semaines, 12 jours en 2007, Cristian Mungiu poursuit son analyse de la société roumaine avec R.M.N. qui sort en salles mercredi 19 octobre. Le cinéaste est quelque peu en deçà des attentes en raison d’un manque d’équilibre entre la chronique d’un village roumain pris dans un hiver rigoureux, et la dénonciation de la xénophobie qui y sévit.

Imagerie médicale

Mathias revient d’Allemagne dans son petit village roumain, après avoir fui son travail, suite à une rixe dans son entreprise. Il retrouve son fils perturbé par une vision obsessionnelle, sa compagne qui s’en occupe, son père malade, et son ancienne maîtresse. Quand la boulangerie industrielle locale recrute des étrangers, la population lance une pétition pour les renvoyer chez eux. L’apparente paix civile entre communautés roumaine, hongroise et allemande du village s’en trouve brisée.

Dans tous ses films, Cristian Mungiu explore la société roumaine. Après l’avortement, les années Ceaușescu, la religion et l’éducation, il s’attaque aujourd’hui à la xénophobie qui gangrène le pays suite à la vague migratoire de ces dernières années. Le titre R.M.N. (I. R. M. en roumain) désigne l’imagerie médicale du cerveau du père de Mathias qu’il consulte régulièrement sur son portable. Cette représentation d’un cerveau dégénérescent pourrait renvoyer au logiciel roumain déréglé. Mais l’acronyme du titre fait aussi penser à celui de la Roumanie, comme sur une plaque minéralogique. Il évoquerait alors une Roumanie globale, à travers le cas particulier de ce village roumain. Le bilan n’est pas glorieux.

Déséquilibre

Commençant sur la mystérieuse vision d’un enfant effrayé dans la forêt, R.M.N. suit ensuite Mathias qui retrouve son monde et surtout son fils auquel il veut se consacrer. Mais il est embarrassé par la mère du petit, sa compagne, alors qu’il lui préfère une ex-maîtresse. Le film s’enlise quelque peu dans la chronique de ce village enneigé, traversé d’anecdotes successives anodines dont il ressort une dramaturgie assez pauvre. Pourquoi pas ? Mais l’on se demande où Mungiu veut en venir avec ce collier de perles, aux épisodes répétitifs. Jusqu’à ce que le sujet de fond émerge enfin : l’opposition radicale de la population à la présence de trois étrangers dans le village.

C’est la partie la plus intéressante du film, avec une scène de réunion municipale remarquable, jouée par des acteurs non professionnels qui improvisent leur texte. Mais quel déséquilibre dans la construction et le rythme du film. La scène finale, avec des acteurs grimés en ours est assez ridicule, et donne le coup de grâce à ce qui s’avère le moins bon film d’un cinéaste par ailleurs passionnant.

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Notre critique de R.M.N, de Cristian Mungiu: il était une fois dans les Carpates
Etienne Sorin
Le Figaro
18/10/2022

Matthias est Roumain. Il est de retour dans son village natal quelques jours avant Noël. Un village de Transylvanie, multiethnique, où l’on parle roumain, hongrois et allemand. Son fils Rudi, lui, ne parle plus depuis qu’il a vu «quelque chose de mal» dans la forêt. Le Figaro

CRITIQUE – Fort d’un plan séquence de dix-sept minutes, le nouveau film du Roumain Cristian Mungiu, portrait acéré de la société roumaine en forme de western contemporain, confirme qu’il est un cinéaste passionnant.

Depuis sa palme d’or avec 4 mois, 3 semaines, 2 jours, en 2007, le Roumain Cristian Mungiu est toujours revenu du Festival de Cannes bardé de prix. En 2012, il est récompensé du prix du meilleur scénario et d’un double prix d’interprétation féminine pour Au-delà des collines. En 2016, il obtient le prix du meilleur scénario pour Baccalauréat . De retour cette année en compétition avec R.M.N., Mungiu est reparti bredouille. Son absence au palmarès interroge car il signe peut-être là son meilleur film. Il confirme en tout cas qu’il est un cinéaste passionnant. Un grand moraliste, le contraire d’un donneur de leçons. Et avant tout un vrai raconteur d’histoire.

Matthias quitte l’abattoir où il travaille en Allemagne sur un coup de tête. Au propre comme au figuré. Il se fait traiter de «Gitan». L’insulte revient dans la bouche de plusieurs protagonistes de R.M.N., et change de cible selon le pays, la communauté, la position sociale. Chacun est le Gitan d’un autre. Matthias est Roumain. Il est de retour dans son village natal quelques jours avant Noël. Un village de Transylvanie, multiethnique, où l’on parle roumain, hongrois et allemand. Son fils Rudi, lui, ne parle plus depuis qu’il a vu «quelque chose de mal» dans la forêt. Son père aussi est mutique, de plus en plus impotent. Matthias retrouve son ancienne maîtresse, Csilla. Elle gère une usine qui fabrique du pain, parle anglais, joue du violoncelle. Elle peine à trouver des employés, les habitants refusant de travailler pour des salaires aussi bas. Elle finit par recruter trois Sri-Lankais qui débarquent sous la neige. Les premières tensions affleurent dans la communauté. Les forums internet déversent des torrents de haine à l’encontre de ces hommes à la peau sombre.

Joute verbale

R.M.N. n’est pas sans rapport avec As Bestas. L’Espagnol Rodrigo Sorogoyen mettait en scène Denis Ménochet et Marina Foïs en couple de bobos français pétris de bons sentiments dans un village isolé de Galice, affrontant une famille autochtone décidée à vendre sa ferme à un projet d’éoliennes pour ne pas crever de faim. Les meilleures scènes prenaient la forme de joutes verbales dans un café, purs moments de rhétorique. C’est aussi le cas ici, notamment dans la séquence de dix-sept minutes tournée en un seul plan. La scène n’est pas qu’un morceau de bravoure. Dans la salle des fêtes du village où se rassemble la communauté, 26 personnages prennent la parole. Dans ce laboratoire de la mondialisation malheureuse et du populisme, on entend 26 nuances d’intolérance et de xénophobie. De bonne conscience et d’hypocrisie aussi.

L’Union européenne est incarnée par un Français candide, membre d’une ONG pour la préservation des ours. «Je viens vous aider à protéger votre belle diversité», assène la belle âme aux travailleurs qui ont vu leur mine fermer à cause des écologistes. Il se fait rembarrer: «Vous n’avez plus d’ours chez vous, on ne veut pas être le zoo de l’Europe!» Ou encore: «Vous n’avez rien appris de Charlie Hebdo, vous n’avez rien de sacré!» Matthias ne sait pas vraiment quoi penser de tout cela. Il chevauche sa moto, son fusil en bandoulière. Tempête sous un crâne. Entre les beaux yeux de Csilla et le poids des préjugés, son cœur balance. Comme le corps d’un pendu dans une forêt sombre de Transylvanie.

Voir encore:

« R.M.N. », déprime de précarité
Pessimiste et pesant, le film de Cristian Mungiu suit l’arrivée de travailleurs immigrés dans un village roumain.
Didier Péron
Libération
19 octobre 2022

Après la longue et lente reptation dans les canalisations sans fin de la pandémie de Covid, masqués, confinés, la guerre déclenchée par Vladimir Poutine est venue sèchement couper court aux optimistes qui avaient cru entrevoir quelque chose qui ressemblait à une lumière au bout du tunnel. La crise économique, les menaces climatiques, la conflictualité omniprésente et sur des échelles d’antagonismes toujours plus vastes et incessants, on n’en finirait pas de lister tout ce qui, décidément, ne va pas, ne va plus. Cristian Mungiu, qui avait reçu la palme d’or en 2007 pour 4 mois, 3 semaines et 2 jours et qui n’est pas connu pour sa puissance comique, sans doute parce qu’il a grandi dans un pays qui a connu la morne déliquescence d’une dictature grotesque et qu’il s’est forgé la certitude qu’il n’y a rien de bon à attendre de quelque organisation humaine que ce soit, nous offre avec R.M.N. une parenthèse de noirceur morale et de constats accablants.

Peaux de bêtes et virilisme gueulard

Le personnage principal est un type antipathique, Matthias, roumain travaillant dans un abattoir en Allemagne. Un contremaître le rappelle à l’ordre en le traitant de «gitan», ce qu’il prend très mal, secouant le mec et prenant la fuite. Il s’en revient dans sa Transylvanie natale où il avait laissé sa femme et son fils qui n’ont pas l’air particulièrement ravis de le voir rentrer. Le gamin ne parle plus depuis quelque temps, apparemment saisi d’horreur dans la forêt voisine qu’il doit traverser pour se rendre à l’école. Matthias, lui, est surtout pressé de renouer le contact très charnel avec son ex, devenue gérante d’une boulangerie industrielle qui tourne à plein régime mais doit recruter des travailleurs migrants pour le coup de pression des fêtes de fin d’année puisque apparemment les Roumains du secteur ne répondent pas aux petites annonces d’emplois trop mal payés.

En rentrant dans sa Transylvanie natale, Matthias retrouve sa femme et son fils. (Mobra Films)
Trois Sri-Lankais débarquent dans le village où ils sont bien accueillis par une partie de la population mais aussi en butte à une coalition fortement organisée au sein de l’église locale qui veut les éjecter. Une longue scène de réunion publique tournée en plan-séquence montre les arguments des différents membres d’un bled traversé par le racisme, la haine de tout ce qui vient de l’Ouest associé à une forme de décadence morale, les conséquences jugées délétères de la construction européenne et de son libéralisme. Parmi les habitants, certains revendiquent toutes sortes de lubies folkloriques de défense d’une identité locale en peau de bêtes et virilisme gueulard, toujours prompt à sortir le fusil de chasse. Il faut savoir que la Transylvanie est composée d’une mosaïque de populations entre Roumains, Hongrois, Roms, Allemands…

Grand désordre des points de vue

Il s’agit évidemment d’orchestrer la cacophonie contemporaine, ce grand désordre des points de vue, des opinions, des affects qui prend la forme d’un fascisme en gésine dont la petite musique terrifiante et mesquine contamine peu à peu le moindre espace de ce biotope asphyxié. La pesanteur démonstrative de l’ensemble qui ne laisse vraiment que peu d’espace aux personnages pour qu’ils puissent se sauver de ce traquenard (d’ailleurs à la fin, l’un d’eux se pend) rend finalement le film aussi peu aimable que ce qu’il entend dénoncer.

R.M.N. de Cristian Mungiu, avec Marin Grigore, Judith State, Macrina Barladeanu… 2h05.

Voir aussi:

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Critiques de R.M.N.
Première
Thierry Chèze
Bien que reparti pour la première fois sans prix de Cannes, c’est un tour de force que réussit ici le cinéaste palmé de 4 mois, 3 semaines et 2 jours : encapsuler en deux heures toutes les problématiques communes à nos sociétés occidentales (chômage, précarité grandissantes, peur et par ricochet haine de l’étranger…) dans un geste de cinéma fort où naturalisme et onirisme dialoguent à merveille. Son récit se déploie dans un village multiethnique de Transylvanie où l’embauche dans une usine de fabrication de pain de travailleurs venus du Sri Lanka va mettre le feu aux poudres et faire exploser les haines de classe, de religion et de race enfouies depuis des années. Avec une scène aussi symbolique qu’impressionnante : 17 minutes de plan séquence au cœur d’une réunion municipale visant à décider si oui non les Sri-Lankais doivent être chassés du village. Sachant que les locaux ont décliné la proposition d’occuper ces postes, préférant aller mieux gagner leurs vies hors de leurs frontières… dans des pays où ils deviennent donc eux-mêmes des étrangers – haïs et craints – aux yeux des autres ! Mungiu explore l’absurdité tragique de cette situation et décrypte les rumeurs et les angoisses infondées à la base de cette haine de l’étranger. Et ce pendant qu’autour de ce village dont l’ultra-majorité des habitants laisse libre cours à son instinct le plus bassement animal, traînent des ours à qui le cinéaste laisse le dernier mot lors d’un plan final aussi majestueux que propice à toutes les interprétations.
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“R.M.N.” de Cristian Mungiu : quand la tour de Babel devient château de cartes
Théo Ribeton
Les Inrockuptibles
17 octobre 2022
Un petit traité de (dés)intégration européenne à l’échelle d’un village de Transylvanie : virtuose mais assez hermétique.
Deuxième film de Cristian Mungiu coproduit par les Dardenne (entre palmés, on s’entraide), R.M.N. se démarque pourtant nettement du thriller sociopolitique en flux tendu qu’était Baccalauréat (2016) pour aller vers une forme plus édifiante, sans doute la plus somptuaire jamais entreprise par le réalisateur de 4 Mois, 3 semaines et 2 jours (2007).Très dense, le film est essentiellement structuré par une unité de lieu, un petit village de Transylvanie complètement marginalisé et pourtant métonymique de l’Europe tout entière : scannant (le titre signifie “IRM”, appréciez la prétention) les déchirures d’un tissu social mêlant une population roumaine, une forte minorité hongroise, un petit groupe d’immigrés sri lankais et même un jeune chercheur français dandy, R.M.N. ressemble à une tour de Babel à deux doigts de s’écrouler – et aussi, un peu, à une conférence-spectacle de BHL.Tribunal populaireLe film navigue certes avec beaucoup de virtuosité dans son décor complexe et mouvant, où rôdent les fantômes d’une Europe déclassée et tentée par la violence, comme notamment dans son grand plan-séquence central (une espèce de tribunal populaire nocturne). Mais il peine à nous offrir un point d’ancrage émotionnel, un personnage accessible et aimable. En ressort une sorte de gros traité, très foisonnant, brillant par endroits, mais trop imperméable.R.M.N. de Cristian Mungiu, avec Marin Grigore, Judith State (Fr., Rou., 2022, 2 h 05). En salle le 19 octobre. 
Voir enfin:

R.M.N.

Quelques jours avant Noël, Matthias est de retour dans son village natal, multiethnique, de Transylvanie, après avoir quitté son emploi en Allemagne. Il s’inquiète pour son fils, Rudi, qui grandit sans lui, pour son père, Otto, resté seul et il souhaite revoir Csilla, son ex-petite amie. Il tente de s’impliquer davantage dans l’éducation du garçon qui est resté trop longtemps à la charge de sa mère, Ana, et veut l’aider à surpasser ses angoisses irrationnelles. Quand l’usine que Csilla dirige décide de recruter des employés étrangers, la paix de la petite communauté est troublée, les angoisses gagnent aussi les adultes. Les frustrations, les conflits et les passions refont surface, brisant le semblant de paix dans la communauté.

SYNOPSIS

R.M.N. se déroule en Transylvanie, la province plus occidentale de Roumanie, dans un petit village multi-ethnique, peu avant la pandémie de covid-19, entre Noël 2019 et le début de l’année 2020. L’histoire est celle de Matthias, qui revient d’Allemagne où il travaillait en usine, et de Csilla, qui est la numéro 2 d’une boulangerie industrielle installée au village.La TransylvanieJe me rappelle avoir vu dans les années 80 FRANKENSTEIN JUNIOR, de Mel Brooks. Le film était drôle et encore plus pour nous, Roumains : le héros prend un train à New York pour arriver à Bucarest, qui est présentée comme la capitale de la Transylvanie. La Transylvanie était alors cet endroit du bout du monde, le pays des vampires et des monstres.Je ne m’étendrai pas trop sur l’histoire réelle de la Transylvanie : c’est une région qui a été disputée entre deux pays et qui est passée de l’un à l’autre. Un peu comme l’Alsace et la Lorraine. Dans notre cas, c’est entre la Roumanie et la Hongrie, ou plutôt entre la Roumanie et l’Empire Austro-Hongrois. Ainsi, des Roumains et des Hongrois cohabitent en Transylvanie. Mais ils n’en sont pas les seuls habitants. Il y a environ 700 ans, les Saxons ont reçu des terres dans cette région, aux confins de l’Europe, près des Carpates. On trouve donc aussi des Allemands. La plupart d’entre eux sont partis dans les années 70, lorsque Ceausescu les a vendus à la République Fédérale Allemande pour 5000 Deutsche Mark par tête. Les autres sont partis après la chute du communisme. Mais leurs maisons, leurs églises fortifiées, leurs cimetières et leurs villages aux hautes clôtures sont toujours là. Il y a aussi beaucoup de Roms en Transylvanie. Les premiers sont arrivés en tant qu’esclaves ou en tant que domestiques il y a environ 200 ans et beaucoup se sont ensuite installés dans les maisons abandonnées par les Allemands après leur départ. Avec autant d’ethnies, la Transylvanie est devenue le terrain de jeu favori des mouvements populistes ou nationalistes de toutes sortes.

NOTE D’INTENTION DU RÉALISATEUR

Dans les années 90, de violentes tensions ont éclaté, faisant plusieurs victimes. Ensuite, les choses se sont calmées : beaucoup de gens sont partis travailler à l’étranger pour échapper à la pauvreté, qui touchait toutes les ethnies. De temps en temps, le nationalisme se ravive, surtout avant les élections.Mais ne vous méprenez pas : le film ne traite pas d’une situation spécifique à la Transylvanie, ni même du fait que Roumains, Hongrois et Allemands partagent le même territoire. Il parle aussi des Russes et des Ukrainiens, des Blancs et des Noirs, des Sunnites et des Chiites, des riches et des pauvres, voire des grands et des petits…Dès qu’apparaît un autre individu, il est tout de suite perçu comme appartenant à un autre clan et donc comme un ennemi potentiel.Langues, religions, drapeaux (et autres petites différences pour lesquelles les gens s’entretuent) Dans le film, les Hongrois parlent le hongrois, les Roumains parlent le roumain, les Allemands parlent l’allemand. Néanmoins, tous se comprennent. Ils parlent tous anglais, puisqu’il s’agit aussi d’une histoire sur la mondialisation et ses effets secondaires. Les personnages les plus sophistiqués parlent même français. Et, bien sûr, le Français parle anglais, tandis que les gens qui viennent de loin parlent leur langue, que personne ne comprend. En tant que spectateur, si vous comprenez toutes ces langues, bravo. Sinon, il y a des sous-titres : ils ont parfois des couleurs distinctes pour marquer les différentes langues, tandis que d’autres fois, ce sera à vous de trouver qui parle quoi. Les Roumains ont un drapeau rouge-jaune-bleu. Les Hongrois de Hongrie ont un drapeau rouge-blanc-vert. Les Hongrois de Transylvanie, eux, ont un drapeau bleu et jaune : le drapeau du comté autoproclamé de Székely (Tinutul Secuiesc en roumain, Pays Sicule en français), qui milite pour l’autonomie. Curieusement, pour des raisons historiques, ce comté ne se trouve pas à la frontière avec la Hongrie, mais au beau milieu de la Roumanie.

Les Roumains sont majoritairement orthodoxes, les Hongrois sont majoritairement catholiques et les Allemands sont majoritairement luthériens. Mais ce n’est pas si simple : certains Hongrois sont unitariens, certains Roumains sont gréco-catholiques, certains Allemands sont calvinistes. Ainsi, chaque village possède plusieurs églises, différentes les unes des autres ; même les cloches sonnent différemment. Aujourd’hui, avec tant de gens partis travailler à l’étranger, beaucoup d’églises ont perdu la plupart de leurs paroissiens. Les églises protestantes sont fermées. Pourtant, il y a souvent quelqu’un dans le village qui détient la clé de l’église pour ceux qui souhaitent la visiter. Lorsque quelqu’un du village meurt à l’étranger, parfois à des milliers de kilomètres, un membre de sa famille appelle afin que les cloches de son village natal sonnent pour lui.

Ces différences peuvent sembler mineures et elles sont certainement compliquées à suivre. Pourtant, tout au long de l’histoire, des guerres ont été menées à cause de ces particularités et des personnes ont tué d’autres personnes pour des différences encore plus petites.

MIORITZA et les autres inspirations du film

Je n’avais pas réalisé que MIORITZA était une source d’inspiration pour ce film avant de remarquer combien de moutons et autres animaux y figurent. Comment vous expliquer MIORITZA ? MIORITZA (qui signifie « agnelle ») est un poème populaire du folklore roumain qui raconte l’histoire de trois bergers et de leurs troupeaux. Ces bergers viennent de régions différentes, l’un d’entre eux a plus de moutons et il est plus riche ; alors les deux autres décident tout simplement de le tuer et de s’emparer de son troupeau. Ses moutons bien-aimés, son chien fidèle et la nature en général tentent de l’avertir, mais il croit au destin : si tel est son destin, qu’il en soit ainsi. Chez nous, il existe une sorte de philosophie de la vie associée à MIORITZA, à la mentalité du berger et à la géographie roumaine : il s’agit de suivre le rythme des montées et des descentes, selon le relief des collines et des vallées. Nous étudions tous MIORITZA à l’école et dans le film, les enfants le récitent pour la fête de Noël. Le chien fidèle de Matthias le prévient en cas de danger et ses moutons tiennent à lui peut-être plus que quiconque. Outre MIORITZA, il y a bien sûr l’histoire réelle : avant la pandémie, certains propriétaires d’usines du Comté de Székely ont envisagé d’embaucher des travailleurs venus de loin – étant donné que les locaux étaient partis travailler en Europe occidentale. Mais les personnages de R.M.N. et les relations entre eux sont fictifs, tout comme les motivations et les attitudes de chacun, ainsi que les événements du récit lui-même.Une autre source d’inspiration lointaine est l’histoire des mines d’or de Rosia Montana, en Transylvanie. En gros, il s’agit du dilemme suivant : faut-il donner du travail à des gens qui extraient de l’or (et en utilisent du cyanure qui détruit l’environnement) ou préserver l’environnement et les magnifiques paysages pour les générations futures, tandis que les habitants vivront dans un état de pauvreté permanent ?Et puis, il y a eu les reportages réguliers sur la présence d’animaux sauvages et leurs effets collatéraux, puisque la Roumanie possède apparemment la plus grande population d’ours et de loups d’Europe.Les Traditions Les traditions signifient que les gens font quelque chose parce que d’autres personnes l’ont fait avant eux. Cet acte a d’abord été accompli dans un certain but, très souvent pour «chasser le mauvais œil». Vous devez convenir que même cette explication a plus de sens que de faire quelque chose parce que «c’est la tradition». Dans le film, nous dépeignons plusieurs traditions se répétant autour de Noël : certains s’habillent en peaux de mouton ou de chèvre et dansent, d’autres portent des peaux d’ours et se font fouetter, d’autres encore s’habillent comme nos ancêtres, les Daces, appréciés pour s’être opposés à la conquête romaine. Dans certaines autres régions de Roumanie, les hommes portent simplement pour le Nouvel An des masques et un énorme casque sur la tête. Ils se retrouvent ensuite le premier jour de l’année et se battent entre eux, « jusqu’à ce que mort s’en suive ». Ils ne viennent même pas de villages différents : ce sont souvent ceux des collines contre ceux de la vallée – et parfois certains sont vraiment tués. Ne les jugez pas : au moins, c’est un combat équitable. Pas très différent de tous les sports et compétitions qui résultent du même instinct d’engager son clan contre un autre.

Stéréotypes et récits

On explique souvent la position actuelle de la Roumanie au sein de l’Europe par l’idée suivante : si nous n’avons pas réussi à nous développer autant que les sociétés occidentales c’est parce que nous étions occupés à combattre les envahisseurs sur leur route pour piller l’Europe. Pendant que nous les retenions à l’Est, les Occidentaux ont eu le temps de se développer – et ériger leurs opulentes cathédrales.Mais il y a beaucoup d’autres récits plus actuels pour expliquer l’état du monde d’aujourd’hui : la mondialisation est la nouvelle Babel, un signe que le monde arrive à sa fin ; lorsque les maladies seront elles aussi « mondialisées », la fin suivra rapidement. Le réchauffement de la planète est encore un autre signe de la fin imminente : bientôt les ressources surexploitées seront épuisées et les gens se battront pour survivre. Pendant des siècles, il était facile d’identifier les envahisseurs. Les habitants vivaient dans de petits villages au milieu des forêts et dès que quelqu’un à cheval arrivait de l’autre côté de la colline, c’était un ennemi potentiel (le tourisme est venu plus tard). Aujourd’hui, avec les avions, les choses sont devenues plus complexes.Un stéréotype dit aussi que les Huns, ancêtres des Hongrois, arrivaient à cheval et mangeaient de la viande crue qu’ils avaient attendrie sous leur selle. Cette croyance est si courante que personne ne la met en doute. Il y a une trentaine d’années, le Conseil européen a recommandé l’utilisation du terme Roms au lieu de Gitans – perçu comme offensant. La Roumanie a tenté de s’opposer à cette initiative pour la confusion qu’elle générait entre Roms et Roumains, mais sans succès, si bien que la confusion s’est accentuée. Pour les Roumains, le fait d’être considéré comme Rom est la plus grande offense, tandis que les Occidentaux perçoivent notre volonté de faire la distinction comme une attitude discriminatoire inappropriée.

Les Thèmes

R.M.N. questionne les dilemmes de la société actuelle : la solidarité face à l’individualisme, la tolérance face à l’égoïsme, le politiquement correct face à la sincérité. Il interroge aussi ce besoin atavique d’appartenance, de s’identifier à son groupe ethnique, à son clan et de considérer naturellement les autres (qu’ils soient d’une autre ethnie, d’une autre religion, d’un autre sexe ou d’une autre classe sociale) avec réserve et suspicion. C’est une histoire sur les temps anciens (perçus comme dignes de confiance) et les temps actuels (perçus comme chaotiques) ; sur la sournoiserie et la fausseté d’un ensemble de valeurs européennes qui sont davantage revendiquées qu’elles ne sont appliquées en réalité. C’est une histoire d’intolérance et de discrimination, de préjugés, de stéréotypes, d’autorité et de liberté. C’est une histoire de lâcheté et de courage, d’individu face à la foule, de destin personnel face au destin collectif. C’est aussi une histoire de survie, de pauvreté, de peur face à un avenir sombre.

Le film évoque les effets de la mondialisation sur une petite communauté enracinée dans des traditions séculaires : les valeurs d’autrefois se sont dissipées, l’accès à l’internet n’a pas apporté à ces gens de nouvelles valeurs, mais les a plutôt accablés par la difficulté de distinguer la vérité de leurs opinions personnelles dans le chaos informationnel et moral actuel.R.M.N. aborde également les effets secondaires du politiquement correct : les gens ont appris qu’il valait mieux ne pas s’exprimer à haute voix quand leurs opinions diffèrent de la norme actuelle. Seulement le politiquement correct n’est pas un processus formateur et il n’a pas changé les opinions en profondeur ; il a juste fait en sorte que les gens expriment moins ce qu’ils pensent. Mais les choses finissent par s’accumuler et, à un moment donné, elles débordent. Le film n’associe pas les opinions «politiquement incorrectes» à une ethnie ou un groupe en particulier : les opinions et les actions étant toujours individuelles, elles ne dépendent pas de l’identité d’un groupe mais de facteurs beaucoup plus complexes.Au-delà des connotations sociales, l’histoire se situe à un niveau humain plus profond : elle parle de la façon dont nos croyances peuvent façonner nos choix, de nos instincts, de nos pulsions irrationnelles et de nos peurs, des animaux enfouis en nous, de l’ambiguïté de nos sentiments, de nos actions et de l’impossibilité de les comprendre pleinement.Les choses que j’aime le plus dans le film sont celles qui ne peuvent être mises en mots.

Les Fils rouges visuels

Il y a plusieurs images et motifs visuels récurrents dans le film. Si vous avez un jour la patience de regarder le film deux fois, vous aurez quelque chose de plus à découvrir.

Le Style

Tourner chaque scène en plan séquence (quelle que soit sa longueur ou sa complexité) est une décision qui a défini le style de ce film. Par conséquent, en tant que réalisateur, je dois mettre en scène la situation de manière aussi crédible et véridique que possible, puis enregistrer ce moment. Le rythme ne vient pas du montage, mais il est inhérent à la scène. Les ellipses n’ont lieu qu’entre les scènes – la situation se déroule en temps réel, rien n’est coupé.Cette décision a conduit à tourner en une seule prise une scène collective de 17 minutes avec 26 personnages qui parlent.

Tournage

Le scénario a été écrit au printemps 2021, le financement et la production ont suivi rapidement. Le tournage a eu lieu de novembre 2021 à janvier 2022. Nous avons préféré ne pas tourner dans le comté de Székely, mais à Rimetea, un ancien village de Transylvanie qui a été classé au patrimoine de l’UNESCO. Les rôles principaux sont interprétés par des acteurs professionnels, les rôles secondaires par des non-professionnels. Chaque acteur a reçu ses dialogues mais pas les scènes concernant des situations que leurs personnages ne connaissent pas. Les dialogues étaient entièrement écrits.Le film a été tourné en numérique, dans des lieux existants, à l’exception de la maison de Csilla qui a été construite de toutes pièces sur place.

Le Titre

Apparemment, l’empathie et d’autres compétences sociales sont générées à la surface du cortex cérébral, tandis que les instincts plus primaires qui ont permis aux humains de survivre occupent les 99 % restants du cerveau. R.M.N. signifie Rezonanta Magnetica Nucleara. En anglais, c’est N.M.R. – Nuclear Magnetic Resonance. Et en français, c’est I.R.M., Imagerie par Résonance Magnétique. Plus largement, il s’agit d’une investigation du cerveau, un scanner cérébral qui tente de détecter des choses sous la surface. En lisant le scénario, quelqu’un a suggéré que le film pourrait s’appeler Europe 2.0. Pendant le tournage, je suis tombé sur une photo de la fin du 19e siècle dans l’un des lieux de tournage, intitulée : L’Agneau de Dieu. J’ai pensé que ça ferait un bon titre.

Cristian Mungiu est né en 1968 à Iaşi en Roumanie. Son premier film OCCIDENT est invité à la Quinzaine des Réalisateurs en 2002 et fait un triomphe en Roumanie. En 2007, son deuxième long métrage 4 MOIS, 3 SEMAINES, 2 JOURS est récompensé de la Palme d’or au Festival de Cannes. Il reçoit l’éloge des critiques et de nombreuses autres distinctions dont celles du Meilleur Film et Meilleur Réalisateur de l’Académie européenne du Cinéma. En 2009, il revient à Cannes en tant que scénariste-coréalisateur-producteur du film à sketches CONTES DE L’ÂGE D’OR, ainsi qu’en 2012 en tant que scénariste-réalisateur avec AU-DELÀ DES COLLINES récompensé du Prix du meilleur scénario et d’un double Prix d’Interprétation Féminine. En 2016, il obtient le Prix de la mise en scène lors du 69ème Festival de Cannes pour son cinquième film BACCALAURÉAT. Il signe son retour en 2022 avec R.M.N. Le film est présenté pour la première fois au Festival de Cannes, en sélection officielle, en compétition.

CRISTIAN MUNGIU BIOGRAPHIE RÉALISATEUR


Guerre d’Ukraine: C’est le djihad final ! (After Lenin’s final struggle, Hitler’s kampf and Islam’s jihad, will Putin’s nuclear-armed pan-Slavism bring the world the ultimate holy war ?)

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Putin listens to Russian Orthodox Patriarch Kirill during the Easter service in the Christ the Savior Cathedral in Moscow, ahead of the constitutional changes that would allow him to extend his rule until 2036 ( Apr 28, 2019)

Poutine déclare la guerre sainte au « satanisme » occidental
Gardez-vous des faux prophètes. Ils viennent à vous en vêtements de brebis, mais au dedans ce sont des loups ravisseurs. (…) C’est donc à leurs fruits que vous les reconnaîtrez. Jésus (Mat 7: 15-20)
Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée. Car je suis venu mettre la division entre l’homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa belle-mère; et l’homme aura pour ennemis les gens de sa maison. Jésus (Matthieu 10: 34-36)
Vous entendrez parler de guerres et de bruits de guerres: gardez-vous d’être troublés, car il faut que ces choses arrivent. (…) Une nation s’élèvera contre une nation, et un royaume contre un royaume, et il y aura, en divers lieux, des famines et des tremblements de terre. Tout cela ne sera que le commencement des douleurs. (…) Cette bonne nouvelle du royaume sera prêchée dans le monde entier, pour servir de témoignage à toutes les nations. Alors viendra la fin. Jésus (Matthieu 24 : 6-8)
Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. Jésus (Jean 15: 13-20)
Le bolchevisme ne durera pas éternellement en Russie. Un jour viendra où l’ordre s’y rétablira et où la Russie, reconstituant ses forces, regardera autour d’elle. Ce jour-là, elle se verra telle que la paix va la laisser, c’est à dire privée de l’Estonie, de la Finlande, de la Pologne, de la Lituanie, peut-être de l’Ukraine. S’en contentera-t-elle ? Nous n’en croyons rien. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on reverra la Russie reprendre sa marche vers l’Ouest et le Sud-Ouest. De quel côté la Russie recherchera-t-elle un concours pour reprendre l’œuvre de Pierre le Grand et de Catherine II ? Ne le disons pas trop haut, mais sachons-le et pensons-y : c’est du côté de l’Allemagne que fatalement elle tournera ses espérances. Voilà, Messieurs, pourquoi la France prête à la Pologne et à la Roumanie un si large concours militaire ; et voilà pourquoi nous sommes ici. […] Chacun de nos efforts en Pologne, Messieurs, c’est un peu plus de gloire pour la France éternelle. Charles de Gaulle (1919)
J’annonce au monde entier, sans la moindre hésitation, que si les dévoreurs du monde se dressent contre notre religion, nous nous dresserons contre leur monde entier et n’auront de cesse avant d’avoir annihilé la totalité d’entre eux. Ou nous tous obtiendrons la liberté, ou nous opterons pour la liberté plus grande encore du martyre. Ou nous applaudirons la victoire de l’Islam dans le monde, ou nous tous irons vers la vie éternelle et le martyre. Dans les deux cas, la victoire et le succès nous sont assurés. Ayatollah Khomeiny
Le peuple a fait son choix (…) c’est là leur droit, leur droit inaliénable, inscrit dans l’article premier de la Charte des Nations Unies, l’égalité des droits et de l’autodétermination des peuples. Je le répète  : il s’agit d’un droit inaliénable des peuples. (….) C’est ici, en Nouvelle Russie, qu’ont lutté Rumjancev, Suvorov et Ušakov. C’est ici que Catherine II et Potëmkine ont fondé de nouvelles villes. C’est ici que nos grands-pères et arrière-grands-pères se sont battus jusqu’à la mort pendant la Seconde Guerre mondiale. Nous n’oublierons jamais les héros du «  Printemps Russe  », ceux qui ont refusé le coup d’État néonazi dans l’Ukraine de 2014, ceux qui ont perdu la vie pour le droit de parler leur langue, de conserver leur culture, leurs traditions, leur foi, pour le droit même de vivre. Nous n’oublierons jamais les combattants du Donbass, les martyrs de la «  Khatyn d’Odessa  », les victimes des attentats inhumains orchestrés par le régime de Kiev. Nous commémorons les volontaires et les miliciens, les civils, les enfants, les femmes, les vieillards, les Russes, les Ukrainiens, des gens des nationalités les plus diverses  (…) Je vous demande d’observer une minute de silence en leur mémoire. (…) Derrière ce choix de millions d’habitants des Républiques populaires de Donetsk et Lougansk, des districts de Zaporojie et Kherson, se lisent à la fois notre futur commun et notre histoire millénaire. Les populations ont transmis ce lien spirituel à leurs enfants et leurs petits-enfants. Malgré toutes les épreuves, ils ont transmis leur amour de la Russie à travers les âges. Personne ne pourra détruire ce sentiment qui nous habite. C’est la raison pour laquelle les anciennes générations et les plus jeunes, ceux qui sont nés après l’effondrement tragique de l’URSS, ont voté d’une seule voix pour notre unité, pour notre avenir commun. En 1991 (…) sans aucune considération pour la volonté des citoyens ordinaires, les représentants de l’élite du parti de l’époque ont pris la décision de dissoudre l’URSS. Du jour au lendemain, les gens se sont retrouvés arrachés à leur patrie. Notre communauté nationale a été déchirée, démantelée à vif, ce qui s’est soldé par une catastrophe nationale. (…) Pendant huit longues années, les habitants du Donbass ont été soumis au génocide, aux bombardements, au blocus. (…) y compris pendant les référendums, le régime de Kiev a menacé de représailles et de mort les enseignants et les femmes qui officiaient dans les commissions électorales, intimidant des millions de personnes venues exprimer leur volonté.  (…) Nous appelons le régime de Kiev à un cessez-le-feu immédiat, à mettre fin à cette guerre qu’il a déclenchée en 2014 et à revenir à la table des négociations. Nous y sommes prêts, comme nous l’avons signalé à de nombreuses reprises. En revanche, la décision des peuples de Donetsk, Lougansk, Zaporojie et Kherson n’est pas discutable. Leur décision a été prise et la Russie ne la trahira pas. Les autorités actuelles de Kiev doivent traiter cette libre expression de la volonté d’un peuple avec respect, et pas autrement. C’est le seul chemin possible vers la paix. Nous défendrons notre terre avec toutes nos forces et par tous les moyens à notre disposition. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour garantir la sécurité de nos concitoyens. Telle est la grande mission libératrice de notre nation. (…) Je veux m’adresser aujourd’hui aux soldats et aux officiers qui participent à l’opération militaire spéciale (…) Je veux m’adresser à eux, à leur famille, à leurs épouses et à leurs enfants pour leur dire contre qui, contre quel genre d’ennemi notre peuple se bat, pour leur dire qui précipite le monde dans de nouvelles guerres et de nouvelles crises, retirant un profit sanglant de toute cette tragédie. Nos compatriotes, nos frères et nos sœurs d’Ukraine, cette partie intégrante de notre nation unie, ont vu de leurs propres yeux le sort que les sphères dirigeantes du soi-disant Occident réservent à l’humanité entière. Ici, elles ont enfin tombé les masques et révélé leur vraie nature. Après la chute de l’Union soviétique, l’Occident a décidé que le monde entier, que chacun de nous devait supporter à jamais ses diktats. En 1991, l’Occident s’imaginait que la Russie ne se relèverait jamais de ces bouleversements et s’effondrerait d’elle-même. Ils y ont presque réussi. Nous gardons en mémoire les années 1990, ces années terribles, de faim, de froid et de désespoir. Mais la Russie a survécu. Elle renaît, se renforce, réclame à nouveau la place qui lui revient dans le monde. (…) Ils ne seront pas en paix tant qu’il existera un pays si grand, si considérable, avec son territoire, ses richesses naturelles, ses ressources, son peuple qui ne sait pas et ne saura jamais vivre sous les ordres de quelqu’un d’autre. L’Occident est prêt à tout pour conserver ce système néocolonial qui lui permet de parasiter, de dépouiller le monde grâce à la puissance du dollar et de la technologie, de percevoir un véritable tribut de l’humanité tout entière, de jouir de la principale source de richesse indue  : la rente de l’hégémon. La préservation de cette rente est leur principale motivation, leur motivation réelle, fruit de la pure avidité. C’est la raison pour laquelle ils ont intérêt à la dé-souverainisation systématique. Ainsi s’expliquent leurs agressions d’États indépendants, de valeurs traditionnelles et de cultures authentiques, leurs tentatives de saper les processus internationaux et interrégionaux, les nouvelles monnaies globales et les nouveaux pôles de développement technologique qui échappent à leur contrôle. Il est capital pour eux que tous les États abandonnent leur souveraineté au profit des États-Unis. (… Je veux souligner une fois encore que ce sont leur cupidité insatiable et leur désir de maintenir leur pouvoir illimité qui sont la véritable raison de cette guerre hybride que l’«  Occident collectif  » mène contre la Russie. Ils ne veulent pas nous voir libres  ; ils rêvent que nous soyons une colonie. Ils ne veulent pas collaborer sur un pied d’égalité  ; ils rêvent de pillage. Ils ne veulent pas que nous soyons une société libre, mais une foule d’esclaves sans âme. (…) L’Occident mise sur son impunité, sur sa capacité à tout se permettre. (…) Les accords de sécurité stratégique ont filé droit à la poubelle  ; les conventions conclues au plus haut niveau politique ont été déclarées fictives  ; les promesses les plus fermes de ne pas étendre l’OTAN vers l’Est, arrachées fut un temps par nos anciens dirigeants, se sont révélées un mensonge immonde  ; les traités sur les forces nucléaires à portée intermédiaire ont été unilatéralement abrogés sous des prétextes fantaisistes. Mais de tous les côtés, on n’entend que  : «  L’Occident incarne l’état de droit, fondé sur des règles  ». D’où viennent-elles  ? Qui en a jamais vu la couleur  ? Qui y a consenti  ? Écoutez, ce ne sont que des absurdités, un mensonge absolu, des doubles ou des triples standards. Ils doivent nous prendre pour des imbéciles. La Russie est une grande puissance millénaire, un pays-civilisation qui ne vivra jamais sous le joug de ces règles truquées, faussées. C’est bien le soi-disant Occident qui a piétiné le principe de l’inviolabilité des frontières et qui décide maintenant, selon son bon vouloir, qui a le droit à l’autodétermination et qui ne l’a pas, qui en est digne et qui ne l’est pas. On ignore à quel titre ils agissent ainsi, qui leur en a donné le droit, sinon eux-mêmes. (…) L’Occident n’a aucun droit moral à distribuer les bons points, ni à prononcer le moindre mot sur la liberté de la démocratie. Ils ne l’a pas et il ne l’a jamais eu. Les élites occidentales ne se contentent pas de nier souveraineté des nations et le droit international. Leur hégémonie présente clairement les traits d’un totalitarisme, d’un despotisme, d’un apartheid. Avec insolence, ils divisent le monde entre, d’un côté, leurs vassaux, les pays soi-disant civilisés, et de l’autre le reste de la planète, ceux que des racistes occidentaux voudraient inscrire sur la liste des barbares et des sauvages. Des étiquettes mensongères comme «  État voyou  » ou «  régime autoritaire  » sont stigmatiser des peuples et des États entiers, ce qui n’est pas nouveau. Il n’y a rien de nouveau là-dedans, parce que les élites occidentales sont restées ce qu’elles étaient  : colonialistes. Elles discriminent et divisent les peuples entre la «  première classe  » et «  le reste  ». Nous n’avons jamais souscrit et ne souscrirons jamais à ces formes de nationalisme politique et de racisme. Est-ce autre chose que du racisme qui, sous la forme de la russophobie, se répand aujourd’hui dans le monde entier  ? Que peut bien être, sinon du racisme, cette conviction inébranlable de l’Occident que sa civilisation et sa culture néolibérale sont le modèle indépassable pour le reste du monde  ? «  Qui n’est pas avec nous est contre nous  ».  (…) Il n’est pas jusqu’à la responsabilité de leurs propres crimes historiques que les élites occidentales rejettent sur les autres, exigeant à la fois de leurs citoyens et des autres peuples qu’ils se repentent de ce à quoi ils n’ont jamais contribué, par exemple, la période des conquêtes coloniales. Il est bon de rappeler à l’Occident qu’il a commencé sa politique coloniale dès l’époque du Moyen Âge, avant que se développe la traite mondiale des esclaves, le génocide des tribus indiennes en Amérique, le pillage de l’Inde, de l’Afrique, les guerres de l’Angleterre et de la France contre la Chine, qui l’ont obligée à ouvrir ses ports au commerce de l’opium. Ce qu’ils ont fait, c’était de rendre des peuples entiers accros aux drogues, d’exterminer délibérément des groupes ethniques entiers pour leurs terres et leurs ressources, de pratiquer une véritable chasse à l’homme, comme on chasse des bêtes. Tout cela est contraire à la nature même de l’humain, à la vérité, à la liberté et à la justice. Pour notre part, nous sommes fiers qu’au XXe siècle, ce soit précisément notre pays qui ait pris la tête du mouvement anticolonial, lequel a offert à de nombreux peuples du monde la possibilité de se développer, de réduire la misère et les inégalités, de vaincre la faim et les maladies. Je tiens à souligner que l’un des motifs de la russophobie pluriséculaire, de l’évidente animosité de ces élites occidentales vis-à-vis de la Russie, vient justement du fait que nous ayons refusé de nous laisser dépouiller à l’époque de la conquête coloniale et que nous ayons forcé les Européens à commercer avec nous pour notre bénéfice mutuel. Nous y sommes parvenus grâce à la création en Russie d’un État centralisé, qui s’est développé et consolidé à partir des hautes valeurs morales de l’orthodoxie, de l’islam, du judaïsme et du bouddhisme, mais aussi d’une culture et d’une langue russes ouvertes à tous. D’innombrables plans d’invasion de la Russie ont été échafaudés. On a tenté de profiter du temps des troubles du début du XVIIe siècle et des bouleversements qui ont suivi la Révolution de 1917, mais sans succès. Ce n’est qu’à la fin du XXe siècle, lorsque cet État s’est effondré, qu’ils ont finalement réussi à mettre la main sur les richesses de la Russie. Ils nous qualifiaient alors d’amis et de partenaires mais, dans les faits, ils nous traitaient comme une colonie  : des milliers de milliards de dollars ont été siphonnés du pays par toutes sortes de machinations.  (…) Les pays occidentaux clament depuis des siècles qu’ils apportent la liberté et la démocratie aux autres nations. C’est exactement le contraire. Au lieu de la démocratie, ils apportent la répression et l’exploitation  ; au lieu de la liberté, l’asservissement et l’oppression. L’ordre mondial unipolaire est intrinsèquement anti-démocratique et non-libre, menteur et hypocrite de bout en bout. Les États-Unis sont le seul pays du monde à avoir fait usage par deux fois de l’arme nucléaire, lorsqu’ils ont détruit les villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki. D’ailleurs, en agissant ainsi, ils ont créé un précédent. Je rappelle que les États-Unis, avec l’aide des Britanniques, ont réduit à l’état de ruines Dresde, Hambourg, Cologne et nombre d’autres villes allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale sans aucune nécessité militaire  : ils l’ont fait ostensiblement et, je le répète, sans aucune nécessité militaire. Leur unique objectif, comme dans le cas des bombardements nucléaires au Japon, était d’intimider notre pays et le reste du monde. Les États-Unis ont laissé une trace épouvantable dans la mémoire des peuples de Corée et du Vietnam par leurs «  tapis de bombes  » barbares, l’usage du napalm et des armes chimiques. Aujourd’hui encore, ils occupent encore de facto l’Allemagne, le Japon, la République de Corée et encore d’autres pays, tout en les appelant cyniquement des égaux et des alliés. Écoutez, je me demande bien de quel genre d’alliance il peut s’agir. Le monde entier sait que les dirigeants de ces pays sont espionnés, que leurs chefs d’État sont mis sur écoute non seulement à leur bureau, mais à leur domicile. C’est une véritable honte. Une honte pour ceux qui agissent ainsi et une honte pour ceux qui, comme des esclaves, avalent ces impertinences en silence et servilement. Ils parlent de solidarité euro-atlantique pour qualifier les ordres, les cris brutaux et insultants qu’ils adressent à leurs vassaux  ; ils parlent de noble recherche médicale pour qualifier le développement d’armes biologiques et les expérimentations sur des sujets vivants, notamment en Ukraine. Ce sont bien leurs politiques dévastatrices, leurs guerres et leurs pillages qui ont provoqué le considérable essor des flux migratoires actuels. Des millions de personnes endurent les pires privations, les pires abus, et meurent par milliers en essayant de rejoindre l’Europe. Aujourd’hui, ils exportent du blé d’Ukraine. Où va ce blé, sous le prétexte de «  garantir la sécurité alimentaire des pays les plus pauvres du monde  »  ? Où va-t-il  ? Tout va dans ces mêmes pays d’Europe. Seuls 5 % sont partis dans les pays pauvres. Voilà un nouvel exemple d’escroquerie et de mensonge éhonté. Dans les faits, l’élite américaine se sert de la tragédie que vivent ces personnes pour affaiblir ses rivaux, pour détruire les États-nations. Cela vaut également pour l’Europe, pour l’identité de pays comme la France, l’Italie, l’Espagne, et d’autres nations à l’histoire multiséculaire. Washington exige toujours plus de sanctions pour la Russie, et les politiciens européens, dans leur majorité, acceptent docilement. Ils ne saisissent pas bien que les États-Unis, en poussant l’Union Européenne à renoncer entièrement aux ressources russes, notamment énergétiques, sont en réalité en train de provoquer la désindustrialisation de l’Europe et de s’emparer du marché européen. Bien sûr, elles en ont conscience, ces élites européennes, elles en ont conscience mais préfèrent servir les intérêts d’une autre nation. Ce n’est même plus une marque de servilité, mais une véritable trahison de leurs propres peuples.  (…) Cependant, les sanctions ne suffisent plus aux Anglo-Saxons. Ils recourent maintenant au sabotage – cela semble incroyable, mais c’est un fait – en faisant sauter les gazoducs internationaux de «  Nord Stream  », qui passent au fond de la mer Baltique, ruinant du même coup l’infrastructure énergétique de l’Europe tout entière. Chacun sait qui en bénéficie. (…) Le diktat américain est fondé sur la force brute, sur la loi du plus fort. Il est parfois joliment emballé, parfois sans fioriture, mais le fond est le même  : c’est la loi du plus fort. D’où le déploiement et l’entretien de centaines de bases militaires aux quatre coins du monde, l’expansion de l’OTAN et les tentatives de former de nouvelles alliances militaires comme l’AUKUS ou d’autres encore  : c’est ainsi qu’on cherche activement à créer une alliance militaire et politique entre Washington, Séoul et Tokyo. Tous les États qui possèdent ou aspirent à posséder une véritable souveraineté stratégique et qui sont en mesure de contester l’hégémonie occidentale sont automatiquement déclarés ennemis. (…) Les élites occidentales présentent leurs plans néocoloniaux d’une manière tout aussi hypocrite, en agitant des prétentions pacifistes, en parlant d’«  endiguement  », et ces mots-clefs sournois se retrouvent d’une stratégie à l’autre alors qu’en réalité ils ne signifient qu’une seule chose  : saper tous les centres de pouvoir souverains. On nous a ainsi parlé de l’endiguement de la Russie, de la Chine, de l’Iran. J’imagine que d’autres pays d’Asie, d’Amérique Latine, d’Afrique, du Proche-Orient, ainsi que des partenaires et alliés actuels des États-Unis, sont les prochains sur la liste. Nous le savons bien  : lorsque quelque chose leur déplaît, ils sont prêts à imposer des sanctions à leurs propres alliés – tantôt à telle ou telle banque  ; tantôt à telle ou telle entreprise. (…) Ils ont noyé la vérité dans un océan de mythes, d’illusions et de faux, en pratiquant une propagande extrêmement agressive, en mentant comme Goebbels. Plus le mensonge est gros, plus on y croit – c’est ainsi qu’ils fonctionnent, en suivant ce principe. Mais on ne peut pas nourrir les populations avec des dollars et des euros imprimés sur des billets de banque. On ne peut pas les nourrir avec du papier-monnaie, on ne peut pas chauffer un foyer avec la capitalisation aussi virtuelle et que surévaluée des réseaux sociaux occidentaux. Tout ce dont je vous parle est de la plus haute importance, mais il faut insister sur ce dernier point. On ne peut nourrir personne avec du papier, il faut de la nourriture  ; ces capitalisations surévaluées ne peuvent chauffer personne, il faut de l’énergie. C’est pourquoi les dirigeants européens en sont réduits à convaincre leurs concitoyens de manger moins, de se laver moins souvent, de s’habiller plus chaudement à la maison. Et ceux qui commencent à se poser les bonnes questions – «  Pourquoi en serait-il ainsi  ?  » – sont immédiatement déclarés ennemis, extrémistes et radicaux. Ils retournent la situation contre la Russie en disant  : «  Vous voyez, c’est la source de tous nos malheurs  ». Des mensonges, encore une fois. (…) Les gains de la Seconde Guerre mondiale ont permis aux États-Unis de surmonter enfin les conséquences de la Grande Dépression et de devenir la première économie mondiale, de soumettre la planète entière à la puissance du dollar en tant que monnaie de réserve globale. C’est largement en s’appropriant les restes et les ressources de l’Union soviétique en déliquescence que l’Occident a surmonté la crise qui s’est aggravée dans les années 1980.  (…) Désormais, pour sortir de ce nouveau nœud de contradictions, il leur faut à tout prix briser la Russie et les autres États qui choisissent une voie souveraine de développement, afin de piller de nouvelles richesses et de colmater ainsi leurs propres vides. Si cela ne se passe pas ainsi, je n’exclus pas l’idée qu’ils tentent de provoquer l’effondrement total du système pour se dédouaner de leurs responsabilités, ou encore, Dieu nous en garde, qu’ils décident d’employer une formule bien connue  : «  La guerre efface toutes les dettes  ». La Russie a conscience de sa responsabilité envers la communauté mondiale et fera son possible pour ramener ces têtes brûlées à la raison. À l’évidence, le modèle néocolonial actuel est condamné à disparaître. Mais, je le répète, ses maîtres réels s’y accrocheront jusqu’à la dernière seconde. Ils n’ont tout simplement rien à proposer au monde, si ce n’est la préservation de ce système de pillage et de racket. En substance, ils crachent sur le droit naturel de milliards de personnes, la majeure partie de l’humanité, à la liberté et à la justice, ainsi qu’à la détermination de leur propre destinée. Ils en viennent maintenant à nier l’ensemble des normes morales, de la religion et de la famille. (…) est-ce que nous voulons avoir, ici, dans ce pays, en Russie, au lieu d’une mère et d’un père, un «  parent numéro un  » et un «  parent numéro deux  » (ils sont devenus complètement dingues sur ce coup)  ? Est-ce que nous voulons que l’on enseigne dans nos écoles primaires des perversions qui conduisent à la dégradation et à l’extinction  ? Est-ce que nous voulons enseigner aux enfants qu’il n’existe pas que des femmes et des hommes, mais des soi-disant genres et qu’on leur propose des opérations de changement de sexe  ? Est-ce cela que nous voulons pour notre pays et pour nos enfants  ? Tout cela est tout simplement inacceptable pour nous. (…) Je le répète  : la dictature des élites occidentales vise toutes les sociétés, y compris les pays occidentaux eux-mêmes. C’est un défi adressé à tout le monde. Cette négation profonde de l’humanité, cette subversion de la foi et des valeurs traditionnelles, cet écrasement de la liberté prennent les traits d’une «  religion à l’envers  » – d’un satanisme pur et simple. Dans le sermon sur la montagne, Jésus Christ, dénonçant les faux prophètes, dit  : «  C’est donc à leurs fruits que vous les reconnaîtrez  ». Et beaucoup savent bien que ces fruits sont empoisonnés, non seulement chez nous, mais dans tous les pays, y compris en Occident. Le monde est entré dans une période de transformations fondamentales, révolutionnaires. De nouvelles puissances émergent. Elles représentent la majorité – la majorité  ! – de la communauté mondiale et sont prêtes non seulement à proclamer leurs intérêts, mais à les défendre. Elles voient dans la multipolarité un moyen de renforcer leur souveraineté et ainsi de conquérir la liberté véritable, une perspective historique, leur droit au développement indépendant, créatif, original, à un développement harmonieux. Dans le monde entier, y compris en Europe et aux États-Unis, comme je l’ai déjà souligné, de nombreuses personnes partagent nos idées et nous ressentons, nous voyons leur soutien. Au sein des pays et des sociétés les plus variés se dessine déjà un mouvement de libération anticolonial contre l’hégémonie unipolaire, et sa force ne fera que croître. C’est cette force qui déterminera le futur des réalités géopolitiques. (…) Aujourd’hui, nous combattons pour un futur juste et libre, avant tout pour nous-mêmes, pour la Russie, pour que la dictature et le despotisme deviennent à jamais un souvenir du passé. Ma conviction est que les nations et les peuples comprennent à quel point une politique fondée sur l’exceptionnalisme, sur la suppression des autres cultures et des autres peuples, est fondamentalement criminelle, que cette page honteuse de l’histoire ne demande qu’à être tournée. L’effondrement de l’hégémonie occidentale est en cours. Il est irréversible. Je le répète  : les choses ne seront plus comme avant. Le champ de bataille sur lequel nous ont convoqués le destin et l’histoire est un champ de bataille pour notre peuple, pour la grande Russie historique. (Applaudissements.) Pour une grande Russie historique, pour les générations futures, pour nos enfants, nos petits-enfants et nos arrière-petits-enfants. Nous devons les préserver de l’asservissement, des expérimentations monstrueuses qui veulent estropier leurs consciences et leurs âmes. Aujourd’hui, nous combattons pour que personne ne pense plus jamais que la Russie, notre peuple, notre langue, notre culture, puissent être rayés de l’histoire. Aujourd’hui, nous devons consolider notre société et cette solidarité ne pourra reposer que sur la souveraineté, la liberté, la création et la justice. Nos valeurs sont l’humanité, la miséricorde et la compassion. Et je voudrais conclure cette allocution sur les mots d’un véritable patriote, Ivan Aleksandrovič Il’in  : «  Si je considère la Russie comme ma patrie, cela signifie que j’aime, que je contemple et que je pense comme un Russe, que je chante et que je parle comme un Russe  ; que je crois aux forces spirituelles du peuple russe. Son esprit est mon esprit  ; sa destinée est ma destinée  ; sa souffrance est ma souffrance  ; sa prospérité est ma joie  ». Dans ces mots, on retrouve le grand chemin spirituel que de nombreuses générations de nos ancêtres ont emprunté pendant plus d’un millénaire d’existence de l’État russe. Aujourd’hui, c’est nous qui empruntons ce chemin, ce sont les habitants des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, des districts de Zaporojie et de Kherson qui ont fait ce choix. Ils ont pris la décision de vivre avec leur propre peuple, avec leur patrie, de s’associer à son destin et de vaincre avec elle. La victoire est avec nous, la Russie est avec nous  ! Vladimir Poutine
Ce qui se passe aujourd’hui.. ne relève pas uniquement de la politique… Il s’agit du Salut de l’homme, de la place qu’il occupera à droite ou à gauche de Dieu le Sauveur, qui vient dans le monde en tant que Juge et Créateur de la création.  (…) Aujourd’hui, il existe un test de loyauté envers ce pouvoir, une sorte de laissez-passer vers ce monde « heureux », un monde de consommation excessive, un monde de « liberté » apparente. Savez-vous ce qu’est ce test ? Le test est très simple et en même temps terrifiant : il s’agit d’une parade de la gay pride. La demande de nombreux pays d’organiser une gay pride est un test de loyauté envers ce monde très puissant ; et nous savons que si des personnes ou des pays rejettent ces demandes, ils ne font pas partie de ce monde, ils en deviennent des étrangers. Et donc, aujourd’hui, en ce dimanche du pardon, moi, d’une part, en tant que votre berger, j’appelle tout le monde à pardonner les péchés et les offenses, y compris là où il est très difficile de le faire, là où les gens se battent entre eux. Mais le pardon sans la justice est une capitulation et une faiblesse. Le pardon doit donc s’accompagner du droit indispensable de se placer du côté de la lumière, du côté de la vérité de Dieu, du côté des commandements divins, du côté de ce qui nous révèle la lumière du Christ, sa Parole, son Évangile, ses plus grandes alliances données au genre humain.  Patriarche Kirill
You don’t understand, George, that Ukraine is not even a state. What is Ukraine? Part of its territories is Eastern Europe, but the greater part is a gift from us. Putin (to Bush during the NATO Summit in Bucharest, Romania, May 25, 2009)
[Anton Denikin, a commander in the White Army, which fought the Bolsheviks after the revolution in 1917] has a discussion (…) about Big Russia and Little Russia — Ukraine. He says that no one should be allowed to interfere in relations between us; they have always been the business of Russia itself. Putin (May 25, 2009)
There is no historical basis for the idea of Ukrainian people as a nation separate from the Russians. Putin (Kremlin, July 12, 2021)
There will be no more Ukraine as anti-Russia. Vladimir Putin has asserted a historic responsibility by deciding not to leave the solution of the Ukrainian question to future generations. Ukraine’s return to Russia will not mean its statehood’s “liquidation”; instead, Ukraine will be reorganized, re-established and returned to its natural state of part of the Russian world. RIA Novosti (February 26, 2022)
I hate them. They are bastards and geeks. They want death for us, Russia. And as long as I’m alive, I will do everything to make them disappear. Medevedev (June 7, 2022)
As a result of Western involvement, Ukraine may lose the remnants of state sovereignty and disappear from the world map and “Ukrainian criminals will definitely be tried for the atrocities committed against the people of Ukraine and Russia. Medvedev (July 21, 2022)
Ukraine has several million people who need to be partially eliminated and partially squeezed out. « New Russia,” or the territories from Kharkov, Odessa, Zaporozhye, and Dnepropetrovsk, should be joined to the Russian regions, with full denazification, deukrainization. Russia should institute a complete ban on Ukrainian fonts, Ukrainian texts, programs on the Ukrainian language, on teaching Ukrainian – ie completely. These implementations will cause a surplus population – let the surplus population go to the Far East. Mikhail Khazin (Russian economist and pundit, December 27, 2016)
There is no Ukraine, although there is Ukrainianism – a “specific mental disorder. Surprisingly brought to the extreme degree passion for ethnography. Such bloody lore. Muddle instead of the state. There is borscht, Bandera, bandura. But there is no nation. Donbass “does not deserve such humiliation” of returning to Ukraine. Ukraine “does not deserve such honor. Vladislav Surkov (Former Putin aide, February 26, 2020)
The Ukrainian regime is not just Nazi and anti-Russian, it is anti-human. Ukrainian statehood is Moloch, to whom children are sacrificed. This filthy idol must be destroyed, it has no place in history. Sergey Aksyonov (Russian head of occupation authority in Crimea (Jul. 27, 2022)
Les dirigeants russes ont commencé par traiter les dirigeants ukrainiens de « nazis » pour dissimuler leur plan de guerre d’agression prédatrice. Maintenant, ils appellent au génocide. Le président Biden a eu raison de tirer la sonnette d’alarme sur le génocide. Le monde doit agir. À la veille de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le président russe Vladimir Poutine a lancé une campagne de désinformation visant à contester le droit du pays à exister. Il a décrit l’Ukraine comme une « création artificielle des bolcheviks » et a qualifié ses dirigeants de « nazis ». Le 24 février, Poutine a annoncé qu’il avait lancé une « opération militaire spéciale » pour « dénazifier » l’Ukraine. La semaine dernière, alors que le monde apprenait des détails horribles sur le viol, la torture et le meurtre de civils par l’armée russe, ce discours sur la « dénazification » s’est transformé dans les médias d’État russes en un appel effrayant à la « désukrainisation ». La désukrainisation est un génocide. Le monde doit agir. Un article publié par RIA-Novosti le 5 avril a répété l’affirmation de Poutine selon laquelle « les Ukrainiens sont une construction artificielle anti-russe ». Il a proclamé que « l’élite politique ukrainienne doit être éliminée ». Et il a déclaré que les Ukrainiens ordinaires sont des « nazis passifs » qui « doivent vivre toutes les horreurs de la guerre et absorber l’expérience comme une leçon historique et une expiation pour leur culpabilité ». Expliquant que « la dénazification sera inévitablement aussi une désukrainisation », l’article lançait un appel inquiétant à une « purification totale ». Ce n’est pas la première fois que des idées aussi viles sont exprimées dans les médias russes. Il y a eu une série d’articles et de vidéos en 2016 et 2017 prônant la « désukrainisation ». L’économiste et expert Mikhail Khazin a appelé à la transformation de Kyiv, Tchernihiv et Soumy en «arrière-pays agricole dépouillé d’industrie et de forces armées», avec une «population excédentaire» déportée vers l’Extrême-Orient russe. Il a en outre suggéré que « plusieurs millions » d’Ukrainiens « devraient être » soit « éliminés » soit « expulsés ». Mais l’article de RIA-Novosti est différent pour deux raisons essentielles. Il a été publié au milieu de la guerre d’agression prédatrice de la Russie – alors que des atrocités étaient commises à Bucha, Marioupol et dans d’autres villes, et que des civils ukrainiens étaient kidnappés, déportés et envoyés dans des camps de filtration. Il a été publié pendant une censure extrême de temps de guerre en Russie, indiquant son approbation par les autorités russes. Depuis la publication de l’article de RIA-Novosti, les responsables russes ont continué à signaler au peuple russe – et à l’armée russe – que le génocide était à l’ordre du jour. Le lendemain de la parution de l’article, l’ancien président russe Dmitri Medvedev, l’un des conseillers de Poutine, a déclaré que « l’identité ukrainienne est un faux grossier et le but de la dénazification est de changer la façon dont les Ukrainiens perçoivent leur identité. » Plus tard dans la semaine, la première chaîne de télévision d’État russe a présenté une « discussion » sur l’élimination de l’Ukraine. Ces appels à la « désukrainisation » sont une incitation au génocide : à « détruire, en tout ou en partie », la nation ukrainienne. Certains juristes internationaux objectent qu’il n’y a pas encore suffisamment de preuves de génocide. Et ils ont en partie raison. Nous aurons besoin de plus de preuves pour condamner les dirigeants et les soldats russes pour génocide, qui peut être poursuivi soit comme crime de guerre (comme à Nuremberg) soit comme crime contre l’humanité. Mais la Convention sur le génocide et le Statut de Rome appellent également à la prévention du génocide. Et il y a suffisamment de preuves en ce moment pour demander au monde d’agir. J’aborde cette question en tant qu’historienne des procès de Nuremberg, et non en tant qu’avocate. Et de ce point de vue, il y a plusieurs choses à garder à l’esprit. Premièrement, le génocide ne ressemble pas toujours à l’Holocauste. Dans son discours de clôture des procès de Nuremberg, le procureur en chef britannique Sir Hartley Shawcross a réexaminé les preuves concernant Auschwitz et l’extermination des Juifs. Il a ensuite rappelé au tribunal que le génocide pouvait prendre plusieurs formes. La méthode que les nazis ont appliquée à l’intelligentsia polonaise, a-t-il noté, était «l’anéantissement pur et simple», alors qu’en Alsace, la déportation était le programme de choix. Dans l’Union soviétique occupée par l’Allemagne, la technique était la mort par famine ; en Bohême et en Moravie, les nazis se sont lancés dans une politique de germanisation forcée. Deuxièmement, l’histoire nous montre que nous devons prendre les dictateurs au mot. Ceux qui incitent au génocide tentent généralement de donner suite. Il n’est pas rare qu’ils fassent connaître leurs campagnes par le biais de propagandistes et de médias. Adolf Hitler avait Joseph Goebbels, Alfred Rosenberg et d’autres pour faire ce travail. Poutine a Medvedev et les experts des médias d’État russes. Enfin, plus les soldats russes s’engageront dans la campagne de « désukrainisation », plus la guerre deviendra brutale – et plus il sera difficile pour la Russie de trouver une issue autre que la victoire ou la défaite totale. La complaisance de la société russe devient complicité au meurtre. Il ne s’agit pas simplement d’une question académique ou d’un débat sur la terminologie. Nous devons comprendre les objectifs de guerre de la Russie pour comprendre la nature de ce conflit. Biden avait raison de dire que l’objectif de Poutine était « d’éliminer même l’idée d’être Ukrainien ». La communauté internationale doit affirmer qu’il existe des valeurs universelles. Elle doit soutenir l’Ukraine et dénoncer les mensonges de Poutine. Elle doit agir pour empêcher la destruction de la nation ukrainienne. Francine Hirsch (Université du Wisconsin à Madison)
Russia has just issued a genocide handbook for its war on Ukraine.  The Russian official press agency « RIA Novosti » published last Sunday an explicit program for the complete elimination of the Ukrainian nation as such.  It is still available for viewing, and has now been translated several times into English. As I have been saying since the war began, « denazification » in official Russian usage just means the destruction of the Ukrainian state and nation.  A « Nazi, » as the genocide manual explains, is simply a human being who self-identifies as Ukrainian.  According to the handbook, the establishment of a Ukrainian state thirty years ago was the « nazification of Ukraine. »  Indeed « any attempt to build such a state » has to be a « Nazi » act.  Ukrainians are « Nazis » because they fail to accept « the necessity that the people support Russia. »  Ukrainians should suffer for believing that they exist as a separate people; only this can lead to the « redemption of guilt. » (…) Putin’s Russian regime talks of “Nazis” not because it opposes the extreme right, which it most certainly does not, but as a rhetorical device to justify unprovoked war and genocidal policies. Putin’s regime is the extreme right.  It is the world center of fascism. It supports fascists and extreme-right authoritarians around the world.  In traducing the meaning of words like « Nazi, » Putin and his propagandists are creating more rhetorical and political space for fascists in Russia and elsewhere. The genocide handbook explains that the Russian policy of « denazification » is not directed against Nazis in the sense that the word is normally used.  The handbook grants, with no hesitation, that there is no evidence that Nazism, as generally understood, is important in Ukraine.  It operates within the special Russian definition of « Nazi »: a Nazi is a Ukrainian who refuses to admit being a Russian.  The « Nazism » in question is « amorphous and ambivalent »; one must, for example, be able to see beneath the world of appearance and decode the affinity for Ukrainian culture or for the European Union as « Nazism. » (…) The Russian handbook is one of the most openly genocidal documents I have ever seen.  It calls for the liquidation of the Ukrainian state, and for abolition of any organization that has any association with Ukraine.  It postulates that the « majority of the population » of Ukraine are « Nazis, » which is to say Ukrainians. (…) Such people, « the majority of the population, » so more than twenty million people, are to be killed or sent to work in « labor camps » to expurgate their guilt for not loving Russia.  Survivors are to be subject to « re-education. »  Children will be raised to be Russian.  The name « Ukraine » will disappear. Had this genocide handbook appeared at some other time and in a more obscure outlet, it might have escaped notice.  But it was published right in the middle of the Russian media landscape during a Russian war of destruction explicitly legitimated by the Russian head of state’s claim that a neighboring nation did not exist.  It was published on a day when the world was learning of a mass murder of Ukrainians committed by Russians. Russia’s genocide handbook was published on April 3, two days after the first revelation that Russian servicemen in Ukraine had murdered hundreds of people in Bucha, and just as the story was reaching major newspapers.  The Bucha massacre was one of several cases of mass killing that emerged as Russian troops withdrew from the Kyiv region.  This means that the genocide program was knowingly published even as the physical evidence of genocide was emerging.  The writer and the editors chose this particular moment to make public a program for the elimination of the Ukrainian nation as such. As a historian of mass killing, I am hard pressed to think of many examples where states explicitly advertise the genocidal character of their own actions right at at the moment those actions become public knowledge.  From a legal perspective, the existence of such a text (in the larger context of similar statements and Vladimir Putin’s repeated denial that Ukraine exists) makes the charge of genocide far easier to make.  Legally, genocide means both actions that destroy a group in whole or in part, combined with some intention to do so.  Russia has done the deed and confessed to the intention. Timothy Snyder (Yale)
Dans l’Islam, de même que dans le Judaïsme et le Christianisme, certaines croyances portent sur une bataille cosmique marquant la fin des temps – Gog et Magog, l’Antéchrist, Armageddon et, pour les Musulmans chiites, le retour tant attendu de l’Imam caché, qui doit déboucher sur la victoire finale des forces du bien sur celles du mal, quelle qu’en soit la définition. Il est évident qu’Ahmadinejad et ses adeptes croient que ce temps est venu et que la lutte finale est déjà entamée, et même bien avancée. Bernard Lewis
Dans le vocabulaire politique, l’expression « millénarisme » peut servir à désigner, de manière métaphorique, une forme de doctrine aspirant à une révolution radicale, qui aboutirait à la mise en place définitive d’un ordre social supposé plus juste, et sans commune mesure avec ce qui a existé jusqu’à présent. Dans cette acception, le terme a pu servir à qualifier aussi bien le communisme que le nazisme. Wikipedia
Le bolchevisme (…) avait la volonté de détruire tous les autres courants politiques. Par imitation, le national-socialisme voulait de même détruire ses ennemis. On retrouve cela aussi dans le fascisme italien. On devine dans tous ces cas le même tropisme destructeur, appliqué bien entendu avec des méthodes tout à fait différentes. L’Italie exilait ses ennemis sur des îles ; Hitler les tuait. (…) J’ai tenté de définir l’islamisme comme un mouvement réactionnaire symptomatique de l’histoire de la révolution libérale ou capitaliste. Le marxisme fut une première réaction. Il ne voulait pas accepter le mélange du bon et du mauvais inhérent au pragmatisme libéral. Le marxisme visait une perfection, un monde totalement moral et bon. Ernst Nolte
Nous imaginons, parce que la Guerre froide est finie en Europe, que toute la série de luttes qui ont commencé avec la Première guerre mondiale et qui sont passées par différents mouvements totalitaires — fasciste, nazi et communiste — était finalement terminée. (…) Hors de la Première guerre mondiale est venue une série de révoltes contre la civilisation libérale. Ces révoltes accusaient la civilisation libérale d’être non seulement hypocrite ou en faillite, mais d’être en fait la grande source du mal ou de la souffrance dans le monde. (…) [Avec] une fascination pathologique pour la mort de masse [qui] était elle-même le fait principal de la Première guerre mondiale, dans laquelle 9 ou 10 millions de personnes ont été tués sur une base industrielle. Et chacun des nouveaux mouvements s’est mis à reproduire cet événement au nom de leur opposition utopique aux complexités et aux incertitudes de la civilisation libérale. Les noms de ces mouvements ont changé comme les traits qu’ils ont manifestés – l’un s’est appelé bolchévisme, et un autre s’est appelé fascisme, un autre s’est appelé nazisme. (…) À un certain niveau très profond tous ces mouvements étaient les mêmes — ils partageaient tous certaines qualités mythologiques, une fascination pour la mort de masse et tous s’inspiraient du même type de paranoïa. (…) Mon argument est que l’islamisme et un certain genre de pan-arabisme dans les mondes arabe et musulman sont vraiment d’autres branches de la même impulsion. Mussolini a mis en scène sa marche sur Rome en 1922 afin de créer une société totalitaire parfaite qui allait être la résurrection de l’empire romain. En 1928, en Egypte, de l’autre côté de la Méditerranée, s’est créée la secte des Frères musulmans afin de ressusciter le Califat antique de l’empire arabe du 7ème siècle, de même avec l’idée de créer une société parfaite des temps modernes. Bien que ces deux mouvements aient été tout à fait différents, ils étaient d’une certaine manière semblables. (…) La doctrine islamiste est que l’Islam est la réponse aux problèmes du monde, mais que l’Islam a été la victime d’une conspiration cosmique géante pour la détruire, par les Croisés et les sionistes. (le sionisme dans la doctrine de Qutb n’est pas un mouvement politique moderne, c’est une doctrine cosmique se prolongeant tout au long des siècles.) L’Islam est la victime de cette conspiration, qui est également facilitée par les faux musulmans ou hypocrites, qui feignent d’être musulmans mais sont réellement les amis des ennemis de l’Islam. D’un point de vue islamiste, donc, la conspiration la plus honteuse est celle menée par les hypocrites musulmans pour annihiler l’Islam du dedans. Ces personnes sont surtout les libéraux musulmans qui veulent établir une société libérale, autrement dit la séparation de l’église et de l’état. (…) De même que les progressistes européens et américains doutaient des menaces de Hitler et de Staline, les Occidentaux éclairés sont aujourd’hui en danger de manquer l’urgence des idéologies violentes issues du monde musulman. Paul Berman
Le 30 janvier 33, la foule n’a pas acclamé l’antisémite Hitler, mais bien plus celui qui allait diriger un nouveau gouvernement national. Les Allemands étaient avides de changement. Il s’agissait pour eux de se libérer du carcan du Traité de Versailles, de faire oublier la honte allemande. Il s’agissait de retrouver une certaine grandeur nationale et de se détacher des querelles entre partis démocratiques. Les Allemands ont acclamé Hitler, parce qu’ils voulaient un gouvernement fort, dirigé par une figure charismatique. Ils en avaient assez des beaux parleurs, ils voulaient des résultats tangibles. (…) La peur d’une révolution communiste, la peur d’une guerre civile, c’est cela qui a le plus aidé Hitler dans sa conquête du pouvoir. Wolfgang Benz (historien, spécialiste de la Shoah)
Le meilleur allié du communisme a été le nazisme et le plus utile des idiots, si l’on peut dire, fut Hitler. Les deux totalitarismes se sont entraidés avant de se combattre. Ils avaient la même haine du monde occidental, de la démocratie et leur système politique était cousin germain. Après avoir aidé Hitler à arriver au pouvoir en 1933 grâce à la lutte conjointe des communistes allemands (aux ordres de Moscou) et des nazis, contre le gouvernement social-démocrate en place à Berlin ; après avoir soutenu l’effort de guerre du Führer grâce au pacte germano-soviétique d’août 1939 ; après s’être partagé l’Europe au début de la guerre, les deux totalitarismes se sont affrontés. À partir de là, toute l’intelligence de Staline, toute la tactique communiste a consisté à se présenter comme le meilleur rempart, le seul même face à la peste brune, jusqu’à faire oublier l’alliance passée. L’antifascisme a servi de paravent au stalinisme pour accomplir ses noirs desseins, d’abord contre son peuple puis contre les peuples conquis à la faveur du conflit mondial. Communisme et nazisme sont deux variantes du totalitarisme. Être contre l’un aurait dû amener à être contre l’autre, c’est cela que dit Orwell. Or l’hémiplégie d’une partie de l’opinion publique (cela va bien au-delà des intellectuels) consiste toujours à diaboliser un totalitarisme, le brun, pour excuser ou minorer l’autre, le rouge. C’est l’un des héritages du communisme dans les têtes. La seule attitude morale qui vaille est d’être antitotalitaire et de renvoyer dos à dos toutes les idéologies qui en sont le substrat. (…) Le communisme a représenté un grand espoir de justice sociale, il a mis ses pas dans la démarche chrétienne. Cela explique en partie son succès: au message christique «les derniers seront les premiers» au paradis, l’idéologie a substitué l’idée que les prolétaires (les plus pauvres) gouverneront le monde pour instaurer l’égalité pour tous. L’échec est d’autant plus durement ressenti. La mort du communisme revient pour certains à la mort de Dieu pour les croyants: inacceptable, impensable. Le communisme n’est toujours pas sorti de cette phase de deuil, d’où le négationnisme dont je parle: on nie la réalité de ce qui fut pour ne pas souffrir des espoirs qu’il a suscité. Il est certes désormais reconnu que ces régimes ont fait des millions de morts. C’est un progrès. Il n’empêche, être anti communiste reste péjoratif, quand cela devrait être une évidence. L’intellectuel qui a eu des faiblesses envers le fascisme demeure coupable à jamais quand celui qui a idolâtré le stalinisme ou le maoïsme, ou le pol-potisme (le Cambodge des Khmers rouge) est vite pardonné. C’est aussi cela le négationnisme communiste. Il ne s’agit pas de faire des procès, mais de regarder la réalité historique en face. En outre, la complicité envers le communisme a été telle, elle a pris une telle ampleur – des militants des PC du monde entier aux intellectuels, des dirigeants politiques des démocraties aux hommes d’affaires -, qu’il existe un consensus tacite pour oublier cette face sombre de l’humanité. L’être humain n’aime pas se sentir coupable, alors il passe à autre chose. Ce ne peut être que transitoire. La dimension du drame communiste fait qu’il est impossible d’en faire l’impasse. Je fais le pari que la réflexion sur cette époque va prendre de l’ampleur pour que l’histoire se fasse enfin. Il faudra sans doute pour cela que tous les témoins (acteurs ou simples spectateurs) de cette époque disparaissent. Et avec eux ce négationnisme diffus qui sert de garde-fou à l’émergence de la mauvaise conscience. (…) Le philosophe anglais Bertrand Russell remarquait déjà au début des années 1920 une ressemblance entre communisme et islamisme, notamment la même volonté de convertir le monde. N’oublions pas que la propagande communiste, très présente au XXe siècle, a développé des thèmes anti-occidentaux au nom de la lutte contre l’abomination capitaliste, et contre l’impérialisme. Cela a façonné des esprits, y compris dans des pays musulmans influencés par l’URSS, leur allié contre l’ennemi principal, Israël. La doxa communiste contre la liberté d’être, de penser, de se mouvoir, d’entreprendre, etc., se retrouve dans le discours des islamistes, présentée comme des tentations de Satan. En tant qu’idéologie totalitaire, le communisme cherchait à atomiser les individus en les arrachant de leurs racines sociales, politiques, culturelles, voire familiales, pour mieux les dominer, les contrôler. L’islamisme, lui, propose des repères, des codes, à des individus déjà déracinés sous la poussée d’une mondialisation dont les effets ont tendance à déstructurer les sociétés traditionnelles. La démarche est différente, mais le résultat est comparable: dans les deux cas il s’agit d’unir des personnes isolées grâce à des sentiments identitaires – la communauté socialiste, la communauté des croyants -, de donner sens à leur collectif grâce à un mythe absolu et exclusif, le parti pour les communistes, l’oumma pour les islamistes, terme qui désigne à la fois la communauté des croyants et la nation. Enfin, on retrouve dans l’islamisme des marqueurs du communisme: la contre-modernité du propos, une explication globale du monde et de sa marche, une opposition radicale entre bons et mauvais – croyants/impies en lieu et place des exploités/exploiteurs -, la volonté de modeler les hommes, et un esprit de conquête planétaire. Dès lors, la substitution est possible. Thierry Wolton
Combattez, combattez, parlez, parlez. Mao
La révolution iranienne fut en quelque sorte la version islamique et tiers-mondiste de la contre-culture occidentale. Il serait intéressant de mettre en exergue les analogies et les ressemblances que l’on retrouve dans le discours anti-consommateur, anti-technologique et anti-moderne des dirigeants islamiques de celui que l’on découvre chez les protagonistes les plus exaltés de la contre-culture occidentale. Daryiush Shayegan
Il est malheureux que le Moyen-Orient ait rencontré pour la première fois la modernité occidentale à travers les échos de la Révolution française. Progressistes, égalitaristes et opposés à l’Eglise, Robespierre et les jacobins étaient des héros à même d’inspirer les radicaux arabes. Les modèles ultérieurs — Italie mussolinienne, Allemagne nazie, Union soviétique — furent encore plus désastreux …Ce qui rend l’entreprise terroriste des islamistes aussi dangereuse, ce n’est pas tant la haine religieuse qu’ils puisent dans des textes anciens — souvent au prix de distorsions grossières —, mais la synthèse qu’ils font entre fanatisme religieux et idéologie moderne. Ian Buruma et Avishai Margalit
Parler de choc des civilisations, c’est dire que c’est la différence qui l’emporte. Alors que je crois, moi, que c’est l’identité des adversaires qui sous-tend leur affrontement. J’ai lu le livre de l’historien allemand Ernst Nolte, La guerre civile européenne, où il explique que, dans le choc des idéologies issues de la Première Guerre mondiale – communisme et nazisme –, l’Allemagne n’est pas la seule responsable. Mais le plus important est ceci : Nolte montre que l’URSS et le IIIe Reich ont été l’un pour l’autre un « modèle repoussoir ». Ce qui illustre la loi selon laquelle ce à quoi nous nous heurtons, c’est ce que nous imitons. Il est frappant qu’un historien pense les rapports d’inimitié en terme d’identité, en terme de copie. Ce que Nolte appelle le modèle repoussoir, c’est ce que la théorie mimétique appelle le modèle obstacle : dans la rivalité, celui qu’on prend pour modèle, on désire ce qu’il désire et par conséquent il devient obstacle. Le rapport mimétique conduit à imiter ses adversaires, tantôt dans les compliments, tantôt dans le conflit. (…) Les islamistes tentent de rallier tout un peuple de victimes et de frustrés dans un rapport mimétique à l’Occident. René Girard
Dans la foi musulmane, il y a un aspect simple, brut, pratique qui a facilité sa diffusion et transformé la vie d’un grand nombre de peuples à l’état tribal en les ouvrant au monothéisme juif modifié par le christianisme. Mais il lui manque l’essentiel du christianisme : la croix. Comme le christianisme, l’islam réhabilite la victime innocente, mais il le fait de manière guerrière. La croix, c’est le contraire, c’est la fin des mythes violents et archaïques. René Girard
Le christianisme (…) nous a fait passer de l’archaïsme à la modernité, en nous aidant à canaliser la violence autrement que par la mort.(…) En faisant d’un supplicié son Dieu, le christianisme va dénoncer le caractère inacceptable du sacrifice. Le Christ, fils de Dieu, innocent par essence, n’a-t-il pas dit – avec les prophètes juifs : « Je veux la miséricorde et non le sacrifice » ? En échange, il a promis le royaume de Dieu qui doit inaugurer l’ère de la réconciliation et la fin de la violence. La Passion inaugure ainsi un ordre inédit qui fonde les droits de l’homme, absolument inaliénables. (…) l’islam (…) ne supporte pas l’idée d’un Dieu crucifié, et donc le sacrifice ultime. Il prône la violence au nom de la guerre sainte et certains de ses fidèles recherchent le martyre en son nom. Archaïque ? Peut-être, mais l’est-il plus que notre société moderne hostile aux rites et de plus en plus soumise à la violence ? Jésus a-t-il échoué ? L’humanité a conservé de nombreux mécanismes sacrificiels. Il lui faut toujours tuer pour fonder, détruire pour créer, ce qui explique pour une part les génocides, les goulags et les holocaustes, le recours à l’arme nucléaire, et aujourd’hui le terrorisme. René Girard
L’erreur est toujours de raisonner dans les catégories de la « différence », alors que la racine de tous les conflits, c’est plutôt la « concurrence », la rivalité mimétique entre des êtres, des pays, des cultures. La concurrence, c’est-à-dire le désir d’imiter l’autre pour obtenir la même chose que lui, au besoin par la violence. Sans doute le terrorisme est-il lié à un monde « différent » du nôtre, mais ce qui suscite le terrorisme n’est pas dans cette « différence » qui l’éloigne le plus de nous et nous le rend inconcevable. Il est au contraire dans un désir exacerbé de convergence et de ressemblance. (…) Ce qui se vit aujourd’hui est une forme de rivalité mimétique à l’échelle planétaire. (…) Ce sentiment n’est pas vrai des masses, mais des dirigeants. Sur le plan de la fortune personnelle, on sait qu’un homme comme Ben Laden n’a rien à envier à personne. Et combien de chefs de parti ou de faction sont dans cette situation intermédiaire, identique à la sienne. Regardez un Mirabeau au début de la Révolution française : il a un pied dans un camp et un pied dans l’autre, et il n’en vit que de manière plus aiguë son ressentiment. Aux Etats-Unis, des immigrés s’intègrent avec facilité, alors que d’autres, même si leur réussite est éclatante, vivent aussi dans un déchirement et un ressentiment permanents. Parce qu’ils sont ramenés à leur enfance, à des frustrations et des humiliations héritées du passé. Cette dimension est essentielle, en particulier chez des musulmans qui ont des traditions de fierté et un style de rapports individuels encore proche de la féodalité. (…) Cette concurrence mimétique, quand elle est malheureuse, ressort toujours, à un moment donné, sous une forme violente. A cet égard, c’est l’islam qui fournit aujourd’hui le ciment qu’on trouvait autrefois dans le marxisme. René Girard
Il faut se souvenir que le nazisme s’est lui-même présenté comme une lutte contre la violence: c’est en se posant en victime du traité de Versailles que Hitler a gagné son pouvoir. Et le communisme lui aussi s’est présenté comme une défense des victimes. Désormais, c’est donc seulement au nom de la lutte contre la violence qu’on peut commettre la violence. René Girard
Dans le christianisme, on ne se martyrise pas soi-même. On n’est pas volontaire pour se faire tuer. On se met dans une situation où le respect des préceptes de Dieu (tendre l’autre joue, etc.) peut nous faire tuer. Cela dit, on se fera tuer parce que les hommes veulent nous tuer, non pas parce qu’on s’est porté volontaire. Ce n’est pas comme la notion japonaise de kamikaze. La notion chrétienne signifie que l’on est prêt à mourir plutôt qu’à tuer. C’est bien l’attitude de la bonne prostituée face au jugement de Salomon. Elle dit : « Donnez l’enfant à mon ennemi plutôt que de le tuer. » Sacrifier son enfant serait comme se sacrifier elle-même, car en acceptant une sorte de mort, elle se sacrifie elle-même. Et lorsque Salomon dit qu’elle est la vraie mère, cela ne signifie pas qu’elle est la mère biologique, mais la mère selon l’esprit. Cette histoire se trouve dans le Premier Livre des Rois (3, 16-28), qui est, à certains égards, un livre assez violent. Mais il me semble qu’il n’y a pas de meilleur symbole préchrétien du sacrifice de soi par le Christ. René Girard
Le conflit avec les musulmans est bien plus considérable que ce que croient les fondamentalistes. Les fondamentalistes pensent que l’apocalypse est la violence de Dieu. Alors qu’en lisant les chapitres apocalyptiques, on voit que l’apocalypse est la violence de l’homme déchaînée par la destruction des puissants, c’est-à-dire des États, comme nous le voyons en ce moment. Lorsque les puissances seront vaincues, la violence deviendra telle que la fin arrivera. Si l’on suit les chapitres apocalyptiques, c’est bien cela qu’ils annoncent. Il y aura des révolutions et des guerres. Les États s’élèveront contre les États, les nations contre les nations. Cela reflète la violence. Voilà le pouvoir anarchique que nous avons maintenant, avec des forces capables de détruire le monde entier. On peut donc voir l’apparition de l’apocalypse d’une manière qui n’était pas possible auparavant. Au début du christianisme, l’apocalypse semblait magique : le monde va finir ; nous irons tous au paradis, et tout sera sauvé ! L’erreur des premiers chrétiens était de croire que l’apocalypse était toute proche. Les premiers textes chronologiques chrétiens sont les Lettres aux Thessaloniciens qui répondent à la question : pourquoi le monde continue-t-il alors qu’on en a annoncé la fin ? Paul dit qu’il y a quelque chose qui retient les pouvoirs, le katochos (quelque chose qui retient). L’interprétation la plus commune est qu’il s’agit de l’Empire romain. La crucifixion n’a pas encore dissous tout l’ordre. Si l’on consulte les chapitres du christianisme, ils décrivent quelque chose comme le chaos actuel, qui n’était pas présent au début de l’Empire romain. (..) le monde actuel (…) confirme vraiment toutes les prédictions. On voit l’apocalypse s’étendre tous les jours : le pouvoir de détruire le monde, les armes de plus en plus fatales, et autres menaces qui se multiplient sous nos yeux. Nous croyons toujours que tous ces problèmes sont gérables par l’homme mais, dans une vision d’ensemble, c’est impossible. Ils ont une valeur quasi surnaturelle. Comme les fondamentalistes, beaucoup de lecteurs de l’Évangile reconnaissent la situation mondiale dans ces chapitres apocalyptiques. Mais les fondamentalistes croient que la violence ultime vient de Dieu, alors ils ne voient pas vraiment le rapport avec la situation actuelle – le rapport religieux. Cela montre combien ils sont peu chrétiens. La violence humaine, qui menace aujourd’hui le monde, est plus conforme au thème apocalyptique de l’Évangile qu’ils ne le pensent. (…) La lutte se trouve entre le christianisme et l’islam, plus qu’entre l’islam et l’humanisme. Avec l’islam je pense que l’opposition est totale. Dans l’islam, si l’on est violent, on est inévitablement l’instrument de Dieu. Cela veut donc dire que la violence apocalyptique vient de Dieu. Aux États-Unis, les fondamentalistes disent cela, mais les grandes églises ne le disent pas. Néanmoins, ils ne poussent pas suffisamment leur pensée pour dire que si la violence ne vient pas de Dieu, elle vient de l’homme, et que nous en sommes responsables. René Girard
Il ne s’agit pas simplement d’un affrontement entre deux religions, entre musulmans radicaux d’un côté et protestants fondamentalistes de l’autre. Encore moins d’un choix de civilisations qui seraient opposées. Ce qui me frappe plutôt, c’est la diffusion de ce terrorisme. Partout, au Moyen-Orient, en Asie et en Asie du Sud-Est, il existe de petits groupes, des voisins, des communautés, qui se dressent les unes contre les autres, pour des raisons complexes, liées à l’économie, au mode de vie, autant qu’aux différences religieuses. (…) il faut regarder la réalité en face. Achever l’interprétation de ce traité, De la guerre, c’est lui donner son sens religieux et sa véritable dimension d’apocalypse. C’est en effet dans les textes apocalyptiques, dans les Evangiles synoptiques de Matthieu, Marc et Luc et dans les Epîtres de Paul, qu’est décrit ce que nous vivons, aujourd’hui, nous qui savons être la première civilisation susceptible de s’autodétruire de façon absolue et de disparaître. La parole divine a beau se faire entendre – et avec quelle force ! -, les hommes persistent avec acharnement à ne pas vouloir reconnaître le mécanisme de leur violence et s’accrochent frénétiquement à leurs fausses différences, à leurs erreurs et à leurs aveuglements. Cette violence extrême est, aujourd’hui, déchaînée à l’échelle de la planète entière, provoquant ce que les textes bibliques avaient annoncé il y a plus de deux mille ans, même s’ils n’avait pas forcément une valeur prédicative : une confusion générale, les dégâts de la nature mêlés aux catastrophes engendrées par la folie humaine. Une sorte de chaos universel. Si l’Histoire a vraiment un sens, alors ce sens est redoutable… (…) L’esprit humain, libéré des contraintes sacrificielles, a inventé les sciences, les techniques, tout le meilleur – et le pire ! – de la culture. Notre civilisation est la plus créative et la plus puissante qui fût jamais, mais aussi la plus fragile et la plus menacée. Mais, pour reprendre les vers de Hölderlin, « Aux lieux du péril croît/Aussi ce qui sauve »… René Girard
Nous assistons à une nouvelle étape de la montée aux extrêmes. Les terroristes ont fait savoir qu’ils avaient tout leur temps, que leur notion du temps n’était pas la nôtre. C’est un signe clair du retour de l’archaïque : un retour aux VIIe-IXe siècles, qui est important en soi. (…) Il nous faut entrer dans une pensée du temps où la bataille de Poitiers et les Croisades sont beaucoup plus proches de nous que la Révolution française et l’industrialisation du Second Empire. (…) Mais ce à quoi nous assistons avec l’islamisme est néanmoins beaucoup plus qu’un retour de la Conquête, c’est ce qui monte depuis que la révolution monte, après la séquence communiste qui aura fourni un intermédiaire. Le léninisme comportait en effet déjà certains de ces éléments. Mais ce qui lui manquait, c’était le religieux. La montée aux extrêmes est donc capable de se servir de tous les éléments : culture, mode, théorie de l’État, théologie, idéologie, religion. Ce qui mène l’histoire n’est pas ce qui apparaît comme essentiel aux yeux du rationaliste occidental. Dans l’invraisemblable amalgame actuel, je pense que le mimétisme est le vrai fil conducteur. Si l’on avait dit aux gens, dans les années 1980, que l’islam jouerait le rôle qu’il joue aujourd’hui, on serait passé pour dément. Or il y avait déjà dans l’idéologie diffusée par Staline des éléments para-religieux qui annonçaient des contaminations de plus en plus radicales, à mesure que le temps passerait. L’Europe était moins malléable au temps de Napoléon. Elle est redevenue, après le Communisme, cet espace infiniment vulnérable que devait être le village médiéval face aux Vikings. La conquête arabe a été fulgurante, alors que la contagion de la Révolution française a été freinée par le principe national qu’elle avait levé dans toute l’Europe. L’islam, dans son premier déploiement historique, a conquis religieusement. C’est ce qui a fait sa force. D’où la solidité aussi de son implantation. L’élan révolutionnaire accéléré par l’épopée napoléonienne a été contenu par l’équilibre des nations. Mais celles-ci se sont enflammées à leur tour et ont brisé le seul frein possible aux révolutions qui pointent. (…) J’ai personnellement l’impression que cette religion a pris appui sur le biblique pour refaire une religion archaïque plus puissante que toutes les autres. Elle menace de devenir un instrument apocalyptique, le nouveau visage de la montée aux extrêmes. Alors qu’il n’y a plus de religion archaïque, tout se passe comme s’il y en avait une autre qui se serait faite sur le dos du biblique, d’un biblique un peu transformé. Elle serait une religion archaïque renforcée par les apports du biblique et du chrétien. Car l’archaïque s’était évanoui devant la révélation judéo-chrétienne. Mais l’islam a résisté, au contraire. Alors que le christianisme, partout où il entre, supprime le sacrifice, l’islam semble à bien des égards se situer avant ce rejet. (…) la montée aux extrêmes se sert aujourd’hui de l’islamisme comme elle s’est servie hier du napoléonisme ou du pangermanisme. (…) Clausewitz nous l’a fait entrevoir, à travers ce que nous avons appelé sa religion guerrière, où nous avons vu apparaître quelque chose de très nouveau et de très primitif en même temps. L’islamisme est, de la même façon, une sorte d’événement interne au développement de la technique. Il faudrait pouvoir penser à la fois l’islamisme et la montée aux extrêmes, l’articulation complexe de ces deux réalités. L’unité du christianisme du Moyen Âge a donné la Croisade, permise par la papauté. Mais la Croisade n’a pas l’importance que l’islam imagine. C’était une régression archaïque sans conséquence sur l’essence du christianisme. Le Christ est mort partout et pour tout le monde. (…) Les chrétiens comprennent que la Passion a rendu le meurtre collectif inopérant. C’est pour cela que, loin de réduire la violence, la Passion la démultiplie. L’islamisme aurait très tôt compris cela, mais dans le sens du djihad. Il y a ainsi des formes d’accélération de l’histoire qui se perpétuent. On a l’impression que le terrorisme actuel est un peu l’héritier des totalitarismes, qu’il y a des formes de pensées communes, des habitudes prises. Nous avons suivi l’un des fils possibles de cette continuité, avec la construction du modèle napoléonien par un général prussien. Ce modèle a été repris ensuite par Lénine et Mao Tsé-Toung, auquel se réfère, dit-on, Al Qaida. Le génie de Clausewitz est d’avoir anticipé à son insu une loi devenue planétaire. Nous ne sommes plus dans la guerre froide, mais dans une guerre très chaude, étant donné les centaines, voire demain les milliers de victimes quotidiennes en Orient. René Girard
[Samuel Huntington] a eu raison de s’attaquer au sujet. Mais il l’a fait de manière trop classique : il ne voit pas que la tragédie moderne est aussi une comédie, dans la mesure où chacun répète l’autre identiquement. Parler de choc des civilisations, c’est dire que c’est la différence qui l’emporte. Alors que je crois, moi, que c’est l’identité des adversaires qui sous-tend leur affrontement. J’ai lu le livre de l’historien allemand Ernst Nolte, La guerre civile européenne, où il explique que, dans le choc des idéologies issues de la Première Guerre mondiale – communisme et nazisme –, l’Allemagne n’est pas la seule responsable. Mais le plus important est ceci : Nolte montre que l’URSS et le IIIe Reich ont été l’un pour l’autre un « modèle repoussoir ». Ce qui illustre la loi selon laquelle ce à quoi nous nous heurtons, c’est ce que nous imitons. Il est frappant qu’un historien pense les rapports d’inimitié en terme d’identité, en terme de copie. Ce que Nolte appelle le modèle repoussoir, c’est ce que la théorie mimétique appelle le modèle obstacle : dans la rivalité, celui qu’on prend pour modèle, on désire ce qu’il désire et par conséquent il devient obstacle. Le rapport mimétique conduit à imiter ses adversaires, tantôt dans les compliments, tantôt dans le conflit. (…) Les islamistes tentent de rallier tout un peuple de victimes et de frustrés dans un rapport mimétique à l’Occident. Les terroristes utilisent d’ailleurs à leurs fins la technologie occidentale : encore du mimétisme. Il y a du ressentiment là-dedans, au sens nietzschéen, réaction que l’Occident a favorisée par ses privilèges. Je pense néanmoins qu’il est très dangereux d’interpréter l’islam seulement par le ressentiment. Mais que faire ? Nous sommes dans une situation inextricable. (…) Benoît XVI respecte suffisamment l’islam pour ne pas lui mentir. Il ne faut pas faire semblant de croire que, dans leur conception de la violence, le christianisme et l’islam sont sur le même plan. Si on regarde le contexte, la volonté du pape était de dépasser le langage diplomatique afin de dire : est-ce qu’on ne pourrait pas essayer de s’entendre pour un refus fondamental de la violence ? (…) La Croix, c’est le retournement qui dévoile la vérité des religions révélées. Les religions archaïques, c’est le bouc émissaire vrai, c’est-à-dire le bouc émissaire caché. Et la religion chrétienne, c’est le bouc émissaire révélé. Une fois que le bouc émissaire a été révélé, il ne peut plus y en avoir, et donc nous sommes privés de violence. Ceux qui attaquent le christianisme ont raison de dire qu’il est indirectement responsable de la violence, mais ils n’oseraient pas dire pourquoi : c’est parce qu’il la rend inefficace et qu’il fait honte à ceux qui l’utilisent et se réconcilient contre une victime commune. (…) De même qu’il était impossible de ne pas croire au XIIe siècle, il est presque impossible de croire au XXIe siècle, parce que tout le monde est du même côté. (…) Il ne faut pas exagérer la religiosité de l’Amérique, pas plus que le recul de la religion en Europe. Il est cependant vrai que, aux Etats-Unis, les conventions sont favorables au religieux, alors que, en France surtout, elles tendent à lui être hostiles. La société américaine n’a pas subi l’antichristianisme de la Révolution française ou le laïcisme des anticléricaux. En France, le catholicisme pâtît de l’ancienne position dominante de l’Eglise. Aux Etats-Unis, la multiplicité s’impose : parce qu’ils sont minoritaires, les catholiques y sont d’une certaine manière favorisés. (…) [L’Apocalypse] ne signifie pas que la fin du monde est pour demain, mais que les textes apocalyptiques – spécialement les Evangiles selon saint Matthieu et saint Marc – ont quelque chose à nous dire sur notre temps, au moins autant que les sciences humaines. A mon sens, outre la menace terroriste ou la prolifération nucléaire, il existe aujourd’hui trois grandes zones de danger. En premier lieu, il y a les menaces contre l’environnement. Produisant des phénomènes que nous ne pourrons pas maîtriser, nous sommes peut-être au bord de la destruction par l’homme des possibilités de vivre sur la planète. En second lieu, avec les manipulations génétiques, nous pénétrons dans un domaine totalement inconnu. Qui peut nous certifier qu’il n’y aura pas demain un nouvel Hitler, capable de créer artificiellement des millions de soldats ? Troisièmement, nous assistons à une mise en mouvement de la terre, à travers des courants migratoires sans précédent. Les trois quarts des habitants du globe rêvent d’habiter dans le quart le plus prospère. Ces gens, nous serions à leur place, nous en ferions autant. Mais c’est un rêve sans issue. Ces trois phénomènes ne font que s’accélérer, une nouvelle fois par emballement mimétique. Et ils correspondent au climat des grands textes apocalyptiques. L’esprit moderne juge ces textes farfelus, parce qu’ils mélangent les grondements de la mer avec les heurts entre villes ou nations, qui sont des manifestations humaines. Depuis le XVIe siècle, sur un plan intellectuel, la science, c’était la distinction absolument nette, catégorique, entre la nature et la culture : appartenait à la science tout ce qui relève de la nature, et à la culture tout ce qui vient de l’homme. Si on regarde ce qui se passe de nos jours, cette distinction s’efface. Au Congrès des Etats-Unis, les parlementaires se disputent pour savoir si l’action humaine est responsable d’un ouragan de plus à la Nouvelle-Orléans : la question est devenue scientifique. Les textes apocalyptiques redeviennent donc vraisemblables, à partir du moment où la confusion de la nature et de la culture prive l’homme de ses moyens d’action. Dès lors qu’il n’y a plus de bouc émissaire possible, la seule solution est la réconciliation des hommes entre eux. C’est le sens du message chrétien. René Girard
Autrefois, les compagnons de route de la Russie communiste venaient de la gauche ; dans l’Amérique d’aujourd’hui, ils occupent les premières loges de la droite trumpiste et les avant-postes des médias populistes. Ce qui les rattache à M. Poutine, comme à Donald Trump, c’est l’apologie sans complexe de la grandeur nationale, l’aversion pour la «dictature woke», un culte assumé de la force et le goût d’une saine virilité, réfractaire à l’émasculation de l’homme blanc par les lubies progressistes. (…) Poutine savait cultiver avec méthode ces auxiliaires inespérés. Il recevait des évangélistes, des représentants du puissant lobby des armes à feu, des militants de «l’Amérique d’abord» hostiles à l’immigration. Il n’hésitait pas à se dire victime, lui et son pays, de la «cancel culture», ou à dénoncer les transgenres avec des accents qui ne pouvaient laisser insensibles ses nouveaux frères d’armes. «Ceux qui apprennent à un garçon à se transformer en fille et à une fille en un garçon commettent un crime contre l’humanité (…)». La Russie qu’il leur faisait découvrir renvoyait un miroir désolant à une Amérique en faillite morale, gangrenée par l’avortement, les mariages homosexuels, la pornographie, la libération des mœurs, la tyrannie multiculturelle… Il fallait une bonne dose d’aveuglement à ces pèlerins de l’eldorado russe pour éviter de voir ce qu’ils s’interdisaient de connaître: en Russie, comme le rappelle Anne Applebaum, le nombre des avortements est un des plus élevés du monde, le double de son niveau aux États-Unis ; la fréquentation des églises est négligeable ; seuls 15% des Russes reconnaissent à la religion un rôle important dans leur vie ; et le pays tient le record mondial du taux de suicide chez les hommes adultes. Quant à l’image unitaire de la nation, il n’est pas inutile d’observer que 20% des citoyens russes se revendiquent d’une autre nationalité, que plus de 6% sont musulmans et que, en Tchétchénie, la loi de l’État est la charia. Comment expliquer la réussite du poutinisme à rallier en Occident cette armée de «facilitateurs», d’«excuseurs», d’«indulgents»? Outre les raisons déjà évoquées, la paresse intellectuelle y entre aussi pour une part et l’ignorance volontaire pour beaucoup: elle n’est pas sans rappeler celle des voyageurs ingénus de la Russie soviétique et la cohorte des croyants cuirassés dans le déni des horreurs staliniennes. C’est un phénomène fascinant que l’impuissance des faits avérés à entrer dans la circulation des esprits et à s’imprimer au fond de la conscience publique. Pourtant, le maître du Kremlin a beaucoup œuvré à nous dessiller les yeux. Ce qui a conforté cette cécité renvoie surtout à la situation de nos démocraties. Le souvenir de la guerre froide, et des guerres en général, est trop éloigné pour alerter spontanément les esprits: nous livrons volontiers des guerres idéologiques, un luxe des temps de paix, mais hésitons, quand de vraies menaces sont à nos portes, à en apprécier la portée. Et nous baignons depuis trop longtemps dans une culture de la repentance pour ne pas donner créance à ceux qui nous inculpent de les avoir opprimés, ravalés, humiliés. Enfin, l’espoir de prévenir le pire porte parfois à consentir à l’inacceptable, comme un moindre mal, au préjudice des victimes sacrifiées à un «lâche soulagement», lequel ne dure jamais longtemps. Pour les zélateurs américains de M. Poutine, le fantasme d’une Russie citadelle de la civilisation était avant tout affaire de politique intérieure: un ressort essentiel, à condition de ne pas y regarder de près, de la guerre idéologique contre le wokisme. (…) Les trumpistes avaient d’autres priorités que l’Ukraine, le droit international, la liberté. Ce n’était pas leur guerre. On découvre là comment le wokisme est devenu le complice involontaire, le combustible, le pourvoyeur d’arguments – et d’absolutions – de l’illibéralisme. Ran Halévi
Alors que l’analyse géopolitique et les choix politiques de Vladimir Poutine semblent toujours plus intégrés à des motifs religieux et messianiques qui voient dans la guerre en Ukraine une dernière voie de salut pour la Russie (sur le thème sourkovien du « Que nous importe le monde si la Russie n’y existe plus ? »), il faut lire de près le discours développé par l’Église orthodoxe russe pour justifier la guerre et le positionnement poutinien. (…) le 6 mars 2022, le dimanche de la Saint-Jean, le dimanche de l’exil adamique (« dimanche du pardon »), le patriarche Kirill de Moscou et de toute la Russie a célébré la Divine Liturgie dans la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou. À la fin du service, le primat de l’Église orthodoxe russe a prononcé un sermon enflammé pour justifier les causes de la guerre, en endossant le discours de Poutine sur l’Ukraine. Ce discours (…) est marqué par les tonalités apocalyptiques (…) Ce n’est pas une surprise pour les personnes qui ont suivi de près l’évolution de l’Église orthodoxe russe qui, depuis plusieurs années, se pose en ultime défenseur de la morale sociale et des valeurs traditionnelles russes dans le cadre de « la guerre culturelle » menée par un Occident « décadent ». On remarquera que l’Église orthodoxe russe et les bureaucraties de sécurité (FSB) sont les seules grandes institutions centrales à avoir survécu à l’effondrement du système communiste, en se greffant organiquement au régime de Poutine. L’argument principal du sermon de Kirill sert à justifier l’invasion russe de l’Ukraine puisque l’Occident teste les lois naturelles de Dieu (…) C’est dans ce sens qu’une parole biblique paradoxalement consacrée au « pardon » sert de justification à la guerre dans la lignée de la tradition byzantine du césaro-papisme. (…) Avec ce discours nous sommes face à une vision du monde qui dépasse de très loin le storytelling politique et la définition d’un narratif auxquels nous sommes habitués dans nos espaces politiques. Au fond, et c’est ce qui rend la lecture de ce texte urgente, depuis l’invention de la bombe atomique nous n’avions peut-être jamais vécu le moment le plus intense du théologico-politique : une puissance nucléaire engagée dans une « guerre sainte ». Jean-Benoît Poulle
Le patriarche Kirill reprend des éléments traditionnels de la théologie chrétienne du sacrifice de la croix, de la justification de l’homme pécheur par la mort rédemptrice du Christ. Mais certains choix de vocabulaire interrogent : pourquoi parler d’une « exécution », qui « servait à exécuter les criminels » au détriment de l’insistance sur la mort volontaire du Christ ? L’Église, en Occident, n’est plus guère habituée depuis Vatican II à prêcher sur ces thèmes de la « colère du Père », de son « juste châtiment » destiné aux pécheurs qui retomberait sur son Fils innocent… Plus subtilement, dans ce texte, le sacrifice divin est mondanisé, ramené à des réalités terrestres : « la meilleure des qualités humaines » et « la plus haute expression de l’amour de l’homme pour ses semblables ». En théologie chrétienne, tout cela est vrai mais ne suffit pas : c’est la vie donnée sans défense qui revêt une véritable valeur rédemptrice, et constitue donc le « vrai sacrifice ». (…) Kirill entreprend un second et majeur infléchissement de la notion chrétienne du sacrifice, qui permet de l’appliquer à des soldats d’une armée d’invasion. Le patriarche mélange à dessein le fait de se sacrifier pour les autres, de donner sa vie volontairement pour sauver les siens dans un geste héroïque ou saint, et « l’accomplissement de son devoir militaire », action qui peut être vertueuse selon les conceptions de la guerre juste, mais uniquement en cas de guerre défensive. En bonne théologie, en aucun cas la mort au combat en participant à une armée d’invasion n’est équivalente à la mort pour sauver la vie des siens — même si certains soldats ressentent peut-être subjectivement cette équivalence. Le véritable sacrifice chrétien est celui des martyrs qui, par définition, exposent leur vie et n’attentent pas à celle des autres. Kirill fait au fond l’amalgame entre un « sacrifice patriotique », métaphorique, qui n’est pas toujours permis en théologie morale — il dépend de la licéité de la guerre menée — et ce véritable sacrifice chrétien, sans armes à la main. (…) Cette expression, répétée à dessein, est une ligne de force du discours de Kirill et d’autres soutiens de l’invasion : c’est la théorie du monde russe (rousky mir), d’une sorte d’unité civilisationnelle imperméable au droit international, qui justifierait donc la violation des frontières reconnues par ce même droit. C’est pourquoi, de manière frappante, et alors même que les référendums d’annexion ne sont pas achevés, Kirill se permet de dire que la guerre se déroule dans les « vastes étendues de la Russie » au moment même où elle a lieu ukrainien… Sa Sainte  Russie imaginée — ce qu’il appelle de manière étonnante dans le texte « l’espace spirituel uni de la Sainte Russie — serait au fond davantage une communauté mystique qu’un État westphalien. Selon cette logique pervertie, si donc la guerre en Ukraine est une guerre civile russe, elle ne peut opposer que des « bons Russes », partisans de l’État central, et meilleurs représentants de la russité, et ces « mauvais Russes » que seraient des Ukrainiens, adeptes d’un mouvement centrifuge par attirance de l’étranger. (…) (…) Comme si cela ne suffisait pas, Kirill insiste un peu plus : la « terre de Russie » dépasse donc largement les frontières étatiques de la Fédération de Russie, puisque la « Sainte Russie » — vieille expression de la propagande tsariste — est au fond un espace mystique plus que matériel, celui de la « chrétienté véritable », où la foi orthodoxe a été supposément gardée la plus pure, loin de toute influence néfaste, donc l’espace sous la juridiction du Patriarche Kirill. Il est piquant de voir que cette identification au christianisme orthodoxe le plus sourcilleux doit parfois composer, pour les besoins de la propagande étatique, avec d’autres affirmations nettement syncrétistes, par exemple celles affirmant l’unité de croyance entre tous les sujets de la Fédération russe,  qu’ils soient chrétiens, musulmans comme les Tchétchènes, voire chamanistes comme certains Bouriates… (…) Derrière l’appel final à la réconciliation, à la paix et à la justice, se devine surtout la raison du plus fort : c’est en définitive à une « justice »  adossée à la force, le droit du vainqueur, que s’en remet le patriarche. Jean-Benoît Poulle

C’est le djihad final !

A l’heure où reprenant en parfait « loup ravisseur en vêtements de brebis »

Face à une petite armée d’idiots utiles occidentaux que le rejet du wokisme et la hantise de la décadence …

A fait rejoindre, dans leur déni de la réalité russe, les lourds bataillons de l’apaisement et du profit à tout prix à la Chirac ou à la Merkel

Le langage et les formes de la démocratie et des droits de la personne, le nouvel Hitler de Moscou

Efface à coups de canon et de coups de force pour mieux les protéger, les frontières de ses voisins …

Et pour mieux les sauver, massacre les populations

Comme l’avait annoncé prophétiquement dès 1919 un certain capitaine de Gaulle

Comment ne pas s’inquiéter peut-être plus encore de son instrumentalisation, via le patriarche et ex-officier du FSB Kirill, de la religion orthodoxe …

Et comment ne pas repenser à ce que René Girard avait déjà pointé dans l’actuel djihad islamique …

A savoir une monstrueuse et diabolique synthèse du léninisme et du christianisme…

Qui, sur le dos d’un biblique perverti à l’instar de l’islam, tente de rallier tout un peuple de victimes et de frustrés dans un rapport mimétique à l’Occident…

Et à présent l’orthodoxie pour en faire une religion archaïque plus puissante que toutes les autres …

Et même, avec la menace nucléaire, un véritable instrument apocalyptique …

Où  reprenant la dénonciation évangélique de la violence et du sacrifice, elle la retourne en une nouvelle guerre sainte contre un Occident tombé en pleine décadence ?

Poutine déclare la guerre sainte au « satanisme » occidental

Le président russe Vladimir Poutine a invoqué Jésus, Satan et des épouvantails transsexuels lors d’une cérémonie du Kremlin pour dépecer l’Ukraine vendredi 30 septembre.
Nouvelles du jour
30.09.2022

Poutine a signé des tomes reliés en cuir avec un aigle en relief faisant de quatre régions ukrainiennes une partie de la Russie dans une salle somptueuse, pleine de VIP russes applaudissant, dont le patriarche Kirill, accompagnés de soldats en uniforme de grande tenue.

La dernière fois que cela s’est produit, lorsque la Russie a annexé la Crimée en 2014, a marqué une heure sombre pour l’ordre de sécurité de l’Europe après la Seconde Guerre mondiale.

Cette fois, c’est plus dangereux, car la Russie n’a pas le contrôle total des nouveaux territoires qu’elle a revendiqués, au milieu des menaces du Kremlin de protéger la grande Russie de Poutine avec des armes nucléaires si nécessaire.

Poutine a décrit l’annexion comme une guerre sainte contre l’Occident, utilisant une rhétorique surprenante.

« Ils [l’Occident] évoluent vers un satanisme ouvert », a-t-il déclaré dans un discours diffusé à des millions de personnes en ligne.

Les élites occidentales enseignaient la « déviation sexuelle » aux enfants qui changeaient de sexe, a-t-il dit. « Nous nous battons pour la Russie historique, pour protéger nos enfants et petits-enfants de cette expérience pour changer leur âme », a-t-il ajouté.

Poutine a invoqué Jésus par son nom pour témoigner de sa « vérité » et s’est décrit en termes messianiques.

« Je crois au pouvoir spirituel du peuple russe et mon esprit est son esprit, la souffrance du peuple est ma souffrance », a-t-il déclaré.

« La destruction de l’hégémonie occidentale est irréversible », a ajouté Poutine, alors qu’il approchait du point culminant de son discours.

Son nouveau mysticisme contrastait avec sa justification pour s’emparer de la Crimée en 2014, qu’il fondait sur des bases historiques.

Poutine a également accusé les « Anglo-Saxons », se référant au Royaume-Uni et aux États-Unis, d’avoir fait sauter deux gazoducs russes vers l’Allemagne cette semaine – dans un casus belli potentiel avec l’OTAN.

Il s’est moqué du public européen pour la flambée des prix des aliments et de l’énergie due à son invasion. « Vous avez besoin de nourriture », a déclaré Poutine. « Vous ne pouvez pas chauffer vos appartements », a-t-il déclaré.

Mais le reste de son discours a suivi des lignes bien éculées, accusant « l’Occident » d’impérialisme, de colonialisme, d’hypocrisie et de péchés historiques tels que les bombardements d’Hiroshima et de Dresde pendant la Seconde Guerre mondiale.

La fantasmagorie satanique et les discours de haine sexuelle sont également des thèmes familiers de la propagande russe.

Alors que Poutine est connu pour utiliser un langage étonnamment grossier, comme des blagues nécrophiles, lors d’événements publics, son mélange de sexe, de religion et de géopolitique vendredi était plus extrême que jamais.

De leur côté, les dirigeants européens se préparent à imposer de nouvelles sanctions à la Russie lors de leur rencontre à Prague la semaine prochaine.

Ils visent à mettre sur liste noire l’idéologue russe Alexander Dugin, qui parle de la guerre en Ukraine et de l’identité russe en des termes tout aussi toxiques, avec 28 autres personnes.

Ils doivent frapper les industries russes du pétrole, de l’acier et de la foresterie.

L’UE se prépare également à copier-coller son interdiction de voyage et d’affaires en Crimée dans les nouvelles zones annexées à la Russie, alors que la guerre s’éternise.

« Documents de voyage russes délivrés dans ces régions [the four Ukrainian areas annexed by Russia on Friday] ne sont pas reconnus par les États membres ainsi que par l’Islande, la Norvège, la Suisse et le Lichtenstein aux fins de la délivrance d’un visa et du franchissement des frontières extérieures », indique un document interne de l’UE, qui est en préparation parallèlement aux nouvelles listes noires de la Russie.

L’Ukraine a déclaré vendredi qu’elle postulait pour rejoindre l’Otan en riposte au stratagème de Poutine.

La fête de Poutine

Les solennités du Kremlin ont vu les quatre dirigeants fantoches de la Russie dans l’est de l’Ukraine serrer la main de Poutine tout en scandant « Russie ! Russie ! » à une ovation debout.

Deux d’entre eux portaient des insignes de revers avec le symbole Z, un logo devenu synonyme des atrocités russes commises en Ukraine au cours des six derniers mois.

L’annexion de la Crimée, il y a huit ans, a vu l’Arménie, la Biélorussie, la Bolivie, Cuba, le Nicaragua, la Corée du Nord, le Soudan, la Syrie, le Venezuela et le Zimbabwe soutenir Poutine à l’ONU, signe de ce à quoi il pourrait s’attendre cette fois-ci.

Cuba, le Nicaragua et la Syrie ont officiellement reconnu la Crimée comme faisant partie de la Russie, mais les plus grands amis de la Russie, comme la Chine et l’Iran, ne se sont jamais liés à la fantaisie de Poutine.

Le modèle est apparu pour la première fois lorsque la Russie a reconnu l’indépendance de deux régimes fantoches russes en Géorgie en 2008, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, et lorsque Poutine a été rejoint par Nauru, le Nicaragua, la Syrie et le Venezuela uniquement sur la scène mondiale.

Voir aussi:

Le sacrifice comme arme de guerre
On avait connu Daesh et le djihad par l’épée. Kirill, patriarche de Moscou, veut aujourd’hui faire de l’invasion de l’Ukraine par la Russie de Poutine une guerre sainte — en présentant la mort de l’envahisseur en terres ennemies comme un sacrifice chrétien.
Jean-Benoît Poulle
28.09.2022

Depuis le commencement de l’invasion russe de l’Ukraine, le patriarche Kirill de Moscou  paraît vouloir lier à la politique du Kremlin non seulement son destin personnel, mais encore celui de toute l’Eglise orthodoxe russe dont il est le chef. Après avoir déclaré en mars qu’il s’agissait d’un « combat métaphysique » contre les « forces du mal », il a ignoré les appels à la paix, à la prise de distance ou, au moins à la neutralité, qui venaient pourtant d’horizons très divers, du pape François, engagé avec lui dans un dialogue oecuménique risqué, au patriarche de Constantinople Bartholomée, primus inter pares des Églises orthodoxes. Si sa parole est, semble-t-il, encore écoutée avec respect dans la population russe, les conséquences n’ont pas tardé à se faire sentir à l’extérieur : en Ukraine, le chef des orthodoxes ukrainiens encore placés sous sa juridiction — le métropolite Onuphre — a décidé de rompre avec sa tutelle. Comme d’autres soutiens de la guerre, Kirill a été visé par les sanctions de l’Union européenne et d’autres pays de la communauté internationale qui, par exemple, lui ont interdit de voyager — interdiction dont Viktor Orban, en Hongrie, s’est désolidarisé, hostile à ce que des représailles frappent un chef spirituel.

Lorsque, au lendemain de l’annonce conjointe par Vladimir Poutine le 21 septembre des référendums de rattachement dans les territoires ukrainiens occupés et de la mobilisation partielle en Russie, sa parole était attendue : allait-il enfin s’en distancier, voire le critiquer ? Le discours que nous traduisons et commentons ci-dessous montre qu’il n’en est rien. Bien au contraire. À travers la glorification du « sacrifice » des soldats russes qui verraient ainsi leurs péchés remis, et la reprise du thème du « monde russe », Kirill endosse encore les justifications du Kremlin, en y ajoutant la tonalité apocalyptique et mystique qui lui est propre. Cette intensification correspond en fait, dans son registre propre, à l’escalade verbale de nombreux responsables politiques russes de ces derniers jours.

Sur le site du patriarcat de Moscou, le texte suivant introduit le sermon :

« Le 25 septembre 2022, la 15ème semaine après la fête de la Nativité de la Très Sainte Mère de Dieu, Sa Sainteté le Patriarche Kirill de Moscou et de toute la Russie a célébré la Divine Liturgie dans l’église du Prince Béni Alexandre Nevsky dans l’ermitage du même nom près de Peredelkin. À la fin de la liturgie, le Primat de l’Église orthodoxe russe a prononcé un sermon. »

Ce lieu et ce nom sont déjà tout un programme. Alexandre Nevski (1220-1263) est un monarque russe, grand-prince de Vladimir et de Novgorod, célèbre pour avoir vaincu en 1240, sur la Neva — d’où son surnom de Nevski —, les Suédois, puis en 1242 les chevaliers Teutoniques, mettant un terme définitif à leur poussée vers l’Est. Canonisé en 1547 par l’Église orthodoxe russe, il est devenu un héros national qui symbolise la résistance à tout envahisseur venu de l’Ouest. Un sondage de 2008 le désigne comme le  Russe le plus populaire de tous les temps. C’est également sous son règne que la ville de Moscou est mentionnée pour la première fois dans l’histoire.

Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit.

Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique (Jean 3, 16). À la mort ! Le Fils unique, le Fils divin ! Et pourquoi ce terrible Sacrifice divin était-il nécessaire, dont l’étendue et la signification ne peuvent être saisies par l’esprit humain ? Le Dieu tout-puissant s’est livré à une exécution, qui servait à exécuter des criminels, des parias de la société humaine, qui avaient effectivement commis des crimes terribles et dangereux.

Lorsque l’on considère ce sacrifice divin indescriptible, il est difficile pour l’esprit humain de saisir l’ensemble du plan divin. Mais il est clair que le Seigneur ne se donne pas, ne souffre pas et ne meurt pas de manière humaine pour quelque chose qui serait totalement incompréhensible pour nous et qui n’est inhérent qu’à Lui, qui a une immense connaissance de Lui-même. Il nous permet de comprendre que si Dieu, dans son Fils, donne sa vie humaine pour le bien des autres, pour le bien de la race humaine, alors le sacrifice est la plus haute expression de l’amour de l’homme pour ses semblables. Le sacrifice est la plus grande manifestation de la meilleure des qualités humaines.

Dans les deux paragraphes précédents, le patriarche Kirill reprend des éléments traditionnels de la théologie chrétienne du sacrifice de la croix, de la justification de l’homme pécheur par la mort rédemptrice du Christ. Mais certains choix de vocabulaire interrogent : pourquoi parler d’une « exécution », qui « servait à exécuter les criminels » au détriment de l’insistance sur la mort volontaire du Christ ? L’Église, en Occident, n’est plus guère habituée depuis Vatican II à prêcher sur ces thèmes de la « colère du Père », de son « juste châtiment » destiné aux pécheurs qui retomberait sur son Fils innocent… Plus subtilement, dans ce texte, le sacrifice divin est mondanisé, ramené à des réalités terrestres : « la meilleure des qualités humaines » et « la plus haute expression de l’amour de l’homme pour ses semblables ». En théologie chrétienne, tout cela est vrai mais ne suffit pas : c’est la vie donnée sans défense qui revêt une véritable valeur rédemptrice, et constitue donc le « vrai sacrifice ».

Nous savons qu’aujourd’hui, de nombreuses personnes meurent sur les champs de bataille des guerres intestines. L’Église prie pour que cette bataille prenne fin le plus rapidement possible, afin que le moins de frères possible s’entretuent dans cette guerre fratricide.

Est-ce ici l’amorce d’une concession ? Kirill, ou son entourage, paraissent peut-être conscients des dommages que l’invasion russe inflige au leadership du Patriarcat de Moscou dans le monde orthodoxe. Il affirme donc prier pour la fin des combats et l’arrêt d’une guerre « fratricide ». Mais cela peut aussi s’entendre comme un appel aux Ukrainiens, spécialement ceux encore placés sous sa juridiction spirituelle, à déposer les armes afin de cesser toute résistance « inutile »… L’expression de « guerre fratricide », dans la plus pure propagande, permet enfin de renvoyer dos-à-dos les belligérants, sans distinguer envahisseur ni pays envahi.

Et en même temps, l’Église est consciente que si quelqu’un, poussé par le sens du devoir, par la nécessité de remplir son serment, reste fidèle à sa vocation et meurt dans l’accomplissement de son devoir militaire, il commet sans aucun doute un acte qui équivaut à un sacrifice. Il se sacrifie pour les autres. Et nous croyons donc que ce sacrifice lave tous les péchés que l’on a commis.

Kirill entreprend un second et majeur infléchissement de la notion chrétienne du sacrifice, qui permet de l’appliquer à des soldats d’une armée d’invasion. Le patriarche mélange à dessein le fait de se sacrifier pour les autres, de donner sa vie volontairement pour sauver les siens dans un geste héroïque ou saint, et « l’accomplissement de son devoir militaire », action qui peut être vertueuse selon les conceptions de la guerre juste, mais uniquement en cas de guerre défensive. En bonne théologie, en aucun cas la mort au combat en participant à une armée d’invasion n’est équivalente à la mort pour sauver la vie des siens — même si certains soldats ressentent peut-être subjectivement cette équivalence. Le véritable sacrifice chrétien est celui des martyrs qui, par définition, exposent leur vie et n’attentent pas à celle des autres. Kirill fait au fond l’amalgame entre un « sacrifice patriotique », métaphorique, qui n’est pas toujours permis en théologie morale — il dépend de la licéité de la guerre menée — et ce véritable sacrifice chrétien, sans armes à la main.

La guerre, qui se déroule actuellement dans les vastes étendues de la Russie, est une guerre intestine.

Cette expression, répétée à dessein, est une ligne de force du discours de Kirill et d’autres soutiens de l’invasion : c’est la théorie du monde russe (rousky mir), d’une sorte d’unité civilisationnelle imperméable au droit international, qui justifierait donc la violation des frontières reconnues par ce même droit. C’est pourquoi, de manière frappante, et alors même que les référendums d’annexion ne sont pas achevés, Kirill se permet de dire que la guerre se déroule dans les « vastes étendues de la Russie » au moment même où elle a lieu ukrainien… Sa Sainte  Russie imaginée — ce qu’il appelle de manière étonnante dans le texte « l’espace spirituel uni de la Sainte Russie — serait au fond davantage une communauté mystique qu’un État westphalien. Selon cette logique pervertie, si donc la guerre en Ukraine est une guerre civile russe, elle ne peut opposer que des « bons Russes », partisans de l’État central, et meilleurs représentants de la russité, et ces « mauvais Russes » que seraient des Ukrainiens, adeptes d’un mouvement centrifuge par attirance de l’étranger

Et c’est pourquoi il est si important qu’à l’issue de cette guerre ne surgisse pas une vague d’amertume et d’aliénation, et que les peuples frères ne soient pas divisés par le mur infranchissable de la haine. Et la façon dont nous nous comportons tous les uns envers les autres aujourd’hui, ce que nous demanderons au Seigneur dans nos prières, ce que nous espérerons, déterminera dans une large mesure non seulement l’issue des batailles, mais aussi ce qui se passera à la suite de tout cela. Que Dieu fasse en sorte que les hostilités actuelles ne détruisent pas l’espace spirituel uni de la Sainte Russie et n’endurcissent pas d’autant plus nos peuples. Afin que, par la grâce de Dieu, toutes les blessures puissent être guéries. Pour que, par la grâce de Dieu, tout ce qui aujourd’hui afflige de très nombreuses personnes soit effacé de la mémoire. Pour que ce qui remplace la situation actuelle, y compris les relations entre nos peuples frères, soit lumineux, pacifique et joyeux.

Il en va de même, plus loin, pour la mention des « peuples frères », qui rappelle un thème de la propagande soviétique, au temps du pacte de Varsovie, qui a donné lieu à de multiples plaisanteries dans les pays occupés sur la conception de la « fraternité » entre peuples socialistes et souvent slaves mise en oeuvre par l’Armée Rouge…

Cette fraternité incantatoire, à laquelle Anna Colin Lebedev a récemment consacré un livre important, suppose au fond un « grand frère », le peuple « Grand Russe » — comme les ethnologues désignaient autrefois les « Russes ethniques », habitants de l’Etat issu de la Moscovie — qui contrôlerait les activités de deux « petits frères » turbulents, les « Petits Russes » — comme étaient parfois désignés les Ukrainiens au temps de l’Empire russe — et les « Russes Blancs », ou Biélorusses, eux un peu « plus sages » grâce à leur lien de vassalité avec Moscou…

Et cela ne peut se produire que si nous vivons avec la foi dans nos cœurs. Parce que la foi détruit la peur, la foi permet le pardon mutuel, la foi renforce les relations entre les peuples et peut effectivement transformer ces relations en relations fraternelles, cordiales et bonnes. Dieu fasse qu’il en soit ainsi, que tout ce qui obscurcit maintenant l’âme de beaucoup de gens prenne fin. Dieu fasse que le moins de personnes possible soient tuées ou mutilées au cours de cette lutte intestine. Dieu fasse qu’il y ait le moins possible de veuves et d’orphelins, moins de familles divisées, moins d’amitiés et de confréries brisées.

Là encore, il est permis de s’interroger sur la sincérité de ces prières pour l »arrêt des combats, certes davantage conformes à ce que l’on attendrait de la part d’un responsable spirituel. Auparavant, la mention de la « foi » censée permettre le « pardon mutuel » et « renforcer les relations entre les peuples » tait les conditions d’un tel appel : c’est une foi russe, de même qu’une paix russe dans l’ordre séculier, qui sont offertes, et signifient en définitive la soumission spirituelle au patriarcat de Moscou

L’Église, qui exerce son ministère pastoral auprès des peuples de Russie, d’Ukraine, de Biélorussie et de bien d’autres dans les étendues de la Russie historique, souffre aujourd’hui et prie tout particulièrement pour que cessent rapidement les luttes intestines, que soit célébrée la justice, que soit restaurée la communion fraternelle et que soit surmonté tout ce qui, s’étant accumulé au fil des ans, a conduit à la fin à un conflit sanglant.

Cette précision capitale va très loin : outre les trois peuples mentionnés comme constitutifs du « monde russe » (Russes, Ukrainiens, Biélorusses), Kirill  en mentionne encore « d’autres dans les étendues de la Russie historique », c’est-à-dire qu’il considère que la Russie historique, et donc ce « monde russe » intemporel et mystique, s’étend même au-delà de ces trois États. Et il est vrai que le Patriarcat de Moscou a ou prétend avoir une juridiction qui les déborde, y compris sur toute la diaspora russe : le ressort de l’Église orthodoxe russe s’étend ainsi sur tous les pays de l’ex-URSS — y compris l’Asie centrale et les pays Baltes, la Mongolie, la Chine et le Japon. Que le Patriarcat russe y exerce son « ministère pastoral » est une chose ; qu’il prétende les amalgamer aux « étendues de la Russie historique » en est une autre, grosse de velléités annexionnistes, spécialement pour des pays comme la Lettonie ou l’Estonie, qui recèlent une très importante minorité russophone : cela serait donc suffisant à en faire des composantes de cet « espace spirituel » qui a en outre l’avantage d’être suffisamment flou pour se prêter à des avancées ou des reculades…

Nous croyons que tous les saints qui ont brillé sur la terre de Russie — dans ce cas, en utilisant l’expression déjà acceptée « sur la terre de Russie », nous voulons dire la Russie, toute la terre russe, la Sainte Russie — offrent aujourd’hui avec nous leurs prières au Seigneur pour que la paix s’établisse sur la terre, pour que vienne la réconciliation des peuples frères et, surtout, pour que la justice prévale, car sans justice il ne peut y avoir de paix durable.

Comme si cela ne suffisait pas, Kirill insiste un peu plus : la « terre de Russie » dépasse donc largement les frontières étatiques de la Fédération de Russie, puisque la « Sainte Russie » — vieille expression de la propagande tsariste — est au fond un espace mystique plus que matériel, celui de la « chrétienté véritable », où la foi orthodoxe a été supposément gardée la plus pure, loin de toute influence néfaste, donc l’espace sous la juridiction du Patriarche Kirill. Il est piquant de voir que cette identification au christianisme orthodoxe le plus sourcilleux doit parfois composer, pour les besoins de la propagande étatique, avec d’autres affirmations nettement syncrétistes, par exemple celles affirmant l’unité de croyance entre tous les sujets de la Fédération russe,  qu’ils soient chrétiens, musulmans comme les Tchétchènes, voire chamanistes comme certains Bouriates…

Derrière l’appel final à la réconciliation, à la paix et à la justice, se devine surtout la raison du plus fort : c’est en définitive à une « justice »  adossée à la force, le droit du vainqueur, que s’en remet le patriarche.

Que le Seigneur nous protège tous et nous aide à parcourir dignement notre chemin chrétien, malgré les circonstances difficiles de la vie, qui est aujourd’hui la réalité de notre existence terrestre. Par les prières des saints, dont nous avons loué les noms aujourd’hui, que le Seigneur nous aide tous à être fortifiés dans la paix, l’amour, la fraternité et la pureté.

Voir également:

La guerre sainte de Poutine

Par la voix du patriarche Kirill, Poutine se projette dans une guerre de fin du monde. Voici comment l’Église orthodoxe russe justifie l’invasion de l’Ukraine.

Jean-Benoît Poulle
03.07.2022

Alors que l’analyse géopolitique et les choix politiques de Vladimir Poutine semblent toujours plus intégrés à des motifs religieux et messianiques qui voient dans la guerre en Ukraine une dernière voie de salut pour la Russie (sur le thème sourkovien du « Que nous importe le monde si la Russie n’y existe plus ? »), il faut lire de près le discours développé par l’Église orthodoxe russe pour justifier la guerre et le positionnement poutinien.

Hier, le 6 mars 2022, le dimanche de la Saint-Jean, le dimanche de l’exil adamique (« dimanche du pardon »), le patriarche Kirill de Moscou et de toute la Russie a célébré la Divine Liturgie dans la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou. À la fin du service, le primat de l’Église orthodoxe russe a prononcé un sermon enflammé pour justifier les causes de la guerre, en endossant le discours de Poutine sur l’Ukraine.

Ce discours – que nous traduisons pour la première fois en français et que nous commentons ligne à ligne ici – est marqué par les tonalités apocalyptiques (« Ce qui se passe aujourd’hui.. ne relève pas uniquement de la politique… Il s’agit du Salut de l’homme, de la place qu’il occupera à droite ou à gauche de Dieu le Sauveur, qui vient dans le monde en tant que Juge et Créateur de la création. »).

Ce n’est pas une surprise pour les personnes qui ont suivi de près l’évolution de l’Église orthodoxe russe qui, depuis plusieurs années, se pose en ultime défenseur de la morale sociale et des valeurs traditionnelles russes dans le cadre de « la guerre culturelle » menée par un Occident « décadent ». On remarquera que l’Église orthodoxe russe et les bureaucraties de sécurité (FSB) sont les seules grandes institutions centrales à avoir survécu à l’effondrement du système communiste, en se greffant organiquement au régime de Poutine.

L’argument principal du sermon de Kirill sert à justifier l’invasion russe de l’Ukraine puisque l’Occident teste les lois naturelles de Dieu : « aujourd’hui, il existe un test de loyauté envers le pouvoir [occidental], une sorte de laissez-passer vers ce monde « heureux », un monde de consommation excessive, un monde de « liberté » apparente. Savez-vous ce qu’est ce test ? Le test est très simple et en même temps terrifiant : il s’agit d’une parade de la gay pride. »  C’est dans ce sens qu’une parole biblique paradoxalement consacrée au « pardon » sert de justification à la guerre dans la lignée de la tradition byzantine du césaro-papisme : « Et donc, aujourd’hui, en ce dimanche du pardon, moi, d’une part, en tant que votre berger, j’appelle tout le monde à pardonner les péchés et les offenses, y compris là où il est très difficile de le faire, là où les gens se battent entre eux. Mais le pardon sans la justice est une capitulation et une faiblesse. Le pardon doit donc s’accompagner du droit indispensable de se placer du côté de la lumière, du côté de la vérité de Dieu, du côté des commandements divins, du côté de ce qui nous révèle la lumière du Christ, sa Parole, son Évangile, ses plus grandes alliances données au genre humain. »

Avec ce discours nous sommes face à une vision du monde qui dépasse de très loin le storytelling politique et la définition d’un narratif auxquels nous sommes habitués dans nos espaces politiques. Au fond, et c’est ce qui rend la lecture de ce texte urgente, depuis l’invention de la bombe atomique nous n’avions peut-être jamais vécu le moment le plus intense du théologico-politique : une puissance nucléaire engagée dans une « guerre sainte ».

Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.

À vous tous, mes chers Seigneurs, Pères, Frères et Sœurs, je vous félicite de tout cœur en ce dimanche, dimanche du Pardon, dernier dimanche avant le début de la Quadragésime, le grand Carême

Il s’agit ici d’une fête spécifique aux orthodoxes : le Dimanche du Pardon, qui fait mémoire de l’expulsion d’Adam et Eve du Paradis (Genèse, 3, 22-24 : c’est donc le souvenir du péché originel, mais aussi de la promesse de Rédemption), est le dernier avant le passage du Petit Carême (équivalent à ce qu’on appelait autrefois le temps de la Septuagésime dans l’Eglise catholique latine) au Grand Carême, les 40 jours précédant Pâques où le jeûne est beaucoup plus strict, passant au régime végétalien intégral. C’est bien sûr un temps d’intensification des efforts spirituels.

De nombreux adeptes considèrent le carême comme un printemps spirituel. Il coïncide avec le printemps de la vie physique et est en même temps considéré par la conscience de l’Église comme un printemps spirituel. Et qu’est-ce que le printemps ? Le printemps est la renaissance de la vie, le renouveau, une nouvelle force. Nous savons que c’est au printemps que la sève puissante éclate à dix, vingt, cent pieds de haut, donnant vie à l’arbre. C’est en effet un étonnant miracle de Dieu, un miracle de la vie. Le printemps est la renaissance de la vie, un certain grand symbole de la vie. Et c’est pourquoi ce n’est pas tout à fait par hasard que la principale fête de printemps est la Pâque du Seigneur, qui est aussi un signe, un gage, un symbole de la vie éternelle. Et nous croyons qu’il en est ainsi, et cela signifie que toute la foi chrétienne, que nous partageons avec vous, est la foi qui affirme la vie, qui est contre la mort, contre la destruction, qui affirme la nécessité de suivre les lois de Dieu pour vivre, pour ne pas périr dans ce monde, ni dans l’autre.

Les analogies ici présentées entre le printemps, la renaissance et la résurrection, sont de véritables lieux communs théologiques, qu’on s’attend à voir figurer dans une homélie ; mais plus subtilement, avec l’installation de l’opposition entre « la foi qui affirme la vie » et la mort, Kirill se place déjà sur le terrain des valeurs de « défense de la vie » face aux forces de la décadence assimilées à l’Occident.

Mais nous savons que ce printemps est assombri par de graves événements liés à la détérioration de la situation politique dans le Donbass, presque le début des hostilités. Je voudrais dire quelque chose à ce sujet.

C’est là un trait frappant de ce sermon : l’Ukraine n’est jamais évoquée en tant que telle, c’est toujours le « Donbass » qui fait l’objet de la sollicitude du patriarche. Or on sait que la guerre d’invasion déborde largement cette région séparatiste. Mais la contre-information russe a tout intérêt à revenir constamment vers le terrain de l’origine du conflit, comme pour mieux en exhiber les responsables. 

Depuis huit ans, on tente de détruire ce qui existe dans le Donbass.

Il s’agit ici d’une reprise mot pour mot d’un grand thème de la propagande du Kremlin : la guerre a commencé en réalité en 2014, quand l’Ukraine a tenté de réduire militairement les Républiques séparatistes de Donetsk et Louhansk, en les bombardant. C’est une vision qui fait l’impasse sur l’origine de l’établissement de ces Républiques en les présentant comme des réalités autonomes et subsistantes, comme si elles ne provenaient pas du territoire ukrainien, et que leur séparatisme n’avait pas été provoqué par le Kremlin en réponse à la révolution de Maïdan.

Et dans le Donbass, il y a un rejet, un rejet fondamental des soi-disant valeurs qui sont proposées aujourd’hui par ceux qui prétendent au pouvoir mondial. Aujourd’hui, il existe un test de loyauté envers ce pouvoir, une sorte de laissez-passer vers ce monde « heureux », un monde de consommation excessive, un monde de « liberté » apparente. Savez-vous ce qu’est ce test ? Le test est très simple et en même temps terrifiant : il s’agit d’une parade de la gay pride. La demande de nombreux pays d’organiser une gay pride est un test de loyauté envers ce monde très puissant ; et nous savons que si des personnes ou des pays rejettent ces demandes, ils ne font pas partie de ce monde, ils en deviennent des étrangers.

Le patriarche Kirill place d’emblée le conflit sur le terrain des valeurs morales, en le réduisant à l’affrontement entre un Occident décadent et une Russie porte-étendard des valeurs traditionnelles.
Peu importe ici que la question des droits des minorités sexuelles n’ait absolument rien à voir avec la guerre du Donbass ni avec l’invasion de l’Ukraine, cela permet à Kirill de lui assigner un sens pour les Russes orthodoxes ordinaires, très conservateurs sur les questions de société. À noter également des accents complotistes dans l’évocation du « monde très puissant », le monde occidental étant présenté comme uniforme sur la question (alors qu’il n’est pas non plus facile d’organiser une gay pride en Pologne orientale…). Le terrain civilisationnel est donc investi.

Mais nous savons ce qu’est ce péché, qui est promu par les soi-disant « marches de la fierté » (gay pride). C’est un péché qui est condamné par la Parole de Dieu – tant l’Ancien que le Nouveau Testament. Et Dieu, en condamnant le péché, ne condamne pas le pécheur. Il l’appelle seulement à la repentance, mais ne fait en aucun cas du péché une norme de vie, une variation du comportement humain – respectée et tolérée – par l’homme pécheur et son comportement.

Si l’humanité accepte que le péché n’est pas une violation de la loi de Dieu, si l’humanité accepte que le péché est une variation du comportement humain, alors la civilisation humaine s’arrêtera là. Et les gay pride sont censées démontrer que le péché est une variante du comportement humain. C’est pourquoi, pour entrer dans le club de ces pays, il faut organiser une gay pride. Pas pour faire une déclaration politique « nous sommes avec vous », pas pour signer des accords, mais pour organiser une parade de la gay pride. Nous savons comment les gens résistent à ces demandes et comment cette résistance est réprimée par la force. Il s’agit donc d’imposer par la force le péché qui est condamné par la loi de Dieu, c’est-à-dire d’imposer par la force aux gens la négation de Dieu et de sa vérité.

Dans ces deux paragraphes, Kirill réinvestit le terrain religieux, en rappelant les deux condamnations bibliques explicites de l’homosexualité (Lévitique, 20, 13, et l’Epître aux Romains, 24, 32). Il fait ici appel à la volonté des fidèles orthodoxes d’éviter le péché et sa promotion, en la réinvestissant dans une mobilisation politique et guerrière. Le discours sur la gay pride comme acte d’allégeance au monde occidental n’a évidemment aucun fondement réel, mais il trouve des résonances dans des critiques russes de la décadence : pensons au discours de Harvard d’Alexandre Soljenitsyne en 1978.

Par conséquent, ce qui se passe aujourd’hui dans la sphère des relations internationales ne relève pas uniquement de la politique. Il s’agit de quelque chose d’autre et de bien plus important que la politique. Il s’agit du Salut de l’homme, de la place qu’il occupera à droite ou à gauche de Dieu le Sauveur, qui vient dans le monde en tant que Juge et Créateur de la création. Beaucoup aujourd’hui, par faiblesse, par bêtise, par ignorance, et le plus souvent parce qu’ils ne veulent pas résister, vont là, du côté gauche. Et tout ce qui a trait à la justification du péché condamné dans la Bible est aujourd’hui le test de notre fidélité au Seigneur, de notre capacité à confesser la foi en notre Sauveur.

Comme Mgr Vigano, Kirill mondanise et politise ici des réalités avant tout spirituelles : en identifiant la guerre larvée entre la Russie et l’Occident à l’affrontement du Bien et du Mal, il ne laisse aucune solution alternative aux fidèles de l’orthodoxie, semblant dire à tous les orthodoxes du monde qu’il faut choisir le camp de la Russie sous peine de damnation éternelle (ce que signifie « aller à la gauche du Sauveur », cf. Matthieu, 25, 33). Le test de loyauté politique est assimilé à l’épreuve de la tentation spirituelle.

Tout ce que je dis a plus qu’une simple signification théorique et plus qu’une simple signification spirituelle. Il y a une véritable guerre autour de ce sujet aujourd’hui. Qui s’attaque aujourd’hui à l’Ukraine, où huit années de répression et d’extermination de la population du Donbass, huit années de souffrance, et le monde entier se tait – qu’est-ce que cela signifie ?

Reprise ici d’un argument classique de la propagande du Kremlin, qui s’indigne des doubles standards de l’indignation médiatique dans le traitement de la guerre entre l’Ukraine et le Donbass, « passée sous silence » selon lui, et l’invasion de l’Ukraine, en masquant la différence d’intensité de ce qui est vécu : l’Ukraine, n’a ainsi jamais cherché à « exterminer » la population du Donbass. Kirill s’aligne ainsi sur le vocabulaire poutinien.

Mais nous savons que nos frères et sœurs souffrent réellement ; de plus, ils peuvent souffrir pour leur loyauté envers l’Église. Et donc, aujourd’hui, en ce dimanche du pardon, moi, d’une part, en tant que votre berger, j’appelle tout le monde à pardonner les péchés et les offenses, y compris là où il est très difficile de le faire, là où les gens se battent entre eux. Mais le pardon sans la justice est une capitulation et une faiblesse. Le pardon doit donc s’accompagner du droit indispensable de se placer du côté de la lumière, du côté de la vérité de Dieu, du côté des commandements divins, du côté de ce qui nous révèle la lumière du Christ, sa Parole, son Évangile, ses plus grandes alliances données au genre humain.

Kirill semble dans ce paragraphe esquisser un timide appel à l’apaisement avec l’évocation du « pardon », thème liturgique du jour, mais se reprend bien vite avec la mention de la justice, et l’appel à « se placer du côté de la lumière », qui est donc en creux un encouragement à poursuivre le combat, puisqu’on est du bon côté. Il est frappant de voir que la phrase sur « le pardon sans la justice » pourrait très bien s’appliquer à plus juste titre pour encourager la résistance du peuple ukrainien…

Tout cela dit, nous sommes engagés dans une lutte qui n’a pas une signification physique mais métaphysique. Je sais comment, malheureusement, les orthodoxes, les croyants, choisissant dans cette guerre la voie de la moindre résistance, ne réfléchissent pas à tout ce sur quoi nous réfléchissons aujourd’hui, mais suivent docilement la voie qui leur est indiquée par les pouvoirs en place.

Nous ne condamnons personne, nous n’invitons personne à monter sur la croix, nous nous disons simplement : nous serons fidèles à la parole de Dieu, nous serons fidèles à sa loi, nous serons fidèles à la loi de l’amour et de la justice, et si nous voyons des violations de cette loi, nous ne supporterons jamais ceux qui détruisent cette loi, en effaçant la ligne de démarcation entre la sainteté et le péché, et surtout ceux qui promeuvent le péché comme modèle ou comme modèle de comportement humain.

Ici encore, la rétorsion est frappante : Kirill critique ici une attitude qui pourrait très bien s’appliquer à lui-même, tant sa proximité avec le Kremlin est notoire, de même que celle de son prédécesseur Alexis.

Aujourd’hui, nos frères du Donbass, les orthodoxes, souffrent sans aucun doute, et nous ne pouvons qu’être avec eux – avant tout dans la prière. Nous devons prier pour que le Seigneur les aide à préserver leur foi orthodoxe et à ne pas succomber aux tentations. Dans le même temps, nous devons prier pour que la paix revienne au plus vite, pour que le sang de nos frères et sœurs cesse de couler, pour que le Seigneur accorde sa grâce à la terre du Donbass, qui souffre depuis huit ans et qui porte l’empreinte douloureuse du péché et de la haine humaine.

Kirill semble dire que seuls les séparatistes du Donbass (et sans doute par extension, les Ukrainiens pro-russes) sont des « frères orthodoxes » ; il oublie tous les orthodoxes d’Ukraine, y compris les très nombreux fidèles du Patriarcat de Moscou, qui sont sous sa juridiction. Il paraît donc, ce qui est assez inouï pour un chef spirituel, désigner une grande partie de ses propres ouailles comme l’ennemi à abattre…

Alors que nous entrons dans la saison du Carême, essayons de pardonner à tout le monde. Qu’est-ce que le pardon ? Lorsque vous demandez pardon à quelqu’un qui a enfreint la loi ou vous a fait du mal et injustement, vous ne justifiez pas son comportement mais vous cessez simplement de le haïr. Il cesse d’être votre ennemi, ce qui signifie que par votre pardon vous le livrez au jugement de Dieu. C’est la véritable signification du pardon mutuel pour nos péchés et nos erreurs. Nous pardonnons, nous renonçons à la haine et à l’esprit de vengeance, mais nous ne pouvons pas effacer la faute humaine au ciel ; c’est pourquoi, par notre pardon, nous remettons les fautifs entre les mains de Dieu, afin que le jugement et la miséricorde de Dieu s’exercent sur eux. Pour que notre attitude chrétienne à l’égard des péchés, des torts et des offenses des hommes ne soit pas la cause de leur ruine, mais que le juste jugement de Dieu s’accomplisse sur tous, y compris sur ceux qui prennent sur eux la plus lourde responsabilité, creusant le fossé entre les frères, le remplissant de haine, de malice et de mort.

Que le Seigneur miséricordieux exécute son juste jugement sur nous tous. Et de peur qu’à la suite de ce jugement, nous nous retrouvions du côté gauche du Sauveur venu dans le monde, nous devons nous repentir de nos propres péchés. Aborder notre vie avec une analyse très profonde et dépassionnée, se demander ce qui est bon et ce qui est mauvais, et en aucun cas se justifier en disant : « J’ai eu une dispute avec ceci ou cela, parce qu’ils avaient tort. C’est un faux argument, c’est une mauvaise approche. Vous devez toujours demander devant Dieu : Seigneur, qu’ai-je fait de mal ? Et si Dieu nous aide à prendre conscience de notre propre iniquité, nous devons nous repentir de cette iniquité.

Dans les paragraphes précédents, Kirill retourne enfin à une conception plus spirituelle de son rôle, avec en fin de compte un prêche centré sur le thème du jour, et donc l’explication de la notion, centrale pour tous les chrétiens, de Pardon, suivie d’un appel à le pratiquer dans la vie quotidienne, et à pratiquer l’examen de conscience. Tout cela est traditionnel dans un sermon de (pré-)Carême et celui de Kirill serait tout à fait normal s’il s’en était tenu à cette partie. Malgré tout, la mention que le pardon consiste aussi à abandonner le pécheur au « juste jugement de Dieu » n’en garde pas moins une tonalité menaçante, surtout   quand le patriarche l’invoque sur ceux qui « creusent le fossé entre les frères ». Il s’agit là d’une évocation de l’Eglise orthodoxe ukrainienne du patriarcat de Kiev, et de son chef, le métropolite Epiphane, accusé de diviser le monde orthodoxe en s’affranchissant de la tutelle de Moscou ; Kirill étend peut-être ce reproche jusqu’au patriarche de Constantinople, qui a reconnu l’Eglise ukrainienne autocéphale.

Aujourd’hui, à l’occasion du dimanche du Pardon, nous devons accomplir l’exploit de renoncer à nos propres péchés et injustices, l’exploit de nous remettre entre les mains de Dieu et l’acte le plus important – le pardon de ceux qui nous ont offensés.

Que le Seigneur nous aide tous à traverser les jours du Carême de telle sorte que nous puissions entrer dignement dans la joie de la Résurrection du Christ. Et prions pour que tous ceux qui combattent aujourd’hui, qui versent le sang, qui souffrent, entrent aussi dans cette joie de la Résurrection dans la paix et la tranquillité. Quelle joie y a-t-il si les uns sont dans la paix et les autres dans la puissance du mal et dans la douleur des luttes intestines ?

En conclusion, l’injonction à prier pour ceux qui combattent (pour un seul camp, bien sûr, les soldats russes), se trouve là pour masquer qu’il n’y a aucun appel à la paix et à la réconciliation dans cette homélie, alors même qu’elle a lieu le dimanche du Pardon. Pourtant le patriarche Kirill a été de nombreuses fois sollicité par des membres ukrainiens et russes de son propre clergé , pour, à défaut de s’élever contre un conflit fratricide, au moins prier pour l’apaisement ; le représentant du patriarcat de Moscou en Ukraine, le métropolite Onuphre, a lui-même condamné l’invasion. Même si elle est volontairement dissimulée dans des termes généraux et une tonalité spirituelle, cette homélie représente in fine un alignement assez net sur la rhétorique du Kremlin, comme à l’époque de l’Union soviétique.

Que le Seigneur nous aide tous à entrer dans le chemin du Saint Carême de telle manière, et pas autrement, qu’Il puisse sauver nos âmes et favoriser la multiplication du bien dans notre monde pécheur et souvent terriblement erroné, afin que la vérité de Dieu puisse régner et diriger le genre humain. Amen.

Voir enfin:

En Ukraine, les frontières confessionnelles se redéploient. L’atmosphère d’union nationale qui prévaut depuis l’invasion semble avoir réduit le clivage entre les Églises orthodoxes rivales – mais pour combien de temps ? Là comme ailleurs, la guerre semble avoir produit des effets opposés à ceux recherchés par le Kremlin. Une synthèse en 10 points.
Jean-Benoît Poulle
Le Grand continent
8 mars 2022

1 — L’invalidation de la théorie huntingtonienne du choc des civilisations
Que l’Ukraine soit étymologiquement une «  marche  », une région frontalière, se vérifie aussi dans le domaine religieux. Les fractures confessionnelles, auxquelles il ne faut certes pas accorder une importance démesurée en regard d’autres critères, peuvent tout de même fournir une clé de lecture significative du conflit en cours. Ces fractures sont complexes, et donc souvent peu analysées en profondeur, d’abord parce qu’elles mobilisent de multiples acteurs religieux, ensuite parce qu’elles ont vu des repositionnements d’ampleur au cours des dernières années, qu’il n’a pas toujours été aisé de suivre en détail. C’est pourquoi il faut se garder d’en faire une lecture uniquement civilisationnelle, et donc simpliste  ; elles ne se réduisent pas à la ligne de front entre un monde occidental identifié à la Chrétienté latine, et une orthodoxie assimilable en tout point à la civilisation russe.Du reste, chez Huntington, l’Ukraine est-elle bien incluse dans la «  civilisation orthodoxe », et l’hypothèse d’une guerre Russie-Ukraine était précisément, pour lui, un exemple qui pouvait invalider sa théorie du choc des civilisations. En fait, ces fractures  passent à l’intérieur même des deux confessions catholique et orthodoxe, qui sont les principales de ce pays officiellement laïc1, et dont les habitants se définissent comme croyants à 70 %.
2 — Quelles sont les principales confessions en Ukraine ?
Selon des chiffres du Pew Research Center de 2016 2, plus de 65 % des Ukrainiens adhèrent en effet au christianisme orthodoxe (ce que l’on appelle également les «  Églises des Sept Conciles  », qui sont séparées de Rome depuis le schisme d’Orient de 1054), et un peu moins de 9 % au catholicisme. Les autres religions sont très minoritaires  : 1,9 % pour les chrétiens protestants toutes dénominations confondues, 1,1 % pour les musulmans, dont la présence est endogène et ancienne, remontant au XIVe siècle  ; celle des juifs est résiduelle (0,2 %) depuis la Seconde Guerre mondiale, alors que l’ouest du pays formait le cœur du Yiddishland. Il est à noter que près de 7 % de la population se déclare seulement «  chrétienne  », sans appartenance confessionnelle, signe d’une religiosité plus vague, attachée sans doute à quelques croyances et rituels de passage, et que 16,2 % se dit sans religion, chiffre important (quoique moindre que dans les pays Baltes) qui représente sans doute un héritage de l’athéisme d’État de l’ère soviétique.
3 — Quelle a été l’histoire des catholiques en Ukraine ?

Tant le catholicisme que l’orthodoxie sont pluriels en Ukraine. Pour le premier, la situation est comparativement plus simple : il se répartit entre la population catholique de rite latin, assez marginale (1 % des Ukrainiens, surtout dans l’Ouest et le Centre), et en fait assimilable à la minorité d’origine polonaise, et trois Églises catholiques de rite oriental. Celles-ci sont définies par leur unité de foi et leur obédience au pape, et donc leur communion avec les autres catholiques, mais aussi par leur autonomie interne hiérarchique et liturgique, comprenant leurs rites propres.

La principale d’entre elles est l’Église gréco-catholique ukrainienne, qui rassemble 8 % de la population du pays, soit plus de 5 millions de fidèles, situés très majoritairement à l’Ouest. Sa liturgie, le rite byzantin, est quasiment identique à celle des orthodoxes du monde russophone, dont la langue liturgique est le slavon d’église. On peut en faire remonter l’origine au XVe siècle, lorsque le métropolite Isidore de Kiev se rallia au concile de Florence, qui proclama l’union des Églises latine et grecque, mais son véritable acte de naissance a été plutôt l’union de Brest (aujourd’hui en Biélorussie) de 1595-15963, quand une partie du clergé orthodoxe sous domination polono-lituanienne s’est mise sous l’obédience du pape. De là vient également le sobriquet péjoratif «  d’uniates  » accolé aux catholiques orientaux, dont le ralliement à l’autorité romaine en échange de la conservation de leurs traditions liturgiques a pu être perçu par d’autres comme une trahison de la foi «  orthodoxe  » (dans tous les sens du terme). Les autres catholiques orientaux ukrainiens forment une partie de l’Église catholique ruthène, issue d’une union plus tardive avec Rome (1646, union d’Oujohrod), concentrée à l’extrême ouest dans la région des Carpates, et devenue majoritairement diasporique4. Si les gréco-catholiques ont été encouragés et soutenus dans les territoires actuellement ukrainiens qui se trouvaient en Pologne ou dans l’Empire austro-hongrois, ils ont été assez constamment réprimés dans la Russie des tsars (jusqu’à voir leur culte interdit au XIXe siècle), puis par l’Union soviétique. La persécution antireligieuse indiscriminée a culminé pendant la Grande Terreur stalinienne des années 1930  ; puis en 1946, lors du synode de Lvov, l’Église gréco-catholique a été rattachée de force à l’Église orthodoxe russe, ou condamnée à la clandestinité d’une «  Église des catacombes  »  : ce n’est qu’à la chute du bloc soviétique qu’elle retrouve une existence légale. Le conflit avec les orthodoxes, spécialement avec le Patriarcat de Moscou, est pourtant loin d’être soldé, car l’Église gréco-catholique leur réclame la restitution des biens et lieux de culte confisqués en 1946, et jamais rendus depuis. Le transfert en 2005 du siège du primat des gréco-catholiques de Lviv (où ils représentent près de 30 % de la population) à Kiev a également été très mal perçu par beaucoup d’orthodoxes, comme une velléité expansionniste.

4 — Quelles sont les relations entre le Vatican et l’Église gréco-catholique ukrainienne ?

Contrairement à Jean-Paul II, qui avait défendu avec ténacité la cause des catholiques orientaux en Europe au prix d’un refroidissement net de ses relations avec le monde orthodoxe, Benoît XVI puis François ont privilégié le dialogue œcuménique en direction de l’orthodoxie. Le premier avait constaté une certaine convergence de vues autour des valeurs familiales conservatrices  ; le second s’est engagé plus résolument dans toutes les formes de rapprochements interconfessionnels, et a engrangé des succès symboliques  : il a ainsi pu rencontrer le patriarche de Moscou, Kirill (Cyrille) lors de son voyage à La Havane du 12 février 2016 – un lieu emblématique de la diplomatie « non-alignée  » sur l’agenda occidental–, ce qu’aucun pape n’avait fait avant lui. Mais il en a résulté un certain sentiment de relégation, voire d’abandon, pour nombre de gréco-catholiques  : dès 1993, une déclaration conjointe de responsables catholiques et orthodoxes condamnait «  l’uniatisme  » (mais entendu uniquement au sens prosélytisme) au nom de l’œcuménisme, semblant donc indiquer que la tradition catholique orientale était dépassée5 ; cette condamnation a été réitérée par le pape après une rencontre entre François et le porte-parole du Patriarcat de Moscou le 30 mai 20166. Certains signes ont été ressentis comme vexatoires par l’Église gréco-catholique  : ainsi l’archevêque majeur Sviatoslav Shevchuk, primat de l’Église gréco-catholique ukrainienne, n’a pas été créé cardinal, à la différence de son prédécesseur, le cardinal Husar, issu de l’Église des catacombes  ; Shevchuk n’a pas non plus vu sa demande ancienne d’être promu patriarche exaucée, car il s’agirait alors d’un casus belli avec le monde orthodoxe7. On a même prêté au pape le dessein de créer une grande Église ruthène transnationale pour les catholiques de rite byzantin d’Europe centrale, ce qui était vu très défavorablement par les gréco-catholiques ukrainiens8, mais ce projet été démenti par le Saint-Siège9.

5 — Quelle a été l’attitude du pape François lors de la crise ukrainienne de 2014 ?

Surtout, c’est l’attitude du Vatican lors de la crise de 2014 qui a pu interroger. Alors que les manifestations de la place Maïdan avaient été l’occasion d’un véritable élan de concorde nationale interreligieuse, les clergés de toutes les confessions s’y relayant pour prier, le pape François s’était montré d’une très grande prudence au moment de la crise du Donbass, se contentant de prononcer des appels à la paix en termes généraux, sans dénoncer la répression des catholiques dans les Républiques séparatistes de Donetsk et Louhansk, où seul le clergé orthodoxe du Patriarcat de Moscou a droit de cité10. Le Saint-Siège, pour sauvegarder son crédit international et son réseau diplomatique, a alors pu donner (sur ce dossier comme sur d’autres, ainsi de l’accord avec la Chine) l’impression de privilégier l’éthique de responsabilité par rapport à l’éthique de conviction. En somme, cette diplomatie conduite principalement par le cardinal-secrétaire d’Etat Parolin a semblé marquer un retour à l’Ostpolitik vaticane des années 1970, menée par son prédécesseur Agostino Casaroli (1914-1998)