S’ils se taisent, les pierres crieront! Jésus (Luc 19 : 40)
Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents, et de ce que tu les as révélées aux enfants. Jésus (Matthieu 11: 25)
La Palestine appartient aux Arabes dans le même sens que l’Angleterre appartient aux Anglais ou la France aux Français. Il est erroné et inhumain d’imposer les Juifs aux Arabes. Ce qui se passe en Palestine aujourd’hui ne peut être justifié par aucun code de conduite morale. Les mandats ne représentent aucune sanction sinon celle de la dernière guerre. Ce serait certainement un crime contre l’humanité de réduire les fiers Arabes pour que la Palestine puisse être rendue aux Juifs en partie ou complètement comme leur foyer national. (…) Si j’étais juif et étais né en Allemagne et y gagnais ma vie, je revendiquerais l’Allemagne comme ma patrie au même titre que le plus grand des gentils Allemands et le défierais de m’abattre ou de me jeter au cachot; je refuserais d’être expulsé ou soumis à toute mesure discriminatoire. Et pour cela, je n’attendrais pas que mes coreligionnaires se joignent à moi dans la résistance civile mais serais convaincu qu’à la fin ceux-ci ne manqueraient pas de suivre mon exemple. Si un juif ou tous les juifs acceptaient la prescription ici offerte, ils ne pourraient être en plus mauvaise posture que maintenant. Et la souffrance volontairement subie leur apporterait une force et une joie intérieures que ne pourraient leur apporter aucun nombre de résolutions de sympathie du reste du monde. Gandhi (le 26 Novembre 1938)
Il vous faut abandonner les armes que vous avez car elles n’ont aucune utilité pour vous sauver vous ou l’humanité. Vous inviterez Herr Hitler et signor Mussolini à prendre ce qu’ils veulent des pays que vous appelez vos possessions…. Si ces messieurs choisissent d’occuper vos maisons, vous les évacuerez. S’ils ne vous laissent pas partir librement, vous vous laisserez abattre, hommes, femmes et enfants, mais vous leur refuserez toute allégeance. Gandhi (conseil aux Britanniques, 1940)
Des juifs sont persécutés, volés, maltraités, torturés, assassinés. Et vous, Mahatma Gandhi, dites que leur position dans le pays où ils souffrent tout ceci est un parallèle exact avec la position des Indiens en Afrique du sud au moment où vous inauguriez votre célèbre « force de la vérité » ou « force de la campagne d’âme » (Satyagraha) (…) Mais, Mahatma, savez-vous ou ne savez-vous pas ce qu’est un camp de concentration et ce qui s’y passe? Martin Buber
Je crois que deux et deux sont quatre, Sganarelle, et que quatre et quatre sont huit. Don Juan (Molière, acte III, sc. 1)
Le plus difficile n’est pas de dire ce que l’on voit mais d’accepter de voir ce que l’on voit. Péguy
La liberté, c’est la liberté de dire que deux et deux font quatre. Lorsque cela est accordé, le reste suit. George Orwell (1984)
Dans des temps de tromperie généralisée, le seul fait de dire la vérité est un acte révolutionnaire. Orwell
Il faut constamment se battre pour voir ce qui se trouve au bout de son nez. Orwell
Le pacifisme est objectivement pro-fasciste. C’est du bon sens élémentaire. George Orwell
On ne peut gouverner sur une base « purement » pacifiste, car tout gouvernement qui refuserait en toutes circonstances d’employer la force pourrait être renversé par n’importe qui, même n’importe quel individu, qui serait prêt à utiliser la force. . . . Pour ce qui est de la conquête de l’Angleterre, Gandhi nous conseillerait certainement de laisser les Allemands nous imposer leur domination plutôt que de lutter contre eux – en fait, c’est exactement ce qu’il a préconisé. Et si Hitler conquerrait l’Angleterre, il essaierait, j’imagine, de faire émerger un mouvement pacifiste mondial, qui empêcherait toute résistance sérieuse et donc faciliterait sa domination. George Orwell
Que ferait Gandhi si les Britanniques ne lui laissaient plus le moindre espace [de liberté] ? . . Le fait est que les méthodes politiques de Gandhi étaient presque sans rapport avec la situation actuelle, car elles dépendaient de la publicité. Comme M. Fischer l’admet, Gandhi n’a jamais eu affaire à un pouvoir totalitaire. Il avait affaire à un despotisme démodé et passablement affaibli qui le traitait de manière assez chevaleresque et lui permettait de faire appel à l’opinion mondiale à chaque pas. (…) Il est difficile de voir comment sa stratégie de jeûne et de désobéissance civile pourrait être appliquée dans un pays où les opposants politiques disparaissent tout simplement et le public n’entend jamais rien que ce que le gouvernement ne veut pas qu’il entende. D’ailleurs, il apparaît que lorsque M. Fischer nous dit que nous devrions suivre les enseignements de Gandhi, il… veut empêcher l’expansion de l’impérialisme russe, de manière non-violente si nous le pouvons, mais violente si nous le devons ; alors que l’idée centrale de Gandhi était que vous ne devez pas utiliser la violence même si l’alternative est la défaite. Lorsqu’on lui a demandé de donner son avis sur les Juifs allemands, Gandhi a apparemment répondu qu’ils auraient dû se suicider en masse, et ainsi « émouvoir le monde » – une réponse qui semble embarrasser M. Fischer même. George Orwell
À notre époque où les yogis font florès, il est admis sans discussion que le « détachement » est supérieur à l’acceptation sans réserve de la vie terrestre, et que l’homme ordinaire ne s’y dérobe que parce qu’il préfère la facilité : en d’autres termes, que l’être humain moyen est un saint raté. Pourtant, rien n’est moins sûr. Beaucoup de gens n’ont vraiment pas la moindre envie d’être des saints, et beaucoup de ceux qui atteignent la sainteté ou y aspirent n’ont sans doute jamais été très tentés d’être des hommes. (…) Nous vivons dans un monde fou dans lequel les contraires se transforment constamment, dans lequel les pacifistes se retrouvent à adorer Hitler, les socialistes deviennent nationalistes, les patriotes deviennent des collabos, les bouddhistes prient pour le succès de l’armée japonaise, et la bourse repart à la hausse quand les Russes lancent une offensive. Les croyances [pacifisme, anarchisme, stalinisme] ont l’avantage de viser l’impossible et donc en fait d’exiger très peu. Si vous ajoutez une touche de mysticisme oriental et de ravissement buchmanien pour Gandhi, vous avez tout ce qu’il faut pour faire le bonheur d’un intellectuel rebelle. La vie d’un gentleman anglais et l’attitude morale d’un saint peuvent être appréciées simultanément. En transférant simplement votre allégeance de l’Angleterre à l’Inde (c’était autrefois la Russie), vous pouvez vous adonner pleinement à tous les sentiments chauvins qui seraient totalement impossibles si vous les reconnaissiez pour ce qu’ils étaient. Au nom du pacifisme, vous pouvez faire des compromis avec Hitler, et au nom de la spiritualité, vous pouvez garder votre argent. . . Il y a en effet une sorte de vérité apocalyptique dans la déclaration de la radio allemande selon laquelle les enseignements d’Hitler et de Gandhi se rejoignent. George Orwell
Le Parti vous disait de rejeter le témoignage de vos yeux et de vos oreilles. C’était son commandement ultime, et le plus essentiel. Le cœur de Winston défaillit quand il pensa à l’énorme puissance déployée contre lui, à la facilité avec laquelle n’importe quel intellectuel du Parti le vaincrait dans une discussion, aux arguments qu’il serait incapable de comprendre et auxquels il pourrait encore moins répondre. Et cependant, c’était lui qui avait raison ! Ils avaient tort, et il avait raison. Il fallait défendre l’évident, le bêta et le vrai. Les truismes sont vrais, cramponne-toi à cela. Le monde matériel existe, ses lois ne changent pas. Les pierres sont dures, l’eau est humide, et les objets qu’on lâche tombent vers le centre de la terre. Avec le sentiment […] qu’il posait un axiome important, il écrivit : “La liberté, c’est la liberté de dire que deux et deux font quatre. Si cela est accordé, tout le reste suit. George Orwell (1984)
Ce qui me tracasse en ce moment, c’est qu’on ne sait pas très bien si dans des pays comme l’Angleterre les gens ordinaires font suffisamment la différence entre démocratie et despotisme pour avoir envie de défendre leurs libertés. […] Les intellectuels qui affirment aujourd’hui que démocratie et fascisme, c’est blanc bonnet et bonnet blanc, etc., me dépriment au plus haut point. Mais il se peut qu’au moment de l’épreuve de vérité les gens ordinaires s’avèrent être plus intelligents que les intellectuels. George Orwell
Quand vous rentrez en Angleterre après un voyage à l’étranger, vous avez immédiatement la sensation de respirer un air différent […]. La bière est plus amère, les pièces de monnaie sont plus lourdes, l’herbe est plus verte, les publicités sont plus criardes. […] Alors l’immensité de l’Angleterre vous engloutit et vous perdez pour un instant de vue que la nation dans son ensemble possède un seul caractère identifiable. George Orwell
La nuit qui a précédé le Pacte germano-soviétique, j’ai rêvé que la guerre avait commencé. Ce rêve m’a appris que j’étais de tout cœur patriote, que je soutiendrais la guerre et que je combattrais si possible. Tout cela est enfantin, bien sûr, mais je préfère avoir reçu ce type d’éducation que de ressembler aux intellectuels de gauche qui sont tellement ‘ éclairés ’ qu’ils ne peuvent comprendre les émotions les plus ordinaires. George Orwell
Une part de nous veut être un héros ou un saint, mais l’autre moitié c’est ce petit homme gras qui voit très clairement l’avantage qu’il y a à rester en vie. C’est notre moi privé, la voix de notre ventre qui proteste contre notre âme. George Orwell
C’est seulement après que le régime soviétique est devenu manifestement totalitaire que les intellectuels anglais ont commencé à s’y intéresser en grand nombre. L’intelligentsia britannique russophile désavouerait Burnham, et pourtant il formule en réalité son vœu secret : la destruction de la vieille version égalitaire du socialisme et l’avènement d’une société hiérarchisée où l’intellectuel puisse enfin s’emparer du fouet. George Orwell
This insignificant and self-effacing hero who had nothing to recommend him but a little goodness in his heart and apparently a ridiculous ideal. This would be to give the truth its due, to give the sum of two and two as four. (…) It may seem a ridiculous idea, but the only way to fight the plague is with decency. Albert Camus
But again and again there comes a time in history when the man who dares to say that two and two make four is punished with death. The schoolteacher is well aware of this. And the question is not one of knowing what punishment or reward attends the making of this calculation. The question is one of knowing whether two and two do make four. Camus
Freedom is the freedom to say that two plus two make four. If that is granted, all else follows. George Orwell
A nihilist is not one who believes in nothing, but one who does not believe in what exists. Camus
Totalitarianism demands, in fact, the continuous alteration of the past, and in the long run probably demands a disbelief in the very existence of objective truth. (…) So long as physical reality cannot be altogether ignored, so long as two and two have to make four. Orwell
ONE DAY in February 1945, in Paris, George Orwell waited at the café Deux Magots, where he was to meet Albert Camus for the first time. But Camus, suffering from tuberculosis and exhaustion — because of which he was currently on leave from his editorship of the resistance newspaper Combat — didn’t show up. They would never again have the chance to meet each other. Five years later, Orwell died, in England — from an illness related to his own tuberculosis. This may very well be one of the great missed opportunities in 20th-century European letters. But although Orwell and Camus were two of the most intriguing political and literary figures of their time, they are rarely considered in relation to each other, and when they are, it is usually not to any great depth. There are superficial similarities between them that tend to distract from looking for deeper affinities, albeit buried beneath significant antimonies. Although, politically and intellectually, they drew many of the same conclusions, these were, more often than not, arrived at from very different starting points, or via different routes. And that is, ultimately, why Orwell and Camus are so interesting to consider together. In a sense, the life and work of each man acts as an independent variable to confirm the truths and the doubts revealed by the life and work of the other. Part of the reason for these different attitudes and approaches to writing may be due to their different social backgrounds. For Orwell, that background was middle-class, old Etonian — even when he rebelled against it he was still inculcated by the attitudes that came with it. He had seen several of his classmates — such as Cyril Connolly — go on to become writers and editors of literary journals and newspapers, and so he was never in any doubt that a literary career was not something he could pursue. His five years in the Burmese Police were, he later said, partly an attempt to actively avoid becoming a writer — as if it was always inevitable. Camus, on the other hand, came from very poor, largely illiterate, working-class French Algeria. There was hardly anything inevitable in Camus’s becoming a writer. Growing up, there were no books in the house, and no privacy. During the school holidays, he worked with his uncles and older brother in a wine-barrel factory. His older brother didn’t go to high school, but went instead to work full-time with their uncles. Camus was supposed to follow suit, but an intervention from a schoolteacher, Louis Germain — and later the encouragement of a high school teacher and then university lecturer, Jean Grenier — made Camus see new possibilities. But even here, these possibilities extended mainly to the goal of becoming a high school teacher, and the need for a steady, honest job. Writing was certainly a possibility, but it was always something besides, something you did after work hours. For a working-class family in 1930s Algeria, writing was not considered legitimate work. (…) Although Camus was already famous in France for his work from the early 1940s, it was his post-war work — beginning with the publication of The Plague — that brought him international renown. Orwell became internationally famous at about the same time. It is from the 1950s onward that the reputations of both figures were truly established. But such reputations — often disproportionate to the work in question — are almost always based on misunderstandings and oversimplifications. For Orwell, this process largely occurred after his death (January 21, 1950). Camus struggled against his own growing reputation, often in vain, throughout the 1950s, until his own death on January 4, 1960. Even here, in these misunderstandings and oversimplifications, a comparison between Orwell and Camus is worth pursuing. Their reputations have been secured, largely through the imposition of a false binary over each of their work, with one half being brought narrowly into relief against the attempted suppression of the other half. The dividing line is between their fiction and their nonfiction, their art and their politics: Camus is seen as a great literary figure, but a poor political thinker, while Orwell as a great political writer, but a poor literary figure. What is ultimately compelling about these men, however, is that they are both consummate literary and political writers. The two aspects of their work — the literary and the political — cannot be pitted against each other. It is the balance between the two that is responsible for the creative force behind each man’s work. By reconsidering Orwell and Camus in relation to each other, the prominent aspect of each can be used to rehabilitate the suppressed aspect of the other. Both rehearsed their literary and political thinking throughout the 1930s. Orwell’s thinking evolved more publicly in various book reviews, as well as articles and books. Camus rehearsed his ideas more privately, in his notebooks and unpublished essays, but also in the occasional published book review (in Algeria). It was not until The Myth of Sisyphus was published (1942) that his mature ideas on aesthetics would become known, albeit largely ignored. What is essential to note is that, for both men, these ideas, both literary and political, were developed in unison, and were forged in the act of writing, and in response to the same climate of political and social unease. Although Orwell became famous for his final two novels, Animal Farm and Nineteen Eighty-Four, their reputation is built on the political message they carry. And to get at that message, the literary and artistic aspects of these works have been pushed to the side. The retrospective appraisal of his pre-war books holds up his nonfiction works (The Road to Wigan Pier and Homage to Catalonia) and downplays his novels (A Clergyman’s Daughter, Keep the Aspidistra Flying, Coming Up for Air), except when (as with Down and Out in Paris and London and Burmese Days) they can be mined for autobiographical and social or political import. His political journalism and essays are seen as the core of his thinking, and Animal Farm and Nineteen Eighty-Four as popular illustrations of these ideas. But Orwell himself, very early in his career, argued against this style of reading literature. In one of his first book reviews, in 1930, for example — on Lewis Mumford’s book Herman Melville — he argues that such interpretation (an “unpleasant but necessary word”) is a “dangerous method of approaching a work of art. Done with absolute thoroughness, it would cause art itself to vanish.” Reducing a work of art to an allegorical message, he said, “is like eating an apple for the pips.” In The Myth of Sisyphus, Camus also argued against reducing novels to what he called a “thesis-novel, the work that proves, the most hateful of all, […] the one that most often is inspired by a smug thought.” For both men, a novel is not supposed to tell the reader what to think, but rather to create the conditions through which the reader can experience thinking for themselves. This idea became the creative spark that fired also their political imaginations, especially their opposition to totalitarianism. Throughout the 1930s, both Camus and Orwell saw the problem of the contemporary novel in terms of the tendencies toward either formalism or realism. On the one hand, empty formalism focused on technique, on art for art’s sake; on the other, social realism or naturalism revealed the world, but without any structure, or by attaching a simplistic morality to the work. Both men recognized the merits of each, but also the absurdity of allowing each aspect to dominate a work of art. For Orwell, the two most influential books throughout the 1930s were James Joyce’s Ulysses and Henry Miller’s Tropic of Cancer. He argued, both publicly (in reviews) and privately (in letters), that Ulysses perfectly used various formal techniques to examine, for the first time, both the outside and the inside of the ordinary man, and to bridge the gap between the “intellectual” and the “man-in-the-street.” Tropic of Cancer focused the reader’s attention on the brutal and often ugly facts of everyday life. But Orwell also felt that both books went too far in each direction — the formalism of the former, and the brutal naturalism of the latter. He strove to develop his own style that joined the best of both, while jettisoning the worst. Incorporating the political into his writing — thinking about the political in literary terms — is what allowed him to strike a balance. This is one of the often missed points of his otherwise well-known essay “Politics and the English Language.” Although he explicitly states that he is not examining the “literary use of language,” he is still looking at the use of literary language in political writing. The whole focus of the essay is to examine the use of imagery and metaphor, and the misuse of cliché and abstract language — the way that politics uses language to corrupt or prevent thought, and the way we can rejuvenate our language in order to allow and clarify our thinking. Moreover, the reason Orwell wasn’t looking at the “literary use of language” in that essay is that he had already done so in a previous one, “The Prevention of Literature” — which, in many respects, provides the context and the conditions for understanding more clearly the argument in “Politics and the English Language.” (The two essays were written almost in conjunction with one another in late 1945, soon after Orwell and Camus were supposed to meet). In this earlier essay, Orwell makes the explicit link between literature and totalitarianism, and shows how a politics that tends toward totalitarianism not only reduces the capacity of literature to be created and read, but also that totalitarianism achieves its own goals, in part, through the very process of preventing literature from being created and read. The reason for this, Orwell argues, is that literature is concerned with increasing consciousness, free thought, the imagination, all of which are anathema to totalitarianism. For him, literary thinking is inextricably linked to intellectual honesty. “At some time in the future, if the human mind becomes something totally different from what it is, we may learn to separate literary creation from intellectual honesty. At present we know only that the imagination, like certain wild animals, will not breed in captivity.” For Orwell, reading a novel for its allegorical message, while ignoring its literary context, is a form of intellectual dishonesty. For Camus, such a reading is inspired by a “smug thought”: “You demonstrate the truth you feel sure of possessing.” This unity of the literary and the political in Orwell’s work is central also to his other well-known essay “Why I Write,” where he explicitly states: “What I have most wanted to do throughout the past ten years is to make political writing into an art.” The essay includes an often cited passage, used to supposedly highlight his political writing at the expense of his literary writing: “looking back through my work, I see that it is invariably where I lacked a political purpose that I wrote lifeless books and was betrayed into purple passages, sentences without meaning, decorative adjectives and humbug generally.” But this ignores a previous, qualifying statement from the same essay: “But I could not do the work of writing a book, or even a long magazine article, if it were not also an aesthetic experience. Anyone who cares to examine my work will see that even when it is downright propaganda it contains much that a full-time politician would consider irrelevant.” The context for these passages is created by the main argument of his essay. Here Orwell examines four motivations for why writers, in general — and himself in particular — write: sheer egoism, aesthetic enthusiasm, historical impulse, and political purpose. “I am a person in whom the first three motives would outweigh the fourth [the political],” he adds. It is worth noting that one aspect for which Orwell is renowned — his focus on “things as they are, to find out true facts and store them up for the use of posterity” — is, for him, the definition of the historical impulse, and not, as may be assumed, his political purpose. It was, indeed, the historical context that Orwell found himself in that forced him, albeit against his nature, to become political. But it was his literary thinking — from which his intellectual honesty evolved — that forced him to consider his historical context so clearly, so as to become political. It is for this reason that Orwell, on occasion, referred to himself as a “literary intellectual.” This self-description, and the argument behind it, aptly applies also to Camus. In a 1951 interview, for example, he said: What, in fact, is the aim of every creative artist? To depict the passions of his day. In the seventeenth century, the passions of love were at the forefront of people’s minds. But today, the passions of our century are collective passions, because society is in disorder. Artistic creation, instead of removing us from the drama of our time, is one of the means we are given of bringing it closer. Totalitarian regimes are well aware of this, since they consider us their first enemies. Isn’t it obvious that everything which destroys art aims to strengthen ideologies that make men unhappy? And yet, where Orwell is praised for his political judgment, albeit based upon a denigration of his literary imagination, Camus is praised for his literary works (he won the Nobel Prize for Literature, after all), but, in the process, he is denigrated for his political thinking — often dismissed as a noble but vague humanism; admirable, but not worth taking seriously. However, by the time most of the French intelligentsia embraced Communism in the late 1940s and ’50s, Camus had already joined and been expelled from the Communist Party (the Algerian branch). At a time when many others — such as Merleau-Ponty and Sartre — were being seduced by Communism, Camus was already aware of its theoretical contradictions and practical impossibilities. His experiences during the purges of the mid-1940s showed him that today’s victims can easily become tomorrow’s executioners. His own political thinking — which, like Orwell’s, was grounded in intellectual honesty and concrete experience — developed early, through his growing up in poverty in working-class Algeria. What Orwell learned only slowly, and from the outside, about poverty and working-class culture, Camus knew firsthand, from the root source. Camus sharpened his political sensibilities through his journalism, which forced upon him the practice of keeping an open mind, of collecting the facts for himself, and then thinking through their significance and implications. Take, for example, his 1939 series of articles on the drought and famine of the Kabylia region of Algeria. The lyricism of Camus’s prose is often cited, but what is ignored are the dozens of pages full of painstaking detail, facts and figures, and reported conversations with those affected, the attempt to examine the environmental, the social, the cultural, the colonial, the economic, and the political aspects of the situation. Nearly two decades later, these pieces were collected together with Camus’s other writings about Algeria. Covering more than eighty printed pages, his preface notes, however, that “pieces were too long and detailed to reproduce here in their entirety, and I have cut overly general observations and sections on housing, welfare, crafts, and usury.” These articles are the equivalent of Orwell’s investigation into working-class life, published as The Road to Wigan Pier (1937). When they were first published in June 1939, the political and media uproar led to Camus’s blacklisting in Algeria and his self-exile to Paris. Needless to say, he was not blacklisted for his lyricism. (…) In his journalism, Camus was also focused on domestic French, European, and international politics. A constant refrain in his Combat editorials and articles — written in the course of facing day-to-day political and social struggles — is the criticism that what is lacking in contemporary politics is a sense of “imagination.” Like Orwell, Camus saw the imagination as essential to forcing an individual to see the concrete reality beyond the words and ideologies of his day. Here is but one example, from an editorial on August 30, 1944: “Thirty-four Frenchmen tortured and then murdered at Vincennes: without help from our imagination these words say nothing. And what does the imagination reveal? Two men, face-to-face, one of whom is preparing to tear out the fingernails of the other, who looks him in the eye.” There are numerous other examples in Camus’s journalism. They are the equivalent of Orwell’s famous line: “As I write, highly civilized human beings are flying overhead, trying to kill me” — of which he, too, has numerous other, lesser-known examples in his own writing. But each of these tiny moments of detail is the outcome of a more fully developed imagination. Such imagination is the lynchpin between the political and the literary aspects of the work of both Orwell and Camus. For Orwell, this political imagination is associated with “decency.” Camus also spoke of “decency” in his journalism, but, for him, it was associated mainly with an attitude of “modesty.” Much of the development of Camus’s political thinking, culminating in The Rebel, is based around his opposition to all forms of modern nihilism, whether they came from the right or the left. But even here Camus has a unique perspective on what nihilism is: “A nihilist is not one who believes in nothing, but one who does not believe in what exists.” It is precisely the same criticism that Orwell leveled against totalitarianism: “Totalitarianism demands, in fact, the continuous alteration of the past, and in the long run probably demands a disbelief in the very existence of objective truth.” Most commentators focus on the first part of this statement, and ignore the implications of the second part. This is from the same essay in which Orwell rehearses an image used so powerfully in Nineteen Eighty-Four: “So long as physical reality cannot be altogether ignored, so long as two and two have to make four […].” And the essay in which this appears? “The Prevention of Literature.” Camus’s equivalent to this essay appeared as a later chapter in his political work The Rebel. There he described how the roots of rebellion — and its inextricable belief in limits, predicated upon what exists, and its preservation — were the same as the roots of art. For Camus, as for Orwell, the separation of the two aspects of human experience, the political and the literary, is the first sign of the decadence of each. Camus writes: The trial of art has been opened definitively and is continuing today with the embarrassed complicity of artists and intellectuals dedicated to calumniating both their art and their intelligence. We notice, in fact, that in the contest between Shakespeare and the shoemaker, it is not the shoemaker who maligns Shakespeare or beauty but, on the contrary, the man who continues to read Shakespeare and who does not choose to make shoes — which he could never make, if it comes to that. (…) Orwell had arranged the meeting with Camus, ostensibly on the basis of the latter having been the editor of Combat during the final months of the war. In an article Orwell was researching at the time — published in the Manchester Evening News on 28 February, 1945 — about the French newspaper scene, Orwell cited Combat as one of the leading “Left-wing Socialist” newspapers that was still able to retain some of its critical power amidst the rising status quo and censorship of post-war Paris. Orwell was probably thinking of the likes of Camus when he wrote: “But the experience of the occupation has produced in large numbers a new type of journalist — very young, idealistic and yet hardened by illegality, and completely non-commercial in outlook — and these men are bound to make their influence felt in the post-war Press.” So they would have probably spoken about the occupation and the liberation, and about the press, about censorship and paper shortages. Had the conversation gone off topic, had they spoken about other than immediate things, it is likely that they would have spoken about Spain. Orwell’s 1938 book Homage to Catalonia, about his experience of the Spanish Civil War, was soon to be published in a French translation. Camus had an abiding affiliation with Spain. His mother was Spanish. He was also currently having a love affair with María Casares — a Spanish actress, the daughter of Santiago Casares y Quiroga, the prime minister of Spain during the military uprising in 1936, which started the civil war. Camus would have been interested to hear about Orwell’s time in Spain, and especially about his being shot through the throat. Orwell would have been interested to hear, via Camus’s close contacts, current news of Spain. Matthew Lamb
George Orwell n’imaginait probablement pas que ce qu’il écrivait finirait par être la réalité de la Chine. Etudiant pékinois (décembre 2010)
I want to yell at that liberatory young woman with her sledgehammer: « Don’t do it! » Apple is not different. That industry is going to give rise to innumerable forms of triviality and misogyny, to the concentration of wealth and the dispersal of mental concentration. To suicidal, underpaid Chinese factory workers whose reality must be like that of the shuffling workers in the commercial. If you think a crowd of people staring at one screen is bad, wait until you have created a world in which billions of people stare at their own screens even while walking, driving, eating in the company of friends—all of them eternally elsewhere. Rebecca Solnit
La barbarie commence dans les discours de haine, elle commence dans l’encouragement au discours qui théorise sur ce fameux grand remplacement qui est en réalité un mythe raciste et xénophobe. Nous sommes de ce fait face à une grande responsabilité. Je ne peux pas ne pas le dire sur ce plateau. Quand des médias salarisent des personnes comme Eric Zemmour, on est complice de ce climat. Benjamin Lucas (Génération.S)
On met tous les flics dans des quartiers des minorités. Oui, c’est vrai. Pourquoi on fait ça? Parce que c’est là où il y a toute la criminalité. Comment on les désarme ? Eh bien, on les jette contre le mur et on les fouille. Michael Bloomberg (2015)
Eh bien, pendant longtemps, les gens ont dit que vous ne pouviez rien y faire, mais les Noirs et les Latinos obtiennent de très mauvais résultats aux tests scolaires par rapport aux Blancs et aux Asiatiques. Si vous regardez nos prisons, ce sont principalement des minorités. Si vous regardez là où se trouve la criminalité, c’est dans les quartiers des minorités. Si vous regardez qui sont les victimes et les criminels, c’est pratiquement tous des minorités. C’est quelque chose qui dure depuis longtemps. Je suppose que c’est répandu ailleurs mais c’est certainement vrai à New York. Et pendant de nombreuses années, les gens ont dit que vous ne pouviez rien y faire. Néanmoins, il y a cette énorme cohorte d’hommes noirs et latinos, disons, de 16 à 25 ans qui n’ont pas d’emploi, de perspectives, ne savent pas comment trouver un emploi, ne savent pas quelles sont leurs compétences, ne savent pas comment se comporter sur le lieu de travail où ils doivent travailler en collaboration et collectivement. Il y aura des emplois, si nous pouvons les obtenir pour ces enfants – ou leurs familles – même si leurs pères ne vivent pas avec leur mère, ou n’ont jamais été mariés, ou même s’ils sont en prison, engager les pères. Beaucoup de statistiques montrent que si le père est impliqué, cela donne à l’enfant une certaine compréhension qu’il se dirige sur le mauvais chemin – et leur assigne des mentors. Beaucoup de ces enfants – ce n’est pas qu’ils soient de mauvais enfants – c’est qu’une fois qu’ils ont fait une erreur, il leur est très difficile de s’en sortir. Mais nous avons une obligation envers eux – sinon pour des raisons de compassion, juste pour des raisons égoïstes. Les trois quarts de tous les enfants de New York qui vont en prison purgent une période et en sortent, retournent immédiatement en prison. Les trois quarts d’entre eux. … Nous devons juste rompre ce cycle. Michael Bloomberg (2011)
Avec le temps, j’ai fini par comprendre quelque chose que j’ai longtemps eu du mal à admettre : j’ai eu tort sur un point important. Notre objectif central était de sauver des vies. Mais les faits sont là : beaucoup trop d’innocents ont été arrêtés et une immense majorité d’entre eux étaient noirs ou latinos. Cela a pu inclure, je suis désolé de le dire, certains d’entre vous qui sont ici aujourd’hui, ou vos enfants, vos petits-enfants, vos voisins, vos proches. Michael Bloomberg
Si votre conversation lors d’une élection présidentielle concerne un gars vêtu d’une robe et s’il peut aller au vestiaire avec leur fille, ce n’est pas une formule gagnante pour la plupart des gens. La plupart des gens se soucient des soins de santé, ils se soucient de l’éducation, de la sécurité et de tout ce genre de choses. Nous nous concentrons sur beaucoup de choses qui ont peu de pertinence pour les gens qui essaient de vivre dans un monde qui change à cause de la technologie et des communications et des choses comme ça, et donc vous pouvez comprendre d’où vient quelqu’un comme le président Trump. Aujourd’hui, pratiquement tous les candidats à la présidence du Parti démocrate ont été si progressistes – je ne sais pas ce que signifie progressiste – mais ils sont dans un endroit où se trouve une partie du public américain et il reste à voir si une majorité de l’électorat l’est. Michael Bloomberg
J’aimerais parler de qui nous combattons. Un milliardaire qui traite les femmes de “grosses vaches” et de “lesbiennes au visage chevalin”. Et non, je ne parle pas de Donald Trump, a repris la sénatrice du Massachusetts. Je parle de Michael Bloomberg. Les démocrates prennent un grand risque si nous remplaçons un milliardaire arrogant par un autre. Elizabeth Warren
Qui peut battre Donald Trump ? Et qui peut faire le travail s’il arrive à la Maison Blanche ? Je dirais que je suis le candidat qui peut faire ces deux choses. Bloomberg
Bloomberg says things that can’t be said in polite company. Maybe voters don’t mind as much as elites do. It’s amusing to learn that Mike Bloomberg, just last year, was filmed speaking with his customary bluntness about transgender individuals: “If your conversation during a presidential election is about some guy wearing a dress and whether he, she, or it can go to the locker room with their daughter, that’s not a winning formula for most people,” he said at a business development forum. You can’t talk that way anymore in the upper levels of the Democratic party, the media, the arts, or even corporate America. If Bloomberg had said this as the CEO of a publicly traded company, instead of as the owner of a private one, intense pressure would have been put on the board to fire him. And this was hardly the first time he said something that was guaranteed to offend. “We put all the cops in minority neighborhoods. Yes, that’s true. Why do we do it? Because that’s where all the crime is,” Bloomberg said in 2015 at the Aspen Institute, adding, “The way you get the guns out of the kids’ hands is to throw them up against the wall and frisk them.” Bloomberg hasn’t had to report to anyone for many years, and being as frank as he likes, no matter how rude he sounds, is part of his brand. “A List of Things Bloomberg Actually Said About Fat People, Rape, George W. Bush, and J.Lo” ran one of the more entertaining headlines of this campaign season. My personal favorite is one of many one-liners contained in the now-infamous booklet, The Portable Bloomberg: The Wit and Wisdom of Michael Bloomberg. It was published as a sort of party favor back in 1990 by his employees, and no one quite seems to be able to tell if it is a spoof or an actual compendium of Bloomberg remarks. If the former, it sounds a lot like the latter to a lot of people. A highlight is Bloomberg’s summing-up of the British royals: “What a bunch of misfits — a gay, an architect, that horsey-faced lesbian, and a kid who gave up Koo Stark for some fat broad.” (…) Yet Bloomberg’s sharp rise in polling has coincided with a concerted effort by the media to score him for all of these grave offenses against political correctness. We’re about to learn whether anyone outside the elite stratum of the country actually considers these sorts of barbed comments to be disqualifying. True, nobody is allowed to talk like this anymore. But then again, the only other politician who dares to is the current occupant of the White House. Which raises the question: Does a history of extreme political incorrectness actually boost Bloomberg’s chances? (…) American elites hear the way Bloomberg talks and think: Shocking! Disqualifying! Outrageous! Median voters might hear something very different: This guy is a match for Trump! (…) The sort of people who get the vapors at offensive comments are going to vote for the Democrat this fall no matter who it is. Bloomberg’s political incorrectness won’t matter any more than Hillary Clinton’s vote for the Iraq War mattered in 2016. Yet the prospect of riding into battle with someone who is as arrogant, aggressive, politically incorrect, and corrosively funny as Trump has to be a tempting proposition to a lot of Democrats. Even if it’s a fellow New York billionaire. Kyle Smith
The French Revolution hit “peak” coerced egalitarianism with the Jacobin takeover and so-called Reign of Terror. After all, when you begin guillotining fellow travelers on charges they are counterrevolutionaries and begin worshiping a new atheist secular power “Reason,” institutionalized as Robespierre’s “Cult of the Supreme Being,” you have mostly reached the limits of political radicalism and are into the territory of the nihilistic, if not the maniacal and absurd—with a rendezvous with Napoleon on the horizon. From 2009 through 2016, Barack Obama recalibrated the Democratic Party’s liberalism into progressive radicalism. He opened the border and all but dismantled existing immigration law. Sanctuary cities sprang up with impunity. Executive orders bypassed the Congress. The Iran Deal ignored the Senate’s treaty-making responsibilities. Obama sought to nationalize healthcare. The concept of “diversity” replaced affirmative action, by redefining racial oppression as distinct from historical grievance and economic disparity and instead lumping together 30 percent of the population as nonwhite, and thus antithetical to the new buzz construct of “white privilege.” Fast and Furious, the surveillance of the Associated Press reporters, Benghazi, the weaponization of the IRS, and the use of CIA, FBI, and DOJ to seed the spurious Steele dossier were all written off as proof of the “most scandal free” administration in memory. But today Obamaism has been figuratively guillotined by the New Jacobins. It is found guilty of crimes of insufficient revolutionary zeal, as well as compromises with the U.S. Constitution and capitalism. Once considered a crank socialist, Senator Bernie Sanders (I-Vt.) is now leads in many Democratic primary polls. Arriving with him at this moment in our politics is peak progressivism. First-term socialists—House representatives such as Alexandria Ocasio-Cortez (D-N.Y.) and her fellow “squad” members, inspired by Sanders—now set the new Democratic agenda. And it is one that is more radical than anything seen in modern American history and largely unsustainable: calls to level a wealth tax and new top income-tax rates of 70-90 percent, to abolish the Immigration and Customs Enforcement Service, all student debt, an enforceable southern border, the internal combustion engine, and most Second Amendment rights, and to enact multi-trillion dollar new entitlements as outlined in the Green New Deal, Medicare for All, free college, free healthcare for illegal aliens, and reparations. Identity politics so rules the rhetoric of the new progressive party that all of its—exclusively white—primary finalists vie to be most vocal in the ritual damning of their own country (that has ironically ensured their own influence, power, success and wealth) as inherently “racist.” (…) Peak progressivism calls for the abolition of the constitutionally mandated Electoral College. Radicals now fault past failed schemes to pack the federal and Supreme Court with left-wing justices only because they failed, and thus advance ways to make court-packing work in the present. The bolder among them wants to reconfigure the U.S. Senate into a proportionally representational house or abolish it altogether. All that would be left after that would be the formal abolition of the U.S. Constitution itself. Primary candidates compete with one another to water down voting laws, variously demanding that 16-year-olds, felons, and illegal aliens should be given the franchise. Gay marriage, which Obama opposed in 2008 and later promoted after reelection, is now passé. The new civil rights cause celebre is transgenderism, an ancient syndrome known in the past under a variety of clinical definitions that affects less than half of one percent of the population. Who, after these peak progressive ideas, would be left as ineligible to vote—12-year-olds, those on death row, the rest of the earth’s population? All moderate Democratic presidential candidates long ago dropped out. Those who have not, such as Joe Biden and Michael Bloomberg, are in virtual reeducation camps, as they promise to progressive rivals and the media to renounce most of their past positions, effusively apologizing for prior incorrect thinking and failure to become sufficiently “woke.” (…) Peak progressivism eventually either recedes, or, to remain viable, entails violence, as in the Russian, Chinese, or Cuban revolutions. The odd thing is not that Sanders supporter James Hodkinson tried to mow down some of the Republican House leadership, or a recent left-wing activist sought to run over Trump supporters with his van, or that Hollywood stars still compete with each other in imagining the most fitting rhetorical torture or killing of the president of the United States—bombing, incineration, beheading, stabbing, shooting, beating—but that progressive voices rarely complain about such extremist rhetoric or actions. Impeachment 1.0 in January 2017 looks tame in comparison to 2.0 in February 2020, which in turn will seem a sell-out compared to 3.0 in 2021. George McGovern ensured a Nixon landslide, Jimmy Carter hastened the Reagan Revolution—and the eventual return of the old Democrats under Bill Clinton. The frightening visions of the new peak progressives will ensure the reelection of Donald Trump, as well as either the likely end of themselves—or else a collective dystopian nightmare. Victor Davis Hanson
The Chinese Communist government increasingly poses an existential threat not just to its own 1.4 billion citizens but to the world at large. China is currently in a dangerously chaotic state. And why not, when a premodern authoritarian society leaps wildly into the brave new world of high-tech science in a single generation? The Chinese technological revolution is overseen by an Orwellian dictatorship. Predictably, the Chinese Communist Party has not developed the social, political, or cultural infrastructure to ensure that its sophisticated industrial and biological research does not go rogue and become destructive to itself and to the billions of people who are on the importing end of Chinese products and protocols. Central Party officials run the government, military, media, and universities collectively in a manner reminiscent of the science-fiction Borg organism of Star Trek, which was a horde of robot-like entities all under the control of a central mind. Thirty years ago, American pundits began gushing over China’s sudden leap from horse-drawn power to solar, wind, and nuclear energy. The Chinese Communist government wowed Westerners. It created from nothing high-speed rail, solar farms, shiny new airports, and gleaming new high-density apartment buildings. Western-trained Chinese scientists soon were conducting sophisticated medical and scientific research. And they often did so rapidly, without the prying regulators, nosy elected officials, and bothersome citizen lawsuits that often burden American and European scientists. To make China instantly rich and modern, the Communist hierarchy — the same government that once caused the deaths of some 60 million innocents under Mao Zedong — ignored property rights. It crushed individual freedom. It embraced secrecy and bulldozed over any who stood in its way. In much the same manner that silly American pundits once praised Benito Mussolini’s fascist efforts to modernize Depression-era Italy, many naifs in the West praised China only because they wished that their own countries could recalibrate so quickly and efficiently — especially in service to green agendas. But the world is learning that China does not just move mountains for new dams or bulldoze ancient neighborhoods that stand in the path of high-speed rail. It also hid the outbreak and the mysterious origins of the deadly coronavirus from its own people and the rest of the planet as well — a more dangerous replay of its earlier effort to mask the spread of the SARS virus. The result was that thousands of unknowing carriers spread the viral plague while the government covered up its epidemic proportions. China, of course, does not wish to have either its products or citizens quarantined from other countries. But the Chinese government will not allow foreign scientists to enter its country to collaborate on containing the coronavirus and developing a vaccine. No wonder Internet conspiracies speculate that the virus was either a rogue product of the Chinese military’s bioengineering weapons lab or originated from bats, snakes, or pangolins and the open-air markets where they are sold as food. It is hard to believe that in 2020, the world’s largest and second-wealthiest country, which boasts of high-tech consumer products and gleaming cities, has imprisoned in “re-education camps” more than 1 million Uighur Muslims in the manner that Hitler, Stalin, and Mao once relocated “undesirable” populations. China seems confident that it will soon rule the world, given its huge population, massive trade surpluses, vast cash reserves, and industries that produce so many of the world’s electronic devices, pharmaceuticals, and consumer goods. For a year, the Chinese government has battled massive street demonstrations for democracy in Hong Kong. Beijing cynically assumes that Western nations don’t care. They are expected to drop their characteristic human-rights advocacy because of how profitable their investments inside China have proven. Beijing was right. Few Western companies complain that Chinese society is surveilled, regulated, and controlled in a nightmarish fashion that George Orwell once predicted in his dystopian novel, 1984. All of these recent scandals should remind the world that China got rich by warping trade and stealing technology in much the same way that it deals with epidemics and dissidents. That is, by simply ignoring legitimate criticism and crushing anyone in its way. If the Chinese Communist Borg is willing to put millions of its own citizens at risk of infection and death, why would it care about foreigners’ complaints that China is getting rich and powerful by breaking international trade rules? The truth about President Trump’s decision to call China to account over its systematic abuse of international trade norms is not that Trump’s policy is reckless or ill-considered. It’s that at this late date, the reckoning might prove too little, too late. Victor Davis Hanson
Une enquête de Bloomberg révèle qu’Amazon emploie des milliers de salariés dans le monde pour écouter les conversations des utilisateurs avec Alexa, l’assistant vocal qui alimente les enceintes Echo du géant et plus de 100 millions d’objets connectés dans le monde. Ces employés travaillent neuf heures par jour dans des bureaux à Boston, au Costa Rica, en Inde ou encore en Roumanie. Il analyse jusqu’à 1000 clips audio par jour pour transcrire et annoter leur contenu. Le but est d’améliorer l’outil de reconnaissance vocale en éliminant les lacunes dans la compréhension de la parole humaine par Alexa et en l’aidant à mieux répondre aux demandes des utilisateurs. Un employé explique ainsi à Bloomberg avoir aidé Alexa à mieux comprendre le nom «Taylor Swift» en lui indiquant que l’utilisateur parlait d’une artiste musicale. Parmi le type de clips auxquels les salariés accèdent, des requêtes mais aussi des sons enregistrés comme une femme qui chante mal sous la douche. Problème: ces fichiers peuvent être partagés sur une messagerie interne pour aider un collègue à mieux interpréter une phrase ou pour se moquer d’un enregistrement amusant. D’autres extraits sont parfois plus problématiques. Deux personnes qui travaillaient pour Amazon ont ainsi raconté avoir entendu ce qui ressemblait à une agression sexuelle. Après l’avoir mentionné à leur hiérarchie, ils ont été informés qu’Amazon ne souhaitait pas réagir à la situation. (…) Amazon mentionne dans ses conditions d’utilisation que les conversations des utilisateurs avec Alexa sont enregistrées pour améliorer son assistant virtuel. Cependant, le géant n’y précise explicitement pas que ces conversations peuvent être écoutées par des humains. Et si l’utilisateur peut limiter via les paramètres de confidentialité d’Alexa l’utilisation qui est faite de ces enregistrements, il ne peut jamais empêcher cette transmission. (…) Amazon n’est pas la seule entreprise à faire écouter une partie de ces conversations à des humains pour améliorer son outil de reconnaissance vocale. C’est aussi le cas chez Google et Apple avec leurs propres assistants vocaux Google Assistant et Siri. Pour Siri d’Apple, les enregistrements passés en revue ne contiennent pas d’informations personnelles. Durant les six mois où ils sont stockés, ils sont liés à un identifiant aléatoire selon un livre blanc sur la sécurité d’Apple. Après ces six mois, les données sont dépourvues de leur identifiant aléatoire, mais elles peuvent être stockées plus longtemps pour améliorer la reconnaissance vocale de Siri. Chez Google, certains réviseurs peuvent accéder à des extraits audio de Google Assistant, mais ces derniers ne sont associés à aucune information personnelle et le son est déformé, selon l’entreprise. Dans la nuit du 2 au 3 août, Amazon a mis à jour son application Alexa pour expliquer plus clairement la manière dont les enregistrements sont utilisés. Ainsi, on peut dorénavant lire que «les fichiers audios peuvent être […] manuellement révisés pour aider à améliorer les services [d’Amazon]». Alors qu’avant, la firme indiquait seulement que les enregistrements pouvaient «être utilisés pour développer de nouvelles fonctionnalités». Via l’application, il est aussi possible de désactiver l’envoi et l’écoute des fichiers audios avec Alexa. L’annonce d’Amazon fait suite à la procédure administrative ouverte par l’autorité de protection des données de Hambourg à l’encontre de Google. Depuis le 1er août et pendant trois mois, la firme n’est plus autorisée à laisser ses employés ou sous-traitants écouter les conversations enregistrées par son assistant intelligent. L’interdiction s’étend à toute l’Union Européenne. Apple a également emboîté le pas à Google et Amazon. La firme a annoncé au média TechCrunch qu’elle suspendait la manière dont les enregistrements sont utilisés pour améliorer son assistant vocal, «le temps de le réexaminer en profondeur». Cette décision s’applique au monde entier. Figaro
Au moment où j’écris, des êtres humains hautement civilisés veulent au-dessus de moi et essaient de me tuer. George Orwell
En 1930, il n’y avait aucune activité, sauf peut-être la recherche scientifique, les arts et l’engagement politique de gauche à laquelle puisse croire un individu conscient. La civilisation occidentale était au plus bas de son prestige et le “désenchantement” était partout. Qui pouvait encore envisager de réussir sa vie dans les carrières traditionnelles de la classe moyenne – en devenant officier, clergyman, agent de change, fonctionnaire aux Indes ou que sais-je encore ? Et que restait-il des valeurs de nos grands-parents ? Le patriotisme, la religion, l’Empire, la famille, le caractère sacré du mariage, la cravate aux couleurs du collège, la naissance, l’éducation, la discipline – tout individu moyennement éduqué pouvait en trois minutes vous démontrer l’inanité de tout cela. Mais qu’obtient-on, en fin de compte, en se débarrassant de choses aussi élémentaires que le patriotisme ou la religion ? On n’est pas pour autant débarrassé du besoin de croire à quelque chose. […] Je ne crois pas qu’il faille aller chercher plus loin les raisons pour lesquelles les jeunes écrivains des années 1930 se sont rassemblés sous le houlette du parti communiste. Il y avait là une Église, une armée, une orthodoxie, une discipline. Il y avait là une Patrie et – en tout cas depuis 1935 ou à peu près – un Führer. Tous les attachements profonds et toutes les superstitions dont l’esprit avait apparemment fait litière pouvaient revenir en force sous le plus mince des déguisements. Le patriotisme, l’Empire, la religion, la gloire militaire – tout cela était contenu dans un seul mot : “Russie”. […] Dans ces conditions, le “communisme de l’intellectuel anglais apparaît comme un phénomène assez aisément explicable : c’est le patriotisme des déracinés. » George Orwell
L’auteur de 1984, l’un des romans politiques les plus sombres du XXème siècle, était un grand optimiste, amoureux de son pays, à l’aise dans son époque, même si, dans ses fantasmes, il aurait préféré vivre au XVIIIème siècle en « joyeux pasteur ». Il conçut son existence comme une œuvre, et son œuvre, d’abord comme la quête d’une écriture (…) Son inclinaison profonde en tant que personnage public ne fut pas la politique mais la morale. Lorsqu’on étudie l’un des aspects de sa pensée, il faut constamment avoir à l’esprit ces paramètres. Nous sommes en présence d’un homme heureux, d’un écrivain poursuivant, à sa manière, un objectif de modernité, d’un citoyen qui attribuait au peuple anglais des vertus cardinales : gentillesse, loyauté, amour de la tradition, decency (décence, politesse, bonne mœurs), et ce don, pour lui apanage de ses compatriotes, de ne pas se laisser impressionner par les grands hommes, comme Napoléon, Churchill ou Staline. Raymond Williams a dit d’Orwell qu’il était un auteur bien anglais, éminemment insulaire et cocardier (Orwell, Londres, 1971). On verra que son attitude vis-à-vis de sa patrie a évolué au gré des circonstances personnelles et historiques. Ce qui ne changera jamais, c’est la prééminence du ressenti, de l’esthétique et de la morale, alliée à une conscience aiguë de la rhétorique, elle-même vécue comme une modalité politique du discours et de l’écriture. Ainsi, à l’automne 1940, au début de la guerre, les alliances se nouent et se dénouent. Orwell se demande si le conflit sera purement impérialiste et s’il faudra faire front commun avec la bourgeoisie. Tout en se posant ces questions d’importance, il ne peut s’empêcher d’écouter ses voix et de moraliser : « La nuit qui a précédé le Pacte germano-soviétique, j’ai rêvé que la guerre avait commencé. Ce rêve m’a appris que j’étais de tout cœur patriote, que je soutiendrais la guerre et que je combattrais si possible. Tout cela est enfantin, bien sûr, mais je préfère avoir reçu ce type d’éducation que de ressembler aux intellectuels de gauche qui sont tellement ‘ éclairés ’ qu’ils ne peuvent comprendre les émotions les plus ordinaires. » L’enfance d’Orwell fut marquée, pour ce qui nous concerne ici, par la catastrophe du Titanic. Dans un texte de résistance consensuel, très “ union nationale ” de 1940 (“My Country Right and Left ”, “ Mon pays, “ de droite et de gauche ” ou “ qu’il ait raison ou tort ”), Orwell évoque ce traumatisme. Il laisse entendre que l’attachement à une nation découle plus d’un ressenti charnel à des événements isolés mais marquants qu’à de grandes causes ou à une Histoire qui se fait mais qui n’est pas toujours lisible. En primaire, Orwell eut beau détester la discipline sadique des écoles primaires privées, les preparatory schools, il n’en admit pas moins, par la suite, que les grandes victoires anglaises (au diable les régiments écossais ou gallois !) furent préparées sur les terrains de cricket des écoles privées, la guerre n’étant qu’une forme suprême du sport où il est impossible de tricher (Orwell fut cependant l’un des premiers à dénoncer la concomitance entre sport et nationalisme dans un article visionnaire de 1945, “ The Sporting Spirit ”). Á Eton, il reçut sa part d’enseignement, de culture militariste. Il sut prendre du recul par rapport à cette vision du monde, ce qui ne l’empêcha pas de s’enrôler au sortir de l’enseignement secondaire, alors que rien ni personne ne l’y contraignait, dans la police impériale en Birmanie. Or c’est bel et bien durant sa plus tendre enfance que le futur écrivain avait été imprégné d’idéologie belliciste, d’une philosophie portant au plus haut niveau les valeurs de défense sacrée de la patrie, avec comme corollaire une dépréciation de l’ennemi. Orwell va se forger une conscience politique dans les années trente, non sans hésitations et revirements. Contre sa classe d’origine, la bourgeoisie impérialiste, et contre lui-même, en tirant parti de la névrose de culpabilité qui le taraude depuis l’enfance. Pour ce faire, il lui faudra passer par la France et l’immersion dans des franges défavorisées de la classe ouvrière, le Kent des travailleurs agricoles exploités et le Londres des clochards (voir son premier ouvrage, une biofiction : Down and Out in Paris and London, 1933. En français, Dans la dèche à Paris et à Londres). C’est qu’Orwell est de ces écrivains qui sont allés au-delà de leur monde et qui, de retour, ont adopté le regard du Persan : « Quand vous rentrez en Angleterre après un voyage à l’étranger, vous avez immédiatement la sensation de respirer un air différent […]. La bière est plus amère, les pièces de monnaie sont plus lourdes, l’herbe est plus verte, les publicités sont plus criardes. […] Alors l’immensité de l’Angleterre vous engloutit et vous perdez pour un instant de vue que la nation dans son ensemble possède un seul caractère identifiable. » Toute la complexité du patriotisme d’Orwell tient dans ces phrases. Il est capable d’observer son univers familier de l’extérieur, mais il est aussi terriblement anglo-centré. Cela dit, par delà des évidences assénées de manière aussi désarmante, il faut retenir qu’avant de s’émerveiller devant les « visages doux et noueux » de ses compatriotes, leurs « mauvaises dents » et leurs « bonnes manières », le « clic-clac des sabots dans les villes du Lancashire », Orwell avait su observer l’Angleterre à partir de la connaissance qu’il avait de son empire : c’est parce qu’il avait vécu au contact des masses exploitées d’Extrême-Orient qu’il pourrait sympathiser avec le lumpen-proletariat anglais puis avec la classe ouvrière proprement dite, « les victimes symboliques de l’injustice qui jouaient le même rôle en Angleterre que les Birmans en Birmanie » (1936). Après la découverte de la condition prolétarienne dans son pays, Orwell part se battre en Espagne, tout simplement parce qu’il faut se dresser contre le fascisme pour laisser une chance au socialisme. (…) Traumatisé par la défaite des Républicains, par la trahison des staliniens, Orwell va alors traverser une phase de doutes personnels durant laquelle les sentiments pacifistes et internationalistes vont prendre le dessus. D’avoir versé son sang, d’avoir été ainsi “ baptisé ”, autorise un Orwell dégoûté par la guerre à envisager, de 1937 à 1939, un certain cynisme dans la démission face à la menace hitlérienne. (…) Ainsi, après les années 1936-37 où, choqué par la brutalité de la classe dirigeante, par l’irréalisme des élites de la gauche libérale, il a adopté des comportements extrêmes (vivre dans la crasse chez des logeurs exploiteurs du Lancashire, descendre au fond de la mine, partager le lot des combattants de base en Catalogne), il pressent, vers 1938-1939, que le conflit qui s’annonce sera terrible et il recherche des valeurs modérées. Dans les très nombreuses pages qu’il consacre à l’Angleterre et à son peuple, il offre des images et des concepts de paix (dans son roman de 1938 Coming Up for Air – en français Un peu d’air frais, il fait dire à son narrateur : «Pêcher, c’est le contraire de faire la guerre »), de raison, de stabilité, de juste milieu. Mais pas de médiocrité. Orwell n’aimait pas les comportements petits. Il raille Napoléon se rendant aux Anglais par peur des Prussiens, Ludendorff se cachant derrière des lunettes de soleil ou encore cet empereur romain qui s’était barricadé dans des toilettes (Orwell mourut des années avant que le roi du Maroc Hassan II fasse de même). L’idéal d’Orwell à l’époque, c’est un Sancho Pança qui n’aurait pas peur des bombes mais qui ne se planterait pas poitrail nu face à la mitraille : « Une part de nous veut être un héro ou un saint, mais l’autre moitié c’est ce petit homme gras qui voit très clairement l’avantage qu’il y a à rester en vie. C’est notre moi privé, la voix de notre ventre qui proteste contre notre âme. » Aux sentiments anti-guerre qui transparaissaient çà et là dans le discours de Homage to Catalonia succède un comportement franchement pacifiste, en particulier durant l’hiver 1938-39, époque où, souffrant gravement des poumons, il réside pour quelques mois à Marrakech. Il pose qu’être pacifiste ce n’est pas forcément vouloir bloquer les réformes sociales. Il s’est forgé un socialisme dont le marxisme n’est pas totalement exclu (dans The Road to Wigan Pier, en particulier. En français, Le Quai de Wigan). Mais progressivement, et cela le mènera jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, il rejette ce qui, au niveau socio-politique, n’est pas, à ses yeux, anglais : le stalinisme, l’internationalisme prolétarien, le fascisme évidemment, mais aussi l’Église Catholique Romaine et tout ce qui s’apparente aux intellectuels de gauche européens. Il moque avec férocité l’îlot de pensée dissidente de ceux qui « vont chercher leurs recettes de cuisine à Paris et leurs idées à Moscou. » Face aux dangers – Hitler, la guerre, le capitalisme sauvage, l’industrialisation débridée – Orwell va donc partir dans une quête de l’anglicisé Sa patrie ne trouvera le salut que dans la réaffirmation de ses valeurs fondamentales. Une transformation de la société anglaise – qu’il appelle de ses vœux – ne se fera que dans le respect des traditions. De 1937 à 1940, le projet d’Orwell est d’établir une continuité entre l’Angleterre du présent et celle du passé. Bernard Gensane
L’essence, la force du patriotisme d’Orwell lui permirent durant deux décennies de tous les dangers de retrouver des valeurs stables, une morale en politique, et d’alimenter son instinct de conservation à la source de son amour pour son pays. Ce patriotisme n’était pas aveugle. L’honnêteté intellectuelle d’Orwell (certes relative), son pessimisme lucide, son humour froid au second degré le faisaient souvent passer pour un prophète de malheur. Ce n’est pas parce qu’il était fondamentalement patriote qu’il aimait et défendait l’Angleterre, mais c’est parce que l’amour de son pays était quintessencié qu’il était patriote. Parce qu’il souhaitait, vers 1940, un consensus politique national et que ce que l’Europe proposait (des régimes forts ou des démocraties en déliquescence) ne lui convenait pas, il soutiendrait son pays de droite comme de gauche (« My country Right and Left »), l’Angleterre de Chamberlain pouvant évoluer à court terme vers un changement radical de société. Orwell établissait par ailleurs une nette distinction entre patriotisme et nationalisme. Être patriote revenait à aimer un endroit, un mode de vie que l’on considérait comme les meilleurs au monde, mais sans pour autant vouloir les imposer aux autres. Pour Orwell, le patriotisme était par nature défensif, militairement et culturellement parlant. Il impliquait par ailleurs une adhésion volontaire à un espace, à une communauté et à des valeurs. Inversement, il concevait le nationalisme comme l’idéologie belliqueuse d’individus en quête de prestige, non pour eux-mêmes mais pour des ensembles dans lesquels ils choisissent d’enfouir leur propre personnalité. Un communiste ne pouvait donc pas, selon lui, être patriote, mais seulement nationaliste, puisqu’il était capable, en l’espace de quelques jours, de transférer ses allégeances selon les nécessités de l’actualité, son rapport à sa terre, à sa patrie étant extrêmement ténu. Il avait établi une typologie de différentes formes de nationalismes : la forme “ positive ”, incarnée par le nationalisme celtique, le sionisme, et ceux qui n’admettaient pas le recul de l’influence anglaise dans le monde ; un nationalisme de “ transfert ” (il faisait se côtoyer le communisme, le pacifisme, le catholicisme militant, la conscience de classe) (…) La pensée d’Orwell, dans la dernière partie de sa vie, préfigure l’idéologie travailliste des années cinquante, celle qui a rompu, dans les faits, avec le marxisme. Pour Orwell qui, de 1945 à sa mort en 1950, est un sympathisant du Labour, le socialisme se résume à davantage d’égalité et le remplacement des élites obsolètes par ce qu’on n’appelle pas encore la méritocratie. (…) De plus sa pensée, surtout quand elle est novatrice, est constamment bridée par des interférences personnelles. Qu’il écrive des pages anti-impérialistes, socialistes, révolutionnaires ou réformistes, l’image de l’homme vaincu, isolé pour qui un changement profond de société impulsé par le “ peuple ” est une chimère, domine. On peut supposer que le pessimisme d’Orwell a été alimenté par l’échec de soulèvements populaires, comme ceux de Kronstadt ou de Varsovie, sans parler de la prise de Barcelone par les Franquistes. Les patriotes sont ceux qui, pour nous résumer, sont prêts à prendre les armes pour mener une guerre populaire. Les ennemis de la patrie sont les pro-fascistes. L’idée d’une victoire d’Hitler plait aux très riches, aux communistes, aux Chemises noires d’Oswald Mosley (parti fasciste qui, étrangement, fut le premier parti anglais à adopter un programme économique keynésien !), aux pacifistes et à certaines factions catholiques. Et puis, si les choses tournaient mal sur le front intérieur, la totalité des plus pauvres des ouvriers pourrait adopter une position défaitiste mais pas pro-hitlérienne dans les faits. Il restait donc les trois-quarts de la classe ouvrière et la petite bourgeoisie moins les intellectuels de gauche car ces derniers s’étaient, rappelons-le, déconsidérés depuis une dizaine d’années au moins. Le combat étant national et même nationaliste, il faudrait se méfier de cette « intelligentsia européanisée ». De 1945 à 1950, le mot “ patriotisme ” n’apparaît jamais plus sous la plume d’Orwell. Visionnaire comme Churchill – dont il partage certaines conceptions en matière de géopolitique, Orwell a compris que la division du monde est un état de fait durable. Contre ceux qui envisagent une fusion pure et simple des États-Unis et de la Grande Bretagne, contre une petite minorité d’Anglais qui rêve d’une intégration au système soviétique, il envisage des « États-Unis socialistes d’Europe». L’essayiste qui, en 1947, publie dans la revue d’extrême-gauche étasunienne Partisan Review l’article “ Toward European Unity ” rédige les premières moutures d’un univers fictionnel d’où sont absentes les valeurs de la civilisation occidentale, le patriotisme y compris. Bernard Gensane
Qu’est-ce qu’Orwell-Bouwling perçoit d’insupportable et même de terrifiant chez le professionnel de l’antifascisme ? Le fonctionnement mécanique de son langage. Son discours et ses mots ont perdu tout contact avec le monde ordinaire. Ils ont même vampirisé son esprit et s’y sont installés à demeure en se substituant à son expérience. Dès lors, leur contenu importe moins que le pouvoir qu’ils lui donnent sur ceux à qui il s’adresse. Ses mots sont devenus les instruments d’une violence qu’il exerce à l’égard des autres. Mais elle opère aussi sur lui-même puisqu’il n’éprouve plus qu’une seule émotion : la haine. Bien qu’il se réclame de la démocratie, le propagandiste antifasciste a déjà quelque chose de l’intellectuel totalitaire. L’opposé du l’homme ordinaire en effet est l’homme totalitaire, c’est-à-dire l’individu qui est dépossédé de sa capacité d’exercer son jugement de manière indépendante, et du même coup de sa capacité d’éprouver tout l’éventail des sentiments ordinaires. C’est ce qu’annonce au héros de 1984 l’intellectuel dirigeant qui le torture : « Jamais plus tu ne seras capable d’un sentiment humain ordinaire (ordinary human feeling). Tout sera mort en toi. Tu ne seras plus jamais capable d’amour, d’amitié, de joie de vivre, de rire, de curiosité, de courage ou d’intégrité. Tu seras creux. Nous allons te presser jusqu’à ce que tu sois vide, puis nous te remplirons de nous-mêmes.» Il importe de bien comprendre ici que l’adjectif « totalitaire » ne s’applique pas seulement pour Orwell à des régimes et à des mouvements politiques mais à des idées et mécanismes intellectuels qui sont partout à l’œuvre dans le monde moderne. Comme l’explique bien James Conant, « tel qu’[Orwell] l’emploie, le terme “totalitarisme” désigne des stratégies (à la fois pratiques et intellectuelles) qui […] sont appelées ainsi parce qu’elles ont pour but de parvenir à un contrôle total de la pensée, de l’action et des sentiments humains». On observera que cet usage du terme « totalitaire » est conforme à celui de son inventeur probable, le libéral antifasciste italien Giovanni Amendola, qui écrivait en avril 1923 : « Le fascisme ne vise pas tant à gouverner l’Italie qu’à monopoliser le contrôle des consciences italiennes. Il ne lui suffit pas de posséder le pouvoir : il veut posséder la conscience privée de tous les citoyens, il veut la “conversion” des Italiens.» L’usage orwellien du terme « totalitaire », poursuit Conant, « ne recouvre pas seulement des formes de régimes politiques mais aussi des types de pratiques et d’institutions plus envahissantes et plus spécifiques (diverses pratiques journalistiques comptent parmi ses exemples favoris). Mais par-dessus tout, Orwell applique ce terme aux idées des intellectuels – et pas seulement à celles qui ont cours dans […] les “pays totalitaires” mais à des idées qui circulent dans tout le monde industriel moderne». La réponse d’Orwell est claire : les idées qui sont capables de briser notre relation au monde ordinaire. Ce qui rend une idée totalitaire, ce n’est pas son contenu particulier (rien n’est plus opposé quant à leurs contenus respectifs que les idées fascistes et les idées communistes) mais son fonctionnement, ou, plus exactement, sa capacité à fonctionner comme une arme pour détruire l’homme ordinaire. Aucun régime ou mouvement totalitaire n’a jamais proclamé que deux et deux font cinq. Ce serait une croyance aussi absurde que peu efficace. Mais si Orwell en fait le paradigme de l’idée totalitaire, c’est que l’absurdité même de son contenu fait mieux ressortir sa fonction première : priver les individus de tout usage de leur propre entendement (pour parler comme Kant) ou de tout usage de leurs propres concepts (pour parler comme Wittgenstein et Cavell). Si « deux et deux font quatre » n’est pas vrai, ou s’il n’est pas vrai que les pierres sont dures, alors je ne sais plus ce que veut dire le mot « vrai », et je ne peux plus l’utiliser. Il convient de remarquer ici que, pour Orwell, la possibilité d’implanter des dogmes totalitaires irrationnels dans un esprit dépend de la perméabilité de celui-ci aux arguments du scepticisme philosophique. Il y a ainsi dans 1984 un moment sceptique où Winston se dit à lui-même : « Le Parti finirait par annoncer que deux et deux font cinq et il faudrait le croire. Il était inéluctable que, tôt ou tard, il fasse cette déclaration. La logique de sa position l’exigeait. Ce n’était pas seulement la validité de l’expérience mais l’existence même d’une réalité extérieure qui était tacitement niée par sa philosophie. L’hérésie des hérésies était le sens commun. Et ce qui était terrifiant, ce n’était pas qu’ils vous tuent si vous pensiez autrement, mais que peut-être ils avaient raison. Car, après tout, comment pouvons-nous savoir que deux et deux font quatre ? Ou qu’il y a une force de gravitation ? Ou que le passé est immuable ? Si le passé et le monde extérieur n’existent que dans l’esprit et si l’esprit lui-même peut être contrôlé – alors quoi ? » De manière remarquable, Winston ne va échapper à cette menace sceptique, qui le rend vulnérable aux arguments des intellectuels du Parti, que par un raffermissement soudain de sa confiance en lui-même. « Mais non ! Son courage lui sembla soudain suffisant pour s’affermir de lui-même (to stiffen of its own accord).» Cette confiance en lui ne le quittera plus, jusqu’au moment où la torture en brisant son corps laissera son esprit définitivement sans défense face à la dialectique destructrice d’O’Brien. Comme l’a clairement vu le philosophe américain Stanley Cavell, la résistance au scepticisme (et donc au dogmatisme) n’est pas affaire de connaissance théorique ou d’argument philosophique mais de reconnaissance ou d’acceptation du monde ordinaire. « Ce que laisse entendre le scepticisme, c’est que, comme nous n’avons aucun moyen de nous assurer que le monde existe, sa présence à nous-même ne relève pas du connaître. Le monde doit être accepté.» Ce qu’Orwell décrit comme la passivité de l’homme ordinaire n’est ainsi rien d’autre que son acceptation du monde ordinaire. À l’inverse, les intellectuels ont une forte tendance à ne pas se reconnaître comme des hommes ordinaires, c’est-à-dire à ne pas reconnaître la part écrasante de l’ordinaire dans leurs existences. Dans sa recension, en 1936, de Printemps noir d’Henry Miller, Orwell se demande pourquoi « la fiction anglaise de haut niveau est écrite la plupart du temps par des lettrés sur des lettrés pour des lettrés. […] Dickens a su exprimer sous une forme comique, schématique et par là même mémorable, l’honnêteté native de l’homme ordinaire (the native decency of the common man). Et il est important que, sous ce rapport, des gens de toutes sortes puissent être décrits comme “ordinaires” (“common”). Dans un pays tel que l’Angleterre, il existe, par-delà la division des classes, une certaine unité de culture. Tout au long de l’ère chrétienne, et plus nettement encore après la Révolution française, le monde occidental a été hanté par les idées de liberté et d’égalité. Ce ne sont que des idées, mais elles ont pénétré toutes les couches de la société. On voit partout subsister les plus atroces injustices, cruautés, mensonges, snobismes, mais il est peu de gens qui puissent contempler tout cela aussi froidement qu’un propriétaire d’esclaves romains, par exemple». Cet éloge de la common decency, de l’honnêteté commune, appelle quelques remarques. Bien qu’Orwell la dise « native », au sens où elle ne découle pas d’un code moral explicite ni de prescriptions enseignées comme telles, l’honnêteté commune est un héritage historique. Elle était inconnue du propriétaire d’esclaves romain et Orwell l’associe au christianisme et à la Révolution française. Mais si elle est apparue dans l’histoire, elle peut également en disparaître. Le totalitarisme n’est rien d’autre que la tendance à la liquidation de l’honnêteté commune – tendance méthodiquement et systématiquement mise en œuvre par certains courants et régimes politiques, mais tendance inscrite comme une possibilité dans la structure même des sociétés contemporaines. La common decency a pénétré toutes les classes de la société. Elle n’a pas aboli celles-ci, bien évidemment, pas plus qu’elle n’a aboli la lutte des classes. Mais elle constitue un ensemble de dispositions et d’exigences à partir desquelles des hommes appartenant à des classes différentes, voire antagonistes, peuvent, pourvu qu’ils le veuillent vraiment, partager quelque chose de leurs existences. On peut aller plus loin : c’est cette honnêteté commune qui est au principe du projet socialiste d’abolition de la domination de classe et des différences de classe. Orwell ne dit pas comme Engels : faisons d’abord la révolution ; alors, dans les nouvelles conditions économiques et sociales émergera une humanité nouvelle et par conséquent une morale nouvelle que nous sommes incapables aujourd’hui d’anticiper. Orwell dit plutôt : nous savons tous parfaitement ce qu’est l’honnêteté commune ; faisons la révolution pour abolir les barrières de classe qui l’offensent en permanence et qui empêchent qu’elle soit la base effective de la vie sociale. Aucune révolution démocratique ne saurait nous dispenser de l’honnêteté commune. Celle-ci est même la condition sans laquelle la révolution ne saurait être démocratique et aboutira au remplacement d’une classe dirigeante par une autre. « Ce qui me fait peur avec l’intelligentsia moderne, c’est son incapacité à se rendre compte que la société humaine doit avoir pour base l’honnêteté commune (common decency), quelles que puissent être ses formes politiques et économiques. » En effet, l’intelligentsia moderne s’est coupée de ce socle à la fois historique et humain qu’est l’honnêteté commune. Fascinée par la politique de la force, elle est devenue antidémocratique en politique et « réaliste », c’est-à-dire cynique, en morale. Orwell appelle « réalisme » « la doctrine qui veut que la force prime le droit », et il voit dans « la montée du “réalisme” […] le grand événement de l’histoire intellectuelle de notre époque ». (…) On peut juger cette explication un peu courte. Elle a toutefois l’immense mérite de soulever une question importante et difficile : si le monde ordinaire est le monde de mon expérience, il ne peut pas être un monde abstrait où hommes, choses, lieux et coutumes sont interchangeables ; c’est nécessairement un monde concret et particulier : un pays ou une région, une langue, une culture, des institutions, une histoire, etc. Si dans Le Lion et la licorne, un petit livre qu’il publie en 1941 et qui porte comme sous-titre Socialisme et génie anglais, Orwell exalte le mode de vie anglais (de la « bonne tasse de thé »jusqu’aux emblèmes de la royauté) et s’il y conjugue socialisme et patriotisme (qu’il distingue très fermement du nationalisme), ce n’est pas pour concilier artificiellement ses convictions politiques profondes avec l’urgence immédiate de la défense de l’Angleterre. Il l’a proclamé à plusieurs reprises, non sans un brin de provocation : « Aucun révolutionnaire authentique n’a jamais été un internationaliste.» En tout cas, il ne s’est jamais reconnu dans l’internationalisme abstrait du communisme qu’il n’a cessé de dénoncer comme un instrument à peine masqué de la politique de puissance soviétique. Et quand, en décembre 1936, il part combattre en Espagne, il ne le fait pas en activiste de la révolution mondiale mais comme un Anglais socialiste, solidaire des Espagnols antifascistes ; et c’est dans cet esprit qu’il écrira Hommage à la Catalogne. Le patriotisme assumé d’Orwell n’est sûrement pas sans rapport avec l’imperméabilité de la classe populaire anglaise au fascisme comme au stalinisme, aussi avec l’imperméabilité de la classe dirigeante anglaise au fascisme. Dans sa « Lettre de Londres » à la Partisan Review de juillet-août 1941, il écrit : « Ce type de climat où vous n’osez pas parler politique de peur que la Gestapo ne surprenne vos paroles, ce climat est tout bonnement impensable en Angleterre. Toute tentative de l’instaurer sera brisée dans l’œuf, non pas tant par une résistance consciente que par l’incapacité des gens ordinaires (ordinary people) à comprendre ce qu’on attendrait d’eux. Une fois encore, Orwell table moins sur la lucidité de George Bowling que sur sa passivité. Quant à la classe dirigeante, dont il craignait avant guerre qu’elle ne profite du déclenchement des hostilités pour faire basculer le pays dans un anglo-fascisme comparable à l’austro-fascisme d’un Dollfuss, il doit reconnaître qu’elle reste fondamentalement attachée au libéralisme. « La classe dirigeante britannique croit à la démocratie et à la liberté individuelle en un sens étroit et quelque peu hypocrite. Mais du moins, elle croit à la lettre de la loi et s’y tiendra parfois même quand elle n’est pas à son avantage. Rien n’indique qu’elle évolue vers une mentalité véritablement fasciste. La Grande-Bretagne peut être fascisée de l’extérieur ou au terme d’une révolution intérieure, mais la vieille classe dirigeante ne peut, à mon sens, être elle-même l’agent d’un totalitarisme véritable.» Les seuls, encore une fois, qui en Angleterre aient été gagné au totalitarisme sont des intellectuels. Dans l’après-guerre, Orwell verra en eux quelque chose comme un parti de l’étranger. Comme on le voit, le modèle de l’intellectuel ordinaire – de l’intellectuel qui se reconnaît comme un homme ordinaire – se distingue très clairement de celui de l’intellectuel engagé. Celui-ci se vit d’abord comme séparé, puis va rejoindre le combat des autres hommes au nom des valeurs intellectuelles et universelles qui sont les siennes : il court ainsi le risque permanent de se poser comme une autorité dictant aux autres ce qu’ils doivent faire ou assignant à leurs actes un sens qu’il prétend mieux connaître qu’eux-mêmes. L’intellectuel ordinaire, lui, vit les événements et y réagit en homme ordinaire qu’il est et qu’il reconnaît être. Orwell a vécu l’approche de la guerre et la montée des totalitarismes avec les mêmes sentiments et les mêmes réactions que son vendeur d’assurances George Bowling. Certes, parce qu’il était un intellectuel, et plus particulièrement un écrivain, il avait la capacité de mettre ses réactions en mots et en idées. Mais il ne prétendait pas pour autant être un porte-parole. On peut se demander si ce modèle ne constitue pas pour un intellectuel la seule manière d’essayer d’être et de rester un démocrate. Jean-Jacques Rosat
C’est la décence commune, imbécile !
En ces temps de politiquement correct et de novlangue généralisés …
Comme de mensonge entériné par la loi même, entre « mariage pour tous », « enfants pour tous » et sportives transgenres qui gagnent toutes les courses, sur l’origine de la vie ….
Où les débats politiques se transforment en procès staliniens …
Sommant leurs victimes publiquement de faire leur propre autocritique …
Et où face à un camp démocrate …
Complètement déconnecté de la réalité …
L’ancien maire de New York et multimilliardaire Michael Bloomberg …
Se voit contraint de renier son franc-parler proprement trumpien …
Jusqu’à s’excuser d’avoir réduit de moitié le nombre de meurtres de sa ville …
Et où avec la technologie occidentale et les conséquences internationales que l’on sait, la Chine ressemble de plus en plus à 1984 …
Alors que par la voie plus « douce » de la servitude volontaire, l’Occident que nous sommes se livre de plus en plus allègrement au Big brother des GAFAM …
Pendant qu’en Europe, les mêmes dirigeants qui ont imposé à leur population des millions de clandestins musulmans …
Dont nombre d’auteurs d’actes dits « de déséquilibrés » …
N’hésitent pas à dénoncer comme « poison raciste » …
Les réactions de rejet qu’ils ont eux-mêmes provoquées …
Comment ne pas repenser …
Contre la réduction au populisme et au fascisme …
De toute parole libre ou d’amour de son pays …
Aux avertissements désormais prophétiques d’un George Orwell …
Dont on fêtait le 70e anniversaire de la mort il y a tout juste un mois…
Contre cette singulière propension, béatification de Gandhi comprise, à l’aveuglement de nos intellectuels …
Qui « vont chercher leurs recettes de cuisine à Paris et leurs idées à Moscou » …
Et ne pas se remémorer …
A l’instar de son contemporain français Camus qu’il faillit d’ailleurs rencontrer…
Sa dévotion à la vérité et à sa défense de « l’homme ordinaire » …
Autrement dit à sa fameuse « décence commune » …
Quand les intellectuels s’emparent du fouet
Orwell & la défense de l’homme ordinaire
Jean-Jacques Rosat
p. 89-109
revue Agone
Numéro 34 | 2005
Notes de la rédaction
Ce texte a pour origine une communication présentée au colloque « Le politique et l’ordinaire » organisé à l’université de Picardie (Amiens) les 5 et 6 avril 2004 par Sandra Laugier, Laurent Bove et Claude Gauthier.
La collection « Banc d’essais », que dirige Jean-Jacques Rosat aux éditions Agone, fera paraître en 2006 un essai de John Newsinger, traduit de l’anglais par Bernard Gensane et consacré à La Politique selon Orwell ; également en projet dans cette collection, préfacé et traduit par Jean-Jacques Rosat, un essai de James Conant, Orwell ou le Pouvoir de la vérité.
La question décisive en politique n’est pas de savoir si l’on dispose de la théorie vraie : comme toutes les théories, les théories politiques sont faillibles et partielles ; et, parce qu’elles sont politiques, elles peuvent facilement devenir des instruments de pouvoir et de domination. La question politique décisive est de savoir comment, dans le monde moderne, chacun, même s’il est un intellectuel, peut rester un homme ordinaire, comment il peut conserver sa capacité de se fier à son expérience et à son jugement, comment il peut préserver son sens du réel et son sens moral.
Cette idée est clairement formulée dans une page célèbre de 1984 : « Le Parti vous disait de rejeter le témoignage de vos yeux et de vos oreilles. C’était son commandement ultime, et le plus essentiel. Le cœur de Winston défaillit quand il pensa à l’énorme puissance déployée contre lui, à la facilité avec laquelle n’importe quel intellectuel du Parti le vaincrait dans une discussion, aux arguments qu’il serait incapable de comprendre et auxquels il pourrait encore moins répondre. Et cependant, c’était lui qui avait raison ! Ils avaient tort, et il avait raison. Il fallait défendre l’évident, le bêta et le vrai. Les truismes sont vrais, cramponne-toi à cela. Le monde matériel existe, ses lois ne changent pas. Les pierres sont dures, l’eau est humide, et les objets qu’on lâche tombent vers le centre de la terre. Avec le sentiment […] qu’il posait un axiome important, il écrivit : “La liberté, c’est la liberté de dire que deux et deux font quatre. Si cela est accordé, tout le reste suit.”1 »
Il y a donc un monde ordinaire. Les pierres y sont dures, et deux plus deux y font quatre.
Cette caractérisation du monde ordinaire à partir des jugements de perception et des jugements arithmétiques remonte, dans la pensée d’Orwell, à l’année 1936 au moins, soit treize ans avant la publication de 1984. Dans une lettre à l’écrivain américain Henry Miller, l’auteur de Tropique du Cancer, il déclare : « J’ai en moi une sorte d’attitude terre à terre solidement ancrée qui fait que je me sens mal à l’aise dès que je quitte ce monde ordinaire où l’herbe est verte, la pierre dure, etc.2 » Et dans une recension strictement contemporaine de Printemps noir, un roman du même Miller, Orwell explique que « le mot écrit perd son pouvoir s’il s’éloigne trop ou, plus exactement, s’il demeure trop longtemps éloigné du monde ordinaire où deux et deux font quatre3 ». Comme le fait observer le philosophe américain James Conant, les jugements de perception et les jugements arithmétiques élémentaires ont un point commun : « Une fois qu’un membre de notre communauté linguistique est devenu compétent dans l’application des concepts appropriés (perceptuels ou arithmétiques), ce sont deux types de jugements dont il peut facilement établir, individuellement et par lui-même, la vérité ou la fausseté. Une fois qu’il a acquis les concepts appropriés et qu’il les a complètement maîtrisés, ce sont des domaines où il est capable de prononcer un verdict sans s’occuper de ce que devient, au sein de sa communauté, le consensus les concernant. […] Quand le verdict concerne, par exemple, quelque chose que vous êtes le seul à avoir vu, vous avez d’excellentes raisons a priori de vous fier davantage à votre propre vision de l’événement qu’à une version contradictoire, parue, disons, dans le journal.4 »
L’existence du monde ordinaire repose donc sur la capacité de chacun de nous à établir la vérité d’un certain nombre d’affirmations par lui-même, indépendamment de ce que peuvent affirmer les autres et, plus encore, indépendamment de tout pouvoir. Cette capacité est la caractéristique première de l’homme ordinaire. En se cramponnant à ces affirmations, Winston, le personnage central de 1984, lutte pour rester un homme ordinaire, pour penser et agir en sorte que le monde ordinaire continue d’exister.
Car le monde ordinaire peut disparaître.
C’est la découverte terrifiante qu’a faite Orwell en 1937 – un choc qui va déterminer pour le reste de sa vie aussi bien son activité politique que son travail d’écrivain. De retour d’Espagne après avoir combattu le fascisme dans la milice du POUM et après avoir dû s’enfuir pour échapper d’extrême justesse à son arrestation par les communistes, il est abasourdi par la manière dont la presse de gauche anglaise rend compte des événements espagnols et par le degré auquel les intellectuels de gauche ne veulent rien savoir de la liquidation systématique des anarchistes et des militants du POUM par les staliniens. Voici comment, dans ses « Réflexions sur la guerre d’Espagne », écrites cinq ans plus tard, en 1942, à Londres et sous les bombes allemandes, il évoque sa prise de conscience de ce qui est pour lui le trait essentiel, totalement neuf et totalement terrifiant, du totalitarisme : « Tôt dans ma vie, je m’étais aperçu qu’un journal ne rapporte jamais correctement aucun événement, mais en Espagne, pour la première fois, j’ai vu rapporter dans les journaux des choses qui n’avaient plus rien à voir avec les faits, pas même le genre de relation que suppose un mensonge ordinaire. J’ai vu rapporter de grandes batailles là où aucun combat n’avait eu lieu et un complet silence là où des centaines d’hommes avaient été tués. […] J’ai vu les journaux de Londres débiter ces mensonges et des intellectuels zélés bâtir des constructions émotionnelles sur des événements qui n’avaient jamais eu lieu. J’ai vu, en fait, l’histoire s’écrire non pas en fonction de ce qui s’était passé, mais en fonction de ce qui aurait dû se passer selon les diverses “lignes de parti”. […] Ce genre de chose m’effraie, car il me donne souvent le sentiment que le concept même de vérité objective est en voie de disparaître du monde. […] Je suis prêt à croire que l’histoire est la plupart du temps inexacte et déformée, mais, ce qui est propre à notre époque, c’est l’abandon de l’idée que l’histoire pourrait être écrite de façon véridique. Dans le passé, les gens mentaient délibérément, coloraient inconsciemment ce qu’ils écrivaient, ou cherchaient la vérité à grand-peine, tout en sachant bien qu’ils commettraient inévitablement un certain nombre d’erreurs. Mais, dans tous les cas, ils croyaient que les “faits” existent, et qu’on peut plus ou moins les découvrir. Et, dans la pratique, il y avait toujours tout un ensemble de faits sur lesquels à peu près tout le monde pouvait s’accorder. Si vous regardez l’histoire de la dernière guerre [la Première Guerre mondiale], dans l’Encyclopedia Britannica par exemple, vous vous apercevrez qu’une bonne partie des données sont empruntées à des sources allemandes. Un historien allemand et un historien anglais seront en profond désaccord sur bien des points, et même sur des points fondamentaux, mais il y aura toujours cet ensemble de faits neutres, pourrait-on dire, à propos desquels aucun des deux ne contestera sérieusement ce que dit l’autre. C’est précisément cette base d’accord […] que détruit le totalitarisme. […] L’objectif qu’implique cette ligne de pensée est un monde de cauchemar où le Chef, ou une clique dirigeante, ne contrôle pas seulement l’avenir, mais aussi le passé. Si le Chef dit de tel ou tel événement “cela n’a jamais eu lieu” – eh bien, cela n’a jamais eu lieu. S’il dit que deux et deux font cinq – eh bien, deux et deux font cinq. Cette perspective me terrifie beaucoup plus que les bombes – et après ce que ce que nous avons vécu ces dernières années, ce ne sont pas là des propos en l’air.5 »
I —
Qui donc est l’homme ordinaire, ce « dernier homme en Europe » (c’était le titre initial de 1984) dont dépend rien de moins que l’avenir de la liberté et de la civilisation ?
L’homme ordinaire n’est ni le militant ni le citoyen. L’horizon de ses jugements n’est ni l’histoire de l’humanité ni la nation, mais le monde concret et particulier de son expérience, celui sur lequel il a prise et où ses actes ont un sens pour lui. Dans son essai intitulé Dans le ventre de la baleine, Orwell crédite Henry Miller d’avoir donné dans un roman comme Tropique du Cancer une image plus juste de l’homme ordinaire que bien des romanciers engagés : « Parce qu’il est passif par rapport à l’expérience, Miller peut s’approcher davantage de l’homme ordinaire que des auteurs plus soucieux d’engagement. L’homme ordinaire est passif. À l’intérieur d’un cercle étroit (sa vie familiale, et peut-être le syndicat ou la politique locale), il se sent maître de son destin ; mais face aux grands événements majeurs, il est tout aussi démuni que face aux éléments. Bien loin de tenter d’agir sur l’avenir, il file doux et attend que les choses se passent.6 » On le rencontre par exemple dans « les livres écrits sur la Grande Guerre [qui] sont l’œuvre de simples soldats ou d’officiers subalternes, qui ne prétendaient même pas comprendre de quoi il retournait – des livres comme À l’ouest rien de nouveau, Le Feu [ou] L’Adieu aux armes […], écrits non par des propagandistes, mais par des victimes7 ».
L’homme ordinaire, ajoute Orwell, est « apolitique et amoral », non pas au sens où il ignorerait tout code moral et ne voterait jamais aux élections, mais au sens où ni les doctrines morales ni les idéologies politiques ne sont les véritables ressorts de sa conduite. Cette passivité rend l’homme ordinaire plus sensible et plus réceptif aux événements qui bouleversent notre monde et à leur véritable signification que celui qui les appréhende essentiellement à travers les doctrines et les mots.
Dans Un peu d’air frais – le roman qu’Orwell écrit dans l’ambiance de l’avant-Deuxième Guerre mondiale –, le héros et narrateur, George Bowling, ancien combattant de 1914-1918 et vendeur d’assurances dans le civil, est le prototype de l’homme ordinaire. Mieux qu’un intellectuel ou un militant, il voit littéralement non seulement la nouvelle guerre qui vient mais surtout l’après-guerre : « Je ne suis pas un imbécile, mais je ne suis pas non plus un intellectuel (a highbrow). En temps normal, mon horizon ne dépasse pas celui du type moyen de mon âge, qui gagne sept livres par semaines et qui a deux gosses à élever. Et pourtant, j’ai assez de bon sens pour voir que l’ancienne vie à laquelle nous sommes accoutumés est en voie d’être détruite jusque dans ses racines. Je sens que ça vient. Je vois la guerre qui approche et l’après-guerre, les queues devant les magasins d’alimentation, la police secrète et les hauts-parleurs qui vous disent ce qu’il faut penser. Et je ne suis pas le seul dans ce cas. Il y en a des millions comme moi. Les types ordinaires (ordinary chaps) que je croise partout, les types que je rencontre dans les pubs, les conducteurs d’autobus, les représentants en quincaillerie – tous se rendent compte que le monde va mal.8 »
Bowling pense que l’instauration d’un régime fasciste en Angleterre ne changerait pas grand-chose à sa vie quotidienne, puisqu’il n’est pas politiquement engagé. Et pourtant, cette perspective lui est insupportable. « Qu’adviendra-t-il de gens comme moi si nous devons avoir le fascisme en Angleterre ? La vérité est que ça ne fera probablement pas la moindre différence. […] Le type ordinaire comme moi, celui qui passe inaperçu, suivra son train-train habituel. Et pourtant, ça me terrifie – je vous dis que ça me terrifie.9 » En janvier 1940, pendant la « drôle de guerre », Orwell écrit à son éditeur, Victor Gollancz : « Ce qui me tracasse en ce moment, c’est qu’on ne sait pas très bien si dans des pays comme l’Angleterre les gens ordinaires (the ordinary people) font suffisamment la différence entre démocratie et despotisme pour avoir envie de défendre leurs libertés. […] Les intellectuels qui affirment aujourd’hui que démocratie et fascisme c’est blanc bonnet et bonnet blanc, etc., me dépriment au plus haut point. Mais il se peut qu’au moment de l’épreuve de vérité les gens ordinaires (the common people) s’avèrent être plus intelligents que les gens intelligents (more intelligent than the clever ones).10 »
En somme, George Orwell a plutôt confiance dans les réactions de George Bowling.
Un des épisodes les plus remarquables d’Un peu d’air frais est celui où Bowling se rend à une réunion du Club du Livre de Gauche. Ce Club a réellement existé : créé en mai 1936 par l’éditeur Victor Gollancz, c’était un club de diffusion de livres militants (le premier titre proposé à ses membres fut un livre de Maurice Thorez, La France d’aujourd’hui et le Front populaire) et, en même temps, un réseau de cercles qui organisaient des conférences et qui compta jusqu’à 1 200 groupes et 57 000 membres à travers toute l’Angleterre. C’est d’ailleurs par le Club du Livre de Gauche que fut publié et diffusé en 1937 le premier livre d’Orwell à connaître le succès, Le Quai de Wigan (44 000 exemplaires), un reportage sur la vie des ouvriers dans le nord de l’Angleterre11. Cela n’empêcha pas Orwell de combattre vigoureusement la ligne « Front populaire » défendue à cette époque par Gollancz et par le Club du Livre de Gauche. Orwell y voyait une stratégie visant à placer le mouvement ouvrier européen sous la coupe des partis communistes, donc à le subordonner aux exigences de la politique extérieure de l’Union soviétique, et, par conséquent, à stériliser toutes ses potentialités révolutionnaires.
Bowling, l’homme ordinaire, assiste donc à une conférence de dénonciation du fascisme et de Hitler prononcée par un propagandiste et activiste officiel du Front populaire, « un type venu de Londres ». Mais il n’y entend que des mots vides et de la haine. L’orateur lui-même est creux, hormis sa haine. « Vous connaissez le refrain. Ces types-là peuvent vous le moudre pendant des heures, comme un gramophone. Tournez la manivelle, pressez le bouton, et ça y est. Démocratie, fascisme, démocratie. Je trouvais quand même un certain intérêt à l’observer. Un petit homme assez minable, chauve et blanc comme un linge, debout sur l’estrade, à lâcher des slogans. Qu’est-ce qu’il fait là ? Ouvertement, de façon délibérée, il attise la haine. Il se démène pour vous faire haïr certains étrangers qu’il appelle fascistes. Drôle de chose, je me disais, être “M. Untel, l’antifasciste bien connu”. Drôle d’affaire, l’antifascisme. Ce type, je suppose qu’il gagne sa croûte en écrivant des livres contre Hitler. Qu’est-ce qu’il faisait avant Hitler ? Et qu’est-ce qu’il fera si Hitler disparaît ? […] Il essaie d’attiser la haine chez ceux qui l’écoutent, mais ce n’est rien à côté de la haine qu’il éprouve personnellement. […] Si vous le fendiez en deux pour l’ouvrir, tout ce que vous y trouveriez ce serait démocratie-fascisme-démocratie. Ce serait intéressant de connaître la vie privée d’un type pareil. Mais a-t-il seulement une vie privée ? Ou se répand-il d’estrade en estrade, en attisant la haine ? Peut-être même rêve-t-il en slogans ? […] Je vis la vision qui était la sienne. […] Ce qu’il voit […], c’est une image de lui-même frappant des visages avec une clé anglaise, des visages fascistes, bien entendu. […] Frappe ! Au beau milieu ! Les os se brisent comme une coquille d’œuf, et le visage de tout à l’heure n’est plus qu’un gros pâté de confiture de fraise. […] C’est ce qu’il a en tête, qu’il dorme ou qu’il veille, et plus il y pense, plus il aime ça. Et tout est très bien du moment que les visages écrabouillés sont des visages fascistes. C’est ce que vous pouviez entendre au son même de sa voix.12 »
On ne saurait soupçonner Orwell de faiblesse à l’égard du fascisme : dès décembre 1936, il partit le combattre en Espagne les armes à la main, et la balle qui, en mai 1937, lui traversa la gorge et faillit lui coûter la vie venait d’une tranchée fasciste. Orwell-Bowling déteste donc le fascisme au moins autant que le propagandiste à la tribune. Mais il ne le déteste pas de la même manière. Et la manière ici est essentielle. Il le déteste comme un homme ordinaire, pas comme un intellectuel activiste. Qu’est-ce qu’Orwell-Bouwling perçoit d’insupportable et même de terrifiant chez le professionnel de l’antifascisme ? Le fonctionnement mécanique de son langage. Son discours et ses mots ont perdu tout contact avec le monde ordinaire. Ils ont même vampirisé son esprit et s’y sont installés à demeure en se substituant à son expérience. Dès lors, leur contenu importe moins que le pouvoir qu’ils lui donnent sur ceux à qui il s’adresse. Ses mots sont devenus les instruments d’une violence qu’il exerce à l’égard des autres. Mais elle opère aussi sur lui-même puisqu’il n’éprouve plus qu’une seule émotion : la haine. Bien qu’il se réclame de la démocratie, le propagandiste antifasciste a déjà quelque chose de l’intellectuel totalitaire.
II —
L’opposé du l’homme ordinaire en effet est l’homme totalitaire, c’est-à-dire l’individu qui est dépossédé de sa capacité d’exercer son jugement de manière indépendante, et du même coup de sa capacité d’éprouver tout l’éventail des sentiments ordinaires. C’est ce qu’annonce au héros de 1984 l’intellectuel dirigeant qui le torture : « Jamais plus tu ne seras capable d’un sentiment humain ordinaire (ordinary human feeling). Tout sera mort en toi. Tu ne seras plus jamais capable d’amour, d’amitié, de joie de vivre, de rire, de curiosité, de courage ou d’intégrité. Tu seras creux. Nous allons te presser jusqu’à ce que tu sois vide, puis nous te remplirons de nous-mêmes.13 »
Il importe de bien comprendre ici que l’adjectif « totalitaire » ne s’applique pas seulement pour Orwell à des régimes et à des mouvements politiques mais à des idées et mécanismes intellectuels qui sont partout à l’œuvre dans le monde moderne. Comme l’explique bien James Conant, « tel qu’[Orwell] l’emploie, le terme “totalitarisme” désigne des stratégies (à la fois pratiques et intellectuelles) qui […] sont appelées ainsi parce qu’elles ont pour but de parvenir à un contrôle total de la pensée, de l’action et des sentiments humains14 ». On observera que cet usage du terme « totalitaire » est conforme à celui de son inventeur probable, le libéral antifasciste italien Giovanni Amendola, qui écrivait en avril 1923 : « Le fascisme ne vise pas tant à gouverner l’Italie qu’à monopoliser le contrôle des consciences italiennes. Il ne lui suffit pas de posséder le pouvoir : il veut posséder la conscience privée de tous les citoyens, il veut la “conversion” des Italiens.15 » L’usage orwellien du terme « totalitaire », poursuit Conant, « ne recouvre pas seulement des formes de régimes politiques mais aussi des types de pratiques et d’institutions plus envahissantes et plus spécifiques (diverses pratiques journalistiques comptent parmi ses exemples favoris). Mais par-dessus tout, Orwell applique ce terme aux idées des intellectuels – et pas seulement à celles qui ont cours dans […] les “pays totalitaires” mais à des idées qui circulent dans tout le monde industriel moderne16 ».
Quelles idées ?
La réponse d’Orwell est claire : les idées qui sont capables de briser notre relation au monde ordinaire. Ce qui rend une idée totalitaire, ce n’est pas son contenu particulier (rien n’est plus opposé quant à leurs contenus respectifs que les idées fascistes et les idées communistes) mais son fonctionnement, ou, plus exactement, sa capacité à fonctionner comme une arme pour détruire l’homme ordinaire. Aucun régime ou mouvement totalitaire n’a jamais proclamé que deux et deux font cinq. Ce serait une croyance aussi absurde que peu efficace. Mais si Orwell en fait le paradigme de l’idée totalitaire, c’est que l’absurdité même de son contenu fait mieux ressortir sa fonction première : priver les individus de tout usage de leur propre entendement (pour parler comme Kant) ou de tout usage de leurs propres concepts (pour parler comme Wittgenstein et Cavell). Si « deux et deux font quatre » n’est pas vrai, ou s’il n’est pas vrai que les pierres sont dures, alors je ne sais plus ce que veut dire le mot « vrai », et je ne peux plus l’utiliser.
Il convient de remarquer ici que, pour Orwell, la possibilité d’implanter des dogmes totalitaires irrationnels dans un esprit dépend de la perméabilité de celui-ci aux arguments du scepticisme philosophique. Il y a ainsi dans 1984 un moment sceptique où Winston se dit à lui-même : « Le Parti finirait par annoncer que deux et deux font cinq et il faudrait le croire. Il était inéluctable que, tôt ou tard, il fasse cette déclaration. La logique de sa position l’exigeait. Ce n’était pas seulement la validité de l’expérience mais l’existence même d’une réalité extérieure qui était tacitement niée par sa philosophie. L’hérésie des hérésies était le sens commun. Et ce qui était terrifiant, ce n’était pas qu’ils vous tuent si vous pensiez autrement, mais que peut-être ils avaient raison. Car, après tout, comment pouvons-nous savoir que deux et deux font quatre ? Ou qu’il y a une force de gravitation ? Ou que le passé est immuable ? Si le passé et le monde extérieur n’existent que dans l’esprit et si l’esprit lui-même peut être contrôlé – alors quoi ?17 » De manière remarquable, Winston ne va échapper à cette menace sceptique, qui le rend vulnérable aux arguments des intellectuels du Parti, que par un raffermissement soudain de sa confiance en lui-même. « Mais non ! Son courage lui sembla soudain suffisant pour s’affermir de lui-même (to stiffen of its own accord).18 » Cette confiance en lui ne le quittera plus, jusqu’au moment où la torture en brisant son corps laissera son esprit définitivement sans défense face à la dialectique destructrice d’O’Brien. Comme l’a clairement vu le philosophe américain Stanley Cavell, la résistance au scepticisme (et donc au dogmatisme) n’est pas affaire de connaissance théorique ou d’argument philosophique mais de reconnaissance ou d’acceptation du monde ordinaire. « Ce que laisse entendre le scepticisme, c’est que, comme nous n’avons aucun moyen de nous assurer que le monde existe, sa présence à nous-même ne relève pas du connaître. Le monde doit être accepté.19 » Ce qu’Orwell décrit comme la passivité de l’homme ordinaire n’est ainsi rien d’autre que son acceptation du monde ordinaire.
À l’inverse, les intellectuels ont une forte tendance à ne pas se reconnaître comme des hommes ordinaires, c’est-à-dire à ne pas reconnaître la part écrasante de l’ordinaire dans leurs existences.
Dans sa recension, en 1936, de Printemps noir d’Henry Miller, Orwell se demande pourquoi « la fiction anglaise de haut niveau est écrite la plupart du temps par des lettrés sur des lettrés pour des lettrés. […] Les livres sur des gens ordinaires qui se comportent d’une manière ordinaire sont rarissimes parce qu’il faut pour les écrire quelqu’un qui soit capable de se placer à l’intérieur et à l’extérieur de l’homme ordinaire (ordinary man) – tel Joyce simultanément à l’intérieur et à l’extérieur de Bloom. Mais cela revient à admettre qu’on est soi-même, les neuf dixièmes du temps, une personne ordinaire (an ordinary person), chose qu’aucun intellectuel ne veut justement s’avouer.20 » C’est le problème qu’il pose dans son roman Et vive l’aspidistra ! où un jeune poète fauché met toute son énergie à rater sa vie par refus de l’ordinaire21.
Bien qu’Orwell ne le dise pas expressément, cette difficulté des intellectuels à s’assumer comme des gens ordinaires est évidemment liée à leur rapport au langage. L’intellectuel est, par définition, l’homme des mots, l’homme qui vit par les mots, dans les mots, et dont le rapport au monde passe davantage par les mots que par le regard, l’action ou plus généralement l’expérience. Si le scepticisme, au sens où l’entend Cavell, « est la faculté, que possède et désire quiconque possède le langage, de s’exiler, de s’excommunier de la communauté qui, par consensus ou consentement mutuel, fonde l’existence du langage22 », les intellectuels sont plus vulnérables au scepticisme que les gens ordinaires. Ils peuvent alors, à la manière de Descartes, s’enfermer dans leur « poêle » pour douter de l’existence du monde extérieur et même de celle de leur propre corps, en utilisant les mots, coupés de leur usage ordinaire, dans des méditations métaphysiques. Mais ils peuvent aussi les faire fonctionner, tout aussi coupés du monde ordinaire, comme des instruments de déformation de la réalité (dans la propagande, par exemple) et comme des instruments d’exercice du pouvoir sur les esprits. Une des leçons de 1984 est que ces deux usages ne sont pas sans rapport l’un avec l’autre, et que des arguments produits dans les jeux apparemment inoffensifs de la spéculation peuvent, quand ils sont maniés par des intellectuels de pouvoir, devenir de puissants moyens de destruction de la liberté de penser. Par exemple, pour convaincre Winston que le Parti peut se rendre maître du passé, O’Brien utilise l’arsenal des arguments classiques de l’idéalisme qui tendent à prouver que le passé n’existe pas en tant que tel, mais seulement dans les archives et dans l’esprit des hommes.
Il vaut mieux ne pas oublier que le pouvoir sur les esprits est un pouvoir intellectuel et qu’il est exercé par des intellectuels. C’est pourquoi il est essentiel dans l’économie de 1984 qu’O’Brien, l’adversaire de Winston, celui qui finira par le briser intellectuellement, affectivement et moralement, soit lui-même un intellectuel, et que les séances de torture de la troisième partie du roman soient entrecoupées de discussions philosophiques où il l’emporte à tout coup. O’Brien n’est pas un intellectuel au service d’une classe dominante. La caste dominante, c’est lui.
III —
Selon Orwell, en effet, le totalitarisme est le rêve secret de l’intelligentsia.
Dans un essai intitulé « James Burnham et l’ère des organisateurs » qui date de mai 1946, c’est-à-dire de l’époque où il entreprend d’écrire 1984, Orwell met en lumière le lien qui existe entre les prédictions de Burnham – selon lesquelles le pouvoir dans les sociétés modernes va passer des propriétaires capitalistes aux organisateurs (aux managers) – et l’attirance d’une fraction non négligeable des intellectuels anglais pour la Russie de Staline (attirance d’autant plus étrange à première vue que le communisme et le stalinisme n’en ont exercé que très peu sur la classe ouvrière anglaise). « La théorie de Burnham n’est qu’une variante […] du culte de la puissance qui exerce une telle emprise sur les intellectuels. Le communisme en est une variante plus courante, du moins en Angleterre. Si l’on étudie le cas des personnes qui, tout en ayant une idée de la véritable nature du régime soviétique, sont fermement russophiles, on constate que, dans l’ensemble, elles appartiennent à cette classe des “organisateurs” à laquelle Burnham consacre ses écrits. En fait, ce ne sont pas des “organisateurs” au sens étroit, mais des scientifiques, des techniciens, des enseignants, des bureaucrates, des politiciens de métier : de manière générale, des représentants des couches moyennes qui se sentent brimés par un système qui est encore partiellement aristocratique, et qui ont soif de pouvoir et de prestige. Ils se tournent vers l’URSS et y voient – ou croient y voir – un système qui élimine la classe supérieure, maintient la classe ouvrière à sa place et confère un pouvoir illimité à des gens qui leur sont très semblables. C’est seulement après que le régime soviétique est devenu manifestement totalitaire que les intellectuels anglais ont commencé à s’y intéresser en grand nombre. L’intelligentsia britannique russophile désavouerait Burnham, et pourtant il formule en réalité son vœu secret : la destruction de la vieille version égalitaire du socialisme et l’avènement d’une société hiérarchisée où l’intellectuel puisse enfin s’emparer du fouet.23 »
On trouve sans doute ici l’explication d’une caractéristique importante et souvent négligée du type de totalitarisme décrit dans 1984 : le contrôle des esprits et l’endoctrinement permanents n’y concernent que les membres du Parti, les organisateurs au sens large. Tous les autres, les prolétaires, soit 85 % de la population, sont considérés comme « des inférieurs naturels, qui doivent être tenus en état de dépendance, comme les animaux, par l’application de quelques règles simples. Laissés à eux-mêmes comme le bétail dans les plaines de l’Argentine, ils étaient revenus à un style de vie qui leur paraissait naturel selon une sorte de canon ancestral24 ». La société que décrit 1984 n’est ainsi pas tant une parodie du stalinisme – ou d’un mixte de stalinisme et de fascisme comme on le dit souvent – qu’une satire du rêve secret de l’intelligentsia de gauche britannique. Comme l’écrit Judith Shklar, « l’intellectuel qui ne peut pas supporter les intellectuels n’est pas une espèce rare ; mais ce qui singularise Orwell, c’est qu’il a traduit son mépris dans la vision d’une société gouvernée par les objets de son dédain. L’état totalitaire qu’il a imaginé n’est pas tout à fait celui de Staline, non plus que celui d’Hitler. Le Parti Intérieur, qui dispense l’Angsoc et dirige l’aire numéro 1 dans 1984, est composé d’intellectuels radicaux anglo-américains25 ».
Si Orwell concentre ainsi l’essentiel de ses critiques sur « les intelligentsias politique et technique, [sur] les maîtres de la vérité idéologique et [sur] ceux du savoir scientifique », c’est parce que, comme le souligne Michael Walzer, il craint qu’« une fois les capitalistes vaincus, ces deux groupes sociaux ne fassent obstacle à une révolution démocratique ou ne l’usurpent »26. La critique d’Orwell, rappelle Walzer, est « une critique interne au socialisme27 », et l’affrontement entre l’intellectuel et l’homme ordinaire passe ainsi à l’intérieur du mouvement socialiste. Rendant compte, en 1938, d’un recueil d’essais du romancier socialiste et d’origine ouvrière Jack Common, Orwell avertit le lecteur qu’il y apprendra « beaucoup moins de choses sur le socialisme en tant que théorie économique que dans le banal manuel de propagande, mais infiniment plus sur le socialisme en tant qu’article de foi et, pourrait-on presque dire, comme mode de vie. […] On entend ici la voix authentique de l’homme ordinaire (the authentic voice of the ordinary man), de cet homme qui introduirait une nouvelle honnêteté (a new decency) dans la gestion des affaires, si seulement il y accédait, au lieu de ne jamais sortir des tranchées, de l’esclavage salarié et de la prison28 ». Il loue l’auteur d’avoir « mis le doigt sur l’une des principales difficultés auxquelles se heurte le mouvement socialiste – à savoir que le mot “socialisme” a pour un travailleur une signification toute différente de celle qu’il revêt aux yeux d’un marxiste originaire de la classe moyenne. Pour ceux qui tiennent effectivement entre leurs mains les destinées du mouvement socialiste, la quasi-totalité de ce qu’un travailleur manuel entend par “socialisme” est soit absurde soit hérétique. […] Les travailleurs manuels acquièrent dans une civilisation machiniste, de par les conditions mêmes dans lesquels ils vivent, un certain nombre de traits de caractère : droiture, imprévoyance, générosité, haine des privilèges. C’est à partir de ces dispositions précises qu’ils forgent leur conception de la société future, au point que l’idée d’égalité fonde la mystique du socialisme prolétarien. C’est là une conception très différente de celle du socialiste de la classe moyenne, qui vénère en Marx un prophète29 ». Ainsi, c’est la mainmise des intellectuels sur le mouvement ouvrier qui explique pourquoi « ce à quoi on assiste chaque fois, c’est à un soulèvement prolétarien très vite canalisé et trahi par les malins qui se trouvent au sommet, et donc à la naissance d’une nouvelle classe dirigeante. Ce qui ne se réalise jamais, c’est l’égalité30 ».
IV —
Orwell n’est pas ouvriériste. D’abord, l’idée d’attribuer à la classe ouvrière, parce qu’elle est la classe exploitée, un rôle dirigeant ou messianique est totalement étrangère à Orwell. Et surtout, les dispositions morales qu’il reconnaît aux ouvriers ordinaires – droiture, générosité, haine des privilèges, soif d’égalité – ne sont pas spécifiquement ouvrières : elles relèvent de l’honnêteté commune, de ce qu’il appelle lui-même la common decency : cette morale déclarée “bourgeoise” par les intellectuels de gauche et, à ce titre, décriée par eux – morale qui est simplement celle des gens ordinaires.
Dans son essai sur Dickens, qui est un de ses chefs-d’œuvre, Orwell exalte ce qu’il tient pour « un des traits caractéristiques de la culture populaire occidentale. Il est présent dans les contes et les chansons humoristiques, dans des figures mythiques comme Mickey Mouse ou Popeye (deux avatars de Jack le Tueur de Géants), dans l’histoire du socialisme ouvrier. […] C’est le sentiment qu’il faut toujours être du côté de l’opprimé, prendre le parti du faible contre le fort. [… L]’homme ordinaire (the common man) vit toujours dans l’univers psychologique de Dickens, [alors que] la plupart des intellectuels, pour ne pas dire tous, se sont ralliés à une forme de totalitarisme ou à une autre. D’un point de vue marxiste ou fasciste, la quasi-totalité des valeurs défendues par Dickens peuvent être assimilées à la “morale bourgeoise” et honnies à ce titre. Mais pour ce qui est des conceptions morales, il n’y a rien de plus “bourgeois” que la classe ouvrière anglaise. Les gens ordinaires (the ordinary people), dans les pays occidentaux, n’ont pas encore accepté l’univers mental du “réalisme” et de la politique de la Force. […] Dickens a su exprimer sous une forme comique, schématique et par là même mémorable, l’honnêteté native de l’homme ordinaire (the native decency of the common man). Et il est important que, sous ce rapport, des gens de toutes sortes puissent être décrits comme “ordinaires” (“common”). Dans un pays tel que l’Angleterre, il existe, par-delà la division des classes, une certaine unité de culture. Tout au long de l’ère chrétienne, et plus nettement encore après la Révolution française, le monde occidental a été hanté par les idées de liberté et d’égalité. Ce ne sont que des idées, mais elles ont pénétré toutes les couches de la société. On voit partout subsister les plus atroces injustices, cruautés, mensonges, snobismes, mais il est peu de gens qui puissent contempler tout cela aussi froidement qu’un propriétaire d’esclaves romains, par exemple31 ».
Cet éloge de la common decency, de l’honnêteté commune, appelle quelques remarques.
Bien qu’Orwell la dise « native », au sens où elle ne découle pas d’un code moral explicite ni de prescriptions enseignées comme telles, l’honnêteté commune est un héritage historique. Elle était inconnue du propriétaire d’esclaves romain et Orwell l’associe au christianisme et à la Révolution française. Mais si elle est apparue dans l’histoire, elle peut également en disparaître. Le totalitarisme n’est rien d’autre que la tendance à la liquidation de l’honnêteté commune – tendance méthodiquement et systématiquement mise en œuvre par certains courants et régimes politiques, mais tendance inscrite comme une possibilité dans la structure même des sociétés contemporaines.
32 Ibid., p. 663.
La common decency a pénétré toutes les classes de la société. Elle n’a pas aboli celles-ci, bien évidemment, pas plus qu’elle n’a aboli la lutte des classes. Mais elle constitue un ensemble de dispositions et d’exigences à partir desquelles des hommes appartenant à des classes différentes, voire antagonistes, peuvent, pourvu qu’ils le veuillent vraiment, partager quelque chose de leurs existences.
On peut aller plus loin : c’est cette honnêteté commune qui est au principe du projet socialiste d’abolition de la domination de classe et des différences de classe. Orwell ne dit pas comme Engels : faisons d’abord la révolution ; alors, dans les nouvelles conditions économiques et sociales émergera une humanité nouvelle et par conséquent une morale nouvelle que nous sommes incapables aujourd’hui d’anticiper. Orwell dit plutôt : nous savons tous parfaitement ce qu’est l’honnêteté commune ; faisons la révolution pour abolir les barrières de classe qui l’offensent en permanence et qui empêchent qu’elle soit la base effective de la vie sociale. Aucune révolution démocratique ne saurait nous dispenser de l’honnêteté commune. Celle-ci est même la condition sans laquelle la révolution ne saurait être démocratique et aboutira au remplacement d’une classe dirigeante par une autre. « Ce qui me fait peur avec l’intelligentsia moderne, c’est son incapacité à se rendre compte que la société humaine doit avoir pour base l’honnêteté commune (common decency), quelles que puissent être ses formes politiques et économiques.32 »
33 Ibid., tome III, p. 284.
En effet, l’intelligentsia moderne s’est coupée de ce socle à la fois historique et humain qu’est l’honnêteté commune. Fascinée par la politique de la force, elle est devenue antidémocratique en politique et « réaliste », c’est-à-dire cynique, en morale. Orwell appelle « réalisme » « la doctrine qui veut que la force prime le droit », et il voit dans « la montée du “réalisme” […] le grand événement de l’histoire intellectuelle de notre époque »33.
33Les effets moralement corrupteur de ce réalisme, Orwell ne les discerne pas seulement dans la presse ou les écrits politiques mais dans la littérature et jusque dans la poésie. À propos d’un poème d’Auden intitulé Spain, il dit que c’est à son avis « une des seules choses à peu près convenables inspirées par la guerre d’Espagne ».
Demain, pour la jeunesse, les poètes explosant comme des bombes,
Les promenades autour du lac, les semaines d’étroite communion ;
Demain les courses de vélo
À travers les banlieues par les soirs d’été : mais aujourd’hui la lutte.
Aujourd’hui l’inévitable montée des chances de mourir,
Le nécessaire assassinat et sa culpabilité assumée
Aujourd’hui le gaspillage de ses forces
Dans des tracts éphémères et des meetings rasants.
Mais il en donne le commentaire ironique suivant : « La deuxième strophe représente une sorte de croquis sur le vif de la journée d’un “bon militant”. Le matin, un ou deux assassinats politiques, dix minutes d’interlude pour “étouffer le remords bourgeois”, puis un déjeuner rapide et un après-midi plus une soirée occupés à écrire des slogans sur les murs et à distribuer des tracts. Tout cela est très édifiant. Mais remarquez l’expression “le nécessaire assassinat (necessary murder)” : elle ne peut avoir été employée que par quelqu’un pour qui l’assassinat est tout au plus un mot. En ce qui me concerne, je ne parlerais pas aussi légèrement de l’assassinat. Il se trouve que j’ai vu quantité de corps d’hommes assassinés – je ne dis pas tués au combat, mais bien assassinés. J’ai donc quelque idée de ce qu’est un assassinat – la terreur, la haine, les gémissements des parents, les autopsies, le sang, les odeurs. Pour moi, l’assassinat doit être évité. C’est aussi l’opinion des gens ordinaires. […] Le type d’amoralisme de M. Auden est celui des gens qui s’arrangent toujours pour n’être pas là quand on appuie sur la détente.34 »
L’importance de cette page tient à la relation étroite qu’elle établit entre la fascination des intellectuels pour la puissance et la corruption du langage : l’une et l’autre découlent de la perte de l’ordinaire.
V —
Comment un poète de l’envergure d’Auden – mais on pourrait poser la même question pour Aragon – a-t-il pu être attiré vers le « réalisme » et trahir ainsi les valeurs libérales qui sont la condition d’existence d’une littérature authentique ? « Comment des écrivains ont-ils pu être attirés par une forme de socialisme qui rend impossible toute honnêteté intellectuelle ?35 »
C’est la question que pose Orwell dans un long essai publié en 1940 et intitulé « Dans le ventre de la baleine », où il analyse la littérature anglaise de l’entre-deux-guerres et, plus particulièrement, la différence quant à leur rapport à la société et à la politique entre les écrivains des années 1920 (Joyce, Eliot, Pound, Lawrence, entre autres) et ceux des années 1930 (Auden et Spender notamment). Sa réponse est qu’en 1930 la crise morale et spirituelle de la société anglaise (et de la civilisation occidentale) était telle que les fonctions et les engagements habituels des intellectuels, ceux par lesquels ils étaient traditionnellement reliés à la communauté nationale, avaient perdu toute signification. Orwell lui-même a vécu cette crise. Né en 1903 et ancien élève d’Eton, il a démissionné en 1927 des fonctions d’officier de police qu’il exerçait depuis cinq ans en Birmanie parce qu’il a pris conscience que l’Empire britannique exalté par Kipling n’était en réalité qu’un sordide système d’exploitation économique, totalement inhumain où, comme le dit un personnage de son roman Une histoire birmane, « les fonctionnaires maintiennent les Birmans à terre pendant que les hommes d’affaires leur font les poches ». Mais il est resté malgré tout profondément attaché à l’Angleterre, alors que beaucoup d’intellectuels de sa génération se sont cherché une autre patrie qu’ils ont cru trouver dans la Russie soviétique.
« En 1930, il n’y avait aucune activité, sauf peut-être la recherche scientifique, les arts et l’engagement politique de gauche à laquelle puisse croire un individu conscient. La civilisation occidentale était au plus bas de son prestige et le “désenchantement” était partout. Qui pouvait encore envisager de réussir sa vie dans les carrières traditionnelles de la classe moyenne – en devenant officier, clergyman, agent de change, fonctionnaire aux Indes ou que sais-je encore ? Et que restait-il des valeurs de nos grands-parents ? Le patriotisme, la religion, l’Empire, la famille, le caractère sacré du mariage, la cravate aux couleurs du collège, la naissance, l’éducation, la discipline – tout individu moyennement éduqué pouvait en trois minutes vous démontrer l’inanité de tout cela. Mais qu’obtient-on, en fin de compte, en se débarrassant de choses aussi élémentaires que le patriotisme ou la religion ? On n’est pas pour autant débarrassé du besoin de croire à quelque chose. […] Je ne crois pas qu’il faille aller chercher plus loin les raisons pour lesquelles les jeunes écrivains des années 1930 se sont rassemblés sous le houlette du parti communiste. Il y avait là une Église, une armée, une orthodoxie, une discipline. Il y avait là une Patrie et – en tout cas depuis 1935 ou à peu près – un Führer. Tous les attachements profonds et toutes les superstitions dont l’esprit avait apparemment fait litière pouvaient revenir en force sous le plus mince des déguisements. Le patriotisme, l’Empire, la religion, la gloire militaire – tout cela était contenu dans un seul mot : “Russie”. […] Dans ces conditions, le “communisme de l’intellectuel anglais apparaît comme un phénomène assez aisément explicable : c’est le patriotisme des déracinés.36 » On peut juger cette explication un peu courte. Elle a toutefois l’immense mérite de soulever une question importante et difficile : si le monde ordinaire est le monde de mon expérience, il ne peut pas être un monde abstrait où hommes, choses, lieux et coutumes sont interchangeables ; c’est nécessairement un monde concret et particulier : un pays ou une région, une langue, une culture, des institutions, une histoire, etc.
Si dans Le Lion et la licorne, un petit livre qu’il publie en 1941 et qui porte comme sous-titre Socialisme et génie anglais, Orwell exalte le mode de vie anglais (de la « bonne tasse de thé »jusqu’aux emblèmes de la royauté) et s’il y conjugue socialisme et patriotisme (qu’il distingue très fermement du nationalisme), ce n’est pas pour concilier artificiellement ses convictions politiques profondes avec l’urgence immédiate de la défense de l’Angleterre. Il l’a proclamé à plusieurs reprises, non sans un brin de provocation : « Aucun révolutionnaire authentique n’a jamais été un internationaliste.37 » En tout cas, il ne s’est jamais reconnu dans l’internationalisme abstrait du communisme qu’il n’a cessé de dénoncer comme un instrument à peine masqué de la politique de puissance soviétique. Et quand, en décembre 1936, il part combattre en Espagne, il ne le fait pas en activiste de la révolution mondiale mais comme un Anglais socialiste, solidaire des Espagnols antifascistes ; et c’est dans cet esprit qu’il écrira Hommage à la Catalogne.
Le patriotisme assumé d’Orwell n’est sûrement pas sans rapport avec l’imperméabilité de la classe populaire anglaise au fascisme comme au stalinisme, aussi avec l’imperméabilité de la classe dirigeante anglaise au fascisme. Dans sa « Lettre de Londres » à la Partisan Review de juillet-août 1941, il écrit : « Ce type de climat où vous n’osez pas parler politique de peur que la Gestapo ne surprenne vos paroles, ce climat est tout bonnement impensable en Angleterre. Toute tentative de l’instaurer sera brisée dans l’œuf, non pas tant par une résistance consciente que par l’incapacité des gens ordinaires (ordinary people)à comprendre ce qu’on attendrait d’eux.38 » Une fois encore, Orwell table moins sur la lucidité de George Bowling que sur sa passivité. Quant à la classe dirigeante, dont il craignait avant guerre qu’elle ne profite du déclenchement des hostilités pour faire basculer le pays dans un anglo-fascisme comparable à l’austro-fascisme d’un Dollfuss, il doit reconnaître qu’elle reste fondamentalement attachée au libéralisme. « La classe dirigeante britannique croit à la démocratie et à la liberté individuelle en un sens étroit et quelque peu hypocrite. Mais du moins, elle croit à la lettre de la loi et s’y tiendra parfois même quand elle n’est pas à son avantage. Rien n’indique qu’elle évolue vers une mentalité véritablement fasciste. La Grande-Bretagne peut être fascisée de l’extérieur ou au terme d’une révolution intérieure, mais la vieille classe dirigeante ne peut, à mon sens, être elle-même l’agent d’un totalitarisme véritable.39 »
Les seuls, encore une fois, qui en Angleterre aient été gagné au totalitarisme sont des intellectuels. Dans l’après-guerre, Orwell verra en eux quelque chose comme un parti de l’étranger.
Comme on le voit, le modèle de l’intellectuel ordinaire – de l’intellectuel qui se reconnaît comme un homme ordinaire – se distingue très clairement de celui de l’intellectuel engagé. Celui-ci se vit d’abord comme séparé, puis va rejoindre le combat des autres hommes au nom des valeurs intellectuelles et universelles qui sont les siennes : il court ainsi le risque permanent de se poser comme une autorité dictant aux autres ce qu’ils doivent faire ou assignant à leurs actes un sens qu’il prétend mieux connaître qu’eux-mêmes. L’intellectuel ordinaire, lui, vit les événements et y réagit en homme ordinaire qu’il est et qu’il reconnaît être. Orwell a vécu l’approche de la guerre et la montée des totalitarismes avec les mêmes sentiments et les mêmes réactions que son vendeur d’assurances Georges Bowling. Certes, parce qu’il était un intellectuel, et plus particulièrement un écrivain, il avait la capacité de mettre ses réactions en mots et en idées. Mais il ne prétendait pas pour autant être un porte-parole.
On peut se demander si ce modèle ne constitue pas pour un intellectuel la seule manière d’essayer d’être et de rester un démocrate.
Notes
1 George Orwell, 1984, traduit de l’anglais par Amélie Audiberti, Gallimard “folio”, p. 119. (Cette traduction a été modifiée chaque fois que cela a paru nécessaire.)
2 George Orwell, Essais, articles et lettres, traduit de l’anglais par Anne Krief, Michel Pétris et Jaime Semprun, Ivrea-Encyclopédie des nuissances, tome I, p. 292.
3 Ibid., p. 296.
4 James Conant, « Freedom, Cruelty and Truth : Rorty versus Orwell », in Robert Brandom (dir.), Rorty and his Critics, Blackwell, 2000, p. 299.
5 George Orwell, Essais, articles et lettres, op. cit., tome II, p. 322-325.
6 Ibid., tome I, p. 624.
7 Ibid.
8 George Orwell, Un peu d’air frais (1939), traduit de l’anglais par Richard Prêtre, Ivrea, 1983, p. 210.
9 Ibid., p. 199-200.
10 George Orwell, Essais, articles et lettres, op. cit., tome I, p. 511.
11 Lire John Newsinger, Orwell’s Politics, Palgrave, 1999, p. 32-33 (La Politique selon Orwell, traduit par Bernard Gensane, Agone, à paraître).
12 George Orwell, Un peu d’air frais, op. cit., p. 194-198.
13 George Orwell, 1984, op. cit., p. 362.
14 James Conant, « Freedom, Cruelty and Truth… », art. cit., p. 293.
15 Giovanni Amendola, Il Mondo, 1er avril 1923, cité in Emilio Gentile, Qu’est-ce que le fascisme ? Histoire et interprétation, Gallimard, 2004, p. 112.
16 James Conant, « Freedom, Cruelty and Truth… », art. cit., p. 293.
17 George Orwell, 1984, op. cit., p. 118.
18 Ibid.
19 Stanley Cavell, Le Déni de savoir, traduit de l’anglais par Jean-Pierre Maquerlot, Seuil, p. 152. Sur la philosophie politique de Cavell, on peut lire Sandra Laugier, Recommencer la philosophie. La philosophie américaine aujourd’hui, PUF, 1999, chap. IV et V.
20 George Orwell, Essais, articles et lettres, op. cit., tome I, p. 294.
21 George Orwell, Et vive l’aspidistra ! (1936), traduit de l’anglais par Yvonne Davet, Ivrea, 1982.
22 Stanley Cavell, Le Déni de savoir, op. cit., p. 54.
23 George Orwell, Essais, articles et lettres, op. cit., tome IV, p. 218-219.
24 George Orwell, 1984, op. cit., p. 105
25 Judith Shklar, « Nineteen Eigthy-Four : Should Political Theory Care ? » in Stanley Hoffmann (dir.), Political Thought and Political Thinkers, University of Chicago Press, 1998, p. 342-343, cité in James Conant, « Freedom, Cruelty and Truth… », art. cit., p. 329, n. 116.
26 Michael Walzer, « George Orwell’s England », inThe Company of Critics : Social Criticism and Political Commitment in the Twentieth Century, Halban, Londres, 1989 ; repris in Graham Holderness, Bryan Loughrey and Nahem Yousaf (dir.), George Orwell, Macmillan, 1998, p. 195.
27 Ibid., p. 196.
28 George Orwell, Essais, articles et lettres, op. cit., tome I, p. 424.
29 Ibid., p. 423.
30 Ibid., p. 424.
31 George Orwell, Essais, articles et lettres, op. cit., tome I, p. 573-574.
32 Ibid., p. 663.
33 Ibid., tome III, p. 284.
34 Ibid., tome I, p. 643-644.
35 Ibid., p. 641.
36 Ibid., p. 642.
37 Ibid., tome II, p. 133.
38 Ibid., p. 152-153.
39 Ibid.
Pour citer cet article
Référence électronique
Jean-Jacques Rosat, « Quand les intellectuels s’emparent du fouet », revue Agone, 34 | 2005, [En ligne], mis en ligne le 23 octobre 2008. URL : http://revueagone.revues.org/106. Consulté le 08 avril 2012.
Auteur
Jean-Jacques Rosat
Voir aussi:
George Orwell patriote (I)
Bernard Gensane
8 oct. 2017
L’auteur de 1984, l’un des romans politiques les plus sombres du XXème siècle, était un grand optimiste, amoureux de son pays, à l’aise dans son époque, même si, dans ses fantasmes, il aurait préféré vivre au XVIIIème siècle en « joyeux pasteur ». Il conçut son existence comme une œuvre, et son œuvre, d’abord comme la quête d’une écriture (raison pour laquelle j’ai sous-titré mon livre sur Orwell “ vie et écriture ” : (George Orwell, vie et écriture), Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1994). Son inclinaison profonde en tant que personnage public ne fut pas la politique mais la morale. Lorsqu’on étudie l’un des aspects de sa pensée, il faut constamment avoir à l’esprit ces paramètres. Nous sommes en présence d’un homme heureux, d’un écrivain poursuivant, à sa manière, un objectif de modernité, d’un citoyen qui attribuait au peuple anglais des vertus cardinales : gentillesse, loyauté, amour de la tradition, decency (décence, politesse, bonne mœurs), et ce don, pour lui apanage de ses compatriotes, de ne pas se laisser impressionner par les grands hommes, comme Napoléon, Churchill ou Staline.
Raymond Williams a dit d’Orwell qu’il était un auteur bien anglais, éminemment insulaire et cocardier (Orwell, Londres, 1971). On verra que son attitude vis-à-vis de sa patrie a évolué au gré des circonstances personnelles et historiques. Ce qui ne changera jamais, c’est la prééminence du ressenti, de l’esthétique et de la morale, alliée à une conscience aiguë de la rhétorique, elle-même vécue comme une modalité politique du discours et de l’écriture. Ainsi, à l’automne 1940, au début de la guerre, les alliances se nouent et se dénouent. Orwell se demande si le conflit sera purement impérialiste et s’il faudra faire front commun avec la bourgeoisie. Tout en se posant ces questions d’importance, il ne peut s’empêcher d’écouter ses voix et de moraliser : « La nuit qui a précédé le Pacte germano-soviétique, j’ai rêvé que la guerre avait commencé. Ce rêve m’a appris que j’étais de tout cœur patriote, que je soutiendrais la guerre et que je combattrais si possible. Tout cela est enfantin, bien sûr, mais je préfère avoir reçu ce type d’éducation que de ressembler aux intellectuels de gauche qui sont tellement ‘ éclairés ’ qu’ils ne peuvent comprendre les émotions les plus ordinaires. »
L’enfance d’Orwell fut marquée, pour ce qui nous concerne ici, par la catastrophe du Titanic. Dans un texte de résistance consensuel, très “ union nationale ” de 1940 (“My Country Right and Left ”, “ Mon pays, “ de droite et de gauche ” ou “ qu’il ait raison ou tord ”), Orwell évoque ce traumatisme. Il laisse entendre que l’attachement à une nation découle plus d’un ressenti charnel à des événements isolés mais marquants qu’à de grandes causes ou à une Histoire qui se fait mais qui n’est pas toujours lisible.
En primaire, Orwell eut beau détester la discipline sadique des écoles primaires privées, les preparatory schools, il n’en admit pas moins, par la suite, que les grandes victoires anglaises (au diable les régiments écossais ou gallois !) furent préparées sur les terrains de cricket des écoles privées, la guerre n’étant qu’une forme suprême du sport où il est impossible de tricher (Orwell fut cependant l’un des premiers à dénoncer la concomitance entre sport et nationalisme dans un article visionnaire de 1945, “ The Sporting Spirit ”). Á Eton, il reçut sa part d’enseignement, de culture militariste. Il sut prendre du recul par rapport à cette vision du monde, ce qui ne l’empêcha pas de s’enrôler au sortir de l’enseignement secondaire, alors que rien ni personne ne l’y contraignait, dans la police impériale en Birmanie. Or c’est bel et bien durant sa plus tendre enfance que le futur écrivain avait été imprégné d’idéologie belliciste, d’une philosophie portant au plus haut niveau les valeurs de défense sacrée de la patrie, avec comme corollaire une dépréciation de l’ennemi.
Orwell va se forger une conscience politique dans les années trente, non sans hésitations et revirements. Contre sa classe d’origine, la bourgeoisie impérialiste, et contre lui-même, en tirant parti de la névrose de culpabilité qui le taraude depuis l’enfance. Pour ce faire, il lui faudra passer par la France et l’immersion dans des franges défavorisées de la classe ouvrière, le Kent des travailleurs agricoles exploités et le Londres des clochards (voir son premier ouvrage, une biofiction : Down and Out in Paris and London, 1933. En français, Dans la dèche à Paris et à Londres). C’est qu’Orwell est de ces écrivains qui sont allés au-delà de leur monde et qui, de retour, ont adopté le regard du Persan : « Quand vous rentrez en Angleterre après un voyage à l’étranger, vous avez immédiatement la sensation de respirer un air différent […]. La bière est plus amère, les pièces de monnaie sont plus lourdes, l’herbe est plus verte, les publicités sont plus criardes. […] Alors l’immensité de l’Angleterre vous engloutit et vous perdez pour un instant de vue que la nation dans son ensemble possède un seul caractère identifiable. » Toute la complexité du patriotisme d’Orwell tient dans ces phrases. Il est capable d’observer son univers familier de l’extérieur, mais il est aussi terriblement anglo-centré. Cela dit, par delà des évidences assénées de manière aussi désarmante, il faut retenir qu’avant de s’émerveiller devant les « visages doux et noueux » de ses compatriotes, leurs « mauvaises dents » et leurs « bonnes manières », le « clic-clac des sabots dans les villes du Lancashire », Orwell avait su observer l’Angleterre à partir de la connaissance qu’il avait de son empire : c’est parce qu’il avait vécu au contact des masses exploitées d’Extrême-Orient qu’il pourrait sympathiser avec le lumpen-proletariat anglais puis avec la classe ouvrière proprement dite, « les victimes symboliques de l’injustice qui jouaient le même rôle en Angleterre que les Birmans en Birmanie » (1936).
Après la découverte de la condition prolétarienne dans son pays, Orwell part se battre en Espagne, tout simplement parce qu’il faut se dresser contre le fascisme pour laisser une chance au socialisme. Il combat avec courage au sein de la milice internationale du P.O.U.M. (Partido Obrero de Unificación Marxista), d’inspiration trotskiste, et rencontrera des hommes et femmes conscients, fraternels, tendus ver un objectif, bref l’image inversée des futurs proles de 1984. Il perçoit ces citoyens en armes comme un maillon dans l’immense chaîne fraternelle du genre humain, succédant aux soldats de Verdun, de Waterloo, des Thermopyles, souffrant de la même vermine, vivant et mourant sur des champs de bataille où l’on n’entend jamais chanter les oiseaux (Homage to catalonia, 1938. Version française : La Catalogne libre).
Traumatisé par la défaite des Républicains, par la trahison des staliniens, Orwell va alors traverser une phase de doutes personnels durant laquelle les sentiments pacifistes et internationalistes vont prendre le dessus. D’avoir versé son sang, d’avoir été ainsi “ baptisé ”, autorise un Orwell dégoûté par la guerre à envisager, de 1937 à 1939, un certain cynisme dans la démission face à la menace hitlérienne. Dans sa thèse (“ Orwell : l’engagement ”), Gilbert Bonifias posera que : « Il ne fait […] aucun doute que les événements d’Espagne contribuèrent puissamment à pousser [Orwell] dans cette direction qui se voulait à la fois révolutionnaire et pacifique », et qu’« il n’est donc pas étonnant de l’entendre proclamer dans ses écrits son opposition à toute guerre avec l’Allemagne et à la formation d’un Front populaire en Angleterre ».
Ainsi, après les années 1936-37 où, choqué par la brutalité de la classe dirigeante, par l’irréalisme des élites de la gauche libérale, il a adopté des comportements extrêmes (vivre dans la crasse chez des logeurs exploiteurs du Lancashire, descendre au fond de la mine, partager le lot des combattants de base en Catalogne), il pressent, vers 1938-1939, que le conflit qui s’annonce sera terrible et il recherche des valeurs modérées. Dans les très nombreuses pages qu’il consacre à l’Angleterre et à son peuple, il offre des images et des concepts de paix (dans son roman de 1938 Coming Up for Air – en français Un peu d’air frais, il fait dire à son narrateur : «Pêcher, c’est le contraire de faire la guerre »), de raison, de stabilité, de juste milieu. Mais pas de médiocrité. Orwell n’aimait pas les comportements petits. Il raille Napoléon se rendant aux Anglais par peur des Prussiens, Ludendorff se cachant derrière des lunettes de soleil ou encore cet empereur romain qui s’était barricadé dans des toilettes (Orwell mourut des années avant que le roi du Maroc Hassan II fasse de même). L’idéal d’Orwell à l’époque, c’est un Sancho Pança qui n’aurait pas peur des bombes mais qui ne se planterait pas poitrail nu face à la mitraille : « Une part de nous veut être un héro ou un saint, mais l’autre moitié c’est ce petit homme gras qui voit très clairement l’avantage qu’il y a à rester en vie. C’est notre moi privé, la voix de notre ventre qui proteste contre notre âme. »
Aux sentiments anti-guerre qui transparaissaient çà et là dans le discours de Homage to Catalonia succède un comportement franchement pacifiste, en particulier durant l’hiver 1938-39, époque où, souffrant gravement des poumons, il réside pour quelques mois à Marrakech. Il pose qu’être pacifiste ce n’est pas forcément vouloir bloquer les réformes sociales. Il s’est forgé un socialisme dont le marxisme n’est pas totalement exclu (dans The Road to Wigan Pier, en particulier. En français, Le Quai de Wigan). Mais progressivement, et cela le mènera jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, il rejette ce qui, au niveau socio-politique, n’est pas, à ses yeux, anglais : le stalinisme, l’internationalisme prolétarien, le fascisme évidemment, mais aussi l’Église Catholique Romaine et tout ce qui s’apparente aux intellectuels de gauche européens. Il moque avec férocité l’îlot de pensée dissidente de ceux qui « vont chercher leurs recettes de cuisine à Paris et leurs idées à Moscou. » Face aux dangers – Hitler, la guerre, le capitalisme sauvage, l’industrialisation débridée – Orwell va donc partir dans une quête de l’anglicisé Sa patrie ne trouvera le salut que dans la réaffirmation de ses valeurs fondamentales. Une transformation de la société anglaise – qu’il appelle de ses vœux – ne se fera que dans le respect des traditions. De 1937 à 1940, le projet d’Orwell est d’établir une continuité entre l’Angleterre du présent et celle du passé.
Tout cela n’ira pas sans contradictions ni difficultés.
Plus tard, on verra que le seul moment de vrai bonheur que connaît Winston Smith dans 1984 sont les heures passées avec Julia dans le magasin d’antiquités – lieu ô combien symbolique – qui lui rappelle l’Angleterre d’avant la dictature (2ème partie, chapitre 4). Mais en 1938-9, George Bowling éprouve bien des désillusions. En simplifiant, on pourrait résumer Coming up for Air en disant que cette œuvre est l’image d’une apocalypse qui anéantirait une vision rêvée de l’enfance. Bowling n’idéalise cependant pas la tradition. Le regard qu’il porte vers le passé, le voyage qu’il entreprend vers les lieux de son enfance, lui permettent de se repérer dans le présent, d’essayer de respirer, de se régénérer. Lucide, le personnage expose comment la bourgeoisie anglaise est prisonnière de sa propre idéologie, à quel point la manière de pensée de la middle-class est appauvrissante. Il raille la nostalgie qu’éprouvent les colons revenus des Indes : comme son créateur, mais à l’inverse d’un Kipling, il sait l’illusion de vivre au centre de l’Empire avec les valeurs de la périphérie. Il ne croit pas en l’aptitude des militants – ceux de gauche en particulier qu’il caricature à l’envi – à se mobiliser dans le cadre d’une riposte nationale face à l’ennemi. Il ressent jusque dans ses fibres la possibilité d’une disparition de son pays, avec ses valeurs, sa culture.
Bernard Gensane
10 octobre 2017
En 1936, lors de son enquête du côté du Quai de Wigan, Orwell s’était assuré qu’il y avait bien deux Angleterre et il avait fait son choix. Il serait toujours aux côtés de la classe ouvrière contre la bourgeoisie. Vis-à-vis de la working class et des indigents en général, il prendrait donc l’exact contre-pied de Baden Powell, fondateur du mouvement scout, qui les décrivait comme anti-patriotiques et anti-sociaux. En 1940, face au danger totalitaire et à la guerre, Orwell croit de moins en moins en l’urgence, voire en la nécessité, de la révolution nationale ou internationale par la violence, et il souhaite que sa patrie soit une dans la lutte. Alors qu’en 1936 la bourgeoisie, impériale ou non, était responsable de tous les maux, elle est dédouanée en 1940, et Orwell en brosse un portrait bizarrement touchant. Depuis soixante-quinze ans, écrit-il dans Coming Up for Air, la classe dirigeante a perdu de son aptitude à gouverner. Autrefois, dans les colonies, il faisait bon vivre dans le perpétuel été d’avant la guerre des Boers, mais depuis 1920 les fonctionnaires de Whitehall surveillent « chaque pouce de l’Empire » et brident l’initiative. L’horizon impérialiste se rétrécissant, cette bourgeoisie de l’outremer n’a pu se réadapter en métropole. Étant intrinsèquement « moraux », les hommes d’affaires anglais n’ont pu, comme leurs confrères américains (« de vrais bandits ») devenir millionnaires. Et ces malheureux bourgeois, par manque de compétence intellectuelle, n’ont pas sérieusement lutté contre le nazisme dans les années trente car ils n’avaient pas «compris » ce phénomène. Orwell croit d’ailleurs inférer qu’ils n’auraient pas non plus compris le communisme s’il avait frappé à leur porte. Les grands responsables du déclin de l’Empire et de l’essoufflement de la bourgeoisie ne sont pas des gestionnaires surannés à la tête d’un outil de production inefficace se débattant dans un nouveau rapport de forces international défavorable mais, tout simplement, les intellectuels de gauche. Ils ont sapé « le moral des britanniques », ils se sont répandus en attitudes « négatives et récriminatrices » sans faire de « suggestions concrètes ». Et, surtout, ils se sont contentés d’évoluer (ô, surprise, pour des intellectuels !) dans un « monde d’idées ». Mais, Dieu merci, l’Angleterre est désormais, n’en déplaise au Dr Goebbels, une grande famille victorienne, un peu «collet monté », mais unie avec bien peu de « brebis galeuses » en son sein.
Tout en admettant après 1940 que la Home Guard (dont il fit partie) était organisée de telle manière que seuls les riches commandaient, il persiste à croire que la guerre a des vertus égalitaires car elle atténue les antagonismes de classe : « La guerre est le plus formidable facteur de changements. Elle accélère tous les mécanismes, elle efface les différences de surface. Par dessus tout, elle fait comprendre à l’individu qu’il n’est pas tout à fait un individu. »
Qu’auront les Anglais à opposer aux divisions blindées allemandes et à la Luftwaffe? Hormis un potentiel militaire non négligeable et une aide américaine qui viendra forcément, Orwell fait confiance aux qualités du peuple anglais. Tout d’abord, la bonne humeur et la sérénité. Comme Bertrand Russel qui, pour Orwell, incarnait moins l’archétype de l’intellectuel anglais que celui de l’Anglais intelligent, ses compatriotes sauront faire preuve de décence et d’esprit chevaleresque (le mot “intellectual ” est quasiment une insulte outre-Manche ; Orwell utilisait “intelligentsia ”, un mot russe d’origine polonaise, donc un peu barbare). Et puis la solidarité, l’honnêteté, le respect de la légalité feront le reste.
Mais il faut dire que la douceur de vivre que connaissait la classe moyenne avant-guerre avait débouché sur une certaine indolence. Désormais, Orwell est persuadé de la victoire car elle sera celle des gens ordinaires qui auront su se dépasser tout en restant eux-mêmes. Il apprécie que, malgré les circonstances exceptionnelles, les Anglais sont restés civiques, légalistes, respectueux des droits de l’individu, et il aimera que Churchill perde les élections de 1945, preuve que ses compatriotes, gens ordinaires, se méfient des hommes forts trop doués … et trop réactionnaires.
Dans les premiers chapitres de Homage to Catalonia, Orwell avait magnifiquement saisi une lutte révolutionnaire, pensant que l’enthousiasme populaire devait suffire à faire vaincre la révolution. Avec “ The Lion and the Unicorn ” (Le Lion et la licorne), son grand texte théorique sur l’Angleterre en guerre, Orwell propose une synthèse enthousiaste du patriotisme et du socialisme. Ces pages sont contemporaines de la Bataille d’Angleterre : l’heure est au drame et à l’espoir en une victoire à court terme. Bien que nous soyons ici dans un essai franchement politique, le narrateur s’affiche dès la première phrase : Orwell écrit ce texte au moment précis et parce que des avions ennemis lui passent au-dessus de la tête : « Au moment où j’écris, des êtres humains hautement civilisés veulent au-dessus de moi et essaient de me tuer. »
Ce qui est en jeu désormais, ce n’est plus le statu quo social ou la révolution, mais la civilisation ou la barbarie. Mieux vaut Chamberlain que Hitler. Le narrateur de Down and Out in Paris and London avait découvert certains de ses compatriotes dans leur étrangeté. Burmese Days (Tragédie birmane) fleurait bon son exotisme. Dans The Road to Wigan Pier, Orwell était allé à la rencontre des ouvrières du textile et des mineurs dans leur différence. Désormais, il va à la recherche des autres dans leur ressemblance avec lui-même et ceux de sa classe d’origine, la frange inférieure de la bonne bourgeoisie (the lower-upper-middle class). Ce qui unit les Anglais, postule-t-il, est plus important que ce qui les sépare. Et il pose également que ce qu’il raillait à la fin de Homage to Catalonia, ces caractéristiques d’une Albion aveugle et assoupie (« les pâtures bien grasses, les hommes coiffés de leur chapeau melon, les bus rouges, les policiers en uniforme bleu ») c’est justement ce qui fait la beauté, mais aussi la force de l’Angleterre éternelle. Il existe un caractère national anglais, comme il existe un patrimoine et une « culture commune » que, bizarrement, comme s’il en avait un peu honte, il délimite par la négative : «Les Anglais sont très différents des autres. Il y a une sorte d’acceptation ambiguë de ce fait dans l’aversion éprouvée par presque tous les étrangers pour notre mode de vie national. Peu d’Européens supportent de vivre en Angleterre, et même les Américains se sentent davantage chez eux en Europe. »
Dans “ The Lion and the Unicorn ”, Orwell avance que l’affaiblissement de l’impérialisme dans les années trente a été provoqué en grande partie par l’intelligentsia de gauche, ce groupe s’étant lui-même renforcée grâce à la stagnation de l’Empire. Il pense qu’une alliance objective s’est nouée entre les colonels en retraite (les “ Blimps ”) pour qui un individu trop intelligent ne pouvait être patriote, et les intellectuels pour qui un patriote ne pouvait décidément pas être intelligent. Ce paradoxe déroutant ne peut surprendre dans la mesure où il venait en bout de chaîne après d’autres considérations tout aussi étonnantes sur les intellectuels. Orwell pose tout d’abord que du pessimisme à une vision réactionnaire des choses il n’y a qu’un pas vite franchi par une fraction importante de la classe dominante. Il estime également qu’il eût été possible de susciter un mouvement pacifiste authentiquement populaire en Angleterre, loin de la « gauche de salon ». Mais, dans les années trente, l’intelligentsia s’est déconsidérée dans des activités indignes, dans le domaine de l’esprit comme dans la politique. Elle s’est coupée du reste de la société en dénigrant systématiquement la civilisation occidentale et en cultivant un sentiment négatif de « désillusion ». La « vraie question », se demande Orwell, n’est pas de savoir pourquoi des bourgeois sont devenus staliniens, mais pourquoi ils ont viré à gauche. A première vue, c’est parce que les puissances de l’Axe menaçaient l’Empire britannique, l’antifascisme et l’impérialisme se rejoignant dans un même combat (dans une correspondance de décembre 1938, il explicitait ce postulat. Il estimait que si un « grand mouvement pro-Arabe » voyait le jour, il serait « fatalement pro-fasciste ».)
C’est à cette époque qu’Orwell va définir petit à petit ce qu’est pour lui l’Anglais idéal. George Bowling, son narrateur de Coming Up For Air, en était une esquisse aux traits assurément appuyés, permettant à l’auteur de considérer avec plus de commisération que jamais tous ceux qui ne correspondaient pas au moule. « Un type comme moi est incapable de ressembler à un gentleman », reconnaissait Bowling sans vraiment le regretter. « Les vêtements que je porte », poursuivait-il, sont «l’uniforme de la tribu ». En peignant cet homme ordinaire, Orwell s’adressait à ceux qui, comme son personnage, cultivaient la nostalgie de leur passé et aspiraient à un socialisme non dogmatique, un peu proudhonien. Petit-bourgeois, Bowling ne prône pas l’émancipation de la femme, il n’a pas de l’amour une approche très romantique, il s’indigne des inégalités sociales et déplore que le salarié se voit privé du produit de son travail par le système capitaliste. Il se méfie de la bureaucratie qui empiète sur la liberté individuelle, tout comme le capitalisme qui, par le système de crédit, empêche le salarié d’être jamais propriétaire. Le monde de Bowling converge avec celui de “ The Lion and the Unicorn ” : « C’est votre civilisation. C’est vous. » Ce monde que je décris, dit Orwell, c’est toujours le vôtre. Que vous l’aimiez ou non, il vous manque dès que vous le quittez. Comme vous, il est moyen, ni le joyau chanté par Shakespeare, ni l’enfer décrit par Goebbels. Vous êtes, nous sommes, les membres d’une famille victorienne empesée, avec son lot inévitable de squelettes dans le placard. Chez nous, les jeunes n’ont pas la parole, ce sont les vieux oncles irresponsables qui monopolisent le pouvoir, mais nous sommes une famille unie, avec sa langue, sa culture, ses souvenirs, son esprit de solidarité. Vous et moi sommes peut-être des médiocres, mais au moins saurons-nous, en vrais patriotes, nous unir face à l’adversité extérieure et débusquer l’ennemi intérieur. Nous pourrons toujours nous arc-bouter sur un impérialisme qui n’est pas à dénigrer en bloc : seule sa dimension morale est à redouter quand il détruit la conscience de l’oppresseur et de l’opprimé.
“ The Lion and the Unicorn ” donne donc une idée assez précise de l’image que se fait alors Orwell de son pays. Ces pages sont un mélange d’observations pénétrantes, de gentilles banalités et de généralisations désarmantes : « Les Anglais ne sont pas doués en matière artistique. Ils ne sont pas aussi musiciens que les Italiens ou les Allemands ; la peinture et la sculpture ne se sont pas développés chez nous comme en Fance. Les Anglais ont en horreur la pensée abstraite. Bien que constituant un peuple somnambule, ils sont capables, au paroxysme d’une crise, de dégainer et d’agir par une espèce d’instinct, à dire vrai un code de conduite compris pratiquement de tous quoique jamais formulé. »
Ce qu’Orwell apprécie alors au premier chef chez ses compatriotes, c’est leur réserve, leur politesse : ils font la queue patiemment dans l’ordre, sans se bousculer. Si les ouvriers ne sont pas toujours très gracieux, du moins font-ils toujours preuve de beaucoup d’attentions. La modération de ses compatriotes invite Orwell à penser que le fascisme ne prendra jamais dans son pays : « les purges hitlériennes n’auraient pu exister en Angleterre », affirme-t-il, sans s’interroger le moins du monde sur les conditions historiques qui ont permis à la barbarie de se déchaîner au pays de Goethe. Les Anglais sont trop raisonnables, ils croient trop en la justice pour se laisser entraîner dans le vertige de la terreur et des abus de pouvoir. L’Angleterre est protégée par ses traditions et son histoire, par son essence. La vision d’Orwell est donc très déterministe. La société peut changer, mais jusqu’à un certain point : « on n’obtient pas un panais avec une graine de navet ». Orwell pouvait bien, à l’orée de la guerre, énoncer de telles banalités, le fait est là : le pays n’a pas plié et les traîtres ne furent qu’une poignée. Un solide pragmatisme, une volonté exceptionnelle de croire en soi et de vaincre ont permis de tenir. L’Angleterre a gagné la guerre parce que les vertus typiques chères à Orwell n’étaient pas l’apanage de la classe dirigeante. En était dépositaire le peuple, constitué à ses yeux par la classe ouvrière consciente et la frange inférieure de la bourgeoisie. Et, à long terme, seul cet ensemble social saurait, selon lui, résister à l’envahissement de la culture populaire par le modernisme réducteur et nivelant.
L’essence, la force du patriotisme d’Orwell lui permirent durant deux décennies de tous les dangers de retrouver des valeurs stables, une morale en politique, et d’alimenter son instinct de conservation à la source de son amour pour son pays. Ce patriotisme n’était pas aveugle. L’honnêteté intellectuelle d’Orwell (certes relative), son pessimisme lucide, son humour froid au second degré le faisaient souvent passer pour un prophète de malheur. Ce n’est pas parce qu’il était fondamentalement patriote qu’il aimait et défendait l’Angleterre, mais c’est parce que l’amour de son pays était quintessencié qu’il était patriote. Parce qu’il souhaitait, vers 1940, un consensus politique national et que ce que l’Europe proposait (des régimes forts ou des démocraties en déliquescence) ne lui convenait pas, il soutiendrait son pays de droite comme de gauche (« My country Right and Left »), l’Angleterre de Chamberlain pouvant évoluer à court terme vers un changement radical de société. Orwell établissait par ailleurs une nette distinction entre patriotisme et nationalisme. Être patriote revenait à aimer un endroit, un mode de vie que l’on considérait comme les meilleurs au monde, mais sans pour autant vouloir les imposer aux autres. Pour Orwell, le patriotisme était par nature défensif, militairement et culturellement parlant. Il impliquait par ailleurs une adhésion volontaire à un espace, à une communauté et à des valeurs. Inversement, il concevait le nationalisme comme l’idéologie belliqueuse d’individus en quête de prestige, non pour eux-mêmes mais pour des ensembles dans lesquels ils choisissent d’enfouir leur propre personnalité. Un communiste ne pouvait donc pas, selon lui, être patriote, mais seulement nationaliste, puisqu’il était capable, en l’espace de quelques jours, de transférer ses allégeances selon les nécessités de l’actualité, son rapport à sa terre, à sa patrie étant extrêmement ténu. Il avait établi une typologie de différentes formes de nationalismes : la forme “ positive ”, incarnée par le nationalisme celtique, le sionisme, et ceux qui n’admettaient pas le recul de l’influence anglaise dans le monde ; un nationalisme de “ tranfert ” (il faisait se côtoyer le communisme, le pacifisme, le catholicisme militant, la conscience de classe) ; une variante négative qui incluait pour lui l’anglophobie, l’antisémitisme, le trotskisme.
Orwell a longtemps cru, au moins jusqu’à la rédaction de 1984, que toute guerre pouvait avoir des vertus salutaires, au niveau humain et politique. A l’inverse de ceux qui estimaient que la guerre est la continuation d’un état de chose par d’autres moyens, il voyait en elle une brisure, un moment paroxystique où les individus et les communautés vivent dans un état supérieur, sont révélés par l’épreuve et où, en d’autres termes, Dieu peut reconnaître les siens. Et c’est en Espagne qu’il a commencé à réfléchir au rapport entre la guerre et la révolution. Il pensait alors, contrairement, par exemple, à de nombreux trotskistes anglais, qu’il fallait d’abord se débarrasser du fascisme avant de faire la révolution dans les démocraties bourgeoises. Il semble moins dogmatique sur ce point en 1940. Une révolution et la guerre peuvent être concomitantes. Et il estime alors qu’une révolution (anti-bourgeoise évidemment) pourrait surgir de la guerre grâce aux qualités intrinsèques du peuple anglais. La guerre et la révolution pourront remettre les choses en place. Les inutiles, les inefficaces, les privilégiés disparaîtront. Les compétences populaires pourront s’exprimer. Le peuple en sortira humainement enrichi : « Nous avons avancé aussi lentement que des glaciers et nous n’avons appris que dans les désastres. »
Dans la lutte, il n’y a pas la droite et la gauche, la bourgeoisie et la classe ouvrière, mais les combattants et les partisans de la démission. Le peuple victorieux saura être magnanime. Pas de procès pour les criminels de guerre demande, dès 1943, Orwell lucide et visionnaire : « Les tyrans doivent être mis à mort uniquement par leurs propres sujets ; ceux qui sont punis par une autorité étrangère, par exemple Napoléon, deviennent des martyrs et des légendes. »
La pensée d’Orwell, dans la dernière partie de sa vie, préfigure l’idéologie travailliste des années cinquante, celle qui a rompu, dans les faits, avec le marxisme. Pour Orwell qui, de 1945 à sa mort en 1950, est un sympathisant du Labour, le socialisme se résume à davantage d’égalité et le remplacement des élites obsolètes par ce qu’on n’appelle pas encore la méritocratie. L’Angleterre ne devrait plus être « une famille avec les médiocres aux commandes ». Mais il reproche, cela dit, au gouvernement de Clement Attlee de ne pas avoir suffisamment nationalisé.
Orwell pose donc presque tous les problèmes en termes moraux, en termes d’individualités. De plus sa pensée, surtout quand elle est novatrice, est constamment bridée par des interférences personnelles. Qu’il écrive des pages anti-impérialistes, socialistes, révolutionnaires ou réformistes, l’image de l’homme vaincu, isolé pour qui un changement profond de société impulsé par le “ peuple ” est une chimère, domine. On peut supposer que le pessimisme d’Orwell a été alimenté par l’échec de soulèvements populaires, comme ceux de Kronstadt ou de Varsovie, sans parler de la prise de Barcelone par les Franquistes.
Les patriotes sont ceux qui, pour nous résumer, sont prêts à prendre les armes pour mener une guerre populaire. Les ennemis de la patrie sont les pro-fascistes. L’idée d’une victoire d’Hitler plait aux très riches, aux communistes, aux Chemises noires d’Oswald Mosley (parti fasciste qui, étrangement, fut le premier parti anglais à adopter un programme économique keynésien !), aux pacifistes et à certaines factions catholiques. Et puis, si les choses tournaient mal sur le front intérieur, la totalité des plus pauvres des ouvriers pourrait adopter une position défaitiste mais pas pro-hitlérienne dans les faits. Il restait donc les trois-quarts de la classe ouvrière et la petite bourgeoisie moins les intellectuels de gauche car ces derniers s’étaient, rappelons-le, déconsidérés depuis une dizaine d’années au moins. Le combat étant national et même nationaliste, il faudrait se méfier de cette « intelligentsia européanisée ».
De 1945 à 1950, le mot “ patriotisme ” n’apparaît jamais plus sous la plume d’Orwell. Visionnaire comme Churchill – dont il partage certaines conceptions en matière de géopolitique, Orwell a compris que la division du monde est un état de fait durable. Contre ceux qui envisagent une fusion pure et simple des États-Unis et de la Grande Bretagne, contre une petite minorité d’Anglais qui rêve d’une intégration au système soviétique, il envisage des « États-Unis socialistes d’Europe». L’essayiste qui, en 1947, publie dans la revue d’extrême-gauche étasunienne Partisan Review l’article “ Toward European Unity ” rédige les premières moutures d’un univers fictionnel d’où sont absentes les valeurs de la civilisation occidentale, le patriotisme y compris.
Bref retour sur Orwell (III)
Ce qui distingue les grands créateurs des autres, c’est que, à partir de la réalité, ils élaborent des modèles plus prégnants que celle-ci en nous la faisant comprendre et ressentir comme jamais auparavant. Essayez d’imaginer un gamin de Paris des années 1830 sans penser à Gavroche. Essayez de vous représenter Mozart sans vous remémorer celui d’Amadeus et son rire jamais envisagé jusque là. Le “ Guernica ” de Picasso occulte la vraie ville dont on ne sait, en fait, pas grand chose. Quant à Emma Bovary, elle écrase votre cousine rêveuse.
Dans 1984, Orwell invente un monde et sa langue officielle, la Novlangue (Newspeak). Elle a ceci de particulier qu’elle est conçue pour mourir, Orwell partant du principe que, plus on élimine des mots (on garde “ chaise ” et on supprime “ fauteuil ” “ tabouret ”), plus on réduit leur champ sémantique (“ liberté ” n’est utilisé que dans des phrases comme « j’ai la liberté de choisir entre des pommes de terre et du chou »), plus on réduit une pensée qui devient sans cesse davantage binaire, manichéenne.
Cette invention n’est pas arrivée comme un cheveu sur la soupe dans la vie d’Orwell et sa carrière d’écrivain et de journaliste. Il connaissait sept langues étrangères : le latin et le grec, qu’il avait très bien maîtrisés dans son école privée, le français, qu’il pratiquait avec aisance (il lisait Villon dans le texte, et lorsqu’il enseigna le français dans une école secondaire pendant quelques mois, ses cours se déroulaient entièrement dans la langue), l’hindustani, l’ourdou (deux versions d’une même langue) et le birman, appris lors de son séjour de cinq ans dans la police impériale, le castillan et le catalan, assimilés au contact des Républicains durant la guerre civile. Avant de créer la Novlangue, il s’intéressa, de 1942 à 1944, au Basic English du linguiste Charles Kay Ogden avant d’écarter l’utilisation d’une langue artificielle : il trouvait contre-culturelle une langue fabriquée – simplifiée ou pas – à vocation universelle. Mais il est clair que ce Basic English fut une source d’inspiration pour la Novlangue. Enfin, il avait des notions d’esperanto, que parlait couramment une de ses tantes, mais il s’en méfiait en tant que langue factice (« Les langues ne se peuvent se développer que lentement, comme des fleurs », disait-il).
Bien avant 1984, les premiers livres d’Orwell avaient révélé son grand intérêt pour les questions de langue. Dans la dèche à Paris et à Londres, une autofiction de 1933, montre qu’Orwell s’engoue pour les lois sociales de construction du langage. Tragédie birmane (1934) présente la Birmanie comme une société multilingue, les colons empêchant les autochtones d’apprendre l’anglais dans toutes ses finesses et les contraignant à l’utilisation d’un pidgin. Dans Une fille de pasteur (1935), Orwell reproduit, en s’inspirant de Joyce, un dialogue de théâtre entre les miséreux et la fille du pasteur. Dans Le quai de Wigan (1937), ce magistral essai devenu classique sur le monde des mineurs de charbon dans les années trente, Orwell offre quelques exemples d’anglais du Lancashire et du Yorkshire. Dans La Catalogne libre (1938), il utilise sa connaissance du catalan et du castillan. Dans Un peu d’air frais (1939), il présente les variétés de l’anglais selon les classes et commence à dénoncer ce qu’il appelle le “ jargon ” des hommes politiques. Etrangement, peut-être, la dictature de La ferme des animaux ne connaît pas de problèmes langagiers.
Toute la réflexion d’Orwell sur la langue repose sur une idée-force, que la linguistique récusait déjà à son époque, selon laquelle les mots sont autonomes par rapport à la pensée. Et il lui a échappé, comme le proposait fortement Roman Jakobson, que « de même qu’en peinture la géométrie se superpose à la couleur, la puissance d’abstraction de la pensée humaine surimpose des figures grammaticales au mot. » Il affirme pour sa part que la pensée est tellement dépendante des mots que ceux-ci peuvent régir celle-là. Il croit que parler c’est choisir des mots en toute souveraineté, ignorant qu’on ne saurait conceptualiser sans l’appui du langage. Comment dire “ la glace ” en bambara, langue de contrées où il fait trente degrés toute l’année ? En contradiction totale avec le concept d’arbitrarité du signe (voir comment le coq chante en anglais, en espagnol, en allemand, en français et en chinois), il suppose une corrélation entre le sens d’un mot et sa configuration sonore. Dans le monde de 1984, des fonctionnaires de la langue suppriment des mots du dictionnaire et confèrent aux vocables épargnés un sens unique, ce qui n’est pas soutenable dans la mesure où la pensée et les mots n’existent pas dans des sphères distinctes, Orwell pensant peut-être qu’à un mot pourrait correspondre automatiquement une seule pensée.
Dans ses essais majeurs sur la langue comme “ La politique et la langue anglaise ”, il estime que la langue dégénère quand elle sert le discours politique. Il s’inscrit dès lors dans la tradition idéaliste : « Bien écrire ou bien parler est un art. » Ecrire en anglais, c’est « se battre contre le flou, l’obscurité, les pièges tendus par les adjectifs décoratifs et les empiètements du latin et du grec ». Revendiquant son anglicité, Orwell préférait les mots d’origine saxonne aux mots d’origine franco-latine : freedom à liberty, brotherhood à fraternity, tout en sachant que plus de la moitié des mots de l’anglais venaient du français et de latin. A de nombreuses reprises, il décrit sa langue comme « défigurée », « violentée ».
Mais, à sa manière, Orwell a repris l’idéal de Boileau selon lequel ce qui se conçoit bien s’énonce clairement : « Une prose de qualité est transparente comme une vitre ». Ce cristal lui était nécessaire pour mieux faire passer la réalité confuse, violente et terrorisante. Stylistiquement parlant, sa plus grande réussite aura été de faire croire qu’il écrivait “ naturellement ” dans la langue parlée d’un anglais éduqué. D’où son obsession de ne pas pouvoir glisser « la lame d’un couteau métaphorique » entre les mots et le sens. Sa règle – pas toujours applicable – était que le sens décide du mot. Il s’efforça toujours, cela dit, de faire coïncider la forme et le fond.
Pour Orwell, les différences langagières étaient régies par les antagonismes de classe. Les classes éduquées ayant perdu le contact avec le monde ouvrier, il urgeait que les prolétaires redonnent du souffle à la langue anémiée de la classe dirigeante. Son idéalisme l’amena à proposer, pour que les accents régionaux ne disparaissent pas (ils sont toujours bien présents aujourd’hui), un accent « national » (pas le sien, lui l’ancien élève d’Eton), un « cockney modifié » ou alors un des accents du Nord. Mais dans 1984, non seulement les Proles ne régénèrent pas la langue du Parti intérieur, mais il n’existe aucun phénomène de contact entre leur langue et celle des maîtres.
Bien que polyglotte, Orwell n’affectionnait pas les emprunts entre langues. Il n’admit jamais que, si le vocabulaire anglais était très riche, c’est justement parce que la langue anglaise avait deux racines principales. De plus, alors que dans 1984 chaque continent possède une seule langue officielle, Orwell n’a rien écrit sur un fait déjà bien présent à son époque : le nouveau statut de l’anglais en tant que première langue véhiculaire mondiale. Conscient de la fin de la suprématie de l’Angleterre en tant que puissance planétaire, il redoutait le contact avec la culture d’outre-Atlantique. Plutôt conservateur en matière langagière, il n’en a pas moins créé de nombreux néologismes. Par exemple la “ nancytude ” (tapettitude), la “ scotchification ” (de l’Angleterre) (écossification), “ sub-faecal ” (sous-fécal), la “ blimpocracy ” (culotte de peaucratie). Bien que jungien, Orwell n’avait pas perçu que l’inconscient était structuré comme un langage. Il voyait dans les mots une substance pâteuse, fuyant indéfiniment devant les réalités de la pensée (« Quelqu’un a-t-il jamais écrit une lettre d’amour dans laquelle il a exprimé exactement ce qu’il voulait dire ? »). D’où cette proposition d’inventer des nouveaux mots (ou des mots neufs), aussi tranquillement que s’il s’agissait de « pièces pour moteur d’auto ». Mais il n’a pas pu (ou n’a pas eu le temps) de réfléchir à ses propres maniérismes. Il abusait d’adverbes de fréquences (“ rarement ”, “ toujours ”) parce qu’il avait tendance à généraliser. Il utilisait souvent la préposition “ comme ”, des adjectifs comme “ différent ”, “ identique ”, des verbes comme “ comparer ” parce qu’il pensait très souvent de manière analogique. Il s’efforça, cela dit, de s’imposer une hygiène d’écriture consistant, par exemple, à éviter les métaphores rebattues (pas une seule dans La ferme des animaux). Et il proposa cinq règles de bonne écriture et une sixième dirimante, dont il n’est pas stupide de s’inspirer, même si elles trahissent son souci névrotique de propreté :
Ne jamais utiliser une métaphore déjà vue sous la plume d’un autre.
Ne jamais utiliser un mot long quand un court fait l’affaire.
Supprimer un mot lorsqu’il est possible de le supprimer.
Ne pas utiliser la voix passive [beaucoup plus fréquente en anglais qu’en français] quand l’actif convient.
Ne jamais utiliser une expression étrangère, un mot scientifique ou du jargon s’il existe un équivalent en anglais de tous les jours.
Ne pas appliquer ces règles dès lors que le résultat est franchement malsonnant.
Dans 1984, le statut de la langue n’est pas toujours très cohérent. Un seul personnage (membre du Parti Extérieur) parle naturellement en Novlangue. Les enfants de Mrs Parson, pourtant militant zélés de la Ligue de la Jeunesse, s’expriment en anglais ordinaire. Orwell a toujours pensé que le manque de démocratie ou la dictature du prolétariat aggraveraient les antagonismes de classe. Aux trois classes d’Océania correspond une organisation linguistique gouvernée par le chiffre trois. Dans le Parti Intérieur, la Novlangue est censée être la norme ; dans le Parti Extérieur, elle se diffuse progressivement ; elle est inconnue des Proles qui parlent cockney, un idiome qui est d’avantage une recréation orwellienne que du cockney authentique. La Novlangue n’est pas généralisée dans le roman parce que le livre n’est pas une prophétie mais une satire dystopique. Elle ne peut être parlée par des personnages qui ressemblent aux gens qu’Orwell a côtoyés sa vie durant. A la fin du roman, Orwell estime que la Novlangue ne sera pas utilisé par tous avant 2050, malgré les moyens de coercition considérables dont dispose le système. Ce qui semble peut-être le plus pertinent dans la création de la Novlangue, c’est cette idée, aujourd’hui banale, qu’un discours officiel peut fort bien parler pour ne rien dire. Nous sommes en effet dans la destruction du sens. Le personnel politique étasunien a atteint cet idéal : souvenons-nous de Reagan se contenant de murmurer devant ses supporters « Read my lips » ou Hillary Clinton proposant un petit jappement chaque fois que Donald Trump proférerait un ânerie. Orwell postule par ailleurs que la langue fait naître la faute, le sentiment de culpabilité, notion que reprendra plus tard Roland Barthes expliquant que le fascisme n’empêche pas de dire mais oblige à dire.
L’écrivain au style translucide qu’était Orwell avait senti dans les années trente que la langue ne serait plus jamais un moyen de communication innocent. Winston finissait par “ aimer ” Big Brother parce que le mot “ amour ”, tout en ayant perdu sa signification d’origine, existait toujours bel et bien sous son horrible travestissement. Cratyle, dans le dialogue de Platon, avait décidé de se taire (« si des noms sont mal établis, ils ne sont plus que des éclats de voix »). Orwell choisit de travailler la simplicité de son expression (pour ceux dont l’anglais n’est pas la langue maternelle, il est l’un des auteurs les plus faciles à lire) et de renforcer le pouvoir de ses propres mots.
Voir par ailleurs:
How Being Politically Incorrect Could Help Bloomberg
Bloomberg says things that can’t be said in polite company. Maybe voters don’t mind as much as elites do.It’s amusing to learn that Mike Bloomberg, just last year, was filmed speaking with his customary bluntness about transgender individuals: “If your conversation during a presidential election is about some guy wearing a dress and whether he, she, or it can go to the locker room with their daughter, that’s not a winning formula for most people,” he said at a business development forum.
You can’t talk that way anymore in the upper levels of the Democratic party, the media, the arts, or even corporate America. If Bloomberg had said this as the CEO of a publicly traded company, instead of as the owner of a private one, intense pressure would have been put on the board to fire him. And this was hardly the first time he said something that was guaranteed to offend. “We put all the cops in minority neighborhoods. Yes, that’s true. Why do we do it? Because that’s where all the crime is,” Bloomberg said in 2015 at the Aspen Institute, adding, “The way you get the guns out of the kids’ hands is to throw them up against the wall and frisk them.”
Bloomberg hasn’t had to report to anyone for many years, and being as frank as he likes, no matter how rude he sounds, is part of his brand. “A List of Things Bloomberg Actually Said About Fat People, Rape, George W. Bush, and J.Lo” ran one of the more entertaining headlines of this campaign season. My personal favorite is one of many one-liners contained in the now-infamous booklet, The Portable Bloomberg: The Wit and Wisdom of Michael Bloomberg. It was published as a sort of party favor back in 1990 by his employees, and no one quite seems to be able to tell if it is a spoof or an actual compendium of Bloomberg remarks. If the former, it sounds a lot like the latter to a lot of people. A highlight is Bloomberg’s summing-up of the British royals: “What a bunch of misfits — a gay, an architect, that horsey-faced lesbian, and a kid who gave up Koo Stark for some fat broad.” (Fact check: Prince Charles is not an architect, merely an architectural enthusiast.)
Yet Bloomberg’s sharp rise in polling has coincided with a concerted effort by the media to score him for all of these grave offenses against political correctness. We’re about to learn whether anyone outside the elite stratum of the country actually considers these sorts of barbed comments to be disqualifying. True, nobody is allowed to talk like this anymore. But then again, the only other politician who dares to is the current occupant of the White House. Which raises the question: Does a history of extreme political incorrectness actually boost Bloomberg’s chances?
Reading about what Democratic voters have to say, it’s evident that all principles and policies are negotiable. The only thing that matters to them is defeating Donald Trump. Medicare for All, Medicare for All Who Want It, continue the status quo? Whatever. As long as someone other than Trump is in charge. Democratic voters have discarded Elizabeth Warren because they don’t think she can defeat Trump, and they are having severe misgivings about Joe Biden because they’re not sure he’s still vigorous enough for battle, or indeed vigorous enough to make it through a sentence without taking a break for a nap. Bernie Sanders, too, has to be making Democratic voters nervous: Hey, we just want Trump gone, we don’t want to be annexed by Denmark. Most Democrats are aware that Sanders is extreme, and more important, most Democrats are aware that swing voters in Michigan and Wisconsin are aware of this.
American elites hear the way Bloomberg talks and think: Shocking! Disqualifying! Outrageous! Median voters might hear something very different: This guy is a match for Trump! Instead of choosing a parody of an earnest loser in a rumpled sweater who has a garage full of Eugene V. Debs filmstrips, the Dems could go with a swashbuckling, trash-talking, don’t-give-a-fig capitalist buccaneer who is prepared to rain insults on Trump, not just gently shake his head and say, “That’s not who we are.” Instead of having a pathetic old schmuck in a subcompact who seems like he should be teaching bored high schoolers, they could have a fiercely combative alpha male who could buy and sell Trump 20 times over. Why not dump Walter White and go with Heisenberg?
The sort of people who get the vapors at offensive comments are going to vote for the Democrat this fall no matter who it is. Bloomberg’s political incorrectness won’t matter any more than Hillary Clinton’s vote for the Iraq War mattered in 2016. Yet the prospect of riding into battle with someone who is as arrogant, aggressive, politically incorrect, and corrosively funny as Trump has to be a tempting proposition to a lot of Democrats. Even if it’s a fellow New York billionaire.
Voir de même:
Reaching Peak Progressivism
« The frightening visions of the new peak progressives will ensure the reelection of Donald Trump, as well as either the likely end of themselves—or else a collective dystopian nightmare. »>The frightening visions of the new peak progressives will ensure the reelection of Donald Trump, as well as either the likely end of themselves—or else a collective dystopian nightmare.
Victor Davis Hanson
American greatness
February 16th, 2020
In 2020 we have finally hit peak progressivism. The adjective “peak”—apex or summit— is often used to describe something that has reached its maximum extent but thereafter will insidiously decline—like supposed U.S. domestic oil production in 2000 when more oil was purportedly taken out of, rather than still in the ground. While the idea of peak oil in the days before fracking and horizontal drilling proved vastly premature, we likely are witnessing something like “peak progressivism” today.
By that I mean the hard-left takeover of the Democratic Party and the accompanying progressive agenda now have reached an extreme—beyond which will only result in the steady erosion of radical ideology altogether.
The French Revolution hit “peak” coerced egalitarianism with the Jacobin takeover and so-called Reign of Terror. After all, when you begin guillotining fellow travelers on charges they are counterrevolutionaries and begin worshiping a new atheist secular power “Reason,” institutionalized as Robespierre’s “Cult of the Supreme Being,” you have mostly reached the limits of political radicalism and are into the territory of the nihilistic, if not the maniacal and absurd—with a rendezvous with Napoleon on the horizon.
From 2009 through 2016, Barack Obama recalibrated the Democratic Party’s liberalism into progressive radicalism. He opened the border and all but dismantled existing immigration law. Sanctuary cities sprang up with impunity. Executive orders bypassed the Congress. The Iran Deal ignored the Senate’s treaty-making responsibilities. Obama sought to nationalize healthcare. The concept of “diversity” replaced affirmative action, by redefining racial oppression as distinct from historical grievance and economic disparity and instead lumping together 30 percent of the population as nonwhite, and thus antithetical to the new buzz construct of “white privilege.” Fast and Furious, the surveillance of the Associated Press reporters, Benghazi, the weaponization of the IRS, and the use of CIA, FBI, and DOJ to seed the spurious Steele dossier were all written off as proof of the “most scandal free” administration in memory.
But today Obamaism has been figuratively guillotined by the New Jacobins. It is found guilty of crimes of insufficient revolutionary zeal, as well as compromises with the U.S. Constitution and capitalism.
Once considered a crank socialist, Senator Bernie Sanders (I-Vt.) is now leads in many Democratic primary polls. Arriving with him at this moment in our politics is peak progressivism.
First-term socialists—House representatives such as Alexandria Ocasio-Cortez (D-N.Y.) and her fellow “squad” members, inspired by Sanders—now set the new Democratic agenda. And it is one that is more radical than anything seen in modern American history and largely unsustainable: calls to level a wealth tax and new top income-tax rates of 70-90 percent, to abolish the Immigration and Customs Enforcement Service, all student debt, an enforceable southern border, the internal combustion engine, and most Second Amendment rights, and to enact multi-trillion dollar new entitlements as outlined in the Green New Deal, Medicare for All, free college, free healthcare for illegal aliens, and reparations.
Identity politics so rules the rhetoric of the new progressive party that all of its—exclusively white—primary finalists vie to be most vocal in the ritual damning of their own country (that has ironically ensured their own influence, power, success and wealth) as inherently “racist.”
Universities Lead the Way In the Revolution Eating Itself
Outside of the political sphere, peak progressivism had reinvented the university, rejecting Martin Luther King, Jr’s vision of racial integration and assimilation, by demanding racially obsessed dorms, safe spaces, and applications.
There is hardly a First Amendment on campuses anymore. Speakers with unpopular views are shouted down with impunity by student activists. “Trigger warnings” seek to censor required texts. The mere accusation of sexual harassment on campus is synonymous with the suspension of the Fourth, Fifth, Sixth, and Seventh Amendments. Skepticism over abortion, “climate change,” or identity politics can cancel out a faculty career.
It is hard to imagine where universities go after peak progressivism, since it would be the pure nihilism of abolishing grades, admissions standards, and student fees.
Peak progressivism calls for the abolition of the constitutionally mandated Electoral College. Radicals now fault past failed schemes to pack the federal and Supreme Court with left-wing justices only because they failed, and thus advance ways to make court-packing work in the present. The bolder among them wants to reconfigure the U.S. Senate into a proportionally representational house or abolish it altogether. All that would be left after that would be the formal abolition of the U.S. Constitution itself.
Primary candidates compete with one another to water down voting laws, variously demanding that 16-year-olds, felons, and illegal aliens should be given the franchise. Gay marriage, which Obama opposed in 2008 and later promoted after reelection, is now passé. The new civil rights cause celebre is transgenderism, an ancient syndrome known in the past under a variety of clinical definitions that affects less than half of one percent of the population. Who, after these peak progressive ideas, would be left as
ineligible to vote—12-year-olds, those on death row, the rest of the earth’s population?
All moderate Democratic presidential candidates long ago dropped out. Those who have not, such as Joe Biden and Michael Bloomberg, are in virtual reeducation camps, as they promise to progressive rivals and the media to renounce most of their past positions, effusively apologizing for prior incorrect thinking and failure to become sufficiently “woke.”
The Cycles of Cultish Extremism
There are certain historical characteristics of the current peak progressivism that are typical of past cycles of cultish extremism.
Iconoclasm—the destruction of statues and icons deemed reactionary—is typical.
So is Trotskyization, the renaming of buildings, streets, and institutions on the theory that current correct ideology makes past iconic figures no longer deserving of recognition and thus erased from history.
Puritanism is also typical, as correct speech extends to thoughts and behavior. Peak progressivism now includes Victorian prudery. Flattery, traditional flirting, and praise of physical beauty are proof of counter-revolutionary barbarism and toxic masculinity. The Internet allows instant cancel culture searches of one’s entire past thoughts, conduct, and expression in efforts to erase impure personas.
Tribal factionalism is a final symptom that peak ideology is already degenerating into chaos. In the Democratic primary, candidates could agree that white privilege and whiteness were toxic but no one quite could define whether black, Latino, Asian, gay, female upper-middle class, or wealthy candidates were the most victimized by America and thus the most deserving of reparatory considerations.
The much-discussed “intersectionality” is a construct, a myth. The history of ideological extremism is instead a war of all factions against one another.
We see just that in the peak progressive primaries. Michael Bloomberg is deemed a racist and sexist. But then so is Joe Biden. Bernie Sanders supposedly hires racists and sexists and won’t honor minimum wage laws. Senator Elizabeth Warren (D-Mass.) thinks Bernie is condescending to women and minorities. Pete Buttigieg thinks he is the victim of Joe Biden’s subtle anti-gay political adds, and feels, but does not articulate, that the black community is inherent anti-homosexual. The race to tag others as victimizers and selves as victimized is endless.
Radicals also vie to make rivals look counter-revolutionary, as they advance ever more incoherent and unhinged schemes without a clue that they are losing not just moderate support but even liberal followers. The more Warren feels she must become the purest peak progressive on the debate stage and the most radical in the U.S. Senate, the more her former supporters feel she is either a conniving opportunist or nuts or both.
Impossible Demands, Even of Their Own
Peak progressives cannot possibly live up to their rhetoric fantasies and so suffer from rank hypocrisies. Redistributionists like Warren and Sanders either fly on private jets or choose non-egalitarian first-class commercial. Hollywood stars who mouth crazy Oscar and Grammy ceremony platitudes vie with each other to wear multi-thousand-dollar clothes, live in mansions, and own yachts—as they drive down ratings to historic lows.
Not long ago, progressive pundits on CNN and MSNBC declared the current indicted lawyer Michael Avenatti presidential material for his fabrications and lies that were used to smear Justice Brett Kavanaugh. Where does a network go after that?
Racial quota advocates demand proportional representations and cry out about disparate impact but soon discover that they have no plans or desire to appoint candidates of color to be included on the Democrat debate stage (or to reserve slots for Asian-American basketball forwards, or to ensure blacks make up only 12 percent of the coveted billets of the U.S. Postal Service.) Peak progressives never imagine that they, too, can become prisoners of their ridiculous ideologies.
Peak progressives also live in cocoons. They have no inkling how their ever more radical talk alienates the public. How odd to see Mike Bloomberg repudiate many of his mayoral policies that once were popular with even liberal New Yorkers. (Or is Bloomberg’s Machiavellian team leaking past politically incorrect statements about crime and the housing collapse to show that in comparison with his current rivals’ professed lunacies that he once sounded pragmatic and sane?)
To prove he is not a racist, Joe Biden sounds like an incendiary radical, only further turning off his once-sizable moderate block of supporters. As Democratic candidates careen ever farther to the left, their crowds shrink, and Donald Trump’s rallies expand.
Peak progressivism even scares the diehard NeverTrump right, which fears imploding by voting for a whacked-out Bernie Sanders as the only alternative to the hated Trump.
Peak progressivism eventually either recedes, or, to remain viable, entails violence, as in the Russian, Chinese, or Cuban revolutions. The odd thing is not that Sanders supporter James Hodkinson tried to mow down some of the Republican House leadership, or a recent left-wing activist sought to run over Trump supporters with his van, or that Hollywood stars still compete with each other in imagining the most fitting rhetorical torture or killing of the president of the United States—bombing, incineration, beheading, stabbing, shooting, beating—but that progressive voices rarely complain about such extremist rhetoric or actions. Impeachment 1.0 in January 2017 looks tame in comparison to 2.0 in February 2020, which in turn will seem a sell-out compared to 3.0 in 2021.
George McGovern ensured a Nixon landslide, Jimmy Carter hastened the Reagan Revolution—and the eventual return of the old Democrats under Bill Clinton.
The frightening visions of the new peak progressives will ensure the reelection of Donald Trump, as well as either the likely end of themselves—or else a collective dystopian nightmare.
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China’s Government Is Like Something out of 1984
The Chinese technological revolution is overseen by an Orwellian dictatorship.The Chinese Communist government increasingly poses an existential threat not just to its own 1.4 billion citizens but to the world at large.
China is currently in a dangerously chaotic state. And why not, when a premodern authoritarian society leaps wildly into the brave new world of high-tech science in a single generation?
The Chinese technological revolution is overseen by an Orwellian dictatorship. Predictably, the Chinese Communist Party has not developed the social, political, or cultural infrastructure to ensure that its sophisticated industrial and biological research does not go rogue and become destructive to itself and to the billions of people who are on the importing end of Chinese products and protocols.
Central Party officials run the government, military, media, and universities collectively in a manner reminiscent of the science-fiction Borg organism of Star Trek, which was a horde of robot-like entities all under the control of a central mind.
Thirty years ago, American pundits began gushing over China’s sudden leap from horse-drawn power to solar, wind, and nuclear energy. The Chinese Communist government wowed Westerners. It created from nothing high-speed rail, solar farms, shiny new airports, and gleaming new high-density apartment buildings.
Western-trained Chinese scientists soon were conducting sophisticated medical and scientific research. And they often did so rapidly, without the prying regulators, nosy elected officials, and bothersome citizen lawsuits that often burden American and European scientists.
To make China instantly rich and modern, the Communist hierarchy — the same government that once caused the deaths of some 60 million innocents under Mao Zedong — ignored property rights. It crushed individual freedom. It embraced secrecy and bulldozed over any who stood in its way.
In much the same manner that silly American pundits once praised Benito Mussolini’s fascist efforts to modernize Depression-era Italy, many naifs in the West praised China only because they wished that their own countries could recalibrate so quickly and efficiently — especially in service to green agendas.
But the world is learning that China does not just move mountains for new dams or bulldoze ancient neighborhoods that stand in the path of high-speed rail. It also hid the outbreak and the mysterious origins of the deadly coronavirus from its own people and the rest of the planet as well — a more dangerous replay of its earlier effort to mask the spread of the SARS virus. The result was that thousands of unknowing carriers spread the viral plague while the government covered up its epidemic proportions.
China, of course, does not wish to have either its products or citizens quarantined from other countries. But the Chinese government will not allow foreign scientists to enter its country to collaborate on containing the coronavirus and developing a vaccine.
No wonder Internet conspiracies speculate that the virus was either a rogue product of the Chinese military’s bioengineering weapons lab or originated from bats, snakes, or pangolins and the open-air markets where they are sold as food.
It is hard to believe that in 2020, the world’s largest and second-wealthiest county, which boasts of high-tech consumer products and gleaming cities, has imprisoned in “re-education camps” more than 1 million Uighur Muslims in the manner that Hitler, Stalin, and Mao once relocated “undesirable” populations.
China seems confident that it will soon rule the world, given its huge population, massive trade surpluses, vast cash reserves, and industries that produce so many of the world’s electronic devices, pharmaceuticals, and consumer goods.
For a year, the Chinese government has battled massive street demonstrations for democracy in Hong Kong. Beijing cynically assumes that Western nations don’t care. They are expected to drop their characteristic human-rights advocacy because of how profitable their investments inside China have proven.
Beijing was right. Few Western companies complain that Chinese society is surveilled, regulated, and controlled in a nightmarish fashion that George Orwell once predicted in his dystopian novel, 1984.
All of these recent scandals should remind the world that China got rich by warping trade and stealing technology in much the same way that it deals with epidemics and dissidents. That is, by simply ignoring legitimate criticism and crushing anyone in its way.
If the Chinese Communist Borg is willing to put millions of its own citizens at risk of infection and death, why would it care about foreigners’ complaints that China is getting rich and powerful by breaking international trade rules?
The truth about President Trump’s decision to call China to account over its systematic abuse of international trade norms is not that Trump’s policy is reckless or ill-considered. It’s that at this late date, the reckoning might prove too little, too late.
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Des employés d’Amazon écoutent les conversations des utilisateurs avec Alexa
Pour améliorer les performances de reconnaissance vocale de son assistant intelligent Alexa, des milliers de salariés d’Amazon écoutent des extraits de conversations réelles. Il n’est pas mentionné explicitement dans ses conditions d’utilisation que des humains peuvent y accéder.
Plusieurs personnes hésitent à introduire des enceintes connectées chez eux par crainte d’être écoutés. D’une certaine façon, c’est bien le cas. Une enquête de Bloomberg révèle qu’Amazon emploie des milliers de salariés dans le monde pour écouter les conversations des utilisateurs avec Alexa, l’assistant vocal qui alimente les enceintes Echo du géant et plus de 100 millions d’objets connectés dans le monde. Ces employés travaillent neuf heures par jour dans des bureaux à Boston, au Costa Rica, en Inde ou encore en Roumanie. Il analyse jusqu’à 1000 clips audio par jour pour transcrire et annoter leur contenu. Le but est d’améliorer l’outil de reconnaissance vocale en éliminant les lacunes dans la compréhension de la parole humaine par Alexa et en l’aidant à mieux répondre aux demandes des utilisateurs. Un employé explique ainsi à Bloomberg avoir aidé Alexa à mieux comprendre le nom «Taylor Swift» en lui indiquant que l’utilisateur parlait d’une artiste musicale.
La vie privée des utilisateurs chez Amazon
Parmi le type de clips auxquels les salariés accèdent, des requêtes mais aussi des sons enregistrés comme une femme qui chante mal sous la douche. Problème: ces fichiers peuvent être partagés sur une messagerie interne pour aider un collègue à mieux interpréter une phrase ou pour se moquer d’un enregistrement amusant. D’autres extraits sont parfois plus problématiques. Deux personnes qui travaillaient pour Amazon ont ainsi raconté avoir entendu ce qui ressemblait à une agression sexuelle. Après l’avoir mentionné à leur hiérarchie, ils ont été informés qu’Amazon ne souhaitait pas réagir à la situation. Pourtant le géant affirme que «des procédures ont été mises en place» pour ce genre de situation. Enfin, lorsque les employés entendent des données personnelles telles que les coordonnées bancaires, ils cochent simplement une boîte de dialogue indiquant «données critiques» avant de passer au fichier audio suivant.
Selon un porte-parole d’Amazon, seul «un très faible échantillon des enregistrements» est utilisé pour améliorer l’expérience de l’utilisateur. Il précise également que les employés ne peuvent pas accéder directement aux informations d’identification des personnes ou des comptes associés aux enregistrements. «Toutes les informations sont traitées avec la plus grande confidentialité et nous utilisons l’authentification multifacteurs pour restreindre l’accès, le chiffrement des services et des audits de notre environnement de contrôle pour le protéger». Pourtant, les captures d’écran fournies par les employés à Bloomberg montrent qu’à défaut d’indiquer le nom complet et l’adresse d’un utilisateur, les enregistrements sont tout de même associés à un numéro de compte, ainsi qu’au prénom de l’utilisateur et le numéro de série de l’appareil.
Paramètres de confidentialité
Amazon mentionne dans ses conditions d’utilisation que les conversations des utilisateurs avec Alexa sont enregistrées pour améliorer son assistant virtuel. Cependant, le géant n’y précise explicitement pas que ces conversations peuvent être écoutées par des humains. Et si l’utilisateur peut limiter via les paramètres de confidentialité d’Alexa l’utilisation qui est faite de ces enregistrements, il ne peut jamais empêcher cette transmission.
Alexa est conçue pour enregistrer en continu des extraits audio dès qu’elle entend le mot d’activation, soit «Alexa» par défaut. Ce mot peut être modifié. Une fois qu’il est détecté, l’anneau de lumière situé au-dessus de l’enceinte devient bleu, indiquant que le périphérique enregistre et transmet une commande aux serveurs d’Amazon. Le site du géant affirme qu’aucun son n’est stocké à moins que l’enceinte connectée Echo ne détecte le mot d’activation ou ne soit allumée en appuyant sur un bouton. Mais, il arrive qu’Alexa commence un enregistrement sans aucune demande de la part de l’utilisateur ou par accident. L’assistant vocal peut en effet se tromper, notamment avec d’autres langues que l’anglais. En français, il peut confondre «sa» avec «Alexa», soit son mot d’activation. Chaque auditeur transcrit ainsi jusqu’à 100 enregistrements par jour dans ces situations selon une source de Bloomberg.
Améliorer les assistants vocaux
Amazon n’est pas la seule entreprise à faire écouter une partie de ces conversations à des humains pour améliorer son outil de reconnaissance vocale. C’est aussi le cas chez Google et Apple avec leurs propres assistants vocaux Google Assistant et Siri. Pour Siri d’Apple, les enregistrements passés en revue ne contiennent pas d’informations personnelles. Durant les six mois où ils sont stockés, ils sont liés à un identifiant aléatoire selon un livre blanc sur la sécurité d’Apple. Après ces six mois, les données sont dépourvues de leur identifiant aléatoire, mais elles peuvent être stockées plus longtemps pour améliorer la reconnaissance vocale de Siri. Chez Google, certains réviseurs peuvent accéder à des extraits audio de Google Assistant, mais ces derniers ne sont associés à aucune information personnelle et le son est déformé, selon l’entreprise.
Dans la nuit du 2 au 3 août, Amazon a mis à jour son application Alexa pour expliquer plus clairement la manière dont les enregistrements sont utilisés. Ainsi, on peut dorénavant lire que «les fichiers audios peuvent être […] manuellement révisés pour aider à améliorer les services [d’Amazon]». Alors qu’avant, la firme indiquait seulement que les enregistrements pouvaient «être utilisés pour développer de nouvelles fonctionnalités». Via l’application, il est aussi possible de désactiver l’envoi et l’écoute des fichiers audios avec Alexa. L’annonce d’Amazon fait suite à la procédure administrative ouverte par l’autorité de protection des données de Hambourg à l’encontre de Google. Depuis le 1er août et pendant trois mois, la firme n’est plus autorisée à laisser ses employés ou sous-traitants écouter les conversations enregistrées par son assistant intelligent. L’interdiction s’étend à toute l’Union Européenne. Apple a également emboîté le pas à Google et Amazon. La firme a annoncé au média TechCrunch qu’elle suspendait la manière dont les enregistrements sont utilisés pour améliorer son assistant vocal, «le temps de le réexaminer en profondeur». Cette décision s’applique au monde entier.
Voir enfin:
Primaires américaines : à Las Vegas, le milliardaire Michael Bloomberg aiguise les rivalités démocrates
L’ancien maire de New York a participé à son premier débat des primaires et fait l’unanimité contre lui parmi les autres candidats.
Le Monde
Michael Bloomberg avait beaucoup d’explications à fournir. Sur ses déclarations méprisantes à l’égard des femmes, son passé républicain, et surtout sa politique de « stop and frisk » ou contrôle au faciès quand il était maire de New York de 2002 à 2013. Dès la deuxième minute du débat des primaires démocrates de Las Vegas, mercredi 19 février, Bernie Sanders a attaqué frontalement le nouveau venu dans la campagne, expliquant qu’il n’avait aucune chance de battre Donald Trump, en raison de son soutien passé à cette pratique raciste.
Le milliardaire a encaissé le coup. « Euh », a-t-il balbutié. Elizabeth Warren s’est précipitée pour le tailler en pièces : « J’aimerais parler de qui nous combattons, a-t-elle lancé. Un milliardaire qui traite les femmes de “grosses vaches” et de “lesbiennes au visage chevalin”. Et non, je ne parle pas de Donald Trump, a repris la sénatrice du Massachusetts. Je parle de Michael Bloomberg. Les démocrates prennent un grand risque si nous remplaçons un milliardaire arrogant par un autre. »
Dans l’assistance, il y a eu un moment d’effroi puis des applaudissements. La candidate, en perte de vitesse depuis des semaines dans les sondages, faisait référence à une compilation satirique concoctée en 1990 par un cadre de la société Bloomberg et offerte au PDG pour son 48e anniversaire : la recension de quelques « maximes » d’un homme réputé pour ses jugements corrosifs. Bloomberg a préféré ne pas relever. « Je suis New-Yorkais, a-t-il répondu d’une voix atone. Je sais comment m’y prendre avec un imposteur new-yorkais de l’arrogance de Donald Trump. »
Effet Bloomberg ? Sursaut de combativité parmi les concurrents distancés dans les sondages ? Le neuvième débat démocrate, mercredi 19 février, le premier pour l’ancien maire de New York, a été le plus brutal depuis le début de la compétition pour la succession de Donald Trump. Pendant la première heure, le casino Paris Las Vegas s’est transformé en arène où les six candidats-gladiateurs ont déversé attaques et insultes – des plus conséquentes aux plus mesquines. NBC News a totalisé 75 tirs dans les 60 premières minutes. Et dans toutes les directions.
Ascension fulgurante
Amy Klobuchar, l’accrocheuse sénatrice du Minnesota, s’est vu longuement reprocher d’avoir été incapable de citer le nom du président mexicain dans une interview, alors qu’elle a multiplié les excuses et pris soin de mentionner Andres Manuel Lopez Obrador (après un coup d’œil à ses notes). Avec son air de premier de la classe, le polyglotte Pete Buttigieg, qui court sur les mêmes terres centristes du Midwest, l’a énervée plusieurs fois : « J’aimerais que tout le monde soit aussi parfait que toi, Pete. »
Rien n’a été épargné aux spectateurs. Pas même la crise cardiaque subie, en octobre 2019 dans cette même ville de Las Vegas, par Bernie Sanders. Pete Buttigieg, le premier, mais pas le seul, lui a reproché de ne pas publier davantage d’informations sur son dossier médical. Bernie Sanders, la figure rouge depuis son premier emportement contre Michael Bloomberg, a répondu qu’il avait donné toutes les garanties. Avant de botter en direction de Bloomberg : « Je crois qu’on partage le fait d’avoir deux stents », a-t-il glissé. « C’était il y a 25 ans », a soupiré l’ancien maire de New York.
L’ascension fulgurante de ce dernier a fait l’effet d’un électrochoc dans le camp démocrate. Plusieurs sondages l’ont maintenant placé dans le trio de tête, voire en deuxième position. Dans le dernier calcul de la moyenne des sondages établie par le site Realclearpolitics, Bernie Sanders arrive en première position avec 29 %, Joe Biden est deuxième avec 18 %, talonné par Michael Bloomberg à 16 %. Le sondage NBC News-Wall Street Journal, publié à la veille du débat, a lui aussi placé le socialiste-démocrate en tête avec 27 %, devant Joe Biden, en recul de 11 points. L’ancien vice-président, qui joue gros lors des caucus du Nevada samedi, a tenu son rang dans le débat, mais sans éclat.
Neuvième fortune mondiale
Depuis qu’il s’est lancé en novembre 2019, Michael Bloomberg, 55 milliards de dollars (50 milliards d’euros), la 9e fortune mondiale selon le classement du magazine Forbes en 2019, a déployé des moyens sans précédent. Il a déjà dépensé 409 millions de dollars, dont un million par jour sur Facebook selon NBC News, soit plus que les candidats encore en lice pendant toute l’année 2019.
Lui qui a fait sa fortune dans l’information financière a mis en place un dispositif sophistiqué sur les réseaux sociaux, allant jusqu’à payer des influenceurs pour publier des mèmes. Il a recruté des auteurs d’émissions satiriques pour calibrer des Tweet susceptibles de déclencher la rage de Donald Trump – lequel mord régulièrement à l’hameçon. Sans avoir participé aux caucus de l’Iowa ou aux primaires du New Hampshire, sans se présenter aux caucus du Nevada samedi 22 ou aux primaires de Caroline du Sud le 29 février, Michael Bloomberg s‘est hissé devant des candidats qui battent la campagne depuis plus d’un an.
Ceux-ci ont-ils réussi à enrayer la dynamique ? Bloomberg, qui n’avait pas participé à un débat politique depuis plus de dix ans, n’a pas manifesté de talent oratoire particulier, hésitant dans sa défense. Sur les contrôles au faciès, il s’est de nouveau excusé, plaidant l’ignorance de l’impact sur les minorités, tout en répétant que, de 650, le nombre de meurtres à New York avait été réduit de 50 %. Il ne s’est animé que dans la partie consacrée au climat, l’une de ses causes de prédilection.
Quoi qu’il en soit, sa présence a entraîné un débat supplémentaire chez les démocrates. Tous les candidats se sont déclarés scandalisés qu’il « achète » l’élection à coups de publicités (une telle fortune, équivalente à ce que possèdent 125 millions d’Américains, est « immorale », a jugé Bernie Sanders). Mais Bloomberg, un self-made-man, ingénieur de formation qui a inventé une plate-forme de trading, n’est pas vu comme un épouvantail par toute la gauche, où sévit ce qu’un éditorialiste a appelé « la tentation de Bloomberg », l’anti-Bernie Sanders.
Le milliardaire a reçu le soutien de dizaines de maires et d’élus afro-américains, dont il aide les projets sociaux depuis des années. Il a investi 500 millions de dollars dans la campagne de l’organisation écologiste Sierra Club « Beyond coal », qui a contribué à fermer la moitié des centrales au charbon du pays. Pas une cause progressiste – du planning familial à l’Emily’s List, qui aide les femmes en politique – qui n’ait bénéficié de subventions de sa fondation. « J’ai eu beaucoup de chance, j’ai gagné beaucoup d’argent et je suis en train de le dépenser pour débarrasser le pays de Donald Trump. Et d’ailleurs, une bonne partie de cet argent va au Parti démocrate », a-t-il rappelé.