

I think it was so splendid in Father to go as chaplain. Meg (Little women 2)
Comme c’est beau à papa d’être parti pour l’armée comme médecin. Adaptation de Pierre-Jules Hezel
Quant au premier père de ce livre, qu’il pardonne à son père adoptif en France de l’avoir conduit, quelquefois, où peut-être il ne voulait pas qu’il allât. Si Américain qu’on soit, si épris qu’on puisse être de son indépendance, pas plus qu’un être humain un livre ne voyage impunément. Du moment où les circonstances vous ont amené à habiter un autre pays que celui où l’on est né, il faut se résigner, si l’on veut s’y faire accepter, à sacrifier quelque chose aux goûts et aux mœurs de ce pays nouveau, et ce n’est qu’à la condition d’en prendre et d’en garder quelque chose qu’on parvient à s’y acclimater. Ce que je tiens à affirmer, c’est que jamais enfant adoptifs n’ont été traités avec plus d’amour que les Quatre Filles du Docteur Marsch par celui qui les présente aujourd’hui au public français. Il n’est certes aucune de ses œuvres personnelles à laquelle il ait donné plus de soins et qu’il ait entourée de plus de sollicitude. Pierre-Jules Hezel (alias P.J. Stahl, postface)
Il y eut un livre où je crus reconnaître mon visage et mon destin : Little Women, de Louisa Alcott. Je m’identifiai passionnément à Jo, l’intellectuelle. (…) elle était bien plus garçonnière et plus hardie que moi ; mais je partageais son horreur de la couture et du ménage, son amour des livres. Simone de Beauvoir (Mémoires d’une jeune fille rangée)
Ce qui frappe dès qu’on aborde la réception de Little Women en milieu francophone, c’est le nombre et la constance des rééditions. Une consultation du catalogue de la Bibliothèque nationale de France donne une idée précise des traductions et adaptations « nouvelles », des « adaptations abrégées », des « abrégés » proposés par les divers éditeurs. Pour les années 1990, pas moins de neuf de ces versions plus ou moins nouvelles ont été déposées. Puisque l’objectif n’est pas ici de faire l’histoire de la traduction française de Little Women, un survol des traductions successives suffira à éclairer notre propos. La première traduction remonte à 1872, soit quatre ans après la publication de l’original ; publiée à Lausanne, elle est l’oeuvre de Madame Rémy, connue également pour un manuel de français. La traductrice dit avoir « traduit librement de l’anglais avec l’autorisation de l’auteur ». Puis, en 1880, Pierre-Jules Hetzel, célèbre éditeur français pour la jeunesse, publie sous le pseudonyme de P.-J. Stahl, Les Quatre filles du docteur Marsch [sic] d’après L.M. Alcott, pour son « Magasin d’éducation et de récréation », fondé en 1864. P.-J. Stahl a joué un rôle décisif dans la transmission de Little Women en domaine francophone. Cette adaptation, plus ou moins retouchée par les éditeurs et des adaptateurs anonymes, continue d’avoir cours et nous l’avons incluse dans le choix de traductions. Elle a imposé au récit des distorsions qui n’ont pas été rectifiées depuis. Ainsi c’est Stahl qui impose cette fiction du « docteur » March, en faisant jouer au père dans l’armée nordiste, non pas le rôle d’un aumônier, mais celui d’un médecin[9]. Version plus acceptable dans une France républicaine où s’affrontent les tenants du catholicisme ultramontain et de la laïcité, peu réceptive dans son ensemble au mariage des guides spirituels. L’éditeur estimait en effet que le livre « tel qu’il était, n’aurait pu […] réussir en France ». Si les traductions récentes ont corrigé l’erreur dans le texte, le titre demeure inchangé, et les lectrices francophones continuent de croire que le père des soeurs March est docteur en médecine. Son absence dans le premier tome permet d’ailleurs de ne pas se poser trop de questions. La seconde modification substantielle apportée au texte est le gommage systématique de l’intertexte bunyanien. Chez Stahl, la Morale familière remplace le Pilgrim’s Progress. Or, ce texte clé de la spiritualité protestante (1678), évoqué dès le premier chapitre, imprime son mouvement au texte d’Alcott ; plusieurs titres de chapitres, complètement modifiés dans la traduction, y renvoient explicitement : « Playing Pilgrims » (ch. 1), « Burdens » (ch. 4), « Jo meets Apollyon » (ch. 8), etc. Enfin l’adaptateur, qui de son propre aveu ne connaissait pas le second tome, a imaginé un dénouement, dont s’inspirent quelques adaptations actuelles. La maison Hachette, qui racheta le fonds Hetzel, a publié l’adaptation de Stahl, sensiblement remaniée, dans les collections « Idéal-Bibliothèque » et « Bibliothèque Verte ». L’éditeur belge Casterman propose une réécriture anonyme basée sur cette adaptation, qui est dans l’ensemble plus fidèle au texte de 1880 que ladite traduction de Stahl publiée par Hachette, comme nous le verrons plus loin. On voit donc que les textes issus de l’adaptation de la fin du xixe siècle connaissent encore une importante diffusion. Dans les années 1930 et 1940, Little Women a été traduit et édité pour un public adulte. Au cours des années 1980, apparaissent, dans des collections destinées à la jeunesse, des textes plus conformes à l’éthique moderne de la traduction, qui ne se permettent pas de coupures ou d’ajouts. Nous en incluons deux dans le corpus, celle de Paulette Vielhomme-Callais pour Gallimard (Folio-Junior et Gallimard Jeunesse) et celle de Maud Godoc pour Castor-Poche/Flammarion. Claire Le Brun
Une bonne partie du roman est consacrée à illustrer les défauts des quatre sœurs et à montrer leurs efforts sincères pour s’en corriger, avec comme guide le Pilgrim’s Progress, le roman allégorique de John Bunyan, lecture pieuse obligée des dimanches victoriens. Le Pilgrim’s Progress structure de ce fait tout le roman. Les sœurs sont au début dans le Slough of Despond (le Bourbier du Découragement dans la traduction de Bunyan par S. Maerky-Richard). Beth visite le Palace Beautiful (palais Plein-de-Beauté), Amy la Valley of Humiliation (Vallée de l’Humiliation). Jo rencontre et vainc Apollyon, résident de la même vallée (et qui symbolise son mauvais caractère). Meg va à Vanity Fair (la Foire aux Vanités), etc. Les sœurs font aussi de fréquentes lectures des petits évangiles qui constituent leur seul cadeau pour le Noël qui ouvre le roman. (…) Le « texte intégral » de la version du Livre de poche jeunesse représente un peu moins de la moitié du roman, les coupes allants d’une demi-phrase à des pages entières. Trois chapitres sautent dans leur totalité, celui où Amy fait des bêtises à l’école et est sévèrement punie, celui où Meg, la coquette, est invitée chez des gens riches qui la snobent et la ridiculisent, enfin, un chapitre « littéraire » consacré au petit journal manuscrit que publient les sœurs March et Laurie, sous les auspices du Pickwick Club. (…) Dans la traduction, les March n’ont plus de religion particulière. Toute allusion à une quelconque lecture pieuse ou une quelconque pratique religieuse est supprimée (Amy ne se fait plus installer un oratoire chez la tante March par la gouvernante française et catholique). Le Pilgrim’s Progress disparaît en entier et le roman n’est plus structuré par rien. On ne comprend d’ailleurs plus, dans la version française, que les quatre petits livres reliés de quatre couleurs différentes que reçoivent les filles March pour le premier Noël sont quatre petits évangiles. Toujours dans le souci de déchristianiser le roman, la traductrice supprime fréquemment les fins de chapitres, souvent si émouvantes, parce que les personnages y tirent une leçon morale. (…) Quant à la bibliophobie de la traductrice, elle entraîne que les filles March ne lisent rien de particulier, alors que l’un des intérêts de Little Women est de montrer les lectures de petites Américaines de la classe moyenne au 19e siècle. Jo n’a donc plus droit à The Heir of Redclyffe (de Mrs Yonge), pas plus qu’à Undine et Sintram (de La Motte-Fouqué). Et la traductrice passe complètement sous silence le fait que Jo ne peut se faire offrir les deux contes de La Motte-Fouqué (réunis en un volume) pour le premier Noël et qu’elle passe donc tout le roman, c’est-à-dire une année entière, à désirer ardemment cet ouvrage. Sans doute un tel amour des livres a-t-il été jugé excessif et par conséquent peu édifiant ! (…) Des jeunes filles règlent leur conduite sur une norme religieuse qui constitue à la fois une morale pratique et une forme d’hygiène mentale ; l’une de ces jeunes filles ne vit que pour les livres, ceux qu’elle lit et ceux qu’elle écrit ; la même jeune fille est mal dans son sexe et panache les attitudes sociales des deux sexes. Si de pareilles énormités étaient publiables en 1868, elles ne le sont plus en 1980. (…) La suppression des allusions à la littérature modifie radicalement le personnage de Jo March. Dans le roman de Mrs Alcott, Jo est un écrivain en herbe, ce qui fait d’elle l’un des personnages les plus intéressants du roman, dont il nous donne par ailleurs la clé, puisque nous comprenons que Jo March est l’auteur elle-même. Dans ce qui reste du roman en français, Jo est une jeune fille douée qui place une nouvelle dans le quotidien local sans que cela ait de signification particulière, et qui aurait pu tout aussi bien chanter sur scène à la fête annuelle de l’école de musique ou gagner le cent mètre en dos crawlé à la piscine municipale. La description de Jo comme garçon manqué est elle aussi très édulcorée dans la traduction. Quand Mrs March retourne ses poches et va mendier chez la vieille tante March pour réunir l’argent qui lui permettra de se rendre à Washington au chevet de son mari, Jo vend sa chevelure ce qui lui permet de remettre 25 dollars à sa mère. Dans la traduction tronquée, la chose est présentée comme un sacrifice héroïque. La version originale est beaucoup plus riche, puisque nous comprenons qu’en réalité Jo avait envie d’être tondue (pour ressembler à un garçon), et qu’elle a saisi ce prétexte – ce qui ne l’empêchera d’ailleurs pas de pleurer ses beaux cheveux. Dans la suite du roman, Jo entretient le fantasme de s’enfuir avec Laurie, en se faisant passer pour un garçon grâce à ses cheveux ras, motif qui a été soigneusement gommé par la traductrice. On décèle donc, dans les interventions de la traductrice, le souci d’épargner à une jeune lectrice de la fin du 20e des détails scabreux qui étaient peut-être acceptables à l’époque victorienne mais qui ne le sont plus de nos jours : des jeunes filles fondamentalement bonnes et pieuses règlent leur conduite sur une norme religieuse qui constitue à la fois une morale pratique et une forme d’hygiène mentale ; l’une de ces jeunes filles ne vit que pour les livres, ceux qu’elle lit et ceux qu’elle écrit, et entraîne ses sœurs et le petit voisin dans son jeu préféré, celui du club littéraire ou de la conférence de rédaction ; la même jeune fille est mal dans son sexe et panache les attitudes sociales des deux sexes. Si de pareilles énormités étaient publiables en 1868, elles ne le sont plus en 1980. Notons pour finir que la deuxième partie des Quatre filles du Dr. March (Little Women part II, ou Good Wives en Angleterre) n’est pas disponible pour les petites lectrices françaises, ce qui signifie que, ici encore, le sens du roman est profondément altéré (les petites lectrices ne sauront pas que Beth meurt finalement, ou encore que Jo n’épousera pas Laurie, son grand ami). Cette absence, dans la collection Le Livre de poche jeunesse, de la moitié du roman de Mrs Alcott est heureusement largement compensée par la présence dans ladite collection de romans tels que Parvana la petite Afghane ou Paloma la petite disparue latino-américaine. L’Adamantine
Lorsqu’il traduit ainsi (…) Pierre-Jules Hetzel a visiblement à coeur de ne heurter personne dans une France qui s’affronte sur la question de la séparation de l’Eglise et de l’Etat depuis, au moins, la Loi Falloux, en 1850. D’éviter aussi les questions d’enfants qui fâchent ou embarassent à propos des ministres de Dieu qui se marient (et qui font des enfants). Il ignore que son titre fera le tour du monde francophone et demeurera « la » référence en 1872, dans sa « Bibliothèque d’éducation et de récréation », de son adaptation très personnelle de « Little women », titre original de l’oeuvre de Louisa May Alcott. (…) Autre aspect important (que l’adaptation de Hetzel n’est pas seule à omettre), la référence au « Pilgrim’s Progress »( Le Voyage du pèlerin »), de John Bunyan. Ce livre, qui est l’un des fondements d’une morale pratique du protestantisme anglo-saxon , est omniprésent tout au long de « Little women ». Il génère certains titres de chapitres et de phrase de clôture, Alcott, qui est écrivain avant tout s’amuse avec ses « petits pèlerins » et les symboles religieux. Là où elle traite avec poésie et tendresse du thème de la religion (cf. le perroquet de tante March qui demande à Dieu de bénir les boutons de bottines des visiteurs), Hetzel, lui, remplace cet aspect ludique, poétique (et qui sructure la narration), par une morale familiale, scolaire et pédagogique qui a contribué, hélas, à l’image un peu didactique et ennuyeuse du roman. Par ailleurs, le personnage de Jo , alter ego de l’auteur et diffuseur de ses idées sur la condition féminine, dévore des livres dont les titres ont le plus souvent disparu des traductions. Or, même si ce sont des livres oubliés, leur choix en (…) en dit long sur le caractère de Jo et/ou sur son humeur du moment. Malika Ferdjoukh
Il y a juste une chose que je regrette. C’est le passage du Pickwick Club. J’avais quasiment tout laissé. Juste allégé des répétitions et des lourdeurs. Mais la directrice de collection, soucieuse de son jeune lectorat trouvait, et sans-doute a-t-elle raison, qu’expliquer par de multiples et fastidieuses notules la fonction de tel personnage du roman de Dickens appliquée aux filles March, c’était décourager et « larguer » par avance les non-initiés. Pour des collégiens, on peut le comrpendre. Exit, donc, les petits textes qu’écrivent Jo et ses sœurs dans la gazette Pickwick. Je le regrette un peu car disparaît ainsi une dimension « cocoon » et de « comment se réchauffer l’imagination » importante à mon avis pour Alcott. En outre, c’est un passage fréquemment zappé dans les adaptations et traductions. Ça m’ennuyait beaucoup de rejoindre la cohorte de ceux que mon texte était censé combattre. Mais, il fallait choisir. Un livre, une collection c’est aussi du calibrage, un nombre donné de signes… Or, il était vraiment essentiel de conserver le caractère de Jo au plus près du texte original, les scènes choc, le bal avec Meg ou l’école d’Amy qui sont des scènes d’une extrême cruauté, etc. J’ai donc privilégié ces scènes à celles du Pickwick Club. Malika Ferdjoukh
Les quatre filles du pasteur March L’histoire de Meg, Jo, Beth et Amy a traversé le siècle sous des titres divers, Les Quatre Filles du docteur March étant le plus célèbre et sans doute le moins exact, puisque leur père n’est pas médecin, mais pasteur… Cette chronique d’une année dans la vie d’une famille américaine pendant la guerre de Sécession est certes autobiographique, mais, à l’image de la famille de l’auteur, celle des March n’est ni aussi conventionnelle ni aussi ordinaire qu’on a bien voulu le faire croire au lecteur. Car, de ce livre, ressort la figure forte de Joséphine, dite Jo : alter ego affiché de Louisa May Alcott, elle est la rebelle en conflit avec le modèle féminin en vigueur dans la société puritaine de l’Amérique du XIXe siècle. Elle dit qu’on peut être mal dans la peau d’une fille dans le Boston des années 1860, avoir envie de prendre des airs de garçon et nourrir de farouches ambitions littéraires, être pieuse sans être soumise – bref, qu’on peut vivre en 1868 et être progressiste. Alors, ces Quatre Filles, roman mièvre, féminin et bien-pensant ? Rien n’est moins sûr. C’est ce que cette nouvelle traduction, abrégée par l’auteur d’un roman qui raconte l’histoire d’autres soeurs inoubliables, s’efforce de montrer. Quatrième de couverture
C’est Hetzel (l’éditeur de Jules Verne) qui lorsqu’il voulut diffuser le roman fit du « chaplain March », un « docteur March ». Il s’agissait pour lui d’éviter les questions religieuses, dans une France qui se laïcisait, processus qui n’allait pas sans engendre de nombreux conflits idéologiques. Il voulait aussi éviter que les enfants aient à se poser d’embarrassantes questions sur ce prêtre (sic), père d’une famille nombreuse, qui ne pouvait manquer de paraître exotique en France. Il y aura bien d’autres traductions : Les soeurs March, Petites bonnes femmes, Petites femmes. Mais aucune ne parviendra à s’imposer et le roman de Louisa May Alcott reste, pour le monde francophone, Les quatre filles du Docteur March, au mépris de toute fidélité au texte original! C’est peut-être Malika Ferdjoukh qui a trouvé la solution, dans la nouvelle adaptation (sic) qu’elle propose : Les quatre filles du pasteur March. A une syllabe près, le lecteur français retrouve la familiarité d’un titre qui suggère tout un univers et la fidélité à l’univers original d’Alcott est restaurée. (…) L’adaptatrice a imprimé, de son style dynamique, cette nouvelle adaptation du roman. Ce qui, somme-toute, convient à une histoire dont la figure centrale est une jeune fille de la bonne société américaine du milieu du XIXe siècle qui revendique indépendance et liberté. Jo March est, aux Etats-Unis, l’une des premières figures féministes, agissant librement tout en osant défier les conventions. Si le propos du roman peut aujourd’hui sembler anodin : il s’agit de raconter une année dans la vie de la famille March dont le père, pasteur, est parti servir l’armée abolitionniste, il transgresse néanmoins tous les codes du roman pour jeunnes filles de l’époque. Et nul doute qu’il faille attribuer son succès à la figure de Jo si contraire aux héroînes neurasthéniques qui peuplaient alors la littérature sentimentale. Si les bons sentiments y trouvent leur place, (Meg, Jo, Beth, Amy marquées par le Voyage du pèlerin de Bunyan se conduisent en parfaites chrétiennes), Jo qui souhaite vivre de sa plume et résiste aux chantage d’une vieille tante conventionnelle et tyrannique apparaît comme une véritable femme moderne qui dut porter les aspirations secrètes de toute une génération. La plume alerte de Malika Ferdjoukh donne en outre à ce petit roman un coup de jeune bienvenu qui le dépoussière agréablement et fait ressentir avec bonheur le tonus du personnage principal. Stéphane Labbe
Cachez cette religion que je ne saurai voir!
Où l’on découvre comment, après la guerre civile américaine, l’aumônier nordiste perdit son titre d’origine… et sa religion!
Multiples adaptations (une cinquantaine d’éditions différentes et presque autant de traductions-adaptations), adoucissement, changements orhographiques de certains noms, rajeunissement des personnages, changement d’idées, transformattion de sens, passage à la trappe de la vraie violence de Jo, ses réparties cinglantes, sa gestuelle brusque voire brutale, suppression ou édulcoration de passages entiers (y compris vitaux comme celui où Jo veut clairement la mort de sa sœur Amy en la laissant filer sur la glace trop mince), suppression des fondements et du sous- texte religieux de l’oeuvre (tout le parallèle avec le voyage du pèlerin de Bunyan), réduction à la pure et ennuyeuse pédagogie …
Retour en ce 150e anniversaire du déclenchement d’une guerre civile américaine rebaptisée pour l’éternité, par une France pro-sudiste, « Guerre de Sécession » …
Sur, 140 ans après et grâce à l’acharnement de la romancière franco-algérienne Malika Ferdjoukh (béni soit son nom!), la longue et double solitude du bon pasteur March.
Abolitionniste de la première heure et engagé volontaire comme aumônier de l’Armée nordiste dès la première année de cette guerre qui déchira son pays, le père nécessairement absent des célèbres filles March du classique semi-autobiographique de Louisa May Alcott se verra en effet, guerre laïcarde et respect des bonnes moeurs enfantines obligent et par un auteur français pressé de s’approprier cet immédiat bestseller de la littérature enfantine américaine (rien de moins que l’éditeur de Jules Verne Pierre-Jules Hetzel, alias PJ Stahl), affublé du titre complètement gratuit et apparemment éternel de « docteur ».
Même l’excellente fiction biographique de l’ex-journaliste australo-américaine du WSJ et prix Pulitzer 2006 Geraldine Brooks (« March ») qui fera redécouvrir un humaniste ami voire inspirateur de grandes figures nationales américaines comme Emerson ou Thoreau mais aussi un peu exalté et prêt à s’engager dans la première cause venue quitte, entre école d’avant-garde et communauté végétarienne, à y perdre sa fortune et les moyens de subsistence de sa propre famille, se verra affublée elle aussi dans sa version française de « Solitude du docteur March ».
Du moins jusqu’à l’an dernier et la nouvelle traduction (hélas, format de la collection majoritairement adressée aux scolaires oblige, abrégée – et non « adaptée » même s’ il n’existe toujours pas, plus de 140 ans après, de traduction intégrale de la célèbre oeuvre de Louisa May Alcott!) de Malika Ferdjoukh pour l’Ecole des loisirs.
Qui, comme on le rappelle dans sa préface et l’entretien ci-dessous, a enfin dépoussiéré et redonné vie à 140 ans de multiples adaptations et réduction à la pure miévrerie d’une oeuvre qui, par sa liberté de ton et ses positions que l’on qualifierait aujourd’hui de féministes, avait révolutionné à l’époque la tradition des romans pour jeunes filles …
Un grand merci à Malika Ferdjoukh pour avoir accepté de répondre à mes nombreuses questions sur sa formidable traduction de Little Women parue à L’école des loisirs le 4 février 2010.
Présentation de l’éditeur :
L’histoire de Meg, Jo, Beth et Amy a traversé le siècle sous des titres divers, Les Quatre Filles du docteur March étant le plus célèbre et sans doute le moins exact, puisque leur père n’est pas médecin, mais bien pasteur. Cette chronique d’une année dans la vie d’une famille américaine pendant la guerre de Sécession est bien autobiographique, mais, à l’image de la famille de l’auteur, celle des March n’est ni aussi conventionnelle ni aussi ordinaire qu’on a bien voulu le faire croire au lecteur. Car, de ce livre, ressort la figure forte de Josephine, dite Jo : alter ego affiché de Louisa May Alcott, elle est la rebelle en conflit avec le modèle féminin en vigueur dans la société puritaine de l’Amérique du XIXe siècle. Elle dit qu’on peut être mal dans la peau d’une fille dans le Boston des années 1860, avoir envie de prendre des airs de garçon et nourrir de farouches ambitions littéraires, être pieuse sans être soumise – bref, qu’on peut vivre en 1868 et être progressiste. Alors, ces Quatre Filles, roman mièvre, féminin et bien pensant ? Rien n’est moins sûr. C’est ce que cette nouvelle traduction, abrégée par l’auteur d’autres soeurs inoubliables, s’efforce de montrer.
Je propose depuis 2003 à la directrice de la collection « Classiques abrégés » à l’Ecole des Loisirs de m’atteler à « Orgueil et préjugés» de Jane Austen. Pardon, Jane, mais tant qu’à faire, il vaut mieux que « l’abrégement » soit fait par une admiratrice fervente que par le hasard dont on sait bien qu’on ne sait pas de quoi il peut être fait !
Bref, Jane Austen n’étant toujours pas au programme scolaire, la directrice de collection me propose Jane Eyre, puis les Hauts de Hurlevent. Mais non. C’était les sœurs Bennet ou rien. Les années passent. Je reviens à la charge.
De guerre lasse, la directrice de collection me dit : « Tu veux des sœurs… Pourquoi pas les March ? » Le roman cadrait apparemment avec les instructions officielles pour les collèges. Il faut préciser que le programme de cette collection est majoritairement adressé aux scolaires.
Les sœurs March… L’idée me séduit. D’autant plus que, depuis des années, je collectionne les éditions françaises des « Quatre filles du Dr March », sous leurs titres divers et variés, ainsi que leurs sequels. Je m’y replonge et je trouve quasiment tout de suite mon nouveau titre : « Les 4 filles du pasteur March ». ce qui semble logique, car nous avons toutes, un jour, cherché en vain ce fichu docteur !
Viennent ensuite toutes les questions que peut se poser un « abrégeur ». Je dois préciser que la consigne de cette collection c’est de ne jamais adapter, de rester fidèle au texte original. N’est autorisée que la gomme. Or, la plupart des éditions françaises sont pratiquement toutes adaptées, on adoucit un mot par-ci, une expression par-là, on rajeunit les âges, on change une idée, on transforme un sens, etc.
J’étais bien placée pour m’en rendre compte, au vu de ma cinquantaine d’éditions différentes et presque autant de traductions-adaptations de nos « 4 filles ». Aucune ne me satisfaisait.
Alors j’accepte et je me lance. Tout d’abord, j’ai tout traduit. C’était quand même là le motif essentiel de cette nouvelle édition. Jusque-là je n’avais trouvé que 2 ou 3 traductions de valeur. Pourtant, à chaque fois, passaient à la trappe la vraie violence de Jo, ses réparties cinglantes, sa gestuelle brusque voire brutale. En fait, je la voyais comme si elle avait porté un pantalon de toile rude sous ses robes. Elle devait marcher comme si la route devant elle était pleine de cailloux à dégager. Du coup, sa relation avec Laurie s’en trouve changée. A la fin, cette fille ne peut absolument pas épouser ce garçon-là. C’est écrit entre les lignes, mais très clairement, sans ambiguïté.
Encore faut-il avoir, en français, les bonnes lignes en question. Il y avait des passages, toujours les mêmes, qui étaient supprimés ou édulcorés alors qu’ils étaient d’une importance extrême. Par exemple celui où Jo veut clairement la mort de sa sœur Amy en la laissant filer sur la glace trop mince. Je crois que ce passage, que j’adore et que je comprenais fort bien même alors que je n’écrivais pas encore de livres, a toujours fichu la trouille aux éditeurs jeunesse.
Il me fallait donc « abréger », alléger la forme mais ne surtout pas « supprimer » les fondements et le sous- texte de ce texte. C’est ce que j’ai essayé de faire. Il y a juste une chose que je regrette. C’est le passage du Pickwick Club. J’avais quasiment tout laissé. Juste allégé des répétitions et des lourdeurs. Mais la directrice de collection, soucieuse de son jeune lectorat trouvait, et sans-doute a-t-elle raison, qu’expliquer par de multiples et fastidieuses notules la fonction de tel personnage du roman de Dickens appliquée aux filles March, c’était décourager et « larguer » par avance les non-initiés. Pour des collégiens, on peut le comrpendre. Exit, donc, les petits textes qu’écrivent Jo et ses sœurs dans la gazette Pickwick. Je le regrette un peu car disparaît ainsi une dimension « cocoon » et de « comment se réchauffer l’imagination » importante à mon avis pour Alcott. En outre, c’est un passage fréquemment zappé dans les adaptations et traductions. Ça m’ennuyait beaucoup de rejoindre la cohorte de ceux que mon texte était censé combattre.
Mais, il fallait choisir. Un livre, une collection c’est aussi du calibrage, un nombre donné de signes… Or, il était vraiment essentiel de conserver le caractère de Jo au plus près du texte original, les scènes choc, le bal avec Meg ou l’école d’Amy qui sont des scènes d’une extrême cruauté, etc. J’ai donc privilégié ces scènes à celles du Pickwick Club.
Si cette version abrégée et, je l’espère, moins mièvre, ouvre la porte de l’œuvre de Louisa May Alcott à de jeunes lecteurs qui n’y auraient jamais mis le nez, j’en serai ravie. C’est d’abord pour cela que cette collection d’abrégés existe.
Ensuite, s’ils y découvrent que Louisa May Alcot est une femme étonnamment moderne, sans une once de cette tiédeur dont on l’affuble depuis un siècle. Car elle est tout sauf tiède. Il n’est qu’à lire ses portraits de femmes sulfureux (« Derrière le masque ») ou extrêmes (« Pour le meilleur et le pire ») pour en être persuadé. J’aimerais assez faire le tome 2 de Little Women, mais il nous faut d’abord savoir si l’abrégement du tome 1 va intéresser et trouver un public. C’est drôle, ça me rappelle ce qu’écrit Alcott à la dernière ligne du roman…
Wait and see, donc.
Bien sûr, la cinéphile que je suis a vu les quelques versions du roman qui existent. Celle de Cukor vaut surtout par l’interprétation de Katharine Hepburn qui était, dans la vie, une authentique Jo. Garçonne, osseuse, frondeuse, indépendante. Sauf qu’elle doit y avoir plus de 20 ans. Je reproche aussi à cette version d’être en noir et blanc (Le livre est si plein de couleurs ! De fleurs, d’arbres, de robes, de chapeaux, d’éléments de décor, etc) et aussi d’être un peu « mélo-pathos ». Le violon trop présent de la musique doit y être pour quelque chose. Et puis, je n’y aime pas Mme March. En revanche, j’aime beaucoup la jolie Frances Dee en Meg, qu’on retrouvera plus tard dans « Vaudou » de Jacques Tourneur. Mais son rôle y est un peu raccourci.
La version de Mervyn Le Roy, quant à elle, est très stupidement adaptée mais je l’ai longtemps préférée néanmoins parce que je pense que, à part les scénaristes, tout le monde avait pigé l’univers d’Alcot : le chef opérateur (la photo en technicolor y est sublissime), le décorateur, le costumier, etc. Et j’aime beaucoup Mary Astor en Mme March même si le scénario idiot gâche tout en ne lui offrant que de rares répliques. Ah, et Margaret O’Brien y est une Beth poignante. Elle réussit là un vrai tour de force, vu son peu de temps de présence à l’écran. C’est elle la petite sœur de Judy Garland dans « Meet me in St Louis » de Minnelli. J’adore sa voix. Elle peut vous faire pleurer et rire rien qu’en lisant le bottin. Et là, les répliques indigentes et stéréotypées de cette version ne sont, hélas, pas très éloignées des lignes de l’annuaire…
Bref, c’est un très beau livres d’images mais il faut malheureusement couper le son. Et puis, comme dans la première version, les filles sont toutes trop âgées. June Allyson, qui joue Jo, n’a pas loin de trente ans… Une pure hérésie.
Evidemment, celle avec Wynona Rider des années 90 est assez fidèle mais… elle manque terriblement de poésie. La neige y semble sale, les intérieurs uniformément marron, et sombres… Et Wynona y fait trop la « gentille mignonne ». Or, Jo est tout sauf une gentille mignonne ! Dites-lui ça, elle se sentirait insultée! Susan Sarandon qui fait la mère, aurait été une superbe Jo si elle avait eu 30 ans de moins ! Alors… Eh bien, non. Il n’existe pas encore, à mon avis, de bonne version cinéma des « 4 filles ».
Je ne peux que conseiller aux lecteurs de Little Women de se plonger dans les romans de Malika Ferdjoukh et de faire la connaissance des quatre soeurs.
Voir aussi:
Alors, ces Quatre Filles, roman mièvre, féminin et bien-pensant ?
Clarabel
Paperblog
14 avril 2010
Non ! non ! non ! Je n’avais jamais lu le roman de Louisa May Alcott, son plus célèbre roman, Little Women, mais j’avais vu l’adaptation cinématographique de Gillian Armstrong (1995), que j’avais adorée. La nouvelle édition traduite et abrégée par Malika Ferdjoukh s’est donc efforcée de rattraper cet oubli et de corriger un sentiment erroné, à savoir que Little Women était un roman mièvre, féminin et bien-pensant. Cela n’est finalement pas du tout le cas !
Tout est de la faute de Pierre-Jules Hetzel, le traducteur, qui en 1872 a livré une adaptation très personnelle du roman de Louisa May Alcott (chaplain a été traduit par docteur, un terme qui demeurera ancré à jamais pour désigner l’oeuvre à travers le monde francophone). Il ira même jusqu’à se l’approprier sous le pseudonyme de P-J Stahl. Tout ceci est expliqué en détails dans l’introduction de Malika Ferdjoukh. Bénie soit-elle. Elle a dépoussiéré ce classique en livrant une version joyeuse, enfantine et pleine de bons sentiments. Cela a toujours été ainsi, certes. Mais j’ai trouvé en plus une fraîcheur dans l’histoire, que je connaissais pourtant par coeur, un souffle de légèreté, un air enlevé et pétillant. Jamais niais, bien au contraire. C’est pur, charmant et gracieux.
Et la vieille tante March qui serine que dans une masure, l’amour fait toujours faillite. Taratata. Les filles March nous prouvent le contraire. Elle sont pauvres, le père est à la guerre, son absence pèse mais les ressources ne manquent pas. Et puis, Laurie et son grand-père se révèlent des voisins attentionnés. Ah ! Laurie… j’avais oublié mon béguin. Triple soupirs. Je ne pardonnerai jamais Louisa May Alcott d’avoir osé briser le coeur de milliers de lectrices, heureusement ce roman (une suite n’était pas encore envisagée) nous ôte toutes nos pertes d’illusions. Et c’est sur de doux espoirs que nous refermons les dernières pages…
Jo alla s’installer dans son fauteuil préféré, avec un air grave et serein qui lui allait plutôt bien ; Laurie vint s’appuyer derrière elle, le menton touchant presque ses boucles ; il hocha la tête et lui adressa un sourire plein d’affection à travers le grand miroir qui les réfléchissait tous deux.
Cette délicieuse parenthèse (j’assume être une midinette) n’enlève pas la part de sérieux qu’offre le roman. Il est bien évident que c’est une dénonciation de la condition féminine dans la société puritaine de l’Amérique du XIX° siècle. Et Jo March, à travers laquelle s’exprimait l’auteur, est une formidable rebelle, une passionnée qui agit en garçon manqué en rêvant d’indépendance.
Jo rêvait d’un grand accomplissement. Lequel ? Elle l’ignorait encore, mais fulminait de ne jamais pouvoir lire, courir, ou monter à cheval autant qu’elle l’aurait voulu. Son caractère emporté, sa langue bien pendue, son esprit qui moulinait sans repos lui valaient souvent des ennuis, et sa vie était une succession de hauts et de bas cocasses ou pathétiques.
A lire ou relire. Il n’est jamais trop tard.
Les quatre filles du pasteur March ~ Louisa May Alcott
édition traduite et abrégée par Malika Ferdjoukh
Classiques abrégés de l’école des loisirs (2010) – 235 pages – 6,00€
Cette collection se propose de rendre accessibles aux jeunes lecteurs de grandes oeuvres littéraires. Il ne s’agit jamais de résumés, ni de morceaux choisis, mais du texte même, abrégé de manière à laisser intacts le fil du récit, le ton, le style et le rythme de l’auteur.
Voir également:
Les quatre vies du docteur March
Françoise Dargent
Le Figaro
04/11/2010
La Solitude du docteur March de Geraldine Brooks
- Où l’on découvre ce que l’aumônier nordiste faisait lorsque ses quatre filles l’attendaient à la maison.
Aucune erreur possible: il est bien le père de ses filles. Charitable, humaniste et parfois exalté. Question caractère, il se rapproche davantage de l’intrépide Jo que de la raisonnable Meg. Tel est le docteur March (sic) imaginé par Geraldine Brooks. L’auteure américaine a ainsi prolongé le célèbre classique de Louisa May Alcott, mettant en scène quatre sœurs et leur mère vivant dans l’attente du retour du père emporté dans la tourmente de la guerre de Sécession. Le docteur (sic) est le grand absent du roman originel, mystérieux récipiendaire des lettres affectueuses que lui envoie sa tribu. Geraldine Brooks a choisi de déboulonner la statue du héros en s’inscrivant dans les blancs du texte laissé par sa prestigieuse aînée. Si l’hommage est évident, le procédé lui permet de brosser un pan de l’histoire douloureuse des États-Unis sur un mode ultraromanesque. Le tout en conviant quelques figures nationales comme Emerson ou Thoreau et même un Nathaniel Hawthorne peu amène envers les Noirs.
Kidnapping romanesque
Il n’est donc pas étonnant que cet ouvrage ait reçu en 2006 le prix Pulitzer, même si sa résonance peut paraître moindre aux non-Américains. La romancière use d’aller-retour dans le temps pour brosser le portrait d’un idéaliste du XIXe siècle. Au début du roman, March est un jeune colporteur du Massachusetts découvrant lors de sa tournée dans le Sud la dure réalité de l’esclavagisme. On le retrouve ensuite à quarante ans, engagé aux côtés des Nordistes comme aumônier, viscéralement pacifiste dans un univers où la violence se déchaîne. Un autre flash-back relate sa rencontre et les premières années avec Marmee, la mère de leurs filles, une militante de la cause abolitionniste qui cache chez eux les esclaves en fuite. Ainsi se dessine la figure paternelle, emplie d’idéalisme mais pétrie de contradictions jusqu’à en devenir trouble. Geraldine Brooks tient le fil d’une intrigue dont on connaît l’issue d’avance le père prodigue reviendra et réussit un kidnapping romanesque, plus habile qu’une simple suite à un roman culte.
La Solitude du docteur March de Geraldine Brooks, traduit de l’anglais (États-Unis) par Isabelle D. Philippe, Belfond, 340 p., 20,50 €.
Voir encore:
LITTERATURE DE JEUNESSE
Annales de la littérature pour la jeunesse – Département des chefs-d’œuvre en péril
Les Quatre filles du Dr. March de Louisa May Alcott
traduction d’Anne Joba (1980), Le Livre de poche jeunesse, texte intégral (sic)
Les Quatre filles du Dr. March est la trahison de Little Women (1868) de Louisa May Alcott. Nous parlerons d’abord du roman, puis de la traduction.
Le roman de Mrs Alcott raconte une année (de Noël à Noël) dans la vie de Meg, Jo, Beth et Amy, les quatre filles de Mrs March (Marmee), incarnation de toutes les vertus maternelles, dont le mari est engagé dans l’armée du nord avec le grade de médecin-major. Sans être réduites à la misère, les March vivent pauvrement et les aînées travaillent, Meg comme gouvernante d’horribles enfants, Jo comme dame de compagnie d’une vieille tante acariâtre.
Meg, l’aînée, est coquette, Jo, l’écrivain en herbe, est un garçon manqué, Beth, la pianiste, est d’une timidité maladive et n’est heureuse qu’en compagnie de ses chats et de ses poupées, Amy, la plus jeune, est un peu pimbêche, ce dont témoigne sa tendance à employer des mots qu’elle ne comprend pas et qu’elle estropie. Une bonne partie du roman est consacrée à illustrer les défauts des quatre sœurs et à montrer leurs efforts sincères pour s’en corriger, avec comme guide le Pilgrim’s Progress, le roman allégorique de John Bunyan, lecture pieuse obligée des dimanches victoriens. Le Pilgrim’s Progress structure de ce fait tout le roman. Les sœurs sont au début dans le Slough of Despond (le Bourbier du Découragement dans la traduction de Bunyan par S. Maerky-Richard). Beth visite le Palace Beautiful (palais Plein-de-Beauté), Amy la Valley of Humiliation (Vallée de l’Humiliation). Jo rencontre et vainc Apollyon, résident de la même vallée (et qui symbolise son mauvais caractère). Meg va à Vanity Fair (la Foire aux Vanités), etc. Les sœurs font aussi de fréquentes lectures des petits évangiles qui constituent leur seul cadeau pour le Noël qui ouvre le roman.
Le début du roman est centré sur les relations de voisinage avec le jeune Laurie, qui vit chez son sévère grand père, Mr Laurence, et qui devient rapidement une sorte d’appendice à la famille March et le meilleur ami de Jo. Les chapitres 15 à 23 adoptent un ton plus grave. Le père March a pris une pneumonie au front et Mrs March part pour le soigner dans un hôpital militaire de Washington. Simultanément, Beth a attrapé la scarlatine en soignant le bébé d’une indigente et reste longtemps entre la vie et la mort. Beth guérit (elle mourra dans la deuxième partie du roman, Little Women part II, qui s’appelle en Angleterre Good Wives), le père March guérit aussi et revient pour constater les progrès accomplis par ses filles. Cette année, en apparence si difficile, a finalement profité à tout le monde. La fin du roman est consacrée aux fiançailles entre Meg et le précepteur de Laurie, Mr Brooke, qui a accompagné Mrs March à Washington et a soigné le père March avec dévouement.
Little Women est une autobiographie à peine transposée de Louisa M. Alcott, Jo dans le roman. (Au moment où elle publie le livre, l’auteur écrit de la littérature populaire pour des pulps et des journaux, exactement comme son personnage, et elle vit toujours avec Marmee et ses sœurs survivantes, Anna (Meg dans le roman) et May (Amy dans le roman) – Elizabeth, la troisième sœur, étant morte, comme Beth dans la deuxième partie du roman).
Arrivons à la traduction.
Toutes ces coupes s’expliquent par un double souci pédagogique. La traductrice a fait de son mieux pour ôter ce qui, selon elle, n’était plus compréhensible pour des fillettes de la fin du 20e siècle et, à ce titre, elle a supprimé premièrement toute référence à la religion, en second lieu toute référence à la littérature.
Le « texte intégral » de la version du Livre de poche jeunesse représente un peu moins de la moitié du roman, les coupes allants d’une demi-phrase à des pages entières. Trois chapitres sautent dans leur totalité, celui où Amy fait des bêtises à l’école et est sévèrement punie, celui où Meg, la coquette, est invitée chez des gens riches qui la snobent et la ridiculisent, enfin, un chapitre « littéraire » consacré au petit journal manuscrit que publient les sœurs March et Laurie, sous les auspices du Pickwick Club.
Toutes ces coupes s’expliquent par un double souci pédagogique. La traductrice a fait de son mieux pour ôter ce qui, selon elle, n’était plus compréhensible pour des fillettes de la fin du 20e siècle et, à ce titre, elle a supprimé premièrement toute référence à la religion, en second lieu toute référence à la littérature. Dans la traduction, les March n’ont plus de religion particulière. Toute allusion à une quelconque lecture pieuse ou une quelconque pratique religieuse est supprimée (Amy ne se fait plus installer un oratoire chez la tante March par la gouvernante française et catholique). Le Pilgrim’s Progress disparaît en entier et le roman n’est plus structuré par rien. On ne comprend d’ailleurs plus, dans la version française, que les quatre petits livres reliés de quatre couleurs différentes que reçoivent les filles March pour le premier Noël sont quatre petits évangiles. Toujours dans le souci de déchristianiser le roman, la traductrice supprime fréquemment les fins de chapitres, souvent si émouvantes, parce que les personnages y tirent une leçon morale.
Quant à la bibliophobie de la traductrice, elle entraîne que les filles March ne lisent rien de particulier, alors que l’un des intérêts de Little Women est de montrer les lectures de petites Américaines de la classe moyenne au 19e siècle. Jo n’a donc plus droit à The Heir of Redclyffe (de Mrs Yonge), pas plus qu’à Undine et Sintram (de La Motte-Fouqué). Et la traductrice passe complètement sous silence le fait que Jo ne peut se faire offrir les deux contes de La Motte-Fouqué (réunis en un volume) pour le premier Noël et qu’elle passe donc tout le roman, c’est-à-dire une année entière, à désirer ardemment cet ouvrage. Sans doute un tel amour des livres a-t-il été jugé excessif et par conséquent peu édifiant ! Enfin, la détestation des livres entraîne la destruction d’une bibliothèque entière, celle de Mr Laurence. Certes, ce saint des saints figure toujours dans le roman, mais il ne contient plus un seul livre qui soit cité par son titre ! Même le volume que rend Jo au vieux monsieur n’est plus identifiable, ce qui prive la jeune lectrice française d’un passage humoristique particulièrement bien venu. Jo rend à Mr Laurence « le vieux Sam » et la traductrice oublie de nous dire qu’il s’agit du premier tome de la vie de Johnson par Boswell, qui est naturellement un livre de chevet pour le vieux Mr Laurence, mais qui fait une lecture aussi peu folichonne que possible pour une jeune fille, et que Jo n’a donc à l’évidence emprunté que pour flatter le vieux monsieur.
Des jeunes filles règlent leur conduite sur une norme religieuse qui constitue à la fois une morale pratique et une forme d’hygiène mentale ; l’une de ces jeunes filles ne vit que pour les livres, ceux qu’elle lit et ceux qu’elle écrit ; la même jeune fille est mal dans son sexe et panache les attitudes sociales des deux sexes. Si de pareilles énormités étaient publiables en 1868, elles ne le sont plus en 1980.
La suppression des allusions à la littérature modifie radicalement le personnage de Jo March. Dans le roman de Mrs Alcott, Jo est un écrivain en herbe, ce qui fait d’elle l’un des personnages les plus intéressants du roman, dont il nous donne par ailleurs la clé, puisque nous comprenons que Jo March est l’auteur elle-même. Dans ce qui reste du roman en français, Jo est une jeune fille douée qui place une nouvelle dans le quotidien local sans que cela ait de signification particulière, et qui aurait pu tout aussi bien chanter sur scène à la fête annuelle de l’école de musique ou gagner le cent mètre en dos crawlé à la piscine municipale.
La description de Jo comme garçon manqué est elle aussi très édulcorée dans la traduction. Quand Mrs March retourne ses poches et va mendier chez la vieille tante March pour réunir l’argent qui lui permettra de se rendre à Washington au chevet de son mari, Jo vend sa chevelure ce qui lui permet de remettre 25 dollars à sa mère. Dans la traduction tronquée, la chose est présentée comme un sacrifice héroïque. La version originale est beaucoup plus riche, puisque nous comprenons qu’en réalité Jo avait envie d’être tondue (pour ressembler à un garçon), et qu’elle a saisi ce prétexte – ce qui ne l’empêchera d’ailleurs pas de pleurer ses beaux cheveux. Dans la suite du roman, Jo entretient le fantasme de s’enfuir avec Laurie, en se faisant passer pour un garçon grâce à ses cheveux ras, motif qui a été soigneusement gommé par la traductrice.
On décèle donc, dans les interventions de la traductrice, le souci d’épargner à une jeune lectrice de la fin du 20e des détails scabreux qui étaient peut-être acceptables à l’époque victorienne mais qui ne le sont plus de nos jours : des jeunes filles fondamentalement bonnes et pieuses règlent leur conduite sur une norme religieuse qui constitue à la fois une morale pratique et une forme d’hygiène mentale ; l’une de ces jeunes filles ne vit que pour les livres, ceux qu’elle lit et ceux qu’elle écrit, et entraîne ses sœurs et le petit voisin dans son jeu préféré, celui du club littéraire ou de la conférence de rédaction ; la même jeune fille est mal dans son sexe et panache les attitudes sociales des deux sexes. Si de pareilles énormités étaient publiables en 1868, elles ne le sont plus en 1980.
Notons pour finir que la deuxième partie des Quatre filles du Dr. March (Little Women part II, ou Good Wives en Angleterre) n’est pas disponible pour les petites lectrices françaises, ce qui signifie que, ici encore, le sens du roman est profondément altéré (les petites lectrices ne sauront pas que Beth meurt finalement, ou encore que Jo n’épousera pas Laurie, son grand ami). Cette absence, dans la collection Le Livre de poche jeunesse, de la moitié du roman de Mrs Alcott est heureusement largement compensée par la présence dans ladite collection de romans tels que Parvana la petite Afghane ou Paloma la petite disparue latino-américaine.
Voir efin:
- Claire Le Brun
Université Concordia, Montréal, Canada
lebrunc@vax2.concordia.ca
L’article examine sept traductions et adaptations françaises de Little Women de Louisa May Alcott (1868), actuellement accessibles aux jeunes lectrices en librairie ou en bibliothèque. Afin d’observer les représentations de la féminité qui y sont données à lire au lectorat francophone, l’analyse se centre sur le personnage de Jo, l’héroïne anti-conformiste qui n’hésite pas à exprimer ouvertement son refus des limitations imposées à la condition féminine. Il apparaît que la description physique et psychologique, les prises de parole et les actes du personnage ont subi, dans la plupart des versions françaises, des distorsions qui font de la Jo March française un personnage bien édulcoré.
This article examines seven French translations and adaptations of Little Women by Louisa May Alcott (1868), nowadays available to young female readers in bookstores or in libraries. In order to study the representations of womanhood for the French-speaking readership, the analysis focuses on the character of Jo, the anti-conformist heroine who openly rejects the constraints imposed on women. It seems that most of the French versions depict a Jo March who has been significantly expurgated; her physical and psychological descriptions are distorted, as are her speech and actions.
Corps de l’article
Peu de romans destinés à un jeune public féminin, tous pays et langues d’origine confondus, ont connu en France et dans les pays francophones un succès aussi unanime et aussi durable que Little Women (1868) de Louisa May Alcott. Depuis les premières traductions, qui suivirent de peu la publication (1872, 1880), le livre n’a cessé d’être diffusé sous divers titres et en diverses traductions et adaptations. Comme ce roman de formation suit l’évolution de quatre soeurs dont les âges s’échelonnent de seize à onze ans au début du récit, il nous a semblé pertinent de centrer cette étude sur les représentations de la féminité, particulièrement à travers le personnage de Jo, alter ego de l’auteure et héroïne implicite, qui entretient des relations conflictuelles avec les modèles de conduite autorisés.
Étant donné l’abondance des traductions françaises, il a fallu définir des critères de sélection. Il eût été intéressant d’adopter une approche diachronique et d’observer l’évolution des représentations de la féminité dans des démarches traductives s’échelonnant sur plus d’un siècle. Dans le cadre restreint de cet article, nous avons opté pour l’approche synchronique et le point de vue de la réception. Il nous a en effet paru justifié d’examiner la gamme de traductions françaises actuellement accessibles aux jeunes lectrices, soit en librairie, soit en bibliothèque. Après une enquête effectuée à partir de catalogues électroniques[1], sept traductions ont été retenues pour une analyse contrastive : cinq actuellement disponibles dans les inventaires des libraires et deux autres plus anciennes, mais encore en circulation dans le réseau des bibliothèques.
Après avoir situé Little Women dans l’histoire de la littérature pour la jeunesse et de la littérature américaine, nous dresserons un panorama des traductions et adaptations successives du roman. Quant à l’analyse contrastive proprement dite des traductions retenues, nous l’avons ordonnée autour de ce que Philippe Hamon appelle les « systèmes normatifs-évaluatifs », mis en place par le regard, la parole, les actes et gestes, les sensations et le sens esthétique, le savoir-vivre enfin des personnages (Hamon 1984 : 103-217). Comme l’anticonformisme est le trait principal du personnage de Jo dans le texte source, une grille d’analyse prenant en charge la question des valeurs et des hiérarchies dans le texte littéraire s’imposait. L’hypothèse était que le personnage de garçon manqué, du tomboy, the man of the family, avec ses refus et ses ambitions, susciterait des résistances chez les traducteurs pour la jeunesse. L’analyse a bel et bien corroboré que c’était Jo qui inspirait les plus grands écarts dans les traductions, qu’il s’agisse du portrait physique et psychologique, ou des actions et des prises de parole les plus importantes.
Née en 1832 en Pennsylvanie, Louisa est élevée dans une famille et un milieu peu ordinaires. Son père Bronson Alcott, philosophe largement autodidacte et pédagogue admirateur de Pestalozzi, côtoie Henry David Thoreau et Ralph Waldo Emerson. Durant l’enfance de l’auteure, il se lance dans diverses expériences communautaires. Utopie fouriériste, philosophie transcendentaliste, école expérimentale, l’enfant grandit dans ce climat intellectuel que l’on a pu appeler American Renaissance (Reynolds 1988). Ce cercle cosmopolite est en contact avec les grands mouvements socio-politiques européens. La mère, Abigail May, issue de l’establishment bostonien et d’une famille influente de l’Église unitarienne, admire la militante féministe Margaret Fuller (Woman in the Nineteenth Century, 1845). Selon la formule de Madeleine Stern, feminism was in Louisa May Alcott’s genes (Stern 1996 : vii). En outre, les Alcott sont des abolitionnistes convaincus. Avec l’aide de ses filles, Abigail May Alcott organise des ateliers d’alphabétisation pour les femmes noires (Barton 1996 : 152). Pour Louisa May Alcott, que sa famille a placée au centre des grands débats de l’époque, le féminisme est la réforme des réformes. La critique féministe américaine l’a bien compris, qui considère Little Women comme l’un des premiers Female Bildungsromane américains (Langland 1983).
Dès sa parution en 1868, Little Women, or Meg, Jo, Beth, and Amy a été un best-seller. Écrit en deux mois, il est d’inspiration nettement autobiographique. L’entrée du journal de Louisa pour mai 1868 nous apprend que le roman est entrepris à la demande de son éditeur, qui lui demande une girls’ story. Ainsi Louisa May Alcott, qui avoue ne pas beaucoup connaître et aimer les filles, à part ses soeurs, fait-elle partie du club select des écrivains pour la jeunesse mandatés par leurs éditeurs[2] !
Little Women, qui assure instantanément la notoriété à la romancière, n’est pas sa première oeuvre publiée. En 1854 était paru un recueil de contes, Flower Fables, écrit à l’origine pour la fille d’Emerson. Mais il faut surtout mentionner les récits abolitionnistes et féministes qui précèdent Little Women de quelques années, parmi lesquels Moods (1864) et Hospital Sketches (1863) qui transpose son expérience d’infirmière à Washington pendant la Guerre de Sécession. Devant le succès de Little Women, l’éditeur lui demande une suite : Good Wives paraît en 1869. Ce n’est que dans les années 1880 que les deux volumes seront réunis. Au fil des années, Louisa May Alcott poursuit l’histoire de la famille March : Little Men (1871), Jo’s Boys (1886). Pour la jeunesse, elle signe aussi Eight cousins (1875), Rose in Bloom (1876)[3] et Under the Lilacs (1877), et elle assume, entre ses deux voyages en Europe, la direction du journal Merry’s Museum (1868-1869).
Bien que l’oeuvre de Louisa May Alcott comporte plusieurs tendances : romans gothiques, fictions engagées sur le racisme et le féminisme, c’est comme auteure de Little Women qu’elle s’est acquis une renommée internationale : The Children’s Friend donne lieu de nombreuses conférences et elle n’hésite pas à rencontrer son lectorat[4]. De son vivant, un million d’exemplaires du roman sont vendus. Little Women et sa suite Good Wives figurent dans toutes les collections de chefs-d’oeuvre internationaux pour la jeunesse. Les auteurs de la récente Louisa May Alcott Encyclopedia soulignent le caractère résolument novateur du roman, particulièrement en ce qui a trait aux représentations féminines (Eiselein et Phillips 2001 : 181) et, globalement, sa valeur littéraire[5]. En terminant, il peut être intéressant de rappeler que dans l’édition de 1948 des Children’s Illustrated Classics, une note de l’éditeur fait pourtant allusion aux résistances que l’engagement nordiste de cette fiction pourrait susciter chez certains lecteurs. Laissant entendre que le livre n’est plus lu par les jeunes générations, ce paratexte encourage les lecteurs éventuels à aller au-delà de la leçon morale explicite[6]. À en juger par le nombre d’éditions et de traductions récentes des Quatre filles du docteur March, il est clair que ce dernier aspect – le traumatisme de la guerre civile étant peu probable – n’a pas diminué l’intérêt des lectrices francophones !
Ce qui frappe dès qu’on aborde la réception de Little Women en milieu francophone, c’est le nombre et la constance des rééditions. Une consultation du catalogue de la Bibliothèque nationale de France donne une idée précise des traductions et adaptations « nouvelles », des « adaptations abrégées », des « abrégés » proposés par les divers éditeurs. Pour les années 1990, pas moins de neuf de ces versions plus ou moins nouvelles ont été déposées[7]. Puisque l’objectif n’est pas ici de faire l’histoire de la traduction française de Little Women, un survol des traductions successives suffira à éclairer notre propos.
La première traduction remonte à 1872, soit quatre ans après la publication de l’original ; publiée à Lausanne, elle est l’oeuvre de Madame Rémy, connue également pour un manuel de français[8]. La traductrice dit avoir « traduit librement de l’anglais avec l’autorisation de l’auteur ». Puis, en 1880, Pierre-Jules Hetzel, célèbre éditeur français pour la jeunesse, publie sous le pseudonyme de P.-J. Stahl, Les Quatre filles du docteur Marsch [sic] d’après L.M. Alcott, pour son « Magasin d’éducation et de récréation », fondé en 1864. P.-J. Stahl a joué un rôle décisif dans la transmission de Little Women en domaine francophone. Cette adaptation, plus ou moins retouchée par les éditeurs et des adaptateurs anonymes, continue d’avoir cours et nous l’avons incluse dans le choix de traductions. Elle a imposé au récit des distorsions qui n’ont pas été rectifiées depuis.
Ainsi c’est Stahl qui impose cette fiction du « docteur » March, en faisant jouer au père dans l’armée nordiste, non pas le rôle d’un aumônier, mais celui d’un médecin[9]. Version plus acceptable dans une France républicaine où s’affrontent les tenants du catholicisme ultramontain et de la laïcité, peu réceptive dans son ensemble au mariage des guides spirituels. L’éditeur estimait en effet que le livre « tel qu’il était, n’aurait pu […] réussir en France[10] ». Si les traductions récentes ont corrigé l’erreur dans le texte, le titre demeure inchangé, et les lectrices francophones continuent de croire que le père des soeurs March est docteur en médecine. Son absence dans le premier tome permet d’ailleurs de ne pas se poser trop de questions. La seconde modification substantielle apportée au texte est le gommage systématique de l’intertexte bunyanien. Chez Stahl, la Morale familière remplace le Pilgrim’s Progress. Or, ce texte clé de la spiritualité protestante (1678), évoqué dès le premier chapitre, imprime son mouvement au texte d’Alcott ; plusieurs titres de chapitres, complètement modifiés dans la traduction, y renvoient explicitement : « Playing Pilgrims » (ch. 1), « Burdens » (ch. 4), « Jo meets Apollyon » (ch. 8), etc. Enfin l’adaptateur, qui de son propre aveu ne connaissait pas le second tome, a imaginé un dénouement, dont s’inspirent quelques adaptations actuelles. La maison Hachette, qui racheta le fonds Hetzel, a publié l’adaptation de Stahl, sensiblement remaniée, dans les collections « Idéal-Bibliothèque » et « Bibliothèque Verte »[11]. L’éditeur belge Casterman propose une réécriture anonyme basée sur cette adaptation, qui est dans l’ensemble plus fidèle au texte de 1880 que ladite traduction de Stahl publiée par Hachette, comme nous le verrons plus loin. On voit donc que les textes issus de l’adaptation de la fin du xixe siècle connaissent encore une importante diffusion.
Dans les années 1930 et 1940, Little Women a été traduit et édité pour un public adulte[12]. Au cours des années 1980, apparaissent, dans des collections destinées à la jeunesse, des textes plus conformes à l’éthique moderne de la traduction, qui ne se permettent pas de coupures ou d’ajouts. Nous en incluons deux dans le corpus, celle de Paulette Vielhomme-Callais pour Gallimard (Folio-Junior et Gallimard Jeunesse) et celle de Maud Godoc pour Castor-Poche/Flammarion.
Quelques mots suffiront à présenter les six adaptations et traductions sélectionnées pour l’analyse comparative, que nous classons par ordre chronologique : l’adaptation de P.-J. Stahl rééditée, avec diverses modifications, par Hachette dans « Idéal-Bibliothèque » ; la traduction anonyme[13] des éditions G.P., collection « Rouge et Or » – ces deux ouvrages sont épuisés mais connaissent encore une grande diffusion dans les bibliothèques scolaires et municipales qui n’ont pas toujours fait l’acquisition de nouvelles éditions – ; l’adaptation anonyme de Casterman, basée sur celle de P.-J. Stahl ; la traduction de Paulette Vielhomme-Callais pour Gallimard ; la traduction de Maud Godoc pour Castor-Poche ; enfin il nous a paru intéressant d’inclure une adaptation récente, celle de Rémi Simon pour Nathan. Nous avons également examiné celle de Chantal Baligand pour les éditions Hemma, mais nous n’avons pu l’utiliser dans une comparaison systématique, étant donné l’importance des coupures apportées au texte (14 chapitres sur 23). Dans les passages traduits, on peut observer une dépendance à l’égard du texte de P.-J. Stahl. Nous nous y référons ponctuellement.
Avant d’examiner les traductions sous l’angle particulier que nous avons choisi, quelques commentaires plus généraux s’imposent. La traduction parue chez G.P. s’avère dans l’ensemble la plus littérale ; elle n’a pas craint de restituer les références à Bunyan en les explicitant[14]. Le texte de Casterman, basé sur P.-J. Stahl, comme le prouvent de nombreuses formulations identiques, notamment dans les titres de chapitres, comporte des omissions, mais conserve aussi de son modèle certains ajouts de l’adaptateur qui ont été supprimés chez Hachette. Ainsi, au chapitre 3, quand Meg et Jo se rendent au bal, il précise que Madame March n’a pu les accompagner, car elle était souffrante et qu’elle a demandé à une amie de veiller sur ses filles[15]. Quand Jo rend visite à Laurie dans sa chambre, elle glose que le jeune voisin a été malade et qu’il n’est qu’un « petit garçon »[16]. À la fin du chapitre 12, se trouve une longue addition sur les vertus de l’Amérique et l’indépendance des jeunes filles américaines[17]. Par ailleurs, cette traduction a une nette tendance à la miniaturisation, désignant régulièrement les protagonistes comme des « petites » filles et des « petits » garçons[18]. Dans l’ensemble, elle ennoblit le caractère de Jo, comme nous le verrons plus loin. L’adaptation de Rémy Simon pour Nathan se permet des ajouts sur le ton et les gestes dans les phrases introductives du discours rapporté, modifiant imperceptiblement le caractère des personnages. Ainsi, dans le chapitre 1, Meg regarde « d’un oeil critique » sa vieille robe « encore très mettable », Jo siffle « d’un air méprisant ». Amy est qualifiée d’« insupportable ». Quant à la servante, elle est régulièrement appelée la « vieille » Hannah. Enfin les traductions de Paulette Vielhomme-Callais pour Gallimard et de Maud Godoc pour Castor-Poche se sont attachées à rendre intégralement et fidèlement l’oeuvre d’Alcott. Nous examinerons leurs choix de traduction sur la question de la féminité.
Comme il a été dit plus haut, la « poétique du normatif » proposée par Philippe Hamon a servi de cadre théorique à notre analyse des textes source et cible. Nous avons concentré l’analyse des traductions sur les passages où le personnage de Jo se définissait ou était vue par les autres, sur ceux où elle se distinguait par les actions ou l’expression des goûts et de la volonté : les « nexus normatifs » (Hamon 1984 : 220). Les travaux en linguistique de l’énonciation sur les marques de subjectivité nous ont aussi guidés. Nous avons particulièrement examiné la traduction – et souvent la non-traduction – des phrases introductives du discours rapporté, porteuses d’indication sur les sentiments, la gestuelle, la voix des personnages. Dans les portraits et les descriptions, une attention particulière a été accordée aux termes évaluatifs, particulièrement les adjectifs (Kerbrat-Orecchioni 1980 : 83-100), dont la traduction donne lieu à des choix très révélateurs. Pour la brièveté, nous référerons désormais aux traductions et traductions par les abréviations : H (Hachette), GP (G.P.), C (Casterman), N (Nathan), FJ (Folio Junior) et CP (Castor Poche), initiales de leurs éditeurs respectifs, et à l’original par l’abréviation LW, toutes suivies du numéro de page. L’abréviation S est occasionnellement utilisée pour envoyer à l’adaptation de Stahl de 1880. Des tableaux présentés en annexe permettent de rendre l’analyse contrastive plus concise.
Le premier chapitre comporte un portrait des quatre soeurs ; il est frappant de constater que c’est le portrait de Jo qui a été le plus diversement traduit. Les divergences apparaissent notamment dans la traduction des nombreux adjectifs qui permettent aux lectrices de se représenter l’héroïne (tableau 1). Les traducteurs français tentent souvent d’atténuer ce qui dans l’apparence physique de l’héroïne peut leur sembler outré ou disgracieux, en se conformant à leurs propres canons de la beauté féminine. Ainsi le comical nose devient « retroussé » ou « petit », la bouche (decided) est « bien dessinée ». Ces retouches, particulièrement évidentes dans les versions dérivées de l’adaptation de 1880, se retrouvent encore dans les plus récentes. Ainsi, dans CP (1995), Jo est « très élancée ». L’hésitation entre « mince » et « maigre » est également révélatrice. Les ajouts de l’adaptation de N (1988) soulignent la différence de Jo en la comparant à son aînée Meg, explicitant ainsi ce qui n’est qu’esquissé dans le texte source[19] : la seconde est « nerveuse » et ses mains sont « quelque peu masculines ». Il est à noter que les portraits sont omis dans l’adaptation de C.
À propos de l’adjectif tall, le premier évaluatif appliqué à Jo, il convient de remarquer que le même adjectif est utilisé par Alcott pour décrire Madame March lors de sa première apparition (a tall, motherly lady, LW : 9). Dans la suite du texte (chapitre 8), on apprendra que cette ressemblance physique se double d’une ressemblance morale, car Jo a hérité du tempérament impétueux de sa mère. Or, cet indice important a été gommé dans quatre des six traductions analysées.
Généralement décrits dans les phrases introductives du discours rapporté, le ton de voix, les expressions et la gestuelle de Jo ont été dans une proportion importante effacés des traductions. Alcott fait un grand usage de ces segments textuels, que Gérald Prince appelle de façon éclairante le « discours attributif » (Prince 1978), caractérisant la voix, l’état d’esprit du personnage, sa relation aux autres. La répétition de certains adverbes ou syntagmes prépositionnels en association avec la prise de parole de tel ou tel personnage a pour effet de fixer ses traits de caractère. Ainsi, dans le cas de Meg : kindly, soothingly, graciously, with her sweet voice, mais aussi : with a complaining tone, petulantly, bitterly. Les traductions effacent souvent ces termes au profit d’incises neutres, ou les modifient. Ces amputations et distorsions s’appliquent à l’ensemble des protagonistes, et on ne peut dire que le personnage de Jo ait subi un traitement particulier à cet égard. Il n’en demeure pas moins que les modalisateurs de la parole de Jo – briskly, impetuously, sharply, impatiently, fiercely – n’apparaissent que sporadiquement dans les textes français.
Au chapitre 2, dans la scène du matin de Noël où les quatre soeurs découvrent un exemplaire du Pilgrim’s Progress, l’instance narratoriale décrit Jo lisant, with the quiet expression so seldom seen on her restless face (LW : 16). Seule la traduction de FJ (27) a traduit restless (visage mobile). La gestuelle du « garçon de la famille » ou du « fils Jo » est également l’un des points névralgiques de la traduction française. Exemple caractéristique, dans le chapitre premier où Amy reproche à sa soeur d’utiliser des termes argotiques, la phrase introductive du discours rapporté se lit : observed Amy, with a reproving look at the long figure stretched on the rug (LW : 3). Dans les quatre traductions qui ont conservé le dernier segment, on hésite entre l’élégant : une « longue silhouette étendue sur le tapis » (C : 9), la pointe de reproche : « longue silhouette étendue de tout son long… » (CP : 7), « grand corps étendu… » (GP : 11) et la nette réprobation, endossant ainsi le point de vue d’Amy : « à son aînée, toujours vautrée sur le tapis » (FJ : 12) Un peu plus haut, l’une des paroles de Jo est suivie de l’indication : cried Jo, examining the heels of her shoes in a gentlemanly manner (LW : 2). Seules les deux traductions récentes l’ont prise en compte et rendue par « mâle assurance » (FJ :10) et « aplomb tout masculin » (CP : 6). Les exemples pourraient être multipliés. En voici un dernier des plus probants : au chapitre 3, l’héroïne rajuste sa toilette avant de faire son entrée à son premier bal. La phrase introductive d’Alcott se lit : returned Jo, giving her collar a twitch, and her head a hasty brush (LW : 34). Les traductions atténuent généralement la brusquerie des gestes de Jo, que l’on doit imaginer, « mettant sa collerette droite et donnant un dernier regard à sa coiffure » (H : 23-24 et C : 26), « donnant un coup de pouce à son col et un coup de brosse à ses cheveux » (GP : 36). Seules les deux traductions récentes restituent cet aspect de la présence physique de l’héroïne : « tirant sur son col d’un coup sec et rectifiant sa coiffure à la va-vite » (CP : 39), « qui passa vaguement la main sur son chignon et rajusta son col d’une pichenette » (FJ : 48).
Le chapitre 20 comporte des notations décrivant précisément la gestuelle de Jo, qui ont été soit gommées soit atténuées dans la traduction, comme le montrent les deux exemples qui suivent. L’adolescente a une conversation orageuse avec sa mère à propos des amours naissantes de son aînée. Dans le feu de la conversation, elle joue avec ses cheveux, objet sémiotique particulièrement important dans le texte ; en effet, le chapitre 1 les décrit comme sa seule beauté (her one beauty, LW : 5) et elle vient de les sacrifier pour apporter une aide financière à son père malade (chapitre 15). L’indignation de Jo s’exprime dans la façon dont elle tire sur ses cheveux : And Jo pulled her hair again with a wrathful tweak (LW : 261). La colère, trait constitutif du caractère de Jo, comme nous le verrons plus loin, a été atténuée dans certaines traductions (tableau 2). Une seulement (GP) traduit : « avec fureur », deux préfèrent le désespoir (H et C), deux l’adverbe « rageusement », dont le contenu sémantique est nettement affaibli dans les emplois modernes et souvent associé aux manifestations enfantines. Le geste même de tirer est corrigé dans certaines traductions : « se passer la main dans les cheveux » (H et C), « fourrager » (GP) et le diminutif « tortiller » (CP). Chez H et C, la gestuelle est transposée à l’expression du visage. Plus loin, le mouvement de Jo se levant est comparé à celui d’un pantin (said Jo, unfolding herself, like an animated puzzle, LW : 264) ; l’image perçue comme peu féminine est gommée dans les versions françaises à l’exception des deux traductions récentes.
Le registre linguistique de Jo est stigmatisé dès le premier chapitre. Au fil du texte, sa mère et ses soeurs citent ses écarts de langage, entre guillemets. Bien que la liberté verbale soit, avec le tempérament impétueux, l’un des traits constitutifs de l’étiquette du personnage[20], les traductions ont souvent renoncé à traduire son juron préféré, Christopher Colombus[21] ! (chapitres 12 et 17). C le tempère d’un « Priez pour nous ! » (75). Curieusement, les traductions récentes proposent des équivalents : « Nom d’un petit bonhomme » (FJ : 203), « Sacré nom d’un pipe » (CP : 172), « Bon sang de bonsoir » (N : 94), traductions d’un ciblisme très hexagonal sur la justesse desquelles on pourrait s’interroger.
Pour le portrait psychologique de Jo, nous nous attarderons sur les traductions du chapitre 8 : Jo meets Apollyon, où l’adolescente fait l’expérience des conséquences désastreuses de sa colère. Il faut rappeler que Little Women consacre un chapitre particulier à chacune des soeurs March et que celui qui est consacré à Jo est particulièrement dramatique. Or, ce chapitre donne lieu à des écarts notables dans les traductions. Rappelons brièvement les événements. Amy, furieuse que ses aînées ne l’aient pas emmenée au théâtre et particulièrement ulcérée par les rebuffades de Jo, brûle le cahier où celle-ci avait soigneusement recopié des contes de fée qu’elle espérait voir publiés un jour. Le lendemain, Jo, toujours en colère, omet de mettre Amy en garde contre les dangers de la glace trop mince et sa jeune soeur manque de se noyer. Le chapitre est d’autant plus central que la perte du cahier touche aux ambitions les plus profondes de l’héroïne. Il peut se diviser en trois séquences : la colère de Jo en découvrant la calamité ; l’accident d’Amy ; la conversation au cours de laquelle Madame March avoue à sa seconde fille ses propres faiblesses. Le titre du chapitre, référence au Pilgrim’s Progress, a été sensiblement modifié dans trois des traductions : « Double choc » (H et C), « Où Jo se met en colère » (N) ou explicité « Jo rencontre le démon Apollyon » (GP et FJ). Le traducteur de G.P. fait oeuvre didactique en glosant her bosom enemy (LW : 96) : « son ennemi intérieur, son Apollyon, comme le vieux Bunyan l’appelle dans le voyage du Pèlerin » (GP : 75).
Le caractère, les réactions, les motivations de Jo apparaissent sensiblement différentes selon les traductions. La troisième partie varie beaucoup en importance. Complètement effacée chez C et N, elle est condensée très allusivement dans la formule : « tout le monde a ses faiblesses » chez GP. H résume, mais conserve l’essentiel des confidences de la mère en deux paragraphes. Seuls F et C donnent le texte au complet, y compris l’aveu de madame March au sujet des sacrifices qu’elle a dû consentir pour sa patrie. L’existence d’un modèle maternel fort, voire héroïque – personnage dont la charge positive se communique à l’héroïne qui lui ressemble – est donc gommée dans la plupart des textes français actuellement offerts aux jeunes lectrices.
Dans la première partie, la violente réaction de Jo à l’égard d’Amy est diversement traduite, et souvent tempérée, comme le montrent les extraits comparés (tableau 3). Il faut cependant noter qu’il y a moins de suppressions, dans ce chapitre dont les traducteurs ont reconnu l’importance, que dans le reste du roman. Le tableau permet par ailleurs d’observer la parenté de H et de C dérivés de Stahl. La traduction de H est la plus édulcorée : Amy, secouée, perd la respiration et Jo s’en va « cacher » son chagrin. Le geste final, le parting box, semble poser problème à certains traducteurs. Supprimé chez Hachette, il réapparaît sous forme de « tape » dans le texte de Casterman. Rémi Simon (N) a arrêté le bras de Jo. Ailleurs, on parle de gifle, maîtresse même (GP) ou de taloche. Curieusement, aucun des traducteurs et traductrices n’a jugé utile de faire mention de l’oreille d’Amy. On notera aussi qu’une seule traduction (FJ) mentionne la nature violente (hot temper) de l’héroïne.
Des traductions minimisent également la profondeur du désespoir de Jo, quand elle voit son oeuvre littéraire détruite. Les ambitions personnelles du personnage sont nettement restreintes chez Hachette où il s’agit de venir en aide à sa mère : « rêve innocent ». Casterman renchérit avec la mention d’un journal pour bébés ! Plus loin dans le chapitre, quelques ajouts des traductions tendent à ennoblir le personnage de Jo. Dans l’adaptation de Stahl, Meg dit à Amy que Jo « est peut-être la meilleure de nous toutes » (H : 62 ; C : 57). Rémi Simon ajoute qu’elle n’est pas rancunière (N : 79).
La scène centrale de l’accident sur la rivière gelée et le rôle de Jo donnent également lieu à des distorsions (tableau 4). Seules les deux traductions récentes osent plonger dans les mauvais sentiments de l’héroïne. Les paroles du petit démon sont diversement interprétées. La traduction de Casterman déculpabilise l’héroïne. Rémi Simon (N) évacue l’idée du démon, et traduit dans un registre familier sa voix qu’il prête à l’héroïne. Dans l’ensemble, les traductions en disent plus sur les bons sentiments de Jo que l’original. Strange feeling est traduit par « inquiétude » par G.P. et Nathan. Casterman précise : « inquiète sans vouloir le paraître » et ajoute « son bon coeur l’emportant », « se retourna vivement pour avertir Amy ». Ces extraits suffiront à montrer que la traduction résiste dans l’ensemble à exprimer la violence des sentiments de Jo.
Viennent compléter le portrait de l’adolescente anti-conformiste les appréciations de son entourage : ses parents, ses soeurs, l’acariâtre tante March, les voisins amis – M. Laurence et son petit-fils Laurie ; ces jugements sont véhiculés par la voix narratoriale ou par les personnages eux-mêmes. Au chapitre 2, les soeurs qui vont porter leur déjeuner de Noël à une famille dans la misère sont comparées à des anges par l’heureuse bénéficiaire. La voix narratoriale commente que le compliment fait particulièrement plaisir à Jo qui s’est fait traiter de diable depuis sa naissance. Voilà un point où les traductions diffèrent. Deux des traductions (GP, N) ont supprimé cette remarque, deux autres (H : 18, C : 19) l’adoucissent : « mais surtout Jo qui avait mérité maintes fois (souvent reçu C) dans son enfance le sobriquet de “petit diable” ». Jo a su s’attirer l’affection de tante March qui l’a engagée comme dame de compagnie : Something in her comical face and blunt manners struck the old lady’s fancy (LW : 47). L’adjectif se révèle encore une fois l’un des points névralgiques de la traduction du personnage de Jo : le syntagme comical face dérange autant que le comical nose du chapitre 1. Même dans les traductions récentes, il est adouci par les hypocoristiques « frimousse » (FJ) ou « minois » (CP). P.-J. Stahl (H) avait résumé les deux caractéristiques par « originalité ». Rémi Simon (N) a rendu comical face par « visage franc ». Le chapitre est supprimé chez Casterman. La traduction de G.P. est comme dans bien des cas la plus littérale (tableau 5).
Les manières originales de Jo plaisent aussi à leur voisin Laurie dès la première rencontre, manières que les traductions ont hésité à qualifier : Jo’s gentlemanly demeanour (LW : 37) est omis par H et N, C (29) traduit « son air gentleman », les autres optent pour les manières garçonnières (GP : 38, FJ : 53) ou l’attitude garçonne (CP : 43). Enfin l’un des jugements les plus significatifs portés sur Jo est celui d’une jeune Anglaise visitant l’Amérique (chapitre 12). Le passage vaut d’être examiné en détail (tableau 6). Il est curieux qu’aucune des traductions n’hésite à qualifier Jo de bizarre ou d’étrange par le truchement de la Britannique Miss Kate, mais que certaines hésitent à lui accorder de l’intelligence, la préférant « sympathique » (G.P.) ou instruite (C). Les exemples pourraient être multipliés, mais nous espérons avoir montré que la caractère audacieux et extrême du personnage a été estompé, et que l’énergie extraordinaire de la queer girl ne passe pas toujours en traduction.
L’expression de la volonté de Jo est un aspect que les traductions se révèlent récalcitrantes à transmettre. Jo entend dire ce qu’elle pense (good, strong words, LW : 45), déteste attendre, veut agir sur les choses et se soucie peu du qu’en-dira-t-on. Elle exprime son désir de liberté en toute occasion. Bien que cela ait été respecté, globalement, dans les traductions françaises, certains rêves de Jo ont semblé choquer. Au chapitre 14, après une bonne course avec son ami Laurie, qui lui vaut la réprobation de Meg, l’adolescente s’exclame : « I wish I was a horse ; then I could run for miles in this splendid air, and not lose my breath. It was capital, but see what a guy it’s made me… » (LW :198). La tenue vestimentaire de Jo a en effet souffert de l’exercice, et elle a perdu toutes ses épingles à cheveux. L’allusion au cheval a été gommée par GP et N. Chez H (105) et C (88), à la suite de Stahl, on choisit un animal plus associé à la féminité : « Je voudrais être une gazelle, ou un cheval… », « Ou même un cheval », concède C, plus fidèle au modèle (S : XXXII, 61).
Les ambitions littéraires de Jo, composante essentielle du système de valeurs mis en place par le roman, sont souvent minimisées dans les traductions. Cette censure, dont nous avons déjà touché un mot au sujet du chapitre 8, s’observe encore au chapitre 14. Quand Jo avoue à Laurie qu’elle a soumis deux textes à un journal, le texte de H (102) et de C (85) suivant Stahl, se lit : « j’ai donné deux histoires de ma façon au directeur du Journal des Enfants ». La fin du chapitre a subi d’importantes distorsions. Quatre des traductions résument considérablement la fin de l’épisode. La réaction de fierté de Madame March devant le succès de sa fille est escamotée chez H et N qui arrêtent le chapitre aux exclamations de joie des soeurs. Le passage est supprimé chez GP également. Chez C (91), Madame March « ne se montra pas mécontente », car « l’histoire était gentille et convenable ; elle faisait honneur aux sentiments moraux de l’auteur » (S : XXXII, 61). Les dernières lignes du chapitre : « For to be independent, and earn the praise of those she loved, were the dearest wishes of her heart […] » (LW : 203), si importantes pour la compréhension globale du texte, n’apparaissent pas chez H, N, C. Chez GP, la fierté devient de l’approbation. Encore une fois, seules les deux traductions récentes traduisent « faire honneur » (FJ : 254) et « faire la fierté » (CP : 215). Il est curieux aussi que la fin de la phrase précédente où Jo explique qu’elle aimerait aider ses soeurs (support myself and help the girls, LW : 203) est traduite par une généralisation – « aider les autres » (GP :131), « aider les miens » (CP : 215) – dans deux des traductions qui l’ont conservée. On peut faire un rapprochement avec les propos d’Amy au chapitre 15 : la plus jeune soeur, qui rêve d’une carrière artistique, assure que dans dix ans Jo et elle auront fait la fortune de la famille. Cette phrase a été supprimée dans quatre des traductions (H, GP, C, N). Il semble que, tout autant que la personnalité affirmée de Jo, ses ambitions professionnelles heurtent en traduction !
Le rêve de liberté et d’indépendance s’exprime aussi quand Laurie, fâché contre son grand-père, propose à Jo de partir avec lui pour Washington (chapitre 21). Dans le texte d’Alcott, l’héroïne est fortement tentée par l’aventure et se bouche même les oreilles pour ne pas entendre la suite des projets séduisants. GP occulte complètement ce moment de rêverie de Jo, qui propose tout de suite à Laurie de l’aider à se réconcilier avec son grand-père. H (162) donne l’essentiel du passage et explicite même she was tired of care and confinement (LW : 273) par « elle était fatiguée de sa réclusion auprès de Beth ». Reprenant exactement son modèle (S : XXXII, 283), C (163) rend compte de la tentation de Jo, mais moralise par des ajouts : « l’étourdie », « ses yeux tombèrent heureusement [sur sa maison] », « ce fou de Laurie », etc. N (167) résume en quatre lignes, concluant avec autorité : « son bon sens naturel reprit le dessus ». Encore une fois, les deux traductions récentes sont plus fidèles.
Les lamentations de Jo sur les restrictions imposées à la condition féminine (chapitres 1, 3, 5, 10, 16, 20, 21) ont été traduites dans l’ensemble du texte sans trop d’amplification ni d’atténuation. Toutefois, dans cette scène du chapitre 21, les différences dans les traductions françaises signalent un point névralgique. L’emphase de H et surtout de C contraste avec le détachement de N, alors que GP, comme on l’a vu, n’a pas jugé bon de s’appesantir sur la tentation de Jo (tableau 7).
Que devient l’héroïne contestataire à la fin du roman ? Plusieurs réponses sont données selon les points de vue narratifs. Jo elle-même s’avoue très mécontente et ne fait que se résigner aux fiancailles de Meg qui réjouissent toute la famille. Elle sent qu’elle n’a aucune prise sur les cadres sociaux. Le parcours de l’adolescente au cours de l’année délimitée par les deux fêtes de Noël est décrit par monsieur March à son retour. Il dit ne plus reconnaître le « fils Jo » qu’il a laissé l’année précédente. Les transformations qu’il note concernent la tenue vestimentaire, le langage, les gestes, la voix, le développement du sentiment maternel. La traduction de la fin de son discours présente quelques écarts (tableau 8).
Our black sheep, la métaphore paternelle est on ne peut plus claire. L’image a été supprimée dans trois traductions (H, C, N). « Tête ronde » de H et C renvoie allusivement au sacrifice des cheveux au chapitre 15. S’il énonce quelque regret, Monsieur March se félicite de voir sa fille entrer dans le rang. Les traductions françaises n’ont ni forcé la note, ni atténué la portée du discours. L’adaptation de Rémi Simon (N : 177) ajoute cependant, au nombre des progrès de Jo : « et dont les récits sont publiés dans les journaux ! ». Observons aussi la façon dont les traductions ont rendu les trois adjectifs strong, helpful, tender-hearted (woman) qu’il oppose à wild (girl). Stahl (repris par C) avait opté pour quatre adjectifs « tendre, dévouée, forte encore, mais civilisée ». H omet l’idée de force, tandis que l’adaptation de Simon la conserve. Dans les deux traductions récentes, proches l’une de l’autre, on a préféré le courage. Il faut noter par ailleurs que la traduction « brebis galeuse » de FJ et CP est nettement plus péjorative que « mouton noir ».
L’adaptation de P.-J. Stahl, encore très diffusée par l’intermédiaire d’Hachette (Idéal-Bibliothèque et Bibliothèque verte) et de Casterman, prend beaucoup de libertés avec la fin de l’histoire[22]. H ajoute un chapitre « Perspectives d’avenir » qui a fonction d’épilogue. La lectrice y apprend que Jo « renonçant à écrire toutes les histoires qui lui passaient par la tête, s’adonna avec ardeur à la confection du trousseau de sa soeur » (H : 184) ! C (185-187) ajoute au dernier chapitre des détails touchants, comme ce geste de Beth montant sur les genoux du fiancé de Meg, Monsieur Brooke, pour lui demander à l’oreille s’il rendra sa soeur heureuse. Monsieur March annonce que Meg se mariera dans deux ans, ce qui lui permettra de perfectionner son éducation : « Cela vous donnera aussi, Jo, l’occasion de compléter la vôtre ». En quel sens ? peut-on se demander. Et l’adaptateur conclut : « Monsieur March avait appris à Jo tout ce qu’il y avait à apprendre ». Enfin, la résistance de Jo au mariage de sa soeur a complètement disparu grâce à ses « sages réflexions », comme elle l’explique à Laurie. Mais P.-J. Stahl allait plus loin encore en mariant Jo à Laurie. Fort curieusement, l’adaptation toute récente de Chantal Baligand réintroduit cette fin improbable et en totale contradiction avec le second tome. Elle reprend en effet, en l’abrégeant, l’épilogue « Quatre ans après » de 1880, où le jeune dandy Laurie devenait fermier pour l’amour de Jo, avec la bénédiction de son grand-père (Baligand 2002 : 153-156). Ainsi, le dénouement matrimonial – par une union que Louisa May Alcott s’était toujours refusé à faire, en dépit des prières de ses lectrices[23] – est-il réactivé à l’aube du xxie siècle !
Il serait à peine exagéré de dire que des textes bien différents circulent actuellement sous le titre des Quatre filles du docteur March. Sur les six adaptations et traductions que nous avons analysées en détail, quatre présentent des distorsions marquées par rapport à l’original. L’amputation de chapitres (de trois à cinq), la suppression de passages complets ou d’éléments significatifs des phrases y a pour pendant des gloses interprétatives, particulièrement dans l’adaptation anonyme de Casterman, la plus fidèle à Stahl. Nous avons observé en particulier de quelle façon le « discours attributif » des paroles des personnages était souvent privé des notations sur le ton, l’expression ou le geste. En outre, nous avons eu la surprise de découvrir que, parmi les versions les plus récemment éditées, se trouvaient aussi bien des traductions soucieuses de transmettre le sens global de l’oeuvre que des adaptations qui la dénaturaient.
Cette étude des représentations de la féminité en traduction française, que nous avons centrée sur le personnage de Jo, l’adolescente éprise d’action et d’indépendance, fait apparaître – même dans les traductions récentes, sous certains aspects – une édulcoration de l’héroïne. Les traits physiques, la parole, les actions et les ambitions ont subi d’importantes retouches dans les versions françaises, qu’il s’agisse des adaptations, mais aussi des traductions. Les soeurs March continuent de fasciner les lectrices francophones, car il reste toujours quelque chose des grandes oeuvres, même dans les adaptations les plus désinvoltes ! Mais on peut déplorer que le premier contact avec ces héroïnes américaines du xixe siècle soit bien souvent faussé et appauvri, selon l’édition qui leur sera accessible en bibliothèque ou en librairie.
Claire Le Brun
PhD, is professor in the Department of French Studies, Concordia University, Montréal. Her main research interests include medieval studies and children’s literature. She has published numerous articles on the novel and theater for the young, and is currently doing research on the translation of children’s literature from English into French. She also has research projects, such as “Socio-aesthetics of the novel for young people in Québec,” funded by the Social Sciences and Humanities Research Council of Canada, and “Children’s literature: a hermeneutic approach,” a team-project funded by the Fond de recherche sur la société et la culture (Québec).
- [1]
L’enquête, effectuée à partir des ressources disponibles à Montréal, nous paraît toutefois représentative de la diffusion actuelle des traductions françaises de Little Women. Il est à noter qu’aucune traduction n’a été publiée à ce jour en Amérique francophone ; une telle entreprise présenterait de l’intérêt en raison des liens étroits entre la culture source et la culture cible.
- [2]
« Mr. N. [Niles] wants a girls’story, and I begin “Little Women”. Marmee, Anna, and May all approve my plan. So I plod away, though I don’t enjoy this sort of thing. Never liked girls or knew many, except my sisters, but our queer plays and experiences may prove interesting, though I doubt it. » (Myerson & Shealy 1989 : 165-166) Sur les « vocations » d’écrivains pour la jeunesse suscitées par les éditeurs, voir par exemple Shavit 1986 : 33-57 ; Grenier 1993.
- [3]
Pour juillet-août 1876, elle note dans son journal : « Get an idea and start “Rose in Bloom”, though I hate sequels. » (Myerson & Shealy 1989 : 201)
- [4]
L’entrée de son journal pour les mois de juin à août 1875 fait état de 92 visiteurs : « Fame is an expensive luxury. » (Myerson & Shealy 1989 : 196)
- [5]
« Particularly when studied within its critical and cultural contexts, Little Women emerges as a substantial, multidimensional literary text. » (Eiselein et Phillips 2001 : 182)
- [6]
« Indeed, one can guess that with the passage of time, when a new domestic culture is sufficiently established not to be embarrassed by reminders of the past, youngsters no less than adults will return to it with fresh enthusiasm as a charming and authentic record of New England life in the Civil War period.. […] For the contemporay reader, what is perhaps most striking about Little Women, even more archaic that its social scene, is its overt moral emphasis. » (Alcott 1948 : couverture arrière)
- [7]
Pour la dernière décennie, outre les traductions sélectionnées pour cette étude, il faut mentionner : une « traduction nouvelle » d’Anne Joba avec dossier de Nicole Bon aux éditions France loisirs, Paris, 1992 ; une « adaptation abrégée » anonyme aux Éditions du Tournesol, Limay, 1994 ; une traduction anonyme avec dossier de Françoise Gomez chez Pocket Junior, Paris, 1995 ; un abrégé de Marie Page aux éditions Lito, Champigny-sur-Marne, 1995 ; une traduction d’Anne Joba et France-Marie Watkins aux éditions Hachette, 1995 ; une traduction anonyme aux Éditions de la Fontaine au roy, « Arpège Junior », 1996 ; une adaptation d’Évelyne Hiest-Lallemand aux éditions Lito, Champigny-sur-Marne, 1997 ; une adaptation de Chantal Baligand pour les éditions Hemma, Chevron, 2002.
- [8]
Madame Rémy (1872) : Petites femmes, Lausanne, H. Mignot, « traduit librement de l’anglais avec l’autorisation de l’auteur » ; Madame Rémy (1878) : Dictées sur l’orthographe usuelle, les participes et les principales difficultés de la grammaire, Paris, A. Pigoreau (3e édition).
- [9]
« I think it was so splendid in father to go as a chaplain when he was too old to be drafted, and not strong enough to be a soldier, said Meg warmly. » (Alcott 1948 : 10) Traduction de P.-J. Stahl : « Comme c’est beau à papa d’être parti à l’armée comme médecin, puisqu’il a passé l’âge et qu’il n’aurait plus la force d’être soldat ! dit Meg avec enthousiasme. » (Stahl 1880 : XXXI, 30)
- [10]
P.-J. Stahl ajoute au titre une note où il s’explique sur son travail d’adaptation : « Cet ouvrage se compose de deux gros volumes dans le texte américain. Je n’ai connu que le premier, par une traduction littérale de M. Lermont. Le second, me dit-on, n’eût pas été possible pour nous. Mais la donnée générale de l’oeuvre m’a paru si intéressante que j’ai cru bon de faire pour elle le travail d’adaptation que j’avais fait précédemment pour les Patins d’argent. N’ayant eu à ma disposition que la première moitié de l’ouvrage, j’ai dû, en bien des points, le modifier, l’arranger, pour le conduire à un dénouement qui ne pouvait être celui de l’auteur, puisque je l’ignorais. Le livre, tel qu’il était, n’aurait pu, je le crains, réussir en France ; mais la physionomie des caractères des quatre soeurs méritait d’être conservée dans ses lignes principales. J’ai cru pouvoir en faire une lecture agréable et profitable pour nos jeunes lecteurs, et je ne regretterai pas mes efforts si j’y suis parvenu. » (Stahl 1880 : XXXI, 24)
- [11]
Rééditions successives : 1923, 1934, 1952 pour la « Bibliothèque Verte » et 1950 pour « Idéal-Bibliothèque ».
- [12]
Petites Américaines, Mme Tissier de Mallerais, Hachette, 1935, Meilleurs romans étrangers ; Little Women. Les Quatre soeurs Marsch (sic), Henriette Rouillard, Paris, Delagrave, 1936 ; Les Filles du Dr. March. Traduction nouvelle de Madame H. Giraud. Paris, Pré-aux-Clercs, 1945. Les Quatre soeurs March, Germaine Lalande, Paris, Hazan, 1946.
- [13]
La première édition, parue sous le titre Petites bonnes femmes, les quatre filles du docteur March, portait la mention « Adaptation de R. et A. Prophétie » (Paris, G.P., « Bibliothèque Rouge et or », 34).
- [14]
Exemple, au chapitre 8, « mais son ennemi intérieur, son Apollyon, comme le vieux Bunyan l’appelle dans le voyage du Pèlerin, était toujours prêt à la faire s’irriter, et à vaincre sa résolution » (75) traduisant « but her bosom enemy was always ready to flame up and defeat her » (Alcott 1948 : 96).
- [15]
« Madame March, mal portante, ne pouvait les accompagner, mais elle les avait dans la journée recommandées aux soins d’une de ses amies, qu’elles devaient retrouver au bal. » (Alcott 1993 : 25 ; Stahl 1880 : XXXI, 89)
- [16]
Jo plaide auprès de sa mère : « – Il est malade, avait-elle dit, et très changé, chez les Gardiner, il m’avait presque fait l’effet d’un petit jeune monsieur, mais je vois bien que ce n’est encore qu’un petit garçon. » (Alcott 1993 : 37 ; Stahl 1880 : XXXI, 153)
- [17]
On y lit par exemple qu’« un Américain rougirait de penser à la dot de sa fiancée et [que], s’il lui arrivait de s’en inquiéter et de s’en enquérir publiquement, il ne trouverait plus une fille honorable qui consentît à porter son nom ». Et la visiteuse britannique, admirative de tant de vertu, s’exclamerait : « Dieu veuille qu’en vieillissant l’Amérique ne perde pas ces sages principes. » (Alcott 1993 : 78-79 ; Stahl 1880 : XXXI, 377)
- [18]
Monsieur Laurence appelle Laurie, âgé de seize ans, un « marmot » (Alcott 1993 : 168).
- [19]
Ajout de l’adaptateur : « Il y avait évidemment un air de ressemblance entre elle et Margaret, mais Jo était très différente d’aspect. » (Alcott 1988b : 9)
- [20]
Voir, au chapitre 4, sa réponse au reproche de Meg, « Don’t use such dreadful expressions » : « I like good, strong words that mean something. » (Alcott 1948 : 45)
- [21]
Il faut en outre noter que le choix de cette exclamation n’est peut-être pas fortuit, Louisa May Alcott étant née un Colombus Day, le 29 novembre 1932 !
- [22]
Dans un paragraphe tenant lieu de postface, P.J. Stahl assure que « pas plus qu’un être humain un livre ne voyage impunément » et qu’il faut se résigner à « sacrifier quelque chose aux goûts et aux moeurs » du pays qui adopte le livre (Stahl 1880 : XXXII, 344).
- [23]
Cf. l’entrée de son journal pour le 1er novembre 1968 : « Girls write to ask who the little women marry, as if that was the only end and aim of a woman’s life. I won’t marry Jo to Laurie to please any one. » (Myerson & Shealy 1989 : 167)
a) Textes ayant servi de base à l’analyse comparative
-
- Alcott, L. M. (1948) : Little Women, London, J. M. Dent & Sons Ltd., New York, E.P. Dutton & Co. Inc.
- Alcott, L. M. (1980) : Les quatre filles du Docteur March, adaptation de P.-J. Stahl, Paris, Hachette, « Idéal-Bibliothèque ».
- Alcott, L. M. (1987) : Les quatre filles du Docteur March, adaptation de Chantal Baligand, Chevron, Éditions Hemma, « Livre Club Jeunesse ».
- Alcott, L. M. (1988a) : Les quatre filles du Docteur March, traduit de l’anglais par Paulette Vielhomme-Callais, Paris, Gallimard, « Folio Junior ».
- alcott, L. M. (1988b) : Les quatre filles du Docteur March, adaptation de Rémi Simon, Paris, Nathan, « Bibliothèque des Grands Classiques ».
- Alcott, L. M. (1993) : Les quatre filles du Docteur March, sans indication de traducteur, Tournai, Casterman.
- Alcott, L. M. (1995) : Les quatre filles du Docteur March, traduit de l’anglais (États-Unis) par Maud Godoc, Paris, Flammarion, « Castor Poche ».
- Alcott, L. M. (2002) : Les quatre filles du Docteur March, adaptation de Chantal Baligand, Chevron, Hemma, « Livre Club jeunesse ».
- Stahl, P.-J. (1880) : Les quatre filles du docteur Marsch (sic). Histoire d’une famille américaine adaptée de L.-L. [sic] Alcott, d’après la traduction de Lermont, Magasin d’éducation et de récréation, vol. XXXI-XXXII.
b) Études et éditions
- Barton, C. H. (1996) : Transcendental Wife. The Life of Abigail May Alcott, Lanham, Md., The University Press of America.
- Eiselein, G. and A. K. Phillips (2001) : « Little Women », in Gregory Eiselein and Anne K. Phillips, eds : The Louisa May Alcott Encyclopedia, Westport, Connecticut/London, Greenwood Press, 178-182.
- Elbert, S. (1987) : A Hunger for Home : Louisa May Alcott’s Place in American Culture, Philadelphia, Temple University Press.
- Elbert, S. (1997) : Louisa May Alcott on Race, Sex, andSlavery (edited with an Introduction by), Boston, Northeastern University Press.
- Grenier, C. (1993) : « Les couleurs d’un siècle. Un carrefour d’enfances », in Escarpit, Denise et Bernadette Poulou, éd., Paris, Éditions du Sorbier, p. 159-168.
- Kerbrat-Orecchioni, C. (1980) : L’Énonciation : De la subjectivité dans le langage, Paris, Armand Colin
- Hamon, P. (1984) : Texte et idéologie. Valeurs, hiérarchies et évaluations dans l’oeuvre littéraire, Paris, PUF.
- Holmes Holtz, S. (1995) : « Alcott, Louisa May » in Anita Silvey, ed., Children’s Books and Their Creators, Houghton Mifflin Company, Boston/New York, 10-12.
- Langland, E. (1983) : « Female Stories of Experience : Alcott’s Little Women in Light of Work », in Abel, Elizabeth, Marianne Hirsch and Elizabeth Langland, ed. : The Voyage In : Fictions of Female Development, Hanover and London, University Press of New England, 112-127.
- Myerson, J. and D. Shealy (1989) : The Journals of Louisa May Alcott, with an introduction by Madeleine Stern, Boston/Toronto/London, Little, Brown and Company.
- Prince, G. (1978) : « Le discours attributif et le récit », Poétique 35, 305-313.
- Reynolds, L. J. (1988) : European Revolutions and the American Literary Renaissance, New Haven, Yale University Press.
- Shavit, Z. (1986) : Poetics of Children’s Literature, Athens/London, The University of Georgia Press.
- Soriano, M. (1975) : « Alcott Louisa Mary (sic) », Guide de littérature pour la jeunesse : courants, problèmes, choix d’auteurs, Paris, Flammarion, 41.
- Stern, M. B. (1975) : Behind a Mask : The Unknown Thrillers of Louisa May Alcott (edited and with an introduction by), London, W.H. Allen.
- Stern, M. B. (1995) : Louisa May Alcott, New York, Random House.
- Stern, M. B. (1996) : The Feminist Alcott ; Stories of a woman’s power (edited with an introduction by), Boston, Northeastern University.