Guerre d’Ukraine: C’est le djihad final ! (After Lenin’s final struggle, Hitler’s kampf and Islam’s jihad, will Putin’s nuclear-armed pan-Slavism bring the world the ultimate holy war ?)

30 septembre, 2022

Putin listens to Russian Orthodox Patriarch Kirill during the Easter service in the Christ the Savior Cathedral in Moscow, ahead of the constitutional changes that would allow him to extend his rule until 2036 ( Apr 28, 2019)

Poutine déclare la guerre sainte au « satanisme » occidental
Gardez-vous des faux prophètes. Ils viennent à vous en vêtements de brebis, mais au dedans ce sont des loups ravisseurs. (…) C’est donc à leurs fruits que vous les reconnaîtrez. Jésus (Mat 7: 15-20)
Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée. Car je suis venu mettre la division entre l’homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa belle-mère; et l’homme aura pour ennemis les gens de sa maison. Jésus (Matthieu 10: 34-36)
Vous entendrez parler de guerres et de bruits de guerres: gardez-vous d’être troublés, car il faut que ces choses arrivent. (…) Une nation s’élèvera contre une nation, et un royaume contre un royaume, et il y aura, en divers lieux, des famines et des tremblements de terre. Tout cela ne sera que le commencement des douleurs. (…) Cette bonne nouvelle du royaume sera prêchée dans le monde entier, pour servir de témoignage à toutes les nations. Alors viendra la fin. Jésus (Matthieu 24 : 6-8)
Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. Jésus (Jean 15: 13-20)
Le bolchevisme ne durera pas éternellement en Russie. Un jour viendra où l’ordre s’y rétablira et où la Russie, reconstituant ses forces, regardera autour d’elle. Ce jour-là, elle se verra telle que la paix va la laisser, c’est à dire privée de l’Estonie, de la Finlande, de la Pologne, de la Lituanie, peut-être de l’Ukraine. S’en contentera-t-elle ? Nous n’en croyons rien. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on reverra la Russie reprendre sa marche vers l’Ouest et le Sud-Ouest. De quel côté la Russie recherchera-t-elle un concours pour reprendre l’œuvre de Pierre le Grand et de Catherine II ? Ne le disons pas trop haut, mais sachons-le et pensons-y : c’est du côté de l’Allemagne que fatalement elle tournera ses espérances. Voilà, Messieurs, pourquoi la France prête à la Pologne et à la Roumanie un si large concours militaire ; et voilà pourquoi nous sommes ici. […] Chacun de nos efforts en Pologne, Messieurs, c’est un peu plus de gloire pour la France éternelle. Charles de Gaulle (1919)
J’annonce au monde entier, sans la moindre hésitation, que si les dévoreurs du monde se dressent contre notre religion, nous nous dresserons contre leur monde entier et n’auront de cesse avant d’avoir annihilé la totalité d’entre eux. Ou nous tous obtiendrons la liberté, ou nous opterons pour la liberté plus grande encore du martyre. Ou nous applaudirons la victoire de l’Islam dans le monde, ou nous tous irons vers la vie éternelle et le martyre. Dans les deux cas, la victoire et le succès nous sont assurés. Ayatollah Khomeiny
Le peuple a fait son choix (…) c’est là leur droit, leur droit inaliénable, inscrit dans l’article premier de la Charte des Nations Unies, l’égalité des droits et de l’autodétermination des peuples. Je le répète  : il s’agit d’un droit inaliénable des peuples. (….) C’est ici, en Nouvelle Russie, qu’ont lutté Rumjancev, Suvorov et Ušakov. C’est ici que Catherine II et Potëmkine ont fondé de nouvelles villes. C’est ici que nos grands-pères et arrière-grands-pères se sont battus jusqu’à la mort pendant la Seconde Guerre mondiale. Nous n’oublierons jamais les héros du «  Printemps Russe  », ceux qui ont refusé le coup d’État néonazi dans l’Ukraine de 2014, ceux qui ont perdu la vie pour le droit de parler leur langue, de conserver leur culture, leurs traditions, leur foi, pour le droit même de vivre. Nous n’oublierons jamais les combattants du Donbass, les martyrs de la «  Khatyn d’Odessa  », les victimes des attentats inhumains orchestrés par le régime de Kiev. Nous commémorons les volontaires et les miliciens, les civils, les enfants, les femmes, les vieillards, les Russes, les Ukrainiens, des gens des nationalités les plus diverses  (…) Je vous demande d’observer une minute de silence en leur mémoire. (…) Derrière ce choix de millions d’habitants des Républiques populaires de Donetsk et Lougansk, des districts de Zaporojie et Kherson, se lisent à la fois notre futur commun et notre histoire millénaire. Les populations ont transmis ce lien spirituel à leurs enfants et leurs petits-enfants. Malgré toutes les épreuves, ils ont transmis leur amour de la Russie à travers les âges. Personne ne pourra détruire ce sentiment qui nous habite. C’est la raison pour laquelle les anciennes générations et les plus jeunes, ceux qui sont nés après l’effondrement tragique de l’URSS, ont voté d’une seule voix pour notre unité, pour notre avenir commun. En 1991 (…) sans aucune considération pour la volonté des citoyens ordinaires, les représentants de l’élite du parti de l’époque ont pris la décision de dissoudre l’URSS. Du jour au lendemain, les gens se sont retrouvés arrachés à leur patrie. Notre communauté nationale a été déchirée, démantelée à vif, ce qui s’est soldé par une catastrophe nationale. (…) Pendant huit longues années, les habitants du Donbass ont été soumis au génocide, aux bombardements, au blocus. (…) y compris pendant les référendums, le régime de Kiev a menacé de représailles et de mort les enseignants et les femmes qui officiaient dans les commissions électorales, intimidant des millions de personnes venues exprimer leur volonté.  (…) Nous appelons le régime de Kiev à un cessez-le-feu immédiat, à mettre fin à cette guerre qu’il a déclenchée en 2014 et à revenir à la table des négociations. Nous y sommes prêts, comme nous l’avons signalé à de nombreuses reprises. En revanche, la décision des peuples de Donetsk, Lougansk, Zaporojie et Kherson n’est pas discutable. Leur décision a été prise et la Russie ne la trahira pas. Les autorités actuelles de Kiev doivent traiter cette libre expression de la volonté d’un peuple avec respect, et pas autrement. C’est le seul chemin possible vers la paix. Nous défendrons notre terre avec toutes nos forces et par tous les moyens à notre disposition. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour garantir la sécurité de nos concitoyens. Telle est la grande mission libératrice de notre nation. (…) Je veux m’adresser aujourd’hui aux soldats et aux officiers qui participent à l’opération militaire spéciale (…) Je veux m’adresser à eux, à leur famille, à leurs épouses et à leurs enfants pour leur dire contre qui, contre quel genre d’ennemi notre peuple se bat, pour leur dire qui précipite le monde dans de nouvelles guerres et de nouvelles crises, retirant un profit sanglant de toute cette tragédie. Nos compatriotes, nos frères et nos sœurs d’Ukraine, cette partie intégrante de notre nation unie, ont vu de leurs propres yeux le sort que les sphères dirigeantes du soi-disant Occident réservent à l’humanité entière. Ici, elles ont enfin tombé les masques et révélé leur vraie nature. Après la chute de l’Union soviétique, l’Occident a décidé que le monde entier, que chacun de nous devait supporter à jamais ses diktats. En 1991, l’Occident s’imaginait que la Russie ne se relèverait jamais de ces bouleversements et s’effondrerait d’elle-même. Ils y ont presque réussi. Nous gardons en mémoire les années 1990, ces années terribles, de faim, de froid et de désespoir. Mais la Russie a survécu. Elle renaît, se renforce, réclame à nouveau la place qui lui revient dans le monde. (…) Ils ne seront pas en paix tant qu’il existera un pays si grand, si considérable, avec son territoire, ses richesses naturelles, ses ressources, son peuple qui ne sait pas et ne saura jamais vivre sous les ordres de quelqu’un d’autre. L’Occident est prêt à tout pour conserver ce système néocolonial qui lui permet de parasiter, de dépouiller le monde grâce à la puissance du dollar et de la technologie, de percevoir un véritable tribut de l’humanité tout entière, de jouir de la principale source de richesse indue  : la rente de l’hégémon. La préservation de cette rente est leur principale motivation, leur motivation réelle, fruit de la pure avidité. C’est la raison pour laquelle ils ont intérêt à la dé-souverainisation systématique. Ainsi s’expliquent leurs agressions d’États indépendants, de valeurs traditionnelles et de cultures authentiques, leurs tentatives de saper les processus internationaux et interrégionaux, les nouvelles monnaies globales et les nouveaux pôles de développement technologique qui échappent à leur contrôle. Il est capital pour eux que tous les États abandonnent leur souveraineté au profit des États-Unis. (… Je veux souligner une fois encore que ce sont leur cupidité insatiable et leur désir de maintenir leur pouvoir illimité qui sont la véritable raison de cette guerre hybride que l’«  Occident collectif  » mène contre la Russie. Ils ne veulent pas nous voir libres  ; ils rêvent que nous soyons une colonie. Ils ne veulent pas collaborer sur un pied d’égalité  ; ils rêvent de pillage. Ils ne veulent pas que nous soyons une société libre, mais une foule d’esclaves sans âme. (…) L’Occident mise sur son impunité, sur sa capacité à tout se permettre. (…) Les accords de sécurité stratégique ont filé droit à la poubelle  ; les conventions conclues au plus haut niveau politique ont été déclarées fictives  ; les promesses les plus fermes de ne pas étendre l’OTAN vers l’Est, arrachées fut un temps par nos anciens dirigeants, se sont révélées un mensonge immonde  ; les traités sur les forces nucléaires à portée intermédiaire ont été unilatéralement abrogés sous des prétextes fantaisistes. Mais de tous les côtés, on n’entend que  : «  L’Occident incarne l’état de droit, fondé sur des règles  ». D’où viennent-elles  ? Qui en a jamais vu la couleur  ? Qui y a consenti  ? Écoutez, ce ne sont que des absurdités, un mensonge absolu, des doubles ou des triples standards. Ils doivent nous prendre pour des imbéciles. La Russie est une grande puissance millénaire, un pays-civilisation qui ne vivra jamais sous le joug de ces règles truquées, faussées. C’est bien le soi-disant Occident qui a piétiné le principe de l’inviolabilité des frontières et qui décide maintenant, selon son bon vouloir, qui a le droit à l’autodétermination et qui ne l’a pas, qui en est digne et qui ne l’est pas. On ignore à quel titre ils agissent ainsi, qui leur en a donné le droit, sinon eux-mêmes. (…) L’Occident n’a aucun droit moral à distribuer les bons points, ni à prononcer le moindre mot sur la liberté de la démocratie. Ils ne l’a pas et il ne l’a jamais eu. Les élites occidentales ne se contentent pas de nier souveraineté des nations et le droit international. Leur hégémonie présente clairement les traits d’un totalitarisme, d’un despotisme, d’un apartheid. Avec insolence, ils divisent le monde entre, d’un côté, leurs vassaux, les pays soi-disant civilisés, et de l’autre le reste de la planète, ceux que des racistes occidentaux voudraient inscrire sur la liste des barbares et des sauvages. Des étiquettes mensongères comme «  État voyou  » ou «  régime autoritaire  » sont stigmatiser des peuples et des États entiers, ce qui n’est pas nouveau. Il n’y a rien de nouveau là-dedans, parce que les élites occidentales sont restées ce qu’elles étaient  : colonialistes. Elles discriminent et divisent les peuples entre la «  première classe  » et «  le reste  ». Nous n’avons jamais souscrit et ne souscrirons jamais à ces formes de nationalisme politique et de racisme. Est-ce autre chose que du racisme qui, sous la forme de la russophobie, se répand aujourd’hui dans le monde entier  ? Que peut bien être, sinon du racisme, cette conviction inébranlable de l’Occident que sa civilisation et sa culture néolibérale sont le modèle indépassable pour le reste du monde  ? «  Qui n’est pas avec nous est contre nous  ».  (…) Il n’est pas jusqu’à la responsabilité de leurs propres crimes historiques que les élites occidentales rejettent sur les autres, exigeant à la fois de leurs citoyens et des autres peuples qu’ils se repentent de ce à quoi ils n’ont jamais contribué, par exemple, la période des conquêtes coloniales. Il est bon de rappeler à l’Occident qu’il a commencé sa politique coloniale dès l’époque du Moyen Âge, avant que se développe la traite mondiale des esclaves, le génocide des tribus indiennes en Amérique, le pillage de l’Inde, de l’Afrique, les guerres de l’Angleterre et de la France contre la Chine, qui l’ont obligée à ouvrir ses ports au commerce de l’opium. Ce qu’ils ont fait, c’était de rendre des peuples entiers accros aux drogues, d’exterminer délibérément des groupes ethniques entiers pour leurs terres et leurs ressources, de pratiquer une véritable chasse à l’homme, comme on chasse des bêtes. Tout cela est contraire à la nature même de l’humain, à la vérité, à la liberté et à la justice. Pour notre part, nous sommes fiers qu’au XXe siècle, ce soit précisément notre pays qui ait pris la tête du mouvement anticolonial, lequel a offert à de nombreux peuples du monde la possibilité de se développer, de réduire la misère et les inégalités, de vaincre la faim et les maladies. Je tiens à souligner que l’un des motifs de la russophobie pluriséculaire, de l’évidente animosité de ces élites occidentales vis-à-vis de la Russie, vient justement du fait que nous ayons refusé de nous laisser dépouiller à l’époque de la conquête coloniale et que nous ayons forcé les Européens à commercer avec nous pour notre bénéfice mutuel. Nous y sommes parvenus grâce à la création en Russie d’un État centralisé, qui s’est développé et consolidé à partir des hautes valeurs morales de l’orthodoxie, de l’islam, du judaïsme et du bouddhisme, mais aussi d’une culture et d’une langue russes ouvertes à tous. D’innombrables plans d’invasion de la Russie ont été échafaudés. On a tenté de profiter du temps des troubles du début du XVIIe siècle et des bouleversements qui ont suivi la Révolution de 1917, mais sans succès. Ce n’est qu’à la fin du XXe siècle, lorsque cet État s’est effondré, qu’ils ont finalement réussi à mettre la main sur les richesses de la Russie. Ils nous qualifiaient alors d’amis et de partenaires mais, dans les faits, ils nous traitaient comme une colonie  : des milliers de milliards de dollars ont été siphonnés du pays par toutes sortes de machinations.  (…) Les pays occidentaux clament depuis des siècles qu’ils apportent la liberté et la démocratie aux autres nations. C’est exactement le contraire. Au lieu de la démocratie, ils apportent la répression et l’exploitation  ; au lieu de la liberté, l’asservissement et l’oppression. L’ordre mondial unipolaire est intrinsèquement anti-démocratique et non-libre, menteur et hypocrite de bout en bout. Les États-Unis sont le seul pays du monde à avoir fait usage par deux fois de l’arme nucléaire, lorsqu’ils ont détruit les villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki. D’ailleurs, en agissant ainsi, ils ont créé un précédent. Je rappelle que les États-Unis, avec l’aide des Britanniques, ont réduit à l’état de ruines Dresde, Hambourg, Cologne et nombre d’autres villes allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale sans aucune nécessité militaire  : ils l’ont fait ostensiblement et, je le répète, sans aucune nécessité militaire. Leur unique objectif, comme dans le cas des bombardements nucléaires au Japon, était d’intimider notre pays et le reste du monde. Les États-Unis ont laissé une trace épouvantable dans la mémoire des peuples de Corée et du Vietnam par leurs «  tapis de bombes  » barbares, l’usage du napalm et des armes chimiques. Aujourd’hui encore, ils occupent encore de facto l’Allemagne, le Japon, la République de Corée et encore d’autres pays, tout en les appelant cyniquement des égaux et des alliés. Écoutez, je me demande bien de quel genre d’alliance il peut s’agir. Le monde entier sait que les dirigeants de ces pays sont espionnés, que leurs chefs d’État sont mis sur écoute non seulement à leur bureau, mais à leur domicile. C’est une véritable honte. Une honte pour ceux qui agissent ainsi et une honte pour ceux qui, comme des esclaves, avalent ces impertinences en silence et servilement. Ils parlent de solidarité euro-atlantique pour qualifier les ordres, les cris brutaux et insultants qu’ils adressent à leurs vassaux  ; ils parlent de noble recherche médicale pour qualifier le développement d’armes biologiques et les expérimentations sur des sujets vivants, notamment en Ukraine. Ce sont bien leurs politiques dévastatrices, leurs guerres et leurs pillages qui ont provoqué le considérable essor des flux migratoires actuels. Des millions de personnes endurent les pires privations, les pires abus, et meurent par milliers en essayant de rejoindre l’Europe. Aujourd’hui, ils exportent du blé d’Ukraine. Où va ce blé, sous le prétexte de «  garantir la sécurité alimentaire des pays les plus pauvres du monde  »  ? Où va-t-il  ? Tout va dans ces mêmes pays d’Europe. Seuls 5 % sont partis dans les pays pauvres. Voilà un nouvel exemple d’escroquerie et de mensonge éhonté. Dans les faits, l’élite américaine se sert de la tragédie que vivent ces personnes pour affaiblir ses rivaux, pour détruire les États-nations. Cela vaut également pour l’Europe, pour l’identité de pays comme la France, l’Italie, l’Espagne, et d’autres nations à l’histoire multiséculaire. Washington exige toujours plus de sanctions pour la Russie, et les politiciens européens, dans leur majorité, acceptent docilement. Ils ne saisissent pas bien que les États-Unis, en poussant l’Union Européenne à renoncer entièrement aux ressources russes, notamment énergétiques, sont en réalité en train de provoquer la désindustrialisation de l’Europe et de s’emparer du marché européen. Bien sûr, elles en ont conscience, ces élites européennes, elles en ont conscience mais préfèrent servir les intérêts d’une autre nation. Ce n’est même plus une marque de servilité, mais une véritable trahison de leurs propres peuples.  (…) Cependant, les sanctions ne suffisent plus aux Anglo-Saxons. Ils recourent maintenant au sabotage – cela semble incroyable, mais c’est un fait – en faisant sauter les gazoducs internationaux de «  Nord Stream  », qui passent au fond de la mer Baltique, ruinant du même coup l’infrastructure énergétique de l’Europe tout entière. Chacun sait qui en bénéficie. (…) Le diktat américain est fondé sur la force brute, sur la loi du plus fort. Il est parfois joliment emballé, parfois sans fioriture, mais le fond est le même  : c’est la loi du plus fort. D’où le déploiement et l’entretien de centaines de bases militaires aux quatre coins du monde, l’expansion de l’OTAN et les tentatives de former de nouvelles alliances militaires comme l’AUKUS ou d’autres encore  : c’est ainsi qu’on cherche activement à créer une alliance militaire et politique entre Washington, Séoul et Tokyo. Tous les États qui possèdent ou aspirent à posséder une véritable souveraineté stratégique et qui sont en mesure de contester l’hégémonie occidentale sont automatiquement déclarés ennemis. (…) Les élites occidentales présentent leurs plans néocoloniaux d’une manière tout aussi hypocrite, en agitant des prétentions pacifistes, en parlant d’«  endiguement  », et ces mots-clefs sournois se retrouvent d’une stratégie à l’autre alors qu’en réalité ils ne signifient qu’une seule chose  : saper tous les centres de pouvoir souverains. On nous a ainsi parlé de l’endiguement de la Russie, de la Chine, de l’Iran. J’imagine que d’autres pays d’Asie, d’Amérique Latine, d’Afrique, du Proche-Orient, ainsi que des partenaires et alliés actuels des États-Unis, sont les prochains sur la liste. Nous le savons bien  : lorsque quelque chose leur déplaît, ils sont prêts à imposer des sanctions à leurs propres alliés – tantôt à telle ou telle banque  ; tantôt à telle ou telle entreprise. (…) Ils ont noyé la vérité dans un océan de mythes, d’illusions et de faux, en pratiquant une propagande extrêmement agressive, en mentant comme Goebbels. Plus le mensonge est gros, plus on y croit – c’est ainsi qu’ils fonctionnent, en suivant ce principe. Mais on ne peut pas nourrir les populations avec des dollars et des euros imprimés sur des billets de banque. On ne peut pas les nourrir avec du papier-monnaie, on ne peut pas chauffer un foyer avec la capitalisation aussi virtuelle et que surévaluée des réseaux sociaux occidentaux. Tout ce dont je vous parle est de la plus haute importance, mais il faut insister sur ce dernier point. On ne peut nourrir personne avec du papier, il faut de la nourriture  ; ces capitalisations surévaluées ne peuvent chauffer personne, il faut de l’énergie. C’est pourquoi les dirigeants européens en sont réduits à convaincre leurs concitoyens de manger moins, de se laver moins souvent, de s’habiller plus chaudement à la maison. Et ceux qui commencent à se poser les bonnes questions – «  Pourquoi en serait-il ainsi  ?  » – sont immédiatement déclarés ennemis, extrémistes et radicaux. Ils retournent la situation contre la Russie en disant  : «  Vous voyez, c’est la source de tous nos malheurs  ». Des mensonges, encore une fois. (…) Les gains de la Seconde Guerre mondiale ont permis aux États-Unis de surmonter enfin les conséquences de la Grande Dépression et de devenir la première économie mondiale, de soumettre la planète entière à la puissance du dollar en tant que monnaie de réserve globale. C’est largement en s’appropriant les restes et les ressources de l’Union soviétique en déliquescence que l’Occident a surmonté la crise qui s’est aggravée dans les années 1980.  (…) Désormais, pour sortir de ce nouveau nœud de contradictions, il leur faut à tout prix briser la Russie et les autres États qui choisissent une voie souveraine de développement, afin de piller de nouvelles richesses et de colmater ainsi leurs propres vides. Si cela ne se passe pas ainsi, je n’exclus pas l’idée qu’ils tentent de provoquer l’effondrement total du système pour se dédouaner de leurs responsabilités, ou encore, Dieu nous en garde, qu’ils décident d’employer une formule bien connue  : «  La guerre efface toutes les dettes  ». La Russie a conscience de sa responsabilité envers la communauté mondiale et fera son possible pour ramener ces têtes brûlées à la raison. À l’évidence, le modèle néocolonial actuel est condamné à disparaître. Mais, je le répète, ses maîtres réels s’y accrocheront jusqu’à la dernière seconde. Ils n’ont tout simplement rien à proposer au monde, si ce n’est la préservation de ce système de pillage et de racket. En substance, ils crachent sur le droit naturel de milliards de personnes, la majeure partie de l’humanité, à la liberté et à la justice, ainsi qu’à la détermination de leur propre destinée. Ils en viennent maintenant à nier l’ensemble des normes morales, de la religion et de la famille. (…) est-ce que nous voulons avoir, ici, dans ce pays, en Russie, au lieu d’une mère et d’un père, un «  parent numéro un  » et un «  parent numéro deux  » (ils sont devenus complètement dingues sur ce coup)  ? Est-ce que nous voulons que l’on enseigne dans nos écoles primaires des perversions qui conduisent à la dégradation et à l’extinction  ? Est-ce que nous voulons enseigner aux enfants qu’il n’existe pas que des femmes et des hommes, mais des soi-disant genres et qu’on leur propose des opérations de changement de sexe  ? Est-ce cela que nous voulons pour notre pays et pour nos enfants  ? Tout cela est tout simplement inacceptable pour nous. (…) Je le répète  : la dictature des élites occidentales vise toutes les sociétés, y compris les pays occidentaux eux-mêmes. C’est un défi adressé à tout le monde. Cette négation profonde de l’humanité, cette subversion de la foi et des valeurs traditionnelles, cet écrasement de la liberté prennent les traits d’une «  religion à l’envers  » – d’un satanisme pur et simple. Dans le sermon sur la montagne, Jésus Christ, dénonçant les faux prophètes, dit  : «  C’est donc à leurs fruits que vous les reconnaîtrez  ». Et beaucoup savent bien que ces fruits sont empoisonnés, non seulement chez nous, mais dans tous les pays, y compris en Occident. Le monde est entré dans une période de transformations fondamentales, révolutionnaires. De nouvelles puissances émergent. Elles représentent la majorité – la majorité  ! – de la communauté mondiale et sont prêtes non seulement à proclamer leurs intérêts, mais à les défendre. Elles voient dans la multipolarité un moyen de renforcer leur souveraineté et ainsi de conquérir la liberté véritable, une perspective historique, leur droit au développement indépendant, créatif, original, à un développement harmonieux. Dans le monde entier, y compris en Europe et aux États-Unis, comme je l’ai déjà souligné, de nombreuses personnes partagent nos idées et nous ressentons, nous voyons leur soutien. Au sein des pays et des sociétés les plus variés se dessine déjà un mouvement de libération anticolonial contre l’hégémonie unipolaire, et sa force ne fera que croître. C’est cette force qui déterminera le futur des réalités géopolitiques. (…) Aujourd’hui, nous combattons pour un futur juste et libre, avant tout pour nous-mêmes, pour la Russie, pour que la dictature et le despotisme deviennent à jamais un souvenir du passé. Ma conviction est que les nations et les peuples comprennent à quel point une politique fondée sur l’exceptionnalisme, sur la suppression des autres cultures et des autres peuples, est fondamentalement criminelle, que cette page honteuse de l’histoire ne demande qu’à être tournée. L’effondrement de l’hégémonie occidentale est en cours. Il est irréversible. Je le répète  : les choses ne seront plus comme avant. Le champ de bataille sur lequel nous ont convoqués le destin et l’histoire est un champ de bataille pour notre peuple, pour la grande Russie historique. (Applaudissements.) Pour une grande Russie historique, pour les générations futures, pour nos enfants, nos petits-enfants et nos arrière-petits-enfants. Nous devons les préserver de l’asservissement, des expérimentations monstrueuses qui veulent estropier leurs consciences et leurs âmes. Aujourd’hui, nous combattons pour que personne ne pense plus jamais que la Russie, notre peuple, notre langue, notre culture, puissent être rayés de l’histoire. Aujourd’hui, nous devons consolider notre société et cette solidarité ne pourra reposer que sur la souveraineté, la liberté, la création et la justice. Nos valeurs sont l’humanité, la miséricorde et la compassion. Et je voudrais conclure cette allocution sur les mots d’un véritable patriote, Ivan Aleksandrovič Il’in  : «  Si je considère la Russie comme ma patrie, cela signifie que j’aime, que je contemple et que je pense comme un Russe, que je chante et que je parle comme un Russe  ; que je crois aux forces spirituelles du peuple russe. Son esprit est mon esprit  ; sa destinée est ma destinée  ; sa souffrance est ma souffrance  ; sa prospérité est ma joie  ». Dans ces mots, on retrouve le grand chemin spirituel que de nombreuses générations de nos ancêtres ont emprunté pendant plus d’un millénaire d’existence de l’État russe. Aujourd’hui, c’est nous qui empruntons ce chemin, ce sont les habitants des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, des districts de Zaporojie et de Kherson qui ont fait ce choix. Ils ont pris la décision de vivre avec leur propre peuple, avec leur patrie, de s’associer à son destin et de vaincre avec elle. La victoire est avec nous, la Russie est avec nous  ! Vladimir Poutine
Ce qui se passe aujourd’hui.. ne relève pas uniquement de la politique… Il s’agit du Salut de l’homme, de la place qu’il occupera à droite ou à gauche de Dieu le Sauveur, qui vient dans le monde en tant que Juge et Créateur de la création.  (…) Aujourd’hui, il existe un test de loyauté envers ce pouvoir, une sorte de laissez-passer vers ce monde « heureux », un monde de consommation excessive, un monde de « liberté » apparente. Savez-vous ce qu’est ce test ? Le test est très simple et en même temps terrifiant : il s’agit d’une parade de la gay pride. La demande de nombreux pays d’organiser une gay pride est un test de loyauté envers ce monde très puissant ; et nous savons que si des personnes ou des pays rejettent ces demandes, ils ne font pas partie de ce monde, ils en deviennent des étrangers. Et donc, aujourd’hui, en ce dimanche du pardon, moi, d’une part, en tant que votre berger, j’appelle tout le monde à pardonner les péchés et les offenses, y compris là où il est très difficile de le faire, là où les gens se battent entre eux. Mais le pardon sans la justice est une capitulation et une faiblesse. Le pardon doit donc s’accompagner du droit indispensable de se placer du côté de la lumière, du côté de la vérité de Dieu, du côté des commandements divins, du côté de ce qui nous révèle la lumière du Christ, sa Parole, son Évangile, ses plus grandes alliances données au genre humain.  Patriarche Kirill
You don’t understand, George, that Ukraine is not even a state. What is Ukraine? Part of its territories is Eastern Europe, but the greater part is a gift from us. Putin (to Bush during the NATO Summit in Bucharest, Romania, May 25, 2009)
[Anton Denikin, a commander in the White Army, which fought the Bolsheviks after the revolution in 1917] has a discussion (…) about Big Russia and Little Russia — Ukraine. He says that no one should be allowed to interfere in relations between us; they have always been the business of Russia itself. Putin (May 25, 2009)
There is no historical basis for the idea of Ukrainian people as a nation separate from the Russians. Putin (Kremlin, July 12, 2021)
There will be no more Ukraine as anti-Russia. Vladimir Putin has asserted a historic responsibility by deciding not to leave the solution of the Ukrainian question to future generations. Ukraine’s return to Russia will not mean its statehood’s “liquidation”; instead, Ukraine will be reorganized, re-established and returned to its natural state of part of the Russian world. RIA Novosti (February 26, 2022)
I hate them. They are bastards and geeks. They want death for us, Russia. And as long as I’m alive, I will do everything to make them disappear. Medevedev (June 7, 2022)
As a result of Western involvement, Ukraine may lose the remnants of state sovereignty and disappear from the world map and “Ukrainian criminals will definitely be tried for the atrocities committed against the people of Ukraine and Russia. Medvedev (July 21, 2022)
Ukraine has several million people who need to be partially eliminated and partially squeezed out. « New Russia,” or the territories from Kharkov, Odessa, Zaporozhye, and Dnepropetrovsk, should be joined to the Russian regions, with full denazification, deukrainization. Russia should institute a complete ban on Ukrainian fonts, Ukrainian texts, programs on the Ukrainian language, on teaching Ukrainian – ie completely. These implementations will cause a surplus population – let the surplus population go to the Far East. Mikhail Khazin (Russian economist and pundit, December 27, 2016)
There is no Ukraine, although there is Ukrainianism – a “specific mental disorder. Surprisingly brought to the extreme degree passion for ethnography. Such bloody lore. Muddle instead of the state. There is borscht, Bandera, bandura. But there is no nation. Donbass “does not deserve such humiliation” of returning to Ukraine. Ukraine “does not deserve such honor. Vladislav Surkov (Former Putin aide, February 26, 2020)
The Ukrainian regime is not just Nazi and anti-Russian, it is anti-human. Ukrainian statehood is Moloch, to whom children are sacrificed. This filthy idol must be destroyed, it has no place in history. Sergey Aksyonov (Russian head of occupation authority in Crimea (Jul. 27, 2022)
Les dirigeants russes ont commencé par traiter les dirigeants ukrainiens de « nazis » pour dissimuler leur plan de guerre d’agression prédatrice. Maintenant, ils appellent au génocide. Le président Biden a eu raison de tirer la sonnette d’alarme sur le génocide. Le monde doit agir. À la veille de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le président russe Vladimir Poutine a lancé une campagne de désinformation visant à contester le droit du pays à exister. Il a décrit l’Ukraine comme une « création artificielle des bolcheviks » et a qualifié ses dirigeants de « nazis ». Le 24 février, Poutine a annoncé qu’il avait lancé une « opération militaire spéciale » pour « dénazifier » l’Ukraine. La semaine dernière, alors que le monde apprenait des détails horribles sur le viol, la torture et le meurtre de civils par l’armée russe, ce discours sur la « dénazification » s’est transformé dans les médias d’État russes en un appel effrayant à la « désukrainisation ». La désukrainisation est un génocide. Le monde doit agir. Un article publié par RIA-Novosti le 5 avril a répété l’affirmation de Poutine selon laquelle « les Ukrainiens sont une construction artificielle anti-russe ». Il a proclamé que « l’élite politique ukrainienne doit être éliminée ». Et il a déclaré que les Ukrainiens ordinaires sont des « nazis passifs » qui « doivent vivre toutes les horreurs de la guerre et absorber l’expérience comme une leçon historique et une expiation pour leur culpabilité ». Expliquant que « la dénazification sera inévitablement aussi une désukrainisation », l’article lançait un appel inquiétant à une « purification totale ». Ce n’est pas la première fois que des idées aussi viles sont exprimées dans les médias russes. Il y a eu une série d’articles et de vidéos en 2016 et 2017 prônant la « désukrainisation ». L’économiste et expert Mikhail Khazin a appelé à la transformation de Kyiv, Tchernihiv et Soumy en «arrière-pays agricole dépouillé d’industrie et de forces armées», avec une «population excédentaire» déportée vers l’Extrême-Orient russe. Il a en outre suggéré que « plusieurs millions » d’Ukrainiens « devraient être » soit « éliminés » soit « expulsés ». Mais l’article de RIA-Novosti est différent pour deux raisons essentielles. Il a été publié au milieu de la guerre d’agression prédatrice de la Russie – alors que des atrocités étaient commises à Bucha, Marioupol et dans d’autres villes, et que des civils ukrainiens étaient kidnappés, déportés et envoyés dans des camps de filtration. Il a été publié pendant une censure extrême de temps de guerre en Russie, indiquant son approbation par les autorités russes. Depuis la publication de l’article de RIA-Novosti, les responsables russes ont continué à signaler au peuple russe – et à l’armée russe – que le génocide était à l’ordre du jour. Le lendemain de la parution de l’article, l’ancien président russe Dmitri Medvedev, l’un des conseillers de Poutine, a déclaré que « l’identité ukrainienne est un faux grossier et le but de la dénazification est de changer la façon dont les Ukrainiens perçoivent leur identité. » Plus tard dans la semaine, la première chaîne de télévision d’État russe a présenté une « discussion » sur l’élimination de l’Ukraine. Ces appels à la « désukrainisation » sont une incitation au génocide : à « détruire, en tout ou en partie », la nation ukrainienne. Certains juristes internationaux objectent qu’il n’y a pas encore suffisamment de preuves de génocide. Et ils ont en partie raison. Nous aurons besoin de plus de preuves pour condamner les dirigeants et les soldats russes pour génocide, qui peut être poursuivi soit comme crime de guerre (comme à Nuremberg) soit comme crime contre l’humanité. Mais la Convention sur le génocide et le Statut de Rome appellent également à la prévention du génocide. Et il y a suffisamment de preuves en ce moment pour demander au monde d’agir. J’aborde cette question en tant qu’historienne des procès de Nuremberg, et non en tant qu’avocate. Et de ce point de vue, il y a plusieurs choses à garder à l’esprit. Premièrement, le génocide ne ressemble pas toujours à l’Holocauste. Dans son discours de clôture des procès de Nuremberg, le procureur en chef britannique Sir Hartley Shawcross a réexaminé les preuves concernant Auschwitz et l’extermination des Juifs. Il a ensuite rappelé au tribunal que le génocide pouvait prendre plusieurs formes. La méthode que les nazis ont appliquée à l’intelligentsia polonaise, a-t-il noté, était «l’anéantissement pur et simple», alors qu’en Alsace, la déportation était le programme de choix. Dans l’Union soviétique occupée par l’Allemagne, la technique était la mort par famine ; en Bohême et en Moravie, les nazis se sont lancés dans une politique de germanisation forcée. Deuxièmement, l’histoire nous montre que nous devons prendre les dictateurs au mot. Ceux qui incitent au génocide tentent généralement de donner suite. Il n’est pas rare qu’ils fassent connaître leurs campagnes par le biais de propagandistes et de médias. Adolf Hitler avait Joseph Goebbels, Alfred Rosenberg et d’autres pour faire ce travail. Poutine a Medvedev et les experts des médias d’État russes. Enfin, plus les soldats russes s’engageront dans la campagne de « désukrainisation », plus la guerre deviendra brutale – et plus il sera difficile pour la Russie de trouver une issue autre que la victoire ou la défaite totale. La complaisance de la société russe devient complicité au meurtre. Il ne s’agit pas simplement d’une question académique ou d’un débat sur la terminologie. Nous devons comprendre les objectifs de guerre de la Russie pour comprendre la nature de ce conflit. Biden avait raison de dire que l’objectif de Poutine était « d’éliminer même l’idée d’être Ukrainien ». La communauté internationale doit affirmer qu’il existe des valeurs universelles. Elle doit soutenir l’Ukraine et dénoncer les mensonges de Poutine. Elle doit agir pour empêcher la destruction de la nation ukrainienne. Francine Hirsch (Université du Wisconsin à Madison)
Russia has just issued a genocide handbook for its war on Ukraine.  The Russian official press agency « RIA Novosti » published last Sunday an explicit program for the complete elimination of the Ukrainian nation as such.  It is still available for viewing, and has now been translated several times into English. As I have been saying since the war began, « denazification » in official Russian usage just means the destruction of the Ukrainian state and nation.  A « Nazi, » as the genocide manual explains, is simply a human being who self-identifies as Ukrainian.  According to the handbook, the establishment of a Ukrainian state thirty years ago was the « nazification of Ukraine. »  Indeed « any attempt to build such a state » has to be a « Nazi » act.  Ukrainians are « Nazis » because they fail to accept « the necessity that the people support Russia. »  Ukrainians should suffer for believing that they exist as a separate people; only this can lead to the « redemption of guilt. » (…) Putin’s Russian regime talks of “Nazis” not because it opposes the extreme right, which it most certainly does not, but as a rhetorical device to justify unprovoked war and genocidal policies. Putin’s regime is the extreme right.  It is the world center of fascism. It supports fascists and extreme-right authoritarians around the world.  In traducing the meaning of words like « Nazi, » Putin and his propagandists are creating more rhetorical and political space for fascists in Russia and elsewhere. The genocide handbook explains that the Russian policy of « denazification » is not directed against Nazis in the sense that the word is normally used.  The handbook grants, with no hesitation, that there is no evidence that Nazism, as generally understood, is important in Ukraine.  It operates within the special Russian definition of « Nazi »: a Nazi is a Ukrainian who refuses to admit being a Russian.  The « Nazism » in question is « amorphous and ambivalent »; one must, for example, be able to see beneath the world of appearance and decode the affinity for Ukrainian culture or for the European Union as « Nazism. » (…) The Russian handbook is one of the most openly genocidal documents I have ever seen.  It calls for the liquidation of the Ukrainian state, and for abolition of any organization that has any association with Ukraine.  It postulates that the « majority of the population » of Ukraine are « Nazis, » which is to say Ukrainians. (…) Such people, « the majority of the population, » so more than twenty million people, are to be killed or sent to work in « labor camps » to expurgate their guilt for not loving Russia.  Survivors are to be subject to « re-education. »  Children will be raised to be Russian.  The name « Ukraine » will disappear. Had this genocide handbook appeared at some other time and in a more obscure outlet, it might have escaped notice.  But it was published right in the middle of the Russian media landscape during a Russian war of destruction explicitly legitimated by the Russian head of state’s claim that a neighboring nation did not exist.  It was published on a day when the world was learning of a mass murder of Ukrainians committed by Russians. Russia’s genocide handbook was published on April 3, two days after the first revelation that Russian servicemen in Ukraine had murdered hundreds of people in Bucha, and just as the story was reaching major newspapers.  The Bucha massacre was one of several cases of mass killing that emerged as Russian troops withdrew from the Kyiv region.  This means that the genocide program was knowingly published even as the physical evidence of genocide was emerging.  The writer and the editors chose this particular moment to make public a program for the elimination of the Ukrainian nation as such. As a historian of mass killing, I am hard pressed to think of many examples where states explicitly advertise the genocidal character of their own actions right at at the moment those actions become public knowledge.  From a legal perspective, the existence of such a text (in the larger context of similar statements and Vladimir Putin’s repeated denial that Ukraine exists) makes the charge of genocide far easier to make.  Legally, genocide means both actions that destroy a group in whole or in part, combined with some intention to do so.  Russia has done the deed and confessed to the intention. Timothy Snyder (Yale)
Dans l’Islam, de même que dans le Judaïsme et le Christianisme, certaines croyances portent sur une bataille cosmique marquant la fin des temps – Gog et Magog, l’Antéchrist, Armageddon et, pour les Musulmans chiites, le retour tant attendu de l’Imam caché, qui doit déboucher sur la victoire finale des forces du bien sur celles du mal, quelle qu’en soit la définition. Il est évident qu’Ahmadinejad et ses adeptes croient que ce temps est venu et que la lutte finale est déjà entamée, et même bien avancée. Bernard Lewis
Dans le vocabulaire politique, l’expression « millénarisme » peut servir à désigner, de manière métaphorique, une forme de doctrine aspirant à une révolution radicale, qui aboutirait à la mise en place définitive d’un ordre social supposé plus juste, et sans commune mesure avec ce qui a existé jusqu’à présent. Dans cette acception, le terme a pu servir à qualifier aussi bien le communisme que le nazisme. Wikipedia
Le bolchevisme (…) avait la volonté de détruire tous les autres courants politiques. Par imitation, le national-socialisme voulait de même détruire ses ennemis. On retrouve cela aussi dans le fascisme italien. On devine dans tous ces cas le même tropisme destructeur, appliqué bien entendu avec des méthodes tout à fait différentes. L’Italie exilait ses ennemis sur des îles ; Hitler les tuait. (…) J’ai tenté de définir l’islamisme comme un mouvement réactionnaire symptomatique de l’histoire de la révolution libérale ou capitaliste. Le marxisme fut une première réaction. Il ne voulait pas accepter le mélange du bon et du mauvais inhérent au pragmatisme libéral. Le marxisme visait une perfection, un monde totalement moral et bon. Ernst Nolte
Nous imaginons, parce que la Guerre froide est finie en Europe, que toute la série de luttes qui ont commencé avec la Première guerre mondiale et qui sont passées par différents mouvements totalitaires — fasciste, nazi et communiste — était finalement terminée. (…) Hors de la Première guerre mondiale est venue une série de révoltes contre la civilisation libérale. Ces révoltes accusaient la civilisation libérale d’être non seulement hypocrite ou en faillite, mais d’être en fait la grande source du mal ou de la souffrance dans le monde. (…) [Avec] une fascination pathologique pour la mort de masse [qui] était elle-même le fait principal de la Première guerre mondiale, dans laquelle 9 ou 10 millions de personnes ont été tués sur une base industrielle. Et chacun des nouveaux mouvements s’est mis à reproduire cet événement au nom de leur opposition utopique aux complexités et aux incertitudes de la civilisation libérale. Les noms de ces mouvements ont changé comme les traits qu’ils ont manifestés – l’un s’est appelé bolchévisme, et un autre s’est appelé fascisme, un autre s’est appelé nazisme. (…) À un certain niveau très profond tous ces mouvements étaient les mêmes — ils partageaient tous certaines qualités mythologiques, une fascination pour la mort de masse et tous s’inspiraient du même type de paranoïa. (…) Mon argument est que l’islamisme et un certain genre de pan-arabisme dans les mondes arabe et musulman sont vraiment d’autres branches de la même impulsion. Mussolini a mis en scène sa marche sur Rome en 1922 afin de créer une société totalitaire parfaite qui allait être la résurrection de l’empire romain. En 1928, en Egypte, de l’autre côté de la Méditerranée, s’est créée la secte des Frères musulmans afin de ressusciter le Califat antique de l’empire arabe du 7ème siècle, de même avec l’idée de créer une société parfaite des temps modernes. Bien que ces deux mouvements aient été tout à fait différents, ils étaient d’une certaine manière semblables. (…) La doctrine islamiste est que l’Islam est la réponse aux problèmes du monde, mais que l’Islam a été la victime d’une conspiration cosmique géante pour la détruire, par les Croisés et les sionistes. (le sionisme dans la doctrine de Qutb n’est pas un mouvement politique moderne, c’est une doctrine cosmique se prolongeant tout au long des siècles.) L’Islam est la victime de cette conspiration, qui est également facilitée par les faux musulmans ou hypocrites, qui feignent d’être musulmans mais sont réellement les amis des ennemis de l’Islam. D’un point de vue islamiste, donc, la conspiration la plus honteuse est celle menée par les hypocrites musulmans pour annihiler l’Islam du dedans. Ces personnes sont surtout les libéraux musulmans qui veulent établir une société libérale, autrement dit la séparation de l’église et de l’état. (…) De même que les progressistes européens et américains doutaient des menaces de Hitler et de Staline, les Occidentaux éclairés sont aujourd’hui en danger de manquer l’urgence des idéologies violentes issues du monde musulman. Paul Berman
Le 30 janvier 33, la foule n’a pas acclamé l’antisémite Hitler, mais bien plus celui qui allait diriger un nouveau gouvernement national. Les Allemands étaient avides de changement. Il s’agissait pour eux de se libérer du carcan du Traité de Versailles, de faire oublier la honte allemande. Il s’agissait de retrouver une certaine grandeur nationale et de se détacher des querelles entre partis démocratiques. Les Allemands ont acclamé Hitler, parce qu’ils voulaient un gouvernement fort, dirigé par une figure charismatique. Ils en avaient assez des beaux parleurs, ils voulaient des résultats tangibles. (…) La peur d’une révolution communiste, la peur d’une guerre civile, c’est cela qui a le plus aidé Hitler dans sa conquête du pouvoir. Wolfgang Benz (historien, spécialiste de la Shoah)
Le meilleur allié du communisme a été le nazisme et le plus utile des idiots, si l’on peut dire, fut Hitler. Les deux totalitarismes se sont entraidés avant de se combattre. Ils avaient la même haine du monde occidental, de la démocratie et leur système politique était cousin germain. Après avoir aidé Hitler à arriver au pouvoir en 1933 grâce à la lutte conjointe des communistes allemands (aux ordres de Moscou) et des nazis, contre le gouvernement social-démocrate en place à Berlin ; après avoir soutenu l’effort de guerre du Führer grâce au pacte germano-soviétique d’août 1939 ; après s’être partagé l’Europe au début de la guerre, les deux totalitarismes se sont affrontés. À partir de là, toute l’intelligence de Staline, toute la tactique communiste a consisté à se présenter comme le meilleur rempart, le seul même face à la peste brune, jusqu’à faire oublier l’alliance passée. L’antifascisme a servi de paravent au stalinisme pour accomplir ses noirs desseins, d’abord contre son peuple puis contre les peuples conquis à la faveur du conflit mondial. Communisme et nazisme sont deux variantes du totalitarisme. Être contre l’un aurait dû amener à être contre l’autre, c’est cela que dit Orwell. Or l’hémiplégie d’une partie de l’opinion publique (cela va bien au-delà des intellectuels) consiste toujours à diaboliser un totalitarisme, le brun, pour excuser ou minorer l’autre, le rouge. C’est l’un des héritages du communisme dans les têtes. La seule attitude morale qui vaille est d’être antitotalitaire et de renvoyer dos à dos toutes les idéologies qui en sont le substrat. (…) Le communisme a représenté un grand espoir de justice sociale, il a mis ses pas dans la démarche chrétienne. Cela explique en partie son succès: au message christique «les derniers seront les premiers» au paradis, l’idéologie a substitué l’idée que les prolétaires (les plus pauvres) gouverneront le monde pour instaurer l’égalité pour tous. L’échec est d’autant plus durement ressenti. La mort du communisme revient pour certains à la mort de Dieu pour les croyants: inacceptable, impensable. Le communisme n’est toujours pas sorti de cette phase de deuil, d’où le négationnisme dont je parle: on nie la réalité de ce qui fut pour ne pas souffrir des espoirs qu’il a suscité. Il est certes désormais reconnu que ces régimes ont fait des millions de morts. C’est un progrès. Il n’empêche, être anti communiste reste péjoratif, quand cela devrait être une évidence. L’intellectuel qui a eu des faiblesses envers le fascisme demeure coupable à jamais quand celui qui a idolâtré le stalinisme ou le maoïsme, ou le pol-potisme (le Cambodge des Khmers rouge) est vite pardonné. C’est aussi cela le négationnisme communiste. Il ne s’agit pas de faire des procès, mais de regarder la réalité historique en face. En outre, la complicité envers le communisme a été telle, elle a pris une telle ampleur – des militants des PC du monde entier aux intellectuels, des dirigeants politiques des démocraties aux hommes d’affaires -, qu’il existe un consensus tacite pour oublier cette face sombre de l’humanité. L’être humain n’aime pas se sentir coupable, alors il passe à autre chose. Ce ne peut être que transitoire. La dimension du drame communiste fait qu’il est impossible d’en faire l’impasse. Je fais le pari que la réflexion sur cette époque va prendre de l’ampleur pour que l’histoire se fasse enfin. Il faudra sans doute pour cela que tous les témoins (acteurs ou simples spectateurs) de cette époque disparaissent. Et avec eux ce négationnisme diffus qui sert de garde-fou à l’émergence de la mauvaise conscience. (…) Le philosophe anglais Bertrand Russell remarquait déjà au début des années 1920 une ressemblance entre communisme et islamisme, notamment la même volonté de convertir le monde. N’oublions pas que la propagande communiste, très présente au XXe siècle, a développé des thèmes anti-occidentaux au nom de la lutte contre l’abomination capitaliste, et contre l’impérialisme. Cela a façonné des esprits, y compris dans des pays musulmans influencés par l’URSS, leur allié contre l’ennemi principal, Israël. La doxa communiste contre la liberté d’être, de penser, de se mouvoir, d’entreprendre, etc., se retrouve dans le discours des islamistes, présentée comme des tentations de Satan. En tant qu’idéologie totalitaire, le communisme cherchait à atomiser les individus en les arrachant de leurs racines sociales, politiques, culturelles, voire familiales, pour mieux les dominer, les contrôler. L’islamisme, lui, propose des repères, des codes, à des individus déjà déracinés sous la poussée d’une mondialisation dont les effets ont tendance à déstructurer les sociétés traditionnelles. La démarche est différente, mais le résultat est comparable: dans les deux cas il s’agit d’unir des personnes isolées grâce à des sentiments identitaires – la communauté socialiste, la communauté des croyants -, de donner sens à leur collectif grâce à un mythe absolu et exclusif, le parti pour les communistes, l’oumma pour les islamistes, terme qui désigne à la fois la communauté des croyants et la nation. Enfin, on retrouve dans l’islamisme des marqueurs du communisme: la contre-modernité du propos, une explication globale du monde et de sa marche, une opposition radicale entre bons et mauvais – croyants/impies en lieu et place des exploités/exploiteurs -, la volonté de modeler les hommes, et un esprit de conquête planétaire. Dès lors, la substitution est possible. Thierry Wolton
Combattez, combattez, parlez, parlez. Mao
La révolution iranienne fut en quelque sorte la version islamique et tiers-mondiste de la contre-culture occidentale. Il serait intéressant de mettre en exergue les analogies et les ressemblances que l’on retrouve dans le discours anti-consommateur, anti-technologique et anti-moderne des dirigeants islamiques de celui que l’on découvre chez les protagonistes les plus exaltés de la contre-culture occidentale. Daryiush Shayegan
Il est malheureux que le Moyen-Orient ait rencontré pour la première fois la modernité occidentale à travers les échos de la Révolution française. Progressistes, égalitaristes et opposés à l’Eglise, Robespierre et les jacobins étaient des héros à même d’inspirer les radicaux arabes. Les modèles ultérieurs — Italie mussolinienne, Allemagne nazie, Union soviétique — furent encore plus désastreux …Ce qui rend l’entreprise terroriste des islamistes aussi dangereuse, ce n’est pas tant la haine religieuse qu’ils puisent dans des textes anciens — souvent au prix de distorsions grossières —, mais la synthèse qu’ils font entre fanatisme religieux et idéologie moderne. Ian Buruma et Avishai Margalit
Parler de choc des civilisations, c’est dire que c’est la différence qui l’emporte. Alors que je crois, moi, que c’est l’identité des adversaires qui sous-tend leur affrontement. J’ai lu le livre de l’historien allemand Ernst Nolte, La guerre civile européenne, où il explique que, dans le choc des idéologies issues de la Première Guerre mondiale – communisme et nazisme –, l’Allemagne n’est pas la seule responsable. Mais le plus important est ceci : Nolte montre que l’URSS et le IIIe Reich ont été l’un pour l’autre un « modèle repoussoir ». Ce qui illustre la loi selon laquelle ce à quoi nous nous heurtons, c’est ce que nous imitons. Il est frappant qu’un historien pense les rapports d’inimitié en terme d’identité, en terme de copie. Ce que Nolte appelle le modèle repoussoir, c’est ce que la théorie mimétique appelle le modèle obstacle : dans la rivalité, celui qu’on prend pour modèle, on désire ce qu’il désire et par conséquent il devient obstacle. Le rapport mimétique conduit à imiter ses adversaires, tantôt dans les compliments, tantôt dans le conflit. (…) Les islamistes tentent de rallier tout un peuple de victimes et de frustrés dans un rapport mimétique à l’Occident. René Girard
Dans la foi musulmane, il y a un aspect simple, brut, pratique qui a facilité sa diffusion et transformé la vie d’un grand nombre de peuples à l’état tribal en les ouvrant au monothéisme juif modifié par le christianisme. Mais il lui manque l’essentiel du christianisme : la croix. Comme le christianisme, l’islam réhabilite la victime innocente, mais il le fait de manière guerrière. La croix, c’est le contraire, c’est la fin des mythes violents et archaïques. René Girard
Le christianisme (…) nous a fait passer de l’archaïsme à la modernité, en nous aidant à canaliser la violence autrement que par la mort.(…) En faisant d’un supplicié son Dieu, le christianisme va dénoncer le caractère inacceptable du sacrifice. Le Christ, fils de Dieu, innocent par essence, n’a-t-il pas dit – avec les prophètes juifs : « Je veux la miséricorde et non le sacrifice » ? En échange, il a promis le royaume de Dieu qui doit inaugurer l’ère de la réconciliation et la fin de la violence. La Passion inaugure ainsi un ordre inédit qui fonde les droits de l’homme, absolument inaliénables. (…) l’islam (…) ne supporte pas l’idée d’un Dieu crucifié, et donc le sacrifice ultime. Il prône la violence au nom de la guerre sainte et certains de ses fidèles recherchent le martyre en son nom. Archaïque ? Peut-être, mais l’est-il plus que notre société moderne hostile aux rites et de plus en plus soumise à la violence ? Jésus a-t-il échoué ? L’humanité a conservé de nombreux mécanismes sacrificiels. Il lui faut toujours tuer pour fonder, détruire pour créer, ce qui explique pour une part les génocides, les goulags et les holocaustes, le recours à l’arme nucléaire, et aujourd’hui le terrorisme. René Girard
L’erreur est toujours de raisonner dans les catégories de la « différence », alors que la racine de tous les conflits, c’est plutôt la « concurrence », la rivalité mimétique entre des êtres, des pays, des cultures. La concurrence, c’est-à-dire le désir d’imiter l’autre pour obtenir la même chose que lui, au besoin par la violence. Sans doute le terrorisme est-il lié à un monde « différent » du nôtre, mais ce qui suscite le terrorisme n’est pas dans cette « différence » qui l’éloigne le plus de nous et nous le rend inconcevable. Il est au contraire dans un désir exacerbé de convergence et de ressemblance. (…) Ce qui se vit aujourd’hui est une forme de rivalité mimétique à l’échelle planétaire. (…) Ce sentiment n’est pas vrai des masses, mais des dirigeants. Sur le plan de la fortune personnelle, on sait qu’un homme comme Ben Laden n’a rien à envier à personne. Et combien de chefs de parti ou de faction sont dans cette situation intermédiaire, identique à la sienne. Regardez un Mirabeau au début de la Révolution française : il a un pied dans un camp et un pied dans l’autre, et il n’en vit que de manière plus aiguë son ressentiment. Aux Etats-Unis, des immigrés s’intègrent avec facilité, alors que d’autres, même si leur réussite est éclatante, vivent aussi dans un déchirement et un ressentiment permanents. Parce qu’ils sont ramenés à leur enfance, à des frustrations et des humiliations héritées du passé. Cette dimension est essentielle, en particulier chez des musulmans qui ont des traditions de fierté et un style de rapports individuels encore proche de la féodalité. (…) Cette concurrence mimétique, quand elle est malheureuse, ressort toujours, à un moment donné, sous une forme violente. A cet égard, c’est l’islam qui fournit aujourd’hui le ciment qu’on trouvait autrefois dans le marxisme. René Girard
Il faut se souvenir que le nazisme s’est lui-même présenté comme une lutte contre la violence: c’est en se posant en victime du traité de Versailles que Hitler a gagné son pouvoir. Et le communisme lui aussi s’est présenté comme une défense des victimes. Désormais, c’est donc seulement au nom de la lutte contre la violence qu’on peut commettre la violence. René Girard
Dans le christianisme, on ne se martyrise pas soi-même. On n’est pas volontaire pour se faire tuer. On se met dans une situation où le respect des préceptes de Dieu (tendre l’autre joue, etc.) peut nous faire tuer. Cela dit, on se fera tuer parce que les hommes veulent nous tuer, non pas parce qu’on s’est porté volontaire. Ce n’est pas comme la notion japonaise de kamikaze. La notion chrétienne signifie que l’on est prêt à mourir plutôt qu’à tuer. C’est bien l’attitude de la bonne prostituée face au jugement de Salomon. Elle dit : « Donnez l’enfant à mon ennemi plutôt que de le tuer. » Sacrifier son enfant serait comme se sacrifier elle-même, car en acceptant une sorte de mort, elle se sacrifie elle-même. Et lorsque Salomon dit qu’elle est la vraie mère, cela ne signifie pas qu’elle est la mère biologique, mais la mère selon l’esprit. Cette histoire se trouve dans le Premier Livre des Rois (3, 16-28), qui est, à certains égards, un livre assez violent. Mais il me semble qu’il n’y a pas de meilleur symbole préchrétien du sacrifice de soi par le Christ. René Girard
Le conflit avec les musulmans est bien plus considérable que ce que croient les fondamentalistes. Les fondamentalistes pensent que l’apocalypse est la violence de Dieu. Alors qu’en lisant les chapitres apocalyptiques, on voit que l’apocalypse est la violence de l’homme déchaînée par la destruction des puissants, c’est-à-dire des États, comme nous le voyons en ce moment. Lorsque les puissances seront vaincues, la violence deviendra telle que la fin arrivera. Si l’on suit les chapitres apocalyptiques, c’est bien cela qu’ils annoncent. Il y aura des révolutions et des guerres. Les États s’élèveront contre les États, les nations contre les nations. Cela reflète la violence. Voilà le pouvoir anarchique que nous avons maintenant, avec des forces capables de détruire le monde entier. On peut donc voir l’apparition de l’apocalypse d’une manière qui n’était pas possible auparavant. Au début du christianisme, l’apocalypse semblait magique : le monde va finir ; nous irons tous au paradis, et tout sera sauvé ! L’erreur des premiers chrétiens était de croire que l’apocalypse était toute proche. Les premiers textes chronologiques chrétiens sont les Lettres aux Thessaloniciens qui répondent à la question : pourquoi le monde continue-t-il alors qu’on en a annoncé la fin ? Paul dit qu’il y a quelque chose qui retient les pouvoirs, le katochos (quelque chose qui retient). L’interprétation la plus commune est qu’il s’agit de l’Empire romain. La crucifixion n’a pas encore dissous tout l’ordre. Si l’on consulte les chapitres du christianisme, ils décrivent quelque chose comme le chaos actuel, qui n’était pas présent au début de l’Empire romain. (..) le monde actuel (…) confirme vraiment toutes les prédictions. On voit l’apocalypse s’étendre tous les jours : le pouvoir de détruire le monde, les armes de plus en plus fatales, et autres menaces qui se multiplient sous nos yeux. Nous croyons toujours que tous ces problèmes sont gérables par l’homme mais, dans une vision d’ensemble, c’est impossible. Ils ont une valeur quasi surnaturelle. Comme les fondamentalistes, beaucoup de lecteurs de l’Évangile reconnaissent la situation mondiale dans ces chapitres apocalyptiques. Mais les fondamentalistes croient que la violence ultime vient de Dieu, alors ils ne voient pas vraiment le rapport avec la situation actuelle – le rapport religieux. Cela montre combien ils sont peu chrétiens. La violence humaine, qui menace aujourd’hui le monde, est plus conforme au thème apocalyptique de l’Évangile qu’ils ne le pensent. (…) La lutte se trouve entre le christianisme et l’islam, plus qu’entre l’islam et l’humanisme. Avec l’islam je pense que l’opposition est totale. Dans l’islam, si l’on est violent, on est inévitablement l’instrument de Dieu. Cela veut donc dire que la violence apocalyptique vient de Dieu. Aux États-Unis, les fondamentalistes disent cela, mais les grandes églises ne le disent pas. Néanmoins, ils ne poussent pas suffisamment leur pensée pour dire que si la violence ne vient pas de Dieu, elle vient de l’homme, et que nous en sommes responsables. René Girard
Il ne s’agit pas simplement d’un affrontement entre deux religions, entre musulmans radicaux d’un côté et protestants fondamentalistes de l’autre. Encore moins d’un choix de civilisations qui seraient opposées. Ce qui me frappe plutôt, c’est la diffusion de ce terrorisme. Partout, au Moyen-Orient, en Asie et en Asie du Sud-Est, il existe de petits groupes, des voisins, des communautés, qui se dressent les unes contre les autres, pour des raisons complexes, liées à l’économie, au mode de vie, autant qu’aux différences religieuses. (…) il faut regarder la réalité en face. Achever l’interprétation de ce traité, De la guerre, c’est lui donner son sens religieux et sa véritable dimension d’apocalypse. C’est en effet dans les textes apocalyptiques, dans les Evangiles synoptiques de Matthieu, Marc et Luc et dans les Epîtres de Paul, qu’est décrit ce que nous vivons, aujourd’hui, nous qui savons être la première civilisation susceptible de s’autodétruire de façon absolue et de disparaître. La parole divine a beau se faire entendre – et avec quelle force ! -, les hommes persistent avec acharnement à ne pas vouloir reconnaître le mécanisme de leur violence et s’accrochent frénétiquement à leurs fausses différences, à leurs erreurs et à leurs aveuglements. Cette violence extrême est, aujourd’hui, déchaînée à l’échelle de la planète entière, provoquant ce que les textes bibliques avaient annoncé il y a plus de deux mille ans, même s’ils n’avait pas forcément une valeur prédicative : une confusion générale, les dégâts de la nature mêlés aux catastrophes engendrées par la folie humaine. Une sorte de chaos universel. Si l’Histoire a vraiment un sens, alors ce sens est redoutable… (…) L’esprit humain, libéré des contraintes sacrificielles, a inventé les sciences, les techniques, tout le meilleur – et le pire ! – de la culture. Notre civilisation est la plus créative et la plus puissante qui fût jamais, mais aussi la plus fragile et la plus menacée. Mais, pour reprendre les vers de Hölderlin, « Aux lieux du péril croît/Aussi ce qui sauve »… René Girard
Nous assistons à une nouvelle étape de la montée aux extrêmes. Les terroristes ont fait savoir qu’ils avaient tout leur temps, que leur notion du temps n’était pas la nôtre. C’est un signe clair du retour de l’archaïque : un retour aux VIIe-IXe siècles, qui est important en soi. (…) Il nous faut entrer dans une pensée du temps où la bataille de Poitiers et les Croisades sont beaucoup plus proches de nous que la Révolution française et l’industrialisation du Second Empire. (…) Mais ce à quoi nous assistons avec l’islamisme est néanmoins beaucoup plus qu’un retour de la Conquête, c’est ce qui monte depuis que la révolution monte, après la séquence communiste qui aura fourni un intermédiaire. Le léninisme comportait en effet déjà certains de ces éléments. Mais ce qui lui manquait, c’était le religieux. La montée aux extrêmes est donc capable de se servir de tous les éléments : culture, mode, théorie de l’État, théologie, idéologie, religion. Ce qui mène l’histoire n’est pas ce qui apparaît comme essentiel aux yeux du rationaliste occidental. Dans l’invraisemblable amalgame actuel, je pense que le mimétisme est le vrai fil conducteur. Si l’on avait dit aux gens, dans les années 1980, que l’islam jouerait le rôle qu’il joue aujourd’hui, on serait passé pour dément. Or il y avait déjà dans l’idéologie diffusée par Staline des éléments para-religieux qui annonçaient des contaminations de plus en plus radicales, à mesure que le temps passerait. L’Europe était moins malléable au temps de Napoléon. Elle est redevenue, après le Communisme, cet espace infiniment vulnérable que devait être le village médiéval face aux Vikings. La conquête arabe a été fulgurante, alors que la contagion de la Révolution française a été freinée par le principe national qu’elle avait levé dans toute l’Europe. L’islam, dans son premier déploiement historique, a conquis religieusement. C’est ce qui a fait sa force. D’où la solidité aussi de son implantation. L’élan révolutionnaire accéléré par l’épopée napoléonienne a été contenu par l’équilibre des nations. Mais celles-ci se sont enflammées à leur tour et ont brisé le seul frein possible aux révolutions qui pointent. (…) J’ai personnellement l’impression que cette religion a pris appui sur le biblique pour refaire une religion archaïque plus puissante que toutes les autres. Elle menace de devenir un instrument apocalyptique, le nouveau visage de la montée aux extrêmes. Alors qu’il n’y a plus de religion archaïque, tout se passe comme s’il y en avait une autre qui se serait faite sur le dos du biblique, d’un biblique un peu transformé. Elle serait une religion archaïque renforcée par les apports du biblique et du chrétien. Car l’archaïque s’était évanoui devant la révélation judéo-chrétienne. Mais l’islam a résisté, au contraire. Alors que le christianisme, partout où il entre, supprime le sacrifice, l’islam semble à bien des égards se situer avant ce rejet. (…) la montée aux extrêmes se sert aujourd’hui de l’islamisme comme elle s’est servie hier du napoléonisme ou du pangermanisme. (…) Clausewitz nous l’a fait entrevoir, à travers ce que nous avons appelé sa religion guerrière, où nous avons vu apparaître quelque chose de très nouveau et de très primitif en même temps. L’islamisme est, de la même façon, une sorte d’événement interne au développement de la technique. Il faudrait pouvoir penser à la fois l’islamisme et la montée aux extrêmes, l’articulation complexe de ces deux réalités. L’unité du christianisme du Moyen Âge a donné la Croisade, permise par la papauté. Mais la Croisade n’a pas l’importance que l’islam imagine. C’était une régression archaïque sans conséquence sur l’essence du christianisme. Le Christ est mort partout et pour tout le monde. (…) Les chrétiens comprennent que la Passion a rendu le meurtre collectif inopérant. C’est pour cela que, loin de réduire la violence, la Passion la démultiplie. L’islamisme aurait très tôt compris cela, mais dans le sens du djihad. Il y a ainsi des formes d’accélération de l’histoire qui se perpétuent. On a l’impression que le terrorisme actuel est un peu l’héritier des totalitarismes, qu’il y a des formes de pensées communes, des habitudes prises. Nous avons suivi l’un des fils possibles de cette continuité, avec la construction du modèle napoléonien par un général prussien. Ce modèle a été repris ensuite par Lénine et Mao Tsé-Toung, auquel se réfère, dit-on, Al Qaida. Le génie de Clausewitz est d’avoir anticipé à son insu une loi devenue planétaire. Nous ne sommes plus dans la guerre froide, mais dans une guerre très chaude, étant donné les centaines, voire demain les milliers de victimes quotidiennes en Orient. René Girard
[Samuel Huntington] a eu raison de s’attaquer au sujet. Mais il l’a fait de manière trop classique : il ne voit pas que la tragédie moderne est aussi une comédie, dans la mesure où chacun répète l’autre identiquement. Parler de choc des civilisations, c’est dire que c’est la différence qui l’emporte. Alors que je crois, moi, que c’est l’identité des adversaires qui sous-tend leur affrontement. J’ai lu le livre de l’historien allemand Ernst Nolte, La guerre civile européenne, où il explique que, dans le choc des idéologies issues de la Première Guerre mondiale – communisme et nazisme –, l’Allemagne n’est pas la seule responsable. Mais le plus important est ceci : Nolte montre que l’URSS et le IIIe Reich ont été l’un pour l’autre un « modèle repoussoir ». Ce qui illustre la loi selon laquelle ce à quoi nous nous heurtons, c’est ce que nous imitons. Il est frappant qu’un historien pense les rapports d’inimitié en terme d’identité, en terme de copie. Ce que Nolte appelle le modèle repoussoir, c’est ce que la théorie mimétique appelle le modèle obstacle : dans la rivalité, celui qu’on prend pour modèle, on désire ce qu’il désire et par conséquent il devient obstacle. Le rapport mimétique conduit à imiter ses adversaires, tantôt dans les compliments, tantôt dans le conflit. (…) Les islamistes tentent de rallier tout un peuple de victimes et de frustrés dans un rapport mimétique à l’Occident. Les terroristes utilisent d’ailleurs à leurs fins la technologie occidentale : encore du mimétisme. Il y a du ressentiment là-dedans, au sens nietzschéen, réaction que l’Occident a favorisée par ses privilèges. Je pense néanmoins qu’il est très dangereux d’interpréter l’islam seulement par le ressentiment. Mais que faire ? Nous sommes dans une situation inextricable. (…) Benoît XVI respecte suffisamment l’islam pour ne pas lui mentir. Il ne faut pas faire semblant de croire que, dans leur conception de la violence, le christianisme et l’islam sont sur le même plan. Si on regarde le contexte, la volonté du pape était de dépasser le langage diplomatique afin de dire : est-ce qu’on ne pourrait pas essayer de s’entendre pour un refus fondamental de la violence ? (…) La Croix, c’est le retournement qui dévoile la vérité des religions révélées. Les religions archaïques, c’est le bouc émissaire vrai, c’est-à-dire le bouc émissaire caché. Et la religion chrétienne, c’est le bouc émissaire révélé. Une fois que le bouc émissaire a été révélé, il ne peut plus y en avoir, et donc nous sommes privés de violence. Ceux qui attaquent le christianisme ont raison de dire qu’il est indirectement responsable de la violence, mais ils n’oseraient pas dire pourquoi : c’est parce qu’il la rend inefficace et qu’il fait honte à ceux qui l’utilisent et se réconcilient contre une victime commune. (…) De même qu’il était impossible de ne pas croire au XIIe siècle, il est presque impossible de croire au XXIe siècle, parce que tout le monde est du même côté. (…) Il ne faut pas exagérer la religiosité de l’Amérique, pas plus que le recul de la religion en Europe. Il est cependant vrai que, aux Etats-Unis, les conventions sont favorables au religieux, alors que, en France surtout, elles tendent à lui être hostiles. La société américaine n’a pas subi l’antichristianisme de la Révolution française ou le laïcisme des anticléricaux. En France, le catholicisme pâtît de l’ancienne position dominante de l’Eglise. Aux Etats-Unis, la multiplicité s’impose : parce qu’ils sont minoritaires, les catholiques y sont d’une certaine manière favorisés. (…) [L’Apocalypse] ne signifie pas que la fin du monde est pour demain, mais que les textes apocalyptiques – spécialement les Evangiles selon saint Matthieu et saint Marc – ont quelque chose à nous dire sur notre temps, au moins autant que les sciences humaines. A mon sens, outre la menace terroriste ou la prolifération nucléaire, il existe aujourd’hui trois grandes zones de danger. En premier lieu, il y a les menaces contre l’environnement. Produisant des phénomènes que nous ne pourrons pas maîtriser, nous sommes peut-être au bord de la destruction par l’homme des possibilités de vivre sur la planète. En second lieu, avec les manipulations génétiques, nous pénétrons dans un domaine totalement inconnu. Qui peut nous certifier qu’il n’y aura pas demain un nouvel Hitler, capable de créer artificiellement des millions de soldats ? Troisièmement, nous assistons à une mise en mouvement de la terre, à travers des courants migratoires sans précédent. Les trois quarts des habitants du globe rêvent d’habiter dans le quart le plus prospère. Ces gens, nous serions à leur place, nous en ferions autant. Mais c’est un rêve sans issue. Ces trois phénomènes ne font que s’accélérer, une nouvelle fois par emballement mimétique. Et ils correspondent au climat des grands textes apocalyptiques. L’esprit moderne juge ces textes farfelus, parce qu’ils mélangent les grondements de la mer avec les heurts entre villes ou nations, qui sont des manifestations humaines. Depuis le XVIe siècle, sur un plan intellectuel, la science, c’était la distinction absolument nette, catégorique, entre la nature et la culture : appartenait à la science tout ce qui relève de la nature, et à la culture tout ce qui vient de l’homme. Si on regarde ce qui se passe de nos jours, cette distinction s’efface. Au Congrès des Etats-Unis, les parlementaires se disputent pour savoir si l’action humaine est responsable d’un ouragan de plus à la Nouvelle-Orléans : la question est devenue scientifique. Les textes apocalyptiques redeviennent donc vraisemblables, à partir du moment où la confusion de la nature et de la culture prive l’homme de ses moyens d’action. Dès lors qu’il n’y a plus de bouc émissaire possible, la seule solution est la réconciliation des hommes entre eux. C’est le sens du message chrétien. René Girard
Autrefois, les compagnons de route de la Russie communiste venaient de la gauche ; dans l’Amérique d’aujourd’hui, ils occupent les premières loges de la droite trumpiste et les avant-postes des médias populistes. Ce qui les rattache à M. Poutine, comme à Donald Trump, c’est l’apologie sans complexe de la grandeur nationale, l’aversion pour la «dictature woke», un culte assumé de la force et le goût d’une saine virilité, réfractaire à l’émasculation de l’homme blanc par les lubies progressistes. (…) Poutine savait cultiver avec méthode ces auxiliaires inespérés. Il recevait des évangélistes, des représentants du puissant lobby des armes à feu, des militants de «l’Amérique d’abord» hostiles à l’immigration. Il n’hésitait pas à se dire victime, lui et son pays, de la «cancel culture», ou à dénoncer les transgenres avec des accents qui ne pouvaient laisser insensibles ses nouveaux frères d’armes. «Ceux qui apprennent à un garçon à se transformer en fille et à une fille en un garçon commettent un crime contre l’humanité (…)». La Russie qu’il leur faisait découvrir renvoyait un miroir désolant à une Amérique en faillite morale, gangrenée par l’avortement, les mariages homosexuels, la pornographie, la libération des mœurs, la tyrannie multiculturelle… Il fallait une bonne dose d’aveuglement à ces pèlerins de l’eldorado russe pour éviter de voir ce qu’ils s’interdisaient de connaître: en Russie, comme le rappelle Anne Applebaum, le nombre des avortements est un des plus élevés du monde, le double de son niveau aux États-Unis ; la fréquentation des églises est négligeable ; seuls 15% des Russes reconnaissent à la religion un rôle important dans leur vie ; et le pays tient le record mondial du taux de suicide chez les hommes adultes. Quant à l’image unitaire de la nation, il n’est pas inutile d’observer que 20% des citoyens russes se revendiquent d’une autre nationalité, que plus de 6% sont musulmans et que, en Tchétchénie, la loi de l’État est la charia. Comment expliquer la réussite du poutinisme à rallier en Occident cette armée de «facilitateurs», d’«excuseurs», d’«indulgents»? Outre les raisons déjà évoquées, la paresse intellectuelle y entre aussi pour une part et l’ignorance volontaire pour beaucoup: elle n’est pas sans rappeler celle des voyageurs ingénus de la Russie soviétique et la cohorte des croyants cuirassés dans le déni des horreurs staliniennes. C’est un phénomène fascinant que l’impuissance des faits avérés à entrer dans la circulation des esprits et à s’imprimer au fond de la conscience publique. Pourtant, le maître du Kremlin a beaucoup œuvré à nous dessiller les yeux. Ce qui a conforté cette cécité renvoie surtout à la situation de nos démocraties. Le souvenir de la guerre froide, et des guerres en général, est trop éloigné pour alerter spontanément les esprits: nous livrons volontiers des guerres idéologiques, un luxe des temps de paix, mais hésitons, quand de vraies menaces sont à nos portes, à en apprécier la portée. Et nous baignons depuis trop longtemps dans une culture de la repentance pour ne pas donner créance à ceux qui nous inculpent de les avoir opprimés, ravalés, humiliés. Enfin, l’espoir de prévenir le pire porte parfois à consentir à l’inacceptable, comme un moindre mal, au préjudice des victimes sacrifiées à un «lâche soulagement», lequel ne dure jamais longtemps. Pour les zélateurs américains de M. Poutine, le fantasme d’une Russie citadelle de la civilisation était avant tout affaire de politique intérieure: un ressort essentiel, à condition de ne pas y regarder de près, de la guerre idéologique contre le wokisme. (…) Les trumpistes avaient d’autres priorités que l’Ukraine, le droit international, la liberté. Ce n’était pas leur guerre. On découvre là comment le wokisme est devenu le complice involontaire, le combustible, le pourvoyeur d’arguments – et d’absolutions – de l’illibéralisme. Ran Halévi
Alors que l’analyse géopolitique et les choix politiques de Vladimir Poutine semblent toujours plus intégrés à des motifs religieux et messianiques qui voient dans la guerre en Ukraine une dernière voie de salut pour la Russie (sur le thème sourkovien du « Que nous importe le monde si la Russie n’y existe plus ? »), il faut lire de près le discours développé par l’Église orthodoxe russe pour justifier la guerre et le positionnement poutinien. (…) le 6 mars 2022, le dimanche de la Saint-Jean, le dimanche de l’exil adamique (« dimanche du pardon »), le patriarche Kirill de Moscou et de toute la Russie a célébré la Divine Liturgie dans la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou. À la fin du service, le primat de l’Église orthodoxe russe a prononcé un sermon enflammé pour justifier les causes de la guerre, en endossant le discours de Poutine sur l’Ukraine. Ce discours (…) est marqué par les tonalités apocalyptiques (…) Ce n’est pas une surprise pour les personnes qui ont suivi de près l’évolution de l’Église orthodoxe russe qui, depuis plusieurs années, se pose en ultime défenseur de la morale sociale et des valeurs traditionnelles russes dans le cadre de « la guerre culturelle » menée par un Occident « décadent ». On remarquera que l’Église orthodoxe russe et les bureaucraties de sécurité (FSB) sont les seules grandes institutions centrales à avoir survécu à l’effondrement du système communiste, en se greffant organiquement au régime de Poutine. L’argument principal du sermon de Kirill sert à justifier l’invasion russe de l’Ukraine puisque l’Occident teste les lois naturelles de Dieu (…) C’est dans ce sens qu’une parole biblique paradoxalement consacrée au « pardon » sert de justification à la guerre dans la lignée de la tradition byzantine du césaro-papisme. (…) Avec ce discours nous sommes face à une vision du monde qui dépasse de très loin le storytelling politique et la définition d’un narratif auxquels nous sommes habitués dans nos espaces politiques. Au fond, et c’est ce qui rend la lecture de ce texte urgente, depuis l’invention de la bombe atomique nous n’avions peut-être jamais vécu le moment le plus intense du théologico-politique : une puissance nucléaire engagée dans une « guerre sainte ». Jean-Benoît Poulle
Le patriarche Kirill reprend des éléments traditionnels de la théologie chrétienne du sacrifice de la croix, de la justification de l’homme pécheur par la mort rédemptrice du Christ. Mais certains choix de vocabulaire interrogent : pourquoi parler d’une « exécution », qui « servait à exécuter les criminels » au détriment de l’insistance sur la mort volontaire du Christ ? L’Église, en Occident, n’est plus guère habituée depuis Vatican II à prêcher sur ces thèmes de la « colère du Père », de son « juste châtiment » destiné aux pécheurs qui retomberait sur son Fils innocent… Plus subtilement, dans ce texte, le sacrifice divin est mondanisé, ramené à des réalités terrestres : « la meilleure des qualités humaines » et « la plus haute expression de l’amour de l’homme pour ses semblables ». En théologie chrétienne, tout cela est vrai mais ne suffit pas : c’est la vie donnée sans défense qui revêt une véritable valeur rédemptrice, et constitue donc le « vrai sacrifice ». (…) Kirill entreprend un second et majeur infléchissement de la notion chrétienne du sacrifice, qui permet de l’appliquer à des soldats d’une armée d’invasion. Le patriarche mélange à dessein le fait de se sacrifier pour les autres, de donner sa vie volontairement pour sauver les siens dans un geste héroïque ou saint, et « l’accomplissement de son devoir militaire », action qui peut être vertueuse selon les conceptions de la guerre juste, mais uniquement en cas de guerre défensive. En bonne théologie, en aucun cas la mort au combat en participant à une armée d’invasion n’est équivalente à la mort pour sauver la vie des siens — même si certains soldats ressentent peut-être subjectivement cette équivalence. Le véritable sacrifice chrétien est celui des martyrs qui, par définition, exposent leur vie et n’attentent pas à celle des autres. Kirill fait au fond l’amalgame entre un « sacrifice patriotique », métaphorique, qui n’est pas toujours permis en théologie morale — il dépend de la licéité de la guerre menée — et ce véritable sacrifice chrétien, sans armes à la main. (…) Cette expression, répétée à dessein, est une ligne de force du discours de Kirill et d’autres soutiens de l’invasion : c’est la théorie du monde russe (rousky mir), d’une sorte d’unité civilisationnelle imperméable au droit international, qui justifierait donc la violation des frontières reconnues par ce même droit. C’est pourquoi, de manière frappante, et alors même que les référendums d’annexion ne sont pas achevés, Kirill se permet de dire que la guerre se déroule dans les « vastes étendues de la Russie » au moment même où elle a lieu ukrainien… Sa Sainte  Russie imaginée — ce qu’il appelle de manière étonnante dans le texte « l’espace spirituel uni de la Sainte Russie — serait au fond davantage une communauté mystique qu’un État westphalien. Selon cette logique pervertie, si donc la guerre en Ukraine est une guerre civile russe, elle ne peut opposer que des « bons Russes », partisans de l’État central, et meilleurs représentants de la russité, et ces « mauvais Russes » que seraient des Ukrainiens, adeptes d’un mouvement centrifuge par attirance de l’étranger. (…) (…) Comme si cela ne suffisait pas, Kirill insiste un peu plus : la « terre de Russie » dépasse donc largement les frontières étatiques de la Fédération de Russie, puisque la « Sainte Russie » — vieille expression de la propagande tsariste — est au fond un espace mystique plus que matériel, celui de la « chrétienté véritable », où la foi orthodoxe a été supposément gardée la plus pure, loin de toute influence néfaste, donc l’espace sous la juridiction du Patriarche Kirill. Il est piquant de voir que cette identification au christianisme orthodoxe le plus sourcilleux doit parfois composer, pour les besoins de la propagande étatique, avec d’autres affirmations nettement syncrétistes, par exemple celles affirmant l’unité de croyance entre tous les sujets de la Fédération russe,  qu’ils soient chrétiens, musulmans comme les Tchétchènes, voire chamanistes comme certains Bouriates… (…) Derrière l’appel final à la réconciliation, à la paix et à la justice, se devine surtout la raison du plus fort : c’est en définitive à une « justice »  adossée à la force, le droit du vainqueur, que s’en remet le patriarche. Jean-Benoît Poulle

C’est le djihad final !

A l’heure où reprenant en parfait « loup ravisseur en vêtements de brebis »

Face à une petite armée d’idiots utiles occidentaux que le rejet du wokisme et la hantise de la décadence …

A fait rejoindre, dans leur déni de la réalité russe, les lourds bataillons de l’apaisement et du profit à tout prix à la Chirac ou à la Merkel

Le langage et les formes de la démocratie et des droits de la personne, le nouvel Hitler de Moscou

Efface à coups de canon et de coups de force pour mieux les protéger, les frontières de ses voisins …

Et pour mieux les sauver, massacre les populations

Comme l’avait annoncé prophétiquement dès 1919 un certain capitaine de Gaulle

Comment ne pas s’inquiéter peut-être plus encore de son instrumentalisation, via le patriarche et ex-officier du FSB Kirill, de la religion orthodoxe …

Et comment ne pas repenser à ce que René Girard avait déjà pointé dans l’actuel djihad islamique …

A savoir une monstrueuse et diabolique synthèse du léninisme et du christianisme…

Qui, sur le dos d’un biblique perverti à l’instar de l’islam, tente de rallier tout un peuple de victimes et de frustrés dans un rapport mimétique à l’Occident…

Et à présent l’orthodoxie pour en faire une religion archaïque plus puissante que toutes les autres …

Et même, avec la menace nucléaire, un véritable instrument apocalyptique …

Où  reprenant la dénonciation évangélique de la violence et du sacrifice, elle la retourne en une nouvelle guerre sainte contre un Occident tombé en pleine décadence ?

Poutine déclare la guerre sainte au « satanisme » occidental

Le président russe Vladimir Poutine a invoqué Jésus, Satan et des épouvantails transsexuels lors d’une cérémonie du Kremlin pour dépecer l’Ukraine vendredi 30 septembre.
Nouvelles du jour
30.09.2022

Poutine a signé des tomes reliés en cuir avec un aigle en relief faisant de quatre régions ukrainiennes une partie de la Russie dans une salle somptueuse, pleine de VIP russes applaudissant, dont le patriarche Kirill, accompagnés de soldats en uniforme de grande tenue.

La dernière fois que cela s’est produit, lorsque la Russie a annexé la Crimée en 2014, a marqué une heure sombre pour l’ordre de sécurité de l’Europe après la Seconde Guerre mondiale.

Cette fois, c’est plus dangereux, car la Russie n’a pas le contrôle total des nouveaux territoires qu’elle a revendiqués, au milieu des menaces du Kremlin de protéger la grande Russie de Poutine avec des armes nucléaires si nécessaire.

Poutine a décrit l’annexion comme une guerre sainte contre l’Occident, utilisant une rhétorique surprenante.

« Ils [l’Occident] évoluent vers un satanisme ouvert », a-t-il déclaré dans un discours diffusé à des millions de personnes en ligne.

Les élites occidentales enseignaient la « déviation sexuelle » aux enfants qui changeaient de sexe, a-t-il dit. « Nous nous battons pour la Russie historique, pour protéger nos enfants et petits-enfants de cette expérience pour changer leur âme », a-t-il ajouté.

Poutine a invoqué Jésus par son nom pour témoigner de sa « vérité » et s’est décrit en termes messianiques.

« Je crois au pouvoir spirituel du peuple russe et mon esprit est son esprit, la souffrance du peuple est ma souffrance », a-t-il déclaré.

« La destruction de l’hégémonie occidentale est irréversible », a ajouté Poutine, alors qu’il approchait du point culminant de son discours.

Son nouveau mysticisme contrastait avec sa justification pour s’emparer de la Crimée en 2014, qu’il fondait sur des bases historiques.

Poutine a également accusé les « Anglo-Saxons », se référant au Royaume-Uni et aux États-Unis, d’avoir fait sauter deux gazoducs russes vers l’Allemagne cette semaine – dans un casus belli potentiel avec l’OTAN.

Il s’est moqué du public européen pour la flambée des prix des aliments et de l’énergie due à son invasion. « Vous avez besoin de nourriture », a déclaré Poutine. « Vous ne pouvez pas chauffer vos appartements », a-t-il déclaré.

Mais le reste de son discours a suivi des lignes bien éculées, accusant « l’Occident » d’impérialisme, de colonialisme, d’hypocrisie et de péchés historiques tels que les bombardements d’Hiroshima et de Dresde pendant la Seconde Guerre mondiale.

La fantasmagorie satanique et les discours de haine sexuelle sont également des thèmes familiers de la propagande russe.

Alors que Poutine est connu pour utiliser un langage étonnamment grossier, comme des blagues nécrophiles, lors d’événements publics, son mélange de sexe, de religion et de géopolitique vendredi était plus extrême que jamais.

De leur côté, les dirigeants européens se préparent à imposer de nouvelles sanctions à la Russie lors de leur rencontre à Prague la semaine prochaine.

Ils visent à mettre sur liste noire l’idéologue russe Alexander Dugin, qui parle de la guerre en Ukraine et de l’identité russe en des termes tout aussi toxiques, avec 28 autres personnes.

Ils doivent frapper les industries russes du pétrole, de l’acier et de la foresterie.

L’UE se prépare également à copier-coller son interdiction de voyage et d’affaires en Crimée dans les nouvelles zones annexées à la Russie, alors que la guerre s’éternise.

« Documents de voyage russes délivrés dans ces régions [the four Ukrainian areas annexed by Russia on Friday] ne sont pas reconnus par les États membres ainsi que par l’Islande, la Norvège, la Suisse et le Lichtenstein aux fins de la délivrance d’un visa et du franchissement des frontières extérieures », indique un document interne de l’UE, qui est en préparation parallèlement aux nouvelles listes noires de la Russie.

L’Ukraine a déclaré vendredi qu’elle postulait pour rejoindre l’Otan en riposte au stratagème de Poutine.

La fête de Poutine

Les solennités du Kremlin ont vu les quatre dirigeants fantoches de la Russie dans l’est de l’Ukraine serrer la main de Poutine tout en scandant « Russie ! Russie ! » à une ovation debout.

Deux d’entre eux portaient des insignes de revers avec le symbole Z, un logo devenu synonyme des atrocités russes commises en Ukraine au cours des six derniers mois.

L’annexion de la Crimée, il y a huit ans, a vu l’Arménie, la Biélorussie, la Bolivie, Cuba, le Nicaragua, la Corée du Nord, le Soudan, la Syrie, le Venezuela et le Zimbabwe soutenir Poutine à l’ONU, signe de ce à quoi il pourrait s’attendre cette fois-ci.

Cuba, le Nicaragua et la Syrie ont officiellement reconnu la Crimée comme faisant partie de la Russie, mais les plus grands amis de la Russie, comme la Chine et l’Iran, ne se sont jamais liés à la fantaisie de Poutine.

Le modèle est apparu pour la première fois lorsque la Russie a reconnu l’indépendance de deux régimes fantoches russes en Géorgie en 2008, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, et lorsque Poutine a été rejoint par Nauru, le Nicaragua, la Syrie et le Venezuela uniquement sur la scène mondiale.

Voir aussi:

Le sacrifice comme arme de guerre
On avait connu Daesh et le djihad par l’épée. Kirill, patriarche de Moscou, veut aujourd’hui faire de l’invasion de l’Ukraine par la Russie de Poutine une guerre sainte — en présentant la mort de l’envahisseur en terres ennemies comme un sacrifice chrétien.
Jean-Benoît Poulle
28.09.2022

Depuis le commencement de l’invasion russe de l’Ukraine, le patriarche Kirill de Moscou  paraît vouloir lier à la politique du Kremlin non seulement son destin personnel, mais encore celui de toute l’Eglise orthodoxe russe dont il est le chef. Après avoir déclaré en mars qu’il s’agissait d’un « combat métaphysique » contre les « forces du mal », il a ignoré les appels à la paix, à la prise de distance ou, au moins à la neutralité, qui venaient pourtant d’horizons très divers, du pape François, engagé avec lui dans un dialogue oecuménique risqué, au patriarche de Constantinople Bartholomée, primus inter pares des Églises orthodoxes. Si sa parole est, semble-t-il, encore écoutée avec respect dans la population russe, les conséquences n’ont pas tardé à se faire sentir à l’extérieur : en Ukraine, le chef des orthodoxes ukrainiens encore placés sous sa juridiction — le métropolite Onuphre — a décidé de rompre avec sa tutelle. Comme d’autres soutiens de la guerre, Kirill a été visé par les sanctions de l’Union européenne et d’autres pays de la communauté internationale qui, par exemple, lui ont interdit de voyager — interdiction dont Viktor Orban, en Hongrie, s’est désolidarisé, hostile à ce que des représailles frappent un chef spirituel.

Lorsque, au lendemain de l’annonce conjointe par Vladimir Poutine le 21 septembre des référendums de rattachement dans les territoires ukrainiens occupés et de la mobilisation partielle en Russie, sa parole était attendue : allait-il enfin s’en distancier, voire le critiquer ? Le discours que nous traduisons et commentons ci-dessous montre qu’il n’en est rien. Bien au contraire. À travers la glorification du « sacrifice » des soldats russes qui verraient ainsi leurs péchés remis, et la reprise du thème du « monde russe », Kirill endosse encore les justifications du Kremlin, en y ajoutant la tonalité apocalyptique et mystique qui lui est propre. Cette intensification correspond en fait, dans son registre propre, à l’escalade verbale de nombreux responsables politiques russes de ces derniers jours.

Sur le site du patriarcat de Moscou, le texte suivant introduit le sermon :

« Le 25 septembre 2022, la 15ème semaine après la fête de la Nativité de la Très Sainte Mère de Dieu, Sa Sainteté le Patriarche Kirill de Moscou et de toute la Russie a célébré la Divine Liturgie dans l’église du Prince Béni Alexandre Nevsky dans l’ermitage du même nom près de Peredelkin. À la fin de la liturgie, le Primat de l’Église orthodoxe russe a prononcé un sermon. »

Ce lieu et ce nom sont déjà tout un programme. Alexandre Nevski (1220-1263) est un monarque russe, grand-prince de Vladimir et de Novgorod, célèbre pour avoir vaincu en 1240, sur la Neva — d’où son surnom de Nevski —, les Suédois, puis en 1242 les chevaliers Teutoniques, mettant un terme définitif à leur poussée vers l’Est. Canonisé en 1547 par l’Église orthodoxe russe, il est devenu un héros national qui symbolise la résistance à tout envahisseur venu de l’Ouest. Un sondage de 2008 le désigne comme le  Russe le plus populaire de tous les temps. C’est également sous son règne que la ville de Moscou est mentionnée pour la première fois dans l’histoire.

Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit.

Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique (Jean 3, 16). À la mort ! Le Fils unique, le Fils divin ! Et pourquoi ce terrible Sacrifice divin était-il nécessaire, dont l’étendue et la signification ne peuvent être saisies par l’esprit humain ? Le Dieu tout-puissant s’est livré à une exécution, qui servait à exécuter des criminels, des parias de la société humaine, qui avaient effectivement commis des crimes terribles et dangereux.

Lorsque l’on considère ce sacrifice divin indescriptible, il est difficile pour l’esprit humain de saisir l’ensemble du plan divin. Mais il est clair que le Seigneur ne se donne pas, ne souffre pas et ne meurt pas de manière humaine pour quelque chose qui serait totalement incompréhensible pour nous et qui n’est inhérent qu’à Lui, qui a une immense connaissance de Lui-même. Il nous permet de comprendre que si Dieu, dans son Fils, donne sa vie humaine pour le bien des autres, pour le bien de la race humaine, alors le sacrifice est la plus haute expression de l’amour de l’homme pour ses semblables. Le sacrifice est la plus grande manifestation de la meilleure des qualités humaines.

Dans les deux paragraphes précédents, le patriarche Kirill reprend des éléments traditionnels de la théologie chrétienne du sacrifice de la croix, de la justification de l’homme pécheur par la mort rédemptrice du Christ. Mais certains choix de vocabulaire interrogent : pourquoi parler d’une « exécution », qui « servait à exécuter les criminels » au détriment de l’insistance sur la mort volontaire du Christ ? L’Église, en Occident, n’est plus guère habituée depuis Vatican II à prêcher sur ces thèmes de la « colère du Père », de son « juste châtiment » destiné aux pécheurs qui retomberait sur son Fils innocent… Plus subtilement, dans ce texte, le sacrifice divin est mondanisé, ramené à des réalités terrestres : « la meilleure des qualités humaines » et « la plus haute expression de l’amour de l’homme pour ses semblables ». En théologie chrétienne, tout cela est vrai mais ne suffit pas : c’est la vie donnée sans défense qui revêt une véritable valeur rédemptrice, et constitue donc le « vrai sacrifice ».

Nous savons qu’aujourd’hui, de nombreuses personnes meurent sur les champs de bataille des guerres intestines. L’Église prie pour que cette bataille prenne fin le plus rapidement possible, afin que le moins de frères possible s’entretuent dans cette guerre fratricide.

Est-ce ici l’amorce d’une concession ? Kirill, ou son entourage, paraissent peut-être conscients des dommages que l’invasion russe inflige au leadership du Patriarcat de Moscou dans le monde orthodoxe. Il affirme donc prier pour la fin des combats et l’arrêt d’une guerre « fratricide ». Mais cela peut aussi s’entendre comme un appel aux Ukrainiens, spécialement ceux encore placés sous sa juridiction spirituelle, à déposer les armes afin de cesser toute résistance « inutile »… L’expression de « guerre fratricide », dans la plus pure propagande, permet enfin de renvoyer dos-à-dos les belligérants, sans distinguer envahisseur ni pays envahi.

Et en même temps, l’Église est consciente que si quelqu’un, poussé par le sens du devoir, par la nécessité de remplir son serment, reste fidèle à sa vocation et meurt dans l’accomplissement de son devoir militaire, il commet sans aucun doute un acte qui équivaut à un sacrifice. Il se sacrifie pour les autres. Et nous croyons donc que ce sacrifice lave tous les péchés que l’on a commis.

Kirill entreprend un second et majeur infléchissement de la notion chrétienne du sacrifice, qui permet de l’appliquer à des soldats d’une armée d’invasion. Le patriarche mélange à dessein le fait de se sacrifier pour les autres, de donner sa vie volontairement pour sauver les siens dans un geste héroïque ou saint, et « l’accomplissement de son devoir militaire », action qui peut être vertueuse selon les conceptions de la guerre juste, mais uniquement en cas de guerre défensive. En bonne théologie, en aucun cas la mort au combat en participant à une armée d’invasion n’est équivalente à la mort pour sauver la vie des siens — même si certains soldats ressentent peut-être subjectivement cette équivalence. Le véritable sacrifice chrétien est celui des martyrs qui, par définition, exposent leur vie et n’attentent pas à celle des autres. Kirill fait au fond l’amalgame entre un « sacrifice patriotique », métaphorique, qui n’est pas toujours permis en théologie morale — il dépend de la licéité de la guerre menée — et ce véritable sacrifice chrétien, sans armes à la main.

La guerre, qui se déroule actuellement dans les vastes étendues de la Russie, est une guerre intestine.

Cette expression, répétée à dessein, est une ligne de force du discours de Kirill et d’autres soutiens de l’invasion : c’est la théorie du monde russe (rousky mir), d’une sorte d’unité civilisationnelle imperméable au droit international, qui justifierait donc la violation des frontières reconnues par ce même droit. C’est pourquoi, de manière frappante, et alors même que les référendums d’annexion ne sont pas achevés, Kirill se permet de dire que la guerre se déroule dans les « vastes étendues de la Russie » au moment même où elle a lieu ukrainien… Sa Sainte  Russie imaginée — ce qu’il appelle de manière étonnante dans le texte « l’espace spirituel uni de la Sainte Russie — serait au fond davantage une communauté mystique qu’un État westphalien. Selon cette logique pervertie, si donc la guerre en Ukraine est une guerre civile russe, elle ne peut opposer que des « bons Russes », partisans de l’État central, et meilleurs représentants de la russité, et ces « mauvais Russes » que seraient des Ukrainiens, adeptes d’un mouvement centrifuge par attirance de l’étranger

Et c’est pourquoi il est si important qu’à l’issue de cette guerre ne surgisse pas une vague d’amertume et d’aliénation, et que les peuples frères ne soient pas divisés par le mur infranchissable de la haine. Et la façon dont nous nous comportons tous les uns envers les autres aujourd’hui, ce que nous demanderons au Seigneur dans nos prières, ce que nous espérerons, déterminera dans une large mesure non seulement l’issue des batailles, mais aussi ce qui se passera à la suite de tout cela. Que Dieu fasse en sorte que les hostilités actuelles ne détruisent pas l’espace spirituel uni de la Sainte Russie et n’endurcissent pas d’autant plus nos peuples. Afin que, par la grâce de Dieu, toutes les blessures puissent être guéries. Pour que, par la grâce de Dieu, tout ce qui aujourd’hui afflige de très nombreuses personnes soit effacé de la mémoire. Pour que ce qui remplace la situation actuelle, y compris les relations entre nos peuples frères, soit lumineux, pacifique et joyeux.

Il en va de même, plus loin, pour la mention des « peuples frères », qui rappelle un thème de la propagande soviétique, au temps du pacte de Varsovie, qui a donné lieu à de multiples plaisanteries dans les pays occupés sur la conception de la « fraternité » entre peuples socialistes et souvent slaves mise en oeuvre par l’Armée Rouge…

Cette fraternité incantatoire, à laquelle Anna Colin Lebedev a récemment consacré un livre important, suppose au fond un « grand frère », le peuple « Grand Russe » — comme les ethnologues désignaient autrefois les « Russes ethniques », habitants de l’Etat issu de la Moscovie — qui contrôlerait les activités de deux « petits frères » turbulents, les « Petits Russes » — comme étaient parfois désignés les Ukrainiens au temps de l’Empire russe — et les « Russes Blancs », ou Biélorusses, eux un peu « plus sages » grâce à leur lien de vassalité avec Moscou…

Et cela ne peut se produire que si nous vivons avec la foi dans nos cœurs. Parce que la foi détruit la peur, la foi permet le pardon mutuel, la foi renforce les relations entre les peuples et peut effectivement transformer ces relations en relations fraternelles, cordiales et bonnes. Dieu fasse qu’il en soit ainsi, que tout ce qui obscurcit maintenant l’âme de beaucoup de gens prenne fin. Dieu fasse que le moins de personnes possible soient tuées ou mutilées au cours de cette lutte intestine. Dieu fasse qu’il y ait le moins possible de veuves et d’orphelins, moins de familles divisées, moins d’amitiés et de confréries brisées.

Là encore, il est permis de s’interroger sur la sincérité de ces prières pour l »arrêt des combats, certes davantage conformes à ce que l’on attendrait de la part d’un responsable spirituel. Auparavant, la mention de la « foi » censée permettre le « pardon mutuel » et « renforcer les relations entre les peuples » tait les conditions d’un tel appel : c’est une foi russe, de même qu’une paix russe dans l’ordre séculier, qui sont offertes, et signifient en définitive la soumission spirituelle au patriarcat de Moscou

L’Église, qui exerce son ministère pastoral auprès des peuples de Russie, d’Ukraine, de Biélorussie et de bien d’autres dans les étendues de la Russie historique, souffre aujourd’hui et prie tout particulièrement pour que cessent rapidement les luttes intestines, que soit célébrée la justice, que soit restaurée la communion fraternelle et que soit surmonté tout ce qui, s’étant accumulé au fil des ans, a conduit à la fin à un conflit sanglant.

Cette précision capitale va très loin : outre les trois peuples mentionnés comme constitutifs du « monde russe » (Russes, Ukrainiens, Biélorusses), Kirill  en mentionne encore « d’autres dans les étendues de la Russie historique », c’est-à-dire qu’il considère que la Russie historique, et donc ce « monde russe » intemporel et mystique, s’étend même au-delà de ces trois États. Et il est vrai que le Patriarcat de Moscou a ou prétend avoir une juridiction qui les déborde, y compris sur toute la diaspora russe : le ressort de l’Église orthodoxe russe s’étend ainsi sur tous les pays de l’ex-URSS — y compris l’Asie centrale et les pays Baltes, la Mongolie, la Chine et le Japon. Que le Patriarcat russe y exerce son « ministère pastoral » est une chose ; qu’il prétende les amalgamer aux « étendues de la Russie historique » en est une autre, grosse de velléités annexionnistes, spécialement pour des pays comme la Lettonie ou l’Estonie, qui recèlent une très importante minorité russophone : cela serait donc suffisant à en faire des composantes de cet « espace spirituel » qui a en outre l’avantage d’être suffisamment flou pour se prêter à des avancées ou des reculades…

Nous croyons que tous les saints qui ont brillé sur la terre de Russie — dans ce cas, en utilisant l’expression déjà acceptée « sur la terre de Russie », nous voulons dire la Russie, toute la terre russe, la Sainte Russie — offrent aujourd’hui avec nous leurs prières au Seigneur pour que la paix s’établisse sur la terre, pour que vienne la réconciliation des peuples frères et, surtout, pour que la justice prévale, car sans justice il ne peut y avoir de paix durable.

Comme si cela ne suffisait pas, Kirill insiste un peu plus : la « terre de Russie » dépasse donc largement les frontières étatiques de la Fédération de Russie, puisque la « Sainte Russie » — vieille expression de la propagande tsariste — est au fond un espace mystique plus que matériel, celui de la « chrétienté véritable », où la foi orthodoxe a été supposément gardée la plus pure, loin de toute influence néfaste, donc l’espace sous la juridiction du Patriarche Kirill. Il est piquant de voir que cette identification au christianisme orthodoxe le plus sourcilleux doit parfois composer, pour les besoins de la propagande étatique, avec d’autres affirmations nettement syncrétistes, par exemple celles affirmant l’unité de croyance entre tous les sujets de la Fédération russe,  qu’ils soient chrétiens, musulmans comme les Tchétchènes, voire chamanistes comme certains Bouriates…

Derrière l’appel final à la réconciliation, à la paix et à la justice, se devine surtout la raison du plus fort : c’est en définitive à une « justice »  adossée à la force, le droit du vainqueur, que s’en remet le patriarche.

Que le Seigneur nous protège tous et nous aide à parcourir dignement notre chemin chrétien, malgré les circonstances difficiles de la vie, qui est aujourd’hui la réalité de notre existence terrestre. Par les prières des saints, dont nous avons loué les noms aujourd’hui, que le Seigneur nous aide tous à être fortifiés dans la paix, l’amour, la fraternité et la pureté.

Voir également:

La guerre sainte de Poutine

Par la voix du patriarche Kirill, Poutine se projette dans une guerre de fin du monde. Voici comment l’Église orthodoxe russe justifie l’invasion de l’Ukraine.

Jean-Benoît Poulle
03.07.2022

Alors que l’analyse géopolitique et les choix politiques de Vladimir Poutine semblent toujours plus intégrés à des motifs religieux et messianiques qui voient dans la guerre en Ukraine une dernière voie de salut pour la Russie (sur le thème sourkovien du « Que nous importe le monde si la Russie n’y existe plus ? »), il faut lire de près le discours développé par l’Église orthodoxe russe pour justifier la guerre et le positionnement poutinien.

Hier, le 6 mars 2022, le dimanche de la Saint-Jean, le dimanche de l’exil adamique (« dimanche du pardon »), le patriarche Kirill de Moscou et de toute la Russie a célébré la Divine Liturgie dans la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou. À la fin du service, le primat de l’Église orthodoxe russe a prononcé un sermon enflammé pour justifier les causes de la guerre, en endossant le discours de Poutine sur l’Ukraine.

Ce discours – que nous traduisons pour la première fois en français et que nous commentons ligne à ligne ici – est marqué par les tonalités apocalyptiques (« Ce qui se passe aujourd’hui.. ne relève pas uniquement de la politique… Il s’agit du Salut de l’homme, de la place qu’il occupera à droite ou à gauche de Dieu le Sauveur, qui vient dans le monde en tant que Juge et Créateur de la création. »).

Ce n’est pas une surprise pour les personnes qui ont suivi de près l’évolution de l’Église orthodoxe russe qui, depuis plusieurs années, se pose en ultime défenseur de la morale sociale et des valeurs traditionnelles russes dans le cadre de « la guerre culturelle » menée par un Occident « décadent ». On remarquera que l’Église orthodoxe russe et les bureaucraties de sécurité (FSB) sont les seules grandes institutions centrales à avoir survécu à l’effondrement du système communiste, en se greffant organiquement au régime de Poutine.

L’argument principal du sermon de Kirill sert à justifier l’invasion russe de l’Ukraine puisque l’Occident teste les lois naturelles de Dieu : « aujourd’hui, il existe un test de loyauté envers le pouvoir [occidental], une sorte de laissez-passer vers ce monde « heureux », un monde de consommation excessive, un monde de « liberté » apparente. Savez-vous ce qu’est ce test ? Le test est très simple et en même temps terrifiant : il s’agit d’une parade de la gay pride. »  C’est dans ce sens qu’une parole biblique paradoxalement consacrée au « pardon » sert de justification à la guerre dans la lignée de la tradition byzantine du césaro-papisme : « Et donc, aujourd’hui, en ce dimanche du pardon, moi, d’une part, en tant que votre berger, j’appelle tout le monde à pardonner les péchés et les offenses, y compris là où il est très difficile de le faire, là où les gens se battent entre eux. Mais le pardon sans la justice est une capitulation et une faiblesse. Le pardon doit donc s’accompagner du droit indispensable de se placer du côté de la lumière, du côté de la vérité de Dieu, du côté des commandements divins, du côté de ce qui nous révèle la lumière du Christ, sa Parole, son Évangile, ses plus grandes alliances données au genre humain. »

Avec ce discours nous sommes face à une vision du monde qui dépasse de très loin le storytelling politique et la définition d’un narratif auxquels nous sommes habitués dans nos espaces politiques. Au fond, et c’est ce qui rend la lecture de ce texte urgente, depuis l’invention de la bombe atomique nous n’avions peut-être jamais vécu le moment le plus intense du théologico-politique : une puissance nucléaire engagée dans une « guerre sainte ».

Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.

À vous tous, mes chers Seigneurs, Pères, Frères et Sœurs, je vous félicite de tout cœur en ce dimanche, dimanche du Pardon, dernier dimanche avant le début de la Quadragésime, le grand Carême

Il s’agit ici d’une fête spécifique aux orthodoxes : le Dimanche du Pardon, qui fait mémoire de l’expulsion d’Adam et Eve du Paradis (Genèse, 3, 22-24 : c’est donc le souvenir du péché originel, mais aussi de la promesse de Rédemption), est le dernier avant le passage du Petit Carême (équivalent à ce qu’on appelait autrefois le temps de la Septuagésime dans l’Eglise catholique latine) au Grand Carême, les 40 jours précédant Pâques où le jeûne est beaucoup plus strict, passant au régime végétalien intégral. C’est bien sûr un temps d’intensification des efforts spirituels.

De nombreux adeptes considèrent le carême comme un printemps spirituel. Il coïncide avec le printemps de la vie physique et est en même temps considéré par la conscience de l’Église comme un printemps spirituel. Et qu’est-ce que le printemps ? Le printemps est la renaissance de la vie, le renouveau, une nouvelle force. Nous savons que c’est au printemps que la sève puissante éclate à dix, vingt, cent pieds de haut, donnant vie à l’arbre. C’est en effet un étonnant miracle de Dieu, un miracle de la vie. Le printemps est la renaissance de la vie, un certain grand symbole de la vie. Et c’est pourquoi ce n’est pas tout à fait par hasard que la principale fête de printemps est la Pâque du Seigneur, qui est aussi un signe, un gage, un symbole de la vie éternelle. Et nous croyons qu’il en est ainsi, et cela signifie que toute la foi chrétienne, que nous partageons avec vous, est la foi qui affirme la vie, qui est contre la mort, contre la destruction, qui affirme la nécessité de suivre les lois de Dieu pour vivre, pour ne pas périr dans ce monde, ni dans l’autre.

Les analogies ici présentées entre le printemps, la renaissance et la résurrection, sont de véritables lieux communs théologiques, qu’on s’attend à voir figurer dans une homélie ; mais plus subtilement, avec l’installation de l’opposition entre « la foi qui affirme la vie » et la mort, Kirill se place déjà sur le terrain des valeurs de « défense de la vie » face aux forces de la décadence assimilées à l’Occident.

Mais nous savons que ce printemps est assombri par de graves événements liés à la détérioration de la situation politique dans le Donbass, presque le début des hostilités. Je voudrais dire quelque chose à ce sujet.

C’est là un trait frappant de ce sermon : l’Ukraine n’est jamais évoquée en tant que telle, c’est toujours le « Donbass » qui fait l’objet de la sollicitude du patriarche. Or on sait que la guerre d’invasion déborde largement cette région séparatiste. Mais la contre-information russe a tout intérêt à revenir constamment vers le terrain de l’origine du conflit, comme pour mieux en exhiber les responsables. 

Depuis huit ans, on tente de détruire ce qui existe dans le Donbass.

Il s’agit ici d’une reprise mot pour mot d’un grand thème de la propagande du Kremlin : la guerre a commencé en réalité en 2014, quand l’Ukraine a tenté de réduire militairement les Républiques séparatistes de Donetsk et Louhansk, en les bombardant. C’est une vision qui fait l’impasse sur l’origine de l’établissement de ces Républiques en les présentant comme des réalités autonomes et subsistantes, comme si elles ne provenaient pas du territoire ukrainien, et que leur séparatisme n’avait pas été provoqué par le Kremlin en réponse à la révolution de Maïdan.

Et dans le Donbass, il y a un rejet, un rejet fondamental des soi-disant valeurs qui sont proposées aujourd’hui par ceux qui prétendent au pouvoir mondial. Aujourd’hui, il existe un test de loyauté envers ce pouvoir, une sorte de laissez-passer vers ce monde « heureux », un monde de consommation excessive, un monde de « liberté » apparente. Savez-vous ce qu’est ce test ? Le test est très simple et en même temps terrifiant : il s’agit d’une parade de la gay pride. La demande de nombreux pays d’organiser une gay pride est un test de loyauté envers ce monde très puissant ; et nous savons que si des personnes ou des pays rejettent ces demandes, ils ne font pas partie de ce monde, ils en deviennent des étrangers.

Le patriarche Kirill place d’emblée le conflit sur le terrain des valeurs morales, en le réduisant à l’affrontement entre un Occident décadent et une Russie porte-étendard des valeurs traditionnelles.
Peu importe ici que la question des droits des minorités sexuelles n’ait absolument rien à voir avec la guerre du Donbass ni avec l’invasion de l’Ukraine, cela permet à Kirill de lui assigner un sens pour les Russes orthodoxes ordinaires, très conservateurs sur les questions de société. À noter également des accents complotistes dans l’évocation du « monde très puissant », le monde occidental étant présenté comme uniforme sur la question (alors qu’il n’est pas non plus facile d’organiser une gay pride en Pologne orientale…). Le terrain civilisationnel est donc investi.

Mais nous savons ce qu’est ce péché, qui est promu par les soi-disant « marches de la fierté » (gay pride). C’est un péché qui est condamné par la Parole de Dieu – tant l’Ancien que le Nouveau Testament. Et Dieu, en condamnant le péché, ne condamne pas le pécheur. Il l’appelle seulement à la repentance, mais ne fait en aucun cas du péché une norme de vie, une variation du comportement humain – respectée et tolérée – par l’homme pécheur et son comportement.

Si l’humanité accepte que le péché n’est pas une violation de la loi de Dieu, si l’humanité accepte que le péché est une variation du comportement humain, alors la civilisation humaine s’arrêtera là. Et les gay pride sont censées démontrer que le péché est une variante du comportement humain. C’est pourquoi, pour entrer dans le club de ces pays, il faut organiser une gay pride. Pas pour faire une déclaration politique « nous sommes avec vous », pas pour signer des accords, mais pour organiser une parade de la gay pride. Nous savons comment les gens résistent à ces demandes et comment cette résistance est réprimée par la force. Il s’agit donc d’imposer par la force le péché qui est condamné par la loi de Dieu, c’est-à-dire d’imposer par la force aux gens la négation de Dieu et de sa vérité.

Dans ces deux paragraphes, Kirill réinvestit le terrain religieux, en rappelant les deux condamnations bibliques explicites de l’homosexualité (Lévitique, 20, 13, et l’Epître aux Romains, 24, 32). Il fait ici appel à la volonté des fidèles orthodoxes d’éviter le péché et sa promotion, en la réinvestissant dans une mobilisation politique et guerrière. Le discours sur la gay pride comme acte d’allégeance au monde occidental n’a évidemment aucun fondement réel, mais il trouve des résonances dans des critiques russes de la décadence : pensons au discours de Harvard d’Alexandre Soljenitsyne en 1978.

Par conséquent, ce qui se passe aujourd’hui dans la sphère des relations internationales ne relève pas uniquement de la politique. Il s’agit de quelque chose d’autre et de bien plus important que la politique. Il s’agit du Salut de l’homme, de la place qu’il occupera à droite ou à gauche de Dieu le Sauveur, qui vient dans le monde en tant que Juge et Créateur de la création. Beaucoup aujourd’hui, par faiblesse, par bêtise, par ignorance, et le plus souvent parce qu’ils ne veulent pas résister, vont là, du côté gauche. Et tout ce qui a trait à la justification du péché condamné dans la Bible est aujourd’hui le test de notre fidélité au Seigneur, de notre capacité à confesser la foi en notre Sauveur.

Comme Mgr Vigano, Kirill mondanise et politise ici des réalités avant tout spirituelles : en identifiant la guerre larvée entre la Russie et l’Occident à l’affrontement du Bien et du Mal, il ne laisse aucune solution alternative aux fidèles de l’orthodoxie, semblant dire à tous les orthodoxes du monde qu’il faut choisir le camp de la Russie sous peine de damnation éternelle (ce que signifie « aller à la gauche du Sauveur », cf. Matthieu, 25, 33). Le test de loyauté politique est assimilé à l’épreuve de la tentation spirituelle.

Tout ce que je dis a plus qu’une simple signification théorique et plus qu’une simple signification spirituelle. Il y a une véritable guerre autour de ce sujet aujourd’hui. Qui s’attaque aujourd’hui à l’Ukraine, où huit années de répression et d’extermination de la population du Donbass, huit années de souffrance, et le monde entier se tait – qu’est-ce que cela signifie ?

Reprise ici d’un argument classique de la propagande du Kremlin, qui s’indigne des doubles standards de l’indignation médiatique dans le traitement de la guerre entre l’Ukraine et le Donbass, « passée sous silence » selon lui, et l’invasion de l’Ukraine, en masquant la différence d’intensité de ce qui est vécu : l’Ukraine, n’a ainsi jamais cherché à « exterminer » la population du Donbass. Kirill s’aligne ainsi sur le vocabulaire poutinien.

Mais nous savons que nos frères et sœurs souffrent réellement ; de plus, ils peuvent souffrir pour leur loyauté envers l’Église. Et donc, aujourd’hui, en ce dimanche du pardon, moi, d’une part, en tant que votre berger, j’appelle tout le monde à pardonner les péchés et les offenses, y compris là où il est très difficile de le faire, là où les gens se battent entre eux. Mais le pardon sans la justice est une capitulation et une faiblesse. Le pardon doit donc s’accompagner du droit indispensable de se placer du côté de la lumière, du côté de la vérité de Dieu, du côté des commandements divins, du côté de ce qui nous révèle la lumière du Christ, sa Parole, son Évangile, ses plus grandes alliances données au genre humain.

Kirill semble dans ce paragraphe esquisser un timide appel à l’apaisement avec l’évocation du « pardon », thème liturgique du jour, mais se reprend bien vite avec la mention de la justice, et l’appel à « se placer du côté de la lumière », qui est donc en creux un encouragement à poursuivre le combat, puisqu’on est du bon côté. Il est frappant de voir que la phrase sur « le pardon sans la justice » pourrait très bien s’appliquer à plus juste titre pour encourager la résistance du peuple ukrainien…

Tout cela dit, nous sommes engagés dans une lutte qui n’a pas une signification physique mais métaphysique. Je sais comment, malheureusement, les orthodoxes, les croyants, choisissant dans cette guerre la voie de la moindre résistance, ne réfléchissent pas à tout ce sur quoi nous réfléchissons aujourd’hui, mais suivent docilement la voie qui leur est indiquée par les pouvoirs en place.

Nous ne condamnons personne, nous n’invitons personne à monter sur la croix, nous nous disons simplement : nous serons fidèles à la parole de Dieu, nous serons fidèles à sa loi, nous serons fidèles à la loi de l’amour et de la justice, et si nous voyons des violations de cette loi, nous ne supporterons jamais ceux qui détruisent cette loi, en effaçant la ligne de démarcation entre la sainteté et le péché, et surtout ceux qui promeuvent le péché comme modèle ou comme modèle de comportement humain.

Ici encore, la rétorsion est frappante : Kirill critique ici une attitude qui pourrait très bien s’appliquer à lui-même, tant sa proximité avec le Kremlin est notoire, de même que celle de son prédécesseur Alexis.

Aujourd’hui, nos frères du Donbass, les orthodoxes, souffrent sans aucun doute, et nous ne pouvons qu’être avec eux – avant tout dans la prière. Nous devons prier pour que le Seigneur les aide à préserver leur foi orthodoxe et à ne pas succomber aux tentations. Dans le même temps, nous devons prier pour que la paix revienne au plus vite, pour que le sang de nos frères et sœurs cesse de couler, pour que le Seigneur accorde sa grâce à la terre du Donbass, qui souffre depuis huit ans et qui porte l’empreinte douloureuse du péché et de la haine humaine.

Kirill semble dire que seuls les séparatistes du Donbass (et sans doute par extension, les Ukrainiens pro-russes) sont des « frères orthodoxes » ; il oublie tous les orthodoxes d’Ukraine, y compris les très nombreux fidèles du Patriarcat de Moscou, qui sont sous sa juridiction. Il paraît donc, ce qui est assez inouï pour un chef spirituel, désigner une grande partie de ses propres ouailles comme l’ennemi à abattre…

Alors que nous entrons dans la saison du Carême, essayons de pardonner à tout le monde. Qu’est-ce que le pardon ? Lorsque vous demandez pardon à quelqu’un qui a enfreint la loi ou vous a fait du mal et injustement, vous ne justifiez pas son comportement mais vous cessez simplement de le haïr. Il cesse d’être votre ennemi, ce qui signifie que par votre pardon vous le livrez au jugement de Dieu. C’est la véritable signification du pardon mutuel pour nos péchés et nos erreurs. Nous pardonnons, nous renonçons à la haine et à l’esprit de vengeance, mais nous ne pouvons pas effacer la faute humaine au ciel ; c’est pourquoi, par notre pardon, nous remettons les fautifs entre les mains de Dieu, afin que le jugement et la miséricorde de Dieu s’exercent sur eux. Pour que notre attitude chrétienne à l’égard des péchés, des torts et des offenses des hommes ne soit pas la cause de leur ruine, mais que le juste jugement de Dieu s’accomplisse sur tous, y compris sur ceux qui prennent sur eux la plus lourde responsabilité, creusant le fossé entre les frères, le remplissant de haine, de malice et de mort.

Que le Seigneur miséricordieux exécute son juste jugement sur nous tous. Et de peur qu’à la suite de ce jugement, nous nous retrouvions du côté gauche du Sauveur venu dans le monde, nous devons nous repentir de nos propres péchés. Aborder notre vie avec une analyse très profonde et dépassionnée, se demander ce qui est bon et ce qui est mauvais, et en aucun cas se justifier en disant : « J’ai eu une dispute avec ceci ou cela, parce qu’ils avaient tort. C’est un faux argument, c’est une mauvaise approche. Vous devez toujours demander devant Dieu : Seigneur, qu’ai-je fait de mal ? Et si Dieu nous aide à prendre conscience de notre propre iniquité, nous devons nous repentir de cette iniquité.

Dans les paragraphes précédents, Kirill retourne enfin à une conception plus spirituelle de son rôle, avec en fin de compte un prêche centré sur le thème du jour, et donc l’explication de la notion, centrale pour tous les chrétiens, de Pardon, suivie d’un appel à le pratiquer dans la vie quotidienne, et à pratiquer l’examen de conscience. Tout cela est traditionnel dans un sermon de (pré-)Carême et celui de Kirill serait tout à fait normal s’il s’en était tenu à cette partie. Malgré tout, la mention que le pardon consiste aussi à abandonner le pécheur au « juste jugement de Dieu » n’en garde pas moins une tonalité menaçante, surtout   quand le patriarche l’invoque sur ceux qui « creusent le fossé entre les frères ». Il s’agit là d’une évocation de l’Eglise orthodoxe ukrainienne du patriarcat de Kiev, et de son chef, le métropolite Epiphane, accusé de diviser le monde orthodoxe en s’affranchissant de la tutelle de Moscou ; Kirill étend peut-être ce reproche jusqu’au patriarche de Constantinople, qui a reconnu l’Eglise ukrainienne autocéphale.

Aujourd’hui, à l’occasion du dimanche du Pardon, nous devons accomplir l’exploit de renoncer à nos propres péchés et injustices, l’exploit de nous remettre entre les mains de Dieu et l’acte le plus important – le pardon de ceux qui nous ont offensés.

Que le Seigneur nous aide tous à traverser les jours du Carême de telle sorte que nous puissions entrer dignement dans la joie de la Résurrection du Christ. Et prions pour que tous ceux qui combattent aujourd’hui, qui versent le sang, qui souffrent, entrent aussi dans cette joie de la Résurrection dans la paix et la tranquillité. Quelle joie y a-t-il si les uns sont dans la paix et les autres dans la puissance du mal et dans la douleur des luttes intestines ?

En conclusion, l’injonction à prier pour ceux qui combattent (pour un seul camp, bien sûr, les soldats russes), se trouve là pour masquer qu’il n’y a aucun appel à la paix et à la réconciliation dans cette homélie, alors même qu’elle a lieu le dimanche du Pardon. Pourtant le patriarche Kirill a été de nombreuses fois sollicité par des membres ukrainiens et russes de son propre clergé , pour, à défaut de s’élever contre un conflit fratricide, au moins prier pour l’apaisement ; le représentant du patriarcat de Moscou en Ukraine, le métropolite Onuphre, a lui-même condamné l’invasion. Même si elle est volontairement dissimulée dans des termes généraux et une tonalité spirituelle, cette homélie représente in fine un alignement assez net sur la rhétorique du Kremlin, comme à l’époque de l’Union soviétique.

Que le Seigneur nous aide tous à entrer dans le chemin du Saint Carême de telle manière, et pas autrement, qu’Il puisse sauver nos âmes et favoriser la multiplication du bien dans notre monde pécheur et souvent terriblement erroné, afin que la vérité de Dieu puisse régner et diriger le genre humain. Amen.

Voir enfin:

En Ukraine, les frontières confessionnelles se redéploient. L’atmosphère d’union nationale qui prévaut depuis l’invasion semble avoir réduit le clivage entre les Églises orthodoxes rivales – mais pour combien de temps ? Là comme ailleurs, la guerre semble avoir produit des effets opposés à ceux recherchés par le Kremlin. Une synthèse en 10 points.
Jean-Benoît Poulle
Le Grand continent
8 mars 2022

1 — L’invalidation de la théorie huntingtonienne du choc des civilisations
Que l’Ukraine soit étymologiquement une «  marche  », une région frontalière, se vérifie aussi dans le domaine religieux. Les fractures confessionnelles, auxquelles il ne faut certes pas accorder une importance démesurée en regard d’autres critères, peuvent tout de même fournir une clé de lecture significative du conflit en cours. Ces fractures sont complexes, et donc souvent peu analysées en profondeur, d’abord parce qu’elles mobilisent de multiples acteurs religieux, ensuite parce qu’elles ont vu des repositionnements d’ampleur au cours des dernières années, qu’il n’a pas toujours été aisé de suivre en détail. C’est pourquoi il faut se garder d’en faire une lecture uniquement civilisationnelle, et donc simpliste  ; elles ne se réduisent pas à la ligne de front entre un monde occidental identifié à la Chrétienté latine, et une orthodoxie assimilable en tout point à la civilisation russe.Du reste, chez Huntington, l’Ukraine est-elle bien incluse dans la «  civilisation orthodoxe », et l’hypothèse d’une guerre Russie-Ukraine était précisément, pour lui, un exemple qui pouvait invalider sa théorie du choc des civilisations. En fait, ces fractures  passent à l’intérieur même des deux confessions catholique et orthodoxe, qui sont les principales de ce pays officiellement laïc1, et dont les habitants se définissent comme croyants à 70 %.
2 — Quelles sont les principales confessions en Ukraine ?
Selon des chiffres du Pew Research Center de 2016 2, plus de 65 % des Ukrainiens adhèrent en effet au christianisme orthodoxe (ce que l’on appelle également les «  Églises des Sept Conciles  », qui sont séparées de Rome depuis le schisme d’Orient de 1054), et un peu moins de 9 % au catholicisme. Les autres religions sont très minoritaires  : 1,9 % pour les chrétiens protestants toutes dénominations confondues, 1,1 % pour les musulmans, dont la présence est endogène et ancienne, remontant au XIVe siècle  ; celle des juifs est résiduelle (0,2 %) depuis la Seconde Guerre mondiale, alors que l’ouest du pays formait le cœur du Yiddishland. Il est à noter que près de 7 % de la population se déclare seulement «  chrétienne  », sans appartenance confessionnelle, signe d’une religiosité plus vague, attachée sans doute à quelques croyances et rituels de passage, et que 16,2 % se dit sans religion, chiffre important (quoique moindre que dans les pays Baltes) qui représente sans doute un héritage de l’athéisme d’État de l’ère soviétique.
3 — Quelle a été l’histoire des catholiques en Ukraine ?

Tant le catholicisme que l’orthodoxie sont pluriels en Ukraine. Pour le premier, la situation est comparativement plus simple : il se répartit entre la population catholique de rite latin, assez marginale (1 % des Ukrainiens, surtout dans l’Ouest et le Centre), et en fait assimilable à la minorité d’origine polonaise, et trois Églises catholiques de rite oriental. Celles-ci sont définies par leur unité de foi et leur obédience au pape, et donc leur communion avec les autres catholiques, mais aussi par leur autonomie interne hiérarchique et liturgique, comprenant leurs rites propres.

La principale d’entre elles est l’Église gréco-catholique ukrainienne, qui rassemble 8 % de la population du pays, soit plus de 5 millions de fidèles, situés très majoritairement à l’Ouest. Sa liturgie, le rite byzantin, est quasiment identique à celle des orthodoxes du monde russophone, dont la langue liturgique est le slavon d’église. On peut en faire remonter l’origine au XVe siècle, lorsque le métropolite Isidore de Kiev se rallia au concile de Florence, qui proclama l’union des Églises latine et grecque, mais son véritable acte de naissance a été plutôt l’union de Brest (aujourd’hui en Biélorussie) de 1595-15963, quand une partie du clergé orthodoxe sous domination polono-lituanienne s’est mise sous l’obédience du pape. De là vient également le sobriquet péjoratif «  d’uniates  » accolé aux catholiques orientaux, dont le ralliement à l’autorité romaine en échange de la conservation de leurs traditions liturgiques a pu être perçu par d’autres comme une trahison de la foi «  orthodoxe  » (dans tous les sens du terme). Les autres catholiques orientaux ukrainiens forment une partie de l’Église catholique ruthène, issue d’une union plus tardive avec Rome (1646, union d’Oujohrod), concentrée à l’extrême ouest dans la région des Carpates, et devenue majoritairement diasporique4. Si les gréco-catholiques ont été encouragés et soutenus dans les territoires actuellement ukrainiens qui se trouvaient en Pologne ou dans l’Empire austro-hongrois, ils ont été assez constamment réprimés dans la Russie des tsars (jusqu’à voir leur culte interdit au XIXe siècle), puis par l’Union soviétique. La persécution antireligieuse indiscriminée a culminé pendant la Grande Terreur stalinienne des années 1930  ; puis en 1946, lors du synode de Lvov, l’Église gréco-catholique a été rattachée de force à l’Église orthodoxe russe, ou condamnée à la clandestinité d’une «  Église des catacombes  »  : ce n’est qu’à la chute du bloc soviétique qu’elle retrouve une existence légale. Le conflit avec les orthodoxes, spécialement avec le Patriarcat de Moscou, est pourtant loin d’être soldé, car l’Église gréco-catholique leur réclame la restitution des biens et lieux de culte confisqués en 1946, et jamais rendus depuis. Le transfert en 2005 du siège du primat des gréco-catholiques de Lviv (où ils représentent près de 30 % de la population) à Kiev a également été très mal perçu par beaucoup d’orthodoxes, comme une velléité expansionniste.

4 — Quelles sont les relations entre le Vatican et l’Église gréco-catholique ukrainienne ?

Contrairement à Jean-Paul II, qui avait défendu avec ténacité la cause des catholiques orientaux en Europe au prix d’un refroidissement net de ses relations avec le monde orthodoxe, Benoît XVI puis François ont privilégié le dialogue œcuménique en direction de l’orthodoxie. Le premier avait constaté une certaine convergence de vues autour des valeurs familiales conservatrices  ; le second s’est engagé plus résolument dans toutes les formes de rapprochements interconfessionnels, et a engrangé des succès symboliques  : il a ainsi pu rencontrer le patriarche de Moscou, Kirill (Cyrille) lors de son voyage à La Havane du 12 février 2016 – un lieu emblématique de la diplomatie « non-alignée  » sur l’agenda occidental–, ce qu’aucun pape n’avait fait avant lui. Mais il en a résulté un certain sentiment de relégation, voire d’abandon, pour nombre de gréco-catholiques  : dès 1993, une déclaration conjointe de responsables catholiques et orthodoxes condamnait «  l’uniatisme  » (mais entendu uniquement au sens prosélytisme) au nom de l’œcuménisme, semblant donc indiquer que la tradition catholique orientale était dépassée5 ; cette condamnation a été réitérée par le pape après une rencontre entre François et le porte-parole du Patriarcat de Moscou le 30 mai 20166. Certains signes ont été ressentis comme vexatoires par l’Église gréco-catholique  : ainsi l’archevêque majeur Sviatoslav Shevchuk, primat de l’Église gréco-catholique ukrainienne, n’a pas été créé cardinal, à la différence de son prédécesseur, le cardinal Husar, issu de l’Église des catacombes  ; Shevchuk n’a pas non plus vu sa demande ancienne d’être promu patriarche exaucée, car il s’agirait alors d’un casus belli avec le monde orthodoxe7. On a même prêté au pape le dessein de créer une grande Église ruthène transnationale pour les catholiques de rite byzantin d’Europe centrale, ce qui était vu très défavorablement par les gréco-catholiques ukrainiens8, mais ce projet été démenti par le Saint-Siège9.

5 — Quelle a été l’attitude du pape François lors de la crise ukrainienne de 2014 ?

Surtout, c’est l’attitude du Vatican lors de la crise de 2014 qui a pu interroger. Alors que les manifestations de la place Maïdan avaient été l’occasion d’un véritable élan de concorde nationale interreligieuse, les clergés de toutes les confessions s’y relayant pour prier, le pape François s’était montré d’une très grande prudence au moment de la crise du Donbass, se contentant de prononcer des appels à la paix en termes généraux, sans dénoncer la répression des catholiques dans les Républiques séparatistes de Donetsk et Louhansk, où seul le clergé orthodoxe du Patriarcat de Moscou a droit de cité10. Le Saint-Siège, pour sauvegarder son crédit international et son réseau diplomatique, a alors pu donner (sur ce dossier comme sur d’autres, ainsi de l’accord avec la Chine) l’impression de privilégier l’éthique de responsabilité par rapport à l’éthique de conviction. En somme, cette diplomatie conduite principalement par le cardinal-secrétaire d’Etat Parolin a semblé marquer un retour à l’Ostpolitik vaticane des années 1970, menée par son prédécesseur Agostino Casaroli (1914-1998)11.

Or avec la guerre ouverte, la crainte des gréco-catholiques est devenue existentielle  : comme l’a rappelé une catholique ruthène de Philadelphie, «  chaque fois que la Russie a pris dans l’Histoire, le contrôle de l’Ukraine, l’Église catholique ukrainienne a été détruite  »12. La brutalité de l’invasion, comme la répression des cultes non-alignés sur Moscou dans les Républiques séparatistes du Donbass depuis 2014 augurent mal, en effet, du respect des minorités religieuses.

6 — Les orthodoxes ukrainiens, combien de divisions  ?

Si l’Église catholique en Ukraine est marquée par des tiraillements internes et des luttes d’influence qui ont pu aller jusqu’à des scissions marginales13, la division des orthodoxes est bien plus notable. Rappelons que dans l’ecclésiologie orthodoxe, beaucoup moins centralisée que la catholique, les «  Églises-sœurs  » sont dites autocéphales, indépendantes hiérarchiquement les unes des autres, mais unies spirituellement par la même foi. En principe, chaque Église autocéphale peut-être rattachée à une réalité nationale (il y a ainsi une Église orthodoxe grecque, une serbe, une roumaine, etc.). Depuis 2019, la situation s’est clarifiée quelque peu  : le principal clivage a lieu entre l’Église orthodoxe d’Ukraine, avec à sa tête le métropolite Épiphane de Kiev (né en 1979), et la branche ukrainienne du Patriarcat de Moscou.

L’Église orthodoxe d’Ukraine est elle-même née officiellement en décembre 2018 de la fusion de deux entités précédentes, lors d’un concile tenu à la demande expresse du président Porochenko et de la Rada (Assemblée nationale)  : le Patriarcat de Kiev, créé en 1992 par le métropolite Philarète (né en 1929), dissident du Patriarcat de Moscou, et l’Église orthodoxe ukrainienne autocéphale, issue quant à elle de la première indépendance du pays (1917-1920) puis de la diaspora ou de la clandestinité. Quoique le Patriarcat de Kiev ait unilatéralement contesté cette fusion en juin 2019 (semble-t-il avant tout pour des querelles de personnes entre Philarète et son successeur désigné Épiphane), l’Église orthodoxe d’Ukraine est aujourd’hui devenue la première dénomination religieuse du pays, rassemblant 25 % de sa population, soit près de 15 millions d’habitants (contre 12 % pour le Patriarcat de Kiev en 2005), et souhaiterait unifier tous les orthodoxes ukrainiens sous la juridiction de cette Église nationale autocéphale. Cette Église unifiée a également recueilli l’assentiment relatif de la population, mais avec de très fortes disparités entre l’Ouest, où 60 % des Ukrainiens y sont favorables, et l’Est, où ils ne sont plus que 28 % à l’approuver, selon un sondage de 201814.

Or c’est toujours le Patriarcat de Moscou qui possède le clergé le plus nombreux et le plus grand nombre de paroisses dans le pays, avec 40 diocèses, 200 monastères et plus de 12 000 églises sous son contrôle  ; près de 18 % des Ukrainiens s’y rattachent encore (très majoritairement à l’est et au centre), même si ce chiffre est en nette diminution. Non seulement le Patriarcat de Moscou représente l’organisation religieuse la plus puissante en Ukraine, mais encore, à l’échelle même de son territoire russe, sa branche ukrainienne est-elle la plus riche en biens et en effectifs, regroupant 40 % de ses paroisses15. Enfin, ajoutons l’importance symbolique de Kiev, «  lieu saint  » du monde slave orthodoxe  : la conversion au christianisme de son grand-prince, Vladimir, en 988, a pour les Russes et les Ukrainiens une importance mémorielle équivalente au baptême de Clovis pour la France. Le Patriarcat de Moscou, dont la proximité avec le Kremlin est notoire depuis la Grande Guerre patriotique de 1941-1945, ne veut en aucun cas reconnaître l’autocéphalie de l’Église orthodoxe en Ukraine, car ce serait du même coup accréditer l’existence de la nation ukrainienne. Pour le patriarche Kirill et ses soutiens16, Kiev est dans l’orbite religieuse de Moscou depuis 1686, lorsque le patriarche œcuménique de Constantinople, autorité spirituelle suprême du monde orthodoxe, a délégué au patriarche moscovite le droit de nommer le métropolite de Kiev17.

7 — Pourquoi peut-on parler d’une rivalité globale entre Constantinople et Moscou à l’échelle du monde orthodoxe ?

C’est donc vers Constantinople que se sont tournés les orthodoxes ukrainiens pour obtenir la reconnaissance de leur Église nationale  : le 5 janvier 2019, son patriarche, Bartholomée, a bien accordé le tomos (décret) d’autocéphalie à l’Église orthodoxe d’Ukraine. Il en a résulté une grave crise entre Moscou et Constantinople, qui est allée jusqu’à la rupture mutuelle de la communion eucharistique, signe de schisme formel18. Toutes les Églises autocéphales ont été sommées de prendre parti pour l’un des deux grands patriarcats en reconnaissant ou non l’Église ukrainienne, et seule une minorité d’entre elles19 se sont alignées sur la décision de Bartholomée20. Derrière la question ukrainienne, se joue donc un affrontement plus global pour le leadership dans le monde orthodoxe, où les armes sont inégales21  : nul ne conteste la primauté d’honneur de Constantinople, mais son patriarche est semblable à un général sans troupes, qui a juridiction directe sur un territoire très mince et une population clairsemée, quand le Patriarcat de Moscou rassemble 90 millions de personnes sous son obédience – près du tiers des orthodoxes dans le monde. Un signe éclatant de cette rivalité a été donné à l’occasion du concile panorthodoxe de 2016 en Crète, voulu par le patriarcat de Constantinople depuis plus de 50 ans, mais qui a échoué par suite de la décision du patriarche de Moscou, et de quelques autres hiérarques dépendants de lui, de ne pas s’y rendre22.

8 — Comment Moscou présente-t-il cette rivalité pour le public occidental ?

La propagande pro-russe à destination des Européens s’est complu à déguiser cette rivalité de pouvoir derrière des prétextes idéologiques  : engagé dans les enjeux environnementaux et migratoires, résolument en faveur du dialogue œcuménique, le patriarche Bartholomée serait une sorte de pendant oriental d’un pape François «  mondialiste  », voire «  wokisé  », là où les orthodoxes russes ou pro-russes sont érigés en rempart de tout l’Occident chrétien. Or il suffit de constater la discordance entre de telles déclarations avec le discours ad intra du patriarcat moscovite, très anticatholique, pour comprendre le leurre qu’elles représentent. Il s’en faut de peu que Moscou accuse l’Église orthodoxe d’Ukraine d’une forme d’uniatisme déguisé, dans un schéma séculaire où Rome et l’Occident figurent l’ennemi par excellence de la «  Troisième Rome  », et toute velléité d’autonomie, un pas vers l’hérésie.

9 — Quelle a été l’attitude du Vatican face à l’invasion de l’Ukraine ?

L’invasion russe de l’Ukraine du 24 février dernier, sur ce point comme en bien d’autres, recompose la situation à une vitesse inconnue jusque-là. D’abord parce qu’en s’affranchissant aussi clairement du droit international, la Russie a provoqué un engagement plus net du Vatican en faveur de la paix et de la coexistence religieuse, mais aussi des droits de la minorité catholique  : le lendemain de l’invasion, l’archevêque gréco-catholique Shevchuk a été appelé par le pape, qui lui a assuré qu’il ferait tout ce qui est en son pouvoir pour mettre fin au conflit. François, qui s’est également entretenu au téléphone avec le président Zelensky, semble déterminé à prendre une part très active dans la cessation du conflit, jusqu’à proposer instamment la médiation officielle du Saint-Siège  : dans un geste inédit, et alors même qu’il a dû récemment annuler plusieurs engagements pour raisons de santé, il s’est rendu lui-même à l’ambassade de Russie près le Saint-Siège pour exhorter à la paix dès le lendemain de l’invasion. La portée de cette démarche est d’autant plus forte qu’elle semble avoit été prise par le pape personnellement, sans en avoir informé au préalable sa secrétairerie d’Etat. Dimanche 27 février, François a appelé solennellement à l’ouverture de couloirs humanitaires à l’issue de l’angélus place St-Pierre, le cardinal Parolin faisant quant à lui, selon une vieille tradition de la diplomatie vaticane, l’offre de ses bons offices23.

10 — Comment la guerre ouverte a-t-elle changé la situation des Églises orthodoxes ?

Mais la recomposition touche aussi les Églises orthodoxes  : certes, le patriarche Kirill de Moscou semble plus que jamais inféodé au Kremlin, avec un appel, lors de son homélie du 27 janvier, à préserver les «  terres russes  » – parmi lesquelles il a explicitement nommé la Biélorussie et l’Ukraine – des «  forces du mal  »  ; mais la défense d’une telle obédience en Ukraine est devenue intenable devant la réalité de l’agression  : pour la première fois, le métropolite Onuphre, plus haut hiérarque de l’Église orthodoxe russe en Ukraine, a pris ses distances avec son supérieur dès le jour de l’invasion  ; puis dans une déclaration du 28 février reprise par son saint-synode, il s’est engagé en faveur de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, et a déclaré que la guerre était «  un péché grave devant Dieu  », une «  répétition du péché de Caïn  ». Il a été imité par de nombreux membres de son clergé, jusque dans le diocèse de Soumy, pourtant frontalier avec la Russie, qui ont décidé de ne plus prononcer le nom de Kirill à l’office, ce qui entérine la rupture de la communion ecclésiale.

L’atmosphère d’union nationale qui prévaut depuis l’invasion semble ainsi avoir réduit le clivage entre les Églises orthodoxes rivales ; quant à savoir si elle ira jusqu’à le résorber, il est encore bien trop tôt pour le dire. Il reste patent que, là comme ailleurs, la guerre a produit des effets opposés à ceux recherchés par le Kremlin  ; et que la présence des troupes russes constitue à court et moyen terme une menace grave pour le pluralisme religieux, une réalité pourtant constitutive de l’Ukraine.

Sources
  1. https://mjp.univ-perp.fr/constit/ua1996.htm#2  : art. 32 de la Constitution ukrainienne.
  2. http://www.globalreligiousfutures.org/countries/ukraine#/?affiliations_religion_id=0&affiliations_year=2010&region_name=All%20Countries&restrictions_year=2016
  3. Cf. l’ouvrage récent de Laurent Tatarenko, Une réforme orientale à l’âge baroque. Les Ruthènes de la grande-principauté de Lituanie et Rome au temps de l’Union de Brest (milieu du xvie siècle – milieu du xviie siècle), Rome, École française de Rome, «  Bibliothèque des Écoles Françaises d’Athènes et de Rome  », 392, 2021, 645 p. qui relate de manière détaillée les grandes étapes de cette rupture.
  4. Au point qu’aux États-Unis, les catholiques issus de cette Église ont formé une Église orientale autonome, «  l’Église catholique byzantine  », avec son siège à Pittsburgh. L’Église catholique arménienne est quant à elle quasiment éteinte en Ukraine.
  5. https://www.cath.ch/newsf/moscou-le-patriarche-orthodoxe-russe-alexis-ii-pret-a-rencontrer-le-pape-jean-paul-ii/
  6. https://www.diakonos.be/settimo-cielo/guerres-de-religion-pourquoi-en-ukraine-les-plus-oecumeniques-sont-les-grecs-catholiques.
  7.  https://www.diakonos.be/settimo-cielo/en-coulisses-le-cadeau-rate-de-francois-aux-ukrainiens/
  8. https://www.diakonos.be/settimo-cielo/depuis-lorient-non-pas-la-lumiere-mais-les-tenebres-etranges-remplacements-dans-la-curie-romaine/
  9. https://www.diakonos.be/settimo-cielo/le-reve-irreel-dune-eglise-des-ruthenes-une-lettre-de-clarification/.
  10. Référence de Sandro Magister, diakonos.
  11.  John M. Kramer, « The Vatican’s Ostpolitik”, The Review Politics, vol. 42/3, 1980, Cambridge University Press, p. 283-308.
  12. Relayé par https://fsspx.news/fr/news-events/news/ukraine-les-cles-une-guerre-aux-dimensions-religieuses-71930
  13. Pour être complet, mentionnons l’existence de deux scissions traditionalistes  : la Fraternité Saint-Josaphat, variante de la Fraternité Saint-Pie X pour le rite byzantin, opposée à sa relative délatinisation consécutive à Vatican II, et «  l’Église grecque-catholique orthodoxe ukrainienne  », née en 2009, ultra-conservatrice et pro-russe.
  14. https://dif.org.ua/article/stvorennya-pomisnoi-avtokefalnoi-pravoslavnoi-tserkvi-v-ukraini-shcho-dumayut-ukraintsi
  15. https://www.diakonos.be/settimo-cielo/en-orient-cest-la-rupture-entre-cyrille-et-bartholomee-et-le-pape-penche-plutot-pour-le-premier/
  16. Dont le plus actif est son porte-parole pour les relations extérieures, le métropolite Hilarion de Vokolamsk.
  17. https://www.diakonos.be/settimo-cielo/en-orient-cest-la-rupture-entre-cyrille-et-bartholomee-et-le-pape-penche-plutot-pour-le-premier/
  18. https://www.diakonos.be/settimo-cielo/schisme-dans-lorthodoxie-entre-moscou-et-constantinople-et-rome-ne-sait-quel-camp-choisir/. Il faut noter que cette crise a connu une préfiguration très exacte en 2006-2007 (avec un schisme temporaire entre les deux patriarcats), du fait la reconnaissance par Constantinople de l’Église autocéphale estonienne. Moscou ne semble pas prêt à voir éclore des Églises orthodoxes autonomes a minima dans le territoire de l’ex-URSS.
  19.  Les Églises orthodoxes de Grèce, de Chypre et d’Alexandrie
  20. Bartholomée vient d’ailleurs de déclarer à la télévision turque «  je suis une cible pour Moscou  » (2 mars).
  21.  Cette rivalité a eu des conséquences jusque chez les orthodoxes de France, par exemple à l’Institut St-Serge  : https://www.la-croix.com/Religion/En-Ukraine-lecart-creuse-entre-lEglise-orthodoxe-ukrainienne-patriarche-2022-03-01-1201202769
  22. https://www.lemonde.fr/le-monde-des-religions/article/2022/03/04/l-ukraine-catalyse-une-crise-au-sein-du-monde-orthodoxe-entre-moscou-et-constantinople_6116091_6038514.html
  23. https://www.la-croix.com/Religion/Le-Vatican-pret-aider-dialogue-entre-Russie-lUkraine-2022-02-28-1201202584

Voir enfin:

QUEL AVEUGLEMENT VOLONTAIRE DES IDIOTS UTILES ET DES COMPAGNONS DE ROUTE DU NOUVEL HITLER DE MOSCOU ? (Comment entre détestation de l’Amérique et de l’Union européenne et désarroi devant la décomposition démocratique, le délitement du lien national, les revendications communautaristes, les effets délétères de l’immigration et les dérives du wokisme, nombre de souverainistes occidentaux en sont arrivés à nier la réalité du régime russe)

 

Ran Halévi: « L’aveuglement volontaire des compagnons de route occidentaux de Vladimir Poutine »

Ran Halévi

Le Figaro

30.09.2022

TRIBUNE – L’historien analyse les ressorts qui, selon lui, ont poussé certains à droite, dans les démocraties occidentales, et en particulier la droite trumpienne aux États-Unis, à l’indulgence, voire à la complaisance envers l’autocrate du Kremlin.

Ran Halévi est directeur de recherche au CNRS et professeur au Centre d’études sociologiques et politiques Raymond-Aron. Il estime que le rejet du wokisme et la hantise de la décadence les ont conduits à nier la réalité du régime russe.

S’il ne s’est jamais avisé de parader en parangon de la démocratie, Vladimir Poutine s’évertuait, non sans succès, à se poser en sentinelle morale de la tradition, des valeurs familiales, de la religion chrétienne. Son régime offre une version toute personnelle du principe de la division du travail.

D’un côté, une autocratie légale (lui au moins se dispense d’employer l’oxymore bancal de «démocratie illibérale»), des élections truquées, une Constitution courbée à l’impératif de pérenniser le mandat présidentiel, une cleptocratie systémique, des assassinats d’opposants, des violations répétées du droit international, annexions hors-la-loi, massacres de masse, déportations, crimes de guerre. Sans oublier le culte de la personnalité, les millions empochés dans des comptes personnels, enfin l’isolement graduel du président et son enfermement psychologique qui ont fini, c’est classique, par dérégler son discernement politique.

Et de l’autre, l’appel à un passé immémorial, la célébration des valeurs nationales, la poursuite des aspirations impériales: un curieux syncrétisme entre la gloire de l’époque tsariste, l’héroïsme patriotique sous l’ère soviétique et, pour compléter le narratif, la théorie – pourtant largement démentie – de l’humiliation de la Russie par l’Occident après la chute de l’URSS.

Jusqu’à l’invasion de l’Ukraine, cet attelage fonctionnait passablement. M. Poutine réussit à rallier, en France et ailleurs, une foule éclectique de sympathisants, animés des motifs les plus divers: détestation de l’Amérique, de l’Otan, des aspérités fédéralistes de l’Union européenne ; désarroi devant la décomposition démocratique, le délitement du lien national, les revendications communautaristes, les effets délétères de l’immigration… À quoi s’ajoute, péché commun de l’extrême gauche et de la droite extrême, de Le Pen à Mélenchon, une fascination jamais éteinte pour l’homme fort qui sait allier un verbe haut à une main de fer, en malmenant les principes poussiéreux de la démocratie libérale.

Les plus engagés parmi les dévots du poutinisme étaient les ultraconservateurs américains. Autrefois, les compagnons de route de la Russie communiste venaient de la gauche ; dans l’Amérique d’aujourd’hui, ils occupent les premières loges de la droite trumpiste et les avant-postes des médias populistes. Ce qui les rattache à M. Poutine, comme à Donald Trump, c’est l’apologie sans complexe de la grandeur nationale, l’aversion pour la «dictature woke», un culte assumé de la force et le goût d’une saine virilité, réfractaire à l’émasculation de l’homme blanc par les lubies progressistes.

Tucker Carlson, l’animateur sur Fox News du talk-show le plus regardé aux États-Unis, est un admirateur de longue date du président russe et son meilleur agent de relations publiques: il le tient, à l’égal de M. Trump, pour l’archétype de l’homme d’État conservateur. Carlson, comme d’autres trumpistes de choc, a fait plusieurs fois le pèlerinage de Moscou (et de Budapest) pour régaler ses auditeurs des images d’une société qui résiste à la corruption de Hollywood, de Wall Street et des théories diversitaires.

M. Poutine savait cultiver avec méthode ces auxiliaires inespérés. Il recevait des évangélistes, des représentants du puissant lobby des armes à feu, des militants de «l’Amérique d’abord» hostiles à l’immigration. Il n’hésitait pas à se dire victime, lui et son pays, de la «cancel culture», ou à dénoncer les transgenres avec des accents qui ne pouvaient laisser insensibles ses nouveaux frères d’armes. «Ceux qui apprennent à un garçon à se transformer en fille et à une fille en un garçon commettent un crime contre l’humanité (…)». La Russie qu’il leur faisait découvrir renvoyait un miroir désolant à une Amérique en faillite morale, gangrenée par l’avortement, les mariages homosexuels, la pornographie, la libération des mœurs, la tyrannie multiculturelle…

Il fallait une bonne dose d’aveuglement à ces pèlerins de l’eldorado russe pour éviter de voir ce qu’ils s’interdisaient de connaître: en Russie, comme le rappelle Anne Applebaum, le nombre des avortements est un des plus élevés du monde, le double de son niveau aux États-Unis ; la fréquentation des églises est négligeable ; seuls 15% des Russes reconnaissent à la religion un rôle important dans leur vie ; et le pays tient le record mondial du taux de suicide chez les hommes adultes. Quant à l’image unitaire de la nation, il n’est pas inutile d’observer que 20% des citoyens russes se revendiquent d’une autre nationalité, que plus de 6% sont musulmans et que, en Tchétchénie, la loi de l’État est la charia.

Comment expliquer la réussite du poutinisme à rallier en Occident cette armée de «facilitateurs», d’«excuseurs», d’«indulgents»? Outre les raisons déjà évoquées, la paresse intellectuelle y entre aussi pour une part et l’ignorance volontaire pour beaucoup: elle n’est pas sans rappeler celle des voyageurs ingénus de la Russie soviétique et la cohorte des croyants cuirassés dans le déni des horreurs staliniennes. C’est un phénomène fascinant que l’impuissance des faits avérés à entrer dans la circulation des esprits et à s’imprimer au fond de la conscience publique. Pourtant, le maître du Kremlin a beaucoup œuvré à nous dessiller les yeux.

Ce qui a conforté cette cécité renvoie surtout à la situation de nos démocraties. Le souvenir de la guerre froide, et des guerres en général, est trop éloigné pour alerter spontanément les esprits: nous livrons volontiers des guerres idéologiques, un luxe des temps de paix, mais hésitons, quand de vraies menaces sont à nos portes, à en apprécier la portée. Et nous baignons depuis trop longtemps dans une culture de la repentance pour ne pas donner créance à ceux qui nous inculpent de les avoir opprimés, ravalés, humiliés. Enfin, l’espoir de prévenir le pire porte parfois à consentir à l’inacceptable, comme un moindre mal, au préjudice des victimes sacrifiées à un «lâche soulagement», lequel ne dure jamais longtemps.

Pour les zélateurs américains de M. Poutine, le fantasme d’une Russie citadelle de la civilisation était avant tout affaire de politique intérieure: un ressort essentiel, à condition de ne pas y regarder de près, de la guerre idéologique contre le wokisme. À la veille de l’invasion russe, Tucker Carlson ne se trompait pas de combat: «Est-ce que M. Poutine m’a jamais traité de raciste? A menacé de me licencier parce que je ne pense pas comme lui? Essayé de détruire le christianisme?» Les trumpistes avaient d’autres priorités que l’Ukraine, le droit international, la liberté. Ce n’était pas leur guerre. On découvre là comment le wokisme est devenu le complice involontaire, le combustible, le pourvoyeur d’arguments – et d’absolutions – de l’illibéralisme.

Voir par ailleurs:

Discours de Vladimir Poutine

30 septembre 2022

Citoyens de Russie, citoyens des républiques populaires de Donetsk et Lougansk, habitants des districts de Zaporojie et Kherson, députés de la Douma d’État, sénateurs de la Fédération de Russie,Comme vous le savez, des référendums ont eu lieu dans les républiques populaires de Donetsk et Lougansk ainsi que dans les districts de Zaporojie et Kherson. Les bulletins ont été décomptés, les résultats ont été annoncés. Le peuple a fait son choix, un choix univoque.Nous signons aujourd’hui les accords relatifs à l’admission de la République populaire de Donetsk, de la République populaire de Lougansk, du district de Zaporojie et du district de Kherson au sein de la Fédération de Russie. Je suis certain que l’Assemblée fédérale confirmera les lois constitutionnelles sur l’intégration et la formation en Russie de quatre nouvelles régions, quatre nouvelles entités de la Fédération de Russie, parce que telle est la volonté de millions de personnes. (Applaudissements.)

Cette annonce est le résultat d’un processus complexe et longtemps incertain. Depuis des mois, le pouvoir russe s’est efforcé de s’ancrer administrativement dans ces régions occupées. D’après une enquête du média Proekt, les citoyens russes représentent 92 % des 36 personnes nommées dans les gouvernements de ces quatre régions depuis l’occupation. On compte ainsi 20 % de Russes parmi les dirigeants de la République populaire autoproclamée de Lougansk, 40 % chez ceux de Donetsk, jusqu’à 75 % du gouvernement du district de Kherson et 100 % de celui de Zaporojie. Malgré tout, au cours de ces derniers mois, les autorités russes semblent avoir hésité à organiser les référendums qu’elles voulaient originellement planifier en avril, puis en mai, avant de les reporter à septembre, novembre, et enfin «  indéfiniment  ».

 Soudainement, en l’espace de quelques jours, tout s’est accéléré ces dernières semaines. Ce qui ne devait plus être qu’un horizon lointain est devenu un impératif de toute urgence. Aussi les référendums ont-ils commencé le vendredi 23 septembre dans ces régions qui représentent environ 15 % de l’ensemble du territoire ukrainien et plus de 6 millions d’habitants avant la guerre. Les observateurs internationaux ignorent le nombre réel de votants, d’autant plus que certaines zones ont été tout à fait dépeuplées. Selon le maire de Melitopol’ Ivan Fëdorov, il ne reste plus aujourd’hui que 60 000 des 150 000 habitants que comptait sa ville au début de l’année. On connaît par ailleurs l’exemple frappant de ce village de Novotoškovskoe, à soixante kilomètres de Lougansk, où il ne restait plus, en ce mois de septembre, que dix habitants sur les 2 000 personnes qui y résidaient avant la guerre.

Sans aucun doute, c’est là leur droit, leur droit inaliénable, inscrit dans l’article premier de la Charte des Nations Unies, qui énonce explicitement le principe de l’égalité des droits et de l’autodétermination des peuples.

Je le répète  : il s’agit d’un droit inaliénable des peuples. Ce droit se fonde sur l’unité historique qui a porté à la victoire des générations entières de nos prédécesseurs, ceux qui édifié et défendu la Russie durant de nombreux siècles, depuis les origines de l’ancienne Rus’.

C’est ici, en Novorossija, qu’ont lutté Rumjancev, Suvorov et Ušakov. C’est ici que Catherine II et Potëmkin ont fondé de nouvelles villes. C’est ici que nos grands-pères et arrière-grands-pères se sont battus jusqu’à la mort pendant la Seconde Guerre mondiale.

Nous n’oublierons jamais les héros du «  Printemps Russe  », ceux qui ont refusé le coup d’État néonazi dans l’Ukraine de 2014, ceux qui ont perdu la vie pour le droit de parler leur langue, de conserver leur culture, leurs traditions, leur foi, pour le droit même de vivre. Nous n’oublierons jamais les combattants du Donbass, les martyrs de la «  Khatyn d’Odessa  », les victimes des attentats inhumains orchestrés par le régime de Kiev. Nous commémorons les volontaires et les miliciens, les civils, les enfants, les femmes, les vieillards, les Russes, les Ukrainiens, des gens des nationalités les plus diverses  : à Donetsk, le meneur d’hommes Aleksandr Zakharčenko  ; les commandants militaires Arsen Pavlov et Vladimir Žoga, Ol’ga Kočura et Aleksei Mozgovoj  ; le procureur de la République de Lougansk Sergej Gorenko  ; le parachutiste Nurmagomed Gadžimagomedov et tous les soldats et les officiers qui sont morts de la mort des braves pendant l’opération militaire spéciale. Ce sont des héros. (Applaudissements) Les héros de la Grande Russie. Je vous demande d’observer une minute de silence en leur mémoire.

(Minute de silence)

Merci.

Derrière ce choix de millions d’habitants des Républiques populaires de Donetsk et Lougansk, des districts de Zaporojie et Kherson, se lisent à la fois notre futur commun et notre histoire millénaire. Les populations ont transmis ce lien spirituel à leurs enfants et leurs petits-enfants. Malgré toutes les épreuves, ils ont transmis leur amour de la Russie à travers les âges. Personne ne pourra détruire ce sentiment qui nous habite. C’est la raison pour laquelle les anciennes générations et les plus jeunes, ceux qui sont nés après l’effondrement tragique de l’URSS, ont voté d’une seule voix pour notre unité, pour notre avenir commun.

En 1991, à Belovežskaja Pušča, sans aucune considération pour la volonté des citoyens ordinaires, les représentants de l’élite du parti de l’époque ont pris la décision de dissoudre l’URSS. Du jour au lendemain, les gens se sont retrouvés arrachés à leur patrie. Notre communauté nationale a été déchirée, démantelée à vif, ce qui s’est soldé par une catastrophe nationale. Tout comme les gouvernements avaient, en coulisse, délimité les frontières des républiques soviétiques après la Révolution de 1917, les derniers dirigeants de l’Union Soviétique ont déchiré notre grand pays, ont placé le peuple devant le fait accompli, au mépris du souhait exprimé par la majorité lors du référendum de 1991.

J’imagine qu’ils n’ont pas eu entièrement conscience de ce qu’ils étaient en train de faire et des conséquences qu’auraient inévitablement leurs actions. Mais cela n’a plus d’importance. Il n’y a plus d’Union soviétique et on ne fera pas revivre le passé. Ce n’est pas ce dont la Russie a besoin aujourd’hui, ce n’est pas ce à quoi nous aspirons. Mais il n’y a rien de plus fort que la détermination de millions de personnes qui, par leur culture, leur foi, leurs traditions, leur langue, se sentent faire partie de la Russie et dont les ancêtres ont vécu durant des siècles au sein d’un même État. Il n’y a rien de plus puissant que leur résolution à retrouver leur véritable patrie historique.

Pendant huit longues années, les habitants du Donbass ont été soumis au génocide, aux bombardements, au blocus. À Kherson et Zaporojie, une politique criminelle a tout fait pour diffuser la haine de la Russie et de tout ce qui est russe. Désormais, y compris pendant les référendums, le régime de Kiev a menacé de représailles et de mort les enseignants et les femmes qui officiaient dans les commissions électorales, intimidant des millions de personnes venues exprimer leur volonté. Mais le peuple irréductible du Donbass, de Zaporojie et de Kherson s’est prononcé.

Je veux que les autorités de Kiev et leurs véritables suzerains occidentaux m’entendent et se souviennent de ceci  : les habitants de Lougansk et de Donetsk, de Kherson et de Zaporojie, sont devenus nos concitoyens, à jamais. (Applaudissements.)

Nous appelons le régime de Kiev à un cessez-le-feu immédiat, à mettre fin à cette guerre qu’il a déclenchée en 2014 et à revenir à la table des négociations. Nous y sommes prêts, comme nous l’avons signalé à de nombreuses reprises. En revanche, la décision des peuples de Donetsk, Lougansk, Zaporojie et Kherson n’est pas discutable. Leur décision a été prise et la Russie ne la trahira pas. (Applaudissements.) Les autorités actuelles de Kiev doivent traiter cette libre expression de la volonté d’un peuple avec respect, et pas autrement. C’est le seul chemin possible vers la paix.

Nous défendrons notre terre avec toutes nos forces et par tous les moyens à notre disposition. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour garantir la sécurité de nos concitoyens. Telle est la grande mission libératrice de notre nation.

Nous nous engageons à reconstruire les villes et les villages détruits, les logements, les écoles, les hôpitaux, les théâtres et les musées, à restaurer et développer les entreprises industrielles, les usines, les infrastructures, les systèmes de protection sociale, de retraite, de santé et d’éducation.

Nous allons bien sûr travailler au renforcement de la sécurité. Ensemble, nous veillerons à ce que les citoyens des nouvelles régions russes se sentent soutenus par l’ensemble du peuple russe, par l’intégralité du pays, des républiques, des provinces et des districts de notre vaste patrie (Applaudissements.)

Chers amis, chers collègues,

Je veux m’adresser aujourd’hui aux soldats et aux officiers qui participent à l’opération militaire spéciale, aux combattants du Donbass et de Novorossija, à tous ceux qui, après le décret de mobilisation partielle, ont rejoint les rangs de nos forces armées, accomplissant ainsi leur devoir patriotique, tous ceux qui répondent aux injonctions de leur cœur et se rendent aux bureaux de recrutement militaire. Je veux m’adresser à eux, à leur famille, à leurs épouses et à leurs enfants pour leur dire contre qui, contre quel genre d’ennemi notre peuple se bat, pour leur dire qui précipite le monde dans de nouvelles guerres et de nouvelles crises, retirant un profit sanglant de toute cette tragédie.

Nos compatriotes, nos frères et nos sœurs d’Ukraine, cette partie intégrante de notre nation unie, ont vu de leurs propres yeux le sort que les sphères dirigeantes du soi-disant Occident réservent à l’humanité entière. Ici, elles ont enfin tombé les masques et révélé leur vraie nature.

Après la chute de l’Union soviétique, l’Occident a décidé que le monde entier, que chacun de nous devait supporter à jamais ses diktats. En 1991, l’Occident s’imaginait que la Russie ne se relèverait jamais de ces bouleversements et s’effondrerait d’elle-même. Ils y ont presque réussi. Nous gardons en mémoire les années 1990, ces années terribles, de faim, de froid et de désespoir. Mais la Russie a survécu. Elle renaît, se renforce, réclame à nouveau la place qui lui revient dans le monde.

Pendant ce temps, l’Occident a continué de rechercher de nouvelles occasions de nous frapper, d’affaiblir et d’écraser la Russie, comme il a toujours rêvé de le faire, de fragmenter notre État, de dresser nos peuples les uns contre les autres, de les condamner à la misère et à l’extinction. Ils ne seront pas en paix tant qu’il existera un pays si grand, si considérable, avec son territoire, ses richesses naturelles, ses ressources, son peuple qui ne sait pas et ne saura jamais vivre sous les ordres de quelqu’un d’autre.

L’Occident est prêt à tout pour conserver ce système néocolonial qui lui permet de parasiter, de dépouiller le monde grâce à la puissance du dollar et de la technologie, de percevoir un véritable tribut de l’humanité tout entière, de jouir de la principale source de richesse indue  : la rente de l’hégémon. La préservation de cette rente est leur principale motivation, leur motivation réelle, fruit de la pure avidité. C’est la raison pour laquelle ils ont intérêt à la dé-souverainisation systématique. Ainsi s’expliquent leurs agressions d’États indépendants, de valeurs traditionnelles et de cultures authentiques, leurs tentatives de saper les processus internationaux et interrégionaux, les nouvelles monnaies globales et les nouveaux pôles de développement technologique qui échappent à leur contrôle. Il est capital pour eux que tous les États abandonnent leur souveraineté au profit des États-Unis.

Dans certains États, les élites dirigeantes acceptent délibérément de s’y plier, de se laisser vassaliser  ; d’autres y sont réduites par la corruption ou l’intimidation. En cas d’échec, elles n’hésitent pas à détruire des États entiers, ne laissant derrière eux que des catastrophes humanitaires, des désastres, des ruines, des millions de destins humains détruits ou mutilés, des enclaves terroristes, des zones socialement dévastées, des protectorats, des colonies ou des semi-colonies. Peu leur importe, tant qu’ils en retirent du profit.

Je veux souligner une fois encore que ce sont leur cupidité insatiable et leur désir de maintenir leur pouvoir illimité qui sont la véritable raison de cette guerre hybride que l’«  Occident collectif  » mène contre la Russie. Ils ne veulent pas nous voir libres  ; ils rêvent que nous soyons une colonie. Ils ne veulent pas collaborer sur un pied d’égalité  ; ils rêvent de pillage. Ils ne veulent pas que nous soyons une société libre, mais une foule d’esclaves sans âme.

Ils voient notre pensée et notre philosophie comme une menace directe  : c’est pourquoi ils s’en prennent à nos philosophes. Ils pensent que notre culture et notre art représentent un péril pour eux  : c’est pourquoi ils s’efforcent de les interdire. Notre développement et notre prospérité les menacent également, parce que la concurrence s’intensifie. Ils n’ont pas besoin de la Russie, c’est nous qui en avons besoin. (Applaudissements.)

Je tiens à rappeler que, par le passé, les rêves de domination mondiale ont été brisés plus d’une foi par le courage et la résilience de notre peuple. La Russie sera toujours la Russie. Nous défendrons toujours nos valeurs et notre patrie.

L’Occident mise sur son impunité, sur sa capacité à tout se permettre. De fait, tel a été le cas jusqu’à présent. Les accords de sécurité stratégique ont filé droit à la poubelle  ; les conventions conclues au plus haut niveau politique ont été déclarées fictives  ; les promesses les plus fermes de ne pas étendre l’OTAN vers l’Est, arrachées fut un temps par nos anciens dirigeants, se sont révélées un mensonge immonde  ; les traités sur les forces nucléaires à portée intermédiaire ont été unilatéralement abrogés sous des prétextes fantaisistes.

Mais de tous les côtés, on n’entend que  : «  L’Occident incarne l’état de droit, fondé sur des règles  ». D’où viennent-elles  ? Qui en a jamais vu la couleur  ? Qui y a consenti  ? Écoutez, ce ne sont que des absurdités, un mensonge absolu, des doubles ou des triples standards. Ils doivent nous prendre pour des imbéciles.

La Russie est une grande puissance millénaire, un pays-civilisation qui ne vivra jamais sous le joug de ces règles truquées, faussées.

C’est bien le soi-disant Occident qui a piétiné le principe de l’inviolabilité des frontières et qui décide maintenant, selon son bon vouloir, qui a le droit à l’autodétermination et qui ne l’a pas, qui en est digne et qui ne l’est pas. On ignore à quel titre ils agissent ainsi, qui leur en a donné le droit, sinon eux-mêmes.

C’est pourquoi le choix des habitants de Crimée, de Sébastopol, de Donetsk, de Lougansk, de Zaporojie et de Kherson les rend fous de rage. L’Occident n’a aucun droit moral à distribuer les bons points, ni à prononcer le moindre mot sur la liberté de la démocratie. Ils ne l’a pas et il ne l’a jamais eu.

Les élites occidentales ne se contentent pas de nier souveraineté des nations et le droit international. Leur hégémonie présente clairement les traits d’un totalitarisme, d’un despotisme, d’un apartheid. Avec insolence, ils divisent le monde entre, d’un côté, leurs vassaux, les pays soi-disant civilisés, et de l’autre le reste de la planète, ceux que des racistes occidentaux voudraient inscrire sur la liste des barbares et des sauvages. Des étiquettes mensongères comme «  État voyou  » ou «  régime autoritaire  » sont assignées pour stigmatiser des peuples et des États entiers, ce qui n’est pas nouveau. Il n’y a rien de nouveau là-dedans, parce que les élites occidentales sont restées ce qu’elles étaient  : colonialistes. Elles discriminent et divisent les peuples entre la «  première classe  » et «  le reste  ».

Nous n’avons jamais souscrit et ne souscrirons jamais à ces formes de nationalisme politique et de racisme. Est-ce autre chose que du racisme qui, sous la forme de la russophobie, se répand aujourd’hui dans le monde entier  ? Que peut bien être, sinon du racisme, cette conviction inébranlable de l’Occident que sa civilisation et sa culture néolibérale sont le modèle indépassable pour le reste du monde  ? «  Qui n’est pas avec nous est contre nous  ». Ça sonne même étrangement.

Il n’est pas jusqu’à la responsabilité de leurs propres crimes historiques que les élites occidentales rejettent sur les autres, exigeant à la fois de leurs citoyens et des autres peuples qu’ils se repentent de ce à quoi ils n’ont jamais contribué, par exemple, la période des conquêtes coloniales.

Il est bon de rappeler à l’Occident qu’il a commencé sa politique coloniale dès l’époque du Moyen Âge, avant que se développe la traite mondiale des esclaves, le génocide des tribus indiennes en Amérique, le pillage de l’Inde, de l’Afrique, les guerres de l’Angleterre et de la France contre la Chine, qui l’ont obligée à ouvrir ses ports au commerce de l’opium. Ce qu’ils ont fait, c’était de rendre des peuples entiers accros aux drogues, d’exterminer délibérément des groupes ethniques entiers pour leurs terres et leurs ressources, de pratiquer une véritable chasse à l’homme, comme on chasse des bêtes. Tout cela est contraire à la nature même de l’humain, à la vérité, à la liberté et à la justice.

Pour notre part, nous sommes fiers qu’au XXe siècle, ce soit précisément notre pays qui ait pris la tête du mouvement anticolonial, lequel a offert à de nombreux peuples du monde la possibilité de se développer, de réduire la misère et les inégalités, de vaincre la faim et les maladies.

Je tiens à souligner que l’un des motifs de la russophobie pluriséculaire, de l’évidente animosité de ces élites occidentales vis-à-vis de la Russie, vient justement du fait que nous ayons refusé de nous laisser dépouiller à l’époque de la conquête coloniale et que nous ayons forcé les Européens à commercer avec nous pour notre bénéfice mutuel. Nous y sommes parvenus grâce à la création en Russie d’un État centralisé, qui s’est développé et consolidé à partir des hautes valeurs morales de l’orthodoxie, de l’islam, du judaïsme et du bouddhisme, mais aussi d’une culture et d’une langue russes ouvertes à tous.

D’innombrables plans d’invasion de la Russie ont été échafaudés. On a tenté de profiter du temps des troubles du début du XVIIe siècle et des bouleversements qui ont suivi la Révolution de 1917, mais sans succès. Ce n’est qu’à la fin du XXe siècle, lorsque cet État s’est effondré, qu’ils ont finalement réussi à mettre la main sur les richesses de la Russie. Ils nous qualifiaient alors d’amis et de partenaires mais, dans les faits, ils nous traitaient comme une colonie  : des milliers de milliards de dollars ont été siphonnés du pays par toutes sortes de machinations. Nous nous souvenons de tout cela, nous n’avons rien oublié.

Et il y a quelques jours, les habitants de Donetsk et Lougansk, de Kherson et de Zaporojie, se sont exprimés pour restaurer notre unité historique. Merci  ! (Applaudissements.)

Les pays occidentaux clament depuis des siècles qu’ils apportent la liberté et la démocratie aux autres nations. C’est exactement le contraire. Au lieu de la démocratie, ils apportent la répression et l’exploitation  ; au lieu de la liberté, l’asservissement et l’oppression. L’ordre mondial unipolaire est intrinsèquement anti-démocratique et non-libre, menteur et hypocrite de bout en bout.

Les États-Unis sont le seul pays du monde à avoir fait usage par deux fois de l’arme nucléaire, lorsqu’ils ont détruit les villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki. D’ailleurs, en agissant ainsi, ils ont créé un précédent.

Je rappelle que les États-Unis, avec l’aide des Britanniques, ont réduit à l’état de ruines Dresde, Hambourg, Cologne et nombre d’autres villes allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale sans aucune nécessité militaire  : ils l’ont fait ostensiblement et, je le répète, sans aucune nécessité militaire. Leur unique objectif, comme dans le cas des bombardements nucléaires au Japon, était d’intimider notre pays et le reste du monde.

Les États-Unis ont laissé une trace épouvantable dans la mémoire des peuples de Corée et du Vietnam par leurs «  tapis de bombes  » barbares, l’usage du napalm et des armes chimiques.

Aujourd’hui encore, ils occupent encore de facto l’Allemagne, le Japon, la République de Corée et encore d’autres pays, tout en les appelant cyniquement des égaux et des alliés. Écoutez, je me demande bien de quel genre d’alliance il peut s’agir. Le monde entier sait que les dirigeants de ces pays sont espionnés, que leurs chefs d’État sont mis sur écoute non seulement à leur bureau, mais à leur domicile. C’est une véritable honte. Une honte pour ceux qui agissent ainsi et une honte pour ceux qui, comme des esclaves, avalent ces impertinences en silence et servilement.

Ils parlent de solidarité euro-atlantique pour qualifier les ordres, les cris brutaux et insultants qu’ils adressent à leurs vassaux  ; ils parlent de noble recherche médicale pour qualifier le développement d’armes biologiques et les expérimentations sur des sujets vivants, notamment en Ukraine.

Ce sont bien leurs politiques dévastatrices, leurs guerres et leurs pillages qui ont provoqué le considérable essor des flux migratoires actuels. Des millions de personnes endurent les pires privations, les pires abus, et meurent par milliers en essayant de rejoindre l’Europe.

Aujourd’hui, ils exportent du blé d’Ukraine. Où va ce blé, sous le prétexte de «  garantir la sécurité alimentaire des pays les plus pauvres du monde  »  ? Où va-t-il  ? Tout va dans ces mêmes pays d’Europe. Seuls 5 % sont partis dans les pays pauvres. Voilà un nouvel exemple d’escroquerie et de mensonge éhonté.

Dans les faits, l’élite américaine se sert de la tragédie que vivent ces personnes pour affaiblir ses rivaux, pour détruire les États-nations. Cela vaut également pour l’Europe, pour l’identité de pays comme la France, l’Italie, l’Espagne, et d’autres nations à l’histoire multiséculaire.

Washington exige toujours plus de sanctions pour la Russie, et les politiciens européens, dans leur majorité, acceptent docilement. Ils ne saisissent pas bien que les États-Unis, en poussant l’Union Européenne à renoncer entièrement aux ressources russes, notamment énergétiques, sont en réalité en train de provoquer la désindustrialisation de l’Europe et de s’emparer du marché européen. Bien sûr, elles en ont conscience, ces élites européennes, elles en ont conscience mais préfèrent servir les intérêts d’une autre nation. Ce n’est même plus une marque de servilité, mais une véritable trahison de leurs propres peuples. Mais peu importe, c’est leur affaire.

Cependant, les sanctions ne suffisent plus aux Anglo-Saxons. Ils recourent maintenant au sabotage – cela semble incroyable, mais c’est un fait – en faisant sauter les gazoducs internationaux de «  Nord Stream  », qui passent au fond de la mer Baltique, ruinant du même coup l’infrastructure énergétique de l’Europe tout entière. Chacun sait qui en bénéficie. Et, bien sûr, ce sont ceux qui en bénéficient qui en sont responsables.

Le diktat américain est fondé sur la force brute, sur la loi du plus fort. Il est parfois joliment emballé, parfois sans fioriture, mais le fond est le même  : c’est la loi du plus fort. D’où le déploiement et l’entretien de centaines de bases militaires aux quatre coins du monde, l’expansion de l’OTAN et les tentatives de former de nouvelles alliances militaires comme l’AUKUS ou d’autres encore  : c’est ainsi qu’on cherche activement à créer une alliance militaire et politique entre Washington, Séoul et Tokyo. Tous les États qui possèdent ou aspirent à posséder une véritable souveraineté stratégique et qui sont en mesure de contester l’hégémonie occidentale sont automatiquement déclarés ennemis.

C’est sur ces mêmes principes que reposent les doctrines militaires des États-Unis et de l’OTAN, qui exigent une domination absolue. Les élites occidentales présentent leurs plans néocoloniaux d’une manière tout aussi hypocrite, en agitant des prétentions pacifistes, en parlant d’«  endiguement  », et ces mots-clefs sournois se retrouvent d’une stratégie à l’autre alors qu’en réalité ils ne signifient qu’une seule chose  : saper tous les centres de pouvoir souverains.

On nous a ainsi parlé de l’endiguement de la Russie, de la Chine, de l’Iran. J’imagine que d’autres pays d’Asie, d’Amérique Latine, d’Afrique, du Proche-Orient, ainsi que des partenaires et alliés actuels des États-Unis, sont les prochains sur la liste. Nous le savons bien  : lorsque quelque chose leur déplaît, ils sont prêts à imposer des sanctions à leurs propres alliés – tantôt à telle ou telle banque  ; tantôt à telle ou telle entreprise. C’est ainsi qu’ils agissent et qu’ils continueront d’agir. Le monde entier est dans leur ligne de mire, y compris nos voisins les plus proches, les pays de la Communauté des États Indépendants.

Dans le même temps, il est clair que l’Occident prend depuis longtemps ses désirs pour des réalités. En lançant une guerre-éclair de sanctions contre la Russie, ils s’imaginaient qu’ils pourraient une fois de plus mettre le monde entier à leurs pieds. Pourtant, il s’est avéré que cette perspective était loin d’enthousiasmer tout le monde – sauf les masochistes purs et durs et les praticiens d’autres formes non-traditionnelles de relations internationales. La plupart des États refusent ce «  salut au drapeau  » et optent plutôt pour des modalités raisonnables de coopération avec la Russie.

Par cette métaphore de sexualisation agressive des relations internationales, Vladimir Poutine entend une fois de plus dénoncer les identités de genre et les pratiques sexuelles qui ne correspondent pas au spectre de l’orthodoxie la plus traditionnelle.

L’Occident ne s’attendait pas à rencontrer une telle insubordination, tant il est habitué à agir par la force, le chantage, la corruption et l’intimidation, convaincu que ces méthodes fonctionneront toujours – comme s’il étaient figé, fossilisé dans le passé.

Cette confiance en soi est une conséquence directe de l’idée, tristement célèbre, bien qu’elle ne cesse pas d’étonner, de son propre exceptionnalisme, mais aussi de la véritable «  faim d’information  » qui sévit en Occident. Ils ont noyé la vérité dans un océan de mythes, d’illusions et de faux, en pratiquant une propagande extrêmement agressive, en mentant comme Goebbels. Plus le mensonge est gros, plus on y croit – c’est ainsi qu’ils fonctionnent, en suivant ce principe.

Mais on ne peut pas nourrir les populations avec des dollars et des euros imprimés sur des billets de banque. On ne peut pas les nourrir avec du papier-monnaie, on ne peut pas chauffer un foyer avec la capitalisation aussi virtuelle et que surévaluée des réseaux sociaux occidentaux. Tout ce dont je vous parle est de la plus haute importance, mais il faut insister sur ce dernier point. On ne peut nourrir personne avec du papier, il faut de la nourriture  ; ces capitalisations surévaluées ne peuvent chauffer personne, il faut de l’énergie.

C’est pourquoi les dirigeants européens en sont réduits à convaincre leurs concitoyens de manger moins, de se laver moins souvent, de s’habiller plus chaudement à la maison. Et ceux qui commencent à se poser les bonnes questions – «  Pourquoi en serait-il ainsi  ?  » – sont immédiatement déclarés ennemis, extrémistes et radicaux. Ils retournent la situation contre la Russie en disant  : «  Vous voyez, c’est la source de tous nos malheurs  ». Des mensonges, encore une fois.

Je voudrais tout particulièrement souligner qu’il y a toutes les raisons de croire que les élites occidentales n’ont pas l’intention de chercher des solutions constructives à la crise alimentaire et énergétique mondiale qui s’est déclarée par leur propre faute, en conséquence des politiques qu’ils mènent de longue date, bien avant notre opération spéciale en Ukraine, dans le Donbass. Ils n’ont aucune intention de résoudre les problèmes d’injustice et d’inégalité. On peut plutôt craindre qu’ils s’apprêtent à employer d’autres méthodes, qui leur sont plus familières.

Il convient de rappeler ici que l’Occident est sorti des contradictions du début du XXe siècle par la Première Guerre mondiale. Les gains de la Seconde Guerre mondiale ont permis aux États-Unis de surmonter enfin les conséquences de la Grande Dépression et de devenir la première économie mondiale, de soumettre la planète entière à la puissance du dollar en tant que monnaie de réserve globale. C’est largement en s’appropriant les restes et les ressources de l’Union soviétique en déliquescence que l’Occident a surmonté la crise qui s’est aggravée dans les années 1980. C’est un fait.

Désormais, pour sortir de ce nouveau nœud de contradictions, il leur faut à tout prix briser la Russie et les autres États qui choisissent une voie souveraine de développement, afin de piller de nouvelles richesses et de colmater ainsi leurs propres vides. Si cela ne se passe pas ainsi, je n’exclus pas l’idée qu’ils tentent de provoquer l’effondrement total du système pour se dédouaner de leurs responsabilités, ou encore, Dieu nous en garde, qu’ils décident d’employer une formule bien connue  : «  La guerre efface toutes les dettes  ».

La Russie a conscience de sa responsabilité envers la communauté mondiale et fera son possible pour ramener ces têtes brûlées à la raison.

À l’évidence, le modèle néocolonial actuel est condamné à disparaître. Mais, je le répète, ses maîtres réels s’y accrocheront jusqu’à la dernière seconde. Ils n’ont tout simplement rien à proposer au monde, si ce n’est la préservation de ce système de pillage et de racket.

En substance, ils crachent sur le droit naturel de milliards de personnes, la majeure partie de l’humanité, à la liberté et à la justice, ainsi qu’à la détermination de leur propre destinée. Ils en viennent maintenant à nier l’ensemble des normes morales, de la religion et de la famille.

Répondons ensemble à quelques questions très simples. Je veux revenir sur ce point, je veux m’adresser à tous les citoyens de notre pays – pas seulement aux collègues qui sont ici dans le public, mais à tous les citoyens russes – pour leur demander  : est-ce que nous voulons avoir, ici, dans ce pays, en Russie, au lieu d’une mère et d’un père, un «  parent numéro un  » et un «  parent numéro deux  » (ils sont devenus complètement dingues sur ce coup)  ? Est-ce que nous voulons que l’on enseigne dans nos écoles primaires des perversions qui conduisent à la dégradation et à l’extinction  ? Est-ce que nous voulons enseigner aux enfants qu’il n’existe pas que des femmes et des hommes, mais des soi-disant genres et qu’on leur propose des opérations de changement de sexe  ? Est-ce cela que nous voulons pour notre pays et pour nos enfants  ? Tout cela est tout simplement inacceptable pour nous. Nous avons notre propre avenir, et ce n’est pas celui-là.

Je le répète  : la dictature des élites occidentales vise toutes les sociétés, y compris les pays occidentaux eux-mêmes. C’est un défi adressé à tout le monde. Cette négation profonde de l’humanité, cette subversion de la foi et des valeurs traditionnelles, cet écrasement de la liberté prennent les traits d’une «  religion à l’envers  » – d’un satanisme pur et simple. Dans le sermon sur la montagne, Jésus Christ, dénonçant les faux prophètes, dit  : «  C’est dont à leurs fruits que vous les reconnaîtrez  ». Et beaucoup savent bien que ces fruits sont empoisonnés, non seulement chez nous, mais dans tous les pays, y compris en Occident.

Le monde est entré dans une période de transformations fondamentales, révolutionnaires. De nouvelles puissances émergent. Elles représentent la majorité – la majorité  ! – de la communauté mondiale et sont prêtes non seulement à proclamer leurs intérêts, mais à les défendre. Elles voient dans la multipolarité un moyen de renforcer leur souveraineté et ainsi de conquérir la liberté véritable, une perspective historique, leur droit au développement indépendant, créatif, original, à un développement harmonieux.

Dans le monde entier, y compris en Europe et aux États-Unis, comme je l’ai déjà souligné, de nombreuses personnes partagent nos idées et nous ressentons, nous voyons leur soutien. Au sein des pays et des sociétés les plus variés se dessine déjà un mouvement de libération anticolonial contre l’hégémonie unipolaire, et sa force ne fera que croître. C’est cette force qui déterminera le futur des réalités géopolitiques.

Chers amis,

Aujourd’hui, nous combattons pour un futur juste et libre, avant tout pour nous-mêmes, pour la Russie, pour que la dictature et le despotisme deviennent à jamais un souvenir du passé. Ma conviction est que les nations et les peuples comprennent à quel point une politique fondée sur l’exceptionnalisme, sur la suppression des autres cultures et des autres peuples, est fondamentalement criminelle, que cette page honteuse de l’histoire ne demande qu’à être tournée. L’effondrement de l’hégémonie occidentale est en cours. Il est irréversible. Je le répète  : les choses ne seront plus comme avant.

Le champ de bataille sur lequel nous ont convoqués le destin et l’histoire est un champ de bataille pour notre peuple, pour la grande Russie historique. (Applaudissements.) Pour une grande Russie historique, pour les générations futures, pour nos enfants, nos petits-enfants et nos arrière-petits-enfants. Nous devons les préserver de l’asservissement, des expérimentations monstrueuses qui veulent estropier leurs consciences et leurs âmes.

Aujourd’hui, nous combattons pour que personne ne pense plus jamais que la Russie, notre peuple, notre langue, notre culture, puissent être rayés de l’histoire. Aujourd’hui, nous devons consolider notre société et cette solidarité ne pourra reposer que sur la souveraineté, la liberté, la création et la justice. Nos valeurs sont l’humanité, la miséricorde et la compassion.

Et je voudrais conclure cette allocution sur les mots d’un véritable patriote, Ivan Aleksandrovič Il’in  : «  Si je considère la Russie comme ma patrie, cela signifie que j’aime, que je contemple et que je pense comme un Russe, que je chante et que je parle comme un Russe  ; que je crois aux forces spirituelles du peuple russe. Son esprit est mon esprit  ; sa destinée est ma destinée  ; sa souffrance est ma souffrance  ; sa prospérité est ma joie  ».

Sans être originale, sa citation d’un extrait ampoulé d’Ivan Ilyin, émigré russe de l’entre-deux-guerres aux idées antisémites, attiré par le fascisme et la révolution conservatrice, confirme, s’il en était besoin, l’orientation résolument réactionnaire du discours.

Dans ces mots, on retrouve le grand chemin spirituel que de nombreuses générations de nos ancêtres ont emprunté pendant plus d’un millénaire d’existence de l’État russe. Aujourd’hui, c’est nous qui empruntons ce chemin, ce sont les habitants des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, des districts de Zaporojie et de Kherson qui ont fait ce choix. Ils ont pris la décision de vivre avec leur propre peuple, avec leur patrie, de s’associer à son destin et de vaincre avec elle.

La victoire est avec nous, la Russie est avec nous  !

COMPLEMENT:

La guerre mondiale de Poutine

Le discours de Vladimir Poutine du vendredi 30 septembre inaugure une nouvelle phase du conflit. Fidèle à sa stratégie de la « désescalade par l’escalade », la Russie annexe des territoires, étend le domaine de la guerre et précise les termes de sa menace. Il faut le lire attentivement pour comprendre comment Poutine entend transformer la guerre régionale qu’il a déclenchée en conflit mondial.

Guillaume Lancereau

Le Grand Continent

01.10.2022

Comme on pouvait le redouter, Vladimir Poutine a annoncé ce vendredi 30 septembre l’incorporation à la Fédération de Russie de quatre régions ukrainiennes : celles de Donetsk et de Lougansk, ainsi que les districts de Kherson et Zaporojie. Tout l’annonçait : la veille encore, dans la nuit, le président russe avait reconnu la souveraineté et l’indépendance des régions de Kherson et Zaporojie, les arrachant ainsi à l’Ukraine pour mieux les enchaîner à la Russie.

Comme cela avait été le cas en 2014, lorsque Vladimir Poutine avait voulu officialiser l’annexion de la Crimée, la mise en scène de cette nouvelle proclamation a eu lieu, entre décorum d’État et simulacre de légalité, dans le salon Georgievskij du Kremlin, devant un parterre de députés, de ministres et de représentants religieux. Ce public a pu suivre le long discours du président russe, dont nous proposons ci-dessous la première traduction intégrale en français, encadré par quatre drapeaux de la Fédération de Russie à sa gauche et, à sa droite, par les quatre drapeaux des territoires ukrainiens concernés. Au terme de ce discours, l’accord a été signé, à la suite de Vladimir Poutine, par des « représentants » de ces quatre territoires  : Vladimir Sal’do et Evgenij Balickij pour Kherson et Zaporojie  ; Denis Pušilin et Leonid Pasečnik pour les républiques populaires autoproclamées de Donetsk et Lougansk.

Cette journée a inauguré une nouvelle phase du conflit. Après les annonces de Vladimir Poutine, l’horizon qui se découvre est celui d’une nouvelle escalade, dont le seul résultat certain est l’incertitude. Pour en saisir les enjeux essentiels, il faut tenir compte avant tout de la récente contre-attaque ukrainienne, à laquelle la Russie s’est révélée incapable d’opposer les ressources et les forces nécessaires. La récente mobilisation, qui n’a de «  partielle  » que le nom, a été décidée bien après celle de l’Ukraine qui a, elle, mobilisé officiellement dès le 23 février, mais en réalité dès le mois de décembre 2021. Cette mobilisation russe ne saurait, de surcroît, produire des effets décisifs à court terme, vu l’incompressibilité des délais de formation d’une partie des recrues. Pour sortir de cette impasse, le pouvoir russe s’est, semble-t-il, inspiré des réflexions des stratèges soviétiques et russes qui, depuis les années 1980, ont développé une véritable doctrine de la dissuasion1. Cette doctrine conçue pour lutter contre un ennemi plus puissant et mieux armé a acquis une actualité renouvelée désormais que la Russie se considère en conflit, non avec la seule Ukraine, mais avec les États-Unis et l’OTAN. Dans un contexte militaire de ce type, cette logique prescrit de cibler moins la capacité militaire de l’ennemi que sa volonté même de poursuivre le combat. Sachant que les forces russes ne vaincront pas sur le terrain, il ne leur reste qu’à passer l’envie à l’adversaire de continuer la lutte, afin d’arracher, sinon la victoire, du moins une paix dans des conditions favorables.

Dès lors, la surenchère est l’arme de choix du pouvoir russe. En proclamant l’annexion de Donetsk, Kherson, Lougansk et Zaporojie, celui-ci se donne les moyens de considérer toute opération militaire sur ces territoires comme une atteinte à la souveraineté de la Fédération de Russie – quoi qu’en disent les puissances étrangères, le Conseil de sécurité de l’ONU ou le droit international. Or Vladimir Poutine a promis de défendre cette souveraineté du territoire russe par tous les moyens possibles. L’une des conditions de possibilité de sa stratégie de surenchère était, est et restera la menace nucléaire. L’ancienne chancelière allemande Angela Merkel, dans une interview au Süddeutsche Zeitung, a récemment exhorté les Européens à prendre au sérieux le chantage nucléaire de Vladimir Poutine. Les États-Unis ne signalent pas autre chose lorsque leurs services de renseignement renforcent la surveillance des mouvements ou communications militaires qui pourraient trahir les préparatifs d’une frappe nucléaire sur le territoire ukrainien, en confessant eux-mêmes que l’armée états-unienne n’en aurait sans doute connaissance que trop tard2.

De fait, la doctrine russe de la «  désescalade par l’escalade  » (ėskalacija dlja deėskalacii) nucléaire est au point depuis des années. Dans son discours du 21 septembre, le président russe prévenait qu’il n’excluait pas l’usage de l’arme nucléaire si « la souveraineté, la sécurité et l’intégrité territoriale » de la Russie étaient en péril. Le lendemain, Dmitrij Medvedev, vice-président du Conseil de sécurité russe, précisait à son tour que « tous les types d’armes russes, y compris les armes nucléaires stratégiques », pouvaient être mis en œuvre pour défendre le territoire de la Russie et ceux qu’elle annexerait au lendemain des référendums. Aujourd’hui encore, la menace nucléaire était encore présente en trame de fond, lorsque Vladimir Poutine évoque les « précédents » posés par l’Occident lui-même à Hiroshima et Nagasaki. Notons cependant que le régime russe envisage d’autres moyens de pression. Parmi les menaces que laisse planer son discours, il faut souligner celle d’une coupure totale des livraisons de gaz. La volonté d’intimider est claire, lorsque le président russe souligne que les billets de banque et les capitalisations boursières ne nourrissent pas les populations ni ne chauffent leurs foyers  : le risque d’un hiver terrible, énergétiquement et économiquement, se précise.

Tout l’enjeu consiste désormais à savoir quelles seront les conséquences de ce discours, à la suite duquel Volodymyr Zelensky a annoncé la demande officielle d’adhésion accélérée de l’Ukraine à l’OTAN.

Citoyens de Russie, citoyens des républiques populaires de Donetsk et Lougansk, habitants des districts de Zaporojie et Kherson, députés de la Douma d’État, sénateurs de la Fédération de Russie,

Comme vous le savez, des référendums ont eu lieu dans les républiques populaires de Donetsk et Lougansk ainsi que dans les districts de Zaporojie et Kherson. Les bulletins ont été décomptés, les résultats ont été annoncés. Le peuple a fait son choix, un choix univoque.

Nous signons aujourd’hui les accords relatifs à l’admission de la République populaire de Donetsk, de la République populaire de Lougansk, du district de Zaporojie et du district de Kherson au sein de la Fédération de Russie. Je suis certain que l’Assemblée fédérale confirmera les lois constitutionnelles sur l’intégration et la formation en Russie de quatre nouvelles régions, quatre nouvelles entités de la Fédération de Russie, parce que telle est la volonté de millions de personnes. (Applaudissements.)

Cette annonce est le résultat d’un processus complexe et longtemps incertain. Depuis des mois, le pouvoir russe s’est efforcé de s’ancrer administrativement dans ces régions occupées. D’après une enquête du média Proekt, les citoyens russes représentent 92 % des 36 personnes nommées dans les gouvernements de ces quatre régions depuis l’occupation. On compte ainsi 20 % de Russes parmi les dirigeants de la République populaire autoproclamée de Lougansk, 40 % chez ceux de Donetsk, jusqu’à 75 % du gouvernement du district de Kherson et 100 % de celui de Zaporojie3. Malgré tout, au cours de ces derniers mois, les autorités russes semblent avoir hésité à organiser les référendums qu’elles voulaient originellement planifier en avril, puis en mai, avant de les reporter à septembre, novembre, et enfin «  indéfiniment  ».

 Soudainement, en l’espace de quelques jours, tout s’est accéléré ces dernières semaines. Ce qui ne devait plus être qu’un horizon lointain est devenu un impératif de toute urgence. Aussi les référendums ont-ils commencé le vendredi 23 septembre dans ces régions qui représentent environ 15 % de l’ensemble du territoire ukrainien et plus de 6 millions d’habitants avant la guerre. Les observateurs internationaux ignorent le nombre réel de votants, d’autant plus que certaines zones ont été tout à fait dépeuplées. Selon le maire de Melitopol’ Ivan Fëdorov, il ne reste plus aujourd’hui que 60 000 des 150 000 habitants que comptait sa ville au début de l’année. On connaît par ailleurs l’exemple frappant de ce village de Novotoškovskoe, à soixante kilomètres de Lougansk, où il ne restait plus, en ce mois de septembre, que dix habitants sur les 2 000 personnes qui y résidaient avant la guerre4.

Sans aucun doute, c’est là leur droit, leur droit inaliénable, inscrit dans l’article premier de la Charte des Nations Unies, qui énonce explicitement le principe de l’égalité des droits et de l’autodétermination des peuples.

Je le répète  : il s’agit d’un droit inaliénable des peuples. Ce droit se fonde sur l’unité historique qui a porté à la victoire des générations entières de nos prédécesseurs, ceux qui édifié et défendu la Russie durant de nombreux siècles, depuis les origines de l’ancienne Rus’.

C’est ici, en Novorossija, qu’ont lutté Rumjancev, Suvorov et Ušakov. C’est ici que Catherine II et Potëmkin ont fondé de nouvelles villes. C’est ici que nos grands-pères et arrière-grands-pères se sont battus jusqu’à la mort pendant la Seconde Guerre mondiale.

Les trois noms énumérés sont ceux d’un maréchal, d’un généralissime et d’un amiral au service de l’Empire Russe entre le milieu du XVIIIe et le début du XIXe siècle.

Nous n’oublierons jamais les héros du «  Printemps Russe  », ceux qui ont refusé le coup d’État néonazi dans l’Ukraine de 2014, ceux qui ont perdu la vie pour le droit de parler leur langue, de conserver leur culture, leurs traditions, leur foi, pour le droit même de vivre. Nous n’oublierons jamais les combattants du Donbass, les martyrs de la «  Khatyn d’Odessa  », les victimes des attentats inhumains orchestrés par le régime de Kiev. Nous commémorons les volontaires et les miliciens, les civils, les enfants, les femmes, les vieillards, les Russes, les Ukrainiens, des gens des nationalités les plus diverses  : à Donetsk, le meneur d’hommes Aleksandr Zakharčenko  ; les commandants militaires Arsen Pavlov et Vladimir Žoga, Ol’ga Kočura et Aleksei Mozgovoj  ; le procureur de la République de Lougansk Sergej Gorenko  ; le parachutiste Nurmagomed Gadžimagomedov et tous les soldats et les officiers qui sont morts de la mort des braves pendant l’opération militaire spéciale. Ce sont des héros. (Applaudissements) Les héros de la Grande Russie. Je vous demande d’observer une minute de silence en leur mémoire.

(Minute de silence)

Le président russe fait ici une double référence  : aux massacres de Khatyn commis par les nazis en Biélorussie en 1943 et au drame de l’incendie de la Maison des Syndicats à Odessa en 2014. Par ce rapprochement, il s’agit pour Vladimir Poutine, comme à son habitude, de dénoncer le régime de Kiev comme le successeur des massacreurs nazis.

Merci.

Derrière ce choix de millions d’habitants des Républiques populaires de Donetsk et Lougansk, des districts de Zaporojie et Kherson, se lisent à la fois notre futur commun et notre histoire millénaire. Les populations ont transmis ce lien spirituel à leurs enfants et leurs petits-enfants. Malgré toutes les épreuves, ils ont transmis leur amour de la Russie à travers les âges. Personne ne pourra détruire ce sentiment qui nous habite. C’est la raison pour laquelle les anciennes générations et les plus jeunes, ceux qui sont nés après l’effondrement tragique de l’URSS, ont voté d’une seule voix pour notre unité, pour notre avenir commun.

En 1991, à Belovežskaja Pušča, sans aucune considération pour la volonté des citoyens ordinaires, les représentants de l’élite du parti de l’époque ont pris la décision de dissoudre l’URSS. Du jour au lendemain, les gens se sont retrouvés arrachés à leur patrie. Notre communauté nationale a été déchirée, démantelée à vif, ce qui s’est soldé par une catastrophe nationale. Tout comme les gouvernements avaient, en coulisse, délimité les frontières des républiques soviétiques après la Révolution de 1917, les derniers dirigeants de l’Union Soviétique ont déchiré notre grand pays, ont placé le peuple devant le fait accompli, au mépris du souhait exprimé par la majorité lors du référendum de 1991.

J’imagine qu’ils n’ont pas eu entièrement conscience de ce qu’ils étaient en train de faire et des conséquences qu’auraient inévitablement leurs actions. Mais cela n’a plus d’importance. Il n’y a plus d’Union soviétique et on ne fera pas revivre le passé. Ce n’est pas ce dont la Russie a besoin aujourd’hui, ce n’est pas ce à quoi nous aspirons. Mais il n’y a rien de plus fort que la détermination de millions de personnes qui, par leur culture, leur foi, leurs traditions, leur langue, se sentent faire partie de la Russie et dont les ancêtres ont vécu durant des siècles au sein d’un même État. Il n’y a rien de plus puissant que leur résolution à retrouver leur véritable patrie historique.

Pendant huit longues années, les habitants du Donbass ont été soumis au génocide, aux bombardements, au blocus. À Kherson et Zaporojie, une politique criminelle a tout fait pour diffuser la haine de la Russie et de tout ce qui est russe. Désormais, y compris pendant les référendums, le régime de Kiev a menacé de représailles et de mort les enseignants et les femmes qui officiaient dans les commissions électorales, intimidant des millions de personnes venues exprimer leur volonté. Mais le peuple irréductible du Donbass, de Zaporojie et de Kherson s’est prononcé.

Je veux que les autorités de Kiev et leurs véritables suzerains occidentaux m’entendent et se souviennent de ceci  : les habitants de Lougansk et de Donetsk, de Kherson et de Zaporojie, sont devenus nos concitoyens, à jamais. (Applaudissements.)

Ces pseudo-consultations se sont déroulées dans les conditions les plus suspectes. Des adolescents âgés de 13 à 17 ans ont été appelés à s’exprimer  ; des votants ont été forcées à signer pour des parents éloignés  ; des citoyens ont dû voter par peur de perdre leur emploi ou sous la pression de membres des commissions électorales qui se présentaient à leur domicile accompagnés d’une escorte en armes. D’autre part, une portion variable de la population masculine s’est gardée d’aller voter, craignant que l’on s’empare de cette occasion pour les envoyer au combat en première ligne.

Quoi qu’il en soit, ce mardi 27 septembre ont été révélés à Moscou les résultats de cette consultation à valeur d’affligeant plébiscite, dont les chiffres viennent plus assurément d’un dossier élaboré au Kremlin que d’un décompte réel des voix. Le «  oui  » vainc sans péril, dans des proportions comprises entre 87 % dans le district de Kherson et 99 % dans la République populaire (autoproclamée) de Donetsk. Ils ont été immédiatement suivis d’une série d’annonces. Du côté des dirigeants des républiques populaires du Donbass, Denis Pušilin a averti que cette intégration de Donetsk à la Fédération de Russie inaugurait «  une nouvelle étape dans la conduite des hostilités  ». Leonid Pasečnik, pour sa part, a prononcé une allocution télévisuelle dans laquelle il demandait au président Vladimir Poutine de prendre acte du rattachement de la République populaire de Lougansk à la Russie et soulignait «  les liens historique, culturels et spirituels avec le peuple multinational de la Fédération de Russie  ».

Nous appelons le régime de Kiev à un cessez-le-feu immédiat, à mettre fin à cette guerre qu’il a déclenchée en 2014 et à revenir à la table des négociations. Nous y sommes prêts, comme nous l’avons signalé à de nombreuses reprises. En revanche, la décision des peuples de Donetsk, Lougansk, Zaporojie et Kherson n’est pas discutable. Leur décision a été prise et la Russie ne la trahira pas. (Applaudissements.) Les autorités actuelles de Kiev doivent traiter cette libre expression de la volonté d’un peuple avec respect, et pas autrement. C’est le seul chemin possible vers la paix.

Nous défendrons notre terre avec toutes nos forces et par tous les moyens à notre disposition. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour garantir la sécurité de nos concitoyens. Telle est la grande mission libératrice de notre nation.

Nous nous engageons à reconstruire les villes et les villages détruits, les logements, les écoles, les hôpitaux, les théâtres et les musées, à restaurer et développer les entreprises industrielles, les usines, les infrastructures, les systèmes de protection sociale, de retraite, de santé et d’éducation.

Nous allons bien sûr travailler au renforcement de la sécurité. Ensemble, nous veillerons à ce que les citoyens des nouvelles régions russes se sentent soutenus par l’ensemble du peuple russe, par l’intégralité du pays, des républiques, des provinces et des districts de notre vaste patrie (Applaudissements.)

Chers amis, chers collègues,

Je veux m’adresser aujourd’hui aux soldats et aux officiers qui participent à l’opération militaire spéciale, aux combattants du Donbass et de Novorossija, à tous ceux qui, après le décret de mobilisation partielle, ont rejoint les rangs de nos forces armées, accomplissant ainsi leur devoir patriotique, tous ceux qui répondent aux injonctions de leur cœur et se rendent aux bureaux de recrutement militaire. Je veux m’adresser à eux, à leur famille, à leurs épouses et à leurs enfants pour leur dire contre qui, contre quel genre d’ennemi notre peuple se bat, pour leur dire qui précipite le monde dans de nouvelles guerres et de nouvelles crises, retirant un profit sanglant de toute cette tragédie.

Nos compatriotes, nos frères et nos sœurs d’Ukraine, cette partie intégrante de notre nation unie, ont vu de leurs propres yeux le sort que les sphères dirigeantes du soi-disant Occident réservent à l’humanité entière. Ici, elles ont enfin tombé les masques et révélé leur vraie nature.

Contrairement à ce que l’on pouvait en attendre, Vladimir Poutine n’a consacré que quelques minutes de son nouveau discours-fleuve à la question de la guerre en Ukraine. L’essentiel de son propos s’est en réalité concentré sur une mise en procès agressive et caricaturale de l’«  Occident collectif  », aux accents tiers-mondistes tout droit venus des années 1960-1970. Ce qui devait être une cérémonie à caractère politique et stratégique s’est ainsi transformé en improbable leçon d’histoire, voire de théologie, qui a laissé pantois la plupart de celles et ceux qui le commentaient en direct. Tout en se défendant de vouloir faire revivre l’Union soviétique, tel est bien l’exercice rhétorique auquel s’emploie Vladimir Poutine, en évoquant la «  tragédie  » de son démantèlement et en dépeignant l’Occident comme une puissance obscure et manipulatrice, usant de la ruse et de l’argent pour imposer son hégémonie sur toute la surface du globe sous la forme du néocolonialisme le plus brutal.

Après la chute de l’Union soviétique, l’Occident a décidé que le monde entier, que chacun de nous devait supporter à jamais ses diktats. En 1991, l’Occident s’imaginait que la Russie ne se relèverait jamais de ces bouleversements et s’effondrerait d’elle-même. Ils y ont presque réussi. Nous gardons en mémoire les années 1990, ces années terribles, de faim, de froid et de désespoir. Mais la Russie a survécu. Elle renaît, se renforce, réclame à nouveau la place qui lui revient dans le monde.

Pendant ce temps, l’Occident a continué de rechercher de nouvelles occasions de nous frapper, d’affaiblir et d’écraser la Russie, comme il a toujours rêvé de le faire, de fragmenter notre État, de dresser nos peuples les uns contre les autres, de les condamner à la misère et à l’extinction. Ils ne seront pas en paix tant qu’il existera un pays si grand, si considérable, avec son territoire, ses richesses naturelles, ses ressources, son peuple qui ne sait pas et ne saura jamais vivre sous les ordres de quelqu’un d’autre.

L’Occident est prêt à tout pour conserver ce système néocolonial qui lui permet de parasiter, de dépouiller le monde grâce à la puissance du dollar et de la technologie, de percevoir un véritable tribut de l’humanité tout entière, de jouir de la principale source de richesse indue  : la rente de l’hégémon. La préservation de cette rente est leur principale motivation, leur motivation réelle, fruit de la pure avidité. C’est la raison pour laquelle ils ont intérêt à la dé-souverainisation systématique. Ainsi s’expliquent leurs agressions d’États indépendants, de valeurs traditionnelles et de cultures authentiques, leurs tentatives de saper les processus internationaux et interrégionaux, les nouvelles monnaies globales et les nouveaux pôles de développement technologique qui échappent à leur contrôle. Il est capital pour eux que tous les États abandonnent leur souveraineté au profit des États-Unis.

Dans certains États, les élites dirigeantes acceptent délibérément de s’y plier, de se laisser vassaliser  ; d’autres y sont réduites par la corruption ou l’intimidation. En cas d’échec, elles n’hésitent pas à détruire des États entiers, ne laissant derrière eux que des catastrophes humanitaires, des désastres, des ruines, des millions de destins humains détruits ou mutilés, des enclaves terroristes, des zones socialement dévastées, des protectorats, des colonies ou des semi-colonies. Peu leur importe, tant qu’ils en retirent du profit.

Je veux souligner une fois encore que ce sont leur cupidité insatiable et leur désir de maintenir leur pouvoir illimité qui sont la véritable raison de cette guerre hybride que l’«  Occident collectif  » mène contre la Russie. Ils ne veulent pas nous voir libres  ; ils rêvent que nous soyons une colonie. Ils ne veulent pas collaborer sur un pied d’égalité  ; ils rêvent de pillage. Ils ne veulent pas que nous soyons une société libre, mais une foule d’esclaves sans âme.

Ils voient notre pensée et notre philosophie comme une menace directe  : c’est pourquoi ils s’en prennent à nos philosophes. Ils pensent que notre culture et notre art représentent un péril pour eux  : c’est pourquoi ils s’efforcent de les interdire. Notre développement et notre prospérité les menacent également, parce que la concurrence s’intensifie. Ils n’ont pas besoin de la Russie, c’est nous qui en avons besoin. (Applaudissements.)

Je tiens à rappeler que, par le passé, les rêves de domination mondiale ont été brisés plus d’une foi par le courage et la résilience de notre peuple. La Russie sera toujours la Russie. Nous défendrons toujours nos valeurs et notre patrie.

L’Occident mise sur son impunité, sur sa capacité à tout se permettre. De fait, tel a été le cas jusqu’à présent. Les accords de sécurité stratégique ont filé droit à la poubelle  ; les conventions conclues au plus haut niveau politique ont été déclarées fictives  ; les promesses les plus fermes de ne pas étendre l’OTAN vers l’Est, arrachées fut un temps par nos anciens dirigeants, se sont révélées un mensonge immonde  ; les traités sur les forces nucléaires à portée intermédiaire ont été unilatéralement abrogés sous des prétextes fantaisistes.

Mais de tous les côtés, on n’entend que  : «  L’Occident incarne l’état de droit, fondé sur des règles  ». D’où viennent-elles  ? Qui en a jamais vu la couleur  ? Qui y a consenti  ? Écoutez, ce ne sont que des absurdités, un mensonge absolu, des doubles ou des triples standards. Ils doivent nous prendre pour des imbéciles.

La Russie est une grande puissance millénaire, un pays-civilisation qui ne vivra jamais sous le joug de ces règles truquées, faussées.

C’est bien le soi-disant Occident qui a piétiné le principe de l’inviolabilité des frontières et qui décide maintenant, selon son bon vouloir, qui a le droit à l’autodétermination et qui ne l’a pas, qui en est digne et qui ne l’est pas. On ignore à quel titre ils agissent ainsi, qui leur en a donné le droit, sinon eux-mêmes.

C’est pourquoi le choix des habitants de Crimée, de Sébastopol, de Donetsk, de Lougansk, de Zaporojie et de Kherson les rend fous de rage. L’Occident n’a aucun droit moral à distribuer les bons points, ni à prononcer le moindre mot sur la liberté de la démocratie. Ils ne l’a pas et il ne l’a jamais eu.

Les élites occidentales ne se contentent pas de nier souveraineté des nations et le droit international. Leur hégémonie présente clairement les traits d’un totalitarisme, d’un despotisme, d’un apartheid. Avec insolence, ils divisent le monde entre, d’un côté, leurs vassaux, les pays soi-disant civilisés, et de l’autre le reste de la planète, ceux que des racistes occidentaux voudraient inscrire sur la liste des barbares et des sauvages. Des étiquettes mensongères comme «  État voyou  » ou «  régime autoritaire  » sont assignées pour stigmatiser des peuples et des États entiers, ce qui n’est pas nouveau. Il n’y a rien de nouveau là-dedans, parce que les élites occidentales sont restées ce qu’elles étaient  : colonialistes. Elles discriminent et divisent les peuples entre la «  première classe  » et «  le reste  ».

Nous n’avons jamais souscrit et ne souscrirons jamais à ces formes de nationalisme politique et de racisme. Est-ce autre chose que du racisme qui, sous la forme de la russophobie, se répand aujourd’hui dans le monde entier  ? Que peut bien être, sinon du racisme, cette conviction inébranlable de l’Occident que sa civilisation et sa culture néolibérale sont le modèle indépassable pour le reste du monde  ? «  Qui n’est pas avec nous est contre nous  ». Ça sonne même étrangement.

Il n’est pas jusqu’à la responsabilité de leurs propres crimes historiques que les élites occidentales rejettent sur les autres, exigeant à la fois de leurs citoyens et des autres peuples qu’ils se repentent de ce à quoi ils n’ont jamais contribué, par exemple, la période des conquêtes coloniales.

Il est bon de rappeler à l’Occident qu’il a commencé sa politique coloniale dès l’époque du Moyen Âge, avant que se développe la traite mondiale des esclaves, le génocide des tribus indiennes en Amérique, le pillage de l’Inde, de l’Afrique, les guerres de l’Angleterre et de la France contre la Chine, qui l’ont obligée à ouvrir ses ports au commerce de l’opium. Ce qu’ils ont fait, c’était de rendre des peuples entiers accros aux drogues, d’exterminer délibérément des groupes ethniques entiers pour leurs terres et leurs ressources, de pratiquer une véritable chasse à l’homme, comme on chasse des bêtes. Tout cela est contraire à la nature même de l’humain, à la vérité, à la liberté et à la justice.

Pour notre part, nous sommes fiers qu’au XXe siècle, ce soit précisément notre pays qui ait pris la tête du mouvement anticolonial, lequel a offert à de nombreux peuples du monde la possibilité de se développer, de réduire la misère et les inégalités, de vaincre la faim et les maladies.

Je tiens à souligner que l’un des motifs de la russophobie pluriséculaire, de l’évidente animosité de ces élites occidentales vis-à-vis de la Russie, vient justement du fait que nous ayons refusé de nous laisser dépouiller à l’époque de la conquête coloniale et que nous ayons forcé les Européens à commercer avec nous pour notre bénéfice mutuel. Nous y sommes parvenus grâce à la création en Russie d’un État centralisé, qui s’est développé et consolidé à partir des hautes valeurs morales de l’orthodoxie, de l’islam, du judaïsme et du bouddhisme, mais aussi d’une culture et d’une langue russes ouvertes à tous.

D’innombrables plans d’invasion de la Russie ont été échafaudés. On a tenté de profiter du temps des troubles du début du XVIIe siècle et des bouleversements qui ont suivi la Révolution de 1917, mais sans succès. Ce n’est qu’à la fin du XXe siècle, lorsque cet État s’est effondré, qu’ils ont finalement réussi à mettre la main sur les richesses de la Russie. Ils nous qualifiaient alors d’amis et de partenaires mais, dans les faits, ils nous traitaient comme une colonie  : des milliers de milliards de dollars ont été siphonnés du pays par toutes sortes de machinations. Nous nous souvenons de tout cela, nous n’avons rien oublié.

Et il y a quelques jours, les habitants de Donetsk et Lougansk, de Kherson et de Zaporojie, se sont exprimés pour restaurer notre unité historique. Merci  ! (Applaudissements.)

Les pays occidentaux clament depuis des siècles qu’ils apportent la liberté et la démocratie aux autres nations. C’est exactement le contraire. Au lieu de la démocratie, ils apportent la répression et l’exploitation  ; au lieu de la liberté, l’asservissement et l’oppression. L’ordre mondial unipolaire est intrinsèquement anti-démocratique et non-libre, menteur et hypocrite de bout en bout.

Les États-Unis sont le seul pays du monde à avoir fait usage par deux fois de l’arme nucléaire, lorsqu’ils ont détruit les villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki. D’ailleurs, en agissant ainsi, ils ont créé un précédent.

Je rappelle que les États-Unis, avec l’aide des Britanniques, ont réduit à l’état de ruines Dresde, Hambourg, Cologne et nombre d’autres villes allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale sans aucune nécessité militaire  : ils l’ont fait ostensiblement et, je le répète, sans aucune nécessité militaire. Leur unique objectif, comme dans le cas des bombardements nucléaires au Japon, était d’intimider notre pays et le reste du monde.

Les États-Unis ont laissé une trace épouvantable dans la mémoire des peuples de Corée et du Vietnam par leurs «  tapis de bombes  » barbares, l’usage du napalm et des armes chimiques.

Aujourd’hui encore, ils occupent encore de facto l’Allemagne, le Japon, la République de Corée et encore d’autres pays, tout en les appelant cyniquement des égaux et des alliés. Écoutez, je me demande bien de quel genre d’alliance il peut s’agir. Le monde entier sait que les dirigeants de ces pays sont espionnés, que leurs chefs d’État sont mis sur écoute non seulement à leur bureau, mais à leur domicile. C’est une véritable honte. Une honte pour ceux qui agissent ainsi et une honte pour ceux qui, comme des esclaves, avalent ces impertinences en silence et servilement.

Ils parlent de solidarité euro-atlantique pour qualifier les ordres, les cris brutaux et insultants qu’ils adressent à leurs vassaux  ; ils parlent de noble recherche médicale pour qualifier le développement d’armes biologiques et les expérimentations sur des sujets vivants, notamment en Ukraine.

Ce sont bien leurs politiques dévastatrices, leurs guerres et leurs pillages qui ont provoqué le considérable essor des flux migratoires actuels. Des millions de personnes endurent les pires privations, les pires abus, et meurent par milliers en essayant de rejoindre l’Europe.

Aujourd’hui, ils exportent du blé d’Ukraine. Où va ce blé, sous le prétexte de «  garantir la sécurité alimentaire des pays les plus pauvres du monde  »  ? Où va-t-il  ? Tout va dans ces mêmes pays d’Europe. Seuls 5 % sont partis dans les pays pauvres. Voilà un nouvel exemple d’escroquerie et de mensonge éhonté.

Dans les faits, l’élite américaine se sert de la tragédie que vivent ces personnes pour affaiblir ses rivaux, pour détruire les États-nations. Cela vaut également pour l’Europe, pour l’identité de pays comme la France, l’Italie, l’Espagne, et d’autres nations à l’histoire multiséculaire.

Washington exige toujours plus de sanctions pour la Russie, et les politiciens européens, dans leur majorité, acceptent docilement. Ils ne saisissent pas bien que les États-Unis, en poussant l’Union Européenne à renoncer entièrement aux ressources russes, notamment énergétiques, sont en réalité en train de provoquer la désindustrialisation de l’Europe et de s’emparer du marché européen. Bien sûr, elles en ont conscience, ces élites européennes, elles en ont conscience mais préfèrent servir les intérêts d’une autre nation. Ce n’est même plus une marque de servilité, mais une véritable trahison de leurs propres peuples. Mais peu importe, c’est leur affaire.

Cependant, les sanctions ne suffisent plus aux Anglo-Saxons. Ils recourent maintenant au sabotage – cela semble incroyable, mais c’est un fait – en faisant sauter les gazoducs internationaux de «  Nord Stream  », qui passent au fond de la mer Baltique, ruinant du même coup l’infrastructure énergétique de l’Europe tout entière. Chacun sait qui en bénéficie. Et, bien sûr, ce sont ceux qui en bénéficient qui en sont responsables.

Le diktat américain est fondé sur la force brute, sur la loi du plus fort. Il est parfois joliment emballé, parfois sans fioriture, mais le fond est le même  : c’est la loi du plus fort. D’où le déploiement et l’entretien de centaines de bases militaires aux quatre coins du monde, l’expansion de l’OTAN et les tentatives de former de nouvelles alliances militaires comme l’AUKUS ou d’autres encore  : c’est ainsi qu’on cherche activement à créer une alliance militaire et politique entre Washington, Séoul et Tokyo. Tous les États qui possèdent ou aspirent à posséder une véritable souveraineté stratégique et qui sont en mesure de contester l’hégémonie occidentale sont automatiquement déclarés ennemis.

C’est sur ces mêmes principes que reposent les doctrines militaires des États-Unis et de l’OTAN, qui exigent une domination absolue. Les élites occidentales présentent leurs plans néocoloniaux d’une manière tout aussi hypocrite, en agitant des prétentions pacifistes, en parlant d’«  endiguement  », et ces mots-clefs sournois se retrouvent d’une stratégie à l’autre alors qu’en réalité ils ne signifient qu’une seule chose  : saper tous les centres de pouvoir souverains.

On nous a ainsi parlé de l’endiguement de la Russie, de la Chine, de l’Iran. J’imagine que d’autres pays d’Asie, d’Amérique Latine, d’Afrique, du Proche-Orient, ainsi que des partenaires et alliés actuels des États-Unis, sont les prochains sur la liste. Nous le savons bien  : lorsque quelque chose leur déplaît, ils sont prêts à imposer des sanctions à leurs propres alliés – tantôt à telle ou telle banque  ; tantôt à telle ou telle entreprise. C’est ainsi qu’ils agissent et qu’ils continueront d’agir. Le monde entier est dans leur ligne de mire, y compris nos voisins les plus proches, les pays de la Communauté des États Indépendants.

Dans le même temps, il est clair que l’Occident prend depuis longtemps ses désirs pour des réalités. En lançant une guerre-éclair de sanctions contre la Russie, ils s’imaginaient qu’ils pourraient une fois de plus mettre le monde entier à leurs pieds. Pourtant, il s’est avéré que cette perspective était loin d’enthousiasmer tout le monde – sauf les masochistes purs et durs et les praticiens d’autres formes non-traditionnelles de relations internationales. La plupart des États refusent ce «  salut au drapeau  » et optent plutôt pour des modalités raisonnables de coopération avec la Russie.

Par cette métaphore de sexualisation agressive des relations internationales, Vladimir Poutine entend une fois de plus dénoncer les identités de genre et les pratiques sexuelles qui ne correspondent pas au spectre de l’orthodoxie la plus traditionnelle.

L’Occident ne s’attendait pas à rencontrer une telle insubordination, tant il est habitué à agir par la force, le chantage, la corruption et l’intimidation, convaincu que ces méthodes fonctionneront toujours – comme s’il étaient figé, fossilisé dans le passé.

Cette confiance en soi est une conséquence directe de l’idée, tristement célèbre, bien qu’elle ne cesse pas d’étonner, de son propre exceptionnalisme, mais aussi de la véritable «  faim d’information  » qui sévit en Occident. Ils ont noyé la vérité dans un océan de mythes, d’illusions et de faux, en pratiquant une propagande extrêmement agressive, en mentant comme Goebbels. Plus le mensonge est gros, plus on y croit – c’est ainsi qu’ils fonctionnent, en suivant ce principe.

Mais on ne peut pas nourrir les populations avec des dollars et des euros imprimés sur des billets de banque. On ne peut pas les nourrir avec du papier-monnaie, on ne peut pas chauffer un foyer avec la capitalisation aussi virtuelle et que surévaluée des réseaux sociaux occidentaux. Tout ce dont je vous parle est de la plus haute importance, mais il faut insister sur ce dernier point. On ne peut nourrir personne avec du papier, il faut de la nourriture  ; ces capitalisations surévaluées ne peuvent chauffer personne, il faut de l’énergie.

C’est pourquoi les dirigeants européens en sont réduits à convaincre leurs concitoyens de manger moins, de se laver moins souvent, de s’habiller plus chaudement à la maison. Et ceux qui commencent à se poser les bonnes questions – «  Pourquoi en serait-il ainsi  ?  » – sont immédiatement déclarés ennemis, extrémistes et radicaux. Ils retournent la situation contre la Russie en disant  : «  Vous voyez, c’est la source de tous nos malheurs  ». Des mensonges, encore une fois.

Je voudrais tout particulièrement souligner qu’il y a toutes les raisons de croire que les élites occidentales n’ont pas l’intention de chercher des solutions constructives à la crise alimentaire et énergétique mondiale qui s’est déclarée par leur propre faute, en conséquence des politiques qu’ils mènent de longue date, bien avant notre opération spéciale en Ukraine, dans le Donbass. Ils n’ont aucune intention de résoudre les problèmes d’injustice et d’inégalité. On peut plutôt craindre qu’ils s’apprêtent à employer d’autres méthodes, qui leur sont plus familières.

Il convient de rappeler ici que l’Occident est sorti des contradictions du début du XXe siècle par la Première Guerre mondiale. Les gains de la Seconde Guerre mondiale ont permis aux États-Unis de surmonter enfin les conséquences de la Grande Dépression et de devenir la première économie mondiale, de soumettre la planète entière à la puissance du dollar en tant que monnaie de réserve globale. C’est largement en s’appropriant les restes et les ressources de l’Union soviétique en déliquescence que l’Occident a surmonté la crise qui s’est aggravée dans les années 1980. C’est un fait.

Désormais, pour sortir de ce nouveau nœud de contradictions, il leur faut à tout prix briser la Russie et les autres États qui choisissent une voie souveraine de développement, afin de piller de nouvelles richesses et de colmater ainsi leurs propres vides. Si cela ne se passe pas ainsi, je n’exclus pas l’idée qu’ils tentent de provoquer l’effondrement total du système pour se dédouaner de leurs responsabilités, ou encore, Dieu nous en garde, qu’ils décident d’employer une formule bien connue  : «  La guerre efface toutes les dettes  ».

La Russie a conscience de sa responsabilité envers la communauté mondiale et fera son possible pour ramener ces têtes brûlées à la raison.

À l’évidence, le modèle néocolonial actuel est condamné à disparaître. Mais, je le répète, ses maîtres réels s’y accrocheront jusqu’à la dernière seconde. Ils n’ont tout simplement rien à proposer au monde, si ce n’est la préservation de ce système de pillage et de racket.

En substance, ils crachent sur le droit naturel de milliards de personnes, la majeure partie de l’humanité, à la liberté et à la justice, ainsi qu’à la détermination de leur propre destinée. Ils en viennent maintenant à nier l’ensemble des normes morales, de la religion et de la famille.

Répondons ensemble à quelques questions très simples. Je veux revenir sur ce point, je veux m’adresser à tous les citoyens de notre pays – pas seulement aux collègues qui sont ici dans le public, mais à tous les citoyens russes – pour leur demander  : est-ce que nous voulons avoir, ici, dans ce pays, en Russie, au lieu d’une mère et d’un père, un «  parent numéro un  » et un «  parent numéro deux  » (ils sont devenus complètement dingues sur ce coup)  ? Est-ce que nous voulons que l’on enseigne dans nos écoles primaires des perversions qui conduisent à la dégradation et à l’extinction  ? Est-ce que nous voulons enseigner aux enfants qu’il n’existe pas que des femmes et des hommes, mais des soi-disant genres et qu’on leur propose des opérations de changement de sexe  ? Est-ce cela que nous voulons pour notre pays et pour nos enfants  ? Tout cela est tout simplement inacceptable pour nous. Nous avons notre propre avenir, et ce n’est pas celui-là.

Je le répète  : la dictature des élites occidentales vise toutes les sociétés, y compris les pays occidentaux eux-mêmes. C’est un défi adressé à tout le monde. Cette négation profonde de l’humanité, cette subversion de la foi et des valeurs traditionnelles, cet écrasement de la liberté prennent les traits d’une «  religion à l’envers  » – d’un satanisme pur et simple. Dans le sermon sur la montagne, Jésus Christ, dénonçant les faux prophètes, dit  : «  C’est dont à leurs fruits que vous les reconnaîtrez  ». Et beaucoup savent bien que ces fruits sont empoisonnés, non seulement chez nous, mais dans tous les pays, y compris en Occident.

Le président russe emprunte les éléments de langage plus spécifiques des guerres culturelles du XXIe siècle, en dénonçant les «  valeurs  » perverties que l’Occident chercherait à imposer et universaliser, au mépris de la diversité morale et spirituelle de la planète. Ce discours fait ainsi directement écho à celui des conservateurs et populistes de droite du continent européen et des États-Unis, soutien de facto de Vladimir Poutine dans une lutte à mort pour l’hégémonie culturelle. L’une des cibles principales en est la communauté LGBTQI+, accusée par le président russe de saper les valeurs morales de la civilisation russe et dépeinte comme une forme de déviance au caractère «  sataniste  ». On retrouve ici la rhétorique discriminatoire des évangélistes les plus durs et des politiques les plus agressivement traditionalistes, encore renforcée par une référence directe aux Évangiles.

Le monde est entré dans une période de transformations fondamentales, révolutionnaires. De nouvelles puissances émergent. Elles représentent la majorité – la majorité  ! – de la communauté mondiale et sont prêtes non seulement à proclamer leurs intérêts, mais à les défendre. Elles voient dans la multipolarité un moyen de renforcer leur souveraineté et ainsi de conquérir la liberté véritable, une perspective historique, leur droit au développement indépendant, créatif, original, à un développement harmonieux.

Dans le monde entier, y compris en Europe et aux États-Unis, comme je l’ai déjà souligné, de nombreuses personnes partagent nos idées et nous ressentons, nous voyons leur soutien. Au sein des pays et des sociétés les plus variés se dessine déjà un mouvement de libération anticolonial contre l’hégémonie unipolaire, et sa force ne fera que croître. C’est cette force qui déterminera le futur des réalités géopolitiques.

Chers amis,

Aujourd’hui, nous combattons pour un futur juste et libre, avant tout pour nous-mêmes, pour la Russie, pour que la dictature et le despotisme deviennent à jamais un souvenir du passé. Ma conviction est que les nations et les peuples comprennent à quel point une politique fondée sur l’exceptionnalisme, sur la suppression des autres cultures et des autres peuples, est fondamentalement criminelle, que cette page honteuse de l’histoire ne demande qu’à être tournée. L’effondrement de l’hégémonie occidentale est en cours. Il est irréversible. Je le répète  : les choses ne seront plus comme avant.

Le champ de bataille sur lequel nous ont convoqués le destin et l’histoire est un champ de bataille pour notre peuple, pour la grande Russie historique. (Applaudissements.) Pour une grande Russie historique, pour les générations futures, pour nos enfants, nos petits-enfants et nos arrière-petits-enfants. Nous devons les préserver de l’asservissement, des expérimentations monstrueuses qui veulent estropier leurs consciences et leurs âmes.

Aujourd’hui, nous combattons pour que personne ne pense plus jamais que la Russie, notre peuple, notre langue, notre culture, puissent être rayés de l’histoire. Aujourd’hui, nous devons consolider notre société et cette solidarité ne pourra reposer que sur la souveraineté, la liberté, la création et la justice. Nos valeurs sont l’humanité, la miséricorde et la compassion.

Et je voudrais conclure cette allocution sur les mots d’un véritable patriote, Ivan Aleksandrovič Il’in  : «  Si je considère la Russie comme ma patrie, cela signifie que j’aime, que je contemple et que je pense comme un Russe, que je chante et que je parle comme un Russe  ; que je crois aux forces spirituelles du peuple russe. Son esprit est mon esprit  ; sa destinée est ma destinée  ; sa souffrance est ma souffrance  ; sa prospérité est ma joie  ».

Sans être originale, sa citation d’un extrait ampoulé d’Ivan Ilyin, émigré russe de l’entre-deux-guerres aux idées antisémites, attiré par le fascisme et la révolution conservatrice, confirme, s’il en était besoin, l’orientation résolument réactionnaire du discours5.

Dans ces mots, on retrouve le grand chemin spirituel que de nombreuses générations de nos ancêtres ont emprunté pendant plus d’un millénaire d’existence de l’État russe. Aujourd’hui, c’est nous qui empruntons ce chemin, ce sont les habitants des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, des districts de Zaporojie et de Kherson qui ont fait ce choix. Ils ont pris la décision de vivre avec leur propre peuple, avec leur patrie, de s’associer à son destin et de vaincre avec elle.

La victoire est avec nous, la Russie est avec nous  !

Sources
    1. https://meduza.io/feature/2022/09/29/zachem-kremlyu-anneksiya-ukrainskih-territoriy-chem-na-eto-otvetit-kiev-i-kuda-vse-eto-nas-zavedet
    2. https://www.politico.com/news/2022/09/27/putin-nuke-russia-ukraine-intel-surveillance-00059020
    3. https://www.proekt.media/guide/kto-rukovodit-okkupirovannymi-territoriyami-ukrainy/
    4. https://www.bbc.com/russian/features-63040911
    5. Sur les risques du réductionnisme fasciste dans la lecture d’Ivan Ilyin, notamment Marlène Laruelle, Is Russia Fascist ? Unraveling Propaganda East and West, Ithaca, Cornell University Press, 2021, p. 140.

Voir par ailleurs:

Russia’s genocide handbook
The evidence of atrocity and of intent mounts
Timothy Snyder
Apr 8 2022

Russia has just issued a genocide handbook for its war on Ukraine.  The Russian official press agency « RIA Novosti » published last Sunday an explicit program for the complete elimination of the Ukrainian nation as such.  It is still available for viewing, and has now been translated several times into English.

As I have been saying since the war began, « denazification » in official Russian usage just means the destruction of the Ukrainian state and nation.  A « Nazi, » as the genocide manual explains, is simply a human being who self-identifies as Ukrainian.  According to the handbook, the establishment of a Ukrainian state thirty years ago was the « nazification of Ukraine. »  Indeed « any attempt to build such a state » has to be a « Nazi » act.  Ukrainians are « Nazis » because they fail to accept « the necessity that the people support Russia. »  Ukrainians should suffer for believing that they exist as a separate people; only this can lead to the « redemption of guilt. »

For anyone still out there who believes that Putin’s Russia opposes the extreme right in Ukraine or anywhere else, the genocide program is a chance to reconsider.  Putin’s Russian regime talks of “Nazis” not because it opposes the extreme right, which it most certainly does not, but as a rhetorical device to justify unprovoked war and genocidal policies. Putin’s regime is the extreme right.  It is the world center of fascism. It supports fascists and extreme-right authoritarians around the world.  In traducing the meaning of words like « Nazi, » Putin and his propagandists are creating more rhetorical and political space for fascists in Russia and elsewhere.

The genocide handbook explains that the Russian policy of « denazification » is not directed against Nazis in the sense that the word is normally used.  The handbook grants, with no hesitation, that there is no evidence that Nazism, as generally understood, is important in Ukraine.  It operates within the special Russian definition of « Nazi »: a Nazi is a Ukrainian who refuses to admit being a Russian.  The « Nazism » in question is « amorphous and ambivalent »; one must, for example, be able to see beneath the world of appearance and decode the affinity for Ukrainian culture or for the European Union as « Nazism. »

The actual history of actual Nazis and their actual crimes in the 1930s and 1940s is thus totally irrelevant and completely cast aside.  This is perfectly consistent with Russian warfighting in Ukraine.  No tears are shed in the Kremlin over Russian killing of Holocaust survivors or Russian destruction of Holocaust memorials, because Jews and the Holocaust have nothing to do with the Russian definition of « Nazi. »  This explains why Volodymyr Zelens’kyi, although a democratically-elected president, and a Jew with family members who fought in the Red Army and died in the Holocaust, can be called a Nazi.  Zelens’kyi is a Ukrainian, and that is all that « Nazi » means.

On this absurd definition, where Nazis have to be Ukrainians and Ukrainians have to be Nazis, Russia cannot be fascist, no matter what Russians do.  This is very convenient.  If « Nazi » has been assigned the meaning « Ukrainian who refuses to be Russian » then it follows that no Russian can be a Nazi.  Since for the Kremlin being a Nazi has nothing to do with fascist ideology, swastika-like symbols, big lies, rallies, rhetoric of cleansings, aggressive wars, abductions of elites, mass deportations, and the mass killing of civilians, Russians can do all of these things without ever having to ask if they themselves on the wrong side of the historical ledger.  And so we find Russians implementing fascist policies in the name of « denazification. »

The Russian handbook is one of the most openly genocidal documents I have ever seen.  It calls for the liquidation of the Ukrainian state, and for abolition of any organization that has any association with Ukraine.  It postulates that the « majority of the population » of Ukraine are « Nazis, » which is to say Ukrainians. (This is clearly a reaction to Ukrainian resistance; at war’s beginning the assumption was that there were only a few Ukrainians and that they would be easily eliminated.  This was clear in another text published in RIA Novosti, the victory declaration of 26 February.)  Such people, « the majority of the population, » so more than twenty million people, are to be killed or sent to work in « labor camps » to expurgate their guilt for not loving Russia.  Survivors are to be subject to « re-education. »  Children will be raised to be Russian.  The name « Ukraine » will disappear.

A girl looks back as she is being evacuated from Irpin. Many civilians who remained in that Kyiv suburb were murdered by Russian servicemen. According to local officials, their bodies were then crushed with tanks.

Had this genocide handbook appeared at some other time and in a more obscure outlet, it might have escaped notice.  But it was published right in the middle of the Russian media landscape during a Russian war of destruction explicitly legitimated by the Russian head of state’s claim that a neighboring nation did not exist.  It was published on a day when the world was learning of a mass murder of Ukrainians committed by Russians.

Russia’s genocide handbook was published on April 3, two days after the first revelation that Russian servicemen in Ukraine had murdered hundreds of people in Bucha, and just as the story was reaching major newspapers.  The Bucha massacre was one of several cases of mass killing that emerged as Russian troops withdrew from the Kyiv region.  This means that the genocide program was knowingly published even as the physical evidence of genocide was emerging.  The writer and the editors chose this particular moment to make public a program for the elimination of the Ukrainian nation as such.

As a historian of mass killing, I am hard pressed to think of many examples where states explicitly advertise the genocidal character of their own actions right at at the moment those actions become public knowledge.  From a legal perspective, the existence of such a text (in the larger context of similar statements and Vladimir Putin’s repeated denial that Ukraine exists) makes the charge of genocide far easier to make.  Legally, genocide means both actions that destroy a group in whole or in part, combined with some intention to do so.  Russia has done the deed and confessed to the intention.

Voir enfin:

‘De-Ukrainization’ is genocide — Biden was right to sound the alarm
Francine Hirsch
The Hill
04/14/22

Russian leaders began by calling Ukraine’s leaders “Nazis” to cover up their plan for a predatory war of aggression. Now they are calling for genocide. President Biden was right to sound the alarm about genocide. The world must act.

On the eve of Russia’s invasion of Ukraine, Russian President Vladimir Putin ramped up a disinformation campaign designed to challenge the country’s right to exist. He described Ukraine as an “artificial creation of the Bolsheviks” and called its leaders “Nazis.” On Feb. 24, Putin announced that he had launched a “special military operation” to “de-Nazify” Ukraine. Last week, while the world was learning horrifying details about the Russian military’s rape, torture and murder of civilians, this talk of “de-Nazification” morphed in the Russian state media into a chilling call for “de-Ukrainization.”

De-Ukrainization is genocide. The world must act.

An article published by RIA-Novosti on April 5 repeated Putin’s claim that “Ukrainians are an artificial anti-Russian construct.” It proclaimed that “Ukraine’s political elite must be eliminated.” And it declared that ordinary Ukrainians are “passive Nazis” who “must experience all the horrors of war and absorb the experience as a historical lesson and atonement for their guilt.” Explaining that “De-Nazification will inevitably also be a de-Ukrainization,” the article issued an ominous call for “total purification.”

This is not the first time such vile ideas have been expressed in the Russian media. There was a spate of articles and videos in 2016 and 2017 espousing “de-Ukrainization.” Economist and pundit Mikhail Khazin called for the transformation of Kyiv, Chernihiv and Sumy into “agricultural hinterland stripped of industry and armed forces,” with “excess population” deported to Russia’s Far East. He further suggested “several million” Ukrainians would “need to be” either “terminated” or “expelled.”

But the RIA-Novosti article is different for two critical reasons. It was published amid Russia’s predatory war of aggression — while atrocities were being committed in Bucha, Mariupol and other towns, and while Ukrainian civilians were being kidnapped, deported and sent to filtration camps. It was published during extreme wartime censorship in Russia, indicating its approval by the Russian authorities.

Since the publication of the RIA-Novosti article, Russian officials have continued to signal to the Russian people — and the Russian military — that genocide is on the agenda. The day after the article came out, former Russian President Dmitry Medvedev, one of Putin’s advisers, declared that “Ukrainian identity is one big fake and the goal of the de-Nazification is to change how Ukrainians perceive their identity. ” Later in the week, Russian State TV Channel One featured a “discussion” about the elimination of Ukraine.

These calls for “de-Ukrainization” are an incitement to genocide: to “destroy, in whole or in part,” the Ukrainian nation. Some international lawyers object that there is not yet enough evidence of genocide. And they are partly correct. We will need more evidence to convict Russia’s leaders and soldiers of genocide, which can be prosecuted either as a war crime (as at Nuremberg) or as a crime against humanity. But the Genocide Convention and the Rome Statute also call for the prevention of genocide. And there is enough evidence right now to ask the world to act.

I come at this as a historian of the Nuremberg Trials, not as a lawyer. And from this perspective there are several things to keep in mind. First, genocide does not always look like the Holocaust. In his closing speech at the Nuremberg Trials, British chief prosecutor Sir Hartley Shawcross revisited the evidence about Auschwitz and the extermination of the Jews. He then reminded the court that genocide could take many forms. The method the Nazis applied to the Polish intelligentsia, he noted, was “outright annihilation,” whereas in Alsace, deportation was the program of choice. In the German-occupied Soviet Union, the technique was death by starvation; in Bohemia and Moravia, the Nazis embarked on a policy of forced Germanization.

Second, history shows us that we should take dictators at their word. Those who incite genocide usually attempt to follow through. It is not unusual for them to publicize their campaigns through propagandists and media. Adolf Hitler had Joseph Goebbels, Alfred Rosenberg and others doing this work. Putin has Medvedev and the pundits of Russian state media. Finally, the more that Russian soldiers embrace the campaign of “de-Ukrainization,” the more brutal the war will become — and the harder it will be for Russia to find an exit short of total victory or defeat. Russian society’s complacency becomes complicity in murder.

This is not simply an academic question or a debate about terminology. We must understand Russia’s war aims to understand the nature of this conflict. Policymakers who still think that this war is about Russia’s security concerns have it wrong. Western lawyers who put forward draft peace proposals that ask Ukraine to make concessions are playing into Putin’s hands. Biden was correct that Putin’s goal is “to wipe out even the idea of being Ukrainian.”

The international community must affirm that there are universal values. It must support Ukraine and call out Putin’s lies. It must act to prevent the destruction of the Ukrainian nation.

Francine Hirsch is a professor of history at the University of Wisconsin-Madison and author of “Soviet Judgment at Nuremberg.”

Voir par ailleurs:

Ukraine : notre avenir s’y joue
Cela fait déjà plus de quatre mois que la pudiquement nommée « opération spéciale » de la Russie a commencé en Ukraine. Quatre mois de destructions, de déplacements de populations, de drames. La guerre n’est plus une possibilité, elle s’est installée sur le sol européen, pour l’heure fixée à l’est de l’Ukraine martyrisée et meurtrie. L’avenir de notre continent n’a jamais été aussi incertain depuis la Seconde Guerre mondiale.

Gabriel Robin
L’Incorrect
11 juillet 2022

Il est difficile de dresser un bilan exhaustif des combats comme des conséquences directes de la guerre pour l’économie mondiale ainsi que les équilibres géopolitiques et militaires. D’autres le font mieux que nous, à l’image de Michel Goya qui prend le temps de détailler hebdomadairement les avancées de l’armée russe et les actes de résistance de son homologue ukrainienne. Tout juste peut-on désormais affirmer avec une réserve de bon aloi que la Russie progresse dans le Donbass, but de guerre officiel du conflit. Le 14 juin dernier, les forces ukrainiennes ont ainsi annoncé avoir abandonné le centre de Sievierodonestk, suivies dans la foulée par une déclaration pessimiste de Serhiy Haïdaï, gouverneur de la région de Louhansk forcé d’admettre que 70 à 80 % de la ville étaient tombés sous le contrôle de l’armée russe.

Le 3 juillet, c’était au tour de la ville de Lysychansk de tomber, des suites d’une manœuvre d’encerclement réussie par les forces russes. La bataille du Donbass se réduit donc à la zone de Sloviansk-Kramatorsk, ce qui va pousser l’Ukraine à tenter de résister coûte que coûte en attendant un hypothétique rééquilibrage des forces. Contrairement à ce qu’affirment nombre de commentateurs français enivrés de propagande russe, le grand Satan occidental n’est pas si « va-t-en-guerre » que ça. Les envois d’armes ont été tardifs et sont trop limités pour permettre à l’Ukraine de garder le Donbass. Il semblerait même, si l’on pousse un peu, qu’une partie des Occidentaux se contenterait bien d’une prise rapide de l’est ukrainien, afin de pousser Moscou à la négociation de la paix … qui passerait donc par une partition de l’Ukraine.

L’habile chantage militaire russe produirait donc ses effets sur un ensemble occidental affaibli, mené par une Amérique partiellement déclinante qui, sous Barack Obama, avait déjà fait montre d’une certaine faiblesse à l’égard d’une Russie poutinienne qui ne recule jamais quand il s’agit de faire parler la poudre. En Tchétchénie, en Syrie, en Ossétie-du-Sud et en Ukraine, la Russie sait joindre les actes à la parole, tétanisant une Union européenne à la faible coordination militaire et dépendante de l’énergie de son encombrant voisin à l’est. Les lignes ont d’ailleurs bougé, l’invasion russe ayant provoqué les demandes d’adhésion conjointes de la Suède et de la Finlande à l’OTAN. Laquelle OTAN, longtemps invoquée pour expliquer, ou, plus sûrement, pour excuser l’invasion russe, avec une grande imprécision et des mensonges, l’Ukraine ne pouvant pas la rejoindre du fait des combats continus au Donbass depuis 2014, semble ne plus être l’obsession de Moscou.

Vladimir Poutine déclarait en personne il y a quelques jours à peine, que l’adhésion des pays scandinaves à l’OTAN n’était désormais plus un casus belli pouvant conduire à une « escalade ». De fait, il devient difficile de suivre les sinueuses inflexions du Kremlin qui peut en deux jours affirmer que « les choses sérieuses » n’ont pas commencé en Ukraine comme se dire « pacifiste ». Peut-être faudrait-il d’ailleurs ressusciter les spécialistes en kremlinologie d’autrefois, bien qu’ils aient été remplacés par d’autres, plus proches des télégraphistes de L’Humanité de la période Thorez que de véritables analystes neutres. Ces Machiavel d’opérette, prêts à toutes les instrumentalisations émotionnelles quand ça les arrange, et si peu emphatiques quand leur narration parcellaire est mise en danger, sont désormais en première ligne pour affirmer que l’Ukraine a déjà perdu et qu’il faut « chercher la paix ».

Soit. Personne ne pourra contredire le fait que la paix est la résolution de toute guerre ; et que plus tôt nous l’aurons trouvée, mieux ce sera. Mais cette paix tant souhaitée, qui nous permettrait d’éviter une cruelle « escalade », nous ne pouvons la décider unilatéralement. Si paix, il y a, elle ne se trouvera qu’au terme de la fin des combats armés. Soit par la destruction d’une des deux armées, ou son incapacité à poursuivre les combats. Soit par la proclamation d’un cessez-le-feu russe appelant à une négociation – c’en est même la condition sine qua none. Soit, et c’est bien ce que souhaitent certains sans oser le dire, par la reddition pure et simple de l’Ukraine. Nous ne pouvons pas le leur demander. Ajoutons, par suite, que nous ne sommes absolument pas co-belligérants, et moins encore la France qui en fait, il faut bien l’admettre, assez peu. Nous nous contentons d’aider l’Ukraine à se défendre, comme toute nation en a le droit. L’Ukraine veut vivre libre et souveraine, c’est un fait.

La position consistant à renvoyer dos-à-dos la Russie et l’Ukraine comme étant des « acteurs rationnels défendant leurs intérêts » n’est pas du réalisme mais du cynisme

La Russie aurait aussi pu se vivre en tant que nation, mais la nostalgie de son empire lui fait convoiter l’Ukraine et dominer autrement la Biélorussie, État qui est aujourd’hui son dominion et son factotum. Quid, donc, des suites de cette tragédie, car c’est bien à une immense tragédie que nous assistons, de celles qui peuvent à tout jamais changer nos destins collectifs et individuels ? Dans un premier temps, évoquer la morale et la notion du bien ne sera pas vain. Laissons aux schmittiens de comptoir et aux gaullistes de salon la rhétorique des « intérêts » mal comprise, elle ne sert que les intérêts d’un camp, qui, s’il n’est pas celui « du mal », encore qu’il soit à l’origine d’un mal, n’est pas le nôtre. Oui, la guerre russe est immorale. Elle le serait même si l’Ukraine avait réellement fait peser une menace sur la seconde armée du monde aux réserves nucléaires capables de détruire la moitié de la planète en quelques jours.

Elle est aussi menée de manière immorale. Dans une excellente tribune accordée au journal Le Monde, le chercheur en relations internationales Jean-Baptiste Jeangène Vilmer a bien résumé la situation : la position consistant à renvoyer dos-à-dos la Russie et l’Ukraine comme étant des « acteurs rationnels défendant leurs intérêts » n’est pas du réalisme mais du cynisme. « Avant la guerre, c’est l’absence de “réalisme” qui aurait permis l’expansion de l’OTAN, laquelle aurait “provoqué” le président Poutine, qui n’aurait fait que défendre ses intérêts en attaquant l’Ukraine, ce dont il est, par conséquent, presque excusé. Pendant la guerre, c’est encore au nom du “réalisme” qu’il faudrait ne pas trop soutenir les Ukrainiens et ménager une porte de sortie honorable aux Russes. Et, après la guerre, les mêmes “réalistes” nous inviteront à rapidement normaliser nos relations avec Moscou », ajoute-t-il avec panache.

Oui, la Russie est le diviseur du monde contemporain. Elle est la nation perturbatrice, celle qui provoque et cherche l’étincelle. Elle va plus loin et terrorise. Son premier objectif est d’ailleurs d’influencer les opinions occidentales, pour que ces dernières pensent nos nations faibles et inaptes à faire face à toute menace, même à y résister sur le simple plan de la morale. Le réalisme n’est pas contraire à la morale, il ne s’y réduit pas. C’est, vous noterez, très différent. Quand la République populaire du Donbass déclare qu’elle exécutera des soldats qui se sont rendus d’eux-mêmes, elle s’affranchit de toute morale. Il s’agit bien de crimes de guerre qui s’opposent aux principes de la Convention de Genève, et même à toutes les lois traditionnelles de la guerre, à des usages qui ont toujours eu cours en Europe. Comment ne pas le condamner ? Comment ne pas s’en émouvoir ? Si nous ne sommes plus capables de cette résistance spirituelle, que nous restera-t-il à défendre ?

Évidemment, nous devons tenir compte de tous les paramètres. Nous n’avons pas à nous précipiter dans la guerre, ni à condamner nos économies. Mais nous avons le devoir de nous y préparer, d’avoir conscience que le camp d’en face y est prêt et l’envisage sérieusement. Que les sanctions décidées contre la Russie se retournent temporairement contre nous est une réalité. Il est toutefois aussi une réalité que la Russie en souffre bien davantage, son acharnement à ironiser ou à vouloir contourner les mesures prouvant bien qu’elle est en grandes difficultés – son économie est d’ailleurs celle d’un colosse aux pieds d’argile, et sa dépendance à l’industrie chinoise augmentera exponentiellement, mais passons. Si être réaliste nous commande donc de comprendre dans quel état se trouvent réellement nos forces, cela ne doit pas nous conduire à la lâcheté ou à l’amoralité, deux conduites perdantes dans l’histoire des nations.

Nous ne faisons pas la guerre à une grande nation, nous nous opposons à la dérive d’un régime

En 1919, dans une conférence donnée sur l’alliance franco-polonaise, le futur général de Gaulle cité en modèle par tous ceux qui n’y comprennent rien, déclarait : « Le bolchevisme ne durera pas éternellement en Russie. Un jour viendra où l’ordre s’y rétablira et où la Russie, reconstituant ses forces, regardera autour d’elle. Ce jour-là, elle se verra telle que la paix va la laisser, c’est à dire privée de l’Estonie, de la Finlande, de la Pologne, de la Lituanie, peut-être de l’Ukraine. S’en contentera-t-elle ? Nous n’en croyons rien. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on reverra la Russie reprendre sa marche vers l’Ouest et le Sud-Ouest. De quel côté la Russie recherchera-t-elle un concours pour reprendre l’œuvre de Pierre le Grand et de Catherine II ? Ne le disons pas trop haut, mais sachons-le et pensons-y : c’est du côté de l’Allemagne que fatalement elle tournera ses espérances. Voilà, Messieurs, pourquoi la France prête à la Pologne et à la Roumanie un si large concours militaire ; et voilà pourquoi nous sommes ici. […] Chacun de nos efforts en Pologne, Messieurs, c’est un peu plus de gloire pour la France éternelle ».

Nul ne peut dire avec certitude de quoi l’avenir sera fait, mais celui-ci se joue aujourd’hui en Ukraine. Y construire la paix, c’est prévoir la guerre. Tout faire pour l’éviter, ce n’est pas refuser de la penser.  Les Français et les autres Européens doivent aussi entendre que c’est la Russie qui a provoqué la guerre, qui pratique un chantage énergétique, qui empêche l’Ukraine d’exporter son blé ce qui pourrait provoquer une catastrophe migratoire ; elle et elle seule. Dans ce cadre, les sanctions sont tant un impératif moral qu’une difficulté pour l’effort de guerre russe, mais pour qu’elles soient efficaces il faut que le camp occidental fasse bloc et divise celui des BRICS. La Chine et la Russie n’ont aucun intérêt à rompre brutalement avec le commerce mondial. Ne nous laissons pas embobiner par la guerre d’influence russe. Ce sont les derniers feux de l’URSS. Nous ne faisons pas la guerre à une grande nation, nous nous opposons à la dérive d’un régime.


Présidentielle/2022: Qui nous délivrera des Russes et des Sarrasins ? (What tragic moment for a Western world incapable of confronting at the same time both the Islamic and Russian threats ?)

25 février, 2022

Vous avez finalement un paradoxe aujourd’hui dans la politique française, qui est presque une tenaille. C’est à dire que nous sommes pris en tenaille entre d’une part une gauche qui dans son ensemble ne reconnait pas le danger de l’islamisme, ou en tout cas ne l’évalue pas à sa juste dimension. (…)  Et puis, (…) une droite qui est incapable de penser la question russe. (…) Il y a un côté, que je dirais presque tragique pour nous Français, de se dire qu’il n’y a pas vraiment sur la scène politique un homme politique qui est capable de penser de manière vraiment sérieuse ces deux menaces en même temps. Laure Mandeville
S’il a fallu repenser de fond en comble la sociologie des intellectuels, c’est que, du fait de l’importance des intérêts en jeu et des investissements consentis, il est suprêmement difficile, pour un intellectuel, d’échapper à la logique de la lutte dans laquelle chacun se fait volontiers le sociologue — au sens le plus brutalement sociologiste — de ses adversaires, en même temps que son propre idéologue, selon la loi des cécités et des lucidités croisées qui règle toutes les luttes sociales pour la vérité. Pierre Bourdieu
Nous n’avons point trouvé d’autres moyens de garantir nos frontières que de les étendre. Catherine II (lettre à Voltaire, 1772)
Messieurs, charbonnier est maître chez soi. Nous sommes un Etat souverain. Tout ce qu’a dit cet individu ne nous regarde pas. Nous faisons ce que nous voulons de nos socialistes, de nos pacifistes et de nos juifs, et nous n’avons à subir de contrôle ni de l’humanité ni de la SDN. Joseph Goebbels (SDN, Genève, 1933)
L’erreur est toujours de raisonner dans les catégories de la « différence », alors que la racine de tous les conflits, c’est plutôt la « concurrence », la rivalité mimétique entre des êtres, des pays, des cultures. La concurrence, c’est-à-dire le désir d’imiter l’autre pour obtenir la même chose que lui, au besoin par la violence. Sans doute le terrorisme est-il lié à un monde « différent » du nôtre, mais ce qui suscite le terrorisme n’est pas dans cette « différence » qui l’éloigne le plus de nous et nous le rend inconcevable. Il est au contraire dans un désir exacerbé de convergence et de ressemblance. (…) Ce qui se vit aujourd’hui est une forme de rivalité mimétique à l’échelle planétaire. (…) Ce sentiment n’est pas vrai des masses, mais des dirigeants. Sur le plan de la fortune personnelle, on sait qu’un homme comme Ben Laden n’a rien à envier à personne. Et combien de chefs de parti ou de faction sont dans cette situation intermédiaire, identique à la sienne. Regardez un Mirabeau au début de la Révolution française : il a un pied dans un camp et un pied dans l’autre, et il n’en vit que de manière plus aiguë son ressentiment. Aux Etats-Unis, des immigrés s’intègrent avec facilité, alors que d’autres, même si leur réussite est éclatante, vivent aussi dans un déchirement et un ressentiment permanents. Parce qu’ils sont ramenés à leur enfance, à des frustrations et des humiliations héritées du passé. Cette dimension est essentielle, en particulier chez des musulmans qui ont des traditions de fierté et un style de rapports individuels encore proche de la féodalité. (…) Cette concurrence mimétique, quand elle est malheureuse, ressort toujours, à un moment donné, sous une forme violente. A cet égard, c’est l’islam qui fournit aujourd’hui le ciment qu’on trouvait autrefois dans le marxisme. René Girard
Un des grands problèmes de la Russie – et plus encore de la Chine – est que, contrairement aux camps de concentration hitlériens, les leurs n’ont jamais été libérés et qu’il n’y a eu aucun tribunal de Nuremberg pour juger les crimes commis. Thérèse Delpech (2005)
Taiwan est un des rares problèmes stratégiques qui puisse provoquer une guerre mondiale aussi sûrement que l’Alsace-Lorraine au début du siècle dernier. Thérèse Delpech
Le XXe siècle n’est pas encore terminé en Asie et ni la guerre froide ni même la Seconde Guerre mondiale n’ont dit leur dernier mot dans cette région. Thérèse Delpech
Le bolchevisme ne durera pas éternellement en Russie. Un jour viendra où l’ordre s’y rétablira et où la Russie, reconstituant ses forces, regardera autour d’elle. Ce jour-là, elle se verra telle que la paix va la laisser, c’est à dire privée de l’Estonie, de la Finlande, de la Pologne, de la Lituanie, peut-être de l’Ukraine. S’en contentera-t-elle ? Nous n’en croyons rien. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on reverra la Russie reprendre sa marche vers l’Ouest et le Sud-Ouest. De quel côté la Russie recherchera-t-elle un concours pour reprendre l’œuvre de Pierre le Grand et de Catherine II ? Ne le disons pas trop haut, mais sachons-le et pensons-y : c’est du côté de l’Allemagne que fatalement elle tournera ses espérances. Voilà, Messieurs, pourquoi la France prête à la Pologne et à la Roumanie un si large concours militaire ; et voilà pourquoi nous sommes ici. (…) Chacun de nos efforts en Pologne, Messieurs, c’est un peu plus de gloire pour la France éternelle. Charles de Gaulle (1919)
Sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire (…) Pour Moscou, en revanche, rétablir le contrôle sur l’Ukraine ― un pays de cinquante-deux millions d’habitants doté de ressources nombreuses et d’un accès à la mer Noire –, c’est s’assurer les moyens de redevenir un État impérial puissant, s’étendant sur l’Europe et l’Asie. La fin de l’indépendance ukrainienne aurait des conséquences immédiates pour l’Europe centrale. (…) La Russie peut-elle, dans le même mouvement, être forte et démocratique ? Si elle accroît sa puissance, ne  cherchera-t-elle pas à restaurer son domaine impérial ? Peut-elle prospérer en tant qu’empire et en tant que démocratie ? (…) Et la « réintégration » de l’Ukraine reste, à ce jour, une position de principe qui recueille le consensus de la classe politique. Le refus russe d’entériner le statut d’indépendance de l’Ukraine, pour des raisons historiques et politiques, se heurte frontalement aux vues américaines, selon lesquelles la Russie ne peut être à la fois impériale et démocratique. (…) D’autant que la Russie postsoviétique n’a accompli qu’une rupture partielle avec son passé. Presque tous ses dirigeants « démocratiques », bien que conscients du passif et sans illusions sur la valeur du système, en sont eux-mêmes le produit et y ont accompli leur carrière jusqu’au sommet de la hiérarchie. Ce n’étaient pas des anciens dissidents comme en Pologne ou  en République tchèque. Les institutions clés du pouvoir soviétique ― même affaiblies et frappées par la démoralisation et la corruption ― n’ont pas disparu. À Moscou, sur la place Rouge, le mausolée de Lénine, toujours en place, symbolise cette résistance de l’ordre soviétique. Imaginons un instant une Allemagne gouvernée par d’anciens gauleiters nazis, se gargarisant de slogans démocratiques et entretenant le mausolée d’Hitler au centre de Berlin. Zbigniew Brzezinski (“Le Grand Echiquier”, 1997)
C’est toujours la même chose. (…) La Russie se présente comme faible: il faut l’aider, se garder de l’humilier, consolider ses progrès. Elle se présente en même temps comme redoutable par son immensité, son armée, son arsenal atomique, son pétrole. Elle fait planer une vague menace. Elle pourrait être encore pire. Apaisons-la. (…) Que veut la Russie de Poutine ? Pour commencer, reconstituer l’URSS. Elle est en contentieux de frontières avec l’Ukraine, l’Estonie, la Lettonie, la Moldavie, le Kazakhstan, la Géorgie. Elle a soin d’entretenir ce contentieux, de le faire suppurer et quand l’occasion se présente, de l’enflammer, comme aujourd’hui. Au lieu de s’occuper de l’épouvantable niveau sanitaire, de l’école à la dérive, elle construit des sous-marins, des porte-avions, développe des systèmes d’armes, pratique la menace et le chantage tous azimuts. Nous saluons : «La Russie a retrouvé sa fierté.» En fait elle court à sa ruine. Elle ne peut concevoir la négociation qu’en termes de victoire. (…) À force de répétition, de crise en crise, cet appétit pour l’agrandissement finit par nous paraître naturel. C’est comme un vieux travers de la Russie, presque un élément du folklore, comme le samovar. C’est leur habitude et nous nous y habituons. Notre jobardise, notre crédulité, notre naïveté sont, avec la domination, l’autre grande satisfaction de l’État russe. Alain Besançon
La Russie a su nous instiller une culpabilité corrosive pour avoir gagné la guerre froide. Elle s’est constamment posée en victime, au point que le refrain de la diplomatie française a été pendant des années qu’ »il ne fallait pas humilier la Russie ». Au nom de ce principe, cette dernière a bénéficié d’une indulgence exceptionnelle, dont elle a usé et abusé. Quel autre pays au monde peut en effet se permettre de raser des villes, de spolier les étrangers, d’assassiner les opposants hors de ses frontières, de harceler les diplomates étrangers, de menacer ses voisins, sans provoquer autre chose que de faibles protestations ? La raison en est que la Russie se pose constamment en victime, et elle a réussi à persuader les Occidentaux qu’ils étaient responsables de la débâcle des premières années de l’après-communisme, alors que la cause de ce fiasco tenait à l’héritage du communisme et aux caractéristiques de la nouvelle élite qui a émergé sur les ruines de l’Etat soviétique. De même que Hitler jouait à fond sur la culpabilité suscitée en Europe par le traité de Versailles, de même les Russes paralysent notre volonté en nous faisant endosser la faute de leurs déboires pendant les années Eltsine. Ainsi tout est bon : nous avons élargi l’OTAN, nous avons fait la guerre à la Yougoslavie, nous avons proclamé l’indépendance du Kosovo. En réalité, le tournant de la Russie vers ce qui allait devenir la dictature poutinienne a été pris avant ces événements. Il remonte à la crise de l’automne 1993, lorsque Boris Eltsine a donné la troupe contre la Douma et fait adopter une nouvelle Constitution qui mettait un terme à la séparation des pouvoirs et fermait à la Russie la voie de la démocratie libérale à l’européenne, – et cela, dès cette époque, au nom d’un renouveau impérial. Les propagandistes du Kremlin ont parfaitement assimilé la phraséologie occidentale et ils la manipulent en maîtres. Encore une fois, le précédent de Hitler, qui sut jusqu’en 1938 dissimuler ses projets de conquêtes sous le slogan du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » et du « droit du peuple allemand à l’autodétermination », est particulièrement instructif : les régimes autoritaires savent concentrer le mensonge en un rayon laser dévastateur qu’ils braquent sur les centres nerveux des démocraties pétrifiées. Aussi devons-nous avant tout nous débarrasser de cette culpabilité débilitante, à tous les sens du terme. Nous devons nous rappeler comment Vladimir Poutine est arrivé au pouvoir, par la provocation et une guerre menée contre des citoyens russes. Nous devons nous rappeler ce qu’il a réalisé en quelques années : la mise au pas totale du pays, la redistribution de la propriété au profit de son clan, l’organisation d’une propagande systématique de haine contre les Occidentaux, l’occultation des crimes du communisme, la réhabilitation de Staline, un lavage de cerveau quotidien des citoyens russes visant à leur inculquer la paranoïa, le culte de la force et l’esprit de revanche. (…) C’est devant cette Russie dangereuse que nous nous trouvons. Cessons de nous accuser et de trouver à la Russie mille excuses, qui ne servent qu’à justifier notre lâcheté. Elle nous dit qu’elle défend ses intérêts légitimes en envahissant un pays indépendant. Et dans les chancelleries occidentales, nombreux sont ceux qui sont prêts à lui reconnaître implicitement une « sphère d’influence », pour la « rassurer, apaiser » son complexe d’encerclement (c’est par les mêmes arguments que les Anglo-Saxons ont justifié l’abandon de la Pologne à Staline en 1944-1945). A ceux-là il faut rappeler que, une semaine avant de lancer l’opération d’annexion de la Géorgie, la Russie avait discrètement cédé à la Chine les territoires contestés qui avaient failli mener à une guerre entre les deux pays en 1969. (…) La conclusion est simple : la Russie poursuit de sa vindicte les Occidentaux et les pays qui s’orientent vers l’Europe et les Etats-Unis. Elle se prétend encerclée par l’OTAN et ne se soucie nullement d’une Chine autrement agressive, dynamique et dangereuse pour sa « sphère d’influence ». Ce qu’elle hait et redoute, c’est la liberté. Elle guette avidement chez nous les signes de faiblesse, d’aveuglement, de corruption et de capitulation préventive – et elle n’a que trop d’occasions de se réjouir. Or chaque démission en appellera d’autres plus grandes. Tant que demeurera une Europe indépendante alliée aux Etats-Unis, la Russie se sentira encerclée. La réalisation des prétendus intérêts de sécurité russes passe par l’asservissement par cercles successifs de tous ses voisins occidentaux et méridionaux. Françoise Thom (2008)
Les intellectuels et le communisme étaient faits pour se rencontrer depuis que Lénine a compris que le prolétariat n’allait pas briser ses chaînes d’exploité, comme le croyait Marx, et qu’il fallait un parti de révolutionnaires professionnels pour prendre le pouvoir, comme il l’écrit dans Que faire? en 1902. La révolution, devenait du coup une affaire d’intellectuels éclairés, chargés de faire le bonheur du peuple malgré lui. Être au centre du pouvoir, en tant que conseiller ou comme acteur, est un vieux rêve de l’élite pensante depuis Platon. De plus, le déterminisme historique qui caractérise la théorie marxiste, avec la lutte des classes comme moteur de l’histoire et l’inéluctable avènement du communisme, stade suprême de l’humanité, offrait aux intellectuels la feuille de route dont ils rêvaient. Les voilà au cœur de l’action avec la boussole pour les diriger. Le communisme une fois instauré, tous les régimes en question ont éliminé les intellectuels qui n’étaient pas dans la ligne, mais tant qu’il s’est agi du sang des autres là-bas, au loin, de ceux qui subissaient, la plupart des intellectuels occidentaux sympathisants ont continué à croire en l’avenir radieux. (…) L’expression «opium des intellectuels» est de Raymond Aron, l’un de nos rares intellectuels à avoir échappé à l’attraction communiste. L’appétence particulière de nos «penseurs» pour cette idéologie tient à plusieurs facteurs. Pour l’essentiel, disons que le rapport de l’intellectuel français au pouvoir est singulier, au phénomène de cour mis en place sous la royauté: être proche, avoir l’oreille du prince a toujours été une marque de reconnaissance. En France le pouvoir attire, jusqu’à aveugler souvent. D’autre part, la philosophie des Lumières qui a annoncé la Révolution française a démontré comment la pensée pouvait préparer les esprits aux bouleversements politiques et sociaux, ce que le communisme systématise avec le parti de Lénine justement. Le facteur révolution joue aussi son rôle, toute la culture post 1789 a magnifié ce moment, c’est seulement récemment que nous avons pris conscience que l’instrumentalisation idéologique pouvait conduire à la Terreur, comme en 1793. L’expression populaire «on ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs» présente les excès révolutionnaires comme nécessaires, donc acceptables. En réalité, il n’y a jamais eu de révolution communiste, c’est l’une des impostures de cette histoire. Dans les faits, le pouvoir n’a jamais été conquis à la suite d’une révolte populaire: le coup d’État de Lénine en octobre 1917, la guerre civile gagnée par Mao en 1949, la guerre de libération nationale conduite par Ho Chi Minh au Vietnam en sont quelques exemples. Le terme de «révolution communiste» est un oxymore que nos intellectuels ont vénéré. (…) L’expression [« compagnon de route »] est due à Trotski, en 1922. Elle désigne l’intellectuel qui est prêt à faire un bout de chemin avec les communistes sans pour autant adhérer au parti. (…) Dans à peu près tous les pays du monde il y a eu des compagnons de route: GB Shaw en Grande Bretagne, Dashiell Hammett aux Etats Unis, Bertolt Brecht en Allemagne, Alberto Moravia en Italie, etc. Il serait plus court de citer les intellectuels restés lucides. (…) Lénine désignait par ce terme [« idiot utile »] l’homme politique, l’homme d’affaires qui pouvaient être utilisés pour promouvoir tel ou tel aspect du communisme, par orgueil (se rendre intéressant), par ignorance, par cupidité, bref en usant de tous les ressorts humains. Le plus connu des « idiots utiles » est l’ancien président du Conseil français, sous la IIIe République, Edouard Herriot, invité en Ukraine au début des années 1930 alors que la famine, instrumentalisée par Staline pour liquider les paysans récalcitrants à la collectivisation, battait son plein. Il en a nié la réalité, soit plusieurs millions de morts. Plus près de nous, François Mitterrand s’est prêté à la même opération pour le compte de Mao. Reçu par le Grand Timonier alors que la famine décimait le pays à cause du Grand bond en avant, il en a contesté l’ampleur comme Mao lui avait dit. De 30 à 50 millions de Chinois sont morts à cette époque. On ne compte pas les hommes d’affaires capitalistes qui ont aidé les régimes communistes à survivre par des crédits ou en livrant du matériel, de la technologie jusque et y compris à l’usage des travailleurs forcés des camps de concentration. Tout ce passé est douloureux pour nos consciences, voilà pourquoi aussi il est tentant de l’oublier, voire de l’escamoter. (…) La fameuse phrase de Sartre sur « il ne faut pas désespérer Billancourt », peut-être une explication de cette cécité. Le communisme a représenté un tel espoir que peu importait la réalité. Pour beaucoup il était préférable de croire que de voir, donc ils se sont aveuglés d’eux-mêmes car la vérité sur le communisme a été connue dès les premiers mois, les témoignages n’ont jamais cessé de s’accumuler: qui voulait savoir pouvait savoir. C’est bien ce qui rend cet aveuglement coupable, autant, quitte à choquer, que ceux qui savaient sur la Shoah avant la découverte des camps d’extermination en 1945 mais qui se sont tus pour raison d’État, dans un contexte de guerre mondiale. L’indifférence, pis les mensonges qui ont couvert la réalité communiste, ne bénéficient même pas d’une telle excuse. C’est ainsi que des dizaines de millions de personnes ont disparu dans ces régimes que la doxa intellectuelle présentait comme LE modèle pour l’humanité. La culpabilité est immense ce qui rend ce passé si douloureux pour la conscience universelle. Certains sont toutefois plus coupables que d’autres. Un Aragon, apparatchik communiste jusqu’à ses derniers jours, est cent fois plus blâmable qu’un Sartre qui a fait des allers-retours avec l’idéologie. (…) En exergue à l’un de mes chapitres je cite cette phrase de Camus: «Toute idée fausse finit dans le sang mais il s’agit toujours du sang des autres». Le communisme a été une idée fausse, des hectolitres de sang ont été versés en son nom, mais qu’importe…. L’intellectuel, d’une manière générale, s’embarrasse peu de la réalité surtout s’il n’y est pas confronté directement. Cette indifférence, voire cet amour du sang des autres a des ressorts profonds dont l’une des sources est probablement la haine de soi éprouvée en tant que profiteur d’un monde que l’on abhorre. L’adhésion au communisme a été d’autant plus forte que le rejet du capitalisme a été profond, un système vu, jugé comme l’exploitation du plus grand nombre, l’enrichissement d’une minorité, et le fourrier de la guerre (celle de 1914-1918) qui venait de meurtrir le monde. La charge était telle que s’en débarrasser devenait une libération pour l’humanité, quel qu’en soit le coût humain puisque le capitalisme ne pouvait en ce domaine donner de leçon. La violence est devenue une nécessité pour s’arracher de ce monde. L’enchaînement capitalisme – haine – égalité – révolution – violence annonçait l’indifférence à venir. Les intellectuels s’y sont complus tant qu’ils n’en étaient pas les victimes. (…) Avoir été maoïste est à la fois plus grave et moins grave qu’avoir été stalinien. Plus grave puisqu’intervenant après, quand on pouvait tout savoir des dégâts provoqués par l’aveuglement sur Staline. Plus grave encore car Mao est responsable de bien plus de morts que Staline. La complicité est donc moralement plus grave. En même temps, l’aveuglement a duré moins longtemps et certains maoïstes occidentaux s’en sont repentis. Moins grave aussi parce que le maoïsme a pris en Occident un côté folklorique qui lui conférait un aspect ridicule: voir des intellectuels brandir le Petit livre rouge en ânonnant les slogans du Grand Timonier pouvait difficilement être pris aux sérieux. Le maoïsme a démontré de manière éclatante combien l’aveuglement idéologique abêtit, en cela il a été utile si j’ose dire. Maintenant, que Mao garde une stature de commandeur quand Staline a été déboulonné, la responsabilité en revient en premier lieu au régime chinois qui en est l’héritage. Que tous les billets de banque de la République populaire de Chine soient encore à l’effigie du Grand Timonier est aussi scandaleux que si les Deutsche Marks d’après guerre avaient mis le Führer en emblème. (…) Le meilleur allié du communisme a été le nazisme et le plus utile des idiots, si l’on peut dire, fut Hitler. Les deux totalitarismes se sont entraidés avant de se combattre. Ils avaient la même haine du monde occidental, de la démocratie et leur système politique était cousin germain. Après avoir aidé Hitler à arriver au pouvoir en 1933 grâce à la lutte conjointe des communistes allemands (aux ordres de Moscou) et des nazis, contre le gouvernement social-démocrate en place à Berlin ; après avoir soutenu l’effort de guerre du Führer grâce au pacte germano-soviétique d’août 1939 ; après s’être partagé l’Europe au début de la guerre, les deux totalitarismes se sont affrontés. À partir de là, toute l’intelligence de Staline, toute la tactique communiste a consisté à se présenter comme le meilleur rempart, le seul même face à la peste brune, jusqu’à faire oublier l’alliance passée. L’antifascisme a servi de paravent au stalinisme pour accomplir ses noirs desseins, d’abord contre son peuple puis contre les peuples conquis à la faveur du conflit mondial. Communisme et nazisme sont deux variantes du totalitarisme. Être contre l’un aurait dû amener à être contre l’autre, c’est cela que dit Orwell. Or l’hémiplégie d’une partie de l’opinion publique (cela va bien au-delà des intellectuels) consiste toujours à diaboliser un totalitarisme, le brun, pour excuser ou minorer l’autre, le rouge. C’est l’un des héritages du communisme dans les têtes. La seule attitude morale qui vaille est d’être antitotalitaire et de renvoyer dos à dos toutes les idéologies qui en sont le substrat. (…) Le communisme a représenté un grand espoir de justice sociale, il a mis ses pas dans la démarche chrétienne. Cela explique en partie son succès: au message christique «les derniers seront les premiers» au paradis, l’idéologie a substitué l’idée que les prolétaires (les plus pauvres) gouverneront le monde pour instaurer l’égalité pour tous. L’échec est d’autant plus durement ressenti. La mort du communisme revient pour certains à la mort de Dieu pour les croyants: inacceptable, impensable. Le communisme n’est toujours pas sorti de cette phase de deuil, d’où le négationnisme dont je parle: on nie la réalité de ce qui fut pour ne pas souffrir des espoirs qu’il a suscité. Il est certes désormais reconnu que ces régimes ont fait des millions de morts. C’est un progrès. Il n’empêche, être anti communiste reste péjoratif, quand cela devrait être une évidence. L’intellectuel qui a eu des faiblesses envers le fascisme demeure coupable à jamais quand celui qui a idolâtré le stalinisme ou le maoïsme, ou le pol-potisme (le Cambodge des Khmers rouge) est vite pardonné. C’est aussi cela le négationnisme communiste. Il ne s’agit pas de faire des procès, mais de regarder la réalité historique en face. En outre, la complicité envers le communisme a été telle, elle a pris une telle ampleur – des militants des PC du monde entier aux intellectuels, des dirigeants politiques des démocraties aux hommes d’affaires -, qu’il existe un consensus tacite pour oublier cette face sombre de l’humanité. L’être humain n’aime pas se sentir coupable, alors il passe à autre chose. Ce ne peut être que transitoire. La dimension du drame communiste fait qu’il est impossible d’en faire l’impasse. Je fais le pari que la réflexion sur cette époque va prendre de l’ampleur pour que l’histoire se fasse enfin. Il faudra sans doute pour cela que tous les témoins (acteurs ou simples spectateurs) de cette époque disparaissent. Et avec eux ce négationnisme diffus qui sert de garde-fou à l’émergence de la mauvaise conscience. Il est évident que l’étude approfondie de cette époque est indispensable pour la compréhension de notre monde actuel, l’héritage somme toute du XXe siècle communiste. (…) En premier lieu, il reste encore des régimes communistes: outre la Chine, la Corée du Nord, le Laos, le Vietnam, Cuba, l’Erythrée notamment. Ces pays fonctionnent sous l’égide d’un parti unique qui se réclame de l’idéologie marxiste-léniniste, avec tout ce que cela comporte d’atteinte aux libertés et de drames humains. Maintenant, l’échec du bloc soviétique a discrédité ce type de système politique. Je doute que des régimes communistes nouveaux apparaissent. En fait, il n’y a plus le terreau nécessaire pour cela. L’idéal, comme les régimes qui s’en réclament, sont apparus dans un contexte idéologico-politico-économique particulier, fait à la fois de scientisme, de guerres, de massification des individus, de crises sociales, toutes choses que je développe largement dans mon livre, qui ne sont plus. J’ajoute que la mondialisation, l’ouverture obligée des frontières pour y participer, est antinomique avec l’esprit totalitaire qui oblige à l’enfermement des êtres comme des esprits. On peut d’ailleurs constater que les pays qui restent communistes s’ouvrent économiquement tout en restant fermés politiquement. La Chine en est le meilleur exemple. Or, à terme, cette schizophrénie politico-économique n’est pas viable. Non seulement le contexte mondial a changé pour que de nouveaux pays tombent dans la nasse communisme, mais ceux qui y restent sont condamnés à terme à disparaître, en tout cas tels qu’ils existent. Dans nos contrées démocratiques, seul un quarteron d’idéologues se réclame encore du communisme marxiste-léniniste vieille manière, celui qui a brillé au XXe siècle. Mais ils n’ont plus d’influence. La page est tournée. La protestation sociale née des inégalités, qui elles ne cesseront sans doute jamais, prend et prendra d’autres chemins, mais pas celui emprunté tout au long du XXe siècle. (…) Le philosophe anglais Bertrand Russel remarquait déjà au début des années 1920 une ressemblance entre communisme et islamisme, notamment la même volonté de convertir le monde. N’oublions pas que la propagande communiste, très présente au XXe siècle, a développé des thèmes anti-occidentaux au nom de la lutte contre l’abomination capitaliste, et contre l’impérialisme. Cela a façonné des esprits, y compris dans des pays musulmans influencés par l’URSS, leur allié contre l’ennemi principal, Israël. La doxa communiste contre la liberté d’être, de penser, de se mouvoir, d’entreprendre, etc., se retrouve dans le discours des islamistes, présentée comme des tentations de Satan. En tant qu’idéologie totalitaire, le communisme cherchait à atomiser les individus en les arrachant de leurs racines sociales, politiques, culturelles, voire familiales, pour mieux les dominer, les contrôler. L’islamisme, lui, propose des repères, des codes, à des individus déjà déracinés sous la poussée d’une mondialisation dont les effets ont tendance à déstructurer les sociétés traditionnelles. La démarche est différente, mais le résultat est comparable: dans les deux cas il s’agit d’unir des personnes isolées grâce à des sentiments identitaires – la communauté socialiste, la communauté des croyants -, de donner sens à leur collectif grâce à un mythe absolu et exclusif, le parti pour les communistes, l’oumma pour les islamistes, terme qui désigne à la fois la communauté des croyants et la nation. Enfin, on retrouve dans l’islamisme des marqueurs du communisme: la contre-modernité du propos, une explication globale du monde et de sa marche, une opposition radicale entre bons et mauvais – croyants/impies en lieu et place des exploités/exploiteurs -, la volonté de modeler les hommes, et un esprit de conquête planétaire. Dès lors, la substitution est possible. Thierry Wolton
Poutine a eu le plus de succès, paradoxalement, dans les domaines de l’économie et de la politique, où l’Occident pensait que son pouvoir était le plus fort. (…) Menés par la Chine et rejoints par l’Inde et le Brésil, les pays du monde entier choisissent le commerce avec la Russie (…) Depuis que le dirigeant russe a attaqué la Géorgie en 2008, les dirigeants occidentaux ont constamment mal interprété et sous-estimé la menace que représentent les puissances révisionnistes (Chine, Russie et Iran) [en] Géorgie, Crimée, mer de Chine méridionale et au Moyen-Orient. Tactiquement, M. Poutine veut absorber autant d’Ukraine que possible, mais cette guerre ne concerne pas vraiment quelques tranches du Donbass. Stratégiquement, MM. Poutine, Xi et leurs acolytes iraniens cherchent à détruire ce qu’ils considèrent comme une hégémonie mondiale dirigée par les Américains et dominée par l’Occident. Ils estiment que malgré ses atouts imposants (les pays du G-7 représentent 45 % du produit intérieur brut mondial et 52 % des dépenses militaires mondiales), cet ordre est décadent et vulnérable. (…) Alors que la sagesse conventionnelle occidentale croit que l’élément « basé sur les valeurs » de la politique étrangère américaine et européenne est une source vitale de force dans le monde, les révisionnistes croient que le narcissisme et l’aveuglement occidentaux ont conduit les puissances occidentales dans un piège historique. (…) Les défenseurs conventionnels de l’ordre mondial occidental répliquent en vantant son attachement à des valeurs universelles telles que les droits de l’homme et la lutte contre le changement climatique. L’ordre mondial actuel peut, reconnaissent-ils, être historiquement enraciné dans la puissance impériale occidentale, mais en tant qu’« empire de valeurs », l’ordre mondial occidental mérite le soutien de tous ceux qui se soucient de l’avenir de l’humanité. Malheureusement, le programme de valeurs de plus en plus « woke » de l’Occident n’est pas aussi crédible ou aussi populaire que l’espèrent les libéraux. (…) De nombreuses valeurs chères au cœur des leaders culturels occidentaux (droits LGBTQ, avortement à la demande, liberté d’expression comprise comme autorisant la pornographie incontrôlée sur Internet) intriguent et offensent des milliards de personnes dans le monde qui n’ont pas suivi les modes actuelles sur les campus américains. Les tentatives des institutions financières et des régulateurs occidentaux de bloquer le financement de l’extraction et du raffinage des combustibles fossiles dans les pays en développement exaspèrent à la fois les élites de là-bas et le grand public. De plus, le nouveau programme de valeurs post-judéo-chrétiennes de l’Occident libéral divise l’Occident. Les guerres culturelles chez nous ne favorisent pas l’unité à l’étranger. Si M. Biden, avec le soutien du Parlement européen, fait de l’avortement à la demande un élément clé de l’agenda des valeurs de l’ordre mondial, il est plus susceptible d’affaiblir le soutien américain à l’Ukraine que d’unir le monde contre M. Poutine. La confusion morale et politique de l’Occident contemporain est l’arme secrète qui, selon les dirigeants de la Russie et de la Chine, mettra à genoux l’ordre mondial américain. MM. Poutine et Xi pourraient avoir tort ; et on l’espère bien. Mais leur pari sur la décadence occidentale porte ses fruits depuis plus d’une décennie. La survie occidentale et l’épanouissement mondial nécessitent plus de réflexion et des changements plus profonds que ce que peuvent actuellement imaginer l’administration Biden et ses alliés européens. Walter Russell Mead
Sur fond de grave crise aux confins orientaux de l’Ukraine, où le bruit des bottes fait redouter une nouvelle offensive militaire russe, le Kremlin a ordonné le tir d’une salve de missiles hypersoniques « Zircon », et ce la veille de Noël (selon le calendrier grégorien). Vladimir Poutine s’est félicité de ce succès : « un grand événement pour le pays et une étape significative pour renforcer la sécurité de la Russie et ses capacités de défense ». Au vrai, il ne s’agit pas du premier essai mais il intervient dans un contexte particulier, quand le Kremlin pose de manière claire et explicite un ultimatum qui exige des Occidentaux qu’ils signent deux traités ordonnant le repli de l’OTAN et donc, à brève échéance, son sabordage. Dans l’esprit des dirigeants russes et de nombreux commentateurs à Moscou, enthousiasmés par la possibilité d’une grande guerre à visée hégémonique, il ne s’agit pas tant de démontrer l’avance acquise dans la gamme des armes dites « nouvelles » que d’intimider et de menacer l’Europe et les États-Unis. Et la discrétion des dirigeants occidentaux quant à ces essais répétés laisse dubitatif. Dès lors se pose la question des possibles effets produits par ces « armes nouvelles ». S’agirait-il là d’une rupture technologique, vecteur d’une révolution stratégique ? En d’autres termes, le problème est de savoir si la Russie, posée par ses dirigeants comme puissance révisionniste, prête à recourir aux armes pour modifier le statu quo international, aligne son discours géopolitique, son système militaire et sa stratégie. On se souvient du discours prononcé par Vladimir Poutine au Parlement, le 1er mars 2018, le président russe ayant alors présenté un programme de nouveaux missiles qui impressionna la classe dirigeante russe et nombre d’observateurs internationaux. Ces armes dites de rupture sont hypersoniques (soit une vitesse supérieure à Mach 5), sur une partie de leur trajectoire à tout le moins. Elles sont présentées comme étant capables d’effectuer des manœuvres qui permettent de déjouer les capacités d’interception adverses, c’est-à-dire les défenses antimissiles des États-Unis et de l’OTAN. Parmi ces « super-missiles », citons le « Kinjal » (un missile lancé par un avion), l’« Avangard » (un planeur hypersonique lancé par une fusée « Sarmat ») et le « Zircon » (un missile antinavire déployé sur des bâtiments de surface, des sous-marins ainsi que des batteries côtières). Curieusement, le « Zircon » dont il est désormais question ne fut pas mentionné lors de la prestation du 1er mars 2018. En revanche, d’autres armes furent présentées, à l’instar de la torpille « Poséidon », capable de déclencher un tsunami radioactif de l’autre côté de l’Atlantique, le drone sous-marin « Peresvet », à propulsion nucléaire et à charge atomique, et le missile « Bourevestnik » qualifié d’« invincible » par Vladimir Poutine. Il existe des interrogations sur le degré réel d’avancement de ces programmes et leur opérationnalité effective. Ainsi l’accident survenu le 8 août 2019, sur une base septentrionale russe, serait-il lié à un nouvel échec du « Bourevestnik » (l’explosion a fait plusieurs morts et provoqué une hausse de la radioactivité). Nonobstant des imprécisions et des effets d’annonce parfois trop hâtifs, le programme d’armes nouvelles illustre la réalité du réarmement russe, plus axé sur la qualité des technologies que sur le volume des arsenaux. Les optimistes veulent voir dans la posture russe une forme contre-intuitive de « dialogue stratégique » avec les États-Unis, en vue d’un renouvellement de l’arms control (la maîtrise des armements). Le sort du traité sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI), violé par la Russie, dénoncé en conséquence par Washington (Moscou suivit), ainsi que les incertitudes autour des négociations nucléaires stratégiques ne sont pas de bon augure. Faut-il voir dans ces armes une rupture technologique et stratégique ? D’aucuns soulignent le fait que l’hypervélocité et la capacité à manœuvrer de ces « armes nouvelles » ne font pas une révolution stratégique. D’une part, les fusées balistiques outrepassent l’hypervélocité de ces engins. S’il est vrai, d’autre part, que leur capacité à manœuvrer permettrait de contourner les défenses antimissiles des Alliés (États-Unis et OTAN), il en serait de même avec un missile balistique intercontinental. Au demeurant, les défenses antimissiles n’ont pas été pensées pour intercepter les missiles balistiques intercontinentaux de la Russie ou de la Chine populaire mais pour contrer une puissance proliférante, du type de l’Iran ou de la Corée du Nord, détentrice d’un nombre réduit d’engins. Soulignons ici la mauvaise foi russe qui, tout en développant ses propres défenses antimissiles, ne cesse de dénoncer les effets prétendument déstabilisateurs du dispositif américano-otanien. En première analyse, le déploiement d’« armes nouvelles » russes ne changerait donc pas l’équation stratégique ; quand bien même leur hypervélocité réduirait le délai de réaction, les puissances nucléaires occidentales conserveraient une capacité de frappe en second, pour exercer des représailles sur l’État agresseur. Théoriquement, une telle perspective devrait le détourner de la tentation d’une première frappe désarmante, « dissuader » signifiant « empêcher de passer à l’acte ». Pourtant, la Russie, ces dernières années, a amplement modernisé ce que les spécialistes nomment la « triade stratégique », ses armes nucléaires stratégiques terrestres (missiles intercontinentaux), aériennes (missiles lancés depuis un bombardier) et sous-marines (missiles lancés par des sous-marins nucléaires lance-engins). Aussi le développement et le déploiement d’engins « exotiques » (les « armes nouvelles ») posent question : à quelles fins et selon quels scénarios ? (…) Sur le plan de la réflexion stratégique, rappelons l’important article de l’Américain Albert Wohlstetter sur le « fragile équilibre de la terreur » (« The Delicate Balance of Terror », Rand Corporation, 6 novembre 1958). Selon l’analyse de ce stratège, l’équilibre de la terreur est instable et la dissuasion de l’adversaire potentiel n’est en rien automatique, la symétrie des arsenaux pouvant coexister avec l’asymétrie morale. (…) Dès lors, le développement et le déploiement par la Russie d’« armes nouvelles », hors du cadre de l’« arms control », ne viserait-il pas à sortir de la parité pour acquérir une position de supériorité nucléaire ? Dans une telle perspective, les armes nucléaires ne seraient plus au seul service de la dissuasion, pour préserver le territoire national et ses approches de toute entreprise guerrière ; elles pourraient être le moyen d’une stratégie d’action et de coercition visant des buts d’acquisition. (…) Il suffit d’ailleurs de se reporter à la présente situation, nombre d’officiels russes n’hésitant pas à menacer l’Europe d’une frappe préventive s’ils n’obtiennent pas une sphère d’influence exclusive dans l’« étranger proche » (l’espace post-soviétique), élargie à toute l’Europe si les États-Unis se retiraient de l’OTAN. (…) Ainsi une « escalade pour la désescalade », c’est-à-dire une frappe nucléaire théoriquement destinée à interdire l’intensification d’une guerre classique (conventionnelle), n’est pas exclue. En d’autres termes, cela signifierait la volonté de vaincre en ayant recours à l’arme nucléaire. Sur ce point, ajoutons que Vladimir Poutine, à la différence du secrétaire général du parti communiste soviétique autrefois, n’est pas limité par un Politburo. À tout le moins, il importe d’envisager le fait que la Russie mette son arsenal au service d’une stratégie de « sanctuarisation agressive » : lancer une offensive armée classique sur les espaces géographiques convoités (l’Ukraine, en tout ou en partie, ainsi que d’autres républiques post-soviétiques refusant un statut d’État croupion, privées de leur souveraineté), les puissances extérieures étant dissuadées de leur porter secours en les menaçant d’une escalade nucléaire. Si l’on considère l’Ukraine, n’est-ce pas déjà le cas ? La lecture attentive des projets de traité que Moscou prétend imposer aux États-Unis laisse penser qu’outre les trois États baltes, seules ex-républiques soviétiques intégrées dans l’OTAN, les anciens satellites d’« Europe de l’Est » — le syntagme d’« Europe médiane », entre Baltique, mer Noire et Adriatique, est aujourd’hui plus approprié — seraient également l’objet de cette grande manœuvre. C’est ici que certaines des « armes nouvelles » russes, notamment le « Zircon », si elles n’apportent rien à la dissuasion russe, trouvent leur place. Qu’elles soient déployées au sol, en mer ou dans les airs, ces armes sont duales : elles peuvent tout aussi bien être dotées de charges conventionnelles que de têtes nucléaires. D’ores et déjà, le « Zircon » et d’autres systèmes d’armes pourraient servir à verrouiller la Baltique et la mer Noire (mise en place d’une « bulle stratégique » sur ces mers et leur pourtour), l’objectif étant d’écarter les alliés occidentaux des pays riverains. Alors, ces derniers seraient à la merci d’une agression militaire russe. Le seul poing levé pourrait convaincre les récalcitrants. (…) Ainsi placée sous la menace d’une première frappe désarmante, avec un temps de réaction de quelques minutes (insuffisant pour disperser les cibles), l’Europe serait prise en otage. Certes, la France et le Royaume-Uni, a fortiori les États-Unis, conserveraient leur capacité de frappe en second, mais ces puissances occidentales, possiblement épargnées par cette première frappe, non nucléaire de surcroît, porteraient alors la responsabilité de l’escalade nucléaire. Gageons qu’il ne manquerait pas dans ces pays de politiques et de publicistes pour poser la question fatidique : « Mourir pour Dantzig ? » et plaider qui le « grand retranchement », qui la cause d’une « grande Europe, de Lisbonne à Vladivostok ». À l’évidence, un tel scénario n’est pas sans rappeler la configuration géostratégique générée par le déploiement par les Soviétiques des missiles SS-20 (1977), une arme jugée alors déstabilisante du fait de sa précision. L’objectif de ces armes de théâtre, ensuite baptisées « forces nucléaires intermédiaires », était de provoquer de prendre en otage l’Europe occidentale et de provoquer un découplage géostratégique entre les deux rives de l’Atlantique Nord. S’ensuivit la « bataille des euromissiles », l’OTAN exigeant le retrait des SS-20 et, à défaut, menaçant de déployer des missiles encore plus précis et véloces (missiles balistiques Pershing-II et missiles de croisière Tomahawk). (…) En 1987, Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev signèrent un traité portant sur le retrait de toutes les forces nucléaires intermédiaires, d’une portée de 500 à 5 500 kilomètres. Peu après, l’armée soviétique devrait évacuer l’Afghanistan puis, après la chute du mur de Berlin, la réunification de l’Allemagne et la « révolution de velours », mettre à bas les régimes communistes d’Europe médiane : l’URSS implosait (1991). Mutatis mutandis, la situation actuelle semble mener à une nouvelle bataille des euromissiles, si tant est que les Occidentaux se montrent unis et déterminés à résister aux ambitions de Vladimir Poutine et, il faut en convenir, d’une partie des Russes qui semblent considérer la fin de la précédente guerre froide comme une simple trêve, nécessaire pour reconstituer le potentiel russe de puissance et de nuisance. (…) le discours géopolitique révisionniste du Kremlin et le positionnement de la Russie comme « État perturbateur » est difficilement conciliable avec la vision classique de la dissuasion et du nucléaire comme arme de statu quo. Quitte à se répéter, il nous faut donc envisager le pire et s’y préparer, politiquement, intellectuellement et moralement. Jean-Sylvestre Mongrenier
Alors que l’extrême droite et les néonazis tirent parti des échecs des politiques européennes, comparer le communisme au nazisme est historiquement faux, dangereux et inacceptable. En outre, le fait que le gouvernement estonien décide de se concentrer sur les ‘crimes communistes’ montre clairement son intention d’utiliser la présidence tournante de l’UE à des fins idéologiques. Groupe de la Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique
En cette période où les valeurs fondamentales de l’UE sont ouvertement remises en question par la montée des mouvements d’extrême droite et des partis néonazis en Europe, cette initiative est très maladroite. L’organisation d’une conférence sur ce thème spécifique, avec ce titre spécifique, envoie un message politique faussé et dangereux […] ranime l’esprit de la Guerre froide, qui a tant fait souffrir l’Europe, contredit les valeurs de l’UE et ne reflète certainement pas les vues du gouvernement et du peuple grecs : le nazisme et le communisme ne devraient jamais être considérés comme similaires. Les horreurs vécues durant la période nazie n’ont qu’une version, terrible, alors que le communisme, au contraire, a donné naissance à des dizaines de tendances idéologiques, dont l’eurocommunisme. Stavros Kontonis (ministre de la Justice du gouvernement de gauche de Syriza)
La conférence qui a lieu le 23 août à Tallinn est dédiée à l’enquête sur l’héritage laissé par les crimes commis par le régime communiste. Il s’agit de l’expérience estonienne, partagée par les autres pays baltes et certains autres États d’Europe de l’Est. Du point de vue estonien, cette période ne s’est terminée qu’il y a 26 ans. Katrin Lunt (ministère estonien de la Justice)
Le groupe GUE/NGL a appelé les ministres de la Justice des États membres, surtout ceux qui appartiennent à des gouvernements progressistes, à boycotter l’événement, comme l’a fait le gouvernement grec. Il souligne que les « horreurs » vécues durant la période nazie n’ont qu’une version, terrible, alors que « le communisme, au contraire, a donné naissance à des dizaines de tendances idéologiques, dont l’eurocommunisme ». Faudrait-il exacerber les divisions de nos sociétés en vilipendant les anciens régimes ? Sur ce point, les États membres qui ont connu le communisme sont divisés. L’an dernier, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne et la Roumanie ont publié une critique des nations qui célébraient leur Histoire communiste. En Bulgarie, à l’inverse, un monument a été récemment érigé en l’honneur de Todor Zhivkov, personnalité forte de l’ère communiste, dans sa ville natale de Pravets, et est régulièrement visité par des dirigeants socialistes. Contactée par Euractiv, Katrin Lunt, porte-parole du ministère estonien de la Justice, a rappelé que dans le pays, le régime stalinien avait fait des dizaines de milliers de victimes, même après la fin de la guerre. Les crimes commis par le régime soviétique ont laissé des traces encore visibles dans le pays, a-t-elle assuré. La porte-parole a également indiqué que Tallinn avait déjà organisé une conférence sur le sujet en 2015. Euractiv
En 1989, lors de la chute des « démocraties populaires », l’Europe de l’Est s’est tournée vers la démocratie et l’économie de marché, l’intégration dans l’Otan et l’Union européenne. Le tournant s’accompagna du processus de lustration (transparence sur les responsabilités individuelles sous le régime défunt et sanctions éventuelles, NDLR) qui variait d’un pays à l’autre. (…)  Si la « lustration » a touché des milliers d’individus dans chaque pays concerné, les procès de ceux qui avaient donné ou exécuté des ordres criminels du régime communiste ont été bien plus rares. (…) Cependant, le Nuremberg de l’Est n’a jamais eu lieu, qui aurait condamné non seulement des criminels, mais la nature criminelle des régimes communistes, plus ou moins meurtriers, selon les époques, malgré la résolution n° 1481 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur la «Nécessité d’une condamnation internationale des crimes des régimes communistes totalitaires», adoptée en janvier 2006 ; et celle adoptée par le Parlement européen le 2 avril 2009, qui instaure, en tant que Journée européenne du souvenir, la date du 23 août: l’anniversaire de l’infâme pacte Molotov-Ribbentrop ayant partagé l’Europe de l’Est entre deux alliés totalitaires, Hitler et Staline. L’unique proposition d’organiser un tribunal international pour enquêter sur les « crimes du communisme » a été faite à la conférence internationale « Héritage criminel du communisme et du nazisme », à Tallinn, en 2017. Cette initiative du ministre de la Justice estonien de l’époque fut soutenue par les ministères de la Justice de Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie et Croatie, mais rien n’est concrétisé à ce jour. C’est probablement la réticence fréquente de comparer nazisme et communisme qui bloque de telles initiatives, comme l’a bien démontré la critique acharnée contre le directeur de l’ouvrage Le Livre noir du communisme (Robert Laffont, 1997), Stéphane Courtois, pour son rapprochement du génocide nazi et de la répression stalinienne, et plus largement, contre l’ensemble de l’ouvrage qui met en cause l’idéologie communiste elle-même. Or, pour les peuples qui avaient vécu sous l’occupation soviétique, comme les pays baltes, ou sous la domination soviétique, comme l’ensemble de l’Europe de l’Est, le traumatisme reste extrêmement vif. En témoignent les musées du KGB à Riga, à Vilnius et à Tallinn et dans d’autres capitales ; la création d’Instituts de mémoire nationale dans plusieurs pays dont la Pologne et l’Ukraine, chargés non seulement d’étudier et de rendre accessibles, au public général, les archives des services secrets communistes, mais aussi d’élaborer les narratifs historiques nationaux indépendants ; les procédures de décommunisation, à savoir le démantèlement de l’héritage idéologique de l’État communiste, y compris ses symboles et sa toponymie ; un flot de livres et de films, comme Purge de Sofi Oksanen (Stock, 2008) ou Katyn (2007) et Les Fleurs bleues (2016) de Wajda. Il est d’autant plus regrettable que la Russie postcommuniste ait adopté, au cours des dernières années, une attitude opposée en justifiant et en glorifiant son passé soviétique, y compris la période stalinienne, au nom de sa « fierté retrouvée ».  Galia Ackerman
Si vous écoutez les médias russes, ce que disent les officiels russes, y compris le président Poutine, cela semble tout à fait plausible. Je ne dit pas qu’il y aura une guerre. Mais tous les préparatifs pour la guerre sont là : il y a une concentration de troupes, il y a un discours extrêmement agressif et des ultimatums qui ne peuvent pas être satisfaits car totalement irréalistes. On a l’impression qu’ils ne sont qu’un prétexte pour envahir l’Ukraine. [Et ce] Parce qu’il y a une haine de l’Ukraine depuis plusieurs années. Cette haine a très fortement augmenté à la suite de la révolution ukrainienne : je rappelle qu’à ce jour, on parle non pas de Maïdan, non pas d’une révolution populaire mais d’un coup d’Etat, on parle de nazis au pouvoir, on exige que les accords de Minsk soient réalisés à 100% mais surtout dans l’interprétation de Moscou et il est tout à fait clair que la Russie ne veut pas tolérer que son proche étranger prenne une orientation qui ne lui plaît pas, celle de sortir totalement de la sphère d’influence russe. (…) Ils disent tout le temps que l’Ukraine en soi n’a aucune importance, que c’est un terrain que l’OTAN, les Etats-Unis, l’Union européenne, utilisent pour rapprocher les équipements militaires dirigés contre la Russie, pour l’assaut du pays. C’est totalement faux. 73 experts allemands de la Russie ont publié une lettre dans le journal allemand « Die Zeit », ils disent que tout ce que la Russie dit sur sa sécurité menacée est faux : la Russie a la 3e armée au monde, qu’elle est un pays nucléarisé qui a plus de nucléaire que les Etats-Unis, la France et la Grande Bretagne réunis. Personne ne peut menacer la Russie, mais elle prend une pose de personne offensée et demande à ce que ses exigences soient satisfaites : c’est à dire non pas seulement la démilitarisation de l’Ukraine, mais la démilitarisation de toute l’Europe de l’est. Galia Ackerman
La propagande russe présente la Russie comme un État menacé qui a besoin de toute urgence de « garanties de sécurité » de la part de l’Occident. (…) [Mais] il y a actuellement plus d’ogives nucléaires stockées en Russie que dans l’ensemble des trois États membres de l’OTAN dotés d’armes nucléaires : les États-Unis, le Royaume-Uni et la France. Moscou dispose d’un large éventail de vecteurs pour ses milliers d’armes nucléaires : des missiles balistiques intercontinentaux aux bombardiers de longue portée en passant par les sous-marins nucléaires. La Russie possède l’une des trois armées conventionnelles les plus puissantes du monde, ainsi qu’un droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU. La Fédération de Russie est donc l’un des États les plus protégés du monde sur le plan militaire. Le Kremlin utilise des troupes régulières et irrégulières, ainsi que le potentiel de sa menace nucléaire, pour mener diverses guerres et occuper de manière permanente plusieurs territoires dans les anciennes Républiques soviétiques. Non seulement en Europe orientale, mais aussi en Europe occidentale et sur d’autres continents, le Kremlin revendique sans complexe des droits spéciaux pour faire valoir ses intérêts sur le territoire d’États souverains. Contournant les règles, les traités et les organisations internationales, Moscou chasse des ennemis dans le monde entier. Le Kremlin tente de saper les processus électoraux, l’État de droit et la cohésion sociale dans des pays étrangers par des campagnes de propagande, des fake news et des attaques de pirates informatiques, entre autres. Ces agissements sont réalisés en partie en secret, mais dans le but évident d’entraver ou de discréditer la prise de décision démocratique dans les États pluralistes. Il s’agit en particulier de porter atteinte à l’intégrité politique et territoriale des États post-soviétiques en voie de démocratisation. En tant que première puissance économique d’Europe, l’Allemagne observe ces activités d’un œil critique, mais reste largement passive, depuis maintenant trois décennies. (…) En outre, la politique étrangère et la politique économique de Berlin ont contribué à l’affaiblissement politique et économique des pays d’Europe orientale non dotés d’armes nucléaires et au renforcement géo-économique d’une superpuissance nucléaire de plus en plus expansive. En 2008, l’Allemagne a joué un rôle central pour empêcher la Géorgie et l’Ukraine de rejoindre l’OTAN. (…) Pour les relations ukraino-russes déjà fragiles, la mise en service du premier gazoduc Nord Stream en 2011-2012, totalement superflu en termes énergétiques et économiques, a été une catastrophe. Rétrospectivement, cela semble avoir ouvert la voie à l’invasion de l’Ukraine par la Russie deux ans plus tard. Une grande partie de la capacité existante de transport de gaz entre la Sibérie et l’UE n’a pas été utilisée en 2021. Pourtant, la République fédérale se prépare maintenant à éliminer complètement le dernier levier économique de l’Ukraine sur la Russie avec l’ouverture du gazoduc Nord Stream 2 (…) L’attaque de Poutine contre l’Ukraine en 2014 apparaît comme une conséquence presque logique de la passivité politique allemande des vingt années précédentes vis-à-vis du néo-impérialisme russe. (…) Le Kremlin remet désormais aussi en question la souveraineté politique de pays comme la Suède et la Finlande. Il demande l’interdiction d’une éventuelle adhésion à l’OTAN non seulement pour les pays post-soviétiques mais aussi pour les pays scandinaves. Le Kremlin fait peur à toute l’Europe en lui promettant des réactions « militaro-techniques » au cas où l’OTAN ne répondrait pas « immédiatement », selon Poutine, aux exigences démesurées de la Russie visant à réviser l’ordre de sécurité européen. La Russie brandit la menace d’une escalade militaire si elle n’obtient pas de « garanties de sécurité », c’est-à-dire l’autorisation pour le Kremlin de suspendre le droit international en Europe. (…) Les crimes perpétrés par l’Allemagne nazie sur le territoire de l’actuelle Russie en 1941-1944 ne peuvent justifier l’attitude réservée de l’Allemagne d’aujourd’hui face au revanchisme et au nihilisme juridique international du Kremlin. Lettre ouverte de 73 experts allemands (Die Zeit, 14 janvier 2022)
Nous n’allons pas demander pardon… il n’y a aucune raison de demander pardon. Viktor Tchernomyrdine (ambassadeur de Russie en Ukraine, août 2003)
L’URSS a connu en 1932-1933 une sérieuse disette conduisant à un strict renforcement du rationnement, pas une famine et en tout cas pas une famine à « six millions de morts. » Annie Lacroix-Riz
Ils ont fait plus fort que Hitler: parce qu’il y avait réellement des Allemands sur le territoire des Sudètes, tandis que Poutine a dû inventer de toutes pièces sa “minorité russe opprimée” en Géorgie. Stuart Koehl
Le gouvernement russe actuel n’est pas communiste ou stalinien. Ce sont plutôt des gens intéressés par l’argent. Ils inscrivent leurs enfants dans les écoles occidentales, ils vont passer leurs vacances en Occident. Ils ont donc tout intérêt à entretenir de bonnes relations avec l’Ouest. Mais ils sont aussi très cyniques vis-à-vis de cet Occident qu’ils aiment tant. Ils pensent qu’ils peuvent manipuler à leur guise les Européens. Poutine a proféré à plusieurs reprises des menaces contre la Géorgie en nous disant :«Vous croyez que vos amis occidentaux vont venir se battre dans le Caucase ? » (…) Nous n’avions pas d’autre choix que d’intervenir. Les Russes avaient mobilisé les irréguliers ossètes. Ils avaient massé des troupes en Ossétie du Nord. Ils avaient remplacé les gardes frontières ossètes par leurs propres soldats à l’entrée du tunnel de Roki. Nous avons prévenu les Américains que quelque chose se préparait pour qu’ils disent aux Russes d’arrêter. Et les Russes ont jugé que le mois d’août, en pleine campagne électorale américaine, d’un côté, et pendant les Jeux olympiques, de l’autre, était la meilleure période pour agir. Ils ne nous ont pas laissé le choix. Mikheïl Saakachvili
Ce qui est incompréhensible, c’est l’incapacité des démocraties de réaliser que la Russie, une fois requinquée par ses exportations de pétrole, gaz et autres métaux, une fois débarrassée, avec l’argent américain, d’une partie de ses cimetières de sous-marins nucléaires et de moult missiles qui rouillaient sans entretien, fait ce qu’elle veut et ne fera rien de ce que l’Occident attend. Sur tous les fronts d’aujourd’hui : Afghanistan, Irak, Liban, Hezbollah, Gaza, Hamas, Soudan, Somalie, la Russie se trouve toujours du côté adverse à l’Occident : en fournissant des armes, en s’opposant aux sanctions contre l’Iran pour arrêter son programme nucléaire militaire, bref, en s’opposant à tout ce qui pourrait atténuer ou faire disparaître les menaces «extrémistes» (pour ne pas dire islamistes, pour ne fâcher personne…). Michel Poirier
Grâce à la déclassification des comptes-rendus de réunions provenant aussi bien des archives allemandes qu’américaines et russes, Mark Kramer, chercheur à Harvard, démontre dans un article publié par The Washington Quarterly que le non-élargissement de l’OTAN n’a même pas été un sujet de discussion en 1990. Et pour cause: à cette époque, personne n’imagine encore que l’URSS va s’effondrer avec le pacte de Varsovie. L’enjeu principal est alors de savoir si l’Allemagne, dont la partie ouest faisait déjà partie de l’alliance, resterait ou non au sein de l’OTAN en tant que nation réunifiée, et à quelles conditions. Les Occidentaux s’engagent alors sur trois points. Premièrement: ne déployer en Allemagne de l’Est que des troupes allemandes ne faisant pas partie de l’OTAN tant que le retrait soviétique n’est pas fini. Deuxièmement: des troupes allemandes de l’OTAN pourront être déployées en Allemagne de l’Est après le retrait soviétique, mais aucune force étrangère ni installation nucléaire. Et enfin, troisièmement: ne pas augmenter la présence militaire française, britannique et américaine à Berlin. Après d’âpres négociations, ces conditions ont finalement été acceptées par Gorbatchev et inscrites dans le traité concernant les aspects internationaux de la réunification, signée par toutes les parties en septembre 1990. Nulle part, y compris dans les archives russes, n’est fait mention d’une quelconque promesse formelle de ne pas inclure d’autres pays d’Europe de l’Est dans l’OTAN à l’avenir. Même après 2009, l’accusation a pourtant continué à prospérer. Et ce en dépit des dénégations de Mikhaïl Gorbatchev en personne, pourtant assez bien placé pour savoir ce qui s’est vraiment dit à l’époque. Dans une interview accordée en 2014 à Russia Beyond the Headlines, l’ancien président de l’URSS se montre catégorique: «Le sujet de l’expansion de l’OTAN n’a pas du tout été abordé et n’a pas été abordé au cours de ces années.» Gorbatchev précise que l’URSS voulait surtout «s’assurer que les structures militaires de l’OTAN n’avanceraient pas, et que des forces armées supplémentaires ne seraient pas déployées sur le territoire de l’ex-RDA après la réunification allemande». Et d’ajouter: «Tout ce qui aurait pu être et devait être fait pour consolider cette obligation politique a été fait.» Gorbatchev y affirme bien que l’élargissement de l’OTAN constituerait une trahison de ce qu’était selon lui «l’esprit» des discussions de l’époque, mais réaffirme qu’aucun engagement formel n’avait été pris. Les Russes continuent d’affirmer que les Occidentaux auraient néanmoins offert des garanties informelles. Une théorie qui a l’avantage d’être par nature impossible à vérifier. La pertinence de l’expansion de l’OTAN continue cependant de faire débat, y compris au sein des experts occidentaux. Comme le notait le chercheur Olivier Schmitt en 2018, la question a repris de l’importance à partir de 1993 sous l’impulsion du président américain Bill Clinton, alors même qu’une bonne partie de l’administration américaine y était défavorable par crainte des perceptions russes. Mais pour rassurer la Russie, l’OTAN avait justement fait le choix en 1993 de l’intégrer dans son Partenariat pour la paix. Le but: «bâtir un partenariat avec la Russie, en instaurant un dialogue et une coopération pratique dans des domaines d’intérêt commun». Cette coopération n’a été suspendue qu’en 2014, quand la Russie a décidé d’annexer la Crimée. Ce que les supporters de Vladimir Poutine prennent bien soin de ne pas préciser, c’est qu’au moment de l’invasion de la Crimée, c’est bien la Russie qui bafouait une promesse, réelle celle-là. Signé par la Russie, les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et la Chine en 1994, le mémorandum de Budapest garantissait à l’Ukraine le respect de sa souveraineté et de son intégrité territoriale, en échange de son adhésion au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires et de l’abandon des stocks d’armes nucléaires héritées de l’URSS. Surtout, outre leur passé douloureux avec l’URSS, c’est la politique agressive de la Russie vis-à-vis des anciennes républiques soviétiques, et leur volonté de s’arrimer à un espace démocratique, qui ont en partie poussé celles-ci dans les bras de l’OTAN. Ainsi, alors qu’une majorité d’Ukrainiens s’opposaient à une adhésion à l’alliance transatlantique avant 2014, l’opinion publique a totalement basculé dans le sens inverse depuis le début de la guerre: 58% des Ukrainiens souhaitent désormais rejoindre l’alliance. Le mythe de la Russie assiégée a tout d’une prophétie autoréalisatrice. Slate
La question de savoir s’il y a eu une promesse de la part de responsables politiques occidentaux de ne pas élargir l’Otan vers l’Est post-chute du mur, notamment dans le contexte de l’unification des deux Allemagne, continue d’être débattue. Certains assurent qu’une telle promesse avait été donnée, mais le sens exact des propos tenus à l’époque ne semble pas faire consensus. Certains pensent que [les occidentaux] se référaient uniquement à la partie “Est” de l’Allemagne, donc au-delà de l’Elbe, d’autres le comprennent comme ayant trait également aux pays à l’Est de la ligne «Oder-Neisse», la frontière avec la Pologne entérinée par les accords 2+4. Mais il faut souligner qu’au moment de ces négociations, un élargissement de l’Otan pour inclure des pays anciennement du Pacte de Varsovie ne figurait nullement à l’agenda, et qu’il s’agissait du règlement du statut de l’Allemagne unifié, ses frontières, et de la question des troupes et d’armes de l’Otan dont l’Allemagne fédérale était déjà membre. En revanche, il semble avéré qu’aucun engagement formel de la part ni de l’Otan, ni des Etats-Unis, ni du Royaume-Uni, ni de la France n’ait été formulé. Johanna Möhring (Université de Bonn)
Il n’y a pas eu de traité formel garantissant à l’URSS que l’OTAN ne s’élargira pas. Il y a eu des discussions en février 1990 entre le secrétaire d’Etat des Etats-Unis, James Baker et Mikhaïl Gorbatchev, notamment à propos du statut de l’Allemagne réunifiée et de l’inclusion de la RDA au sein de l’Otan. L’expression «pas d’un pouce» fait référence à une déclaration du secrétaire d’Etat James Baker à Mikhaïl Gorbatchev, lors de ces échanges. Effectivement, la question d’un élargissement plus à l’Est de l’Otan n’est alors pas envisagée tout simplement parce que cela est inconcevable dans le contexte de l’époque. L’URSS existe encore, les pays d’Europe de l’Est font toujours partie des structures de coercition soviétiques (Pacte de Varsovie et Conseil d’assistance économique mutuelle [CAEM], ndlr). Le Pacte ne sera officiellement dissous qu’en juillet 1991. Il est donc inconcevable d’évoquer alors un élargissement de l’Otan aux pays d’Europe centrale et orientale. Il est difficile de parler de trahison car il va y avoir en peu de temps un enchaînement d’événements imprévisibles qui fera entrer l’Europe dans une nouvelle configuration de sécurité. Amélie Zima (chercheuse en relations internationales)
Ce que [Poutine] craint énormément aussi, et ça, il ne le dit absolument pas, c’est qu’il craint la progression démocratique. Quand vous vous promenez à Kiev et que vous voyez toute cette proximité, culturelle, architecturale avec la Russie, vous comprenez que là un pouvoir autoritaire russe se sent menacé parce que si ça se passe à Kiev, pourquoi est-ce que ça ne se passerait pas à Moscou ? Sylvie Kauffmann
Le fait que l’OTAN exerce une grande influence sur l’Ukraine et la Géorgie ne nous indispose pas. (…) Cela dit, si d’autres républiques de l’ex-URSS adhèrent à l’OTAN, nous respecterons leur choix. C’est leur droit souverain en matière de défense. Vladimir Poutine (2005)
Ce qui suscite chez nous une préoccupation et une inquiétude particulières, de ces menaces fondamentales pour la sécurité de notre pays que des hommes politiques irresponsables à l’Occident créent pas à pas, sans détours et brutalement, depuis des années. Je fais allusion à l’élargissement de l’OTAN vers l’est, au rapprochement de son infrastructure militaire vers les frontières russes. (…) Ce que j’évoque ne concerne pas uniquement la Russie, et nous ne sommes pas seuls à nous inquiéter. Cela concerne tout le système des relations internationales, et parfois même les propres alliés des Etats-Unis. (…) D’abord, sans aucune autorisation du Conseil de Sécurité de l’ONU, une opération militaire sanglante a été menée contre Belgrade. On a utilisé l’aviation, des missiles au centre même de l’Europe. Plusieurs semaines de bombardements incessants sur des villes pacifiques, sur des infrastructures vitales. (…) Après, cela a été le tour de l’Irak, de la Lybie, de la Syrie. (…) La promesse faite à notre pays de ne pas élargir d’un pouce l’Otan vers l’est en fait partie. Je le répète: on nous a trompés (…) dans les années 1990 et au début des années 2000, quand ce qu’on appelle l’Occident a soutenu de la manière la plus active le séparatisme et des bandes de mercenaires dans le sud de la Russie. Quelles pertes, combien de victimes cela nous a coûté avant de briser définitivement le terrorisme international dans le Caucase. (…) Du reste, jusqu’à encore récemment on n’a cessé de tenter de nous utiliser à profit, de détruire nos valeurs traditionnelles et de nous imposer des prétendues valeurs qui auraient détruit notre peuple de l’intérieur, les principes qu’ils imposent déjà de manière agressive dans leurs propres pays et qui mènent directement à la dégradation et à la dégénérescence puisqu’elles vont à l’encontre de la nature humaine elle-même. (…) Pour ce qui concerne le domaine militaire, la Russie, même après l’effondrement de l’URSS et la perte d’une part significative de son potentiel, est aujourd’hui une des plus grandes puissances nucléaires au monde, et dispose en outre d’avantages certains dans une série de nouveaux types d’armements. En ce sens, personne ne doit avoir de doutes sur le fait qu’une attaque directe contre notre pays mènera à la destruction et à d’épouvantables conséquences pour tout agresseur potentiel. (…) Le problème est que, sur des territoires voisins des nôtres – je souligne qu’il s’agit de nos propres territoires historiques – se crée une « anti-Russie » qui nous est hostile et qui est placée entièrement sous contrôle extérieur, où les forces armées de pays de l’Otan prennent leurs aises et où sont introduits les armements les plus modernes. (…) sur la situation dans le Donbass. Nous voyons que les forces qui ont effectué en 2014 un coup d’Etat en Ukraine se sont emparées du pouvoir et le conservent grâce à ce qui est en fait des procédures électorales décoratives, ont définitivement renoncé à un règlement pacifique du conflit. Durant huit ans, d’interminables huit années (…) on ne peut pas regarder sans compassion ce qui se passe là-bas. Il n’était simplement plus possible de rester sans rien faire. Il fallait mettre fin sans délai à ce cauchemar – un génocide à l’égard des millions de personnes qui vivent là-bas et qui ne fondent leurs espoirs que sur la Russie. (…) Les principaux pays de l’Otan, pour parvenir à leurs fins, soutiennent en Ukraine les ultra-nationalistes et des néonazis, qui à leur tour ne pardonneront jamais le choix libre des habitants de la Crimée et de Sebastopol, la réunification avec la Russie. Ils vont bien entendu s’attaquer à la Crimée, comme au Donbass, pour tuer, comme les bandes de nationalistes ukrainiens, complices d’Hitler au moment de la Seconde guerre mondiale, tuaient des gens sans défense. Et ils déclarent ouvertement qu’ils ont des vues sur toute une série d’autres territoires russes. (…) Maintenant ils ambitionnent même d’acquérir l’arme nucléaire. (…) Les républiques populaires du Donbass ont demandé l’aide de la Russie. Par conséquent, conformément à l’article 51 alinea 7 de la Charte de l’ONU, avec l’accord du Conseil de sécurité russe et dans le cadre des accords d’Amitié et d’assistance mutuelle avec la République populaire de Donetsk et la la République populaire de Lougansk, ratifiés le 22 février par le Conseil de la Fédération, j’ai pris la décision d’une opération armée spéciale. Son objectif – défendre les gens qui depuis huit ans sont soumis à des brimades et à un génocide de la part du régime de Kiev. Dans ce but nous allons nous efforcer de parvenir à la démilitarisation et à la dénazification de l’Ukraine, ainsi que de traduire devant la justice ceux qui ont commis de nombreux crimes sanglants contre des civils, y compris contre des citoyens de la Fédération de Russie. (…) Les résultats de la Seconde guerre mondiale, tout comme les pertes apportées par notre peuple sur l’autel de la victoire sur le nazisme, sont sacrés. Mais cela ne contredit pas les hautes valeurs des droits et libertés de l’homme, si l’on part des réalités qui se sont établies depuis la fin de la guerre. Cela n’annule pas davantage le droit des nations à l’autodétermination, inscrit à l’article 1 de la Charte de l’ONU. (…) Au fondement de notre politique, la liberté, la liberté de choix pour chacun de déterminer librement son avenir et l’avenir de ses enfants. Et nous jugeons important que ce droit – le droit à choisir – puisse être exercé par tous les peuples qui vivent sur le territoire de l’actuelle Ukraine, tous ceux qui le voudront. En ce sens je m’adresse aux citoyens ukrainiens. En 2014 la Russie a été dans l’obligation de défendre les habitants de la Crimée et de Sebastopol face à ceux que vous appelez vous-mêmes les « naziki ». Les habitants de la Crimée et de Sebastopol ont fait leur choix – être avec leur patrie historique, avec la Russie, et nous les avons soutenus. Je le répète, nous ne pouvions nous comporter autrement. (…) Je le répète, nos actes sont une autodéfense contre des menaces créées contre nous et contre des malheurs encore plus grands que ceux qui surviennent aujourd’hui. (…) Maintenant quelques mots importants, très importants pour ceux qui peuvent avoir la tentation de s’immiscer depuis l’extérieur dans les événements en cours. Quiconque tentera de nous gêner, a fortiori de créer une menace pour notre pays pour notre peuple, doit savoir que la réponse de la Russie sera immédiate et infligera des conséquences telles que vous n’en avez jamais connu dans votre histoire. Nous sommes prêts à tout développement de la situation. Toutes les décisions en ce sens ont déjà été prises. J’espère que je serai entendu. Vladimir Poutine (24.02.2022)
La question de l’élargissement de l’OTAN n’a dans l’ensemble pas été discutée et ne se posait pas au cours de ces années-là. Je dis cela en toute responsabilité. Aucun pays d’Europe de l’Est n’a soulevé cette question, y compris après la dissolution du pacte de Varsovie en 1991. Elle n’a pas non plus été soulevée par les dirigeants occidentaux. Une autre question a en revanche été abordée : le fait qu’après la réunification de l’Allemagne, aucune extension des structures militaires de l’OTAN ni aucun déploiement de forces militaires supplémentaires de l’alliance ne devait avoir lieu sur le territoire de l’ancienne RDA. C’est dans ce contexte que M. Baker a prononcé les paroles mentionnées dans votre question. Des déclarations similaires ont été faites par M. Kohl et M. Genscher. Tout ce qui pouvait et devait être fait pour consolider ce règlement politique a été fait. Et respecté. Mikhaïl Gorbatchev (04.11.2014)
Chrobog said we needed new ideas on how to provide for the Security of Central and East European Countries. We had made it clear during the 2+4 negotiations that we would not extend Nato beyond the Elbe (sic). We could not therefor offer membership of Nato to Poland and the others. British memo (March 6, 1991)
The term NATO eastward expansion is a term of a later epoch. Vladislav Petrovich Terekhov (first Soviet and later Russian ambassador in Bonn from 1990 to 1997)
Gorbachev never spoke to me about the eastward expansion of NATO. Dimitri Yasov  (Former Marshal of the Soviet Union)
This is a “myth. There couldn’t be such an agreement, it was only about the territory of the GDR. There was no trickery. Everything else is inventions, with which one wants to pin something on us, the Germans or anyone else. Gorbachev
There was never a discussion about NATO expansion in the general sense. During the two-plus-four negotiations, NATO was only discussed in connection with the GDR. James Baker (US Secretary of State)
A la chute du mur de Berlin fin 1989, on s’interroge sur le statut de la future Allemagne réunifiée. Doit-elle être neutre ou intégrer l’Otan ? A l’époque, c’était logique. L’URSS et ses alliances ne s’effondreraient qu’à partir de 1991. L’idée d’élargir l’Otan à l’Europe centrale et orientale était hors de propos, on parlait uniquement de la RDA. Jean-Sylvestre Mongrenier 
Vladimir Poutine a admis lui-même qu’il n’y avait pas eu d’engagement contraignant. Il l’utilise plutôt comme un argument moral. David Teurtrie 
Cette assurance faite par Baker à Gorbatchev de ne pas s’étendre à l’Est a été faite dans le cadre d’une discussion sur l’Allemagne et la RDA et seulement dans ce cadre-là. Le texte final, le Traité de Moscou signé le 12 septembre 1990, mentionne effectivement “l’interdiction du déploiement de forces armées autres que les forces allemandes sur le territoire de l’ex-RDA”. Cette promesse ne pouvait pas concerner les pays de l’Est, puisqu’ils auraient pu difficilement prévoir à l’époque la chute de l’URSS et l’éparpillement des pays du Bloc soviétique. (…) Enfin, et c’est surtout là que le bât blesse pour la Russie: cette promesse de ne pas “avancer d’un pouce vers l’Est”, ne figure sur aucun texte officiel. Elle est seulement visible sur des “mémorandums”, c’est-à-dire des comptes rendus de discussions entre les Soviétiques et leurs principaux interlocuteurs occidentaux. Huffington post
Rien n’avait été couché sur le papier. Ce fut une erreur de Gorbatchev. En politique, tout doit être écrit, même si une garantie sur papier est aussi souvent violée. Gorbatchev a seulement discuté avec eux et a considéré que cette parole était suffisante. Mais les choses ne se passent pas comme cela! Vladimir Poutine
Dans le discours qu’il a prononcé devant le Parlement russe, le 18 avril 2014, et dans lequel il justifiait l’annexion de la Crimée, le président Poutine a insisté sur l’humiliation subie par la Russie du fait des nombreuses promesses non tenues par l’Ouest, et notamment la prétendue promesse de ne pas élargir l’OTAN au-delà des frontières d’une Allemagne réunifiée. Poutine touchait là, chez ses auditeurs, une corde sensible. Pendant plus de 20 ans, le récit de la prétendue « promesse non tenue » de ne pas élargir l’OTAN vers l’est a fait partie intégrante de l’identité post-soviétique. Il n’est guère surprenant, par conséquent, que ce récit ait refait surface dans le contexte de la crise ukrainienne. S’appesantir sur le passé demeure le moyen le plus commode pour nous distraire du présent. (…) Au cours des dernières années, d’innombrables documents et autres matériaux d’archives ont été rendus publics, permettant aux historiens d’aller au-delà des interviews ou des autobiographies des dirigeants politiques qui étaient au pouvoir lors des évènements décisifs qui se sont produits entre la chute du mur de Berlin, en novembre 1989, et l’acceptation par les soviétiques, en juillet 1990, d’une appartenance à l’OTAN de l’Allemagne réunifiée. Pourtant, même ces nouvelles sources ne modifient pas la conclusion fondamentale: il n’y a jamais eu, de la part de l’Ouest, d’engagement politique ou juridiquement contraignant de ne pas élargir l’OTAN au-delà des frontières d’une Allemagne réunifiée. (…) Le mythe de la « promesse non tenue » tire ses origines de la situation politique sans précédent dans laquelle se sont trouvés en 1990 les acteurs politiques clés, et qui a façonné leurs idées sur le futur ordre européen. Les politiques de réforme entreprises par l’ancien dirigeant de l’URSS, Mikhaïl Gorbatchev, avaient depuis longtemps échappé à tout contrôle, les États baltes réclamaient leur indépendance, et des signes de bouleversements commençaient à apparaître dans les pays d’Europe centrale et orientale. Le mur de Berlin était tombé; l’Allemagne avait entamé son chemin vers la réunification. Toutefois, l’Union soviétique existait encore, tout comme le Pacte de Varsovie, dont les pays membres d’Europe centrale et orientale n’évoquaient pas une adhésion à l’OTAN, mais plutôt la « dissolution des deux blocs ». Ainsi, le débat autour de l’élargissement de l’OTAN s’est déroulé exclusivement dans le contexte de la réunification allemande. Au cours de ces négociations, Bonn et Washington ont réussi à assouplir les réserves soviétiques quant au maintien dans l’OTAN d’une Allemagne réunifiée. Une aide financière généreuse et la conclusion du Traité « 2+4 » excluant le stationnement de forces OTAN étrangères sur le territoire de l’ex-Allemagne de l’Est ont contribué à ce résultat. Cette réussite a toutefois été, aussi, le résultat d’innombrables conversations personnelles au cours desquelles Gorbatchev et d’autres dirigeants soviétiques ont été assurés que l’Ouest ne profiterait pas de la faiblesse de l’Union soviétique et de sa volonté de retirer ses forces armées d’Europe centrale et orientale. Ce sont peut-être ces conversations qui ont pu donner à certains politiciens soviétiques l’impression que l’élargissement de l’OTAN, dont le premier acte fut l’admission de la République tchèque, la Hongrie et la Pologne en 1999, avait constitué un manquement à ces engagements occidentaux. Certaines déclarations d’hommes politiques occidentaux – et en particulier du ministre allemand des Affaires étrangères, Hans Dietrich Genscher, et de son homologue américain, James A. Baker – peuvent en fait être interprétées comme un rejet général de tout élargissement de l’OTAN au-delà de l’Allemagne de l’Est. Toutefois, ces déclarations ont été faites dans le contexte des négociations sur la réunification allemande, et leurs interlocuteurs soviétiques n’ont jamais exprimé clairement leurs préoccupations. Au cours des négociations décisives à « 2+4 », qui ont finalement conduit Gorbatchev à accepter, en juillet 1990, que l’Allemagne réunifiée demeure au sein de l’OTAN, la question n’a jamais été soulevée. L’ancien ministre soviétique des affaires étrangères, Édouard Chevardnadze, devait déclarer plus tard que les protagonistes de cette époque ne pouvaient même pas imaginer une dissolution de l’Union soviétique et du Pacte de Varsovie et l’admission au sein de l’OTAN des anciens membres de ce Pacte. Mais, même si l’on devait supposer que Genscher et d’autres auraient en effet cherché à prévenir un futur élargissement de l’OTAN afin de respecter les intérêts de sécurité de l’URSS, ils n’auraient jamais pu le faire. La dissolution du Pacte de Varsovie et la fin de l’Union soviétique, en 1991, ont ensuite créé une situation complètement nouvelle, puisque les pays d’Europe centrale et orientale se trouvaient finalement en mesure d’affirmer leur souveraineté et de définir leurs propres objectifs de politique étrangère et de sécurité. Ces objectifs étant centrés sur l’intégration à l’Ouest, tout refus catégorique de l’OTAN aurait signifié une continuation de facto de la division de l’Europe suivant les lignes établies précédemment au cours de la guerre froide. Le droit de choisir sa propre alliance, garanti par la Charte d’Helsinki de 1975, en aurait été nié – une approche que l’Ouest n’aurait jamais pu soutenir, ni politiquement, ni moralement. (…) Lorsque le débat sur l’élargissement de l’OTAN a débuté sérieusement, vers 1993, sous la pression croissante des pays d’Europe centrale et orientale, il s’est accompagné de sérieuses controverses. Dans les milieux universitaires, en particulier, certains observateurs ont exprimé leur opposition à l’admission de nouveaux membres au sein de l’OTAN, car elle aurait inévitablement pour effet de contrarier la Russie et pourrait compromettre les résultats positifs ayant suivi la fin de la guerre froide. En fait, dès le début du processus d’élargissement de l’OTAN entamé après la fin de la guerre froide, le souci premier des occidentaux a été de trouver les moyens de concilier ce processus et les intérêts de la Russie. C’est pourquoi l’OTAN a rapidement cherché à créer un contexte de coopération propice à l’élargissement et à développer, dans le même temps, des relations spéciales avec la Russie. En 1994, le programme de « Partenariat pour la paix » a instauré une coopération militaire avec pratiquement tous les pays de la zone euro-atlantique. En 1997, l’Acte fondateur OTAN-Russie créait le Conseil conjoint permanent, un cadre spécialement consacré à la consultation et à la coopération. L’année 2002, au cours de laquelle les Alliés ont préparé la nouvelle grande phase d’élargissement, a été aussi celle de la création du Conseil OTAN-Russie, donnant à cette relation une focalisation et une structure renforcées. Ces diverses mesures s’inscrivaient dans le cadre d’autres efforts déployés par la communauté internationale pour attribuer à la Russie la place qui lui revient, en l’admettant au sein du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale, du G7 et de l’Organisation mondiale du commerce. La nécessité d’éviter de contrarier la Russie a également été évidente dans la manière dont l’élargissement de l’OTAN est intervenu dans le domaine militaire. En 1996, les Alliés déclaraient que, dans les circonstances actuelles, ils n’avaient « aucune intention, aucun projet et aucune raison de déployer des armes nucléaires sur le territoire de nouveaux membres ». Cette déclaration a été intégrée, en 1997, à l’Acte fondateur OTAN-Russie, ainsi que des références du même ordre à d’importantes forces de combat et à l’infrastructure. Cette approche militaire « douce » du processus d’élargissement devait envoyer à la Russie le signal suivant: le but de l’élargissement de l’OTAN n’est pas « l’encerclement » militaire de la Russie, mais l’intégration de l’Europe centrale et orientale dans un espace atlantique de sécurité. (…) L’intervention militaire de l’OTAN dans la crise du Kosovo a été interprétée comme un coup de force géopolitique mené par un camp occidental déterminé à marginaliser la Russie et son statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies. L’approche de l’OTAN en matière de défense antimissile, bien que dirigée contre des pays tiers, a été interprétée par la Russie comme une tentative de compromettre sa capacité de seconde frappe nucléaire. Pire encore, la « Révolution orange » en Ukraine et la « Révolution des roses » en Géorgie ont porté au pouvoir des élites qui envisageaient l’avenir de leurs pays respectifs au sein de l’UE et de l’OTAN. Dans un tel contexte, les arguments des occidentaux quant au caractère bienveillant de l’élargissement de l’OTAN n’ont jamais eu – et n’auront probablement jamais – un très grand poids. Demander à la Russie de reconnaître le caractère inoffensif de l’élargissement de l’OTAN néglige un point tout à fait essentiel: l’élargissement de l’OTAN – tout comme celui de l’Union européenne – est conçu comme un projet d’unification du continent. Il ne comporte par conséquent pas de « point final » susceptible d’une définition convaincante, que le point de vue adopté soit intellectuel ou moral. Autrement dit, et précisément parce que les processus respectifs d’élargissement des deux organisations ne sont pas conçus comme des projets antirusses, ils n’ont pas de limites et – paradoxalement – sont inévitablement perçus par la Russie comme un assaut permanent contre son statut et son influence. Tant que la Russie se dérobera à un débat honnête sur les raisons pour lesquelles un si grand nombre de ses voisins cherchent à se rapprocher de l’Ouest, cela ne changera pas – et la relation OTAN-Russie demeurera hantée par les mythes du passé au lieu de se tourner vers l’avenir. Michael Rühle
Qu’est-ce qui menace l’existence de la Russie elle-même aujourd’hui ? (…) Tous les domaines vitaux, y compris la démographie, ne cessent de se détériorer, et le taux d’extinction de la population bat des records mondiaux. Et la dégradation est systémique, et dans tout système complexe, la destruction d’un des éléments peut conduire à l’effondrement de tout le système. Et cela, à notre avis, est la principale menace pour la Fédération de Russie. Mais il s’agit d’une menace de nature interne, fondée sur le modèle de l’État, la qualité du pouvoir et l’état de la société. Et les raisons de sa formation sont internes : l’inviabilité du modèle étatique, l’incapacité totale et le manque de professionnalisme du système de pouvoir et de gestion, la passivité et la désorganisation de la société. Aucun pays ne vit dans cet état pendant longtemps. Quant aux menaces extérieures, elles sont bien présentes. Mais, selon notre évaluation d’expert, elles ne sont pas pour le moment critiques, menaçant directement l’existence de l’État russe, ses intérêts vitaux. En général, la stabilité stratégique persiste, les armes nucléaires sont sous contrôle fiable, les groupes de forces de l’OTAN n’augmentent pas, il n’y a pas d’activité menaçante. Par conséquent, la situation qui s’est aggravée autour de l’Ukraine est, avant tout, de nature artificielle et égoïste pour certaines forces internes, dont la Fédération de Russie. À la suite de l’effondrement de l’URSS, dans lequel la Russie (Eltsine) a joué un rôle décisif, l’Ukraine est devenue un État indépendant, membre de l’ONU et, conformément à l’article 51 de la Charte des Nations Unies, a le droit à la liberté individuelle et à la défense collective. (…) Naturellement, pour que l’Ukraine reste une voisine amie de la Russie, il fallait qu’elle démontre l’attractivité du modèle russe d’Etat et de système de pouvoir. Mais la Fédération de Russie en est très loin, son modèle de développement et son mécanisme de politique étrangère de coopération internationale repoussent presque tous ses voisins, et pas seulement eux. L’acquisition de la Crimée et de Sébastopol par la Russie et leur non-reconnaissance par la communauté internationale (et, par conséquent, la grande majorité des pays du monde les considèrent toujours comme appartenant à l’Ukraine) montre de manière convaincante l’échec de la politique étrangère russe et le manque d’attrait de la politique intérieure. Les tentatives par le biais d’un ultimatum et de menaces de recours à la force pour « aimer » la Fédération de Russie et ses dirigeants sont dénuées de sens et extrêmement dangereuses. L’utilisation de la force militaire contre l’Ukraine, premièrement, remettra en question l’existence même de la Russie en tant qu’État ; deuxièmement, cela fera à jamais des Russes et des Ukrainiens des ennemis mortels. Troisièmement, il y aura d’une part des milliers (des dizaines de milliers) d’enfants jeunes et en bonne santé morts, ce qui aura certainement une incidence sur la situation démographique future de nos pays en voie de disparition. (…) Le président de la République de Turquie, Recep Erdogan, a clairement indiqué de quel côté la Turquie combattra. Et on peut supposer que deux armées de campagne et la flotte turque recevront l’ordre de « libérer » la Crimée et Sébastopol et éventuellement d’envahir le Caucase. De plus, la Russie sera définitivement classée parmi les pays menaçant la paix et la sécurité internationale, soumise aux sanctions les plus sévères, se transformera en paria de la communauté mondiale, et risquera d’être privée du statut d’État indépendant. (…) La question se pose : quels sont les véritables objectifs de provoquer ainsi des tensions qui nous précipitent au bord de la guerre, et le possible déclenchement d’hostilités généralisées ? (…) A notre avis, la direction du pays, se rendant compte qu’elle n’est pas en mesure de sortir le pays d’une crise systémique, et cela peut conduire à un soulèvement du peuple et à un changement de pouvoir dans le pays, avec le soutien de l’oligarchie, les fonctionnaires corrompus, nourris des médias et des forces de sécurité, ont décidé d’intensifier la ligne politique pour la destruction définitive de l’État russe et l’extermination de la population indigène du pays. Et la guerre est le moyen qui résoudra ce problème afin de conserver un temps son pouvoir anti-national et de préserver les richesses pillées au peuple. Nous ne pouvons supposer aucune autre explication. Au président de la Fédération de Russie, nous sommes des officiers russes, nous exigeons l’abandon de l’actuelle politique criminelle et va-t-en-guerre, dans laquelle la Fédération de Russie sera seule contre les forces combinées de l’Occident, pour créer les conditions de la mise en œuvre de l’art. 3 des Constitutions de la Fédération de Russie et démissionner. Colonel-général Leonid Grigorievich Ivashov (président de « l’Assemblée panrusse des officiers »)
La Russie ainsi que la Chine et d’autres puissances œuvrant à la transformation du système mondial (…) disposent d’une fenêtre d’opportunité pour accélérer l’expulsion des États-Unis du trône mondial en augmentant la pression sur eux. Car si l’affaiblissement de l’Occident est en cours depuis un certain temps, les phénomènes de crise actuels indiquent que le processus est passé à un niveau qualitativement nouveau, et il serait donc insensé de ne pas saisir cette chance. D’autant plus que, pour notre part, nous avons achevé de nous donner nos propres mécanismes et outils stratégiques — alternatifs  ceux de l’Occident — nécessaires au bon fonctionnement de l’économie nationale et des relations avec les autres pays, qu’il s’agisse de la production de biens, des règlements monétaires, de la diffusion d’informations, etc… (…) Il ne s’agit pas de propositions de discussion, mais bien d’un ultimatum — d’une demande de reddition inconditionnelle. L’Occident n’a pas d’autre choix que de perdre la face — à moins de tenir fièrement bon et d’entrer en guerre avec la Russie. À en juger par la façon dont les Occidentaux ont commencé à s’agiter de l’autre côté, ils en sont bien conscients. (…)En brandissant la menace d’une guerre, Moscou souligne que la Russie est prête — moralement, techniquement et dans tous les autres sens du terme — à toute évolution des événements. Et la réputation qu’elle a acquise au cours des années précédentes confirme que les Russes seront effectivement prêts à recourir à la force s’ils l’estiment nécessaire. Il convient de rappeler les propos de Vladimir Poutine, qui a déclaré sans ambages cet été que si la Russie coulait le destroyer britannique responsable d’une provocation au large des côtes de Crimée, il n’y aurait pas de conséquences majeures : le tollé de la presse mondiale ne doit pas être compté comme tel.[…] Non, cette fois-ci, l’Occident va payer de sa personne. (…) De hauts responsables américains ont effectué de fréquentes visites à Moscou. La venue en novembre du directeur de la CIA, William Burns, était à l’époque la quatrième visite d’un haut responsable de l’administration de la Maison Blanche depuis la réunion de Genève. Il n’est pas difficile de deviner que le but de la visite personnelle du directeur de la CIA n’était pas du tout de présenter des demandes à propos de l’Ukraine, comme les médias occidentaux ont essayé de le présenter, mais de tenter de trouver un compromis. Face à la chute de l’autorité internationale due au retrait infructueux d’Afghanistan, la Maison Blanche souhaitait vivement trouver un accord avec le Kremlin. Irina Alksnis (RIA Novosti)
Pour amener les États-Unis et l’OTAN à la table des négociations, une sorte de super arme est nécessaire. Pour le moment, la Russie ne montre pas ce potentiel à ses adversaires. Mais il existe. La Russie a la capacité d’utiliser des munitions super puissantes d’une capacité allant jusqu’à 100 mégatonnes. […] Nous devons répéter que nous ne sommes pas intéressés par un monde sans la Russie, comme Poutine l’a dit un jour, et démontrer notre détermination à frapper si l’OTAN s’élargit. Après cela, je peux vous assurer qu’ils [les Occidentaux] auront peur. Rien d’autre ne peut les arrêter. […] Il est naïf de compter sur des procédés diplomatiques. […] La démarche de la Russie est un signal indiquant que des mesures déjà radicales vont être prises. Vous avez refusé, alors tant pis… (…) Nous ne pouvons résoudre le problème de la neutralisation de l’Europe et des États-Unis qu’en les éliminant physiquement avec notre potentiel nucléaire. […] Les USA et l’Europe disparaîtront physiquement. Il n’y aura presque pas de survivants. Mais nous aussi, nous serons détruits. A moins que le sort de la Russie ne soit meilleur, car nous avons un grand territoire. Nos adversaires ne pourront pas tout détruire avec des frappes nucléaires. Par conséquent, le pourcentage de la population survivante sera plus élevé. Cependant la Russie en tant qu’État peut disparaître après une guerre nucléaire à grande échelle. Elle risque de se fragmenter. Konstantin Sivkov (expert militaire)
En plus de l’espace post-soviétique, l’initiative de Moscou englobe un large éventail de pays situés entre l’Europe occidentale et la Russie. Mais ce sont principalement la Pologne et les États baltes qui sont visés car des forces supplémentaires de l’Alliance de l’Atlantique Nord y ont été déployées comme il a été décidé lors du sommet de l’OTAN de Varsovie en 2016. La Russie a maintenant on ne peut plus nettement tracé ses lignes rouges, non seulement le refus d’étendre l’OTAN à l’Est, mais aussi, comme indiqué dans le projet d’accord avec l’alliance, le refus « de mener toute activité militaire sur le territoire de l’Ukraine, ainsi que d’autres États d’Europe de l’Est, de Transcaucasie et d’Asie centrale. Il est clair que les États-Unis ne rapatrieront leurs armes nucléaires que lorsque le projet anglo-saxon de domination mondiale s’effondrera enfin, mais il est bon de préparer le terrain… Si l’Occident ne veut pas remarquer nos lignes rouges (plus précisément, s’il fait semblant de ne pas vouloir les remarquer), alors c’est avant tout son problème, pas le nôtre. Piotr Akopov
L’initiative russe pourrait aider les Américains à quitter tranquillement l’Europe centrale et orientale. (…) Bien sûr, la Pologne et les pays baltes seront mécontents. Mais ils seront probablement les seuls à s’opposer au retrait américain d’Europe centrale et orientale. Après tout, le reste des « Jeunes Européens » est guidé par la position du « noyau » de l’Union européenne, et ils n’ont pas de complexes anti-russes stables. (…) Au cours de la prochaine année et demie, la Russie modifiera considérablement l’équilibre du pouvoir planétaire. (…) La situation historique actuelle de la Russie est unique. L’État s’est préparé aux défis majeurs qui peuvent survenir sous une pression critique. D’énormes réserves ont été accumulées, y compris en or. Des plans nationaux d’infrastructure financière et d’information ont été créés et lancés. La numérisation a commencé à englober l’ensemble de l’économie, l’amenant à un nouveau niveau de compétitivité. L’expansion de notre propre base industrielle, y compris dans des domaines high-tech très sensibles, se fait à pas de géant, le « fossé technologique » se comble. Nous sommes sortis de la dépendance critique dans le domaine de la sécurité alimentaire. (…) L’armée est depuis cinq ans la première de la planète. Dans ce domaine, le « fossé technologique » est en notre faveur et ne fait que s’élargir… De plus, l’explosion de l’inflation planétaire entraîne une crise énergétique, ce qui rend les Européens, pour la plupart, beaucoup plus accommodants et exclut un blocus de nos approvisionnements énergétiques, QUOI QUE NOUS FASSIONS. […] » Si la Russie et la Chine coordonnent leurs actions à l’encontre de l’Ukraine et de Taïwan respectivement, « tout deviendra beaucoup plus simple pour nous. Et pour la Chine aussi, de laquelle nous détournerons l’attention, ce qui nous libérera encore davantage les mains…» Bref, la Russie a restauré son poids dans l’arène internationale au point qu’elle est capable de dicter ses propres conditions dans l’élaboration de la sécurité internationale.  Quant à  l’empire décrépit des Stars and Stripes, affaibli par les LGBT, BLM, etc., il est clair qu’il ne survivra pas à une guerre sur deux fronts. Russtrat
Le monde d’avant et le monde d’après le 17 décembre 2021 sont des mondes complètement différents… Si jusqu’à présent les États-Unis tenaient le monde entier sous la menace des armes, ils se retrouvent désormais eux-mêmes sous la menace des forces militaires russes… Une nouvelle ère s’ouvre, de nouveaux héros arrivent, et un nouveau Danila Bagrov [personnage du truand patriotique dans le film populaire Brat], levant sa lourde poigne et regardant dans les yeux son interlocuteur, demande à nouveau doucement : quelle est ta force, l’Américain ? Vzgliad
Les Européens doivent aussi réfléchir s’ils veulent éviter de faire de leur continent le théâtre d’un affrontement militaire. Ils ont le choix. Soit prendre au sérieux ce que l’on met sur la table, soit faire face à une alternative militaro-technique. Alexandre Grouchko (vice-ministre des Affaires étrangères)
Nos partenaires doivent comprendre que plus ils feront traîner l’examen de nos propositions et l’adoption de vraies mesures pour créer ces garanties, plus grande est la probabilité qu’ils subissent une frappe préventive. Andrei Kartapolov (ancien vice-ministre de la Défense)
Eh bien, j’espère que les notes [du 17 décembre] seront ainsi plus convaincantes. Dmitri Peskov (porte-parole du Kremlin, commentant une salve de missiles hypersoniques tueurs de porte-avions, 24/12/2021)
Quels sont nos arguments ? Ce sont, bien sûr, avant tout nos alliés les plus fiables — l’armée et la marine. Pour être plus précis, le missile hypersonique Zircon (« tueur de porte-avions », comme on l’appelle affectueusement en Occident), qui rend absurde pour les États-Unis d’avoir une flotte de porte-avions. L’impact du Zircon fend un destroyer comme une noix. Plusieurs Zircons coulent immanquablement un porte-avions. Le Zircon fait simplement son travail : il tire méthodiquement sur d’énormes porte-avions maladroits, comme un revolver sur des canettes. Vladimir Mojegov
L’ultimatum de Poutine : la Russie, si vous voulez, enterrera toute l’Europe et les deux tiers des États-Unis en 30 minutes (…) Le Kremlin devra prouver par des actes le bien-fondé de sa position. Il n’est probablement possible de forcer les « partenaires » à s’asseoir à la table des négociations que par la contrainte. Économiquement, la Fédération de Russie ne peut rivaliser avec l’Occident. Il reste la guerre. Svpressa
Vladimir Poutine a sonné l’heure de la revanche. L’heure de régler enfin ses comptes avec l’Histoire. Avec l’Ukraine. Et avec l’Occident. Rien ne peut être compris de la folle aventure qui a commencé ce jeudi au petit jour avec l’attaque massive par la terre et par l’air lancée par l’armée russe à travers tout le territoire ukrainien, si on n’a pas en tête que l’homme tout-puissant qui est aux commandes de la Russie veut se venger. Avec un grand V. «Nous allons démilitariser et dénazifier l’Ukraine», a-t-il lancé à la face du monde, en annonçant «une opération spéciale», utilisant – ce qui est loin d’être un hasard – un vocable propre aux tchékistes de l’époque soviétique pour désigner la guerre qu’il a déclaré à l’Ukraine. Il s’agit d’une reconquête. Où s’arrêtera-t-elle? Pour comprendre cette obsession de vengeance, il faut remonter des années en arrière à cette journée historique du 8 au 9 novembre 1989, qui soudain voit des milliers d’Allemands escalader le mur de Berlin en train de tomber. À l’époque, le lieutenant-colonel du KGB Vladimir Poutine, 39 ans, est basé à Dresde, en RDA, avant-poste de la présence militaire soviétique. Mais son cœur n’est pas à l’unisson des foules en liesse qui dansent et pleurent à travers le pays pour célébrer les retrouvailles émues des deux Allemagnes et la réunification en marche de l’Europe. Il est du côté des vaincus. Son monde, celui de la superpuissance soviétique invincible qui tenait dans ses griffes la moitié de l’Europe, est en train de s’écrouler comme un château de cartes, sous ses yeux stupéfiés. (…) Pour cet espion, dont l’enfance a été baignée par la propagande des films d’espionnage sur la grandeur de la mère patrie, c’est l’heure de la retraite, humiliante. Tandis que des centaines de milliers de soldats soviétiques plient bagage dans une ambiance de déroute, Vladimir Poutine quitte Dresde à son tour en février 1990, emportant la machine à laver qu’il a acquise et quelques leçons de haute politique… (…) Pour Vladimir Poutine commence alors ce qu’il faut bien appeler la reconquête. En dix ans, elle va le mener au Kremlin, en trois temps. Le temps de l’infiltration/intégration des nouvelles structures démocratiques qui émergent avant et surtout après le putsch raté d’août ; le temps de l’installation au pouvoir qui commence en 2000, après sa nomination en 1999 au poste de premier ministre d’un Boris Eltsine chancelant qui cherche un successeur ; et le temps de la reconquête extérieure, qui s’affirme à partir de l’invasion militaire de la Géorgie en 2008. (…) Au départ, l’Occident hésite sur la nature de Poutine. Sa capacité à jouer sur tous les tableaux, à alterner tous les visages qu’il a appris à adopter pendant sa montée éclair vers le pouvoir – celui du réformateur, celui du guerrier, celui du législateur – déconcerte ses interlocuteurs, qui s’interrogent sur la nature de ses intentions, modernisatrices ou impériales. Mais peu à peu, la reconquête va déborder vers l’empire. Cela commence en réalité dès le début des années 2000 avec toutes les opérations hybrides de déstabilisation et d’infiltration qu’il déclenche, des pays Baltes, à la Géorgie et l’Ukraine. La rage que provoquent les révolutions de couleur qui balaient les régimes pro-russes installés en Ukraine et en Géorgie va accroître son désir de revanche. Convaincu d’être encerclé par un Occident qui cherche à déstabiliser son propre pouvoir, Poutine va dès lors, contre-attaquer par la guerre hybride: désinformation, cyber-attaques, achat d’élites, et finalement la force militaire. Il est frappant de constater que de 2000 à 2022 Vladimir Poutine a finalement peu hésité à utiliser la force, de la Tchétchénie, à la Géorgie, en passant par la Syrie et aujourd’hui l’Ukraine. Il a aussi beaucoup utilisé la violence, allant éliminer ses adversaires là où ils se trouvaient comme on le vit avec les anciens espions Litvinenko et Skripal, assassinés avec des poisons. Il est aussi à l’offensive à l’Ouest, où il a multiplié les offensives de charme et de propagande et les attaques contre les élections. Il y a cultivé des alliés politiques. Et chaque nouvelle crise l’a convaincu de la pusillanimité de l’Occident, de sa décadence et de ses divisions. L’intellectuel Vladimir Pastoukhov, très inquiet, est persuadé que l’invasion actuelle de l’Ukraine cache en réalité un projet beaucoup plus vaste, visant à défaire l’Occident, avec une pression maximale, pour le faire imploser de l’intérieur par une guerre d’usure tous azimuts, allant de l’effet de la sidération à l’intimidation. Pourrait-il tenter sa chance vers les pays Baltes pour détruire la légitimité de l’article 5 de l’Otan? À Moscou, les opposants abasourdis par l’audace de l’attaque disent se demander si leur «tsar» «de ténèbres», ivre de toute-puissance, n’a pas perdu la tête. Le journaliste Alexandre Nevzorov estime par exemple que « l’on assiste aux obsèques de la Russie », pas à celles de l’Ukraine. «Il n’y a personne qui puisse l’arrêter», note le rédacteur en chef de Novaya Gazeta, Dmitri Mouratov, qui dit sa « honte ». Laure Mandeville
Auprès de Besançon, j’ai appris l’importance de l’éthique, et compris qu’on ne pouvait pas considérer le régime communiste comme un autre, car c’était un régime criminel. Evidemment, ce n’était pas très à la mode. Françoise Thom
Quel autre pays au monde peut en effet se permettre de raser des villes, de spolier les étrangers, d’assassiner les opposants hors de ses frontières, de harceler les diplomates étrangers, de menacer ses voisins, sans provoquer autre chose que de faibles protestations? Françoise Thom
Quel intérêt y a-t-il à introniser à nouveau un pays dont le but avoué est la destruction de l’ordre international et le ralliement de toute l’Europe à son régime militaro-policier ?  (…) L’initiative Macron, sans avoir consulté les partenaires européens, est extrêmement risquée à un moment où les Etats-Unis sont totalement paralysés. Le premier service qu’on puisse rendre à la Russie est de lui tenir un discours de vérité, or le président français ne le fait pas quand il cite tous les poncifs, il la conforte au contraire dans une voie calamiteuse.  Françoise Thom
Il n’aurait pas fallu, en Occident, approuver la destruction du Parlement en octobre 1993 [en butte au Congrès des députés du peuple, Boris Eltsine fit intervenir l’armée et prononça sa dissolution au terme de plusieurs jours d’affrontements meurtriers dans les rues de Moscou] car c’était une violation gravissime du droit. Les germes du poutinisme sont là, dans cette liquidation du Parlement par la force, et l’impossible séparation des pouvoirs. C’était la fin de l’espérance d’une démocratie libérale. Françoise Thom
Moscou mise sur l’effet démoralisant sur l’Europe de cette négociation russo-américaine sur son sort dont elle est exclue et sur la faiblesse de la partie américaine en l’absence des alliés européens. (…) Le pacte Ribbentrop-Molotov n’est jamais loin dans la tête des dirigeants du Kremlin. C’est aussi une question de statut, et le reflet de l’obsession de Poutine d’effacer l’effondrement de l’URSS. (…) En négociant d’égal à égal avec le président des Etats-Unis Poutine démontre en même temps aux Russes que sa position de capo est reconnue par les maudits Occidentaux. Le sentiment d’avilissement qu’ils éprouvent au fond d’eux-mêmes en se pliant au despotisme se dissipe au spectacle de l’humiliation des Occidentaux : eux aussi courbent l’échine devant Poutine. La propagande du régime sait admirablement jouer de ces cordes sensibles. Il est important de comprendre quelles motivations ont poussé Poutine à lancer ce défi aux pays occidentaux. Comme toujours le comportement russe est dicté par une analyse soigneuse de la « corrélation des forces », qui, selon les experts du Kremlin, vient de basculer en faveur des puissances révisionnistes anti-occidentales. Après 20 ans de préparation à la guerre, la position russe est jugée forte comme jamais, à en croire le think tank Russtrat (…) Car en face, les Etats-Unis affrontent une crise sans précédent, avec une inflation galopante, des pénuries d’approvisionnement, un président faible, une société plus divisée que jamais. D’où la démarche du Kremlin : « Il ne s’agit pas de propositions de discussion, mais bien d’un ultimatum — d’une demande de reddition inconditionnelle. L’Occident n’a pas d’autre choix que de perdre la face — à moins de tenir fièrement bon et d’entrer en guerre avec la Russie. À en juger par la façon dont les Occidentaux ont commencé à s’agiter de l’autre côté, ils en sont bien conscients. » En brandissant la menace d’une guerre, fait remarquer RIA Novosti, « Moscou souligne que la Russie est prête — moralement, techniquement et dans tous les autres sens du terme — à toute évolution des événements. (…) Évidemment la guerre n’est pas sans risques, ce dont, espérons-le, les militaires russes essaient de persuader Poutine.  (…) Mais (…) il ressort des analyses de Russtrat (entre autres) que le déclic pour le Kremlin a été la politique malencontreuse de la Maison Blanche qui, après la débandade en Afghanistan, a multiplié cet automne les émissaires à Moscou, rendant encore plus manifeste aux yeux de Poutine la faiblesse des Etats-Unis :  (…) Le 2 novembre 2021, Burns a effectivement rencontré le secrétaire du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie Nikolaï Patrouchev et, probablement, le président Poutine. C’est un personnage apprécié du Kremlin : en 2005-2008, il a été ambassadeur en Russie et « a trouvé un langage commun avec Poutine. Sobre et pragmatique, totalement dépourvu du complexe messianique caractéristique des Américains, Burns a toujours prôné le refus d’élargir l’OTAN vers l’Est. » La visite de Burns a été interprétée à Moscou comme l’indice du choix d’une politique d’appeasement à Washington et donc un encouragement à faire monter les enchères et à « s’emparer de l’initiative stratégique ». Au fond, nous retrouvons dans ces considérations un substrat léniniste. Les États-Unis et leurs alliés européens étaient les nantis de l’ordre international, les principaux bénéficiaires du système existant, qui leur apportait des avantages disproportionnés par rapport à leur contribution. Grâce à la crise, leur hégémonie est sur le déclin. Les Etats autrefois « prolétaires » sont en train de l’emporter, sous le leadership russe. Là encore Poutine est en train de rejouer la guerre froide, avec un happy end cette fois. (…) Les Occidentaux doivent d’abord percevoir la situation telle qu’elle est, si désagréable fût-elle pour nos Etats démocratiques plus habitués à des entreprises futiles qu’à assurer leur préservation. Pour cela nous devons nous extraire du mensonge russe. Le premier mensonge concerne les prétendues inquiétudes de Moscou pour la sécurité russe, le danger que représenterait pour elle des missiles de l’OTAN déployés dans les pays frontaliers. Il suffit de prendre connaissance des textes cités plus haut pour constater que les préoccupations de « sécurité » mises en avant par Moscou ne sont qu’un rideau de fumée, que l’OTAN même est considéré comme un tigre en papier (…) Quand Moscou parle de « sécurité » il faut entendre « domination russe » et « impunité », car c’est de cela qu’il s’agit. Le Kremlin considère en effet que tout ce qu’il ne contrôle pas peut mettre le régime en péril. On le voit à la politique intérieure russe, où depuis des années les oasis de liberté sont asséchées une à une. Ce que Moscou craint en Ukraine, ce ne sont pas les quelques instructeurs de l’OTAN, ce sont les libertés. Elle veut une Ukraine désarmée de manière à pouvoir intimider les rebelles de Kiev et mettre en place un régime haï par son peuple, donc dépendant totalement du Kremlin. On se souvient que la Russie a laissé faire Aliev en Arménie justement parce que le président Pachinian avait été choisi par le peuple arménien contre les marionnettes du Kremlin. Si la Russie parvient à chasser les Etats-Unis d’Europe, elle ne tardera pas à se sentir menacée par les libertés des pays d’Europe de l’Ouest, et sous prétexte d’assurer sa « sécurité », elle mettra le même acharnement chez nous que chez elle à asservir les media, à éradiquer les institutions démocratiques et les partis indépendants. Aujourd’hui déjà, Lavrov se permet de réclamer la démission de Stoltenberg, secrétaire de l’OTAN, qui selon lui « n’est pas à la hauteur de sa tâche ». Autre illusion dont il faut se défaire, l’idée d’une société civile bouillonnante en Russie qui pourrait freiner les aspirations belliqueuses du président Poutine. Les sondages montrent que le lavage de cerveau effectué par la propagande officielle est fort efficace : 50 pour cent des Russes interrogés considèrent que l’OTAN et l’Occident en général sont responsables de la tension actuelle. 16 pour cent incriminent l’Ukraine. Les rares opposants qui subsistent critiquent très rarement la politique étrangère et ne dénoncent guère le chauvinisme nauséabond qui émane du régime de Poutine. Enfin, mentionnons cette vache sacrée démocratique qui doit être sacrifiée : la foi absolue dans la vertu du « dialogue », que la plupart des responsables occidentaux, de Florence Parly à Mario Draghi, continuent à préconiser face à Moscou. Or rien n’est plus dangereux que ces échanges au sommet, qui, quoi qu’on dise, alimentent immanquablement soit la paranoïa, soit la folie des grandeurs et l’ivresse de puissance russes. Si les Occidentaux se montrent fermes, le Kremlin en tire la conclusion qu’ils veulent détruire la Russie ; si les Occidentaux offrent des concessions, le Kremlin en conclut qu’ils sont faibles et qu’il faut foncer. Très souvent avec la Russie la meilleure politique est celle du silence et de la distance : ne rien faire, ne rien dire et tenir bon l’arme au pied. S’accrocher au dialogue à tout prix, surtout quand Moscou nous tient en joue comme un forcené détenant un otage, ne fait qu’étaler notre faiblesse et encourager le Kremlin à l’escalade. Surtout nous devons cesser de donner à la guerre froide la connotation péjorative qu’elle ne mérite nullement. La ministre de la Défense Florence Parly vient de déclarer que les pays occidentaux doivent éviter l’escalade avec la Russie afin de ne pas provoquer une nouvelle guerre froide. Tant que nous restons dans ces cadres conceptuels la Russie sera gagnante. Il faut se rappeler que la guerre froide a commencé en 1946, lorsque les Occidentaux ont cessé de céder à Staline, après lui avoir laissé en pâture les pays d’Europe centrale et orientale. C’est grâce à la guerre froide que les pays de l’Europe occidentale ont conservé leur liberté. Les leçons des années 1946-7 sont d’actualité aujourd’hui. Les pionniers de la guerre froide furent les Britanniques, qui constituèrent un bloc occidental autour du noyau anglo-français et persuadèrent les Américains tentés par l’isolationnisme de rester en Europe. Au printemps 1947, les gouvernements français, italien et belge expulsèrent les ministres communistes, conscients du danger que représentait la cinquième colonne de Moscou en Europe. Cette volonté manifeste de résister à Staline acheva de persuader Washington de s’engager dans la sécurité européenne. Il s’agissait de tout un programme d’action dont nous pourrions nous inspirer aujourd’hui, au lieu de nous livrer à une puérile guerre des boutons avec la Grande-Bretagne. Mais pour cela nous devons réapprendre à voir les choses en face, à raisonner en termes politiques, au lieu de flotter au gré des passions médiatiques et des sondages. En 1946-7 on savait que la liberté valait la peine qu’on meure pour elle, ce qui visiblement est oublié aujourd’hui. Après Munich, en 1938, les Occidentaux éprouvèrent une grande honte d’avoir abandonné la Tchécoslovaquie dans les griffes d’Hitler. Aujourd’hui nous sommes en train de laisser tomber lâchement l’Ukraine, mais nous ne nous rendons même pas compte de notre déshonneur, ni du péril qu’il y a à céder à un agresseur. Nous discutons du sexe des anges, comme les Byzantins lorsque les forces ottomanes étaient en train de détruire les remparts de la ville. Françoise Thom
Ceux qui préconisent le « dialogue » ne voient pas que toute main tendue de l’Occident est perçue en Russie soit comme une agression camouflée – l’expression du projet prêté à l’Occident de « démembrer la Russie » pour mettre le grappin sur ses richesses –, soit comme le signal d’une disposition à la capitulation de « l’adversaire » (car le Kremlin considère comme des adversaires tous les pays qui ne sont pas des dictatures). Il résulte de ceci que toute démarche des Occidentaux à l’égard de la Russie se retournera contre eux. Une bonne politique russe est une politique où on en fait le moins possible, où l’on parle le moins possible, une politique d’isolement, sans les déclarations fracassantes, sans les menaces creuses, qui nourrissent à la fois la paranoïa et l’arrogance des occupants du Kremlin. Ceci ne veut pas dire qu’il ne faille pas marquer le coup quand Moscou pratique le fait accompli, agresse ses voisins ou se livre à des répressions. Toutefois ce n’est pas en paroles qu’il faut réagir, mais en actes, et en actes mis en place sans crier gare, à la manière des opérations spéciales qu’affectionne le président Poutine. Si nous nous donnons le luxe d’être imprévisibles, Poutine cessera de jouer sur le velours. Ceci concerne avant tout les sanctions. On nous dit que les sanctions sont inutiles, qu’elles permettent au régime de provoquer un sursaut patriotique autour du pouvoir ; on laisse entendre que les sanctions sont imposées par les Etats-Unis à une Europe qui ne demanderait pas mieux que de manifester son « indépendance » en pratiquant une politique accommodante avec Moscou, bref que les Européens doivent être « réalistes », privilégier leurs « intérêts », assurer leur « sécurité énergétique » en soutenant le Nord Stream 2 [projet de gazoduc entre la Russie et l’Allemagne]. Justement, soyons « réalistes » et réfléchissons où sont nos vrais « intérêts », sans que le Kremlin nous dicte le sens qu’il faut attribuer à ces termes. D’abord, contrairement à ce qu’on ne cesse de prétendre, les sanctions marchent, et c’était déjà le cas à l’époque soviétique. Les archives montrent qu’elles ont dissuadé Khrouchtchev de pratiquer l’escalade au moment de la crise de Berlin [entre 1958 et 1962], qu’elles ont dissuadé Brejnev et Andropov d’intervenir en Pologne en 1981 [au moment des grèves massives conduites par le mouvement Solidarnosc]. Si des sanctions sérieuses avaient été adoptées après le démembrement de la Géorgie en 2008, au lieu du pathétique « reset » [la relance des relations russo-américaines voulue par le président Obama], on aurait évité l’annexion de la Crimée, en 2014. Mais venons-en aux relations économiques, dont on nous assure qu’elles vont permettre un rapprochement entre l’Europe et la Russie. C’est oublier que pour Moscou, les relations d’affaires sont avant tout un instrument de projection de la puissance et de l’influence russe. En devenant le fournisseur de pétrole et de gaz de l’Europe, le Kremlin se crée de puissants oligarques au sein des élites politiques occidentales, qui, comme les oligarques russes, sont autorisés à s’enrichir à condition de servir Moscou. Les grandes sociétés faisant des affaires en Russie deviennent les vecteurs de la politique russe en Europe. Quant à la « sécurité énergétique » qu’assurerait le Nord Stream 2, souvenons-nous de la manière dont le Kremlin ferme les robinets du gaz aux pays de « l’étranger proche » qui ont le malheur de lui déplaire. L’Europe a-t-elle vraiment « intérêt » à se passer la corde au cou ? A-t-elle « intérêt » à augmenter les flux financiers vers la Russie, quand on sait que ces ressources vont alimenter la guerre hybride menée contre les Occidentaux, acheter notre classe politique, nos médias et nos think tanks, financer le déploiement de nouveaux missiles braqués contre l’Europe ? Les sanctions sont un outil efficace, surtout si elles visent les oligarques et les siloviki [soit « les hommes en uniforme », issus des services de sécurité russes – le KGB, puis le FSB] proches du pouvoir, ou si elles entravent le développement des secteurs de puissance de la Russie (énergétique et armement), les seuls qui comptent aux yeux du Kremlin. Une politique résolue de sanctions dures obligerait les hommes du Kremlin à se demander si la politique de confrontation voulue par le président Poutine est vraiment conforme aux intérêts nationaux russes. La claque infligée à Josep Borrell (…) jette une lumière crue sur un aspect essentiel de la stratégie du Kremlin. Il s’agit de faire une démonstration éclatante de la faiblesse des Occidentaux, pour hâter l’avènement d’un ordre, ou plutôt, d’un désordre international postoccidental. C’est un signal lancé à Xi Jingping, Erdogan et consorts : voyez, nous pouvons impunément nous essuyer les pieds sur l’UE et elle passera par nos volontés. C’est pourquoi, si nous voulons éviter que Poutine fasse des émules, la première règle que les Européens doivent adopter est de ne plus faire étalage de leur faiblesse et de leur désunion, de riposter sans tarder aux humiliations publiques et aux provocations. Mieux vaut agir sans parler que parler sans agir. Dans le monde de voyous qui nous entoure, il est temps que l’UE apprenne à se faire craindre. Françoise Thom
Désespérons Billancourt !  Désespérons Billancourt !  Désespérons Billancourt ! Georges de Valera (escroc qui se fait passer pour un ministre soviétique ayant choisi la liberté », Nekrassov, Sartre, 1955)
Je me rappelle votre belle enquête : « La Guerre, demain ! » On transpirait d’angoisse. Et vos montages photographiques : Staline entrant à cheval dans Notre-Dame en flammes ! De purs chefs-d’œuvre. Mais voici plus d’un an que je note un relâchement suspect, des oublis criminels. Vous parliez de famine en URSS et vous n’en parlez plus. Pourquoi ? Prétendez-vous que les Russes mangent à leur faim ?  Mouton (Nekrassov, Sartre)
Depuis Kravtchenko, sais-tu combien j’en ai vu défiler, moi, de fonctionnaires soviétiques ayant choisi la liberté ? Cent vingt-deux, mon ami, vrais ou faux. Nous avons reçu des chauffeurs d’ambassade, des bonnes d’enfants, un plombier, dix-sept coiffeurs et j’ai pris l’habitude de les refiler à mon confrère Robinet du Figaro, qui ne dédaigne pas la petite information. Résultat : baisse générale sur le Kravtchenko. […] Ah ! monsieur a choisi la liberté ! Eh bien ! fais-lui donner une soupe et envoie-le, de ma part, à l’Armée du salut.  Sibilot (Nekrassov, Sartre)
Je décidai qu’en cette occurrence, l’URSS fût innocente et que le scandale vînt essentiellement de la presse française. Sartre (1978)
Nekrassov (…) est jouée huit ans après le procès Kravtchenko qu’elle évoque explicitement. On s’en souvient, Kravtchenko, haut fonctionnaire soviétique envoyé aux États-Unis en 1943 dans une commission d’achat, a décidé d’y rester et écrit un livre, J’ai choisi la liberté, dans lequel il racontait ce qu’il avait vu en URSS : la collectivisation, les famines, les purges, les camps, la terreur, la surveillance généralisée. Ce livre a été un succès mondial et a entraîné un procès qui s’est tenu à Paris en 1949 et dans lequel Kravtchenko affrontait le journal communiste Les Lettres françaises et ses partisans. Simone de Beauvoir a assisté avec Sartre à une audience et, si elle parle en termes peu amènes de Kravtchenko et de ses témoins, elle admet dans ses Mémoires qu’« une réalité ressortait de leurs dépositions : l’existence des camps de travail » en URSS. Dès 1949, la question n’était donc plus de savoir s’il existait des camps et des répressions en URSS, mais si ces camps et ces répressions justifiaient de ne pas soutenir l’URSS et l’espoir révolutionnaire que celle-ci était censée incarner. Pour Sartre, non, cela ne le justifiait pas, comme en témoignent ses interviews de 1954 et sa pièce de 1955. L’intrigue de Nekrassov est basée sur un quiproquo volontairement créé. Un escroc recherché par la police, Georges de Valera, se cache chez la fille du journaliste Sibilot, qui travaille pour Soir à Paris. Jules Palotin dirige ce journal et semble inspiré par Pierre Lazareff, le directeur de France-Soir, qui a lui aussi visité l’URSS au printemps 1954 avec son épouse russophone et qui, dans une polémique publique, a reproché à Sartre d’idéaliser ce pays. Palotin a chargé Sibilot de lutter contre « la propagande communiste », et ce dernier, qui reconnaît être « un professionnel de l’anticommunisme », se plaint de ses conditions matérielles : l’argent est sa motivation première. De même, Palotin veut avant tout que son journal se vende. Or Mouton, directeur du conseil d’administration, lui ordonne de renforcer les attaques contre les communistes avant des élections locales (…) Le danger de guerre, les famines et le niveau de vie soviétique, très bas, ne seraient donc que des thématiques caricaturales, destinées à effrayer, à faire vendre le journal et à influer sur la politique intérieure française. Dès lors, selon Sartre, les articles sur ces sujets devraient susciter l’ironie de ceux qui, comme lui, ne seraient pas dupes. (…) L’URSS avait commandité des attaques contre Kravtchenko, et la pièce apparemment si légère de Sartre était aussi une tentative pour donner un second souffle à ces attaques. Consciemment ou pas, l’intellectuel n° 1 d’Occident était utile à ses nouveaux amis : il ridiculisait les opposants à l’URSS, réduisait toute critique de l’URSS à des motivations matérielles et mettait en doute les crimes, les oppressions et les difficultés matérielles dont le pouvoir soviétique était directement responsable. Cécile Vaissié
Welcome Gorby, bienv’nue ici Où on est quelques-uns, je crois Un copain à moi et puis moi A espérer Qu’tu vas v’nir avec tes blindés Nous délivrer T’as fait tomber l’mur de Berlin (…) Ici y’a des chaînes à briser Commence par les chaînes de télé (…) Que tu nous débarrasses un peu De ce « Big Brother » de mes deux J’te fais confiance Tu pourras aussi liquider Les radios FM à gerber Qu’ nous balancent De nos chanteurs hydrocéphales Et de leur poésie fécale Toute l’indigence (…) Où on est quelques-uns, je crois (…) A espérer Qu’tu vas v’nir avec ton armée Tout balayer Tu peux construire, si tu t’amènes Quelques goulags au bord d’la Seine De toute urgence Ici y’a un paquet d’nuisibles Qui nous font péter les fusibles De la conscience Des BHL et des Foucault Pas l’philosophe, non, l’autre idiot Des Dorothée Fort sympathiques au demeurant Je dirais plus exactement Aux demeurés (…) Que tu vas v’nir claquer l’beignet A ces tares On a ici, c’est bien pratique Quelques hôpitaux psychiatriques Qu’tu peux vider Pour y foutre les psychanalystes Les députés, les journalistes Et les Musclés (…) Si t’en as marre du communisme J’te raconte pas l’capitalisme Comme c’est l’panard Comment on est manipulés Intoxiqués, fichés, blousés Par ces connards Viens donc contempler nos idoles Elles sont un peu plus rock and roll Que ton Lénine Bernard Tapie et Anne Sinclair ‘Vec ça tu comprends qu’notr’misère Soit légitime (…) Qu’si tu v’nais avec tes blindés Y voudraient sur’ment pas rester. Renaud (1991)
Au lieu de recevoir Poutine avec des pincettes, au lieu de l’humilier en bloquant la construction du centre orthodoxe du quai Branly et de bouder l’inauguration du monument à la mémoire des soldats russes morts pour la France durant la Grande Guerre, le gouvernement français devrait faire preuve de réalisme et d’un peu de courage pour construire une relation de confiance avec la Russie! Ce n’est pas à New York que la crise syrienne se dénouera, c’est à Moscou. Que Poutine lâche le régime syrien, et il tombera comme le fruit pourri qu’il est. Si j’étais François Hollande, je prendrais l’avion maintenant pour Moscou, si possible avec Angela Merkel, et je chercherais à offrir à la Russie de véritables garanties sur sa sécurité et sur une relation de confiance avec l’Otan, qui doit inclure la question de la défense antimissile à laquelle les Russes doivent être réellement associés. L’ours russe n’est dangereux que quand il a peur. Offrons-lui sans détour la perspective d’un accord historique d’association avec l’Europe. Ce que François Hollande ne comprend pas, c’est qu’il faut ancrer la Russie à l’espace européen. Je sais bien que les diplomates trouveront dix mille raisons qui empêchent cette avancée historique: l’insuffisance de l’État de droit en Russie, l’instabilité des règles juridiques et commerciales, la corruption… Tout cela est vrai mais tout cela ne peut justifier que nous restions inactifs face au piège infernal qui est en train de s’armer aux confins de la Perse, de la Mésopotamie et l’Assyrie. Que notre président normal comprenne qu’il n’y a rien de normal dans le monde dont il est désormais l’un des principaux responsables. Qu’il prenne des risques, qu’il abandonne ses postures bourgeoises et atlantistes version guerre froide. Qu’il parle avec la Russie. François Fillon (2012)
On sait que la Russie n’est pas une démocratie, on sait que la Russie est un régime instable et dangereux. La question posée c’est : ‘est-ce qu’on doit continuer à provoquer les Russes, à refuser toute espèce de dialogue avec eux en les poussant à être de plus en plus violents, agressifs, et de moins en moins européens?’ François Fillon (2016)
La Russie, c’est le plus grand pays du monde par sa superficie. C’est un pays dangereux car c’est un pays instable, qui n’a jamais connu la démocratie. (…) Traiter ce pays comme si c’était le Luxembourg ou le Panama, c’est juste une énorme bêtise. (…) Il n’y a jamais eu de démocrate à la tête de la Russie. Vouloir faire de Poutine un monstre aux mains pleines de sang, c’est juste ridicule par rapport à l’histoire de la Russie. François Fillon (2016)
Pour moi, l’homme de l’année est Vladimir Poutine. Il (…) fut le seul à oser donner l’asile politique à Snowden, l’homme qui révéla la folle réalité de l’espionnage américain. Mais cette année restera avant tout celle où le chef de l’Etat russe est sorti vainqueur du grand bras de fer diplomatique autour de la Syrie. Poutine tient dans cette histoire le rôle glorieux d’un Chirac qui aurait réussi à empêcher la guerre en Irak. (…) Poutine a remis le couvert avec l’Iran, servant d’honnête courtier avec les Américains. Et il a parachevé son triomphe diplomatique en empêchant le ralliement de l’Ukraine à l’Europe. (…) Poutine n’est pas en odeur de sainteté ni dans les médias français ni au Quai d’Orsay. On évoque non sans raisons ses penchants autoritaires, ses accointances avec certains cercles plus ou moins mafieux, son incapacité à couper l’économie de sa rente pétrolière et gazière. Mais personne ne peut contester qu’il été élu démocratiquement. (…) La bourgeoisie occidentalisée conteste ses manières, mais la majorité du peuple lui sait gré d’avoir restauré l’Etat. (…) Poutine a mis au pas les oligarques qui dépeçaient la Russie et rétabli la souveraineté de la Russie face à la pression impériale de l’Amérique. Poutine a peu à peu endossé les habits de nouveau tsar dans la grande tradition russe. Il reste le dernier résistant à l’ouragan politiquement correct qui, parti d’Amérique, détruit toutes les structures traditionnelles, famille, religion, patrie. Eric Zemmour (20.12.2013)
Poutine a eu des mots très justes, il y a déjà bien longtemps, sur la colonisation de l’Europe par ses anciens colonisés. À ce propos, je rejoins mot pour mot ses analyses : il a décrit à l’avance, et avec tout le mépris qui convenait, ce qui est en train de se produire. Mais je ne le vois pas comme un ami : plutôt comme un joueur très doué qui sert à merveille ses propres intérêts et, dans une certaine mesure, ceux de son pays (plus que de son peuple). On peut s’inspirer de sa détermination, de son talent diplomatique, de son patriotisme. On peut même les admirer, et les envier pour nos propres nations. Mais on ne saurait oublier qu’il ne s’agit nullement d’un ami, et que ses intérêts ne sont pas les nôtres. Renaud Camus (2017)
Qu’ont en commun François Fillon, Jean-Luc Mélenchon, Nadine Morano et Jean-Pierre Chevènement ? Pas grand-chose, sauf l’admiration qu’ils portent à Vladimir Poutine. Chapeau l’artiste : non content d’être devenu la vedette du théâtre stratégique international, dont on se demande tous les mois quel sera le prochain tour, Poutine est applaudi à gauche (un peu) et à droite (surtout). Nicolas Sarkozy a bien senti le vent : depuis 2015, il justifie l’annexion de la Crimée – au motif que ses habitants auraient librement choisi leur sort – et adopte le tropisme moscovite d’une grande partie de ses électeurs potentiels. Cette vision de Poutine résulte d’une convergence exceptionnelle : admiration pour le « défenseur des valeurs chrétiennes », qui a surfé sur la vague de l’opposition au « mariage pour tous » ; respect pour un pouvoir fort et viril, antithèse à la fois de François Hollande et de Barack Obama ; applaudissements saluant la maestria diplomatique de Moscou au Moyen-Orient, qui contraste avec la pusillanimité de Washington ; vision romantique de la relation franco-russe, qui a toujours existé chez les gaullistes, mais qui séduit aussi par son anti-américanisme ; fierté de quelques vieux communistes pour le révisionnisme historique aujourd’hui à l’œuvre au Kremlin… Que les extrêmes communient dans cette « panthéonisation », cela n’a rien de très surprenant. Mais qu’une large frange des Républicains y participe, c’est plus ennuyeux, car cela révèle un aveuglement sur la nature du pouvoir russe actuel. La défense des « valeurs traditionnelles » par le Kremlin est, au mieux, un malentendu. Il est vrai qu’elle est entretenue par une propagande habile : moderne, affûtée, non dénuée de sens de l’humour. Avec un investissement considérable dans les réseaux sociaux et les blogs, et l’entretien d’une cohorte de propagandistes rémunérés pour répandre la bonne parole dans les médias, sans compter les idiots utiles. Mais un régime dont les principaux ressorts sont la corruption, la manipulation, la répression et l’élimination physique des opposants incarne-t-il dignement les « valeurs conservatrices » ? La répression de la différence sexuelle relève-t-elle des leçons de l’Évangile ? La criminalisation du « blasphème » mérite-t-elle les applaudissements des catholiques ? L’intimidation des Églises non affiliées au patriarcat est-elle une preuve d’amour de son prochain ? La relation de co-dépendance qu’entretient Moscou avec la satrapie néo-wahhabite de Tchétchénie, dont les hommes de main sont les exécuteurs des basses œuvres du Kremlin, est-elle d’essence chrétienne ? Le bombardement délibéré d’hôpitaux en Syrie est-il un témoignage de charité ? Quant à la « défense des chrétiens d’Orient », dont Poutine est crédité à travers son soutien à Damas, elle relève d’un mythe : Bachar el-Assad n’a aucune sympathie particulière pour les chrétiens, qui ont tout autant souffert de son régime que les autres et ne sont qu’un pion dans sa stratégie. Le pouvoir fort admiré par les thuriféraires de Moscou ? Une clique cynique et affairiste composée d’anciens des services de sécurité dans le premier cercle, et de potentats mafieux dans le second. Une caste dirigeante qui a, depuis 2012, achevé sa mue autoritaire entamée en 1999 au prix d’une série de coups tordus, et réalisé une habile synthèse de néo-tsarisme et de néo-stalinisme. Avec la bénédiction d’une grande partie de sa propre population, dont la capacité à exercer librement ses choix démocratiques est, il est vrai, aujourd’hui sujette à caution. (…) Écouter les arguments de la Russie au motif que c’est une « grande civilisation » ? L’Iran a beau être une « civilisation bimillénaire » et la Grèce « le berceau de l’Occident », cela n’éteint pas la critique des mollahs révolutionnaires ou des gauchistes impécunieux. (…) Accepter que le Kremlin fasse des pays limitrophes une « sphère d’influence » ? Ce serait bénir une logique impérialiste et se moquer de l’autodétermination des peuples. Et si la Crimée avait « toujours été russe », pourquoi ne pas « rendre » Kaliningrad (Königsberg) à l’Allemagne ? (…) « Quand vous trouvez un accord avec la Russie, elle le respecte », prétendait François Fillon début avril. Que Moscou ait foulé aux pieds tous les traités sur la sécurité européenne signés depuis 1975 et tous les textes régissant sa relation avec l’Ukraine indépendante depuis 1994 ne semble pas troubler l’ancien Premier ministre. (…) l’admiration pour Poutine rappelle décidément, à droite, l’attitude d’une partie de la bourgeoisie européenne entre 1933 et 1939. La posture diplomatique recommandée par certains néogaullistes relève ainsi de l’imposture politique. La nostalgie pour « l’Europe de l’Atlantique à l’Oural » concerne la reconstruction à posteriori : derrière une rhétorique habile, des gestes à portée symbolique forte et une certaine admiration pour la culture russe, le général ne s’est jamais fourvoyé dans une fausse équivalence entre Washington et Moscou. (…) Mais « tendre la main » à Moscou ? Cela relève de l’illusion tant le pouvoir russe raisonne aujourd’hui en termes de jeu à somme nulle, et sur le mode « ce qui est à moi est à moi, ce qui est à toi est négociable. » « Tenir compte des intérêts de Moscou » ? Pas au détriment des nôtres. Comme souvent, les Français sont plus lucides que leurs dirigeants et leurs intellectuels. Si l’on en croit une enquête menée en 2015 dans huit pays occidentaux, ils sont les plus nombreux (30 %) à avoir une image positive de la Russie, mais les moins nombreux (15 %) à faire confiance à Vladimir Poutine. C’est une bonne réponse aux poutinolâtres qui reprochent à leurs adversaires une supposée « russophobie ». Bruno Tertrais
Nos souverainistes, si sourcilleux de notre indépendance quand il s’agit des États-Unis, s’alignent sans états d’âme sur les positions du Kremlin, même les plus scandaleuses, comme on l’a vu à droite et à gauche au moment de la guerre hybride contre l’Ukraine (…). Poutine a imposé une propagande ahurissante charriant la haine et le mensonge. Et c’est dans ce pays que notre droite cherche son inspiration. Françoise Thom
Comme Nicolas Tenzer et Garry Kasparov l’ont déjà relevé dans Desk Russie, François Fillon n’a eu aucun scrupule à se faire récemment recruter par une entreprise étatique russe, Zaroubejneft, dès lors que ce « personnage sournois, arrogant et corrompu », pour reprendre le portrait qu’en a dressé Jean-Louis Bourlanges en février 2017, peut en tirer profit. L’annexion de la Crimée, l’affaire Navalny, les atteintes systématiques aux libertés, les ingérences dans les affaires de l’Occident, le soutien inconditionnel au sanguinaire el-Assad ne paraissent guère émouvoir l’ancien Premier ministre. Un membre distingué de l’Institut, éminent spécialiste de la Russie, a démenti le propos que lui prêtait Le Figaro du 28 février 2017, à savoir que Fillon était « un agent des Russes » (Commentaire, n°158, 2017, p. 471). Peut-être pas agent, mais pour le moins « prorusse et antiaméricain » selon Le Monde du 11 novembre 2016. En effet, il paraît comme « fasciné » (Le Point, 3 déc. 2015) par son ami Poutine, s’en prend systématiquement à l’Amérique, coupable de tous les maux de la terre ou presque, sans parler d’une écoute attentive de la CGT lorsqu’il était ministre du Travail, position dénoncée avec vigueur à l’époque par Marc Blondel, le secrétaire général de Force ouvrière (Chronique économique, syndicale et sociale, sept. 2004). L’ancien élu de la Sarthe, qui, comme son ancien soutien Mariani, n’a jamais exercé d’autre métier que la politique, partage, au fond, les convictions d’un Chevènement, notamment son hostilité au traité de Maastricht, tout en se prononçant pour l’entrée de la Turquie au sein de l’Europe, afin de « jouer un rôle d’équilibre face aux États-Unis » (Libération, 10 déc. 2004). Déjà, en 1989, le ministre de la Défense, en déplacement officiel à Moscou, avait invité Fillon à faire partie de la délégation française. En 1991, ils déjeunent ensemble (Le Maine libre, 21 fév. 1991). Vingt-six ans plus tard, dans le cadre de la campagne présidentielle, le candidat Fillon, lors d’un meeting à Besançon, plaçait sur le même plan de Gaulle, Séguin et Chevènement Bien avant, Fillon admettait qu’il y avait avec ce dernier « convergence mais pas identité » (Le Quotidien de Paris, 27 oct. 1990). Par ailleurs, s’il rend hommage à Régis Debray, il se dit en désaccord avec Finkielkraut sur la Russie (Le Point, 7 janv. 2016). En sa qualité de Premier ministre, on le voit déplorer, en septembre 2008, à propos de l’offensive russe en Géorgie, la condamnation par l’Europe de cette Russie « humiliée », ce qui pourrait rappeler la formule du Führer au lendemain du traité de Versailles. Il s’en prend à ceux qui « continuent à piétiner la Russie », laquelle, annonce-t-il, ne fera pas l’objet, comme déjà soumis à celle-ci, de sanctions (Le Figaro, 5 sept. 2008) Au cours de son règne à Matignon, il rencontre Poutine deux à trois fois par an mais refusera de recevoir Hervé Mariton, président du groupe parlementaire d’amitié franco-russe, qui, lui, ne fait pas partie des affidés de Moscou (L’Express, 29 janv. 2014). Dans son livre Faire (Albin Michel, 2015), Fillon déclare avoir « aimé nos rencontres [avec Poutine] parce qu’elles étaient utiles, parce qu’on pouvait y nouer à l’improviste des accords qui n’étaient pas préparés à l’avance ». Il le définit comme « patriote » (Valeurs actuelles, 20 oct. 2016). Son alignement sur le régime russe ne fait que s’accentuer après l’élection de François Hollande à l’Élysée : « Au lieu de recevoir Poutine avec des pincettes, déplorait Fillon dans Le Figaro du 13 août 2012, au lieu de l’humilier 1 […] le gouvernement français devrait faire preuve de réalisme et d’un peu de courage pour construire une relation de confiance avec la Russie ! […] Si j’étais François Hollande, je prendrais maintenant l’avion pour Moscou […] et je chercherais à offrir à la Russie de véritables garanties sur sa sécurité et sur une relation de confiance avec l’OTAN. […] Qu’il prenne des risques, qu’il abandonne ses postures bourgeoises et atlantistes, version guerre froide. » (…) Concernant la perspective d’une intervention des Occidentaux en Syrie, Fillon — devenu député de Paris — exhorte, avec Villepin, la présidence Hollande à la prudence, surtout si la France doit agir avec ses alliés ; le préalable, c’est d’« informer nos partenaires russes. Nous devons tenter une dernière fois d’essayer de les convaincre d’agir avec les moyens qui sont les leurs sur le régime d’Assad » (Le Monde, 30 août 2013). En septembre 2013, il est de nouveau en Russie où, en violation des usages, il critique, avec véhémence, la position française, lui faisant grief de s’aligner sur l’Amérique : « Je souhaiterais, proclame-t-il, que la France retrouve cette indépendance et cette liberté de jugement et d’action qui seules lui confèrent une autorité dans cette crise », à la grande jubilation, souligne Le Monde du 21 septembre, de l’élite russe venue entendre la bonne parole. Le socialiste Arnaud Leroy voit en Fillon « le laquais de la Volga » tandis que le porte-parole du parti dénonce cette « dérive », laquelle fait l’objet d’un éditorial plus que sévère du Monde du 22, déplorant « la faute de ce voyage ». Sur sa lancée, Fillon séjourne, en octobre 2013, au Kazakhstan, pas gêné par ses atteintes systématiques à la liberté ; sa prestation, « truffé de banalités », lui aurait rapporté, si l’on se réfère au Nouvel Observateur du 31 octobre, 30 000 €. S’agissant de ses émoluments, Le Canard enchaîné du 22 mars 2017 titre « Fillon a fait le plein chez Poutine » et sous-titre « Pour jouer les entremetteurs entre le président russe, un milliardaire libanais et le pédégé de Total, le candidat, alors député de Paris, a palpé 50 000 dollars en 2015. Avec promesse d’intéressement aux bénéfices ». « Récemment, relève Le Monde du 13 juin 2018, il aurait œuvré au rapprochement de Tikehau avec le fonds Mubadala d’Abou Dhabi, et le fonds russe d’investissement direct. » Toujours aussi désintéressé ! À l’issue de la primaire qu’il a remportée pour la présidentielle de 2017, Fillon paraît être le candidat préféré des Russes, à l’instar de de Gaulle en 1965, Pompidou en 1969, Giscard en 1974 et 1981… Mariani s’en félicite : « En politique étrangère, il est le plus constant et le plus régulier dans ses choix, notamment sur la Russie. » Fillon se prononce, comme il se doit, pour la levée des sanctions à l’encontre de Moscou, qui salue sa présence à la future élection (Le Monde, 23 nov. 2016), notamment par un Poutine célébrant « cet homme intègre, qui se distingue fortement des hommes politiques de la planète », pas moins (ibid., 25 nov.). Selon lui, la Russie respecte les accords lorsqu’elle les signe, ce qui lui vaut cette réplique cinglante de Bruno Tertrais dans Causeur de juin 2016 : « Que Moscou ait foulé aux pieds tous les traités sur la sécurité européenne signés depuis 1975 et tous les textes régissant sa relation avec l’Ukraine indépendante depuis 1994 ne semble pas troubler l’ancien Premier ministre. » Poursuivant sur la même lancée, son programme officiel de 2017 annonce que la France sera « un allié loyal et indépendant des États-Unis». La France serait-elle indépendante de Moscou ? Voilà qui est moins sûr lorsque Fillon appelle à « rétablir le dialogue et des relations de confiance avec la Russie, qui doit redevenir un grand partenaire », en levant les sanctions. (…) [Sur l’Ukraine] Là encore, l’ex-chef du gouvernement ne verse pas vraiment dans la nuance, exonérant la Russie de toute implication ou presque : « On doit tout faire, estime-t-il, pour empêcher l’intervention russe. […] Et en même temps, on ne peut pas désigner les Russes comme les seuls fauteurs de troubles, il y a aussi des erreurs qui ont été commises par le nouveau pouvoir de Kiev », lequel n’est pourtant pas celui ayant déclenché les hostilités… Son conseil ne varie pas, revenant comme des litanies, mettant même en accusation la France, surtout pas la Russie : « Il faut parler avec les Russes […]. La France n’a cessé de traiter la Russie d’une manière assez légère » (Le Nouvel Obs, 3 avril 2016) ; cette position suscite une vigoureuse réaction d’indignation de la part du philosophe Alain Laurent dans Le Point du 10 juillet 2014. La faute incombe, comme de bien entendu, aux Américains, estimant qu’une « erreur historique a été commise en repoussant les frontières de l’OTAN juste sous le nez des Russes » (Le Point, 24 avril 2014). « On ne peut pas laisser s’installer, s’indigne-t-il, la guerre à l’est de l’Europe. Surtout quand les États-Unis risquent d’attiser un conflit qui est très loin de chez eux, en proposant notamment d’armer les Ukrainiens » (Le Figaro, 6 fév. 2015). L’Amérique, pour lui, « n’est pas qualifiée pour continuer à discuter avec la Russie ». Ce même 6 février, sur LCI-Radio classique, il estime que « l’agresseur n’est pas Poutine ». Pas un mot sur les aspirations du peuple ukrainien ; s’il consent à reconnaître que Moscou viole le droit international en Crimée, c’est pour aussitôt tempérer son propos, estimant qu’il a des droits historiques sur ce territoire, et de prétendre que « la responsabilité la plus élevée incombe aux États-Unis » (Valeurs actuelles, 18 juin 2015). Dans une lettre ouverte au chef de l’État, Fillon préconise la création d’« une véritable alliance internationale, intégrant l’Iran et la Russie, contre l’État islamique » (JDD, 12 juil. 2015), semblant considérer — il est bien le seul — que l’Iran est étranger au terrorisme. Dans son ouvrage, Faire, il appelle aussi à discuter avec Bachar al-Assad, thème qu’il développe dans une interview accordée au Figaro du 14 novembre 2015 : « La seule voie, c’est de stopper l’effondrement du régime syrien […]. Les Russes l’ont compris depuis longtemps. » Et de les féliciter dans Valeurs actuelles du 19 novembre : « Heureusement que Poutine l’a fait, sinon nous aurions sans doute en face de nous un État islamique. […] Il faut donc se féliciter que la Russie soit intervenue. Maintenant, il faut engager le dialogue avec Moscou pour bâtir une stratégie de reconquête du territoire syrien. » (…) Ignore-t-il que le dirigeant syrien a élargi de ses prisons nombre de dirigeants djihadistes et qu’il n’a pas bombardé les quartiers généraux islamistes (Commentaire, n° 144, hiver 2013/2014, p. 795) ? Ignore-t-il que l’intervention russe n’a visé Daech que de façon marginale (France Inter, 28 nov. 2016) ? Comme l’a justement remarqué Alain Frachon dans Le Monde du 21 octobre 2016, sous le titre « La Syrie de M. Fillon », « choisir al-Assad comme rempart contre le djihadisme […], c’est faire équipe avec Al Capone pour démanteler la Mafia. Ou, si l’on préfère, s’appuyer sur un pompier pyromane pour éteindre l’incendie djihadiste ». (…) À la tribune de l’Assemblée nationale, le 25 novembre 2015, il va jusqu’à suggérer d’associer le Hezbollah, organisation terroriste, à la recherche d’une solution en Syrie, insistant sur la nécessité de réintégrer l’Iran dans les discussions (Le Figaro, 26 nov. 2015). (…) Selon lui, « la Russie est la seule puissance à faire preuve de réalisme en Syrie » (Marianne, 1er avril 2016) (…)  Déjà, au Mans, en décembre 1998, il participe à un colloque de trois jours dont l’objet porte sur « les États-Unis, maîtres du monde ? », en compagnie de toute la fine fleur de l’antiaméricanisme : Alain Gresh et Serge Halimi, du Monde diplomatique, Pascal Boniface, Paul-Marie de La Gorce. Fillon s’en prend, pour sa part, à la « fragilité » du président Clinton (Ouest-France, 14 déc. 1998). Lors du conflit opposant Israël au Hamas, à l’été 2014, il dénonce la culpabilité de l’Occident, « et, premièrement, des États-Unis » (Le Monde, 20 juil. 2014). « L’Europe, confie-t-il au Point du 16 avril 2015, est trop dépendante pour sa sécurité et son économie. C’est flagrant concernant […] la nouvelle guerre froide avec la Russie », pauvre victime ! La solution ? Sortir de la domination du dollar contre laquelle l’Europe doit, pas moins, « se révolter » (Valeurs actuelles, 18 juin 2015). Dans son programme présidentiel, le dollar est présenté comme une « nouvelle forme d’impérialisme » (Le Monde, 16 déc. 2016). Dans un tweet, révélé par Nicolas Hénin dans La France russe (Fayard, 2016, p. 117), Fillon place, sur le même pied, en tant qu’ennemis de l’Europe, « totalitarisme islamique, impérialisme américain, dynamique du continent asiatique » ; on appréciera le parallèle ! Si la France, d’après lui, est hostile à la Russie, c’est qu’on « est influencé par l’administration américaine, le Congrès américain et ce que pensent les journaux américains » (Le Point, 25 août 2016). Il pense — mais pense-t-il ? — que « c’est une erreur de la traiter à la fois comme un adversaire et un pays sous-développé » (Le Monde, 14 sept. 2016). Un mois plus tard, il déplore que « la France coure après les États-Unis » (Valeurs actuelles, 20 oct. 2016) (…) Il récidive dans Le Progrès du 11 novembre 2016, où il préconise de « renforcer l’Europe face à la menace du totalitarisme islamique mais aussi face à la mainmise économique américaine, demain chinoise » : singulière juxtaposition, encore une fois, que de placer le terrorisme sur le même plan que l’Amérique. C’est quasiment obsessionnel chez lui : dans L’Opinion du 27 octobre 2016, il insiste « pour sortir un jour de cette dépendance très forte vis-à-vis des États-Unis […]. Ainsi, je suis choqué par les discours des responsables de l’OTAN sur la Russie. Cela relève de la provocation verbale. On ne peut pas considérer Moscou comme l’ennemi n° 1 alors que le totalitarisme islamique nous menace directement ». Il va même jusqu’à proposer, au début 2017, une conférence Europe-Russie sans les Américains (Le Monde, 26 janv. 2017). Le problème, pour lui, ce n’est pas la Russie, allant jusqu’à mettre en cause voire en accusation Washington : « Dans beaucoup de cas, la politique américaine qui pilote l’OTAN n’est pas la solution contre le totalitarisme islamique, elle est plutôt le problème. Nous avons commis des erreurs par le passé en poussant la Russie dans ses travers ». Vincent Laloy
C’est, jusqu’au bout, un aveuglement. (…) [Eric Zemmour] « condamne sans réserve l’intervention militaire », qu’il qualifie d’ « injustifiable ». Mais [il] accuse aussi, peu après, dans une déclaration filmée en direct, les Occidentaux d’avoir envenimé la situation « depuis des années, avec l’expansion ininterrompue de l’OTAN ». Il appelle toujours à signer un traité pour garantir que l’Ukraine n’entrera « jamais » dans l’Alliance atlantique. « Comme ça, monsieur Poutine sera rassuré », ajoutait-il dimanche. (…) Depuis plusieurs mois, Eric Zemmour et Marine Le Pen minimisaient les menaces lancées par Moscou, tout en reprenant la propagande du Kremlin sur de prétendues prétentions américaines. (…) Des positions constantes, mais qui comportent leurs contradictions. Si les deux candidats s’affirment souverainistes, Eric Zemmour et Marine Le Pen faisaient peu de cas de la souveraineté de l’Ukraine, Etat indépendant depuis 1991, membre de l’ONU, ayant inscrit légalement dans sa constitution, en 2019, son aspiration à adhérer un jour à l’Union européenne et à l’OTAN. Ce pays, déclarait Marine Le Pen en décembre 2021, dans un entretien au média polonais Rzeczpospolita, « appartient à la sphère d’influence russe ». Pour Eric Zemmour, « l’Ukraine n’existe pas », comme il le développe dans Un quinquennat pour rien (Albin Michel, 2016), puisque Kiev est, écrit-il, « le berceau de la civilisation russe ». Patriotes autoproclamés, tous deux se sont évertués à affaiblir Emmanuel Macron, Marine Le Pen en le traitant de « petit télégraphiste » de Joe Biden ; Eric Zemmour en l’accusant d’être « impuissant », et même « le néant ». Jeudi 24 février, le candidat d’extrême droite a appelé le chef de l’Etat à se rendre de nouveau à Moscou et à Kiev pour « s’interposer » et réclamer un cessez-le-feu immédiat. Une position en totale contradiction avec ce qu’il soutenait quatre jours auparavant, en citant le « porte-parole de Vladimir Poutine qui a tout dit en une phrase  : “Emmanuel Macron est membre de deux organisations, l’Union européenne et l’OTAN, dont il n’est pas le chef.” C’est tout notre problème. Nous sommes vus par les Russes comme les petits télégraphistes de Washington. (…) Notre parole ne vaut rien, en vérité. » En écho, Marine Le Pen a déclaré jeudi que « la France devrait prendre l’initiative d’une réunion diplomatique », oubliant qu’elle avait deux jours avant étrillé « l’échec diplomatique » français. (…) Les deux candidats vouent une profonde admiration à Poutine. En mars 2017, Marine Le Pen s’était rendue auprès du dirigeant russe à Moscou et avait vanté un « point de vue sur l’Ukraine qui coïncide avec celui de la Russie ». En septembre 2018, Eric Zemmour avait déclaré qu’il « rêv[ait] d’un Poutine français » puis, en septembre 2020, sur CNews, qu’il voyait en Poutine « l’allié qui serait le plus fiable, plus que les Etats-Unis, l’Allemagne ou la Grande-Bretagne ». Dimanche, il discourait au pied du Mont-Saint-Michel (Manche) en agitant le spectre de « la prochaine guerre » et clamait qu’être président de la République, « c’est savoir regarder le pire en face, justement pour l’éviter ». Les deux candidats n’ont pas su regarder. Ivanne Trippenbach

Comme ça, Monsieur Poutine sera rassuré !

A l’heure où l’injustifiable agression contre le peuple ukrainien aurait dû nous ouvrir les yeux …

Sur le cynique et proprement dément (jusqu’à pousser à rejoindre l’OTAN des petits pays jusque là neutres comme la Suède ou la Finlande ?) projet de l’actuel régime kleptocratique et revanchiste russe …

Contraint à l’instar de son illustre prédécesseuse la Grande Catherine d’absorber ses voisins pour « garantir ses frontières » …

Pour un pays dont la superficie atteint à peine celles de la première et de la deuxième puissance mondiale – cumulées !

Sur la base de contre-vérités comme la prétendue promesse américaine de non-élargissement de l’OTAN

Et appuyé sur un nouveau chantage stratégique à base de nouvelles armes de théâtre hypersoniques pour s’assurer une « bulle stratégique » pour verrouiller la Baltique et la mer Noire …

Si bien décrit par les travaux de notre meilleure « soviétologue » Françoise Thom

De profiter, comme il y a huit ans sous l’Administration Obama/Biden, de la fenêtre d’opportunité d’une présidence américaine proprement cacochyme …

Mais aussi de plus de 20 ans de passivité européenne et notamment allemande …

Pour tout simplement tenter de bouter hors d’Europe et du monde via ses clones et complices chinois la seule garantie de stabilité et de protection pour les prochaines victimes …

Après la Géorgie et la Crimée ou Hong Kong et peut-être bientôt Taiwan

Et sans parler des famines fabriquées d’Ukraine ou de Chine

De la part du dernier système politique à n’avoir toujours pas eu (merci la gauche européenne !) de procès de Nuremberg pour ses quelque 100 millions de morts

Et donc incapable de faire leur deuil d’empire

Comment ne pas voir la triste implication d’un tel aveu …

Et ne pas se désoler …

Avec la journaliste spécialiste des Etats-Unis et de la Russie Laure Mandeville

De cette tragique incapacité de nombre de nos compatriotes …

A l’instar de l’habituellement si perspicace candidat Zemmour sur la menace islamiste et wokiste …

Qui oubliant étrangement les avertissements prophétiques de son maitre de Gaulle dès 1919 …

Pousse en même temps l’aveuglement sur le jeu victimaire et le nationalisme complètement dévoyé derrière lequel se cache l’impérialisme poutinien

Jusqu’à à jouer, au nom d’un souverainisme sans limites quasi-goebbelsien, les petits télégraphistes de Moscou …

A penser ensemble ces deux menaces proprement existentielles …

Pour notre pays comme pour l’avenir de notre monde libre ?

Eric Zemmour et Marine Le Pen fragilisés par l’attaque de Vladimir Poutine en Ukraine
Les deux candidats d’extrême droite à la présidentielle opèrent une volte-face dans la foulée des premiers bombardements russes, après avoir relayé durant des mois la propagande du Kremlin.
Ivanne Trippenbach
24 février 2022

C’est, jusqu’au bout, un aveuglement. Dimanche 20 février, l’un des principaux candidats à l’élection présidentielle, Eric Zemmour, livre sa vision de la crise ukrainienne. « Je suis sceptique, dit-il sur Europe 1, je pense qu’il y a beaucoup de propagande, d’agitation des services américains pour hystériser cette histoire. » Vingt-quatre heures plus tard, Vladimir Poutine déclare reconnaître l’indépendance des zones séparatistes prorusses, puis ordonne à son armée d’entrer en Ukraine. Interrogée à son tour, mardi 22 février sur RTL, Marine Le Pen regrette une « escalade claire », mais se prononce contre les sanctions visant Moscou et accuse Emmanuel Macron d’avoir « essayé de jouer un rôle et de se servir » de cette crise.

Ce n’est qu’une fois la guerre déclarée par Poutine au nom d’une « dénazification de l’Ukraine », les frappes russes tombées sur Kiev comme dans tout le pays, les premières morts civiles annoncées, jeudi 24 février, que Le Pen et Zemmour se sont empressés de rétropédaler par voie de communiqués. La première y appelle à la « cessation immédiate des opérations militaires russes en Ukraine ». Le second y« condamne sans réserve l’intervention militaire », qu’il qualifie d’« injustifiable ». Mais Eric Zemmour accuse aussi, peu après, dans une déclaration filmée en direct, les Occidentaux d’avoir envenimé la situation « depuis des années, avec l’expansion ininterrompue de l’OTAN ». Il appelle toujours à signer un traité pour garantir que l’Ukraine n’entrera « jamais » dans l’Alliance atlantique. « Comme ça, monsieur Poutine sera rassuré », ajoutait-il dimanche.

« C’est Poutine l’agressé ! »

Depuis plusieurs mois, Eric Zemmour et Marine Le Pen minimisaient les menaces lancées par Moscou, tout en reprenant la propagande du Kremlin sur de prétendues prétentions américaines. « Les Américains n’ont pas respecté leur parole et ont avancé, avancé [et] mangé petit à petit ce glacis », justifiait Zemmour sur France 5, il y a un mois, en comparant l’adhésion à l’OTAN à des annexions territoriales. Un discours en cohérence avec celui qu’il tenait sur CNews, en juin 2021 : « Il faut arrêter de faire de Poutine l’agresseur, c’est Poutine l’agressé ! Evidemment, après, il se défend. » « Le problème de l’Ukraine n’est pas une invasion, je n’y crois pas, assénait encore le candidat avec assurance, le 9 décembre sur France 2. La Russie, j’en prends le pari, n’envahira pas l’Ukraine. »

Marine Le Pen n’était pas en reste. « Je ne le crois pas du tout, je ne vois vraiment pas ce que les Russes feraient en Ukraine », martelait-elle le 7 février, sur Franceinfo. La candidate du Rassemblement national (RN) répétait ce qu’elle nomme elle-même les « éléments de langage » du Kremlin, en soutenant que « les Etats-Unis veulent absolument faire entrer l’Ukraine dans l’OTAN, donc on est en train de créer un conflit qui n’a pas lieu d’être ». Mardi 22 février, elle estimait que « la France s’est soumise à une forme de guerre froide imposée par l’Union européenne, à l’écoute des Américains ».

Des positions constantes, mais qui comportent leurs contradictions. Si les deux candidats s’affirment souverainistes, Eric Zemmour et Marine Le Pen faisaient peu de cas de la souveraineté de l’Ukraine, Etat indépendant depuis 1991, membre de l’ONU, ayant inscrit légalement dans sa constitution, en 2019, son aspiration à adhérer un jour à l’Union européenne et à l’OTAN. Ce pays, déclarait Marine Le Pen en décembre 2021, dans un entretien au média polonais Rzeczpospolita, « appartient à la sphère d’influence russe ». Pour Eric Zemmour, « l’Ukraine n’existe pas », comme il le développe dans Un quinquennat pour rien (Albin Michel, 2016), puisque Kiev est, écrit-il, « le berceau de la civilisation russe ».

Profonde admiration pour Poutine

Patriotes autoproclamés, tous deux se sont évertués à affaiblir Emmanuel Macron, Marine Le Pen en le traitant de « petit télégraphiste » de Joe Biden ; Eric Zemmour en l’accusant d’être « impuissant », et même « le néant ». Jeudi 24 février, le candidat d’extrême droite a appelé le chef de l’Etat à se rendre de nouveau à Moscou et à Kiev pour « s’interposer » et réclamer un cessez-le-feu immédiat. Une position en totale contradiction avec ce qu’il soutenait quatre jours auparavant, en citant le « porte-parole de Vladimir Poutine qui a tout dit en une phrase  : “Emmanuel Macron est membre de deux organisations, l’Union européenne et l’OTAN, dont il n’est pas le chef.” C’est tout notre problème. Nous sommes vus par les Russes comme les petits télégraphistes de Washington. (…) Notre parole ne vaut rien, en vérité. » En écho, Marine Le Pen a déclaré jeudi que « la France devrait prendre l’initiative d’une réunion diplomatique », oubliant qu’elle avait deux jours avant étrillé « l’échec diplomatique » français.

A la place d’Emmanuel Macron, « j’essaierais de trouver une issue diplomatique à cette crise, à cette violation massive, évidente du droit international », a-t-elle réitéré, dans la soirée sur France 2. Elle s’est dit « tout à fait opposée à ce qu’on envoie des troupes françaises en Ukraine », sans évoquer les victimes ni l’inquiétude des pays européens proches de la Russie. Elle a tenté d’expliquer son opposition aux sanctions par le risque d’une baisse du pouvoir d’achat, jugeant « si ça entraîne une explosion des prix de l’énergie, alors ce sera un véritable drame pour la population française », malgré le bouclier tarifaire bloquant les tarifs réglementés de vente du gaz.

Les deux candidats vouent une profonde admiration à Poutine. En mars 2017, Marine Le Pen s’était rendue auprès du dirigeant russe à Moscou et avait vanté un « point de vue sur l’Ukraine qui coïncide avec celui de la Russie ». En septembre 2018, Eric Zemmour avait déclaré qu’il « rêv[ait] d’un Poutine français » puis, en septembre 2020, sur CNews, qu’il voyait en Poutine « l’allié qui serait le plus fiable, plus que les Etats-Unis, l’Allemagne ou la Grande-Bretagne ». Dimanche, il discourait au pied du Mont-Saint-Michel (Manche) en agitant le spectre de « la prochaine guerre » et clamait qu’être président de la République, « c’est savoir regarder le pire en face, justement pour l’éviter ». Les deux candidats n’ont pas su regarder.

Voir aussi:

Poutine: la patiente reconquête du petit kagébiste, métamorphosé en champion de l’Empire russe
Laure Mandeville
Le Figaro
25 février 2022

RÉCIT – L’ancien lieutenant-colonel du KGB, marqué par la chute du mur de Berlin, a autorisé une opération militaire en Ukraine. Une forme de revanche.

Vladimir Poutine a sonné l’heure de la revanche. L’heure de régler enfin ses comptes avec l’Histoire. Avec l’Ukraine. Et avec l’Occident. Rien ne peut être compris de la folle aventure qui a commencé ce jeudi au petit jour avec l’attaque massive par la terre et par l’air lancée par l’armée russe à travers tout le territoire ukrainien, si on n’a pas en tête que l’homme tout-puissant qui est aux commandes de la Russie veut se venger. Avec un grand V.

«Nous allons démilitariser et dénazifier l’Ukraine», a-t-il lancé à la face du monde, en annonçant «une opération spéciale», utilisant – ce qui est loin d’être un hasard – un vocable propre aux tchékistes de l’époque soviétique pour désigner la guerre qu’il a déclaré à l’Ukraine. Il s’agit d’une reconquête. Où s’arrêtera-t-elle?

La chute du mur de Berlin

Pour comprendre cette obsession de vengeance, il faut remonter des années en arrière à cette journée historique du 8 au 9 novembre 1989, qui soudain voit des milliers d’Allemands escalader le mur de Berlin en train de tomber. À l’époque, le lieutenant-colonel du KGB Vladimir Poutine, 39 ans, est basé à Dresde, en RDA, avant-poste de la présence militaire soviétique. Mais son cœur n’est pas à l’unisson des foules en liesse qui dansent et pleurent à travers le pays pour célébrer les retrouvailles émues des deux Allemagnes et la réunification en marche de l’Europe. Il est du côté des vaincus. Son monde, celui de la superpuissance soviétique invincible qui tenait dans ses griffes la moitié de l’Europe, est en train de s’écrouler comme un château de cartes, sous ses yeux stupéfiés.

Le 5 novembre, il a vu des foules prendre d’assaut et investir le siège de la redoutée police politique allemande, la Stasi, à quelques rues seulement de la grosse maison blanche où se trouve le siège des services spéciaux soviétiques, au 4, rue Angelika. Et voilà que dans la nuit du 8 au 9 novembre, une foule de quelques centaines de personnes pénètre dans le jardin du propre QG du KGB. C’est Vladimir Poutine qui sort avec un pistolet pour leur faire face et les prévenir de ne pas forcer le passage, d’après ce qu’il en racontera dans ses Conversations à la première personne. «Qui êtes-vous? Vous parlez trop bien allemand», lui lancent les manifestants. «Un interprète», répond-il sans perdre son sang-froid, tirant apparemment en l’air pour qu’ils se dispersent. «La situation était sérieuse… Les gens étaient agressifs. J’ai téléphoné à notre base militaire… Mais on m’a répondu: nous ne pouvons rien faire sans ordre de Moscou. Et Moscou se tait», raconte Poutine dans son livre.

Ce «Moscou se tait», une phrase capitale pour comprendre la suite. Elle explique 2022. «J’ai eu alors le sentiment que le pays n’existait plus. Il était clair que l’Union soviétique était très malade. Cette maladie mortelle avait un nom: la paralysie du pouvoir», ajoutera-t-il, avant d’évoquer les journées suivantes passées à «brûler tous les documents secrets dans la chaudière» de la maison, à une cadence telle qu’elle «explosera».

Un retour rude

Pour cet espion, dont l’enfance a été baignée par la propagande des films d’espionnage sur la grandeur de la mère patrie, c’est l’heure de la retraite, humiliante. Tandis que des centaines de milliers de soldats soviétiques plient bagage dans une ambiance de déroute, Vladimir Poutine quitte Dresde à son tour en février 1990, emportant la machine à laver qu’il a acquise et quelques leçons de haute politique…

Direction Leningrad, la ville où il a grandi, dans un appartement communautaire d’une pièce, élevé par des parents largement absents, sous l’influence de petits caïds de rue avant d’intégrer le KGB. «J’étais une petite frappe», explique-t-il dans À la première personne, un milieu dont il a conservé l’art de l’intimidation et du rapport de force, ainsi qu’un langage parfois ordurier et brutal. Un naturel qui vient de ressurgir.

Le retour est rude, après des années d’une vie privilégiée en RDA. Tandis que le pays se lance dans une véritable frénésie d’ouverture pour secouer les fondements idéologiques du système communiste, Vladimir Poutine doit faire un temps le taxi dans la Volga qu’il a payée avec ses économies allemandes. «J’avais l’impression que Volodia avait perdu le sens de sa vie», racontera sa femme Lioudmilla. Cette situation, et les attaques répétées dont le KGB (organisation criminelle qui a terrorisé son peuple) est l’objet, le fait enrager. Pourtant, dans la tourmente, les agents s’organisent, créant des réseaux, investissant les nouveaux partis et les entreprises qui se créent, préparant en secret leurs arrières et leur reconversion. Recruté comme vice-recteur par l’université de Leningrad, Poutine va lui aussi se raccrocher aux branches. Faire sa route dans un monde auquel il n’est pas préparé, tout en restant solidement arrimé à sa maison d’origine (avec laquelle il maintiendra son affiliation jusqu’au putsch d’août 1991). «Je suis spécialiste des relations avec les gens», dit-il mystérieusement à ceux qui l’interrogent. En 1990, Anatoli Sobtchak, figure du mouvement démocratique et brillant professeur de droit dont il a été l’élève, l’appelle à la mairie pour en faire son collaborateur, quand il remporte les élections municipales de 1990.

La reconquête

Pour Vladimir Poutine commence alors ce qu’il faut bien appeler la reconquête. En dix ans, elle va le mener au Kremlin, en trois temps. Le temps de l’infiltration/intégration des nouvelles structures démocratiques qui émergent avant et surtout après le putsch raté d’août ; le temps de l’installation au pouvoir qui commence en 2000, après sa nomination en 1999 au poste de premier ministre d’un Boris Eltsine chancelant qui cherche un successeur ; et le temps de la reconquête extérieure, qui s’affirme à partir de l’invasion militaire de la Géorgie en 2008.

Sur la première période, tous ceux qui ont étudié sa biographie savent à quel point ses années au poste de président du Comité pour les relations extérieures de la mairie de Saint-Pétersbourg sont importantes pour comprendre les entrelacs et les réseaux de la planète Poutine. C’est là dans le séisme de la fin de l’URSS et les décombres du communisme, qu’il apprend à naviguer dans les eaux sulfureuses et corrompues du capitalisme sauvage qui relie souterrainement pouvoir, structures de sécurité, business et réseaux mafieux. Là qu’il noue ses amitiés solides avec toute une série de personnages liés au KGB et au monde des affaires, regroupé autour d’un coopératif de datchas, la «coopérative Ozero». Ils deviendront les nouveaux «princes» de la Russie poutinienne.

C’est aussi dans ces années saint-pétersbourgeoises qu’il devient «l’allié» du démocrate Anatoli Sobtchak, gagnant sa confiance, tissant sa toile dans l’ombre avec discrétion, avant d’être propulsé en 1997, en remerciement de ses loyaux services, au Kremlin, à la direction des biens de la présidence, un immense empire quasi occulte couvrant tous les biens mobiliers et immobiliers relevant du chef de l’État. Poutine, un tchékiste qui a appris à l’école du KGB à renvoyer à ses interlocuteurs l’image qu’ils affectionnent, gagne peu à peu du galon. Mais que pense-t-il vraiment? La famille Eltsine et le petit groupe d’oligarques qui gravite autour du pouvoir comme des vautours, le juge en tout cas suffisamment «sûr» pour le nommer chef du KGB. C’est là qu’il montrera sa loyauté en orchestrant sans ciller la destruction du clan du maire de Moscou et de son allié Evgueni Primakov, qui est alors premier ministre.

L’empoignade entre clans russes va finalement propulser cet inconnu du KGB au poste de premier ministre de Russie en 1999, sur fond de petite guerre au Caucase et d’attentats terroristes à travers la Russie. Les attentats sont attribués sans preuve aux Tchétchènes et l’invasion de la Tchétchénie lancée. C’est la première opération militaire supervisée par Poutine et elle est massive et impitoyable, faisant plus de 100.000 morts. En quelques mois, la popularité du nouveau premier ministre grimpe en flèche dans une population qui rêve de vengeance. Dès lors, la passation de pouvoirs anticipée qui est orchestrée dans la soirée du 31 décembre 1999 entre Eltsine et lui.

Un compromis historique

Beaucoup sont persuadés que ces attaques ont été précisément organisées pour lui tailler un habit de sauveur. Ce sera l’accusation formulée par le général Alexandre Lebed, avant qu’il ne périsse dans un accident d’hélicoptère. C’est aussi la thèse du russologue américain David Satter. «Nous remettrons de l’ordre», lance sobrement le petit homme discret aux yeux transparents, devant les députés stupéfiés quand il surgit sur la scène politique. Personne, sur le moment, ne croit que Poutine puisse durer. Ils ont tort. Dans les coulisses, un accord a été conclu entre les structures de force qui veulent leur revanche et les oligarques qui contrôlent les richesses. Tchékiste, mais proche des «libéraux», Poutine semble incarner un compromis historique. Mais seuls ceux qui l’ont promu croient à ce fameux compromis. Pas lui! «Il est malléable», nous confie l’influent oligarque Boris Berezovski. Comme il se trompe! La Russie ne sait pas encore qu’elle s’est donné un maître. Et que 22 ans plus tard, il sera toujours là…

Car d’emblée, dans la deuxième phase de la reconquête, Poutine va s’en prendre sans hésiter à ceux qui l’ont «fait». En quelques années, tous les oligarques dominants sont chassés à l’étranger, ou matés, par le nouvel homme fort au nom de la «dictature de la loi». C’est en réalité une logique de contrôle systématique, que choisit le nouveau président. Il s’en prend aussi avec brutalité à la presse, puis aux gouverneurs, aux partis d’opposition, à la Douma, mettant peu à peu en coupe réglée tous les contre-pouvoirs. Loin d’agir en arbitre, il installe son clan de Saint-Pétersbourg aux commandes. La supposée remise en ordre cache en réalité une nouvelle étape du pillage organisé, mais cette fois sous contrôle des tchékistes.

Capacité à jouer sur tous les tableaux

Au départ, l’Occident hésite sur la nature de Poutine. Sa capacité à jouer sur tous les tableaux, à alterner tous les visages qu’il a appris à adopter pendant sa montée éclair vers le pouvoir – celui du réformateur, celui du guerrier, celui du législateur – déconcerte ses interlocuteurs, qui s’interrogent sur la nature de ses intentions, modernisatrices ou impériales. Mais peu à peu, la reconquête va déborder vers l’empire. Cela commence en réalité dès le début des années 2000 avec toutes les opérations hybrides de déstabilisation et d’infiltration qu’il déclenche, des pays Baltes, à la Géorgie et l’Ukraine. La rage que provoquent les révolutions de couleur qui balaient les régimes pro-russes installés en Ukraine et en Géorgie va accroître son désir de revanche. Convaincu d’être encerclé par un Occident qui cherche à déstabiliser son propre pouvoir, Poutine va dès lors, contre-attaquer par la guerre hybride: désinformation, cyber-attaques, achat d’élites, et finalement la force militaire.

Il est frappant de constater que de 2000 à 2022 Vladimir Poutine a finalement peu hésité à utiliser la force, de la Tchétchénie, à la Géorgie, en passant par la Syrie et aujourd’hui l’Ukraine. Il a aussi beaucoup utilisé la violence, allant éliminer ses adversaires là où ils se trouvaient comme on le vit avec les anciens espions Litvinenko et Skripal, assassinés avec des poisons. Il est aussi à l’offensive à l’Ouest, où il a multiplié les offensives de charme et de propagande et les attaques contre les élections. Il y a cultivé des alliés politiques. Et chaque nouvelle crise l’a convaincu de la pusillanimité de l’Occident, de sa décadence et de ses divisions. L’intellectuel Vladimir Pastoukhov, très inquiet, est persuadé que l’invasion actuelle de l’Ukraine cache en réalité un projet beaucoup plus vaste, visant à défaire l’Occident, avec une pression maximale, pour le faire imploser de l’intérieur par une guerre d’usure tous azimuts, allant de l’effet de la sidération à l’intimidation. Pourrait-il tenter sa chance vers les pays Baltes pour détruire la légitimité de l’article 5 de l’Otan? À Moscou, les opposants abasourdis par l’audace de l’attaque disent se demander si leur «tsar» «de ténèbres», ivre de toute-puissance, n’a pas perdu la tête. Le journaliste Alexandre Nevzorov estime par exemple que «l’on assiste aux obsèques de la Russie», pas à celles de l’Ukraine. «Il n’y a personne qui puisse l’arrêter», note le rédacteur en chef de Novaya Gazeta, Dmitri Mouratov, qui dit sa «honte».

Voir également:

« Face à Poutine, ce n’est pas en paroles qu’il faut réagir, mais en actes mis en place sans crier gare »
Après la « claque » infligée au chef de la diplomatie européenne Josep Borrell, à Moscou, le 5 février, l’universitaire spécialiste de la Russie Françoise Thom préconise, dans une tribune au « Monde », que l’Union européenne adopte une politique « résolue de sanctions dures » et de riposte aux provocations.
Françoise Thom
Le Monde
21 février 2021

S’il est une leçon que l’on peut tirer de la visite calamiteuse du chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, à Moscou, c’est qu’il est temps pour l’Union européenne (UE) de repenser de fond en comble sa politique russe. Car le comportement de Moscou à cette occasion a révélé une chose : le Kremlin considère désormais que l’UE est moribonde et qu’on peut impunément rouer de coups le lion devenu vieux. Mais ce n’est pas parce qu’il se tournerait vers la Chine, comme le ressasse l’orchestre de Moscou. C’est parce qu’une autre structure européenne, patiemment construite par la Russie depuis des années, est prête à prendre la relève.

Il s’agit du réseau des relations bilatérales tissé par le Kremlin avec les principaux pays européens, grâce auquel la Russie espère acquérir une place centrale et prépondérante en Europe. La France ne cesse d’appeler à un « partenariat stratégique » avec Moscou ; les successeurs présumés d’Angela Merkel ont les yeux fixés sur les juteux contrats que le Kremlin fait miroiter devant eux.

L’Angleterre, seul pays considéré comme réfractaire par la Russie, est maintenant hors jeu grâce au Brexit. Le traitement humiliant démonstrativement infligé à Josep Borrell montre que le Kremlin entend désormais faire de la question russe un « boutoir » contre ce qu’il reste de l’UE.

Se débarrasser des clichés
Il est par conséquent urgent pour l’Union de formuler une politique russe cohérente qui permette de resserrer les rangs et d’éviter à l’avenir les désastres comme celui auquel nous venons d’assister. Pour cela, il faut d’abord se débarrasser des clichés qui nous collent à la peau et qui défilent déjà de nouveau, quelques jours après la volée de bois vert infligée à M. Borrell : « Il faut maintenir le dialogue », « le mur du silence n’est pas une option », il faut « trouver des domaines où la coopération est possible », les Occidentaux ont « humilié la Russie », etc.

Ce genre de rhétorique a persuadé Moscou qu’on peut souffleter les Européens, et qu’ils tendront l’autre joue. Ceux qui préconisent le « dialogue » ne voient pas que toute main tendue de l’Occident est perçue en Russie soit comme une agression camouflée – l’expression du projet prêté à l’Occident de « démembrer la Russie » pour mettre le grappin sur ses richesses –, soit comme le signal d’une disposition à la capitulation de « l’adversaire » (car le Kremlin considère comme des adversaires tous les pays qui ne sont pas des dictatures).

« Une bonne politique russe est une politique où on en fait le moins possible, où l’on parle le moins possible, une politique d’isolement »
Il résulte de ceci que toute démarche des Occidentaux à l’égard de la Russie se retournera contre eux. Une bonne politique russe est une politique où on en fait le moins possible, où l’on parle le moins possible, une politique d’isolement, sans les déclarations fracassantes, sans les menaces creuses, qui nourrissent à la fois la paranoïa et l’arrogance des occupants du Kremlin.

Ceci ne veut pas dire qu’il ne faille pas marquer le coup quand Moscou pratique le fait accompli, agresse ses voisins ou se livre à des répressions. Toutefois ce n’est pas en paroles qu’il faut réagir, mais en actes, et en actes mis en place sans crier gare, à la manière des opérations spéciales qu’affectionne le président Poutine. Si nous nous donnons le luxe d’être imprévisibles, Poutine cessera de jouer sur le velours. Ceci concerne avant tout les sanctions.

Soyons « réalistes »
On nous dit que les sanctions sont inutiles, qu’elles permettent au régime de provoquer un sursaut patriotique autour du pouvoir ; on laisse entendre que les sanctions sont imposées par les Etats-Unis à une Europe qui ne demanderait pas mieux que de manifester son « indépendance » en pratiquant une politique accommodante avec Moscou, bref que les Européens doivent être « réalistes », privilégier leurs « intérêts », assurer leur « sécurité énergétique » en soutenant le Nord Stream 2 [projet de gazoduc entre la Russie et l’Allemagne].

Justement, soyons « réalistes » et réfléchissons où sont nos vrais « intérêts », sans que le Kremlin nous dicte le sens qu’il faut attribuer à ces termes. D’abord, contrairement à ce qu’on ne cesse de prétendre, les sanctions marchent, et c’était déjà le cas à l’époque soviétique. Les archives montrent qu’elles ont dissuadé Khrouchtchev de pratiquer l’escalade au moment de la crise de Berlin [entre 1958 et 1962], qu’elles ont dissuadé Brejnev et Andropov d’intervenir en Pologne en 1981 [au moment des grèves massives conduites par le mouvement Solidarnosc].

Si des sanctions sérieuses avaient été adoptées après le démembrement de la Géorgie en 2008, au lieu du pathétique « reset » [la relance des relations russo-américaines voulue par le président Obama], on aurait évité l’annexion de la Crimée, en 2014.

Mais venons-en aux relations économiques, dont on nous assure qu’elles vont permettre un rapprochement entre l’Europe et la Russie. C’est oublier que pour Moscou, les relations d’affaires sont avant tout un instrument de projection de la puissance et de l’influence russe. En devenant le fournisseur de pétrole et de gaz de l’Europe, le Kremlin se crée de puissants oligarques au sein des élites politiques occidentales, qui, comme les oligarques russes, sont autorisés à s’enrichir à condition de servir Moscou. Les grandes sociétés faisant des affaires en Russie deviennent les vecteurs de la politique russe en Europe.

Viser les oligarques
Quant à la « sécurité énergétique » qu’assurerait le Nord Stream 2, souvenons-nous de la manière dont le Kremlin ferme les robinets du gaz aux pays de « l’étranger proche » qui ont le malheur de lui déplaire. L’Europe a-t-elle vraiment « intérêt » à se passer la corde au cou ? A-t-elle « intérêt » à augmenter les flux financiers vers la Russie, quand on sait que ces ressources vont alimenter la guerre hybride menée contre les Occidentaux, acheter notre classe politique, nos médias et nos think tanks, financer le déploiement de nouveaux missiles braqués contre l’Europe ?

Les sanctions sont un outil efficace, surtout si elles visent les oligarques et les siloviki [soit « les hommes en uniforme », issus des services de sécurité russes – le KGB, puis le FSB] proches du pouvoir, ou si elles entravent le développement des secteurs de puissance de la Russie (énergétique et armement), les seuls qui comptent aux yeux du Kremlin. Une politique résolue de sanctions dures obligerait les hommes du Kremlin à se demander si la politique de confrontation voulue par le président Poutine est vraiment conforme aux intérêts nationaux russes.

La claque infligée à Josep Borrell n’est pas seulement l’expression d’un mouvement d’humeur du Kremlin mécontent du soutien étranger à l’opposant Alexeï Navalny. Elle jette une lumière crue sur un aspect essentiel de la stratégie du Kremlin. Il s’agit de faire une démonstration éclatante de la faiblesse des Occidentaux, pour hâter l’avènement d’un ordre, ou plutôt, d’un désordre international postoccidental. C’est un signal lancé à Xi Jingping, Erdogan et consorts : voyez, nous pouvons impunément nous essuyer les pieds sur l’UE et elle passera par nos volontés.

C’est pourquoi, si nous voulons éviter que Poutine fasse des émules, la première règle que les Européens doivent adopter est de ne plus faire étalage de leur faiblesse et de leur désunion, de riposter sans tarder aux humiliations publiques et aux provocations. Mieux vaut agir sans parler que parler sans agir. Dans le monde de voyous qui nous entoure, il est temps que l’UE apprenne à se faire craindre.

Françoise Thom est historienne spécialiste de la Russie et autrice de « Comprendre le poutinisme » (Desclée de Brouwer, 2018).

Voir également:

Que signifie l’ultimatum russe aux occidentaux ?
Françoise Thom
Desk Russie.eu
30 décembre 2021

Le 17 décembre, le ministère des Affaires étrangères russe a dévoilé deux projets de textes — un « Traité entre les États-Unis et la Fédération de Russie sur les garanties de sécurité » et un « Accord sur les mesures pour assurer la sécurité de la Fédération de Russie et des États membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord [OTAN] ». L’objectif déclaré de Moscou est d’obtenir « des garanties juridiques de sécurité de la part des États-Unis et de l’OTAN ». Moscou a mis en demeure les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN de satisfaire sans tarder les revendications russes.

« Les deux textes ne sont pas rédigés selon le principe d’un menu, où l’on peut choisir l’un ou l’autre, ils se complètent et doivent être considérés comme un ensemble », a déclaré le vice-ministre des Affaires étrangères Sergueï Riabkov. Le deuxième texte constitue en quelque sorte une garantie parallèle car « le ministère russe des Affaires étrangères est pleinement conscient que la Maison Blanche peut ne pas faire face à ses obligations, et il existe donc un projet de traité distinct pour les pays de l’OTAN ». La manœuvre russe consiste à lier l’OTAN par les Etats-Unis, les Etats-Unis par l’OTAN. Il n’y a rien à négocier, il faut tout accepter en bloc.

Certains médias russes, comme le journal numérique Vzgliad, triomphent déjà : « Le monde d’avant et le monde d’après le 17 décembre 2021 sont des mondes complètement différents… Si jusqu’à présent les États-Unis tenaient le monde entier sous la menace des armes, ils se retrouvent désormais eux-mêmes sous la menace des forces militaires russes… Une nouvelle ère s’ouvre, de nouveaux héros arrivent, et un nouveau Danila Bagrov [personnage du truand patriotique dans le film populaire Brat], levant sa lourde poigne et regardant dans les yeux son interlocuteur, demande à nouveau doucement : quelle est ta force, l’Américain ? »

Un chantage orchestré

Le chantage russe est explicite et s’adresse à la fois aux Américains et aux Européens. Si les Occidentaux n’acceptent pas l’ultimatum russe, ils devront faire face « à une alternative militaire et technique », a déclaré le vice-ministre des Affaires étrangères Alexandre Grouchko : « les Européens doivent aussi réfléchir s’ils veulent éviter de faire de leur continent le théâtre d’un affrontement militaire. Ils ont le choix. Soit prendre au sérieux ce que l’on met sur la table, soit faire face à une alternative militaro-technique ». Après la publication du projet de traité, la possibilité d’une frappe préventive contre des cibles de l’OTAN (similaires à celles qu’Israël a infligées à l’Iran), a été confirmée par l’ancien vice-ministre de la Défense Andrei Kartapolov (Comité de défense de la Douma) : « Nos partenaires doivent comprendre que plus ils feront traîner l’examen de nos propositions et l’adoption de vraies mesures pour créer ces garanties, plus grande est la probabilité qu’ils subissent une frappe préventive. »

Pour que les choses soient claires, la Russie a procédé le 24 décembre au tir d’une «salve» de missiles hypersoniques Zircon. Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin, a ainsi commenté cet événement : « Eh bien, j’espère que les notes [du 17 décembre] seront ainsi plus convaincantes ». L’éditorialiste Vladimir Mojegov renchérit : « Quels sont nos arguments ? Ce sont, bien sûr, avant tout nos alliés les plus fiables — l’armée et la marine. Pour être plus précis, le missile hypersonique Zircon (« tueur de porte-avions », comme on l’appelle affectueusement en Occident), qui rend absurde pour les États-Unis d’avoir une flotte de porte-avions. L’impact du Zircon fend un destroyer comme une noix. Plusieurs Zircons coulent immanquablement un porte-avions. Le Zircon fait simplement son travail : il tire méthodiquement sur d’énormes porte-avions maladroits, comme un revolver sur des canettes.»

Un article de Svpressa éloquemment intitulé « L’ultimatum de Poutine : la Russie, si vous voulez, enterrera toute l’Europe et les deux tiers des États-Unis en 30 minutes » met les points sur les i : « Le Kremlin devra prouver par des actes le bien-fondé de sa position. Il n’est probablement possible de forcer les « partenaires » à s’asseoir à la table des négociations que par la contrainte. Économiquement, la Fédération de Russie ne peut rivaliser avec l’Occident. Il reste la guerre. » L’expert militaire Konstantin Sivkov cité dans le même article estime que « pour amener les États-Unis et l’OTAN à la table des négociations, une sorte de super arme est nécessaire. Pour le moment, la Russie ne montre pas ce potentiel à ses adversaires. Mais il existe. La Russie a la capacité d’utiliser des munitions super puissantes d’une capacité allant jusqu’à 100 mégatonnes. […] Nous devons répéter que nous ne sommes pas intéressés par un monde sans la Russie, comme Poutine l’a dit un jour, et démontrer notre détermination à frapper si l’OTAN s’élargit. Après cela, je peux vous assurer qu’ils [les Occidentaux] auront peur. Rien d’autre ne peut les arrêter. […] Il est naïf de compter sur des procédés diplomatiques. […] La démarche de la Russie est un signal indiquant que des mesures déjà radicales vont être prises. Vous avez refusé, alors tant pis… »

Ce qui est en jeu

A lire la presse occidentale, on a l’impression que rien ne se passe. Les Occidentaux semblent ne pas comprendre ce qui est en jeu. Ils s’imaginent que seul se décide le sort de l’Ukraine, qui les préoccupe moins que celui de l’Arménie, à en juger par les pèlerinages de nos candidats à la présidentielle. En France nombre de responsables trouvent normal que la Russie réclame une sphère d’influence. Ils ressemblent à ceux qui en 1939 croyaient que les revendications d’Hitler se bornaient à Dantzig. Or il suffit de jeter un coup d’œil aux textes proposés par Moscou pour comprendre que les enjeux sont tout autres.

L’ultimatum russe exige que soient « juridiquement fixés : le renoncement à tout élargissement de l’OTAN [vers l’est], l’arrêt de la coopération militaire avec les pays postsoviétiques, le retrait des armes nucléaires américaines de l’Europe et le retrait des forces armées de l’OTAN aux frontières de 1997 ». La Russie et les États-Unis s’engagent à ne pas déployer d’armes nucléaires à l’étranger et à retirer celles déjà déployées, ainsi qu’à éliminer les infrastructures de déploiement d’armes nucléaires en dehors de leur territoire. L’article 4 stipule notamment que « la Fédération de Russie et tous les participants qui étaient, au 27 mai 1997, des États membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, ne déploient pas leurs forces armées et leurs armements sur le territoire de tous les autres États européens en plus des forces postées sur ce territoire au 27 mai 1997 ». Et l’article 7 précise que « les participants, qui sont des États membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, renoncent à mener toute activité militaire sur le territoire de l’Ukraine, ainsi que des autres États d’Europe orientale, de Transcaucasie et d’Asie centrale ».

Sont concernés les quatorze États d’Europe orientale et des Balkans devenus membres de l’OTAN ces vingt-quatre dernières années : « Ainsi en plus de l’espace post-soviétique, l’initiative de Moscou englobe un large éventail de pays situés entre l’Europe occidentale et la Russie. Mais ce sont principalement la Pologne et les États baltes qui sont visés car des forces supplémentaires de l’Alliance de l’Atlantique Nord y ont été déployées comme il a été décidé lors du sommet de l’OTAN de Varsovie en 2016. » Bref, « l’initiative russe pourrait aider les Américains à quitter tranquillement l’Europe centrale et orientale », titre le très officiel think tank Russtrat. Mais il ne s’agit pas que de cela : « le lien établi entre la notion d’« intérêts fondamentaux de sécurité » (qui est introduite pour la première fois) et la portée des missiles oblige les États-Unis à s’abstenir d’entrer dans nos mers (principalement la mer Noire, mais aussi celles du nord : la Baltique, Barents, Okhotsk), et de mettre fin aux vols de bombardiers américains (compte tenu de la portée réelle des « Tomahawks » d’environ 1800 km), pratiquement sur toute l’Europe et la majeure partie de l’Asie. Il en est de même du Japon, pour lequel l’acceptation des clauses du Traité signifie la désoccupation et la liquidation des bases américaines… »

En résumé, « les parties excluent le déploiement d’armes nucléaires en dehors du territoire national et ramènent sur le territoire national les armes déjà déployées en dehors du territoire national au moment de l’entrée en vigueur du présent Traité. » Le commentateur Piotr Akopov souligne : « La Russie a maintenant on ne peut plus nettement tracé ses lignes rouges. [Elles supposent] non seulement le refus d’étendre l’OTAN à l’Est, mais aussi, comme indiqué dans le projet d’accord avec l’alliance, le refus « de mener toute activité militaire sur le territoire de l’Ukraine, ainsi que d’autres États d’Europe de l’Est, de Transcaucasie et d’Asie centrale». En précisant: « Il est clair que les États-Unis ne rapatrieront leurs armes nucléaires que lorsque le projet anglo-saxon de domination mondiale s’effondrera enfin, mais il est bon de préparer le terrain… Si l’Occident ne veut pas remarquer nos lignes rouges (plus précisément, s’il fait semblant de ne pas vouloir les remarquer), alors c’est avant tout son problème, pas le nôtre ».

Et qu’offre la Russie en échange de toutes les concessions exigées des Occidentaux ? Propose-t-elle d’évacuer l’Abkhazie, l’Ossétie du Sud, la Crimée, le Donbass, puisqu’elle parle de revenir à la situation de 1997 ? Que nenni. En retour elle se dit prête… à s’engager à ne pas menacer la sécurité américaine. On se souvient d’une boutade en cours au moment de la guerre froide : « Ce qui est à nous est à nous, ce qui est à vous est négociable ».

En un mot la Russie exige que l’OTAN se fasse harakiri, et que les Etats-Unis soient ramenés au rôle d’une puissance régionale. Vzgliad invite l’Amérique « à se mettre derrière ses colonnes d’Hercule et à se tenir à carreau sur ses « îles ». Et cela veut dire que de facto (quelle que soit la réponse à ces propositions) le « monde américain » en tant que tel pour la Russie a cessé d’exister ». Du coup la Russie aura la haute main en Europe. Les pays d’Europe de l’Ouest sont déjà considérés comme acquis, Moscou comptant sur le vivier de collaborateurs qu’elle a cultivés pendant des années au sein des élites dirigeantes européennes : elle vient d’envoyer à ceux-ci un signal fort en nommant François Fillon administrateur du géant de la pétrochimie Sibur. Privés du soutien américain, les pays « russophobes » qui cristallisent la résistance à l’hégémonie de Moscou n’auront plus qu’à se plier à l’inévitable : toujours selon Russtrat, « Bien sûr, la Pologne et les pays baltes seront mécontents. Mais ils seront probablement les seuls à s’opposer au retrait américain d’Europe centrale et orientale. Après tout, le reste des « Jeunes Européens » est guidé par la position du « noyau » de l’Union européenne [les pays d’Europe occidentale], et ils n’ont pas de complexes anti-russes stables. »

Ce « noyau » « ne partage pas les sentiments russophobes et antirusses [des pays d’Europe centrale et orientale], est conscient du retrait inévitable des Américains d’Europe centrale et orientale et ne veut pas s’en mêler. […] Il vaut mieux que les États-Unis s’entendent avec Moscou, tout en se déchargeant du problème d’assurer la sécurité de l’Europe centrale et orientale sur le « noyau » de l’Union européenne, la France et l’Allemagne, qui sont en faveur de « l’autonomie stratégique » de l’UE. » Ce n’est pas sans raison que Riabkov a fait remarquer que l’initiative russe a « un potentiel puissant pour la formation de la sécurité européenne ». Le 18 décembre, il précise: « Nous proposons des négociations sur une base bilatérale avec les États-Unis. Si nous y impliquons d’autres pays, nous allons tout simplement noyer tout cela dans les parlotes et le verbiage. J’espère que les Américains ne sous-estiment pas à quel point tout a changé, et pas pour le mieux ».

Moscou mise sur l’effet démoralisant sur l’Europe de cette négociation russo-américaine sur son sort dont elle est exclue et sur la faiblesse de la partie américaine en l’absence des alliés européens. L’Union européenne voulait participer. Mais Moscou a imposé mordicus le format bilatéral avec Washington. Le sénateur russe Alexeï Pouchkov explique pourquoi : à ses yeux les pays européens s’efforcent de participer aux négociations pour les saboter. Or « la perspective d’accords ne dépend que des relations entre la Russie et les Etats-Unis ». Seules les autorités américaines contrôlent le vol de leurs bombardiers près des frontières de la Russie, et sont également capables de déployer des systèmes de missiles américains sur le territoire de l’Ukraine. Alors que les pays européens ne possèdent pas d’armes qui pourraient menacer la Russie et ne sont pas indépendants pour ce qui est du déploiement de ces armes sur leur territoire.

Le pacte Ribbentrop-Molotov n’est jamais loin dans la tête des dirigeants du Kremlin. C’est aussi une question de statut, et le reflet de l’obsession de Poutine d’effacer l’effondrement de l’URSS. Comme le souligne Nezavisimaya Gazeta, « La Russie a agi comme l’héritière de l’URSS, la deuxième superpuissance, qui se considère en droit de négocier avec l’Occident sur un pied d’égalité. » En négociant d’égal à égal avec le président des Etats-Unis Poutine démontre en même temps aux Russes que sa position de capo est reconnue par les maudits Occidentaux. Le sentiment d’avilissement qu’ils éprouvent au fond d’eux-mêmes en se pliant au despotisme se dissipe au spectacle de l’humiliation des Occidentaux : eux aussi courbent l’échine devant Poutine. La propagande du régime sait admirablement jouer de ces cordes sensibles.

Pourquoi cet ultimatum russe ?

Il est important de comprendre quelles motivations ont poussé Poutine à lancer ce défi aux pays occidentaux. Comme toujours le comportement russe est dicté par une analyse soigneuse de la « corrélation des forces », qui, selon les experts du Kremlin, vient de basculer en faveur des puissances révisionnistes anti-occidentales. Après 20 ans de préparation à la guerre, la position russe est jugée forte comme jamais, à en croire le think tank Russtrat : « Au cours de la prochaine année et demie, la Russie modifiera considérablement l’équilibre du pouvoir planétaire. […] La situation historique actuelle de la Russie est unique. L’État s’est préparé aux défis majeurs qui peuvent survenir sous une pression critique. D’énormes réserves ont été accumulées, y compris en or. Des plans nationaux d’infrastructure financière et d’information ont été créés et lancés. La numérisation a commencé à englober l’ensemble de l’économie, l’amenant à un nouveau niveau de compétitivité. L’expansion de notre propre base industrielle, y compris dans des domaines high-tech très sensibles, se fait à pas de géant, le « fossé technologique » se comble. Nous sommes sortis de la dépendance critique dans le domaine de la sécurité alimentaire. […] L’armée est depuis cinq ans la première de la planète. Dans ce domaine, le « fossé technologique » est en notre faveur et ne fait que s’élargir… De plus, l’explosion de l’inflation planétaire entraîne une crise énergétique, ce qui rend les Européens, pour la plupart, beaucoup plus accommodants et exclut un blocus de nos approvisionnements énergétiques, QUOI QUE NOUS FASSIONS. […] » Si la Russie et la Chine coordonnent leurs actions à l’encontre de l’Ukraine et de Taïwan respectivement, « tout deviendra beaucoup plus simple pour nous. Et pour la Chine aussi, de laquelle nous détournerons l’attention, ce qui nous libérera encore davantage les mains…» Bref,« la Russie a restauré son poids dans l’arène internationale au point qu’elle est capable de dicter ses propres conditions dans l’élaboration de la sécurité internationale. » Quant à « l’empire décrépit des Stars and Stripes, affaibli par les LGBT, BLM, etc., il est clair qu’il ne survivra pas à une guerre sur deux fronts. »

Car en face, les Etats-Unis affrontent une crise sans précédent, avec une inflation galopante, des pénuries d’approvisionnement, un président faible, une société plus divisée que jamais. Du coup, comme le note Irina Alksnis dans RIA Novosti, « la Russie ainsi que la Chine et d’autres puissances œuvrant à la transformation du système mondial […] disposent d’une fenêtre d’opportunité pour accélérer l’expulsion des États-Unis du trône mondial en augmentant la pression sur eux. Car si l’affaiblissement de l’Occident est en cours depuis un certain temps, les phénomènes de crise actuels indiquent que le processus est passé à un niveau qualitativement nouveau, et il serait donc insensé de ne pas saisir cette chance. D’autant plus que, pour notre part, nous avons achevé de nous donner nos propres mécanismes et outils stratégiques — alternatifs à ceux de l’Occident — nécessaires au bon fonctionnement de l’économie nationale et des relations avec les autres pays, qu’il s’agisse de la production de biens, des règlements monétaires, de la diffusion d’informations, etc…»

D’où la démarche du Kremlin : « Il ne s’agit pas de propositions de discussion, mais bien d’un ultimatum — d’une demande de reddition inconditionnelle. L’Occident n’a pas d’autre choix que de perdre la face — à moins de tenir fièrement bon et d’entrer en guerre avec la Russie. À en juger par la façon dont les Occidentaux ont commencé à s’agiter de l’autre côté, ils en sont bien conscients. » En brandissant la menace d’une guerre, fait remarquer RIA Novosti, « Moscou souligne que la Russie est prête — moralement, techniquement et dans tous les autres sens du terme — à toute évolution des événements. Et la réputation qu’elle a acquise au cours des années précédentes confirme que les Russes seront effectivement prêts à recourir à la force s’ils l’estiment nécessaire. Il convient de rappeler les propos de Vladimir Poutine, qui a déclaré sans ambages cet été que si la Russie coulait le destroyer britannique responsable d’une provocation au large des côtes de Crimée, il n’y aurait pas de conséquences majeures : le tollé de la presse mondiale ne doit pas être compté comme tel.[…] Non, cette fois-ci, l’Occident va payer de sa personne.»

Évidemment la guerre n’est pas sans risques, ce dont, espérons-le, les militaires russes essaient de persuader Poutine. Revenons à l’analyse de l’expert militaire Konstantin Sivkov citée plus haut : les forces conventionnelles russes étant insuffisantes, « nous ne pouvons résoudre le problème de la neutralisation de l’Europe et des États-Unis qu’en les éliminant physiquement avec notre potentiel nucléaire. […] Les USA et l’Europe disparaîtront physiquement. Il n’y aura presque pas de survivants. Mais nous aussi, nous serons détruits. A moins que le sort de la Russie ne soit meilleur, car nous avons un grand territoire. Nos adversaires ne pourront pas tout détruire avec des frappes nucléaires. Par conséquent, le pourcentage de la population survivante sera plus élevé. Cependant la Russie en tant qu’État peut disparaître après une guerre nucléaire à grande échelle. Elle risque de se fragmenter. »

Mais revenons au tournant du 17 décembre. Il ressort des analyses de Russtrat (entre autres) que le déclic pour le Kremlin a été la politique malencontreuse de la Maison Blanche qui, après la débandade en Afghanistan, a multiplié cet automne les émissaires à Moscou, rendant encore plus manifeste aux yeux de Poutine la faiblesse des Etats-Unis : « De hauts responsables américains ont effectué de fréquentes visites à Moscou. La venue en novembre du directeur de la CIA, William Burns, était à l’époque la quatrième visite d’un haut responsable de l’administration de la Maison Blanche depuis la réunion de Genève. Il n’est pas difficile de deviner que le but de la visite personnelle du directeur de la CIA n’était pas du tout de présenter des demandes à propos de l’Ukraine, comme les médias occidentaux ont essayé de le présenter, mais de tenter de trouver un compromis. Face à la chute de l’autorité internationale due au retrait infructueux d’Afghanistan, la Maison Blanche souhaitait vivement trouver un accord avec le Kremlin. »

Le 2 novembre 2021, Burns a effectivement rencontré le secrétaire du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie Nikolaï Patrouchev et, probablement, le président Poutine. C’est un personnage apprécié du Kremlin : en 2005-2008, il a été ambassadeur en Russie et « a trouvé un langage commun avec Poutine. Sobre et pragmatique, totalement dépourvu du complexe messianique caractéristique des Américains, Burns a toujours prôné le refus d’élargir l’OTAN vers l’Est. » La visite de Burns a été interprétée à Moscou comme l’indice du choix d’une politique d’appeasement à Washington et donc un encouragement à faire monter les enchères et à « s’emparer de l’initiative stratégique ».

Au fond, nous retrouvons dans ces considérations un substrat léniniste. Les États-Unis et leurs alliés européens étaient les nantis de l’ordre international, les principaux bénéficiaires du système existant, qui leur apportait des avantages disproportionnés par rapport à leur contribution. Grâce à la crise, leur hégémonie est sur le déclin. Les Etats autrefois « prolétaires » sont en train de l’emporter, sous le leadership russe. Là encore Poutine est en train de rejouer la guerre froide, avec un happy end cette fois.

Que faire ?

Les Occidentaux doivent d’abord percevoir la situation telle qu’elle est, si désagréable fût-elle pour nos Etats démocratiques plus habitués à des entreprises futiles qu’à assurer leur préservation. Pour cela nous devons nous extraire du mensonge russe.

Le premier mensonge concerne les prétendues inquiétudes de Moscou pour la sécurité russe, le danger que représenterait pour elle des missiles de l’OTAN déployés dans les pays frontaliers. Il suffit de prendre connaissance des textes cités plus haut pour constater que les préoccupations de « sécurité » mises en avant par Moscou ne sont qu’un rideau de fumée, que l’OTAN même est considéré comme un tigre en papier, c’est RIA qui le constate : « Les atlantistes, malgré tous leurs appétits, n’entreront pas en conflit ouvert avec la Russie, ils n’en veulent pas et en ont peur. Même les stratèges anglo-saxons raisonnables comprennent que l’Occident n’a pas la force de maintenir l’Ukraine dans son orbite pendant longtemps, les lois de l’histoire russe (comme les lois de la géopolitique) fonctionneront toujours. »

Quand Moscou parle de « sécurité » il faut entendre « domination russe » et « impunité », car c’est de cela qu’il s’agit. Le Kremlin considère en effet que tout ce qu’il ne contrôle pas peut mettre le régime en péril. On le voit à la politique intérieure russe, où depuis des années les oasis de liberté sont asséchées une à une. Ce que Moscou craint en Ukraine, ce ne sont pas les quelques instructeurs de l’OTAN, ce sont les libertés. Elle veut une Ukraine désarmée de manière à pouvoir intimider les rebelles de Kiev et mettre en place un régime haï par son peuple, donc dépendant totalement du Kremlin. On se souvient que la Russie a laissé faire Aliev en Arménie justement parce que le président Pachinian avait été choisi par le peuple arménien contre les marionnettes du Kremlin. Si la Russie parvient à chasser les Etats-Unis d’Europe, elle ne tardera pas à se sentir menacée par les libertés des pays d’Europe de l’Ouest, et sous prétexte d’assurer sa « sécurité », elle mettra le même acharnement chez nous que chez elle à asservir les media, à éradiquer les institutions démocratiques et les partis indépendants. Aujourd’hui déjà, Lavrov se permet de réclamer la démission de Stoltenberg, secrétaire de l’OTAN, qui selon lui « n’est pas à la hauteur de sa tâche ».

Autre illusion dont il faut se défaire, l’idée d’une société civile bouillonnante en Russie qui pourrait freiner les aspirations belliqueuses du président Poutine. Les sondages montrent que le lavage de cerveau effectué par la propagande officielle est fort efficace : 50 pour cent des Russes interrogés considèrent que l’OTAN et l’Occident en général sont responsables de la tension actuelle. 16 pour cent incriminent l’Ukraine. Les rares opposants qui subsistent critiquent très rarement la politique étrangère et ne dénoncent guère le chauvinisme nauséabond qui émane du régime de Poutine.

Enfin, mentionnons cette vache sacrée démocratique qui doit être sacrifiée : la foi absolue dans la vertu du « dialogue », que la plupart des responsables occidentaux, de Florence Parly à Mario Draghi, continuent à préconiser face à Moscou. Or rien n’est plus dangereux que ces échanges au sommet, qui, quoi qu’on dise, alimentent immanquablement soit la paranoïa, soit la folie des grandeurs et l’ivresse de puissance russes. Si les Occidentaux se montrent fermes, le Kremlin en tire la conclusion qu’ils veulent détruire la Russie ; si les Occidentaux offrent des concessions, le Kremlin en conclut qu’ils sont faibles et qu’il faut foncer.

Très souvent avec la Russie la meilleure politique est celle du silence et de la distance : ne rien faire, ne rien dire et tenir bon l’arme au pied. S’accrocher au dialogue à tout prix, surtout quand Moscou nous tient en joue comme un forcené détenant un otage, ne fait qu’étaler notre faiblesse et encourager le Kremlin à l’escalade.

Surtout nous devons cesser de donner à la guerre froide la connotation péjorative qu’elle ne mérite nullement. La ministre de la Défense Florence Parly vient de déclarer que les pays occidentaux doivent éviter l’escalade avec la Russie afin de ne pas provoquer une nouvelle guerre froide. Tant que nous restons dans ces cadres conceptuels la Russie sera gagnante. Il faut se rappeler que la guerre froide a commencé en 1946, lorsque les Occidentaux ont cessé de céder à Staline, après lui avoir laissé en pâture les pays d’Europe centrale et orientale. C’est grâce à la guerre froide que les pays de l’Europe occidentale ont conservé leur liberté.

Les leçons des années 1946-7 sont d’actualité aujourd’hui. Les pionniers de la guerre froide furent les Britanniques, qui constituèrent un bloc occidental autour du noyau anglo-français et persuadèrent les Américains tentés par l’isolationnisme de rester en Europe. Au printemps 1947, les gouvernements français, italien et belge expulsèrent les ministres communistes, conscients du danger que représentait la cinquième colonne de Moscou en Europe. Cette volonté manifeste de résister à Staline acheva de persuader Washington de s’engager dans la sécurité européenne. Il s’agissait de tout un programme d’action dont nous pourrions nous inspirer aujourd’hui, au lieu de nous livrer à une puérile guerre des boutons avec la Grande-Bretagne. Mais pour cela nous devons réapprendre à voir les choses en face, à raisonner en termes politiques, au lieu de flotter au gré des passions médiatiques et des sondages. En 1946-7 on savait que la liberté valait la peine qu’on meure pour elle, ce qui visiblement est oublié aujourd’hui. Après Munich, en 1938, les Occidentaux éprouvèrent une grande honte d’avoir abandonné la Tchécoslovaquie dans les griffes d’Hitler. Aujourd’hui nous sommes en train de laisser tomber lâchement l’Ukraine, mais nous ne nous rendons même pas compte de notre déshonneur, ni du péril qu’il y a à céder à un agresseur. Nous discutons du sexe des anges, comme les Byzantins lorsque les forces ottomanes étaient en train de détruire les remparts de la ville.

Voir de plus:

Françoise Thom, la procureure de Poutine
Formée à l’école d’Alain Besançon, l’historienne française est l’une des voix les plus critiques, et les plus haïes, du Kremlin.
Isabelle Mandraud

Le Monde

21 octobre 2019
Rencontre. Assurément, la langue de bois, objet de sa thèse en 1987, lui est étrangère. Comme ce samedi 5 octobre, lorsqu’un journaliste de RT (ex-Russia Today) lui tend le micro à l’issue d’un débat sur les « Ingérences de Poutine » organisé par Le Monde Festival à l’Opéra Bastille. « Vous feriez mieux d’aller chercher un travail honnête », lui répond Françoise Thom, laissant sans voix son interlocuteur dépêché par le canal français de la télévision pro-poutinienne.

L’universitaire, spécialiste de l’URSS et de la Russie, ne prend guère de détour, non plus, lorsqu’elle présente le Kremlin comme « un régime prédateur ». Françoise Thom est l’une des voix françaises les plus critiques du poutinisme, à l’opposé de celles qui, à l’instar de l’ancien ministre des affaires étrangères Hubert Védrine, prônent la réconciliation avec Moscou au nom du « réalisme ».

En août, elle cosignait avec son amie écrivaine Galia Ackerman une tribune cinglante dans Le Monde pour dénoncer la réception de Vladimir Poutine par Emmanuel Macron au fort de Brégançon à la veille du G7 organisé à Biarritz : « Quel intérêt y a-t-il à introniser à nouveau un pays dont le but avoué est la destruction de l’ordre international et le ralliement de toute l’Europe à son régime militaro-policier ? » Plus tôt, en décembre 2018, elle publiait Comprendre le poutinisme (éd. Desclée de Brouwer), dans lequel elle décortiquait au scalpel la propagande du pouvoir russe et le profil « kagébiste » de son président, issu des rangs du KGB, non sans s’attarder sur l’influence concentrationnaire encore présente dans les mentalités et les réseaux. Un essai devenu une Bible pour certains ; un brûlot pour d’autres.

Au même moment, le ministère russe des affaires étrangères se déchaînait sur Twitter en faisant tourner ce message via ses ambassades : « Il semble que les textes français signés Françoise Thom sur la “propagande russe” sont bien payés par Londres, Royaume-Uni ». Bête noire du Kremlin et de ses supporteurs, elle fut aussi traitée de « pute sioniste » ou d’« intellectuelle haineuse » sur les réseaux sociaux. Classée en tête de gondole des « russophobes », selon l’étiquette accolée par les thuriféraires du régime à tous ceux qui osent émettre une critique. L’intéressée s’en moque.

Tout juste retraitée de l’université Paris-Sorbonne, où elle enseignait l’histoire contemporaine, Françoise Thom, 68 ans, le regard vif et les cheveux courts en bataille, ne désarme pas. « L’initiative Macron, sans avoir consulté les partenaires européens, est extrêmement risquée à un moment où les Etats-Unis sont totalement paralysés, dit-elle. Le premier service qu’on puisse rendre à la Russie est de lui tenir un discours de vérité, or le président français ne le fait pas quand il cite tous les poncifs, il la conforte au contraire dans une voie calamiteuse ». Les références littéraires du chef de l’Etat français citant Dostoïevski face à son homologue russe l’ont laissé de marbre.

C’est pourtant par la littérature, et Dostoïevski en particulier, que Françoise Thom est arrivée au russe, une langue qu’elle a d’abord enseignée comme professeure agrégée. « C’est un excellent auteur mais je le vois un peu différemment aujourd’hui, en tout cas je suis sortie du mysticisme. En Occident, on donne dans le kitsch slavophile. Pour moi, la grande force de la littérature russe, outre la poésie, c’est la satire », affirme-t-elle en nommant en tête de ses préférences – outre Dostoïevski – Mikhaïl Saltykov-Chtchedrine, Mikhaïl Zochtchenko, Andreï Platonov, ou Alexandre Zinoviev.

Né à Strasbourg dans une famille « profondément européenne », d’un père mathématicien, récompensé par la médaille Fields, l’équivalent d’un prix Nobel dans cette discipline, et d’une mère institutrice, Françoise Thom a passé quatre années aux Etats-Unis durant son enfance, après que son père a été appelé dans de prestigieuses universités comme Berkeley. Mais toujours éprise de la langue russe, c’est à Moscou qu’elle débarque seule et enthousiaste, à l’âge de 23 ans. Quatre années, ici aussi, entre 1973 et 1978, afin de parfaire son apprentissage à l’université MGU et dans les éditions Mir, réputées pour faire connaître à l’étranger les réalisations scientifiques soviétiques.

C’est une catastrophe. Sous Brejnev, l’URSS est plongée dans la stagnation. Les signes du déclin de l’empire rouge apparaissent, les pénuries s’étendent. L’étudiante est choquée. « Sur place, cela a été une révélation progressive qui a infusé surtout dans le domaine moral, explique-t-elle. Ce que je voyais, en plus de la laideur extérieure, c’était le côté sordide des relations humaines, la peur, l’espionnite, le mensonge en pleine figure, le côté intéressé… » Rentrée en France, Françoise Thom se sent plus isolée que jamais. Ses relations dans le milieu universitaire « où le marxisme battait son plein » s’effritent. Jusqu’à ce qu’elle lise Les Origines intellectuelles du léninisme, (éd. Gallimard, 1996), d’Alain Besançon. Un « éblouissement ».

Communiste repenti en 1956 après la publication du rapport Khrouchtchev sur les crimes staliniens et le soulèvement réprimé de Budapest, l’historien Alain Besançon a réorienté tous ses travaux sur le totalitarisme. Françoise Thom va le trouver et commence sous sa direction sa thèse sur la langue de bois. C’est l’histoire désormais qui la passionne. « Auprès de Besançon, j’ai appris l’importance de l’éthique, et compris qu’on ne pouvait pas considérer le régime communiste comme un autre, car c’était un régime criminel », souligne-t-elle, ajoutant dans un rire : « Evidemment, ce n’était pas très à la mode. »

Suit une véritable « traversée du désert » dans un milieu universitaire encore empreint des idéaux communistes au sein duquel le maître et ses élèves « fonctionnent en petit groupe, comme des dissidents ». Des dissidents, justement, que Françoise Thom fréquente parmi les Russes exilés, auprès de cette « dissidence humble qui passait ses nuits à taper des samizdats à la machine ». L’effondrement de l’URSS la surprend, les prémices de la nouvelle Russie sous Eltsine l’inquiètent, l’arrivée au pouvoir de Poutine « et sa bande de killers formée dans la jungle de l’après-communisme » la glace.

« Il n’aurait pas fallu, en Occident, approuver la destruction du Parlement en octobre 1993 [en butte au Congrès des députés du peuple, Boris Eltsine fit intervenir l’armée et prononça sa dissolution au terme de plusieurs jours d’affrontements meurtriers dans les rues de Moscou] car c’était une violation gravissime du droit. Les germes du poutinisme sont là, dans cette liquidation du Parlement par la force, et l’impossible séparation des pouvoirs. C’était la fin de l’espérance d’une démocratie libérale. »

Françoise Thom va souvent à contre-courant de la pensée dominante. Elle est aussi l’auteure d’une somme décoiffante de près de 1 000 pages sur Béria, Le Janus du Kremlin (Ed. du Cerf, 2013) dans lequel elle décrit le bourreau de Staline d’origine géorgienne comme ce dernier sous les traits… d’un précurseur de la perestroïka. Dans ce livre d’une lecture ardue, elle développe la thèse d’un homme ambivalent, à la fois serviteur zélé d’un régime totalitaire (à la tête du NKVD, ancêtre du KGB, il a développé à une échelle industrielle le goulag), mais aussi comme un réformateur caressant le projet de desserrer l’étau du parti.

« Je suis partie du plénum de 1953 et des accusations inhabituelles portées contre lui comme celle d’avoir donné l’ordre de cesser le brouillage des radios occidentales, expose-t-elle. C’était quelqu’un d’antipathique évidemment, mais l’idée qu’il ait pu jouer un double jeu, qu’il soit parvenu au sommet d’un système tout en étant un adversaire de ce système m’a fascinée ». C’est au cours de cette enquête hors norme que Françoise Thom rencontra son mari, géorgien lui aussi, dans un colloque.

Mais la voici qui s’attelle désormais à une autre entreprise colossale, une étude sur la façon dont sont vécues les grandes catastrophes historiques par leurs contemporains, de la fin d’Athènes, avec la guerre du Péloponnèse, en passant par la fin de Rome ou celle de Byzance, jusqu’à la révolution communiste. Sans pour autant abandonner son œil critique ni son franc-parler sur l’actualité poutinienne, bien sûr.

Voir enfin:

Traduction intégrale du discours de Vladimir Poutine ce 24 février

Chers citoyens russes, Chers amis

Aujourd’hui je trouve indispensable de revenir sur les événements tragiques qui se produisent au Donbass, et aux questions clés qui concernent la sécurité de la Russie.
Je commencerai par ce que j’ai déjà évoqué dans mon allocution du 21 février de cette année. Il est question de ce qui suscite chez nous une préoccupation et une inquiétude particulières, de ces menaces fondamentales pour la sécurité de notre pays que des hommes politiques irresponsables à l’Occident créent pas à pas, sans détours et brutalement, depuis des années. Je fais allusion à l’élargissement de l’OTAN vers l’est, au rapprochement de son infrastructure militaire vers les frontières russes.
Nous savons bien que 30 ans durant nous avons tenté patiemment et obstinément de nous entendre avec les principaux pays de l’OTAN sur les principes d’une sécurité également partagée et indivisible en Europe. En réponse à nos propositions, nous nous sommes heurtés à chaque fois soit à des mensonges et des tromperies cyniques, soit à des tentatives de pression et de chantage, tandis que l’Alliance nord-atlantique dans le même temps ne cessait de s’élargir en dépit de toutes nos protestations et inquiétudes. La machine militaire avance et, je le répète, s’approche au plus près de nos frontières.
Pourquoi tout cela se produit-il ? D’où vient cette manière arrogante de nous traiter depuis une position d’élus, d’irréprochables, à qui tout est permis ? D’où vient ce mépris, ce je-m’en-foutisme envers nos intérêts et nos exigences absolument légitimes ?
La réponse est claire, évidente et facile à expliquer. L’URSS à la fin des années 80 s’est affaiblie, et s’est finalement totalement écroulée. Tout le cours des évènements de cette époque constitue une bonne leçon pour nous également aujourd’hui. Il a montré clairement que la paralysie du pouvoir, de la volonté, sont le premier pas vers la dégradation totale et la relégation. Il nous a suffi à cette époque de perdre pour quelque temps notre confiance en nous, et voilà: l’équilibre des forces dans le monde a été rompu.
La conséquence en a été que les accords, les traités existants ont de facto perdu effet. Les tentatives de convaincre et les demandes sont sans effet. Tout ce qui n’arrange pas l’hégémon, les tenants du pouvoir, est déclaré archaïque, obsolète, inutile. Et au contraire, ce qui leur paraît bénéfique est proclamé vérité absolue, imposé de force à tout prix, avec arrogance, par tous les moyens. Ceux qui ne sont pas d’accord sont brisés.
Ce que j’évoque ne concerne pas uniquement la Russie, et nous ne sommes pas seuls à nous inquiéter. Cela concerne tout le système des relations internationales, et parfois même les propres alliés des Etats-Unis.
Après la chute de l’URSS, c’est dans les faits une recomposition du monde qui a commencé, et les normes jusqu’alors établies du droit international – dont les principales avaient été adoptés à l’issue de la Deuxième guerre mondiale et en grande partie en pérennisaient les résultats – ont commencé à gêner ceux qui s’étaient déclarés vainqueurs de la Guerre froide.
Bien sûr, dans la vie pratique, dans les relations internationales et dans leurs règles, il fallait prendre en compte les changements de la situation mondiale et de l’équilibre des forces. Mais il fallait le faire de manière professionnelle, progressivement, patiemment, en tenant compte et en respectant les intérêts de tous les pays et avec le sens de la responsabilité. Mais non, (on a vu) l’euphorie de la suprématie absolue, une sorte d’absolutisme de notre temps, en outre sur fond de faible culture générale et d’arrogance de ceux qui préparaient, adoptaient et imposaient des décisions qui ne profitaient qu’à eux-mêmes. La situation a commencé à se développer suivant un scénario différent.
Inutile de chercher loin pour trouver des exemples. D’abord, sans aucune autorisation du Conseil de Sécurité de l’ONU, une opération militaire sanglante a été menée contre Belgrade. On a utilisé l’aviation, des missiles au centre même de l’Europe. Plusieurs semaines de bombardements incessants sur des villes pacifiques, sur des infrastructures vitales. On est forcé de rappeler ces faits, car certains de nos collègues occidentaux n’aiment pas se souvenir de ces événements, et quand nous en parlons, préfèrent non pas se référer aux normes du droit international, mais à des circonstances qu’ils interprètent comme ils le jugent nécessaire.
Après, cela a été le tour de l’Irak, de la Lybie, de la Syrie. Le recours illégitime à la force militaire contre la Libye, la déformation de toutes les décisions du Conseil de Sécurité de l’Onu sur la question libyenne ont mené à la destruction totale de l’Etat, à l’apparition d’un foyer énorme de terrorisme international, à ce que le pays a sombré dans une catastrophe humanitaire, dans l’abîme d’une guerre civile qui perdure jusqu’à présent. La tragédie à laquelle ont été condamnées des centaines de milliers, des millions de personnes en Libye et dans toute la région a provoqué un exode massif de l’Afrique du Nord et du Proche Orient vers l’Europe.
On préparait le même sort pour la Syrie. Les opérations militaires de la coalition occidentale sur le territoire de ce pays, sans accord du gouvernement syrien et sans autorisation du conseil de Sécurité de l’ONU, ce n’est rien d’autre qu’une agression, une intervention.
Mais une place à part dans ce rang est due sans doute à l’invasion en Irak, également dénuée de tout fondement légal. Comme prétexte on a choisi une information sûre que les Etats Unis prétendaient avoir sur les armes d’extermination massive en Irak. Pour le prouver, le secrétaire d’Etat américain, aux yeux du monde entier, a agité une sorte de fiole avec une poudre blanche, assurant à tout le monde que c’était une arme chimique élaborée en Irak. Et puis il s’est avéré que tout cela était de la tricherie, du bluff : qu’il n’y avait aucun arme chimique en Irak. C’est incroyable, étonnant, mais un fait reste un fait. Il y a eu mensonge au plus haut niveau de l’Etat et depuis la haute tribune de l’ONU. Et pour résultat, une quantité énorme de victimes, de destructions, une flambée incroyable de terrorisme.
On a d’une manière générale l’impression que pratiquement partout, dans de nombreuses régions du monde où l’Occident arrive pour instaurer son ordre, ne restent à la fin que des plaies sanglantes qui ne cicatrisent pas, les ulcères du terrorisme international et de l’extrémisme. Tout ce dont j’ai parlé, ce n’est que les exemples les plus flagrants mais c’est loin d’être les seuls exemples du mépris pour le droit international.
La promesse faite à notre pays de ne pas élargir d’un pouce l’Otan vers l’est en fait partie. Je le répète: on nous a trompés, et pour utiliser un langage populaire, on nous a roulés. Certes, on dit souvent que la politique est quelque chose de sale. C’est possible, mais pas à ce point. Une telle roublardise va à l’encontre non seulement des principes des relations internationales mais avant tout des normes de la morale. Où sont la justice et le droit ? On n’a ici que du mensonge et de l’hypocrisie.
D’ailleurs les hommes politiques, politologues et les journalistes américains eux-mêmes écrivent et disent que c’est un véritable « empire du mensonge » qui a été créé ces dernières années aux Etats-Unis. Il est difficile de les contredire: c’est le cas. Mais ne soyons pas trop modestes: les Etats-Unis sont tout de même un grand pays, une puissance déterminante. Tous ses satellites non seulement lui chantent des louanges et lui font écho fidèlement et invariablement à tout propos, mais aussi copient son comportement, et adoptent avec enthousiasme les règles qu’il propose. C’est pourquoi on peut dire avec certitude et assurance que c’est ce qu’on appelle le bloc occidental dans son ensemble, formé par les Etats-Unis à leur image et sur leur modèle, qui est « l’empire du mensonge ».
Pour ce qui concerne notre pays, après l’effondrement de l’URSS, malgré l’ouverture sans précédent de la nouvelle Russie, sa disposition à travailler honnêtement avec les Etats-Unis et les autres partenaires occidentaux, et dans un contexte de désarmement pratiquement unilatéral, on a aussitôt essayé de nous achever et de nous détruire cette fois définitivement. C’est exactement ce qui s’est produit dans les années 1990 et au début des années 2000, quand ce qu’on appelle l’Occident a soutenu de la manière la plus active le séparatisme et des bandes de mercenaires dans le sud de la Russie. Quelles pertes, combien de victimes cela nous a coûté avant de briser définitivement le terrorisme international dans le Caucase. Nous nous en souvenons et n’oublierons jamais.
Du reste, jusqu’à encore récemment on n’a cessé de tenter de nous utiliser à profit, de détruire nos valeurs traditionnelles et de nous imposer des prétendues valeurs qui auraient détruit notre peuple de l’intérieur, les principes qu’ils imposent déjà de manière agressive dans leurs propres pays et qui mènent directement à la dégradation et à la dégénérescence puisqu’elles vont à l’encontre de la nature humaine elle-même. Cela ne se fera jamais, et personne n’a réussi jusqu’à présent. Cela ne se fera pas davantage maintenant.
En dépit de tout cela, en décembre 2021 nous avons malgré tout encore une fois entrepris une tentative de nous entendre avec les Etats-Unis et leurs alliés sur des principes de sécurité en Europe et sur le non-élargissement de l’Otan. Tout est clair. La position des Etats-Unis ne change pas. Ils ne jugent pas nécessaire de s’entendre avec la Russie sur cette question clé pour nous, poursuivant leurs objectif et négligeant nos intérêts.
Et bien sûr dans cette situation se pose une question : mais que faire maintenant, que doit-on attendre ? L’Histoire nous enseigne bien, comment en 1940 et au début de 1941 quand l’Union soviétique s’efforçait d’empêcher ou au moins de repousser le début de la guerre, et pour cela, jusqu’au dernier moment, essayait de ne pas provoquer l’agresseur potentiel, n’entreprenait pas ou reportait les mesures les plus indispensables et les plus évidentes pour se préparer à faire face à une agression inévitable. Et les mesures qui ont finalement été prises, arrivaient avec un retard catastrophique.
Le résultat en a été que le pays n’a pas été prêt à faire face pleinement à l’invasion par l’Allemagne nazie, qui a attaqué notre patrie sans déclaration de guerre le 22 juin 1941. On a réussi à arrêter l’ennemi et ensuite à le vaincre, mais à un prix colossal. La tentative d’amadouer l’agresseur à la veille de la Seconde guerre mondiale a été une erreur qui a coûté cher à notre peuple. Dans les premiers mois de combats nous avons perdu des territoires gigantesques et d’une importance stratégique, et des millions de vies humaines. Nous ne ferons pas une telle erreur une seconde fois, nous n’en avons pas le droit.
Ceux qui prétendent à la domination du monde, publiquement, dans l’impunité et, je le souligne, sans aucun fondement, nous déclarent, nous, la Russie, leur ennemi. Ils ont effectivement aujourd’hui des capacités financières, scientifiques et technologiques, militaires, supérieures. Nous le savons et évaluons objectivement les menaces proférées à notre adresse de manière permanente dans le domaine de l’économie – tout comme nos capacités à résister à ce chantage permanent et arrogant. Je le répète, nous les évaluons sans illusion, de manière extrêmement réaliste.
Pour ce qui concerne le domaine militaire, la Russie, même après l’effondrement de l’URSS et la perte d’une part significative de son potentiel, est aujourd’hui une des plus grandes puissances nucléaires au monde, et dispose en outre d’avantages certains dans une série de nouveaux types d’armements. En ce sens, personne ne doit avoir de doutes sur le fait qu’une attaque directe contre notre pays mènera à la destruction et à d’épouvantables conséquences pour tout agresseur potentiel.
Dans le même temps, les technologies, y compris de défense, changent vite. Le leadership dans ce domaine change de mains et va continuer de le faire, alors que la prise de contrôle militaire de territoires voisins de nos frontières, si nous le laissons faire, perdurera pour des décennies, voire pour toujours, et constituera pour la Russie une inacceptable menace en croissance permanente.
Dès maintenant, au fur et à mesure de l’élargissement de l’Otan vers l’est, la situation pour notre pays devient chaque année pire et plus dangereuse. En outre, ces derniers jours la direction de l’Otan parle sans détours de la nécessité d’accélérer et de renforcer la progression des infrastructures de l’Alliance vers les frontières de la Russie. En d’autres termes, ils durcissent leur position. Nous ne pouvons pas continuer d’observer simplement le cours des événements. Ce serait de notre part absolument irresponsable.
La poursuite de l’élargissement des infrastructures de l’Alliance nord-atlantique, la prise de contrôle militaire du territoire de l’Ukraine sont pour nous inacceptables. Ce n’est bien entendu pas l’Otan elle-même qui est en jeu – c’est simplement un instrument de politique étrangère des Etats-Unis. Le problème est que, sur des territoires voisins des nôtres – je souligne qu’il s’agit de nos propres territoires historiques – se crée une « anti-Russie » qui nous est hostile et qui est placée entièrement sous contrôle extérieur, où les forces armées de pays de l’Otan prennent leurs aises et où sont introduits les armements les plus modernes.
Pour les Etats-Unis et leurs alliés c’est la prétendue politique d’endiguement de la Russie, des dividendes géopolitiques évidents. Mais pour notre pays c’est en fin de compte une question de vie ou de mort, la question de notre avenir historique comme peuple. Et ce n’est pas une exagération, c’est la vérité. C’est une menace réelle non seulement pour nos intérêts mais pour l’existence même de notre Etat, pour sa souveraineté. C’est la fameuse ligne rouge dont on a parlé nombre de fois. Ils l’ont franchie.
A ce propos – sur la situation dans le Donbass. Nous voyons que les forces qui ont effectué en 2014 un coup d’Etat en Ukraine se sont emparées du pouvoir et le conservent grâce à ce qui est en fait des procédures électorales décoratives, ont définitivement renoncé à un règlement pacifique du conflit. Durant huit ans, d’interminables huit années, nous avons fait tout ce qui était possible pour que la situation soit réglée par des moyens pacifiques et politiques. En vain.
Comme je l’ai déjà dit dans ma précédente allocution, on ne peut pas regarder sans compassion ce qui se passe là-bas. Il n’était simplement plus possible de rester sans rien faire. Il fallait mettre fin sans délai à ce cauchemar – un génocide à l’égard des millions de personnes qui vivent là-bas et qui ne fondent leurs espoirs que sur la Russie. Ce sont précisément ce désir, ces sentiments, la douleur des gens qui ont été pour nous le principal motif pour prendre la décision de reconnaître les républiques populaires du Donbass.
Ce que je souhaite en outre souligner. Les principaux pays de l’Otan, pour parvenir à leurs fins, soutiennent en Ukraine les ultra-nationalistes et des néonazis, qui à leur tour ne pardonneront jamais le choix libre des habitants de la Crimée et de Sebastopol, la réunification avec la Russie.
Ils vont bien entendu s’attaquer à la Crimée, comme au Donbass, pour tuer, comme les bandes de nationalistes ukrainiens, complices d’Hitler au moment de la Seconde guerre mondiale, tuaient des gens sans défense. Et ils déclarent ouvertement qu’ils ont des vues sur toute une série d’autres territoires russes.
Toute l’évolution de la situation et l’analyse des informations qui nous arrivent montrent que l’affrontement de la Russie avec ces forces est inévitable. Ce n’est qu’une question de temps: ils se préparent, ils attendent le moment favorable. Maintenant ils ambitionnent même d’acquérir l’arme nucléaire. Nous ne laisserons pas faire.
Comme je l’ai déjà dit précédemment, la Russie, après l’effondrement de l’URSS, a pris en compte les nouvelles réalités géopolitiques. Nous considérons avec respect tous les pays apparus dans l’espace postsoviétique. Nous respectons et respecterons leur souveraineté, et l’exemple en est l’aide que nous avons apportée au Kazakhstan qui s’est trouvé confronté à des événements tragiques mettant en jeu l’Etat et son intégrité. Mais la Russie ne peut pas se sentir en sécurité, se développer, exister avec une menace permanente émanant du territoire de l’Ukraine.
Je rappelle qu’en 2000-2005 nous avons répondu militairement aux terroristes dans le Caucase, avons défendu l’intégrité de notre pays, et préservé la Russie. En 2014 nous avons défendu les habitants de la Crimée et de Sebastopol. En 2015 nous avons eu recours aux forces armées pour empêcher l’entrée de terroristes en Russie depuis la Syrie. Nous n’avions pas d’autre moyen de nous protéger.
C’est la même chose qui se produit aujourd’hui. On ne nous a pas laissé d’autre possibilité de défendre la Russie, nos gens, que celle que nous allons être obligés d’utiliser aujourd’hui. Les circonstances exigent de nous des actes rapides et fermes. Les républiques populaires du Donbass ont demandé l’aide de la Russie.
Par conséquent, conformément à l’article 51 alinea 7 de la Charte de l’ONU, avec l’accord du Conseil de sécurité russe et dans le cadre des accords d’Amitié et d’assistance mutuelle avec la République populaire de Donetsk et la la République populaire de Lougansk, ratifiés le 22 février par le Conseil de la Fédération, j’ai pris la décision d’une opération armée spéciale.
Son objectif – défendre les gens qui depuis huit ans sont soumis à des brimades et à un génocide de la part du régime de Kiev. Dans ce but nous allons nous efforcer de parvenir à la démilitarisation et à la dénazification de l’Ukraine, ainsi que de traduire devant la justice ceux qui ont commis de nombreux crimes sanglants contre des civils, y compris contre des citoyens de la Fédération de Russie.
Mais l’occupation de territoires ukrainiens ne fait pas partie de nos plans. Nous n’avons pas l’intention d’imposer quoi que ce soit par la force, à quiconque. Dans le même temps nous entendons de plus en plus souvent en Occident qu’il n’est plus nécessaire de respecter les documents signés par le régime totalitaire soviétique, qui fixaient les résultats de la Seconde guerre mondiale. Que répondre à cela ?
Les résultats de la Seconde guerre mondiale, tout comme les pertes apportées par notre peuple sur l’autel de la victoire sur le nazisme, sont sacrés. Mais cela ne contredit pas les hautes valeurs des droits et libertés de l’homme, si l’on part des réalités qui se sont établies depuis la fin de la guerre. Cela n’annule pas davantage le droit des nations à l’autodétermination, inscrit à l’article 1 de la Charte de l’ONU.
Je rappelle que ni lors de la fondation de l’URSS, ni après la Seconde guerre mondiale, personne n’a jamais demandé aux gens qui vivaient sur tel ou tel territoire entrant dans l’actuelle Ukraine, comment ils comptaient eux-mêmes construire leur vie. Au fondement de notre politique, la liberté, la liberté de choix pour chacun de déterminer librement son avenir et l’avenir de ses enfants. Et nous jugeons important que ce droit – le droit à choisir – puisse être exercé par tous les peuples qui vivent sur le territoire de l’actuelle Ukraine, tous ceux qui le voudront.
En ce sens je m’adresse aux citoyens ukrainiens. En 2014 la Russie a été dans l’obligation de défendre les habitants de la Crimée et de Sebastopol face à ceux que vous appelez vous-mêmes les « naziki ». Les habitants de la Crimée et de Sebastopol ont fait leur choix – être avec leur patrie historique, avec la Russie, et nous les avons soutenus. Je le répète, nous ne pouvions nous comporter autrement.
Les événements d’aujourd’hui sont liés non à une volonté de porter atteinte aux intérêts de l’Ukraine et du peuple ukrainien. Ils sont liés à la défense de la Russie elle-même contre ceux qui ont pris l’Ukraine en otage et tentent de l’utiliser contre notre pays et son peuple.
Je le répète, nos actes sont une autodéfense contre des menaces créées contre nous et contre des malheurs encore plus grands que ceux qui surviennent aujourd’hui. Quelle qu’en soit la difficulté, je vous demande de le comprendre et j’appelle à coopérer pour tourner le plus vite possible cette page tragique et, ensemble, aller de l’avant en ne laissant personne se mêler de nos affaires, de nos relations, mais en les construisant nous-mêmes de manière à permettre de surmonter tous les problèmes et, malgré la présence de frontières, à nous renforcer de l’intérieur comme un tout. Je crois en cela, précisément en un tel avenir commun.
Je dois m’adresser aux militaires des forces armées ukrainiennes.
Chers camarades ! Vos pères, grand-pères, arrière-grand-pères n’ont pas combattu les nazis, défendant notre patrie commune, pour que les néonazis d’aujourd’hui s’emparent du pouvoir en Ukraine. Vous avez prêté serment envers le peuple ukrainien, et non envers la junte qui aujourd’hui pille l’Ukraine et se moque de son peuple.
N’exécutez pas ses ordres criminels. Je vous appelle à déposer immédiatement les armes et à rentrer chez vous. Je précise : tous les militaires de l’armée ukrainienne qui rempliront cette exigence pourront quitter sans encombre la zone de combats et rejoindre leur famille.
Je souligne encore une fois avec force : toute la responsabilité de l’éventuelle effusion de sang reposera entièrement sur la conscience du régime en place sur le territoire de l’Ukraine.
Maintenant quelques mots importants, très importants pour ceux qui peuvent avoir la tentation de s’immiscer depuis l’extérieur dans les événements en cours. Quiconque tentera de nous gêner, a fortiori de créer une menace pour notre pays pour notre peuple, doit savoir que la réponse de la Russie sera immédiate et infligera des conséquences telles que vous n’en avez jamais connu dans votre histoire. Nous sommes prêts à tout développement de la situation. Toutes les décisions en ce sens ont déjà été prises. J’espère que je serai entendu.
Chers citoyens russes !
La prospérité, et l’existence même d’Etats et de peuples entiers, leur succès et leur vitalité prennent toujours leur source dans de fortes racines culturelles, dans un système de valeurs, d’expérience et de traditions des ancêtres, et bien entendu dépendent directement des capacités à s’adapter rapidement aux changements perpétuels de la vie, de la cohésion de la société, de sa disposition à s’unir, unir toutes ses forces pour aller de l’avant.
La force est toujours nécessaire – toujours, mais la force peut-être de différentes qualités. Au fondement de la politique de « l’empire du mensonge » dont je parlais au début de mon allocution, repose avant tout la force brute. Dans ce cas on a coutume de dire chez nous « La force est là, pas besoin d’intelligence ».
Mais vous et moi savons que la véritable force est dans la justice et la vérité, qui est de notre côté. Et s’il en est ainsi, il est difficile de ne pas admettre que ce sont précisément la force et la disposition au combat qui fondent l’indépendance et la souveraineté, constituent l’indispensable base sur laquelle on peut construire sûrement son avenir, bâtir sa maison, sa famille, sa patrie.
Chers concitoyens !
Je suis certain que les soldats et officiers des forces armées russes, fidèles à leur pays, vont remplir leur devoir avec professionnalisme et courage. Je ne doute pas que les pouvoirs de tous niveaux, les spécialistes qui répondent de la stabilité de notre économie, de notre système financier, du secteur social, les dirigeants de nos entreprises et tout le milieu d’affaires russe vont agir de manière coordonnée et efficace. Je compte sur l’attitude unie et patriotique de tous les partis parlementaires et des forces de la société.
En fin de compte, comme cela a toujours été le cas dans l’Histoire, le destin de la Russie est entre les mains de notre peuple aux nombreuses nationalités. Et cela signifie que les décisions prises seront exécutées, les objectifs fixés seront atteints, que la sécurité de notre patrie sera garantie.
Je crois en votre soutien, dans la force invincible que nous donne notre amour de la patrie.

Voir enfin:

Appeal of the All-Russian Officers’ Assembly to the President and citizens of the Russian Federation

Chairman of the “All-Russian Officer’s Assembly” Colonel-General Leonid Grigorievich Ivashov wrote an Address to the President and citizens of the Russian Federation “Chanle of War”:

Today humanity lives in anticipation of war. And war is the inevitable human sacrifices, destruction, suffering of large masses of people, destruction of habitual lifestyles, violation of the systems of life of states and peoples.

The big war is a huge tragedy, whose serious crime is. It so happened that Russia was at the center of this threatening catastrophe. And perhaps this is the first time in her history.

Previously, Russia (USSR) waged forced (just) wars, and, as a rule, when there was no other way out, when the vital interests of the state and society were threatened.

And what threatens the existence of Russia itself today, and are there such threats? It can be argued that there are really threats – the country is on the verge of completing its history.

All vital areas, including demography, are steadily deteriorating, and the rate of extinction of the population is breaking world records. And degradation is systemic, and in any complex system, the destruction of one of the elements can lead to the collapse of the entire system.

And this, in our opinion, is the main threat to the Russian Federation. But this is a threat of an internal nature, based on the model of the state, the quality of power and the state of society.

And the reasons for its formation are internal: the inviability of the state model, complete incapacity and unprofessionalism of the system of power and management, passivity and disorganization of society. Any country does not live in this state for a long time.

As for external threats, they are certainly present. But, according to our expert assessment, they are not at the moment critical, directly threatening the existence of Russian statehood, its vital interests.

In general, strategic stability persists, nuclear weapons are under reliable control, NATO force groups are not increasing, there is no threatening activity.

Therefore, the situation escalated around Ukraine is, first of all, artificial, selfish in nature for some internal forces, including the Russian Federation.

As a result of the collapse of the USSR, in which Russia (Yeltsin) took a decisive part, Ukraine became an independent state, a member of the UN, and in accordance with Article 51 of the UN Charter has the right to individual and collective defense.

The leadership of the Russian Federation has not yet recognized the results of the referendum on the independence of the DPR and LPR, while at the official level more than once, including during the Minsk negotiation process, stressed the belonging of their territories and population to Ukraine.

It has also been repeatedly said at a high level about the desire to maintain normal relations with Kiev, without distinguishing it into special relations with the DPR and LPR.

The issue of genocide committed by Kiev in the south-eastern regions was not raised either in the UN or in the OSCE. Naturally, in order for Ukraine to remain a friendly neighbor for Russia, it was necessary for it to demonstrate the attractiveness of the Russian model of the state and the system of power.

But the Russian Federation has not become so, its development model and foreign policy mechanism of international cooperation repels almost all neighbors, and not only.

Russia’s acquisition of Crimea and Sevastopol and their non-recognition by the international community (and, therefore the vast majority of countries in the world still consider them belonging to Ukraine) convincingly shows the failure of Russian foreign policy, and the unattractiveness of domestic policy.

Attempts through an ultimatum and threats of use of force to “love” the Russian Federation and its leadership are meaningless and extremely dangerous.

The use of military force against Ukraine, firstly, will call into question the existence of Russia itself as a state; secondly, it will forever make Russians and Ukrainians deadly enemies. Thirdly, there will be thousands (tens of thousands) dead young, healthy children on the one hand, which will certainly affect the future demographic situation in our endangered countries.

On the battlefield, if this happens, Russian troops will face not only Ukrainian servicemen, among whom there will be many Russian guys, but also with servicemen and equipment of many NATO countries, and member states of the alliance will be obliged to declare war on Russia.

President of the Republic of Turkey R. Erdogan clearly stated on whose side Turkey will fight. And it can be assumed that two field armies and the Turkish fleet will be ordered to “liberate” Crimea and Sevastopol and possibly invade the Caucasus.

In addition, Russia will definitely be classified as countries threatening peace and international security, subject to the most severe sanctions, turn into an outcast of the world community, and is likely to be deprived of the status of an independent state.

The president and government cannot understand such consequences, the Ministry of Defense cannot, they are not so stupid.

The question arises: what are the true goals of provoking tension on the verge of war, and the possible unleashing of widespread hostilities? And what will be, says the number and combat composition of the groups of troops formed by the parties – at least one hundred thousand servicemen on each side. Russia, bare the eastern borders, is transferring connections to the borders of Ukraine.

In our opinion, the country’s leadership, realizing that it is not able to lead the country out of a systemic crisis, and this can lead to an uprising of the people and a change of power in the country, with the support of the oligarchate, corrupt officials, fed media and security forces, decided to intensify the political line for the final destruction of Russian statehood and the extermination of the country’s indigenous population.

And war is the means that will solve this problem in order to retain its anti-national power for a while and preserve the wealth looted from the people. We can’t assume any other explanation.

From the President of the Russian Federation, we are Russian officers, we demand to abandon the criminal policy of provoking war, in which the Russian Federation will be alone against the combined forces of the West, to create conditions for the implementation in practice of Art. 3 Constitutions of the Russian Federation and resign.

We appeal to all reserve and retired servicemen, Russian citizens with a recommendation to show vigilance, organization, support the requirements of the Council of the All-Russian Officers’ Assembly, actively oppose propaganda and the outbreak of war, prevent internal civil conflict with the use of military force.

Voir par ailleurs:

Mikhaïl Gorbatchev : « Je m’oppose à tous les murs »
04 nov 2014
Maxim Korchounov, RBTH

Un entretien exclusif de RBTH avec Mikhaïl Gorbatchev, à l’approche du 25e anniversaire de la chute du mur de Berlin et avec comme question centrale : un nouveau mur s’érige-t-il entre l’Est et l’Ouest ?

L’année 1989 est celle de la chute du mur de Berlin. Mais celle-ci n’est intervenue qu’au mois de novembre. Durant l’été précédent, au cours d’une conférence de presse à l’issue des négociations de Bonn avec le chancelier Kohl, une personne vous a interpellé en demandant : « Et que va-t-il se passer avec le mur ? » Vous avez alors répondu : « Sous la Lune, rien n’est éternel. Le mur pourra disparaître lorsque les conditions ayant conduit à sa création ne seront plus en place. Je ne vois pas ici de difficulté majeure ». A quel déroulement des événements vous attendiez-vous alors ? 

À l’été 1989, ni moi-même ni le chancelier Kohl ne nous attendions bien évidemment à ce que tout se déroule aussi rapidement, je ne m’attendais pas à ce que le mur tombe au mois de novembre. Nous l’avons d’ailleurs tous deux reconnu par la suite. Je ne prétends pas être un prophète.Il arrive que l’histoire accélère sa course. Elle punit alors tous ceux qui se trouvent en retard. Mais elle punit encore plus sévèrement tous ceux qui prétendent se mettre en travers de son chemin. Cela aurait été une grave erreur que de rester derrière le « rideau de fer ». C’est pourquoi il n’y a eu aucune pression de notre part sur le gouvernement de la RDA.Lorsque le déroulement des événements a commencé à s’accélérer de façon inattendue, les dirigeants soviétiques ont pris la décision unanime – je tiens à souligner ce fait – de ne pas interférer dans les processus internes à l’œuvre en RDA, et donc de faire en sorte que nos troupes ne sortent sous aucun prétexte de leurs garnisons. Je suis aujourd’hui convaincu que cela était la bonne décision.Quels sont les éléments ayant, au final, permis de mettre un terme à la partition de l’Allemagne et qui, selon vous, a joué un rôle décisif dans la réalisation de cette réunification pacifique ? Ce sont les Allemands eux-mêmes qui ont joué le rôle décisif dans la réunification de l’Allemagne. Je ne parle pas ici seulement des manifestations de masse en faveur de l’unité, mais également du fait qu’au cours des décennies d’après-guerre, les Allemands de l’Est comme de l’Ouest ont apporté la preuve qu’ils avaient tiré les leçons du passé et que l’on pouvait leur accorder notre confiance.En ce qui concerne le déroulement pacifique de la réunification et le fait que ce processus n’a pas débouché sur une dangereuse crise internationale, je pense qu’un rôle décisif a ici été joué par l’Union soviétique. Nous autres au sein de la direction soviétique, nous savions que de tous les peuples de l’Union soviétique, les Russes étaient sensibles aux aspirations des Allemands à vivre au sein d’un État démocratique unifié.Je voudrais également souligner qu’au-delà de l’URSS, les autres acteurs du processus de règlement final de la question allemande ont également fait preuve de mesure et de sens des responsabilités. Je parle ici des pays de l’Alliance atlantique : les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France. Ce n’est aujourd’hui un secret pour personne que François Mitterrand comme Margaret Thatcher avaient de sérieux doutes sur le rythme de la réunification. La guerre avait tout de même laissé une marque profonde. Mais lorsque tous les aspects ayant trait à ce processus ont été résolus, ils ont signé les documents mettant fin à la guerre froide.Il vous a incombé de résoudre un problème crucial touchant aux évolutions mondiales. Le règlement international de la question allemande, avec la participation des grandes puissances et d’autres États, constitue un exemple de la grande responsabilité et de la grande « qualité » des responsables politiques de cette génération. Vous avez démontré qu’une telle chose était possible en fondant votre action sur ce que vous avez qualifié de « nouvelle pensée ». Dans quelle mesure les dirigeants contemporains sont-ils capables de résoudre de manière pacifique les problèmes actuels et qu’est ce qui a changé au cours des vingt-cinq dernières années en termes de méthodes visant à trouver des réponses aux défis géopolitiques ?  

La réunification allemande n’était pas un développement isolé mais une partie du processus d’achèvement de la guerre froide. Le chemin en avait été ouvert par la Perestroïka et la démocratisation de notre pays. Sans cela, l’Europe aurait pu rester divisée et « gelée » pendant encore des décennies. Et la sortie d’une telle situation aurait pu être, j’en suis convaincu, bien plus difficile.  Qu’est-ce que la nouvelle pensée ? C’est la reconnaissance du fait qu’il existe des menaces globales, il s’agissait à cette époque principalement de la menace d’une guerre nucléaire, qui ne pouvait être résolue que dans le cadre d’efforts conjoints. Cela signifie qu’il était nécessaire de bâtir une nouvelle relation, un dialogue, de rechercher un moyen de mettre un terme à la course aux armements. Cela signifiait qu’il fallait reconnaître la liberté de choix de tous les peuples et en même temps prendre en considération les intérêts de chacun, bâtir un partenariat, développer les relations pour faire en sorte que les conflits et les guerres deviennent impossibles en Europe.

Ce sont ces principes qui ont formé la base de la Charte de Paris (1990) pour une nouvelle Europe, un document politique de la plus haute importance, ratifié par l’ensemble des pays d’Europe, des Etats-Unis et du Canada. Il a ensuite fallu développer, concrétiser ces dispositions, créer de véritables structures, des mécanismes de prévention, des mécanismes de coopération. C’est par exemple à ce moment qu’a été proposée la création du Conseil pour la sécurité de l’Europe. Je ne souhaite pas opposer la génération des dirigeants d’hier à celle d’aujourd’hui. Mais le fait demeure que cela n’a pas été fait. Le développement de l’Europe s’est ensuite poursuivi de manière unilatérale, ce à quoi, je dois bien le dire, a contribué l’affaiblissement de la Russie au cours des années 1990.

Nous devons aujourd’hui admettre que nous nous trouvons face à une crise politique européenne et mondiale. L’une de ses causes, bien qu’elle ne soit pas la seule, tient à la réticence de nos partenaires occidentaux à prendre en compte le point de vue de la Russie et les intérêts légitimes touchant à sa sécurité. Dans leurs paroles, ils applaudissaient la Russie, en particulier durant la période Eltsine, mais dans les faits, notre voix n’était pas entendue.

Je fais ici en particulier référence à l’élargissement de l’OTAN, aux plans de déploiement du bouclier antimissile, aux agissements de l’Occident dans plusieurs régions de grande importance pour la Russie (la Yougoslavie, l’Irak, la Géorgie, l’Ukraine). Ils nous disaient alors littéralement : cela ne vous regarde pas. Cette situation a créé un abcès, qui a ensuite éclaté. Je conseillerais aux dirigeants occidentaux d’analyser attentivement tout cela, au lieu de blâmer la Russie en toutes circonstances. Souvenez-vous du type d’Europe que nous sommes parvenus à créer au début des années 1990 et de sa transformation malheureuse au cours des dernières années.

L’une des questions centrales qui se trouve aujourd’hui liée au déroulement des événements en Ukraine concerne l’élargissement de l’OTAN vers l’Est. Vous n’avez pas le sentiment d’avoir été trompé par vos partenaires occidentaux dans le cadre de l’élaboration des plans pour l’avenir de l’Europe de l’Est ?

Pourquoi n’avez-vous pas insisté sur une formalisation juridique des promesses faites en particulier par le secrétaire d’État américain James Baker relatives à l’absence d’expansion vers l’Est de l’OTAN ? Je le cite : « Il n’y aura aucun élargissement de la juridiction ou de la présence militaire de l’OTAN d’un seul pouce vers l’Est ». 

La question de l’élargissement de l’OTAN n’a dans l’ensemble pas été discutée et ne se posait pas au cours de ces années-là. Je dis cela en toute responsabilité. Aucun pays d’Europe de l’Est n’a soulevé cette question, y compris après la dissolution du pacte de Varsovie en 1991. Elle n’a pas non plus été soulevée par les dirigeants occidentaux.

Une autre question a en revanche été abordée : le fait qu’après la réunification de l’Allemagne, aucune extension des structures militaires de l’OTAN ni aucun déploiement de forces militaires supplémentaires de l’alliance ne devait avoir lieu sur le territoire de l’ancienne RDA. C’est dans ce contexte que M. Baker a prononcé les paroles mentionnées dans votre question. Des déclarations similaires ont été faites par M. Kohl et M. Genscher.

Tout ce qui pouvait et devait être fait pour consolider ce règlement politique a été fait. Et respecté. L’accord de règlement final avec l’Allemagne mentionnait qu’aucune structure militaire supplémentaire ne serait implantée dans la partie Est du pays et qu’aucune troupe additionnelle ni arme de destruction massive n’y seraient déployées.

Toutes ces dispositions ont été respectées jusqu’à ce jour. Nul besoin donc de prétendre que Gorbatchev et les dirigeants soviétiques de l’époque étaient des naïfs qui se sont laissés abuser. S’il y a eu de la naïveté, elle est intervenue plus tard, lorsque cette question a été soulevée et que la Russie a dans un premier temps répondu « pas d’objections ».

La décision d’élargir l’OTAN vers l’Est a finalement été prise par les USA et leurs alliés en 1993. Je l’ai dès l’origine qualifié d’erreur majeure. Cela constituait bien évidemment une violation de l’esprit des déclarations et assurances qui nous avaient été données en 1990. En ce qui concerne l’Allemagne, ces assurances ont été formalisées juridiquement et respectées.

Pour tous les Russes, l’Ukraine et la question de notre relation avec ce pays constitue un sujet sensible.  Vous êtes vous-même à 50% Russe et à 50% Ukrainien.  Sur la quatrième de couvertur de votre livre Après le Kremlin, vous indiquez que vous ressentez aujourd’hui une profonde douleur du fait des événements survenus dans ce pays. Quelles options voyez-vous pour une sortie de crise en Ukraine et à la lumière des événements récents, comment vont se développer les relations de la Russie avec l’Ukraine, l’Europe et les USA au cours des prochaines années ?

En ce qui concerne l’avenir immédiat, tout est plus ou moins clair : il est indispensable de se conformer intégralement aux dispositions arrêtées lors des négociations de Minsk du 5 et du 19 septembre dernier. La situation sur le terrain est encore très fragile. Le cessez-le-feu est violé en permanence. Mais au cours des derniers jours, l’impression qu’un processus s’est enclenché est devenue plus tangible. Une zone tampon a été créée, les armes lourdes en ont été retirées. Des observateurs de l’OSCE, dont des Russes, sont arrivés. Si l’on parvient à consolider tout cela, il s’agira d’une grande réussite, mais uniquement d’une première étape.

Il faut admettre que les relations entre la Russie et l’Ukraine ont subi d’immenses dommages. Il faut à tout prix éviter que cela ne se transforme en une aliénation mutuelle entre nos deux peuples. Une immense responsabilité incombe à ce titre aux dirigeants : les présidents Poutine et Porochenko. Ils doivent donner l’exemple. Il est indispensable de faire baisser la tension émotionnelle. Nous verrons plus tard qui a raison et qui est coupable. Aujourd’hui, l’essentiel est d’entamer un dialogue sur des questions concrètes. La normalisation des conditions de vie dans les zones les plus affectées, en laissant de côté pour l’instant la question de leur statut, etc. Ici, l’Ukraine comme la Russie et l’Occident peuvent apporter leur aide : séparément et collectivement.

Les Ukrainiens ont beaucoup à faire pour assurer la réconciliation, afin que chaque personne puisse se considérer comme un citoyen à part entière, dont les droits et les intérêts sont garantis et sécurisés. Il ne s’agit ici pas tant de garanties constitutionnelles et juridiques que de la vie de tous les jours. C’est pourquoi je recommanderais en plus des élections de mettre en place aussi rapidement que possible une « table ronde » représentant l’ensemble des régions ainsi que toutes les catégories de la population et dans le cadre de laquelle il serait possible d’aborder et de discuter de toutes les questions.

En ce qui concerne les relations de la Russie avec les pays d’Europe occidentale et les USA, la première étape consisterait à sortir de la logique des accusations mutuelles et des sanctions. D’après moi, la Russie a déjà fait le premier pas en se refusant à répondre à la dernière vague de sanctions occidentales. La parole est maintenant à nos partenaires. Je pense qu’il est nécessaire qu’ils abandonnent les sanctions dites « personnelles ». Comment établir un dialogue si vous « punissez » les personnes en charge de la prise des décisions qui influencent les politiques ? Il est nécessaire que nous puissions nous parler. C’est un axiome qui a été complètement oublié. A tort.

Je suis convaincu que dès que le dialogue sera restauré, nous trouverons des points de contact. Il suffit de regarder autour de nous ! Le monde est sous tension, nous faisons face à des défis communs, des problèmes globaux qui ne peuvent être résolus qu’au moyen d’efforts collectifs. Ce fossé entre la Russie et l’UE nuit à tout le monde, il affaiblit l’Europe au moment où la concurrence globale s’intensifie, au moment où d’autres « centres de gravité » de la politique mondiale se renforcent. Il est hors de question d’abandonner. Il ne faut pas nous laisser entraîner dans une nouvelle guerre froide.

Les menaces communes pesant sur notre sécurité n’ont pas disparues. Au cours de la période récente, de nouveaux mouvements extrémistes extrêmement dangereux sont apparus, en particulier le soi-disant « Etat islamique ». Il s’agit également de l’aggravation des problèmes écologiques, de la pauvreté, des migrations, des épidémies. Face à des menaces communes, nous pouvons à nouveau trouver un langage commun. Cela ne sera pas facile, mais il n’y a pas d’autre chemin.

L’Ukraine évoque la construction d’un mur le long de sa frontière avec la Russie. Comment expliquez-vous que nos peuples, frères depuis toujours, ayant appartenu à un seul et même État, se soient soudainement brouillés à tel point que la séparation pourrait ne pas être seulement politique mais également se matérialiser par un mur ?

La réponse à cette question est très simple : je m’oppose à tous les murs. Que ceux qui envisagent de « construire » un tel ouvrage y réfléchissent à deux fois. Je pense que nos peuples ne se brouilleront pas. Nous sommes trop proches à bien des égards. Il n’y a pas entre nous de problèmes et de différences insurmontables. Mais beaucoup de choses dépendront de l’intelligentsia et des médias. S’ils décident de travailler à notre désunion, en initiant et exacerbant les querelles et les conflits, cela sera catastrophique. De tels exemples nous sont connus. C’est pourquoi j’appelle l’intelligentsia à se comporter de manière responsable.

Voir par ailleurs:

Cette promesse de l’OTAN à la Russie qui n’a jamais existé

D’après Vladimir Poutine et ses soutiens en France, la Russie ne ferait que se défendre face à l’OTAN qui n’aurait pas tenu sa promesse de non extension à l’Est après la chute du mur de Berlin. Une contre-vérité historique.
Elie Guckert
Slate
14 décembre 2021

«Il y a un bon adage qui dit que la première victime de toute guerre est la vérité», professe Jean-Luc Mélenchon sur France 24, le 7 décembre dernier. Interrogé au sujet de l’escalade de tensions à la frontière ukrainienne, où la Russie amasse des troupes depuis plusieurs mois, le leader de La France insoumise va pourtant asséner une contrevérité historique: «Il faut bien que nous nous rendions compte que nous avons manqué de parole aux Russes. On leur avait dit: “Si vous laissez tomber le mur [de Berlin], nous on n’ira pas mettre l’OTAN à leur porte.” Bon, ils ont laissé tomber le mur, et qu’est-ce qu’on a fait: on a mis l’OTAN à leur porte.»

Éric Zemmour a répété la même chose sur France 2, le 9 décembre. Jean-Luc Mélenchon et lui s’accordent d’ailleurs sur un point: la France devrait simplement quitter l’alliance. Cette supposée promesse trahie par l’OTAN à la fin de la guerre froide est invoquée par les soutiens de Vladimir Poutine dès que les tensions avec la Russie repartent. Elle permet de remettre en cause l’existence même de l’OTAN, qui n’aurait plus de raison d’être depuis la chute de l’URSS et la dissolution du pacte de Varsovie.

Ce discours, c’est d’abord celui de Vladimir Poutine lui-même. En 2007, le président russe avait ainsi déclaré: «Nous avons le droit de poser la question: contre qui cette expansion [de l’OTAN] est-elle dirigée? Et qu’est-il advenu des assurances données par nos partenaires occidentaux après la dissolution du pacte de Varsovie?» En 2014 encore, pour justifier l’annexion illégale de la Crimée par la Russie, il affirmait: «Les Occidentaux nous ont menti à maintes reprises. Ils ont pris des décisions dans notre dos et présenté devant nous un fait accompli. Cela s’est produit avec l’expansion de l’OTAN à l’Est, ainsi qu’avec le déploiement d’infrastructures militaires à nos frontières.»

Un mythe démenti par les archives

La plupart des dirigeants occidentaux de l’époque ont démenti, mais la Russie n’a cessé de formuler cette accusation. Le débat avait été lancé en 1998 par un analyste britannique, Michael MccGwire. Dans un article publié par la Review of International Studies, il critiquait la décision d’inviter la République tchèque à rejoindre l’alliance transatlantique, affirmant qu’en 1990, «Mikhaïl Gorbatchev a reçu des garanties de haut niveau que l’Occident n’élargirait pas l’OTAN, promettant une zone tampon non alignée entre la frontière orientale de l’OTAN et la Russie».

Le non-élargissement de l’OTAN n’a même pas été un sujet de discussion en 1990.

L’analyste estimait à l’époque que l’OTAN «viole le marché conclu en 1990 permettant à une Allemagne réunifiée de faire partie de l’OTAN». Une référence aux négociations diplomatiques qui se sont tenues cette année-là entre l’Allemagne de l’Ouest, la France, la Grande-Bretagne, les États-Unis et l’URSS au sujet de la réunification de l’Allemagne.

Il faudra attendre 2009 pour que l’affaire soit finalement tirée au clair. Grâce à la déclassification des comptes-rendus de réunions provenant aussi bien des archives allemandes qu’américaines et russes, Mark Kramer, chercheur à Harvard, démontre dans un article publié par The Washington Quarterly que le non-élargissement de l’OTAN n’a même pas été un sujet de discussion en 1990.

Et pour cause: à cette époque, personne n’imagine encore que l’URSS va s’effondrer avec le pacte de Varsovie. L’enjeu principal est alors de savoir si l’Allemagne, dont la partie ouest faisait déjà partie de l’alliance, resterait ou non au sein de l’OTAN en tant que nation réunifiée, et à quelles conditions.

Les Occidentaux s’engagent alors sur trois points. Premièrement: ne déployer en Allemagne de l’Est que des troupes allemandes ne faisant pas partie de l’OTAN tant que le retrait soviétique n’est pas fini. Deuxièmement: des troupes allemandes de l’OTAN pourront être déployées en Allemagne de l’Est après le retrait soviétique, mais aucune force étrangère ni installation nucléaire. Et enfin, troisièmement: ne pas augmenter la présence militaire française, britannique et américaine à Berlin.

Et c’est Gorby qui le dit

Après d’âpres négociations, ces conditions ont finalement été acceptées par Gorbatchev et inscrites dans le traité concernant les aspects internationaux de la réunification, signée par toutes les parties en septembre 1990. Nulle part, y compris dans les archives russes, n’est fait mention d’une quelconque promesse formelle de ne pas inclure d’autres pays d’Europe de l’Est dans l’OTAN à l’avenir.

Les Russes continuent d’affirmer que les Occidentaux auraient néanmoins offert des garanties informelles.

Même après 2009, l’accusation a pourtant continué à prospérer. Et ce en dépit des dénégations de Mikhaïl Gorbatchev en personne, pourtant assez bien placé pour savoir ce qui s’est vraiment dit à l’époque. Dans une interview accordée en 2014 à Russia Beyond the Headlines, l’ancien président de l’URSS se montre catégorique: «Le sujet de l’expansion de l’OTAN n’a pas du tout été abordé et n’a pas été abordé au cours de ces années.»

Gorbatchev précise que l’URSS voulait surtout «s’assurer que les structures militaires de l’OTAN n’avanceraient pas, et que des forces armées supplémentaires ne seraient pas déployées sur le territoire de l’ex-RDA après la réunification allemande». Et d’ajouter: «Tout ce qui aurait pu être et devait être fait pour consolider cette obligation politique a été fait.»

Gorbatchev y affirme bien que l’élargissement de l’OTAN constituerait une trahison de ce qu’était selon lui «l’esprit» des discussions de l’époque, mais réaffirme qu’aucun engagement formel n’avait été pris. Les Russes continuent d’affirmer que les Occidentaux auraient néanmoins offert des garanties informelles. Une théorie qui a l’avantage d’être par nature impossible à vérifier.

Un traité violé… par la Russie

La pertinence de l’expansion de l’OTAN continue cependant de faire débat, y compris au sein des experts occidentaux. Comme le notait le chercheur Olivier Schmitt en 2018, la question a repris de l’importance à partir de 1993 sous l’impulsion du président américain Bill Clinton, alors même qu’une bonne partie de l’administration américaine y était défavorable par crainte des perceptions russes.

Mais pour rassurer la Russie, l’OTAN avait justement fait le choix en 1993 de l’intégrer dans son Partenariat pour la paix. Le but: «bâtir un partenariat avec la Russie, en instaurant un dialogue et une coopération pratique dans des domaines d’intérêt commun». Cette coopération n’a été suspendue qu’en 2014, quand la Russie a décidé d’annexer la Crimée.

Ce que les supporters de Vladimir Poutine prennent bien soin de ne pas préciser, c’est qu’au moment de l’invasion de la Crimée, c’est bien la Russie qui bafouait une promesse, réelle celle-là. Signé par la Russie, les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et la Chine en 1994, le mémorandum de Budapest garantissait à l’Ukraine le respect de sa souveraineté et de son intégrité territoriale, en échange de son adhésion au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires et de l’abandon des stocks d’armes nucléaires héritées de l’URSS.

Surtout, outre leur passé douloureux avec l’URSS, c’est la politique agressive de la Russie vis-à-vis des anciennes républiques soviétiques, et leur volonté de s’arrimer à un espace démocratique, qui ont en partie poussé celles-ci dans les bras de l’OTAN. Ainsi, alors qu’une majorité d’Ukrainiens s’opposaient à une adhésion à l’alliance transatlantique avant 2014, l’opinion publique a totalement basculé dans le sens inverse depuis le début de la guerre: 58% des Ukrainiens souhaitent désormais rejoindre l’alliance. Le mythe de la Russie assiégée a tout d’une prophétie autoréalisatrice.

Voir de plus:

14 janvier 2022

Sur fond de grave crise aux confins orientaux de l’Ukraine, où le bruit des bottes fait redouter une nouvelle offensive militaire russe, le Kremlin a ordonné le tir d’une salve de missiles hypersoniques « Zircon », et ce la veille de Noël (selon le calendrier grégorien). Vladimir Poutine s’est félicité de ce succès : « un grand événement pour le pays et une étape significative pour renforcer la sécurité de la Russie et ses capacités de défense ».

Au vrai, il ne s’agit pas du premier essai mais il intervient dans un contexte particulier, quand le Kremlin pose de manière claire et explicite un ultimatum qui exige des Occidentaux qu’ils signent deux traités ordonnant le repli de l’OTAN et donc, à brève échéance, son sabordage (cf. Françoise Thom).

Des armes hypersoniques et ultra-précises

Dans l’esprit des dirigeants russes et de nombreux commentateurs à Moscou, enthousiasmés par la possibilité d’une grande guerre à visée hégémonique, il ne s’agit pas tant de démontrer l’avance acquise dans la gamme des armes dites « nouvelles » que d’intimider et de menacer l’Europe et les États-Unis. Et la discrétion des dirigeants occidentaux quant à ces essais répétés laisse dubitatif.

Dès lors se pose la question des possibles effets produits par ces « armes nouvelles ». S’agirait-il là d’une rupture technologique, vecteur d’une révolution stratégique ? En d’autres termes, le problème est de savoir si la Russie, posée par ses dirigeants comme puissance révisionniste, prête à recourir aux armes pour modifier le statu quo international, aligne son discours géopolitique, son système militaire et sa stratégie.

On se souvient du discours prononcé par Vladimir Poutine au Parlement, le 1er mars 2018, le président russe ayant alors présenté un programme de nouveaux missiles qui impressionna la classe dirigeante russe et nombre d’observateurs internationaux. Ces armes dites de rupture sont hypersoniques (soit une vitesse supérieure à Mach 5), sur une partie de leur trajectoire à tout le moins. Elles sont présentées comme étant capables d’effectuer des manœuvres qui permettent de déjouer les capacités d’interception adverses, c’est-à-dire les défenses antimissiles des États-Unis et de l’OTAN.

Parmi ces « super-missiles », citons le « Kinjal » (un missile lancé par un avion), l’« Avangard » (un planeur hypersonique lancé par une fusée « Sarmat ») et le « Zircon » (un missile antinavire déployé sur des bâtiments de surface, des sous-marins ainsi que des batteries côtières). Curieusement, le « Zircon » dont il est désormais question ne fut pas mentionné lors de la prestation du 1er mars 2018.

En revanche, d’autres armes furent présentées, à l’instar de la torpille « Poséidon », capable de déclencher un tsunami radioactif de l’autre côté de l’Atlantique, le drone sous-marin « Peresvet », à propulsion nucléaire et à charge atomique, et le missile « Bourevestnik » qualifié d’« invincible » par Vladimir Poutine.

Rodomontades ? Nenni

Il existe des interrogations sur le degré réel d’avancement de ces programmes et leur opérationnalité effective. Ainsi l’accident survenu le 8 août 2019, sur une base septentrionale russe, serait-il lié à un nouvel échec du « Bourevestnik » (l’explosion a fait plusieurs morts et provoqué une hausse de la radioactivité). Nonobstant des imprécisions et des effets d’annonce parfois trop hâtifs, le programme d’armes nouvelles illustre la réalité du réarmement russe, plus axé sur la qualité des technologies que sur le volume des arsenaux.

Les optimistes veulent voir dans la posture russe une forme contre-intuitive de « dialogue stratégique » avec les États-Unis, en vue d’un renouvellement de l’arms control (la maîtrise des armements). Le sort du traité sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI), violé par la Russie, dénoncé en conséquence par Washington (Moscou suivit), ainsi que les incertitudes autour des négociations nucléaires stratégiques ne sont pas de bon augure.

Faut-il voir dans ces armes une rupture technologique et stratégique ? D’aucuns soulignent le fait que l’hypervélocité et la capacité à manœuvrer de ces « armes nouvelles » ne font pas une révolution stratégique. D’une part, les fusées balistiques outrepassent l’hypervélocité de ces engins. S’il est vrai, d’autre part, que leur capacité à manœuvrer permettrait de contourner les défenses antimissiles des Alliés (États-Unis et OTAN), il en serait de même avec un missile balistique intercontinental.

Au demeurant, les défenses antimissiles n’ont pas été pensées pour intercepter les missiles balistiques intercontinentaux de la Russie ou de la Chine populaire mais pour contrer une puissance proliférante, du type de l’Iran ou de la Corée du Nord, détentrice d’un nombre réduit d’engins. Soulignons ici la mauvaise foi russe qui, tout en développant ses propres défenses antimissiles, ne cesse de dénoncer les effets prétendument déstabilisateurs du dispositif américano-otanien.

En première analyse, le déploiement d’« armes nouvelles » russes ne changerait donc pas l’équation stratégique ; quand bien même leur hypervélocité réduirait le délai de réaction, les puissances nucléaires occidentales conserveraient une capacité de frappe en second, pour exercer des représailles sur l’État agresseur. Théoriquement, une telle perspective devrait le détourner de la tentation d’une première frappe désarmante, « dissuader » signifiant « empêcher de passer à l’acte ».

Quelle place dans l’arsenal russe ?

Pourtant, la Russie, ces dernières années, a amplement modernisé ce que les spécialistes nomment la « triade stratégique », ses armes nucléaires stratégiques terrestres (missiles intercontinentaux), aériennes (missiles lancés depuis un bombardier) et sous-marines (missiles lancés par des sous-marins nucléaires lance-engins). Aussi le développement et le déploiement d’engins « exotiques » (les « armes nouvelles ») posent question : à quelles fins et selon quels scénarios ?

Rappelons l’idée, évoquée plus haut, selon laquelle ces armes ne seraient qu’une monnaie d’échange dans les négociations américano-russes relatives aux armes nucléaires stratégiques. In extremis, l’Administration Biden a proposé la prorogation du traité post-START et le « dialogue stratégique » en cours permettra de tester cette hypothèse.

Il reste que la politique, comprise dans son essence, consiste à envisager le pire afin qu’il n’advienne pas. En l’occurrence, il importe de comprendre que la dissuasion n’est pas une loi physique qui, telle la loi de gravité mise au jour par Newton, s’imposerait à toutes les puissances nucléaires.

Sur le plan de la réflexion stratégique, rappelons l’important article de l’Américain Albert Wohlstetter sur le « fragile équilibre de la terreur » (« The Delicate Balance of Terror », Rand Corporation, 6 novembre 1958). Selon l’analyse de ce stratège, l’équilibre de la terreur est instable et la dissuasion de l’adversaire potentiel n’est en rien automatique, la symétrie des arsenaux pouvant coexister avec l’asymétrie morale. Dès lors, les questions essentielles sont : qui dissuade qui, de quoi et dans quel contexte ?

De fait, les « armes nouvelles » tant vantées par le Kremlin ne semblent pas apporter de valeur additionnelle à la force de dissuasion russe, assurée par une « triade stratégique » constamment modernisée. Et, nonobstant l’affirmation surréaliste selon laquelle les États-Unis et l’OTAN prépareraient une offensive multiforme, il est difficile d’imaginer les démocraties occidentales, en proie au doute et absorbées par les questions intérieures, fourbir leurs armes pour mener une guerre préventive contre la Russie.

Dès lors, le développement et le déploiement par la Russie d’« armes nouvelles », hors du cadre de l’« arms control », ne viserait-il pas à sortir de la parité pour acquérir une position de supériorité nucléaire ? Dans une telle perspective, les armes nucléaires ne seraient plus au seul service de la dissuasion, pour préserver le territoire national et ses approches de toute entreprise guerrière ; elles pourraient être le moyen d’une stratégie d’action et de coercition visant des buts d’acquisition.

Depuis plusieurs années, les signaux nucléaires dont Vladimir Poutine use et abuse, pour étayer sa politique extérieure et renforcer sa main sur la scène stratégique mondiale, laissent redouter la transformation de la Russie en une puissance nucléaire révisionniste qui utiliserait son arsenal pour contraindre et obtenir des gains stratégiques. Il suffit d’ailleurs de se reporter à la présente situation, nombre d’officiels russes n’hésitant pas à menacer l’Europe d’une frappe préventive s’ils n’obtiennent pas une sphère d’influence exclusive dans l’« étranger proche » (l’espace post-soviétique), élargie à toute l’Europe si les États-Unis se retiraient de l’OTAN.

Certains spécialistes de ces questions se réfèrent aux documents politico-stratégiques officiels pour écarter un scénario de coercition nucléaire (voir « Les fondements de la politique d’État de la Fédération de Russie dans le domaine de la dissuasion nucléaire », oukaze présidentiel n° 5, 2 juin 2020). Il reste que ledit document élargit la gamme des options dans lesquelles l’emploi de l’arme nucléaire serait envisagé.

Ainsi une « escalade pour la désescalade », c’est-à-dire une frappe nucléaire théoriquement destinée à interdire l’intensification d’une guerre classique (conventionnelle), n’est pas exclue. En d’autres termes, cela signifierait la volonté de vaincre en ayant recours à l’arme nucléaire. Sur ce point, ajoutons que Vladimir Poutine, à la différence du secrétaire général du parti communiste soviétique autrefois, n’est pas limité par un Politburo.

Une capacité de frappe chirurgicale

À tout le moins, il importe d’envisager le fait que la Russie mette son arsenal au service d’une stratégie de « sanctuarisation agressive » : lancer une offensive armée classique sur les espaces géographiques convoités (l’Ukraine, en tout ou en partie, ainsi que d’autres républiques post-soviétiques refusant un statut d’État croupion, privées de leur souveraineté), les puissances extérieures étant dissuadées de leur porter secours en les menaçant d’une escalade nucléaire.

Si l’on considère l’Ukraine, n’est-ce pas déjà le cas ? La lecture attentive des projets de traité que Moscou prétend imposer aux États-Unis laisse penser qu’outre les trois États baltes, seules ex-républiques soviétiques intégrées dans l’OTAN, les anciens satellites d’« Europe de l’Est » — le syntagme d’« Europe médiane », entre Baltique, mer Noire et Adriatique, est aujourd’hui plus approprié — seraient également l’objet de cette grande manœuvre.

C’est ici que certaines des « armes nouvelles » russes, notamment le « Zircon », si elles n’apportent rien à la dissuasion russe, trouvent leur place. Qu’elles soient déployées au sol, en mer ou dans les airs, ces armes sont duales : elles peuvent tout aussi bien être dotées de charges conventionnelles que de têtes nucléaires. D’ores et déjà, le « Zircon » et d’autres systèmes d’armes pourraient servir à verrouiller la Baltique et la mer Noire (mise en place d’une « bulle stratégique » sur ces mers et leur pourtour), l’objectif étant d’écarter les alliés occidentaux des pays riverains. Alors, ces derniers seraient à la merci d’une agression militaire russe. Le seul poing levé pourrait convaincre les récalcitrants.

Au-delà de ces mers, et peut-être du bassin Levantin (Méditerranée orientale), les « mesures militaro-techniques » brandies par Moscou, dans le cas d’un refus des projets de traité, pourraient consister en un déploiement en nombre de « Zircon » et d’autres engins de mort (missiles balistiques de portée intermédiaire « Iskander » et missiles de croisière « Kalibr »), et ce à l’échelle du théâtre européen. Ainsi placée sous la menace d’une première frappe désarmante, avec un temps de réaction de quelques minutes (insuffisant pour disperser les cibles), l’Europe serait prise en otage.

Certes, la France et le Royaume-Uni, a fortiori les États-Unis, conserveraient leur capacité de frappe en second, mais ces puissances occidentales, possiblement épargnées par cette première frappe, non nucléaire de surcroît, porteraient alors la responsabilité de l’escalade nucléaire. Gageons qu’il ne manquerait pas dans ces pays de politiques et de publicistes pour poser la question fatidique : « Mourir pour Dantzig ? » et plaider qui le « grand retranchement », qui la cause d’une « grande Europe, de Lisbonne à Vladivostok ».

Le retour du même

À l’évidence, un tel scénario n’est pas sans rappeler la configuration géostratégique générée par le déploiement par les Soviétiques des missiles SS-20 (1977), une arme jugée alors déstabilisante du fait de sa précision. L’objectif de ces armes de théâtre, ensuite baptisées « forces nucléaires intermédiaires », était de provoquer de prendre en otage l’Europe occidentale et de provoquer un découplage géostratégique entre les deux rives de l’Atlantique Nord.

S’ensuivit la « bataille des euromissiles », l’OTAN exigeant le retrait des SS-20 et, à défaut, menaçant de déployer des missiles encore plus précis et véloces (missiles balistiques Pershing-II et missiles de croisière Tomahawk). Le réarmement intellectuel et moral de l’Occident produisant ses effets sur le système soviétique, préalablement épuisé par les maux inhérents à l’économie planifiée et l’hyperextension stratégique induite par l’impérialisme rouge, Mikhaïl Gorbatchev fut acculé.

En 1987, Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev signèrent un traité portant sur le retrait de toutes les forces nucléaires intermédiaires, d’une portée de 500 à 5 500 kilomètres. Peu après, l’armée soviétique devrait évacuer l’Afghanistan puis, après la chute du mur de Berlin, la réunification de l’Allemagne et la « révolution de velours », mettre à bas les régimes communistes d’Europe médiane : l’URSS implosait (1991).

Mutatis mutandis, la situation actuelle semble mener à une nouvelle bataille des euromissiles, si tant est que les Occidentaux se montrent unis et déterminés à résister aux ambitions de Vladimir Poutine et, il faut en convenir, d’une partie des Russes qui semblent considérer la fin de la précédente guerre froide comme une simple trêve, nécessaire pour reconstituer le potentiel russe de puissance et de nuisance. Une différence de taille sur le plan technico-stratégique : les spécificités et capacités du « Zircon », précis et hypervéloce, sont sans commune mesure avec le SS-20. Le scénario d’une frappe chirurgicale est donc plus réaliste.

En guise de conclusion : se préparer au pire

Précisons enfin que ce scénario tient de l’hypothèse. L’exercice consiste à comprendre ce que Vladimir Poutine et les siens concoctent, à anticiper ce que signifierait de nouvelles mesures « militaro-techniques », à baliser le champ des possibles.

Une certitude toutefois : le discours géopolitique révisionniste du Kremlin et le positionnement de la Russie comme « État perturbateur » est difficilement conciliable avec la vision classique de la dissuasion et du nucléaire comme arme de statu quo. Quitte à se répéter, il nous faut donc envisager le pire et s’y préparer, politiquement, intellectuellement et moralement.

Voir encore:

Mouvements de troupes en Ukraine : « Tous les préparatifs pour la guerre sont là », estime une historienne spécialiste de la Russie

D’après le ministère biélorusse de la Défense, la Russie va déployer des troupes en février pour des exercices de préparation au combat.

Franceinfo

Alors que de nouvelles manoeuvres militaires russes vont débuter en Biélorussie, au nord de l’Ukraine, « tous les préparatifs pour la guerre sont là », estime mardi 18 janvier sur franceinfo Galia Ackerman, historienne et journaliste, spécialiste de la Russie et de l’espace post-soviétique. « Nous sommes à un stade où la Russie peut lancer à tout moment une attaque en Ukraine », a estimé la porte-parole de la Maison Blanche, en parlant d’une « situation extrêmement dangereuse ».

franceinfo : La menace d’une attaque russe sur l’Ukraine est-elle réelle ?

Galia Ackerman : Si vous écoutez les médias russes, ce que disent les officiels russes, y compris le président Poutine, cela semble tout à fait plausible. Je ne dit pas qu’il y aura une guerre. Mais tous les préparatifs pour la guerre sont là : il y a une concentration de troupes, il y a un discours extrêmement agressifs et des ultimatums qui ne peuvent pas être satisfaits car totalement irréalistes. On a l’impression qu’ils ne sont qu’un prétexte pour envahir l’Ukraine.

Pourquoi la Russie voudrait-elle envahir l’Ukraine ?

Parce qu’il y a une haine de l’Ukraine depuis plusieurs années. Cette haine a très fortement augmenté à la suite de la révolution ukrainienne : je rappelle qu’à ce jour, on parle non pas de Maïdan, non pas d’une révolution populaire mais d’un coup d’Etat, on parle de nazis au pouvoir, on exige que les accords de Minsk soient réalisés à 100% mais surtout dans l’interprétation de Moscou et il est tout à fait clair que la Russie ne veut pas tolérer que son proche étranger prenne une orientation qui ne lui plaît pas, celle de sortir totalement de la sphère d’influence russe.

Ça veut dire que l’Ukraine devient une sorte de pion aujourd’hui, de pays qui sert d’affrontement entre l’OTAN et les Etats-Unis d’un côté et Moscou de l’autre ?

C’est l’explication russe. Ils disent tout le temps que l’Ukraine en soi n’a aucune importance, que c’est un terrain que l’OTAN, les Etats-Unis, l’Union européenne, utilisent pour rapprocher les équipements militaires dirigés contre la Russie, pour l’assaut du pays. C’est totalement faux. 73 experts allemands de la russie ont publié une lettre dans le journal allemand « Die Zeit », ils disent que tout ce que la Russie dit sur sa sécurité menacée est faux : la Russie a 3e armée au monde, qu’elle est un pays nucléarisé qui a plus de nucléaire que les Etats-Uni, la France et la Grande Bretagne réunis. Personne ne peut menacer la Russie, mais elle prend une pose de personne offensée et demande à ce que ses exigeances soient satisfaites : c’est à dire non pas seulement la démilitarisation de l’Ukraine, mais la démilitarisation de toute l’Europe de l’est.

Voir enfin:

Desk Russie publie la lettre ouverte de 73 spécialistes allemands de l’Europe orientale et de la sécurité internationale, diffusée par Zeit Online le 14 janvier 2022. Des universitaires de renom s’adressent au gouvernement et aux partis politiques. Mettant en évidence une politique russe destructrice et agressive, ce document important pourrait enfin inciter le gouvernement et les milieux d’affaires allemands à réévaluer la menace que le Kremlin représente pour l’ensemble du monde occidental.
Desk Russie

Des concentrations massives et menaçantes de troupes russes aux frontières orientale et méridionale de l’Ukraine, d’intenses opérations de propagande anti-occidentale qui ne reculent devant aucun mensonge, ainsi que des exigences clairement inacceptables pour l’OTAN et ses États membres : aujourd’hui, la Russie remet fondamentalement en question le système de sécurité qui est en vigueur en Europe depuis la fin de la guerre froide. En même temps, la propagande russe présente la Russie comme un État menacé qui a besoin de toute urgence de « garanties de sécurité » de la part de l’Occident. Le Kremlin défigure délibérément le concept de garanties de sécurité. La nécessité de telles garanties a été débattue depuis la négociation du traité de non-prolifération nucléaire en 1968, mais elles concernent en premier lieu la protection des États non dotés d’armes nucléaires.

Il y a actuellement plus d’ogives nucléaires stockées en Russie que dans l’ensemble des trois États membres de l’OTAN dotés d’armes nucléaires : les États-Unis, le Royaume-Uni et la France. Moscou dispose d’un large éventail de vecteurs pour ses milliers d’armes nucléaires : des missiles balistiques intercontinentaux aux bombardiers de longue portée en passant par les sous-marins nucléaires. La Russie possède l’une des trois armées conventionnelles les plus puissantes du monde, ainsi qu’un droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU. La Fédération de Russie est donc l’un des États les plus protégés du monde sur le plan militaire.

Le Kremlin utilise des troupes régulières et irrégulières, ainsi que le potentiel de sa menace nucléaire, pour mener diverses guerres et occuper de manière permanente plusieurs territoires dans les anciennes Républiques soviétiques. Non seulement en Europe orientale, mais aussi en Europe occidentale et sur d’autres continents, le Kremlin revendique sans complexe des droits spéciaux pour faire valoir ses intérêts sur le territoire d’États souverains. Contournant les règles, les traités et les organisations internationales, Moscou chasse des ennemis dans le monde entier. Le Kremlin tente de saper les processus électoraux, l’État de droit et la cohésion sociale dans des pays étrangers par des campagnes de propagande, des fake news et des attaques de pirates informatiques, entre autres. Ces agissements sont réalisés en partie en secret, mais dans le but évident d’entraver ou de discréditer la prise de décision démocratique dans les États pluralistes. Il s’agit en particulier de porter atteinte à l’intégrité politique et territoriale des États post-soviétiques en voie de démocratisation.

En tant que première puissance économique d’Europe, l’Allemagne observe ces activités d’un œil critique, mais reste largement passive, depuis maintenant trois décennies. En Moldavie, la revanche impériale de Moscou a commencé dès 1992, immédiatement après l’effondrement de l’URSS, avec une intervention de la 14e armée russe. Un groupe opérationnel de troupes russes se trouve encore officiellement en Transnistrie aujourd’hui, malgré les demandes répétées des gouvernements moldaves successifs, démocratiquement élus, de les voir retirer, et malgré les promesses correspondantes du Kremlin. La République fédérale n’a réagi de manière adéquate ni à cet événement ni aux nombreuses aventures revanchistes de la Russie dans l’espace post-soviétique et au-delà.

En outre, la politique étrangère et la politique économique de Berlin ont contribué à l’affaiblissement politique et économique des pays d’Europe orientale non dotés d’armes nucléaires et au renforcement géo-économique d’une superpuissance nucléaire de plus en plus expansive. En 2008, l’Allemagne a joué un rôle central pour empêcher la Géorgie et l’Ukraine de rejoindre l’OTAN. D’un autre côté, en 2019, le gouvernement allemand s’est efforcé de faire réadmettre la délégation russe à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, alors que Moscou n’avait rempli, ni ne remplit aujourd’hui, aucune des conditions pour ce geste hautement symbolique.

Pour les relations ukraino-russes déjà fragiles, la mise en service du premier gazoduc Nord Stream en 2011-2012, totalement superflu en termes énergétiques et économiques, a été une catastrophe. Rétrospectivement, cela semble avoir ouvert la voie à l’invasion de l’Ukraine par la Russie deux ans plus tard. Une grande partie de la capacité existante de transport de gaz entre la Sibérie et l’UE n’a pas été utilisée en 2021. Pourtant, la République fédérale se prépare maintenant à éliminer complètement le dernier levier économique de l’Ukraine sur la Russie avec l’ouverture du gazoduc Nord Stream 2.

Les sanctions économiques de l’UE contre Moscou depuis 2014, trop légères, ne constituent pas une réponse suffisante au parcours de plus en plus agressif du Kremlin. Dans le contexte de la poursuite des relations spéciales germano-russes, la coopération allemande en matière de développement, de culture et d’éducation avec l’Ukraine, la Géorgie ou la Moldavie apparaît comme le simple achat d’indulgences par la politique orientale allemande. Cela n’excuse en rien les faux pas graves de la politique allemande à l’égard de la Russie, comme l’invitation faite à Poutine de s’exprimer devant le Bundestag en 2001 ou le partenariat pour la modernisation à partir de 2008. De telles mesures allemandes, alors que des troupes russes, indésirables, restent en Moldavie et en Géorgie, ont été perçues comme une confirmation des droits spéciaux de Moscou dans l’espace post-soviétique.

L’attaque de Poutine contre l’Ukraine en 2014 apparaît comme une conséquence presque logique de la passivité politique allemande des vingt années précédentes vis-à-vis du néo-impérialisme russe. La formule allemande bien connue d’« Annäherung durch Verflechtung » [la convergence par l’interconnexion], à savoir l’approche coopérative de Berlin envers Moscou, a ainsi acquis une signification tragi-comique. Elle signifie désormais plutôt le rapprochement de la sphère d’influence de la Russie aux frontières orientales de l’UE.

Le Kremlin remet désormais aussi en question la souveraineté politique de pays comme la Suède et la Finlande. Il demande l’interdiction d’une éventuelle adhésion à l’OTAN non seulement pour les pays post-soviétiques mais aussi pour les pays scandinaves. Le Kremlin fait peur à toute l’Europe en lui promettant des réactions « militaro-techniques » au cas où l’OTAN ne répondrait pas « immédiatement », selon Poutine, aux exigences démesurées de la Russie visant à réviser l’ordre de sécurité européen. La Russie brandit la menace d’une escalade militaire si elle n’obtient pas de « garanties de sécurité », c’est-à-dire l’autorisation pour le Kremlin de suspendre le droit international en Europe.

Face à de telles distorsions, l’Allemagne devrait enfin abandonner sa politique orientale spéciale, perçue comme singulière en Europe centrale et orientale, mais pas seulement. Les crimes perpétrés par l’Allemagne nazie sur le territoire de l’actuelle Russie en 1941-1944 ne peuvent justifier l’attitude réservée de l’Allemagne d’aujourd’hui face au revanchisme et au nihilisme juridique international du Kremlin. Cela est particulièrement vrai lorsque, comme dans le cas de l’Ukraine, il s’agit d’une invasion russe du territoire d’une autre nation victime de l’ancien expansionnisme allemand. La violation continue et manifeste par la Russie des principes fondamentaux de l’ONU, de l’OSCE et du Conseil de l’Europe, pourtant officiellement acceptés par Moscou, en Europe orientale et maintenant aussi en Europe du Nord, ne doit pas être tolérée.

La politique russe de l’Allemagne fédérale doit être totalement changée. De nouvelles réactions purement verbales ou symboliques de Berlin aux aventures révisionnistes russes ne feront, comme par le passé, qu’inciter le Kremlin à de nouvelles aventures. L’Allemagne porte une responsabilité particulière en tant que pays clé de l’UE, de l’OTAN et de la communauté occidentale dans son ensemble.

Dans l’intérêt de la sécurité internationale, de l’intégration européenne et des normes communes, Berlin doit enfin combler le fossé entre sa rhétorique publique et son action réelle en Europe orientale. Cela devrait se traduire par une série de mesures parallèles et concrètes de nature politique, juridique, diplomatique, civique, sociétale, technique et économique. L’Allemagne est un partenaire majeur de la Russie et des États du Partenariat oriental de l’UE en matière de commerce, de recherche et d’investissement, ainsi qu’une puissance de premier plan de l’Union européenne. Elle est beaucoup plus en mesure de faire avancer les choses que la plupart des autres pays occidentaux. C’est vrai tant pour ce qui est de contenir et de sanctionner la Russie que pour ce qui est de soutenir les États démembrés et harcelés par Moscou. Berlin doit faire en sorte que ses bonnes paroles soient suivies d’actions plus nombreuses et plus efficaces que celles entreprises à ce jour.

    • Hannes Adomeit, chercheur à l’Institut de politique de sécurité de l’Université de Kiel (ISPK).
    • Dr. Vera Ammer, membre du conseil d’administration de Memorial International et de l’Initiative pour une Ukraine démocratique, Euskirchen.
    • Oesten Baller, juriste, professeur et président de l’ONG German-Ukrainian School of Governance, Berlin.
    • Volker Beck, député de 1994 à 2017, maître de conférences associé au Centre d’études religieuses (CERES) de l’université de Bochum.
    • Carl Bethke, chercheur à la chaire d’histoire de l’Europe de l’Est et du Sud-Est, Université de Leipzig.
    • Florian Bieber, professeur et directeur du Centre d’études de l’Europe du Sud-Est, Université de Graz.
    • Katrin Boeckh, professeur et chercheur à l’Institut Leibniz d’études de l’Europe de l’Est et du Sud-Est (IOS), Regensburg.
    • Falk Bomsdorf, juriste, chef du bureau de Moscou de la Fondation Friedrich Naumann de 1993 à 2009, Munich.
    • Karsten Brüggemann, professeur d’histoire générale et d’histoire estonienne, Université de Tallinn, Estonie.
    • Dr. Martin Dietze, publiciste et premier président de l’Association culturelle germano-ukrainienne, Hambourg
    • Dr. Jörg Forbrig, directeur pour l’Europe centrale et orientale, German Marshall Fund of the United States, Berlin
    • Dr. Annette Freyberg-Inan, Professeur de théorie des relations internationales, Université d’Amsterdam
    • Angelos Giannakopoulos, professeur associé DAAD d’études allemandes et européennes, Académie Kyiv-Mohyla, Ukraine.
    • Dr. Anke Giesen, membre des conseils d’administration de Memorial International et de Memorial Deutschland, Berlin
    • Witold Gnauck, historien, directeur général de la Fondation scientifique germano-polonaise, Francfort (Oder)
    • Gustav C. Gressel, Senior Policy Fellow au Wider Europe Program, Conseil européen des relations étrangères, Berlin
    • Irene Hahn-Fuhr, politologue, membre du conseil d’administration du Centre pour la modernité libérale (LibMod), Berlin
    • Ralph Hälbig, spécialiste des sciences culturelles, journaliste indépendant pour ARTE et MDR, et opérateur du site Internet “Géorgie et Caucase du Sud”, Leipzig.
    • Aage Ansgar Hansen-Löve, jusqu’en 2013, professeur de philologie slave à l’université Ludwig-Maximilian de Munich.
    • Rebecca Harms, députée européenne en 2004-2019, ancienne présidente de la délégation de l’UE à l’Assemblée parlementaire EURO-NEST, Wendland
    • Ralf Haska, pasteur étranger de l’Église luthérienne allemande (EKD) à Kiev 2009-2015, Marktleuthen
    • Guido Hausmann, professeur et directeur du département d’histoire de l’Institut Leibniz de recherche sur l’Europe de l’Est et du Sud-Est (IOS), Regensburg.
    • Jakob Hauter, politologue, doctorant à la School of Slavonic and East European Studies (SSEES), University College London
    • Dr. Richard Herzinger, publiciste indépendant, auteur de livres et opérateur du site web “hold these truths”, Berlin
    • Maren Hofius, chargée de recherche au département des sciences sociales de l’université de Hambourg.
    • Mieste Hotopp-Riecke, directrice de l’Institut d’études caucasiennes, tatares et turques (ICATAT), Magdebourg.
    • Hubertus F. Jahn, professeur d’histoire de la Russie et du Caucase, Université de Cambridge, Angleterre.
    • Dr. Kerstin Susanne Jobst, professeur d’histoire de l’Europe de l’Est, Université de Vienne
    • Markus Kaiser, spécialiste des sciences sociales, président de l’Université germano-kazakh (DKU) d’Almaty de 2015 à 2018, Constance, Allemagne.
    • Dr. Christian Kaunert, professeur de sécurité internationale et titulaire de la chaire Jean Monnet, Dublin City University, Irlande
    • Dr. Sarah Kirchberger, Chef de département à l’Institut de politique de sécurité de l’Université de Kiel (ISPK)
    • Nikolai Klimeniouk, journaliste et responsable du programme Initiative Quorum à l’ONG European Exchange, Berlin
    • Gerald Knaus, lauréat du prix Karl Carstens de l’Académie fédérale de politique de sécurité (BAKS) et président de l’Initiative européenne pour la stabilité, Berlin
    • Gerd Koenen, historien, publiciste et auteur de livres dont “The Russia Complex : The Germans and the East 1900-1945”, Francfort (Main)
    • Peter Koller, directeur général de la Bahnagentur Schöneberg et auteur de livres tels que “Ukraine : Handbook for Individual Discoveries”, Berlin.
    • Joachim Krause, professeur et directeur de l’Institut de politique de sécurité de l’université de Kiel (ISPK)
    • Cornelius Ochmann, politologue, directeur général de la Fondation pour la coopération germano-polonaise, Varsovie/Berlin
    • Dr. Otto Luchterhandt, ancien professeur de droit public et de droit de l’Europe de l’Est, Université de Hambourg
    • Carlo Masala, professeur de politique internationale à l’université des forces armées fédérales de Munich.
    • Markus Meckel, ministre des Affaires étrangères de la RDA en 1990, député de 1990 à 2009, et président du Conseil allemand de la Fondation pour la coopération germano-polonaise, Berlin
    • Johanna Möhring, chargée de recherche à la chaire Henry Kissinger pour la sécurité et les études stratégiques, Université de Bonn
    • Michael Moser, professeur de linguistique slave et de philologie textuelle, Université de Vienne
    • Andrej Novak, politologue, cofondateur de l’Alliance pour une Russie démocratique et libre ainsi que de “Russia Uncensored Deutsch”, Nuremberg.
    • Barbara von Ow-Freytag, politologue, membre du conseil d’administration du Centre de la société civile de Prague.
    • Susanne Pocai, historienne, auteur de livres et membre du personnel de la faculté des sciences de la vie de l’université Humboldt de Berlin.
    • Ruprecht Polenz, député de 1994 à 2013, depuis 2013 président de l’Association allemande pour les études est-européennes (DGO), Münster
    • Detlev Preusse, politologue, auteur de livres et ancien chef du programme de soutien aux étrangers de la Fondation Konrad Adenauer, Hambourg.
    • Manfred Quiring, auteur de livres et ancien correspondant en Russie du “Berliner Zeitung”, “Die Welt” et “Zürcher Sonntagszeitung”, Hohen Neuendorf.
    • Waleria Radziejowska-Hahn, membre du conseil consultatif et ancienne directrice générale du Forum Lew Kopelew, Cologne
    • Dr. Oliver Reisner, professeur d’études européennes et caucasiennes, Ilia State University, Tbilissi, Géorgie
    • Felix Riefer, politologue, auteur de livres et membre du conseil consultatif du Forum Lew Kopelew, Bonn.
    • Christina Riek, traductrice-interprète, coordinatrice du projet et membre du conseil d’administration de Memorial Deutschland, Berlin.
    • Stefan Rohdewald, professeur d’histoire de l’Europe de l’Est et du Sud-Est, Université de Leipzig.
    • Grzegorz Rossoliński-Liebe, chercheur au département d’histoire et d’études culturelles de l’Université libre de Berlin.
    • Sebastian Schäffer, politologue, auteur de livres et directeur général de l’Institut pour la région du Danube et l’Europe centrale (IDM), Vienne.
    • Stefanie Schiffer, directrice générale de l’ONG European Exchange et présidente de la Plate-forme européenne pour les élections démocratiques (EPDE), Berlin.
    • Frank Schimmelfennig, professeur de politique européenne, École polytechnique fédérale de Zurich (ETH), Zurich
    • Karl Schlögel, jusqu’en 2013, professeur d’histoire de l’Europe de l’Est, Université européenne Viadrina, Francfort (Oder).
    • Winfried Schneider-Deters, économiste, auteur de livres, et chef du bureau de Kiev de la Fondation Friedrich Ebert en 1995-2000, Heidelberg
    • Werner Schulz, député en 1990-2005, député européen en 2009-2014, ancien vice-président de la commission parlementaire de coopération UE-Russie, Kuhz
    • Dr. Gerhard Simon, ancien professeur au département d’histoire de l’Europe de l’Est, Université de Cologne
    • Susanne Spahn, historienne de l’Europe de l’Est, publiciste et chercheuse associée au Vilnius Institute of Policy Analysis (VIPA), Berlin.
    • Kai Struve, professeur associé et chercheur à l’Institut d’histoire de l’université de Halle-Wittenberg.
    • Ernst-Jörg von Studnitz, ambassadeur de la République fédérale d’Allemagne auprès de la Fédération de Russie de 1995 à 2002, Königswinter.
    • Sergej Sumlenny, politologue, auteur de livres et chef du bureau de Kiev de la Fondation Heinrich Böll de 2015 à 2021, Berlin.
    • Dr. Maximilian Terhalle, lieutenant-colonel (res.), professeur invité à LSE IDEAS, London School of Economics and Political Science.
    • Dr. Stefan Troebst, jusqu’en 2021, professeur d’histoire culturelle de l’Europe de l’Est, Université de Leipzig
    • Frank Umbach, chef de la recherche au Pôle européen pour le climat, l’énergie et la sécurité des ressources (EUCERS), Université de Bonn.
    • Dr. Andreas Umland (initiateur/rédacteur), analyste au Stockholm Centre for Eastern European Studies, Institut suédois des affaires internationales (UI)
    • Elisabeth Weber, spécialiste de la littérature et du théâtre, membre du conseil consultatif du Forum Lew Kopelew, Cologne.
    • Anna Veronika Wendland, chargée de recherche à l’Institut Herder de recherche historique sur l’Europe centrale et orientale, Marbourg.
    • Alexander Wöll, professeur de culture et de littérature d’Europe centrale et orientale, Université de Potsdam.
    • Susann Worschech, chargée de recherche à l’Institut d’études européennes, Université européenne Viadrina, Francfort (Oder).

Voir par ailleurs:

L’élargissement de l’OTAN et la Russie: mythes et réalités
Michael Rühle
NATO Review

01 juillet 2014

Dans le discours qu’il a prononcé devant le Parlement russe, le 18 avril 2014, et dans lequel il justifiait l’annexion de la Crimée, le président Poutine a insisté sur l’humiliation subie par la Russie du fait des nombreuses promesses non tenues par l’Ouest, et notamment la prétendue promesse de ne pas élargir l’OTAN au-delà des frontières d’une Allemagne réunifiée. Poutine touchait là, chez ses auditeurs, une corde sensible. Pendant plus de 20 ans, le récit de la prétendue « promesse non tenue » de ne pas élargir l’OTAN vers l’est a fait partie intégrante de l’identité post-soviétique. Il n’est guère surprenant, par conséquent, que ce récit ait refait surface dans le contexte de la crise ukrainienne. S’appesantir sur le passé demeure le moyen le plus commode pour nous distraire du présent.
Mais, y a-t-il quelque vérité dans ces affirmations? Au cours des dernières années, d’innombrables documents et autres matériaux d’archives ont été rendus publics, permettant aux historiens d’aller au-delà des interviews ou des autobiographies des dirigeants politiques qui étaient au pouvoir lors des évènements décisifs qui se sont produits entre la chute du mur de Berlin, en novembre 1989, et l’acceptation par les soviétiques, en juillet 1990, d’une appartenance à l’OTAN de l’Allemagne réunifiée. Pourtant, même ces nouvelles sources ne modifient pas la conclusion fondamentale: il n’y a jamais eu, de la part de l’Ouest, d’engagement politique ou juridiquement contraignant de ne pas élargir l’OTAN au-delà des frontières d’une Allemagne réunifiée. Qu’un tel mythe puisse néanmoins apparaître ne devrait toutefois pas surprendre. La rapidité des changements politiques à la fin de la guerre froide a produit une forte dose de confusion. Ce fut une époque propice à l’émergence des légendes.

Le mythe de la « promesse non tenue » tire ses origines de la situation politique sans précédent dans laquelle se sont trouvés en 1990 les acteurs politiques clés, et qui a façonné leurs idées sur le futur ordre européen. Les politiques de réforme entreprises par l’ancien dirigeant de l’URSS, Mikhaïl Gorbatchev, avaient depuis longtemps échappé à tout contrôle, les États baltes réclamaient leur indépendance, et des signes de bouleversements commençaient à apparaître dans les pays d’Europe centrale et orientale. Le mur de Berlin était tombé; l’Allemagne avait entamé son chemin vers la réunification. Toutefois, l’Union soviétique existait encore, tout comme le Pacte de Varsovie, dont les pays membres d’Europe centrale et orientale n’évoquaient pas une adhésion à l’OTAN, mais plutôt la « dissolution des deux blocs ».
Ainsi, le débat autour de l’élargissement de l’OTAN s’est déroulé exclusivement dans le contexte de la réunification allemande. Au cours de ces négociations, Bonn et Washington ont réussi à assouplir les réserves soviétiques quant au maintien dans l’OTAN d’une Allemagne réunifiée. Une aide financière généreuse et la conclusion du Traité « 2+4 » excluant le stationnement de forces OTAN étrangères sur le territoire de l’ex-Allemagne de l’Est ont contribué à ce résultat. Cette réussite a toutefois été, aussi, le résultat d’innombrables conversations personnelles au cours desquelles Gorbatchev et d’autres dirigeants soviétiques ont été assurés que l’Ouest ne profiterait pas de la faiblesse de l’Union soviétique et de sa volonté de retirer ses forces armées d’Europe centrale et orientale.

Ce sont peut-être ces conversations qui ont pu donner à certains politiciens soviétiques l’impression que l’élargissement de l’OTAN, dont le premier acte fut l’admission de la République tchèque, la Hongrie et la Pologne en 1999, avait constitué un manquement à ces engagements occidentaux. Certaines déclarations d’hommes politiques occidentaux – et en particulier du ministre allemand des Affaires étrangères, Hans Dietrich Genscher, et de son homologue américain, James A. Baker – peuvent en fait être interprétées comme un rejet général de tout élargissement de l’OTAN au-delà de l’Allemagne de l’Est. Toutefois, ces déclarations ont été faites dans le contexte des négociations sur la réunification allemande, et leurs interlocuteurs soviétiques n’ont jamais exprimé clairement leurs préoccupations. Au cours des négociations décisives à « 2+4 », qui ont finalement conduit Gorbatchev à accepter, en juillet 1990, que l’Allemagne réunifiée demeure au sein de l’OTAN, la question n’a jamais été soulevée. L’ancien ministre soviétique des affaires étrangères, Édouard Chevardnadze, devait déclarer plus tard que les protagonistes de cette époque ne pouvaient même pas imaginer une dissolution de l’Union soviétique et du Pacte de Varsovie et l’admission au sein de l’OTAN des anciens membres de ce Pacte.

Mais, même si l’on devait supposer que Genscher et d’autres auraient en effet cherché à prévenir un futur élargissement de l’OTAN afin de respecter les intérêts de sécurité de l’URSS, ils n’auraient jamais pu le faire. La dissolution du Pacte de Varsovie et la fin de l’Union soviétique, en 1991, ont ensuite créé une situation complètement nouvelle, puisque les pays d’Europe centrale et orientale se trouvaient finalement en mesure d’affirmer leur souveraineté et de définir leurs propres objectifs de politique étrangère et de sécurité. Ces objectifs étant centrés sur l’intégration à l’Ouest, tout refus catégorique de l’OTAN aurait signifié une continuation de facto de la division de l’Europe suivant les lignes établies précédemment au cours de la guerre froide. Le droit de choisir sa propre alliance, garanti par la Charte d’Helsinki de 1975, en aurait été nié – une approche que l’Ouest n’aurait jamais pu soutenir, ni politiquement, ni moralement.

Le casse-tête de l’élargissement de l’OTAN

L’absence d’une promesse de ne pas élargir l’OTAN signifie-t-elle que l’Ouest n’a jamais eu aucune obligation vis-à-vis de la Russie? La politique d’élargissement des institutions occidentales s’est-elle poursuivie sans aucune prise en compte des intérêts de la Russie? Ici encore, les faits racontent une autre histoire. Ils démontrent aussi, toutefois, que les deux objectifs parallèles – admission des pays d’Europe centrale et orientale au sein de l’OTAN et développement d’un « partenariat stratégique » avec la Russie – étaient beaucoup moins compatibles en pratique qu’en théorie.

Lorsque le débat sur l’élargissement de l’OTAN a débuté sérieusement, vers 1993, sous la pression croissante des pays d’Europe centrale et orientale, il s’est accompagné de sérieuses controverses. Dans les milieux universitaires, en particulier, certains observateurs ont exprimé leur opposition à l’admission de nouveaux membres au sein de l’OTAN, car elle aurait inévitablement pour effet de contrarier la Russie et pourrait compromettre les résultats positifs ayant suivi la fin de la guerre froide. En fait, dès le début du processus d’élargissement de l’OTAN entamé après la fin de la guerre froide, le souci premier des occidentaux a été de trouver les moyens de concilier ce processus et les intérêts de la Russie. C’est pourquoi l’OTAN a rapidement cherché à créer un contexte de coopération propice à l’élargissement et à développer, dans le même temps, des relations spéciales avec la Russie. En 1994, le programme de « Partenariat pour la paix » a instauré une coopération militaire avec pratiquement tous les pays de la zone euro-atlantique. En 1997, l’Acte fondateur OTAN-Russie créait le Conseil conjoint permanent, un cadre spécialement consacré à la consultation et à la coopération. L’année 2002, au cours de laquelle les Alliés ont préparé la nouvelle grande phase d’élargissement, a été aussi celle de la création du Conseil OTAN-Russie, donnant à cette relation une focalisation et une structure renforcées. Ces diverses mesures s’inscrivaient dans le cadre d’autres efforts déployés par la communauté internationale pour attribuer à la Russie la place qui lui revient, en l’admettant au sein du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale, du G7 et de l’Organisation mondiale du commerce.
La nécessité d’éviter de contrarier la Russie a également été évidente dans la manière dont l’élargissement de l’OTAN est intervenu dans le domaine militaire. En 1996, les Alliés déclaraient que, dans les circonstances actuelles, ils n’avaient « aucune intention, aucun projet et aucune raison de déployer des armes nucléaires sur le territoire de nouveaux membres ». Cette déclaration a été intégrée, en 1997, à l’Acte fondateur OTAN-Russie, ainsi que des références du même ordre à d’importantes forces de combat et à l’infrastructure. Cette approche militaire « douce » du processus d’élargissement devait envoyer à la Russie le signal suivant: le but de l’élargissement de l’OTAN n’est pas « l’encerclement » militaire de la Russie, mais l’intégration de l’Europe centrale et orientale dans un espace atlantique de sécurité. Autrement dit, la méthode était le message.

La Russie n’a jamais interprété ces faits nouveaux avec autant de bienveillance que l’espérait l’OTAN. Pour le ministre russe des Affaires étrangères, M. Primakov, la signature de l’Acte fondateur OTAN-Russie en 1997 servait simplement à « limiter les dégâts »: la Russie n’ayant aucun moyen de faire obstacle à l’élargissement de l’OTAN, elle pouvait aussi bien prendre ce que les Alliés étaient disposés à offrir, même au risque de sembler donner son acquiescement au processus d’élargissement. La contradiction fondamentale de toutes les instances OTAN-Russie – où la Russie siège et peut participer à la décision sur les questions clés mais ne peut pas exercer de véto – n’a pas pu être surmontée.
Ces faiblesses institutionnelles paraissaient dérisoires par rapport aux véritables conflits politiques. L’intervention militaire de l’OTAN dans la crise du Kosovo a été interprétée comme un coup de force géopolitique mené par un camp occidental déterminé à marginaliser la Russie et son statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies. L’approche de l’OTAN en matière de défense antimissile, bien que dirigée contre des pays tiers, a été interprétée par la Russie comme une tentative de compromettre sa capacité de seconde frappe nucléaire. Pire encore, la « Révolution orange » en Ukraine et la « Révolution des roses » en Géorgie ont porté au pouvoir des élites qui envisageaient l’avenir de leurs pays respectifs au sein de l’UE et de l’OTAN.

Dans un tel contexte, les arguments des occidentaux quant au caractère bienveillant de l’élargissement de l’OTAN n’ont jamais eu – et n’auront probablement jamais – un très grand poids. Demander à la Russie de reconnaître le caractère inoffensif de l’élargissement de l’OTAN néglige un point tout à fait essentiel: l’élargissement de l’OTAN – tout comme celui de l’Union européenne – est conçu comme un projet d’unification du continent. Il ne comporte par conséquent pas de « point final » susceptible d’une définition convaincante, que le point de vue adopté soit intellectuel ou moral. Autrement dit, et précisément parce que les processus respectifs d’élargissement des deux organisations ne sont pas conçus comme des projets antirusses, ils n’ont pas de limites et – paradoxalement – sont inévitablement perçus par la Russie comme un assaut permanent contre son statut et son influence. Tant que la Russie se dérobera à un débat honnête sur les raisons pour lesquelles un si grand nombre de ses voisins cherchent à se rapprocher de l’Ouest, cela ne changera pas – et la relation OTAN-Russie demeurera hantée par les mythes du passé au lieu de se tourner vers l’avenir.

Voir aussi:

Quand la Russie rêvait d’Europe

« L’OTAN ne s’étendra pas d’un pouce vers l’est « 

«Ils nous ont menti à plusieurs reprises, ils ont pris des décisions dans notre dos, ils nous ont mis devant le fait accompli. Cela s’est produit avec l’expansion de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord [OTAN] vers l’est, ainsi qu’avec le déploiement d’infrastructures militaires à nos frontières.» Dans son discours justifiant l’annexion de la Crimée par la Fédération de Russie, le 18 mars 2014, le président Vladimir Poutine étale sa rancœur envers les dirigeants occidentaux.

Peu après, la Revue de l’OTAN lui répond par un plaidoyer visant à démonter ce «mythe» et cette «prétendue promesse» : «Il n’y a jamais eu, de la part de l’Ouest, d’engagement politique ou juridiquement contraignant de ne pas élargir l’OTAN au-delà des frontières d’une Allemagne réunifiée», écrit M. Michael Rühle, chef de la section sécurité énergétique (1). En précisant «juridiquement contraignant», il révèle le pot aux roses. Des documents récemment déclassifiés (2) permettent de reconstituer les discussions de l’époque et de prendre la mesure des engagements politiques occidentaux envers M. Mikhaïl Gorbatchev en échange de ses initiatives pour mettre fin à la guerre froide.

Dès son arrivée à la tête de l’Union soviétique, en 1985, M. Gorbatchev encourage les pays du pacte de Varsovie à entreprendre des réformes et renonce à la menace d’un recours à la force (lire «Quand la Russie rêvait d’Europe»). Le 13 juin 1989, il signe même avec Helmut Kohl, le chancelier de la République fédérale d’Allemagne (RFA), une déclaration commune affirmant le droit des peuples et des États à l’autodétermination. Le 9 novembre, le mur de Berlin tombe. Une fois l’euphorie passée, les questions économiques deviennent pressantes dans toute l’Europe centrale. Les habitants de la République démocratique allemande (RDA) aspirent à la prospérité de l’Ouest, et un exode menace la stabilité de la région. Le débat sur les réformes économiques devient très rapidement un débat sur l’union des deux Allemagnes, puis sur l’adhésion de l’ensemble à l’OTAN. Le président français François Mitterrand accepte l’évolution, pourvu qu’elle se fasse dans le respect des frontières, de manière démocratique, pacifique, dans un cadre européen (3)… et que l’Allemagne approuve son projet d’union monétaire. Tous les dirigeants européens se disent avant tout soucieux de ménager M. Gorbatchev.

L’administration américaine soutient le chancelier allemand, qui avance à marche forcée. À Moscou, le 9 février 1990, le secrétaire d’État américain James Baker multiplie les promesses devant Édouard Chevardnadze, le ministre des affaires étrangères soviétique, et M. Gorbatchev. Ce dernier explique que l’intégration d’une Allemagne unie dans l’OTAN bouleverserait l’équilibre militaire et stratégique en Europe. Il préconise une Allemagne neutre ou participant aux deux alliances — OTAN et pacte de Varsovie —, qui deviendraient des structures plus politiques que militaires. En réponse, M. Baker agite l’épouvantail d’une Allemagne livrée à elle-même et capable de se doter de l’arme atomique, tout en affirmant que les discussions entre les deux Allemagnes et les quatre forces d’occupation (États-Unis, Royaume-Uni, France et URSS) doivent garantir que l’OTAN n’ira pas plus loin : «La juridiction militaire actuelle de l’OTAN ne s’étendra pas d’un pouce vers l’est», affirme-t-il à trois reprises.

«En supposant que l’unification ait lieu, que préférez-vous?, interroge le secrétaire d’État. Une Allemagne unie en dehors de l’OTAN, absolument indépendante et sans troupes américaines? Ou une Allemagne unie gardant ses liens avec l’OTAN, mais avec la garantie que les institutions ou les troupes de l’OTAN ne s’étendront pas à l’est de la frontière actuelle?» «Notre direction a l’intention de discuter de toutes ces questions en profondeur, lui répond M. Gorbatchev. Il va sans dire qu’un élargissement de la zone OTAN n’est pas acceptable.» «Nous sommes d’accord avec cela», conclut M. Baker.

Le lendemain, 10 février 1990, c’est au tour de Kohl de venir à Moscou pour rassurer M. Gorbatchev : «Nous pensons que l’OTAN ne devrait pas élargir sa portée, assure le chancelier d’Allemagne occidentale. Nous devons trouver une résolution raisonnable. Je comprends bien les intérêts de l’Union soviétique en matière de sécurité.» M. Gorbatchev lui répond : «C’est une question sérieuse. Il ne devrait y avoir aucune divergence en matière militaire. Ils disent que l’OTAN va s’effondrer sans la RFA. Mais, sans la RDA, ce serait aussi la fin du pacte de Varsovie…»

Face au réalisateur américain Oliver Stone, en juillet 2015, M. Poutine esquisse un rictus en évoquant cet épisode majeur de l’histoire des relations internationales : «Rien n’avait été couché sur le papier. Ce fut une erreur de Gorbatchev. En politique, tout doit être écrit, même si une garantie sur papier est aussi souvent violée. Gorbatchev a seulement discuté avec eux et a considéré que cette parole était suffisante. Mais les choses ne se passent pas comme cela (4)

L’histoire galope. Tous les régimes d’Europe centrale sont tombés. Les seuls gages solides qui restent à l’URSS dans les négociations sont les accords de Potsdam d’août 1945 et la présence de 350 000 soldats soviétiques sur le sol allemand. M. Baker se rend à nouveau à Moscou le 18 mai 1990 pour démontrer à M. Gorbatchev que ses positions sont prises en compte : «L’OTAN va évoluer pour devenir davantage une organisation politique. (…) Nous nous efforçons, dans divers forums, de transformer la CSCE [Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, future OSCE] en une institution permanente qui deviendrait une pierre angulaire d’une nouvelle Europe.» M. Gorbatchev le prend au mot : «Vous dites que l’OTAN n’est pas dirigée contre nous, qu’il s’agit seulement d’une structure de sécurité qui s’adapte à la nouvelle réalité. Nous allons donc proposer de la rejoindre.»

Mitterrand rencontre M. Gorbatchev le 25 mai 1990 à Moscou et lui déclare : «Je tiens à vous rappeler que je suis personnellement favorable au démantèlement progressif des blocs militaires.» Il ajoute : «Je l’ai toujours dit : la sécurité européenne est impossible sans l’URSS. Non parce que l’URSS serait un adversaire doté d’une armée puissante, mais parce que c’est notre partenaire.» Le président français écrit dans la foulée à son homologue américain que l’hostilité de M. Gorbatchev à la présence de l’Allemagne unifiée dans l’OTAN ne lui paraît «ni feinte ni tactique», en précisant que le dirigeant soviétique «n’a plus guère de marge de manœuvre».

Malgré la dégradation économique, M. Gorbatchev raffermit son pouvoir. Ayant été élu président de l’URSS en mars, il écarte les conservateurs lors du Congrès du Parti communiste de l’Union soviétique qui se tient début juillet. Le dernier acte politique se joue le 16 juillet, dans le village montagnard d’Arhiz, dans le nord du Caucase. En échange du retrait des troupes soviétiques de la future Allemagne unie et membre de l’OTAN, Kohl s’engage devant M. Gorbatchev à accepter les frontières de 1945 (ligne Oder-Neisse), à n’avoir aucune revendication territoriale, à diminuer presque de moitié les effectifs de la Bundeswehr, à renoncer à toute arme ABC (atomique, bactériologique ou chimique) et à verser une substantielle «aide au départ».

L’accord est scellé dans le traité sur la réunification de l’Allemagne signé le 12 septembre 1990 à Moscou. Mais ce texte n’aborde la question de l’extension de l’OTAN qu’à propos du territoire de l’ancienne RDA après le retrait des troupes soviétiques : «Des forces armées et des armes nucléaires ou des vecteurs d’armes nucléaires étrangers ne seront pas stationnés dans cette partie de l’Allemagne et n’y seront pas déployés (5). » À la dernière minute, les Soviétiques renâclent. Pour obtenir leur signature, les Allemands ajoutent un avenant précisant que «toutes les questions concernant l’application du mot “déployés” (…) seront tranchées par le gouvernement de l’Allemagne unie d’une manière raisonnable et responsable prenant en compte les intérêts de sécurité de chaque partie contractante.» Aucun texte ne fixe le sort des autres pays du pacte de Varsovie.

Début 1991, les premières demandes d’adhésion à l’OTAN arrivent de Hongrie, de Tchécoslovaquie, de Pologne et de Roumanie. Une délégation du Parlement russe rencontre le secrétaire général de l’OTAN. Manfred Wörner lui affirme que treize membres du conseil de l’OTAN sur seize se prononcent contre un élargissement, et ajoute : «Nous ne devrions pas permettre l’isolement de l’URSS.»

Ancien conseiller de M. Gorbatchev, M. Andreï Gratchev comprend les motivations des pays d’Europe centrale «tout juste affranchis de la domination soviétique» et ayant toujours en mémoire les «ingérences» de la Russie tsariste. En revanche, il déplore la «vieille politique du “cordon sanitaire”» qui conduira par la suite à un élargissement de l’OTAN à tous les anciens pays du pacte de Varsovie, et même aux trois anciennes républiques soviétiques baltes : «La position des faucons américains est bien moins admissible, révélant une profonde ignorance de la réalité et une incapacité à sortir des carcans idéologiques de la guerre froide (6). « 

Voir par ailleurs:

La gauche européenne accuse Tallinn d’instrumentaliser sa présidence

La présidence estonienne du Conseil organise une conférence sur « l’héritage dans l’Europe du 21e siècle des crimes commis par les régimes communistes ». La gauche européenne dénonce un amalgame politique.

La conférence organisée par Tallinn sur les régimes communistes n’est pas passée inaperçue. Le groupe parlementaire de gauche GUE/NGL accuse l’Estonie de politiser sa présidence, et le ministre grec de la Justice a indiqué qu’il boycotterait l’événement.

La présidence estonienne a annoncé que l’événement, auquel participeront les ministres de la Justice ou leurs représentants, sera dédié à la journée européenne du souvenir des victimes de tous les régimes totalitaires et autoritaires, instaurée en 2009 lors de l’adoption d’une résolution sur la conscience européenne et le totalitarisme.

Le groupe de la Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique (GUE/NGL) a fermement condamné l’événement, considéré comme manipulateur et d’« insulte à la mémoire historique européenne ».

« Alors que l’extrême droite et les néonazis tirent parti des échecs des politiques européennes, comparer le communisme au nazisme est historiquement faux, dangereux et inacceptable », estiment les députés. « En outre, le fait que le gouvernement estonien décide de se concentrer sur les ‘crimes communistes’ montre clairement son intention d’utiliser la présidence tournante de l’UE à des fins idéologiques. »

Durant la Deuxième Guerre mondiale, les communistes de nombreux pays européens se sont retrouvés en tête de la lutte contre le fascisme et le nazisme. Si le régime totalitaire installé dans l’ex-URSS est appelé « communiste », la justesse de cette appellation est mise en cause. C’est même Staline, auteur d’innombrables crimes lui-même, qui a fourni le plus grand effort militaire contre l’Allemagne nazie.

Le groupe GUE/NGL a appelé les ministres de la Justice des États membres, surtout ceux qui appartiennent à des gouvernements progressistes, à boycotter l’événement, comme l’a fait le gouvernement grec.

« En cette période où les valeurs fondamentales de l’UE sont ouvertement remises en question par la montée des mouvements d’extrême droite et des partis néonazis en Europe, cette initiative est très maladroite », aurait déclaré Stavros Kontonis, ministre de la Justice du gouvernement de gauche de Syriza, qui ne participera pas à la conférence.

« L’organisation d’une conférence sur ce thème spécifique, avec ce titre spécifique, envoie un message politique faussé et dangereux […] ranime l’esprit de la Guerre froide, qui a tant fait souffrir l’Europe, contredit les valeurs de l’UE et ne reflète certainement pas les vues du gouvernement et du peuple grecs : le nazisme et le communisme ne devraient jamais être considérés comme similaires », a-t-il renchéri.

Il souligne que les « horreurs » vécues durant la période nazie n’ont qu’une version, terrible, alors que « le communisme, au contraire, a donné naissance à des dizaines de tendances idéologiques, dont l’eurocommunisme ».

Faudrait-il exacerber les divisions de nos sociétés en vilipendant les anciens régimes ? Sur ce point, les États membres qui ont connu le communisme sont divisés.

L’an dernier, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne et la Roumanie ont publié une critique des nations qui célébraient leur Histoire communiste. En Bulgarie, à l’inverse, un monument a été récemment érigé en l’honneur de Todor Zhivkov, personnalité forte de l’ère communiste, dans sa ville natale de Pravets, et est régulièrement visité par des dirigeants socialistes.

Contactée par Euractiv, Katrin Lunt, porte-parole du ministère estonien de la Justice, a rappelé que dans le pays, le régime stalinien avait fait des dizaines de milliers de victimes, même après la fin de la guerre. Les crimes commis par le régime soviétique ont laissé des traces encore visibles dans le pays, a-t-elle assuré.

La porte-parole a également indiqué que Tallinn avait déjà organisé une conférence sur le sujet en 2015. « La conférence qui a lieu le 23 août à Tallinn est dédiée à l’enquête sur l’héritage laissé par les crimes commis par le régime communiste. Il s’agit de l’expérience estonienne, partagée par les autres pays baltes et certains autres États d’Europe de l’Est. Du point de vue estonien, cette période ne s’est terminée qu’il y a 26 ans », a-t-elle expliqué.

Voir par ailleurs:

François Fillon, l’inconditionnel de Poutine
Vincent Laloy
Desk Russie
3 juillet 2021

Comme Nicolas Tenzer et Garry Kasparov l’ont déjà relevé dans Desk Russie, François Fillon n’a eu aucun scrupule à se faire récemment recruter par une entreprise étatique russe, Zaroubejneft, dès lors que ce « personnage sournois, arrogant et corrompu », pour reprendre le portrait qu’en a dressé Jean-Louis Bourlanges en février 2017, peut en tirer profit. L’annexion de la Crimée, l’affaire Navalny, les atteintes systématiques aux libertés, les ingérences dans les affaires de l’Occident, le soutien inconditionnel au sanguinaire el-Assad ne paraissent guère émouvoir l’ancien Premier ministre.

Un membre distingué de l’Institut, éminent spécialiste de la Russie, a démenti le propos que lui prêtait Le Figaro du 28 février 2017, à savoir que Fillon était « un agent des Russes » (Commentaire, n°158, 2017, p. 471). Peut-être pas agent, mais pour le moins « prorusse et antiaméricain » selon Le Monde du 11 novembre 2016. En effet, il paraît comme « fasciné » (Le Point, 3 déc. 2015) par son ami Poutine, s’en prend systématiquement à l’Amérique, coupable de tous les maux de la terre ou presque, sans parler d’une écoute attentive de la CGT lorsqu’il était ministre du Travail, position dénoncée avec vigueur à l’époque par Marc Blondel, le secrétaire général de Force ouvrière (Chronique économique, syndicale et sociale, sept. 2004).

L’ancien élu de la Sarthe, qui, comme son ancien soutien Mariani, n’a jamais exercé d’autre métier que la politique, partage, au fond, les convictions d’un Chevènement, notamment son hostilité au traité de Maastricht, tout en se prononçant pour l’entrée de la Turquie au sein de l’Europe, afin de « jouer un rôle d’équilibre face aux États-Unis » (Libération, 10 déc. 2004). Déjà, en 1989, le ministre de la Défense, en déplacement officiel à Moscou, avait invité Fillon à faire partie de la délégation française. En 1991, ils déjeunent ensemble (Le Maine libre, 21 fév. 1991). Vingt-six ans plus tard, dans le cadre de la campagne présidentielle, le candidat Fillon, lors d’un meeting à Besançon, plaçait sur le même plan de Gaulle, Séguin et Chevènement Bien avant, Fillon admettait qu’il y avait avec ce dernier « convergence mais pas identité » (Le Quotidien de Paris, 27 oct. 1990). Par ailleurs, s’il rend hommage à Régis Debray, il se dit en désaccord avec Finkielkraut sur la Russie (Le Point, 7 janv. 2016).

« Poutinophile » ou « poutinolâtre » ?

En sa qualité de Premier ministre, on le voit déplorer, en septembre 2008, à propos de l’offensive russe en Géorgie, la condamnation par l’Europe de cette Russie « humiliée », ce qui pourrait rappeler la formule du Führer au lendemain du traité de Versailles. Il s’en prend à ceux qui « continuent à piétiner la Russie », laquelle, annonce-t-il, ne fera pas l’objet, comme déjà soumis à celle-ci, de sanctions (Le Figaro, 5 sept. 2008).

Au cours de son règne à Matignon, il rencontre Poutine deux à trois fois par an mais refusera de recevoir Hervé Mariton, président du groupe parlementaire d’amitié franco-russe, qui, lui, ne fait pas partie des affidés de Moscou (L’Express, 29 janv. 2014). Dans son livre Faire (Albin Michel, 2015), Fillon déclare avoir « aimé nos rencontres [avec Poutine] parce qu’elles étaient utiles, parce qu’on pouvait y nouer à l’improviste des accords qui n’étaient pas préparés à l’avance ». Il le définit comme « patriote » (Valeurs actuelles, 20 oct. 2016).

Son alignement sur le régime russe ne fait que s’accentuer après l’élection de François Hollande à l’Élysée : « Au lieu de recevoir Poutine avec des pincettes, déplorait Fillon dans Le Figaro du 13 août 2012, au lieu de l’humilier 1 […] le gouvernement français devrait faire preuve de réalisme et d’un peu de courage pour construire une relation de confiance avec la Russie ! […] Si j’étais François Hollande, je prendrais maintenant l’avion pour Moscou […] et je chercherais à offrir à la Russie de véritables garanties sur sa sécurité et sur une relation de confiance avec l’OTAN. […] Qu’il prenne des risques, qu’il abandonne ses postures bourgeoises et atlantistes, version guerre froide. »

Quoi que fasse la Russie, Fillon s’en tient à comprendre, à excuser, voire à justifier la politique poursuivie par celle-ci. Il y séjourne en mars 2013, reçu par Poutine — qu’il tutoie — en tête à tête avant un dîner officiel.

Concernant la perspective d’une intervention des Occidentaux en Syrie, Fillon — devenu député de Paris — exhorte, avec Villepin, la présidence Hollande à la prudence, surtout si la France doit agir avec ses alliés ; le préalable, c’est d’« informer nos partenaires russes. Nous devons tenter une dernière fois d’essayer de les convaincre d’agir avec les moyens qui sont les leurs sur le régime d’Assad » (Le Monde, 30 août 2013).

En septembre 2013, il est de nouveau en Russie où, en violation des usages, il critique, avec véhémence, la position française, lui faisant grief de s’aligner sur l’Amérique : « Je souhaiterais, proclame-t-il, que la France retrouve cette indépendance et cette liberté de jugement et d’action qui seules lui confèrent une autorité dans cette crise », à la grande jubilation, souligne Le Monde du 21 septembre, de l’élite russe venue entendre la bonne parole. Le socialiste Arnaud Leroy voit en Fillon « le laquais de la Volga » tandis que le porte-parole du parti dénonce cette « dérive », laquelle fait l’objet d’un éditorial plus que sévère du Monde du 22, déplorant « la faute de ce voyage ».

Sur sa lancée, Fillon séjourne, en octobre 2013, au Kazakhstan, pas gêné par ses atteintes systématiques à la liberté ; sa prestation, « truffé de banalités », lui aurait rapporté, si l’on se réfère au Nouvel Observateur du 31 octobre, 30 000 €. S’agissant de ses émoluments, Le Canard enchaîné du 22 mars 2017 titre « Fillon a fait le plein chez Poutine » et sous-titre « Pour jouer les entremetteurs entre le président russe, un milliardaire libanais et le pédégé de Total, le candidat, alors député de Paris, a palpé 50 000 dollars en 2015. Avec promesse d’intéressement aux bénéfices ». « Récemment, relève Le Monde du 13 juin 2018, il aurait œuvré au rapprochement de Tikehau avec le fonds Mubadala d’Abou Dhabi, et le fonds russe d’investissement direct. » Toujours aussi désintéressé !

À l’issue de la primaire qu’il a remportée pour la présidentielle de 2017, Fillon paraît être le candidat préféré des Russes, à l’instar de de Gaulle en 1965, Pompidou en 1969, Giscard en 1974 et 1981… Mariani s’en félicite : « En politique étrangère, il est le plus constant et le plus régulier dans ses choix, notamment sur la Russie. » Fillon se prononce, comme il se doit, pour la levée des sanctions à l’encontre de Moscou, qui salue sa présence à la future élection (Le Monde, 23 nov. 2016), notamment par un Poutine célébrant « cet homme intègre, qui se distingue fortement des hommes politiques de la planète », pas moins (ibid., 25 nov.). Selon lui, la Russie respecte les accords lorsqu’elle les signe, ce qui lui vaut cette réplique cinglante de Bruno Tertrais dans Causeur de juin 2016 : « Que Moscou ait foulé aux pieds tous les traités sur la sécurité européenne signés depuis 1975 et tous les textes régissant sa relation avec l’Ukraine indépendante depuis 1994 ne semble pas troubler l’ancien Premier ministre. »

Poursuivant sur la même lancée, son programme officiel de 2017 annonce que la France sera « un allié loyal et indépendant des États-Unis ». La France serait-elle indépendante de Moscou ? Voilà qui est moins sûr lorsque Fillon appelle à « rétablir le dialogue et des relations de confiance avec la Russie, qui doit redevenir un grand partenaire », en levant les sanctions.

Fillon est de nouveau accueilli par Poutine le 5 décembre 2018. L’ex-représentant russe à Paris, Orlov, souligne dans son livre Un ambassadeur à Paris (Fayard, 2021, p. 207) que « François Fillon aurait été un partenaire idéal pour la Russie. C’est pourquoi son effondrement a suscité à Moscou une profonde amertume ». On ne saurait mieux dire.

L’Ukraine coupable

Là encore, l’ex-chef du gouvernement ne verse pas vraiment dans la nuance, exonérant la Russie de toute implication ou presque : « On doit tout faire, estime-t-il, pour empêcher l’intervention russe. […] Et en même temps, on ne peut pas désigner les Russes comme les seuls fauteurs de troubles, il y a aussi des erreurs qui ont été commises par le nouveau pouvoir de Kiev », lequel n’est pourtant pas celui ayant déclenché les hostilités…

Son conseil ne varie pas, revenant comme des litanies, mettant même en accusation la France, surtout pas la Russie : « Il faut parler avec les Russes […]. La France n’a cessé de traiter la Russie d’une manière assez légère » (Le Nouvel Obs, 3 avril 2016) ; cette position suscite une vigoureuse réaction d’indignation de la part du philosophe Alain Laurent dans Le Point du 10 juillet 2014.

La faute incombe, comme de bien entendu, aux Américains, estimant qu’une « erreur historique a été commise en repoussant les frontières de l’OTAN juste sous le nez des Russes » (Le Point, 24 avril 2014). « On ne peut pas laisser s’installer, s’indigne-t-il, la guerre à l’est de l’Europe. Surtout quand les États-Unis risquent d’attiser un conflit qui est très loin de chez eux, en proposant notamment d’armer les Ukrainiens » (Le Figaro, 6 fév. 2015). L’Amérique, pour lui, « n’est pas qualifiée pour continuer à discuter avec la Russie ». Ce même 6 février, sur LCI-Radio classique, il estime que « l’agresseur n’est pas Poutine ». Pas un mot sur les aspirations du peuple ukrainien ; s’il consent à reconnaître que Moscou viole le droit international en Crimée, c’est pour aussitôt tempérer son propos, estimant qu’il a des droits historiques sur ce territoire, et de prétendre que « la responsabilité la plus élevée incombe aux États-Unis » (Valeurs actuelles, 18 juin 2015). Ce qui inspirera à Françoise Thom, dans Le Monde du 26 novembre 2016, ces justes remarques : « Nos souverainistes, si sourcilleux de notre indépendance quand il s’agit des États-Unis, s’alignent sans états d’âme sur les positions du Kremlin, même les plus scandaleuses, comme on l’a vu à droite et à gauche au moment de la guerre hybride contre l’Ukraine […]. Poutine a imposé une propagande ahurissante charriant la haine et le mensonge. Et c’est dans ce pays que notre droite cherche son inspiration. »

La Syrie, sauvée par Poutine

Dans une lettre ouverte au chef de l’État, Fillon préconise la création d’« une véritable alliance internationale, intégrant l’Iran et la Russie, contre l’État islamique » (JDD, 12 juil. 2015), semblant considérer — il est bien le seul — que l’Iran est étranger au terrorisme.

Dans son ouvrage, Faire, il appelle aussi à discuter avec Bachar al-Assad, thème qu’il développe dans une interview accordée au Figaro du 14 novembre 2015 : « La seule voie, c’est de stopper l’effondrement du régime syrien […]. Les Russes l’ont compris depuis longtemps. » Et de les féliciter dans Valeurs actuelles du 19 novembre : « Heureusement que Poutine l’a fait, sinon nous aurions sans doute en face de nous un État islamique. […] Il faut donc se féliciter que la Russie soit intervenue. Maintenant, il faut engager le dialogue avec Moscou pour bâtir une stratégie de reconquête du territoire syrien. »

On n’a pas vu Fillon déplorer — ne parlons pas de condamner — les quelque 500 000 morts civils d’Assad, allant jusqu’à récuser le terme « massacre » (France Inter, 28 nov. 2016), non plus que les bombardements d’écoles ou d’hôpitaux. Ignore-t-il que le dirigeant syrien a élargi de ses prisons nombre de dirigeants djihadistes et qu’il n’a pas bombardé les quartiers généraux islamistes (Commentaire, n° 144, hiver 2013/2014, p. 795) ? Ignore-t-il que l’intervention russe n’a visé Daech que de façon marginale (France Inter, 28 nov. 2016) ? Comme l’a justement remarqué Alain Frachon dans Le Monde du 21 octobre 2016, sous le titre « La Syrie de M. Fillon », « choisir al-Assad comme rempart contre le djihadisme […], c’est faire équipe avec Al Capone pour démanteler la Mafia. Ou, si l’on préfère, s’appuyer sur un pompier pyromane pour éteindre l’incendie djihadiste ».

Quand on sait que c’est sous son gouvernement qu’a été démantelé, dès 2008, le renseignement territorial, quand on sait qu’il était opposé à l’interdiction du voile à l’université (Le Monde, 26 oct. 2016), quand on sait que, ministre de l’Éducation nationale, il a enterré le rapport Obin sur les atteintes à la laïcité dans les établissements, son livre Vaincre le totalitarisme islamique (Albin Michel, 2016) semble vraiment incongru.

À la tribune de l’Assemblée nationale, le 25 novembre 2015, il va jusqu’à suggérer d’associer le Hezbollah, organisation terroriste, à la recherche d’une solution en Syrie, insistant sur la nécessité de réintégrer l’Iran dans les discussions (Le Figaro, 26 nov. 2015). Est-il influencé par Fabienne Blineau, militante pro-Fillon au Liban, alors mariée à un député libanais, dont le parti, pro-syrien, est allié au Hezbollah (Le Monde, 19 avril 2017) ? Selon lui, « la Russie est la seule puissance à faire preuve de réalisme en Syrie » (Marianne, 1er avril 2016), au point que Nicolas Hénin déplore que « Fillon soit totalement aligné sur la position russe en Syrie ».

Son alignement va jusqu’à être dénoncé par un ancien ministre communiste, Jack Ralite, qui met aussi en cause, à cet égard, Mme Le Pen et M. Mélenchon (Le Monde, 7 déc. 2016), suivi par Raphaël Glucksmann et Yannick Jadot (ibid., 15 déc.) : « Alep crève et Fillon a dit “choisir Assad“ avant de justifier Poutine. Alep crève et Mélenchon a affirmé : “Je pense que Poutine va régler le problème de la Syrie.“ »

Assad bien sûr approuve le soutien de Fillon ; interrogé par RTL, il se réjouit de la « rhétorique de Fillon […] qui est la bienvenue » (Bulletin quotidien, 10 janv. 2017). À la suite des révélations des attaques chimiques — pour lesquelles Fillon exige que soient apportées des preuves ! —, il pense, fidèle à sa rengaine, que le départ éventuel d’Assad passe par le dialogue avec Moscou (Le Monde, 8 avril 2017)…

L’ennemi, c’est l’Amérique

Déjà, au Mans, en décembre 1998, il participe à un colloque de trois jours dont l’objet porte sur « les États-Unis, maîtres du monde ? », en compagnie de toute la fine fleur de l’antiaméricanisme : Alain Gresh et Serge Halimi, du Monde diplomatique, Pascal Boniface, Paul-Marie de La Gorce. Fillon s’en prend, pour sa part, à la « fragilité » du président Clinton (Ouest-France, 14 déc. 1998).

Lors du conflit opposant Israël au Hamas, à l’été 2014, il dénonce la culpabilité de l’Occident, « et, premièrement, des États-Unis » (Le Monde, 20 juil. 2014). « L’Europe, confie-t-il au Point du 16 avril 2015, est trop dépendante pour sa sécurité et son économie. C’est flagrant concernant […] la nouvelle guerre froide avec la Russie », pauvre victime ! La solution ? Sortir de la domination du dollar contre laquelle l’Europe doit, pas moins, « se révolter » (Valeurs actuelles, 18 juin 2015). Dans son programme présidentiel, le dollar est présenté comme une « nouvelle forme d’impérialisme » (Le Monde, 16 déc. 2016).

Dans un tweet, révélé par Nicolas Hénin dans La France russe (Fayard, 2016, p. 117), Fillon place, sur le même pied, en tant qu’ennemis de l’Europe, « totalitarisme islamique, impérialisme américain, dynamique du continent asiatique » ; on appréciera le parallèle ! Si la France, d’après lui, est hostile à la Russie, c’est qu’on « est influencé par l’administration américaine, le Congrès américain et ce que pensent les journaux américains » (Le Point, 25 août 2016). Il pense — mais pense-t-il ? — que « c’est une erreur de la traiter à la fois comme un adversaire et un pays sous-développé » (Le Monde, 14 sept. 2016). Un mois plus tard, il déplore que « la France coure après les États-Unis » (Valeurs actuelles, 20 oct. 2016), oubliant qu’on ne l’avait guère entendu lorsqu’elle a réintégré le commandement militaire de l’OTAN, en 2009.

Il récidive dans Le Progrès du 11 novembre 2016, où il préconise de « renforcer l’Europe face à la menace du totalitarisme islamique mais aussi face à la mainmise économique américaine, demain chinoise » : singulière juxtaposition, encore une fois, que de placer le terrorisme sur le même plan que l’Amérique. C’est quasiment obsessionnel chez lui : dans L’Opinion du 27 octobre 2016, il insiste « pour sortir un jour de cette dépendance très forte vis-à-vis des États-Unis […]. Ainsi, je suis choqué par les discours des responsables de l’OTAN sur la Russie. Cela relève de la provocation verbale. On ne peut pas considérer Moscou comme l’ennemi n° 1 alors que le totalitarisme islamique nous menace directement ».

Il va même jusqu’à proposer, au début 2017, une conférence Europe-Russie sans les Américains (Le Monde, 26 janv. 2017). Le problème, pour lui, ce n’est pas la Russie, allant jusqu’à mettre en cause voire en accusation Washington : « Dans beaucoup de cas, la politique américaine qui pilote l’OTAN n’est pas la solution contre le totalitarisme islamique, elle est plutôt le problème. Nous avons commis des erreurs par le passé en poussant la Russie dans ses travers » (ibid., 24 janv. 2017).

On tremble en songeant qu’il aurait pu régner à l’Élysée cinq ans, voire une décennie !

COMPLEMENT:

Wokeness Is Putin’s Weapon
Russia and China capitalize on the West’s moral and political confusion.
Walter Russell Mead
The Wall Street Journal
July 11, 2022

Five months into the war in Ukraine, Vladimir Putin’s army continues to flounder. Kyiv’s defenders are making up for their smaller numbers and artillery shortages with better commanders, smarter tactics, higher morale and, increasingly, better weapons as Western high-tech arms reach the battlefield.

Mr. Putin has had the most success, paradoxically, in the domains of economics and politics, where the West thought its power was strongest. Fears that a Russian gas embargo could cripple European economies and leave comfortable German burghers freezing in the dark next winter have replaced hopes that Western sanctions would bring Moscow to its knees. Thoroughly intimidated by the consequences of an economic war with Russia, Germany is beginning to weasel out of its pledges to increase defense spending.

Similarly, the early Western optimism that values would unite the world against Russian aggression has fizzled. Led by China and joined by India and Brazil, countries around the world are choosing trade with Russia over solidarity with the Group of Seven.

To counter Mr. Putin and Xi Jinping, the West must recalibrate. Since the Russian leader attacked Georgia in 2008, Western leaders have consistently mischaracterized and underestimated the threat that the revisionist powers (China, Russia and Iran) pose. In Georgia, Crimea, the South China Sea and the Middle East, the result has been one unexpected setback after another. To prevent another major setback from this latest and most blatant attack, the West needs to rethink assumptions and conventional doctrines that have demonstrably failed.

First, we need to be clear about the revisionists’ goal. Tactically, Mr. Putin wants to absorb as much of Ukraine as he can, but this war isn’t really about a few slices of the Donbas. Strategically, Messrs. Putin, Xi and their Iranian sidekicks seek the destruction of what they see as an American-led, West-dominated global hegemony. They believe that despite its imposing strengths (G-7 countries account for 45% of global gross domestic product and 52% of global military spending), this order is decadent and vulnerable.

Three vulnerabilities in the Western system give them hope. One is the trend toward protectionism in Europe and the U.S., which reduces the economic attraction of the Western system for developing countries. The others involve values. While Western conventional wisdom believes that the “values based” element of American and European foreign policy is a vital source of strength around the world, the revisionists believe that Western narcissism and blindness have led the Western powers into a historical trap.

For many postcolonial countries, the current world order is the latest embodiment of Western hegemony, with its origins in the age of European imperialism. Why else, people ask, are Britain and France permanent members of the United Nations Security Council, while there is only one permanent member from Asia, and none from Africa, the Islamic world or Latin America? What possible justification is there for including Italy and Canada in the exclusive G-7?

Conventional defenders of the Western world order respond by touting its commitment to universal values such as human rights and the fight against climate change. The current world order may, they acknowledge, be historically rooted in Western imperial power, but as an “empire of values,” the Western world order deserves the support of everyone who cares about humanity’s future.

Unfortunately, the West’s increasingly “woke” values agenda is not as credible or as popular as liberals hope. President Biden’s visit to Saudi Arabia this week reminds the world of the limits on Western commitments to human rights. Many values dear to the hearts of Western cultural leaders (LGBTQ rights, abortion on demand, freedom of speech understood as allowing unchecked Internet pornography) puzzle and offend billions of people around the world who haven’t kept up with the latest hot trends on American campuses. Attempts by Western financial institutions and regulators to block financing for fossil-fuel extraction and refining in developing countries enrage both elites there and the public at large.

Moreover, the liberal West’s new, post-Judeo-Christian values agenda divides the West. Culture wars at home don’t promote unity overseas. If Mr. Biden, with the support of the European Parliament, makes abortion on demand a key element of the values agenda of the world order, he is more likely to weaken American support for Ukraine than to unite the world against Mr. Putin.

The moral and political confusion of the contemporary West is the secret weapon that the leaders of Russia and China believe will bring the American world order to its knees. Messrs. Putin and Xi might be wrong; one certainly hopes that they are. But their bet on Western decadence has been paying off handsomely for more than a decade. Western survival and global flourishing require more thought and deeper change than the Biden administration and its European allies can currently imagine.

COMPLEMENT:

Ukraine war: Fact-checking Russia’s biological weapons claims

BBC
Russian state showing sites which officials say are being used to develop bioweapons

Russia has claimed without any evidence that biological weapons are being developed in laboratories in Ukraine with support from the United States.

It says material is being destroyed to conceal the country’s weapons programme, but the US says this is « total nonsense » and that Russia is inventing false narratives to justify its actions in Ukraine.

No evidence: US funds biological weapons research in Ukraine

Russia has accused the US and Ukraine of working with « pathogens of dangerous infections » in 30 laboratories across the country. Pathogens are microorganisms that can cause disease.

Ukraine has dozens of public health laboratories that work to research and mitigate the threats of dangerous diseases.

Some of these labs receive financial and other support from the US, the European Union and the World Health Organization (WHO) – as is the case in many other countries.

Despite Russian claims that these are « secret » labs, details of US involvement can be found on the US embassy’s website.

Additionally, the US set up its « Biological Threat Reduction Program » in the 1990s following the fall of the Soviet Union to reduce the risk from biological weapons that had been left behind in countries including Ukraine.

Under this programme certain labs receive funding from the US for modernisation and equipment, but are managed locally, not by the US.

The US Department of Defense has been working in partnership with Ukraine’s Ministry of Health since 2005 to improve the country’s public health laboratories.

The US provides technical support and, according to the US Embassy in Ukraine, « works with partner countries to counter the threat of outbreaks (intentional, accidental or natural) of the world’s most dangerous infectious diseases ».

There is no evidence that they work to produce biological weapons. In January, the US said its programme does the opposite and in fact aims to « reduce the threat of biological weapons proliferation ».

There have been similar unsubstantiated claims by Russia in the past about US-backed biolabs operating in its neighbouring countries.

In 2018, there were reports in Russian state media that untested drugs were given to citizens at a lab funded by the US in neighbouring Georgia.

The BBC visited the site and spoke to individuals involved in the research and found no evidence to support the claims.

No evidence: Ukraine destroyed pathogens to hide illegal research

Russian officials have also claimed Ukraine has tried to conceal evidence of prohibited activities.

Gen Igor Kirillov said documents uncovered by the Russian military in Ukraine on 24 February – the day the Russian invasion started – « show that the Ministry of Health of Ukraine has set the task of completely destroying bio-agents in laboratories ».

« The Pentagon knows that if these documents fall into the hands of Russian experts, then it’s highly likely that Ukraine and the United States will be found to have violated the Convention on the Prohibition of Biological and Toxin Weapons, » he said.

Document released by RussiaImage source, Rossiya 1 TV

BBC News has been unable to independently verify the documents cited by General Kirillov.

The WHO has told BBC News that it had advised Ukraine to destroy high-threat pathogens stored at the country’s public health labs to prevent « any potential spills » that would spread disease among the population.

The agency said it had collaborated with Ukrainian public health labs for several years to enhance biosafety and biosecurity and help prevent « accidental or deliberate release of pathogens ».

The WHO did not say when the recommendation had been made nor whether it was followed. It also did not provide details of the kind of pathogens stored at Ukrainian labs. However, the US said Ukraine’s health ministry had ordered the « safe and secure disposal of samples » after Russia’s invasion to limit the risk in the event of a Russian military attack.

« There are no indications that Ukrainian labs have been involved in any nefarious activity, or any research or development in contravention of the Biological Weapons Convention, » says Filippa Lentzos, a biosecurity expert at King’s College London.

She adds that pathogens stored at biological labs are simply bacteria and viruses, and « not blueprints or components of biological weapons ».

« The reason they are kept in secure facilities is for bio-safety, so people don’t make themselves sick by getting access to them. »

The documents listing destroyed pathogens which Russian officials have presented as evidence of nefarious activity at several Ukrainian labs contain no highly dangerous pathogens, microbiologist Yevgeny Levitin told Sibir Realii, a regional outlet of Radio Liberty.

« Everything listed in the published documents are only notional pathogens, with the exception of Clostridium diphtheriae, but even that is not considered highly hazardous ».

False: A high number of pathogens indicates weapons research

Gen Kirillov also claimed that the highly militarised nature of the work at Ukrainian bio-labs is confirmed by « excess number of bio-pathogens » stored there.

But Dr Lentzos says this argument does not follow any logical science. « The numbers don’t really matter, you can easily grow pathogens in a lab » starting from a small sample.

« These labs publish in openly available literature. They collaborate on many public health projects with global partners, » says Brett Edwards, a senior lecturer in security and public policy at the University of Bath.

« Devoting considerable sums of money and significant resources to conducting bioweapons research makes no strategic sense for Ukraine given the difficulty in using them in a conflict, » argues Dan Kaszeta, a former US serviceman and expert on defence against biological weapons.

« Conventional warfare weapons are much easier and more effective to use for countries like Ukraine, » he said.

Where else have these claims been repeated?

Moscow’s claims about the Ukrainian labs were echoed by China this week, with foreign ministry spokesperson Zhao Lijian accusing the US of using the facilities to « conduct bio-military plans ».

Similar accusations have also been made by Iranian and Syrian officials.

Although the allegations have been echoed elsewhere, « most of the Russian messaging is meant to target their own population », according to Milton Leitenberg, a senior research associate at the Center for International and Security Studies at the University of Maryland (CISSM).

He said the claims were meant to « muddy up the minds of Russian citizens » who did not know they were false and had no access to alternative information.

Voir par ailleurs:

Sartre comme « idiot utile » : relire « Nekrassov » aujourd’hui

Cécile Vaissié
Desk Russie
11 février 2022

La pièce de Sartre Nekrassov fut jouée au théâtre Antoine à partir de juin 1955, mais est un échec auprès des critiques comme des spectateurs. Elle mérite toutefois d’être (re)lue aujourd’hui : parce que, si elle reflète un certain contexte historique, elle illustre aussi l’un des rôles d’un « idiot utile » et a recours à des procédés de propagande, dont certains sont de nouveau en vigueur aujourd’hui.

Le contexte de rédaction

Cette pièce a été rédigée après le premier voyage de Sartre en URSS au printemps 1954. Invité par les Soviétiques et parti sans Simone de Beauvoir, le philosophe a multiplié les déplacements, les visites et les rencontres organisés par ses hôtes, et, quand il est rentré en France, épuisé, il a accordé une longue interview à Libération pour chanter les louanges de l’URSS. Il y assurait, par exemple, que le « contact » avec les Soviétiques était « aussi large, aussi ouvert et aussi facile que possible », et que, « vers 1960, […] si la France continu[ait] à stagner, le niveau de vie moyen en URSS ser[ait] de 30 à 40 % supérieur au nôtre ». Il fallait donc « fortifier et […] créer des relations amicales avec l’URSS ». Avec cette recommandation, le but des hôtes soviétiques de Sartre était atteint. Avec Nekrassov, plus encore.

La pièce est jouée huit ans après le procès Kravtchenko qu’elle évoque explicitement. On s’en souvient, Kravtchenko, haut fonctionnaire soviétique envoyé aux États-Unis en 1943 dans une commission d’achat, a décidé d’y rester et écrit un livre, J’ai choisi la liberté, dans lequel il racontait ce qu’il avait vu en URSS : la collectivisation, les famines, les purges, les camps, la terreur, la surveillance généralisée. Ce livre a été un succès mondial et a entraîné un procès qui s’est tenu à Paris en 1949 et dans lequel Kravtchenko affrontait le journal communiste Les Lettres françaises et ses partisans. Simone de Beauvoir a assisté avec Sartre à une audience et, si elle parle en termes peu amènes de Kravtchenko et de ses témoins, elle admet dans ses Mémoires qu’« une réalité ressortait de leurs dépositions : l’existence des camps de travail » en URSS.

Dès 1949, la question n’était donc plus de savoir s’il existait des camps et des répressions en URSS, mais si ces camps et ces répressions justifiaient de ne pas soutenir l’URSS et l’espoir révolutionnaire que celle-ci était censée incarner. Pour Sartre, non, cela ne le justifiait pas, comme en témoignent ses interviews de 1954 et sa pièce de 1955.

Nekrassov : une pièce contre la « propagande anticommuniste »

L’intrigue de Nekrassov est basée sur un quiproquo volontairement créé. Un escroc recherché par la police, Georges de Valera, se cache chez la fille du journaliste Sibilot, qui travaille pour Soir à Paris. Jules Palotin dirige ce journal et semble inspiré par Pierre Lazareff, le directeur de France-Soir, qui a lui aussi visité l’URSS au printemps 1954 avec son épouse russophone et qui, dans une polémique publique, a reproché à Sartre d’idéaliser ce pays. Palotin a chargé Sibilot de lutter contre « la propagande communiste », et ce dernier, qui reconnaît être « un professionnel de l’anticommunisme », se plaint de ses conditions matérielles : l’argent est sa motivation première. De même, Palotin veut avant tout que son journal se vende. Or Mouton, directeur du conseil d’administration, lui ordonne de renforcer les attaques contre les communistes avant des élections locales :

« Je me rappelle votre belle enquête : « La Guerre, demain ! » On transpirait d’angoisse. Et vos montages photographiques : Staline entrant à cheval dans Notre-Dame en flammes ! De purs chefs-d’œuvre. Mais voici plus d’un an que je note un relâchement suspect, des oublis criminels. Vous parliez de famine en URSS et vous n’en parlez plus. Pourquoi ? Prétendez-vous que les Russes mangent à leur faim ? »

Le danger de guerre, les famines et le niveau de vie soviétique, très bas, ne seraient donc que des thématiques caricaturales, destinées à effrayer, à faire vendre le journal et à influer sur la politique intérieure française. Dès lors, selon Sartre, les articles sur ces sujets devraient susciter l’ironie de ceux qui, comme lui, ne seraient pas dupes.

Mouton exige que Palotin lance une campagne contre l’URSS, mais aussi en soutien à la « suprématie américaine » et au réarmement de la RFA, qui fait alors débat et contre lequel l’URSS s’élève. Cherchant désespérément une idée, Sibilot présente Valera comme « un fonctionnaire soviétique qui a franchi le Rideau de fer », ce qui n’intéresse guère Palotin, et la référence à Kravtchenko est explicite :

« Depuis Kravtchenko, sais-tu combien j’en ai vu défiler, moi, de fonctionnaires soviétiques ayant choisi la liberté ? Cent vingt-deux, mon ami, vrais ou faux. Nous avons reçu des chauffeurs d’ambassade, des bonnes d’enfants, un plombier, dix-sept coiffeurs et j’ai pris l’habitude de les refiler à mon confrère Robinet du Figaro, qui ne dédaigne pas la petite information. Résultat : baisse générale sur le Kravtchenko. […] Ah ! monsieur a choisi la liberté ! Eh bien ! fais-lui donner une soupe et envoie-le, de ma part, à l’Armée du salut. »

Le destin de Kravtchenko serait donc drôle ? Il devrait faire rire ? Des dizaines de Kravtchenko n’ont pourtant pas envahi Paris… L’escroc Valera reprend les choses en main et suggère qu’il est Nekrassov, un ministre soviétique qui a disparu et dont on affirme, sans preuve, qu’il a « choisi la liberté » — une autre allusion à Kravtchenko. Cette fois, Palotin est ravi, même s’il ne croit pas vraiment à cette histoire. Les conditions de Valera sont aussitôt acceptées : « Un appartement au George-V, deux gardes du corps, des habits décents et de l’argent de poche. » Là encore, les motivations seraient avant tout matérielles et l’argent coulerait à flots pour diffamer l’URSS.

Certes, Sartre concède qu’il puisse y avoir des Soviétiques ayant réellement fui en Occident : c’est le cas, dans la pièce, de Demidoff, « un vrai Kravchenko, celui-là, authentifié par l’agence Tass ». Mais Demidoff est ridiculisé et, séduit par les promesses de Valera, accepte de proclamer que celui-ci est bien Nekrassov, tout en sachant que ce n’est pas vrai. D’ailleurs, presque tout le monde sait que Valera n’est pas Nekrassov, mais chacun a intérêt à se taire, parce que cette histoire fait exploser les ventes de Soir à Paris et les actions des fabriques d’armement, et que le gouvernement apprécie cette flambée d’antisoviétisme.

La fille de Sibilot est le seul personnage réellement honnête et généreux de la pièce, et elle est communiste ou proche de communistes. Or elle reproche à Valera de « désespérer les pauvres » en critiquant l’URSS et, resté seul, l’escroc lance trois fois : « Désespérons Billancourt ! » Une expression est née, qui ne figure pas telle quelle dans la pièce : il ne faudrait pas « désespérer Billancourt » en disant la vérité sur l’URSS et le communisme. Sartre se retrouve ainsi, paradoxalement, dans la situation de ceux qui couvrent les mensonges de Valera au nom de leurs intérêts : lui couvre les mensonges soviétiques, car la fin révolutionnaire justifierait les moyens. Et parce qu’il est assez crédule.

Un « idiot utile », publié et joué en URSS

Sartre le concèdera en 1978 : « Je décidai qu’en cette occurrence, l’URSS fût innocente et que le scandale vînt essentiellement de la presse française. » Ce qui n’est pas sans annoncer d’autres tentatives ultérieures pour dénoncer « les médias de la bien-pensance » et pour « réinformer », mais aussi pour justifier la Russie, envers et contre tout. Un intellectuel peut-il « décider » qu’un pays dont il a découvert les camps et les répressions est « innocent » ? Peut-il traiter avec un ton aussi léger et moqueur de problèmes, politiques et humains, aussi graves que la défection de hauts fonctionnaires et leurs révélations sur les crimes commis par les dirigeants soviétiques contre leurs populations ?

Ces procédés discréditeront Sartre auprès de contestataires d’Europe centrale et orientale : le philosophe agit là en « idiot utile » du Kremlin. Cela porte ses fruits : la pièce traduite est publiée en URSS dès août 1955 sous le titre Rien que la vérité ; elle a toutefois été raccourcie d’un quart, de nouvelles répliques ont été ajoutées, et des noms supprimés, à commencer par celui de Kravtchenko1. La première de cette pièce, encore remaniée par son metteur en scène, a lieu à Moscou le 11 mars 1956. Grâce à ces parutions et ces mises en scène, Sartre percevra de l’argent en URSS, qu’il ne pourra dépenser qu’en URSS, ce qui l’incitera à y revenir. Un processus a été enclenché.

Retour à l’affaire Kravtchenko

Quant à l’affaire Kravtchenko, au cœur de Nekrassov, deux points méritent d’être rappelés. Un article publié par Les Lettres françaises en novembre 1947 et diffamant le transfuge est à l’origine du procès ; il était signé par un certain Sim Thomas et « traduit par Jean Dumoulin ». Sauf que Sim Thomas n’a jamais existé. L’article avait été apporté à la rédaction par André Ulmann, admettra Claude Morgan, alors directeur de la publication, et, d’après l’avocat communiste Joë Nordmann, il aurait été écrit par Ulmann lui-même. Ce dernier avait été recruté en 1946 par les services de renseignements soviétiques, et il dirigeait un hebdomadaire d’informations internationales, La Tribune des nations, que finançait le KGB et qui devait influencer des décideurs occidentaux. Aujourd’hui, ce serait un site internet. Joë Nordmann reconnaîtra aussi, mais en 1996, que, pendant le procès, lui et d’autres défenseurs des Lettres françaises avaient « fréquemment des réunions tardives avec un membre de l’ambassade soviétique, pour recevoir des documents et en discuter ». Sans compter que l’URSS avait envoyé des « témoins » qui, chargés d’attaquer Kravtchenko, « venaient le plus souvent chaperonnés par un représentant de leur ambassade ».

L’URSS avait commandité des attaques contre Kravtchenko, et la pièce apparemment si légère de Sartre était aussi une tentative pour donner un second souffle à ces attaques. Consciemment ou pas, l’intellectuel n° 1 d’Occident était utile à ses nouveaux amis : il ridiculisait les opposants à l’URSS, réduisait toute critique de l’URSS à des motivations matérielles et mettait en doute les crimes, les oppressions et les difficultés matérielles dont le pouvoir soviétique était directement responsable.

  1. Jacques Lecarme, « Notice de Nekrassov », in Jean-Paul Sartre, Théâtre complet, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2005, p. 1481. 

Guerre froide 2.0: C’est la lutte finale, imbécile ! (Resisting the Antichrist: In Russian eyes, a new theological struggle pits a godless, materialistic and decadent postmodern West against the rest of the world’s defence of traditional religion and values led by a thermonuclear saber-rattling Putin regime)

21 mars, 2018

Russian President Vladimir Putin, accompanied by Patriarch of Russia Kirill and Prime Minister Dmitry Medvedev, visits the New Jerusalem Orthodox Monastery outside Moscow (November 15, 2017)

Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée. Car je suis venu mettre la division entre l’homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa belle-mère; et l’homme aura pour ennemis les gens de sa maison. Jésus (Matthieu 10 : 34-36)
Depuis que l’ordre religieux est ébranlé – comme le christianisme le fut sous la Réforme – les vices ne sont pas seuls à se trouver libérés. Certes les vices sont libérés et ils errent à l’aventure et ils font des ravages. Mais les vertus aussi sont libérées et elles errent, plus farouches encore, et elles font des ravages plus terribles encore. Le monde moderne est envahi des veilles vertus chrétiennes devenues folles. Les vertus sont devenues folles pour avoir été isolées les unes des autres, contraintes à errer chacune en sa solitude.  G.K. Chesterton
Tout se disloque. Le centre ne peut tenir. L’anarchie se déchaîne sur le monde Comme une mer noircie de sang : partout On noie les saints élans de l’innocence …Sûrement que quelque révélation, c’est pour bientôt … Sûrement que la Seconde Venue, c’est pour bientôt. La Seconde Venue ! A peine dits ces mots, Une image, immense, du Spiritus Mundi Trouble ma vue : quelque part dans les sables du désert, Une forme avec corps de lion et tête d’homme Et l’oeil nul et impitoyable comme un soleil Se meut, à cuisses lentes, tandis qu’autour Tournoient les ombres d’une colère d’oiseaux… La ténèbre, à nouveau ; mais je sais, maintenant, Que vingt siècles d’un sommeil de pierre, exaspérés Par un bruit de berceau, tournent au cauchemar, – Et quelle bête brute, revenue l’heure, Traîne la patte vers Bethléem, pour naître enfin ? Yeats (1919)
La Raison sera remplacée par la Révélation. À la place de la Loi rationnelle et des vérités objectives perceptibles par quiconque prendra les mesures nécessaires de discipline intellectuelle, et la même pour tous, la Connaissance dégénérera en une pagaille de visions subjectives (…) Des cosmogonies complètes seront créées à partir d’un quelconque ressentiment personnel refoulé, des épopées entières écrites dans des langues privées, les barbouillages d’écoliers placés plus haut que les plus grands chefs-d’œuvre. L’Idéalisme sera remplacé par le Matérialisme. La vie après la mort sera un repas de fête éternelle où tous les invités auront 20 ans … La Justice sera remplacée par la Pitié comme vertu cardinale humaine, et toute crainte de représailles disparaîtra … La Nouvelle Aristocratie sera composée exclusivement d’ermites, clochards et invalides permanents. Le Diamant brut, la Prostituée Phtisique, le bandit qui est bon pour sa mère, la jeune fille épileptique qui a le chic avec les animaux seront les héros et héroïnes du Nouvel Age, quand le général, l’homme d’État, et le philosophe seront devenus la cible de chaque farce et satire. Hérode (Pour le temps présent, oratorio de Noël, W. H. Auden, 1944)
Just over 50 years ago, the poet W.H. Auden achieved what all writers envy: making a prophecy that would come true. It is embedded in a long work called For the Time Being, where Herod muses about the distasteful task of massacring the Innocents. He doesn’t want to, because he is at heart a liberal. But still, he predicts, if that Child is allowed to get away, « Reason will be replaced by Revelation. Instead of Rational Law, objective truths perceptible to any who will undergo the necessary intellectual discipline, Knowledge will degenerate into a riot of subjective visions . . . Whole cosmogonies will be created out of some forgotten personal resentment, complete epics written in private languages, the daubs of schoolchildren ranked above the greatest masterpieces. Idealism will be replaced by Materialism. Life after death will be an eternal dinner party where all the guests are 20 years old . . . Justice will be replaced by Pity as the cardinal human virtue, and all fear of retribution will vanish . . . The New Aristocracy will consist exclusively of hermits, bums and permanent invalids. The Rough Diamond, the Consumptive Whore, the bandit who is good to his mother, the epileptic girl who has a way with animals will be the heroes and heroines of the New Age, when the general, the statesman, and the philosopher have become the butt of every farce and satire. »What Herod saw was America in the late 1980s and early ’90s, right down to that dire phrase « New Age. »(…) Americans are obsessed with the recognition, praise and, when necessary, the manufacture of victims, whose one common feature is that they have been denied parity with that Blond Beast of the sentimental imagination, the heterosexual, middle-class white male. The range of victims available 10 years ago — blacks, Chicanos, Indians, women, homosexuals — has now expanded to include every permutation of the halt, the blind and the short, or, to put it correctly, the vertically challenged. (…) Since our newfound sensitivity decrees that only the victim shall be the hero, the white American male starts bawling for victim status too. (…) European man, once the hero of the conquest of the Americas, now becomes its demon; and the victims, who cannot be brought back to life, are sanctified. On either side of the divide between Euro and native, historians stand ready with tarbrush and gold leaf, and instead of the wicked old stereotypes, we have a whole outfit of equally misleading new ones. Our predecessors made a hero of Christopher Columbus. To Europeans and white Americans in 1892, he was Manifest Destiny in tights, whereas a current PC book like Kirkpatrick Sale’s The Conquest of Paradise makes him more like Hitler in a caravel, landing like a virus among the innocent people of the New World. Robert Hughes (24.06.2001)
La vérité biblique sur le penchant universel à la violence a été tenue à l’écart par un puissant processus de refoulement. (…) La vérité fut reportée sur les juifs, sur Adam et la génération de la fin du monde. (…) La représentation théologique de l’adoucissement de la colère de Dieu par l’acte d’expiation du Fils constituait un compromis entre les assertions du Nouveau Testament sur l’amour divin sans limites et celles sur les fantasmes présents en chacun. (…) Même si la vérité biblique a été de nouveau  obscurcie sur de nombreux points, (…) dénaturée en partie, elle n’a jamais été totalement falsifiée par les Églises. Elle a traversé l’histoire et agit comme un levain. Même l’Aufklärung critique contre le christianisme qui a pris ses armes et les prend toujours en grande partie dans le sombre arsenal de l’histoire de l’Eglise, n’a jamais pu se détacher entièrement de l’inspiration chrétienne véritable, et par des détours embrouillés et compliqués, elle a porté la critique originelle des prophètes dans les domaines sans cesse nouveaux de l’existence humaine. Les critiques d’un Kant, d’un Feuerbach, d’un Marx, d’un Nietzsche et d’un Freud – pour ne prendre que quelques uns parmi les plus importants – se situent dans une dépendance non dite par rapport à l’impulsion prophétique. Raymund Schwager
An advertent and sustained foreign policy uses a different part of the brain from the one engaged by horrifying images. If Americans had seen the battles of the Wilderness and Cold Harbor on TV screens in 1864, if they had witnessed the meat-grinding carnage of Ulysses Grant’s warmaking, then public opinion would have demanded an end to the Civil War, and the Union might well have split into two countries, one of them farmed by black slaves. (…) The Americans have ventured into Somalia in a sort of surreal confusion, first impersonating Mother Teresa and now John Wayne. it would help to clarify that self-image, for to do so would clarify the mission, and then to recast the rhetoric of the enterprise. Lance Morrow (1993
In recent years, skewering the politically correct and the political correctness of those mocking political correctness has become a thriving journalistic enterprise. One of the more interesting examples of the genre was a cover-story essay by Robert Hughes, which appeared in the February 3, 1992, edition of Time magazine. The essay was entitled “The Fraying of America.”  In it, Hughes cast a cold eye on the American social landscape, and his assessment was summarized in the article’s subtitle: “When a nation’s diversity breaks into factions, demagogues rush in, false issues cloud debate, and everybody has a grievance.” “Like others, Hughes found himself puzzling over how and why the status of ‘victim’ had become the seal of moral rectitude in American society. He began his essay by quoting a passage from W. H. Auden’s Christmas oratorio, For the Time Being. The lines he quoted were ones in which King Herod ruminates over whether the threat to civilization posed by the birth of Christ is serious enough to warrant murdering all the male children in one region of the empire. (The historical Herod may have been a vulgar and conniving Roman sycophant, but Auden’s Herod, let’s not forget, is watching the rough beast of the twentieth century slouching toward Bethlehem.) Weighing all the factors, Herod decides that the Christ child must be destroyed, even if to do so innocents must be slaughtered. For, he argues in the passage that Hughes quoted, should the Child survive: Reason will be replaced by Revelation . . . . Justice will be replaced by Pity as the cardinal virtue, and all fear of retribution will vanish . . . . The New Aristocracy will consist exclusively of hermits, bums and permanent invalids. The Rough Diamond, the Consumptive Whore, the bandit who is good to his mother, the epileptic girl who has a way with animals will be the heroes and heroines of the New Age, when the general, the statesman, and the philosopher have become the butt of every farce and satire. “Hughes quoted this passage from Auden in order to point out that Auden’s prophecy had come true. As Auden’s Herod had predicted, American society was awash in what Hughes termed the “all-pervasive claim to victimhood.” He noted that in virtually all the contemporary social, political, or moral debates, both sides were either claiming to be victims or claiming to speak on their behalf. It was clear to Hughes, however, that this was not a symptom of a moral victory over our scapegoating impulses. There can be no victims without victimizers. Even though virtually everyone seemed to be claiming the status of victim, the claims could be sustained only if some of the claims could be denied. (At this point, things become even murkier, for in the topsy-turvy world of victimology, a claimant denied can easily be mistaken for a victim scorned, the result being that denying someone’s claim to victim status can have the same effect as granting it.) Nevertheless, the algebraic equation of victimhood requires victimizers, and so, for purely logical reasons, some claims have to be denied. Some, in Hughes’s words, would have to remain “the butt of every farce and satire.” Hughes argued that all those who claim victim status share one thing in common, “they have been denied parity with that Blond Beast of the sentimental imagination, the heterosexual, middle-class, white male.” “Hughes realized that a hardy strain of envy and resentment toward this one, lone nonvictim continued to play an important role in the squabbles over who would be granted victim status. Those whose status as victim was secure were glaring at this last nonvictim with something of the vigilante’s narrow squint. Understandably, the culprit was anxious to remove his blemish. “Since our new found sensitivity decrees that only the victim shall be the hero,” Hughes wrote, “the white American male starts bawling for victim status too.” Gil Bailie
The gospel revelation gradually destroys the ability to sacralize and valorize violence of any kind, even for Americans in pursuit of the good. (…) At the heart of the cultural world in which we live, and into whose orbit the whole world is being gradually drawn, is a surreal confusion. The impossible Mother Teresa-John Wayne antinomy Times correspondent (Lance) Morrow discerned in America’s humanitarian 1992 Somali operation is simply a contemporary manifestation of the tension that for centuries has hounded those cultures under biblical influence. Gil Bailie
L’erreur est toujours de raisonner dans les catégories de la « différence », alors que la racine de tous les conflits, c’est plutôt la « concurrence », la rivalité mimétique entre des êtres, des pays, des cultures. La concurrence, c’est-à-dire le désir d’imiter l’autre pour obtenir la même chose que lui, au besoin par la violence. Sans doute le terrorisme est-il lié à un monde « différent » du nôtre, mais ce qui suscite le terrorisme n’est pas dans cette « différence » qui l’éloigne le plus de nous et nous le rend inconcevable. Il est au contraire dans un désir exacerbé de convergence et de ressemblance. (…) Ce qui se vit aujourd’hui est une forme de rivalité mimétique à l’échelle planétaire. Lorsque j’ai lu les premiers documents de Ben Laden, constaté ses allusions aux bombes américaines tombées sur le Japon, je me suis senti d’emblée à un niveau qui est au-delà de l’islam, celui de la planète entière. Sous l’étiquette de l’islam, on trouve une volonté de rallier et de mobiliser tout un tiers-monde de frustrés et de victimes dans leurs rapports de rivalité mimétique avec l’Occident. Mais les tours détruites occupaient autant d’étrangers que d’Américains. Et par leur efficacité, par la sophistication des moyens employés, par la connaissance qu’ils avaient des Etats-Unis, par leurs conditions d’entraînement, les auteurs des attentats n’étaient-ils pas un peu américains ? On est en plein mimétisme.Ce sentiment n’est pas vrai des masses, mais des dirigeants. Sur le plan de la fortune personnelle, on sait qu’un homme comme Ben Laden n’a rien à envier à personne. Et combien de chefs de parti ou de faction sont dans cette situation intermédiaire, identique à la sienne. Regardez un Mirabeau au début de la Révolution française : il a un pied dans un camp et un pied dans l’autre, et il n’en vit que de manière plus aiguë son ressentiment. Aux Etats-Unis, des immigrés s’intègrent avec facilité, alors que d’autres, même si leur réussite est éclatante, vivent aussi dans un déchirement et un ressentiment permanents. Parce qu’ils sont ramenés à leur enfance, à des frustrations et des humiliations héritées du passé. Cette dimension est essentielle, en particulier chez des musulmans qui ont des traditions de fierté et un style de rapports individuels encore proche de la féodalité. (…) Cette concurrence mimétique, quand elle est malheureuse, ressort toujours, à un moment donné, sous une forme violente. A cet égard, c’est l’islam qui fournit aujourd’hui le ciment qu’on trouvait autrefois dans le marxismeRené Girard
Notre monde est de plus en plus imprégné par cette vérité évangélique de l’innocence des victimes. L’attention qu’on porte aux victimes a commencé au Moyen Age, avec l’invention de l’hôpital. L’Hôtel-Dieu, comme on disait, accueillait toutes les victimes, indépendamment de leur origine. Les sociétés primitives n’étaient pas inhumaines, mais elles n’avaient d’attention que pour leurs membres. Le monde moderne a inventé la « victime inconnue », comme on dirait aujourd’hui le « soldat inconnu ». Le christianisme peut maintenant continuer à s’étendre même sans la loi, car ses grandes percées intellectuelles et morales, notre souci des victimes et notre attention à ne pas nous fabriquer de boucs émissaires, ont fait de nous des chrétiens qui s’ignorent. René Girard
L’inauguration majestueuse de l’ère « post-chrétienne » est une plaisanterie. Nous sommes dans un ultra-christianisme caricatural qui essaie d’échapper à l’orbite judéo-chrétienne en « radicalisant » le souci des victimes dans un sens antichrétien. (…) Jusqu’au nazisme, le judaïsme était la victime préférentielle de ce système de bouc émissaire. Le christianisme ne venait qu’en second lieu. Depuis l’Holocauste, en revanche, on n’ose plus s’en prendre au judaïsme, et le christianisme est promu au rang de bouc émissaire numéro un. René Girard
Les événements qui se déroulent sous nos yeux sont à la fois naturels et culturels, c’est-à-dire qu’ils sont apocalyptiques. Jusqu’à présent, les textes de l’Apocalypse faisaient rire. Tout l’effort de la pensée moderne a été de séparer le culturel du naturel. La science consiste à montrer que les phénomènes culturels ne sont pas naturels et qu’on se trompe forcément si on mélange les tremblements de terre et les rumeurs de guerre, comme le fait le texte de l’Apocalypse. Mais, tout à coup, la science prend conscience que les activités de l’homme sont en train de détruire la nature. C’est la science qui revient à l’Apocalypse. René Girard
La religion doit être historicisée : elle fait des hommes des êtres qui restent toujours violents mais qui deviennent plus subtils, moins spectaculaires, moins proches de la bête et des formes sacrificielles comme le sacrifice humain. Il se pourrait qu’il y ait un christianisme historique qui soit une nécessité historique. Après deux mille ans de christianisme historique, il semble que nous soyons aujourd’hui à une période charnière – soit qui ouvre sur l’Apocalypse directement, soit qui nous prépare une période de compréhension plus grande et de trahison plus subtile du christianisme. (…) Oui, pour moi l’Apocalypse c’est la fin de l’histoire. (…) L’Apocalypse, c’est l’arrivée du royaume de Dieu. Mais on peut penser qu’il y a des « petites ou des demi-apocalypses » ou des crises c’est-à-dire des périodes intermédiaires… (…) Il faut prendre très au sérieux les textes apocalyptiques. Nous ne savons pas si nous sommes à la fin du monde, mais nous sommes dans une période-charnière. Je pense que toutes les grandes expériences chrétiennes des époques-charnières sont inévitablement apocalyptiques dans la mesure où elles rencontrent l’incompréhension des hommes et le fait que cette incompréhension d’une certaine manière est toujours fatale. Je dis qu’elle est toujours fatale, mais en même temps elle ne l’est jamais parce que Dieu reprend toujours les choses et toujours pardonne. (…) Je me souviens d’un journal dans lequel il y avait deux articles juxtaposés. Le premier se moquait de l’Apocalypse d’une certaine façon ; le second était aussi apocalyptique que possible. Le contact de ces deux textes qui se faisaient face et qui dans le même temps se donnaient comme n’ayant aucun rapport l’un avec l’autre avait quelque chose de fascinant. (…) Nous sommes encore proches de cette période des grandes expositions internationales qui regardait de façon utopique la mondialisation comme l’Exposition de Londres – la « Fameuse » dont parle Dostoievski, les expositions de Paris… Plus on s’approche de la vraie mondialisation plus on s’aperçoit que la non-différence ce n’est pas du tout la paix parmi les hommes mais ce peut être la rivalité mimétique la plus extravagante. On était encore dans cette idée selon laquelle on vivait dans le même monde : on n’est plus séparé par rien de ce qui séparait les hommes auparavant donc c’est forcément le paradis. Ce que voulait la Révolution française. Après la nuit du 4 août, plus de problème ! (…) L’Amérique connaît bien cela. Il est évident que la non-différence de classe ne tarit pas les rivalités mais les excite à mort avec tout ce qu’il y a de bon et de mortel dans ce phénomène. (…)  il n’y a plus de sacrifice et donc les hommes sont exposés à la violence et il n’y a plus que deux choix : soit on préfère subir la violence soit on cherche à l’infliger à autrui. Le Christ veut nous dire entre autres choses : il vaut mieux subir la violence (c’est le sacrifice de soi) que de l’infliger à autrui. Si Dieu refuse le sacrifice, il est évident qu’il nous demande la non-violence qui empêchera l’Apocalypse. René Girard
L’avenir apocalyptique n’est pas quelque chose d’historique. C’est quelque chose de religieux sans lequel on ne peut pas vivre. C’est ce que les chrétiens actuels ne comprennent pas. Parce que, dans l’avenir apocalyptique, le bien et le mal sont mélangés de telle manière que d’un point de vue chrétien, on ne peut pas parler de pessimisme. Cela est tout simplement contenu dans le christianisme. Pour le comprendre, lisons la Première Lettre aux Corinthiens : si les puissants, c’est-à-dire les puissants de ce monde, avaient su ce qui arriverait, ils n’auraient jamais crucifié le Seigneur de la Gloire – car cela aurait signifié leur destruction (cf. 1 Co 2, 8). Car lorsque l’on crucifie le Seigneur de la Gloire, la magie des pouvoirs, qui est le mécanisme du bouc émissaire, est révélée. Montrer la crucifixion comme l’assassinat d’une victime innocente, c’est montrer le meurtre collectif et révéler ce phénomène mimétique. C’est finalement cette vérité qui entraîne les puissants à leur perte. Et toute l’histoire est simplement la réalisation de cette prophétie. Ceux qui prétendent que le christianisme est anarchiste ont un peu raison. Les chrétiens détruisent les pouvoirs de ce monde, car ils détruisent la légitimité de toute violence. Pour l’État, le christianisme est une force anarchique, surtout lorsqu’il retrouve sa puissance spirituelle d’autrefois. Ainsi, le conflit avec les musulmans est bien plus considérable que ce que croient les fondamentalistes. Les fondamentalistes pensent que l’apocalypse est la violence de Dieu. Alors qu’en lisant les chapitres apocalyptiques, on voit que l’apocalypse est la violence de l’homme déchaînée par la destruction des puissants, c’est-à-dire des États, comme nous le voyons en ce moment. Lorsque les puissances seront vaincues, la violence deviendra telle que la fin arrivera. Si l’on suit les chapitres apocalyptiques, c’est bien cela qu’ils annoncent. Il y aura des révolutions et des guerres. Les États s’élèveront contre les États, les nations contre les nations. Cela reflète la violence. Voilà le pouvoir anarchique que nous avons maintenant, avec des forces capables de détruire le monde entier. On peut donc voir l’apparition de l’apocalypse d’une manière qui n’était pas possible auparavant. Au début du christianisme, l’apocalypse semblait magique : le monde va finir ; nous irons tous au paradis, et tout sera sauvé ! L’erreur des premiers chrétiens était de croire que l’apocalypse était toute proche. Les premiers textes chronologiques chrétiens sont les Lettres aux Thessaloniciens qui répondent à la question : pourquoi le monde continue-t-il alors qu’on en a annoncé la fin ? Paul dit qu’il y a quelque chose qui retient les pouvoirs, le katochos (quelque chose qui retient). L’interprétation la plus commune est qu’il s’agit de l’Empire romain. La crucifixion n’a pas encore dissout tout l’ordre. Si l’on consulte les chapitres du christianisme, ils décrivent quelque chose comme le chaos actuel, qui n’était pas présent au début de l’Empire romain. (..) le monde actuel (…) confirme vraiment toutes les prédictions. On voit l’apocalypse s’étendre tous les jours : le pouvoir de détruire le monde, les armes de plus en plus fatales, et autres menaces qui se multiplient sous nos yeux. Nous croyons toujours que tous ces problèmes sont gérables par l’homme mais, dans une vision d’ensemble, c’est impossible. Ils ont une valeur quasi surnaturelle. Comme les fondamentalistes, beaucoup de lecteurs de l’Évangile reconnaissent la situation mondiale dans ces chapitres apocalyptiques. Mais les fondamentalistes croient que la violence ultime vient de Dieu, alors ils ne voient pas vraiment le rapport avec la situation actuelle – le rapport religieux. Cela montre combien ils sont peu chrétiens. La violence humaine, qui menace aujourd’hui le monde, est plus conforme au thème apocalyptique de l’Évangile qu’ils ne le pensent. René Girard
Dans le monde actuel, beaucoup de choses correspondent au climat des grands textes apocalyptiques du Nouveau Testament, en particulier Matthieu et Marc. Il y est fait mention du phénomène principal du mimétisme, qui est la lutte des doubles : ville contre ville, province contre province… Ce sont toujours les doubles qui se battent et leur bagarre n’a aucun sens puisque c’est la même chose des deux côtés. Aujourd’hui, il ne semble rien de plus urgent à la Chine que de rattraper les Etats-Unis sur tous les plans et en particulier sur le nombre d’autoroutes ou la production de véhicules automobiles. Vous imaginez les conséquences ? Il est bien évident que la production économique et les performances des entreprises mettent en jeu la rivalité. Clausewitz le disait déjà en 1820 : il n’y a rien qui ressemble plus à la guerre que le commerce. Souvent les chrétiens s’arrêtent à une interprétation eschatologique des textes de l’Apocalypse. Il s’agirait d’un événement supranaturel… Rien n’est plus faux ! Au chapitre 16 de Matthieu, les juifs demandent à Jésus un signe. « Mais, vous savez les lire, les signes, leur répond-t-il. Vous regardez la couleur du ciel le soir et vous savez deviner le temps qu’il fera demain. » Autrement dit, l’Apocalypse, c’est naturel. L’Apocalypse n’est pas du tout divine. Ce sont les hommes qui font l’Apocalypse. René Girard
Quels sont les grands leaders du monde aujourd’hui ? Le président Xi, le président Poutine – on peut être d’accord ou pas, mais c’est un leader –, le grand prince Mohammed Ben Salman. Et que seraient aujourd’hui les Emirats sans le leadership de MBZ ? (…) Quel est le problème des démocraties ? C’est que les démocraties ont pu devenir des démocraties avec de grands leaders : de Gaulle, Churchill… Mais les démocraties détruisent tous les leaderships. C’est un grand sujet, ce n’est pas un sujet anecdotique ! Comment peut-on avoir une vision à dix, quinze ou vingt ans, et en même temps avoir un rythme électoral aux Etats-Unis tous les quatre ans ? Les démocraties sont devenues un champ de bataille, où chaque heure est utilisée par tout le monde, réseaux sociaux et autres, pour détruire celui qui est en place. Comment voulez-vous avoir une vision de long terme pour un pays ? C’est ce qui fait que, aujourd’hui, les grands leaders du monde sont issus de pays qui ne sont pas de grandes démocraties. (…) C’est une formidable bonne nouvelle que la Chine assume ses responsabilités internationales. On assiste à un changement de la politique chinoise comme jamais on n’en a connu avant. Jamais. La Chine, c’est quand même le pays qui a construit la Grande Muraille pour se protéger des barbares qui étaient de l’autre côté : nous. « One Road, One Belt »,  c’est un changement colossal ! Tout d’un coup, la Chine décomplexée dit : “Je pars à la conquête du monde.” Alors est-ce que c’est pour des raisons éducatives, politiques, économiques : peu importe.  (…) Le président Xi considère que deux mandats de cinq ans, dix ans, c’est pas assez. Il a raison ! Le mandat du président américain, en vérité c’est pas quatre ans, c’est deux ans : un an pour apprendre le job, un an pour préparer la réélection. Donc vous comparez le président chinois qui a une vision pour son pays et qui dit : “Dix ans, c’est pas assez”, au président américain qui a en vérité deux ans. Mais qui parierait beaucoup sur la réélection de Trump ? Ce matin, j’ai rencontré le prince héritier MBZ. Est-ce que vous croyez qu’on construit un pays comme ça, en deux ans ? Ici, en cinquante ans, vous avez construit un des pays les plus modernes qui soient. La question du leadership est centrale. La réussite du modèle émirien est sans doute l’exemple le plus important pour nous, pour l’ensemble du monde. J’ai été le chef de l’Etat qui a signé le contrat du Louvre à Abou Dhabi. J’y ai mis toute mon énergie. MBZ y a mis toute sa vision. On a mis dix ans ! En allant vite ! Sauf que MBZ est toujours là… Et moi ça fait six ans que je suis parti. (…) La question doit être posée comme ça : est-ce qu’on a besoin de la Russie ou pas ? Ma réponse est oui ! La Russie, c’est le pays à la plus grande superficie du monde. Qui peut dire qu’on ne doit pas parler avec eux ? Quelle est cette idée folle ? Je n’avais pas tout à fait compris dans l’administration Obama pourquoi Poutine et la Russie étaient devenus le principal adversaire. Y a-t-il un risque que la Russie envahisse d’autres pays ? Je n’y crois pas. La Russie doit perdre environ un demi-million d’habitants par an, sur le territoire le plus grand du monde. Est-ce que vous avez déjà vu des pays qui n’arrivent pas à occuper toute leur surface aller envahir des pays à côté ? Sur l’Ukraine, je pense que l’affaire n’a pas été bien gérée depuis le début et qu’il y avait moyen de faire mieux. Poutine est un homme prévisible, avec qui on peut parler et qui respecte la force. Nicolas Sarkozy
One must be blind not to see the approach of the terrible moments of history about which the Apostle and Evangelist John the Theologian spoke in his Revelation. Patriarch Kirill
We believe that Putin is the best and the only leader [for Russia]… He is trying to make Russia the state where Christians can live and can save their souls for eternal life. Konstantin Malofeev
Simply said, the Antichrist will not come before there will not be anymore supporters [of Orthodoxy]… What is the coming of Antichrist? It is secularism. It is modernization. Westernization. Materialism. Scientific development. The concept of progress. Putin is exactly the figure who is resisting the Antichrist on earth. Aleksandr Dugin
Thank God we live in a country where political correctness has not reached the point of absurdity. Andrei Konchalovsky
If the world were saved from demonic constructions such as the United States, it would be easier for everyone to live. And one of these days it will happen. n. Russian commander
Putin understands that there is no empire without Ukraine. The first move, I think, is Ukraine. But I don’t exclude a military attack in the Far East. They want to distract American attention, prolong the front of confrontation in order to create a favorable situation for aggression in Europe. If you look at the map, Russia is always helping the enemies of America: deep ties to North Korea, involvement in Afghanistan and Syria, backing Iran, and so on. Antoni Macierewicz (Poland’s defense minister)
Vladimir Putin’s propaganda machine has two overarching goals.  First, the Russian people must believe the Kremlin version of domestic and world events (…) that Russia is a super power in a hostile world (…) Second, Kremlin propaganda must discredit Western democracy as dysfunctional and inferior to Russia’s managed “democracy.” Kremlin propaganda has largely failed in this regard. Russians consider their government corrupt, remote from the people, interested in preserving power rather than performing its duties, and lying about the true state of affairs. Nevertheless, Putin’s approval ratings remain high in the absence of rivals, who have fled the country, been indicted, or murdered. Putin, in fact, bases his legitimacy on high approval ratings. To counter the Russian people’s sense that they have no say in how they are governed, Kremlin propagandists must sell the story that Western democracies have it worse. Downtrodden Americans, they say, face poverty, hunger, racial and ethnic discrimination, unemployment, and they are governed by corrupt, inept, greedy, dysfunctional, and feuding politicians who sell out to the highest bidder on Wall Street or in Silicon Valley. This brings us to how the ballyhooed Russian meddling in the 2016 U.S. election has given Putin a gift that keeps on giving—a paralyzed federal government, incapable of compromise, in which a significant portion of the governing class questions the legitimacy of a new president. Russia routinely meddles in the politics of other countries. Despite denials, the Kremlin contributes to pro-Russian political parties throughout the world, gathers compromising information, hacks into email accounts, offers lucrative contracts to foreign businesses, and circulates false news. Given this history, U.S. authorities should not have been surprised by Russian meddling in the 2016 presidential race. To date, Special Counsel Robert Mueller has indicted thirteen Russian “internet trolls,” who sowed discord on social media by posting inflammatory, distorted, slanted, and false information promoting the Russian narrative of a deeply divided electorate and a discredited American electoral system. Mueller’s indictment identifies the Internet Research Agency (IRA) of St. Petersburg as the nerve center of Russia’s trolling operations. Although putatively owned by a private Russian oligarch close to Putin, there is little doubt that the IRA is a mouthpiece of the Kremlin. The existence and activities of the IRA have been known since 2014. It employs hundreds of hackers and writers divided into geographical sections. It is not the sole source of Russian trolling, but it is the most important. Those American politicians and pundits, like Congressman Jerry Nagler and columnist Thomas Friedman, who label Russian intervention an act of warfare on par with Pearl Harbor or 9/11must attribute supernatural powers to Putin’s trolls. After all, the Mueller investigation revealed that Russia spent no more than a few million dollars on its election-meddling versus the over two billion dollars spent by the presidential candidates alone. The IRA’s St. Petersburg America desk constituted some 90 persons. Their social media posts accounted for an infinitesimal portion of social media political traffic and much of this came after the election. (…) that Western democracies, American democracy especially, are rotten, corrupt, and hapless is a cornerstone of the Kremlin narrative. As the Mueller indictment concludes: The stated goal of the Russian operation was “spreading distrust towards candidates and the political system in general.” The Russian trolls, according to the Mueller indictment, used a number of techniques to achieve this end. They encouraged fringe candidates. They tried to ally with disaffected religious, ethnic, and nationalist groups. They discredited the candidate they thought most likely to win. Once the winner was known, they immediately moved to discredit him. (…) The dozen ill-informed operatives indicted by Mueller held poorly attended rallies, had to be educated about red and blue states, and spent their limited funds in uncontested states. It would be almost crazy to believe that such Russian intervention could have made a difference. Why, then, do so many Americans believe that Russia was instrumental in throwing the election to Donald Trump? It may be that some of the President’s opponents actually believe this narrative. But there’s another explanation, too: Russian intervention provides opportunistic politicians and pundits a useful excuse for paralyzing the incoming government of a gutter-fighter President from a show business and construction background with no political experience. In their view, such a person should not be allowed to govern. Hence the paralysis, dysfunction, and chaos of American democracy—long claimed by Russian propagandists—is on its way to becoming reality. What a windfall for Putin and his oligarchs. Paul R. Gregory
Ivan Ilyin, came to imagine a Russian Christian fascism. Born in 1883, he finished a dissertation on God’s worldly failure just before the Russian Revolution of 1917. Expelled from his homeland in 1922 by the Soviet power he despised, he embraced the cause of Benito Mussolini and completed an apology for political violence in 1925. In German and Swiss exile, he wrote in the 1920s and 1930s for White Russian exiles who had fled after defeat in the Russian civil war, and in the 1940s and 1950s for future Russians who would see the end of the Soviet power. (…) For the young Ilyin, writing before the Revolution, law embodied the hope that Russians would partake in a universal consciousness that would allow Russia to create a modern state. For the mature, counter-revolutionary Ilyin, a particular consciousness (“heart” or “soul,” not “mind”) permitted Russians to experience the arbitrary claims of power as law. Though he died forgotten, in 1954, Ilyin’s work was revived after collapse of the Soviet Union in 1991, and guides the men who rule Russia today. (…) Because Ilyin found ways to present the failure of the rule of law as Russian virtue, Russian kleptocrats use his ideas to portray economic inequality as national innocence. In the last few years, Vladimir Putin has also used some of Ilyin’s more specific ideas about geopolitics in his effort translate the task of Russian politics from the pursuit of reform at home to the export of virtue abroad. By transforming international politics into a discussion of “spiritual threats,” Ilyin’s works have helped Russian elites to portray the Ukraine, Europe, and the United States as existential dangers to Russia. (…) Ilyin used the word Spirit (Dukh) to describe the inspiration of fascists. The fascist seizure of power, he wrote, was an “act of salvation.” The fascist is the true redeemer, since he grasps that it is the enemy who must be sacrificed. Ilyin took from Mussolini the concept of a “chivalrous sacrifice” that fascists make in the blood of others. (Speaking of the Holocaust in 1943, Heinrich Himmler would praise his SS-men in just these terms.) (…) What seemed to trouble Ilyin most was that Italians and not Russians had invented fascism: “Why did the Italians succeed where we failed?” Writing of the future of Russian fascism in 1927, he tried to establish Russian primacy by considering the White resistance to the Bolsheviks as the pre-history of the fascist movement as a whole. The White movement had also been “deeper and broader” than fascism because it had preserved a connection to religion and the need for totality. Ilyin proclaimed to “my White brothers, the fascists” that a minority must seize power in Russia. The time would come. The “White Spirit” was eternal. (…) “The fact of the matter,” wrote Ilyin, “is that fascism is a redemptive excess of patriotic arbitrariness.” Arbitrariness (proizvol), a central concept in all modern Russian political discussions, was the bugbear of all Russian reformers seeking improvement through law. Now proizvol was patriotic. The word for “redemptive” (spasytelnii), is another central Russian concept. It is the adjective Russian Orthodox Christians might apply to the sacrifice of Christ on Calvary, the death of the One for the salvation of the many. Ilyin uses it to mean the murder of outsiders so that the nation could undertake a project of total politics that might later redeem a lost God. In one sentence, two universal concepts, law and Christianity, are undone. A spirit of lawlessness replaces the spirit of the law; a spirit of murder replaces a spirit of mercy. (…) Writing in Russian for Russian émigrés, Ilyin was quick to praise Hitler’s seizure of power in 1933. Hitler did well, in Ilyin’s opinion, to have the rule of law suspended after the Reichstag Fire of February 1933. Ilyin presented Hitler, like Mussolini, as a Leader from beyond history whose mission was entirely defensive. “A reaction to Bolshevism had to come,” wrote Ilyin, “and it came.” European civilization had been sentenced to death, but “so long as Mussolini is leading Italy and Hitler is leading Germany, European culture has a stay of execution.” Nazis embodied a “Spirit” (Dukh) that Russians must share. According to Ilyin, Nazis were right to boycott Jewish businesses and blame Jews as a collectivity for the evils that had befallen Germany. Above all, Ilyin wanted to persuade Russians and other Europeans that Hitler was right to treat Jews as agents of Bolshevism. This “Judeobolshevik” idea, as Ilyin understood, was the ideological connection between the Whites and the Nazis. The claim that Jews were Bolsheviks and Bolsheviks were Jews was White propaganda during the Russian Civil War. Of course, most communists were not Jews, and the overwhelming majority of Jews had nothing to do with communism. The conflation of the two groups was not an error or an exaggeration, but rather a transformation of traditional religious prejudices into instruments of national unity. Judeobolshevism appealed to the superstitious belief of Orthodox Christian peasants that Jews guarded the border between the realms of good and evil. It shifted this conviction to modern politics, portraying revolution as hell and Jews as its gatekeepers. As in Ilyin’s philosophy, God was weak, Satan was dominant, and the weapons of hell were modern ideas in the world. (…) As the 1930s passed, Ilyin began to doubt that Nazi Germany was advancing the cause of Russian fascism. This was natural, since Hitler regarded Russians as subhumans, and Germany supported European fascists only insofar as they were useful to the specific Nazi cause. Ilyin began to caution Russian Whites about Nazis, and came under suspicion from the German government. He lost his job and, in 1938, left Germany for Switzerland. He remained faithful, however, to his conviction that the White movement was anterior to Italian fascism and German National Socialism. In time, Russians would demonstrate a superior fascism. (…) World War II (…) was a confusing moment for both communists and their enemies, since the conflict began after the Soviet Union and Nazi Germany reached an agreement known as the Molotov-Ribbentrop Pact. (…) as the Wehrmacht invaded the Soviet Union (…) Ilyin (…) wrote of the German invasion of the USSR as a “judgment on Bolshevism.” After the Soviet victory at Stalingrad in February 1943, when it became clear that Germany would likely lose the war, Ilyin changed his position again. Then, and in the years to follow, he would present the war as one of a series of Western attacks on Russian virtue. Russian innocence was becoming one of Ilyin’s great themes. As a concept, it completed Ilyin’s fascist theory: the world was corrupt; it needed redemption from a nation capable of total politics; that nation was unsoiled Russia. As he aged, Ilyin dwelled on the Russian past, not as history, but as a cyclical myth of native virtue defended from external penetration. Russia was an immaculate empire, always under attack from all sides. A small territory around Moscow became the Russian Empire, the largest country of all time, without ever attacking anyone. Even as it expanded, Russia was the victim, because Europeans did not understand the profound virtue it was defending by taking more land. In Ilyin’s words, Russia has been subject to unceasing “continental blockade,” and so its entire past was one of “self-defense.” And so, “the Russian nation, since its full conversion to Christianity, can count nearly one thousand years of historical suffering.” (…) Democratic elections institutionalized the evil notion of individuality. “The principle of democracy,” Ilyin wrote, “was the irresponsible human atom.” Counting votes was to falsely accept “the mechanical and arithmetical understanding of politics.” It followed that “we must reject blind faith in the number of votes and its political significance.” Public voting with signed ballots will allow Russians to surrender their individuality. Elections were a ritual of submission of Russians before their Leader. (…) Russia today is a media-heavy authoritarian kleptocracy, not the religious totalitarian entity that Ilyin imagined. And yet, his concepts do help lift the obscurity from some of the more interesting aspects of Russian politics. Vladimir Putin, to take a very important example, is a post-Soviet politician who emerged from the realm of fiction. Since it is he who brought Ilyin’s ideas into high politics, his rise to power is part of Ilyin’s story as well. (…) In the early 2000s, Putin maintained that Russia could become some kind of rule-of-law state. Instead, he succeeded in bringing economic crime within the Russian state, transforming general corruption into official kleptocracy. Once the state became the center of crime, the rule of law became incoherent, inequality entrenched, and reform unthinkable. Another political story was needed. Because Putin’s victory over Russia’s oligarchs also meant control over their television stations, new media instruments were at hand. The Western trend towards infotainment was brought to its logical conclusion in Russia, generating an alternative reality meant to generate faith in Russian virtue but cynicism about facts. This transformation was engineered by Vladislav Surkov, the genius of Russian propaganda. He oversaw a striking move toward the world as Ilyin imagined it, a dark and confusing realm given shape only by Russian innocence. With the financial and media resources under control, Putin needed only, in the nice Russian term, to add the “spiritual resource.” And so, beginning in 2005, Putin began to rehabilitate Ilyin as a Kremlin court philosopher. (…) If Russia could not become a rule-of-law state, it would seek to destroy neighbors that had succeeded in doing so or that aspired to do so. Echoing one of the most notorious proclamations of the Nazi legal thinker Carl Schmitt, Ilyin wrote that politics “is the art of identifying and neutralizing the enemy.” In the second decade of the twenty-first century, Putin’s promises were not about law in Russia, but about the defeat of a hyper-legal neighboring entity. The European Union, the largest economy in the world and Russia’s most important economic partner, is grounded on the assumption that international legal agreements provide the basis for fruitful cooperation among rule-of-law states. (…) Putin predicted that Eurasia would overcome the European Union and bring its members into a larger entity that would extend “from Lisbon to Vladivostok.” (…) Modifying Ilyin’s views about Russian innocence ever so slightly, Russian leaders could see the Soviet Union not as a foreign imposition upon Russia, as Ilyin had, but rather as Russia itself, and so virtuous despite appearances. Any faults of the Soviet system became necessary Russian reactions to the prior hostility of the West. Questions about the influence of ideas in politics are very difficult to answer, and it would be needlessly bold to make of Ilyin’s writings the pillar of the Russian system. For one thing, Ilyin’s vast body of work admits multiple interpretations. (…) And yet, most often in the Russia of the second decade of the twenty-first century, it is Ilyin’s ideas that to seem to satisfy political needs and to fill rhetorical gaps, to provide the “spiritual resource” for the kleptocratic state machine. (…) Russia’s 2012 law on “foreign agents,” passed right after Putin’s return to the office of the presidency, well represents Ilyin’s attitude to civil society. Ilyin believed that Russia’s “White Spirit” should animate the fascists of Europe; since 2013, the Kremlin has provided financial and propaganda support to European parties of the populist and extreme right. The Russian campaign against the “decadence” of the European Union, initiated in 2013, is in accord with Ilyin’s worldview. (…) Putin first submitted to years of shirtless fur-and-feather photoshoots, then divorced his wife, then blamed the European Union for Russian homosexuality. Ilyin sexualized what he experienced as foreign threats. Jazz, for example, was a plot to induce premature ejaculation. When Ukrainians began in late 2013 to assemble in favor of a European future for their country, the Russian media raised the specter of a “homodictatorship.” (…) Putin justified Russia’s attempt to draw Ukraine towards Eurasia by Ilyin’s “organic model” that made of Russia and Ukraine “one people. » Timothy Snyder
The last two weeks have witnessed the upending of the European order and the close of the post-Cold War era. With his invasion of Crimea and the instant absorption of the strategic peninsula, Vladimir Putin has shown that he will not play by the West’s rules. The “end of history” is at an end—we’re now seeing the onset of Cold War 2.0. What’s on the Kremlin’s mind was made clear by Putin’s fire-breathing speech to the Duma announcing the annexation of Crimea, which blended retrograde Russian nationalism with a generous helping of messianism on behalf of his fellow Slavs, alongside the KGB-speak that Putin is so fond of. If you enjoy mystical references to Orthodox saints of two millennia past accompanied by warnings about a Western fifth column and “national traitors,” this was the speech for you. Putin confirmed the worst fears of Ukrainians who think they should have their own country. But his ambitions go well beyond Ukraine: By explicitly linking Russian ethnicity with membership in the Russian Federation, Putin has challenged the post-Soviet order writ large. For years, I studied Russia as a counterintelligence officer for the National Security Agency, and at times I feel like I’m seeing history in reverse. The Kremlin is a fiercely revisionist power, seeking to change the status quo by various forms of force. This will soon involve NATO members in the Baltics directly, as well as Poland and Romania indirectly. Longstanding Russian acumen in what I term Special War, an amalgam of espionage, subversion and terrorism by spies and special operatives, is already known to Russia’s neighbors and can be expected to increase. In truth, Putin set Russia on a course for Cold War 2.0 as far back as 2007, and perhaps earlier; Western counterintelligence noted major upswings in aggressive Russian espionage and subversion against NATO members as far back as 2006.The brief Georgia war of August 2008, which made clear that the Kremlin was perfectly comfortable with using force in the post-Soviet space, ought to have served as a bigger wake-up call for the West. John R. Schindler (2014)
Ever since Moscow’s Little Green Men seized Crimea in early 2014, we’ve been in a new Cold War with Russia. To the consternation of wishful-thinkers, as Vladimir Putin’s confrontation with the West has become transparent, the reality of what I termed Cold War 2.0 almost four years ago has grown difficult to deny. Since the Kremlin’s revanchism is driving this conflict, we’re in it whether we want to be or not. Europe is the central front  in Cold War 2.0, thanks to geography and history. Putin’s war on, and in, Ukraine continues on low boil, while the Russian military regularly delivers provocations—a too-close warship here, an aircraft buzz there—all along NATO’s eastern frontier, sending an aggressive message. Major military exercises like September’s Zapad mega-wargame demonstrate Putin’s seriousness about confronting the Atlantic Alliance. (…)  However, Kremlin provocations extend far beyond the former Soviet Union (…) This assessment sounds alarmist at first, particularly the mention of possible aggression in the Far East, but Western intelligence agencies that track Russian moves have been thinking along similar lines—though they seldom say so in public. Therefore, it’s worth taking a brief look at what Putin’s up to, and where. Russia’s footprint on the North Korean crisis is impossible to miss, and since that’s the world’s most dangerous strategic predicament at present, Moscow’s less-than-helpful role merits attention. Although Beijing is clearly exasperated by the unhinged antics of its semi-client regime in Pyongyang, Moscow seems perfectly pleased with the hazardous games played by North Korea. And why not? Pyongyang creates strategic confusion for the Americans, which the Kremlin always enjoys. Russian military and intelligence support to the increasingly isolated Kim regime is an open secret, while Putin’s sanctions-beating lifelines to Pyongyang are public and deeply annoying for both Beijing and Washington. Although Moscow is no more eager to see all-out war on the Korean peninsula than the Chinese or Americans, keeping the nasty Kim regime in place frustrates and distracts the Pentagon, which is Russia’s real aim here. Not to mention that backing North Korea is viewed in the Kremlin as payback for NATO’s “meddling” in Ukraine. A similar pattern can be detected in Afghanistan, where American-led forces are in their sixteenth year of a seemingly endless counterinsurgency against the Taliban—and it’s not going well. Therefore, Moscow has been giving clandestine support to the Taliban. A few months back, the U.S. military command in Afghanistan admitted that Russian arms were reaching the Taliban. That clandestine Kremlin assistance is costing lives is increasingly obvious. Russian aid has reached Taliban “special” units that launch attacks on Afghan military bases. A recent spate of Taliban assaults on Afghan forces, including nighttime raids, has inflicted unexpected casualties on American allies. Of concern to the Pentagon, Taliban fighters equipped with Russian-made night vision gear have been ambushing Afghan military and police with lethal effects. It seems only a matter of time before American troops are killed by Russian-equipped Taliban special operators. While the Kremlin is in truth no fonder of the Taliban than the West is, this spoiler strategy is inflicting pain on the Americans and our clients in Kabul, which is all the Russians seek here. Not to mention that payback against us in Afghanistan, three decades after U.S. clandestine aid killed and wounded thousands of Soviet troops in that country, must be delicious for Moscow, where revenge has always constituted a rational strategic motivation. However, the real fight is in the heart of the Middle East, where Russia and its Iranian allies are fundamentally transforming the region at high cost in blood. Together, Moscow and Tehran are challenging the American-constructed security system that’s an ailing holdover from the last Cold War. Even recent cooperation between America’s two clients, Israel and Saudi Arabia, appears insufficient to turn back the rising Russian-Iranian tide across the Middle East. We only have ourselves to blame for this. Putin has taken full advantage of the blank check written by Barack Obama in September 2013 when our president backed away from his “red line” in Syria, in effect outsourcing that country and its terrible civil war to the Kremlin. As I predicted at the time, the strategic consequences of Obama’s decision have been grave, making Putin the new Middle East power-broker—a message that was missed only in Washington think-tanks. For his part, Donald Trump has been only too willing to let his Russian counterpart and would-be buddy do whatever he likes in Syria, Iraq, and elsewhere. Moscow’s military intervention in the Middle East, begun under Obama, continues to flourish and shows no signs of abating. The balance of power in this vital region has shifted decisively from Washington to Moscow at appalling cost in human life, though none of that troubled President Obama very much, and it seems to trouble his successor not one bit. It would be naïve to think Putin restricts his poking to the Eastern Hemisphere. Closer to our home, the bear’s paw-prints are easily detectable. Take Venezuela, the Bolivarian dictatorship and economic basket-case that’s barely a viable country at all anymore, between currency collapse and serious food shortages. Russian money is keeping this anti-American regime afloat, and last week Moscow’s refinancing of $3.15 billion it’s owed by Caracas gives the flat-broke country a bit of financial breathing room. Without Russia, Venezuela would likely implode, and it’s worth considering whether the Bolivarian regime is actually Putin’s newest satellite state. Although sanctions and low oil prices have diminished the Kremlin’s largess toward anti-Americans all over the globe, the prospect of having a loyal (because utterly dependent) client so close to the United States seems too good for Putin to pass up. Then there’s Cuba, Moscow’s “fraternal ally” from the last Cold War, and apparently the second one too. Just 90 miles from Key West, Cuba has long served as a reliable base for Russian provocations against us, and nothing’s changed. Russian economic aid to that impoverished island is back, after falling off after 1991, and the Kremlin has begun to reopen its military and spy bases in the country, which were shuttered after the Soviet collapse. Western intelligence has detected a Kremlin hand behind the recent rash of sonic attacks on American and Canadian diplomats in Cuba. While Havana flatly denies that anything untoward has occurred, two dozen U.S. diplomats in the country have suffered serious health problems due to this mysterious problem, which remains officially unexplained. However, it’s known that the KGB experimented with sonic weapons, while an attack of this sophistication is widely considered to be beyond the technical abilities of Cuban intelligence. (….) In all, this amounts to a worldwide Russian effort to push back against what’s left of American hegemony. Since Moscow lacks the ability to directly counter NATO and the U.S. militarily, the Russians are provoking and prodding where they can with the techniques of Special War: it’s what the Kremlin does best. This should be considered a spoiler strategy, a strategy of tension—what left-wing Italians in the 1970s termed la strategia della tensione. Vladimir Putin seeks to expand Russian power on the cheap while causing problems for America and our allies wherever he can—without direct military confrontation. John Schindler
One of the more interesting aspects of Cold War 2.0 is the ideological struggle between the postmodern West and Russia—a struggle that most Westerners deny even exists. there is an undeniable ideological struggle between Vladimir Putin’s neo-traditionalist Russia and the post-modern West—one that prominent Russians talk about all the time. In the Kremlin’s imagination, this fight pits the godless, materialistic, doomed 21st century West, too lazy to even reproduce, against a tough, reborn Russia that was forged in the murderous fire of 74 years of Bolshevism. The yawning gap between Russian and Western values can be partly explained by the fact that Communism shielded the former from the West’s vast cultural shifts since the 1960s. Living under the Old Left provided protection against the New Left. As a result, Russians are living in our past and find current Western ways incomprehensible and even contemptible. Take the reaction to America’s present panic about sexual harassment, which is felling celebrities and politicians left and right. In Moscow, this looks like madness, punishing powerful men for doing what powerful men have always done. Their late-night TV uses our sex panic as a punchline, proof that Americans are weak and feminized, held hostage to radical ideology. There is an undeniable theological aspect to this Russian contempt for post-modern Western values. The Russian Orthodox Church, which isn’t exactly state-controlled but is tightly linked to the Kremlin, regularly denounces the godless West and its sins—homosexuality and feminism especially. Orthodox clerics regularly castigate our “Satanic” ways as an example of what Russia must repel if it wants to survive the 21st century. Denouncing the West as godless and decadent is a venerable tradition in Russian Orthodoxy with deep historical roots, and it’s been reborn after Communism with gusto. Patriarch Kirill, the head of the ROC, frequently breathes fire on post-modern Western ways, and a couple weeks back he shared them with John Huntsman, the newly arrived American ambassador in Moscow, in an awkward meet-and-greet that turned into a theology lecture. Simply put, Kirill explained, America today is doing to itself what the Bolsheviks did to Russia: forcing a godless, secular ideology onto society. “Christian values are being destroyed… The West is abandoning God, but Russia is not abandoning God, like the majority of people in the world. That means the distance between our values is increasing,” he stated bluntly. Kirill’s insistence that America and the West are the outliers here, with Russia and most of the world on the side of traditional religion and values, is an important point that merits pondering. The traditionalist nature of Putinism, always present, has grown more intense in recent years as the Kremlin has sought to enshrine an official ideology as confrontation with the West has grown. Whatever Vladimir Putin may actually believe, he has played the public role of an Orthodox believer quite effectively. He has cultivated senior ROC clerics, who provide regime-endorsing soundbites as needed, and the church gives Putin legitimacy in the eyes of average Russians, who aren’t especially religious in terms of church-going, yet they see an Orthodox identity as reassuring and plausible in Communism’s wake. Putin has returned the church’s affection, stating that Russia’s “spiritual shield”—meaning Orthodoxy—is as important to the country’s security as its nuclear shield. In turn, Orthodox leaders portray Putin’s as a God-given figure, divinely sent to bring the country back to faith and great-power status out of the wreckage of atheistic Bolshevism. (…) Recently, Putin has played up the Orthodox nationalist message in a series of public events. He visited Mount Athos, Greece’s famous Holy Mountain, in May 2016 in a pilgrimage of sorts. It was shown live, with great fanfare, in wall-to-wall coverage on Tsargrad TV, and Putin was treated by the monks there more like a visiting Byzantine emperor than as the Russian president. This month, Putin was present for the grand reopening of the New Jerusalem Monastery outside Moscow, a sprawling 17th century complex that was destroyed by the Nazis in World War II and was rebuilt from the ground up over the past decade at great expense. It did not go unnoticed that the monastery was originally constructed to glorify the Third Rome idea, the centuries-old religious myth that Moscow is the sole successor to Rome and Byzantium, which has long served as a driver of Russian nationalism and imperialism. Then, last week, Patriarch Kirill warned of coming Armageddon. (…) Adding that the world’s end is in the hands of humanity, and something that Russians and all nations must stop, Krill warned of Earth imminently “slipping into the abyss of the end of history.” These are the comments of a top cleric, not the Ministry of Defense, but it should be noted that the Russian military is now practicing for global thermonuclear war in a manner it hasn’t done since the last Cold War. Last month, in an apparent continuation of September’s Zapad mega-wargame, Russia’s strategic nuclear forces conducted a huge exercise that involved Putin himself. This exercise involved all three “legs” of Russia’s nuclear triad: land-based ballistic missiles, long-range bombers, and submarines with ballistic missiles. In all, several cruise missiles were fired while three ballistic missiles were launched—and Putin personally gave the launch orders. This is a rare move, not to mention a violation of our nuclear treaties with the Kremlin, and Moscow was sending a hard-to-miss message. (…) It would be a mistake to directly lump nuclear exercises in with apocalyptic messages from leading Kremlin ideologues. However, it’s hardly encouraging that the Putin regime is pushing propaganda about planetary end-times while indulging in saber-rattling nuclear wargames for the first time in decades. Whatever else this aggressive Moscow messaging means, none of it bodes well for peace. John Schindler

Religions de tous pays, unissez vous !

Au lendemain d’un nouveau triomphe électoral du Chaisier musical en chef  de la sainte Russie …

Dont la participation et le score rien de moins qu’africains ou même soviétiques …

En font rêver plus d’un notre Sarkozy national en tête ….

Dans un Occident ne s’étant toujours pas remis du vide stratégique et des folies migratoires laissés par l’ère Obama-Merkel…

Comment ne pas voir …

Avec l’ex-expert de la NSA John Schindler

La lutte proprement théologique qui se profile …

Derrière la convergence des revanchismes tant russe que chinois ou musulman …

Et sous la menace d’une probablement inévitable invasion démographique africaine de l’Europe …

Entre sous l’étendard d’une Amérique en proie aux pires dérives du politiquement correct …

La décadence postmoderne d’un Occident désormais livré au plus crasse du matérialisme et de la déchristianisation ….

Et sous la houlette d’un régime poutinien multipliant entre inaugurations ou visites de lieux saints orthodoxes les démonstrations de force y compris chimiques ou thermonucléaires

Un reste du monde défendant la religion et les valeurs traditionnelles abandonnées par ledit Occident ?

Russia Conducts Nuclear Exercises Amid Orthodox End-Times Talk

One of the more interesting aspects of Cold War 2.0 is the ideological struggle between the postmodern West and Russia—a struggle that most Westerners deny even exists. President Barack Obama, after Moscow seized Crimea in early 2014, pronounced that there was nothing big afoot: “After all, unlike the Soviet Union, Russia leads no bloc of nations, no global ideology.”

Obama’s statement was wrong then, and it’s even more wrong now. As I’ve explained, there is an undeniable ideological struggle between Vladimir Putin’s neo-traditionalist Russia and the post-modern West—one that prominent Russians talk about all the time. In the Kremlin’s imagination, this fight pits the godless, materialistic, doomed 21st century West, too lazy to even reproduce, against a tough, reborn Russia that was forged in the murderous fire of 74 years of Bolshevism.

The yawning gap between Russian and Western values can be partly explained by the fact that Communism shielded the former from the West’s vast cultural shifts since the 1960s. Living under the Old Left provided protection against the New Left. As a result, Russians are living in our past and find current Western ways incomprehensible and even contemptible.

Take the reaction to America’s present panic about sexual harassment, which is felling celebrities and politicians left and right. In Moscow, this looks like madness, punishing powerful men for doing what powerful men have always done. Their late-night TV uses our sex panic as a punchline, proof that Americans are weak and feminized, held hostage to radical ideology. Andrei Konchalovsky, one of Russia’s top film directors (including some Hollywood hits), expressed his view plainly: “Thank God we live in a country where political correctness has not reached the point of absurdity.”

There is an undeniable theological aspect to this Russian contempt for post-modern Western values. The Russian Orthodox Church, which isn’t exactly state-controlled but is tightly linked to the Kremlin, regularly denounces the godless West and its sins—homosexuality and feminism especially. Orthodox clerics regularly castigate our “Satanic” ways as an example of what Russia must repel if it wants to survive the 21st century.

Denouncing the West as godless and decadent is a venerable tradition in Russian Orthodoxy with deep historical roots, and it’s been reborn after Communism with gusto. Patriarch Kirill, the head of the ROC, frequently breathes fire on post-modern Western ways, and a couple weeks back he shared them with John Huntsman, the newly arrived American ambassador in Moscow, in an awkward meet-and-greet that turned into a theology lecture.

Simply put, Kirill explained, America today is doing to itself what the Bolsheviks did to Russia: forcing a godless, secular ideology onto society. “Christian values are being destroyed… The West is abandoning God, but Russia is not abandoning God, like the majority of people in the world. That means the distance between our values is increasing,” he stated bluntly. Kirill’s insistence that America and the West are the outliers here, with Russia and most of the world on the side of traditional religion and values, is an important point that merits pondering.

The traditionalist nature of Putinism, always present, has grown more intense in recent years as the Kremlin has sought to enshrine an official ideology as confrontation with the West has grown. Whatever Vladimir Putin may actually believe, he has played the public role of an Orthodox believer quite effectively. He has cultivated senior ROC clerics, who provide regime-endorsing soundbites as needed, and the church gives Putin legitimacy in the eyes of average Russians, who aren’t especially religious in terms of church-going, yet they see an Orthodox identity as reassuring and plausible in Communism’s wake.

Putin has returned the church’s affection, stating that Russia’s “spiritual shield”—meaning Orthodoxy—is as important to the country’s security as its nuclear shield. In turn, Orthodox leaders portray Putin’s as a God-given figure, divinely sent to bring the country back to faith and great-power status out of the wreckage of atheistic Bolshevism.

Prominent here is Konstantin Malofeev, a hedge-fund billionaire turned militant Orthodox nationalist, who created Tsargrad TV, a 24-hour cable new network, to push those values to the public. Malofeev, like the Blues Brothers, thinks he’s on a mission from God, and his network is basically the Russian Fox News, if FNC focused on theology and mystical nationalism instead of blonde newsreaders.

Malofeev’s affection for Russia’s president and his system is clear: “We believe that Putin is the best and the only leader [for Russia]… He is trying to make Russia the state where Christians can live and can save their souls for eternal life.” While the deeply Eastern nature of Orthodoxy means it has little appeal for Western Christians, there’s no doubt that Kremlin messaging is reaching some, especially American Evangelicals, whom Moscow sees as potential allies abroad.

The notorious gadfly Aleksandr Dugin goes further: “Simply said, the Antichrist will not come before there will not be anymore supporters [of Orthodoxy]… What is the coming of Antichrist? It is secularism. It is modernization. Westernization. Materialism. Scientific development. The concept of progress.” He added that Putin is “exactly” the figure who is resisting the Antichrist on earth.

Dugin, it should be noted, isn’t some random flake or religious nut, he’s a Big Idea thinker who’s taken somewhat seriously in the Kremlin, although his real role seems to be Moscow’s ambassador-at-large to the Western far-right. He is close to the Russian security services and he runs a website that pushes his hardline Orthodox nationalist message in several languages, including English. Its name comes from the Greek word for “he who resists the Antichrist.”

Recently, Putin has played up the Orthodox nationalist message in a series of public events. He visited Mount Athos, Greece’s famous Holy Mountain, in May 2016 in a pilgrimage of sorts. It was shown live, with great fanfare, in wall-to-wall coverage on Tsargrad TV, and Putin was treated by the monks there more like a visiting Byzantine emperor than as the Russian president.

This month, Putin was present for the grand reopening of the New Jerusalem Monastery outside Moscow, a sprawling 17th century complex that was destroyed by the Nazis in World War II and was rebuilt from the ground up over the past decade at great expense. It did not go unnoticed that the monastery was originally constructed to glorify the Third Rome idea, the centuries-old religious myth that Moscow is the sole successor to Rome and Byzantium, which has long served as a driver of Russian nationalism and imperialism.

Then, last week, Patriarch Kirill warned of coming Armageddon. After a service at Moscow’s Christ the Savior Cathedral, he made a stunning statement: “One must be blind not to see the approach of the terrible moments of history about which the Apostle and Evangelist John the Theologian spoke in his Revelation.” Adding that the world’s end is in the hands of humanity, and something that Russians and all nations must stop, Krill warned of Earth imminently “slipping into the abyss of the end of history.”

These are the comments of a top cleric, not the Ministry of Defense, but it should be noted that the Russian military is now practicing for global thermonuclear war in a manner it hasn’t done since the last Cold War. Last month, in an apparent continuation of September’s Zapad mega-wargame, Russia’s strategic nuclear forces conducted a huge exercise that involved Putin himself. This exercise involved all three “legs” of Russia’s nuclear triad: land-based ballistic missiles, long-range bombers, and submarines with ballistic missiles. In all, several cruise missiles were fired while three ballistic missiles were launched—and Putin personally gave the launch orders.

This is a rare move, not to mention a violation of our nuclear treaties with the Kremlin, and Moscow was sending a hard-to-miss message. As Real Clear Defense reports, “The most striking thing about the exercise was that it was announced at all and that President Putin was characterized as ‘overseeing’ it and ordering the missile launches. This exercise was conducted in a sensitive period in U.S.-Russian relations. Russia did not have to announce the exercise. It has previously staged major strategic nuclear exercises without announcing them.”

It would be a mistake to directly lump nuclear exercises in with apocalyptic messages from leading Kremlin ideologues. However, it’s hardly encouraging that the Putin regime is pushing propaganda about planetary end-times while indulging in saber-rattling nuclear wargames for the first time in decades. Whatever else this aggressive Moscow messaging means, none of it bodes well for peace.

John Schindler is a security expert and former National Security Agency analyst and counterintelligence officer. A specialist in espionage and terrorism, he’s also been a Navy officer and a War College professor. He’s published four books and is on Twitter at @20committee. 

Voir aussi:

Putin’s Strategy of Global Tension

Ever since Moscow’s Little Green Men seized Crimea in early 2014, we’ve been in a new Cold War with Russia. To the consternation of wishful-thinkers, as Vladimir Putin’s confrontation with the West has become transparent, the reality of what I termed Cold War 2.0 almost four years ago has grown difficult to deny. Since the Kremlin’s revanchism is driving this conflict, we’re in it whether we want to be or not.

Europe is the central front in Cold War 2.0, thanks to geography and history. Putin’s war on, and in, Ukraine continues on low boil, while the Russian military regularly delivers provocations—a too-close warship here, an aircraft buzz there—all along NATO’s eastern frontier, sending an aggressive message. Major military exercises like September’s Zapad mega-wargame demonstrate Putin’s seriousness about confronting the Atlantic Alliance.

What Putin wants was the subject of my recent interview with Antoni Macierewicz, Poland’s plain-spoken defense minister. What the Kremlin boss seeks, he explained, is restoration of the Russian empire, to which Ukraine (or at least most of it) belonged for centuries. “Putin understands that there is no empire without Ukraine,” he added.

However, Kremlin provocations extend far beyond the former Soviet Union, as Macierewicz elaborated:

The first move, I think, is Ukraine. But I don’t exclude a military attack in the Far East. They want to distract American attention, prolong the front of confrontation in order to create a favorable situation for aggression in Europe. If you look at the map, Russia is always helping the enemies of America: deep ties to North Korea, involvement in Afghanistan and Syria, backing Iran, and so on.

This assessment sounds alarmist at first, particularly the mention of possible aggression in the Far East, but Western intelligence agencies that track Russian moves have been thinking along similar lines—though they seldom say so in public. Therefore, it’s worth taking a brief look at what Putin’s up to, and where.

Russia’s footprint on the North Korean crisis is impossible to miss, and since that’s the world’s most dangerous strategic predicament at present, Moscow’s less-than-helpful role merits attention. Although Beijing is clearly exasperated by the unhinged antics of its semi-client regime in Pyongyang, Moscow seems perfectly pleased with the hazardous games played by North Korea.

And why not? Pyongyang creates strategic confusion for the Americans, which the Kremlin always enjoys. Russian military and intelligence support to the increasingly isolated Kim regime is an open secret, while Putin’s sanctions-beating lifelines to Pyongyang are public and deeply annoying for both Beijing and Washington. Although Moscow is no more eager to see all-out war on the Korean peninsula than the Chinese or Americans, keeping the nasty Kim regime in place frustrates and distracts the Pentagon, which is Russia’s real aim here. Not to mention that backing North Korea is viewed in the Kremlin as payback for NATO’s “meddling” in Ukraine.

A similar pattern can be detected in Afghanistan, where American-led forces are in their sixteenth year of a seemingly endless counterinsurgency against the Taliban—and it’s not going well. Therefore, Moscow has been giving clandestine support to the Taliban. A few months back, the U.S. military command in Afghanistan admitted that Russian arms were reaching the Taliban. That clandestine Kremlin assistance is costing lives is increasingly obvious. Russian aid has reached Taliban “special” units that launch attacks on Afghan military bases.

A recent spate of Taliban assaults on Afghan forces, including nighttime raids, has inflicted unexpected casualties on American allies. Of concern to the Pentagon, Taliban fighters equipped with Russian-made night vision gear have been ambushing Afghan military and police with lethal effects. It seems only a matter of time before American troops are killed by Russian-equipped Taliban special operators.

While the Kremlin is in truth no fonder of the Taliban than the West is, this spoiler strategy is inflicting pain on the Americans and our clients in Kabul, which is all the Russians seek here. Not to mention that payback against us in Afghanistan, three decades after U.S. clandestine aid killed and wounded thousands of Soviet troops in that country, must be delicious for Moscow, where revenge has always constituted a rational strategic motivation.

However, the real fight is in the heart of the Middle East, where Russia and its Iranian allies are fundamentally transforming the region at high cost in blood. Together, Moscow and Tehran are challenging the American-constructed security system that’s an ailing holdover from the last Cold War. Even recent cooperation between America’s two clients, Israel and Saudi Arabia, appears insufficient to turn back the rising Russian-Iranian tide across the Middle East.

We only have ourselves to blame for this. Putin has taken full advantage of the blank check written by Barack Obama in September 2013 when our president backed away from his “red line” in Syria, in effect outsourcing that country and its terrible civil war to the Kremlin. As I predicted at the time, the strategic consequences of Obama’s decision have been grave, making Putin the new Middle East power-broker—a message that was missed only in Washington think-tanks.

For his part, Donald Trump has been only too willing to let his Russian counterpart and would-be buddy do whatever he likes in Syria, Iraq, and elsewhere. Moscow’s military intervention in the Middle East, begun under Obama, continues to flourish and shows no signs of abating. The balance of power in this vital region has shifted decisively from Washington to Moscow at appalling cost in human life, though none of that troubled President Obama very much, and it seems to trouble his successor not one bit.

It would be naïve to think Putin restricts his poking to the Eastern Hemisphere. Closer to our home, the bear’s paw-prints are easily detectable. Take Venezuela, the Bolivarian dictatorship and economic basket-case that’s barely a viable country at all anymore, between currency collapse and serious food shortages. Russian money is keeping this anti-American regime afloat, and last week Moscow’s refinancing of $3.15 billion it’s owed by Caracas gives the flat-broke country a bit of financial breathing room. Without Russia, Venezuela would likely implode, and it’s worth considering whether the Bolivarian regime is actually Putin’s newest satellite state. Although sanctions and low oil prices have diminished the Kremlin’s largess toward anti-Americans all over the globe, the prospect of having a loyal (because utterly dependent) client so close to the United States seems too good for Putin to pass up.

Then there’s Cuba, Moscow’s “fraternal ally” from the last Cold War, and apparently the second one too. Just 90 miles from Key West, Cuba has long served as a reliable base for Russian provocations against us, and nothing’s changed. Russian economic aid to that impoverished island is back, after falling off after 1991, and the Kremlin has begun to reopen its military and spy bases in the country, which were shuttered after the Soviet collapse.

Western intelligence has detected a Kremlin hand behind the recent rash of sonic attacks on American and Canadian diplomats in Cuba. While Havana flatly denies that anything untoward has occurred, two dozen U.S. diplomats in the country have suffered serious health problems due to this mysterious problem, which remains officially unexplained. However, it’s known that the KGB experimented with sonic weapons, while an attack of this sophistication is widely considered to be beyond the technical abilities of Cuban intelligence. “Of course it was the Russians,” explained a senior NATO security official to me recently about this strange case. “We have no real doubt of that.”

In all, this amounts to a worldwide Russian effort to push back against what’s left of American hegemony. Since Moscow lacks the ability to directly counter NATO and the U.S. militarily, the Russians are provoking and prodding where they can with the techniques of Special War: it’s what the Kremlin does best. This should be considered a spoiler strategy, a strategy of tension—what left-wing Italians in the 1970s termed la strategia della tensione.

Vladimir Putin seeks to expand Russian power on the cheap while causing problems for America and our allies wherever he can—without direct military confrontation. So far, the Kremlin seems to be playing its rather poor hand well at the tables of global power, and Putin’s strategy of tension shows no signs of abating. Although the Trump White House is paying no attention to this new reality, the Pentagon and our Intelligence Community certainly are.

John Schindler is a security expert and former National Security Agency analyst and counterintelligence officer. A specialist in espionage and terrorism, he’s also been a Navy officer and a War College professor. He’s published four books and is on Twitter at @20committee. 

Voir également:

How to Win Cold War 2.0

To beat Vladimir Putin, we’re going to have to be a little more like him.

The last two weeks have witnessed the upending of the European order and the close of the post-Cold War era. With his invasion of Crimea and the instant absorption of the strategic peninsula, Vladimir Putin has shown that he will not play by the West’s rules. The “end of history” is at an end—we’re now seeing the onset of Cold War 2.0.

What’s on the Kremlin’s mind was made clear by Putin’s fire-breathing speech to the Duma announcing the annexation of Crimea, which blended retrograde Russian nationalism with a generous helping of messianism on behalf of his fellow Slavs, alongside the KGB-speak that Putin is so fond of. If you enjoy mystical references to Orthodox saints of two millennia past accompanied by warnings about a Western fifth column and “national traitors,” this was the speech for you.

Putin confirmed the worst fears of Ukrainians who think they should have their own country. But his ambitions go well beyond Ukraine: By explicitly linking Russian ethnicity with membership in the Russian Federation, Putin has challenged the post-Soviet order writ large.

For years, I studied Russia as a counterintelligence officer for the National Security Agency, and at times I feel like I’m seeing history in reverse. The Kremlin is a fiercely revisionist power, seeking to change the status quo by various forms of force. This will soon involve NATO members in the Baltics directly, as well as Poland and Romania indirectly. Longstanding Russian acumen in what I term Special War, an amalgam of espionage, subversion and terrorism by spies and special operatives, is already known to Russia’s neighbors and can be expected to increase.

In truth, Putin set Russia on a course for Cold War 2.0 as far back as 2007, and perhaps earlier; Western counterintelligence noted major upswings in aggressive Russian espionage and subversion against NATO members as far back as 2006.The brief Georgia war of August 2008, which made clear that the Kremlin was perfectly comfortable with using force in the post-Soviet space, ought to have served as a bigger wake-up call for the West.

John R. Schindler is professor of national security affairs at the Naval War College and a former National Security Agency counterintelligence officer. The views expressed here are his own.
Voir de même:

Avec Zapad 2017, la Russie se prépare « pour une grande guerre », dit un responsable militaire de l’Otan

Le général tchèque Petr Pavel, le président du comité militaire de l’Otan, ne passe pour être alarmiste. Ainsi, en juin 2016, lors d’une audition devant la commission sénatoriale des Affaires étrangères et des Forces armées, il avait estimé que la Russie « ne présentait pas une menace imminente » tout n’écartant pas la volonté de son président, Vladimir Poutine, de défier l’Alliance atlantique.

« Des intérêts communs existent entre l’Alliance, l’Union européenne, nos propres pays et la Russie. Nous devons accepter que la Russie puisse être un concurrent, un compétiteur, un adversaire, un pair ou un partenaire – voire tout cela en même temps. […] Cette complexité est une réalité de notre environnement stratégique contemporain » et cela « demande une approche pratique et sophistiquée qui prend en compte le fait que la Russie veut devenir un partenaire mondial et acquérir un pouvoir mondial », avait ainsi expliqué le général Pavel aux sénateurs français.

Cela étant, l’exercice Zapad 2017 qui, mené conjointement par les forces russes et biélorusses, vient de débuter, préoccupe depuis plusieurs mois les responsables de l’Otan, dans la mesure où ces manoeuvres se déroulent dans l’enclave russe de Kaliningrad et en Biélorussie, à deux pas du passage dit de Suwalki qui est le seul accès terrestre reliant les pays baltes aux autres pays de l’Alliance et de l’Union européenne.

Or, il est reproché à la Russie de manquer de transparence au sujet de cet exercice, qui vise à simuler l’infiltration de « groupes extrémistes » en Biélorussie et à Kaliningrad pour y commettre des actes terroristes à des fins de déstabilisation.

Officiellement, Zapad 2017 mobilise environ 13.000 soldats. Mais selon le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, il y a « toutes les raisons de croire que le nombre de troupes sera substantiellement plus élevé que ce qui a été annoncé ». En outre, certains estiment qu’il servira de prétexte aux forces russes pour laisser des matériels en Biélorussie en vue d’une utilisation future.

Les manoeuvres Zapad-2017 « sont désignées pour nous provoquer, pour tester nos défenses et c’est pour cela que nous devons être forts », a ainsi affirmé, le 10 septembre, Michael Fallon, le ministre britannique de la Défense.

« La Russie est capable de manipuler les chiffres avec une grande aisance, c’est pourquoi elle ne veut pas d’observateurs étrangers. Mais 12.700 soldats annoncés pour des manoeuvres stratégiques, c’est ridicule », a commenté Alexandre Golts, un expert militaire russe indépendant, cité par l’AFP.

Ce manque de transparence de la Russie, qui ne s’inscrit pas dans l’esprit du Document de Vienne de l’OSCE [Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, ndlr], est un sujet de préoccupation pour le général Pavel, même s’il a rencontré, il y a deux semaines, le chef d’état-major des armées russes, le général Valery Gerasimov, pour évoquer cet exercice.

« Ce que nous voyons est une préparation sérieuse pour une grande guerre », a en effet dit le général tchèque lors d’un entretien donné le 16 septembre à l’Associated Press, en marge d’une réunion du comité militaire de l’Otan en Albanie. « Lorsque nous regardons uniquement l’exercice qui est présenté par la Russie, il ne devrait pas y avoir d’inquiétude. Mais quand on regarde la situation dans son ensemble, nous devons nous inquiéter parce que la Russie n’est pas transparente », a-t-il ajouté.

Le premier sujet de préoccupation du général Pavel porte sur le niveau des effectifs engagés dans l’exercice Zapad 2017. Selon lui, ils pourraient atteindre 70.000 soldats, voire 100.000.

« Nous avons une forte concentration de troupes dans les pays baltes. Nous avons une forte concentration de troupes en mer Noire. E le risque d’un incident peut être assez élevé en raison d’une erreur humaine ou d’une panne technologique », a souligné le général Pavel. « Nous devons être sûrs qu’un tel incident involontaire n’entraînera pas de conflit », a-t-il insisté.

Cela étant, la Biélorussie a annoncé, le 16 septembre, avoir invité des représentants de 7 pays (Lettonie, Lituanie, Estonie, Pologne, Suède, Norvège et d’Ukraine) pour observer les exercices de Zapad 2017 qui auront lieu sur son territoire. Il s’agit ainsi de répondre au « désir de développer la coopération et la bonne entente entre voisins, ainsi que les principes de réciprocité, d’ouverture et de transparence », a fait valoir le ministère biélorusse de la Défense. Jusqu’à présent, Moscou n’avait autorisé la venue que de trois oberservateurs de l’Otan, uniquement lors de la journée organisée pour les « visiteurs ».

Voir de plus:

Paul R. Gregory
Hoover
March 21, 2018

Vladimir Putin’s propaganda machine has two overarching goals.

First, the Russian people must believe the Kremlin version of domestic and world events. In this regard, the agents of Russian “information technology” have succeeded. Polls show that Russians believe that Russia is a super power in a hostile world; that there are no Russian troops in Ukraine; that Crimea voluntarily joined Russia; and that a Ukrainian fighter shot down Malaysian Airlines flight MH17.

Second, Kremlin propaganda must discredit Western democracy as dysfunctional and inferior to Russia’s managed “democracy.” Kremlin propaganda has largely failed in this regard. Russians consider their government corrupt, remote from the people, interested in preserving power rather than performing its duties, and lying about the true state of affairs. Nevertheless, Putin’s approval ratings remain high in the absence of rivals, who have fled the country, been indicted, or murdered.

Putin, in fact, bases his legitimacy on high approval ratings. To counter the Russian people’s sense that they have no say in how they are governed, Kremlin propagandists must sell the story that Western democracies have it worse. Downtrodden Americans, they say, face poverty, hunger, racial and ethnic discrimination, unemployment, and they are governed by corrupt, inept, greedy, dysfunctional, and feuding politicians who sell out to the highest bidder on Wall Street or in Silicon Valley.

This brings us to how the ballyhooed Russian meddling in the 2016 U.S. election has given Putin a gift that keeps on giving—a paralyzed federal government, incapable of compromise, in which a significant portion of the governing class questions the legitimacy of a new president.

Russia routinely meddles in the politics of other countries. Despite denials, the Kremlin contributes to pro-Russian political parties throughout the world, gathers compromising information, hacks into email accounts, offers lucrative contracts to foreign businesses, and circulates false news. Given this history, U.S. authorities should not have been surprised by Russian meddling in the 2016 presidential race.

To date, Special Counsel Robert Mueller has indicted thirteen Russian “internet trolls,” who sowed discord on social media by posting inflammatory, distorted, slanted, and false information promoting the Russian narrative of a deeply divided electorate and a discredited American electoral system. Mueller’s indictment identifies the Internet Research Agency (IRA) of St. Petersburg as the nerve center of Russia’s trolling operations. Although putatively owned by a private Russian oligarch close to Putin, there is little doubt that the IRA is a mouthpiece of the Kremlin. The existence and activities of the IRA have been known since 2014. It employs hundreds of hackers and writers divided into geographical sections. It is not the sole source of Russian trolling, but it is the most important.

Those American politicians and pundits, like Congressman Jerry Nagler and columnist Thomas Friedman, who label Russian intervention an act of warfare on par with Pearl Harbor or 9/11must attribute supernatural powers to Putin’s trolls. After all, the Mueller investigation revealed that Russia spent no more than a few million dollars on its election-meddling versus the over two billion dollars spent by the presidential candidates alone. The IRA’s St. Petersburg America desk constituted some 90 persons. Their social media posts accounted for an infinitesimal portion of social media political traffic and much of this came after the election.

Despite such evidence, Gerald F. Seib, a columnist for the Wall Street Journal, declares himself “frightened” by Russia’s “sophisticated and sustained effort to use technology, social media manipulation, and traditional covert measures to disrupt America’s political system.”

But a closer look at such trolls reveals a different picture. Over the past five years, Russian trolls have regularly attacked my articles at Forbes.com. Given the number of attacks and their organized nature, I suspect most came directly from the IRA.  The Kremlin clearly has not liked my posts on Russian domestic politics, the country’s faltering petro-economy, political assassinations, and foreign military intervention. What I encountered in the comments section of my pieces was an army of scripted trolls engaging in primitive invective and heavy doses of ad hominem blasts. These amateurs did not seem up to the monumental task for which they are now credited—of changing the course of American political history.

My trolls used the same clandestine social media techniques as those identified by Mueller in his indictments. They posted through leased servers with moving IP addresses. They assumed Anglo-Saxon (Jeff, RussM, Dave, John), exotic (Sadr Ewr, Er Ren), and computer generated (Hweits, Aij) monikers. Those with Anglo-Saxon names asserted they were Americans, even ex-Marines. They used provably false identities: One “Stanley Ford,” identifying himself as a graduate student at Stanford, expressed his dismay at my “shallow” Stanford economics seminar. But there is no such graduate student at Stanford and I had given no such seminar.

Other trolls, such as “Andrey,” wrote sometimes incomprehensible English: “Dear PAUL, can we badly know English language, but only one thing I want to say, YOU understand—Fack You.” (Russians have no English “u” sound in their alphabet.) Such “Andreys” were subsequently replaced by experienced trolls, such as “Jeff” and “RussM,” with an occasional guest rant by “Aij,” whose favorite topic was “filthy Jewish bankers.” My most prolific troll, “Jeff,” posted at times almost fifty comments per column. One troll appeared in person to pester me at a panel discussion in the Bay area. One volunteered that I am a fictional person. Another offered to drop by my office for a personal chat. For obvious reasons, I did not accept.

Troll “John’s” tirade is a classic ad hominem smear: “Gregory’s inane, badly written propaganda articles never had one original thought, just parroting what he could grab on the Internet. Gregory is a pitiful Nazi moron.”

My trolls made heavy use of moral equivalence. Did the U.S. not attack Iraq and did its police not gun down black teenagers in Missouri? Yes, Russia may be aiding the rebels in Syria and Ukraine, but are not American troops and CIA operatives swarming all over Ukraine? Yes, the shooting down of MH17 was a tragedy, but did not the United States down an Iranian passenger jet in 1988?

The “denying the obvious” technique is illustrated by three videos circulated by Russian trolls on the Internet and Russian TV. Each featured a wounded man lying in an east Ukrainian hospital bed. In one video, he claimed to be a heroic surgeon. In the second, he was a disillusioned neo-fascist financier. In the third video, the bandaged man declared himself an innocent bystander. The problem, I pointed out, was that each video featured the same Russian actor but in different roles. Unfazed, my trolls “saw no contradictions” until one of Russia’s main TV channels (NTV) declared that the versatile actor was mentally ill. When it comes to Ukraine, the official IRA line has been that the Russian tanks, radar, missile launchers, and the like were purchased at used weapon shops by the “patriots” fighting the neo-Nazis and extremists sent from Kiev. When I pointed out the inanity of this proposition, one troll’s unedited response read: “everything he (Gregory) says at the beginning is nothing BUT LIES! russia did not give the east ANYTHING.”

In a botched false-flag operation, trolls claimed that “Ukrainian” extremists fled in panic after firing on a separatist checkpoint, conveniently leaving behind a vast cache of Nazi regalia (plus “snipers’ diapers”). The video of the Nazi cache, however, is dated to the day before the alleged attack, according to the camera time code. My expose of the snipers’ diapers incident brought forth reinforcement from new trolls, who wanted to debate time zones and now to impute the time of day from the length of shadows.

My clashes with IRA trolls over Ukraine can seem at times comical, but they are dead serious. The trolls are pushing a strictly coordinated narrative both to the Russian people and to foreign audiences that Ukraine is an illegitimate state and that the United States and NATO are the aggressors.

Indeed, that Western democracies, American democracy especially, are rotten, corrupt, and hapless is a cornerstone of the Kremlin narrative. As the Mueller indictment concludes: The stated goal of the Russian operation was “spreading distrust towards candidates and the political system in general.” The Russian trolls, according to the Mueller indictment, used a number of techniques to achieve this end. They encouraged fringe candidates. They tried to ally with disaffected religious, ethnic, and nationalist groups. They discredited the candidate they thought most likely to win. Once the winner was known, they immediately moved to discredit him.

As noted above, the Russian people are largely on board with the IRA’s narrative. Why? The average Russian family gets its news from the major state networks, which offer topflight entertainment before and after news of the day. Russia’s trolls stand ready to swat down any unfavorable social media. Alternative messages have little hope of penetrating the Russian heartland.

Although the trolls are succeeding at home, Russian propaganda has had little effect on foreign audiences. Public opinion worldwide shows a negative opinion of Russia and Putin, according to Pew Research. But if Russian trolls cannot sway Western public opinion, how could they have influenced the outcome of the biggest game of all—a U.S. presidential election? The dozen ill-informed operatives indicted by Mueller held poorly attended rallies, had to be educated about red and blue states, and spent their limited funds in uncontested states. It would be almost crazy to believe that such Russian intervention could have made a difference.

Why, then, do so many Americans believe that Russia was instrumental in throwing the election to Donald Trump? It may be that some of the President’s opponents actually believe this narrative. But there’s another explanation, too: Russian intervention provides opportunistic politicians and pundits a useful excuse for paralyzing the incoming government of a gutter-fighter President from a show business and construction background with no political experience. In their view, such a person should not be allowed to govern. Hence the paralysis, dysfunction, and chaos of American democracy—long claimed by Russian propagandists—is on its way to becoming reality. What a windfall for Putin and his oligarchs.

Voir encore:

A Abou Dhabi, Sarkozy fait l’éloge des hommes forts

L’ancien président français regrette que « les démocraties détruisent tous les leaderships ».

Le Monde

Ces confidences peuvent paraître étonnantes de la part d’un ancien président français. Samedi 3 mars, lors du forum « Ideas Week-end » organisée à Abou Dhabi, la capitale des Emirats arabes unis, Nicolas Sarkozy a livré ses jugements sur l’état du monde, en maniant la provocation. A l’instar du site d’information Buzzfeed, Le Monde s’est procuré l’enregistrement de son intervention. Morceaux choisis.

  • Leadership et démocratie

« Quels sont les grands leaders du monde aujourd’hui ? Le président Xi, le président Poutine – on peut être d’accord ou pas, mais c’est un leader –, le grand prince Mohammed Ben Salman [d’Arabie saoudite]. Et que seraient aujourd’hui les Emirats sans le leadership de MBZ [Mohammed Ben Zayed] ?

Quel est le problème des démocraties ? C’est que les démocraties ont pu devenir des démocraties avec de grands leaders : de Gaulle, Churchill… Mais les démocraties détruisent tous les leaderships. C’est un grand sujet, ce n’est pas un sujet anecdotique ! Comment peut-on avoir une vision à dix, quinze ou vingt ans, et en même temps avoir un rythme électoral aux Etats-Unis tous les quatre ans ? Les démocraties sont devenues un champ de bataille, où chaque heure est utilisée par tout le monde, réseaux sociaux et autres, pour détruire celui qui est en place. Comment voulez-vous avoir une vision de long terme pour un pays ? C’est ce qui fait que, aujourd’hui, les grands leaders du monde sont issus de pays qui ne sont pas de grandes démocraties. »

  • La Chine

« C’est une formidable bonne nouvelle que la Chine assume ses responsabilités internationales. On assiste à un changement de la politique chinoise comme jamais on n’en a connu avant. Jamais. La Chine, c’est quand même le pays qui a construit la Grande Muraille pour se protéger des barbares qui étaient de l’autre côté : nous. « One Road, One Belt » [le projet de « nouvelles routes de la soie » du pouvoir chinois] : c’est un changement colossal ! Tout d’un coup, la Chine décomplexée dit : “Je pars à la conquête du monde.” Alors est-ce que c’est pour des raisons éducatives, politiques, économiques : peu importe. »

  • Xi président à vie

« Le président Xi considère que deux mandats de cinq ans, dix ans, c’est pas assez. Il a raison ! Le mandat du président américain, en vérité c’est pas quatre ans, c’est deux ans : un an pour apprendre le job, un an pour préparer la réélection. Donc vous comparez le président chinois qui a une vision pour son pays et qui dit : “Dix ans, c’est pas assez”, au président américain qui a en vérité deux ans. Mais qui parierait beaucoup sur la réélection de Trump ? Ce matin, j’ai rencontré le prince héritier MBZ. Est-ce que vous croyez qu’on construit un pays comme ça, en deux ans ? Ici, en cinquante ans, vous avez construit un des pays les plus modernes qui soient. La question du leadership est centrale. La réussite du modèle émirien est sans doute l’exemple le plus important pour nous, pour l’ensemble du monde. J’ai été le chef de l’Etat qui a signé le contrat du Louvre à Abou Dhabi. J’y ai mis toute mon énergie. MBZ y a mis toute sa vision. On a mis dix ans ! En allant vite ! Sauf que MBZ est toujours là… Et moi ça fait six ans que je suis parti. »

  • Comment traiter avec la Russie ?

« La question doit être posée comme ça : est-ce qu’on a besoin de la Russie ou pas ? Ma réponse est oui ! La Russie, c’est le pays à la plus grande superficie du monde. Qui peut dire qu’on ne doit pas parler avec eux ? Quelle est cette idée folle ? Je n’avais pas tout à fait compris dans l’administration Obama pourquoi Poutine et la Russie étaient devenus le principal adversaire. Y a-t-il un risque que la Russie envahisse d’autres pays ? Je n’y crois pas. La Russie doit perdre environ un demi-million d’habitants par an, sur le territoire le plus grand du monde. Est-ce que vous avez déjà vu des pays qui n’arrivent pas à occuper toute leur surface aller envahir des pays à côté ? Sur l’Ukraine, je pense que l’affaire n’a pas été bien gérée depuis le début et qu’il y avait moyen de faire mieux. Poutine est un homme prévisible, avec qui on peut parler et qui respecte la force. »

  • Le défi du populisme

« D’abord pour moi, M. Orban en Hongrie [le premier ministre], c’est pas un populiste. Mais là où il y a un grand leader, il n’y a pas de populisme ! Où est le populisme en Chine ? Où est le populisme ici ? Où est le populisme en Russie ? Où est le populisme en Arabie saoudite ? Si le grand leader quitte la table, les leaders populistes prennent la place. Parce que la polémique ne détruit pas le leader populiste, la polémique détruit le leader démocratique.

La seule solution, ce n’est pas de combattre le populisme, ça n’a pas de sens, c’est d’écouter ce que dit le peuple. Que dit le peuple ? L’Europe est à 12 kilomètres de l’Afrique par le détroit de Gibraltar. En trente ans, l’Afrique va passer d’un milliard d’habitants à 2,3 milliards. Le seul Nigeria, vous m’entendez, le Nigeria, dans trente ans, aura plus d’habitants que les Etats-Unis. Le peuple dit : “On ne peut pas accueillir toute l’immigration qui vient d’Afrique.” Et c’est vrai.

Il ne s’agit pas de supprimer l’immigration. Mais dans trente ans, il y aura 500 millions d’Européens, et 2,3 milliards d’Africains. Si l’Afrique ne se développe pas, l’Europe explosera. Ce n’est pas un sujet populiste, c’est un sujet tout court. »

Voir enfin:
Ivan Ilyin, Putin’s Philosopher of Russian Fascism

Timothy Snyder
The NY Reviw of books
March 16, 2018

This is an expanded version of Timothy Snyder’s essay “God Is a Russian” in the April 5, 2018 issue of The New York Review.


“The fact of the matter is that fascism is a redemptive excess of patriotic arbitrariness.”

—Ivan Ilyin, 1927

“My prayer is like a sword. And my sword is like a prayer.”

—Ivan Ilyin, 1927

“Politics is the art of identifying and neutralizing the enemy.”

—Ivan Ilyin, 1948

The Russian looked Satan in the eye, put God on the psychoanalyst’s couch, and understood that his nation could redeem the world. An agonized God told the Russian a story of failure. In the beginning was the Word, purity and perfection, and the Word was God. But then God made a youthful mistake. He created the world to complete himself, but instead soiled himself, and hid in shame. God’s, not Adam’s, was the original sin, the release of the imperfect. Once people were in the world, they apprehended facts and experienced feelings that could not be reassembled to what had been God’s mind. Each individual thought or passion deepened the hold of Satan on the world.

And so the Russian, a philosopher, understood history as a disgrace. Nothing that had happened since creation was of significance. The world was a meaningless farrago of fragments. The more humans sought to understand it, the more sinful it became. Modern society, with its pluralism and its civil society, deepened the flaws of the world and kept God in his exile. God’s one hope was that a righteous nation would follow a Leader into political totality, and thereby begin a repair of the world that might in turn redeem the divine. Because the unifying principle of the Word was the only good in the universe, any means that might bring about its return were justified.

Thus this Russian philosopher, whose name was Ivan Ilyin, came to imagine a Russian Christian fascism. Born in 1883, he finished a dissertation on God’s worldly failure just before the Russian Revolution of 1917. Expelled from his homeland in 1922 by the Soviet power he despised, he embraced the cause of Benito Mussolini and completed an apology for political violence in 1925. In German and Swiss exile, he wrote in the 1920s and 1930s for White Russian exiles who had fled after defeat in the Russian civil war, and in the 1940s and 1950s for future Russians who would see the end of the Soviet power.

A tireless worker, Ilyin produced about twenty books in Russian, and another twenty in German. Some of his work has a rambling and commonsensical character, and it is easy to find tensions and contradictions. One current of thought that is coherent over the decades, however, is his metaphysical and moral justification for political totalitarianism, which he expressed in practical outlines for a fascist state. A crucial concept was “law” or “legal consciousness” (pravosoznanie). For the young Ilyin, writing before the Revolution, law embodied the hope that Russians would partake in a universal consciousness that would allow Russia to create a modern state. For the mature, counter-revolutionary Ilyin, a particular consciousness (“heart” or “soul,” not “mind”) permitted Russians to experience the arbitrary claims of power as law. Though he died forgotten, in 1954, Ilyin’s work was revived after collapse of the Soviet Union in 1991, and guides the men who rule Russia today.

The Russian Federation of the early twenty-first century is a new country, formed in 1991 from the territory of the Russian republic of the Soviet Union. It is smaller than the old Russian Empire, and separated from it in time by the intervening seven decades of Soviet history. Yet the Russian Federation of today does resemble the Russian Empire of Ilyin’s youth in one crucial respect: it has not established the rule of law as the principle of government. The trajectory in Ilyin’s understanding of law, from hopeful universalism to arbitrary nationalism, was followed in the discourse of Russian politicians, including Vladimir Putin. Because Ilyin found ways to present the failure of the rule of law as Russian virtue, Russian kleptocrats use his ideas to portray economic inequality as national innocence. In the last few years, Vladimir Putin has also used some of Ilyin’s more specific ideas about geopolitics in his effort translate the task of Russian politics from the pursuit of reform at home to the export of virtue abroad. By transforming international politics into a discussion of “spiritual threats,” Ilyin’s works have helped Russian elites to portray the Ukraine, Europe, and the United States as existential dangers to Russia.

*

Ivan Ilyin was a philosopher who confronted Russian problems with German thinkers. This was typical of the time and place. He was child of the Silver Age, the late empire of the Romanov dynasty. His father was a Russian nobleman, his mother a German Protestant who had converted to Orthodoxy. As a student at Moscow between 1901 and 1906, Ilyin’s real subject was philosophy, which meant the ethical thought of Immanuel Kant (1724–1804). For the neo-Kantians, who then held sway in universities across Europe as well as in Russia, humans differed from the rest of creation by a capacity for reason that permitted meaningful choices. Humans could then freely submit to law, since they could grasp and accept its spirit.

Law was then the great object of desire of the Russian thinking classes. Russian students of law, perhaps more than their European colleagues, could see it as a source of political transformation. Law seemed to offer the antidote to the ancient Russian problem of proizvol, of arbitrary rule by autocratic tsars. Even as a hopeful young man, however, Ilyin struggled to see the Russian people as the creatures of reason Kant imagined. He waited expectantly for a grand revolt that would hasten the education of the Russian masses. When the Russo-Japanese War created conditions for a revolution in 1905, Ilyin defended the right to free assembly. With his girlfriend, Natalia Vokach, he translated a German anarchist pamphlet into Russian. The tsar was forced to concede a new constitution in 1906, which created a new Russian parliament. Though chosen in a way that guaranteed the power of the empire’s landed classes, the parliament had the authority to legislate. The tsar dismissed parliament twice, and then illegally changed the electoral system to ensure that it was even more conservative. It was impossible to see the new constitution as having brought the rule of law to Russia.

Employed to teach law by the university in 1909, Ilyin published a beautiful article in both Russian (1910) and German (1912) on the conceptual differences between law and power. Yet how to make law functional in practice and resonant in life? Kant seemed to leave open a gap between the spirit of law and the reality of autocracy. G.W.F. Hegel (1770–1831), however, offered hope by proposing that this and other painful tensions would be resolved by time. History, as a hopeful Ilyin read Hegel, was the gradual penetration of Spirit (Geist) into the world. Each age transcended the previous one and brought a crisis that promised the next one. The beastly masses will come to resemble the enlightened friends, ardors of daily life will yield to political order.

The philosopher who understands this message becomes the vehicle of Spirit, always a tempting prospect. Like other Russian intellectuals of his own and previous generations, the young Ilyin was drawn to Hegel, and in 1912 proclaimed a “Hegelian renaissance.” Yet, just as the immense Russian peasantry had given him second thoughts about the ease of communicating law to Russian society, so his experience of modern urban life left him doubtful that historical change was only a matter of Spirit. He found Russians, even those of his own class and milieu in Moscow, to be disgustingly corporeal. In arguments about philosophy and politics in the 1910s, he accused his opponents of “sexual perversion.”

In 1913, Ilyin worried that perversion was a national Russian syndrome, and proposed Sigmund Freud (1856–1939) as Russia’s savior. In Ilyin’s reading of Freud, civilization arose from a collective agreement to suppress basic drives. The individual paid a psychological price for sacrifice of his nature to culture. Only through long consultations on the couch of the psychoanalyst could unconscious experience surface into awareness. Psychoanalysis therefore offered a very different portrait of thought than did the Hegelian philosophy that Ilyin was then studying. Even as Ilyin was preparing his dissertation on Hegel, he offered himself as the pioneer of Russia’s national psychotherapy, travelling with Natalia to Vienna in May 1914 for sessions with Freud. Thus the outbreak of World War I found Ilyin in Vienna, the capital of the Habsburg monarchy, now one of Russia’s enemies.

“My inner Germans,” Ilyin wrote to a friend in 1915, “trouble me more than the outer Germans,” the German and Habsburg realms making war against the Russian Empire. The “inner German” who helped Ilyin to master the others was the philosopher Edmund Husserl, with whom he had studied in Göttingen in 1911. Husserl (1859–1938), the founder of the school of thought known as phenomenology, tried to describe the method by which the philosopher thinks himself into the world. The philosopher sought to forget his own personality and prior assumptions, and tried to experience a subject on its own terms. As Ilyin put it, the philosopher must mentally possess (perezhit’) the object of inquiry until he attains self-evident and exhaustive clarity (ochevidnost).

Husserl’s method was simplified by Ilyin into a “philosophical act” whereby the philosopher can still the universe and anything in it—other philosophers, the world, God— by stilling his own mind. Like an Orthodox believer contemplating an icon, Ilyin believed (in contrast to Husserl) that he could see a metaphysical reality through a physical one. As he wrote his dissertation about Hegel, he perceived the divine subject in a philosophical text, and fixed it in place. Hegel meant God when he wrote Spirit, concluded Ilyin, and Hegel was wrong to see motion in history. God could not realize himself in the world, since the substance of God was irreconcilably different from the substance of the world. Hegel could not show that every fact was connected to a principle, that every accident was part of a design, that every detail was part of a whole, and so on. God had initiated history and then been blocked from further influence.

Ilyin was quite typical of Russian intellectuals in his rapid and enthusiastic embrace of contradictory German ideas. In his dissertation he was able, thanks to his own very specific understanding of Husserl, to bring some order to his “inner Germans.” Kant had suggested the initial problem for a Russian political thinker: how to establish the rule of law. Hegel had seemed to provide a solution, a Spirit advancing through history. Freud had redefined Russia’s problem as sexual rather than spiritual. Husserl allowed Ilyin to transfer the responsibility for political failure and sexual unease to God. Philosophy meant the contemplation that allowed contact with God and began God’s cure. The philosopher had taken control and all was in view: other philosophers, the world, God. Yet, even after contact was made with the divine, history continued, “the current of events” continued to flow.

Indeed, even as Ilyin contemplated God, men were killing and dying by the millions on battlefields across Europe. Ilyin was writing his dissertation as the Russian Empire gained and then lost territory on the Eastern Front of World War I. In February 1917, the tsarist regime was replaced by a new constitutional order. The new government tottered as it continued a costly war. That April, Germany sent Vladimir Lenin to Russia in a sealed train, and his Bolsheviks carried out a second revolution in November, promising land to peasants and peace to all. Ilyin was meanwhile trying to assemble the committee so he could defend his dissertation. By the time he did so, in 1918, the Bolsheviks were in power, their Red Army was fighting a civil war, and the Cheka was defending revolution through terror.

World War I gave revolutionaries their chance, and so opened the way for counter-revolutionaries as well. Throughout Europe, men of the far right saw the Bolshevik Revolution as a certain kind of opportunity; and the drama of revolution and counter-revolution was played out, with different outcomes, in Germany, Hungary, and Italy. Nowhere was the conflict so long, bloody, and passionate as in the lands of the former Russian Empire, where civil war lasted for years, brought famine and pogroms, and cost about as many lives as World War I itself. In Europe in general, but in Russia in particular, the terrible loss of life, the seemingly endless strife, and the fall of empire brought a certain plausibility to ideas that might otherwise have remained unknown or seemed irrelevant. Without the war, Leninism would likely be a footnote in the history of Marxist thought; without Lenin’s revolution, Ilyin might not have drawn right-wing political conclusions from his dissertation.

Lenin and Ilyin did not know each other, but their encounter in revolution and counter-revolution was nevertheless uncanny. Lenin’s patronymic was “Ilyich” and he wrote under the pseudonym “Ilyin,” and the real Ilyin reviewed some of that pseudonymous work. When Ilyin was arrested by the Cheka as an opponent of the revolution, Lenin intervened on his behalf as a gesture of respect for Ilyin’s philosophical work. The intellectual interaction between the two men, which began in 1917 and continues in Russia today, began from a common appreciation of Hegel’s promise of totality. Both men interpreted Hegel in radical ways, agreeing with one another on important points such as the need to destroy the middle classes, disagreeing about the final form of the classless community.

Lenin accepted with Hegel that history was a story of progress through conflict. As a Marxist, he believed that the conflict was between social classes: the bourgeoisie that owned property and the proletariat that enabled profits. Lenin added to Marxism the proposal that the working class, though formed by capitalism and destined to seize its achievements, needed guidance from a disciplined party that understood the rules of history. In 1917, Lenin went so far as to claim that the people who knew the rules of history also knew when to break them— by beginning a socialist revolution in the Russian Empire, where capitalism was weak and the working class tiny. Yet Lenin never doubted that there was a good human nature, trapped by historical conditions, and therefore subject to release by historical action.

Marxists such as Lenin were atheists. They thought that by Spirit, Hegel meant God or some other theological notion, and replaced Spirit with society. Ilyin was not a typical Christian, but he believed in God. Ilyin agreed with Marxists that Hegel meant God, and argued that Hegel’s God had created a ruined world. For Marxists, private property served the function of an original sin, and its dissolution would release the good in man. For Ilyin, God’s act of creation was itself the original sin. There was never a good moment in history, and no intrinsic good in humans. The Marxists were right to hate the middle classes, and indeed did not hate them enough. Middle-class “civil society” entrenches plural interests that confound hopes for an “overpowering national organization” that God needs. Because the middle classes block God, they must be swept away by a classless national community. But there is no historical tendency, no historical group, that will perform this labor. The grand transformation from Satanic individuality to divine totality must begin somewhere beyond history.

According to Ilyin, liberation would arise not from understanding history, but from eliminating it. Since the earthly was corrupt and the divine unattainable, political rescue would come from the realm of fiction. In 1917, Ilyin was still hopeful that Russia might become a state ruled by law. Lenin’s revolution ensured that Ilyin henceforth regarded his own philosophical ideas as political. Bolshevism had proven that God’s world was as flawed as Ilyin had maintained. What Ilyin would call “the abyss of atheism” of the new regime was the final confirmation of the flaws of world, and of the power of modern ideas to reinforce them.

After he departed Russia, Ilyin would maintain that humanity needed heroes, outsized characters from beyond history, capable of willing themselves to power. In his dissertation, this politics was implicit in the longing for a missing totality and the suggestion that the nation might begin its restoration. It was an ideology awaiting a form and a name.

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Ilyin left Russia in 1922, the year the Soviet Union was founded. His imagination was soon captured by Benito Mussolini’s March on Rome, the coup d’état that brought the world’s first fascist regime. Ilyin was convinced that bold gestures by bold men could begin to undo the flawed character of existence. He visited Italy and published admiring articles about Il Duce while he was writing his book, On the Use of Violence to Resist Evil (1925). If Ilyin’s dissertation had laid groundwork for a metaphysical defense of fascism, this book was a justification of an emerging system. The dissertation described the lost totality unleashed by an unwitting God; second book explained the limits of the teachings of God’s Son. Having understood the trauma of God, Ilyin now “looked Satan in the eye.”

Thus famous teachings of Jesus, as rendered in the Gospel of Mark, take on unexpected meanings in Ilyin’s interpretations. “Judge not,” says Jesus, “that ye not be judged.” That famous appeal to reflection continues:

For with what judgment ye judge, ye shall be judged: and with what measure ye mete, it shall be measured to you again. And why beholdest thou the mote that is in thy brother’s eye, but considerest not the beam that is in thine own eye? Or how wilt thou say to thy brother, Let me pull out the mote out of thine eye; and, behold, a beam is in thine own eye? Thou hypocrite, first cast out the beam out of thine own eye; and then shalt thou see clearly to cast out the mote out of thy brother’s eye.

For Ilyin, these were the words of a failed God with a doomed Son. In fact, a righteous man did not reflect upon his own deeds or attempt to see the perspective of another; he contemplated, recognized absolute good and evil, and named the enemies to be destroyed. The proper interpretation of the “judge not” passage was that every day was judgment day, and that men would be judged for not killing God’s enemies when they had the chance. In God’s absence, Ilyin determined who those enemies were.

Perhaps Jesus’ most remembered commandment is to love one’s enemy, from the Gospel of Matthew: “Ye have heard that it hath been said, An eye for an eye, and a tooth for a tooth: But I say unto you, That ye resist not evil: but whosoever shall smite thee on thy right cheek, turn to him the other also.” Ilyin maintained that the opposite was meant. Properly understood, love meant totality. It did not matter whether one individual tries to love another individual. The individual only loved if he was totally subsumed in the community. To be immersed in such love was to struggle “against the enemies of the divine order on earth.” Christianity actually meant the call of the right-seeing philosopher to apply decisive violence in the name of love. Anyone who failed to accept this logic was himself an agent of Satan: “He who opposes the chivalrous struggle against the devil is himself the devil.”

Thus theology becomes politics. The democracies did not oppose Bolshevism, but enabled it, and must be destroyed. The only way to prevent the spread of evil was to crush middle classes, eradicate their civil society, and transform their individualist and universalist understanding of law into a consciousness of national submission. Bolshevism was no antidote to the disease of the middle classes, but rather the full irruption of their disease. Soviet and European governments must be swept away by violent coups d’état.

Ilyin used the word Spirit (Dukh) to describe the inspiration of fascists. The fascist seizure of power, he wrote, was an “act of salvation.” The fascist is the true redeemer, since he grasps that it is the enemy who must be sacrificed. Ilyin took from Mussolini the concept of a “chivalrous sacrifice” that fascists make in the blood of others. (Speaking of the Holocaust in 1943, Heinrich Himmler would praise his SS-men in just these terms.)

Ilyin understood his role as a Russian intellectual as the propagation of fascist ideas in a particular Russian idiom. In a poem in the first number of a journal he edited between 1927 and 1930, he provided the appropriate lapidary motto: “My prayer is like a sword. And my sword is like a prayer.” Ilyin dedicated his huge 1925 book On the Use of Violence to Resist Evil to the Whites, the men who had resisted the Bolshevik Revolution. It was meant as a guide to their future.

What seemed to trouble Ilyin most was that Italians and not Russians had invented fascism: “Why did the Italians succeed where we failed?” Writing of the future of Russian fascism in 1927, he tried to establish Russian primacy by considering the White resistance to the Bolsheviks as the pre-history of the fascist movement as a whole. The White movement had also been “deeper and broader” than fascism because it had preserved a connection to religion and the need for totality. Ilyin proclaimed to “my White brothers, the fascists” that a minority must seize power in Russia. The time would come. The “White Spirit” was eternal.

Ilyin’s proclamation of a fascist future for Russia in the 1920s was the absolute negation of his hopes in the 1910s that Russia might become a rule-of-law state. “The fact of the matter,” wrote Ilyin, “is that fascism is a redemptive excess of patriotic arbitrariness.” Arbitrariness (proizvol), a central concept in all modern Russian political discussions, was the bugbear of all Russian reformers seeking improvement through law. Now proizvol was patriotic. The word for “redemptive” (spasytelnii), is another central Russian concept. It is the adjective Russian Orthodox Christians might apply to the sacrifice of Christ on Calvary, the death of the One for the salvation of the many. Ilyin uses it to mean the murder of outsiders so that the nation could undertake a project of total politics that might later redeem a lost God.

In one sentence, two universal concepts, law and Christianity, are undone. A spirit of lawlessness replaces the spirit of the law; a spirit of murder replaces a spirit of mercy.

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Although Ilyin was inspired by fascist Italy, his home as a political refugee between 1922 and 1938 was Germany. As an employee of the Russian Scholarly Institute (Russisches Wissenschaftliches Institut), he was an academic civil servant. It was from Berlin that he observed the succession struggle after Lenin’s death that brought Joseph Stalin to power. He then followed Stalin’s attempt to transform the political victory of the Bolsheviks into a social revolution. In 1933, Ilyin published a long book, in German, on the famine brought by the collectivization of Soviet agriculture.

Writing in Russian for Russian émigrés, Ilyin was quick to praise Hitler’s seizure of power in 1933. Hitler did well, in Ilyin’s opinion, to have the rule of law suspended after the Reichstag Fire of February 1933. Ilyin presented Hitler, like Mussolini, as a Leader from beyond history whose mission was entirely defensive. “A reaction to Bolshevism had to come,” wrote Ilyin, “and it came.” European civilization had been sentenced to death, but “so long as Mussolini is leading Italy and Hitler is leading Germany, European culture has a stay of execution.” Nazis embodied a “Spirit” (Dukh) that Russians must share.

According to Ilyin, Nazis were right to boycott Jewish businesses and blame Jews as a collectivity for the evils that had befallen Germany. Above all, Ilyin wanted to persuade Russians and other Europeans that Hitler was right to treat Jews as agents of Bolshevism. This “Judeobolshevik” idea, as Ilyin understood, was the ideological connection between the Whites and the Nazis. The claim that Jews were Bolsheviks and Bolsheviks were Jews was White propaganda during the Russian Civil War. Of course, most communists were not Jews, and the overwhelming majority of Jews had nothing to do with communism. The conflation of the two groups was not an error or an exaggeration, but rather a transformation of traditional religious prejudices into instruments of national unity. Judeobolshevism appealed to the superstitious belief of Orthodox Christian peasants that Jews guarded the border between the realms of good and evil. It shifted this conviction to modern politics, portraying revolution as hell and Jews as its gatekeepers. As in Ilyin’s philosophy, God was weak, Satan was dominant, and the weapons of hell were modern ideas in the world.

During and after the Russian Civil War, some of the Whites had fled to Germany as refugees. Some brought with them the foundational text of modern antisemitism, the fictional “Protocols of the Elders of Zion,” and many others the conviction that a global Jewish conspiracy was responsible for their defeat. White Judeobolshevism, arriving in Germany in 1919 and 1920, completed the education of Adolf Hitler as an antisemite. Until that moment, Hitler had presented the enemy of Germany as Jewish capitalism. Once convinced that Jews were responsible for both capitalism and communism, Hitler could take the final step and conclude, as he did in Mein Kampf, that Jews were the source of all ideas that threatened the German people. In this important respect, Hitler was indeed a pupil of the Russian White movement. Ilyin, the main White ideologist, wanted the world to know that Hitler was right.

As the 1930s passed, Ilyin began to doubt that Nazi Germany was advancing the cause of Russian fascism. This was natural, since Hitler regarded Russians as subhumans, and Germany supported European fascists only insofar as they were useful to the specific Nazi cause. Ilyin began to caution Russian Whites about Nazis, and came under suspicion from the German government. He lost his job and, in 1938, left Germany for Switzerland. He remained faithful, however, to his conviction that the White movement was anterior to Italian fascism and German National Socialism. In time, Russians would demonstrate a superior fascism.

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From a safe Swiss vantage point near Zurich, Ilyin observed the outbreak of World War II. It was a confusing moment for both communists and their enemies, since the conflict began after the Soviet Union and Nazi Germany reached an agreement known as the Molotov-Ribbentrop Pact. Its secret protocol, which divided East European territories between the two powers, was an alliance in all but name. In September 1939, both Nazi Germany and the Soviet Union invaded Poland, their armies meeting in the middle. Ilyin believed that the Nazi-Soviet alliance would not last, since Stalin would betray Hitler. In 1941, the reverse took place, as the Wehrmacht invaded the Soviet Union. Though Ilyin harbored reservations about the Nazis, he wrote of the German invasion of the USSR as a “judgment on Bolshevism.” After the Soviet victory at Stalingrad in February 1943, when it became clear that Germany would likely lose the war, Ilyin changed his position again. Then, and in the years to follow, he would present the war as one of a series of Western attacks on Russian virtue.

Russian innocence was becoming one of Ilyin’s great themes. As a concept, it completed Ilyin’s fascist theory: the world was corrupt; it needed redemption from a nation capable of total politics; that nation was unsoiled Russia. As he aged, Ilyin dwelled on the Russian past, not as history, but as a cyclical myth of native virtue defended from external penetration. Russia was an immaculate empire, always under attack from all sides. A small territory around Moscow became the Russian Empire, the largest country of all time, without ever attacking anyone. Even as it expanded, Russia was the victim, because Europeans did not understand the profound virtue it was defending by taking more land. In Ilyin’s words, Russia has been subject to unceasing “continental blockade,” and so its entire past was one of “self-defense.” And so, “the Russian nation, since its full conversion to Christianity, can count nearly one thousand years of historical suffering.”

Although Ilyin wrote hundreds of tedious pages along these lines, he also made clear that it did not matter what had actually happened or what Russians actually did. That was meaningless history, those were mere facts. The truth about a nation, wrote Ilyin, was “pure and objective” regardless of the evidence, and the Russian truth was invisible and ineffable Godliness. Russia was not a country with individuals and institutions, even should it so appear, but an immortal living creature. “Russia is an organism of nature and the soul,” it was a “living organism,” a “living organic unity,” and so on. Ilyin wrote of “Ukrainians” within quotation marks, since in his view they were a part of the Russian organism. Ilyin was obsessed by the fear that people in the West would not understand this, and saw any mention of Ukraine as an attack on Russia. Because Russia is an organism, it “cannot be divided, only dissected.”

Ilyin’s conception of Russia’s political return to God required the abandonment not only of individuality and plurality, but also of humanity. The fascist language of organic unity, discredited by the war, remained central to Ilyin. In general, his thinking was not really altered by the war. He did not reject fascism, as did most of its prewar advocates, although he now did distinguish between what he regarded as better and worse forms of fascism. He did not partake in the general shift of European politics to the left, nor in the rehabilitation of democracy. Perhaps most importantly, he did not recognize that the age of European colonialism was passing. He saw Franco’s Spain and Salazar’s Portugal, then far-flung empires ruled by right-wing authoritarian regimes, as exemplary.

World War II was not a “judgment on Bolshevism,” as Ilyin had imagined in 1941. Instead, the Red Army had emerged triumphant in 1945, Soviet borders had been extended west, and a new outer empire of replicate regimes had been established in Eastern Europe. The simple passage of time made it impossible to imagine in the 1940s, as Ilyin had in the 1920s, the members of the White emigration might someday return to power in Russia. Now he was writing their eulogies rather than their ideologies. What was needed instead was a blueprint for a post-Soviet Russia that would be legible in the future. Ilyin set about composing a number of constitutional proposals, as well as a shorter set of political essays. These last, published as Our tasks (Nashi zadachi), began his intellectual revival in post-Soviet Russia.

These postwar recommendations bear an unmistakable resemblance to prewar fascist systems, and are consistent with the metaphysical and ethical legitimations of fascism present in Ilyin’s major works. The “national dictator,” predicted Ilyin, would spring from somewhere beyond history, from some fictional realm. This Leader (Gosudar’) must be “sufficiently manly,” like Mussolini. The note of fragile masculinity is hard to overlook. “Power comes all by itself,” declared Ilyin, “to the strong man.” People would bow before “the living organ of Russia.” The Leader “hardens himself in just and manly service.”

In Ilyin’s scheme, this Leader would be personally and totally responsible for every aspect of political life, as chief executive, chief legislator, chief justice, and commander of the military. His executive power is unlimited. Any “political selection” should take place “on a formally undemocratic basis.” Democratic elections institutionalized the evil notion of individuality. “The principle of democracy,” Ilyin wrote, “was the irresponsible human atom.” Counting votes was to falsely accept “the mechanical and arithmetical understanding of politics.” It followed that “we must reject blind faith in the number of votes and its political significance.” Public voting with signed ballots will allow Russians to surrender their individuality. Elections were a ritual of submission of Russians before their Leader.

The problem with prewar fascism, according to Ilyin, had been the one-party state. That was one party too many. Russia should be a zero-party state, in that no party should control the state or exercise any influence on the course of events. A party represents only a segment of society, and segmentation is what is to be avoided. Parties can exist, but only as traps for the ambitious or as elements of the ritual of electoral subservience. (Members of Putin’s party were sent the article that makes this point in 2014.) The same goes for civil society: it should exist as a simulacrum. Russians should be allowed to pursue hobbies and the like, but only within the framework of a total corporate structure that included all social organizations. The middle classes must be at the very bottom of the corporate structure, bearing the weight of the entire system. They are the producers and consumers of facts and feelings in a system where the purpose is to overcome factuality and sensuality.

“Freedom for Russia,” as Ilyin understood it (in a text selectively quoted by Putin in 2014), would not mean freedom for Russians as individuals, but rather freedom for Russians to understand themselves as parts of a whole. The political system must generate, as Ilyin clarified, “the organic-spiritual unity of the government with the people, and the people with the government.” The first step back toward the Word would be “the metaphysical identity of all people of the same nation.” The “the evil nature of the ‘sensual’” could be banished, and “the empirical variety of human beings” itself could be overcome.

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Russia today is a media-heavy authoritarian kleptocracy, not the religious totalitarian entity that Ilyin imagined. And yet, his concepts do help lift the obscurity from some of the more interesting aspects of Russian politics. Vladimir Putin, to take a very important example, is a post-Soviet politician who emerged from the realm of fiction. Since it is he who brought Ilyin’s ideas into high politics, his rise to power is part of Ilyin’s story as well.

Putin was an unknown when he was selected by post-Soviet Russia’s first president, Boris Yeltsin, to be prime minister in 1999. Putin was chosen by political casting call. Yeltsin’s intimates, carrying out what they called “Operation Successor,” asked themselves who the most popular character in Russian television was. Polling showed that this was the hero of a 1970s program, a Soviet spy who spoke German. This fit Putin, a former KGB officer who had served in East Germany. Right after he was appointed prime minister by Yeltsin in September 1999, Putin gained his reputation through a bloodier fiction. When apartment buildings in Russian cities began to explode, Putin blamed Muslims and began a war in Chechnya. Contemporary evidence suggests that the bombs might have been planted by Russia’s own security organization, the FSB. Putin was elected president in 2000, and served until 2008.

In the early 2000s, Putin maintained that Russia could become some kind of rule-of-law state. Instead, he succeeded in bringing economic crime within the Russian state, transforming general corruption into official kleptocracy. Once the state became the center of crime, the rule of law became incoherent, inequality entrenched, and reform unthinkable. Another political story was needed. Because Putin’s victory over Russia’s oligarchs also meant control over their television stations, new media instruments were at hand. The Western trend towards infotainment was brought to its logical conclusion in Russia, generating an alternative reality meant to generate faith in Russian virtue but cynicism about facts. This transformation was engineered by Vladislav Surkov, the genius of Russian propaganda. He oversaw a striking move toward the world as Ilyin imagined it, a dark and confusing realm given shape only by Russian innocence. With the financial and media resources under control, Putin needed only, in the nice Russian term, to add the “spiritual resource.” And so, beginning in 2005, Putin began to rehabilitate Ilyin as a Kremlin court philosopher.

That year, Putin began to cite Ilyin in his addresses to the Federal Assembly of the Russian Federation, and arranged for the reinterment of Ilyin’s remains in Russia. Then Surkov began to cite Ilyin. The propagandist accepted Ilyin’s idea that “Russian culture is the contemplation of the whole,” and summarizes his own work as the creation of a narrative of an innocent Russia surrounded by permanent hostility. Surkov’s enmity toward factuality is as deep as Ilyin’s, and like Ilyin, he tends to find theological grounds for it. Dmitry Medvedev, the leader of Putin’s political party, recommended Ilyin’s books to Russia’s youth. Ilyin began to figure in the speeches of the leaders of Russia’s tame opposition parties, the communists and the (confusingly-named, extreme-right) Liberal Democrats. These last few years, Ilyin has been cited by the head of the constitutional court, by the foreign minister, and by patriarchs of the Russian Orthodox Church.

After a four-year intermission between 2008 and 2012, during which Putin served as prime minister and allowed Medvedev to be president, Putin returned to the highest office. If Putin came to power in 2000 as hero from the realm of fiction, he returned in 2012 as the destroyer of the rule of law. In a minor key, the Russia of Putin’s time had repeated the drama of the Russia of Ilyin’s time. The hopes of Russian liberals for a rule-of-law state were again disappointed. Ilyin, who had transformed that failure into fascism the first time around, now had his moment. His arguments helped Putin transform the failure of his first period in office, the inability to introduce of the rule of law, into the promise for a second period in office, the confirmation of Russian virtue. If Russia could not become a rule-of-law state, it would seek to destroy neighbors that had succeeded in doing so or that aspired to do so. Echoing one of the most notorious proclamations of the Nazi legal thinker Carl Schmitt, Ilyin wrote that politics “is the art of identifying and neutralizing the enemy.” In the second decade of the twenty-first century, Putin’s promises were not about law in Russia, but about the defeat of a hyper-legal neighboring entity.

The European Union, the largest economy in the world and Russia’s most important economic partner, is grounded on the assumption that international legal agreements provide the basis for fruitful cooperation among rule-of-law states. In late 2011 and early 2012, Putin made public a new ideology, based in Ilyin, defining Russia in opposition to this model of Europe. In an article in Izvestiia on October 3, 2011, Putin announced a rival Eurasian Union that would unite states that had failed to establish the rule of law. In Nezavisimaia Gazeta on January 23, 2012, Putin, citing Ilyin, presented integration among states as a matter of virtue rather than achievement. The rule of law was not a universal aspiration, but part of an alien Western civilization; Russian culture, meanwhile, united Russia with post-Soviet states such as Ukraine. In a third article, in Moskovskie Novosti on February 27, 2012, Putin drew the political conclusions. Ilyin had imagined that “Russia as a spiritual organism served not only all the Orthodox nations and not only all of the nations of the Eurasian landmass, but all the nations of the world.” Putin predicted that Eurasia would overcome the European Union and bring its members into a larger entity that would extend “from Lisbon to Vladivostok.”

Putin’s offensive against the rule of law began with the manner of his reaccession to the office of president of the Russian Federation. The foundation of any rule-of-law state is a principle of succession, the set of rules that allow one person to succeed another in office in a manner that confirms rather than destroys the system. The way that Putin returned to power in 2012 destroyed any possibility that such a principle could function in Russia in any foreseeable future. He assumed the office of president, with a parliamentary majority, thanks to presidential and parliamentary elections that were ostentatiously faked, during protests whose participants he condemned as foreign agents.

In depriving Russia of any accepted means by which he might be succeeded by someone else and the Russian parliament controlled by another party but his, Putin was following Ilyin’s recommendation. Elections had become a ritual, and those who thought otherwise were portrayed by a formidable state media as traitors. Sitting in a radio station with the fascist writer Alexander Prokhanov as Russians protested electoral fraud, Putin mused about what Ivan Ilyin would have to say about the state of Russia. “Can we say,” asked Putin rhetorically, “that our country has fully recovered and healed after the dramatic events that have occurred to us after the Soviet Union collapsed, and that we now have a strong, healthy state? No, of course she is still quite ill; but here we must recall Ivan Ilyin: ‘Yes, our country is still sick, but we did not flee from the bed of our sick mother.’”

The fact that Putin cited Ilyin in this setting is very suggestive, and that he knew this phrase suggests extensive reading. Be that as it may, the way that he cited it seems strange. Ilyin was expelled from the Soviet Union by the Cheka—the institution that was the predecessor of Putin’s employer, the KGB. For Ilyin, it was the foundation of the USSR, not its dissolution, that was the Russian sickness. As Ilyin told his Cheka interrogator at the time: “I consider Soviet power to be an inevitable historical outcome of the great social and spiritual disease which has been growing in Russia for several centuries.” Ilyin thought that KGB officers (of whom Putin was one) should be forbidden from entering politics after the end of the Soviet Union. Ilyin dreamed his whole life of a Soviet collapse.

Putin’s reinterment of Ilyin’s remains was a mystical release from this contradiction. Ilyin had been expelled from Russia by the Soviet security service; his corpse was reburied alongside the remains of its victims. Putin had Ilyin’s corpse interred at a monastery where the NKVD, the heir to the Cheka and the predecessor of the KGB, had interred the ashes of thousands of Soviet citizens executed in the Great Terror. When Putin later visited the site to lay flowers on Ilyin’s grave, he was in the company of an Orthodox monk who saw the NKVD executioners as Russian patriots and therefore good men. At the time of the reburial, the head of the Russian Orthodox Church was a man who had previously served the KGB as an agent. After all, Ilyin’s justification for mass murder was the same as that of the Bolsheviks: the defense of an absolute good. As critics of his second book in the 1920s put it, Ilyin was a “Chekist for God.” He was reburied as such, with all possible honors conferred by the Chekists and by the men of God—and by the men of God who were Chekists, and by the Chekists who were men of God.

Ilyin was returned, body and soul, to the Russia he had been forced to leave. And that very return, in its inattention to contradiction, in its disregard of fact, was the purest expression of respect for his legacy. To be sure, Ilyin opposed the Soviet system. Yet, once the USSR ceased to exist in 1991, it was history—and the past, for Ilyin, was nothing but cognitive raw material for a literature of eternal virtue. Modifying Ilyin’s views about Russian innocence ever so slightly, Russian leaders could see the Soviet Union not as a foreign imposition upon Russia, as Ilyin had, but rather as Russia itself, and so virtuous despite appearances. Any faults of the Soviet system became necessary Russian reactions to the prior hostility of the West.

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Questions about the influence of ideas in politics are very difficult to answer, and it would be needlessly bold to make of Ilyin’s writings the pillar of the Russian system. For one thing, Ilyin’s vast body of work admits multiple interpretations. As with Martin Heidegger, another student of Husserl who supported Hitler, it is reasonable to ask how closely a man’s political support of fascism relates to a philosopher’s work. Within Russia itself, Ilyin is not the only native source of fascist ideas to be cited with approval by Vladimir Putin; Lev Gumilev is another. Contemporary Russian fascists who now rove through the public space, such as Aleksander Prokhanov and Aleksander Dugin, represent distinct traditions. It is Dugin, for example, who made the idea of “Eurasia” popular in Russia, and his references are German Nazis and postwar West European fascists. And yet, most often in the Russia of the second decade of the twenty-first century, it is Ilyin’s ideas that to seem to satisfy political needs and to fill rhetorical gaps, to provide the “spiritual resource” for the kleptocratic state machine. In 2017, when the Russian state had so much difficulty commemorating the centenary of the Bolshevik Revolution, Ilyin was advanced as its heroic opponent. In a television drama about the revolution, he decried the evil of promising social advancement to Russians.

Russian policies certainly recall Ilyin’s recommendations. Russia’s 2012 law on “foreign agents,” passed right after Putin’s return to the office of the presidency, well represents Ilyin’s attitude to civil society. Ilyin believed that Russia’s “White Spirit” should animate the fascists of Europe; since 2013, the Kremlin has provided financial and propaganda support to European parties of the populist and extreme right. The Russian campaign against the “decadence” of the European Union, initiated in 2013, is in accord with Ilyin’s worldview. Ilyin’s scholarly effort followed his personal projection of sexual anxiety to others. First, Ilyin called Russia homosexual, then underwent therapy with his girlfriend, then blamed God. Putin first submitted to years of shirtless fur-and-feather photoshoots, then divorced his wife, then blamed the European Union for Russian homosexuality. Ilyin sexualized what he experienced as foreign threats. Jazz, for example, was a plot to induce premature ejaculation. When Ukrainians began in late 2013 to assemble in favor of a European future for their country, the Russian media raised the specter of a “homodictatorship.”

The case for Ilyin’s influence is perhaps easiest to make with respect to Russia’s new orientation toward Ukraine. Ukraine, like the Russian Federation, is a new country, formed from the territory of a Soviet republic in 1991. After Russia, it was the second-most populous republic of the Soviet Union, and it has a long border with Russia to the east and north as well as with European Union members to the west. For the first two decades after the dissolution of the Soviet Union, Russian-Ukrainian relations were defined by both sides according to international law, with Russian lawyers always insistent on very traditional concepts such as sovereignty and territorial integrity. When Putin returned to power in 2012, legalism gave way to colonialism. Since 2012, Russian policy toward Ukraine has been made on the basis of first principles, and those principles have been Ilyin’s. Putin’s Eurasian Union, a plan he announced with the help of Ilyin’s ideas, presupposed that Ukraine would join. Putin justified Russia’s attempt to draw Ukraine towards Eurasia by Ilyin’s “organic model” that made of Russia and Ukraine “one people.”

Ilyin’s idea of a Russian organism including Ukraine clashed with the more prosaic Ukrainian notion of reforming the Ukrainian state. In Ukraine in 2013, the European Union was a subject of domestic political debate, and was generally popular. An association agreement between Ukraine and the European Union was seen as a way to address the major local problem, the weakness of the rule of law. Through threats and promises, Putin was able in November 2013 to induce the Ukrainian president, Viktor Yanukovych, not to sign the association agreement, which had already been negotiated. This brought young Ukrainians to the street to demonstrate in favor the agreement. When the Ukrainian government (urged on and assisted by Russia) used violence, hundreds of thousands of Ukrainian citizens assembled in Kyiv’s Independence Square. Their main postulate, as surveys showed at the time, was the rule of law. After a sniper massacre that left more than one hundred Ukrainians dead, Yanukovych fled to Russia. His main adviser, Paul Manafort, was next seen working as Donald Trump’s campaign manager.

By the time Yanukovych fled to Russia, Russian troops had already been mobilized for the invasion of Ukraine. As Russian troops entered Ukraine in February 2014, Russian civilizational rhetoric (of which Ilyin was a major source) captured the imagination of many Western observers. In the first half of 2014, the issues debated were whether or not Ukraine was or was not part of Russian culture, or whether Russian myths about the past were somehow a reason to invade a neighboring sovereign state. In accepting the way that Ilyin put the question, as a matter of civilization rather than law, Western observers missed the stakes of the conflict for Europe and the United States. Considering the Russian invasion of Ukraine as a clash of cultures was to render it distant and colorful and obscure; seeing it as an element of a larger assault on the rule of law would have been to realize that Western institutions were in peril. To accept the civilizational framing was also to overlook the basic issue of inequality. What pro-European Ukrainians wanted was to avoid Russian-style kleptocracy. What Putin needed was to demonstrate that such efforts were fruitless.

Ilyin’s arguments were everywhere as Russian troops entered Ukraine multiple times in 2014. As soldiers received their mobilization orders for the invasion of the Ukraine’s Crimean province in January 2014, all of Russia’s high-ranking bureaucrats and regional governors were sent a copy of Ilyin’s Our Tasks. After Russian troops occupied Crimea and the Russian parliament voted for annexation, Putin cited Ilyin again as justification. The Russian commander sent to oversee the second major movement of Russian troops into Ukraine, to the southeastern provinces of Donetsk and Luhansk in summer 2014, described the war’s final goal in terms that Ilyin would have understood: “If the world were saved from demonic constructions such as the United States, it would be easier for everyone to live. And one of these days it will happen.”

Anyone following Russian politics could see in early 2016 that the Russian elite preferred Donald Trump to become the Republican nominee for president and then to defeat Hillary Clinton in the general election. In the spring of that year, Russian military intelligence was boasting of an effort to help Trump win. In the Russian assault on American democracy that followed, the main weapon was falsehood. Donald Trump is another masculinity-challenged kleptocrat from the realm of fiction, in his case that of reality television. His campaign was helped by the elaborate untruths that Russia distributed about his opponent. In office, Trump imitates Putin in his pursuit of political post-truth: first filling the public sphere with lies, then blaming the institutions whose purpose is to seek facts, and finally rejoicing in the resulting confusion. Russian assistance to Trump weakened American trust in the institutions that Russia has been unable to build. Such trust was already in decline, thanks to America’s own media culture and growing inequality.

Ilyin meant to be the prophet of our age, the post-Soviet age, and perhaps he is. His disbelief in this world allows politics to take place in a fictional one. He made of lawlessness a virtue so pure as to be invisible, and so absolute as to demand the destruction of the West. He shows us how fragile masculinity generates enemies, how perverted Christianity rejects Jesus, how economic inequality imitates innocence, and how fascist ideas flow into the postmodern. This is no longer just Russian philosophy. It is now American life.


Piratage russe: A qui profite le crime ? (Cui bono: Warning, a Manchurian candidate can hide another)

11 janvier, 2017

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