Gardez-vous des faux prophètes. Ils viennent à vous en vêtements de brebis, mais au dedans ce sont des loups ravisseurs. (…) C’est donc à leurs fruits que vous les reconnaîtrez. Jésus (Mat 7: 15-20)
Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée. Car je suis venu mettre la division entre l’homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa belle-mère; et l’homme aura pour ennemis les gens de sa maison. Jésus (Matthieu 10: 34-36)
Vous entendrez parler de guerres et de bruits de guerres: gardez-vous d’être troublés, car il faut que ces choses arrivent. (…) Une nation s’élèvera contre une nation, et un royaume contre un royaume, et il y aura, en divers lieux, des famines et des tremblements de terre. Tout cela ne sera que le commencement des douleurs. (…) Cette bonne nouvelle du royaume sera prêchée dans le monde entier, pour servir de témoignage à toutes les nations. Alors viendra la fin. Jésus (Matthieu 24 : 6-8)
Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. Jésus (Jean 15: 13-20)
Le bolchevisme ne durera pas éternellement en Russie. Un jour viendra où l’ordre s’y rétablira et où la Russie, reconstituant ses forces, regardera autour d’elle. Ce jour-là, elle se verra telle que la paix va la laisser, c’est à dire privée de l’Estonie, de la Finlande, de la Pologne, de la Lituanie, peut-être de l’Ukraine. S’en contentera-t-elle ? Nous n’en croyons rien. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on reverra la Russie reprendre sa marche vers l’Ouest et le Sud-Ouest. De quel côté la Russie recherchera-t-elle un concours pour reprendre l’œuvre de Pierre le Grand et de Catherine II ? Ne le disons pas trop haut, mais sachons-le et pensons-y : c’est du côté de l’Allemagne que fatalement elle tournera ses espérances. Voilà, Messieurs, pourquoi la France prête à la Pologne et à la Roumanie un si large concours militaire ; et voilà pourquoi nous sommes ici. […] Chacun de nos efforts en Pologne, Messieurs, c’est un peu plus de gloire pour la France éternelle. Charles de Gaulle (1919)
J’annonce au monde entier, sans la moindre hésitation, que si les dévoreurs du monde se dressent contre notre religion, nous nous dresserons contre leur monde entier et n’auront de cesse avant d’avoir annihilé la totalité d’entre eux. Ou nous tous obtiendrons la liberté, ou nous opterons pour la liberté plus grande encore du martyre. Ou nous applaudirons la victoire de l’Islam dans le monde, ou nous tous irons vers la vie éternelle et le martyre. Dans les deux cas, la victoire et le succès nous sont assurés. Ayatollah Khomeiny
Le peuple a fait son choix (…) c’est là leur droit, leur droit inaliénable, inscrit dans l’article premier de la Charte des Nations Unies, l’égalité des droits et de l’autodétermination des peuples. Je le répète : il s’agit d’un droit inaliénable des peuples. (….) C’est ici, en Nouvelle Russie, qu’ont lutté Rumjancev, Suvorov et Ušakov. C’est ici que Catherine II et Potëmkine ont fondé de nouvelles villes. C’est ici que nos grands-pères et arrière-grands-pères se sont battus jusqu’à la mort pendant la Seconde Guerre mondiale. Nous n’oublierons jamais les héros du « Printemps Russe », ceux qui ont refusé le coup d’État néonazi dans l’Ukraine de 2014, ceux qui ont perdu la vie pour le droit de parler leur langue, de conserver leur culture, leurs traditions, leur foi, pour le droit même de vivre. Nous n’oublierons jamais les combattants du Donbass, les martyrs de la « Khatyn d’Odessa », les victimes des attentats inhumains orchestrés par le régime de Kiev. Nous commémorons les volontaires et les miliciens, les civils, les enfants, les femmes, les vieillards, les Russes, les Ukrainiens, des gens des nationalités les plus diverses (…) Je vous demande d’observer une minute de silence en leur mémoire. (…) Derrière ce choix de millions d’habitants des Républiques populaires de Donetsk et Lougansk, des districts de Zaporojie et Kherson, se lisent à la fois notre futur commun et notre histoire millénaire. Les populations ont transmis ce lien spirituel à leurs enfants et leurs petits-enfants. Malgré toutes les épreuves, ils ont transmis leur amour de la Russie à travers les âges. Personne ne pourra détruire ce sentiment qui nous habite. C’est la raison pour laquelle les anciennes générations et les plus jeunes, ceux qui sont nés après l’effondrement tragique de l’URSS, ont voté d’une seule voix pour notre unité, pour notre avenir commun. En 1991 (…) sans aucune considération pour la volonté des citoyens ordinaires, les représentants de l’élite du parti de l’époque ont pris la décision de dissoudre l’URSS. Du jour au lendemain, les gens se sont retrouvés arrachés à leur patrie. Notre communauté nationale a été déchirée, démantelée à vif, ce qui s’est soldé par une catastrophe nationale. (…) Pendant huit longues années, les habitants du Donbass ont été soumis au génocide, aux bombardements, au blocus. (…) y compris pendant les référendums, le régime de Kiev a menacé de représailles et de mort les enseignants et les femmes qui officiaient dans les commissions électorales, intimidant des millions de personnes venues exprimer leur volonté. (…) Nous appelons le régime de Kiev à un cessez-le-feu immédiat, à mettre fin à cette guerre qu’il a déclenchée en 2014 et à revenir à la table des négociations. Nous y sommes prêts, comme nous l’avons signalé à de nombreuses reprises. En revanche, la décision des peuples de Donetsk, Lougansk, Zaporojie et Kherson n’est pas discutable. Leur décision a été prise et la Russie ne la trahira pas. Les autorités actuelles de Kiev doivent traiter cette libre expression de la volonté d’un peuple avec respect, et pas autrement. C’est le seul chemin possible vers la paix. Nous défendrons notre terre avec toutes nos forces et par tous les moyens à notre disposition. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour garantir la sécurité de nos concitoyens. Telle est la grande mission libératrice de notre nation. (…) Je veux m’adresser aujourd’hui aux soldats et aux officiers qui participent à l’opération militaire spéciale (…) Je veux m’adresser à eux, à leur famille, à leurs épouses et à leurs enfants pour leur dire contre qui, contre quel genre d’ennemi notre peuple se bat, pour leur dire qui précipite le monde dans de nouvelles guerres et de nouvelles crises, retirant un profit sanglant de toute cette tragédie. Nos compatriotes, nos frères et nos sœurs d’Ukraine, cette partie intégrante de notre nation unie, ont vu de leurs propres yeux le sort que les sphères dirigeantes du soi-disant Occident réservent à l’humanité entière. Ici, elles ont enfin tombé les masques et révélé leur vraie nature. Après la chute de l’Union soviétique, l’Occident a décidé que le monde entier, que chacun de nous devait supporter à jamais ses diktats. En 1991, l’Occident s’imaginait que la Russie ne se relèverait jamais de ces bouleversements et s’effondrerait d’elle-même. Ils y ont presque réussi. Nous gardons en mémoire les années 1990, ces années terribles, de faim, de froid et de désespoir. Mais la Russie a survécu. Elle renaît, se renforce, réclame à nouveau la place qui lui revient dans le monde. (…) Ils ne seront pas en paix tant qu’il existera un pays si grand, si considérable, avec son territoire, ses richesses naturelles, ses ressources, son peuple qui ne sait pas et ne saura jamais vivre sous les ordres de quelqu’un d’autre. L’Occident est prêt à tout pour conserver ce système néocolonial qui lui permet de parasiter, de dépouiller le monde grâce à la puissance du dollar et de la technologie, de percevoir un véritable tribut de l’humanité tout entière, de jouir de la principale source de richesse indue : la rente de l’hégémon. La préservation de cette rente est leur principale motivation, leur motivation réelle, fruit de la pure avidité. C’est la raison pour laquelle ils ont intérêt à la dé-souverainisation systématique. Ainsi s’expliquent leurs agressions d’États indépendants, de valeurs traditionnelles et de cultures authentiques, leurs tentatives de saper les processus internationaux et interrégionaux, les nouvelles monnaies globales et les nouveaux pôles de développement technologique qui échappent à leur contrôle. Il est capital pour eux que tous les États abandonnent leur souveraineté au profit des États-Unis. (… Je veux souligner une fois encore que ce sont leur cupidité insatiable et leur désir de maintenir leur pouvoir illimité qui sont la véritable raison de cette guerre hybride que l’« Occident collectif » mène contre la Russie. Ils ne veulent pas nous voir libres ; ils rêvent que nous soyons une colonie. Ils ne veulent pas collaborer sur un pied d’égalité ; ils rêvent de pillage. Ils ne veulent pas que nous soyons une société libre, mais une foule d’esclaves sans âme. (…) L’Occident mise sur son impunité, sur sa capacité à tout se permettre. (…) Les accords de sécurité stratégique ont filé droit à la poubelle ; les conventions conclues au plus haut niveau politique ont été déclarées fictives ; les promesses les plus fermes de ne pas étendre l’OTAN vers l’Est, arrachées fut un temps par nos anciens dirigeants, se sont révélées un mensonge immonde ; les traités sur les forces nucléaires à portée intermédiaire ont été unilatéralement abrogés sous des prétextes fantaisistes. Mais de tous les côtés, on n’entend que : « L’Occident incarne l’état de droit, fondé sur des règles ». D’où viennent-elles ? Qui en a jamais vu la couleur ? Qui y a consenti ? Écoutez, ce ne sont que des absurdités, un mensonge absolu, des doubles ou des triples standards. Ils doivent nous prendre pour des imbéciles. La Russie est une grande puissance millénaire, un pays-civilisation qui ne vivra jamais sous le joug de ces règles truquées, faussées. C’est bien le soi-disant Occident qui a piétiné le principe de l’inviolabilité des frontières et qui décide maintenant, selon son bon vouloir, qui a le droit à l’autodétermination et qui ne l’a pas, qui en est digne et qui ne l’est pas. On ignore à quel titre ils agissent ainsi, qui leur en a donné le droit, sinon eux-mêmes. (…) L’Occident n’a aucun droit moral à distribuer les bons points, ni à prononcer le moindre mot sur la liberté de la démocratie. Ils ne l’a pas et il ne l’a jamais eu. Les élites occidentales ne se contentent pas de nier souveraineté des nations et le droit international. Leur hégémonie présente clairement les traits d’un totalitarisme, d’un despotisme, d’un apartheid. Avec insolence, ils divisent le monde entre, d’un côté, leurs vassaux, les pays soi-disant civilisés, et de l’autre le reste de la planète, ceux que des racistes occidentaux voudraient inscrire sur la liste des barbares et des sauvages. Des étiquettes mensongères comme « État voyou » ou « régime autoritaire » sont stigmatiser des peuples et des États entiers, ce qui n’est pas nouveau. Il n’y a rien de nouveau là-dedans, parce que les élites occidentales sont restées ce qu’elles étaient : colonialistes. Elles discriminent et divisent les peuples entre la « première classe » et « le reste ». Nous n’avons jamais souscrit et ne souscrirons jamais à ces formes de nationalisme politique et de racisme. Est-ce autre chose que du racisme qui, sous la forme de la russophobie, se répand aujourd’hui dans le monde entier ? Que peut bien être, sinon du racisme, cette conviction inébranlable de l’Occident que sa civilisation et sa culture néolibérale sont le modèle indépassable pour le reste du monde ? « Qui n’est pas avec nous est contre nous ». (…) Il n’est pas jusqu’à la responsabilité de leurs propres crimes historiques que les élites occidentales rejettent sur les autres, exigeant à la fois de leurs citoyens et des autres peuples qu’ils se repentent de ce à quoi ils n’ont jamais contribué, par exemple, la période des conquêtes coloniales. Il est bon de rappeler à l’Occident qu’il a commencé sa politique coloniale dès l’époque du Moyen Âge, avant que se développe la traite mondiale des esclaves, le génocide des tribus indiennes en Amérique, le pillage de l’Inde, de l’Afrique, les guerres de l’Angleterre et de la France contre la Chine, qui l’ont obligée à ouvrir ses ports au commerce de l’opium. Ce qu’ils ont fait, c’était de rendre des peuples entiers accros aux drogues, d’exterminer délibérément des groupes ethniques entiers pour leurs terres et leurs ressources, de pratiquer une véritable chasse à l’homme, comme on chasse des bêtes. Tout cela est contraire à la nature même de l’humain, à la vérité, à la liberté et à la justice. Pour notre part, nous sommes fiers qu’au XXe siècle, ce soit précisément notre pays qui ait pris la tête du mouvement anticolonial, lequel a offert à de nombreux peuples du monde la possibilité de se développer, de réduire la misère et les inégalités, de vaincre la faim et les maladies. Je tiens à souligner que l’un des motifs de la russophobie pluriséculaire, de l’évidente animosité de ces élites occidentales vis-à-vis de la Russie, vient justement du fait que nous ayons refusé de nous laisser dépouiller à l’époque de la conquête coloniale et que nous ayons forcé les Européens à commercer avec nous pour notre bénéfice mutuel. Nous y sommes parvenus grâce à la création en Russie d’un État centralisé, qui s’est développé et consolidé à partir des hautes valeurs morales de l’orthodoxie, de l’islam, du judaïsme et du bouddhisme, mais aussi d’une culture et d’une langue russes ouvertes à tous. D’innombrables plans d’invasion de la Russie ont été échafaudés. On a tenté de profiter du temps des troubles du début du XVIIe siècle et des bouleversements qui ont suivi la Révolution de 1917, mais sans succès. Ce n’est qu’à la fin du XXe siècle, lorsque cet État s’est effondré, qu’ils ont finalement réussi à mettre la main sur les richesses de la Russie. Ils nous qualifiaient alors d’amis et de partenaires mais, dans les faits, ils nous traitaient comme une colonie : des milliers de milliards de dollars ont été siphonnés du pays par toutes sortes de machinations. (…) Les pays occidentaux clament depuis des siècles qu’ils apportent la liberté et la démocratie aux autres nations. C’est exactement le contraire. Au lieu de la démocratie, ils apportent la répression et l’exploitation ; au lieu de la liberté, l’asservissement et l’oppression. L’ordre mondial unipolaire est intrinsèquement anti-démocratique et non-libre, menteur et hypocrite de bout en bout. Les États-Unis sont le seul pays du monde à avoir fait usage par deux fois de l’arme nucléaire, lorsqu’ils ont détruit les villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki. D’ailleurs, en agissant ainsi, ils ont créé un précédent. Je rappelle que les États-Unis, avec l’aide des Britanniques, ont réduit à l’état de ruines Dresde, Hambourg, Cologne et nombre d’autres villes allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale sans aucune nécessité militaire : ils l’ont fait ostensiblement et, je le répète, sans aucune nécessité militaire. Leur unique objectif, comme dans le cas des bombardements nucléaires au Japon, était d’intimider notre pays et le reste du monde. Les États-Unis ont laissé une trace épouvantable dans la mémoire des peuples de Corée et du Vietnam par leurs « tapis de bombes » barbares, l’usage du napalm et des armes chimiques. Aujourd’hui encore, ils occupent encore de facto l’Allemagne, le Japon, la République de Corée et encore d’autres pays, tout en les appelant cyniquement des égaux et des alliés. Écoutez, je me demande bien de quel genre d’alliance il peut s’agir. Le monde entier sait que les dirigeants de ces pays sont espionnés, que leurs chefs d’État sont mis sur écoute non seulement à leur bureau, mais à leur domicile. C’est une véritable honte. Une honte pour ceux qui agissent ainsi et une honte pour ceux qui, comme des esclaves, avalent ces impertinences en silence et servilement. Ils parlent de solidarité euro-atlantique pour qualifier les ordres, les cris brutaux et insultants qu’ils adressent à leurs vassaux ; ils parlent de noble recherche médicale pour qualifier le développement d’armes biologiques et les expérimentations sur des sujets vivants, notamment en Ukraine. Ce sont bien leurs politiques dévastatrices, leurs guerres et leurs pillages qui ont provoqué le considérable essor des flux migratoires actuels. Des millions de personnes endurent les pires privations, les pires abus, et meurent par milliers en essayant de rejoindre l’Europe. Aujourd’hui, ils exportent du blé d’Ukraine. Où va ce blé, sous le prétexte de « garantir la sécurité alimentaire des pays les plus pauvres du monde » ? Où va-t-il ? Tout va dans ces mêmes pays d’Europe. Seuls 5 % sont partis dans les pays pauvres. Voilà un nouvel exemple d’escroquerie et de mensonge éhonté. Dans les faits, l’élite américaine se sert de la tragédie que vivent ces personnes pour affaiblir ses rivaux, pour détruire les États-nations. Cela vaut également pour l’Europe, pour l’identité de pays comme la France, l’Italie, l’Espagne, et d’autres nations à l’histoire multiséculaire. Washington exige toujours plus de sanctions pour la Russie, et les politiciens européens, dans leur majorité, acceptent docilement. Ils ne saisissent pas bien que les États-Unis, en poussant l’Union Européenne à renoncer entièrement aux ressources russes, notamment énergétiques, sont en réalité en train de provoquer la désindustrialisation de l’Europe et de s’emparer du marché européen. Bien sûr, elles en ont conscience, ces élites européennes, elles en ont conscience mais préfèrent servir les intérêts d’une autre nation. Ce n’est même plus une marque de servilité, mais une véritable trahison de leurs propres peuples. (…) Cependant, les sanctions ne suffisent plus aux Anglo-Saxons. Ils recourent maintenant au sabotage – cela semble incroyable, mais c’est un fait – en faisant sauter les gazoducs internationaux de « Nord Stream », qui passent au fond de la mer Baltique, ruinant du même coup l’infrastructure énergétique de l’Europe tout entière. Chacun sait qui en bénéficie. (…) Le diktat américain est fondé sur la force brute, sur la loi du plus fort. Il est parfois joliment emballé, parfois sans fioriture, mais le fond est le même : c’est la loi du plus fort. D’où le déploiement et l’entretien de centaines de bases militaires aux quatre coins du monde, l’expansion de l’OTAN et les tentatives de former de nouvelles alliances militaires comme l’AUKUS ou d’autres encore : c’est ainsi qu’on cherche activement à créer une alliance militaire et politique entre Washington, Séoul et Tokyo. Tous les États qui possèdent ou aspirent à posséder une véritable souveraineté stratégique et qui sont en mesure de contester l’hégémonie occidentale sont automatiquement déclarés ennemis. (…) Les élites occidentales présentent leurs plans néocoloniaux d’une manière tout aussi hypocrite, en agitant des prétentions pacifistes, en parlant d’« endiguement », et ces mots-clefs sournois se retrouvent d’une stratégie à l’autre alors qu’en réalité ils ne signifient qu’une seule chose : saper tous les centres de pouvoir souverains. On nous a ainsi parlé de l’endiguement de la Russie, de la Chine, de l’Iran. J’imagine que d’autres pays d’Asie, d’Amérique Latine, d’Afrique, du Proche-Orient, ainsi que des partenaires et alliés actuels des États-Unis, sont les prochains sur la liste. Nous le savons bien : lorsque quelque chose leur déplaît, ils sont prêts à imposer des sanctions à leurs propres alliés – tantôt à telle ou telle banque ; tantôt à telle ou telle entreprise. (…) Ils ont noyé la vérité dans un océan de mythes, d’illusions et de faux, en pratiquant une propagande extrêmement agressive, en mentant comme Goebbels. Plus le mensonge est gros, plus on y croit – c’est ainsi qu’ils fonctionnent, en suivant ce principe. Mais on ne peut pas nourrir les populations avec des dollars et des euros imprimés sur des billets de banque. On ne peut pas les nourrir avec du papier-monnaie, on ne peut pas chauffer un foyer avec la capitalisation aussi virtuelle et que surévaluée des réseaux sociaux occidentaux. Tout ce dont je vous parle est de la plus haute importance, mais il faut insister sur ce dernier point. On ne peut nourrir personne avec du papier, il faut de la nourriture ; ces capitalisations surévaluées ne peuvent chauffer personne, il faut de l’énergie. C’est pourquoi les dirigeants européens en sont réduits à convaincre leurs concitoyens de manger moins, de se laver moins souvent, de s’habiller plus chaudement à la maison. Et ceux qui commencent à se poser les bonnes questions – « Pourquoi en serait-il ainsi ? » – sont immédiatement déclarés ennemis, extrémistes et radicaux. Ils retournent la situation contre la Russie en disant : « Vous voyez, c’est la source de tous nos malheurs ». Des mensonges, encore une fois. (…) Les gains de la Seconde Guerre mondiale ont permis aux États-Unis de surmonter enfin les conséquences de la Grande Dépression et de devenir la première économie mondiale, de soumettre la planète entière à la puissance du dollar en tant que monnaie de réserve globale. C’est largement en s’appropriant les restes et les ressources de l’Union soviétique en déliquescence que l’Occident a surmonté la crise qui s’est aggravée dans les années 1980. (…) Désormais, pour sortir de ce nouveau nœud de contradictions, il leur faut à tout prix briser la Russie et les autres États qui choisissent une voie souveraine de développement, afin de piller de nouvelles richesses et de colmater ainsi leurs propres vides. Si cela ne se passe pas ainsi, je n’exclus pas l’idée qu’ils tentent de provoquer l’effondrement total du système pour se dédouaner de leurs responsabilités, ou encore, Dieu nous en garde, qu’ils décident d’employer une formule bien connue : « La guerre efface toutes les dettes ». La Russie a conscience de sa responsabilité envers la communauté mondiale et fera son possible pour ramener ces têtes brûlées à la raison. À l’évidence, le modèle néocolonial actuel est condamné à disparaître. Mais, je le répète, ses maîtres réels s’y accrocheront jusqu’à la dernière seconde. Ils n’ont tout simplement rien à proposer au monde, si ce n’est la préservation de ce système de pillage et de racket. En substance, ils crachent sur le droit naturel de milliards de personnes, la majeure partie de l’humanité, à la liberté et à la justice, ainsi qu’à la détermination de leur propre destinée. Ils en viennent maintenant à nier l’ensemble des normes morales, de la religion et de la famille. (…) est-ce que nous voulons avoir, ici, dans ce pays, en Russie, au lieu d’une mère et d’un père, un « parent numéro un » et un « parent numéro deux » (ils sont devenus complètement dingues sur ce coup) ? Est-ce que nous voulons que l’on enseigne dans nos écoles primaires des perversions qui conduisent à la dégradation et à l’extinction ? Est-ce que nous voulons enseigner aux enfants qu’il n’existe pas que des femmes et des hommes, mais des soi-disant genres et qu’on leur propose des opérations de changement de sexe ? Est-ce cela que nous voulons pour notre pays et pour nos enfants ? Tout cela est tout simplement inacceptable pour nous. (…) Je le répète : la dictature des élites occidentales vise toutes les sociétés, y compris les pays occidentaux eux-mêmes. C’est un défi adressé à tout le monde. Cette négation profonde de l’humanité, cette subversion de la foi et des valeurs traditionnelles, cet écrasement de la liberté prennent les traits d’une « religion à l’envers » – d’un satanisme pur et simple. Dans le sermon sur la montagne, Jésus Christ, dénonçant les faux prophètes, dit : « C’est donc à leurs fruits que vous les reconnaîtrez ». Et beaucoup savent bien que ces fruits sont empoisonnés, non seulement chez nous, mais dans tous les pays, y compris en Occident. Le monde est entré dans une période de transformations fondamentales, révolutionnaires. De nouvelles puissances émergent. Elles représentent la majorité – la majorité ! – de la communauté mondiale et sont prêtes non seulement à proclamer leurs intérêts, mais à les défendre. Elles voient dans la multipolarité un moyen de renforcer leur souveraineté et ainsi de conquérir la liberté véritable, une perspective historique, leur droit au développement indépendant, créatif, original, à un développement harmonieux. Dans le monde entier, y compris en Europe et aux États-Unis, comme je l’ai déjà souligné, de nombreuses personnes partagent nos idées et nous ressentons, nous voyons leur soutien. Au sein des pays et des sociétés les plus variés se dessine déjà un mouvement de libération anticolonial contre l’hégémonie unipolaire, et sa force ne fera que croître. C’est cette force qui déterminera le futur des réalités géopolitiques. (…) Aujourd’hui, nous combattons pour un futur juste et libre, avant tout pour nous-mêmes, pour la Russie, pour que la dictature et le despotisme deviennent à jamais un souvenir du passé. Ma conviction est que les nations et les peuples comprennent à quel point une politique fondée sur l’exceptionnalisme, sur la suppression des autres cultures et des autres peuples, est fondamentalement criminelle, que cette page honteuse de l’histoire ne demande qu’à être tournée. L’effondrement de l’hégémonie occidentale est en cours. Il est irréversible. Je le répète : les choses ne seront plus comme avant. Le champ de bataille sur lequel nous ont convoqués le destin et l’histoire est un champ de bataille pour notre peuple, pour la grande Russie historique. (Applaudissements.) Pour une grande Russie historique, pour les générations futures, pour nos enfants, nos petits-enfants et nos arrière-petits-enfants. Nous devons les préserver de l’asservissement, des expérimentations monstrueuses qui veulent estropier leurs consciences et leurs âmes. Aujourd’hui, nous combattons pour que personne ne pense plus jamais que la Russie, notre peuple, notre langue, notre culture, puissent être rayés de l’histoire. Aujourd’hui, nous devons consolider notre société et cette solidarité ne pourra reposer que sur la souveraineté, la liberté, la création et la justice. Nos valeurs sont l’humanité, la miséricorde et la compassion. Et je voudrais conclure cette allocution sur les mots d’un véritable patriote, Ivan Aleksandrovič Il’in : « Si je considère la Russie comme ma patrie, cela signifie que j’aime, que je contemple et que je pense comme un Russe, que je chante et que je parle comme un Russe ; que je crois aux forces spirituelles du peuple russe. Son esprit est mon esprit ; sa destinée est ma destinée ; sa souffrance est ma souffrance ; sa prospérité est ma joie ». Dans ces mots, on retrouve le grand chemin spirituel que de nombreuses générations de nos ancêtres ont emprunté pendant plus d’un millénaire d’existence de l’État russe. Aujourd’hui, c’est nous qui empruntons ce chemin, ce sont les habitants des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, des districts de Zaporojie et de Kherson qui ont fait ce choix. Ils ont pris la décision de vivre avec leur propre peuple, avec leur patrie, de s’associer à son destin et de vaincre avec elle. La victoire est avec nous, la Russie est avec nous ! Vladimir Poutine
Ce qui se passe aujourd’hui.. ne relève pas uniquement de la politique… Il s’agit du Salut de l’homme, de la place qu’il occupera à droite ou à gauche de Dieu le Sauveur, qui vient dans le monde en tant que Juge et Créateur de la création. (…) Aujourd’hui, il existe un test de loyauté envers ce pouvoir, une sorte de laissez-passer vers ce monde « heureux », un monde de consommation excessive, un monde de « liberté » apparente. Savez-vous ce qu’est ce test ? Le test est très simple et en même temps terrifiant : il s’agit d’une parade de la gay pride. La demande de nombreux pays d’organiser une gay pride est un test de loyauté envers ce monde très puissant ; et nous savons que si des personnes ou des pays rejettent ces demandes, ils ne font pas partie de ce monde, ils en deviennent des étrangers. Et donc, aujourd’hui, en ce dimanche du pardon, moi, d’une part, en tant que votre berger, j’appelle tout le monde à pardonner les péchés et les offenses, y compris là où il est très difficile de le faire, là où les gens se battent entre eux. Mais le pardon sans la justice est une capitulation et une faiblesse. Le pardon doit donc s’accompagner du droit indispensable de se placer du côté de la lumière, du côté de la vérité de Dieu, du côté des commandements divins, du côté de ce qui nous révèle la lumière du Christ, sa Parole, son Évangile, ses plus grandes alliances données au genre humain. Patriarche Kirill
You don’t understand, George, that Ukraine is not even a state. What is Ukraine? Part of its territories is Eastern Europe, but the greater part is a gift from us. Putin (to Bush during the NATO Summit in Bucharest, Romania, May 25, 2009)
[Anton Denikin, a commander in the White Army, which fought the Bolsheviks after the revolution in 1917] has a discussion (…) about Big Russia and Little Russia — Ukraine. He says that no one should be allowed to interfere in relations between us; they have always been the business of Russia itself. Putin (May 25, 2009)
There is no historical basis for the idea of Ukrainian people as a nation separate from the Russians. Putin (Kremlin, July 12, 2021)
There will be no more Ukraine as anti-Russia. Vladimir Putin has asserted a historic responsibility by deciding not to leave the solution of the Ukrainian question to future generations. Ukraine’s return to Russia will not mean its statehood’s “liquidation”; instead, Ukraine will be reorganized, re-established and returned to its natural state of part of the Russian world. RIA Novosti (February 26, 2022)
I hate them. They are bastards and geeks. They want death for us, Russia. And as long as I’m alive, I will do everything to make them disappear. Medevedev (June 7, 2022)
As a result of Western involvement, Ukraine may lose the remnants of state sovereignty and disappear from the world map and “Ukrainian criminals will definitely be tried for the atrocities committed against the people of Ukraine and Russia. Medvedev (July 21, 2022)
Ukraine has several million people who need to be partially eliminated and partially squeezed out. « New Russia,” or the territories from Kharkov, Odessa, Zaporozhye, and Dnepropetrovsk, should be joined to the Russian regions, with full denazification, deukrainization. Russia should institute a complete ban on Ukrainian fonts, Ukrainian texts, programs on the Ukrainian language, on teaching Ukrainian – ie completely. These implementations will cause a surplus population – let the surplus population go to the Far East. Mikhail Khazin (Russian economist and pundit, December 27, 2016)
There is no Ukraine, although there is Ukrainianism – a “specific mental disorder. Surprisingly brought to the extreme degree passion for ethnography. Such bloody lore. Muddle instead of the state. There is borscht, Bandera, bandura. But there is no nation. Donbass “does not deserve such humiliation” of returning to Ukraine. Ukraine “does not deserve such honor. Vladislav Surkov (Former Putin aide, February 26, 2020)
The Ukrainian regime is not just Nazi and anti-Russian, it is anti-human. Ukrainian statehood is Moloch, to whom children are sacrificed. This filthy idol must be destroyed, it has no place in history. Sergey Aksyonov (Russian head of occupation authority in Crimea (Jul. 27, 2022)
Les dirigeants russes ont commencé par traiter les dirigeants ukrainiens de « nazis » pour dissimuler leur plan de guerre d’agression prédatrice. Maintenant, ils appellent au génocide. Le président Biden a eu raison de tirer la sonnette d’alarme sur le génocide. Le monde doit agir. À la veille de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le président russe Vladimir Poutine a lancé une campagne de désinformation visant à contester le droit du pays à exister. Il a décrit l’Ukraine comme une « création artificielle des bolcheviks » et a qualifié ses dirigeants de « nazis ». Le 24 février, Poutine a annoncé qu’il avait lancé une « opération militaire spéciale » pour « dénazifier » l’Ukraine. La semaine dernière, alors que le monde apprenait des détails horribles sur le viol, la torture et le meurtre de civils par l’armée russe, ce discours sur la « dénazification » s’est transformé dans les médias d’État russes en un appel effrayant à la « désukrainisation ». La désukrainisation est un génocide. Le monde doit agir. Un article publié par RIA-Novosti le 5 avril a répété l’affirmation de Poutine selon laquelle « les Ukrainiens sont une construction artificielle anti-russe ». Il a proclamé que « l’élite politique ukrainienne doit être éliminée ». Et il a déclaré que les Ukrainiens ordinaires sont des « nazis passifs » qui « doivent vivre toutes les horreurs de la guerre et absorber l’expérience comme une leçon historique et une expiation pour leur culpabilité ». Expliquant que « la dénazification sera inévitablement aussi une désukrainisation », l’article lançait un appel inquiétant à une « purification totale ». Ce n’est pas la première fois que des idées aussi viles sont exprimées dans les médias russes. Il y a eu une série d’articles et de vidéos en 2016 et 2017 prônant la « désukrainisation ». L’économiste et expert Mikhail Khazin a appelé à la transformation de Kyiv, Tchernihiv et Soumy en «arrière-pays agricole dépouillé d’industrie et de forces armées», avec une «population excédentaire» déportée vers l’Extrême-Orient russe. Il a en outre suggéré que « plusieurs millions » d’Ukrainiens « devraient être » soit « éliminés » soit « expulsés ». Mais l’article de RIA-Novosti est différent pour deux raisons essentielles. Il a été publié au milieu de la guerre d’agression prédatrice de la Russie – alors que des atrocités étaient commises à Bucha, Marioupol et dans d’autres villes, et que des civils ukrainiens étaient kidnappés, déportés et envoyés dans des camps de filtration. Il a été publié pendant une censure extrême de temps de guerre en Russie, indiquant son approbation par les autorités russes. Depuis la publication de l’article de RIA-Novosti, les responsables russes ont continué à signaler au peuple russe – et à l’armée russe – que le génocide était à l’ordre du jour. Le lendemain de la parution de l’article, l’ancien président russe Dmitri Medvedev, l’un des conseillers de Poutine, a déclaré que « l’identité ukrainienne est un faux grossier et le but de la dénazification est de changer la façon dont les Ukrainiens perçoivent leur identité. » Plus tard dans la semaine, la première chaîne de télévision d’État russe a présenté une « discussion » sur l’élimination de l’Ukraine. Ces appels à la « désukrainisation » sont une incitation au génocide : à « détruire, en tout ou en partie », la nation ukrainienne. Certains juristes internationaux objectent qu’il n’y a pas encore suffisamment de preuves de génocide. Et ils ont en partie raison. Nous aurons besoin de plus de preuves pour condamner les dirigeants et les soldats russes pour génocide, qui peut être poursuivi soit comme crime de guerre (comme à Nuremberg) soit comme crime contre l’humanité. Mais la Convention sur le génocide et le Statut de Rome appellent également à la prévention du génocide. Et il y a suffisamment de preuves en ce moment pour demander au monde d’agir. J’aborde cette question en tant qu’historienne des procès de Nuremberg, et non en tant qu’avocate. Et de ce point de vue, il y a plusieurs choses à garder à l’esprit. Premièrement, le génocide ne ressemble pas toujours à l’Holocauste. Dans son discours de clôture des procès de Nuremberg, le procureur en chef britannique Sir Hartley Shawcross a réexaminé les preuves concernant Auschwitz et l’extermination des Juifs. Il a ensuite rappelé au tribunal que le génocide pouvait prendre plusieurs formes. La méthode que les nazis ont appliquée à l’intelligentsia polonaise, a-t-il noté, était «l’anéantissement pur et simple», alors qu’en Alsace, la déportation était le programme de choix. Dans l’Union soviétique occupée par l’Allemagne, la technique était la mort par famine ; en Bohême et en Moravie, les nazis se sont lancés dans une politique de germanisation forcée. Deuxièmement, l’histoire nous montre que nous devons prendre les dictateurs au mot. Ceux qui incitent au génocide tentent généralement de donner suite. Il n’est pas rare qu’ils fassent connaître leurs campagnes par le biais de propagandistes et de médias. Adolf Hitler avait Joseph Goebbels, Alfred Rosenberg et d’autres pour faire ce travail. Poutine a Medvedev et les experts des médias d’État russes. Enfin, plus les soldats russes s’engageront dans la campagne de « désukrainisation », plus la guerre deviendra brutale – et plus il sera difficile pour la Russie de trouver une issue autre que la victoire ou la défaite totale. La complaisance de la société russe devient complicité au meurtre. Il ne s’agit pas simplement d’une question académique ou d’un débat sur la terminologie. Nous devons comprendre les objectifs de guerre de la Russie pour comprendre la nature de ce conflit. Biden avait raison de dire que l’objectif de Poutine était « d’éliminer même l’idée d’être Ukrainien ». La communauté internationale doit affirmer qu’il existe des valeurs universelles. Elle doit soutenir l’Ukraine et dénoncer les mensonges de Poutine. Elle doit agir pour empêcher la destruction de la nation ukrainienne. Francine Hirsch (Université du Wisconsin à Madison)
Russia has just issued a genocide handbook for its war on Ukraine. The Russian official press agency « RIA Novosti » published last Sunday an explicit program for the complete elimination of the Ukrainian nation as such. It is still available for viewing, and has now been translated several times into English. As I have been saying since the war began, « denazification » in official Russian usage just means the destruction of the Ukrainian state and nation. A « Nazi, » as the genocide manual explains, is simply a human being who self-identifies as Ukrainian. According to the handbook, the establishment of a Ukrainian state thirty years ago was the « nazification of Ukraine. » Indeed « any attempt to build such a state » has to be a « Nazi » act. Ukrainians are « Nazis » because they fail to accept « the necessity that the people support Russia. » Ukrainians should suffer for believing that they exist as a separate people; only this can lead to the « redemption of guilt. » (…) Putin’s Russian regime talks of “Nazis” not because it opposes the extreme right, which it most certainly does not, but as a rhetorical device to justify unprovoked war and genocidal policies. Putin’s regime is the extreme right. It is the world center of fascism. It supports fascists and extreme-right authoritarians around the world. In traducing the meaning of words like « Nazi, » Putin and his propagandists are creating more rhetorical and political space for fascists in Russia and elsewhere. The genocide handbook explains that the Russian policy of « denazification » is not directed against Nazis in the sense that the word is normally used. The handbook grants, with no hesitation, that there is no evidence that Nazism, as generally understood, is important in Ukraine. It operates within the special Russian definition of « Nazi »: a Nazi is a Ukrainian who refuses to admit being a Russian. The « Nazism » in question is « amorphous and ambivalent »; one must, for example, be able to see beneath the world of appearance and decode the affinity for Ukrainian culture or for the European Union as « Nazism. » (…) The Russian handbook is one of the most openly genocidal documents I have ever seen. It calls for the liquidation of the Ukrainian state, and for abolition of any organization that has any association with Ukraine. It postulates that the « majority of the population » of Ukraine are « Nazis, » which is to say Ukrainians. (…) Such people, « the majority of the population, » so more than twenty million people, are to be killed or sent to work in « labor camps » to expurgate their guilt for not loving Russia. Survivors are to be subject to « re-education. » Children will be raised to be Russian. The name « Ukraine » will disappear. Had this genocide handbook appeared at some other time and in a more obscure outlet, it might have escaped notice. But it was published right in the middle of the Russian media landscape during a Russian war of destruction explicitly legitimated by the Russian head of state’s claim that a neighboring nation did not exist. It was published on a day when the world was learning of a mass murder of Ukrainians committed by Russians. Russia’s genocide handbook was published on April 3, two days after the first revelation that Russian servicemen in Ukraine had murdered hundreds of people in Bucha, and just as the story was reaching major newspapers. The Bucha massacre was one of several cases of mass killing that emerged as Russian troops withdrew from the Kyiv region. This means that the genocide program was knowingly published even as the physical evidence of genocide was emerging. The writer and the editors chose this particular moment to make public a program for the elimination of the Ukrainian nation as such. As a historian of mass killing, I am hard pressed to think of many examples where states explicitly advertise the genocidal character of their own actions right at at the moment those actions become public knowledge. From a legal perspective, the existence of such a text (in the larger context of similar statements and Vladimir Putin’s repeated denial that Ukraine exists) makes the charge of genocide far easier to make. Legally, genocide means both actions that destroy a group in whole or in part, combined with some intention to do so. Russia has done the deed and confessed to the intention. Timothy Snyder (Yale)
Dans l’Islam, de même que dans le Judaïsme et le Christianisme, certaines croyances portent sur une bataille cosmique marquant la fin des temps – Gog et Magog, l’Antéchrist, Armageddon et, pour les Musulmans chiites, le retour tant attendu de l’Imam caché, qui doit déboucher sur la victoire finale des forces du bien sur celles du mal, quelle qu’en soit la définition. Il est évident qu’Ahmadinejad et ses adeptes croient que ce temps est venu et que la lutte finale est déjà entamée, et même bien avancée. Bernard Lewis
Dans le vocabulaire politique, l’expression « millénarisme » peut servir à désigner, de manière métaphorique, une forme de doctrine aspirant à une révolution radicale, qui aboutirait à la mise en place définitive d’un ordre social supposé plus juste, et sans commune mesure avec ce qui a existé jusqu’à présent. Dans cette acception, le terme a pu servir à qualifier aussi bien le communisme que le nazisme. Wikipedia
Le bolchevisme (…) avait la volonté de détruire tous les autres courants politiques. Par imitation, le national-socialisme voulait de même détruire ses ennemis. On retrouve cela aussi dans le fascisme italien. On devine dans tous ces cas le même tropisme destructeur, appliqué bien entendu avec des méthodes tout à fait différentes. L’Italie exilait ses ennemis sur des îles ; Hitler les tuait. (…) J’ai tenté de définir l’islamisme comme un mouvement réactionnaire symptomatique de l’histoire de la révolution libérale ou capitaliste. Le marxisme fut une première réaction. Il ne voulait pas accepter le mélange du bon et du mauvais inhérent au pragmatisme libéral. Le marxisme visait une perfection, un monde totalement moral et bon. Ernst Nolte
Nous imaginons, parce que la Guerre froide est finie en Europe, que toute la série de luttes qui ont commencé avec la Première guerre mondiale et qui sont passées par différents mouvements totalitaires — fasciste, nazi et communiste — était finalement terminée. (…) Hors de la Première guerre mondiale est venue une série de révoltes contre la civilisation libérale. Ces révoltes accusaient la civilisation libérale d’être non seulement hypocrite ou en faillite, mais d’être en fait la grande source du mal ou de la souffrance dans le monde. (…) [Avec] une fascination pathologique pour la mort de masse [qui] était elle-même le fait principal de la Première guerre mondiale, dans laquelle 9 ou 10 millions de personnes ont été tués sur une base industrielle. Et chacun des nouveaux mouvements s’est mis à reproduire cet événement au nom de leur opposition utopique aux complexités et aux incertitudes de la civilisation libérale. Les noms de ces mouvements ont changé comme les traits qu’ils ont manifestés – l’un s’est appelé bolchévisme, et un autre s’est appelé fascisme, un autre s’est appelé nazisme. (…) À un certain niveau très profond tous ces mouvements étaient les mêmes — ils partageaient tous certaines qualités mythologiques, une fascination pour la mort de masse et tous s’inspiraient du même type de paranoïa. (…) Mon argument est que l’islamisme et un certain genre de pan-arabisme dans les mondes arabe et musulman sont vraiment d’autres branches de la même impulsion. Mussolini a mis en scène sa marche sur Rome en 1922 afin de créer une société totalitaire parfaite qui allait être la résurrection de l’empire romain. En 1928, en Egypte, de l’autre côté de la Méditerranée, s’est créée la secte des Frères musulmans afin de ressusciter le Califat antique de l’empire arabe du 7ème siècle, de même avec l’idée de créer une société parfaite des temps modernes. Bien que ces deux mouvements aient été tout à fait différents, ils étaient d’une certaine manière semblables. (…) La doctrine islamiste est que l’Islam est la réponse aux problèmes du monde, mais que l’Islam a été la victime d’une conspiration cosmique géante pour la détruire, par les Croisés et les sionistes. (le sionisme dans la doctrine de Qutb n’est pas un mouvement politique moderne, c’est une doctrine cosmique se prolongeant tout au long des siècles.) L’Islam est la victime de cette conspiration, qui est également facilitée par les faux musulmans ou hypocrites, qui feignent d’être musulmans mais sont réellement les amis des ennemis de l’Islam. D’un point de vue islamiste, donc, la conspiration la plus honteuse est celle menée par les hypocrites musulmans pour annihiler l’Islam du dedans. Ces personnes sont surtout les libéraux musulmans qui veulent établir une société libérale, autrement dit la séparation de l’église et de l’état. (…) De même que les progressistes européens et américains doutaient des menaces de Hitler et de Staline, les Occidentaux éclairés sont aujourd’hui en danger de manquer l’urgence des idéologies violentes issues du monde musulman. Paul Berman
Le 30 janvier 33, la foule n’a pas acclamé l’antisémite Hitler, mais bien plus celui qui allait diriger un nouveau gouvernement national. Les Allemands étaient avides de changement. Il s’agissait pour eux de se libérer du carcan du Traité de Versailles, de faire oublier la honte allemande. Il s’agissait de retrouver une certaine grandeur nationale et de se détacher des querelles entre partis démocratiques. Les Allemands ont acclamé Hitler, parce qu’ils voulaient un gouvernement fort, dirigé par une figure charismatique. Ils en avaient assez des beaux parleurs, ils voulaient des résultats tangibles. (…) La peur d’une révolution communiste, la peur d’une guerre civile, c’est cela qui a le plus aidé Hitler dans sa conquête du pouvoir. Wolfgang Benz (historien, spécialiste de la Shoah)
Le meilleur allié du communisme a été le nazisme et le plus utile des idiots, si l’on peut dire, fut Hitler. Les deux totalitarismes se sont entraidés avant de se combattre. Ils avaient la même haine du monde occidental, de la démocratie et leur système politique était cousin germain. Après avoir aidé Hitler à arriver au pouvoir en 1933 grâce à la lutte conjointe des communistes allemands (aux ordres de Moscou) et des nazis, contre le gouvernement social-démocrate en place à Berlin ; après avoir soutenu l’effort de guerre du Führer grâce au pacte germano-soviétique d’août 1939 ; après s’être partagé l’Europe au début de la guerre, les deux totalitarismes se sont affrontés. À partir de là, toute l’intelligence de Staline, toute la tactique communiste a consisté à se présenter comme le meilleur rempart, le seul même face à la peste brune, jusqu’à faire oublier l’alliance passée. L’antifascisme a servi de paravent au stalinisme pour accomplir ses noirs desseins, d’abord contre son peuple puis contre les peuples conquis à la faveur du conflit mondial. Communisme et nazisme sont deux variantes du totalitarisme. Être contre l’un aurait dû amener à être contre l’autre, c’est cela que dit Orwell. Or l’hémiplégie d’une partie de l’opinion publique (cela va bien au-delà des intellectuels) consiste toujours à diaboliser un totalitarisme, le brun, pour excuser ou minorer l’autre, le rouge. C’est l’un des héritages du communisme dans les têtes. La seule attitude morale qui vaille est d’être antitotalitaire et de renvoyer dos à dos toutes les idéologies qui en sont le substrat. (…) Le communisme a représenté un grand espoir de justice sociale, il a mis ses pas dans la démarche chrétienne. Cela explique en partie son succès: au message christique «les derniers seront les premiers» au paradis, l’idéologie a substitué l’idée que les prolétaires (les plus pauvres) gouverneront le monde pour instaurer l’égalité pour tous. L’échec est d’autant plus durement ressenti. La mort du communisme revient pour certains à la mort de Dieu pour les croyants: inacceptable, impensable. Le communisme n’est toujours pas sorti de cette phase de deuil, d’où le négationnisme dont je parle: on nie la réalité de ce qui fut pour ne pas souffrir des espoirs qu’il a suscité. Il est certes désormais reconnu que ces régimes ont fait des millions de morts. C’est un progrès. Il n’empêche, être anti communiste reste péjoratif, quand cela devrait être une évidence. L’intellectuel qui a eu des faiblesses envers le fascisme demeure coupable à jamais quand celui qui a idolâtré le stalinisme ou le maoïsme, ou le pol-potisme (le Cambodge des Khmers rouge) est vite pardonné. C’est aussi cela le négationnisme communiste. Il ne s’agit pas de faire des procès, mais de regarder la réalité historique en face. En outre, la complicité envers le communisme a été telle, elle a pris une telle ampleur – des militants des PC du monde entier aux intellectuels, des dirigeants politiques des démocraties aux hommes d’affaires -, qu’il existe un consensus tacite pour oublier cette face sombre de l’humanité. L’être humain n’aime pas se sentir coupable, alors il passe à autre chose. Ce ne peut être que transitoire. La dimension du drame communiste fait qu’il est impossible d’en faire l’impasse. Je fais le pari que la réflexion sur cette époque va prendre de l’ampleur pour que l’histoire se fasse enfin. Il faudra sans doute pour cela que tous les témoins (acteurs ou simples spectateurs) de cette époque disparaissent. Et avec eux ce négationnisme diffus qui sert de garde-fou à l’émergence de la mauvaise conscience. (…) Le philosophe anglais Bertrand Russell remarquait déjà au début des années 1920 une ressemblance entre communisme et islamisme, notamment la même volonté de convertir le monde. N’oublions pas que la propagande communiste, très présente au XXe siècle, a développé des thèmes anti-occidentaux au nom de la lutte contre l’abomination capitaliste, et contre l’impérialisme. Cela a façonné des esprits, y compris dans des pays musulmans influencés par l’URSS, leur allié contre l’ennemi principal, Israël. La doxa communiste contre la liberté d’être, de penser, de se mouvoir, d’entreprendre, etc., se retrouve dans le discours des islamistes, présentée comme des tentations de Satan. En tant qu’idéologie totalitaire, le communisme cherchait à atomiser les individus en les arrachant de leurs racines sociales, politiques, culturelles, voire familiales, pour mieux les dominer, les contrôler. L’islamisme, lui, propose des repères, des codes, à des individus déjà déracinés sous la poussée d’une mondialisation dont les effets ont tendance à déstructurer les sociétés traditionnelles. La démarche est différente, mais le résultat est comparable: dans les deux cas il s’agit d’unir des personnes isolées grâce à des sentiments identitaires – la communauté socialiste, la communauté des croyants -, de donner sens à leur collectif grâce à un mythe absolu et exclusif, le parti pour les communistes, l’oumma pour les islamistes, terme qui désigne à la fois la communauté des croyants et la nation. Enfin, on retrouve dans l’islamisme des marqueurs du communisme: la contre-modernité du propos, une explication globale du monde et de sa marche, une opposition radicale entre bons et mauvais – croyants/impies en lieu et place des exploités/exploiteurs -, la volonté de modeler les hommes, et un esprit de conquête planétaire. Dès lors, la substitution est possible. Thierry Wolton
Combattez, combattez, parlez, parlez. Mao
La révolution iranienne fut en quelque sorte la version islamique et tiers-mondiste de la contre-culture occidentale. Il serait intéressant de mettre en exergue les analogies et les ressemblances que l’on retrouve dans le discours anti-consommateur, anti-technologique et anti-moderne des dirigeants islamiques de celui que l’on découvre chez les protagonistes les plus exaltés de la contre-culture occidentale. Daryiush Shayegan
Il est malheureux que le Moyen-Orient ait rencontré pour la première fois la modernité occidentale à travers les échos de la Révolution française. Progressistes, égalitaristes et opposés à l’Eglise, Robespierre et les jacobins étaient des héros à même d’inspirer les radicaux arabes. Les modèles ultérieurs — Italie mussolinienne, Allemagne nazie, Union soviétique — furent encore plus désastreux …Ce qui rend l’entreprise terroriste des islamistes aussi dangereuse, ce n’est pas tant la haine religieuse qu’ils puisent dans des textes anciens — souvent au prix de distorsions grossières —, mais la synthèse qu’ils font entre fanatisme religieux et idéologie moderne. Ian Buruma et Avishai Margalit
Parler de choc des civilisations, c’est dire que c’est la différence qui l’emporte. Alors que je crois, moi, que c’est l’identité des adversaires qui sous-tend leur affrontement. J’ai lu le livre de l’historien allemand Ernst Nolte, La guerre civile européenne, où il explique que, dans le choc des idéologies issues de la Première Guerre mondiale – communisme et nazisme –, l’Allemagne n’est pas la seule responsable. Mais le plus important est ceci : Nolte montre que l’URSS et le IIIe Reich ont été l’un pour l’autre un « modèle repoussoir ». Ce qui illustre la loi selon laquelle ce à quoi nous nous heurtons, c’est ce que nous imitons. Il est frappant qu’un historien pense les rapports d’inimitié en terme d’identité, en terme de copie. Ce que Nolte appelle le modèle repoussoir, c’est ce que la théorie mimétique appelle le modèle obstacle : dans la rivalité, celui qu’on prend pour modèle, on désire ce qu’il désire et par conséquent il devient obstacle. Le rapport mimétique conduit à imiter ses adversaires, tantôt dans les compliments, tantôt dans le conflit. (…) Les islamistes tentent de rallier tout un peuple de victimes et de frustrés dans un rapport mimétique à l’Occident. René Girard
Dans la foi musulmane, il y a un aspect simple, brut, pratique qui a facilité sa diffusion et transformé la vie d’un grand nombre de peuples à l’état tribal en les ouvrant au monothéisme juif modifié par le christianisme. Mais il lui manque l’essentiel du christianisme : la croix. Comme le christianisme, l’islam réhabilite la victime innocente, mais il le fait de manière guerrière. La croix, c’est le contraire, c’est la fin des mythes violents et archaïques. René Girard
Le christianisme (…) nous a fait passer de l’archaïsme à la modernité, en nous aidant à canaliser la violence autrement que par la mort.(…) En faisant d’un supplicié son Dieu, le christianisme va dénoncer le caractère inacceptable du sacrifice. Le Christ, fils de Dieu, innocent par essence, n’a-t-il pas dit – avec les prophètes juifs : « Je veux la miséricorde et non le sacrifice » ? En échange, il a promis le royaume de Dieu qui doit inaugurer l’ère de la réconciliation et la fin de la violence. La Passion inaugure ainsi un ordre inédit qui fonde les droits de l’homme, absolument inaliénables. (…) l’islam (…) ne supporte pas l’idée d’un Dieu crucifié, et donc le sacrifice ultime. Il prône la violence au nom de la guerre sainte et certains de ses fidèles recherchent le martyre en son nom. Archaïque ? Peut-être, mais l’est-il plus que notre société moderne hostile aux rites et de plus en plus soumise à la violence ? Jésus a-t-il échoué ? L’humanité a conservé de nombreux mécanismes sacrificiels. Il lui faut toujours tuer pour fonder, détruire pour créer, ce qui explique pour une part les génocides, les goulags et les holocaustes, le recours à l’arme nucléaire, et aujourd’hui le terrorisme. René Girard
L’erreur est toujours de raisonner dans les catégories de la « différence », alors que la racine de tous les conflits, c’est plutôt la « concurrence », la rivalité mimétique entre des êtres, des pays, des cultures. La concurrence, c’est-à-dire le désir d’imiter l’autre pour obtenir la même chose que lui, au besoin par la violence. Sans doute le terrorisme est-il lié à un monde « différent » du nôtre, mais ce qui suscite le terrorisme n’est pas dans cette « différence » qui l’éloigne le plus de nous et nous le rend inconcevable. Il est au contraire dans un désir exacerbé de convergence et de ressemblance. (…) Ce qui se vit aujourd’hui est une forme de rivalité mimétique à l’échelle planétaire. (…) Ce sentiment n’est pas vrai des masses, mais des dirigeants. Sur le plan de la fortune personnelle, on sait qu’un homme comme Ben Laden n’a rien à envier à personne. Et combien de chefs de parti ou de faction sont dans cette situation intermédiaire, identique à la sienne. Regardez un Mirabeau au début de la Révolution française : il a un pied dans un camp et un pied dans l’autre, et il n’en vit que de manière plus aiguë son ressentiment. Aux Etats-Unis, des immigrés s’intègrent avec facilité, alors que d’autres, même si leur réussite est éclatante, vivent aussi dans un déchirement et un ressentiment permanents. Parce qu’ils sont ramenés à leur enfance, à des frustrations et des humiliations héritées du passé. Cette dimension est essentielle, en particulier chez des musulmans qui ont des traditions de fierté et un style de rapports individuels encore proche de la féodalité. (…) Cette concurrence mimétique, quand elle est malheureuse, ressort toujours, à un moment donné, sous une forme violente. A cet égard, c’est l’islam qui fournit aujourd’hui le ciment qu’on trouvait autrefois dans le marxisme. René Girard
Il faut se souvenir que le nazisme s’est lui-même présenté comme une lutte contre la violence: c’est en se posant en victime du traité de Versailles que Hitler a gagné son pouvoir. Et le communisme lui aussi s’est présenté comme une défense des victimes. Désormais, c’est donc seulement au nom de la lutte contre la violence qu’on peut commettre la violence. René Girard
Dans le christianisme, on ne se martyrise pas soi-même. On n’est pas volontaire pour se faire tuer. On se met dans une situation où le respect des préceptes de Dieu (tendre l’autre joue, etc.) peut nous faire tuer. Cela dit, on se fera tuer parce que les hommes veulent nous tuer, non pas parce qu’on s’est porté volontaire. Ce n’est pas comme la notion japonaise de kamikaze. La notion chrétienne signifie que l’on est prêt à mourir plutôt qu’à tuer. C’est bien l’attitude de la bonne prostituée face au jugement de Salomon. Elle dit : « Donnez l’enfant à mon ennemi plutôt que de le tuer. » Sacrifier son enfant serait comme se sacrifier elle-même, car en acceptant une sorte de mort, elle se sacrifie elle-même. Et lorsque Salomon dit qu’elle est la vraie mère, cela ne signifie pas qu’elle est la mère biologique, mais la mère selon l’esprit. Cette histoire se trouve dans le Premier Livre des Rois (3, 16-28), qui est, à certains égards, un livre assez violent. Mais il me semble qu’il n’y a pas de meilleur symbole préchrétien du sacrifice de soi par le Christ. René Girard
Le conflit avec les musulmans est bien plus considérable que ce que croient les fondamentalistes. Les fondamentalistes pensent que l’apocalypse est la violence de Dieu. Alors qu’en lisant les chapitres apocalyptiques, on voit que l’apocalypse est la violence de l’homme déchaînée par la destruction des puissants, c’est-à-dire des États, comme nous le voyons en ce moment. Lorsque les puissances seront vaincues, la violence deviendra telle que la fin arrivera. Si l’on suit les chapitres apocalyptiques, c’est bien cela qu’ils annoncent. Il y aura des révolutions et des guerres. Les États s’élèveront contre les États, les nations contre les nations. Cela reflète la violence. Voilà le pouvoir anarchique que nous avons maintenant, avec des forces capables de détruire le monde entier. On peut donc voir l’apparition de l’apocalypse d’une manière qui n’était pas possible auparavant. Au début du christianisme, l’apocalypse semblait magique : le monde va finir ; nous irons tous au paradis, et tout sera sauvé ! L’erreur des premiers chrétiens était de croire que l’apocalypse était toute proche. Les premiers textes chronologiques chrétiens sont les Lettres aux Thessaloniciens qui répondent à la question : pourquoi le monde continue-t-il alors qu’on en a annoncé la fin ? Paul dit qu’il y a quelque chose qui retient les pouvoirs, le katochos (quelque chose qui retient). L’interprétation la plus commune est qu’il s’agit de l’Empire romain. La crucifixion n’a pas encore dissous tout l’ordre. Si l’on consulte les chapitres du christianisme, ils décrivent quelque chose comme le chaos actuel, qui n’était pas présent au début de l’Empire romain. (..) le monde actuel (…) confirme vraiment toutes les prédictions. On voit l’apocalypse s’étendre tous les jours : le pouvoir de détruire le monde, les armes de plus en plus fatales, et autres menaces qui se multiplient sous nos yeux. Nous croyons toujours que tous ces problèmes sont gérables par l’homme mais, dans une vision d’ensemble, c’est impossible. Ils ont une valeur quasi surnaturelle. Comme les fondamentalistes, beaucoup de lecteurs de l’Évangile reconnaissent la situation mondiale dans ces chapitres apocalyptiques. Mais les fondamentalistes croient que la violence ultime vient de Dieu, alors ils ne voient pas vraiment le rapport avec la situation actuelle – le rapport religieux. Cela montre combien ils sont peu chrétiens. La violence humaine, qui menace aujourd’hui le monde, est plus conforme au thème apocalyptique de l’Évangile qu’ils ne le pensent. (…) La lutte se trouve entre le christianisme et l’islam, plus qu’entre l’islam et l’humanisme. Avec l’islam je pense que l’opposition est totale. Dans l’islam, si l’on est violent, on est inévitablement l’instrument de Dieu. Cela veut donc dire que la violence apocalyptique vient de Dieu. Aux États-Unis, les fondamentalistes disent cela, mais les grandes églises ne le disent pas. Néanmoins, ils ne poussent pas suffisamment leur pensée pour dire que si la violence ne vient pas de Dieu, elle vient de l’homme, et que nous en sommes responsables. René Girard
Il ne s’agit pas simplement d’un affrontement entre deux religions, entre musulmans radicaux d’un côté et protestants fondamentalistes de l’autre. Encore moins d’un choix de civilisations qui seraient opposées. Ce qui me frappe plutôt, c’est la diffusion de ce terrorisme. Partout, au Moyen-Orient, en Asie et en Asie du Sud-Est, il existe de petits groupes, des voisins, des communautés, qui se dressent les unes contre les autres, pour des raisons complexes, liées à l’économie, au mode de vie, autant qu’aux différences religieuses. (…) il faut regarder la réalité en face. Achever l’interprétation de ce traité, De la guerre, c’est lui donner son sens religieux et sa véritable dimension d’apocalypse. C’est en effet dans les textes apocalyptiques, dans les Evangiles synoptiques de Matthieu, Marc et Luc et dans les Epîtres de Paul, qu’est décrit ce que nous vivons, aujourd’hui, nous qui savons être la première civilisation susceptible de s’autodétruire de façon absolue et de disparaître. La parole divine a beau se faire entendre – et avec quelle force ! -, les hommes persistent avec acharnement à ne pas vouloir reconnaître le mécanisme de leur violence et s’accrochent frénétiquement à leurs fausses différences, à leurs erreurs et à leurs aveuglements. Cette violence extrême est, aujourd’hui, déchaînée à l’échelle de la planète entière, provoquant ce que les textes bibliques avaient annoncé il y a plus de deux mille ans, même s’ils n’avait pas forcément une valeur prédicative : une confusion générale, les dégâts de la nature mêlés aux catastrophes engendrées par la folie humaine. Une sorte de chaos universel. Si l’Histoire a vraiment un sens, alors ce sens est redoutable… (…) L’esprit humain, libéré des contraintes sacrificielles, a inventé les sciences, les techniques, tout le meilleur – et le pire ! – de la culture. Notre civilisation est la plus créative et la plus puissante qui fût jamais, mais aussi la plus fragile et la plus menacée. Mais, pour reprendre les vers de Hölderlin, « Aux lieux du péril croît/Aussi ce qui sauve »… René Girard
Nous assistons à une nouvelle étape de la montée aux extrêmes. Les terroristes ont fait savoir qu’ils avaient tout leur temps, que leur notion du temps n’était pas la nôtre. C’est un signe clair du retour de l’archaïque : un retour aux VIIe-IXe siècles, qui est important en soi. (…) Il nous faut entrer dans une pensée du temps où la bataille de Poitiers et les Croisades sont beaucoup plus proches de nous que la Révolution française et l’industrialisation du Second Empire. (…) Mais ce à quoi nous assistons avec l’islamisme est néanmoins beaucoup plus qu’un retour de la Conquête, c’est ce qui monte depuis que la révolution monte, après la séquence communiste qui aura fourni un intermédiaire. Le léninisme comportait en effet déjà certains de ces éléments. Mais ce qui lui manquait, c’était le religieux. La montée aux extrêmes est donc capable de se servir de tous les éléments : culture, mode, théorie de l’État, théologie, idéologie, religion. Ce qui mène l’histoire n’est pas ce qui apparaît comme essentiel aux yeux du rationaliste occidental. Dans l’invraisemblable amalgame actuel, je pense que le mimétisme est le vrai fil conducteur. Si l’on avait dit aux gens, dans les années 1980, que l’islam jouerait le rôle qu’il joue aujourd’hui, on serait passé pour dément. Or il y avait déjà dans l’idéologie diffusée par Staline des éléments para-religieux qui annonçaient des contaminations de plus en plus radicales, à mesure que le temps passerait. L’Europe était moins malléable au temps de Napoléon. Elle est redevenue, après le Communisme, cet espace infiniment vulnérable que devait être le village médiéval face aux Vikings. La conquête arabe a été fulgurante, alors que la contagion de la Révolution française a été freinée par le principe national qu’elle avait levé dans toute l’Europe. L’islam, dans son premier déploiement historique, a conquis religieusement. C’est ce qui a fait sa force. D’où la solidité aussi de son implantation. L’élan révolutionnaire accéléré par l’épopée napoléonienne a été contenu par l’équilibre des nations. Mais celles-ci se sont enflammées à leur tour et ont brisé le seul frein possible aux révolutions qui pointent. (…) J’ai personnellement l’impression que cette religion a pris appui sur le biblique pour refaire une religion archaïque plus puissante que toutes les autres. Elle menace de devenir un instrument apocalyptique, le nouveau visage de la montée aux extrêmes. Alors qu’il n’y a plus de religion archaïque, tout se passe comme s’il y en avait une autre qui se serait faite sur le dos du biblique, d’un biblique un peu transformé. Elle serait une religion archaïque renforcée par les apports du biblique et du chrétien. Car l’archaïque s’était évanoui devant la révélation judéo-chrétienne. Mais l’islam a résisté, au contraire. Alors que le christianisme, partout où il entre, supprime le sacrifice, l’islam semble à bien des égards se situer avant ce rejet. (…) la montée aux extrêmes se sert aujourd’hui de l’islamisme comme elle s’est servie hier du napoléonisme ou du pangermanisme. (…) Clausewitz nous l’a fait entrevoir, à travers ce que nous avons appelé sa religion guerrière, où nous avons vu apparaître quelque chose de très nouveau et de très primitif en même temps. L’islamisme est, de la même façon, une sorte d’événement interne au développement de la technique. Il faudrait pouvoir penser à la fois l’islamisme et la montée aux extrêmes, l’articulation complexe de ces deux réalités. L’unité du christianisme du Moyen Âge a donné la Croisade, permise par la papauté. Mais la Croisade n’a pas l’importance que l’islam imagine. C’était une régression archaïque sans conséquence sur l’essence du christianisme. Le Christ est mort partout et pour tout le monde. (…) Les chrétiens comprennent que la Passion a rendu le meurtre collectif inopérant. C’est pour cela que, loin de réduire la violence, la Passion la démultiplie. L’islamisme aurait très tôt compris cela, mais dans le sens du djihad. Il y a ainsi des formes d’accélération de l’histoire qui se perpétuent. On a l’impression que le terrorisme actuel est un peu l’héritier des totalitarismes, qu’il y a des formes de pensées communes, des habitudes prises. Nous avons suivi l’un des fils possibles de cette continuité, avec la construction du modèle napoléonien par un général prussien. Ce modèle a été repris ensuite par Lénine et Mao Tsé-Toung, auquel se réfère, dit-on, Al Qaida. Le génie de Clausewitz est d’avoir anticipé à son insu une loi devenue planétaire. Nous ne sommes plus dans la guerre froide, mais dans une guerre très chaude, étant donné les centaines, voire demain les milliers de victimes quotidiennes en Orient. René Girard
[Samuel Huntington] a eu raison de s’attaquer au sujet. Mais il l’a fait de manière trop classique : il ne voit pas que la tragédie moderne est aussi une comédie, dans la mesure où chacun répète l’autre identiquement. Parler de choc des civilisations, c’est dire que c’est la différence qui l’emporte. Alors que je crois, moi, que c’est l’identité des adversaires qui sous-tend leur affrontement. J’ai lu le livre de l’historien allemand Ernst Nolte, La guerre civile européenne, où il explique que, dans le choc des idéologies issues de la Première Guerre mondiale – communisme et nazisme –, l’Allemagne n’est pas la seule responsable. Mais le plus important est ceci : Nolte montre que l’URSS et le IIIe Reich ont été l’un pour l’autre un « modèle repoussoir ». Ce qui illustre la loi selon laquelle ce à quoi nous nous heurtons, c’est ce que nous imitons. Il est frappant qu’un historien pense les rapports d’inimitié en terme d’identité, en terme de copie. Ce que Nolte appelle le modèle repoussoir, c’est ce que la théorie mimétique appelle le modèle obstacle : dans la rivalité, celui qu’on prend pour modèle, on désire ce qu’il désire et par conséquent il devient obstacle. Le rapport mimétique conduit à imiter ses adversaires, tantôt dans les compliments, tantôt dans le conflit. (…) Les islamistes tentent de rallier tout un peuple de victimes et de frustrés dans un rapport mimétique à l’Occident. Les terroristes utilisent d’ailleurs à leurs fins la technologie occidentale : encore du mimétisme. Il y a du ressentiment là-dedans, au sens nietzschéen, réaction que l’Occident a favorisée par ses privilèges. Je pense néanmoins qu’il est très dangereux d’interpréter l’islam seulement par le ressentiment. Mais que faire ? Nous sommes dans une situation inextricable. (…) Benoît XVI respecte suffisamment l’islam pour ne pas lui mentir. Il ne faut pas faire semblant de croire que, dans leur conception de la violence, le christianisme et l’islam sont sur le même plan. Si on regarde le contexte, la volonté du pape était de dépasser le langage diplomatique afin de dire : est-ce qu’on ne pourrait pas essayer de s’entendre pour un refus fondamental de la violence ? (…) La Croix, c’est le retournement qui dévoile la vérité des religions révélées. Les religions archaïques, c’est le bouc émissaire vrai, c’est-à-dire le bouc émissaire caché. Et la religion chrétienne, c’est le bouc émissaire révélé. Une fois que le bouc émissaire a été révélé, il ne peut plus y en avoir, et donc nous sommes privés de violence. Ceux qui attaquent le christianisme ont raison de dire qu’il est indirectement responsable de la violence, mais ils n’oseraient pas dire pourquoi : c’est parce qu’il la rend inefficace et qu’il fait honte à ceux qui l’utilisent et se réconcilient contre une victime commune. (…) De même qu’il était impossible de ne pas croire au XIIe siècle, il est presque impossible de croire au XXIe siècle, parce que tout le monde est du même côté. (…) Il ne faut pas exagérer la religiosité de l’Amérique, pas plus que le recul de la religion en Europe. Il est cependant vrai que, aux Etats-Unis, les conventions sont favorables au religieux, alors que, en France surtout, elles tendent à lui être hostiles. La société américaine n’a pas subi l’antichristianisme de la Révolution française ou le laïcisme des anticléricaux. En France, le catholicisme pâtît de l’ancienne position dominante de l’Eglise. Aux Etats-Unis, la multiplicité s’impose : parce qu’ils sont minoritaires, les catholiques y sont d’une certaine manière favorisés. (…) [L’Apocalypse] ne signifie pas que la fin du monde est pour demain, mais que les textes apocalyptiques – spécialement les Evangiles selon saint Matthieu et saint Marc – ont quelque chose à nous dire sur notre temps, au moins autant que les sciences humaines. A mon sens, outre la menace terroriste ou la prolifération nucléaire, il existe aujourd’hui trois grandes zones de danger. En premier lieu, il y a les menaces contre l’environnement. Produisant des phénomènes que nous ne pourrons pas maîtriser, nous sommes peut-être au bord de la destruction par l’homme des possibilités de vivre sur la planète. En second lieu, avec les manipulations génétiques, nous pénétrons dans un domaine totalement inconnu. Qui peut nous certifier qu’il n’y aura pas demain un nouvel Hitler, capable de créer artificiellement des millions de soldats ? Troisièmement, nous assistons à une mise en mouvement de la terre, à travers des courants migratoires sans précédent. Les trois quarts des habitants du globe rêvent d’habiter dans le quart le plus prospère. Ces gens, nous serions à leur place, nous en ferions autant. Mais c’est un rêve sans issue. Ces trois phénomènes ne font que s’accélérer, une nouvelle fois par emballement mimétique. Et ils correspondent au climat des grands textes apocalyptiques. L’esprit moderne juge ces textes farfelus, parce qu’ils mélangent les grondements de la mer avec les heurts entre villes ou nations, qui sont des manifestations humaines. Depuis le XVIe siècle, sur un plan intellectuel, la science, c’était la distinction absolument nette, catégorique, entre la nature et la culture : appartenait à la science tout ce qui relève de la nature, et à la culture tout ce qui vient de l’homme. Si on regarde ce qui se passe de nos jours, cette distinction s’efface. Au Congrès des Etats-Unis, les parlementaires se disputent pour savoir si l’action humaine est responsable d’un ouragan de plus à la Nouvelle-Orléans : la question est devenue scientifique. Les textes apocalyptiques redeviennent donc vraisemblables, à partir du moment où la confusion de la nature et de la culture prive l’homme de ses moyens d’action. Dès lors qu’il n’y a plus de bouc émissaire possible, la seule solution est la réconciliation des hommes entre eux. C’est le sens du message chrétien. René Girard
Autrefois, les compagnons de route de la Russie communiste venaient de la gauche ; dans l’Amérique d’aujourd’hui, ils occupent les premières loges de la droite trumpiste et les avant-postes des médias populistes. Ce qui les rattache à M. Poutine, comme à Donald Trump, c’est l’apologie sans complexe de la grandeur nationale, l’aversion pour la «dictature woke», un culte assumé de la force et le goût d’une saine virilité, réfractaire à l’émasculation de l’homme blanc par les lubies progressistes. (…) Poutine savait cultiver avec méthode ces auxiliaires inespérés. Il recevait des évangélistes, des représentants du puissant lobby des armes à feu, des militants de «l’Amérique d’abord» hostiles à l’immigration. Il n’hésitait pas à se dire victime, lui et son pays, de la «cancel culture», ou à dénoncer les transgenres avec des accents qui ne pouvaient laisser insensibles ses nouveaux frères d’armes. «Ceux qui apprennent à un garçon à se transformer en fille et à une fille en un garçon commettent un crime contre l’humanité (…)». La Russie qu’il leur faisait découvrir renvoyait un miroir désolant à une Amérique en faillite morale, gangrenée par l’avortement, les mariages homosexuels, la pornographie, la libération des mœurs, la tyrannie multiculturelle… Il fallait une bonne dose d’aveuglement à ces pèlerins de l’eldorado russe pour éviter de voir ce qu’ils s’interdisaient de connaître: en Russie, comme le rappelle Anne Applebaum, le nombre des avortements est un des plus élevés du monde, le double de son niveau aux États-Unis ; la fréquentation des églises est négligeable ; seuls 15% des Russes reconnaissent à la religion un rôle important dans leur vie ; et le pays tient le record mondial du taux de suicide chez les hommes adultes. Quant à l’image unitaire de la nation, il n’est pas inutile d’observer que 20% des citoyens russes se revendiquent d’une autre nationalité, que plus de 6% sont musulmans et que, en Tchétchénie, la loi de l’État est la charia. Comment expliquer la réussite du poutinisme à rallier en Occident cette armée de «facilitateurs», d’«excuseurs», d’«indulgents»? Outre les raisons déjà évoquées, la paresse intellectuelle y entre aussi pour une part et l’ignorance volontaire pour beaucoup: elle n’est pas sans rappeler celle des voyageurs ingénus de la Russie soviétique et la cohorte des croyants cuirassés dans le déni des horreurs staliniennes. C’est un phénomène fascinant que l’impuissance des faits avérés à entrer dans la circulation des esprits et à s’imprimer au fond de la conscience publique. Pourtant, le maître du Kremlin a beaucoup œuvré à nous dessiller les yeux. Ce qui a conforté cette cécité renvoie surtout à la situation de nos démocraties. Le souvenir de la guerre froide, et des guerres en général, est trop éloigné pour alerter spontanément les esprits: nous livrons volontiers des guerres idéologiques, un luxe des temps de paix, mais hésitons, quand de vraies menaces sont à nos portes, à en apprécier la portée. Et nous baignons depuis trop longtemps dans une culture de la repentance pour ne pas donner créance à ceux qui nous inculpent de les avoir opprimés, ravalés, humiliés. Enfin, l’espoir de prévenir le pire porte parfois à consentir à l’inacceptable, comme un moindre mal, au préjudice des victimes sacrifiées à un «lâche soulagement», lequel ne dure jamais longtemps. Pour les zélateurs américains de M. Poutine, le fantasme d’une Russie citadelle de la civilisation était avant tout affaire de politique intérieure: un ressort essentiel, à condition de ne pas y regarder de près, de la guerre idéologique contre le wokisme. (…) Les trumpistes avaient d’autres priorités que l’Ukraine, le droit international, la liberté. Ce n’était pas leur guerre. On découvre là comment le wokisme est devenu le complice involontaire, le combustible, le pourvoyeur d’arguments – et d’absolutions – de l’illibéralisme. Ran Halévi
Alors que l’analyse géopolitique et les choix politiques de Vladimir Poutine semblent toujours plus intégrés à des motifs religieux et messianiques qui voient dans la guerre en Ukraine une dernière voie de salut pour la Russie (sur le thème sourkovien du « Que nous importe le monde si la Russie n’y existe plus ? »), il faut lire de près le discours développé par l’Église orthodoxe russe pour justifier la guerre et le positionnement poutinien. (…) le 6 mars 2022, le dimanche de la Saint-Jean, le dimanche de l’exil adamique (« dimanche du pardon »), le patriarche Kirill de Moscou et de toute la Russie a célébré la Divine Liturgie dans la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou. À la fin du service, le primat de l’Église orthodoxe russe a prononcé un sermon enflammé pour justifier les causes de la guerre, en endossant le discours de Poutine sur l’Ukraine. Ce discours (…) est marqué par les tonalités apocalyptiques (…) Ce n’est pas une surprise pour les personnes qui ont suivi de près l’évolution de l’Église orthodoxe russe qui, depuis plusieurs années, se pose en ultime défenseur de la morale sociale et des valeurs traditionnelles russes dans le cadre de « la guerre culturelle » menée par un Occident « décadent ». On remarquera que l’Église orthodoxe russe et les bureaucraties de sécurité (FSB) sont les seules grandes institutions centrales à avoir survécu à l’effondrement du système communiste, en se greffant organiquement au régime de Poutine. L’argument principal du sermon de Kirill sert à justifier l’invasion russe de l’Ukraine puisque l’Occident teste les lois naturelles de Dieu (…) C’est dans ce sens qu’une parole biblique paradoxalement consacrée au « pardon » sert de justification à la guerre dans la lignée de la tradition byzantine du césaro-papisme. (…) Avec ce discours nous sommes face à une vision du monde qui dépasse de très loin le storytelling politique et la définition d’un narratif auxquels nous sommes habitués dans nos espaces politiques. Au fond, et c’est ce qui rend la lecture de ce texte urgente, depuis l’invention de la bombe atomique nous n’avions peut-être jamais vécu le moment le plus intense du théologico-politique : une puissance nucléaire engagée dans une « guerre sainte ». Jean-Benoît Poulle
Le patriarche Kirill reprend des éléments traditionnels de la théologie chrétienne du sacrifice de la croix, de la justification de l’homme pécheur par la mort rédemptrice du Christ. Mais certains choix de vocabulaire interrogent : pourquoi parler d’une « exécution », qui « servait à exécuter les criminels » au détriment de l’insistance sur la mort volontaire du Christ ? L’Église, en Occident, n’est plus guère habituée depuis Vatican II à prêcher sur ces thèmes de la « colère du Père », de son « juste châtiment » destiné aux pécheurs qui retomberait sur son Fils innocent… Plus subtilement, dans ce texte, le sacrifice divin est mondanisé, ramené à des réalités terrestres : « la meilleure des qualités humaines » et « la plus haute expression de l’amour de l’homme pour ses semblables ». En théologie chrétienne, tout cela est vrai mais ne suffit pas : c’est la vie donnée sans défense qui revêt une véritable valeur rédemptrice, et constitue donc le « vrai sacrifice ». (…) Kirill entreprend un second et majeur infléchissement de la notion chrétienne du sacrifice, qui permet de l’appliquer à des soldats d’une armée d’invasion. Le patriarche mélange à dessein le fait de se sacrifier pour les autres, de donner sa vie volontairement pour sauver les siens dans un geste héroïque ou saint, et « l’accomplissement de son devoir militaire », action qui peut être vertueuse selon les conceptions de la guerre juste, mais uniquement en cas de guerre défensive. En bonne théologie, en aucun cas la mort au combat en participant à une armée d’invasion n’est équivalente à la mort pour sauver la vie des siens — même si certains soldats ressentent peut-être subjectivement cette équivalence. Le véritable sacrifice chrétien est celui des martyrs qui, par définition, exposent leur vie et n’attentent pas à celle des autres. Kirill fait au fond l’amalgame entre un « sacrifice patriotique », métaphorique, qui n’est pas toujours permis en théologie morale — il dépend de la licéité de la guerre menée — et ce véritable sacrifice chrétien, sans armes à la main. (…) Cette expression, répétée à dessein, est une ligne de force du discours de Kirill et d’autres soutiens de l’invasion : c’est la théorie du monde russe (rousky mir), d’une sorte d’unité civilisationnelle imperméable au droit international, qui justifierait donc la violation des frontières reconnues par ce même droit. C’est pourquoi, de manière frappante, et alors même que les référendums d’annexion ne sont pas achevés, Kirill se permet de dire que la guerre se déroule dans les « vastes étendues de la Russie » au moment même où elle a lieu ukrainien… Sa Sainte Russie imaginée — ce qu’il appelle de manière étonnante dans le texte « l’espace spirituel uni de la Sainte Russie — serait au fond davantage une communauté mystique qu’un État westphalien. Selon cette logique pervertie, si donc la guerre en Ukraine est une guerre civile russe, elle ne peut opposer que des « bons Russes », partisans de l’État central, et meilleurs représentants de la russité, et ces « mauvais Russes » que seraient des Ukrainiens, adeptes d’un mouvement centrifuge par attirance de l’étranger. (…) (…) Comme si cela ne suffisait pas, Kirill insiste un peu plus : la « terre de Russie » dépasse donc largement les frontières étatiques de la Fédération de Russie, puisque la « Sainte Russie » — vieille expression de la propagande tsariste — est au fond un espace mystique plus que matériel, celui de la « chrétienté véritable », où la foi orthodoxe a été supposément gardée la plus pure, loin de toute influence néfaste, donc l’espace sous la juridiction du Patriarche Kirill. Il est piquant de voir que cette identification au christianisme orthodoxe le plus sourcilleux doit parfois composer, pour les besoins de la propagande étatique, avec d’autres affirmations nettement syncrétistes, par exemple celles affirmant l’unité de croyance entre tous les sujets de la Fédération russe, qu’ils soient chrétiens, musulmans comme les Tchétchènes, voire chamanistes comme certains Bouriates… (…) Derrière l’appel final à la réconciliation, à la paix et à la justice, se devine surtout la raison du plus fort : c’est en définitive à une « justice » adossée à la force, le droit du vainqueur, que s’en remet le patriarche. Jean-Benoît Poulle
C’est le djihad final !
A l’heure où reprenant en parfait « loup ravisseur en vêtements de brebis » …
Face à une petite armée d’idiots utiles occidentaux que le rejet du wokisme et la hantise de la décadence …
A fait rejoindre, dans leur déni de la réalité russe, les lourds bataillons de l’apaisement et du profit à tout prix à la Chirac ou à la Merkel …
Le langage et les formes de la démocratie et des droits de la personne, le nouvel Hitler de Moscou …
Efface à coups de canon et de coups de force pour mieux les protéger, les frontières de ses voisins …
Et pour mieux les sauver, massacre les populations …
Comme l’avait annoncé prophétiquement dès 1919 un certain capitaine de Gaulle …
Comment ne pas s’inquiéter peut-être plus encore de son instrumentalisation, via le patriarche et ex-officier du FSB Kirill, de la religion orthodoxe …
Et comment ne pas repenser à ce que René Girard avait déjà pointé dans l’actuel djihad islamique …
A savoir une monstrueuse et diabolique synthèse du léninisme et du christianisme…
Qui, sur le dos d’un biblique perverti à l’instar de l’islam, tente de rallier tout un peuple de victimes et de frustrés dans un rapport mimétique à l’Occident…
Et à présent l’orthodoxie pour en faire une religion archaïque plus puissante que toutes les autres …
Et même, avec la menace nucléaire, un véritable instrument apocalyptique …
Où reprenant la dénonciation évangélique de la violence et du sacrifice, elle la retourne en une nouvelle guerre sainte contre un Occident tombé en pleine décadence ?
Poutine déclare la guerre sainte au « satanisme » occidental
Le président russe Vladimir Poutine a invoqué Jésus, Satan et des épouvantails transsexuels lors d’une cérémonie du Kremlin pour dépecer l’Ukraine vendredi 30 septembre.
Nouvelles du jour
30.09.2022
Poutine a signé des tomes reliés en cuir avec un aigle en relief faisant de quatre régions ukrainiennes une partie de la Russie dans une salle somptueuse, pleine de VIP russes applaudissant, dont le patriarche Kirill, accompagnés de soldats en uniforme de grande tenue.
La dernière fois que cela s’est produit, lorsque la Russie a annexé la Crimée en 2014, a marqué une heure sombre pour l’ordre de sécurité de l’Europe après la Seconde Guerre mondiale.
Cette fois, c’est plus dangereux, car la Russie n’a pas le contrôle total des nouveaux territoires qu’elle a revendiqués, au milieu des menaces du Kremlin de protéger la grande Russie de Poutine avec des armes nucléaires si nécessaire.
Poutine a décrit l’annexion comme une guerre sainte contre l’Occident, utilisant une rhétorique surprenante.
« Ils [l’Occident] évoluent vers un satanisme ouvert », a-t-il déclaré dans un discours diffusé à des millions de personnes en ligne.
Les élites occidentales enseignaient la « déviation sexuelle » aux enfants qui changeaient de sexe, a-t-il dit. « Nous nous battons pour la Russie historique, pour protéger nos enfants et petits-enfants de cette expérience pour changer leur âme », a-t-il ajouté.
Poutine a invoqué Jésus par son nom pour témoigner de sa « vérité » et s’est décrit en termes messianiques.
« Je crois au pouvoir spirituel du peuple russe et mon esprit est son esprit, la souffrance du peuple est ma souffrance », a-t-il déclaré.
« La destruction de l’hégémonie occidentale est irréversible », a ajouté Poutine, alors qu’il approchait du point culminant de son discours.
Son nouveau mysticisme contrastait avec sa justification pour s’emparer de la Crimée en 2014, qu’il fondait sur des bases historiques.
Poutine a également accusé les « Anglo-Saxons », se référant au Royaume-Uni et aux États-Unis, d’avoir fait sauter deux gazoducs russes vers l’Allemagne cette semaine – dans un casus belli potentiel avec l’OTAN.
Il s’est moqué du public européen pour la flambée des prix des aliments et de l’énergie due à son invasion. « Vous avez besoin de nourriture », a déclaré Poutine. « Vous ne pouvez pas chauffer vos appartements », a-t-il déclaré.
Mais le reste de son discours a suivi des lignes bien éculées, accusant « l’Occident » d’impérialisme, de colonialisme, d’hypocrisie et de péchés historiques tels que les bombardements d’Hiroshima et de Dresde pendant la Seconde Guerre mondiale.
La fantasmagorie satanique et les discours de haine sexuelle sont également des thèmes familiers de la propagande russe.
Alors que Poutine est connu pour utiliser un langage étonnamment grossier, comme des blagues nécrophiles, lors d’événements publics, son mélange de sexe, de religion et de géopolitique vendredi était plus extrême que jamais.
De leur côté, les dirigeants européens se préparent à imposer de nouvelles sanctions à la Russie lors de leur rencontre à Prague la semaine prochaine.
Ils visent à mettre sur liste noire l’idéologue russe Alexander Dugin, qui parle de la guerre en Ukraine et de l’identité russe en des termes tout aussi toxiques, avec 28 autres personnes.
Ils doivent frapper les industries russes du pétrole, de l’acier et de la foresterie.
L’UE se prépare également à copier-coller son interdiction de voyage et d’affaires en Crimée dans les nouvelles zones annexées à la Russie, alors que la guerre s’éternise.
« Documents de voyage russes délivrés dans ces régions [the four Ukrainian areas annexed by Russia on Friday] ne sont pas reconnus par les États membres ainsi que par l’Islande, la Norvège, la Suisse et le Lichtenstein aux fins de la délivrance d’un visa et du franchissement des frontières extérieures », indique un document interne de l’UE, qui est en préparation parallèlement aux nouvelles listes noires de la Russie.
L’Ukraine a déclaré vendredi qu’elle postulait pour rejoindre l’Otan en riposte au stratagème de Poutine.
La fête de Poutine
Les solennités du Kremlin ont vu les quatre dirigeants fantoches de la Russie dans l’est de l’Ukraine serrer la main de Poutine tout en scandant « Russie ! Russie ! » à une ovation debout.
Deux d’entre eux portaient des insignes de revers avec le symbole Z, un logo devenu synonyme des atrocités russes commises en Ukraine au cours des six derniers mois.
L’annexion de la Crimée, il y a huit ans, a vu l’Arménie, la Biélorussie, la Bolivie, Cuba, le Nicaragua, la Corée du Nord, le Soudan, la Syrie, le Venezuela et le Zimbabwe soutenir Poutine à l’ONU, signe de ce à quoi il pourrait s’attendre cette fois-ci.
Cuba, le Nicaragua et la Syrie ont officiellement reconnu la Crimée comme faisant partie de la Russie, mais les plus grands amis de la Russie, comme la Chine et l’Iran, ne se sont jamais liés à la fantaisie de Poutine.
Le modèle est apparu pour la première fois lorsque la Russie a reconnu l’indépendance de deux régimes fantoches russes en Géorgie en 2008, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, et lorsque Poutine a été rejoint par Nauru, le Nicaragua, la Syrie et le Venezuela uniquement sur la scène mondiale.
Voir aussi:
Le sacrifice comme arme de guerre
On avait connu Daesh et le djihad par l’épée. Kirill, patriarche de Moscou, veut aujourd’hui faire de l’invasion de l’Ukraine par la Russie de Poutine une guerre sainte — en présentant la mort de l’envahisseur en terres ennemies comme un sacrifice chrétien.
Jean-Benoît Poulle
28.09.2022
Depuis le commencement de l’invasion russe de l’Ukraine, le patriarche Kirill de Moscou paraît vouloir lier à la politique du Kremlin non seulement son destin personnel, mais encore celui de toute l’Eglise orthodoxe russe dont il est le chef. Après avoir déclaré en mars qu’il s’agissait d’un « combat métaphysique » contre les « forces du mal », il a ignoré les appels à la paix, à la prise de distance ou, au moins à la neutralité, qui venaient pourtant d’horizons très divers, du pape François, engagé avec lui dans un dialogue oecuménique risqué, au patriarche de Constantinople Bartholomée, primus inter pares des Églises orthodoxes. Si sa parole est, semble-t-il, encore écoutée avec respect dans la population russe, les conséquences n’ont pas tardé à se faire sentir à l’extérieur : en Ukraine, le chef des orthodoxes ukrainiens encore placés sous sa juridiction — le métropolite Onuphre — a décidé de rompre avec sa tutelle. Comme d’autres soutiens de la guerre, Kirill a été visé par les sanctions de l’Union européenne et d’autres pays de la communauté internationale qui, par exemple, lui ont interdit de voyager — interdiction dont Viktor Orban, en Hongrie, s’est désolidarisé, hostile à ce que des représailles frappent un chef spirituel.
Lorsque, au lendemain de l’annonce conjointe par Vladimir Poutine le 21 septembre des référendums de rattachement dans les territoires ukrainiens occupés et de la mobilisation partielle en Russie, sa parole était attendue : allait-il enfin s’en distancier, voire le critiquer ? Le discours que nous traduisons et commentons ci-dessous montre qu’il n’en est rien. Bien au contraire. À travers la glorification du « sacrifice » des soldats russes qui verraient ainsi leurs péchés remis, et la reprise du thème du « monde russe », Kirill endosse encore les justifications du Kremlin, en y ajoutant la tonalité apocalyptique et mystique qui lui est propre. Cette intensification correspond en fait, dans son registre propre, à l’escalade verbale de nombreux responsables politiques russes de ces derniers jours.
Sur le site du patriarcat de Moscou, le texte suivant introduit le sermon :
« Le 25 septembre 2022, la 15ème semaine après la fête de la Nativité de la Très Sainte Mère de Dieu, Sa Sainteté le Patriarche Kirill de Moscou et de toute la Russie a célébré la Divine Liturgie dans l’église du Prince Béni Alexandre Nevsky dans l’ermitage du même nom près de Peredelkin. À la fin de la liturgie, le Primat de l’Église orthodoxe russe a prononcé un sermon. »
Ce lieu et ce nom sont déjà tout un programme. Alexandre Nevski (1220-1263) est un monarque russe, grand-prince de Vladimir et de Novgorod, célèbre pour avoir vaincu en 1240, sur la Neva — d’où son surnom de Nevski —, les Suédois, puis en 1242 les chevaliers Teutoniques, mettant un terme définitif à leur poussée vers l’Est. Canonisé en 1547 par l’Église orthodoxe russe, il est devenu un héros national qui symbolise la résistance à tout envahisseur venu de l’Ouest. Un sondage de 2008 le désigne comme le Russe le plus populaire de tous les temps. C’est également sous son règne que la ville de Moscou est mentionnée pour la première fois dans l’histoire.
Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit.
Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique (Jean 3, 16). À la mort ! Le Fils unique, le Fils divin ! Et pourquoi ce terrible Sacrifice divin était-il nécessaire, dont l’étendue et la signification ne peuvent être saisies par l’esprit humain ? Le Dieu tout-puissant s’est livré à une exécution, qui servait à exécuter des criminels, des parias de la société humaine, qui avaient effectivement commis des crimes terribles et dangereux.
Lorsque l’on considère ce sacrifice divin indescriptible, il est difficile pour l’esprit humain de saisir l’ensemble du plan divin. Mais il est clair que le Seigneur ne se donne pas, ne souffre pas et ne meurt pas de manière humaine pour quelque chose qui serait totalement incompréhensible pour nous et qui n’est inhérent qu’à Lui, qui a une immense connaissance de Lui-même. Il nous permet de comprendre que si Dieu, dans son Fils, donne sa vie humaine pour le bien des autres, pour le bien de la race humaine, alors le sacrifice est la plus haute expression de l’amour de l’homme pour ses semblables. Le sacrifice est la plus grande manifestation de la meilleure des qualités humaines.
Nous savons qu’aujourd’hui, de nombreuses personnes meurent sur les champs de bataille des guerres intestines. L’Église prie pour que cette bataille prenne fin le plus rapidement possible, afin que le moins de frères possible s’entretuent dans cette guerre fratricide.
Est-ce ici l’amorce d’une concession ? Kirill, ou son entourage, paraissent peut-être conscients des dommages que l’invasion russe inflige au leadership du Patriarcat de Moscou dans le monde orthodoxe. Il affirme donc prier pour la fin des combats et l’arrêt d’une guerre « fratricide ». Mais cela peut aussi s’entendre comme un appel aux Ukrainiens, spécialement ceux encore placés sous sa juridiction spirituelle, à déposer les armes afin de cesser toute résistance « inutile »… L’expression de « guerre fratricide », dans la plus pure propagande, permet enfin de renvoyer dos-à-dos les belligérants, sans distinguer envahisseur ni pays envahi.
Et en même temps, l’Église est consciente que si quelqu’un, poussé par le sens du devoir, par la nécessité de remplir son serment, reste fidèle à sa vocation et meurt dans l’accomplissement de son devoir militaire, il commet sans aucun doute un acte qui équivaut à un sacrifice. Il se sacrifie pour les autres. Et nous croyons donc que ce sacrifice lave tous les péchés que l’on a commis.
Kirill entreprend un second et majeur infléchissement de la notion chrétienne du sacrifice, qui permet de l’appliquer à des soldats d’une armée d’invasion. Le patriarche mélange à dessein le fait de se sacrifier pour les autres, de donner sa vie volontairement pour sauver les siens dans un geste héroïque ou saint, et « l’accomplissement de son devoir militaire », action qui peut être vertueuse selon les conceptions de la guerre juste, mais uniquement en cas de guerre défensive. En bonne théologie, en aucun cas la mort au combat en participant à une armée d’invasion n’est équivalente à la mort pour sauver la vie des siens — même si certains soldats ressentent peut-être subjectivement cette équivalence. Le véritable sacrifice chrétien est celui des martyrs qui, par définition, exposent leur vie et n’attentent pas à celle des autres. Kirill fait au fond l’amalgame entre un « sacrifice patriotique », métaphorique, qui n’est pas toujours permis en théologie morale — il dépend de la licéité de la guerre menée — et ce véritable sacrifice chrétien, sans armes à la main.
La guerre, qui se déroule actuellement dans les vastes étendues de la Russie, est une guerre intestine.
Cette expression, répétée à dessein, est une ligne de force du discours de Kirill et d’autres soutiens de l’invasion : c’est la théorie du monde russe (rousky mir), d’une sorte d’unité civilisationnelle imperméable au droit international, qui justifierait donc la violation des frontières reconnues par ce même droit. C’est pourquoi, de manière frappante, et alors même que les référendums d’annexion ne sont pas achevés, Kirill se permet de dire que la guerre se déroule dans les « vastes étendues de la Russie » au moment même où elle a lieu ukrainien… Sa Sainte Russie imaginée — ce qu’il appelle de manière étonnante dans le texte « l’espace spirituel uni de la Sainte Russie — serait au fond davantage une communauté mystique qu’un État westphalien. Selon cette logique pervertie, si donc la guerre en Ukraine est une guerre civile russe, elle ne peut opposer que des « bons Russes », partisans de l’État central, et meilleurs représentants de la russité, et ces « mauvais Russes » que seraient des Ukrainiens, adeptes d’un mouvement centrifuge par attirance de l’étranger
Et c’est pourquoi il est si important qu’à l’issue de cette guerre ne surgisse pas une vague d’amertume et d’aliénation, et que les peuples frères ne soient pas divisés par le mur infranchissable de la haine. Et la façon dont nous nous comportons tous les uns envers les autres aujourd’hui, ce que nous demanderons au Seigneur dans nos prières, ce que nous espérerons, déterminera dans une large mesure non seulement l’issue des batailles, mais aussi ce qui se passera à la suite de tout cela. Que Dieu fasse en sorte que les hostilités actuelles ne détruisent pas l’espace spirituel uni de la Sainte Russie et n’endurcissent pas d’autant plus nos peuples. Afin que, par la grâce de Dieu, toutes les blessures puissent être guéries. Pour que, par la grâce de Dieu, tout ce qui aujourd’hui afflige de très nombreuses personnes soit effacé de la mémoire. Pour que ce qui remplace la situation actuelle, y compris les relations entre nos peuples frères, soit lumineux, pacifique et joyeux.
Il en va de même, plus loin, pour la mention des « peuples frères », qui rappelle un thème de la propagande soviétique, au temps du pacte de Varsovie, qui a donné lieu à de multiples plaisanteries dans les pays occupés sur la conception de la « fraternité » entre peuples socialistes et souvent slaves mise en oeuvre par l’Armée Rouge…
Cette fraternité incantatoire, à laquelle Anna Colin Lebedev a récemment consacré un livre important, suppose au fond un « grand frère », le peuple « Grand Russe » — comme les ethnologues désignaient autrefois les « Russes ethniques », habitants de l’Etat issu de la Moscovie — qui contrôlerait les activités de deux « petits frères » turbulents, les « Petits Russes » — comme étaient parfois désignés les Ukrainiens au temps de l’Empire russe — et les « Russes Blancs », ou Biélorusses, eux un peu « plus sages » grâce à leur lien de vassalité avec Moscou…
Et cela ne peut se produire que si nous vivons avec la foi dans nos cœurs. Parce que la foi détruit la peur, la foi permet le pardon mutuel, la foi renforce les relations entre les peuples et peut effectivement transformer ces relations en relations fraternelles, cordiales et bonnes. Dieu fasse qu’il en soit ainsi, que tout ce qui obscurcit maintenant l’âme de beaucoup de gens prenne fin. Dieu fasse que le moins de personnes possible soient tuées ou mutilées au cours de cette lutte intestine. Dieu fasse qu’il y ait le moins possible de veuves et d’orphelins, moins de familles divisées, moins d’amitiés et de confréries brisées.
Là encore, il est permis de s’interroger sur la sincérité de ces prières pour l »arrêt des combats, certes davantage conformes à ce que l’on attendrait de la part d’un responsable spirituel. Auparavant, la mention de la « foi » censée permettre le « pardon mutuel » et « renforcer les relations entre les peuples » tait les conditions d’un tel appel : c’est une foi russe, de même qu’une paix russe dans l’ordre séculier, qui sont offertes, et signifient en définitive la soumission spirituelle au patriarcat de Moscou
L’Église, qui exerce son ministère pastoral auprès des peuples de Russie, d’Ukraine, de Biélorussie et de bien d’autres dans les étendues de la Russie historique, souffre aujourd’hui et prie tout particulièrement pour que cessent rapidement les luttes intestines, que soit célébrée la justice, que soit restaurée la communion fraternelle et que soit surmonté tout ce qui, s’étant accumulé au fil des ans, a conduit à la fin à un conflit sanglant.
Cette précision capitale va très loin : outre les trois peuples mentionnés comme constitutifs du « monde russe » (Russes, Ukrainiens, Biélorusses), Kirill en mentionne encore « d’autres dans les étendues de la Russie historique », c’est-à-dire qu’il considère que la Russie historique, et donc ce « monde russe » intemporel et mystique, s’étend même au-delà de ces trois États. Et il est vrai que le Patriarcat de Moscou a ou prétend avoir une juridiction qui les déborde, y compris sur toute la diaspora russe : le ressort de l’Église orthodoxe russe s’étend ainsi sur tous les pays de l’ex-URSS — y compris l’Asie centrale et les pays Baltes, la Mongolie, la Chine et le Japon. Que le Patriarcat russe y exerce son « ministère pastoral » est une chose ; qu’il prétende les amalgamer aux « étendues de la Russie historique » en est une autre, grosse de velléités annexionnistes, spécialement pour des pays comme la Lettonie ou l’Estonie, qui recèlent une très importante minorité russophone : cela serait donc suffisant à en faire des composantes de cet « espace spirituel » qui a en outre l’avantage d’être suffisamment flou pour se prêter à des avancées ou des reculades…
Nous croyons que tous les saints qui ont brillé sur la terre de Russie — dans ce cas, en utilisant l’expression déjà acceptée « sur la terre de Russie », nous voulons dire la Russie, toute la terre russe, la Sainte Russie — offrent aujourd’hui avec nous leurs prières au Seigneur pour que la paix s’établisse sur la terre, pour que vienne la réconciliation des peuples frères et, surtout, pour que la justice prévale, car sans justice il ne peut y avoir de paix durable.
Comme si cela ne suffisait pas, Kirill insiste un peu plus : la « terre de Russie » dépasse donc largement les frontières étatiques de la Fédération de Russie, puisque la « Sainte Russie » — vieille expression de la propagande tsariste — est au fond un espace mystique plus que matériel, celui de la « chrétienté véritable », où la foi orthodoxe a été supposément gardée la plus pure, loin de toute influence néfaste, donc l’espace sous la juridiction du Patriarche Kirill. Il est piquant de voir que cette identification au christianisme orthodoxe le plus sourcilleux doit parfois composer, pour les besoins de la propagande étatique, avec d’autres affirmations nettement syncrétistes, par exemple celles affirmant l’unité de croyance entre tous les sujets de la Fédération russe, qu’ils soient chrétiens, musulmans comme les Tchétchènes, voire chamanistes comme certains Bouriates…
Derrière l’appel final à la réconciliation, à la paix et à la justice, se devine surtout la raison du plus fort : c’est en définitive à une « justice » adossée à la force, le droit du vainqueur, que s’en remet le patriarche.
Que le Seigneur nous protège tous et nous aide à parcourir dignement notre chemin chrétien, malgré les circonstances difficiles de la vie, qui est aujourd’hui la réalité de notre existence terrestre. Par les prières des saints, dont nous avons loué les noms aujourd’hui, que le Seigneur nous aide tous à être fortifiés dans la paix, l’amour, la fraternité et la pureté.
Voir également:
La guerre sainte de Poutine
Par la voix du patriarche Kirill, Poutine se projette dans une guerre de fin du monde. Voici comment l’Église orthodoxe russe justifie l’invasion de l’Ukraine.
Jean-Benoît Poulle
03.07.2022
Alors que l’analyse géopolitique et les choix politiques de Vladimir Poutine semblent toujours plus intégrés à des motifs religieux et messianiques qui voient dans la guerre en Ukraine une dernière voie de salut pour la Russie (sur le thème sourkovien du « Que nous importe le monde si la Russie n’y existe plus ? »), il faut lire de près le discours développé par l’Église orthodoxe russe pour justifier la guerre et le positionnement poutinien.
Hier, le 6 mars 2022, le dimanche de la Saint-Jean, le dimanche de l’exil adamique (« dimanche du pardon »), le patriarche Kirill de Moscou et de toute la Russie a célébré la Divine Liturgie dans la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou. À la fin du service, le primat de l’Église orthodoxe russe a prononcé un sermon enflammé pour justifier les causes de la guerre, en endossant le discours de Poutine sur l’Ukraine.
Ce discours – que nous traduisons pour la première fois en français et que nous commentons ligne à ligne ici – est marqué par les tonalités apocalyptiques (« Ce qui se passe aujourd’hui.. ne relève pas uniquement de la politique… Il s’agit du Salut de l’homme, de la place qu’il occupera à droite ou à gauche de Dieu le Sauveur, qui vient dans le monde en tant que Juge et Créateur de la création. »).
Ce n’est pas une surprise pour les personnes qui ont suivi de près l’évolution de l’Église orthodoxe russe qui, depuis plusieurs années, se pose en ultime défenseur de la morale sociale et des valeurs traditionnelles russes dans le cadre de « la guerre culturelle » menée par un Occident « décadent ». On remarquera que l’Église orthodoxe russe et les bureaucraties de sécurité (FSB) sont les seules grandes institutions centrales à avoir survécu à l’effondrement du système communiste, en se greffant organiquement au régime de Poutine.
L’argument principal du sermon de Kirill sert à justifier l’invasion russe de l’Ukraine puisque l’Occident teste les lois naturelles de Dieu : « aujourd’hui, il existe un test de loyauté envers le pouvoir [occidental], une sorte de laissez-passer vers ce monde « heureux », un monde de consommation excessive, un monde de « liberté » apparente. Savez-vous ce qu’est ce test ? Le test est très simple et en même temps terrifiant : il s’agit d’une parade de la gay pride. » C’est dans ce sens qu’une parole biblique paradoxalement consacrée au « pardon » sert de justification à la guerre dans la lignée de la tradition byzantine du césaro-papisme : « Et donc, aujourd’hui, en ce dimanche du pardon, moi, d’une part, en tant que votre berger, j’appelle tout le monde à pardonner les péchés et les offenses, y compris là où il est très difficile de le faire, là où les gens se battent entre eux. Mais le pardon sans la justice est une capitulation et une faiblesse. Le pardon doit donc s’accompagner du droit indispensable de se placer du côté de la lumière, du côté de la vérité de Dieu, du côté des commandements divins, du côté de ce qui nous révèle la lumière du Christ, sa Parole, son Évangile, ses plus grandes alliances données au genre humain. »
Avec ce discours nous sommes face à une vision du monde qui dépasse de très loin le storytelling politique et la définition d’un narratif auxquels nous sommes habitués dans nos espaces politiques. Au fond, et c’est ce qui rend la lecture de ce texte urgente, depuis l’invention de la bombe atomique nous n’avions peut-être jamais vécu le moment le plus intense du théologico-politique : une puissance nucléaire engagée dans une « guerre sainte ».
Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
À vous tous, mes chers Seigneurs, Pères, Frères et Sœurs, je vous félicite de tout cœur en ce dimanche, dimanche du Pardon, dernier dimanche avant le début de la Quadragésime, le grand Carême
Il s’agit ici d’une fête spécifique aux orthodoxes : le Dimanche du Pardon, qui fait mémoire de l’expulsion d’Adam et Eve du Paradis (Genèse, 3, 22-24 : c’est donc le souvenir du péché originel, mais aussi de la promesse de Rédemption), est le dernier avant le passage du Petit Carême (équivalent à ce qu’on appelait autrefois le temps de la Septuagésime dans l’Eglise catholique latine) au Grand Carême, les 40 jours précédant Pâques où le jeûne est beaucoup plus strict, passant au régime végétalien intégral. C’est bien sûr un temps d’intensification des efforts spirituels.
De nombreux adeptes considèrent le carême comme un printemps spirituel. Il coïncide avec le printemps de la vie physique et est en même temps considéré par la conscience de l’Église comme un printemps spirituel. Et qu’est-ce que le printemps ? Le printemps est la renaissance de la vie, le renouveau, une nouvelle force. Nous savons que c’est au printemps que la sève puissante éclate à dix, vingt, cent pieds de haut, donnant vie à l’arbre. C’est en effet un étonnant miracle de Dieu, un miracle de la vie. Le printemps est la renaissance de la vie, un certain grand symbole de la vie. Et c’est pourquoi ce n’est pas tout à fait par hasard que la principale fête de printemps est la Pâque du Seigneur, qui est aussi un signe, un gage, un symbole de la vie éternelle. Et nous croyons qu’il en est ainsi, et cela signifie que toute la foi chrétienne, que nous partageons avec vous, est la foi qui affirme la vie, qui est contre la mort, contre la destruction, qui affirme la nécessité de suivre les lois de Dieu pour vivre, pour ne pas périr dans ce monde, ni dans l’autre.
Les analogies ici présentées entre le printemps, la renaissance et la résurrection, sont de véritables lieux communs théologiques, qu’on s’attend à voir figurer dans une homélie ; mais plus subtilement, avec l’installation de l’opposition entre « la foi qui affirme la vie » et la mort, Kirill se place déjà sur le terrain des valeurs de « défense de la vie » face aux forces de la décadence assimilées à l’Occident.
Mais nous savons que ce printemps est assombri par de graves événements liés à la détérioration de la situation politique dans le Donbass, presque le début des hostilités. Je voudrais dire quelque chose à ce sujet.
C’est là un trait frappant de ce sermon : l’Ukraine n’est jamais évoquée en tant que telle, c’est toujours le « Donbass » qui fait l’objet de la sollicitude du patriarche. Or on sait que la guerre d’invasion déborde largement cette région séparatiste. Mais la contre-information russe a tout intérêt à revenir constamment vers le terrain de l’origine du conflit, comme pour mieux en exhiber les responsables.
Depuis huit ans, on tente de détruire ce qui existe dans le Donbass.
Il s’agit ici d’une reprise mot pour mot d’un grand thème de la propagande du Kremlin : la guerre a commencé en réalité en 2014, quand l’Ukraine a tenté de réduire militairement les Républiques séparatistes de Donetsk et Louhansk, en les bombardant. C’est une vision qui fait l’impasse sur l’origine de l’établissement de ces Républiques en les présentant comme des réalités autonomes et subsistantes, comme si elles ne provenaient pas du territoire ukrainien, et que leur séparatisme n’avait pas été provoqué par le Kremlin en réponse à la révolution de Maïdan.
Et dans le Donbass, il y a un rejet, un rejet fondamental des soi-disant valeurs qui sont proposées aujourd’hui par ceux qui prétendent au pouvoir mondial. Aujourd’hui, il existe un test de loyauté envers ce pouvoir, une sorte de laissez-passer vers ce monde « heureux », un monde de consommation excessive, un monde de « liberté » apparente. Savez-vous ce qu’est ce test ? Le test est très simple et en même temps terrifiant : il s’agit d’une parade de la gay pride. La demande de nombreux pays d’organiser une gay pride est un test de loyauté envers ce monde très puissant ; et nous savons que si des personnes ou des pays rejettent ces demandes, ils ne font pas partie de ce monde, ils en deviennent des étrangers.
Le patriarche Kirill place d’emblée le conflit sur le terrain des valeurs morales, en le réduisant à l’affrontement entre un Occident décadent et une Russie porte-étendard des valeurs traditionnelles.
Peu importe ici que la question des droits des minorités sexuelles n’ait absolument rien à voir avec la guerre du Donbass ni avec l’invasion de l’Ukraine, cela permet à Kirill de lui assigner un sens pour les Russes orthodoxes ordinaires, très conservateurs sur les questions de société. À noter également des accents complotistes dans l’évocation du « monde très puissant », le monde occidental étant présenté comme uniforme sur la question (alors qu’il n’est pas non plus facile d’organiser une gay pride en Pologne orientale…). Le terrain civilisationnel est donc investi.
Mais nous savons ce qu’est ce péché, qui est promu par les soi-disant « marches de la fierté » (gay pride). C’est un péché qui est condamné par la Parole de Dieu – tant l’Ancien que le Nouveau Testament. Et Dieu, en condamnant le péché, ne condamne pas le pécheur. Il l’appelle seulement à la repentance, mais ne fait en aucun cas du péché une norme de vie, une variation du comportement humain – respectée et tolérée – par l’homme pécheur et son comportement.
Si l’humanité accepte que le péché n’est pas une violation de la loi de Dieu, si l’humanité accepte que le péché est une variation du comportement humain, alors la civilisation humaine s’arrêtera là. Et les gay pride sont censées démontrer que le péché est une variante du comportement humain. C’est pourquoi, pour entrer dans le club de ces pays, il faut organiser une gay pride. Pas pour faire une déclaration politique « nous sommes avec vous », pas pour signer des accords, mais pour organiser une parade de la gay pride. Nous savons comment les gens résistent à ces demandes et comment cette résistance est réprimée par la force. Il s’agit donc d’imposer par la force le péché qui est condamné par la loi de Dieu, c’est-à-dire d’imposer par la force aux gens la négation de Dieu et de sa vérité.
Dans ces deux paragraphes, Kirill réinvestit le terrain religieux, en rappelant les deux condamnations bibliques explicites de l’homosexualité (Lévitique, 20, 13, et l’Epître aux Romains, 24, 32). Il fait ici appel à la volonté des fidèles orthodoxes d’éviter le péché et sa promotion, en la réinvestissant dans une mobilisation politique et guerrière. Le discours sur la gay pride comme acte d’allégeance au monde occidental n’a évidemment aucun fondement réel, mais il trouve des résonances dans des critiques russes de la décadence : pensons au discours de Harvard d’Alexandre Soljenitsyne en 1978.
Par conséquent, ce qui se passe aujourd’hui dans la sphère des relations internationales ne relève pas uniquement de la politique. Il s’agit de quelque chose d’autre et de bien plus important que la politique. Il s’agit du Salut de l’homme, de la place qu’il occupera à droite ou à gauche de Dieu le Sauveur, qui vient dans le monde en tant que Juge et Créateur de la création. Beaucoup aujourd’hui, par faiblesse, par bêtise, par ignorance, et le plus souvent parce qu’ils ne veulent pas résister, vont là, du côté gauche. Et tout ce qui a trait à la justification du péché condamné dans la Bible est aujourd’hui le test de notre fidélité au Seigneur, de notre capacité à confesser la foi en notre Sauveur.
Comme Mgr Vigano, Kirill mondanise et politise ici des réalités avant tout spirituelles : en identifiant la guerre larvée entre la Russie et l’Occident à l’affrontement du Bien et du Mal, il ne laisse aucune solution alternative aux fidèles de l’orthodoxie, semblant dire à tous les orthodoxes du monde qu’il faut choisir le camp de la Russie sous peine de damnation éternelle (ce que signifie « aller à la gauche du Sauveur », cf. Matthieu, 25, 33). Le test de loyauté politique est assimilé à l’épreuve de la tentation spirituelle.
Tout ce que je dis a plus qu’une simple signification théorique et plus qu’une simple signification spirituelle. Il y a une véritable guerre autour de ce sujet aujourd’hui. Qui s’attaque aujourd’hui à l’Ukraine, où huit années de répression et d’extermination de la population du Donbass, huit années de souffrance, et le monde entier se tait – qu’est-ce que cela signifie ?
Reprise ici d’un argument classique de la propagande du Kremlin, qui s’indigne des doubles standards de l’indignation médiatique dans le traitement de la guerre entre l’Ukraine et le Donbass, « passée sous silence » selon lui, et l’invasion de l’Ukraine, en masquant la différence d’intensité de ce qui est vécu : l’Ukraine, n’a ainsi jamais cherché à « exterminer » la population du Donbass. Kirill s’aligne ainsi sur le vocabulaire poutinien.
Mais nous savons que nos frères et sœurs souffrent réellement ; de plus, ils peuvent souffrir pour leur loyauté envers l’Église. Et donc, aujourd’hui, en ce dimanche du pardon, moi, d’une part, en tant que votre berger, j’appelle tout le monde à pardonner les péchés et les offenses, y compris là où il est très difficile de le faire, là où les gens se battent entre eux. Mais le pardon sans la justice est une capitulation et une faiblesse. Le pardon doit donc s’accompagner du droit indispensable de se placer du côté de la lumière, du côté de la vérité de Dieu, du côté des commandements divins, du côté de ce qui nous révèle la lumière du Christ, sa Parole, son Évangile, ses plus grandes alliances données au genre humain.
Kirill semble dans ce paragraphe esquisser un timide appel à l’apaisement avec l’évocation du « pardon », thème liturgique du jour, mais se reprend bien vite avec la mention de la justice, et l’appel à « se placer du côté de la lumière », qui est donc en creux un encouragement à poursuivre le combat, puisqu’on est du bon côté. Il est frappant de voir que la phrase sur « le pardon sans la justice » pourrait très bien s’appliquer à plus juste titre pour encourager la résistance du peuple ukrainien…
Tout cela dit, nous sommes engagés dans une lutte qui n’a pas une signification physique mais métaphysique. Je sais comment, malheureusement, les orthodoxes, les croyants, choisissant dans cette guerre la voie de la moindre résistance, ne réfléchissent pas à tout ce sur quoi nous réfléchissons aujourd’hui, mais suivent docilement la voie qui leur est indiquée par les pouvoirs en place.
Nous ne condamnons personne, nous n’invitons personne à monter sur la croix, nous nous disons simplement : nous serons fidèles à la parole de Dieu, nous serons fidèles à sa loi, nous serons fidèles à la loi de l’amour et de la justice, et si nous voyons des violations de cette loi, nous ne supporterons jamais ceux qui détruisent cette loi, en effaçant la ligne de démarcation entre la sainteté et le péché, et surtout ceux qui promeuvent le péché comme modèle ou comme modèle de comportement humain.
Ici encore, la rétorsion est frappante : Kirill critique ici une attitude qui pourrait très bien s’appliquer à lui-même, tant sa proximité avec le Kremlin est notoire, de même que celle de son prédécesseur Alexis.
Aujourd’hui, nos frères du Donbass, les orthodoxes, souffrent sans aucun doute, et nous ne pouvons qu’être avec eux – avant tout dans la prière. Nous devons prier pour que le Seigneur les aide à préserver leur foi orthodoxe et à ne pas succomber aux tentations. Dans le même temps, nous devons prier pour que la paix revienne au plus vite, pour que le sang de nos frères et sœurs cesse de couler, pour que le Seigneur accorde sa grâce à la terre du Donbass, qui souffre depuis huit ans et qui porte l’empreinte douloureuse du péché et de la haine humaine.
Kirill semble dire que seuls les séparatistes du Donbass (et sans doute par extension, les Ukrainiens pro-russes) sont des « frères orthodoxes » ; il oublie tous les orthodoxes d’Ukraine, y compris les très nombreux fidèles du Patriarcat de Moscou, qui sont sous sa juridiction. Il paraît donc, ce qui est assez inouï pour un chef spirituel, désigner une grande partie de ses propres ouailles comme l’ennemi à abattre…
Alors que nous entrons dans la saison du Carême, essayons de pardonner à tout le monde. Qu’est-ce que le pardon ? Lorsque vous demandez pardon à quelqu’un qui a enfreint la loi ou vous a fait du mal et injustement, vous ne justifiez pas son comportement mais vous cessez simplement de le haïr. Il cesse d’être votre ennemi, ce qui signifie que par votre pardon vous le livrez au jugement de Dieu. C’est la véritable signification du pardon mutuel pour nos péchés et nos erreurs. Nous pardonnons, nous renonçons à la haine et à l’esprit de vengeance, mais nous ne pouvons pas effacer la faute humaine au ciel ; c’est pourquoi, par notre pardon, nous remettons les fautifs entre les mains de Dieu, afin que le jugement et la miséricorde de Dieu s’exercent sur eux. Pour que notre attitude chrétienne à l’égard des péchés, des torts et des offenses des hommes ne soit pas la cause de leur ruine, mais que le juste jugement de Dieu s’accomplisse sur tous, y compris sur ceux qui prennent sur eux la plus lourde responsabilité, creusant le fossé entre les frères, le remplissant de haine, de malice et de mort.
Que le Seigneur miséricordieux exécute son juste jugement sur nous tous. Et de peur qu’à la suite de ce jugement, nous nous retrouvions du côté gauche du Sauveur venu dans le monde, nous devons nous repentir de nos propres péchés. Aborder notre vie avec une analyse très profonde et dépassionnée, se demander ce qui est bon et ce qui est mauvais, et en aucun cas se justifier en disant : « J’ai eu une dispute avec ceci ou cela, parce qu’ils avaient tort. C’est un faux argument, c’est une mauvaise approche. Vous devez toujours demander devant Dieu : Seigneur, qu’ai-je fait de mal ? Et si Dieu nous aide à prendre conscience de notre propre iniquité, nous devons nous repentir de cette iniquité.
Dans les paragraphes précédents, Kirill retourne enfin à une conception plus spirituelle de son rôle, avec en fin de compte un prêche centré sur le thème du jour, et donc l’explication de la notion, centrale pour tous les chrétiens, de Pardon, suivie d’un appel à le pratiquer dans la vie quotidienne, et à pratiquer l’examen de conscience. Tout cela est traditionnel dans un sermon de (pré-)Carême et celui de Kirill serait tout à fait normal s’il s’en était tenu à cette partie. Malgré tout, la mention que le pardon consiste aussi à abandonner le pécheur au « juste jugement de Dieu » n’en garde pas moins une tonalité menaçante, surtout quand le patriarche l’invoque sur ceux qui « creusent le fossé entre les frères ». Il s’agit là d’une évocation de l’Eglise orthodoxe ukrainienne du patriarcat de Kiev, et de son chef, le métropolite Epiphane, accusé de diviser le monde orthodoxe en s’affranchissant de la tutelle de Moscou ; Kirill étend peut-être ce reproche jusqu’au patriarche de Constantinople, qui a reconnu l’Eglise ukrainienne autocéphale.
Aujourd’hui, à l’occasion du dimanche du Pardon, nous devons accomplir l’exploit de renoncer à nos propres péchés et injustices, l’exploit de nous remettre entre les mains de Dieu et l’acte le plus important – le pardon de ceux qui nous ont offensés.
Que le Seigneur nous aide tous à traverser les jours du Carême de telle sorte que nous puissions entrer dignement dans la joie de la Résurrection du Christ. Et prions pour que tous ceux qui combattent aujourd’hui, qui versent le sang, qui souffrent, entrent aussi dans cette joie de la Résurrection dans la paix et la tranquillité. Quelle joie y a-t-il si les uns sont dans la paix et les autres dans la puissance du mal et dans la douleur des luttes intestines ?
En conclusion, l’injonction à prier pour ceux qui combattent (pour un seul camp, bien sûr, les soldats russes), se trouve là pour masquer qu’il n’y a aucun appel à la paix et à la réconciliation dans cette homélie, alors même qu’elle a lieu le dimanche du Pardon. Pourtant le patriarche Kirill a été de nombreuses fois sollicité par des membres ukrainiens et russes de son propre clergé , pour, à défaut de s’élever contre un conflit fratricide, au moins prier pour l’apaisement ; le représentant du patriarcat de Moscou en Ukraine, le métropolite Onuphre, a lui-même condamné l’invasion. Même si elle est volontairement dissimulée dans des termes généraux et une tonalité spirituelle, cette homélie représente in fine un alignement assez net sur la rhétorique du Kremlin, comme à l’époque de l’Union soviétique.
Que le Seigneur nous aide tous à entrer dans le chemin du Saint Carême de telle manière, et pas autrement, qu’Il puisse sauver nos âmes et favoriser la multiplication du bien dans notre monde pécheur et souvent terriblement erroné, afin que la vérité de Dieu puisse régner et diriger le genre humain. Amen.
Voir enfin:
Jean-Benoît Poulle
Le Grand continent
8 mars 2022
Tant le catholicisme que l’orthodoxie sont pluriels en Ukraine. Pour le premier, la situation est comparativement plus simple : il se répartit entre la population catholique de rite latin, assez marginale (1 % des Ukrainiens, surtout dans l’Ouest et le Centre), et en fait assimilable à la minorité d’origine polonaise, et trois Églises catholiques de rite oriental. Celles-ci sont définies par leur unité de foi et leur obédience au pape, et donc leur communion avec les autres catholiques, mais aussi par leur autonomie interne hiérarchique et liturgique, comprenant leurs rites propres.
La principale d’entre elles est l’Église gréco-catholique ukrainienne, qui rassemble 8 % de la population du pays, soit plus de 5 millions de fidèles, situés très majoritairement à l’Ouest. Sa liturgie, le rite byzantin, est quasiment identique à celle des orthodoxes du monde russophone, dont la langue liturgique est le slavon d’église. On peut en faire remonter l’origine au XVe siècle, lorsque le métropolite Isidore de Kiev se rallia au concile de Florence, qui proclama l’union des Églises latine et grecque, mais son véritable acte de naissance a été plutôt l’union de Brest (aujourd’hui en Biélorussie) de 1595-15963, quand une partie du clergé orthodoxe sous domination polono-lituanienne s’est mise sous l’obédience du pape. De là vient également le sobriquet péjoratif « d’uniates » accolé aux catholiques orientaux, dont le ralliement à l’autorité romaine en échange de la conservation de leurs traditions liturgiques a pu être perçu par d’autres comme une trahison de la foi « orthodoxe » (dans tous les sens du terme). Les autres catholiques orientaux ukrainiens forment une partie de l’Église catholique ruthène, issue d’une union plus tardive avec Rome (1646, union d’Oujohrod), concentrée à l’extrême ouest dans la région des Carpates, et devenue majoritairement diasporique4. Si les gréco-catholiques ont été encouragés et soutenus dans les territoires actuellement ukrainiens qui se trouvaient en Pologne ou dans l’Empire austro-hongrois, ils ont été assez constamment réprimés dans la Russie des tsars (jusqu’à voir leur culte interdit au XIXe siècle), puis par l’Union soviétique. La persécution antireligieuse indiscriminée a culminé pendant la Grande Terreur stalinienne des années 1930 ; puis en 1946, lors du synode de Lvov, l’Église gréco-catholique a été rattachée de force à l’Église orthodoxe russe, ou condamnée à la clandestinité d’une « Église des catacombes » : ce n’est qu’à la chute du bloc soviétique qu’elle retrouve une existence légale. Le conflit avec les orthodoxes, spécialement avec le Patriarcat de Moscou, est pourtant loin d’être soldé, car l’Église gréco-catholique leur réclame la restitution des biens et lieux de culte confisqués en 1946, et jamais rendus depuis. Le transfert en 2005 du siège du primat des gréco-catholiques de Lviv (où ils représentent près de 30 % de la population) à Kiev a également été très mal perçu par beaucoup d’orthodoxes, comme une velléité expansionniste.
4 — Quelles sont les relations entre le Vatican et l’Église gréco-catholique ukrainienne ?
Contrairement à Jean-Paul II, qui avait défendu avec ténacité la cause des catholiques orientaux en Europe au prix d’un refroidissement net de ses relations avec le monde orthodoxe, Benoît XVI puis François ont privilégié le dialogue œcuménique en direction de l’orthodoxie. Le premier avait constaté une certaine convergence de vues autour des valeurs familiales conservatrices ; le second s’est engagé plus résolument dans toutes les formes de rapprochements interconfessionnels, et a engrangé des succès symboliques : il a ainsi pu rencontrer le patriarche de Moscou, Kirill (Cyrille) lors de son voyage à La Havane du 12 février 2016 – un lieu emblématique de la diplomatie « non-alignée » sur l’agenda occidental–, ce qu’aucun pape n’avait fait avant lui. Mais il en a résulté un certain sentiment de relégation, voire d’abandon, pour nombre de gréco-catholiques : dès 1993, une déclaration conjointe de responsables catholiques et orthodoxes condamnait « l’uniatisme » (mais entendu uniquement au sens prosélytisme) au nom de l’œcuménisme, semblant donc indiquer que la tradition catholique orientale était dépassée5 ; cette condamnation a été réitérée par le pape après une rencontre entre François et le porte-parole du Patriarcat de Moscou le 30 mai 20166. Certains signes ont été ressentis comme vexatoires par l’Église gréco-catholique : ainsi l’archevêque majeur Sviatoslav Shevchuk, primat de l’Église gréco-catholique ukrainienne, n’a pas été créé cardinal, à la différence de son prédécesseur, le cardinal Husar, issu de l’Église des catacombes ; Shevchuk n’a pas non plus vu sa demande ancienne d’être promu patriarche exaucée, car il s’agirait alors d’un casus belli avec le monde orthodoxe7. On a même prêté au pape le dessein de créer une grande Église ruthène transnationale pour les catholiques de rite byzantin d’Europe centrale, ce qui était vu très défavorablement par les gréco-catholiques ukrainiens8, mais ce projet été démenti par le Saint-Siège9.
5 — Quelle a été l’attitude du pape François lors de la crise ukrainienne de 2014 ?
Surtout, c’est l’attitude du Vatican lors de la crise de 2014 qui a pu interroger. Alors que les manifestations de la place Maïdan avaient été l’occasion d’un véritable élan de concorde nationale interreligieuse, les clergés de toutes les confessions s’y relayant pour prier, le pape François s’était montré d’une très grande prudence au moment de la crise du Donbass, se contentant de prononcer des appels à la paix en termes généraux, sans dénoncer la répression des catholiques dans les Républiques séparatistes de Donetsk et Louhansk, où seul le clergé orthodoxe du Patriarcat de Moscou a droit de cité10. Le Saint-Siège, pour sauvegarder son crédit international et son réseau diplomatique, a alors pu donner (sur ce dossier comme sur d’autres, ainsi de l’accord avec la Chine) l’impression de privilégier l’éthique de responsabilité par rapport à l’éthique de conviction. En somme, cette diplomatie conduite principalement par le cardinal-secrétaire d’Etat Parolin a semblé marquer un retour à l’Ostpolitik vaticane des années 1970, menée par son prédécesseur Agostino Casaroli (1914-1998)11.
Or avec la guerre ouverte, la crainte des gréco-catholiques est devenue existentielle : comme l’a rappelé une catholique ruthène de Philadelphie, « chaque fois que la Russie a pris dans l’Histoire, le contrôle de l’Ukraine, l’Église catholique ukrainienne a été détruite »12. La brutalité de l’invasion, comme la répression des cultes non-alignés sur Moscou dans les Républiques séparatistes du Donbass depuis 2014 augurent mal, en effet, du respect des minorités religieuses.
6 — Les orthodoxes ukrainiens, combien de divisions ?
Si l’Église catholique en Ukraine est marquée par des tiraillements internes et des luttes d’influence qui ont pu aller jusqu’à des scissions marginales13, la division des orthodoxes est bien plus notable. Rappelons que dans l’ecclésiologie orthodoxe, beaucoup moins centralisée que la catholique, les « Églises-sœurs » sont dites autocéphales, indépendantes hiérarchiquement les unes des autres, mais unies spirituellement par la même foi. En principe, chaque Église autocéphale peut-être rattachée à une réalité nationale (il y a ainsi une Église orthodoxe grecque, une serbe, une roumaine, etc.). Depuis 2019, la situation s’est clarifiée quelque peu : le principal clivage a lieu entre l’Église orthodoxe d’Ukraine, avec à sa tête le métropolite Épiphane de Kiev (né en 1979), et la branche ukrainienne du Patriarcat de Moscou.
L’Église orthodoxe d’Ukraine est elle-même née officiellement en décembre 2018 de la fusion de deux entités précédentes, lors d’un concile tenu à la demande expresse du président Porochenko et de la Rada (Assemblée nationale) : le Patriarcat de Kiev, créé en 1992 par le métropolite Philarète (né en 1929), dissident du Patriarcat de Moscou, et l’Église orthodoxe ukrainienne autocéphale, issue quant à elle de la première indépendance du pays (1917-1920) puis de la diaspora ou de la clandestinité. Quoique le Patriarcat de Kiev ait unilatéralement contesté cette fusion en juin 2019 (semble-t-il avant tout pour des querelles de personnes entre Philarète et son successeur désigné Épiphane), l’Église orthodoxe d’Ukraine est aujourd’hui devenue la première dénomination religieuse du pays, rassemblant 25 % de sa population, soit près de 15 millions d’habitants (contre 12 % pour le Patriarcat de Kiev en 2005), et souhaiterait unifier tous les orthodoxes ukrainiens sous la juridiction de cette Église nationale autocéphale. Cette Église unifiée a également recueilli l’assentiment relatif de la population, mais avec de très fortes disparités entre l’Ouest, où 60 % des Ukrainiens y sont favorables, et l’Est, où ils ne sont plus que 28 % à l’approuver, selon un sondage de 201814.
Or c’est toujours le Patriarcat de Moscou qui possède le clergé le plus nombreux et le plus grand nombre de paroisses dans le pays, avec 40 diocèses, 200 monastères et plus de 12 000 églises sous son contrôle ; près de 18 % des Ukrainiens s’y rattachent encore (très majoritairement à l’est et au centre), même si ce chiffre est en nette diminution. Non seulement le Patriarcat de Moscou représente l’organisation religieuse la plus puissante en Ukraine, mais encore, à l’échelle même de son territoire russe, sa branche ukrainienne est-elle la plus riche en biens et en effectifs, regroupant 40 % de ses paroisses15. Enfin, ajoutons l’importance symbolique de Kiev, « lieu saint » du monde slave orthodoxe : la conversion au christianisme de son grand-prince, Vladimir, en 988, a pour les Russes et les Ukrainiens une importance mémorielle équivalente au baptême de Clovis pour la France. Le Patriarcat de Moscou, dont la proximité avec le Kremlin est notoire depuis la Grande Guerre patriotique de 1941-1945, ne veut en aucun cas reconnaître l’autocéphalie de l’Église orthodoxe en Ukraine, car ce serait du même coup accréditer l’existence de la nation ukrainienne. Pour le patriarche Kirill et ses soutiens16, Kiev est dans l’orbite religieuse de Moscou depuis 1686, lorsque le patriarche œcuménique de Constantinople, autorité spirituelle suprême du monde orthodoxe, a délégué au patriarche moscovite le droit de nommer le métropolite de Kiev17.
7 — Pourquoi peut-on parler d’une rivalité globale entre Constantinople et Moscou à l’échelle du monde orthodoxe ?
C’est donc vers Constantinople que se sont tournés les orthodoxes ukrainiens pour obtenir la reconnaissance de leur Église nationale : le 5 janvier 2019, son patriarche, Bartholomée, a bien accordé le tomos (décret) d’autocéphalie à l’Église orthodoxe d’Ukraine. Il en a résulté une grave crise entre Moscou et Constantinople, qui est allée jusqu’à la rupture mutuelle de la communion eucharistique, signe de schisme formel18. Toutes les Églises autocéphales ont été sommées de prendre parti pour l’un des deux grands patriarcats en reconnaissant ou non l’Église ukrainienne, et seule une minorité d’entre elles19 se sont alignées sur la décision de Bartholomée20. Derrière la question ukrainienne, se joue donc un affrontement plus global pour le leadership dans le monde orthodoxe, où les armes sont inégales21 : nul ne conteste la primauté d’honneur de Constantinople, mais son patriarche est semblable à un général sans troupes, qui a juridiction directe sur un territoire très mince et une population clairsemée, quand le Patriarcat de Moscou rassemble 90 millions de personnes sous son obédience – près du tiers des orthodoxes dans le monde. Un signe éclatant de cette rivalité a été donné à l’occasion du concile panorthodoxe de 2016 en Crète, voulu par le patriarcat de Constantinople depuis plus de 50 ans, mais qui a échoué par suite de la décision du patriarche de Moscou, et de quelques autres hiérarques dépendants de lui, de ne pas s’y rendre22.
8 — Comment Moscou présente-t-il cette rivalité pour le public occidental ?
La propagande pro-russe à destination des Européens s’est complu à déguiser cette rivalité de pouvoir derrière des prétextes idéologiques : engagé dans les enjeux environnementaux et migratoires, résolument en faveur du dialogue œcuménique, le patriarche Bartholomée serait une sorte de pendant oriental d’un pape François « mondialiste », voire « wokisé », là où les orthodoxes russes ou pro-russes sont érigés en rempart de tout l’Occident chrétien. Or il suffit de constater la discordance entre de telles déclarations avec le discours ad intra du patriarcat moscovite, très anticatholique, pour comprendre le leurre qu’elles représentent. Il s’en faut de peu que Moscou accuse l’Église orthodoxe d’Ukraine d’une forme d’uniatisme déguisé, dans un schéma séculaire où Rome et l’Occident figurent l’ennemi par excellence de la « Troisième Rome », et toute velléité d’autonomie, un pas vers l’hérésie.
9 — Quelle a été l’attitude du Vatican face à l’invasion de l’Ukraine ?
L’invasion russe de l’Ukraine du 24 février dernier, sur ce point comme en bien d’autres, recompose la situation à une vitesse inconnue jusque-là. D’abord parce qu’en s’affranchissant aussi clairement du droit international, la Russie a provoqué un engagement plus net du Vatican en faveur de la paix et de la coexistence religieuse, mais aussi des droits de la minorité catholique : le lendemain de l’invasion, l’archevêque gréco-catholique Shevchuk a été appelé par le pape, qui lui a assuré qu’il ferait tout ce qui est en son pouvoir pour mettre fin au conflit. François, qui s’est également entretenu au téléphone avec le président Zelensky, semble déterminé à prendre une part très active dans la cessation du conflit, jusqu’à proposer instamment la médiation officielle du Saint-Siège : dans un geste inédit, et alors même qu’il a dû récemment annuler plusieurs engagements pour raisons de santé, il s’est rendu lui-même à l’ambassade de Russie près le Saint-Siège pour exhorter à la paix dès le lendemain de l’invasion. La portée de cette démarche est d’autant plus forte qu’elle semble avoit été prise par le pape personnellement, sans en avoir informé au préalable sa secrétairerie d’Etat. Dimanche 27 février, François a appelé solennellement à l’ouverture de couloirs humanitaires à l’issue de l’angélus place St-Pierre, le cardinal Parolin faisant quant à lui, selon une vieille tradition de la diplomatie vaticane, l’offre de ses bons offices23.
10 — Comment la guerre ouverte a-t-elle changé la situation des Églises orthodoxes ?
Mais la recomposition touche aussi les Églises orthodoxes : certes, le patriarche Kirill de Moscou semble plus que jamais inféodé au Kremlin, avec un appel, lors de son homélie du 27 janvier, à préserver les « terres russes » – parmi lesquelles il a explicitement nommé la Biélorussie et l’Ukraine – des « forces du mal » ; mais la défense d’une telle obédience en Ukraine est devenue intenable devant la réalité de l’agression : pour la première fois, le métropolite Onuphre, plus haut hiérarque de l’Église orthodoxe russe en Ukraine, a pris ses distances avec son supérieur dès le jour de l’invasion ; puis dans une déclaration du 28 février reprise par son saint-synode, il s’est engagé en faveur de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, et a déclaré que la guerre était « un péché grave devant Dieu », une « répétition du péché de Caïn ». Il a été imité par de nombreux membres de son clergé, jusque dans le diocèse de Soumy, pourtant frontalier avec la Russie, qui ont décidé de ne plus prononcer le nom de Kirill à l’office, ce qui entérine la rupture de la communion ecclésiale.
L’atmosphère d’union nationale qui prévaut depuis l’invasion semble ainsi avoir réduit le clivage entre les Églises orthodoxes rivales ; quant à savoir si elle ira jusqu’à le résorber, il est encore bien trop tôt pour le dire. Il reste patent que, là comme ailleurs, la guerre a produit des effets opposés à ceux recherchés par le Kremlin ; et que la présence des troupes russes constitue à court et moyen terme une menace grave pour le pluralisme religieux, une réalité pourtant constitutive de l’Ukraine.
Sources
- https://mjp.univ-perp.fr/constit/ua1996.htm#2 : art. 32 de la Constitution ukrainienne.
- http://www.globalreligiousfutures.org/countries/ukraine#/?affiliations_religion_id=0&affiliations_year=2010®ion_name=All%20Countries&restrictions_year=2016
- Cf. l’ouvrage récent de Laurent Tatarenko, Une réforme orientale à l’âge baroque. Les Ruthènes de la grande-principauté de Lituanie et Rome au temps de l’Union de Brest (milieu du xvie siècle – milieu du xviie siècle), Rome, École française de Rome, « Bibliothèque des Écoles Françaises d’Athènes et de Rome », 392, 2021, 645 p. qui relate de manière détaillée les grandes étapes de cette rupture.
- Au point qu’aux États-Unis, les catholiques issus de cette Église ont formé une Église orientale autonome, « l’Église catholique byzantine », avec son siège à Pittsburgh. L’Église catholique arménienne est quant à elle quasiment éteinte en Ukraine.
- https://www.cath.ch/newsf/moscou-le-patriarche-orthodoxe-russe-alexis-ii-pret-a-rencontrer-le-pape-jean-paul-ii/
- https://www.diakonos.be/settimo-cielo/guerres-de-religion-pourquoi-en-ukraine-les-plus-oecumeniques-sont-les-grecs-catholiques.
- https://www.diakonos.be/settimo-cielo/en-coulisses-le-cadeau-rate-de-francois-aux-ukrainiens/
- https://www.diakonos.be/settimo-cielo/depuis-lorient-non-pas-la-lumiere-mais-les-tenebres-etranges-remplacements-dans-la-curie-romaine/
- https://www.diakonos.be/settimo-cielo/le-reve-irreel-dune-eglise-des-ruthenes-une-lettre-de-clarification/.
- Référence de Sandro Magister, diakonos.
- John M. Kramer, « The Vatican’s Ostpolitik”, The Review Politics, vol. 42/3, 1980, Cambridge University Press, p. 283-308.
- Relayé par https://fsspx.news/fr/news-events/news/ukraine-les-cles-une-guerre-aux-dimensions-religieuses-71930
- Pour être complet, mentionnons l’existence de deux scissions traditionalistes : la Fraternité Saint-Josaphat, variante de la Fraternité Saint-Pie X pour le rite byzantin, opposée à sa relative délatinisation consécutive à Vatican II, et « l’Église grecque-catholique orthodoxe ukrainienne », née en 2009, ultra-conservatrice et pro-russe.
- https://dif.org.ua/article/stvorennya-pomisnoi-avtokefalnoi-pravoslavnoi-tserkvi-v-ukraini-shcho-dumayut-ukraintsi
- https://www.diakonos.be/settimo-cielo/en-orient-cest-la-rupture-entre-cyrille-et-bartholomee-et-le-pape-penche-plutot-pour-le-premier/
- Dont le plus actif est son porte-parole pour les relations extérieures, le métropolite Hilarion de Vokolamsk.
- https://www.diakonos.be/settimo-cielo/en-orient-cest-la-rupture-entre-cyrille-et-bartholomee-et-le-pape-penche-plutot-pour-le-premier/
- https://www.diakonos.be/settimo-cielo/schisme-dans-lorthodoxie-entre-moscou-et-constantinople-et-rome-ne-sait-quel-camp-choisir/. Il faut noter que cette crise a connu une préfiguration très exacte en 2006-2007 (avec un schisme temporaire entre les deux patriarcats), du fait la reconnaissance par Constantinople de l’Église autocéphale estonienne. Moscou ne semble pas prêt à voir éclore des Églises orthodoxes autonomes a minima dans le territoire de l’ex-URSS.
- Les Églises orthodoxes de Grèce, de Chypre et d’Alexandrie
- Bartholomée vient d’ailleurs de déclarer à la télévision turque « je suis une cible pour Moscou » (2 mars).
- Cette rivalité a eu des conséquences jusque chez les orthodoxes de France, par exemple à l’Institut St-Serge : https://www.la-croix.com/Religion/En-Ukraine-lecart-creuse-entre-lEglise-orthodoxe-ukrainienne-patriarche-2022-03-01-1201202769
- https://www.lemonde.fr/le-monde-des-religions/article/2022/03/04/l-ukraine-catalyse-une-crise-au-sein-du-monde-orthodoxe-entre-moscou-et-constantinople_6116091_6038514.html
- https://www.la-croix.com/Religion/Le-Vatican-pret-aider-dialogue-entre-Russie-lUkraine-2022-02-28-1201202584
Voir enfin:
QUEL AVEUGLEMENT VOLONTAIRE DES IDIOTS UTILES ET DES COMPAGNONS DE ROUTE DU NOUVEL HITLER DE MOSCOU ? (Comment entre détestation de l’Amérique et de l’Union européenne et désarroi devant la décomposition démocratique, le délitement du lien national, les revendications communautaristes, les effets délétères de l’immigration et les dérives du wokisme, nombre de souverainistes occidentaux en sont arrivés à nier la réalité du régime russe)
Ran Halévi: « L’aveuglement volontaire des compagnons de route occidentaux de Vladimir Poutine »
Ran Halévi
Le Figaro
30.09.2022
TRIBUNE – L’historien analyse les ressorts qui, selon lui, ont poussé certains à droite, dans les démocraties occidentales, et en particulier la droite trumpienne aux États-Unis, à l’indulgence, voire à la complaisance envers l’autocrate du Kremlin.
Ran Halévi est directeur de recherche au CNRS et professeur au Centre d’études sociologiques et politiques Raymond-Aron. Il estime que le rejet du wokisme et la hantise de la décadence les ont conduits à nier la réalité du régime russe.
S’il ne s’est jamais avisé de parader en parangon de la démocratie, Vladimir Poutine s’évertuait, non sans succès, à se poser en sentinelle morale de la tradition, des valeurs familiales, de la religion chrétienne. Son régime offre une version toute personnelle du principe de la division du travail.
D’un côté, une autocratie légale (lui au moins se dispense d’employer l’oxymore bancal de «démocratie illibérale»), des élections truquées, une Constitution courbée à l’impératif de pérenniser le mandat présidentiel, une cleptocratie systémique, des assassinats d’opposants, des violations répétées du droit international, annexions hors-la-loi, massacres de masse, déportations, crimes de guerre. Sans oublier le culte de la personnalité, les millions empochés dans des comptes personnels, enfin l’isolement graduel du président et son enfermement psychologique qui ont fini, c’est classique, par dérégler son discernement politique.
Et de l’autre, l’appel à un passé immémorial, la célébration des valeurs nationales, la poursuite des aspirations impériales: un curieux syncrétisme entre la gloire de l’époque tsariste, l’héroïsme patriotique sous l’ère soviétique et, pour compléter le narratif, la théorie – pourtant largement démentie – de l’humiliation de la Russie par l’Occident après la chute de l’URSS.
Jusqu’à l’invasion de l’Ukraine, cet attelage fonctionnait passablement. M. Poutine réussit à rallier, en France et ailleurs, une foule éclectique de sympathisants, animés des motifs les plus divers: détestation de l’Amérique, de l’Otan, des aspérités fédéralistes de l’Union européenne ; désarroi devant la décomposition démocratique, le délitement du lien national, les revendications communautaristes, les effets délétères de l’immigration… À quoi s’ajoute, péché commun de l’extrême gauche et de la droite extrême, de Le Pen à Mélenchon, une fascination jamais éteinte pour l’homme fort qui sait allier un verbe haut à une main de fer, en malmenant les principes poussiéreux de la démocratie libérale.
Les plus engagés parmi les dévots du poutinisme étaient les ultraconservateurs américains. Autrefois, les compagnons de route de la Russie communiste venaient de la gauche ; dans l’Amérique d’aujourd’hui, ils occupent les premières loges de la droite trumpiste et les avant-postes des médias populistes. Ce qui les rattache à M. Poutine, comme à Donald Trump, c’est l’apologie sans complexe de la grandeur nationale, l’aversion pour la «dictature woke», un culte assumé de la force et le goût d’une saine virilité, réfractaire à l’émasculation de l’homme blanc par les lubies progressistes.
Tucker Carlson, l’animateur sur Fox News du talk-show le plus regardé aux États-Unis, est un admirateur de longue date du président russe et son meilleur agent de relations publiques: il le tient, à l’égal de M. Trump, pour l’archétype de l’homme d’État conservateur. Carlson, comme d’autres trumpistes de choc, a fait plusieurs fois le pèlerinage de Moscou (et de Budapest) pour régaler ses auditeurs des images d’une société qui résiste à la corruption de Hollywood, de Wall Street et des théories diversitaires.
M. Poutine savait cultiver avec méthode ces auxiliaires inespérés. Il recevait des évangélistes, des représentants du puissant lobby des armes à feu, des militants de «l’Amérique d’abord» hostiles à l’immigration. Il n’hésitait pas à se dire victime, lui et son pays, de la «cancel culture», ou à dénoncer les transgenres avec des accents qui ne pouvaient laisser insensibles ses nouveaux frères d’armes. «Ceux qui apprennent à un garçon à se transformer en fille et à une fille en un garçon commettent un crime contre l’humanité (…)». La Russie qu’il leur faisait découvrir renvoyait un miroir désolant à une Amérique en faillite morale, gangrenée par l’avortement, les mariages homosexuels, la pornographie, la libération des mœurs, la tyrannie multiculturelle…
Il fallait une bonne dose d’aveuglement à ces pèlerins de l’eldorado russe pour éviter de voir ce qu’ils s’interdisaient de connaître: en Russie, comme le rappelle Anne Applebaum, le nombre des avortements est un des plus élevés du monde, le double de son niveau aux États-Unis ; la fréquentation des églises est négligeable ; seuls 15% des Russes reconnaissent à la religion un rôle important dans leur vie ; et le pays tient le record mondial du taux de suicide chez les hommes adultes. Quant à l’image unitaire de la nation, il n’est pas inutile d’observer que 20% des citoyens russes se revendiquent d’une autre nationalité, que plus de 6% sont musulmans et que, en Tchétchénie, la loi de l’État est la charia.
Comment expliquer la réussite du poutinisme à rallier en Occident cette armée de «facilitateurs», d’«excuseurs», d’«indulgents»? Outre les raisons déjà évoquées, la paresse intellectuelle y entre aussi pour une part et l’ignorance volontaire pour beaucoup: elle n’est pas sans rappeler celle des voyageurs ingénus de la Russie soviétique et la cohorte des croyants cuirassés dans le déni des horreurs staliniennes. C’est un phénomène fascinant que l’impuissance des faits avérés à entrer dans la circulation des esprits et à s’imprimer au fond de la conscience publique. Pourtant, le maître du Kremlin a beaucoup œuvré à nous dessiller les yeux.
Ce qui a conforté cette cécité renvoie surtout à la situation de nos démocraties. Le souvenir de la guerre froide, et des guerres en général, est trop éloigné pour alerter spontanément les esprits: nous livrons volontiers des guerres idéologiques, un luxe des temps de paix, mais hésitons, quand de vraies menaces sont à nos portes, à en apprécier la portée. Et nous baignons depuis trop longtemps dans une culture de la repentance pour ne pas donner créance à ceux qui nous inculpent de les avoir opprimés, ravalés, humiliés. Enfin, l’espoir de prévenir le pire porte parfois à consentir à l’inacceptable, comme un moindre mal, au préjudice des victimes sacrifiées à un «lâche soulagement», lequel ne dure jamais longtemps.
Pour les zélateurs américains de M. Poutine, le fantasme d’une Russie citadelle de la civilisation était avant tout affaire de politique intérieure: un ressort essentiel, à condition de ne pas y regarder de près, de la guerre idéologique contre le wokisme. À la veille de l’invasion russe, Tucker Carlson ne se trompait pas de combat: «Est-ce que M. Poutine m’a jamais traité de raciste? A menacé de me licencier parce que je ne pense pas comme lui? Essayé de détruire le christianisme?» Les trumpistes avaient d’autres priorités que l’Ukraine, le droit international, la liberté. Ce n’était pas leur guerre. On découvre là comment le wokisme est devenu le complice involontaire, le combustible, le pourvoyeur d’arguments – et d’absolutions – de l’illibéralisme.
Voir par ailleurs:
Discours de Vladimir Poutine
30 septembre 2022
Cette annonce est le résultat d’un processus complexe et longtemps incertain. Depuis des mois, le pouvoir russe s’est efforcé de s’ancrer administrativement dans ces régions occupées. D’après une enquête du média Proekt, les citoyens russes représentent 92 % des 36 personnes nommées dans les gouvernements de ces quatre régions depuis l’occupation. On compte ainsi 20 % de Russes parmi les dirigeants de la République populaire autoproclamée de Lougansk, 40 % chez ceux de Donetsk, jusqu’à 75 % du gouvernement du district de Kherson et 100 % de celui de Zaporojie. Malgré tout, au cours de ces derniers mois, les autorités russes semblent avoir hésité à organiser les référendums qu’elles voulaient originellement planifier en avril, puis en mai, avant de les reporter à septembre, novembre, et enfin « indéfiniment ».
Soudainement, en l’espace de quelques jours, tout s’est accéléré ces dernières semaines. Ce qui ne devait plus être qu’un horizon lointain est devenu un impératif de toute urgence. Aussi les référendums ont-ils commencé le vendredi 23 septembre dans ces régions qui représentent environ 15 % de l’ensemble du territoire ukrainien et plus de 6 millions d’habitants avant la guerre. Les observateurs internationaux ignorent le nombre réel de votants, d’autant plus que certaines zones ont été tout à fait dépeuplées. Selon le maire de Melitopol’ Ivan Fëdorov, il ne reste plus aujourd’hui que 60 000 des 150 000 habitants que comptait sa ville au début de l’année. On connaît par ailleurs l’exemple frappant de ce village de Novotoškovskoe, à soixante kilomètres de Lougansk, où il ne restait plus, en ce mois de septembre, que dix habitants sur les 2 000 personnes qui y résidaient avant la guerre.
Sans aucun doute, c’est là leur droit, leur droit inaliénable, inscrit dans l’article premier de la Charte des Nations Unies, qui énonce explicitement le principe de l’égalité des droits et de l’autodétermination des peuples.
Je le répète : il s’agit d’un droit inaliénable des peuples. Ce droit se fonde sur l’unité historique qui a porté à la victoire des générations entières de nos prédécesseurs, ceux qui édifié et défendu la Russie durant de nombreux siècles, depuis les origines de l’ancienne Rus’.
C’est ici, en Novorossija, qu’ont lutté Rumjancev, Suvorov et Ušakov. C’est ici que Catherine II et Potëmkin ont fondé de nouvelles villes. C’est ici que nos grands-pères et arrière-grands-pères se sont battus jusqu’à la mort pendant la Seconde Guerre mondiale.
Nous n’oublierons jamais les héros du « Printemps Russe », ceux qui ont refusé le coup d’État néonazi dans l’Ukraine de 2014, ceux qui ont perdu la vie pour le droit de parler leur langue, de conserver leur culture, leurs traditions, leur foi, pour le droit même de vivre. Nous n’oublierons jamais les combattants du Donbass, les martyrs de la « Khatyn d’Odessa », les victimes des attentats inhumains orchestrés par le régime de Kiev. Nous commémorons les volontaires et les miliciens, les civils, les enfants, les femmes, les vieillards, les Russes, les Ukrainiens, des gens des nationalités les plus diverses : à Donetsk, le meneur d’hommes Aleksandr Zakharčenko ; les commandants militaires Arsen Pavlov et Vladimir Žoga, Ol’ga Kočura et Aleksei Mozgovoj ; le procureur de la République de Lougansk Sergej Gorenko ; le parachutiste Nurmagomed Gadžimagomedov et tous les soldats et les officiers qui sont morts de la mort des braves pendant l’opération militaire spéciale. Ce sont des héros. (Applaudissements) Les héros de la Grande Russie. Je vous demande d’observer une minute de silence en leur mémoire.
(Minute de silence)
Merci.
Derrière ce choix de millions d’habitants des Républiques populaires de Donetsk et Lougansk, des districts de Zaporojie et Kherson, se lisent à la fois notre futur commun et notre histoire millénaire. Les populations ont transmis ce lien spirituel à leurs enfants et leurs petits-enfants. Malgré toutes les épreuves, ils ont transmis leur amour de la Russie à travers les âges. Personne ne pourra détruire ce sentiment qui nous habite. C’est la raison pour laquelle les anciennes générations et les plus jeunes, ceux qui sont nés après l’effondrement tragique de l’URSS, ont voté d’une seule voix pour notre unité, pour notre avenir commun.
En 1991, à Belovežskaja Pušča, sans aucune considération pour la volonté des citoyens ordinaires, les représentants de l’élite du parti de l’époque ont pris la décision de dissoudre l’URSS. Du jour au lendemain, les gens se sont retrouvés arrachés à leur patrie. Notre communauté nationale a été déchirée, démantelée à vif, ce qui s’est soldé par une catastrophe nationale. Tout comme les gouvernements avaient, en coulisse, délimité les frontières des républiques soviétiques après la Révolution de 1917, les derniers dirigeants de l’Union Soviétique ont déchiré notre grand pays, ont placé le peuple devant le fait accompli, au mépris du souhait exprimé par la majorité lors du référendum de 1991.
J’imagine qu’ils n’ont pas eu entièrement conscience de ce qu’ils étaient en train de faire et des conséquences qu’auraient inévitablement leurs actions. Mais cela n’a plus d’importance. Il n’y a plus d’Union soviétique et on ne fera pas revivre le passé. Ce n’est pas ce dont la Russie a besoin aujourd’hui, ce n’est pas ce à quoi nous aspirons. Mais il n’y a rien de plus fort que la détermination de millions de personnes qui, par leur culture, leur foi, leurs traditions, leur langue, se sentent faire partie de la Russie et dont les ancêtres ont vécu durant des siècles au sein d’un même État. Il n’y a rien de plus puissant que leur résolution à retrouver leur véritable patrie historique.
Pendant huit longues années, les habitants du Donbass ont été soumis au génocide, aux bombardements, au blocus. À Kherson et Zaporojie, une politique criminelle a tout fait pour diffuser la haine de la Russie et de tout ce qui est russe. Désormais, y compris pendant les référendums, le régime de Kiev a menacé de représailles et de mort les enseignants et les femmes qui officiaient dans les commissions électorales, intimidant des millions de personnes venues exprimer leur volonté. Mais le peuple irréductible du Donbass, de Zaporojie et de Kherson s’est prononcé.
Je veux que les autorités de Kiev et leurs véritables suzerains occidentaux m’entendent et se souviennent de ceci : les habitants de Lougansk et de Donetsk, de Kherson et de Zaporojie, sont devenus nos concitoyens, à jamais. (Applaudissements.)
Nous appelons le régime de Kiev à un cessez-le-feu immédiat, à mettre fin à cette guerre qu’il a déclenchée en 2014 et à revenir à la table des négociations. Nous y sommes prêts, comme nous l’avons signalé à de nombreuses reprises. En revanche, la décision des peuples de Donetsk, Lougansk, Zaporojie et Kherson n’est pas discutable. Leur décision a été prise et la Russie ne la trahira pas. (Applaudissements.) Les autorités actuelles de Kiev doivent traiter cette libre expression de la volonté d’un peuple avec respect, et pas autrement. C’est le seul chemin possible vers la paix.
Nous défendrons notre terre avec toutes nos forces et par tous les moyens à notre disposition. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour garantir la sécurité de nos concitoyens. Telle est la grande mission libératrice de notre nation.
Nous nous engageons à reconstruire les villes et les villages détruits, les logements, les écoles, les hôpitaux, les théâtres et les musées, à restaurer et développer les entreprises industrielles, les usines, les infrastructures, les systèmes de protection sociale, de retraite, de santé et d’éducation.
Nous allons bien sûr travailler au renforcement de la sécurité. Ensemble, nous veillerons à ce que les citoyens des nouvelles régions russes se sentent soutenus par l’ensemble du peuple russe, par l’intégralité du pays, des républiques, des provinces et des districts de notre vaste patrie (Applaudissements.)
Chers amis, chers collègues,
Je veux m’adresser aujourd’hui aux soldats et aux officiers qui participent à l’opération militaire spéciale, aux combattants du Donbass et de Novorossija, à tous ceux qui, après le décret de mobilisation partielle, ont rejoint les rangs de nos forces armées, accomplissant ainsi leur devoir patriotique, tous ceux qui répondent aux injonctions de leur cœur et se rendent aux bureaux de recrutement militaire. Je veux m’adresser à eux, à leur famille, à leurs épouses et à leurs enfants pour leur dire contre qui, contre quel genre d’ennemi notre peuple se bat, pour leur dire qui précipite le monde dans de nouvelles guerres et de nouvelles crises, retirant un profit sanglant de toute cette tragédie.
Nos compatriotes, nos frères et nos sœurs d’Ukraine, cette partie intégrante de notre nation unie, ont vu de leurs propres yeux le sort que les sphères dirigeantes du soi-disant Occident réservent à l’humanité entière. Ici, elles ont enfin tombé les masques et révélé leur vraie nature.
Après la chute de l’Union soviétique, l’Occident a décidé que le monde entier, que chacun de nous devait supporter à jamais ses diktats. En 1991, l’Occident s’imaginait que la Russie ne se relèverait jamais de ces bouleversements et s’effondrerait d’elle-même. Ils y ont presque réussi. Nous gardons en mémoire les années 1990, ces années terribles, de faim, de froid et de désespoir. Mais la Russie a survécu. Elle renaît, se renforce, réclame à nouveau la place qui lui revient dans le monde.
Pendant ce temps, l’Occident a continué de rechercher de nouvelles occasions de nous frapper, d’affaiblir et d’écraser la Russie, comme il a toujours rêvé de le faire, de fragmenter notre État, de dresser nos peuples les uns contre les autres, de les condamner à la misère et à l’extinction. Ils ne seront pas en paix tant qu’il existera un pays si grand, si considérable, avec son territoire, ses richesses naturelles, ses ressources, son peuple qui ne sait pas et ne saura jamais vivre sous les ordres de quelqu’un d’autre.
L’Occident est prêt à tout pour conserver ce système néocolonial qui lui permet de parasiter, de dépouiller le monde grâce à la puissance du dollar et de la technologie, de percevoir un véritable tribut de l’humanité tout entière, de jouir de la principale source de richesse indue : la rente de l’hégémon. La préservation de cette rente est leur principale motivation, leur motivation réelle, fruit de la pure avidité. C’est la raison pour laquelle ils ont intérêt à la dé-souverainisation systématique. Ainsi s’expliquent leurs agressions d’États indépendants, de valeurs traditionnelles et de cultures authentiques, leurs tentatives de saper les processus internationaux et interrégionaux, les nouvelles monnaies globales et les nouveaux pôles de développement technologique qui échappent à leur contrôle. Il est capital pour eux que tous les États abandonnent leur souveraineté au profit des États-Unis.
Dans certains États, les élites dirigeantes acceptent délibérément de s’y plier, de se laisser vassaliser ; d’autres y sont réduites par la corruption ou l’intimidation. En cas d’échec, elles n’hésitent pas à détruire des États entiers, ne laissant derrière eux que des catastrophes humanitaires, des désastres, des ruines, des millions de destins humains détruits ou mutilés, des enclaves terroristes, des zones socialement dévastées, des protectorats, des colonies ou des semi-colonies. Peu leur importe, tant qu’ils en retirent du profit.
Je veux souligner une fois encore que ce sont leur cupidité insatiable et leur désir de maintenir leur pouvoir illimité qui sont la véritable raison de cette guerre hybride que l’« Occident collectif » mène contre la Russie. Ils ne veulent pas nous voir libres ; ils rêvent que nous soyons une colonie. Ils ne veulent pas collaborer sur un pied d’égalité ; ils rêvent de pillage. Ils ne veulent pas que nous soyons une société libre, mais une foule d’esclaves sans âme.
Ils voient notre pensée et notre philosophie comme une menace directe : c’est pourquoi ils s’en prennent à nos philosophes. Ils pensent que notre culture et notre art représentent un péril pour eux : c’est pourquoi ils s’efforcent de les interdire. Notre développement et notre prospérité les menacent également, parce que la concurrence s’intensifie. Ils n’ont pas besoin de la Russie, c’est nous qui en avons besoin. (Applaudissements.)
Je tiens à rappeler que, par le passé, les rêves de domination mondiale ont été brisés plus d’une foi par le courage et la résilience de notre peuple. La Russie sera toujours la Russie. Nous défendrons toujours nos valeurs et notre patrie.
L’Occident mise sur son impunité, sur sa capacité à tout se permettre. De fait, tel a été le cas jusqu’à présent. Les accords de sécurité stratégique ont filé droit à la poubelle ; les conventions conclues au plus haut niveau politique ont été déclarées fictives ; les promesses les plus fermes de ne pas étendre l’OTAN vers l’Est, arrachées fut un temps par nos anciens dirigeants, se sont révélées un mensonge immonde ; les traités sur les forces nucléaires à portée intermédiaire ont été unilatéralement abrogés sous des prétextes fantaisistes.
Mais de tous les côtés, on n’entend que : « L’Occident incarne l’état de droit, fondé sur des règles ». D’où viennent-elles ? Qui en a jamais vu la couleur ? Qui y a consenti ? Écoutez, ce ne sont que des absurdités, un mensonge absolu, des doubles ou des triples standards. Ils doivent nous prendre pour des imbéciles.
La Russie est une grande puissance millénaire, un pays-civilisation qui ne vivra jamais sous le joug de ces règles truquées, faussées.
C’est bien le soi-disant Occident qui a piétiné le principe de l’inviolabilité des frontières et qui décide maintenant, selon son bon vouloir, qui a le droit à l’autodétermination et qui ne l’a pas, qui en est digne et qui ne l’est pas. On ignore à quel titre ils agissent ainsi, qui leur en a donné le droit, sinon eux-mêmes.
C’est pourquoi le choix des habitants de Crimée, de Sébastopol, de Donetsk, de Lougansk, de Zaporojie et de Kherson les rend fous de rage. L’Occident n’a aucun droit moral à distribuer les bons points, ni à prononcer le moindre mot sur la liberté de la démocratie. Ils ne l’a pas et il ne l’a jamais eu.
Les élites occidentales ne se contentent pas de nier souveraineté des nations et le droit international. Leur hégémonie présente clairement les traits d’un totalitarisme, d’un despotisme, d’un apartheid. Avec insolence, ils divisent le monde entre, d’un côté, leurs vassaux, les pays soi-disant civilisés, et de l’autre le reste de la planète, ceux que des racistes occidentaux voudraient inscrire sur la liste des barbares et des sauvages. Des étiquettes mensongères comme « État voyou » ou « régime autoritaire » sont assignées pour stigmatiser des peuples et des États entiers, ce qui n’est pas nouveau. Il n’y a rien de nouveau là-dedans, parce que les élites occidentales sont restées ce qu’elles étaient : colonialistes. Elles discriminent et divisent les peuples entre la « première classe » et « le reste ».
Nous n’avons jamais souscrit et ne souscrirons jamais à ces formes de nationalisme politique et de racisme. Est-ce autre chose que du racisme qui, sous la forme de la russophobie, se répand aujourd’hui dans le monde entier ? Que peut bien être, sinon du racisme, cette conviction inébranlable de l’Occident que sa civilisation et sa culture néolibérale sont le modèle indépassable pour le reste du monde ? « Qui n’est pas avec nous est contre nous ». Ça sonne même étrangement.
Il n’est pas jusqu’à la responsabilité de leurs propres crimes historiques que les élites occidentales rejettent sur les autres, exigeant à la fois de leurs citoyens et des autres peuples qu’ils se repentent de ce à quoi ils n’ont jamais contribué, par exemple, la période des conquêtes coloniales.
Il est bon de rappeler à l’Occident qu’il a commencé sa politique coloniale dès l’époque du Moyen Âge, avant que se développe la traite mondiale des esclaves, le génocide des tribus indiennes en Amérique, le pillage de l’Inde, de l’Afrique, les guerres de l’Angleterre et de la France contre la Chine, qui l’ont obligée à ouvrir ses ports au commerce de l’opium. Ce qu’ils ont fait, c’était de rendre des peuples entiers accros aux drogues, d’exterminer délibérément des groupes ethniques entiers pour leurs terres et leurs ressources, de pratiquer une véritable chasse à l’homme, comme on chasse des bêtes. Tout cela est contraire à la nature même de l’humain, à la vérité, à la liberté et à la justice.
Pour notre part, nous sommes fiers qu’au XXe siècle, ce soit précisément notre pays qui ait pris la tête du mouvement anticolonial, lequel a offert à de nombreux peuples du monde la possibilité de se développer, de réduire la misère et les inégalités, de vaincre la faim et les maladies.
Je tiens à souligner que l’un des motifs de la russophobie pluriséculaire, de l’évidente animosité de ces élites occidentales vis-à-vis de la Russie, vient justement du fait que nous ayons refusé de nous laisser dépouiller à l’époque de la conquête coloniale et que nous ayons forcé les Européens à commercer avec nous pour notre bénéfice mutuel. Nous y sommes parvenus grâce à la création en Russie d’un État centralisé, qui s’est développé et consolidé à partir des hautes valeurs morales de l’orthodoxie, de l’islam, du judaïsme et du bouddhisme, mais aussi d’une culture et d’une langue russes ouvertes à tous.
D’innombrables plans d’invasion de la Russie ont été échafaudés. On a tenté de profiter du temps des troubles du début du XVIIe siècle et des bouleversements qui ont suivi la Révolution de 1917, mais sans succès. Ce n’est qu’à la fin du XXe siècle, lorsque cet État s’est effondré, qu’ils ont finalement réussi à mettre la main sur les richesses de la Russie. Ils nous qualifiaient alors d’amis et de partenaires mais, dans les faits, ils nous traitaient comme une colonie : des milliers de milliards de dollars ont été siphonnés du pays par toutes sortes de machinations. Nous nous souvenons de tout cela, nous n’avons rien oublié.
Et il y a quelques jours, les habitants de Donetsk et Lougansk, de Kherson et de Zaporojie, se sont exprimés pour restaurer notre unité historique. Merci ! (Applaudissements.)
Les pays occidentaux clament depuis des siècles qu’ils apportent la liberté et la démocratie aux autres nations. C’est exactement le contraire. Au lieu de la démocratie, ils apportent la répression et l’exploitation ; au lieu de la liberté, l’asservissement et l’oppression. L’ordre mondial unipolaire est intrinsèquement anti-démocratique et non-libre, menteur et hypocrite de bout en bout.
Les États-Unis sont le seul pays du monde à avoir fait usage par deux fois de l’arme nucléaire, lorsqu’ils ont détruit les villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki. D’ailleurs, en agissant ainsi, ils ont créé un précédent.
Je rappelle que les États-Unis, avec l’aide des Britanniques, ont réduit à l’état de ruines Dresde, Hambourg, Cologne et nombre d’autres villes allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale sans aucune nécessité militaire : ils l’ont fait ostensiblement et, je le répète, sans aucune nécessité militaire. Leur unique objectif, comme dans le cas des bombardements nucléaires au Japon, était d’intimider notre pays et le reste du monde.
Les États-Unis ont laissé une trace épouvantable dans la mémoire des peuples de Corée et du Vietnam par leurs « tapis de bombes » barbares, l’usage du napalm et des armes chimiques.
Aujourd’hui encore, ils occupent encore de facto l’Allemagne, le Japon, la République de Corée et encore d’autres pays, tout en les appelant cyniquement des égaux et des alliés. Écoutez, je me demande bien de quel genre d’alliance il peut s’agir. Le monde entier sait que les dirigeants de ces pays sont espionnés, que leurs chefs d’État sont mis sur écoute non seulement à leur bureau, mais à leur domicile. C’est une véritable honte. Une honte pour ceux qui agissent ainsi et une honte pour ceux qui, comme des esclaves, avalent ces impertinences en silence et servilement.
Ils parlent de solidarité euro-atlantique pour qualifier les ordres, les cris brutaux et insultants qu’ils adressent à leurs vassaux ; ils parlent de noble recherche médicale pour qualifier le développement d’armes biologiques et les expérimentations sur des sujets vivants, notamment en Ukraine.
Ce sont bien leurs politiques dévastatrices, leurs guerres et leurs pillages qui ont provoqué le considérable essor des flux migratoires actuels. Des millions de personnes endurent les pires privations, les pires abus, et meurent par milliers en essayant de rejoindre l’Europe.
Aujourd’hui, ils exportent du blé d’Ukraine. Où va ce blé, sous le prétexte de « garantir la sécurité alimentaire des pays les plus pauvres du monde » ? Où va-t-il ? Tout va dans ces mêmes pays d’Europe. Seuls 5 % sont partis dans les pays pauvres. Voilà un nouvel exemple d’escroquerie et de mensonge éhonté.
Dans les faits, l’élite américaine se sert de la tragédie que vivent ces personnes pour affaiblir ses rivaux, pour détruire les États-nations. Cela vaut également pour l’Europe, pour l’identité de pays comme la France, l’Italie, l’Espagne, et d’autres nations à l’histoire multiséculaire.
Washington exige toujours plus de sanctions pour la Russie, et les politiciens européens, dans leur majorité, acceptent docilement. Ils ne saisissent pas bien que les États-Unis, en poussant l’Union Européenne à renoncer entièrement aux ressources russes, notamment énergétiques, sont en réalité en train de provoquer la désindustrialisation de l’Europe et de s’emparer du marché européen. Bien sûr, elles en ont conscience, ces élites européennes, elles en ont conscience mais préfèrent servir les intérêts d’une autre nation. Ce n’est même plus une marque de servilité, mais une véritable trahison de leurs propres peuples. Mais peu importe, c’est leur affaire.
Cependant, les sanctions ne suffisent plus aux Anglo-Saxons. Ils recourent maintenant au sabotage – cela semble incroyable, mais c’est un fait – en faisant sauter les gazoducs internationaux de « Nord Stream », qui passent au fond de la mer Baltique, ruinant du même coup l’infrastructure énergétique de l’Europe tout entière. Chacun sait qui en bénéficie. Et, bien sûr, ce sont ceux qui en bénéficient qui en sont responsables.
Le diktat américain est fondé sur la force brute, sur la loi du plus fort. Il est parfois joliment emballé, parfois sans fioriture, mais le fond est le même : c’est la loi du plus fort. D’où le déploiement et l’entretien de centaines de bases militaires aux quatre coins du monde, l’expansion de l’OTAN et les tentatives de former de nouvelles alliances militaires comme l’AUKUS ou d’autres encore : c’est ainsi qu’on cherche activement à créer une alliance militaire et politique entre Washington, Séoul et Tokyo. Tous les États qui possèdent ou aspirent à posséder une véritable souveraineté stratégique et qui sont en mesure de contester l’hégémonie occidentale sont automatiquement déclarés ennemis.
C’est sur ces mêmes principes que reposent les doctrines militaires des États-Unis et de l’OTAN, qui exigent une domination absolue. Les élites occidentales présentent leurs plans néocoloniaux d’une manière tout aussi hypocrite, en agitant des prétentions pacifistes, en parlant d’« endiguement », et ces mots-clefs sournois se retrouvent d’une stratégie à l’autre alors qu’en réalité ils ne signifient qu’une seule chose : saper tous les centres de pouvoir souverains.
On nous a ainsi parlé de l’endiguement de la Russie, de la Chine, de l’Iran. J’imagine que d’autres pays d’Asie, d’Amérique Latine, d’Afrique, du Proche-Orient, ainsi que des partenaires et alliés actuels des États-Unis, sont les prochains sur la liste. Nous le savons bien : lorsque quelque chose leur déplaît, ils sont prêts à imposer des sanctions à leurs propres alliés – tantôt à telle ou telle banque ; tantôt à telle ou telle entreprise. C’est ainsi qu’ils agissent et qu’ils continueront d’agir. Le monde entier est dans leur ligne de mire, y compris nos voisins les plus proches, les pays de la Communauté des États Indépendants.
Dans le même temps, il est clair que l’Occident prend depuis longtemps ses désirs pour des réalités. En lançant une guerre-éclair de sanctions contre la Russie, ils s’imaginaient qu’ils pourraient une fois de plus mettre le monde entier à leurs pieds. Pourtant, il s’est avéré que cette perspective était loin d’enthousiasmer tout le monde – sauf les masochistes purs et durs et les praticiens d’autres formes non-traditionnelles de relations internationales. La plupart des États refusent ce « salut au drapeau » et optent plutôt pour des modalités raisonnables de coopération avec la Russie.
Par cette métaphore de sexualisation agressive des relations internationales, Vladimir Poutine entend une fois de plus dénoncer les identités de genre et les pratiques sexuelles qui ne correspondent pas au spectre de l’orthodoxie la plus traditionnelle.
L’Occident ne s’attendait pas à rencontrer une telle insubordination, tant il est habitué à agir par la force, le chantage, la corruption et l’intimidation, convaincu que ces méthodes fonctionneront toujours – comme s’il étaient figé, fossilisé dans le passé.
Cette confiance en soi est une conséquence directe de l’idée, tristement célèbre, bien qu’elle ne cesse pas d’étonner, de son propre exceptionnalisme, mais aussi de la véritable « faim d’information » qui sévit en Occident. Ils ont noyé la vérité dans un océan de mythes, d’illusions et de faux, en pratiquant une propagande extrêmement agressive, en mentant comme Goebbels. Plus le mensonge est gros, plus on y croit – c’est ainsi qu’ils fonctionnent, en suivant ce principe.
Mais on ne peut pas nourrir les populations avec des dollars et des euros imprimés sur des billets de banque. On ne peut pas les nourrir avec du papier-monnaie, on ne peut pas chauffer un foyer avec la capitalisation aussi virtuelle et que surévaluée des réseaux sociaux occidentaux. Tout ce dont je vous parle est de la plus haute importance, mais il faut insister sur ce dernier point. On ne peut nourrir personne avec du papier, il faut de la nourriture ; ces capitalisations surévaluées ne peuvent chauffer personne, il faut de l’énergie.
C’est pourquoi les dirigeants européens en sont réduits à convaincre leurs concitoyens de manger moins, de se laver moins souvent, de s’habiller plus chaudement à la maison. Et ceux qui commencent à se poser les bonnes questions – « Pourquoi en serait-il ainsi ? » – sont immédiatement déclarés ennemis, extrémistes et radicaux. Ils retournent la situation contre la Russie en disant : « Vous voyez, c’est la source de tous nos malheurs ». Des mensonges, encore une fois.
Je voudrais tout particulièrement souligner qu’il y a toutes les raisons de croire que les élites occidentales n’ont pas l’intention de chercher des solutions constructives à la crise alimentaire et énergétique mondiale qui s’est déclarée par leur propre faute, en conséquence des politiques qu’ils mènent de longue date, bien avant notre opération spéciale en Ukraine, dans le Donbass. Ils n’ont aucune intention de résoudre les problèmes d’injustice et d’inégalité. On peut plutôt craindre qu’ils s’apprêtent à employer d’autres méthodes, qui leur sont plus familières.
Il convient de rappeler ici que l’Occident est sorti des contradictions du début du XXe siècle par la Première Guerre mondiale. Les gains de la Seconde Guerre mondiale ont permis aux États-Unis de surmonter enfin les conséquences de la Grande Dépression et de devenir la première économie mondiale, de soumettre la planète entière à la puissance du dollar en tant que monnaie de réserve globale. C’est largement en s’appropriant les restes et les ressources de l’Union soviétique en déliquescence que l’Occident a surmonté la crise qui s’est aggravée dans les années 1980. C’est un fait.
Désormais, pour sortir de ce nouveau nœud de contradictions, il leur faut à tout prix briser la Russie et les autres États qui choisissent une voie souveraine de développement, afin de piller de nouvelles richesses et de colmater ainsi leurs propres vides. Si cela ne se passe pas ainsi, je n’exclus pas l’idée qu’ils tentent de provoquer l’effondrement total du système pour se dédouaner de leurs responsabilités, ou encore, Dieu nous en garde, qu’ils décident d’employer une formule bien connue : « La guerre efface toutes les dettes ».
La Russie a conscience de sa responsabilité envers la communauté mondiale et fera son possible pour ramener ces têtes brûlées à la raison.
À l’évidence, le modèle néocolonial actuel est condamné à disparaître. Mais, je le répète, ses maîtres réels s’y accrocheront jusqu’à la dernière seconde. Ils n’ont tout simplement rien à proposer au monde, si ce n’est la préservation de ce système de pillage et de racket.
En substance, ils crachent sur le droit naturel de milliards de personnes, la majeure partie de l’humanité, à la liberté et à la justice, ainsi qu’à la détermination de leur propre destinée. Ils en viennent maintenant à nier l’ensemble des normes morales, de la religion et de la famille.
Répondons ensemble à quelques questions très simples. Je veux revenir sur ce point, je veux m’adresser à tous les citoyens de notre pays – pas seulement aux collègues qui sont ici dans le public, mais à tous les citoyens russes – pour leur demander : est-ce que nous voulons avoir, ici, dans ce pays, en Russie, au lieu d’une mère et d’un père, un « parent numéro un » et un « parent numéro deux » (ils sont devenus complètement dingues sur ce coup) ? Est-ce que nous voulons que l’on enseigne dans nos écoles primaires des perversions qui conduisent à la dégradation et à l’extinction ? Est-ce que nous voulons enseigner aux enfants qu’il n’existe pas que des femmes et des hommes, mais des soi-disant genres et qu’on leur propose des opérations de changement de sexe ? Est-ce cela que nous voulons pour notre pays et pour nos enfants ? Tout cela est tout simplement inacceptable pour nous. Nous avons notre propre avenir, et ce n’est pas celui-là.
Je le répète : la dictature des élites occidentales vise toutes les sociétés, y compris les pays occidentaux eux-mêmes. C’est un défi adressé à tout le monde. Cette négation profonde de l’humanité, cette subversion de la foi et des valeurs traditionnelles, cet écrasement de la liberté prennent les traits d’une « religion à l’envers » – d’un satanisme pur et simple. Dans le sermon sur la montagne, Jésus Christ, dénonçant les faux prophètes, dit : « C’est dont à leurs fruits que vous les reconnaîtrez ». Et beaucoup savent bien que ces fruits sont empoisonnés, non seulement chez nous, mais dans tous les pays, y compris en Occident.
Le monde est entré dans une période de transformations fondamentales, révolutionnaires. De nouvelles puissances émergent. Elles représentent la majorité – la majorité ! – de la communauté mondiale et sont prêtes non seulement à proclamer leurs intérêts, mais à les défendre. Elles voient dans la multipolarité un moyen de renforcer leur souveraineté et ainsi de conquérir la liberté véritable, une perspective historique, leur droit au développement indépendant, créatif, original, à un développement harmonieux.
Dans le monde entier, y compris en Europe et aux États-Unis, comme je l’ai déjà souligné, de nombreuses personnes partagent nos idées et nous ressentons, nous voyons leur soutien. Au sein des pays et des sociétés les plus variés se dessine déjà un mouvement de libération anticolonial contre l’hégémonie unipolaire, et sa force ne fera que croître. C’est cette force qui déterminera le futur des réalités géopolitiques.
Chers amis,
Aujourd’hui, nous combattons pour un futur juste et libre, avant tout pour nous-mêmes, pour la Russie, pour que la dictature et le despotisme deviennent à jamais un souvenir du passé. Ma conviction est que les nations et les peuples comprennent à quel point une politique fondée sur l’exceptionnalisme, sur la suppression des autres cultures et des autres peuples, est fondamentalement criminelle, que cette page honteuse de l’histoire ne demande qu’à être tournée. L’effondrement de l’hégémonie occidentale est en cours. Il est irréversible. Je le répète : les choses ne seront plus comme avant.
Le champ de bataille sur lequel nous ont convoqués le destin et l’histoire est un champ de bataille pour notre peuple, pour la grande Russie historique. (Applaudissements.) Pour une grande Russie historique, pour les générations futures, pour nos enfants, nos petits-enfants et nos arrière-petits-enfants. Nous devons les préserver de l’asservissement, des expérimentations monstrueuses qui veulent estropier leurs consciences et leurs âmes.
Aujourd’hui, nous combattons pour que personne ne pense plus jamais que la Russie, notre peuple, notre langue, notre culture, puissent être rayés de l’histoire. Aujourd’hui, nous devons consolider notre société et cette solidarité ne pourra reposer que sur la souveraineté, la liberté, la création et la justice. Nos valeurs sont l’humanité, la miséricorde et la compassion.
Et je voudrais conclure cette allocution sur les mots d’un véritable patriote, Ivan Aleksandrovič Il’in : « Si je considère la Russie comme ma patrie, cela signifie que j’aime, que je contemple et que je pense comme un Russe, que je chante et que je parle comme un Russe ; que je crois aux forces spirituelles du peuple russe. Son esprit est mon esprit ; sa destinée est ma destinée ; sa souffrance est ma souffrance ; sa prospérité est ma joie ».
Sans être originale, sa citation d’un extrait ampoulé d’Ivan Ilyin, émigré russe de l’entre-deux-guerres aux idées antisémites, attiré par le fascisme et la révolution conservatrice, confirme, s’il en était besoin, l’orientation résolument réactionnaire du discours.
Dans ces mots, on retrouve le grand chemin spirituel que de nombreuses générations de nos ancêtres ont emprunté pendant plus d’un millénaire d’existence de l’État russe. Aujourd’hui, c’est nous qui empruntons ce chemin, ce sont les habitants des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, des districts de Zaporojie et de Kherson qui ont fait ce choix. Ils ont pris la décision de vivre avec leur propre peuple, avec leur patrie, de s’associer à son destin et de vaincre avec elle.
La victoire est avec nous, la Russie est avec nous !
COMPLEMENT:
Le discours de Vladimir Poutine du vendredi 30 septembre inaugure une nouvelle phase du conflit. Fidèle à sa stratégie de la « désescalade par l’escalade », la Russie annexe des territoires, étend le domaine de la guerre et précise les termes de sa menace. Il faut le lire attentivement pour comprendre comment Poutine entend transformer la guerre régionale qu’il a déclenchée en conflit mondial.
- Guillaume Lancereau
Le Grand Continent
01.10.2022
Comme on pouvait le redouter, Vladimir Poutine a annoncé ce vendredi 30 septembre l’incorporation à la Fédération de Russie de quatre régions ukrainiennes : celles de Donetsk et de Lougansk, ainsi que les districts de Kherson et Zaporojie. Tout l’annonçait : la veille encore, dans la nuit, le président russe avait reconnu la souveraineté et l’indépendance des régions de Kherson et Zaporojie, les arrachant ainsi à l’Ukraine pour mieux les enchaîner à la Russie.
Comme cela avait été le cas en 2014, lorsque Vladimir Poutine avait voulu officialiser l’annexion de la Crimée, la mise en scène de cette nouvelle proclamation a eu lieu, entre décorum d’État et simulacre de légalité, dans le salon Georgievskij du Kremlin, devant un parterre de députés, de ministres et de représentants religieux. Ce public a pu suivre le long discours du président russe, dont nous proposons ci-dessous la première traduction intégrale en français, encadré par quatre drapeaux de la Fédération de Russie à sa gauche et, à sa droite, par les quatre drapeaux des territoires ukrainiens concernés. Au terme de ce discours, l’accord a été signé, à la suite de Vladimir Poutine, par des « représentants » de ces quatre territoires : Vladimir Sal’do et Evgenij Balickij pour Kherson et Zaporojie ; Denis Pušilin et Leonid Pasečnik pour les républiques populaires autoproclamées de Donetsk et Lougansk.
Cette journée a inauguré une nouvelle phase du conflit. Après les annonces de Vladimir Poutine, l’horizon qui se découvre est celui d’une nouvelle escalade, dont le seul résultat certain est l’incertitude. Pour en saisir les enjeux essentiels, il faut tenir compte avant tout de la récente contre-attaque ukrainienne, à laquelle la Russie s’est révélée incapable d’opposer les ressources et les forces nécessaires. La récente mobilisation, qui n’a de « partielle » que le nom, a été décidée bien après celle de l’Ukraine qui a, elle, mobilisé officiellement dès le 23 février, mais en réalité dès le mois de décembre 2021. Cette mobilisation russe ne saurait, de surcroît, produire des effets décisifs à court terme, vu l’incompressibilité des délais de formation d’une partie des recrues. Pour sortir de cette impasse, le pouvoir russe s’est, semble-t-il, inspiré des réflexions des stratèges soviétiques et russes qui, depuis les années 1980, ont développé une véritable doctrine de la dissuasion1. Cette doctrine conçue pour lutter contre un ennemi plus puissant et mieux armé a acquis une actualité renouvelée désormais que la Russie se considère en conflit, non avec la seule Ukraine, mais avec les États-Unis et l’OTAN. Dans un contexte militaire de ce type, cette logique prescrit de cibler moins la capacité militaire de l’ennemi que sa volonté même de poursuivre le combat. Sachant que les forces russes ne vaincront pas sur le terrain, il ne leur reste qu’à passer l’envie à l’adversaire de continuer la lutte, afin d’arracher, sinon la victoire, du moins une paix dans des conditions favorables.
Dès lors, la surenchère est l’arme de choix du pouvoir russe. En proclamant l’annexion de Donetsk, Kherson, Lougansk et Zaporojie, celui-ci se donne les moyens de considérer toute opération militaire sur ces territoires comme une atteinte à la souveraineté de la Fédération de Russie – quoi qu’en disent les puissances étrangères, le Conseil de sécurité de l’ONU ou le droit international. Or Vladimir Poutine a promis de défendre cette souveraineté du territoire russe par tous les moyens possibles. L’une des conditions de possibilité de sa stratégie de surenchère était, est et restera la menace nucléaire. L’ancienne chancelière allemande Angela Merkel, dans une interview au Süddeutsche Zeitung, a récemment exhorté les Européens à prendre au sérieux le chantage nucléaire de Vladimir Poutine. Les États-Unis ne signalent pas autre chose lorsque leurs services de renseignement renforcent la surveillance des mouvements ou communications militaires qui pourraient trahir les préparatifs d’une frappe nucléaire sur le territoire ukrainien, en confessant eux-mêmes que l’armée états-unienne n’en aurait sans doute connaissance que trop tard2.
De fait, la doctrine russe de la « désescalade par l’escalade » (ėskalacija dlja deėskalacii) nucléaire est au point depuis des années. Dans son discours du 21 septembre, le président russe prévenait qu’il n’excluait pas l’usage de l’arme nucléaire si « la souveraineté, la sécurité et l’intégrité territoriale » de la Russie étaient en péril. Le lendemain, Dmitrij Medvedev, vice-président du Conseil de sécurité russe, précisait à son tour que « tous les types d’armes russes, y compris les armes nucléaires stratégiques », pouvaient être mis en œuvre pour défendre le territoire de la Russie et ceux qu’elle annexerait au lendemain des référendums. Aujourd’hui encore, la menace nucléaire était encore présente en trame de fond, lorsque Vladimir Poutine évoque les « précédents » posés par l’Occident lui-même à Hiroshima et Nagasaki. Notons cependant que le régime russe envisage d’autres moyens de pression. Parmi les menaces que laisse planer son discours, il faut souligner celle d’une coupure totale des livraisons de gaz. La volonté d’intimider est claire, lorsque le président russe souligne que les billets de banque et les capitalisations boursières ne nourrissent pas les populations ni ne chauffent leurs foyers : le risque d’un hiver terrible, énergétiquement et économiquement, se précise.
Tout l’enjeu consiste désormais à savoir quelles seront les conséquences de ce discours, à la suite duquel Volodymyr Zelensky a annoncé la demande officielle d’adhésion accélérée de l’Ukraine à l’OTAN.
Citoyens de Russie, citoyens des républiques populaires de Donetsk et Lougansk, habitants des districts de Zaporojie et Kherson, députés de la Douma d’État, sénateurs de la Fédération de Russie,
Comme vous le savez, des référendums ont eu lieu dans les républiques populaires de Donetsk et Lougansk ainsi que dans les districts de Zaporojie et Kherson. Les bulletins ont été décomptés, les résultats ont été annoncés. Le peuple a fait son choix, un choix univoque.
Nous signons aujourd’hui les accords relatifs à l’admission de la République populaire de Donetsk, de la République populaire de Lougansk, du district de Zaporojie et du district de Kherson au sein de la Fédération de Russie. Je suis certain que l’Assemblée fédérale confirmera les lois constitutionnelles sur l’intégration et la formation en Russie de quatre nouvelles régions, quatre nouvelles entités de la Fédération de Russie, parce que telle est la volonté de millions de personnes. (Applaudissements.)
Cette annonce est le résultat d’un processus complexe et longtemps incertain. Depuis des mois, le pouvoir russe s’est efforcé de s’ancrer administrativement dans ces régions occupées. D’après une enquête du média Proekt, les citoyens russes représentent 92 % des 36 personnes nommées dans les gouvernements de ces quatre régions depuis l’occupation. On compte ainsi 20 % de Russes parmi les dirigeants de la République populaire autoproclamée de Lougansk, 40 % chez ceux de Donetsk, jusqu’à 75 % du gouvernement du district de Kherson et 100 % de celui de Zaporojie3. Malgré tout, au cours de ces derniers mois, les autorités russes semblent avoir hésité à organiser les référendums qu’elles voulaient originellement planifier en avril, puis en mai, avant de les reporter à septembre, novembre, et enfin « indéfiniment ».
Soudainement, en l’espace de quelques jours, tout s’est accéléré ces dernières semaines. Ce qui ne devait plus être qu’un horizon lointain est devenu un impératif de toute urgence. Aussi les référendums ont-ils commencé le vendredi 23 septembre dans ces régions qui représentent environ 15 % de l’ensemble du territoire ukrainien et plus de 6 millions d’habitants avant la guerre. Les observateurs internationaux ignorent le nombre réel de votants, d’autant plus que certaines zones ont été tout à fait dépeuplées. Selon le maire de Melitopol’ Ivan Fëdorov, il ne reste plus aujourd’hui que 60 000 des 150 000 habitants que comptait sa ville au début de l’année. On connaît par ailleurs l’exemple frappant de ce village de Novotoškovskoe, à soixante kilomètres de Lougansk, où il ne restait plus, en ce mois de septembre, que dix habitants sur les 2 000 personnes qui y résidaient avant la guerre4.
Sans aucun doute, c’est là leur droit, leur droit inaliénable, inscrit dans l’article premier de la Charte des Nations Unies, qui énonce explicitement le principe de l’égalité des droits et de l’autodétermination des peuples.
Je le répète : il s’agit d’un droit inaliénable des peuples. Ce droit se fonde sur l’unité historique qui a porté à la victoire des générations entières de nos prédécesseurs, ceux qui édifié et défendu la Russie durant de nombreux siècles, depuis les origines de l’ancienne Rus’.
C’est ici, en Novorossija, qu’ont lutté Rumjancev, Suvorov et Ušakov. C’est ici que Catherine II et Potëmkin ont fondé de nouvelles villes. C’est ici que nos grands-pères et arrière-grands-pères se sont battus jusqu’à la mort pendant la Seconde Guerre mondiale.
Les trois noms énumérés sont ceux d’un maréchal, d’un généralissime et d’un amiral au service de l’Empire Russe entre le milieu du XVIIIe et le début du XIXe siècle.
Nous n’oublierons jamais les héros du « Printemps Russe », ceux qui ont refusé le coup d’État néonazi dans l’Ukraine de 2014, ceux qui ont perdu la vie pour le droit de parler leur langue, de conserver leur culture, leurs traditions, leur foi, pour le droit même de vivre. Nous n’oublierons jamais les combattants du Donbass, les martyrs de la « Khatyn d’Odessa », les victimes des attentats inhumains orchestrés par le régime de Kiev. Nous commémorons les volontaires et les miliciens, les civils, les enfants, les femmes, les vieillards, les Russes, les Ukrainiens, des gens des nationalités les plus diverses : à Donetsk, le meneur d’hommes Aleksandr Zakharčenko ; les commandants militaires Arsen Pavlov et Vladimir Žoga, Ol’ga Kočura et Aleksei Mozgovoj ; le procureur de la République de Lougansk Sergej Gorenko ; le parachutiste Nurmagomed Gadžimagomedov et tous les soldats et les officiers qui sont morts de la mort des braves pendant l’opération militaire spéciale. Ce sont des héros. (Applaudissements) Les héros de la Grande Russie. Je vous demande d’observer une minute de silence en leur mémoire.
(Minute de silence)
Le président russe fait ici une double référence : aux massacres de Khatyn commis par les nazis en Biélorussie en 1943 et au drame de l’incendie de la Maison des Syndicats à Odessa en 2014. Par ce rapprochement, il s’agit pour Vladimir Poutine, comme à son habitude, de dénoncer le régime de Kiev comme le successeur des massacreurs nazis.
Merci.
Derrière ce choix de millions d’habitants des Républiques populaires de Donetsk et Lougansk, des districts de Zaporojie et Kherson, se lisent à la fois notre futur commun et notre histoire millénaire. Les populations ont transmis ce lien spirituel à leurs enfants et leurs petits-enfants. Malgré toutes les épreuves, ils ont transmis leur amour de la Russie à travers les âges. Personne ne pourra détruire ce sentiment qui nous habite. C’est la raison pour laquelle les anciennes générations et les plus jeunes, ceux qui sont nés après l’effondrement tragique de l’URSS, ont voté d’une seule voix pour notre unité, pour notre avenir commun.
En 1991, à Belovežskaja Pušča, sans aucune considération pour la volonté des citoyens ordinaires, les représentants de l’élite du parti de l’époque ont pris la décision de dissoudre l’URSS. Du jour au lendemain, les gens se sont retrouvés arrachés à leur patrie. Notre communauté nationale a été déchirée, démantelée à vif, ce qui s’est soldé par une catastrophe nationale. Tout comme les gouvernements avaient, en coulisse, délimité les frontières des républiques soviétiques après la Révolution de 1917, les derniers dirigeants de l’Union Soviétique ont déchiré notre grand pays, ont placé le peuple devant le fait accompli, au mépris du souhait exprimé par la majorité lors du référendum de 1991.
J’imagine qu’ils n’ont pas eu entièrement conscience de ce qu’ils étaient en train de faire et des conséquences qu’auraient inévitablement leurs actions. Mais cela n’a plus d’importance. Il n’y a plus d’Union soviétique et on ne fera pas revivre le passé. Ce n’est pas ce dont la Russie a besoin aujourd’hui, ce n’est pas ce à quoi nous aspirons. Mais il n’y a rien de plus fort que la détermination de millions de personnes qui, par leur culture, leur foi, leurs traditions, leur langue, se sentent faire partie de la Russie et dont les ancêtres ont vécu durant des siècles au sein d’un même État. Il n’y a rien de plus puissant que leur résolution à retrouver leur véritable patrie historique.
Pendant huit longues années, les habitants du Donbass ont été soumis au génocide, aux bombardements, au blocus. À Kherson et Zaporojie, une politique criminelle a tout fait pour diffuser la haine de la Russie et de tout ce qui est russe. Désormais, y compris pendant les référendums, le régime de Kiev a menacé de représailles et de mort les enseignants et les femmes qui officiaient dans les commissions électorales, intimidant des millions de personnes venues exprimer leur volonté. Mais le peuple irréductible du Donbass, de Zaporojie et de Kherson s’est prononcé.
Je veux que les autorités de Kiev et leurs véritables suzerains occidentaux m’entendent et se souviennent de ceci : les habitants de Lougansk et de Donetsk, de Kherson et de Zaporojie, sont devenus nos concitoyens, à jamais. (Applaudissements.)
Ces pseudo-consultations se sont déroulées dans les conditions les plus suspectes. Des adolescents âgés de 13 à 17 ans ont été appelés à s’exprimer ; des votants ont été forcées à signer pour des parents éloignés ; des citoyens ont dû voter par peur de perdre leur emploi ou sous la pression de membres des commissions électorales qui se présentaient à leur domicile accompagnés d’une escorte en armes. D’autre part, une portion variable de la population masculine s’est gardée d’aller voter, craignant que l’on s’empare de cette occasion pour les envoyer au combat en première ligne.
Quoi qu’il en soit, ce mardi 27 septembre ont été révélés à Moscou les résultats de cette consultation à valeur d’affligeant plébiscite, dont les chiffres viennent plus assurément d’un dossier élaboré au Kremlin que d’un décompte réel des voix. Le « oui » vainc sans péril, dans des proportions comprises entre 87 % dans le district de Kherson et 99 % dans la République populaire (autoproclamée) de Donetsk. Ils ont été immédiatement suivis d’une série d’annonces. Du côté des dirigeants des républiques populaires du Donbass, Denis Pušilin a averti que cette intégration de Donetsk à la Fédération de Russie inaugurait « une nouvelle étape dans la conduite des hostilités ». Leonid Pasečnik, pour sa part, a prononcé une allocution télévisuelle dans laquelle il demandait au président Vladimir Poutine de prendre acte du rattachement de la République populaire de Lougansk à la Russie et soulignait « les liens historique, culturels et spirituels avec le peuple multinational de la Fédération de Russie ».
Nous appelons le régime de Kiev à un cessez-le-feu immédiat, à mettre fin à cette guerre qu’il a déclenchée en 2014 et à revenir à la table des négociations. Nous y sommes prêts, comme nous l’avons signalé à de nombreuses reprises. En revanche, la décision des peuples de Donetsk, Lougansk, Zaporojie et Kherson n’est pas discutable. Leur décision a été prise et la Russie ne la trahira pas. (Applaudissements.) Les autorités actuelles de Kiev doivent traiter cette libre expression de la volonté d’un peuple avec respect, et pas autrement. C’est le seul chemin possible vers la paix.
Nous défendrons notre terre avec toutes nos forces et par tous les moyens à notre disposition. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour garantir la sécurité de nos concitoyens. Telle est la grande mission libératrice de notre nation.
Nous nous engageons à reconstruire les villes et les villages détruits, les logements, les écoles, les hôpitaux, les théâtres et les musées, à restaurer et développer les entreprises industrielles, les usines, les infrastructures, les systèmes de protection sociale, de retraite, de santé et d’éducation.
Nous allons bien sûr travailler au renforcement de la sécurité. Ensemble, nous veillerons à ce que les citoyens des nouvelles régions russes se sentent soutenus par l’ensemble du peuple russe, par l’intégralité du pays, des républiques, des provinces et des districts de notre vaste patrie (Applaudissements.)
Chers amis, chers collègues,
Je veux m’adresser aujourd’hui aux soldats et aux officiers qui participent à l’opération militaire spéciale, aux combattants du Donbass et de Novorossija, à tous ceux qui, après le décret de mobilisation partielle, ont rejoint les rangs de nos forces armées, accomplissant ainsi leur devoir patriotique, tous ceux qui répondent aux injonctions de leur cœur et se rendent aux bureaux de recrutement militaire. Je veux m’adresser à eux, à leur famille, à leurs épouses et à leurs enfants pour leur dire contre qui, contre quel genre d’ennemi notre peuple se bat, pour leur dire qui précipite le monde dans de nouvelles guerres et de nouvelles crises, retirant un profit sanglant de toute cette tragédie.
Nos compatriotes, nos frères et nos sœurs d’Ukraine, cette partie intégrante de notre nation unie, ont vu de leurs propres yeux le sort que les sphères dirigeantes du soi-disant Occident réservent à l’humanité entière. Ici, elles ont enfin tombé les masques et révélé leur vraie nature.
Contrairement à ce que l’on pouvait en attendre, Vladimir Poutine n’a consacré que quelques minutes de son nouveau discours-fleuve à la question de la guerre en Ukraine. L’essentiel de son propos s’est en réalité concentré sur une mise en procès agressive et caricaturale de l’« Occident collectif », aux accents tiers-mondistes tout droit venus des années 1960-1970. Ce qui devait être une cérémonie à caractère politique et stratégique s’est ainsi transformé en improbable leçon d’histoire, voire de théologie, qui a laissé pantois la plupart de celles et ceux qui le commentaient en direct. Tout en se défendant de vouloir faire revivre l’Union soviétique, tel est bien l’exercice rhétorique auquel s’emploie Vladimir Poutine, en évoquant la « tragédie » de son démantèlement et en dépeignant l’Occident comme une puissance obscure et manipulatrice, usant de la ruse et de l’argent pour imposer son hégémonie sur toute la surface du globe sous la forme du néocolonialisme le plus brutal.
Après la chute de l’Union soviétique, l’Occident a décidé que le monde entier, que chacun de nous devait supporter à jamais ses diktats. En 1991, l’Occident s’imaginait que la Russie ne se relèverait jamais de ces bouleversements et s’effondrerait d’elle-même. Ils y ont presque réussi. Nous gardons en mémoire les années 1990, ces années terribles, de faim, de froid et de désespoir. Mais la Russie a survécu. Elle renaît, se renforce, réclame à nouveau la place qui lui revient dans le monde.
Pendant ce temps, l’Occident a continué de rechercher de nouvelles occasions de nous frapper, d’affaiblir et d’écraser la Russie, comme il a toujours rêvé de le faire, de fragmenter notre État, de dresser nos peuples les uns contre les autres, de les condamner à la misère et à l’extinction. Ils ne seront pas en paix tant qu’il existera un pays si grand, si considérable, avec son territoire, ses richesses naturelles, ses ressources, son peuple qui ne sait pas et ne saura jamais vivre sous les ordres de quelqu’un d’autre.
L’Occident est prêt à tout pour conserver ce système néocolonial qui lui permet de parasiter, de dépouiller le monde grâce à la puissance du dollar et de la technologie, de percevoir un véritable tribut de l’humanité tout entière, de jouir de la principale source de richesse indue : la rente de l’hégémon. La préservation de cette rente est leur principale motivation, leur motivation réelle, fruit de la pure avidité. C’est la raison pour laquelle ils ont intérêt à la dé-souverainisation systématique. Ainsi s’expliquent leurs agressions d’États indépendants, de valeurs traditionnelles et de cultures authentiques, leurs tentatives de saper les processus internationaux et interrégionaux, les nouvelles monnaies globales et les nouveaux pôles de développement technologique qui échappent à leur contrôle. Il est capital pour eux que tous les États abandonnent leur souveraineté au profit des États-Unis.
Dans certains États, les élites dirigeantes acceptent délibérément de s’y plier, de se laisser vassaliser ; d’autres y sont réduites par la corruption ou l’intimidation. En cas d’échec, elles n’hésitent pas à détruire des États entiers, ne laissant derrière eux que des catastrophes humanitaires, des désastres, des ruines, des millions de destins humains détruits ou mutilés, des enclaves terroristes, des zones socialement dévastées, des protectorats, des colonies ou des semi-colonies. Peu leur importe, tant qu’ils en retirent du profit.
Je veux souligner une fois encore que ce sont leur cupidité insatiable et leur désir de maintenir leur pouvoir illimité qui sont la véritable raison de cette guerre hybride que l’« Occident collectif » mène contre la Russie. Ils ne veulent pas nous voir libres ; ils rêvent que nous soyons une colonie. Ils ne veulent pas collaborer sur un pied d’égalité ; ils rêvent de pillage. Ils ne veulent pas que nous soyons une société libre, mais une foule d’esclaves sans âme.
Ils voient notre pensée et notre philosophie comme une menace directe : c’est pourquoi ils s’en prennent à nos philosophes. Ils pensent que notre culture et notre art représentent un péril pour eux : c’est pourquoi ils s’efforcent de les interdire. Notre développement et notre prospérité les menacent également, parce que la concurrence s’intensifie. Ils n’ont pas besoin de la Russie, c’est nous qui en avons besoin. (Applaudissements.)
Je tiens à rappeler que, par le passé, les rêves de domination mondiale ont été brisés plus d’une foi par le courage et la résilience de notre peuple. La Russie sera toujours la Russie. Nous défendrons toujours nos valeurs et notre patrie.
L’Occident mise sur son impunité, sur sa capacité à tout se permettre. De fait, tel a été le cas jusqu’à présent. Les accords de sécurité stratégique ont filé droit à la poubelle ; les conventions conclues au plus haut niveau politique ont été déclarées fictives ; les promesses les plus fermes de ne pas étendre l’OTAN vers l’Est, arrachées fut un temps par nos anciens dirigeants, se sont révélées un mensonge immonde ; les traités sur les forces nucléaires à portée intermédiaire ont été unilatéralement abrogés sous des prétextes fantaisistes.
Mais de tous les côtés, on n’entend que : « L’Occident incarne l’état de droit, fondé sur des règles ». D’où viennent-elles ? Qui en a jamais vu la couleur ? Qui y a consenti ? Écoutez, ce ne sont que des absurdités, un mensonge absolu, des doubles ou des triples standards. Ils doivent nous prendre pour des imbéciles.
La Russie est une grande puissance millénaire, un pays-civilisation qui ne vivra jamais sous le joug de ces règles truquées, faussées.
C’est bien le soi-disant Occident qui a piétiné le principe de l’inviolabilité des frontières et qui décide maintenant, selon son bon vouloir, qui a le droit à l’autodétermination et qui ne l’a pas, qui en est digne et qui ne l’est pas. On ignore à quel titre ils agissent ainsi, qui leur en a donné le droit, sinon eux-mêmes.
C’est pourquoi le choix des habitants de Crimée, de Sébastopol, de Donetsk, de Lougansk, de Zaporojie et de Kherson les rend fous de rage. L’Occident n’a aucun droit moral à distribuer les bons points, ni à prononcer le moindre mot sur la liberté de la démocratie. Ils ne l’a pas et il ne l’a jamais eu.
Les élites occidentales ne se contentent pas de nier souveraineté des nations et le droit international. Leur hégémonie présente clairement les traits d’un totalitarisme, d’un despotisme, d’un apartheid. Avec insolence, ils divisent le monde entre, d’un côté, leurs vassaux, les pays soi-disant civilisés, et de l’autre le reste de la planète, ceux que des racistes occidentaux voudraient inscrire sur la liste des barbares et des sauvages. Des étiquettes mensongères comme « État voyou » ou « régime autoritaire » sont assignées pour stigmatiser des peuples et des États entiers, ce qui n’est pas nouveau. Il n’y a rien de nouveau là-dedans, parce que les élites occidentales sont restées ce qu’elles étaient : colonialistes. Elles discriminent et divisent les peuples entre la « première classe » et « le reste ».
Nous n’avons jamais souscrit et ne souscrirons jamais à ces formes de nationalisme politique et de racisme. Est-ce autre chose que du racisme qui, sous la forme de la russophobie, se répand aujourd’hui dans le monde entier ? Que peut bien être, sinon du racisme, cette conviction inébranlable de l’Occident que sa civilisation et sa culture néolibérale sont le modèle indépassable pour le reste du monde ? « Qui n’est pas avec nous est contre nous ». Ça sonne même étrangement.
Il n’est pas jusqu’à la responsabilité de leurs propres crimes historiques que les élites occidentales rejettent sur les autres, exigeant à la fois de leurs citoyens et des autres peuples qu’ils se repentent de ce à quoi ils n’ont jamais contribué, par exemple, la période des conquêtes coloniales.
Il est bon de rappeler à l’Occident qu’il a commencé sa politique coloniale dès l’époque du Moyen Âge, avant que se développe la traite mondiale des esclaves, le génocide des tribus indiennes en Amérique, le pillage de l’Inde, de l’Afrique, les guerres de l’Angleterre et de la France contre la Chine, qui l’ont obligée à ouvrir ses ports au commerce de l’opium. Ce qu’ils ont fait, c’était de rendre des peuples entiers accros aux drogues, d’exterminer délibérément des groupes ethniques entiers pour leurs terres et leurs ressources, de pratiquer une véritable chasse à l’homme, comme on chasse des bêtes. Tout cela est contraire à la nature même de l’humain, à la vérité, à la liberté et à la justice.
Pour notre part, nous sommes fiers qu’au XXe siècle, ce soit précisément notre pays qui ait pris la tête du mouvement anticolonial, lequel a offert à de nombreux peuples du monde la possibilité de se développer, de réduire la misère et les inégalités, de vaincre la faim et les maladies.
Je tiens à souligner que l’un des motifs de la russophobie pluriséculaire, de l’évidente animosité de ces élites occidentales vis-à-vis de la Russie, vient justement du fait que nous ayons refusé de nous laisser dépouiller à l’époque de la conquête coloniale et que nous ayons forcé les Européens à commercer avec nous pour notre bénéfice mutuel. Nous y sommes parvenus grâce à la création en Russie d’un État centralisé, qui s’est développé et consolidé à partir des hautes valeurs morales de l’orthodoxie, de l’islam, du judaïsme et du bouddhisme, mais aussi d’une culture et d’une langue russes ouvertes à tous.
D’innombrables plans d’invasion de la Russie ont été échafaudés. On a tenté de profiter du temps des troubles du début du XVIIe siècle et des bouleversements qui ont suivi la Révolution de 1917, mais sans succès. Ce n’est qu’à la fin du XXe siècle, lorsque cet État s’est effondré, qu’ils ont finalement réussi à mettre la main sur les richesses de la Russie. Ils nous qualifiaient alors d’amis et de partenaires mais, dans les faits, ils nous traitaient comme une colonie : des milliers de milliards de dollars ont été siphonnés du pays par toutes sortes de machinations. Nous nous souvenons de tout cela, nous n’avons rien oublié.
Et il y a quelques jours, les habitants de Donetsk et Lougansk, de Kherson et de Zaporojie, se sont exprimés pour restaurer notre unité historique. Merci ! (Applaudissements.)
Les pays occidentaux clament depuis des siècles qu’ils apportent la liberté et la démocratie aux autres nations. C’est exactement le contraire. Au lieu de la démocratie, ils apportent la répression et l’exploitation ; au lieu de la liberté, l’asservissement et l’oppression. L’ordre mondial unipolaire est intrinsèquement anti-démocratique et non-libre, menteur et hypocrite de bout en bout.
Les États-Unis sont le seul pays du monde à avoir fait usage par deux fois de l’arme nucléaire, lorsqu’ils ont détruit les villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki. D’ailleurs, en agissant ainsi, ils ont créé un précédent.
Je rappelle que les États-Unis, avec l’aide des Britanniques, ont réduit à l’état de ruines Dresde, Hambourg, Cologne et nombre d’autres villes allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale sans aucune nécessité militaire : ils l’ont fait ostensiblement et, je le répète, sans aucune nécessité militaire. Leur unique objectif, comme dans le cas des bombardements nucléaires au Japon, était d’intimider notre pays et le reste du monde.
Les États-Unis ont laissé une trace épouvantable dans la mémoire des peuples de Corée et du Vietnam par leurs « tapis de bombes » barbares, l’usage du napalm et des armes chimiques.
Aujourd’hui encore, ils occupent encore de facto l’Allemagne, le Japon, la République de Corée et encore d’autres pays, tout en les appelant cyniquement des égaux et des alliés. Écoutez, je me demande bien de quel genre d’alliance il peut s’agir. Le monde entier sait que les dirigeants de ces pays sont espionnés, que leurs chefs d’État sont mis sur écoute non seulement à leur bureau, mais à leur domicile. C’est une véritable honte. Une honte pour ceux qui agissent ainsi et une honte pour ceux qui, comme des esclaves, avalent ces impertinences en silence et servilement.
Ils parlent de solidarité euro-atlantique pour qualifier les ordres, les cris brutaux et insultants qu’ils adressent à leurs vassaux ; ils parlent de noble recherche médicale pour qualifier le développement d’armes biologiques et les expérimentations sur des sujets vivants, notamment en Ukraine.
Ce sont bien leurs politiques dévastatrices, leurs guerres et leurs pillages qui ont provoqué le considérable essor des flux migratoires actuels. Des millions de personnes endurent les pires privations, les pires abus, et meurent par milliers en essayant de rejoindre l’Europe.
Aujourd’hui, ils exportent du blé d’Ukraine. Où va ce blé, sous le prétexte de « garantir la sécurité alimentaire des pays les plus pauvres du monde » ? Où va-t-il ? Tout va dans ces mêmes pays d’Europe. Seuls 5 % sont partis dans les pays pauvres. Voilà un nouvel exemple d’escroquerie et de mensonge éhonté.
Dans les faits, l’élite américaine se sert de la tragédie que vivent ces personnes pour affaiblir ses rivaux, pour détruire les États-nations. Cela vaut également pour l’Europe, pour l’identité de pays comme la France, l’Italie, l’Espagne, et d’autres nations à l’histoire multiséculaire.
Washington exige toujours plus de sanctions pour la Russie, et les politiciens européens, dans leur majorité, acceptent docilement. Ils ne saisissent pas bien que les États-Unis, en poussant l’Union Européenne à renoncer entièrement aux ressources russes, notamment énergétiques, sont en réalité en train de provoquer la désindustrialisation de l’Europe et de s’emparer du marché européen. Bien sûr, elles en ont conscience, ces élites européennes, elles en ont conscience mais préfèrent servir les intérêts d’une autre nation. Ce n’est même plus une marque de servilité, mais une véritable trahison de leurs propres peuples. Mais peu importe, c’est leur affaire.
Cependant, les sanctions ne suffisent plus aux Anglo-Saxons. Ils recourent maintenant au sabotage – cela semble incroyable, mais c’est un fait – en faisant sauter les gazoducs internationaux de « Nord Stream », qui passent au fond de la mer Baltique, ruinant du même coup l’infrastructure énergétique de l’Europe tout entière. Chacun sait qui en bénéficie. Et, bien sûr, ce sont ceux qui en bénéficient qui en sont responsables.
Le diktat américain est fondé sur la force brute, sur la loi du plus fort. Il est parfois joliment emballé, parfois sans fioriture, mais le fond est le même : c’est la loi du plus fort. D’où le déploiement et l’entretien de centaines de bases militaires aux quatre coins du monde, l’expansion de l’OTAN et les tentatives de former de nouvelles alliances militaires comme l’AUKUS ou d’autres encore : c’est ainsi qu’on cherche activement à créer une alliance militaire et politique entre Washington, Séoul et Tokyo. Tous les États qui possèdent ou aspirent à posséder une véritable souveraineté stratégique et qui sont en mesure de contester l’hégémonie occidentale sont automatiquement déclarés ennemis.
C’est sur ces mêmes principes que reposent les doctrines militaires des États-Unis et de l’OTAN, qui exigent une domination absolue. Les élites occidentales présentent leurs plans néocoloniaux d’une manière tout aussi hypocrite, en agitant des prétentions pacifistes, en parlant d’« endiguement », et ces mots-clefs sournois se retrouvent d’une stratégie à l’autre alors qu’en réalité ils ne signifient qu’une seule chose : saper tous les centres de pouvoir souverains.
On nous a ainsi parlé de l’endiguement de la Russie, de la Chine, de l’Iran. J’imagine que d’autres pays d’Asie, d’Amérique Latine, d’Afrique, du Proche-Orient, ainsi que des partenaires et alliés actuels des États-Unis, sont les prochains sur la liste. Nous le savons bien : lorsque quelque chose leur déplaît, ils sont prêts à imposer des sanctions à leurs propres alliés – tantôt à telle ou telle banque ; tantôt à telle ou telle entreprise. C’est ainsi qu’ils agissent et qu’ils continueront d’agir. Le monde entier est dans leur ligne de mire, y compris nos voisins les plus proches, les pays de la Communauté des États Indépendants.
Dans le même temps, il est clair que l’Occident prend depuis longtemps ses désirs pour des réalités. En lançant une guerre-éclair de sanctions contre la Russie, ils s’imaginaient qu’ils pourraient une fois de plus mettre le monde entier à leurs pieds. Pourtant, il s’est avéré que cette perspective était loin d’enthousiasmer tout le monde – sauf les masochistes purs et durs et les praticiens d’autres formes non-traditionnelles de relations internationales. La plupart des États refusent ce « salut au drapeau » et optent plutôt pour des modalités raisonnables de coopération avec la Russie.
Par cette métaphore de sexualisation agressive des relations internationales, Vladimir Poutine entend une fois de plus dénoncer les identités de genre et les pratiques sexuelles qui ne correspondent pas au spectre de l’orthodoxie la plus traditionnelle.
L’Occident ne s’attendait pas à rencontrer une telle insubordination, tant il est habitué à agir par la force, le chantage, la corruption et l’intimidation, convaincu que ces méthodes fonctionneront toujours – comme s’il étaient figé, fossilisé dans le passé.
Cette confiance en soi est une conséquence directe de l’idée, tristement célèbre, bien qu’elle ne cesse pas d’étonner, de son propre exceptionnalisme, mais aussi de la véritable « faim d’information » qui sévit en Occident. Ils ont noyé la vérité dans un océan de mythes, d’illusions et de faux, en pratiquant une propagande extrêmement agressive, en mentant comme Goebbels. Plus le mensonge est gros, plus on y croit – c’est ainsi qu’ils fonctionnent, en suivant ce principe.
Mais on ne peut pas nourrir les populations avec des dollars et des euros imprimés sur des billets de banque. On ne peut pas les nourrir avec du papier-monnaie, on ne peut pas chauffer un foyer avec la capitalisation aussi virtuelle et que surévaluée des réseaux sociaux occidentaux. Tout ce dont je vous parle est de la plus haute importance, mais il faut insister sur ce dernier point. On ne peut nourrir personne avec du papier, il faut de la nourriture ; ces capitalisations surévaluées ne peuvent chauffer personne, il faut de l’énergie.
C’est pourquoi les dirigeants européens en sont réduits à convaincre leurs concitoyens de manger moins, de se laver moins souvent, de s’habiller plus chaudement à la maison. Et ceux qui commencent à se poser les bonnes questions – « Pourquoi en serait-il ainsi ? » – sont immédiatement déclarés ennemis, extrémistes et radicaux. Ils retournent la situation contre la Russie en disant : « Vous voyez, c’est la source de tous nos malheurs ». Des mensonges, encore une fois.
Je voudrais tout particulièrement souligner qu’il y a toutes les raisons de croire que les élites occidentales n’ont pas l’intention de chercher des solutions constructives à la crise alimentaire et énergétique mondiale qui s’est déclarée par leur propre faute, en conséquence des politiques qu’ils mènent de longue date, bien avant notre opération spéciale en Ukraine, dans le Donbass. Ils n’ont aucune intention de résoudre les problèmes d’injustice et d’inégalité. On peut plutôt craindre qu’ils s’apprêtent à employer d’autres méthodes, qui leur sont plus familières.
Il convient de rappeler ici que l’Occident est sorti des contradictions du début du XXe siècle par la Première Guerre mondiale. Les gains de la Seconde Guerre mondiale ont permis aux États-Unis de surmonter enfin les conséquences de la Grande Dépression et de devenir la première économie mondiale, de soumettre la planète entière à la puissance du dollar en tant que monnaie de réserve globale. C’est largement en s’appropriant les restes et les ressources de l’Union soviétique en déliquescence que l’Occident a surmonté la crise qui s’est aggravée dans les années 1980. C’est un fait.
Désormais, pour sortir de ce nouveau nœud de contradictions, il leur faut à tout prix briser la Russie et les autres États qui choisissent une voie souveraine de développement, afin de piller de nouvelles richesses et de colmater ainsi leurs propres vides. Si cela ne se passe pas ainsi, je n’exclus pas l’idée qu’ils tentent de provoquer l’effondrement total du système pour se dédouaner de leurs responsabilités, ou encore, Dieu nous en garde, qu’ils décident d’employer une formule bien connue : « La guerre efface toutes les dettes ».
La Russie a conscience de sa responsabilité envers la communauté mondiale et fera son possible pour ramener ces têtes brûlées à la raison.
À l’évidence, le modèle néocolonial actuel est condamné à disparaître. Mais, je le répète, ses maîtres réels s’y accrocheront jusqu’à la dernière seconde. Ils n’ont tout simplement rien à proposer au monde, si ce n’est la préservation de ce système de pillage et de racket.
En substance, ils crachent sur le droit naturel de milliards de personnes, la majeure partie de l’humanité, à la liberté et à la justice, ainsi qu’à la détermination de leur propre destinée. Ils en viennent maintenant à nier l’ensemble des normes morales, de la religion et de la famille.
Répondons ensemble à quelques questions très simples. Je veux revenir sur ce point, je veux m’adresser à tous les citoyens de notre pays – pas seulement aux collègues qui sont ici dans le public, mais à tous les citoyens russes – pour leur demander : est-ce que nous voulons avoir, ici, dans ce pays, en Russie, au lieu d’une mère et d’un père, un « parent numéro un » et un « parent numéro deux » (ils sont devenus complètement dingues sur ce coup) ? Est-ce que nous voulons que l’on enseigne dans nos écoles primaires des perversions qui conduisent à la dégradation et à l’extinction ? Est-ce que nous voulons enseigner aux enfants qu’il n’existe pas que des femmes et des hommes, mais des soi-disant genres et qu’on leur propose des opérations de changement de sexe ? Est-ce cela que nous voulons pour notre pays et pour nos enfants ? Tout cela est tout simplement inacceptable pour nous. Nous avons notre propre avenir, et ce n’est pas celui-là.
Je le répète : la dictature des élites occidentales vise toutes les sociétés, y compris les pays occidentaux eux-mêmes. C’est un défi adressé à tout le monde. Cette négation profonde de l’humanité, cette subversion de la foi et des valeurs traditionnelles, cet écrasement de la liberté prennent les traits d’une « religion à l’envers » – d’un satanisme pur et simple. Dans le sermon sur la montagne, Jésus Christ, dénonçant les faux prophètes, dit : « C’est dont à leurs fruits que vous les reconnaîtrez ». Et beaucoup savent bien que ces fruits sont empoisonnés, non seulement chez nous, mais dans tous les pays, y compris en Occident.
Le président russe emprunte les éléments de langage plus spécifiques des guerres culturelles du XXIe siècle, en dénonçant les « valeurs » perverties que l’Occident chercherait à imposer et universaliser, au mépris de la diversité morale et spirituelle de la planète. Ce discours fait ainsi directement écho à celui des conservateurs et populistes de droite du continent européen et des États-Unis, soutien de facto de Vladimir Poutine dans une lutte à mort pour l’hégémonie culturelle. L’une des cibles principales en est la communauté LGBTQI+, accusée par le président russe de saper les valeurs morales de la civilisation russe et dépeinte comme une forme de déviance au caractère « sataniste ». On retrouve ici la rhétorique discriminatoire des évangélistes les plus durs et des politiques les plus agressivement traditionalistes, encore renforcée par une référence directe aux Évangiles.
Le monde est entré dans une période de transformations fondamentales, révolutionnaires. De nouvelles puissances émergent. Elles représentent la majorité – la majorité ! – de la communauté mondiale et sont prêtes non seulement à proclamer leurs intérêts, mais à les défendre. Elles voient dans la multipolarité un moyen de renforcer leur souveraineté et ainsi de conquérir la liberté véritable, une perspective historique, leur droit au développement indépendant, créatif, original, à un développement harmonieux.
Dans le monde entier, y compris en Europe et aux États-Unis, comme je l’ai déjà souligné, de nombreuses personnes partagent nos idées et nous ressentons, nous voyons leur soutien. Au sein des pays et des sociétés les plus variés se dessine déjà un mouvement de libération anticolonial contre l’hégémonie unipolaire, et sa force ne fera que croître. C’est cette force qui déterminera le futur des réalités géopolitiques.
Chers amis,
Aujourd’hui, nous combattons pour un futur juste et libre, avant tout pour nous-mêmes, pour la Russie, pour que la dictature et le despotisme deviennent à jamais un souvenir du passé. Ma conviction est que les nations et les peuples comprennent à quel point une politique fondée sur l’exceptionnalisme, sur la suppression des autres cultures et des autres peuples, est fondamentalement criminelle, que cette page honteuse de l’histoire ne demande qu’à être tournée. L’effondrement de l’hégémonie occidentale est en cours. Il est irréversible. Je le répète : les choses ne seront plus comme avant.
Le champ de bataille sur lequel nous ont convoqués le destin et l’histoire est un champ de bataille pour notre peuple, pour la grande Russie historique. (Applaudissements.) Pour une grande Russie historique, pour les générations futures, pour nos enfants, nos petits-enfants et nos arrière-petits-enfants. Nous devons les préserver de l’asservissement, des expérimentations monstrueuses qui veulent estropier leurs consciences et leurs âmes.
Aujourd’hui, nous combattons pour que personne ne pense plus jamais que la Russie, notre peuple, notre langue, notre culture, puissent être rayés de l’histoire. Aujourd’hui, nous devons consolider notre société et cette solidarité ne pourra reposer que sur la souveraineté, la liberté, la création et la justice. Nos valeurs sont l’humanité, la miséricorde et la compassion.
Et je voudrais conclure cette allocution sur les mots d’un véritable patriote, Ivan Aleksandrovič Il’in : « Si je considère la Russie comme ma patrie, cela signifie que j’aime, que je contemple et que je pense comme un Russe, que je chante et que je parle comme un Russe ; que je crois aux forces spirituelles du peuple russe. Son esprit est mon esprit ; sa destinée est ma destinée ; sa souffrance est ma souffrance ; sa prospérité est ma joie ».
Sans être originale, sa citation d’un extrait ampoulé d’Ivan Ilyin, émigré russe de l’entre-deux-guerres aux idées antisémites, attiré par le fascisme et la révolution conservatrice, confirme, s’il en était besoin, l’orientation résolument réactionnaire du discours5.
Dans ces mots, on retrouve le grand chemin spirituel que de nombreuses générations de nos ancêtres ont emprunté pendant plus d’un millénaire d’existence de l’État russe. Aujourd’hui, c’est nous qui empruntons ce chemin, ce sont les habitants des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, des districts de Zaporojie et de Kherson qui ont fait ce choix. Ils ont pris la décision de vivre avec leur propre peuple, avec leur patrie, de s’associer à son destin et de vaincre avec elle.
La victoire est avec nous, la Russie est avec nous !
Sources
-
- https://meduza.io/feature/2022/09/29/zachem-kremlyu-anneksiya-ukrainskih-territoriy-chem-na-eto-otvetit-kiev-i-kuda-vse-eto-nas-zavedet
- https://www.politico.com/news/2022/09/27/putin-nuke-russia-ukraine-intel-surveillance-00059020
- https://www.proekt.media/guide/kto-rukovodit-okkupirovannymi-territoriyami-ukrainy/
- https://www.bbc.com/russian/features-63040911
- Sur les risques du réductionnisme fasciste dans la lecture d’Ivan Ilyin, notamment Marlène Laruelle, Is Russia Fascist ? Unraveling Propaganda East and West, Ithaca, Cornell University Press, 2021, p. 140.
Voir par ailleurs:
Russia’s genocide handbook
The evidence of atrocity and of intent mounts
Timothy Snyder
Apr 8 2022
Russia has just issued a genocide handbook for its war on Ukraine. The Russian official press agency « RIA Novosti » published last Sunday an explicit program for the complete elimination of the Ukrainian nation as such. It is still available for viewing, and has now been translated several times into English.
As I have been saying since the war began, « denazification » in official Russian usage just means the destruction of the Ukrainian state and nation. A « Nazi, » as the genocide manual explains, is simply a human being who self-identifies as Ukrainian. According to the handbook, the establishment of a Ukrainian state thirty years ago was the « nazification of Ukraine. » Indeed « any attempt to build such a state » has to be a « Nazi » act. Ukrainians are « Nazis » because they fail to accept « the necessity that the people support Russia. » Ukrainians should suffer for believing that they exist as a separate people; only this can lead to the « redemption of guilt. »
For anyone still out there who believes that Putin’s Russia opposes the extreme right in Ukraine or anywhere else, the genocide program is a chance to reconsider. Putin’s Russian regime talks of “Nazis” not because it opposes the extreme right, which it most certainly does not, but as a rhetorical device to justify unprovoked war and genocidal policies. Putin’s regime is the extreme right. It is the world center of fascism. It supports fascists and extreme-right authoritarians around the world. In traducing the meaning of words like « Nazi, » Putin and his propagandists are creating more rhetorical and political space for fascists in Russia and elsewhere.
The genocide handbook explains that the Russian policy of « denazification » is not directed against Nazis in the sense that the word is normally used. The handbook grants, with no hesitation, that there is no evidence that Nazism, as generally understood, is important in Ukraine. It operates within the special Russian definition of « Nazi »: a Nazi is a Ukrainian who refuses to admit being a Russian. The « Nazism » in question is « amorphous and ambivalent »; one must, for example, be able to see beneath the world of appearance and decode the affinity for Ukrainian culture or for the European Union as « Nazism. »
The actual history of actual Nazis and their actual crimes in the 1930s and 1940s is thus totally irrelevant and completely cast aside. This is perfectly consistent with Russian warfighting in Ukraine. No tears are shed in the Kremlin over Russian killing of Holocaust survivors or Russian destruction of Holocaust memorials, because Jews and the Holocaust have nothing to do with the Russian definition of « Nazi. » This explains why Volodymyr Zelens’kyi, although a democratically-elected president, and a Jew with family members who fought in the Red Army and died in the Holocaust, can be called a Nazi. Zelens’kyi is a Ukrainian, and that is all that « Nazi » means.
On this absurd definition, where Nazis have to be Ukrainians and Ukrainians have to be Nazis, Russia cannot be fascist, no matter what Russians do. This is very convenient. If « Nazi » has been assigned the meaning « Ukrainian who refuses to be Russian » then it follows that no Russian can be a Nazi. Since for the Kremlin being a Nazi has nothing to do with fascist ideology, swastika-like symbols, big lies, rallies, rhetoric of cleansings, aggressive wars, abductions of elites, mass deportations, and the mass killing of civilians, Russians can do all of these things without ever having to ask if they themselves on the wrong side of the historical ledger. And so we find Russians implementing fascist policies in the name of « denazification. »
The Russian handbook is one of the most openly genocidal documents I have ever seen. It calls for the liquidation of the Ukrainian state, and for abolition of any organization that has any association with Ukraine. It postulates that the « majority of the population » of Ukraine are « Nazis, » which is to say Ukrainians. (This is clearly a reaction to Ukrainian resistance; at war’s beginning the assumption was that there were only a few Ukrainians and that they would be easily eliminated. This was clear in another text published in RIA Novosti, the victory declaration of 26 February.) Such people, « the majority of the population, » so more than twenty million people, are to be killed or sent to work in « labor camps » to expurgate their guilt for not loving Russia. Survivors are to be subject to « re-education. » Children will be raised to be Russian. The name « Ukraine » will disappear.
Had this genocide handbook appeared at some other time and in a more obscure outlet, it might have escaped notice. But it was published right in the middle of the Russian media landscape during a Russian war of destruction explicitly legitimated by the Russian head of state’s claim that a neighboring nation did not exist. It was published on a day when the world was learning of a mass murder of Ukrainians committed by Russians.
Russia’s genocide handbook was published on April 3, two days after the first revelation that Russian servicemen in Ukraine had murdered hundreds of people in Bucha, and just as the story was reaching major newspapers. The Bucha massacre was one of several cases of mass killing that emerged as Russian troops withdrew from the Kyiv region. This means that the genocide program was knowingly published even as the physical evidence of genocide was emerging. The writer and the editors chose this particular moment to make public a program for the elimination of the Ukrainian nation as such.
As a historian of mass killing, I am hard pressed to think of many examples where states explicitly advertise the genocidal character of their own actions right at at the moment those actions become public knowledge. From a legal perspective, the existence of such a text (in the larger context of similar statements and Vladimir Putin’s repeated denial that Ukraine exists) makes the charge of genocide far easier to make. Legally, genocide means both actions that destroy a group in whole or in part, combined with some intention to do so. Russia has done the deed and confessed to the intention.
Voir enfin:
‘De-Ukrainization’ is genocide — Biden was right to sound the alarm
Francine Hirsch
The Hill
04/14/22
Russian leaders began by calling Ukraine’s leaders “Nazis” to cover up their plan for a predatory war of aggression. Now they are calling for genocide. President Biden was right to sound the alarm about genocide. The world must act.
On the eve of Russia’s invasion of Ukraine, Russian President Vladimir Putin ramped up a disinformation campaign designed to challenge the country’s right to exist. He described Ukraine as an “artificial creation of the Bolsheviks” and called its leaders “Nazis.” On Feb. 24, Putin announced that he had launched a “special military operation” to “de-Nazify” Ukraine. Last week, while the world was learning horrifying details about the Russian military’s rape, torture and murder of civilians, this talk of “de-Nazification” morphed in the Russian state media into a chilling call for “de-Ukrainization.”
De-Ukrainization is genocide. The world must act.
An article published by RIA-Novosti on April 5 repeated Putin’s claim that “Ukrainians are an artificial anti-Russian construct.” It proclaimed that “Ukraine’s political elite must be eliminated.” And it declared that ordinary Ukrainians are “passive Nazis” who “must experience all the horrors of war and absorb the experience as a historical lesson and atonement for their guilt.” Explaining that “De-Nazification will inevitably also be a de-Ukrainization,” the article issued an ominous call for “total purification.”
This is not the first time such vile ideas have been expressed in the Russian media. There was a spate of articles and videos in 2016 and 2017 espousing “de-Ukrainization.” Economist and pundit Mikhail Khazin called for the transformation of Kyiv, Chernihiv and Sumy into “agricultural hinterland stripped of industry and armed forces,” with “excess population” deported to Russia’s Far East. He further suggested “several million” Ukrainians would “need to be” either “terminated” or “expelled.”
But the RIA-Novosti article is different for two critical reasons. It was published amid Russia’s predatory war of aggression — while atrocities were being committed in Bucha, Mariupol and other towns, and while Ukrainian civilians were being kidnapped, deported and sent to filtration camps. It was published during extreme wartime censorship in Russia, indicating its approval by the Russian authorities.
Since the publication of the RIA-Novosti article, Russian officials have continued to signal to the Russian people — and the Russian military — that genocide is on the agenda. The day after the article came out, former Russian President Dmitry Medvedev, one of Putin’s advisers, declared that “Ukrainian identity is one big fake and the goal of the de-Nazification is to change how Ukrainians perceive their identity. ” Later in the week, Russian State TV Channel One featured a “discussion” about the elimination of Ukraine.
These calls for “de-Ukrainization” are an incitement to genocide: to “destroy, in whole or in part,” the Ukrainian nation. Some international lawyers object that there is not yet enough evidence of genocide. And they are partly correct. We will need more evidence to convict Russia’s leaders and soldiers of genocide, which can be prosecuted either as a war crime (as at Nuremberg) or as a crime against humanity. But the Genocide Convention and the Rome Statute also call for the prevention of genocide. And there is enough evidence right now to ask the world to act.
I come at this as a historian of the Nuremberg Trials, not as a lawyer. And from this perspective there are several things to keep in mind. First, genocide does not always look like the Holocaust. In his closing speech at the Nuremberg Trials, British chief prosecutor Sir Hartley Shawcross revisited the evidence about Auschwitz and the extermination of the Jews. He then reminded the court that genocide could take many forms. The method the Nazis applied to the Polish intelligentsia, he noted, was “outright annihilation,” whereas in Alsace, deportation was the program of choice. In the German-occupied Soviet Union, the technique was death by starvation; in Bohemia and Moravia, the Nazis embarked on a policy of forced Germanization.
Second, history shows us that we should take dictators at their word. Those who incite genocide usually attempt to follow through. It is not unusual for them to publicize their campaigns through propagandists and media. Adolf Hitler had Joseph Goebbels, Alfred Rosenberg and others doing this work. Putin has Medvedev and the pundits of Russian state media. Finally, the more that Russian soldiers embrace the campaign of “de-Ukrainization,” the more brutal the war will become — and the harder it will be for Russia to find an exit short of total victory or defeat. Russian society’s complacency becomes complicity in murder.
This is not simply an academic question or a debate about terminology. We must understand Russia’s war aims to understand the nature of this conflict. Policymakers who still think that this war is about Russia’s security concerns have it wrong. Western lawyers who put forward draft peace proposals that ask Ukraine to make concessions are playing into Putin’s hands. Biden was correct that Putin’s goal is “to wipe out even the idea of being Ukrainian.”
The international community must affirm that there are universal values. It must support Ukraine and call out Putin’s lies. It must act to prevent the destruction of the Ukrainian nation.
Francine Hirsch is a professor of history at the University of Wisconsin-Madison and author of “Soviet Judgment at Nuremberg.”
Voir par ailleurs:
Ukraine : notre avenir s’y joue
Cela fait déjà plus de quatre mois que la pudiquement nommée « opération spéciale » de la Russie a commencé en Ukraine. Quatre mois de destructions, de déplacements de populations, de drames. La guerre n’est plus une possibilité, elle s’est installée sur le sol européen, pour l’heure fixée à l’est de l’Ukraine martyrisée et meurtrie. L’avenir de notre continent n’a jamais été aussi incertain depuis la Seconde Guerre mondiale.
Gabriel Robin
L’Incorrect
11 juillet 2022
Il est difficile de dresser un bilan exhaustif des combats comme des conséquences directes de la guerre pour l’économie mondiale ainsi que les équilibres géopolitiques et militaires. D’autres le font mieux que nous, à l’image de Michel Goya qui prend le temps de détailler hebdomadairement les avancées de l’armée russe et les actes de résistance de son homologue ukrainienne. Tout juste peut-on désormais affirmer avec une réserve de bon aloi que la Russie progresse dans le Donbass, but de guerre officiel du conflit. Le 14 juin dernier, les forces ukrainiennes ont ainsi annoncé avoir abandonné le centre de Sievierodonestk, suivies dans la foulée par une déclaration pessimiste de Serhiy Haïdaï, gouverneur de la région de Louhansk forcé d’admettre que 70 à 80 % de la ville étaient tombés sous le contrôle de l’armée russe.
Le 3 juillet, c’était au tour de la ville de Lysychansk de tomber, des suites d’une manœuvre d’encerclement réussie par les forces russes. La bataille du Donbass se réduit donc à la zone de Sloviansk-Kramatorsk, ce qui va pousser l’Ukraine à tenter de résister coûte que coûte en attendant un hypothétique rééquilibrage des forces. Contrairement à ce qu’affirment nombre de commentateurs français enivrés de propagande russe, le grand Satan occidental n’est pas si « va-t-en-guerre » que ça. Les envois d’armes ont été tardifs et sont trop limités pour permettre à l’Ukraine de garder le Donbass. Il semblerait même, si l’on pousse un peu, qu’une partie des Occidentaux se contenterait bien d’une prise rapide de l’est ukrainien, afin de pousser Moscou à la négociation de la paix … qui passerait donc par une partition de l’Ukraine.
L’habile chantage militaire russe produirait donc ses effets sur un ensemble occidental affaibli, mené par une Amérique partiellement déclinante qui, sous Barack Obama, avait déjà fait montre d’une certaine faiblesse à l’égard d’une Russie poutinienne qui ne recule jamais quand il s’agit de faire parler la poudre. En Tchétchénie, en Syrie, en Ossétie-du-Sud et en Ukraine, la Russie sait joindre les actes à la parole, tétanisant une Union européenne à la faible coordination militaire et dépendante de l’énergie de son encombrant voisin à l’est. Les lignes ont d’ailleurs bougé, l’invasion russe ayant provoqué les demandes d’adhésion conjointes de la Suède et de la Finlande à l’OTAN. Laquelle OTAN, longtemps invoquée pour expliquer, ou, plus sûrement, pour excuser l’invasion russe, avec une grande imprécision et des mensonges, l’Ukraine ne pouvant pas la rejoindre du fait des combats continus au Donbass depuis 2014, semble ne plus être l’obsession de Moscou.
Vladimir Poutine déclarait en personne il y a quelques jours à peine, que l’adhésion des pays scandinaves à l’OTAN n’était désormais plus un casus belli pouvant conduire à une « escalade ». De fait, il devient difficile de suivre les sinueuses inflexions du Kremlin qui peut en deux jours affirmer que « les choses sérieuses » n’ont pas commencé en Ukraine comme se dire « pacifiste ». Peut-être faudrait-il d’ailleurs ressusciter les spécialistes en kremlinologie d’autrefois, bien qu’ils aient été remplacés par d’autres, plus proches des télégraphistes de L’Humanité de la période Thorez que de véritables analystes neutres. Ces Machiavel d’opérette, prêts à toutes les instrumentalisations émotionnelles quand ça les arrange, et si peu emphatiques quand leur narration parcellaire est mise en danger, sont désormais en première ligne pour affirmer que l’Ukraine a déjà perdu et qu’il faut « chercher la paix ».
Soit. Personne ne pourra contredire le fait que la paix est la résolution de toute guerre ; et que plus tôt nous l’aurons trouvée, mieux ce sera. Mais cette paix tant souhaitée, qui nous permettrait d’éviter une cruelle « escalade », nous ne pouvons la décider unilatéralement. Si paix, il y a, elle ne se trouvera qu’au terme de la fin des combats armés. Soit par la destruction d’une des deux armées, ou son incapacité à poursuivre les combats. Soit par la proclamation d’un cessez-le-feu russe appelant à une négociation – c’en est même la condition sine qua none. Soit, et c’est bien ce que souhaitent certains sans oser le dire, par la reddition pure et simple de l’Ukraine. Nous ne pouvons pas le leur demander. Ajoutons, par suite, que nous ne sommes absolument pas co-belligérants, et moins encore la France qui en fait, il faut bien l’admettre, assez peu. Nous nous contentons d’aider l’Ukraine à se défendre, comme toute nation en a le droit. L’Ukraine veut vivre libre et souveraine, c’est un fait.
La position consistant à renvoyer dos-à-dos la Russie et l’Ukraine comme étant des « acteurs rationnels défendant leurs intérêts » n’est pas du réalisme mais du cynisme
La Russie aurait aussi pu se vivre en tant que nation, mais la nostalgie de son empire lui fait convoiter l’Ukraine et dominer autrement la Biélorussie, État qui est aujourd’hui son dominion et son factotum. Quid, donc, des suites de cette tragédie, car c’est bien à une immense tragédie que nous assistons, de celles qui peuvent à tout jamais changer nos destins collectifs et individuels ? Dans un premier temps, évoquer la morale et la notion du bien ne sera pas vain. Laissons aux schmittiens de comptoir et aux gaullistes de salon la rhétorique des « intérêts » mal comprise, elle ne sert que les intérêts d’un camp, qui, s’il n’est pas celui « du mal », encore qu’il soit à l’origine d’un mal, n’est pas le nôtre. Oui, la guerre russe est immorale. Elle le serait même si l’Ukraine avait réellement fait peser une menace sur la seconde armée du monde aux réserves nucléaires capables de détruire la moitié de la planète en quelques jours.
Elle est aussi menée de manière immorale. Dans une excellente tribune accordée au journal Le Monde, le chercheur en relations internationales Jean-Baptiste Jeangène Vilmer a bien résumé la situation : la position consistant à renvoyer dos-à-dos la Russie et l’Ukraine comme étant des « acteurs rationnels défendant leurs intérêts » n’est pas du réalisme mais du cynisme. « Avant la guerre, c’est l’absence de “réalisme” qui aurait permis l’expansion de l’OTAN, laquelle aurait “provoqué” le président Poutine, qui n’aurait fait que défendre ses intérêts en attaquant l’Ukraine, ce dont il est, par conséquent, presque excusé. Pendant la guerre, c’est encore au nom du “réalisme” qu’il faudrait ne pas trop soutenir les Ukrainiens et ménager une porte de sortie honorable aux Russes. Et, après la guerre, les mêmes “réalistes” nous inviteront à rapidement normaliser nos relations avec Moscou », ajoute-t-il avec panache.
Oui, la Russie est le diviseur du monde contemporain. Elle est la nation perturbatrice, celle qui provoque et cherche l’étincelle. Elle va plus loin et terrorise. Son premier objectif est d’ailleurs d’influencer les opinions occidentales, pour que ces dernières pensent nos nations faibles et inaptes à faire face à toute menace, même à y résister sur le simple plan de la morale. Le réalisme n’est pas contraire à la morale, il ne s’y réduit pas. C’est, vous noterez, très différent. Quand la République populaire du Donbass déclare qu’elle exécutera des soldats qui se sont rendus d’eux-mêmes, elle s’affranchit de toute morale. Il s’agit bien de crimes de guerre qui s’opposent aux principes de la Convention de Genève, et même à toutes les lois traditionnelles de la guerre, à des usages qui ont toujours eu cours en Europe. Comment ne pas le condamner ? Comment ne pas s’en émouvoir ? Si nous ne sommes plus capables de cette résistance spirituelle, que nous restera-t-il à défendre ?
Évidemment, nous devons tenir compte de tous les paramètres. Nous n’avons pas à nous précipiter dans la guerre, ni à condamner nos économies. Mais nous avons le devoir de nous y préparer, d’avoir conscience que le camp d’en face y est prêt et l’envisage sérieusement. Que les sanctions décidées contre la Russie se retournent temporairement contre nous est une réalité. Il est toutefois aussi une réalité que la Russie en souffre bien davantage, son acharnement à ironiser ou à vouloir contourner les mesures prouvant bien qu’elle est en grandes difficultés – son économie est d’ailleurs celle d’un colosse aux pieds d’argile, et sa dépendance à l’industrie chinoise augmentera exponentiellement, mais passons. Si être réaliste nous commande donc de comprendre dans quel état se trouvent réellement nos forces, cela ne doit pas nous conduire à la lâcheté ou à l’amoralité, deux conduites perdantes dans l’histoire des nations.
Nous ne faisons pas la guerre à une grande nation, nous nous opposons à la dérive d’un régime
En 1919, dans une conférence donnée sur l’alliance franco-polonaise, le futur général de Gaulle cité en modèle par tous ceux qui n’y comprennent rien, déclarait : « Le bolchevisme ne durera pas éternellement en Russie. Un jour viendra où l’ordre s’y rétablira et où la Russie, reconstituant ses forces, regardera autour d’elle. Ce jour-là, elle se verra telle que la paix va la laisser, c’est à dire privée de l’Estonie, de la Finlande, de la Pologne, de la Lituanie, peut-être de l’Ukraine. S’en contentera-t-elle ? Nous n’en croyons rien. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on reverra la Russie reprendre sa marche vers l’Ouest et le Sud-Ouest. De quel côté la Russie recherchera-t-elle un concours pour reprendre l’œuvre de Pierre le Grand et de Catherine II ? Ne le disons pas trop haut, mais sachons-le et pensons-y : c’est du côté de l’Allemagne que fatalement elle tournera ses espérances. Voilà, Messieurs, pourquoi la France prête à la Pologne et à la Roumanie un si large concours militaire ; et voilà pourquoi nous sommes ici. […] Chacun de nos efforts en Pologne, Messieurs, c’est un peu plus de gloire pour la France éternelle ».
Nul ne peut dire avec certitude de quoi l’avenir sera fait, mais celui-ci se joue aujourd’hui en Ukraine. Y construire la paix, c’est prévoir la guerre. Tout faire pour l’éviter, ce n’est pas refuser de la penser. Les Français et les autres Européens doivent aussi entendre que c’est la Russie qui a provoqué la guerre, qui pratique un chantage énergétique, qui empêche l’Ukraine d’exporter son blé ce qui pourrait provoquer une catastrophe migratoire ; elle et elle seule. Dans ce cadre, les sanctions sont tant un impératif moral qu’une difficulté pour l’effort de guerre russe, mais pour qu’elles soient efficaces il faut que le camp occidental fasse bloc et divise celui des BRICS. La Chine et la Russie n’ont aucun intérêt à rompre brutalement avec le commerce mondial. Ne nous laissons pas embobiner par la guerre d’influence russe. Ce sont les derniers feux de l’URSS. Nous ne faisons pas la guerre à une grande nation, nous nous opposons à la dérive d’un régime.
Dans les deux paragraphes précédents, le patriarche Kirill reprend des éléments traditionnels de la théologie chrétienne du sacrifice de la croix, de la justification de l’homme pécheur par la mort rédemptrice du Christ. Mais certains choix de vocabulaire interrogent : pourquoi parler d’une « exécution », qui « servait à exécuter les criminels » au détriment de l’insistance sur la mort volontaire du Christ ? L’Église, en Occident, n’est plus guère habituée depuis Vatican II à prêcher sur ces thèmes de la « colère du Père », de son « juste châtiment » destiné aux pécheurs qui retomberait sur son Fils innocent… Plus subtilement, dans ce texte, le sacrifice divin est mondanisé, ramené à des réalités terrestres : « la meilleure des qualités humaines » et « la plus haute expression de l’amour de l’homme pour ses semblables ». En théologie chrétienne, tout cela est vrai mais ne suffit pas : c’est la vie donnée sans défense qui revêt une véritable valeur rédemptrice, et constitue donc le « vrai sacrifice ».