Tu n’as voulu ni sacrifice ni oblation… Donc j’ai dit: Voici, je viens. Psaume 40: 7-8
Alors la femme dont le fils était vivant sentit ses entrailles s’émouvoir pour son fils, et elle dit au roi: Ah! mon seigneur, donnez-lui l’enfant qui vit, et ne le faites point mourir. Mais l’autre dit: Il ne sera ni à moi ni à toi; coupez-le! I Rois 3: 26
Si les princes de ce monde avaient connu [la sagesse de Dieu] ils n’auraient pas crucifié le Seigneur de gloire. (…) [Le Christ] a effacé, au détriment des commandements, l’accusation qui se retournait contre nous ; il l’a fait disparaître, il l’a clouée à la croix, il a dépouillé les Principautés et les Puissances, il les a données en spectacle à la face du monde, en les traînant dans son cortège triomphal. Paul (lettre aux Colossiens 2: 8-16)
Ils ne l’ont ni tué ni crucifié (…) ce n’était qu’un faux semblant ! (…) mais Dieu l’a élevé vers Lui. Le Coran (4 : 157-158)
« Dionysos contre le « crucifié » : la voici bien l’opposition. Ce n’est pas une différence quant au martyr – mais celui-ci a un sens différent. La vie même, son éternelle fécondité, son éternel retour, détermine le tourment, la destruction, la volonté d’anéantir pour Dionysos. Dans l’autre cas, la souffrance, le « crucifié » en tant qu’il est « innocent », sert d’argument contre cette vie, de formulation de sa condamnation. (…) L’individu a été si bien pris au sérieux, si bien posé comme un absolu par le christianisme, qu’on ne pouvait plus le sacrifier : mais l’espèce ne survit que grâce aux sacrifices humains… La véritable philanthropie exige le sacrifice pour le bien de l’espèce – elle est dure, elle oblige à se dominer soi-même, parce qu’elle a besoin du sacrifice humain. Et cette pseudo-humanité qui s’institue christianisme, veut précisément imposer que personne ne soit sacrifié. Nietzsche
Dans le christianisme, on ne se martyrise pas soi-même. On n’est pas volontaire pour se faire tuer. On se met dans une situation où le respect des préceptes de Dieu (tendre l’autre joue, etc.) peut nous faire tuer. Cela dit, on se fera tuer parce que les hommes veulent nous tuer, non pas parce qu’on s’est porté volontaire. Ce n’est pas comme la notion japonaise de kamikaze. La notion chrétienne signifie que l’on est prêt à mourir plutôt qu’à tuer. C’est bien l’attitude de la bonne prostituée face au jugement de Salomon. Elle dit : « Donnez l’enfant à mon ennemi plutôt que de le tuer. » Sacrifier son enfant serait comme se sacrifier elle-même, car en acceptant une sorte de mort, elle se sacrifie elle-même. Et lorsque Salomon dit qu’elle est la vraie mère, cela ne signifie pas qu’elle est la mère biologique, mais la mère selon l’esprit. Cette histoire se trouve dans le Premier Livre des Rois (3, 16-28), qui est, à certains égards, un livre assez violent. Mais il me semble qu’il n’y a pas de meilleur symbole préchrétien du sacrifice de soi par le Christ. René Girard
L’inauguration majestueuse de l’ère « post-chrétienne » est une plaisanterie. Nous sommes dans un ultra-christianisme caricatural qui essaie d’échapper à l’orbite judéo-chrétienne en « radicalisant » le souci des victimes dans un sens antichrétien. (…) Jusqu’au nazisme, le judaïsme était la victime préférentielle de ce système de bouc émissaire. Le christianisme ne venait qu’en second lieu. Depuis l’Holocauste , en revanche, on n’ose plus s’en prendre au judaïsme, et le christianisme est promu au rang de bouc émissaire numéro un. (…) Le mouvement antichrétien le plus puissant est celui qui réassume et « radicalise » le souci des victimes pour le paganiser. (…) Comme les Eglises chrétiennes ont pris conscience tardivement de leurs manquements à la charité, de leur connivence avec l’ordre établi, dans le monde d’hier et d’aujourd’hui, elles sont particulièrement vulnérables au chantage permanent auquel le néopaganisme contemporain les soumet. René Girard
Alors que d’habitude l’accusation cloue la victime sur la Croix, ici au contraire l’accusation est elle-même clouée et en quelque sorte exhibée et exposée en tant que mensongère. La Croix fait triompher la vérité car, dans les récits évangéliques, la fausseté de l’accusation est révélée, l’imposture de Satan ou, ce qui revient au même, celle des principautés et des puissances est à jamais discréditée dans le sillage de la crucifixion. Ce sont toutes les victimes du même type qui sont réhabilitées. (…) Ce n’est pas seulement l’accusation qui est clouée à la Croix, et exposée au regard de tous : les principautés et les puissances elles-mêmes sont données en spectacle à la face du monde et entraînées dans le cortège triomphal du Christ crucifié, elles aussi sont en quelque sorte crucifiées. Loin d’être fantaisistes et improvisées, ces métaphores sont d’une exactitude à vous couper le souffle en ceci que le révélé et le révélateur ici et là ne font qu’un : dans les deux cas c’est le tous-contre-un dont la vraie nature, mimétique, est dissimulée dans le cas de Satan et des puissances, révélée dans la crucifixion du Christ, dans les récits véridiques de la Passion. La Croix et l’origine satanique des fausses religions et des puissances ne sont qu’un seul et même phénomène, révélé dans un cas, dissimulé dans l’autre. C’est pourquoi Dante, au fond de son Enfer, a représenté Satan cloué sur la croix. Dès que le mécanisme victimaire est correctement épinglé ou plutôt cloué sur la Croix, son caractère dérisoire, insignifiant apparaît au grand jour et tout ce qui repose sur lui dans le monde perd graduellement son prestige, s’affaiblit et finira par disparaître. La métaphore principale est celle du triomphe au sens romain, c’est-à-dire la récompense que Rome accordait à ses généraux victorieux. Debout sur son char le triomphateur faisait une entrée solennelle dans la Ville sous les acclamations de la foule. Dans son cortège figuraient les chefs ennemis enchaînés. Avant de faire exécuter ces derniers, on les exhibait, telles des bêtes féroces réduites à l’impuissance. Vercingétorix joua ce rôle dans le triomphe de César. Le général victorieux est ici le Christ et sa victoire c’est la Croix. Ce dont le christianisme triomphe c’est de l’organisation païenne du monde. Les chefs ennemis enchaînés derrière leur vainqueur sont les principautés et les puissances. L’auteur compare les effets irrésistibles de la Croix à ceux de la force militaire encore toute-puissante au moment où il écrivait, l’armée romaine. (…) Mais il y a dans cette triomphante métaphore un paradoxe trop évident pour ne pas être délibéré, pour ne pas relever d’une intention ironique. La violence militaire est aussi étrangère que possible à ce dont parle réellement l’épître. La victoire du Christ n’a rien à voir avec celle d’un général victorieux : au lieu d’infliger sa violence aux autres, le Christ la subit. Ce qu’il faut retenir ici dans l’idée du triomphe ce n’est pas l’aspect militaire, c’est l’idée d’un spectacle offert à tous les hommes, c’est l’exhibition publique de ce que l’ennemi aurait dû dissimuler afin de se protéger, afin de persévérer dans son être que lui dérobe la Croix. Loin d’être obtenu par la violence, le triomphe de la Croix est le fruit d’un renoncement si total que la violence peut se déchaîner tout son saoul sur le Christ, sans se douter qu’en se déchaînant, elle rend manifeste ce qu’il lui importe de dissimuler, sans soupçonner que ce déchaînement va se retourner contre elle cette fois car il sera enregistré et représenté très exactement dans les récits de la Passion. (…) L’idée du triomphe de la Croix paraît tellement absurde aux yeux des exégètes soi-disant scientifiques qu’ils y voient volontiers une de ces inversions complètes auxquelles les désespérés soumettent le réel lorsque leur univers s’effondre et qu’ils ne peuvent plus affronter la vérité… C’est ce que les psychiatres appellent un phénomène de compensation. Les êtres dévastés par une catastrophe irréparable, privés de tout espoir concret, intervertissent tous les signes qui les renseignent sur le réel : de tous les moins ils font des plus et de tous les plus ils font des moins. C’est ce qui est arrivé aux disciples de Jésus après la crucifixion, c’est ce que les croyants appellent la Résurrection. (…) La plupart des hommes, lorsqu’ils réfléchissent à la Croix, ne voient que l’événement dans sa brutalité, la mort terrible de Jésus qui s’est déroulée, semble-t-il, de façon à infliger au triomphalisme de notre épître le démenti le plus cinglant. (…) En clouant le Christ sur la Croix les puissances croyaient faire ce qu’elles font d’habitude en déclenchant le mécanisme victimaire, elles croyaient écarter une menace de révélation, elles ne se doutaient pas qu’en fin de compte,, elles faisaient tout le contraire, elles travaillaient à leur propre anéantissement, elles se clouaient elles-mêmes sur la Croix en quelque sorte, dont elles ne soupçonnaient pas le pouvoir révélateur. En privant le mécanisme victimaire des ténèbres dont il doit s’entourer pour gouverner toutes choses, la Croix bouleverse le monde. Sa lumière prive Satan de son pouvoir principal, celui d’expulser Satan. (…) La souffrance de la Croix est le prix que Jésus accepte de payer pour offrir à l’humanité cette représentation vraie de l’origine dont elle reste prisonnière, et pour priver à la longue le mécanisme victimaire de son efficacité. Dans le triomphe d’un général victorieux, l’exhibition humiliante du vaincu est seulement une conséquence de la victoire, alors qu’ici c’est cette victoire elle-même, c’est le dévoilement de l’origine violente. Ce n’est pas parce qu’elles sont défaites que les puissances sont données en spectacle, c’est parce qu’elles sont données en spectacle qu’elles sont défaites. Il y a de l’ironie donc dans la métaphore du triomphe militaire et ce qui la rend savoureuse, c’est le fait que Satan et ses cohortes ne respectent que la puissance. Ils ne pensent qu’en termes de triomphe militaire. Ils sont donc battus par une arme dont l’efficacité leur est inconcevable, elle contredit toutes leurs croyances, toutes leurs valeurs. C’est l’impuissance la plus radicale qui triomphe du pouvoir d’auto-expulsion satanique. (…) Pour appréhender le malentendu dans son énormité, il faut le transposer dans une affaire de victime injustement condamnée, une affaire si bien éclaircie désormais qu’elle exclut tout malentendu. À l’époque où le capitaine Dreyfus, condamné pour un crime qu’il n’avait pas commis, purgeait sa peine à l’autre bout du monde, d’un côté il y avait les « antidreyfusards » extrêmement nombreux et parfaitement sereins et satisfaits car ils tenaient leur victime collective et se félicitaient de la voir justement châtiée. De l’autre côté il y avait les défenseurs de Dreyfus, très peu nombreux d’abord et qui passèrent longtemps pour des traîtres patentés ou, au mieux, pour des mécontents professionnels, de véritables obsédés, toujours occupés à remâcher toutes sortes de griefs et de soupçons dont personne autour d’eux ne voyait le bien-fondé. On cherchait dans la morbidité personnelle ou dans les préjugés politiques la raison du comportement dreyfusard. En réalité, l’antidreyfusisme était un véritable mythe, une accusation fausse universellement confondue avec la vérité, entretenue par une contagion mimétique si surexcitée par le préjugé antisémite qu’aucun fait pendant des années ne parvint à l’ébranler. Ceux qui célèbrent l’« innocence » des mythes, leur joie de vivre, leur bonne santé et qui opposent tout cela au soupçon maladif de la Bible et des Évangiles commettent la même erreur, je pense, que ceux qui optaient hier pour l’antidreyfusisme contre le dreyfusisme. C’est bien ce que proclamait à l’époque un écrivain nommé Charles Péguy. Si les dreyfusards n’avaient pas combattu pour imposer leur point de vue, s’ils n’avaient pas souffert, au moins certains d’entre eux, pour la vérité, s’ils avaient admis, comme on le fait de nos jours, que le fait même de croire en une vérité absolue est le vrai péché contre l’esprit, Dreyfus n’aurait jamais été réhabilité, le mensonge aurait triomphé. Si on admire les mythes qui ne voient de victimes nulle part, et si on condamne la Bible et les Évangiles parce qu’au contraire ils en voient partout, on renouvelle l’illusion de ceux qui, à l’époque héroïque de l’Affaire, refusaient d’envisager la possibilité d’une erreur judiciaire. Les dreyfusards ont fait triompher à grand-peine une vérité aussi absolue, intransigeante et dogmatique que celle de Joseph dans son opposition à la violence mythologique. (…) La preuve qu’il est difficile de comprendre ce que je viens de dire ou trop facile peut-être, c’est que Satan lui-même ne l’a pas compris. Ou plutôt, il l’a compris trop tard pour protéger son royaume. Son manque de rapidité a eu, sur l’histoire humaine, des conséquences formidables. Dans sa première épître aux Corinthiens, Paul écrit : « Si les princes de ce monde avaient connu [la sagesse de Dieu] ils n’auraient pas crucifié le Seigneur de gloire » (1 Co 2, 8). « Les princes de ce monde », qui sont ici la même chose que Satan, ont crucifié le Seigneur de gloire parce qu’ils attendaient de cet événement certains résultats favorables à leurs intérêts. Ils espéraient que le mécanisme fonctionnerait comme d’habitude, à l’abri des regards indiscrets, et qu’ils seraient débarrassés de Jésus et de son message. (…) La crucifixion est un mécanisme victimaire comme les autres, il se déclenche comme les autres, il se déroule comme les autres et pourtant il a des résultats différents de tous les autres. (…) A partir de la phrase de Paul que je viens de citer, Origène et de nombreux Pères de langue grecque ont élaboré une thèse qui a joué un grand rôle pendant des siècles, celle de Satan dupé par la Croix. Dans cette formule, Satan équivaut à ceux que saint Paul nomme les « princes de ce monde ». Dans le christianisme occidental, cette thèse n’a jamais connu la même faveur qu’en Orient et finalement, pour autant que je sache, elle a complétement disparu. On l’a même soupçonnée de « pensée magique ». On se demande si elle ne fait pas jouer à Dieu un rôle indigne de lui. Elle assimile la Croix à une espèce de piège divin, une ruse de Dieu, plus forte encore que les ruses de Satan. Sous la plume de certains Pères une métaphore bizarre surgit qui a contribué à la méfiance occidentale. Le Christ est comparé à l’appât que le pêcheur accroche à son hameçon pour prendre au piège de sa gourmandise un poisson qui n’est autre que Satan. Le rôle que cette thèse fait jouer à Satan inquiète les Occidentaux. À mesure que le temps passe, le rôle du diable se rétrécit dans la pensée théologique. Sa disparition est fâcheuse dans la mesure où Satan ne fait qu’un avec le mimétisme conflictuel seul capable d’éclairer la signification véritable et la légitimité de la conception patristique. La découverte du cycle mimétique, ou satanique, permet de comprendre que la thèse de Satan dupé par la Croix contient une intuition essentielle. Elle tient compte du type d’obstacle que les conflits mimétiques opposent à la révélation chrétienne. (…) En rejetant l’idée de Satan dupé par la Croix, l’Occident se prive d’une richesse irremplaçable dans le domaine de l’anthropologie. Les théories médiévales et modernes de la rédemption vont toutes chercher du côté de Dieu, de son honneur, de sa justice, ou même de sa colère, ce qui fait obstacle au salut. Elles ne réussissent pas à trouver l’obstacle là où elles devraient le chercher, dans l’humanité pécheresse, dans les rapports entre les hommes, dans le mimétisme conflictuel, qui est la même chose que Satan. Elles parlent beaucoup de péché originel mais elles ne parviennent pas à en concrétiser l’idée. C’est pourquoi, même si elles sont théologiquement vraies, elles donnent une impression d’arbitraire et d’injustice envers l’humanité. Une fois le mauvais mimétisme repéré, l’idée de Satan dupé par la Croix acquiert un sens précis que les Pères grecs visiblement pressentaient sans parvenir à l’expliciter d’une façon entièrement satisfaisante. (…) Si Dieu a permis à Satan de régner un certain temps sur l’humanité c’est parce qu’il savait à l’avance que le moment venu, le Christ aurait raison de cet adversaire en mourant sur la Croix. La sagesse divine avait prévu depuis toujours que le mécanisme victimaire serait retourné comme un gant, dévoilé, éventé, désamorcé dans les récits de la Passion et que ni Satan ni les puissances ne pourraient empêcher cette révélation. En déclenchant le mécanisme victimaire contre Jésus, Satan croyait protéger son royaume, défendre son bien, sans se rendre compte qu’il faisait tout le contraire. Il faisait exactement ce que Dieu souhaitait qu’il fît. Seul Satan pouvait mettre en route, sans s’en douter, le processus de sa propre destruction. La thèse de Satan dupé par la Croix a besoin d’être complétée par une définition claire de ce qui emprisonne les hommes dans le royaume de Satan, et cette définition seuls le mimétisme conflictuel et sa conclusion victimaire peuvent la fournir. Il ne faut pas en conclure qu’il suffit de repérer le mimétisme pour en être débarrassé. Le texte de Paul d’où j’ai extrait la phrase que je viens de commenter est porté par un souffle spirituel extraordinaire. Paul y pressent l’existence d’un plan divin qui porte sur toute l’histoire humaine, et qu’il ne peut pas vraiment formuler. Il débouche sur des balbutiements extatiques plutôt que sur une thèse pleinement développée. Il évoque une sagesse mystérieuse, demeurée cachée, celle que dès avant les siècles Dieu a par avance destinée pour notre gloire, celle qu’aucun des princes de ce monde n’a connue — s’ils l’avaient connue, ils n’auraient pas crucifié le Seigneur de la Gloire. Comme il est écrit, nous annonçons ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme… (1 Co 2, 6-9). Dieu a permis à Satan de régner un certain temps sur l’humanité, prévoyant que, le moment venu, il aurait raison de lui en mourant sur la Croix. Grâce à cette mort, la sagesse divine le savait, le mécanisme victimaire serait neutralisé et, loin de s’opposer efficacement à cela, Satan y participerait sans le savoir. En faisant de Satan la victime d’une espèce de ruse divine, les Pères grecs suggèrent des aspects de la révélation aujourd’hui obscurcis parce qu’ils portent essentiellement sur l’anthropologie de la Croix. (…) L’idée de Satan dupé par la Croix n’est donc pas magique du tout et n’offense nullement la dignité de Dieu. La ruse dont Satan est la victime ne comporte ni la moindre violence ni la moindre dissimulation de la part de Dieu. Ce n’est pas vraiment une ruse, c’est l’impuissance du prince de ce monde à comprendre l’amour divin. Si Satan ne voit pas Dieu, c’est parce qu’il est tout entier mimétisme conflictuel. Il est extrêmement perspicace pour tout ce qui touche aux conflits rivalitaires, aux scandales et à leurs suites persécutrices mais il est aveugle à toute réalité autre que celle-là. Satan fait du mauvais mimétisme ce que j’espère ne pas en faire moi-même, une théorie totalitaire et infaillible qui rend le théoricien, humain ou satanique, sourd et aveugle à l’amour de Dieu pour les hommes et à l’amour des hommes entre eux. C’est Satan qui transforme lui-même son propre mécanisme en un piège dans lequel il tombe. Dieu ne se conduit pas d’une manière déloyale même envers Satan, mais il se laisse crucifier pour le salut des hommes, ce que Satan ne peut absolument pas concevoir. (…) Les Évangiles eux-mêmes attirent notre attention sur la perte de l’unanimité mythique partout où Jésus intervient. Jean en particulier signale à maintes reprises la division entre les témoins après les paroles et les actes de Jésus. Après chaque intervention de Jésus, les témoins se querellent et, loin d’unifier les hommes, son message suscite le désaccord et la division. C’est dans la crucifixion surtout que cette division joue un rôle capital. Sans elle il n’y aurait pas de révélation évangélique ; le mécanisme victimaire ne serait pas représenté. Comme dans les mythes, il serait transfiguré en action juste et légitime. René Girard
Pour l’islam (…) j’aime bien leur symbole, le croissant de lune, je le trouve beaucoup plus beau que la croix, peut-être parce qu’il n’a pas quelqu’un de cloué dessus. Pat Condell
L’islam m’est apparu beaucoup plus direct, simple et cohérent que le catholicisme. Sophie Guillemin
Je voulais que le choc provoqué nous fasse reprendre conscience du scandale de quelqu’un cloué sur une croix. Par habitude on n’éprouve plus de réelles émotions face à quelque chose de véritablement scandaleux, la crucifixion. Mgr Jean-Michel di Falco (évêque de Gap)
Mais, à bien y réfléchir, cette représentation est-elle pire que le symbole habituel du Christ sanguinolent sur une croix, les poignées transpercés par des clous, et le torse tranché par une lance ? Le Post
Mahomet s’est établi en tuant ; Jésus-Christ en faisant tuer les siens. Mahomet en défendant de lire; Jésus-Christ en ordonnant de lire. Enfin cela est si contraire, que si Mahomet a pris la voie de réussir humainement, Jésus-Christ a pris celle de périr humainement. Et au lieu de conclure, que puisque Mahomet a réussi, Jésus-Christ a bien pu réussir ; il faut dire, que puisque Mahomet a réussi, le Christianisme devait périr, s’il n’eût été soutenu par une force toute divine. Pascal
L’Europe (l’Occident) n’est qu’un ensemble de dictatures pleines d’injustices ; l’humanité entière doit frapper d’une poigne de fer ces fauteurs de troubles si elle veut retrouver sa tranquillité. Si la civilisation islamique avait dirigé l’Occident, on ne serait plus contraint d’assister à ces agissements sauvages indignes même des animaux féroces. La foi et la justice islamique exigent de ne pas laisser survivre, dans le monde musulman, les gouvernements anti-islamiques ou ceux qui ne se conforment pas entièrement aux lois islamiques. L’instauration d’un ordre politique laïque revient à entraver la progression de l’ordre islamique. Tout pouvoir laïque, quelle que soit la forme sous laquelle il se manifeste, est forcément un pouvoir athée, oeuvre de Satan ; il est de notre devoir de l’enrayer et de combattre ses effets. Le pouvoir « satanique » ne peut engendrer que la « corruption sur la terre », le mal suprême qui doit être impitoyablement combattu et déraciné. Pour ce faire nous n’avons d’autre solution que de renverser tous les gouvernements qui ne reposent pas sur les purs principes islamiques, et sont donc corrompus et corrupteurs ; de démanteler les systèmes administratifs traîtres, pourris, tyranniques et injustes qui les servent. C’est non seulement notre devoir en Iran, mais c’est aussi le devoir de tous les musulmans du monde, dans tous les pays musulmans, de mener la Révolution Politique Islamique à la victoire finale. La guerre sainte signifie la conquête des territoires non musulmans. Il se peut qu’elle soit déclarée après la formation d’un gouvernement islamique digne de ce nom, sous la direction de l’Imam ou sur son ordre. Il sera alors du devoir de tout homme majeur et valide de se porter volontaire dans cette guerre de conquête dont le but final est de faire régner la loi coranique d’un bout à l’autre de la Terre. Mais que le monde entier sache bien que la suprématie universelle de l’Islam diffère considérablement de l’hégémonie des autres conquérants. Il faut donc que le gouvernement islamique soit d’abord créé sous l’autorité de l’Imam afin qu’il puisse entreprendre cette conquête qui se distinguera des autres guerres de conquête injustes et tyranniques faisant abstraction des principes moraux et civilisateurs de l’Islam. Ayatollah Khomeiny
Pour hâter la désagrégation et la mort du judéo-christianisme, les nazis voyaient bien que la «généalogie» grotesque de Nietzsche ne suffirait pas. Après leur conquête du pouvoir, ils disposaient de ressources très supérieures assurément à celles d’un malheureux philosophe à demi fou. Enterrer le souci moderne des victimes sous d’innombrables cadavres, voilà la façon national-socialiste d’être nietzschéen. (…) Depuis la Seconde Guerre mondiale, une toute nouvelle vague intellectuelle (…) a accumulé des montagnes de sophismes pour acquitter leur penseur préféré de toute responsabilité dans l’aventure nationale-socialiste. Nietzsche n’en reste pas moins l’auteur des seuls textes susceptibles d’éclairer la monstruosité nazie. René Girard
Le christianisme (…) nous a fait passer de l’archaïsme à la modernité, en nous aidant à canaliser la violence autrement que par la mort.(…) En faisant d’un supplicié son Dieu, le christianisme va dénoncer le caractère inacceptable du sacrifice. Le Christ, fils de Dieu, innocent par essence, n’a-t-il pas dit – avec les prophètes juifs : « Je veux la miséricorde et non le sacrifice » ? En échange, il a promis le royaume de Dieu qui doit inaugurer l’ère de la réconciliation et la fin de la violence. La Passion inaugure ainsi un ordre inédit qui fonde les droits de l’homme, absolument inaliénables. (…) l’islam (…) ne supporte pas l’idée d’un Dieu crucifié, et donc le sacrifice ultime. Il prône la violence au nom de la guerre sainte et certains de ses fidèles recherchent le martyre en son nom. Archaïque ? Peut-être, mais l’est-il plus que notre société moderne hostile aux rites et de plus en plus soumise à la violence ? Jésus a-t-il échoué ? L’humanité a conservé de nombreux mécanismes sacrificiels. Il lui faut toujours tuer pour fonder, détruire pour créer, ce qui explique pour une part les génocides, les goulags et les holocaustes, le recours à l’arme nucléaire, et aujourd’hui le terrorisme. René Girard
La condition préalable à tout dialogue est que chacun soit honnête avec sa tradition. A l’égard de l’islam, les chrétiens ont battu leur coulpe. Au point d’oublier que le Coran a récupéré et transposé leur patrimoine symbolique. Les figures bibliques majeures (Abraham, Moïse, Jésus) sont en effet totalement transformées, islamisées, dans le but d’accuser les » juifs » et les » chrétiens » d’être des falsificateurs de la Révélation, de s’être volontairement détournés de la vérité qu’ils avaient reçue à l’origine. Il y a, dans le Coran, à la fois imitation et rejet du judéo-christianisme. (…) les chrétiens ont repris tel quel le corpus de la Bible hébraïque. Saint Paul parle de » greffe » du christianisme sur le judaïsme, ce qui est une façon de ne pas nier celui-ci. Et, au XXe siècle, les chrétiens ont eu une lucidité critique à l’égard du judaïsme, en reconnaissant qu’ils avaient pu faire une lecture abusive, antijuive de leurs Ecritures. Dans l’islam, le corpus biblique est, au contraire, totalement remanié pour lui faire dire tout autre chose que son sens initial : certains éléments sont montés en épingle, d’autres sont occultés. La récupération sous forme de torsion ne respecte pas le texte originel sur lequel, malgré tout, le Coran s’appuie. René Girard
Dans la foi musulmane, il y a un aspect simple, brut, pratique qui a facilité sa diffusion et transformé la vie d’un grand nombre de peuples à l’état tribal en les ouvrant au monothéisme juif modifié par le christianisme. Mais il lui manque l’essentiel du christianisme : la croix. Comme le christianisme, l’islam réhabilite la victime innocente, mais il le fait de manière guerrière. La croix, c’est le contraire, c’est la fin des mythes violents et archaïques. René Girard
Le mal est séduisant, attirant. Il a l’air presque normal, presque bon, mais pas tout à fait. C’est ce que j’ai essayé de faire avec le Diable dans le film. Le visage de l’acteur est symétrique, beau dans un certain sens, mais pas complètement. Par exemple, on lui a rasé les sourcils. Puis, on l’a filmée presque au ralenti pour ne pas la voir cligner des yeux, ce qui n’est pas normal. On l’a doublée en voix d’homme à Gethsémané même s’il est joué par une femme… C’est ça le mal, prendre quelque chose de bien et le déformer un peu. » [Quant au bébé laid], encore une fois, c’est le mal qui déforme ce qui est bien. Quoi de plus tendre et beau qu’une mère et un enfant ? Ainsi, le diable prend cela et le déforme un tout petit peu. Au lieu d’une mère et d’un enfant normaux, vous avez une silhouette androgyne tenant un « bébé » de 40 ans avec des poils sur le dos. C’est bizarre, c’est choquant, c’est presque trop – tout comme retourner Jésus pour continuer à le flageller sur la poitrine est choquant et presque trop, c’est le moment exact où cette apparition du diable et du bébé a lieu. Mel Gibson
Pour restituer à la crucifixion sa puissance de scandale, il suffit de la filmer telle quelle, sans rien y ajouter, sans rien en retrancher. Mel Gibson a-t-il réalisé ce programme jusqu’au bout ? Pas complètement sans doute, mais il en a fait suffisamment pour épouvanter tous les conformismes. René Girard
Peut-on imaginer plus grand scandale que celui triple d’une religion dont la divinité non seulement s’incarne sous forme humaine mais se sacrifie elle-même?
En ces temps où l’athéisme et la critique bien-pensante du christianisme semblent retrouver une toute nouvelle vigueur…
Où tant de nos contemporains se tournent vers d’autres religions plus respectables comme la (littéralement) légendaire non-violence du bouddhisme ou, pour certains de nos sportifs ou actrices, l’islam lui-même qui a la décence de refuser la croix et la mort réelle du Christ (remplacé, selon le Coran on le sait, par une autre victime) …
Et où, comme l’avait montré il y a quelques années la polémique soulevée par le film de Mel Gibson ou cette semaine même le Christ sur chaise électrique du Britannique Paul Fryer exposé dans la cathédrale de Gap, certains chrétiens mêmes sont tentés de transformer leur églises en « sortes de clubs humanitaires » où « parler de Dieu paraît un peu impoli »…
Retour, en ce weekend pascal où les juifs célèbrent leur libération de l’esclavage égyptien …
Sur cette bien affreuse religion dont la notoire et maladive obsession pour la violence lui fait prendre pour emblème un instrument d’exécution et de torture …
Et qui, comme le rappelle René Girard, s’obstine à révéler, derrière la « magnifique fourrure » extérieure de toute religion qui se respecte, la « peau sanglante » qui en est l’inévitable envers…
Révélant ainsi, en une sorte de « piège divin », l’inévitable violence qui est partie inhérente de notre condition humaine (la « pessah » ou « passover », comme le dit bien l’anglais n’est-ce pas aussi l’ange de la mort qui épargne les maisons badigeonnées de sang et l’exode d’Egypte n’est-il pas en fait une expulsion?).
Mais aussi par conséquent l’inévitabilité du choix, pour la juguler, du sacrifice de l’autre (humain puis animal ou, via le système mosaïque puis judiciaire, l’humain hors la loi comme la femme adultère ou tout particulièrement pour l’islam, la guerre sainte contre les infidèles) ou de soi (comme la très christique bonne prostituée du jugement de Salomon prête à sacrifier son désir de mère pour sauver la vie de son enfant) …
Extraits:
Les Psaumes sont comme une fourrure magnifique de l’extérieur, mais qui, une fois retournée, laisse découvrir une peau sanglante. Ils sont typiques de la violence qui pèse sur l’homme et du recours que celui-ci trouve dans son Dieu.
» Nos modes intellectuelles ne veulent voir de la violence que dans les textes, mais d’où vient réellement la menace ? Aujourd’hui, nous vivons dans un monde dangereux où tous les mouvements de foule sont violents. Cette foule était déjà violente dans les Psaumes. Elle l’est dans le récit de Job. Elle demande à Job de se reconnaître coupable : c’est un vrai procès de Moscou qu’on lui fait. Procès prophétique. N’est-ce pas celui du Christ adulé par les foules, puis rejeté au moment de la Passion ? Ces récits annoncent la croix, la mort de la victime innocente, la victoire sur tous les mythes sacrificiels de l’Antiquité.
Ce qui me frappe dans l’histoire de l’islam, c’est la rapidité de sa diffusion. Il s’agit de la conquête militaire la plus extraordinaire de tous les temps. Les barbares s’étaient fondus dans les sociétés qu’ils avaient conquises, mais l’islam est resté tel qu’il était et a converti les populations des deux tiers de la Méditerranée. Ce n’est donc pas un mythe archaïque comme on aurait tendance à le croire. J’irais même jusqu’à dire que c’est une reprise – rationaliste à certains points de vue – de ce qui fait le christianisme, une sorte de protestantisme avant l’heure. Dans la foi musulmane, il y a un aspect simple, brut, pratique qui a facilité sa diffusion et transformé la vie d’un grand nombre de peuples à l’état tribal en les ouvrant au monothéisme juif modifié par le christianisme. Mais il lui manque l’essentiel du christianisme : la croix. Comme le christianisme, l’islam réhabilite la victime innocente, mais il le fait de manière guerrière. La croix, c’est le contraire, c’est la fin des mythes violents et archaïques.
» Est-ce si différent dans l’islam ? Ils contiennent aussi de formidables intuitions prophétiques sur le rapport entre la foule, les mythes, les victimes et le sacrifice. Dans la tradition musulmane, le bélier sacrifié à Abel est le même que celui qui a été envoyé par Dieu à Abraham pour qu’il épargne son fils. Parce qu’Abel sacrifie des béliers, il ne tue pas son frère. Parce que Caïn ne sacrifie pas d’animaux, il tue son frère. Autrement dit, l’animal sacrificiel évite le meurtre du frère et du fils. C’est-à-dire qu’il fournit un exutoire à la violence. Ainsi y a-t-il, chez Mahomet, des intuitions qui sont au niveau de certains des plus grands prophètes juifs, mais en même temps un souci d’antagonisme et de séparation du judaïsme et du christianisme qui peut rendre notre interprétation négative.
« Tu n’as voulu ni sacrifice ni oblation…Donc j’ai dit : Voici, je viens ». Que signifie ce « donc » ? Il veut dire : « Tu n’a voulu ni sacrifice ni oblation » donc il n’y a plus de sacrifice et donc les hommes sont exposés à la violence et il n’y a plus que deux choix : soit on préfère subir la violence soit on cherche à l’infliger à autrui. Le Christ veut nous dire entre autres choses : il vaut mieux subir la violence (c’est le sacrifice de soi) que de l’infliger à autrui.
Oui, un sacrifice intérieur ou sacrifice de soi : « Voici que Je viens pour faire sa volonté ». Il faut faire référence à la bonne prostituée, dans le Jugement de Salomon que j’évoquais trop rapidement tout à l’heure : elle préfère lâcher l’enfant, elle donc est la vraie mère.
Je crois que le moment décisif en Occident est l’invention de l’hôpital. Les primitifs s’occupent de leurs propres morts. Ce qu’il y a de caractéristique dans l’hôpital c’est bien le fait de s’occuper de tout le monde. C’est l’hôtel-Dieu donc c’est la charité. Et c’est visiblement une invention du Moyen-Age.
Le vrai problème est celui de la vérité scientifique. Popper m’oppose toujours la « vérifiabilité ». Il m’assure que ma thèse n’est pas vérifiable. Je lui réponds que la thèse de l’évolution ne l’est pas non plus indubitablement. D’autre part, il y a toutes sortes de choses dont nous sommes certains. C’est la direction que je prends maintenant. C’est ce que l’on nomme en anglais le « common knowledge », le savoir commun. Aujourd’hui vous n’avez pas besoin d’expliquer que les sorcières ne sont pas coupables, malgré la chasse aux sorcières du 15ème siècle. Il s’agit là de « common knowledge » dans la mesure où personne ne vous réfutera car cela va de soi, cela est évident. La question est de savoir si ce « common knowledge » fait partie de la science. Je réponds : oui mais c’est une science tellement certaine qu’elle n’a pas à se démontrer, une science qui a trop de vérifications qui sont là possibles pour qu’il soit nécessaire d’en épuiser la liste.
L’idée selon laquelle on ne peut arriver au « certum » à partir des textes est une idée constamment démentie par l’existence du système judiciaire, du système de la preuve. La question est de savoir à partir de quel moment on est vraiment dans le « certum ». Dans l’anthropologie il n’y a pas de vérification immédiate puisque tout est indirect. Tout est lié à la multiplication des indices donc c’est bien une attitude scientifique. Le travail de l’ethnologue nécessite cette multiplication d’indices indirects.
Abel n’a pas envie de tuer son frère peut-être parce qu’il sacrifie des animaux et Caïn, c’est l’agriculteur. Et là, il n’y a pas de sacrifices d’animaux. Caïn n’a pas d’autre moyen d’expulser la violence que de tuer son frère. Il y a des textes tout à fait extraordinaires dans le Coran qui disent que l’animal envoyé par Dieu à Abraham pour épargner Isaac est le même animal qui est tué par Abel pour l’empêcher de tuer son frère.
Il y a deux grandes attitudes à mon avis dans l’histoire humaine, il y a celle de la mythologie qui s’efforce de dissimuler la violence, car, en dernière analyse, c’est sur la violence injuste que les communautés humaines reposent. (…) Cette attitude est trop universelle pour être condamnée. C’est l’attitude d’ailleurs des plus grands philosophes grecs et en particulier de Platon, qui condamne Homère et tous les poètes parce qu’ils se permettent de décrire dans leurs oeuvres les violences attribuées par les mythes aux dieux de la cité. Le grand philosophe voit dans cette audacieuse révélation une source de désordre, un péril majeur pour toute la société. Cette attitude est certainement l’attitude religieuse la plus répandue, la plus normale, la plus naturelle à l’homme et, de nos jours, elle est plus universelle que jamais, car les croyants modernisés, aussi bien les chrétiens que les juifs, l’ont au moins partiellement adoptée.
L’autre attitude est beaucoup plus rare et elle est même unique au monde. Elle est réservée tout entière aux grands moments de l’inspiration biblique et chrétienne. Elle consiste non pas à pudiquement dissimuler mais, au contraire, à révéler la violence dans toute son injustice et son mensonge, partout où il est possible de la repérer. C’est l’attitude du Livre de Job et c’est l’attitude des Evangiles. C’est la plus audacieuse des deux et, à mon avis, c’est la plus grande. C’est l’attitude qui nous a permis de découvrir l’innocence de la plupart des victimes que même les hommes les plus religieux, au cours de leur histoire, n’ont jamais cessé de massacrer et de persécuter. C’est là qu’est l’inspiration commune au judaïsme et au christianisme, et c’est la clef, il faut l’espérer, de leur réconciliation future. C’est la tendance héroïque à mettre la vérité au-dessus même de l’ordre social. C’est à cette aventure-là, il me semble, que le film de Mel Gibson s’efforce d’être fidèle.
Entretien avec René Girard
Laurent Linneuil – Abbé de Tanoüarn
Nouvelle revue CERTITUDES – n°16
On ne présente plus René Girard aux lecteurs de Certitudes. Cet anthropologue français vivant aux Etats-unis propose une extraordinaire grille de lecture des mythes archaïques, dont, selon lui, nous dépendons encore aujourd’hui et dont seul l’Evangile nous délivre efficacement. D’après lui, toute la culture humaine provient d’un meurtre primitif, dont il attribue le processus au diable. Nous avons eu la chance, Laurent Linneuil et moi, de pouvoir discuter à bâtons rompus durant deux heures, avec ce penseur original et profond… dont l’apport risque de révolutionner non seulement les sciences humaines mais la philosophie et même, vous le verrez, la théologie. Il s’est plié, avec une extraordinaire bonne grâce au feu roulant de nos questions… (GT)
Certitudes : René Girard, le fait d’avoir intitulé votre livre Les origines de la culture était-ce un souhait de réorienter le commentaire de votre œuvre vers un aspect méconnu, l’aspect fondateur de la violence ?
René Girard : Oui, l’aspect fondateur de la violence est mal compris, mal perçu. En anglais, on parle de titre programmatique c’est-à-dire un titre qui sert le public. Mais auparavant, j’ai toujours eu des titres plutôt « sensationnels », mais cela ne marche plus du tout…
C : Et donc pour ce livre, vous avez pris un titre moins scandaleux et plus classique qui symbolise l’ensemble de votre recherche. N’est-ce pas aussi une façon de répondre à l’une des accusations qui est souvent faite à votre pensée d’être exagérément pessimiste ?
R.G : Il s’agit ici d’un titre programmatique qui d’une certaine manière apparaît plus explicatif que les autres. Pour le fait qu’il symbolise l’ensemble de mon œuvre, on a déjà dit cela de mon dernier livre Je vois Satan tomber comme l’éclair … Mais « Je vois Satan tomber comme l’éclair » est une parole très ambiguë parce qu’où tombe-t-il ? Sur la terre…Et c’est le moment où justement il fait le plus de mal en tombant sur la terre. Il devient libre de faire ce qu’il veut ; c’est donc une parole souvent interprétée dans un sens apocalyptique. C’est l’annonce de la fin de Satan bien sûr mais non pas sa fin immédiate dans la mesure où il est libéré. Il y a aussi le symbolisme de la ligature – si j’ose dire – de Satan et de sa libération.
« Il cria : Mort ! – les poings tendus vers l’ombre vide. Ce mot plus tard fut homme et s’appela Caïn. Il tombait. » ( Victor Hugo) La Fin de Satan
C : Alors Satan est libéré quand il est dans les liens de la culture…
R.G : En effet. Est-ce que cela signifie que Satan n’est plus tenu ? Souvenez-vous du texte où il est dit que « c’est par Belzébuth que tu expulses le démon » et Jésus répond : « Si ce n’est pas par Belzébuth mais par Dieu que j’expulse le démon, etc. ». L’idée que « c’est par Belzébuth que tu expulses le démon » est très profonde : bien des interlocuteurs de Jésus affirment qu’il y a une expulsion du démon qui se fait par Satan. Il s’agit ici de l’expulsion de la culture. Mais dans le judaïsme de l’époque il se pratique des sacrifices ; comment celui-ci interprète-il ces sacrifices ? Je suis sûr qu’il y a des prophètes, très soupçonneux à l’égard de ces sacrifices, qui demandent à ce qu’ils cessent et disent que Dieu est contre tout cela. Et je pense que cet aspect a été minimisé.
C : Et c’est la raison pour laquelle vous dites dans Quand ces choses commenceront que Satan c’est l’ordre…
R.G : Satan, jusqu’à un certain point, c’est l’ordre culturel dans ce qu’il a de violent. Mais il faut se méfier : cela ne signifie pas que l’on peut condamner cet ordre parce que de toute façon le mouvement sacrificiel va vers toujours moins de violence. Et il est bien évident, s’il est vrai comme je le dis que la violence est en quelque sorte fatale dans l’humanité qui ne pourrait pas s’organiser s’il n’y avait pas de sacrifice, que les sacrifices sont nécessaires et acceptés par Dieu. On peut se référer à des paroles évangéliques telles que : « Si Dieu vous a permis de répudier votre femme… ». Dieu a fait des concessions dans le judaïsme classique qui ne sont plus là dans le christianisme dans la mesure où le principe sacrificiel est révélé.
C : A partir du moment où le meurtre fondateur débouche sur le sacrifice et que l’on s’éloigne du meurtre original le sacrifice tend à se transformer en rite, en institution de moins en moins violente ?
R.G : Le sacrifice s’institutionnalise par le changement de la victime – j’admire ce que dit Kierkegaard du sacrifice d’Abraham. Le sens principal est donc historique : c’est le passage du sacrifice humain au sacrifice animal qui représente un progrès immense et que le judaïsme est le seul à interpréter dans le sacrifice d’Isaac. Le seul à le symboliser dans une grande scène qui est une des premières scènes de l’Ancien Testament. Il ne faut pas oublier ce dont ce texte tient compte et dont la tradition n’a pas assez tenu compte : tout l’Ancien Testament se situe dans le contexte du sacrifice du premier né. Rattacher le christianisme au sacrifice du premier né est absurde, mais derrière le judaïsme se trouve ce qu’il y a dans toutes les civilisations moyen-orientales, en particulier chez les Phéniciens : le sacrifice des enfants. Lorsque Flaubert le représente dans Salambo, Sainte-Beuve avait bien tort de se moquer de lui parce que ce dont parle Flaubert est très réel. Les chercheurs ont découvert dans les cimetières de Carthage des tombes qui étaient des mélanges d’animaux à demi-brulés et d’enfants à la naissance à demi-brulés. Il a beaucoup été reproché à Flaubert la scène du dieu Moloch où les parents carthaginois jettent leurs enfants dans la fournaise. Or, les dernières recherches lui donnent raison contre Sainte-Beuve. En définitive, c’est le romancier qui a raison : cette scène est l’un des éléments les plus terrifiants et magnifiques de Salambo. La mode intellectuelle de ces dernières années selon laquelle la violence a été inventée par le monde occidental à l’époque du colonialisme est une véritable absurdité et les archéologues n’en ont pas tenu compte. Aux Etats-Unis, des programmes de recherche se mettent en place notamment sur les Mayas. Ces derniers ont souvent été considérés comme des « anti-Aztèques » : ils n’auraient pas pratiqué de sacrifices humains. Pourtant, dès que l’on fait la moindre fouille, on découvre des choses extraordinaires : chez les Mayas, il y a des kilomètres carrés de villes enfouies. C’est une population formidable avec de nombreux temples et les traces du sacrifice humain y sont partout : des crânes de petits-enfants mêlés à des crânes d’animaux.
C : Ce qui est assez surprenant dans votre relecture de la Bible c’est qu’en plaçant la violence au cœur des rapports humains comme vous le faites, on vous sent presque tentés de déplacer le péché originel d’Adam et Eve à Caïn et Abel…
R.G : C’est une très bonne observation. Les scènes d’Adam et Eve renvoient précisément au désir mimétique : Eve reçoit le désir du serpent et Adam le reçoit d’Eve et lorsque Dieu pose la question par la suite, on refait la même chaîne à l’envers. Adam dit « c’est elle » et Eve dit « C’est le serpent ». D’ailleurs, le serpent est vraiment le premier responsable puisqu’il est plus puni par Dieu que n’importe qui. Mais la première conséquence de cet acte c’est Caïn et Abel. Et le fait que l’un soit la cause de l’autre n’est pas très développé. Adam et Eve, c’est la rivalité mimétique, c’est le désir mimétique qui se communique de l’un à l’autre et par la suite, la guerre des frères ennemis et la fondation de la communauté. Ce qu’il y a de plus frappant dans l’histoire de Caïn et Abel c’est que le texte nous dit : la première société fut fondée par Caïn mais il n’est pas dit comment. En réalité, l’acte fondateur c’est le meurtre d’Abel. Est-ce clair pour les exégètes ? Je ne le crois pas.
C : Vous montrez en effet que c’est le meurtre qui fonde l’interdiction du meurtre…
R.G : Bien sûr. Il y a d’ailleurs un article de Josep Fornari qui porte sur ce que l’on appelait au XIX° siècle, le caïnisme. Des écrivains comme Nerval, de tradition ésotérique, se sont beaucoup intéressés à ce sujet dans lequel ils voyaient souvent un « diabolisme littéraire » mais en même temps quelque chose de très fécond. On ne sait jamais ce que c’est précisément parce que les critiques littéraires qui en parlent n’approfondissent jamais. Il y a des textes de Nerval qui font allusion au caïnisme, c’est-à-dire aux aspects ésotériques et noirs du romantisme dans le religieux. Des écrivains comme Joseph de Maistre y ont été sensibles. Ils ont influencé ensuite des penseurs comme René Guénon. Je n’appartiens pas, bien sûr, à ce courant, mais le terme de « caïnisme » m’intéresse parce que c’est l’idée d’insister sur le caractère meurtrier de l’homme. Nerval adorait l’ésotérisme, mais en même temps il ne menait pas trop loin ses recherches. Le caïnisme était chez lui plus poétique qu’érudit. Mais je m’interroge pour savoir à quoi cela correspond vraiment sur le plan de la pensée : quelle définition claire donner du caïnisme ?
C : L’exégèse classique, dans la lecture d’Adam et Eve, insiste sur le péché d’orgueil et vous déplacez cette lecture sur le plan du désir mimétique…
R.G : Il est facile de trouver les textes évangéliques sur le fait que Satan est meurtrier depuis le commencement : « Vous êtes du diable, votre père. Il était homicide dès le commencement » (St Jean, 8, 44). Dans ce chapitre 8 de Saint Jean qui donne à voir le début de la culture, il est donc dit : « Vous vous croyez les fils de Dieu, mais vous êtes très évidemment les fils de Satan puisque vous ne savez même pas de quoi il retourne. Vous vous croyez fils de Dieu dans une suite naturelle sans vous douter que vous restez dans le sacrifice. » Mais ces textes ne sont jamais vraiment lus. Que reproche saint Jean aux Juifs ? En quoi se distingue-t-il du judaïsme orthodoxe dans ce reproche… ? Voilà de vraies questions…
C : Il reproche aux Juifs de valoriser leur filiation établie…
R.G : Oui, sans voir leur propre violence, sans voir le péché originel d’une certaine façon. « Notre père, c’est Abraham. » Jésus leur dit : « Si vous étiez enfants d’Abraham, vous feriez les œuvres d’Abraham ». (St Jean, 8, 39). Or, c’est la vérité qui rend libre. Cela amène à montrer comment le péché originel, même s’il n’est pas question de le définir, est lié à la violence et au religieux tel qu’il est dans les religions archaïques ou dans le christianisme déformé par l’archaïsme dont il ne parvient pas à triompher totalement dans l’Histoire. Je me garderais bien de définir le péché originel.
C : Mais ce qui paraît très étonnant c’est le fait que dans la Bible on ne connaisse pas la raison pour laquelle Abel est préféré à Caïn…
R.G : Il y a peut-être, paradoxalement, une raison qui est visible dans l’islam. Abel est celui qui sacrifie des animaux et nous sommes au stade : Abel n’a pas envie de tuer son frère peut-être parce qu’il sacrifie des animaux et Caïn, c’est l’agriculteur. Et là, il n’y a pas de sacrifices d’animaux. Caïn n’a pas d’autre moyen d’expulser la violence que de tuer son frère. Il y a des textes tout à fait extraordinaires dans le Coran qui disent que l’animal envoyé par Dieu à Abraham pour épargner Isaac est le même animal qui est tué par Abel pour l’empêcher de tuer son frère. Cela est fascinant et montre que le Coran n’est pas insignifiant sur le plan biblique. C’est très métaphorique mais d’une puissance incomparable. Cela me frappe profondément. Vous avez des scènes très comparables dans l’Odyssée, ce qui est extraordinaire. Celles du Cyclope. Comment échappe-t-on au Cyclope ? En se mettant sous la bête. Et de la même manière qu’Isaac tâte la peau de son fils pour reconnaître, croit-il, Jacob alors qu’il y a une peau d’animal, le Cyclope tâte l’animal et voit qu’il n’y a pas l’homme qu’il cherche et qu’il voudrait tuer. Il apparaît donc que dans l’Odyssée l’animal sauve l’homme. D’une certaine manière, le troupeau de bêtes du Cyclope est ce qui sauve. On retrouve la même chose dans les Mille et une nuits, beaucoup plus tard, dans le monde de l’islam et cette partie de l’histoire du Cyclope disparaît, elle n’est plus nécessaire, elle ne joue plus un rôle. Mais dans l’Odyssée il y a une intuition sacrificielle tout-à-fait remarquable.
C : Vous avez dit que cet aspect dénonciateur du meurtre fondateur dans le discours de Jésus avait été assez mal compris – on y voit souvent de l’antisémitisme. Pour quelle raison l’avènement du christianisme, s’il a été si mal compris, n’a-t-il pas provoqué un déchaînement de la rivalité mimétique ?
R.G : On peut dire que cela aboutit à des déchaînements de rivalité mimétique, d’opposition de frères ennemis. La principale opposition de frères ennemis dans l’Histoire, c’est bien les juifs et les chrétiens. Mais le premier christianisme est dominé par l’Epître aux Romains qui dit : la faute des juifs est très réelle, mais elle est votre salut. N’allez surtout pas vous vanter vous chrétiens. Vous avez été greffés grâce à la faute des juifs. On voit l’idée que les chrétiens pourraient se révéler tout aussi indignes de la Révélation chrétienne que les juifs se sont révélés indignes de leur révélation. Je crois profondément que c’est là qu’il faut chercher le fondement de la théologie contemporaine. Le livre de Mgr Lustiger, La Promesse, est admirable notamment ce qu’il dit sur le massacre des Innocents et la Shoah. Il faut reconnaître que le christianisme n’a pas à se vanter. Les chrétiens héritent de Saint Paul et des Evangiles de la même façon que les Juifs héritaient de la Genèse et du Lévitique et de toute la Loi. Mais ils n’ont pas compris cela puisqu’ils ont continué à se battre et à mépriser les Juifs.
C : Ils ont continué à être dans l’ordre sacrificiel. Mais la Chrétienté n’est-elle pas alors une contradiction dans les termes ? Une société chrétienne est-elle possible ? Les chrétiens ne sont-ils pas toujours des contestataires de l’ordre et de Satan et donc des marginaux ?
R.G : Oui, ils ont recréé de l’ordre sacrificiel. Ce qui est historiquement fatal et je dirais même nécessaire. Un passage trop brusque aurait été impossible et impensable. Nous avons eu deux mille ans d’histoire et cela est fondamental. Mon travail a un rapport avec la théologie, mais il a aussi un rapport avec la science moderne en ceci qu’il historicise tout. Il montre que la religion doit être historicisée : elle fait des hommes des êtres qui restent toujours violents mais qui deviennent plus subtils, moins spectaculaires, moins proches de la bête et des formes sacrificielles comme le sacrifice humain. Il se pourrait qu’il y ait un christianisme historique qui soit une nécessité historique. Après deux mille ans de christianisme historique, il semble que nous soyons aujourd’hui à une période charnière – soit qui ouvre sur l’Apocalypse directement, soit qui nous prépare une période de compréhension plus grande et de trahison plus subtile du christianisme. Nous ne pouvons pas fermer l’histoire et nous n’en avons pas le droit.
C : L’Apocalypse pour vous, c’est la fin de l’histoire…
R.G : Oui, pour moi l’Apocalypse c’est la fin de l’histoire. J’ai une vision aussi traditionnelle que possible. L’Apocalypse, c’est l’arrivée du royaume de Dieu. Mais on peut penser qu’il y a des « petites ou des demi-apocalypses » ou des crises c’est-à-dire des périodes intermédiaires…
C : Et vous ne croyez pas à la post-histoire de Philippe Murray ?
R.G : Je l’apprécie beaucoup. Mais je suis sans doute un chrétien plus classique malgré mon historicisme. Il faut prendre très au sérieux les textes apocalyptiques. Nous ne savons pas si nous sommes à la fin du monde, mais nous sommes dans une période-charnière. Je pense que toutes les grandes expériences chrétiennes des époques-charnières sont inévitablement apocalyptiques dans la mesure où elles rencontrent l’incompréhension des hommes et le fait que cette incompréhension d’une certaine manière est toujours fatale. Je dis qu’elle est toujours fatale, mais en même temps elle ne l’est jamais parce que Dieu reprend toujours les choses et toujours pardonne.
C : Comment envisagez-vous la mondialisation du point de vue de votre système ? La mondialisation ne serait-elle pas une répétition de l’Apocalypse ou de la post-histoire ? La mondialisation n’est-ce pas d’abord Babel puisque l’on revient au début de la Genèse et puis l’Apocalypse du fait de la disparition des nations ?
R.G : Oui, il n’y a plus que des forces contraires qui transcendent toute distinction tribale, nationale…
C : Avec une sorte de mondialisation de l’ordre sans possibilité de nouveau recours à la béquille sacrificielle…
R.G : Le principe apocalyptique définit ce que vous avez dit. Dès qu’il y a non possibilité de recours ou même moindre recours, celui qui vit le christianisme d’une façon intense sent ceci. Donc, même s’il se trompe, il considère toujours la fin toute proche et l’expérience devient apocalyptique.
C : Et en même temps nous sommes dans une situation historique inédite où d’une part la béquille sacrificielle serait tombée, et d’autre part, on a supprimé toutes les barrières à la rivalité mimétique…
R.G : Je suis entièrement d’accord avec vous. Je me souviens d’un journal dans lequel il y avait deux articles juxtaposés. Le premier se moquait de l’Apocalypse d’une certaine façon ; le second était aussi apocalyptique que possible. Le contact de ces deux textes qui se faisaient face et qui dans le même temps se donnaient comme n’ayant aucun rapport l’un avec l’autre avait quelque chose de fascinant.
C : Dans votre essai Celui par qui le scandale arrive, on a l’impression que vous envisagez l’idée d’une société non sacrificielle qui pourrait être la plus violente possible dans une sorte d’égalitarisme qui produit le conflit plutôt qu’il ne l’alimente.
R.G : Nous sommes encore proches de cette période des grandes expositions internationales qui regardait de façon utopique la mondialisation comme l’Exposition de Londres – la « Fameuse » dont parle Dostoievski, les expositions de Paris… Plus on s’approche de la vraie mondialisation plus on s’aperçoit que la non-différence ce n’est pas du tout la paix parmi les hommes mais ce peut être la rivalité mimétique la plus extravagante. On était encore dans cette idée selon laquelle on vivait dans le même monde :on n’est plus séparé par rien de ce qui séparait les hommes auparavant donc c’est forcément le paradis. Ce que voulait la Révolution française. Après la nuit du 4 août, plus de problème ! (rires).
C : Cela est vrai sur le plan mondial comme sur le plan interne des sociétés puisqu’il y existe pour les deux de l’égalitarisme qui masque les différences nécessaires.
R.G : L’Amérique connaît bien cela. Il est évident que la non-différence de classe ne tarit pas les rivalités mais les excite à mort avec tout ce qu’il y a de bon et de mortel dans ce phénomène.
C : On remarque un facteur inédit qui est celui de la confrontation de notre société avec une religion qui, elle, n’éprouve aucune répulsion pour la violence. Cette religion, c’est l’islam. Vous réfléchissez en outre beaucoup sur les Veda pour marquer ainsi le caractère universel de votre pensée et l’islam finalement y reste encore un peu marginal…
R.G : Ce sont là des circonstances tout à fait accidentelles. J’ai essayé de lire certaines traductions du Coran, mais elles sont assez rébarbatives. Le livre d’André Chouraqui, Le Coran, m’est un peu tombé des mains ! (rires). Sans le contact avec la langue arabe, la tache est difficile. Il y a deux importantes traductions du Coran : celle de Denise Masson et une plus ancienne rééditée récemment chez Payot : celle d’Edouard Montet. Les différences entre ces traductions sont énormes et l’on n’a pas les moyens d’arbitrer.
C : Les traductions de différentes sourates que donne Anne-Marie Delcambre dans son ouvrage L’islam des interdits montrent clairement comment il y a une légitimité de la violence dans l’Islam principalement dans l’affrontement avec les « Infidèles ». Il se pose ici un défi dont on ne voit pas très bien comment l’Occident peut y répondre…Mais on peut penser à l’idée d’une réforme de l’Islam, idée soutenue par des penseurs comme René Guénon et aujourd’hui par de nombreux musulmans comme Dalil Boubakeur …
R.G : L’Occident peut-il encore y répondre sur le plan spirituel ? Il y a une interprétation de ce qui se passe actuellement selon laquelle nous vivons les avatars de la modernisation de l’Islam. Cette thèse est peut-être vraie, mais quand est-ce que se réalisera cette réforme ? Combien d’années faudra-t-il attendre ?
C : Le problème est que cet Islam se détacherait probablement de ses sources idéologiques. Or le Coran semble difficilement transposable dans une autre perspective.
R.G : C’est toute la difficulté de l’interprétation. La question de la vocalisation est ici essentielle. L’arabe est une langue consonantique comme l’hébreu et si l’on vocalise en araméen, on trouve des traductions différentes. Je ne sais pas comment les spécialistes réagissent à cela. Mais il y a quelque chose d’intéressant dans le fait que la critique historique devienne d’un coup une espèce d’arme. Elle s’en ait pris au christianisme. Il y a donc un bon usage de la critique historique.
Le sens du sacrifice chrétien
C : Pouvez-vous développer les raisons profondes qui ont fait qu’après avoir récusé au terme de « sacrifice » tout usage chrétien, vous disiez dans votre dernier livre ne pas pouvoir vous en passer ? Il est donc important de conserver le terme « sacrifice » dans son usage chrétien en ayant conscience que c’est le contraire du sacrifice archaïque.
R.G : Il y a une histoire à ceci. C’est un théologien allemand, le Père Schweiger, qui m’a conduit à accepter le terme de sacrifice dans son sens chrétien. Je lui ai rendu service pour la rivalité mimétique mais l’utilisation chrétienne de cette notion et de l’idée d’une violence fondatrice nous sont venues ensembles et son ouvrage est paru au même moment que le mien. Donc sur certains points, il devrait être considéré comme le fondateur de la théorie au même titre que moi. Il a essayé pendant plusieurs années de convaincre les théologiens allemands. Les théologiens allemands sont fondamentalement divisés en deux groupes : l’un protestant, l’autre plus bavarois et catholique. Il a réussi à les intéresser à cette thèse et je me suis rendu à leur rassemblement cet été. C’est la première fois que ce groupe de théologiens m’invite à parler de mes thèses. Mais ils ne sont plus ce qu’ils étaient.
C : Vous voulez dire qu’ils n’ont plus la même puissance de travail ?
R.G : Les théologiens allemands dominaient la réflexion dans ce domaine. Et maintenant ce sont les théologiens américains qui dominent. Ils ont de grandes personnalités mais aussi des « farceurs » dont certains alimentent Prieur et Mordillat. Ce que je pense, – dans Des choses cachées depuis la fondation du monde j’essaye de créer une plage non sacrificielle – c’est qu’il y a deux types de sacrifice. Si l’on se fonde, par exemple, sur le jugement de Salomon, on distingue : le sacrifice de soi et le sacrifice de l’autre. Eprouver le désir de parler sans « sacrifice » c’est dire qu’il y a un lieu où l’on peut se situer qui est purement scientifique et qui est étranger à toutes les formes de sacrifice. Donc il y a une objectivité scientifique au sens traditionnel. Nier cette objectivité, c’est dire : « non pas du tout, on est toujours dans une forme de religieux ou dans une autre : il faut se sacrifier soi-même ». D’ailleurs, c’est le Père Schweiger qui énonce cette thèse selon laquelle il faut une conversion personnelle pour comprendre le désir mimétique. Une conversion qui n’est pas nécessairement chrétienne… En tout cas, il faut être capable de se reconnaître coupable de désir mimétique. Et cela, je crois, est essentiel.
C : Vous voulez dire que le sacrifice c’est la conversion, quelle qu’elle soit, chrétienne ou non…
R.G : Le passage du sacrifice de l’autre au sacrifice de soi, c’est la conversion. La preuve, dans les Evangiles, c’est le rapport extrêmement proche qui n’est pas souvent perçu entre la première conversion chrétienne qui est la reconversion de Pierre après son reniement et puis la conversion de Paul, marquée par la parole de Jésus « Pourquoi me persécutes-tu ? ». Quel que soit celui que l’on persécute c’est toujours Jésus que l’on persécute. L’absence de lieu non sacrificiel où l’on pourrait s’installer pour rédiger une science du religieux, qui n’aurait aucun rapport avec lui, est une utopie rationaliste. Autrement dit il n’y a que le religieux chrétien qui lise vraiment de façon scientifique le religieux non chrétien.
C : En défendant le sacrifice chrétien vous défendez le religieux chrétien contre l’idée d’un christianisme qui serait pure foi, sans religion ?
R.G : Oui, d’un christianisme sans religion, ce christianisme irréligieux que l’on voit très bien apparaître dans les attaques contre Mel Gibson qui sont en réalité des attaques contre la Passion elle-même. Des journalistes étaient présents à la sortie des premières séances du film à New-York. Et certains spectateurs disaient : « Mais nous avons changé tout cela, la Passion n’a plus la même importance qu’avant… ». C’était un révélateur prodigieux d’un certain courant dans le christianisme aujourd’hui. Il me semble que le débat sur Mel Gibson – en mettant entre parenthèses les mérites ou les démérites du film – était un débat sur l’importance de la Passion, sur la centralité de la Passion ou non.
C : Et en même temps ce film montrait bien ( par les reproches qui lui étaient faits d’être trop violent) à quel point vous avez raison en disant que le discours dénonciateur de la violence du Christ n’a pas été compris. Depuis le moment où vous avez commencé à écrire Des choses cachées depuis la fondation du monde, n’étiez-vous pas gênés par la crainte d’apparaître comme un apologiste de la religion chrétienne ?
R.G : Les personnes qui reprochent à Gibson cette violence sont celles qui d’habitude ne s’inquiètent absolument pas de la violence au cinéma ou bien en font quelque chose de bon : une victoire pour la liberté, pour la modernité. Le livre accepte un peu d’apparaître comme une apologie de la religion chrétienne. Il cherche ce lieu sacrificiel dont je n’avais pas conscience à l’époque. Cela c’est le Père Schweiger qui me l’a montré. Il y a des erreurs grossières comme l’attaque contre l’Epître aux Hébreux qui est ridicule. Il y a des éléments sur la Passion notamment dans l’Epître aux Hébreux qui me paraissent absolument essentiels par exemple l’usage qui est fait du psaume 40 : « Tu n’as voulu ni sacrifice ni oblation…Donc j’ai dit : Voici, je viens ». Que signifie ce « donc » ? Il veut dire : « Tu n’a voulu ni sacrifice ni oblation » donc il n’y a plus de sacrifice et donc les hommes sont exposés à la violence et il n’y a plus que deux choix : soit on préfère subir la violence soit on cherche à l’infliger à autrui. Le Christ veut nous dire entre autres choses : il vaut mieux subir la violence (c’est le sacrifice de soi) que de l’infliger à autrui. Si Dieu refuse le sacrifice, il est évident qu’il nous demande la non-violence qui empêchera l’Apocalypse.
C : Le Christ nous demande alors un sacrifice intérieur…
R.G : Oui, un sacrifice intérieur ou sacrifice de soi : « Voici que Je viens pour faire sa volonté ». Il faut faire référence à la bonne prostituée, dans le Jugement de Salomon que j’évoquais trop rapidement tout à l’heure : elle préfère lâcher l’enfant, elle donc est la vraie mère.
C : Vous allez jusqu’au bout d’une défense d’un christianisme augustinien finalement… L’amour don contre l’amour passion…
R.G : Augustin voit vraiment le christianisme et la mort du Christ comme l’essentiel de toute la culture. D’une certaine façon il associe Caïn et Abel et tous ces meurtres à la Passion ; il voit qu’il y a un rapport. A la fin de la Cité de Dieu, il y a des textes extraordinaires sur ce thème, mais qui me paraissent pourtant incomplets. Il y a à la fois le penseur chrétien très puissant et aussi un homme qui considère la civilisation antique de façon très inhabituelle aujourd’hui.
C : Dans Quand ces choses commenceront, livre d’entretien mené par Michel Tréguer, vous allez très loin et vous parlez de Saint Augustin en affirmant : « Tout ce que j’ai dit est dans Saint Augustin… ».
R.G : C’était une boutade de ma part mais j’y crois d’une certaine façon. On découvre dans son œuvre des éléments extraordinaires pour la définition du désir mimétique. Il y a cette formule – que je cite dans ce livre – des deux nourrissons lesquels sont déjà en pleine rivalité parce qu’ils rivalisent pour le sein de la nourrice. Cela est un peu mythique : ces deux nourrissons ne sont pas capables de comprendre que le sein de la nourrice peut s’épuiser. Mais il s’agit d’une image formidable du désir de toute l’humanité et du fait que la rivalité est présente dès l’origine. C’est ce que découvre aujourd’hui la science expérimentale : elle découvre qu’il y a imitation dès l’origine de l’humanité, dans son existence et son organisation. L’imitation est fondamentale dans les premiers mouvements réflexes de l’être humain.
C : A partir du moment où vous placez la violence au cœur de l’homme, vous n’êtes pas dans un univers irénique et hellénique.
R.G : On peut dire que cet univers irénique n’est là que partiellement chez Platon. Il a une inquiétude, une angoisse devant le mimétique. Derrida dit très justement que l’on ne peut pas systématiser le mimétique chez Platon. Il y a chez lui des contradictions qui sont insolubles. Il a ses inquiétudes devant le mimétique ou devant le fait que les hommes doivent l’éviter comme la peste. Ce qui est passionnant et absolument incompréhensible. Mais si vous regardez les interdits primitifs, les interdits mimétiques, ils sont là. Je crois que Platon est encore en contact avec des éléments du passé, qui sont présents chez les présocratiques mais qui ne le sont plus chez Aristote. Aristote est imitateur de Platon mais on a totalement changé de monde sur le plan culturel : l’alexandrin est ce qui est moderne par rapport à l’univers de la démocratie athénienne.
C : Par delà la violence des rapports humains et la rivalité mimétique n’y-a-t’il pas un désir naturel chez l’homme de vivre en société, paisiblement, en pantouflard ? Cela ne vous semble-t-il pas contradictoire avec votre thèse ?
R.G : Absolument pas. La théorie mimétique ne veut pas se présenter comme une philosophie qui ferait le tour de l’homme. Elle tend simplement à dire qu’il y a toujours assez de rivalité mimétique dans une société pour tout troubler et pour obliger à procéder à un sacrifice. Mais cela ne veut pas dire que tout le monde est coupable au même titre. Il est bien évident que dans notre société les gens sont très forts pour éviter la rivalité mimétique non seulement instinctivement mais très délibérément : il y a tout un art d’éviter la rivalité mimétique qui au fond est l’art de vivre ensemble. Et cela est absolument indispensable.
C : Dans votre dernier livre Les origines de la culture vous insistez beaucoup sur le darwinisme et volontairement vous proposez un épigraphe darwinien à chaque chapitre. Vous semblez en tirer l’idée d’un progrès fatal de l’homme…
R.G : C’est Pierpaolo Antonello qui a fait cela. Personnellement je voulais les enlever. Quant à la question du progrès, ce dernier n’est pas forcément fatal parce que les hommes y contribuent eux-mêmes. Je reconnais qu’il peut y avoir une régression. On peut penser que l’Islam est soutenu par le Coran mais quant aux islamistes « frénétiques » il est bien évident que le Coran n’a guère été interprété dans cette voie si ce n’est peut-être par la fameuse secte des assassins. Oui, il peut y avoir une régression.
C : Ce qui est très frappant, notamment dans Quand ces choses commenceront, au sein même de cette ambiance augustinienne pessimiste c’est votre optimisme foncier, votre idée qu’il y aura toujours un chemin vers le mieux. C’est sans doute la rivalité mimétique qui a pu égarer Augustin dans ses polémiques…
R.G : Mais c’est vrai aussi chez Augustin… Henri Marrou disait qu’il faudrait toujours renoncer à choisir le moment le plus polémique d’Augustin pour le définir en entier. Et si l’on regarde les textes sur la grâce qui ne sont pas dans la querelle avec Pélage, on peut se constituer un Augustin beaucoup plus modéré. La rivalité mimétique est une chose sans quoi il serait très difficile d’écrire. C’est elle qui soutient l’écrivain dans ses efforts. (rires)
La violence est au cœur de l’homme
C : Le christianisme continue à imprégner à contrecœur la société moderne. Vous êtes finalement proche de Chesterton qui parlait de « l’idée chrétienne devenue folle ». Vous affirmez que le message victimaire du christianisme imprègne la vie contemporaine et en même temps on a l’impression d’une perte complète de toute conscience de la violence. C’est très paradoxal.
R.G : Je crois qu’il y a un double mouvement. Il ne faut pas oublier qu’il y a aussi une société de la peur. Beaucoup de gens considèrent que la violence augmente dans notre univers. Les deux mouvements se chevauchent. Le catholicisme en France ou le « para-catholicisme » anglais de la première moitié du XX°siècle connaissent une espèce d’explosions de talents dans la période de l’entre-deux-guerres, que l’on ne retrouve plus aujourd’hui. Je sais que vous n’êtes pas tendres avec Maritain. Il y a des choses un peu plates dans son œuvre, mais il y a aussi des éléments absolument admirables. Des ouvrages comme Le songe de Descartes ou Les trois réformateurs sont marqués par une veine polémique qui disparaît par la suite parce qu’il est devenu presque trop officiel.
C : On constate un phénomène d’inconscience contemporaine vis-à-vis de la violence. Nos contemporains ont certes peur de la violence, mais ils en ont conscience comme une force extérieure notamment sous la forme du terrorisme. Il semble que nos contemporains aient totalement perdu le message chrétien qui enseigne que la violence est au cœur de l’homme, une violence qui nous menace et que l’on ne peut pas expulser de nous-mêmes.
R.G : Oui, on se sent toujours victime d’une violence autre. Il faudrait étudier le mimétisme sur le plan le plus fondamental qui est la réciprocité entre les hommes. Entre les animaux, il n’y a pas de réciprocité : même lorsqu’ils se battent, ils ne se regardent pas. Dans la première histoire du Livre de la jungle, les animaux ne peuvent pas soutenir le regard de Mowgli, l’enfant-loup. L’animal ne voit rien dans ses yeux qui ne retienne son regard. Ce n’est pas du tout le triomphe de l’homme sur l’animal malgré ce qu’en fait Kipling, conformément à une vision dix-neuvièmiste de l’humanisme triomphant. Dans ce livre toutes les histoires se terminent par des meurtres collectifs, derrière lesquels se cachent des mythes indiens très anciens. Ce qui m’interroge c’est cette réciprocité qui subsiste chez l’homme. Si vous avez un bon rapport avec quelqu’un, vous êtes dans la réciprocité, mais très vite la violence peut s’élever entre vous. Lorsque je vous tends la main et que vous ne la prenez pas, s’il n’y a pas réciprocité, immédiatement la main qui s’est offerte se retirera. C’est-à-dire qu’elle imitera la violence de l’autre. Le rapport de violence est un rapport de réciprocité tout comme le rapport donnant-donnant. Mais c’est un rapport de réciprocité très difficile à modifier dans le sens du retour à une bonne réciprocité. En revanche, rien n’est plus facile de passer de la bonne à la mauvaise réciprocité. Dès que les hommes ne se traitent pas bien mutuellement, ils ont l’impression que la violence vient de l’autre et, dans leur idée, eux ne font jamais que rendre à l’autre la même chose. C’est dire à l’autre : j’ai compris ce que tu veux me dire et je me conduis avec toi de semblable manière. Et pour être bien sûr que l’autre comprendra on surenchérit. L’autre va donc interpréter cela comme une agression. On peut très bien montrer ici qu’au niveau le plus élémentaire il y a toujours incompréhension de l’un par l’autre. L’escalade peut grimper sans que personne n’ait jamais conscience d’y contribuer lui-même.
C : Cependant on a vécu pendant cinquante ans sous une doctrine stratégique nucléaire qui prévoyait justement une escalade de violence…
R.G : Certainement. Mais dans ce cas précis il y a eu des gestes de prudence extraordinaires, puisque Kroutchev n’a pas maintenu à Cuba les bombes atomiques. Il y a, dans ce geste, quelque chose de décisif. Ce fut le seul moment effrayant pour les hommes d’Etat eux-mêmes. Aujourd’hui nous savons qu’il y a des pays qui essaient par tous les moyens de se procurer ces armes et nous savons aussi qu’ils sont bien décidés à les utiliser. On a donc encore franchi un pallier.
C : Une autre traduction de cette perversion des idées chrétiennes c’est le concept de victime. Dans notre société les victimes sont partout et cette surenchère victimaire est finalement devenue le moyen d’agresser l’autre. On se sert de ce que l’on sait de la personne pour dire : « je suis ta victime donc tu es un bourreau ».
R.G : Oui mais il faut aussi reconnaître que derrière cet abus du victimaire il y a un usage légitime. Nous sommes la seule société qui s’intéresse aux victimes en tranquillité. Et ça c’est une supériorité extraordinaire.
C : Vous le développiez bien dans Quand ces choses commenceront : la victimisation comme arme, comme violence…
R.G : Je crois que le moment décisif en Occident est l’invention de l’hôpital. Les primitifs s’occupent de leurs propres morts. Ce qu’il y a de caractéristique dans l’hôpital c’est bien le fait de s’occuper de tout le monde. C’est l’hôtel-Dieu donc c’est la charité. Et c’est visiblement une invention du Moyen-Age. Tout ce qu’il y a de bon dans notre société peut faire l’objet d’abus. Lorsque Voltaire a écrit Candide, il cherchait un contre-exemple, une société supérieure à l’Occident, mais il ne l’a pas trouvée. C’est la raison pour laquelle il s’est tourné vers cet Eldorado qui, en fait, n’existe pas. Il avait lui-même écrit des poèmes comme le Mondain – « Ah quel bon temps que ce siècle de fers ! ». Son idée principale est que la société moderne était la meilleure de toutes. C’était pour embêter les dames de son salon qui parlaient de Leibniz au lieu de parler de lui comme elles auraient dû le faire…(rires) Voltaire a une conscience de la rivalité mimétique tout à fait extraordinaire. Dans Candide, il y a ce personnage, Pococuranté, qui possède tout. Noble vénitien, il reçoit Candide et son serviteur Martin et méprise toutes ses richesses (chap. 25). Il a de nombreux tableaux, mais il ne les regarde plus. Par ailleurs, il affirme que les sots admirent tout dans l’œuvre d’un grand auteur ; lui, il n’aime que ce qui est à son usage. Lorsqu’ils prennent congé de ce Vénitien, Candide dit à son serviteur Martin : « voilà le plus heureux des hommes car il est au-dessus de tout ce qu’il possède ». Il veut paraître supérieur à toutes ses possessions et, au fond, il cultive une forme de désir.
C : Il y a un dernier thème que vous abordez, celui de la vérité, de la vérificabilité. Derrière ce thème de la vérité se cache celui de la figuralité : tout est figure du vrai…. Dans La voix méconnue du réel, vous proposez l’idée d’une vérité à laquelle on n’échappe pas, celle de la théorie mimétique, qui d’une certaine façon est au-dessus des preuves que l’on peut donner pour ou contre…
R.G : Le vrai problème est celui de la vérité scientifique. Popper m’oppose toujours la « vérifiabilité ». Il m’assure que ma thèse n’est pas vérifiable. Je lui réponds que la thèse de l’évolution ne l’est pas non plus indubitablement. D’autre part, il y a toutes sortes de choses dont nous sommes certains. C’est la direction que je prends maintenant. C’est ce que l’on nomme en anglais le « common knowledge », le savoir commun. Aujourd’hui vous n’avez pas besoin d’expliquer que les sorcières ne sont pas coupables, malgré la chasse aux sorcières du 15ème siècle. Il s’agit là de « common knowledge » dans la mesure où personne ne vous réfutera car cela va de soi, cela est évident. La question est de savoir si ce « common knowledge » fait partie de la science. Je réponds : oui mais c’est une science tellement certaine qu’elle n’a pas à se démontrer, une science qui a trop de vérifications qui sont là possibles pour qu’il soit nécessaire d’en épuiser la liste.
C : Notre revue s’appelle Certitudes : c’est un clin d’œil au penseur italien Vico, qui développe la théorie du « certum ». Le certum n’est pas le « verum ». Vico est d’une certaine manière, un anthropologue, il est passionné par la latinité dans toutes ses manifestations historiques. Votre éloquence fait penser à Vico. Le propos de Vico n’est pas philosophique. Sa théorie de la « science nouvelle » décrit une science qui est en opposition à celle de Descartes et en cela elle est nouvelle. Descartes, lui, prétendait au« verum » donc à une science de l’objet. Et vous dites : « Nous sommes toujours inclus dans la science fondamentale que nous développons donc ce n’est pas une vérité objective mais une vérité totale qui nous enveloppe… ».
R.G : L’idée selon laquelle on ne peut arriver au « certum » à partir des textes est une idée constamment démentie par l’existence du système judiciaire, du système de la preuve. La question est de savoir à partir de quel moment on est vraiment dans le « certum ». Dans l’anthropologie il n’y a pas de vérification immédiate puisque tout est indirect. Tout est lié à la multiplication des indices donc c’est bien une attitude scientifique. Le travail de l’ethnologue nécessite cette multiplication d’indices indirects.
C : Vous avez osé intituler l’un de vos livres : la voix méconnue du réel. Comment ce texte sur le réel et sur la vérité a-t-il été reçu ?
R.G : La voix méconnue du réel c’est le titre choisi par la traductrice. Je trouve cette traduction très bonne, mais certains la contestent. C’est tout le problème des traductions de l’anglais au français. C’est sur le mot « réel » que l’on conteste la traduction. La traduction devient impossible à cause des ressemblances entre les deux langues. C’est la question des « faux-amis ». Des termes traduits en apparence parfaitement n’ont pas de sens dans une langue, mais sont très compréhensibles dans l’autre.
C : Le fait d’avoir enseigné et publié aux Etats-Unis vous a-t-il donné une liberté de recherche et de pensée supplémentaire par rapport à ce qui se serait passé si vous étiez restés en France ? Le préjugé antireligieux était-il moins fort là-bas ?
R.G : C’est ma seule expérience anthropologique ! ( rires ). Non, le préjugé est exactement le même. Mais les proportions en chiffres sont différentes. Par exemple, l’Eglise « modernisée » a réussi à « décatholiciser » nombre de gens. Les catholiques rassemblent soixante-dix millions de personnes aux Etats-Unis. J’y suis arrivé avant le Concile et il y avait alors 75 % de pratiquants. Cela représentait beaucoup plus que toute l’Europe. Aujourd’hui on compte 30 % de pratiquants ce qui reste encore très supérieur à l’Europe. Les fondamentalistes ne sont pas les fous-furieux tels que les médias les montrent ici. Les traiter de « fondamentalistes » est d’ailleurs excessif. Ils sont attachés à l’éducation des enfants. Ils se méfient des cours de « sex education » qui ont lieu dans certaines écoles, ce qui est parfaitement légitime. Certes, les milieux les plus nationalistes récupèrent leurs votes, mais d’une certaine manière tous les partis ont une part de responsabilité. Les églises protestantes sont d’ailleurs dans un état de décomposition plus grand que l’Eglise catholique.
C : Justement, quelle est la situation des églises protestantes, des baptistes par exemple ?
R.G : Ce problème est assez complexe. Les baptistes ont toujours été un peu fondamentalistes. Il y a de nombreux pratiquants dans cette branche du protestantisme. Il y a ce qu’on appelle les « grandes dénominations » qui comprennent les épiscopaliens ( anglicans version internationale), les presbytériens d’origine écossaise et les méthodistes ainsi que les quakers. Beaucoup de ces Eglises notamment presbytériennes, souvent très rigoureuses ont connu une certaine évolution vers un relâchement de la Foi. Ainsi parler de Dieu aujourd’hui dans ces Eglises cela paraît un peu impoli…! ( rires ) Elles sont devenues des sortes de clubs humanitaires.
C : Vous dites avec une force extraordinaire que la religion est mère de tout…
R.G : Je pense qu’elle l’est. Ce qui fait la force du catholicisme américain ce sont les protestants qui se convertissent au catholicisme. Si vous leur dites que le catholicisme est en train lui aussi de se décomposer, ils vous répondent : « Oui, mais le catholicisme est la seule Eglise qui a une chance de survivre et de vivre. »
« Le débat sur le film de Mel Gibson est en réalité un débat sur la Passion elle-même »
C : Ils doivent être d’autant plus désolés de l’affadissement du catholicisme…Quelle a été, par exemple, la réaction de la hiérarchie catholique devant la Passion du Christ ?
R.G : De nombreux protestants ont affirmé sur plusieurs chaînes de télévision : « ce film montre à quel point nous avons supprimé toute imagerie ». Il y a donc eu parfois de très heureuses réactions de la part de protestants. Pour ce qui est de la hiérarchie catholique, une déclaration des évêques disait : « Nous n’avons pas d’avis ». Ils ont affirmé qu’ils ne jugeaient pas Mel Gibson, que son engagement était plutôt bon en soi mais que le film pouvait être très mal compris, comme un film justifiant la violence. Cela est vraiment faux. Le film ne justifie pas la violence. Aux Etats-Unis, nous avons une chaîne de télévision catholique qui s’appelle « The Eternal Word Television Network » (EWTN) : le réseau de télévision de la Parole éternelle. C’est magnifique ! (rires). C’est Mother Angelica qui en est la directrice. Ils disent la Messe, ils récitent le chapelet plusieurs fois par jour et les émissions culturelles sont souvent de qualité et ne sont pas la répétition interminable de celles diffusées par les autres médias.
C : En France, il y a la chaîne KTO lancée depuis trois ans. Elle s’apprêtait à défendre le film, mais, très liée à l’épiscopat, ce dernier lui a demandé de mettre un bémol dans ses analyses…
R.G : Une journaliste de KTO m’a interrogé. Je revenais à ce moment-là des Etats-Unis et j’étais donc un peu fatigué. J’ai compris tout de suite qu’elle souhaitait me lancer contre le film de Mel Gibson. Alors cela m’a réveillé ! (rires).
Voir aussi:
« Ce qui se joue aujourd’hui est une rivalité mimétique à l’échelle planétaire » René Girard
Propos recueillis par Henri Tincq
Le Monde
05.11.01.
René Girard , né le 25 décembre 1923 à Avignon, vit depuis 1947 aux Etats-Unis, où il a enseigné à l’université Stanford (Californie). Les attentats du 11 septembre l’ont laissé, d’abord, « engourdi ».Dans cet entretien au Monde, l’anthropologue essaie pour la première fois d’analyser un événement où il reconnaît ses propres thèses sur la rivalité mimétique et le sacrifice du bouc émissaire comme instrument de résolution des cycles de violence. Depuis trente ans, ses ouvrages ont été traduits dans le monde entier : La Violence et le Sacré (Grasset, 1972) ; Des choses cachées depuis la fondation du monde (Grasset, 1978) ; Je vois Satan tomber comme l’éclair (Grasset, 1999). Sa conviction chrétienne s’affermit au fil d’une œuvre dense qui peut se révéler une clé de lecture de la menace terroriste actuelle. Pour lui, la violence n’est pas d’abord politique ou biologique, mais mimétique. Dans un ouvrage qui vient de sortir en France chez Desclée de Brouwer – Celui par qui le scandale arrive (194 p., 19 euros , 124,63 F) –, René Girard revient sur sa conviction que la croix – la mort du Christ – annonce la victoire sur les mythes et régressions les plus archaïques.
http://www.homme-moderne.org/societe/anthropo/rgirard/011105.html
Le terrorisme est suscité par un désir exacerbé de convergence et de ressemblance avec l’Occident. L’islam fournit le ciment qu’on trouvait autrefois dans le marxisme. Son rapport mystique avec la mort nous le rend plus mystérieux encore.
« Votre théorie de la « rivalité mimétique » peut-elle s’appliquer à l’actuelle situation de crise internationale ?
– L’erreur est toujours de raisonner dans les catégories de la « différence », alors que la racine de tous les conflits, c’est plutôt la « concurrence », la rivalité mimétique entre des êtres, des pays, des cultures. La concurrence, c’est-à-dire le désir d’imiter l’autre pour obtenir la même chose que lui, au besoin par la violence. Sans doute le terrorisme est-il lié à un monde « différent » du nôtre, mais ce qui suscite le terrorisme n’est pas dans cette « différence » qui l’éloigne le plus de nous et nous le rend inconcevable. Il est au contraire dans un désir exacerbé de convergence et de ressemblance. Les rapports humains sont essentiellement des rapports d’imitation, de concurrence.
« Ce qui se vit aujourd’hui est une forme de rivalité mimétique à l’échelle planétaire. Lorsque j’ai lu les premiers documents de Ben Laden, constaté ses allusions aux bombes américaines tombées sur le Japon, je me suis senti d’emblée à un niveau qui est au-delà de l’islam, celui de la planète entière. Sous l’étiquette de l’islam, on trouve une volonté de rallier et de mobiliser tout un tiers-monde de frustrés et de victimes dans leurs rapports de rivalité mimétique avec l’Occident. Mais les tours détruites occupaient autant d’étrangers que d’Américains. Et par leur efficacité, par la sophistication des moyens employés, par la connaissance qu’ils avaient des Etats-Unis, par leurs conditions d’entraînement, les auteurs des attentats n’étaient-ils pas un peu américains ? On est en plein mimétisme.
– « Loin de se détourner de l’Occident, écrivez-vous dans votre dernier livre, ils ne peuvent pas s’empêcher de l’imiter, d’adopter ses valeurs sans se l’avouer et sont tout aussi dévorés que nous le sommes de la réussite individuelle et collective. » Faut-il comprendre que les « ennemis » de l’Occident font des Etats-Unis le modèle mimétique de leurs aspirations, au besoin en le tuant ?
– Ce sentiment n’est pas vrai des masses, mais des dirigeants. Sur le plan de la fortune personnelle, on sait qu’un homme comme Ben Laden n’a rien à envier à personne. Et combien de chefs de parti ou de faction sont dans cette situation intermédiaire, identique à la sienne. Regardez un Mirabeau au début de la Révolution française : il a un pied dans un camp et un pied dans l’autre, et il n’en vit que de manière plus aiguë son ressentiment. Aux Etats-Unis, des immigrés s’intègrent avec facilité, alors que d’autres, même si leur réussite est éclatante, vivent aussi dans un déchirement et un ressentiment permanents. Parce qu’ils sont ramenés à leur enfance, à des frustrations et des humiliations héritées du passé. Cette dimension est essentielle, en particulier chez des musulmans qui ont des traditions de fierté et un style de rapports individuels encore proche de la féodalité.
– Mais les Américains auraient dû être les moins étonnés de ce qui s’est passé, puisqu’ils vivent en permanence ces rapports de concurrence.
– L’Amérique incarne en effet ces rapports mimétiques de concurrence. L’idéologie de la libre entreprise en fait la solution absolue. Efficace, mais explosive. Ces rapports de concurrence sont excellents si on en sort vainqueurs, mais si les vainqueurs sont toujours les mêmes, alors, un jour ou l’autre, les vaincus renversent la table du jeu. Cette concurrence mimétique, quand elle est malheureuse, ressort toujours, à un moment donné, sous une forme violente. A cet égard, c’est l’islam qui fournit aujourd’hui le ciment qu’on trouvait autrefois dans le marxisme. « Nous vous enterrerons », disait Khrouchtchev aux Américains. Cela avait un côté bon enfant… Ben Laden, c’est plus inquiétant que le marxisme, où nous reconnaissions une conception du bonheur matériel, de la prospérité et un idéal de réussite pas si éloigné de ce qui se vit en Occident.
– Que pensez-vous de la fascination pour le sacrifice chez les kamikazes de l’islam ? Si le christianisme, c’est le sacrifice de la victime innocente, iriez-vous jusqu’à dire que l’islamisme est la permission du sacrifice et l’islam une religion sacrificielle, dans laquelle on retrouve aussi cette notion de « modèle » qui est au cœur de votre théorie mimétique ?
– L’islam entretient un rapport avec la mort qui me convainc davantage que cette religion n’a rien à voir avec les mythes archaïques. Un rapport avec la mort qui, d’un certain point de vue, est plus positif que celui que nous observons dans le christianisme. Je pense à l’agonie du Christ : « Mon Père, pourquoi m’as-tu abandonné ! (…) Que cette coupe s’éloigne de moi. » Le rapport mystique de l’islam avec la mort nous le rend plus mystérieux encore. Au début, les Américains prenaient ces islamistes kamikazes pour des « cowards » (poltrons), mais, très vite, ils ont changé d’appréciation. Le mystère de leur suicide épaississait le mystère de leur action terroriste.
» Oui, l’islam est une religion du sacrifice dans laquelle on retrouve aussi la théorie du mimétisme et du modèle. Les candidats au suicide ne manquaient déjà pas lorsque le terrorisme semblait échouer. Alors imaginez ce qui se passe aujourd’hui quand il a, si j’ose dire, réussi. Il est évident que dans le monde musulman, ces terroristes kamikazes incarnent des modèles de sainteté.
– Les martyrs de la foi au Christ sont aussi, disaient les Pères de l’Eglise, de la « semence » de chrétiens…
– Oui, mais dans le christianisme, le martyr ne meurt pas pour se faire copier. Le chrétien peut s’apitoyer sur lui, mais il n’envie pas sa mort. Il la redoute, même. Le martyr sera pour lui un modèle d’accompagnement, mais pas un modèle pour se jeter dans le feu avec lui. Dans l’islam, c’est différent. On meurt martyr pour se faire copier et manifester ainsi un projet de transformation politique du monde. Appliqué au début du XXIe siècle, un tel modèle me laisse pantois. Est-il propre à l’islam ? On fait souvent référence à la secte des hachachins au Moyen Age qui se tuaient après avoir donné la mort aux infidèles, mais je ne suis pas capable de comprendre ce geste, encore moins de l’analyser. Il faut seulement le constater.
– Iriez-vous jusqu’à dire que la figure dominante de l’islam est celle du combattant guerrier et que dans le christianisme c’est celle de la victime innocente, et que cette différence irréductible condamne toute tentative de compréhension entre ces deux monothéismes ?
– Ce qui me frappe dans l’histoire de l’islam, c’est la rapidité de sa diffusion. Il s’agit de la conquête militaire la plus extraordinaire de tous les temps. Les barbares s’étaient fondus dans les sociétés qu’ils avaient conquises, mais l’islam est resté tel qu’il était et a converti les populations des deux tiers de la Méditerranée. Ce n’est donc pas un mythe archaïque comme on aurait tendance à le croire. J’irais même jusqu’à dire que c’est une reprise – rationaliste à certains points de vue – de ce qui fait le christianisme, une sorte de protestantisme avant l’heure. Dans la foi musulmane, il y a un aspect simple, brut, pratique qui a facilité sa diffusion et transformé la vie d’un grand nombre de peuples à l’état tribal en les ouvrant au monothéisme juif modifié par le christianisme. Mais il lui manque l’essentiel du christianisme : la croix. Comme le christianisme, l’islam réhabilite la victime innocente, mais il le fait de manière guerrière. La croix, c’est le contraire, c’est la fin des mythes violents et archaïques.
– Mais les monothéismes ne sont-ils pas porteurs d’une violence structurelle, parce qu’ils ont fait naître une notion de Vérité unique, exclusive de toute articulation concurrente ?
– On peut toujours interpréter les monothéismes comme des archaïsmes sacrificiels, mais les textes ne prouvent pas qu’ils le sont. On dit que les Psaumes de la Bible sont violents, mais qui s’exprime dans les psaumes, sinon les victimes des violences des mythes : « Les taureaux de Balaam m’encerclent et vont me lyncher » ? Les Psaumes sont comme une fourrure magnifique de l’extérieur, mais qui, une fois retournée, laisse découvrir une peau sanglante. Ils sont typiques de la violence qui pèse sur l’homme et du recours que celui-ci trouve dans son Dieu.
» Nos modes intellectuelles ne veulent voir de la violence que dans les textes, mais d’où vient réellement la menace ? Aujourd’hui, nous vivons dans un monde dangereux où tous les mouvements de foule sont violents. Cette foule était déjà violente dans les Psaumes. Elle l’est dans le récit de Job. Elle demande à Job de se reconnaître coupable : c’est un vrai procès de Moscou qu’on lui fait. Procès prophétique. N’est-ce pas celui du Christ adulé par les foules, puis rejeté au moment de la Passion ? Ces récits annoncent la croix, la mort de la victime innocente, la victoire sur tous les mythes sacrificiels de l’Antiquité.
» Est-ce si différent dans l’islam ? Ils contiennent aussi de formidables intuitions prophétiques sur le rapport entre la foule, les mythes, les victimes et le sacrifice. Dans la tradition musulmane, le bélier sacrifié à Abel est le même que celui qui a été envoyé par Dieu à Abraham pour qu’il épargne son fils. Parce qu’Abel sacrifie des béliers, il ne tue pas son frère. Parce que Caïn ne sacrifie pas d’animaux, il tue son frère. Autrement dit, l’animal sacrificiel évite le meurtre du frère et du fils. C’est-à-dire qu’il fournit un exutoire à la violence. Ainsi y a-t-il, chez Mahomet, des intuitions qui sont au niveau de certains des plus grands prophètes juifs, mais en même temps un souci d’antagonisme et de séparation du judaïsme et du christianisme qui peut rendre notre interprétation négative.
– Vous insistez dans votre dernier livre sur l’autocritique occidentale, toujours présente à côté de l’ethnocentrisme. « Nous autres Occidentaux, écrivez-vous, sommes toujours simultanément nous-mêmes et notre propre ennemi. » Cette autocritique subsiste-t-elle après la destruction des tours ?
– Elle subsiste et elle est légitime pour repenser l’avenir, pour corriger par exemple cette idée d’un Locke ou d’un Adam Smith selon laquelle la libre concurrence serait toujours bonne et généreuse. C’est une idée absurde, et nous le savons depuis longtemps. Il est étonnant qu’après un échec aussi flagrant que celui du marxisme l’idéologie de la libre entreprise ne se montre pas davantage capable de mieux se défendre. Affirmer que « l’histoire est finie » parce que cette idéologie l’a emporté sur le collectivisme, c’est évidemment mensonger. Dans les pays occidentaux, l’écart des salaires s’accroît d’une manière considérable et on va vers des réactions explosives. Et je ne parle pas du tiers-monde. Ce qu’on attend de l’après-attentats, c’est bien sûr une idéologie renouvelée, plus raisonnable, du libéralisme et du progrès. »
Voir encore:
Philosophe français enseignant aux Etats-Unis, René Girard a vu le
film de Mel Gibson pour « Le Figaro Magazine ». Il salue le travail du
cinéaste pour inscrire « la Passion du Christ » dans une tradition
esthétique et théologique.
Par René Girard, Jean-François Mongibeaux et Etienne de Montety
Le Figaro Magazine
27 mars 2004
D’un point de vue anthropologique, la Passion n’a rien de spécifiquement juif. C’est un phénomène de foule qui obéit aux mêmes lois que tous les phénomènes de foule. Une observation attentive en repère l’équivalent un peu partout dans les nombreux mythes fondateurs qui racontent la naissance des religions archaïques et antiques. Presque toutes les religions, je pense, s’enracinent dans des violences collectives analogues à celles que décrivent ou suggèrent non seulement les Evangiles et le Livre de Job mais aussi les chants du Serviteur souffrant dans le deuxième Isaïe, ainsi que de nombreux psaumes. Les chrétiens et les juifs pieux, bien à tort, ont toujours refusé de réfléchir à ces ressemblances entre leurs livres sacrés et les mythes. Une comparaison attentive révèle que, au-delà de ces ressemblances et grâce à elles on peut repérer entre le mythique d’un côté et, de l’autre, le judaïque et le chrétien une différence à la fois ténue et gigantesque qui rend le judéo-chrétien incomparable sous le rapport de la vérité la plus objective.A la différence des mythes qui adoptent systématiquement le point de vue de la foule contre la victime, parce qu’ils sont conçus et racontés par les lyncheurs, et ils tiennent toujours, par conséquent, la victime pour coupable (l’incroyable combinaison de parricide et d’inceste dont OEdipe est accusé, par exemple), nos Ecritures à nous tous, les grands textes bibliques et chrétiens innocentent les victimes des mouvements de foules, et c’est bien ce que font les Evangiles dans le cas de Jésus.C’est ce que montre Mel Gibson. Tandis que mythes répètent sans fin l’illusion meurtrière des foules persécutrices, toujours analogues à celles de la Passion, parce que cette illusion apaise la communauté et lui fournit l’idole autour de laquelle elle se rassemble, les plus grands textes bibliques, et finalement les Evangiles, révèlent le caractère essentiellement trompeur et criminel des phénomènes de foule sur lesquels reposent les mythologies du monde entier.Il y a deux grandes attitudes à mon avis dans l’histoire humaine, il y a celle de la mythologie qui s’efforce de dissimuler la violence, car, en dernière analyse, c’est sur la violence injuste que les communautés humaines reposent. Et c’est ce que nous faisons tous si nous nous abandonnons à notre instinct. Nous essayons de recouvrir du manteau de Noé la nudité de la violence humaine. Et nous marchons à reculons s’il le faut, pour ne pas nous exposer, en regardant de trop près la violence, à sa puissance contagieuse.Cette attitude est trop universelle pour être condamnée. C’est l’attitude d’ailleurs des plus grands philosophes grecs et en particulier de Platon, qui condamne Homère et tous les poètes parce qu’ils se permettent de décrire dans leurs oeuvres les violences attribuées par les mythes aux dieux de la cité. Le grand philosophe voit dans cette audacieuse révélation une source de désordre, un péril majeur pour toute la société.Cette attitude est certainement l’attitude religieuse la plus répandue, la plus normale, la plus naturelle à l’homme et, de nos jours, elle est plus universelle que jamais, car les croyants modernisés, aussi bien les chrétiens que les juifs, l’ont au moins partiellement adoptée.
L’autre attitude est beaucoup plus rare et elle est même unique au monde. Elle est réservée tout entière aux grands moments de l’inspiration biblique et chrétienne. Elle consiste non pas à pudiquement dissimuler mais, au contraire, à révéler la violence dans toute son injustice et son mensonge, partout où il est possible de la repérer. C’est l’attitude du Livre de Job et c’est l’attitude des Evangiles. C’est la plus audacieuse des deux et, à mon avis, c’est la plus grande. C’est l’attitude qui nous a permis de découvrir l’innocence de la plupart des victimes que même les hommes les plus religieux, au cours de leur histoire, n’ont jamais cessé de massacrer et de persécuter. C’est là qu’est l’inspiration commune au judaïsme et au christianisme, et c’est la clef, il faut l’espérer, de leur réconciliation future. C’est la tendance héroïque à mettre la vérité au-dessus même de l’ordre social. C’est à cette aventure-là, il me semble, que le film de Mel Gibson s’efforce d’être fidèle.
Voir enfin:
En dupant… René Girard, Le triomphe de la Croix
Dans l’ordre anthropologique, je définis la révélation comme la représentation vraie de ce qui jamais encore n’avait été représenté jusqu’au bout, ou avait été représenté faussement, le tous-contre-un mimétique, le mécanisme victimaire, précédé de ses antécédents, les scandales « inter-dividuels ».
Dans les mythes ce mécanisme est toujours falsifié au détriment des victimes et à l’avantage des persécuteurs. Dans la Bible la vérité est fréquemment suggérée, évoquée, et même partiellement représentée mais jamais de façon complète et parfaite. Les Évangiles pris dans leur totalité sont très littéralement cette représentation.
Dès qu’on comprend ceci, un texte de l’épître aux Colossiens qui paraît d’abord obscur dévient lumineux :
[Le Christ] a effacé, au détriment des commandements, l’accusation qui se retournait contre nous ; il l’a fait disparaître, il l’a clouée à la croix, il a dépouillé les Principautés et les Puissances, il les a données en spectacle à la face du monde, en les traînant dans son cortège triomphal.
(Col 2, 14-15)
L’accusation qui se retournait contre les hommes, c’est l’accusation contre la victime innocente dans les mythes. En rendre les principautés et les puissances responsables, c’est la même chose que d’en rendre Satan lui-même responsable, dans son rôle d’accusateur public, que j’ai déjà mentionné.
Avant le Christ l’accusation satanique était toujours victorieuse en vertu de la contagion violente qui enfermait les hommes dans les systèmes mythico-rituels. La crucifixion réduit la mythologie à l’impuissance en révélant la contagion dont l’efficacité trop grande dans les mythes empêche les communautés de repérer jamais la vérité, à savoir l’innocence de leurs victimes.
Cette accusation soulageait temporairement les hommes de leur violence mais elle « se retournait » contre eux car elle les asservissait à Satan, autrement dit aux principautés et aux puissances avec leurs dieux mensongers et leurs sacrifices sanglants.
En rendant son innocence manifeste dans les récits de la Passion, Jésus a « effacé » cette dette, « il l’a fait disparaître ». C’est lui maintenant qui cloue cette accusation sur la Croix, autrement dit qui en révèle la fausseté. Alors que d’habitude l’accusation cloue la victime sur la Croix, ici au contraire l’accusation est elle-même clouée et en quelque sorte exhibée et exposée en tant que mensongère. La Croix fait triompher la vérité car, dans les récits évangéliques, la fausseté de l’accusation est révélée, l’imposture de Satan ou, ce qui revient au même, celle des principautés et des puissances est à jamais discréditée dans le sillage de la crucifixion. Ce sont toutes les victimes du même type qui sont réhabilitées.
Satan faisait des humains ses obligés, ses débiteurs, en même temps que les complices de ses crimes. En révélant le caractère mensonger de tout son jeu, la Croix expose les hommes à surcroît temporaire de violence mais plus fondamentalement elle libère l’humanité d’une servitude qui dure depuis le début de l’histoire humaine.
Ce n’est pas seulement l’accusation qui est clouée à la Croix, et exposée au regard de tous : les principautés et les puissances elles-mêmes sont données en spectacle à la face du monde et entraînées dans le cortège triomphal du Christ crucifié, elles aussi sont en quelque sorte crucifiées. Loin d’être fantaisistes et improvisées, ces métaphores sont d’une exactitude à vous couper le souffle en ceci que le révélé et le révélateur ici et là ne font qu’un : dans les deux cas c’est le tous-contre-un dont la vraie nature, mimétique, est dissimulée dans le cas de Satan et des puissances, révélée dans la crucifixion du Christ, dans les récits véridiques de la Passion.
La Croix et l’origine satanique des fausses religions et des puissances ne sont qu’un seul et même phénomène, révélé dans un cas, dissimulé dans l’autre. C’est pourquoi Dante, au fond de son Enfer, a représenté Satan cloué sur la croix 1.
Dès que le mécanisme victimaire est correctement épinglé ou plutôt cloué sur la Croix, son caractère dérisoire, insignifiant apparaît au grand jour et tout ce qui repose sur lui dans le monde perd graduellement son prestige, s’affaiblit et finira par disparaître.
La métaphore principale est celle du triomphe au sens romain, c’est-à-dire la récompense que Rome accordait à ses généraux victorieux. Debout sur son char le triomphateur faisait une entrée solennelle dans la Ville sous les acclamations de la foule. Dans son cortège figuraient les chefs ennemis enchaînés. Avant de faire exécuter ces derniers, on les exhibait, telles des bêtes féroces réduites à l’impuissance. Vercingétorix joua ce rôle dans le triomphe de César.
Le général victorieux est ici le Christ et sa victoire c’est la Croix. Ce dont le christianisme triomphe c’est de l’organisation païenne du monde. Les chefs ennemis enchaînés derrière leur vainqueur sont les principautés et les puissances. L’auteur compare les effets irrésistibles de la Croix à ceux de la force militaire encore toute-puissante au moment où il écrivait, l’armée romaine.
De toutes les idées chrétiennes aucune de nos jours ne suscite plus de sarcasmes que celle qui s’exprime si ouvertement dans notre texte, l’idée d’un triomphe de la Croix. Aux chrétiens vertueusement progressistes, elle paraît aussi arrogante qu’absurde. Pour définir l’attitude qu’ils réprouvent ils ont mis à la mode le terme de triomphalisme. S’il existe quelque part une charte originelle du triomphalisme c’est le texte que je suis en train de commenter. Elle semble écrite tout exprès, dirait-on, pour exciter l’indignation des modernistes toujours très soucieux de rappeler l’Église à son devoir d’humilité.
Mais il y a dans cette triomphante métaphore un paradoxe trop évident pour ne pas être délibéré, pour ne pas relever d’une intention ironique. La violence militaire est aussi étrangère que possible à ce dont parle réellement l’épître. La victoire du Christ n’a rien à voir avec celle d’un général victorieux : au lieu d’infliger sa violence aux autres, le Christ la subit. Ce qu’il faut retenir ici dans l’idée du triomphe ce n’est pas l’aspect militaire, c’est l’idée d’un spectacle offert à tous les hommes, c’est l’exhibition publique de ce que l’ennemi aurait dû dissimuler afin de se protéger, afin de persévérer dans son être que lui dérobe la Croix.
Loin d’être obtenu par la violence, le triomphe de la Croix est le fruit d’un renoncement si total que la violence peut se déchaîner tout son saoul sur le Christ, sans se douter qu’en se déchaînant, elle rend manifeste ce qu’il lui importe de dissimuler, sans soupçonner que ce déchaînement va se retourner contre elle cette fois car il sera enregistré et représenté très exactement dans les récits de la Passion.
Si on ne voit pas le rôle des contagions mimétiques dans la vie des sociétés, l’idée que les principautés et les puissances sont exhibées et dépouillées par la Croix apparaît comme une absurdité, une inversion pure et simple de la vérité.
C’est tout le contraire de ce qu’affirme notre texte, semble-t-il, qui s’est produit lors de la crucifixion. Ce sont les principautés et les puissances qui ont cloué le Christ sur la Croix et l’ont dépouillé de tout sans qu’il en résulte pour elles le moindre dommage.
Notre texte contredit donc insolemment tout ce qu’un certain bon sens regarde comme la dure et triste vérité derrière la Passion. Loin d’être invisibles, les puissances sont des présences éclatantes dans notre monde. Elles y tiennent le haut du pavé. Elles ne cessent de s’y pavaner, de faire étalage de leur pouvoir et de leur luxe. On n’a pas besoin de les exhiber, elles s’exhibent en permanence.
L’idée du triomphe de la Croix paraît tellement absurde aux yeux des exégètes soi-disant scientifiques qu’ils y voient volontiers une de ces inversions complètes auxquelles les désespérés soumettent le réel lorsque leur univers s’effondre et qu’ils ne peuvent plus affronter la vérité… C’est ce que les psychiatres appellent un phénomène de compensation. Les êtres dévastés par une catastrophe irréparable, privés de tout espoir concret, intervertissent tous les signes qui les renseignent sur le réel : de tous les moins ils font des plus et de tous les plus ils font des moins. C’est ce qui est arrivé aux disciples de Jésus après la crucifixion, c’est ce que les croyants appellent la Résurrection.
La précision et la sobriété des récits de la crucifixion, leur unité aussi, plus nette que celle du reste des Évangiles, ne donnent nullement l’impression de refléter l’espèce de catastrophe psychique, de rupture avec le réel imaginée par ces critiques.
L’idée du triomphe de la Croix s’explique très bien de façon rationnelle, sans recourir à des hypothèses psychologiques. Elle correspond à une réalité indubitable que nous allons bientôt constater. La Croix a vraiment transformé le monde et on peut donner de sa puissance une interprétation qui ne fait pas appel à la foi religieuse. On peut donner au triomphe de la Croix un sens plausible dans un contexte purement rationnel.
La plupart des hommes, lorsqu’ils réfléchissent à la Croix, ne voient que l’événement dans sa brutalité, la mort terrible de Jésus qui s’est déroulée, semble-t-il, de façon à infliger au triomphalisme de notre épître le démenti le plus cinglant.
À côté de l’événement brut, toutefois, qui donne l’avantage immédiat aux principautés et aux puissances puisqu’il le débarrasse de Jésus, il existe une autre histoire méconnue par les historiens et pourtant tout aussi réelle, tout aussi objective que la leur et c’est l’histoire non des événements eux-mêmes mais de leur représentation.
L’événement qui se situe derrière les mythes et qui les gouverne sans que les mythes nous permettent de le repérer car ils le défigurent et le transfigurent, les Évangiles, je le répète, le représentent tel qu’il est, dans toute sa vérité, et mettent cette vérité jamais repérée par les hommes à la disposition de toute l’humanité.
En dehors des récits de la Passion et des chants du Serviteur de Yahvé, les principautés et les puissances sont visibles dans leur splendeur extérieure mais elles sont invisibles et inconnues dans leur origine violente, honteuse. L’envers du décor n’est jamais là et c’est cet envers que la Croix du Christ, pour la première fois, apporte aux hommes.
Pour tout ce qui touche à leur fausse gloire, les puissances se chargent de leur propre publicité mais ce que la Croix révèle à leur sujet, c’est la honte de leur origine violente qui doit rester dissimulée pour empêcher leur effondrement.
C’est ce qu’exprime l’image des principautés et puissances « données en spectacle à la face du monde », traînées dans « le cortège triomphal » du Christ.
En clouant le Christ sur la Croix les puissances croyaient faire ce qu’elles font d’habitude en déclenchant le mécanisme victimaire, elles croyaient écarter une menace de révélation, elles ne se doutaient pas qu’en fin de compte,, elles faisaient tout le contraire, elles travaillaient à leur propre anéantissement, elles se clouaient elles-mêmes sur la Croix en quelque sorte, dont elles ne soupçonnaient pas le pouvoir révélateur.
En privant le mécanisme victimaire des ténèbres dont il doit s’entourer pour gouverner toutes choses, la Croix bouleverse le monde. Sa lumière prive Satan de son pouvoir principal, celui d’expulser Satan. Une fois que ce soleil noir sera tout entier éclairé par la Croix, il ne pourra plus limiter sa capacité de destruction. Satan détruira son royaume et il se détruira lui-même.
Comprendre ceci c’est comprendre pourquoi Paul voit dans la Croix la source de tout savoir sur le monde et sur les hommes aussi bien que sur Dieu. Lorsque Paul affirme ne rien vouloir connaître en dehors du Christ crucifié, il ne fait pas de l’« anti-intellectualisme ». Ce n’est pas un mépris pour la connaissance qui s’affiche. Il croit très littéralement qu’il n’y a pas de savoir supérieur à celui du Christ crucifié. Si on se met à cette école-là on en saura plus à la fois sur les hommes et sur Dieu que si l’on s’adresse à toute autre source de savoir.
La souffrance de la Croix est le prix que Jésus accepte de payer pour offrir à l’humanité cette représentation vraie de l’origine dont elle reste prisonnière, et pour priver à la longue le mécanisme victimaire de son efficacité.
Dans le triomphe d’un général victorieux, l’exhibition humiliante du vaincu est seulement une conséquence de la victoire, alors qu’ici c’est cette victoire elle-même, c’est le dévoilement de l’origine violente. Ce n’est pas parce qu’elles sont défaites que les puissances sont données en spectacle, c’est parce qu’elles sont données en spectacle qu’elles sont défaites.
Il y a de l’ironie donc dans la métaphore du triomphe militaire et ce qui la rend savoureuse c’est le fait que Satan et ses cohortes ne respectent que la puissance. Ils ne pensent qu’en termes de triomphe militaire. Ils sont donc battus par une arme dont l’efficacité leur est inconcevable, elle contredit toutes leurs croyances, toutes leurs valeurs. C’est l’impuissance la plus radicale qui triomphe du pouvoir d’auto-expulsion satanique.
* * *
Pour comprendre la différence entre la mythologie et les Évangiles, entre la dissimulation mythique et la révélation chrétienne, il faut donc cesser de confondre la représentation avec la chose représentée.
Beaucoup d’exégètes s’imaginent que lorsqu’une chose est représentée dans un texte, celui-ci est en quelque sorte soumis à sa propre représentation. Ils pensent que ce mécanisme victimaire dont je ne cesse de parler doit dominer les Évangiles, puisque c’est là seulement qu’il est vraiment visible et pas ailleurs. On tient ce même mécanisme pour absent au contraire de la mythologie parce qu’il n’y est jamais représenté, parce qu’il n’y a aucun indice explicite de sa présence.
On s’étonne de me voir dire que le meurtre collectif est essentiel pour la genèse des mythes, et qu’il n’a rien à nous dire au contraire sur la genèse des Évangiles.
Le meurtre collectif, ou mécanisme victimaire, a tout à voir avec la genèse des textes qui ne le représentent pas et ne peuvent pas le représenter précisément parce qu’ils reposent réellement sur lui, parce que le mécanisme victimaire est leur principe générateur. Ces textes sont les mythes.
Les exégètes sont dupes de la tendance de notre esprit à conclure trop vite que les textes qui font état de la violence collective sont des textes violents dont nous avons le devoir de dénoncer la violence.
Sous l’influence du nietzschéisme notre esprit tend à fonctionner sur le principe du « pas de fumée sans feu », aussi mystificateur que possible dans le cas qui nous occupe. Ils traitent la révélation judéo-chrétienne comme une espèce de symptôme freudien ou nietzschéen au sens de « la morale des esclaves ». Ils voient dans la révélation du mécanisme victimaire l’affleurement d’un ressentiment social, par exemple. Jamais ils ne se demandent si cette révélation, par hasard, ne serait pas justifiée.
C’est là où il n’est pas représenté que l’emballement mimétique peut jouer un rôle générateur du fait même qu’il n’est pas représenté. Une fois que la communauté tout entière a succombé à la contagion, tout ce qu’elle dit, c’est le mimétisme violent qui le dit pour elle, c’est le mimétisme qui dit la culpabilité de la victime et l’innocence des persécuteurs. Ce n’est plus vraiment cette communauté qui parle, c’est celui que les Évangiles nomment l’accusateur, Satan.
Les exégètes faussement scientifiques ne voient pas que le judaïque et le chrétien sont les premières représentations révélatrices et libératrices à l’égard d’une violence qui est là depuis toujours mais qui, jusqu’au biblique, restait dissimulée dans l’infrastructure mythologique.
Sous l’influence de Nietzsche et de Freud, on va chercher d’emblée dans ces textes, dont la référentialité est toujours niée sans la moindre preuve, les indices d’un « complexe de persécution » dont le judéo-chrétien dans son ensemble serait affligé, alors que la mythologie, au contraire, en serait exempte.
La preuve que tout ceci est absurde, c’est la superbe indifférence, le mépris royal dont la mythologie fait preuve à l’égard de tout ce qui suggère une violence possible des forts contre les faibles, des majorités contre les minorités, des bien-portants contre les malades, des normaux contre les anormaux, des autochtones contre les étrangers, etc.
La confiance moderne dans les mythes est d’autant plus étrange de nos jours que nos contemporains se montrent terriblement soupçonneux à l’égard de leur propre société. Ils voient partout des victimes dissimulées sauf là où il y en a vraiment, dans les mythes qu’ils ne regardent jamais d’un œil vraiment critique.
Sous l’influence du nietzschéisme toujours, les penseurs contemporains ont pris l’habitude de voir dans les mythes des textes aimables, sympathiques, allègres, guillerets, très supérieurs à l’Écriture judéo-chrétienne dominée, elle, non par un souci légitime de justice et de vérité, mais par un soupçon morbide…
Si on adopte cette vision, et tout le monde peu ou prou l’adopte dans le monde actuel, on prend pour argent comptant l’absence apparente de violences injustes dans les mythes, ou la transfiguration esthétique de ces violences. Le judaïque et le chrétien passent pour trop obsédés au contraire par les persécutions pour ne pas entretenir avec elles un rapport trouble qui suggère leur culpabilité.
Pour appréhender le malentendu dans son énormité, il faut le transposer dans une affaire de victime injustement condamnée, une affaire si bien éclaircie désormais qu’elle exclut tout malentendu.
À l’époque où le capitaine Dreyfus, condamné pour un crime qu’il n’avait pas commis, purgeait sa peine à l’autre bout du monde, d’un côté il y avait les « antidreyfusards » extrêmement nombreux et parfaitement sereins et satisfaits car ils tenaient leur victime collective et se félicitaient de la voir justement châtiée.
De l’autre côté il y avait les défenseurs de Dreyfus, très peu nombreux d’abord et qui passèrent longtemps pour des traîtres patentés ou, au mieux, pour des mécontents professionnels, de véritables obsédés, toujours occupés à remâcher toutes sortes de griefs et de soupçons dont personne autour d’eux ne voyait le bien-fondé. On cherchait dans la morbidité personnelle ou dans les préjugés politiques la raison du comportement dreyfusard.
En réalité, l’antidreyfusisme était un véritable mythe, une accusation fausse universellement confondue avec la vérité, entretenue par une contagion mimétique si surexcitée par le préjugé antisémite qu’aucun fait pendant des années ne parvint à l’ébranler.
Ceux qui célèbrent l’« innocence » des mythes, leur joie de vivre, leur bonne santé et qui opposent tout cela au soupçon maladif de la Bible et des Évangiles commettent la même erreur, je pense, que ceux qui optaient hier pour l’antidreyfusisme contre le dreyfusisme. C’est bien ce que proclamait à l’époque un écrivain nommé Charles Péguy.
Si les dreyfusards n’avaient pas combattu pour imposer leur point de vue, s’ils n’avaient pas souffert, au moins certains d’entre eux, pour la vérité, s’ils avaient admis, comme on le fait de nos jours, que le fait même de croire en une vérité absolue est le vrai péché contre l’esprit, Dreyfus n’aurait jamais été réhabilité, le mensonge aurait triomphé.
Si on admire les mythes qui ne voient de victimes nulle part, et si on condamne la Bible et les Évangiles parce qu’au contraire ils en voient partout, on renouvelle l’illusion de ceux qui, à l’époque héroïque de l’Affaire, refusaient d’envisager la possibilité d’une erreur judiciaire. Les dreyfusards ont fait triompher à grand-peine une vérité aussi absolue, intransigeante et dogmatique que celle de Joseph dans son opposition à la violence mythologique.
* * *
Le mécanisme victimaire n’est pas un thème comme les autres, simplement littéraire. C’est un principe d’illusion, qui ne peut pas figurer en clair dans les textes qu’il gouverne. Si ce principe apparaît explicitement, en tant que principe d’illusion, et c’est ce qu’il fait dans la Bible et les Évangiles, il ne domine certainement pas ceux-ci, au sens où il peut toujours dominer les textes où il n’apparaît pas.
Aucun texte ne peut éclairer l’emballement mimétique sur lequel il repose, aucun texte ne peut reposer sur l’emballement mimétique qu’il éclaire. Il faut donc se garder de confondre la question de la victime unanime avec ce dont parle la critique littéraire, à savoir un de ces thèmes ou motifs qu’on attribue à un écrivain lorsqu’on constate leur présence dans ses écrits, et qu’on ne lui attribue pas, au contraire, si on constate leur absence.
L’erreur à ce sujet est facile à reconnaître mais plus facile encore à méconnaître et elle est partout méconnue. Personne ne soupçonne que si les mythes ne parlent jamais de violence arbitraire, ce pourrait bien être parce qu’ils reflètent sans le savoir la virulence d’une persécution qui ne voit de victimes nulle part mais seulement des coupables justement expulsés, des Œdipe qui ont toujours « réellement » commis leurs parricides et leurs incestes.
Les contenus mythiques sont entièrement déterminés par des emballements mimétiques auxquels les mythes sont trop soumis pour soupçonner leur propre soumission. Aucun texte ne peut faire allusion au principe d’illusion qui le gouverne.
Être victime d’une illusion c’est la tenir pour vraie, c’est donc être incapable de la signaler en tant qu’illusion. En signalant la première l’illusion persécutrice, la Bible amorce une révolution qui, par l’intermédiaire du christianisme, s’étendra peu à peu à l’humanité entière sans être vraiment comprise par ceux qui font métier de tout comprendre. C’est ici le sens principal, je pense, d’une des phrases capitales des Évangiles sous le rapport « épistémologique » : « Je te bénis, Père, … d’avoir caché cela aux sages et aux habiles et de l’avoir révélé aux tout-petits » (Matthieu 11, 25).
La condition sine qua non pour que le mécanisme victimaire domine un texte c’est qu’il n’y figure pas en tant que thème explicite. Et la réciproque est vraie. Un mécanisme victimaire ne peut pas dominer un texte — les Évangiles — où il figure explicitement.
Il y a là un paradoxe dont il faut voir l’horreur, car c’est l’horreur de la Passion, c’est toujours l’individu ou le texte révélateur qui passe pour responsable des violences inexcusables qu’il révèle. C’est le messager, en somme, comme fait la Cléopâtre de Shakespeare, qu’on tient pour responsable des vérités déplaisantes qu’il apporte. C’est le propre des mythes que de cacher la violence. C’est le propre de l’Ecriture judéo-chrétienne que de la révéler et d’en souffrir les conséquences.
Le principe d’illusion qu’est le mécanisme victimaire ne peut pas apparaître au grand jour sans perdre sa puissance structurante. Il exige l’ignorance de persécuteurs qui « ne savent pas ce qu’ils font ». Il exige pour bien fonctionner les ténèbres de Satan.
Les mythes n’ont pas conscience de leur propre violence, qu’ils font passer au niveau transcendantal, en démonisant-divinisant leurs propres victimes. Ce sont ces violences-là justement qui dans la Bible deviennent visibles. Les victimes deviennent de vraies victimes non plus coupables mais innocentes. Les persécuteurs deviennent de vrais persécuteurs, non plus innocents mais coupables. Ce ne sont pas nos prédécesseurs que nous mettons sans cesse en accusation qui sont coupables, c’est nous qui sommes inexcusables.
Un mythe est la non-représentation mensongère qu’un emballement mimétique et son mécanisme victimaire donnent d’eux-mêmes par l’intermédiaire de la communauté qui en est le jouet. L’emballement mimétique n’est jamais objectivé, jamais représenté au sein du discours mythique, il est le vrai sujet de celui-ci, toujours dissimulé. Il est celui que les Évangiles nomment Satan ou le diable.
Si je me répète autant que je le fais c’est parce que l’erreur que je signale est constamment répétée autour de moi et qu’elle joue un rôle essentiel dans le paradoxe de la Croix.
* * *
La preuve qu’il est difficile de comprendre ce que je viens de dire ou trop facile peut-être, c’est que Satan lui-même ne l’a pas compris. Ou plutôt, il l’a compris trop tard pour protéger son royaume. Son manque de rapidité a eu, sur l’histoire humaine, des conséquences formidables.
Dans sa première épître aux Corinthiens, Paul écrit : « Si les princes de ce monde avaient connu [la sagesse de Dieu] ils n’auraient pas crucifié le Seigneur de gloire » (1 Co 2, 8).
« Les princes de ce monde », qui sont ici la même chose que Satan, ont crucifié le Seigneur de gloire parce qu’ils attendaient de cet événement certains résultats favorables à leurs intérêts. Ils espéraient que le mécanisme fonctionnerait comme d’habitude, à l’abri des regards indiscrets, et qu’ils seraient débarrassés de Jésus et de son message. Au début de l’affaire ils avaient d’excellentes raisons de penser que tout se passerait très bien.
La crucifixion est un mécanisme victimaire comme les autres, il se déclenche comme les autres, il se déroule comme les autres et pourtant il a des résultats différents de tous les autres.
Jusqu’à la Résurrection, rien ne laissait prévoir le retournement d’un emballement mimétique auquel les disciples eux-mêmes avaient déjà à demi succombé. Les princes de ce monde pouvaient se frotter les mains et pourtant, en fin de compte, leurs calculs ont été déjoués. Au lieu d’escamoter une fois de plus le secret du mécanisme victimaire, les quatre récits de la Passion le diffusent aux quatre coins du monde, ils lui donnent une publicité gigantesque.
A partir de la phrase de Paul que je viens de citer, Origène et de nombreux Pères de langue grecque ont élaboré une thèse qui a joué un grand rôle pendant des siècles, celle de Satan dupé par la Croix 2. Dans cette formule, Satan équivaut à ceux que saint Paul nomme les « princes de ce monde ».
Dans le christianisme occidental, cette thèse n’a jamais connu la même faveur qu’en Orient et finalement, pour autant que je sache, elle a complétement disparu. On l’a même soupçonnée de « pensée magique ». On se demande si elle ne fait pas jouer à Dieu un rôle indigne de lui.
Elle assimile la Croix à une espèce de piège divin, une ruse de Dieu, plus forte encore que les ruses de Satan. Sous la plume de certains Pères une métaphore bizarre surgit qui a contribué à la méfiance occidentale. Le Christ est comparé à l’appât que le pêcheur accroche à son hameçon pour prendre au piège de sa gourmandise un poisson qui n’est autre que Satan.
Le rôle que cette thèse fait jouer à Satan inquiète les Occidentaux. À mesure que le temps passe, le rôle du diable se rétrécit dans la pensée théologique. Sa disparition est fâcheuse dans la mesure où Satan ne fait qu’un avec le mimétisme conflictuel seul capable d’éclairer la signification véritable et la légitimité de la conception patristique.
La découverte du cycle mimétique, ou satanique, permet de comprendre que la thèse de Satan dupé par la Croix contient une intuition essentielle. Elle tient compte du type d’obstacle que les conflits mimétiques opposent à la révélation chrétienne.
Les sociétés mythico-rituelles sont prisonnières d’une circularité mimétique à laquelle elles ne peuvent pas échapper puisqu’elles ne la repèrent même pas. C’est vrai encore aujourd’hui : toutes nos pensées sur l’homme, toutes nos philosophies, toutes nos sciences sociales, toutes nos psychanalyses, etc., sont fondamentalement païennes en ceci qu’elles reposent sur un aveuglement au mimétisme conflictuel analogue à celui des systèmes mythico-rituels eux-mêmes.
En nous permettant d’accéder à l’intelligence du mécanisme victimaire et des cycles mimétiques, les récits de la Passion permettent aux hommes de repérer leur prison invisible et de comprendre leur besoin de rédemption.
N’étant pas en communion avec Dieu, les « princes de ce monde » n’ont pas compris que les comptes rendus du mécanisme victimaire déclenché contre Jésus seraient très différents des comptes rendus mythiques. S’ils avaient pu lire l’avenir, non seulement ils n’auraient pas encouragé la crucifixion mais ils s’y seraient opposés de toutes leurs forces.
Lorsque les princes de ce monde finalement ont compris la portée réelle de la Croix, il était trop tard pour revenir en arrière : Jésus était crucifié, les Évangiles rédigés. Paul a donc raison d’affirmer : « Si les princes de ce monde avaient connu la sagesse de Dieu, ils n’auraient pas crucifié le Seigneur de gloire ».
En rejetant l’idée de Satan dupé par la Croix, l’Occident se prive d’une richesse irremplaçable dans le domaine de l’anthropologie.
Les théories médiévales et modernes de la rédemption vont toutes chercher du côté de Dieu, de son honneur, de sa justice, ou même de sa colère, ce qui fait obstacle au salut. Elles ne réussissent pas à trouver l’obstacle là où elles devraient le chercher, dans l’humanité pécheresse, dans les rapports entre les hommes, dans le mimétisme conflictuel, qui est la même chose que Satan. Elles parlent beaucoup de péché originel mais elles ne parviennent pas à en concrétiser l’idée. C’est pourquoi, même si elles sont théologiquement vraies, elles donnent une impression d’arbitraire et d’injustice envers l’humanité.
Une fois le mauvais mimétisme repéré, l’idée de Satan dupé par la Croix acquiert un sens précis que les Pères grecs visiblement pressentaient sans parvenir à l’expliciter d’une façon entièrement satisfaisante.
Être « fils du diable » au sens de l’Évangile de Jean, c’est être enfermé, on l’a vu, dans le système mensonger du mimétisme conflictuel qui ne peut déboucher que sur les systèmes mythico-rituels ou, de nos jours, sur ces formes plus modernes d’idolâtrie que sont les idéologies par exemple ou le culte de la science.
Les Pères grecs avaient raison de dire que, dans la Croix, Satan est le mystificateur pris au piège de sa propre mystification. Le mécanisme victimaire était son bien personnel, sa chose à lui, l’instrument de cette auto-expulsion qui met le monde à ses pieds. Dans la Croix ce mécanisme échappe une fois pour toutes au contrôle que Satan exerçait sur lui et le monde change de face.
Si Dieu a permis à Satan de régner un certain temps sur l’humanité c’est parce qu’il savait à l’avance que le moment venu, le Christ aurait raison de cet adversaire en mourant sur la Croix. La sagesse divine avait prévu depuis toujours que le mécanisme victimaire serait retourné comme un gant, dévoilé, éventé, désamorcé dans les récits de la Passion et que ni Satan ni les puissances ne pourraient empêcher cette révélation.
En déclenchant le mécanisme victimaire contre Jésus, Satan croyait protéger son royaume, défendre son bien, sans se rendre compte qu’il faisait tout le contraire. Il faisait exactement ce que Dieu souhaitait qu’il fît. Seul Satan pouvait mettre en route, sans s’en douter, le processus de sa propre destruction.
La thèse de Satan dupé par la Croix a besoin d’être complétée par une définition claire de ce qui emprisonne les hommes dans le royaume de Satan, et cette définition seuls le mimétisme conflictuel et sa conclusion victimaire peuvent la fournir. Il ne faut pas en conclure qu’il suffit de repérer le mimétisme pour en être débarrassé.
Le texte de Paul d’où j’ai extrait la phrase que je viens de commenter est porté par un souffle spirituel extraordinaire. Paul y pressent l’existence d’un plan divin qui porte sur toute l’histoire humaine, et qu’il ne peut pas vraiment formuler. Il débouche sur des balbutiements extatiques plutôt que sur une thèse pleinement développée. Il évoque une sagesse mystérieuse, demeurée cachée, celle que dès avant les siècles Dieu a par avance destinée pour notre gloire, celle qu’aucun des princes de ce monde n’a connue — s’ils l’avaient connue, ils n’auraient pas crucifié le Seigneur de la Gloire. Comme il est écrit, nous annonçons ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme… (1 Co 2, 6-9).
Dieu a permis à Satan de régner un certain temps sur l’humanité, prévoyant que, le moment venu, il aurait raison de lui en mourant sur la Croix. Grâce à cette mort, la sagesse divine le savait, le mécanisme victimaire serait neutralisé et, loin de s’opposer efficacement à cela, Satan y participerait sans le savoir. En faisant de Satan la victime d’une espèce de ruse divine, les Pères grecs suggèrent des aspects de la révélation aujourd’hui obscurcis parce qu’ils portent essentiellement sur l’anthropologie de la Croix.
Satan lui-même a mis la vérité à la disposition des hommes, il a rendu possible le retournement de son propre mensonge, il a rendu la vérité de Dieu universellement lisible.
L’idée de Satan dupé par la Croix n’est donc pas magique du tout et n’offense nullement la dignité de Dieu. La ruse dont Satan est la victime ne comporte ni la moindre violence ni la moindre dissimulation de la part de Dieu. Ce n’est pas vraiment une ruse, c’est l’impuissance du prince de ce monde à comprendre l’amour divin. Si Satan ne voit pas Dieu, c’est parce qu’il est tout entier mimétisme conflictuel. Il est extrêmement perspicace pour tout ce qui touche aux conflits rivalitaires, aux scandales et à leurs suites persécutrices mais il est aveugle à toute réalité autre que celle-là. Satan fait du mauvais mimétisme ce que j’espère ne pas en faire moi-même, une théorie totalitaire et infaillible qui rend le théoricien, humain ou satanique, sourd et aveugle à l’amour de Dieu pour les hommes et à l’amour des hommes entre eux.
C’est Satan qui transforme lui-même son propre mécanisme en un piège dans lequel il tombe. Dieu ne se conduit pas d’une manière déloyale même envers Satan, mais il se laisse crucifier pour le salut des hommes, ce que Satan ne peut absolument pas concevoir.
Le prince de ce monde a trop compté sur l’extra-ordinaire puissance de dissimulation du mécanisme victimaire.
Les Évangiles eux-mêmes attirent notre attention sur la perte de l’unanimité mythique partout où Jésus intervient. Jean en particulier signale à maintes reprises la division entre les témoins après les paroles et les actes de Jésus.
Après chaque intervention de Jésus, les témoins se querellent et, loin d’unifier les hommes, son message suscite le désaccord et la division. C’est dans la crucifixion surtout que cette division joue un rôle capital. Sans elle il n’y aurait pas de révélation évangélique ; le mécanisme victimaire ne serait pas représenté. Comme dans les mythes, il serait transfiguré en action juste et légitime.
René Girard, in Je vois Satan tomber comme l’éclair
- Voir John Freccero, The Poetics of Conversion, Harvard University Press, 1986 : « The sign of Satan », pp. 167-179.
- Jean Daniélou, Origène, Paris, La Table ronde, 1948, pp. 264-269.
Voir par ailleurs:
« Please explain the symbolism in the scene showing Satan holding a bald baby. Thank you. »
Rosalinda Celentano as Satan
That’s just one of dozens of e-mails we’ve received in the last few days, asking about a surreal scene in The Passion of The Christ where Satan is shown cradling a hideous baby who looks like he’s about 40 years old.
The scene occurs during the flogging of Christ. Satan is passing through a crowd of onlookers, cradling an infant in his arms. The baby turns to face the camera, revealing a sinister infant, creeping out audiences everywhere.
We took your questions straight to the source, e-mailing Mel Gibson’s publicist for an answer.
When asked why he portrayed Satan—an androgynous, almost beautiful being played by Rosalinda Celentano—the way he did, Gibson replied: « I believe the Devil is real, but I don’t believe he shows up too often with horns and smoke and a forked tail. The devil is smarter than that. Evil is alluring, attractive. It looks almost normal, almost good—but not quite.
« That’s what I tried to do with the Devil in the film. The actor’s face is symmetric, beautiful in a certain sense, but not completely. For example, we shaved her eyebrows. Then we shot her almost in slow motion so you don’t see her blink—that’s not normal. We dubbed in a man’s voice in Gethsemane even though the actor is a woman … That’s what evil is about, taking something that’s good and twisting it a little bit. »
But what about the ugly baby?
« Again, » said Gibson, « it’s evil distorting what’s good. What is more tender and beautiful than a mother and a child? So the Devil takes that and distorts it just a little bit. Instead of a normal mother and child you have an androgynous figure holding a 40-year-old ‘baby’ with hair on his back. It is weird, it is shocking, it’s almost too much—just like turning Jesus over to continue scourging him on his chest is shocking and almost too much, which is the exact moment when this appearance of the Devil and the baby takes place. »
Un Christ électrifié, ça a quel effet ?…
Pendant toute la semaine de Pâques, à la cathédrale de Gap, on a y voir la sculpture suivante : une représentation de Jésus Christ sur une chaise électrique, une œuvre de l’artiste Paul Fryer. Cette exposition, commanditée par l’évêque de Gap et…
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[…] Antichristianisme: Cachez cette croix que je ne saurai voir (I … […]
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il faudrit mettre la croix a l’envers et ne pas le cacher
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le christianisme a commencé à se faire connaitre avec les premiers chrétiens dans la rome antique qui priaient en secret car ils étaient(déjà)persécutés.Beaucoup d’entre eux furent capturés et jetés dans la fosse aux lions ou la majorité d’entre eux fut dévorée à l’exception de quelques uns qui furent miraculeusement épargnés par les lions.Le christianisme repose essentiellement sur la notion de sacrifice (au sens propre comme au sens figuré) de soi pour les autres jusqu’à perdre parfois la vie(Jésus_Christ a montré l’exemple)pour sauver les autres.La foi chrétienne est donc basée sur l’amour de Dieu(Ier commandement) et l’amour de son prochain(tu aimeras ton prochain comme toi_meme,2è commandement)
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Islam a demonti l’idée que Jésus Chris soit crucifié , et il révèle la vérité qu’il ( Jésus Chris ) est jusqu’à ce jour vivant, et il redescendra du ciel un jour précédant immédiatement le jour de résurrection, où il combattra du côté des musulmans contre le menteur DAJAL ( celui qui prétend être dieu) , et hélas ce jour là les chrétiens et juifs vont se réunir autours de ce menteur et subiront le même sort que lui. Tout ça est une révélation de notre prophète MOHAMED (prières et salut sur lui) et je suis certains que cette révélation est citée dans les livres sacrés des chrétiens et juifs malheureusement ces livres ont été falsifiés , et le coran lui seul est telqu’il a été révélé depuis 14 siècle . J’espère que vous lisez profondément sur l’islam qui est une vérité claire, qui vous conduira au paradis sur terre et après le jour du jugement.
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[…] Il y a deux grandes attitudes à mon avis dans l’histoire humaine, il y a celle de la mythologie qui s’efforce de dissimuler la violence (…) la plus répandue, la plus normale, la plus naturelle à l’homme et (…) l ’autre (…) beaucoup plus rare et (…) même unique au monde (…) réservée tout entière aux grands moments de l’inspiration biblique et chrétienne [qui] consiste non pas à pudiquement dissimuler mais, au contraire, à révéler la violence dans toute son injustice et son mensonge, partout où il est possible de la repérer. C’est l’attitude du Livre de Job et c’est l’attitude des Evangiles. […]. C’est l’attitude qui nous a permis de découvrir l’innocence de la plupart des victimes que même les hommes les plus religieux, au cours de leur histoire, n’ont jamais cessé de massacrer et de persécuter. C’est là qu’est l’inspiration commune au judaïsme et au christianisme, et c’est la clef, il faut l’espérer, de leur réconciliation future. C’est la tendance héroïque à mettre la vérité au-dessus même de l’ordre social. René Girard […]
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[…] il y a eu des gestes de prudence extraordinaires, puisque Kroutchev n’a pas maintenu à Cuba les bombes atomiques. Il y a, dans ce geste, quelque chose de décisif. Ce fut le seul moment effrayant pour les hommes d’Etat eux-mêmes. Aujourd’hui nous savons qu’il y a des pays qui essaient par tous les moyens de se procurer ces armes et nous savons aussi qu’ils sont bien décidés à les utiliser. On a donc encore franchi un pallier. René Girard […]
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[…] “Dionysos contre le ‘crucifié’ ” : la voici bien l’opposition. Ce n’est pas une différence quant au martyr – mais celui-ci a un sens différent. La vie même, son éternelle fécondité, son éternel retour, détermine le tourment, la destruction, la volonté d’anéantir pour Dionysos. Dans l’autre cas, la souffrance, le « crucifié » en tant qu’il est « innocent », sert d’argument contre cette vie, de formulation de sa condamnation. (…) L’individu a été si bien pris au sérieux, si bien posé comme un absolu par le christianisme, qu’on ne pouvait plus le sacrifier : mais l’espèce ne survit que grâce aux sacrifices humains… La véritable philanthropie exige le sacrifice pour le bien de l’espèce – elle est dure, elle oblige à se dominer soi-même, parce qu’elle a besoin du sacrifice humain. Et cette pseudo-humanité qui s’institue christianisme, veut précisément imposer que personne ne soit sacrifié. Nietzsche […]
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[…] Retour, toujours avec le chercheur franco-américain Jacques Doukhan, sur l’impact négatif que peuvent avoir, pour lesdites relations, certains symboles chrétiens tels que la croix. […]
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[…] Retour, toujours avec le chercheur franco-américain Jacques Doukhan, sur l’impact négatif que peuvent avoir, pour lesdites relations, certains symboles chrétiens tels que la croix. […]
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[…] Dans la foi musulmane, il y a un aspect simple, brut, pratique qui a facilité sa diffusion et transformé la vie d’un grand nombre de peuples à l’état tribal en les ouvrant au monothéisme juif modifié par le christianisme. Mais il lui manque l’essentiel du christianisme : la croix. Comme le christianisme, l’islam réhabilite la victime innocente, mais il le fait de manière guerrière. La croix, c’est le contraire, c’est la fin des mythes violents et archaïques. René Girard […]
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[…] L’individu a été si bien pris au sérieux, si bien posé comme un absolu par le christianisme, qu’on ne pouvait plus le sacrifier : mais l’espèce ne survit que grâce aux sacrifices humains… La véritable philanthropie exige le sacrifice pour le bien de l’espèce – elle est dure, elle oblige à se dominer soi-même, parce qu’elle a besoin du sacrifice humain. Et cette pseudo-humanité qui s’institue christianisme, veut précisément imposer que personne ne soit sacrifié. Nietzsche […]
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[…] souffrance de croyants empêchés de vivre leur foi, l’ultime preuve de la remarquable puissance de scandale que semble avoir conservé le christianisme […]
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[…] souffrance de croyants empêchés de vivre leur foi, l’ultime preuve de la remarquable puissance de scandale que semble avoir conservé le christianisme […]
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[…] souffrance de croyants empêchés de vivre leur foi, l’ultime preuve de la remarquable puissance de scandale que semble avoir conservé le […]
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[…] Pour restituer à la crucifixion sa puissance de scandale, il suffit de la filmer telle quelle, sans rien y ajouter, sans rien en retrancher. Mel Gibson a-t-il réalisé ce programme jusqu’au bout ? Pas complètement sans doute, mais il en a fait suffisamment pour épouvanter tous les conformismes. René Girard […]
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[…] Il y a deux grandes attitudes à mon avis dans l’histoire humaine, il y a celle de la mythologie qui s’efforce de dissimuler la violence, car, en dernière analyse, c’est sur la violence injuste que les communautés humaines reposent. (…) Cette attitude est trop universelle pour être condamnée. C’est l’attitude d’ailleurs des plus grands philosophes grecs et en particulier de Platon, qui condamne Homère et tous les poètes parce qu’ils se permettent de décrire dans leurs oeuvres les violences attribuées par les mythes aux dieux de la cité. Le grand philosophe voit dans cette audacieuse révélation une source de désordre, un péril majeur pour toute la société. Cette attitude est certainement l’attitude religieuse la plus répandue, la plus normale, la plus naturelle à l’homme et, de nos jours, elle est plus universelle que jamais, car les croyants modernisés, aussi bien les chrétiens que les juifs, l’ont au moins partiellement adoptée. L’autre attitude est beaucoup plus rare et elle est même unique au monde. Elle est réservée tout entière aux grands moments de l’inspiration biblique et chrétienne. Elle consiste non pas à pudiquement dissimuler mais, au contraire, à révéler la violence dans toute son injustice et son mensonge, partout où il est possible de la repérer. C’est l’attitude du Livre de Job et c’est l’attitude des Evangiles. C’est la plus audacieuse des deux et, à mon avis, c’est la plus grande. C’est l’attitude qui nous a permis de découvrir l’innocence de la plupart des victimes que même les hommes les plus religieux, au cours de leur histoire, n’ont jamais cessé de massacrer et de persécuter. C’est là qu’est l’inspiration commune au judaïsme et au christianisme, et c’est la clef, il faut l’espérer, de leur réconciliation future. C’est la tendance héroïque à mettre la vérité au-dessus même de l’ordre social. René Girard […]
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[…] Il y a deux grandes attitudes à mon avis dans l’histoire humaine, il y a celle de la mythologie qui s’efforce de dissimuler la violence, car, en dernière analyse, c’est sur la violence injuste que les communautés humaines reposent. (…) Cette attitude est trop universelle pour être condamnée. C’est l’attitude d’ailleurs des plus grands philosophes grecs et en particulier de Platon, qui condamne Homère et tous les poètes parce qu’ils se permettent de décrire dans leurs oeuvres les violences attribuées par les mythes aux dieux de la cité. Le grand philosophe voit dans cette audacieuse révélation une source de désordre, un péril majeur pour toute la société. Cette attitude est certainement l’attitude religieuse la plus répandue, la plus normale, la plus naturelle à l’homme et, de nos jours, elle est plus universelle que jamais, car les croyants modernisés, aussi bien les chrétiens que les juifs, l’ont au moins partiellement adoptée. L’autre attitude est beaucoup plus rare et elle est même unique au monde. Elle est réservée tout entière aux grands moments de l’inspiration biblique et chrétienne. Elle consiste non pas à pudiquement dissimuler mais, au contraire, à révéler la violence dans toute son injustice et son mensonge, partout où il est possible de la repérer. C’est l’attitude du Livre de Job et c’est l’attitude des Evangiles. C’est la plus audacieuse des deux et, à mon avis, c’est la plus grande. C’est l’attitude qui nous a permis de découvrir l’innocence de la plupart des victimes que même les hommes les plus religieux, au cours de leur histoire, n’ont jamais cessé de massacrer et de persécuter. C’est là qu’est l’inspiration commune au judaïsme et au christianisme, et c’est la clef, il faut l’espérer, de leur réconciliation future. C’est la tendance héroïque à mettre la vérité au-dessus même de l’ordre social. René Girard […]
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[…] Il y a deux grandes attitudes à mon avis dans l’histoire humaine, il y a celle de la mythologie qui s’efforce de dissimuler la violence, car, en dernière analyse, c’est sur la violence injuste que les communautés humaines reposent. (…) Cette attitude est trop universelle pour être condamnée. C’est l’attitude d’ailleurs des plus grands philosophes grecs et en particulier de Platon, qui condamne Homère et tous les poètes parce qu’ils se permettent de décrire dans leurs oeuvres les violences attribuées par les mythes aux dieux de la cité. Le grand philosophe voit dans cette audacieuse révélation une source de désordre, un péril majeur pour toute la société. Cette attitude est certainement l’attitude religieuse la plus répandue, la plus normale, la plus naturelle à l’homme et, de nos jours, elle est plus universelle que jamais, car les croyants modernisés, aussi bien les chrétiens que les juifs, l’ont au moins partiellement adoptée. L’autre attitude est beaucoup plus rare et elle est même unique au monde. Elle est réservée tout entière aux grands moments de l’inspiration biblique et chrétienne. Elle consiste non pas à pudiquement dissimuler mais, au contraire, à révéler la violence dans toute son injustice et son mensonge, partout où il est possible de la repérer. C’est l’attitude du Livre de Job et c’est l’attitude des Evangiles. C’est la plus audacieuse des deux et, à mon avis, c’est la plus grande. C’est l’attitude qui nous a permis de découvrir l’innocence de la plupart des victimes que même les hommes les plus religieux, au cours de leur histoire, n’ont jamais cessé de massacrer et de persécuter. C’est là qu’est l’inspiration commune au judaïsme et au christianisme, et c’est la clef, il faut l’espérer, de leur réconciliation future. C’est la tendance héroïque à mettre la vérité au-dessus même de l’ordre social. René Girard […]
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[…] Dans la foi musulmane, il y a un aspect simple, brut, pratique qui a facilité sa diffusion et transformé la vie d’un grand nombre de peuples à l’état tribal en les ouvrant au monothéisme juif modifié par le christianisme. Mais il lui manque l’essentiel du christianisme : la croix. Comme le christianisme, l’islam réhabilite la victime innocente, mais il le fait de manière guerrière. La croix, c’est le contraire, c’est la fin des mythes violents et archaïques. René Girard […]
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[…] Je me souviens d’un journal dans lequel il y avait deux articles juxtaposés. Le premier se moquait de l’Apocalypse d’une certaine façon ; le second était aussi apocalyptique que possible. Le contact de ces deux textes qui se faisaient face et qui dans le même temps se donnaient comme n’ayant aucun rapport l’un avec l’autre avait quelque chose de fascinant. (…) Nous sommes encore proches de cette période des grandes expositions internationales qui regardait de façon utopique la mondialisation comme l’Exposition de Londres – la « Fameuse » dont parle Dostoievski, les expositions de Paris… Plus on s’approche de la vraie mondialisation plus on s’aperçoit que la non-différence ce n’est pas du tout la paix parmi les hommes mais ce peut être la rivalité mimétique la plus extravagante. On était encore dans cette idée selon laquelle on vivait dans le même monde : on n’est plus séparé par rien de ce qui séparait les hommes auparavant donc c’est forcément le paradis. Ce que voulait la Révolution française. Après la nuit du 4 août, plus de problème ! L’Amérique connaît bien cela. Il est évident que la non-différence de classe ne tarit pas les rivalités mais les excite à mort avec tout ce qu’il y a de bon et de mortel dans ce phénomène. (…) il n’y a plus de sacrifice et donc les hommes sont exposés à la violence et il n’y a plus que deux choix : soit on préfère subir la violence soit on cherche à l’infliger à autrui. Le Christ veut nous dire entre autres choses : il vaut mieux subir la violence (c’est le sacrifice de soi) que de l’infliger à autrui. Si Dieu refuse le sacrifice, il est évident qu’il nous demande la non-violence qui empêchera l’Apocalypse. (…) Je crois qu’il y a un double mouvement. Il ne faut pas oublier qu’il y a aussi une société de la peur. Beaucoup de gens considèrent que la violence augmente dans notre univers. Les deux mouvements se chevauchent. Il y a eu des gestes de prudence extraordinaires, puisque Kroutchev n’a pas maintenu à Cuba les bombes atomiques. Il y a, dans ce geste, quelque chose de décisif. Ce fut le seul moment effrayant pour les hommes d’Etat eux-mêmes. Aujourd’hui nous savons qu’il y a des pays qui essaient par tous les moyens de se procurer ces armes et nous savons aussi qu’ils sont bien décidés à les utiliser. On a donc encore franchi un palier. René Girard […]
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[…] Dans la foi musulmane, il y a un aspect simple, brut, pratique qui a facilité sa diffusion et transformé la vie d’un grand nombre de peuples à l’état tribal en les ouvrant au monothéisme juif modifié par le christianisme. Mais il lui manque l’essentiel du christianisme : la croix. Comme le christianisme, l’islam réhabilite la victime innocente, mais il le fait de manière guerrière. La croix, c’est le contraire, c’est la fin des mythes violents et archaïques. René Girard […]
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Voir aussi:
Breizh-info.com : pourquoi avoir choisi l’islam et pas la religion catholique ?
Stéphanie : mes parents ne parlaient pas de religion, de spiritualité à la maison. Donc on ne peut pas dire que je sois né de parents catholiques même si les grandes fêtes familiales avaient lieu à l’église. Quand j’étais adolescente, jamais je n’aurai pensé me convertir à une quelconque religion. Encore moins devenir pratiquante. Depuis que je suis jeune, je me sens différente. Dans mon village, ou même à Brest, j’ai toujours eu l’impression que si on ne fait pas « la fête » si on ne boit pas, si on ne se drogue pas, on est mis à l’écart, voir même stigmatisé. Quand à la religion catholique, honnêtement, ça m’apparaissait comme quelque chose de ringard, de dépassé.
Je me suis souvent sentie très seule et c’est en réalité en consultant Internet que je suis tombé sur des forums qui m’ont rapidement amené sur le site Internet de l’Imam Rachid Abou Houdeyfa. J’ai longtemps regardé ses vidéos, étudié également : j’avais enfin trouvé le mode de vie qui me convenait et je ne le regrette pas une seconde.
Gwendal : tout simplement parce que je n’ai eu aucune éducation catholique (mes parents sont d’une génération qui rejetait en masse cette religion) et parce qu’il se trouve que là où j’ai grandis, au Blosne, il y a , en caricaturant un peu pour les jeunes, soit l’amour du rap, des beaux vêtements, de la drogue et des femmes, soit l’Islam et la possibilité de s’en sortir. J’ai choisi de m’en sortir.
Mathias : J’ai été catholique, et fervant pratiquant. Tout mon éducation et ma scolarité ont tourné autour de la religion catholique. Mais je n’ai jamais trouvé les réponses que je me posais étant jeune, et je m’en suis détaché beaucoup plus rapidement qu’on ne me l’avait inculqué, dès que j’ai quitté le foyer familial. A la question : « pourquoi suis-je sur terre ? » , cette religion ne m a jamais répondu. C’est par la politique et par la philosophie que j’ai commencé certaines réponses. Ma conversion par la suite à l’Islam est le fruit d’une révolte politique (l’attaque permanente des Occidentaux contre les pays musulmans depuis le 11 septembre et sa vérité « officielle ») et d’une recherche identitaire et philosophique (« qui suis-je ? »).
Breizh-info.com : Comment expliquez-vous en même temps la baisse de l’influence chrétienne en Bretagne mais le regain dans le même temps de la défense de l’identité bretonne (comme lors de l’épisode des Bonnets rouges ou selon le dernier sondage du magazine Bretons) ?
Stéphanie : je pense qu’au 21ème siècle, on n’est pas obligé d’être catholique pour être Breton. Après, moi je ne me suis jamais sentie vraiment bretonne, d’ailleurs, hormis le folklore et le fait d’habiter dans le Finistère, je ne vois pas bien ce qui me différencie d’un Marseillais ou d’un Parisien. Je me sens Française, et encore… L’islam permet justement de faire sauter toutes les identités pour être dans un même ensemble, et cela quel que soit le continent d’où nous venons.
Pour le regain de l’identité bretonne, en toute honnêteté, je ne me sens pas concernée et je ne m’y connais pas sur le sujet.
Gwendal : Je pense que c’est tout simplement parce qu’il y a eu plusieurs générations (nos parents notamment) qui ont rejeté la religion catholique, ses préceptes, son autorité. Ma mère, sans être une « enragée », elle faisait des manifestations pour le droit à avorter, pour la contraception, etc. Elle nous disait que l’école privée c’était pour les bourgeois, pour les cathos. Bref, il y a clairement une barrière éducative qui a été mise et qui explique à mon avis le fait que les jeunes aujourd’hui se sentent de moins en moins catholiques. Mais même si avant j’étais plutôt d’accord avec elle, maintenant, on est en totale opposition. Sur l’avortement, sur l’enseignement, sur la façon d’éduquer. En cela y a peut-être un rapprochement entre l’islam et la religion catholique.
Après, pour l’identité bretonne, c’est une bonne chose que les jeunes se sentent attachés à leur région. C’est normal. Moi je suis fier d’être Breton et d’être Rennais.
Mathias : d’une part, les chrétiens sont tellement persuadés d’avoir raison (surtout les catholiques) qu’ils ne se remettent jamais en question et ça leur fait sans doute perdre de la crédibilité. Et puis leur religion est peut être « à bout de souffle ». D’autre part, les catholiques ont été remplacés en Bretagne par les socialistes et les communistes, qui ont été une nouvelle forme de religion et de gestion de la société. Avec la disparition progressive et programmée de ces deux courants, je pense clairement que l’islam pourrait bien devenir une nouvelle force montante et attractive, notamment chez la jeunesse bretonne. Et à mon sens, l’identité bretonne en elle même, telle que ses défenseurs la conçoivent, est en train de disparaître, qu’on le veuille ou non. Quel intérêt de parler breton aujourd’hui alors qu’on peut parler l’arabe, le russe, l’anglais ? Et puis si la fierté d’être Breton se résume au festival des Vieilles Charrues , à des beuveries et à quelques manifestations avec des drapeaux bretons, franchement ça ne va pas loin.
Breizh-info.com : en Bretagne comme dans d’autres régions, une certaine défiance à l’égard de l’islam et des musulmans semble augmenter, notamment avec un sentiment confirmé par les sondages de « ne plus se sentir chez soi » ou encore « de trouver cette religion imposante et envahissante ». Quel est votre sentiment là-dessus ? Comprenez-vous que les gens puissent être choqués de voir se développer les commerces dits « halal » ou encore certains interdits alimentaires au sein du service public par exemple ?
Stéphanie : on ressent cette défiance dans la rue au quotidien. Surtout quand on porte les vêtements traditionnels. Ma famille a totalement rompu avec moi depuis que je me suis convertie. Je peux le comprendre. Après, moi je me sens appartenir à une communauté internationale, religieuse et spirituelle. De toute façon, de plus en plus de gens se convertissent, nous rejoignent. C’est quand même plus intéressant d’étudier des textes sacrés que de passer sa vie à faire du shopping, à regarder la télévision, à se droguer non ? A mon avis, les Français confondent beaucoup islam, immigration, insécurité et mettent tout dans le même panier. Pour moi, il n y a pas de frontières, puisque la religion est justement là pour accueillir tout le monde. Après, ce qui fait peur , c’est l »insécurité qui est reliée à l’islam et à l’immigration. Et bien les gens peuvent simplement regarder ce qui est prévu pour les délinquants dans la Charia, et comment cela se passe dans les pays islamiques, ils verront qu’il y a beaucoup moins d’insécurité là-bas, notamment pour les femmes.
Gwendal : ça parait normal à un moment que les gens soit énervés de voir que les choses changent. Moi je vois ça comme une sorte de conflit. Effectivement, dans mon quartier, il y a de moins en moins de Gaulois. Mais c’est la faute à qui ? Pas à ceux qui viennent d’autres pays ou d’autres religions et qui sont là. Ce sont les Français qui ont accepté de faire venir tous ces gens, alors c’est trop facile de se plaindre maintenant. Si ils ne voulaient vraiment pas ça, ils pouvaient voter autrement, et ils peuvent encore le faire d’ailleurs. Après, y a une fausse image de l’islam et ça radicalise tout le monde, d’un côté comme de l’autre, mais on ne peut pas y faire grand chose. Concernant le halal, dans des quartiers où les musulmans sont nombreux, je vois pas quel problème ça pose qu’il y ait de la nourriture halal. On va pas manger du porc et boire de l’alcool pour faire plaisir à des gens qui n’habitent pas avec nous, si ? Mais je suis contre le fait qu’on impose cela à tout le monde, effectivement, chacun doit pouvoir avoir le choix.
Mathias : les sondages n’engagent que ceux qui les publient et que ceux qui y croient. Si il y avait une telle hostilité, on serait déjà en guerre civile dans le pays non ? Les gens sont préoccupés par leur emploi, par leur travail, par leur famille, pas par le reste. Après, les Français, enfin les jeunes générations qui n’ont pas fait l’histoire ce pays, payent effectivement les conséquences de ce qu’on fait leurs parents par le passé. Mais si ils ne sont pas contents, ils peuvent toujours faire changer les choses. Moi j’ai choisi l’islam parce que je voulais que les choses changent, parce que ma culture, ça n’est pas le McDonald’s et le drapeau américain. A ce que je sache, à part ça, il n y a aucun projet de société qui est proposé aujourd’hui en Europe. Si, il y a les mouvements d’extrême droite, et c’est vrai que je comprends beaucoup plus un jeune qui est dans un parti d’extrême droite aujourd’hui qu’un autre au Parti socialiste . Ils ont une cohérence dans le discours, celui de vouloir vivre entre eux. Je pense qu’ils se trompent, mais au moins, ils sont cohérents. Les autres, ils ne croient qu’à l’argent et au pouvoir. Et ils sont surtout bercés d’illusions à mon avis.
Concernant le halal, c’est vrai que ça se développe, et d’ailleurs bien souvent pour des raisons économiques et du fait de non-musulmans qui cherchent à gagner de l’argent. Mais ça, on ne le dit pas …
Breizh-info.com : pourquoi ne pas aller vivre votre religion dans un pays musulman et sous loi islamique ? N y a t-il pas un manque de cohérence ?
Stéphanie : Je suis autant chez moi ici que les autres. Je ne vois pas pourquoi je partirai, je travaille ici, je fais partie d’une communauté religieuse installée ici, il n y a aucune raison de partir. Mais j’essaie d’aller le plus souvent possible dans les pays qui permettent de vivre complètement ma religion. Peut-être que ça sera le cas un jour en France, qui sait ?
Gwendal : je suis Breton, je suis Français et Rennes est ma ville, donc je ne me vois pas partir. Après, moi je ne suis pas un fanatique religieux, pour moi c’est avant tout une spiritualité intérieure, personnelle, donc je ne vois aucun problème de cohérence. Et puis je n’ai aucune attache dans ces pays, ma seule proximité est religieuse. On ne demande pas aux chrétiens de partir en Amérique du Sud parce qu’ils sont chrétiens, alors c’est pareil.
Mathias : j’envisage clairement d’aller m’installer dans un futur proche en Iran. J’estime, pour y avoir déjà voyagé, que c’est un pays qui fait la synthèse entre mon idéal religieux et mon idéal politique. Je trouve effectivement qu’il est beaucoup plus cohérent d’aller dans un pays régit par la loi islamique pour un musulman que de rester ici, à attendre que ça se passe. Et entre nous, j’estime que l’Iran est un des rares pays à résister à l’oppression occidentale.
Breizh-info.com : il y a de nombreuses persécutions subies par les non-musulmans dans les pays musulmans, et encore récemment, avec les chrétiens d’Orient. En tant que musulman(e), quel est votre opinion là-dessus ? N’est-ce pas paradoxal d’être d’origine européenne et chrétienne et d’avoir épousé une religion dont certains tenants persécutent dans le monde entier ?
Stéphanie : chacun devrait pouvoir vivre sa religion librement et cela où qu’il soit. Il y a toujours eu des guerres et des persécutions dans le monde, pour des terres, pour des pays, pour de la nourriture, et pour la religion. Cela ne signifie pas pour autant que le message porté par la religion est intrinsèquement mauvais. Je le répète, je me sens comme appartenant à une communauté musulmane mondiale, donc pas européenne.
Gwendal : il y a des fanatiques religieux et c’est vrai qu’aujourd’hui, il y a beaucoup de musulmans dans ce cas là, comme on le voit d’ailleurs en Syrie, en Irak, en Afghanistan, etc. mais à mon avis on ne doit pas faire de généralité. Et puis comme je disais, si la France voulait éviter que des jeunes partent en Syrie où je ne sais où, elle pourrait aussi couper les paraboles qui sont tournées vers les chaînes arabes, ou même l’accès à certains sites Internet, et ça éviterait certains embrigadements. Il y a des tentatives dans les mosquées. C’est sûr qu’il y a une radicalisation, notamment chez les jeunes. Mais ça va avec la société en général, de plus en plus violente, avec de moins en moins de règles.
Mathias : je suis musulman, mais je ne suis pas ni salafiste, ni islamiste. Je n’ai aucune sympathie pour les fous qui assassinent au nom de l’Islam dans le monde entier. Mais qui a armé, mis en place, formé tous ces régimes ou ces groupes qui égorgent, prennent en otage, assassinent depuis des années , y compris des musulmans ? La réponse se trouve de l’autre côté de l’Océan Atlantique. Avec des complicités en Europe. Saddam Hussein et Khadafi, qui étaient des musulmans laïques, ont été évincés et assassinés. Ils veulent faire pareil avec El Assad. Ils voulaient attaquer l’Iran. Que des hommes ou des pays qui n’avaient ni projet de califat islamiste mondial, ni projet d’égorgements de masse des minorités religieuses. Donc qu’on aille leur demander des comptes à eux, devant un tribune pénal international, avant d’aller s’en prendre à l’islam. D’ailleurs, le Front National tient le même discours que je tiens en France. Vu les derniers résultats électoraux, c’est que les Français ne doivent plus être dupes là dessus….
Breizh-info.com : vous qui êtes musulman, constatez-vous une augmentation du nombre de fidèles dans vos secteurs respectifs ? Y a t-il beaucoup de convertis comme vous ?
Stéphanie : je constate autour de moi une forte attirance pour l’islam. D’ailleurs, je pense qu’à Brest, nous avons la chance énorme d’avoir cet imam si pédagogue et érudit. Il y a de plus en plus de convertis, et c’est le signe que notre religion attire jusqu’au fin fond du Finistère. Je pense d’ailleurs que toutes les attaques que nous pouvons subir (verbales ou dans les médias) renforcent au final notre force d’adhésion et de cohésion. Et j’invite ceux qui se méfient ou qui médisent de nous à venir nous rencontrer.
Gwendal : comme je le disais, en cette période de chômage massif et de crise, honnêtement, il n y a pas grand chose qui soit proposé aux jeunes des quartiers . Donc ceux qui veulent s’en sortir se tournent vers là où on les attire.
Mathias : je n’en ai aucune idée, je ne fréquente que très peu les lieux de culte sur Nantes. Ce qui est sûr, c’est que la population d’origine immigrée et musulmane augmente sensiblement, même si aucune statistique n’est établie là dessus personne n’est aveugle. Quand aux convertis, je pense qu’ils augmenteront (avec toutes les dérives que cela pourra entraîner) tant que les gouvernants français ne proposeront pas un projet de civilisation réel. Je ne suis pas convaincu qu’il y ait une explosion des conversions à l’Islam dans la Russie de Vladimir Poutine ; je ne me serai peut être pas moi même tourné vers cette religion si des hommes de cette trempe existaient en Europe.
Breizh-info
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L’islam est la religion de verité absolue, fondée sur un concept simple c qu’il y a un dieu tout puissant qui a créer tout cet univers y compris les êtres humains dans un seul but c’est de se prosterner devant lui, et Allah a mis à notre disposition la terre et le ciel afin de nous faciliter cette tâche, et Allah veut que la justice reigne dans cette terre, et il a envoyé ses messagers -qui sont des humains- (Adam,Noeh, moïs, jezus, mohammed) pour enseigner aux gents ce que dieu veut et comment lui obeir et l’aimer et vivre toute sa vie pour lui, mais le diable ne cesse de detourner les gents vers le malheur et l’injustice, ne cesse de rendre leur vie un enfers ( etouffer la vie par le vin, drogue, abus sexuel,violence, meurtre, extermination des peuples…bref tout ce qui est malheur),alors là l’islam intervient pour nous eclairer, nous conseille de réparer toute erreur ,nous reconcilie avec nous meme, nous protège contre tout malheur, protege nos ames, nos corps, notre etat mental, notre argent, et nous enseigne qu’il faut aimer le bien pour toute l’humanité et si la guerre a été autorisée c’est parcequ’il y ades malfaiteurs qui detourne le pouvoir et triate beaucoup de vie humaine comme des esclaves pour leur propre compte sans pitié et c’est eux là que l’islam va combattre avec ferocité, et lorsque ces gents là sont écartés leurs anciens esclave reverront le jour et reverront la pitiée de l’islam et sa charité et decideront de leurs ressort soit ils deviennent des musulman soit il garde leurs croyances( jiuf, chrétiens…) mais s’integreront dans la société muslumanne et auront ce qu’aura les musulmans…
Je vous invite vivement de lire sur l’islam et précisément sur la vie u prophète Mohame que dieu le bénisse, et croyez moi vous serez heureux !
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[…] Dans la foi musulmane, il y a un aspect simple, brut, pratique qui a facilité sa diffusion et transformé la vie d’un grand nombre de peuples à l’état tribal en les ouvrant au monothéisme juif modifié par le christianisme. Mais il lui manque l’essentiel du christianisme : la croix. Comme le christianisme, l’islam réhabilite la victime innocente, mais il le fait de manière guerrière. La croix, c’est le contraire, c’est la fin des mythes violents et archaïques. René Girard […]
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[…] à la manière de ces hérétiques juifs qui un millénaire plus tard fonderont leur religion sur la plus infâme des mises à mort, … son propre récit fondateur […]
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[…] à la manière de ces hérétiques juifs qui un millénaire plus tard fonderont leur religion sur la plus infâme des mises à mort, … son propre récit fondateur […]
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[…] Dans la foi musulmane, il y a un aspect simple, brut, pratique qui a facilité sa diffusion et transformé la vie d’un grand nombre de peuples à l’état tribal en les ouvrant au monothéisme juif modifié par le christianisme. Mais il lui manque l’essentiel du christianisme : la croix. Comme le christianisme, l’islam réhabilite la victime innocente, mais il le fait de manière guerrière. La croix, c’est le contraire, c’est la fin des mythes violents et archaïques. René Girard […]
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[…] Dans la foi musulmane, il y a un aspect simple, brut, pratique qui a facilité sa diffusion et transformé la vie d’un grand nombre de peuples à l’état tribal en les ouvrant au monothéisme juif modifié par le christianisme. Mais il lui manque l’essentiel du christianisme : la croix. Comme le christianisme, l’islam réhabilite la victime innocente, mais il le fait de manière guerrière. La croix, c’est le contraire, c’est la fin des mythes violents et archaïques. René Girard […]
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[…] La condition préalable à tout dialogue est que chacun soit honnête avec sa tradition. (…) les chrétiens ont repris tel quel le corpus de la Bible hébraïque. Saint Paul parle de ” greffe” du christianisme sur le judaïsme, ce qui est une façon de ne pas nier celui-ci . (…) Dans l’islam, le corpus biblique est, au contraire, totalement remanié pour lui faire dire tout autre chose que son sens initial (…) La récupération sous forme de torsion ne respecte pas le texte originel sur lequel, malgré tout, le Coran s’appuie. René Girard […]
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[…] La condition préalable à tout dialogue est que chacun soit honnête avec sa tradition. (…) les chrétiens ont repris tel quel le corpus de la Bible hébraïque. Saint Paul parle de ” greffe” du christianisme sur le judaïsme, ce qui est une façon de ne pas nier celui-ci . (…) Dans l’islam, le corpus biblique est, au contraire, totalement remanié pour lui faire dire tout autre chose que son sens initial (…) La récupération sous forme de torsion ne respecte pas le texte originel sur lequel, malgré tout, le Coran s’appuie. René Girard […]
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http://www.huffingtonpost.fr/2016/11/27/la-croix-de-la-porte-parole-de-francois-fillon-valerie-boyer-f/?utm_hp_ref=fr-primaire-de-la-droite
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Rousseau a abandonné ses enfants dans un orphelinat ? Brûlons Jean-Jacques. Molière, dans l’Avare, dit deux mots désagréables sur juifs et Arabes ? Supprimons Molière. Jules Ferry évoquait les « races supérieures » qui se devaient d’enseigner et d’éduquer les autres ? Plus un mot, plus un chapitre, plus un cours sur ce néonazi. Le chef des Jeunesses hitlériennes Baldur von Schirach déclarait : « Quand j’entends le mot “culture”, je sors mon revolver. » Aujourd’hui, c’est au mortier qu’on opère…
https://www.valeursactuelles.com/societe/cachez-ces-croix-que-je-ne-saurais-voir-88647
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CACHEZ CETTE CROIX QUE JE NE SAURAI VOIR
« Effectivement, partant des photos d’après la Première guerre mondiale, j’ai opté pour un plus grand paratonnerre et une disparition d’une croix qui, de mon point de vue, n’ajoutait rien à l’ensemble. »
Francois Bisman (architecte)
« La croix, le coq, ce n’est pas le plus important ; l’essentiel est d’être à l’écoute de ce qui fait la vie des familles de La Sentinelle, et de se laisser surprendre par la Parole qui résonne dans leurs souhaits, leurs espérances, leurs peines ou leurs joies ! Je ne souhaite pas rentrer dans une polémique, le rôle des chrétiens est de mettre un peu d’humour dans la morosité. »
Jean Ménétrier (curé)
http://www.valeursactuelles.com/societe/la-sentinelle-le-retrait-de-la-croix-de-leglise-fait-polemique-92789
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REBUILD IT FOR WHAT ? (Post-Christian France: Does the West’s most godless people even really know what they’re mourning, asks Canadian commentator Mark Steyn)
« Christendom is in retreat in Europe, and in France particularly – France has actually quite an aggressive belief in secularism and according to some polls, the French are even by the standards of the modern Western world among the most godless people in that sense. Three years ago, in that terrible summer that began with the Nice truck killings, when it seemed as if the entire French state was unraveling, I went to Rouen cathedral for the funeral of Père Hamel, the French priest who had his throat cut at mass. And I went to the basilica of Saint-Denis, which is in the north of Paris where the French kings are buried and basically is a Christian museum in the heart of what is now a Muslim suburb in effect. There’s no sense of Christianity outside of the walls of that cathedral. And it was after that that I went to then Notre Dame because you do have the sense that a living, breathing faith is just becoming actually a museum. An art gallery. A storage facility. And the French who were on the streets in tears this evening, on the streets of Paris – I don’t think they’re mourning just history or architecture or art or culture. They’re mourning something else. But what that something else is post-Christian France can’t quite identify. That’s really the conundrum. When Monsieur Macron says we’re going to rebuild it – rebuild it for what? When people talk about oh the heart of France has died – what is in the soul of France? What is this? Is it just the building or is it something more? »
Mark Steyn
https://www.mediamatters.org/video/2019/04/15/tucker-carlson-guest-mark-steyn-reacts-notre-dame-fire-calling-french-godless-and-portraying-france/223453
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ISLAMOPHOBIA MADE ME DO IT
« I’m terribly sorry. What I’m about to say is something so racist I never thought my soul could ever feel it. But truly I never wanna spend time with white people again (if that’s what non-muslims are called). Not for one moment, for any reason. They are disgusting. »
Shuhada Sadaqat (fka Sinead O’Connor)
« As regards to remarks I made while angry and unwell, about white people… they were not true at the time and they are not true now. I was triggered as a result of islamophobia dumped on me. I apologize for hurt caused. That was one of many crazy tweets lord knows. »
Shuhada Sadaqat (fka Sinead O’Connor)
https://www.irishpost.com/news/sinead-oconnor-apology-171046
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