
Un des grands problèmes de la Russie – et plus encore de la Chine – est que, contrairement aux camps de concentration hitlériens, les leurs n’ont jamais été libérés et qu’il n’y a eu aucun tribunal de Nuremberg pour juger les crimes commis. Thérèse Delpech (2005)
De même qu’Hitler avait décrit à l’avance ses crimes, Pol Pot (aujourd’hui décédé) avait expliqué par avance qu’il détruirait son peuple pour en créer un nouveau. Pol Pot se disait communiste : il le devint, étudiant, à Paris, dans les années 1960. (…) Ce que les Khmers rouges imposèrent au Cambodge, ce fut bien le communisme réel : il n’y eut pas, ni en termes conceptuels ou concrets de distinction radicale entre ce règne des Khmers rouges et le Stalinisme, le Maoïsme, le Castrisme ou la Corée du Nord. Tous les régimes communistes suivent des trajectoires étrangement ressemblantes que colorent à peine, les traditions locales. Dans tous les cas, ces régimes entendent faire du passé table rase et créer un homme nouveau ; dans tous les cas, les « riches », les intellectuels et les sceptiques sont exterminés. Les Khmers rouges regroupèrent la population urbaine et rurale dans des communautés agricoles calquées sur les précédents russes, les kolkhozes et chinois, les communes populaires, pour les mêmes raisons idéologiques et conduisant au même résultat : la famine. Sous toutes les latitudes, le communisme réel patauge dans le sang : extermination des Koulaks en Russie, révolution culturelle en Chine, extermination des intellectuels à Cuba. Le communisme réel sans massacre, sans torture, sans camps de concentration, le goulag ou le laogaï, cela n’existe pas. Et si cela n’a pas existé, il faut bien en conclure qu’il ne pouvait en être autrement : l’idéologie communiste conduit nécessairement à la violence de masse parce que la masse ne veut pas du communisme réel. Ceci dans les rizières du Cambodge tout autant que dans les plaines de l’Ukraine ou sous les palmiers cubains : et les régimes communistes partout et toujours ne furent jamais qu’imposés par l’extrême violence. (…) Le procès de Douch, puis de la Bande des quatre est donc le premier procès d’apparatchiks marxistes responsables dans un régime officiellement et réellement marxiste, léniniste, maoïste. Le procès du nazisme fut instruit à Nuremberg en 1945, celui du fascisme japonais à Tokyo en 1946, mais celui du communisme jamais. Bien que le communisme réel ait tué ou dégradé plus de victimes que le nazisme et le fascisme réunis. Ce procès du communisme n’a jamais eu lieu, – en dehors de la sphère intellectuelle – pour deux raisons : d’abord, le communisme bénéficie d’une sorte d’immunité idéologique parce qu’il se réclame du progrès. Et surtout, parce que les communistes sont toujours au pouvoir, à Pékin, Pyongyang, Hanoi et La Havane. Là où ils ont perdu le pouvoir, ils ont organisé leur propre immunité en se reconvertissant en socio-démocrates, en hommes d’affaires, en leaders nationalistes, ce qui est le cas général dans l’ex-union soviétique. Guy Sorman
De même qu’il n’y a pas deux soleils dans le ciel, il ne peut y avoir qu’un empereur sur terre. Livre des rites confucéen
La Chine ne craint rien sous le Ciel ni sur la Terre. Deng Xiao Ping
[En ce qui concerne les Etats-Unis,] pendant une période de temps assez considérable, nous devons absolument entretenir notre soif de vengeance […]. Nous devons celer nos capacités et attendre notre heure. Général Mi Zhenyu (commandant en second de l’Académie des sciences militaires)
La renaissance de l’esprit chinois sera comme la cloche du matin pour l’ère du [monde centré sur l’océan] Pacifique. Toute gloire à la Grande Chine. L’avenir appartient à l’esprit chinois modernisé au nom du siècle nouveau. Idéologue du régime chinois
Nous sommes encore proches de cette période des grandes expositions internationales qui regardait de façon utopique la mondialisation comme l’Exposition de Londres – la « Fameuse » dont parle Dostoievski, les expositions de Paris… Plus on s’approche de la vraie mondialisation plus on s’aperçoit que la non-différence ce n’est pas du tout la paix parmi les hommes mais ce peut être la rivalité mimétique la plus extravagante. René Girard
L’erreur est toujours de raisonner dans les catégories de la « différence », alors que la racine de tous les conflits, c’est plutôt la « concurrence », la rivalité mimétique entre des êtres, des pays, des cultures. La concurrence, c’est-à-dire le désir d’imiter l’autre pour obtenir la même chose que lui, au besoin par la violence. Sans doute le terrorisme est-il lié à un monde « différent » du nôtre, mais ce qui suscite le terrorisme n’est pas dans cette « différence » qui l’éloigne le plus de nous et nous le rend inconcevable. Il est au contraire dans un désir exacerbé de convergence et de ressemblance. (…) Ce qui se vit aujourd’hui est une forme de rivalité mimétique à l’échelle planétaire. Lorsque j’ai lu les premiers documents de Ben Laden, constaté ses allusions aux bombes américaines tombées sur le Japon, je me suis senti d’emblée à un niveau qui est au-delà de l’islam, celui de la planète entière. Sous l’étiquette de l’islam, on trouve une volonté de rallier et de mobiliser tout un tiers-monde de frustrés et de victimes dans leurs rapports de rivalité mimétique avec l’Occident. Mais les tours détruites occupaient autant d’étrangers que d’Américains. Et par leur efficacité, par la sophistication des moyens employés, par la connaissance qu’ils avaient des Etats-Unis, par leurs conditions d’entraînement, les auteurs des attentats n’étaient-ils pas un peu américains ? On est en plein mimétisme.Ce sentiment n’est pas vrai des masses, mais des dirigeants. Sur le plan de la fortune personnelle, on sait qu’un homme comme Ben Laden n’a rien à envier à personne. Et combien de chefs de parti ou de faction sont dans cette situation intermédiaire, identique à la sienne. Regardez un Mirabeau au début de la Révolution française : il a un pied dans un camp et un pied dans l’autre, et il n’en vit que de manière plus aiguë son ressentiment. Aux Etats-Unis, des immigrés s’intègrent avec facilité, alors que d’autres, même si leur réussite est éclatante, vivent aussi dans un déchirement et un ressentiment permanents. Parce qu’ils sont ramenés à leur enfance, à des frustrations et des humiliations héritées du passé. Cette dimension est essentielle, en particulier chez des musulmans qui ont des traditions de fierté et un style de rapports individuels encore proche de la féodalité. (…) Cette concurrence mimétique, quand elle est malheureuse, ressort toujours, à un moment donné, sous une forme violente. A cet égard, c’est l’islam qui fournit aujourd’hui le ciment qu’on trouvait autrefois dans le marxisme. René Girard
Cela fait des années que l’on annonce que la Chine sera très bientôt la première puissance mondiale. Toutefois, cette place de premier se limiterait au domaine économique, en fonction de subtils calculs sur une variable peu réaliste : la « parité de pouvoir d’achat ». Il faudrait, simplement pour cela, qu’elle réussisse à maintenir un rythme de croissance très fort. Dans les faits, on constate que celui-ci est en train de s’effriter et que l’économie chinoise peine à trouver des relais pour poursuivre une expansion beaucoup trop basée sur les exportations de produits manufacturés relativement simples. L’histoire de la Chine, qui ne quitte le domaine des légendes pour rentrer dans celui de l’histoire qu’à partir de la dynastie des Shang (XVI° siècle avant JC), ne connaît qu’une seule période de « prééminence à l’échelle de la planète », sous l’empereur Qianlong (1736-1795). Mais Qianlong n’est pas un Chinois. Il appartient à la dynastie des Qing, des Mandchous qui ont conquis l’Empire du Milieu en 1644. La seule autre période où l’emprise de la Chine impériale a dépassé ses frontières actuelles est celle d’une autre dynastie de colonisateurs, les mongols Yuan (1271-1368). Les dirigeants actuels tiennent un discours selon lequel la Chine, même si elle acquiert un jour les moyens d’être la première puissance mondiale, ne veut pas accaparer ce rôle. Depuis des années, ils prônent le multilatéralisme. Derrière le discours, il y a cependant un vrai appétit de puissance. Le désir de devenir la puissance régionale, exerçant une prééminence incontestée dans ses pourtours, est incontestable. Par contre, la Chine ne semble pas encore se voir en maîtresse du monde et il n’est pas certain que ce soit son désir profond. La quasi-totalité des conquêtes ne sont pas le fait de batailles gagnées, mais d’un « envahissement », par des paysans plus que par des soldats, des territoires voisins occupés par d’autres ethnies. Son histoire, contrairement à celle des autres grands Empires, ne comprend pas de projections lointaines. (…) La notion de « territoire chinois » est complexe et ne correspond pas du tout à ce que recouvre actuellement le territoire de la République populaire de Chine. Si l’on veut parler de ce qui est vraiment chinois, il faut se limiter au bassin de peuplement han. Celui-ci ne recouvre que moins de la moitié du territoire national, alors que les Han représentent 92% de la population du pays. La Chine han, dans son écrasante majorité, a très longtemps été rurale et la civilisation des villes et celle des campagnes se ressemblaient beaucoup. Les différences entre littoral et intérieur étaient aussi très peu marquées. La tradition maritime chinoise, en dehors des expéditions – surmédiatisées de nos jours – de Zheng He, est très principalement côtière et tournée vers l’intérieur. Quant à la différence entre les groupes sociaux, elle est davantage basée sur le prestige que sur la richesse. La prédominance du clan et de la famille sur l’individu gomment aussi les démonstrations de richesse. Dans la Chine traditionnelle, les riches ne vivent pas « à l’abri » des pauvres et la cohabitation est la règle. Les choses changent. La mobilité est devenue la norme, la solidarité s’efface devant la montée des individualismes. Les plus riches s’isolent dans des quartiers fermés, dans leurs voitures, dans leurs stations de vacances. Et les « soutiers du miracle », les mingong, ces dizaines de millions de paysans venus travailler sur les chantiers et dans les usines des villes et des zones industrielles, s’enferment dans des ghettos bidonvilles où ils tentent de recréer leurs villages. (…) Le contrôle du territoire chinois ne s’exprime pas du tout de la même manière selon les raisons des rébellions. Très schématiquement, la rébellion menée par An Lushan est une révolte de palais. Les mouvements des minorités musulmanes de l’Ouest, souvent réduites aux seuls Ouïgours, sont plutôt des réactions indépendantistes. Ces modalités de contestation n’ont rien de spécifiquement chinois, ce qui explique qu’on peut les retrouver partout dans le monde. La révolte des Taiping est une jacquerie, et ce problème des révoltes paysannes est plus intéressant, parce qu’il est consubstantiel à la civilisation han. L’Empereur est titulaire d’un Mandat du Ciel, qui lui donne la légitimité et justifie le fait que l’individu se fonde dans une masse dont le Fils du Ciel est le sommet et l’expression. En échange, il se doit de faire en sorte que sa population soit nourrie, logée et vêtue. Il est aussi garant de la solidarité entre ses sujets. Quand il manque à son devoir, le peuple s’appauvrit, des catastrophes naturelles surviennent, la corruption des fonctionnaires se développe. Alors l’empereur perd sa légitimité et doit être renversé. Les paysans s’assemblent et se révoltent, souvent sous la direction d’un leader messianique et derrière des slogans sectaires. La conjonction de la montée de la corruption, des catastrophes naturelles et de la montée de sectes violentes est, pour tous, l’annonce de la prochaine chute de la dynastie. Ceci explique la peur panique de tous les régimes chinois face à l’instabilité sociale et la dureté de la réaction du pouvoir actuel contre le Falun Gong. (…) La Chine a des frontières communes avec quatorze pays. A ceux-là s’ajoutent la Corée du Sud, le Japon et, maintenant, les riverains de la Mer de Chine du Sud. Dans les époques de grandeur, ces voisins immédiats étaient des vassaux, ou feignaient de l’être. Mais tout affaiblissement de l’Empire conduisait les vassaux à reprendre toute leur liberté. Le Vietnam a été une colonie chinoise pendant 1 000 ans avant de chasser les envahisseurs. Aujourd’hui encore, dans l’inconscient collectif, la Chine a été spoliée d’immenses territoires par les barbares occidentaux, mais aussi par l’insoumission de vassaux. La politique de défense chinoise, depuis l’arrivée de Mao au pouvoir, a beaucoup évolué. On est passé d’une énorme armée populaire, de milice, qui après avoir défendu – en Corée – l’idéal communiste au profit de l’URSS, s’est rapidement repliée sur la défense du pays contre les risques d’invasion. L’Armée populaire de Libération a aussi été très longtemps et très fortement impliquée dans le maintien de l’ordre. Elle l’est moins aujourd’hui, mais reste mobilisable. La montée en puissance économique ne pouvait pas se faire sans être accompagnée d’une montée en puissance militaire. Rapidement, on est passé de la défense du territoire contre l’ennemi extérieur et l’ennemi intérieur à la volonté de reconquérir les territoires « volés » par tous ceux qui ont profité de la faiblesse de la Chine. L’Empire du Milieu avait deux haies à franchir avant de pouvoir mettre en avant ses revendications territoriales. Il a réussi à passer ces deux obstacles : les Jeux Olympiques de 2008 et l’Exposition universelle de 2010. Il a maintenant les coudées plus franches. Ses revendications, même agressives, ne risquent plus d’entraîner des boycotts et des rétorsions qui seraient préjudiciables à ses espoirs d’expansion. (…) La superficie et la démographie ont justifié, à une certaine époque, un discours maoïste selon lequel la Chine ne craignait pas les « Tigres de Papier », c’est-à-dire les armes nucléaires américaines ou même soviétiques. Mais il n’a échappé à aucun observateur que ce n’était qu’un discours et que, dans les faits, le développement des missiles balistiques et de l’armement nucléaire sont restés des priorités. A un tel point que ce furent les seuls domaines épargnés par les folies du Grand Bond en Avant et autres Révolutions culturelles. Les problèmes d’innovation, bien réels, sont ceux d’une civilisation qui a toujours mis en avant le respect absolu de l’enseignement des maîtres, basé sur la recopie à l’infini de modèles supposés être parfaits. Par ailleurs, la langue chinoise et les méthodes d’apprentissage sont peu favorables au développement des sciences de l’ingénieur. Enfin, le fonctionnement des entreprises n’est pas propice aux initiatives individuelles. Là aussi, les choses changent, mais il reste beaucoup de chemin à faire. En particulier en matière de marché intérieur, qui reste très insuffisant. (…) La tendance isolationniste n’est pas une spécificité chinoise. L’ouverture des esprits de tout un peuple ne peut pas se construire en quelques années. Surtout quand ce peuple a été abreuvé pendant des décennies de discours nationalistes et/ou idéologiques, de langue de bois et que tout ceci a prospéré sur un fond xénophobe qui remontait au plus profond de son histoire. Dans la société de la Chine de 2014, les clivages ne sont pas seulement économiques ou sociologiques. Les jeunes Chinois éduqués et aisés rêvent d’Occident, de voyages, de profiter d’une toute nouvelle aisance. Mais ils ne souhaitent pas forcément s’intéresser aux problèmes politiques du pays, même s’il est indispensable d’être membre du Parti et d’afficher quelques idées obligatoires pour dépasser un certain niveau professionnel. Au niveau des dirigeants, les clivages sont forts. D’un côté, ceux qui voudraient faire de la Chine un pays « normal », ouvert et respectueux des usages qui régissent les relations internationales. De l’autre, les « conservateurs » qui défendent la vision d’un Empire qui ne serait pas obligé de suivre des règles dictés par d’autres. Xi Jinping est en permanence confronté à ce problème et semble ne pas pouvoir imposer une vraie ligne directrice. C’est ce qui explique le recours actuel à des sujets consensuels, la lutte contre la corruption et l’ennemi japonais, alors que les vrais problèmes de la Chine sont ailleurs. Jean-Vincent Brisset
L’idée d’une Chine naturellement pacifique et trônant, satisfaite, au milieu d’un pré carré qu’elle ne songe pas à arrondir est une fiction. L’idée impériale, dont le régime communiste s’est fait l’héritier, porte en elle une volonté hégémoniste. La politique de puissance exige de « sécuriser les abords ». Or les abords de la Chine comprennent plusieurs des grandes puissances économiques du monde d’aujourd’hui : la « protection » de ses abords par la Chine heurte de plein fouet la stabilité du monde. Et ce, d’autant qu’elle est taraudée de mille maux intérieurs qui sont autant d’incitations aux aventures extérieurs et à la mobilisation nationaliste. Que veut la République Populaire ? Rétablir la Chine comme empire du Milieu. (…) À cet avenir glorieux, à la vassalisation par la Chine, les Etats-Unis sont l’obstacle premier. La Chine ne veut pas de confrontation militaire, elle veut intimider et dissuader, et forcer les Etats-Unis à la reculade. (…) Pékin a récupéré Hong-Kong – l’argent, la finance, les communications. L’étape suivante, c’est Taïwan – la technologie avancée, l’industrie, d’énormes réserves monétaires. Si Pékin parvient à imposer la réunification à ses propres conditions, si un « coup de Taïwan » réussissait, aujourd’hui, demain ou après-demain, tous les espoirs seraient permis à Pékin. Dès lors, la diaspora chinoise, riche et influente, devrait mettre tous ses œufs dans le même panier ; il n’y aurait plus de centre alternatif de puissance. La RPC contrôlerait désormais les ressources technologiques et financières de l’ensemble de la « Grande Chine ». Elle aurait atteint la masse critique nécessaire à son grand dessein asiatique. Militairement surclassés, dénués de contrepoids régionaux, les pays de l’ASEAN, Singapour et les autres, passeraient alors sous la coupe de la Chine, sans heurts, mais avec armes et bagages. Pékin pourrait s’attaquer à sa « chaîne de première défense insulaire » : le Japon, la Corée, les Philippines, l’Indonésie. La Corée ? Privée du parapluie américain, mais encore menacée par l’insane régime nord-coréen, elle ferait face à un choix dramatique : soit accepter l’affrontement avec le géant chinois, se doter d’armes nucléaires et de vecteurs balistiques, et d’une défense antimissiles performante, soit capituler, et payer tribut, tel un vassal, au grand voisin du sud. Elle pourrait théoriquement s’allier au Japon pour que les deux pays – dont les rapports ne sont jamais faciles – se réarment et se nucléarisent ensemble. Il est également possible – c’est le plan chinois – qu’ils se résolvent tous deux à capituler. Le Japon, géant techno-industriel, nain politico militaire, archipel vulnérable, serait confronté au même dilemme. L’Asie du Sud-Est, sans soutien américain ni contrepoids à la Chine en Asie du Nord, est désarmée. Tous montreraient la porte aux Etats-Unis, dont les bases militaires seraient fermées, en Corée et au Japon. Les Etats-Unis seraient renvoyés aux îles Mariannes, Marshall et à Midway – comme l’entendait le général Tojo, le chef des forces armées impériales du Japon et l’amiral Yamamoto, le stratège de l’attaque de Pearl Harbour en 1941. La Chine est-elle maîtresse de l’Asie ? Reste à neutraliser l’Inde, l’égale démographique, la rivale démocratique, anglophone, peu disposée à s’en laisser compter. Mais il faut la clouer sur sa frontière occidentale par l’éternel conflit avec le Pakistan islamiste et nucléaire. La Chine doit neutraliser l’Inde, ou l’attaquer, avant que ses progrès économiques et militaires ne lui confèrent une immunité stratégique. La Mongolie « extérieure » est récupérée, Pékin ne s’étant jamais accommodé de son indépendance ni de sa soumission à la Russie. Plus loin, le traité de Pékin de 1860, qui donna à la Russie les territoires de l’Extrême-Orient russe, pourra être effacé ou abrogé, la faiblesse russe allant s’aggravant. Au XXIe siècle, l’hégémonie asiatique, c’est le tremplin vers la domination mondiale. Harold Mackinder, le géopoliticien britannique, affirmait il y a un siècle que la domination du cœur de l’Eurasie, c’était la domination du monde. Les déplacements tectoniques intervenus dans l’économie et la politique mondiale font de l’Asie peuplée, riche et inventive, le pivot de la domination mondiale. Tel est le grand dessein chinois, à un horizon qui peut être placé entre 2025 et 2050. Pour qu’il réussisse, la condition nécessaire est l’élimination des Etats-Unis comme facteur stratégique majeur dans l’Asie-Pacifique. Objectera-t-on qu’il y a là une bonne dose d’irréalisme ? Le PNB du Japon de 1941 ne se montait guère qu’à 20 pour cent de celui des Etats-Unis. L’erreur de calcul est commune dans les affaires internationales, et fournit souvent la poudre dont sont faites les guerres. L’aptitude à se méprendre du tout au tout sur les rapports de force est caractéristique des dictatures. La Pax Sinica désirée par le nouvel hégémon bute sur bien d’autres obstacles. La course au nationalisme des dirigeants du régime est non seulement le produit atavique d’une tradition dont nous avons démonté les ressorts – « de même qu’il n’y a pas deux soleils dans le ciel, il ne peut y avoir qu’un empereur sur terre », dit le Livre des rites confucéen – elle est également le produit d’une fuite en avant provoquée par les multiples crises qui affligent la Chine. Le régime devrait résoudre la quadrature du cercle pour maîtriser ces crises : la perspective est improbable. L’échec probable rend possible l’ouverture d’un nouveau cycle de crise systémique. L’agressivité nationaliste du régime en serait aggravée. Jamais ses chefs n’ont été aussi isolés de la société, jamais la Chine n’a été aussi anomique qu’elle ne l’est devenue sous la férule de Jiang Zemin. L’absurde méga-projet de projet de barrage des Trois-Gorges sur le Yangzien en est l’éclatante démonstration : ce chantier pharaonique absorbe des investissements gigantesques au détriment de bien des projets plus réalistes, dans le but de résoudre en quelque sorte d’un seul coup la pénurie d’électricité nationale. Les études de faisabilité et d’impact environnemental ont été bâclées : nu ne sait ce qui adviendra de ce bricolage géant sur le géant fluvial de Chine du Sud. Les risques de catastrophe écologique sont considérables. Des millions de villageois ont été délogés. La corruption s’est emparée du projet, au point de menacer la stabilité et la solidité du barrage : le sable a remplacé le béton dans un certain nombre d’éléments du barrage. Une société moderne ne peut être gérée sur la base des choix arbitraires de quelques centaines de dirigeants reclus, opérant dans le secret et en toute souveraineté. Ce que les tenants, aujourd’hui déconfits, des « valeurs asiatiques », n’avaient pas compris, dans leurs plaidoyers pro domo en faveur d’un despotisme qu’ils prétendaient éclairé, c’est que les contre-pouvoirs, les contrepoids, que sont une opposition active, une presse libre et critique, des pouvoirs séparés selon les règles d’un Montesquieu, l’existence d’une société civile et de multitudes d’organisations associatives, font partie de la nécessaire diffusion du pouvoir qui peut ainsi intégrer les compétences, les intérêts et les opinions différentes. Mais, pour ce faire, il convient de renoncer au modèle chinois, c’est-à-dire au monolithisme intérieur. La renonciation au monolithisme extérieur n’est pas moins indispensable : la Chine doit participer à un monde dont elle n’a pas créé les règles, et ces règles sont étrangères à l’esprit même de sa politique multimillénaire. La Chine vit toujours sous la malédiction de sa propre culture politique. La figure que prendra le siècle dépendra largement du maintien de la Chine, ou de l’abandon par elle, de cette culture, et de sa malédiction. » Laurent Murawiec (L’Esprit des nations : Cultures et géopolitique, 2000)
Quant à la problématique de la politique intérieure chinoise, elle se résume en quelques mots: la quadrature du cercle. Au lieu de l’Etat prestataire de services (infrastructures, régulation, etc.) dont la Chine aurait besoin, c’est un Etat répressif qui perdure. Le choix d’un Etat «utile» sonnerait le glas du régime. Dans l’économie, il faut démanteler et raser le secteur industriel d’Etat, énorme trou noir qui engloutit les ressources nationales; mais, pour ce faire, il faudrait investir, créer un système de sécurité sociale, renoncer définitivement à ce que l’industrie serve d’instrument de contrôle social, pour n’être que productrice de biens et de profits: là encore, ce serait un suicide politique. Suicide ou effondrement, le choix est déplaisant. Le régime est condamné à louvoyer, après avoir longtemps cru qu’il pourrait surfer sur la vague des apports étrangers qui noient les problèmes dans un océan de liquidités (…) Première puissance démographique mondiale, la Chine s’enracine dans une tradition où les pouvoirs qui règnent sur le reste du monde n’ont aucune légitimité: la souveraineté ne peut se diviser, «un seul Empereur sous un seul Ciel», comme le voulaient les conquérants mongols. Le mandat du Ciel est indivisible et confié à celui qui gouverne l’empire du Milieu. Les autres pays sont des vassaux tributaires ou, en toute rigueur, ils devraient l’être. A l’intérieur de la Chine, le pouvoir ne se divise pas, et quiconque veut le «diviser» (Taïwanais, Tibétains, dissidents, ou quiconque conteste l’autorité sans partage des mandarins au pouvoir) est par nature un criminel, quels que soient ses gestes et ses idées; il est de même indivisible au-dehors. Or l’ordre mondial a été édifié et a évolué sans la Chine. Inscrite en 1648 dans les traités de Westphalie, la coexistence entre souverainetés égales en droit, même si le principe en est souvent malmené dans les faits, en est la pierre angulaire. Communiste ou pas, la culture politique chinoise a les plus grandes difficultés à comprendre et à s’assimiler ce principe. A l’ère moderne, la Chine, absente des négociations de Versailles en 1919 (sa cynique spoliation par les Alliés vainqueurs souleva une vague fondatrice de nationalisme moderne), était certes présente à San Francisco en 1945 à la fondation de l’ONU, mais hors d’état d’influencer le reste du monde. L’équipée maoïste l’en retrancha durablement. Réunifiée pour l’essentiel, reconnue, largement reconstruite, en essor depuis vingt ans, la Chine exige non seulement de figurer parmi les grands, de jouer un rôle de leadership dans les affaires mondiales, ce que justifient sa taille et sa force, mais encore d’être reconnue comme l’hégémon de l’Asie, ce qui exige l’expulsion des Etats-Unis de la sphère asiatique, et la vassalisation de voisins, Japon, Corée, Asean, qui n’en veulent à aucun prix. La Chine ne peut atteindre ses objectifs extérieurs qu’en abattant l’ordre mondial actuel. Elle n’en est pour l’instant pas capable. Une quadrature du cercle définit donc sa politique étrangère autant que sa politique intérieure. Il est difficile d’accumuler plus de tensions explosives en un seul endroit aussi crucial. Or les dirigeants chinois se sentent «encerclés» (un sentiment que le Kaiser Guillaume II, Hitler, Staline et les militaristes japonais ont naguère fortement ressenti). L’extension de l’Otan vers l’Est, le «partenariat pour la paix» pourtant bien pâle, la crainte de l’essor panturc en Asie centrale et vers les régions musulmanes de l’Ouest chinois, le renforcement des accords militaires nippo-américains et la perspective de déploiement de systèmes antimissiles en Asie du Sud-Est, qui amoindriraient le poids stratégique de l’arme nucléaire chinoise, le rapprochement indo-américain, les ingérences militaires hors zone qui passent outre à la souveraineté nationale absolue: autant de motifs à la paranoïa traditionnelle des chefs de l’empire du Milieu. Les stratèges et les militaires chinois se préparent. Une nouvelle doctrine militaire nationale de guerre interarmes a été édictée au début de l’année par Jiang Zemin. L’armée chinoise veut désormais mener des guerres locales «dans des conditions modernes». Une grande publicité est faite aux travaux de deux colonels de l’Armée populaire de libération, qui dessinent les contours d’une guerre à la fois non conventionnelle et high-tech contre les Etats-Unis. Les militaires réclament, et obtiennent, des dépenses en hausse considérable, même si les forces chinoises sont loin à la traîne de leurs homologues occidentales. Ce qui compte, c’est la tendance, et ce qui l’anime: la diplomatie américaine d’«engagement constructif» avec la Chine est un échec complet, les rapports sino-américains sont au nadir. Ni l’un ni l’autre n’ont intérêt à dépasser le point de non-retour. Pour l’heure, les trajectoires vont de plus en plus vers des collisions nombreuses. Laurent Murawiec (1999)
Evidemment, nous ne ferons rien. Claude Cheysson (décembre 1981)
Un régime qui, pour survivre, fait tirer sur sa jeunesse n’a pas d’avenir. Mitterrand (à Hu Jintao au lendemain du massacre de la place Tiananmen)
Le premier des droits de l’homme, c’est de manger, d’être soigné, de recevoir une éducation et d’avoir un habitat. De ce point de vue, la Tunisie est très en avance sur beaucoup de pays ? Jacques Chirac (Tunis, le 3 décembre 2003, jour où l’opposante Radhia Nasraoui entrait dans son 50e jour de grève de la faim)
Si les valeurs des droits de l’homme sont universelles, elles peuvent s’exprimer sous des formes différentes ? Chirac (Paris, 1996, visite de Li Peng)
Cette institution met la Russie au premier rang des démocraties, pour le respect dû aux peuples premiers, pour le dialogue des cultures et tout simplement pour le respect de l’autre ? Chirac (Saint-Pétersbourg, juin 2003, inauguration de l’Académie polaire)
Le multipartisme est une erreur politique, une sorte du luxe que les pays en voie de développement, qui doivent concentrer leurs efforts sur leur expansion économique n’ont pas les moyens de s’offrir ? Chirac (Abidjan, février 1990 )
Rompre le statu quo par une initiative déstabilisatrice, quelle qu’elle soit, y compris un référendum, serait privilégier la division sur l’union. Ce serait une grave erreur. Ce serait prendre une lourde responsabilité pour la stabilité de la région. Jacques Chirac (dîner d’Etat en l’honneur de Hu Jintao, Paris, le 26 janvier 2004 (à propos du référendum taiwanais du 20 mars, précédé cinq jours plus tôt, on s’en souvient, de… manoeuvres navales sino-françaises !)
C’est un clin d’oeil très positif de la participation de Paris à l’Année de la Chine en France. Pour les Chinois, le rouge est synonyme de santé et de bonheur. Pour nous, c’est la couleur de la passion. C’est donc un message fort envoyé par les Parisiens au peuple chinois. Jean-Bernard Bros (maire adjoint chargé du tourisme et président de la Société Nouvelle d’exploitation de la tour Eiffel, 2004)
Après une journée chargée pour le président chinois Ju Hintao -entretien avec le président français, déclaration commune, conférence de presse, discours devant l’Assemblée nationale-, le leader chinois et son épouse ont entamé mardi soir un programme privé avec le couple Chirac. Jacques et Bernadette Chirac, Hu Jintao et son épouse Liu Yongqing ont ainsi admiré en début de soirée depuis le parvis du Trocadéro la tour Eiffel illuminée en rouge à l’occasion de l’année de la Chine en France avant de dîner au restaurant « Jules Verne » du monument. L’illumination de la Tour Eiffel doit durer jusqu’à mercredi soir, ce qui coïncide avec la visite d’Etat de quatre jours en France du numéro un chinois. Auparavant, Jacques Chirac avait organisé une visite de l’exposition « Confucius » au Musée Guimet. La France a apporté un soutien fort à la Chine mardi en se prononçant contre un référendum à Taïwan, en faveur de la levée de l’embargo européen sur les ventes d’armes à Pékin et pour un respect des droits de l’homme « tenant compte des spécificités » locales. Le ton a été moins amène dans une partie de la classe politique et du côté des organisations de défense des droits de l’homme. Quarante ans après l’établissement des relations diplomatiques entre les deux pays, Jacques Chirac et Hu Jintao ont signé à l’Elysée une « Déclaration commune » dans laquelle Paris « s’oppose à quelque initiative unilatérale que ce soit, y compris un référendum qui viserait à modifier le statu quo, accroîtrait les tensions dans le détroit et conduirait à l’indépendance de Taïwan ». « Toute initiative qui peut être interprétée par l’une ou l’autre des parties comme agressive est dangereuse pour tout le monde, et donc irresponsable », a déclaré Jacques Chirac, sur la même ligne que Washington. L’idée du président taïwanais Chen Shui-bian d’organiser le 20 mars prochain une consultation demandant à la Chine de retirer les centaines de missiles pointés sur l’île « est dangereuse (…) pour la stabilité (…) dans cette partie du monde », estime le président français; « ce que je soutiens, c’est la paix et non pas les intérêts de la France, même si ceux-ci sont très proches ». « Nous sommes contre toute tentative qui conduirait à l’indépendance de Taïwan », a prévenu de son côté Hu Jintao, promettant de « faire le maximum d’efforts pour réaliser la réunification pacifique et régler le problème de Taïwan d’une manière pacifique. » Le président chinois a réaffirmé que l’île nationaliste constituait une « partie intégrante » du territoire chinois, de même que le Tibet, occupé par Pékin depuis 1951. En ce qui concerne les droits de l’homme, Paris et Pékin « soulignent la nécessité de (les) promouvoir et de (les) protéger » tout en « (tenant) compte des spécificités de chacun ». « Nous avons fait des progrès tangibles en matière de la protection et du développement des droits de l’homme », a assuré M. Hu. Quant à la ratification du « Pacte international sur les droits civils et politiques », signé par Pékin en 1998, elle attendra que « toutes les conditions (soient) réunies ». (…) Dans ce contexte, et en dépit des réserves d’une partie de l’Union européenne, la France, troisième vendeur d’armes mondial derrière les Etats-Unis et la Russie, est « très favorable » à la levée de l’embargo européen sur les armes décrété à la suite du massacre de Tiananmen en 1989. (…) L’optimisme affiché par Jacques Chirac n’était cependant pas partagé par toute la classe politique et c’est devant une Assemblée nationale à moitié vide que Hu Jintao a prononcé un discours qui a été poliment applaudi. Partagé entre la crainte de froisser une nation en plein essor économique et la volonté de protester contre la situation des droits de l’homme, le groupe socialiste n’avait envoyé qu’une « délégation restreinte » d’une vingtaine de membres. Les communistes, eux, étaient présents, contrairement à certains députés centristes et de nombreux élus de l’UMP au pouvoir. Seul incident notable, le député apparenté UDF Philippe Folliot s’est mis un mouchoir blanc sur la bouche pour symboliser un bâillon. Pendant ce temps, quelque 200 personnes -dont des députés-manifestaient près des Invalides contre l’oppression du peuple tibétain et les violations des droits de l’homme. Un peu plus tôt dans l’après-midi, sur la parvis des Droits de l’homme place du Trocadéro dans la capitale, la police avait empêché une cinquantaine de militants de Reporters sans frontières de lâcher des ballons en soutien à une soixantaine de journalistes et de « cybermilitants » emprisonnés en Chine. Selon RSF, on recense près de 300.000 prisonniers politiques ou d’opinion dans les geôles et les camps de travail chinois. Le Nouvel obs
Taiwan est un des rares problèmes stratégiques qui puisse provoquer une guerre mondiale aussi sûrement que l’Alsace-Lorraine au début du siècle dernier. Thérèse Delpech (L’Ensauvagement, 2005, p. 83)
Le XXe siècle n’est pas encore terminé en Asie et ni la guerre froide ni même la Seconde Guerre mondiale n’ont dit leur dernier mot dans cette région. Thérèse Delpech
Deux ans après la fameuse Année de la Chine du Grand Timonier Chirac …
Qui, sur fond de Tour Eiffel rouge, condamnait le projet de référendum taiwanais et proposait la levée de l’embargo européen, suite au massacre de Tienanmen de 1989, sur les ventes d’armes à Pékin …
Importante remise des pendules à l’heure de Thérèse Delpech dans son dernier ouvrage (“l’Ensauvagement, Le retour de la barbarie au XXIe siècle”) sur l’une des grandes menaces actuelles pour la paix de la planète, à savoir la montée en puissance du nationalisme et du militarisme chinois.
Mais aussi ferme et résolu plaidoyer en faveur de Taiwan, cette Chine démocratique, qui comme Israël au Moyen-Orient, « fait la démonstration que les valeurs (la liberté et la démocratie) qui sont les nôtres ont leur place dans cette partie du monde » et qui aurait selon elle le potentiel d’une… “Alsace-Lorraine du XXIe siècle” !
Et ce face à l’indifférence à peu près totale d’une Europe « enfermée dans le déni de réalité”, « le parti des dirigeants contre le peuple” ou “le choix de l’injustice contre le désordre” et “tentée par une sortie de l’Histoire” …
Thérèse Delpech : « Le XXe siècle pèse encore sur nous »
Propos recueillis par Marie-Laure Germon et Alexis Lacroix.
Le Figaro
22.10.2005
LE FIGARO. – L’Ensauvagement est né de votre inquiétude face à la « brutalisation » des relations internationales. Votre appréciation n’est-elle pas exagérée ?
Thérèse DELPECH. – Ce jugement peut surprendre au moment où un rapport international affirme que les guerres sont moins nombreuses et moins meurtrières. On le comprend mieux cependant quand les commentaires qu’il a suscités précisent que les deux principaux dangers sont aujourd’hui les risques d’usage d’armes non conventionnelles et les nouvelles formes de terrorisme.
Ces deux risques sont aujourd’hui mondialisés. Mon propos s’écarte cependant dans ce livre d’une analyse des relations internationales. Il a des ambitions plus philosophiques sur la possibilité toujours ouverte d’un retour aux grandes catastrophes humaines, par incapacité de tirer les leçons de l’expérience passée. Le XXe siècle pèse encore sur nous davantage que nous ne l’admettons. Et ce d’autant plus que la fin de la guerre froide n’a pas donné lieu au travail de réflexion, de mémoire, mais aussi de deuil, que la Seconde Guerre mondiale a contraint l’humanité à accomplir. Les millions de morts de la seconde moitié du XXe siècle n’ont, en un sens, jamais été ensevelis.
Y a-t-il un lien entre la montée de la violence quotidienne et les risques mondialisés dont vous parlez ?
Notre accoutumance générale à l’horreur a, je crois, prodigieusement augmenté. Désormais, seules de grandes catastrophes sont capables de nous émouvoir, et encore, à condition d’être fortement médiatisées. L’indifférence à la souffrance humaine est devenue la norme de notre sensibilité collective. Peut-être parce que, quand les malheurs du monde sont si nombreux, il faut bien, comme le disait Chamfort, que « le coeur se brise ou se bronze ». Mais l’« ensauvagement » désigne d’abord l’abaissement du seuil de nos émotions et de notre tolérance à l’intolérable.
Beaucoup ne comprennent même pas ce que le siècle passé a de spécifique dans l’histoire humaine du point de vue des massacres. Ils relativisent ce que cette période de l’histoire humaine a d’unique. C’est pourquoi le livre s’ouvre sur un aphorisme de Kafka : « Il faut briser en nous la mer gelée. » La Grande Guerre a constitué l’épreuve initiatique de cette résignation au meurtre de masse. Sur la lancée de cette hécatombe inaugurale, le XXe siècle – dont nous ne sommes, à mon sens, pas tout à fait sortis – a été le théâtre d’une destruction de la sensibilité.
Une autre caractéristique de l’« ensauvaugement » est l’immédiateté dans laquelle nous vivons tous, coupés d’un passé trop lourd et incapables de penser l’avenir. Le passé pèse avec d’autant plus de vigueur sur l’époque actuelle et entretient d’autant plus sa détresse face à l’avenir que notre mémoire est plus courte. La montée de la violence vient aussi en partie de ce déracinement. Nous ne savons plus qui nous sommes. C’est la raison pour laquelle, dans un livre consacré au XXIe siècle, je fais retour sur le passé, et notamment sur l’année 1905.
Pourquoi 1905 ?
1905 a vu la guerre russo-japonaise, la première révolution russe, la crise de Tanger et le texte inaugural de la révolution chinoise. Elle annoncé le siècle des guerres et des révolutions qu’a été le XXe siècle. Mais bien peu ont compris les signaux adressés par ces événements. C’est alors aussi que de grandes mutations intellectuelles se sont produites avec l’apparition du fauvisme, la parution en Suisse des trois écrits fondamentaux d’Einstein, la publication des Trois Essais sur la théorie de la sexualité de Freud. A partir de ce constat, je me suis interrogée sur ce que l’on pouvait dire en 2005.
1905, 2005. En quoi consiste, au juste, l’analogie ?
L’année 2005 est pleine d’enseignements sur des sujets clefs : les désordres potentiels en Extrême-Orient, deux crises nucléaires en Iran et en Corée du Nord, un nouvel attentat terroriste en Europe, l’affaiblissement des instruments de régulation internationale. Elle a débuté avec des manifestations antijaponaises en Chine, moins liées à la question des manuels scolaires qu’au refus de la Chine de voir le Japon siéger au Conseil de sécurité.
En fait, la Chine se comporte un peu comme le Japon au siècle dernier. A l’été, chacun a pu constater que les commémorations de la fin de la Seconde Guerre mondiale en Asie n’avaient rien à voir avec celles qui avaient lieu en Europe : loin d’être placées sous le signe de la réconciliation, elles ont été marquées par la persistance de l’hostilité et par les questions non résolues : péninsule coréenne, relations sino-japonaises, et surtout Taïwan. Le XXe siècle n’est pas terminé dans cette partie du monde.
La thèse d’Eric Hobsbawm sur le « siècle court » (1917-1989) est marquée par un européo-centrisme qui ne permet pas de comprendre le siècle qui s’ouvre, dont le centre de gravité est désormais l’Asie. Le XXIe devra clore en Asie le troisième acte de la Seconde Guerre mondiale, mais aussi la guerre froide. Comment le fera-t-il ? C’est une question cruciale.
Quelles sont les autres caractéristiques de l’année 2005 ?
Une nouvelle attaque terroriste sur le territoire européen, avec pour la première fois des attentats suicides. C’est un deuxième avertissement pour l’Europe, qui a parfois tendance à se croire protégée ; l’échec du sommet des Nations unies, en septembre à New York, qui peut annoncer un retour à la Société des nations et à son impuissance ; l’immense léthargie de l’Europe dans un monde qui bouge : panne institutionnelle et étroitesse de sa vision stratégique. L’Europe semble obnubilée par elle-même. Enfin, l’année 2005 a vu le développement de deux crises nucléaires.
Dans le cas coréen, des signes contradictoires ont été fournis au début et à la fin de l’année. Aux déclarations de Pyongyang sur l’existence d’un arsenal nucléaire et la reprise d’essais balistiques, a succédé un texte des six pays engagés dans les pourparlers sur ce pays qui a semblé indiquer une renonciation, mais celle-ci a été remise en cause en moins de vingt-quatre heures !
Et l’Iran ?
L’Iran a l’ambition de devenir la première puissance du Moyen-Orient, et la bombe sert cet objectif à ses yeux. Les négociations avec les Européens ont été rompues pour la seconde fois en 2005 avec la décision iranienne, en août, de reprendre les activités de conversion d’uranium à l’usine d’Ispahan. Pourquoi, dans cette situation, les Européens n’ont-ils pas mis en oeuvre leur menace, répétée à l’envi au plus haut sommet des Etats, de transmettre le dossier iranien au Conseil de sécurité est pour moi une énigme. Surtout qu’ils disposaient de la majorité nécessaire à Vienne pour le faire.
L’équilibre de la terreur plaçait-il les relations internationales sous le signe d’une plus grande sécurité ?
L’équilibre de la terreur était en fait d’une grande fragilité, comme de nombreux incidents, mais surtout une crise majeure, la crise des missiles de Cuba, l’a révélé en 1962. Le problème a moins concerné la relation entre les Etats-Unis et l’Union soviétique que la présence d’un troisième acteur, Fidel Castro, qui a failli faire basculer le « système bipolaire » dans la guerre nucléaire.
Cette crise mérite qu’on y revienne, non seulement parce que, si elle se reproduit, nous n’aurons probablement pas la même chance, mais aussi parce que le monde contemporain a désormais plusieurs acteurs nucléaires de type Fidel Castro, qui, à la différence de Kennedy ou de Khrouchtchev, partisans de la dissuasion, n’hésiteront pas à recourir à l’arme nucléaire comme à un moyen de coercition. Et le nombre des acteurs rendra la gestion des crises beaucoup plus difficile.
Raymond Aron s’interdisait à juste titre de parler abstraitement de la dissuasion ; il insistait sur l’importance de savoir qui était dissuadé de quoi et comment. Or, si les soviétologues ont rempli des bibliothèques, on ignore presque tout des nouveaux acteurs, situés de surcroît dans des zones de tension permanente comme le Moyen-Orient ou l’Extrême-Orient.
La politique de la Russie participe-t-elle de l’« ensauvagement » ?
La Russie est redevenue inquiétante et elle inquiète d’ailleurs beaucoup de Russes qui se demandent qui au juste prend les grandes décisions à Moscou et où va l’argent du pétrole, comme d’ailleurs l’argent tout court. La Russie se referme. Il est inutile de se raconter des histoires. Quant à son « ensauvagement », hélas, il vient pour une grande part de l’expérience traumatisante que la jeune génération russe a faite en Tchétchénie ces dernières années. Une fois revenus au pays, les soldats ne savent souvent plus rien faire d’autre que voler, piller, voire tuer.
On les appelle d’ailleurs les « Tchétchènes » par assimilation avec ceux qu’ils ont combattus. Le problème russe est simple : il s’agit de reconnaître la fin de l’empire et celle d’« un chemin particulier » pour admettre que, depuis maintenant trois siècles, la Russie est engagée vers l’Occident. De même que la fin du nazisme a été la catastrophe salvatrice de l’Allemagne, celle de l’URSS est la possibilité pour la Russie de mettre un terme à ses rêves d’empire. Mais elle n’en prend pas le chemin.
Vous citez Soljenitsyne : « Si la leçon globale du XXe siècle ne sert pas de vaccin, l’immense ouragan pourrait bien se renouveler dans sa totalité. »
Cette leçon est en premier lieu la possibilité du renouvellement de l’immense ouragan. Les signaux d’alarme sont allumés. Mais, de même qu’il y a un siècle l’avenir n’était nullement écrit en 1905, de même le cours de l’histoire peut être infléchi. Rien ne nous impose de continuer à servir le côté destructeur de la psychologie humaine.
Thérèse Delpech est Directeur des Affaires Stratégiques au Commissariat à l’Energie Atomique depuis 1997. Elle est également commissaire à l’UNMOVIC et conseiller international auprès de l’ICRC. Elle a été, entre 1995 et 1997, conseiller auprès du Premier Ministre (affaires politico-militaires) et, entre 1987 et 1995, directeur adjoint des Affaires internationales (Questions stratégiques et de défense, non-prolifération) au Commissariat à l’Energie atomique.
Voir aussi:
» Un des grands problèmes de la Russie -et plus encore de la Chine- est que, contrairement aux camps de concentration hitlériens, les leurs n’ont jamais été libérés et qu’il n’y a eu aucun tribunal de Nuremberg pour juger les crimes commis. «
Quand la nature s’en mêle
NOUVELLES FIGURES DE LA BARBARIE
Entretien avec Thérèse Delpech
REVUE DES DEUX MONDES – Votre livre (1) traite d’un retour de la sauvagerie à notre époque. Comment appréhendez-vous de ce point de vue l’impact récent produit par les catastrophes naturelles, que l’on pense aux cyclones, aux ouragans ou à la menace de plus en plus forte de nouveaux virus ?
THERESE DELPECH – Ce livre traite surtout des grandes catastrophes humaines du siècle passé, de la façon dont elles continuent de peser sur nous et de la possibilité toujours ouverte de connaître à nouveau la barbarie. Et ce non seulement sous la forme de massacres mais même de grandes guerres, au retour desquelles on ne songe plus guère. On devrait pourtant penser que si nous avons entraîné le monde dans nos guerres au XXe siècle, il risque au XXIe de nous entraîner dans les siennes, notamment en Extrême-Orient, où les signaux d’alarme sont déjà allumés.
Les catastrophes naturelles sont d’une autre nature que les catastrophes humaines, même si elles peuvent être la cause de grandes souffrances. Je ne mettrai jamais sur le même plan 300 000 morts d’un camp de la Vorkouta et 300 000 morts du tsunami qui a frappé le Sud-Est asiatique il y a un an. Ce qui me paraît digne d’intérêt cependant pour le thème du livre dans les catastrophes naturelles, c’est à la fois la façon dont elles révèlent des dysfonctionnements de la société ou du pouvoir politique, comme ce fut le cas pour Katrina, et le fait que les grands ouragans, qui apparaissent de temps à autre dans l’histoire, seront probablement plus nombreux en ce siècle en raison du réchauffement climatique et donc de l’action – comme de l’inaction – humaine. Un des principaux messages de ce livre est la nécessité de retrouver le sens de la responsabilité humaine dans le déroulement des événements : le pessimisme intellectuel du titre s’accompagne d’un volontarisme moral qui le tempère.
Les épidémies, et même les grandes pandémies telles qu’on a pu les connaître au XIVe siècle, sont des phénomènes dont les progrès de la science ne nous protègent pas. De nouvelles maladies ou des maladies que l’on croyait éradiquées apparaissent – ou réapparaissent – presque chaque année, comme en témoigne la liste tenue à jour par l’Organisation mondiale de la santé. La grande différence avec le XIVe siècle, qui reste l’époque des grandes pandémies, n’est pas seulement l’évolution des systèmes de santé – d’ailleurs très inégale d’une partie du monde à l’autre – mais aussi la vitesse de transmission des virus : ce qui prenait des mois ou des années à arriver d’un continent à l’autre voyage désormais en vingt-quatre heures, de Singapour au Canada. En outre, comme les ouragans, les épidémies déstructurent certaines des sociétés qu’elles touchent : c’est le cas de nombreuses sociétés africaines, qui se retrouvent avec des millions d’orphelins dans les rues. Les élites de ces pays fragiles sont en outre souvent les premières touchées. Enfin et peut-être surtout, il faut compter avec les applications militaires des biotechnologies et l’usage possible de maladies comme outils de terreur. De ce point de vue, l’affaire de l’anthrax aux États-Unis en octobre 2001 est un avertissement.
REVUE DES DEUX MONDES – Vous trouvez qu’il y a un excès de confiance, que l’on se croit prémuni par nature ?
THERESE DELPECH – On ne veut plus entendre parler du tragique. Là est le problème. Toute illusion est bonne pour s’en préserver. Mais cela ne suffit pas à donner un sentiment de sécurité : il faudrait être complètement coupé de la réalité pour le ressentir. Il y a au contraire un sentiment d’inquiétude latent qui ne dit pas son nom. Comment en serait-il autrement ? Même le pays le plus développé s’est montré très vulnérable au terrorisme et aux catastrophes naturelles. Les désastres provoqués par un raz de marée n’étonnent personne au Bangladesh, mais aux Etats-Unis, un pays qui consacre des sommes considérables à la protection de son territoire depuis 2001 (y compris contre les catastrophes naturelles), on peut être surpris. Katrina a aussi joué un rôle de révélateur pour des problèmes d’une tout autre nature. L’ouragan a révélé une fracture sociale qui a indigné beaucoup d’étrangers mais aussi beaucoup d’Américains. Dans cette partie de l’Amérique, les relations entre Blancs et Noirs sont encore marquées par le XIXe siècle. On a pu voir enfin de grandes difficultés à articuler le pouvoir local avec le pouvoir régional et fédéral. C’est une leçon capitale pour la réaction des États-Unis à des actions terroristes potentielles de grande ampleur. Mais c’est aussi un sujet de réflexion pour l’Europe. Car si Londres a pu faire face aux attentats du 7 juillet avec beaucoup de compétence, que se passerait-il en cas d’attaque non conventionnelle avec des produits chimiques, par exemple ?
AVANCEES POLITIQUES ET ATTENTISME
REVUE DES DEUX MONDES – On a beaucoup dit que l’ouragan Katrina coûterait plus cher à l’Administration Bush que la guerre en Irak.
THERESE DELPECH – Je n’en sais rien. On a souvent trop tendance à donner une importance spécifique à l’événement présent. La vérité est que l’Administration Bush connaît une période très difficile, aussi bien à l’intérieur, avec les nominations à la Cour suprême et l’affaire Karl Rove et Libby, qu’à l’extérieur, où le degré de tolérance à l’égard de l’intervention américaine en Irak est en baisse constante. Dans ce dernier domaine pourtant, si les violences continuent, les élections qui ont eu lieu à l’automne ont permis de constater que les Irakiens soutenaient activement la poursuite du processus politique. Outre les Kurdes et les chiites, on a même vu une partie des sunnites entrer dans le jeu politique. Personnellement, je ne fais aucun pronostic catastrophique sur ce pays. Et si l’on observe l’ensemble du Moyen-Orient, les changements sont réels : le retrait des troupes syriennes du Liban, impensables il y a un an, et le rapport Mehlis – qui accable le pouvoir syrien – sont des faits nouveaux et très positifs. L’action conjointe des États-Unis et de la France a porté des fruits. Mais la Jordanie va aussi devoir participer plus activement à la lutte contre le terrorisme après les attentats de la mi-novembre. Le roi s’est montré ferme et la population a réagi avec une manifestation d’hostilité aux terroristes. Enfin la décision de Tel-Aviv de se désengager de Gaza est courageuse et s’est faite dans le calme, malgré les pronostics. Elle a été saluée à juste titre par le Conseil de sécurité en août. En d’autres termes, la morosité américaine, qui est réelle, n’est pas toujours justifiée.
REVUE DES DEUX MONDES – Reste l’Iran…
THERESE DELPECH – Oui. L’Iran est devenu beaucoup plus dangereux depuis l’arrivée d’un président ultraconservateur, très idéologue, qui profère des menaces insensées et qui veut franchir les dernières étapes du programme nucléaire. Mais là aussi, les Occidentaux négligent leurs propres forces. Mahmoud Ahmadinejad a fait des erreurs grossières : quatre ministres refusés d’emblée par l’Assemblée, un discours calamiteux à l’ONU, la reprise de la conversion de l’uranium à Ispahan, de violentes menaces exprimées par deux fois envers Israël qui lui ont valu une réprobation générale. Et il est déjà clair pour tous que ses promesses électorales à la population pauvre de l’Iran ne pourront être tenues. Il faudrait donc utiliser ces faiblesses au lieu de lui donner le sentiment qu’on est encore prêts à négocier avec lui. La seule solution est le transfert du dossier nucléaire au Conseil de sécurité avant qu’il ne soit trop tard. Si les Européens ne le font pas, leur crédibilité diplomatique sera désormais nulle et leur responsabilité dans la suite des événements lourdement engagée. Dans l’immédiat ils devraient rappeler leurs ambassadeurs en poste à Téhéran pour protester contre les propos incendiaires du président iranien à l’égard d’Israël.
Revue des Deux Mondes – Il est tout de même curieux que personne n’ait vu venir ce personnage alors que les observateurs compétents ne manquent pas…
Thérèse Delpech – En effet. On se trompe depuis vingt-cinq ans sur l’Iran avec une régularité qui serait comique si elle n’était pas dangereuse. C’est toujours le triomphe du principe de plaisir : on refuse de voir ce qui saute aux yeux. L’Iran ne craint pas la confrontation avec l’extérieur et va reprendre l’enrichissement de l’uranium après avoir repris la conversion si personne ne les arrête maintenant. Après l’échéance de novembre 2005, les problèmes sont devenus de plus en plus difficiles à régler avec ce pays. Encore une fois, qui donc aura la responsabilité de l’acquisition de l’arme nucléaire par Téhéran si elle se produit ? Les Européens auront leur part, n’est-ce pas ? Ils auraient bénéficié d’un succès. Il faudra bien qu’ils prennent la responsabilité de l’échec. À moins d’être irresponsables.
REVUE DES DEUX MONDES – En ce qui concerne les États-Unis, est-ce que les difficultés se limitent seulement aux fautes de l’Administration Bush, ou bien n’y a-t-il pas un malaise plus profond ?
THERESE DELPECH – Les Américains se sentent vulnérables et désorientés. Cela dépasse le cas particulier de George Bush car les démocrates n’ont pas d’idées de rechange. Sous la période Clinton, l’idée que le système américain avait gagné la guerre froide et que la liberté et le marché allaient se répandre sur toute la surface de la Terre a connu une période d’illusion triomphante. Les États-Unis ont compris en 2001 que la géopolitique continuait d’exister. La rapidité avec laquelle ils ont vaincu militairement en Afghanistan et en Irak a maintenu un temps la confiance. Mais elle a été de courte durée face aux difficultés de l’après-guerre et à une évidence dont les Américains ne se remettent pas : la haine à leur endroit se répand dans le monde.
REVUE DES DEUX MONDES – Le peuple élu pour la liberté doute de lui-même ?
THERESE DELPECH – Ce n’est pas tant sur la mission qu’il y a doute que sur la capacité à la remplir. Aucun pays n’accepte aisément d’être détesté. Mais c’est encore plus dur pour le pays qui a la conviction intime d’être LA puissance bénéfique dans le monde. L’Amérique passe rapidement de l’euphorie à la panique et traverse une période de dépression profonde, mais celle-ci ne durera pas nécessairement car ce pays a des ressources considérables pour rebondir. On oublie toujours, peut-être parce que c’est une vérité désagréable, que le rôle historique de l’Amérique repose moins sur une volonté que sur l’autodestruction de l’Europe au siècle dernier. Le fait de se trouver dans l’obligation d’occuper une situation exceptionnelle sans l’avoir vraiment cherché change tout. L’Amérique n’a jamais été préparée à remplir ce rôle. En fait, alors qu’elle est omniprésente dans le monde, elle le connaît assez mal.
Cela dit, elle connaît au moins infiniment mieux l’Asie, qui sera le centre des affaires stratégiques en ce XXIe siècle, que ce n’est le cas de l’Europe. Notre connaissance à nous Européens a beaucoup vieilli, et elle est aujourd’hui souvent limitée à l’économie : le chancelier Schröder est appelé « Monsieur Auto » en Chine et pour de bonnes raisons. Dès qu’il a quitté ses fonctions à la tête de l’Allemagne, il ne s’est pas contenté de prendre un rôle éminent au conseil de surveillance de Gazprom (Russie). Il a également engagé des opérations commerciales importantes avec la Chine. Les Américains savent au moins reconnaître qu’il y a en Asie des mutations très inquiétantes, qu’il s’agisse de la péninsule coréenne, des rapports de la Chine et du Japon, ou encore de Taïwan. Mais ils ne réalisent pas pour autant que le XXe siècle n’est pas encore terminé en Asie et que ni la guerre froide ni même la Seconde Guerre mondiale n’ont dit leur dernier mot dans cette région. C’est une des thèses principales de mon livre et c’est à vrai dire une thèse plus ignorée encore en Europe !
DES MODELES EN CRISE
REVUE DES DEUX MONDES – Revenons pour finir en France. Quelle est votre analyse des derniers événements en banlieue ?
THERESE DELPECH – Une chose frappe tout d’abord, c’est que les critiques virulentes adressées à ce que l’on prétendait être la faillite du modèle américain s’appliquent à la France. Les dernières émeutes ont révélé ce que désigne un excellent petit livre intitulé les Territoires perdus de la République (2). La France ne veut pas reconnaître qu’il y a dans les banlieues toute une population qui n’a rien à voir avec le reste de la société, et que des zones entières échappent à l’état de droit, littéralement abandonnées depuis des décennies. Je trouve très juste la phrase d’Alain Finkielkraut demandant : « Comment voulez vous intégrer des gens qui n’aiment pas la France dans une France qui ne s’aime pas ? » C’est en effet le problème. Et face à cette réalité, il y a un abandon des responsabilités.
REVUE DES DEUX MONDES – Pour quelle raison ? Parce que cela n’intéresse pas ?
THERESE DELPECH – L’immigration n’a jamais été considérée en France comme une chance. Et personne ne veut reconnaître que le modèle républicain connaît des ratés spectaculaires. Il y a une schizophrénie française : on fait semblant de ne faire aucune différence entre les origines des populations présentes sur le sol français mais les employeurs font le tri. On voit beaucoup moins d’immigrés en situation de réussite sociale qu’en Angleterre, même si le modèle anglais a aussi ses problèmes, comme on l’a vu cette année de façon spectaculaire. La vérité est que les deux modèles sont en crise.
REVUE DES DEUX MONDES – Pourquoi la France ne s’aime- t-elle pas ?
THERESE DELPECH – La France ne retrouve pas dans sa situation présente l’idée qu’elle continue de se faire d’elle-même. Notre pays ne pèse plus grand-chose sur la scène internationale. Il ne pèse plus autant qu’hier en Europe. Plus profondément, la France n’a toujours pas accepté la défaite de juin 1940. Malgré les efforts du général de Gaulle, la défaite est toujours là. Les Français savent qu’ils n’étaient pas du parti des vainqueurs. C’est un des problèmes de nos relations avec les Britanniques, qui n’ont aucun doute, eux, sur ce point. Il m’arrive de visiter les cimetières militaires de Normandie. On y voit des classes britanniques, américaines, canadiennes, allemandes même, mais bien peu de classes françaises. Pour finir, je dirai que la France ne s’aime pas parce qu’elle ignore ce qu’il y a de grand en elle. De cette grandeur, il ne reste aujourd’hui qu’une caricature : la vanité. Un défaut que connaissent – et dont profitent – les Russes et les Chinois, qui ont détecté cette faiblesse depuis longtemps.
Les Français devraient relire le texte que Jean Guehenno a écrit en 1940 : « La France qu’on n’envahit pas » (3). Ils comprendraient peut-être mieux ce dont ils peuvent toujours être fiers.
Propos recueillis par Michel Crépu
1. Thérèse Delpech, l’Ensauvagement. Le retour de la barbarie au XXIe siècle, Grasset.
2. Ouvrage collectif dirigé par Emmanuel Brenner, les Territoires perdus de la République : antisémitisme, racisme et sexisme en milieu scolaire, Mille et une nuits, 2004.
3. Jean Guehenno, « La France qu’on n’envahit pas » in Journal des années noires, 1940-1944, Gallimard, « Folio », 2002.
Thérèse Delpech, ancienne élève de l’école normale supérieure, professeur agrégé de philosophie, chercheur associé au Centre d’études et de recherches internationales (Ceri, FNSP) et membre de l’Institut international d’études stratégiques de Londres, vient de publier l’Ensauvagement. Le retour de la barbarie au XXIe siècle, chez Grasset, prix Femina Essai 2005. Notamment auteure de Politique du chaos (Le Seuil), 2002, elle écrit de nombreux articles dans Commentaires, Politique internationale, Politique étrangère et Survival.
Voir encore:
Laurent Murawiec
2001
pp. 102-106
Un seul empereur sous le ciel ?
L’idée d’une Chine naturellement pacifique et trônant, satisfaite, au milieu d’un pré carré qu’elle ne songe pas à arrondir est une fiction.
L’idée impériale, dont le régime communiste s’est fait l’héritier, porte en elle une volonté hégémoniste. La politique de puissance exige de « sécuriser les abords ». Or les abords de la Chine comprennent plusieurs des grandes puissances économiques du monde d’aujourd’hui : la « protection » de ses abords par la Chine heurte de plein fouet la stabilité du monde. Et ce, d’autant qu’elle est taraudée de mille maux intérieurs qui sont autant d’incitations aux aventures extérieurs et à la mobilisation nationaliste.
Que veut la République Populaire ? Rétablir la Chine comme empire du Milieu. Comme l’écrit un idéologue du régime : « La renaissance de l’esprit chinois sera comme la cloche du matin pour l’ère du [monde centré sur l’océan] Pacifique. Toute gloire à la Grande Chine. L’avenir appartient à l’esprit chinois modernisé au nom du siècle nouveau. » À cet avenir glorieux, à la vassalisation par la Chine, les Etats-Unis sont l’obstacle premier.
La Chine de ne veut pas de confrontation militaire, elle veut intimider et dissuader, et forcer les Etats-Unis à la reculade. Deng l’avait fortement exprimé devant Henry Kissinger : « La Chine ne craint rien sous le Ciel ni sur la Terre . » De même, avec précision, le général Mi Zhenyu, commandant en second de l’Académie des sciences militaires : [En ce qui concerne les Etats-Unis,] pendant une période de temps assez considérable, nous devons absolument entretenir notre soif de vengeance […]. Nous devons celer nos capacités et attendre notre heure . » Qu’est-ce qu’une grande stratégie chinoise ?
L’ « Esquisse d’un excellent stratège chinois » de l’universitaire taiwanais Chien Chao l’avait montré : « Il attend patiemment l’occasion propice, en alerte, observant et analysant constamment la situation. Quand il agit, ses actions tendent à être indirectes et trompeuses, et souvent il essaie d’atteindre son but en utilisant une tierce partie. Quelques fois exagérera-t-il et mentira, mais toujours il feindra. Il fait de son mieux pour stopper l’avance de son adversaire. Il pourra attirer, éprouver et menacer l’adversaire, mais, à moins que cela ne soit absolument nécessaire, il ne lancera pas de choc frontal réel avec lui. S’il le doit, il agira avec promptitude et voudra prendre rapidement le contrôle de l’adversaire. Il est toujours disposé à abandonner ou à se retirer, car cela n’est qu’un pas en arrière avant de revenir . »
Pékin a récupéré Hong-Kong – l’argent, la finance, les communications. L’étape suivante, c’est Taïwan – la technologie avancée, l’industrie, d’énormes réserves monétaires. Si Pékin parvient à imposer la réunification à ses propres conditions, si un « coup de Taïwan » réussissait, aujourd’hui, demain ou après-demain, tous les espoirs serait permis à Pékin. Dès lors, la diaspora chinoise, riche et influente, devrait mettre tous ses œufs dans le même panier ; il n’y aurait plus de centre alternatif de puissance. La RPC contrôlerait désormais les ressources technologiques et financières de l’ensemble de la « Grande Chine ». Elle aurait atteint la masse critique nécessaire à son grand dessein asiatique.
Militairement surclassés, dénués de contrepoids régionaux, les pays de l’ASEAN, Singapour et les autres, passeraient alors sous la coupe de la Chine, sans heurts, mais avec armes et bagages. Pékin pourrait s’attaquer à sa « chaîne de première défense insulaire » : le Japon, la Corée, les Philippines, l’Indonésie. La Corée ? Privée du parapluie américain, mais encore menacée par l’insane régime nord-coréen, elle ferait face à un choix dramatique : soit accepter l’affrontement avec le géant chinois, se doter d’armes nucléaires et de vecteurs balistiques, et d’une défense antimissiles performante, soit capituler, et payer tribut, tel un vassal, au grand voisin du sud. Elle pourrait théoriquement s’allier au Japon pour que les deux pays – dont les rapports ne sont jamais faciles – se réarment et se nucléarisent ensemble. Il est également possible – c’est le plan chinois – qu’ils se résolvent tous deux à capituler. Le Japon, géant techno-industriel, nain politico militaire, archipel vulnérable, serait confronté au même dilemme.
L’Asie du Sud-Est, sans soutien américain ni contrepoids à la Chine en Asie du Nord, est désarmée. Tous montreraient la porte aux Etats-Unis, dont les bases militaires seraient fermées, en Corée et au Japon. Les Etats-Unis seraient renvoyés aux îles Mariannes, Marshall et à Midway – comme l’entendait le général Tojo, le chef des forces armées impériales du Japon et l’amiral Yamamoto, le stratège de l’attaque de Pearl Harbour en 1941.
La Chine est-elle maîtresse de l’Asie ? Reste à neutraliser l’Inde, l’égale démographique, la rivale démocratique, anglophone, peu disposée à s’en laisser compter. Mais il faut la clouer sur sa frontière occidentale par l’éternel conflit avec le Pakistan islamiste et nucléaire. La Chine doit neutraliser l’Inde, ou l’attaquer, avant que ses progrès économiques et militaires ne lui confèrent une immunité stratégique. La Mongolie « extérieure » est récupérée, Pékin ne s’étant jamais accommodé de son indépendance ni de sa soumission à la Russie. Plus loin, le traité de Pékin de 1860, qui donna à la Russie les territoires de l’Extrême-Orient russe, pourra être effacé ou abrogé, la faiblesse russe allant s’aggravant.
Au XXIe siècle, l’hégémonie asiatique, c’est le tremplin vers la domination mondiale. Harold Mackinder, le géopoliticien britannique, affirmait il y a un siècle que la domination du cœur de l’Eurasie, c’était la domination du monde. Les déplacements tectoniques intervenus dans l’économie et la politique mondiale font de l’Asie peuplée, riche et inventive, le pivot de la domination mondiale. Tel est le grand dessein chinois, à un horizon qui peut être placé entre 2025 et 2050. Pour qu’il réussisse, la condition nécessaire est l’élimination des Etats-Unis comme facteur stratégique majeur dans l’Asie-Pacifique. Objectera-t-on qu’il y a là une bonne dose d’irréalisme ? Le PNB du Japon de 1941 ne se montait guère qu’à 20 pour cent de celui des Etats-Unis. L’erreur de calcul est commune dans les affaires internationales, et fournit souvent la poudre dont sont faites les guerres. L’aptitude à se méprendre du tout au tout sur les rapports de force est caractéristique des dictatures.
La Pax Sinica désirée par le nouvel hégémon bute sur bien d’autres obstacles. La course au nationalisme des dirigeants du régime est non seulement le produit atavique d’une tradition dont nous avons démonté les ressorts – « de même qu’il n’y a pas deux soleils dans le ciel, il ne peut y avoir qu’un empereur sur terre », dit le Livre des rites confucéen – elle est également le produit d’une fuite en avant provoquée par les multiples crises qui affligent la Chine. Le régime devrait résoudre la quadrature du cercle pour maîtriser ces crises : la perspective est improbable. L’échec probable rend possible l’ouverture d’un nouveau cycle de crise systémique. L’agressivité nationaliste du régime en serait aggravée.
Jamais ses chefs n’ont été isolés de la société, jamais la Chine n’a été aussi anomique qu’elle ne l’est devenue sous la férule de Jiang Zemin. L’absurde méga-projet de barrage des Trois-Gorges sur le Yangzi en est l’éclatante démonstration : ce chantier pharaonique absorbe des investissements gigantesques au détriment de bien des projets plus réalistes, dans le but de résoudre en quelque sorte d’un seul d’un coup la pénurie d’électricité nationale. Les études de faisabilité et d’impact environnemental ont été bâclées : nul ne sait ce qui adviendra de ce bricolage géant sur le géant fluvial de Chine du Sud. Les risques de catastrophe écologique sont considérables. Des millions de villageois ont été délogés. La corruption s’est emparée du projet, au point de menacer la stabilité et la solidité du barrage : le sable a remplacé le béton dans un certain nombre d’éléments du barrage.
Une société moderne ne peut être gérée sur la base des choix arbitraires de quelques centaines de dirigeants reclus, opérant dans le secret et en toute souveraineté. Ce que les tenants, aujourd’hui déconfits, des « valeurs asiatiques », n’avaient pas compris, dans leurs plaidoyers pro domo en faveur d’un despotisme qu’ils prétendaient éclairé, c’est que les contre-pouvoirs, les contrepoids, que sont une opposition active, une presse libre et critique, des pouvoirs séparés selon les règles d’un Montesquieu, l’existence d’une société civile et de multitudes d’organisations associatives, font partie de la nécessaire diffusion du pouvoir qui peut ainsi intégrer les compétences, les intérêts et les opinions différentes. Mais, pour ce faire, il convient de renoncer au modèle chinois, c’est-à-dire au monolithisme intérieur. La renonciation au monolithisme extérieur n’est pas moins indispensable : la Chine doit participer à un monde dont elle n’a pas créé les règles, et ces règles sont étrangères à l’esprit même de sa politique multimillénaire. La Chine vit toujours sous la malédiction de sa propre culture politique. La figure que prendra le siècle dépendra largement du maintien de la Chine, ou de l’abandon par elle, de cette culture, et de sa malédiction.
Voir encore:
France-Chine
Les cadeaux de l’amitié
En visite d’Etat en France, le président chinois reçoit un accueil officiel particulièrement chaleureux, témoignant de la volonté réciproque d’approfondir les bonnes relations qui unissent les deux pays, en dépit des vives critiques sur la nature du régime et la situation des droits de l’homme en Chine. M. Hu Jintao a abordé sans complexe à plusieurs reprises ce dossier, marquant ce qui apparaît comme une volonté de distinction à l’égard de ses prédécesseurs, ou de séduction vis-à-vis de ses hôtes.
Georges Abou
RFI
27/01/2004
A mi-parcours de sa visite de quatre jours en France, le numéro un chinois peut déjà se prévaloir d’avoir été accueilli en grande pompe par un ami prêt à plaider sa cause sur la scène internationale. En effet, depuis l’arrivée de son homologue, lundi, Jacques Chirac a déjà beaucoup donné à Hu Jintao. D’emblée, ce dernier a reçu le soutien de la France sur le dossier de l’île de Taïwan. Jacques Chirac s’est explicitement prononcé contre le référendum que les autorités de l’Ile rebelle veulent organiser le 20 mars, estimant que «rompre le statu quo par une initiative unilatérale déstabilisatrice, quelle qu’elle soit, y compris un référendum, serait privilégier la division sur l’union». «Ce serait une grave erreur. Ce serait prendre une lourde responsabilité pour la stabilité de la région», a déclaré le président français lundi soir, rappelant également l’attachement de la France «à l’existence d’une seule Chine». «Le gouvernement chinois apprécie hautement (…) la position de principe claire et nette prise par vous-même contre les agissements des autorités taïwanaises tendant à ‘l’indépendance de Taïwan’ sous l’enseigne du ‘référendum’», a répondu Hu Jintao, visiblement satisfait. Taïpei a «exprimé ses profonds regrets» après les déclarations du chef de l’Etat français. «Cela prouve qu’il est urgent d’organiser le référendum», a déclaré un porte-parole du gouvernement taïwanais. La consultation doit notamment porter sur le développement des capacités de défense de l’île et les conditions d’une négociation avec Pékin.
Le second cadeau de bienvenue offert par la France à la Chine est la proposition soumise aux chefs de la diplomatie des membres de l’Union européenne de lever l’embargo communautaire sur les armes à destination de Pékin. La mesure a été décidée voici quinze ans, au lendemain de la tragique répression du printemps de Pékin. Elle «n’a plus de sens aujourd’hui et n’est pas de nature à modifier les rapports stratégiques», a déclaré mardi M. Chirac. Cet embargo, «je l’espère, sera levé dans les mois qui viennent et (…) la France y est très favorable», a ajouté le président français, compte tenu du fait que la proposition soumise à ses homologues la veille par Dominique de Villepin, à Bruxelles, doit à présent être examinée par un groupe d’experts de l’Union. Le ministre français a annoncé une décision pour la fin du mois de mars, date du prochain sommet européen. Le président de la commission européenne ne s’est pas déclaré opposé au projet, à condition toutefois, que «les règles soient respectées», a dit Romano Prodi.
De son côté le président chinois a ménagé son hôte en consentant à évoquer l’épineuse question des droits de l’homme, sans laquelle les concessions françaises et les fastes de la visite auraient provoqué la réprobation massive d’une classe politique divisée et les sarcasmes de l’opinion publique. Dans la «Déclaration conjointe franco-chinoise» signée mardi par les deux chefs d’Etat, «la France et la Chine soulignent la nécessité de promouvoir et de protéger les droits de l’Homme conformément à la charte des Nations unies, en respectant l’universalité de ces droits». Les deux pays, ajoute la déclaration, «estiment que tout en tenant compte des spécificités de chacun, il est du devoir des Etats de promouvoir et de protéger tous les droits de l’Homme et toutes les libertés fondamentales». Venant d’un régime qui compte parmi les plus autoritaires de la planète, et qui n’en éprouve aucun complexe, une telle profession de foi est pour le moins inhabituelle et troublante. Et le cadeau, contre-don de Hu Jintao à Jacques Chirac, est à la mesure de celui du président français à son invité. Il confirme en tout cas la volonté d’ouverture d’un chef d’Etat, sinon d’un régime, soumis à une forte demande internationale de transparence et de démocratie.
Droits de l’Homme et commerce extérieur
Le discours du numéro un chinois mardi après-midi devant les députés français n’aura pas dissipé cette impression. Devant une assemblée que les opposants les plus radicaux à la politique chinoise avaient boycotté, préférant rejoindre les manifestations d’opposants, Hu Jintao a formellement évoqué la réforme des institutions chinoises et celle du système, la révision du pacte national et l’ouverture des droits politiques. «La réforme du système économique s’accompagne de celle du système politique», a notamment déclaré le président chinois dans une intervention qui évoquait une volonté d’affranchissement à l’égard des vieux dirigeants de Pékin et de s’adresser à la fois aux représentants d’une nation alliée tout autant qu’au peuple chinois.
Paris peut également se féliciter des propos prononcés par Hu Jintao sur les défis qui attendent la communauté internationale : condamnation de l’unilatéralisme, promotion du multilatéralisme, partenariat avec la France dans le cadre du Conseil de sécurité de l’Onu, instauration d’un nouvel ordre économique et politique international, lutte contre le terrorisme, préservation de l’environnement et accroissement de la coopération économique et commerciale entre le géant chinois et la France, «avant-garde technique et scientifique». «Deux économies complémentaires, mais dont le potentiel est loin d’être mis en valeur», a déclaré le président chinois devant les députés français.
Car c’est aussi sur ce terrain-là que Paris veut faire la différence, comme en témoigne la qualité des invités au dîner offert lundi soir par le président Chirac. Ce dernier n’a jamais fait mystère de sa détermination à soutenir, de la place qui est la sienne, le commerce extérieur français et il avait convié nombre de grands patrons français au dîner. D’ores et déjà son hôte a annoncé que «tout récemment, China Southern Airlines et le groupe Airbus se sont mis d’accord sur l’acquisition de 21 Airbus et nous sommes très heureux d’avoir reçu la nouvelle», a déclaré mardi matin M. Hu Jintao.
Voir de même:
Paris et Pékin en pleine saison des amours
L’Humanité
28 Janvier, 2004
Efforts de séduction mutuels entre les chefs d’État des deux pays. Chirac critique Taïwan et Hu Jintao annonce l’achat d’Airbus.
Dès les premières heures de la visite de Hu Jintao en France, Jacques Chirac a illustré avec force le » nouvel élan » franco-chinois qu’il a appelé de ses voux en apportant son soutien officiel à la République populaire contre les velléités d’indépendance de Taïwan. Obtenir ce soutien était l’un des objectifs, voire le principal, du séjour du président chinois à Paris. Après George W. Bush, Pékin a obtenu gain de cause auprès du chef de l’État français qui a condamné le référendum prévu le 20 mars à Taïwan et considéré par Pékin comme un pas significatif vers l’indépendance. » Rompre le statu quo par une initiative déstabilisatrice, quelle qu’elle soit, y compris un référendum, serait privilégier la division sur l’union. Ce serait une grave erreur « , a déclaré le président français lors du dîner d’État qui se tenait lundi soir à l’Élysée en l’honneur de son hôte.
» Ce serait prendre une lourde responsabilité pour la stabilité de la région « , a-t-il ajouté. Jacques Chirac a réaffirmé que la France ne reconnaissait que » l’existence d’une seule Chine « .
Le président chinois a répondu » apprécier hautement le maintien ferme par le gouvernement français de sa politique de l’unicité de la Chine ainsi que la position de principe prise par vous-même contre les agissements des autorités taïwanaises tendant à l’indépendance de Taïwan sous l’enseigne de « référendum » « .
» Nous nous opposons fermement à l’indépendance de Taïwan, a réaffirmé Hu Jintao et nous ne saurons permettre à qui que ce soit de séparer Taïwan du reste de la Chine sous une forme ou une autre. «
Le président taïwanais, Chen Shui-bian, a prévu d’organiser le 20 mars, en même temps que l’élection présidentielle, un référendum controversé comportant deux questions : l’une sur les relations Pékin-Taipei, l’autre sur le renforcement des défenses de l’île face aux 500 missiles chinois pointés sur elle. Pékin, qui considère Taïwan comme » une province rebelle « , y voit en sous-main une tentative d’enclencher un processus indépendantiste qu’il menace de sanctionner d’une intervention militaire. Pour le moment toutefois, les bruits de bottes ne se sont pas fait entendre contrairement aux dernières crises qui avaient éclaté avec Taipei. Pékin jouant jusqu’à présent à fond la carte diplomatique en arrachant le soutien de ses partenaires commerciaux.
Autre geste spectaculaire en faveur de la république populaire, Jacques Chirac s’est prononcé pour la levée de l’embargo européen sur les ventes d’armes à Pékin, en vigueur depuis 1989, en expliquant que ce dispositif n’avait » plus de sens » et ne correspondait » plus du tout à la réalité politique du monde contemporain « . Il a entraîné dans son sillage le président de la Commission européenne, Romano Prodi. » Il y a des règles européennes, il faut laisser le temps à la Commission de discuter « , a-t-il précisé sur Europe 1 en se disant favorable à cette levée » si les règles sont respectées, parce que la Chine a fait des mouvements « . » Aujourd’hui, tout de suite, non. Mais c’est un travail qu’il est nécessaire maintenant de commencer « , a-t-il ajouté.
Allant plus loin, le président français a affirmé, au cours de la conférence de presse commune qu’il tenait avec Hu Jintao, que les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne réunis à Bruxelles avaient confirmé lundi que l’embargo sur la vente d’armes à Pékin pourrait être levé au printemps, quinze ans après l’intervention militaire à Tien an Men à l’origine de cette mesure.
Avant un discours sans précédent devant l’Assemblée nationale, Hu Jintao, au pouvoir depuis le 15 mars 2003, a retrouvé Jacques Chirac à l’Élysée pour un nouvel entretien conclu par le paraphe d’une déclaration visant à » approfondir le partenariat global stratégique franco-chinois pour promouvoir un monde plus sûr, plus respectueux de sa diversité et plus solidaire « .
Ce document de six pages, signé à l’occasion du 40e anniversaire des relations diplomatiques entre la France et la Chine, actualise la déclaration signée en mai 1997 par Jiang Zemin et Jacques Chirac. L’Élysée fait remarquer que le texte contient une nouveauté : un chapitre consacré à » la coopération en faveur des droits de l’homme et de l’État de droit « . Les deux pays soulignent que, » tout en tenant compte des spécificités de chacun, il est du devoir des États de promouvoir et de protéger tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales « .
Le texte précise que la Chine s’engage à ratifier, » dans les meilleurs délais « , le pacte international de l’ONU sur les droits civiques et politiques. La veille, au cours du dîner présidentiel, Jacques Chirac avait déclaré : » La croissance économique impressionnante de votre pays force aujourd’hui l’admiration de tous. Elle l’invite, dans le même temps, à parachever sa mutation économique et sociale en progressant résolument dans la voie de la démocratie et des libertés. «
» Le respect des droits de l’homme est une condition nécessaire du développement des sociétés et des économies modernes. Je sais que c’est là l’une de vos priorités « , a-t-il ajouté, assurant un service minimum sur la question des libertés politiques, tandis que de nombreuses organisations de défense des droits de l’homme dénoncent l’accueil fait au président chinois et surtout sa prise de parole à l’Assemblée nationale.
Au cours de la conférence de presse, Hu Jintao a souligné que le régime chinois avait » travaillé d’une manière active sur la réforme des institutions politiques « . » Nous avons fait des progrès tangibles en matière de protection et de développement des droits de l’homme en Chine « , a-t-il assuré. Interrogé sur le Tibet, le président chinois a réitéré fermement la position officielle de Pékin. » S’il existe des divergences entre le dalaï-lama et nous, il ne s’agit pas de divergences d’ordre ethnique, religieux, ou en matière de droits de l’homme. » » Il s’agit de reconnaître que le Tibet est une partie inaliénable du territoire chinois « , a-t-il conclu.
Voir de plus:
La tour Eiffel en habit rouge émerveille
A.-S.D.
Le Parisien
26 Janv. 2004
HIER, 17 h 34. La tour Eiffel s’illumine enfin en rouge. Grâce à 88 projecteurs au sol et 192 autres installés sur la structure métallique, le plus célèbre des monuments français se colore de la tombée de la nuit au petit matin, et ce, depuis samedi. Il en sera ainsi jusqu’à jeudi, pour un hommage à la Chine, dont la culture sera célébrée tout au long de l’année 2004.
En famille, en amis ou en amoureux, ils sont nombreux à avoir fait le déplacement uniquement pour admirer le spectacle. « Il n’était pas question de rater l’événement, d’autant plus que cela ne dure que cinq jours », note Jacques, accompagné de sa femme Christiane, venu de Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine). Le couple était présent samedi après-midi sur les Champs-Elysées pour le défilé du Nouvel An, mais n’a pas vu grand-chose, compte tenu de la foule. « Là au moins on n’est pas déçu, on s’en prend vraiment plein les yeux», ajoute Jacques.
Sous la tour Eiffel, les visiteurs s’enivrent de cette monumentale féerie.
« C’est trop beau », lâche Juliette, petite parisienne de dix ans. De nombreux photographes amateurs sont également venus immortaliser cet instant. Et, plus la nuit tombe, plus les lumières rouges sont flamboyantes.
Un clin d’oeil à l’Année de la Chine en France
Clou du spectacle, à 18 heures pile, lorsque la tour Eiffel se met à scintiller sous les applaudissements de la foule. Assis sur les bancs, les yeux levés vers le ciel, certains touristes savourent même des pop-corn. « C’est la première fois que nous venons à Paris et nous ne savions pas qu’il y avait quelque chose de spécial. C’est vraiment très réussi et cela met en valeur la structure du monument », note un couple d’Australiens.
Pari réussi donc pour la Ville après le succès samedi du défilé sur « la plus belle avenue du monde », suivi par plus de 200 000 personnes.
« C’est un clin d’oeil très positif de la participation de Paris à l’Année de la Chine en France», estime d’ailleurs Jean-Bernard Bros, maire adjoint chargé du tourisme et président de la Société Nouvelle d’exploitation de la tour Eiffel. « Pour les Chinois, le rouge est synonyme de santé et de bonheur. Pour nous, c’est la couleur de la passion. C’est donc un message fort envoyé par les Parisiens au peuple chinois. »
Voir encore:
Le président chinois a dîné à la Tour Eiffel
le Nouvel obs
30-01-2004
Jacques et Bernadette Chirac, Hu Jintao et son épouse ont achevé mardi le deuxième jour de la visite d’Etat du président chinois par une soirée privée à la Tour Eiffel. Plus tôt dans la journée, les opposants au régime de Pékin se sont faits entendre.
Après une journée chargée pour le président chinois Ju Hintao -entretien avec le président français, déclaration commune, conférence de presse, discours devant l’Assemblée nationale-, le leader chinois et son épouse ont entamé mardi soir un programme privé avec le couple Chirac.
Jacques et Bernadette Chirac, Hu Jintao et son épouse Liu Yongqing ont ainsi admiré en début de soirée depuis le parvis du Trocadéro la tour Eiffel illuminée en rouge à l’occasion de l’année de la Chine en France avant de dîner au restaurant « Jules Verne » du monument. L’illumination de la Tour Eiffel doit durer jusqu’à mercredi soir, ce qui coïncide avec la visite d’Etat de quatre jours en France du numéro un chinois. Auparavant, Jacques Chirac avait organisé une visite de l’exposition « Confucius » au Musée Guimet.
Déclaration commune
La France a apporté un soutien fort à la Chine mardi en se prononçant contre un référendum à Taïwan, en faveur de la levée de l’embargo européen sur les ventes d’armes à Pékin et pour un respect des droits de l’homme « tenant compte des spécificités » locales. Le ton a été moins amène dans une partie de la classe politique et du côté des organisations de défense des droits de l’homme.
Quarante ans après l’établissement des relations diplomatiques entre les deux pays, Jacques Chirac et Hu Jintao ont signé à l’Elysée une « Déclaration commune » dans laquelle Paris « s’oppose à quelque initiative unilatérale que ce soit, y compris un référendum qui viserait à modifier le statu quo, accroîtrait les tensions dans le détroit et conduirait à l’indépendance de Taïwan ».
« Toute initiative qui peut être interprétée par l’une ou l’autre des parties comme agressive est dangereuse pour tout le monde, et donc irresponsable », a déclaré Jacques Chirac, sur la même ligne que Washington.
« Contre l’indépendance de Taïwan »
L’idée du président taïwanais Chen Shui-bian d’organiser le 20 mars prochain une consultation demandant à la Chine de retirer les centaines de missiles pointés sur l’île « est dangereuse (…) pour la stabilité (…) dans cette partie du monde », estime le président français; « ce que je soutiens, c’est la paix et non pas les intérêts de la France, même si ceux-ci sont très proches ».
« Nous sommes contre toute tentative qui conduirait à l’indépendance de Taïwan », a prévenu de son côté Hu Jintao, promettant de « faire le maximum d’efforts pour réaliser la réunification pacifique et régler le problème de Taïwan d’une manière pacifique. » Le président chinois a réaffirmé que l’île nationaliste constituait une « partie intégrante » du territoire chinois, de même que le Tibet, occupé par Pékin depuis 1951.
Droits de l »homme : « spécificités »
En ce qui concerne les droits de l’homme, Paris et Pékin « soulignent la nécessité de (les) promouvoir et de (les) protéger » tout en « (tenant) compte des spécificités de chacun ». « Nous avons fait des progrès tangibles en matière de la protection et du développement des droits de l’homme », a assuré M. Hu. Quant à la ratification du « Pacte international sur les droits civils et politiques », signé par Pékin en 1998, elle attendra que « toutes les conditions (soient) réunies ».
Pour son homologue français, « la croissance économique impressionnante et durable de la Chine (aux environs de 10%, ndlr) doit l’inviter certainement à progresser résolument dans la voie de la démocratie et des libertés ».
Dans ce contexte, et en dépit des réserves d’une partie de l’Union européenne, la France, troisième vendeur d’armes mondial derrière les Etats-Unis et la Russie, est « très favorable » à la levée de l’embargo européen sur les armes décrété à la suite du massacre de Tiananmen en 1989.
D’ores et déjà, le volume des échanges commerciaux entre la France et la Chine a bondi de 60% en 2003, a rappelé Jacques Chirac, qui espère voir les relations se développer dans le domaine de l’énergie, des transports aéronautiques, du spatial, et des transports ferroviaires notamment. Le président Hu Jintao a d’ailleurs annoncé la conclusion d’un accord préliminaire entre la compagnie China Southern Airlines et Airbus pour l’achat de 21 avions de la famille des A320. Le président Hu doit lui-même se rendre jeudi à Toulouse, fief du constructeur aéronautique européen.
Un député UDF se baîllonne
L’optimisme affiché par Jacques Chirac n’était cependant pas partagé par toute la classe politique et c’est devant une Assemblée nationale à moitié vide que Hu Jintao a prononcé un discours qui a été poliment applaudi.
Partagé entre la crainte de froisser une nation en plein essor économique et la volonté de protester contre la situation des droits de l’homme, le groupe socialiste n’avait envoyé qu’une « délégation restreinte » d’une vingtaine de membres. Les communistes, eux, étaient présents, contrairement à certains députés centristes et de nombreux élus de l’UMP au pouvoir. Seul incident notable, le député apparenté UDF Philippe Folliot s’est mis un mouchoir blanc sur la bouche pour symboliser un bâillon.
Pendant ce temps, quelque 200 personnes -dont des députés-manifestaient près des Invalides contre l’oppression du peuple tibétain et les violations des droits de l’homme.
Un peu plus tôt dans l’après-midi, sur la parvis des Droits de l’homme place du Trocadéro dans la capitale, la police avait empêché une cinquantaine de militants de Reporters sans frontières de lâcher des ballons en soutien à une soixantaine de journalistes et de « cybermilitants » emprisonnés en Chine. Selon RSF, on recense près de 300.000 prisonniers politiques ou d’opinion dans les geôles et les camps de travail chinois. (AP)
Voir enfin:
Paris le 26 janvier 2004
Personnalité, fonction : CHIRAC Jacques.
FRANCE. Président de la République
Circonstances : Visite d’Etat de M. Hu Jintao, président chinois, en France du 26 au 29 janvier 2004
Monsieur le Président,
Madame,
C’est en France, Monsieur le Président, que vous avez décidé d’effectuer votre première visite d’Etat sur le continent européen. C’est pour nous un signe fort d’amitié et de confiance. C’est une étape importante et nouvelle dans l’histoire qui unit depuis si longtemps nos deux Nations. Soyez remercié de ce choix qui est celui du coeur, de la mémoire et d’un avenir commun.
Il y a deux jours, avec le concours de près de sept mille artistes chinois et français, Paris célébrait avec éclat, selon la tradition chinoise, l’avènement du printemps. Pour l’occasion, la tour Eiffel s’est vêtue de rouge, ce rouge qui, dans toute l’Asie, symbolise chance, bonheur et prospérité. C’était pour vous souhaiter au nom des Français, Monsieur le Président, Madame, la plus chaleureuse des bienvenues, celle que l’on réserve à ses amis.
Ici même, il y a quarante ans, s’appuyant sur le »poids de l’évidence et de la raison », le Général de GAULLE inscrivait nos relations dans le temps long de l’Histoire. Il esquissait l’espoir d’un autre monde. Un monde capable de dépasser l’affrontement des blocs.
En renouant officiellement, dès 1964, nos deux nations, par delà les clivages et les divisions de l’époque, exprimaient la conviction, ô combien moderne, que l’humanité progresse par la compréhension mutuelle et le dialogue tissé entre les civilisations et entre les peuples. C’est ce monde ouvert et respectueux de l’autre que nous voulons continuer à construire avec vous.
C’est également dans ce refus de la fatalité de la division et de l’affrontement que la France puise son attachement à l’existence d’une seule Chine. Les Français souhaitent à leurs amis Chinois, où qu’ils résident de part et d’autre du détroit, paix, bonheur et prospérité. Le peuple chinois a en héritage indivisible une culture et une histoire exceptionnelles. Rompre le statu quo par une initiative unilatérale déstabilisatrice, quelle qu’elle soit, y compris un référendum, serait privilégier la division sur l’union. Ce serait une grave erreur. Ce serait prendre une lourde responsabilité pour la stabilité de la région.
Monsieur le Président,
Vous savez l’admiration personnelle que je nourris pour la Chine, terre des civilisations les plus anciennes et les plus riches. J’aime la Chine. Je sais, je mesure son apport singulier et exceptionnel à l’humanité, à la réflexion philosophique, à la spiritualité, à la littérature et à l’excellence des arts, à l’histoire.
L’extraordinaire succès de l’Année de la Chine en France, occasion unique de découvrir les trésors culturels de votre pays, mais aussi les atouts et les séductions de la Chine contemporaine, confirme l’attrait et la fascination que votre pays exerce sur les Français depuis l’époque où le ruban chatoyant de la route de la soie a pris place dans leur imaginaire.
Aujourd’hui, la France rend hommage au génie chinois, à son histoire brillante et à ses succès présents. Dans quelques mois s’ouvrira l’Année de la France en Chine. Je souhaite qu’elle soit l’occasion d’une semblable rencontre entre nos civilisations, et qu’elle permette à la Chine d’apprécier tout ce que peut offrir, dans tous les domaines, la France d’aujourd’hui. Je sais que nos entreprises vont se mobiliser pour que l’Année de la France en Chine égale l’immense succès de l’Année de la Chine en France.
*
Monsieur le Président,
Nos pays ont su, chacun avec son génie propre, relever les défis de la modernité et de la mondialisation. La France a fait le choix résolu de la construction européenne. La Chine a fait, pour sa part, sous l’impulsion de DENG Xiaoping, le choix stratégique de la réforme et de l’ouverture.
La croissance économique impressionnante de votre pays force aujourd’hui l’admiration de tous. Elle l’invite, dans le même temps, à parachever sa mutation économique et sociale en progressant résolument dans la voie de la démocratie et des libertés. Le respect des droits de l’homme est une condition nécessaire du développement des sociétés et des économies modernes. Je sais que c’est l’une de vos priorités.
*
La Chine et la France partagent également la conviction qu’il nous faut établir, à l’aube de ce nouveau siècle, des rapports harmonieux et pacifiques entre les grands pôles du monde. Construire un monde plus sûr, plus respectueux de sa diversité et plus solidaire ! Voilà l’un des objectifs essentiels de la déclaration que nous adopterons demain, dans le prolongement de celle que nous avions signée en mai 1997 avec le Président JIANG Zemin.
Membres permanents du Conseil de Sécurité, nos deux pays ont, pour l’essentiel, sur les conflits régionaux, sur les crises de prolifération, dans la lutte contre le terrorisme international, des positions très proches. Toujours et partout, nous refusons la fatalité de l’affrontement. La France salue à cet égard l’engagement résolu de la Chine en faveur d’ un règlement pacifique de la question de la Corée du Nord.
Notre partenariat doit désormais s’exprimer aussi face aux défis globaux. Ensemble, la Chine et la France peuvent faire entendre la voix de la raison dans les enceintes où s’organise et se construit le monde. Je forme le voeu que la Chine prenne toute sa part dans le dialogue nécessaire entre pays industrialisés. C’était l’esprit du dialogue élargi d’Evian où votre contribution personnelle a été si importante. Il importe en effet que les grandes voix du monde soient entendues et prises en compte.
*
Monsieur le Président,
Vous avez pour ambition légitime de mener à son terme le chantier de la modernisation économique, politique et sociale de votre pays. Vous avez mission de conduire vers son destin près du quart de l’humanité. Quel formidable dessein ! Quelle tâche immense et quelle responsabilité !
La déclaration que nous allons adopter est le signe d’une volonté partagée de donner un nouvel élan à nos relations bilatérales, de donner corps, à l’image de notre dialogue politique, à une relation exceptionnelle dans les domaines économique, industriel et scientifique.
La présence ici, ce soir, de très nombreux chefs d’entreprises, la signature de plusieurs accords importants, témoignent de l’intérêt que les entreprises françaises les plus performantes portent à votre pays. Elles ont la volonté d’établir avec lui un véritable partenariat industriel, fondé sur un partage des technologies, dans les secteurs stratégiques tels que l’énergie, en particulier l’énergie nucléaire, l’aéronautique ou les transports terrestres.
Nos deux pays cultivent, par tradition, le goût du savoir et de la science. Cette philosophie commune doit nous conduire à multiplier ensemble partenariats et projets. L’accord très important qui va être signé entre le CEA et le ministère chinois de la science et de la technologie illustre la volonté qui nous anime.
Nous devons être plus ambitieux encore. Je pense bien sûr aux sciences du vivant et à la prévention et à la lutte contre les maladies émergentes, domaine où nous devons coopérer davantage comme nos équipes l’ont fait au printemps de l’an dernier pour contenir et combattre les premiers foyers de SRAS. Je pense encore au domaine spatial, où nous avons suivi et admiré les succès éclatants du premier vol habité chinois. Notre coopération peut aussi s’exercer en matière de prévention des risques naturels et de surveillance de l’environnement, enjeu majeur de notre temps. Plus généralement, le développement des technologies de l’environnement au service de l’homme est aussi un défi commun.
Mais nos liens sont aussi renforcés par les hommes et les femmes dont l’histoire personnelle rapproche nos deux peuples. Je pense à ces Français dont les familles sont venues de Chine et qui apportent à la France leur talent, leur dynamisme et leur créativité. Certains d’entre eux nous font l’amitié de leur présence. Qu’ils en soient remerciés.
Je pense également aux jeunes. Ils sont encore trop peu nombreux à aller étudier dans le pays de l’autre. La France souhaite accueillir davantage d’étudiants chinois, notamment au sein de ses universités et de ses grandes écoles, car rien ne remplace la vie en commun, les apprentissages en commun, pour se comprendre et pour s’apprécier.
Dans le même esprit, les Français doivent toujours mieux connaître la Chine et sa civilisation. Et quel meilleur moyen pour s’ouvrir à une culture, pour s’en imprégner, que l’apprentissage de la langue ? C’est pourquoi je souhaite que les jeunes français, soient de plus en plus nombreux à apprendre le chinois, ce qui est sans aucun doute un très bon choix pour l’avenir.
*
Monsieur le Président,
En se renforçant, notre partenariat bilatéral contribue également au rapprochement entre la Chine et l’Union européenne. D’ores et déjà, des projets communs, tels que le système Galileo, ou internationaux, comme le projet ITER de réacteur de fusion thermonucléaire pour lequel la Chine a choisi de s’engager aux côtés de l’Europe, ce dont je la remercie chaleureusement, marquent la vitalité et l’extraordinaire potentiel des relations sino-européennes.
L’engagement actif de nos deux pays dans la préparation du cinquième Sommet de l’ASEM contribuera à une meilleure compréhension entre l’Asie et l’Europe. Il permettra de donner un nouvel élan à ce dialogue entre les cultures, sans lequel il n’est pas de progrès humain.
Monsieur le Président, l’année du singe nous annonce, dit-on, une année harmonieuse de bonheur, de santé et de longévité. Voici précisément les voeux que, par ma voix, la France forme à votre intention et à celle du peuple chinois.
Permettez-moi, avec mon épouse, de lever mon verre en votre honneur, en celui de Madame LIU Yongqing, en l’honneur des hautes personnalités chinoises et françaises qui nous entourent ce soir et en celui du grand peuple chinois qui tient dans ses mains tant de clés de l’avenir du monde.
Vive la France !
Vive la Chine !
Vive l’amitié sino-française !
Voir enfin:
Violence du sentiment xénophobe et manifestations anti-occidentales outrancières à Pékin après la destruction partielle de l’ambassade de Chine à Belgrade; intimidations, manoeuvres militaires et menaces à l’égard de Taiwan; coups de main et jeux de vilains envers les autres puissances riveraines en mer de Chine du Sud; menace d’utiliser la bombe à neutrons contre les forces américaines, brandie par la presse du régime et certains militaires: la politique extérieure chinoise récente est empreinte d’agressivité.
Ces dernières années, la Chine recherchait une certaine respectabilité internationale. Elle évitait de jeter de l’huile sur le feu en Corée, elle maintenait la parité du yuan pour ne pas déstabiliser l’économie régionale en crise et faisait montre d’une relative retenue à Hong-kong. En dépit d’entorses çà et là, le principe défini par Deng Xiaoping acquérir le répit stratégique nécessaire au développement économique était plutôt respecté. C’en est fini.
Quant à la problématique de la politique intérieure chinoise, elle se résume en quelques mots: la quadrature du cercle. Au lieu de l’Etat prestataire de services (infrastructures, régulation, etc.) dont la Chine aurait besoin, c’est un Etat répressif qui perdure. Le choix d’un Etat «utile» sonnerait le glas du régime. Dans l’économie, il faut démanteler et raser le secteur industriel d’Etat, énorme trou noir qui engloutit les ressources nationales; mais, pour ce faire, il faudrait investir, créer un système de sécurité sociale, renoncer définitivement à ce que l’industrie serve d’instrument de contrôle social, pour n’être que productrice de biens et de profits: là encore, ce serait un suicide politique. Suicide ou effondrement, le choix est déplaisant.
Le régime est condamné à louvoyer, après avoir longtemps cru qu’il pourrait surfer sur la vague des apports étrangers qui noient les problèmes dans un océan de liquidités: ce fut l’option réformatrice représentée par Zhu Rongji. La crise asiatique, la déception des investisseurs étrangers devant l’absence de profits, l’attrait d’autres placements, l’instabilité politique sous-jacente ont mis un terme à cette époque.
Première puissance démographique mondiale, la Chine s’enracine dans une tradition où les pouvoirs qui règnent sur le reste du monde n’ont aucune légitimité: la souveraineté ne peut se diviser, «un seul Empereur sous un seul Ciel», comme le voulaient les conquérants mongols. Le mandat du Ciel est indivisible et confié à celui qui gouverne l’empire du Milieu. Les autres pays sont des vassaux tributaires ou, en toute rigueur, ils devraient l’être. A l’intérieur de la Chine, le pouvoir ne se divise pas, et quiconque veut le «diviser» (Taïwanais, Tibétains, dissidents, ou quiconque conteste l’autorité sans partage des mandarins au pouvoir) est par nature un criminel, quels que soient ses gestes et ses idées; il est de même indivisible au-dehors.
Or l’ordre mondial a été édifié et a évolué sans la Chine. Inscrite en 1648 dans les traités de Westphalie, la coexistence entre souverainetés égales en droit, même si le principe en est souvent malmené dans les faits, en est la pierre angulaire. Communiste ou pas, la culture politique chinoise a les plus grandes difficultés à comprendre et à s’assimiler ce principe. A l’ère moderne, la Chine, absente des négociations de Versailles en 1919 (sa cynique spoliation par les Alliés vainqueurs souleva une vague fondatrice de nationalisme moderne), était certes présente à San Francisco en 1945 à la fondation de l’ONU, mais hors d’état d’influencer le reste du monde. L’équipée maoïste l’en retrancha durablement.
Réunifiée pour l’essentiel, reconnue, largement reconstruite, en essor depuis vingt ans, la Chine exige non seulement de figurer parmi les grands, de jouer un rôle de leadership dans les affaires mondiales, ce que justifient sa taille et sa force, mais encore d’être reconnue comme l’hégémon de l’Asie, ce qui exige l’expulsion des Etats-Unis de la sphère asiatique, et la vassalisation de voisins, Japon, Corée, Asean, qui n’en veulent à aucun prix.
La Chine ne peut atteindre ses objectifs extérieurs qu’en abattant l’ordre mondial actuel. Elle n’en est pour l’instant pas capable. Une quadrature du cercle définit donc sa politique étrangère autant que sa politique intérieure. Il est difficile d’accumuler plus de tensions explosives en un seul endroit aussi crucial.
Or les dirigeants chinois se sentent «encerclés» (un sentiment que le Kaiser Guillaume II, Hitler, Staline et les militaristes japonais ont naguère fortement ressenti). L’extension de l’Otan vers l’Est, le «partenariat pour la paix» pourtant bien pâle, la crainte de l’essor panturc en Asie centrale et vers les régions musulmanes de l’Ouest chinois, le renforcement des accords militaires nippo-américains et la perspective de déploiement de systèmes antimissiles en Asie du Sud-Est, qui amoindriraient le poids stratégique de l’arme nucléaire chinoise, le rapprochement indo-américain, les ingérences militaires hors zone qui passent outre à la souveraineté nationale absolue: autant de motifs à la paranoïa traditionnelle des chefs de l’empire du Milieu.
Les stratèges et les militaires chinois se préparent. Une nouvelle doctrine militaire nationale de guerre interarmes a été édictée au début de l’année par Jiang Zemin. L’armée chinoise veut désormais mener des guerres locales «dans des conditions modernes». Une grande publicité est faite aux travaux de deux colonels de l’Armée populaire de libération, qui dessinent les contours d’une guerre à la fois non conventionnelle et high-tech contre les Etats-Unis. Les militaires réclament, et obtiennent, des dépenses en hausse considérable, même si les forces chinoises sont loin à la traîne de leurs homologues occidentales. Ce qui compte, c’est la tendance, et ce qui l’anime: la diplomatie américaine d’«engagement constructif» avec la Chine est un échec complet, les rapports sino-américains sont au nadir. Ni l’un ni l’autre n’ont intérêt à dépasser le point de non-retour. Pour l’heure, les trajectoires vont de plus en plus vers des collisions nombreuses.
Laurent Murawiec, consultant de défense, vient de publier une nouvelle traduction française du «De la guerre» de Clausewitz (Librairie académique Perrin).
COMPLEMENT:
Atlantico
Atlantico : La Chine s’apprête à devenir prochainement la première puissance mondiale. Pourtant, certains historiens pointent du doigt sa difficulté, au cours de ses 5 000 ans d’histoire, à imposer sur le long terme sa prééminence à l’échelle de la planète. Quels sont, selon vous, les facteurs principaux qui expliquent cette difficulté ?
Jean-Vincent Brisset : Cela fait des années que l’on annonce que la Chine sera très bientôt la première puissance mondiale. Toutefois, cette place de premier se limiterait au domaine économique, en fonction de subtils calculs sur une variable peu réaliste : la « parité de pouvoir d’achat ». Il faudrait, simplement pour cela, qu’elle réussisse à maintenir un rythme de croissance très fort. Dans les faits, on constate que celui-ci est en train de s’effriter et que l’économie chinoise peine à trouver des relais pour poursuivre une expansion beaucoup trop basée sur les exportations de produits manufacturés relativement simples.
L’histoire de la Chine, qui ne quitte le domaine des légendes pour rentrer dans celui de l’histoire qu’à partir de la dynastie des Shang (XVI° siècle avant JC), ne connaît qu’une seule période de « prééminence à l’échelle de la planète », sous l’empereur Qianlong (1736-1795). Mais Qianlong n’est pas un Chinois. Il appartient à la dynastie des Qing, des Mandchous qui ont conquis l’Empire du Milieu en 1644. La seule autre période où l’emprise de la Chine impériale a dépassé ses frontières actuelles est celle d’une autre dynastie de colonisateurs, les mongols Yuan (1271-1368).
Les dirigeants actuels tiennent un discours selon lequel la Chine, même si elle acquiert un jour les moyens d’être la première puissance mondiale, ne veut pas accaparer ce rôle. Depuis des années, ils prônent le multilatéralisme. Derrière le discours, il y a cependant un vrai appétit de puissance. Le désir de devenir la puissance régionale, exerçant une prééminence incontestée dans ses pourtours, est incontestable. Par contre, la Chine ne semble pas encore se voir en maîtresse du monde et il n’est pas certain que ce soit son désir profond. La quasi-totalité des conquêtes ne sont pas le fait de batailles gagnées, mais d’un « envahissement », par des paysans plus que par des soldats, des territoires voisins occupés par d’autres ethnies. Son histoire, contrairement à celle des autres grands Empires, ne comprend pas de projections lointaines.
Dans leur ouvrage In Line Behind a Billion People: How Scarcity Will Define China’s Ascent In The Next Decade, Damien Ma et William Adams insistent, parmi les faiblesses de la Chine, sur l’hétérogénéité du territoire chinois : dichotomies ruraux/urbains, riches/pauvres, littoral/intérieur…). Cela avait déjà été mis en évidence par Montesquieu. Comment expliquer que la Chine n’ait pas su apprivoiser cette hétérogénéité ?
La notion de « territoire chinois » est complexe et ne correspond pas du tout à ce que recouvre actuellement le territoire de la République populaire de Chine. Si l’on veut parler de ce qui est vraiment chinois, il faut se limiter au bassin de peuplement han. Celui-ci ne recouvre que moins de la moitié du territoire national, alors que les Han représentent 92% de la population du pays. La Chine han, dans son écrasante majorité, a très longtemps été rurale et la civilisation des villes et celle des campagnes se ressemblaient beaucoup. Les différences entre littoral et intérieur étaient aussi très peu marquées. La tradition maritime chinoise, en dehors des expéditions – surmédiatisées de nos jours – de Zheng He, est très principalement côtière et tournée vers l’intérieur. Quant à la différence entre les groupes sociaux, elle est davantage basée sur le prestige que sur la richesse. La prédominance du clan et de la famille sur l’individu gomment aussi les démonstrations de richesse. Dans la Chine traditionnelle, les riches ne vivent pas « à l’abri » des pauvres et la cohabitation est la règle.
Les choses changent. La mobilité est devenue la norme, la solidarité s’efface devant la montée des individualismes. Les plus riches s’isolent dans des quartiers fermés, dans leurs voitures, dans leurs stations de vacances. Et les « soutiers du miracle », les mingong, ces dizaines de millions de paysans venus travailler sur les chantiers et dans les usines des villes et des zones industrielles, s’enferment dans des ghettos bidonvilles où ils tentent de recréer leurs villages.
L’histoire chinoise révèle à plusieurs reprises l’incapacité du pouvoir à contrôler l’ensemble de son territoire, comme en témoignent les diverses rébellions internes (An Lushan, Taiping, Ouïgour…). Cela est également le cas de la Russie. Les grandes puissances territoriales sont-elles fatalement contraintes à cette incapacité ?
Le contrôle du territoire chinois ne s’exprime pas du tout de la même manière selon les raisons des rébellions. Très schématiquement, la rébellion menée par An Lushan est une révolte de palais. Les mouvements des minorités musulmanes de l’Ouest, souvent réduites aux seuls Ouïgours, sont plutôt des réactions indépendantistes. Ces modalités de contestation n’ont rien de spécifiquement chinois, ce qui explique qu’on peut les retrouver partout dans le monde.
La révolte des Taiping est une jacquerie, et ce problème des révoltes paysannes est plus intéressant, parce qu’il est consubstantiel à la civilisation han. L’Empereur est titulaire d’un Mandat du Ciel, qui lui donne la légitimité et justifie le fait que l’individu se fonde dans une masse dont le Fils du Ciel est le sommet et l’expression. En échange, il se doit de faire en sorte que sa population soit nourrie, logée et vêtue. Il est aussi garant de la solidarité entre ses sujets. Quand il manque à son devoir, le peuple s’appauvrit, des catastrophes naturelles surviennent, la corruption des fonctionnaires se développe. Alors l’empereur perd sa légitimité et doit être renversé. Les paysans s’assemblent et se révoltent, souvent sous la direction d’un leader messianique et derrière des slogans sectaires. La conjonction de la montée de la corruption, des catastrophes naturelles et de la montée de sectes violentes est, pour tous, l’annonce de la prochaine chute de la dynastie. Ceci explique la peur panique de tous les régimes chinois face à l’instabilité sociale et la dureté de la réaction du pouvoir actuel contre le Falun Gong.
La défense d’un aussi grand territoire est également problématique. A cet égard, la Chine n’a jamais véritablement entretenu de relations apaisées avec ses voisins. Aujourd’hui encore, les tensions sont vives sur les questions territoriales avec le Japon, le Vietnam ou encore les Philippines. Dans quelle mesure ce comportement contribue-t-il à amoindrir la puissance chinoise ?
La Chine a des frontières communes avec quatorze pays. A ceux-là s’ajoutent la Corée du Sud, le Japon et, maintenant, les riverains de la Mer de Chine du Sud. Dans les époques de grandeur, ces voisins immédiats étaient des vassaux, ou feignaient de l’être. Mais tout affaiblissement de l’Empire conduisait les vassaux à reprendre toute leur liberté. Le Vietnam a été une colonie chinoise pendant 1 000 ans avant de chasser les envahisseurs. Aujourd’hui encore, dans l’inconscient collectif, la Chine a été spoliée d’immenses territoires par les barbares occidentaux, mais aussi par l’insoumission de vassaux.
La politique de défense chinoise, depuis l’arrivée de Mao au pouvoir, a beaucoup évolué. On est passé d’une énorme armée populaire, de milice, qui après avoir défendu – en Corée – l’idéal communiste au profit de l’URSS, s’est rapidement repliée sur la défense du pays contre les risques d’invasion. L’Armée populaire de Libération a aussi été très longtemps et très fortement impliquée dans le maintien de l’ordre. Elle l’est moins aujourd’hui, mais reste mobilisable. La montée en puissance économique ne pouvait pas se faire sans être accompagnée d’une montée en puissance militaire. Rapidement, on est passé de la défense du territoire contre l’ennemi extérieur et l’ennemi intérieur à la volonté de reconquérir les territoires « volés » par tous ceux qui ont profité de la faiblesse de la Chine.
L’Empire du Milieu avait deux haies à franchir avant de pouvoir mettre en avant ses revendications territoriales. Il a réussi à passer ces deux obstacles : les Jeux Olympiques de 2008 et l’Exposition universelle de 2010. Il a maintenant les coudées plus franches. Ses revendications, même agressives, ne risquent plus d’entraîner des boycotts et des rétorsions qui seraient préjudiciables à ses espoirs d’expansion.
L’historien Jared Diamond affirme également que la taille du territoire chinois explique le fait que le pays soit peu innovant (notamment dans le domaine militaire), se reposant sur sa superficie, sa démographie et son marché intérieur. Cette tendance pourrait-elle évoluer ?
C’est un point de vue étonnant. La superficie et la démographie ont justifié, à une certaine époque, un discours maoïste selon lequel la Chine ne craignait pas les « Tigres de Papier », c’est-à-dire les armes nucléaires américaines ou même soviétiques. Mais il n’a échappé à aucun observateur que ce n’était qu’un discours et que, dans les faits, le développement des missiles balistiques et de l’armement nucléaire sont restés des priorités. A un tel point que ce furent les seuls domaines épargnés par les folies du Grand Bond en Avant et autres Révolutions culturelles.
Les problèmes d’innovation, bien réels, sont ceux d’une civilisation qui a toujours mis en avant le respect absolu de l’enseignement des maîtres, basé sur la recopie à l’infini de modèles supposés être parfaits. Par ailleurs, la langue chinoise et les méthodes d’apprentissage sont peu favorables au développement des sciences de l’ingénieur. Enfin, le fonctionnement des entreprises n’est pas propice aux initiatives individuelles. Là aussi, les choses changent, mais il reste beaucoup de chemin à faire. En particulier en matière de marché intérieur, qui reste très insuffisant.
L’isolationnisme chinois a également été pointé du doigt pour expliquer cette impossibilité de la Chine à pouvoir imposer sa prééminence sur le long terme. En dépit de la mondialisation et de son ouverture, la Chine continue à se montrer méfiante vis-à-vis des entreprises étrangères et à limiter leur implantation sur le territoire chinois. Comment expliquer cette tendance isolationniste ?
La tendance isolationniste n’est pas une spécificité chinoise. L’ouverture des esprits de tout un peuple ne peut pas se construire en quelques années. Surtout quand ce peuple a été abreuvé pendant des décennies de discours nationalistes et/ou idéologiques, de langue de bois et que tout ceci a prospéré sur un fond xénophobe qui remontait au plus profond de son histoire.
Dans la société de la Chine de 2014, les clivages ne sont pas seulement économiques ou sociologiques. Les jeunes Chinois éduqués et aisés rêvent d’Occident, de voyages, de profiter d’une toute nouvelle aisance. Mais ils ne souhaitent pas forcément s’intéresser aux problèmes politiques du pays, même s’il est indispensable d’être membre du Parti et d’afficher quelques idées obligatoires pour dépasser un certain niveau professionnel.
Au niveau des dirigeants, les clivages sont forts. D’un côté, ceux qui voudraient faire de la Chine un pays « normal », ouvert et respectueux des usages qui régissent les relations internationales. De l’autre, les « conservateurs » qui défendent la vision d’un Empire qui ne serait pas obligé de suivre des règles dictés par d’autres. Xi Jinping est en permanence confronté à ce problème et semble ne pas pouvoir imposer une vraie ligne directrice. C’est ce qui explique le recours actuel à des sujets consensuels, la lutte contre la corruption et l’ennemi japonais, alors que les vrais problèmes de la Chine sont ailleurs.
[…] Taiwan est un des rares problèmes stratégiques qui puisse provoquer une guerre mondiale aussi sûrement que l’Alsace-Lorraine au début du siècle dernier. Thérèse Delpech […]
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[…] L’équilibre de la terreur était en fait d’une grande fragilité, comme de nombreux incidents, mais surtout une crise majeure, la crise des missiles de Cuba, l’a révélé en 1962. Le problème a moins concerné la relation entre les Etats-Unis et l’Union soviétique que la présence d’un troisième acteur, Fidel Castro, qui a failli faire basculer le « système bipolaire » dans la guerre nucléaire. Cette crise mérite qu’on y revienne, non seulement parce que, si elle se reproduit, nous n’aurons probablement pas la même chance, mais aussi parce que le monde contemporain a désormais plusieurs acteurs nucléaires de type Fidel Castro, qui, à la différence de Kennedy ou de Khrouchtchev, partisans de la dissuasion, n’hésiteront pas à recourir à l’arme nucléaire comme à un moyen de coercition. Thérèse Delpech […]
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[…] L’équilibre de la terreur était en fait d’une grande fragilité, comme de nombreux incidents, mais surtout une crise majeure, la crise des missiles de Cuba, l’a révélé en 1962. Le problème a moins concerné la relation entre les Etats-Unis et l’Union soviétique que la présence d’un troisième acteur, Fidel Castro, qui a failli faire basculer le « système bipolaire » dans la guerre nucléaire. Cette crise mérite qu’on y revienne, non seulement parce que, si elle se reproduit, nous n’aurons probablement pas la même chance, mais aussi parce que le monde contemporain a désormais plusieurs acteurs nucléaires de type Fidel Castro, qui, à la différence de Kennedy ou de Khrouchtchev, partisans de la dissuasion, n’hésiteront pas à recourir à l’arme nucléaire comme à un moyen de coercition. Thérèse Delpech […]
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«Mais le jour où la Chine sera devenue démocratique, accepteriez-vous de bon cœur que Formose (Taïwan) devienne chinoise ?», un Taïwanais (d’origine continentale) répondait : «Si la Chine devenait démocratique, pourquoi aurait-elle besoin d’absorber Taïwan ?».
«Ce que je n’aime pas chez les communistes chinois, c’est qu’ils me rappellent le KMT». Echo de la plaisanterie ashkénaze bien connue «Ce que je n’aime pas chez les Arabes, c’est qu’ils me rappellent les Sépharades». Mais, dans le cas des Juifs, c’est une plaisanterie (ashkenaze) qui ne met pas en cause l’unité fondamentale des Israéliens. Dans le cas des Taiwanais, c’est plus un jeu de mots grinçant qu’une plaisanterie, sur la complaisance fanatique pro-Pékin, récente, du KMT et de Ma YingJeou à l’égard des post-maoïstes chinois.
Il faut se souvenir que les Taïwanais ont beaucoup souffert de la «terreur blanche» du KMT après les «massacres de 1947». Je donne à ce sujet les couvertures de deux livres, disponibles en français, indispensables pour comprendre l’histoire de Formose au XXe siècle.
Les Taïwanais ont le sentiment d’avoir mérité la paisible démocratie à l’occidentale dont ils bénéficient désormais ; et qu’il y a peu de raisons de l’abandonner au profit d’un régime communiste, corrompu, sans élection, sauvage et violent où, il y a peu encore, des femmes enceintes de sept mois étaient forcées à avorter et où les massacres de la révo.cul. ont fait plus de trois millions de morts, après les quarante millions de morts de faim du «grand bond avant» maoïste, un pays où il n’y a pas la moindre liberté de presse.
Il existe une réelle douceur de vivre à Taïwan, des rapports sociaux apaisés, une police non-violente désormais. Le métro de Taipei est d’une propreté exemplaire, les enfants n’y ont pas peur, les sièges pour personnes âgée bien respectés, et à Taïwan il est inimaginable de dérober un téléphone portable. Si ce n’était l’opposition stridente d’un petit nombre de catholiques, le mariage homosexuel serait déjà légal. La liberté de presse et d’édition y est totale. Il existe près de dix mille «convenience stores» ouvertes 24h sur 24. À ma connaissance, aucune n’a jamais été agressée pour vider le tiroir-caisse.
http://www.causeur.fr/taiwan-tsai-yingwen-chine-36290.html
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KOTOWING TO CHINA NO MORE ?
« Interesting how the US sells Taiwan billions of dollars of military equipment but I should not accept a congratulatory call. »
Donald Trump
US President-elect Donald Trump has spoken directly with the president of Taiwan – breaking with US policy set in 1979 when formal relations were cut. Beijing sees Taiwan as a province and denying it any of the trappings of an independent state is one of the key priorities of Chinese foreign policy. Washington cut formal diplomatic ties with Taiwan in 1979, expressing its support for Beijing’s « One China » concept, which states that Taiwan is part of China. China has hundreds of missiles pointing towards Taiwan, and has threatened to use force if it seeks independence…
http://www.bbc.com/news/world-us-canada-38191711
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GOOD RIDDANCE !
The Taiwan call tells us that Trump isn’t waiting for January 20th to get Obama’s hands off the foreign policy steering wheel. Obama has been trying to tie his successor’s hands on issues like the Iran deal; Trump is underlining that Obama is a lame duck, that he can’t commit the United States, and that the next administration is going to take a different line. This may or may not be wise, but Trump has so far been extremely successful in isolating and undermining Obama. The Taiwan call was one of many signals that Trump intends to manage American foreign policy very differently from his predecessor; all over the world, leaders are moving away from the postures they adopted in response to Obama’s goals and priorities in order to reposition themselves for the next era.
As in Europe and the Middle East, eight years of Obama foreign policy largely failed. Despite brave words about engagement, Obama essentially dithered while China created facts on the ground—or at least facts in the sea. He established a pattern of deference to Chinese sensibilities that from his point of view were intended to show a willingness to engage pragmatically, but which were read in Beijing as uncertainty and weakness. Something needed to be done by the next president, no matter who it was, to demonstrate that the U.S. was no longer as easily pushed as Obama had been. Secretary Clinton, had she won, would have also been looking for ways to toughen America’s stance.
one has to remember that it is China, not the United States, that has been rewriting the rules of engagement in the East and South China Sea. It is China that has been unilaterally asserting territorial claims against its neighbors, China asserting jurisdiction over international waters and air space, China failing to rein in the increasingly serious North Korean nuclear program. The power that is challenging the status quo in Asia is not the United States.
A phone call to a Taiwanese leader is something that embarrasses China’s leaders at home. It makes them look weak and ineffective, and puts them under political pressure. If China wants the phone calls to stop, it must stop the provocations on its side. That, presumably, is the message that the Trump team wanted China to receive. Much will depend on how China responds—and on how carefully Team Trump has thought through its own next moves.
In any case, the most important lesson to draw from the ten minute phone call is that the Obama era in American Asia policy has come to an end. We don’t yet know what the new era will bring; the chance that tensions in Asia will ratchet dramatically higher is significant. But the old era is over; in itself, that is not a bad thing. Obama was unable to make his pivot work. Something new has to be tried.
Walter Russel Mead
http://www.the-american-interest.com/2016/12/04/what-the-taiwan-call-means/
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WHAT APPEASEMENT OF CHINA’S OVERT MILITARISM ?
The Chinese government has called the parade to mark the 70th anniversary of “victory in the war of Japanese aggression”. But, in the 21st century, it is potential Chinese aggression that is worrying many Asian countries. China has unresolved territorial disputes with several of its neighbours. Vietnam, India, Japan and the Philippines have all complained about Chinese incursions, backed by military force, into these disputed areas. This year China has also engaged in “ land reclamation” projects in the South China Sea — creating entire islands that are likely to be equipped with airstrips and military facilities, to reinforce Beijing’s claims to territorial waters thousands of miles from the Chinese mainland.
Such overt militarism is a risky course. If it goes wrong, it could destroy the international order that has provided the basis for China’s stunning economic success over the past 40 years. Ever since the late 1970s, successive Chinese leaders have realised that the economic transformation of their country depended on globalisation and peaceful relations with their major trading partners. To get the message across, Chinese leaders parroted slogans such as “peaceful rise” and “harmonious world”.
Under President Xi Jinping, however, China seems inclined to take a more assertive approach in territorial disputes that it regards as part of its “core national interests”. This is a reflection of both strength and weakness.
On the one hand, China is now — by some measures — the world’s largest economy. Mr Xi and his government may feel their country is now strong enough to use its power more directly. There are strategic thinkers in China who will say openly that they no longer believe that the US is willing to risk a clash with China over Taiwan or the South China Sea.
However, the temptation of militarism may also be strengthened by the difficult economic transition that China now faces. A year-long surge in the stock market came to a crashing halt this summer and the economy is slowing. Mr Xi’s anti-corruption campaign is causing discontent at the top levels of the Communist party. The recent deadly industrial accident and explosion in Tianjin highlighted two of the biggest causes of popular discontent in modern China — a dreadful environmental record and a sense that regulations are flouted by the rich and powerful.
Under the circumstances, a patriotic military parade may seem like just the thing to rally popular support behind the Communist party and its leadership. The march will pass through Tiananmen Square, scene of the notorious repression of the student movement in 1989. Ever since that date, the Communist party has based its legitimacy on two pillars. The first is strong economic growth. The second is nationalism, or what Mr Xi calls the “great rejuvenation of the Chinese people”. With growth faltering, there is clearly a strong temptation to rely even further on nationalism.
However, playing the nationalism card creates new risks. The evidence can be seen in a palpable rise in tensions across the Asia-Pacific region. In Japan, the government of Shinzo Abe is going through the controversial process of revising the country’s pacifist constitution, to allow Japan to dispatch its military to fight abroad. The US Navy has just announced that it plans to send more ships to the Asia-Pacific region, with Pentagon officials pointedly stressing that the vessels chosen are “ideally suited for a role in the South China Sea”. Australia announced this week that it is increasing its defence spending and strengthening military co-operation with the US. India is already the world’s second-largest arms importer and is also drawing closer to the US. And earlier this summer Benigno Aquino, president of the Philippines, compared the world’s reaction to Beijing’s behaviour in the South China Sea to the appeasement of Nazi Germany.
Of course, compared with the violent chaos across the Middle East, or even the warfare in Ukraine, the situation in the Asia-Pacific region remains enviably calm. But while the tensions in Asia are lower than in the Middle East, the stakes are higher. The military tensions there involve China, the US and Japan — the three largest economies in the world.
Mr Xi and his colleagues surely know that a serious military conflict would be a tragic mistake for China. The real risk is not that China will choose war, but that its leadership might miscalculate the reactions of its neighbours or the US — and that a territorial dispute or an unplanned military clash at sea then escalates into a major international incident. Even if such a crisis were swiftly defused, the political fallout could inflict lasting damage on both China and the global economy.
For all the current talk of a crisis in the Chinese growth model, the likelihood is that China still has many years of increasing prosperity ahead of it. The biggest threat to that prospect is not a stock market crash or a credit bubble. It is the danger that China’s “peaceful rise” is disrupted by a conflict with its neighbours. China’s leaders should not lose sight of that danger, as they take the salute on Thursday.
https://www.ft.com/content/40fa3a90-4feb-11e5-8642-453585f2cfcd
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SPOT THE ERROR ! (When the Guardian doesn’t even read its own paper)
China has ordered that all foreign computer equipment and software be removed from government offices and public institutions within three years, the Financial Times reports. The government directive is likely to be a blow to US multinational companies such as HP, Dell and Microsoft, and mirrors attempts by Washington to limit the use of Chinese technology, as the trade war between the countries turns into a tech cold war…
https://www.theguardian.com/world/2019/dec/09/china-tells-government-offices-to-remove-all-foreign-computer-equipment
https://www.theguardian.com/australia-news/2019/nov/25/asio-investigating-chinese-plot-to-plant-spy-in-australias-parliament-after-liberal-member-found-dead
https://www.theguardian.com/australia-news/2019/nov/23/defecting-chinese-spy-who-revealed-espionage-in-australia-has-legitimate-claim-for-asylum-labor-says
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IT’S THE CULTURE, STUPID ! (While after 1918, 1956, 1968, 2003, 2019, countless bird and swine flus and an umpteenth ban on China’s wildlife industry, the world waits for the next pandemic and the total eradication of many of the world’s endangered species, ending a trade that has such deep cultural roots not just for food but for traditional medicine, clothing, ornaments and even pets will be hard, experts say)
« Eating wildlife, such as boar and peacock, is considered good for your health, because diners also absorb the animals’ physical strength and resilience. Wild animals are expensive. If you treat somebody with wild animals, it will be considered that you’re paying tribute. The trade might lay low for a few months … but after a while, probably in a few months, people would very possibly come back again. »
24-year-old college student from southern Guangxi province, who her regularly visit wild animals restaurants with her family)
« ‘I hurt my waist very seriously, it was painful, and I could not bear the air conditioner. One day, one of my friends made some snake soup and I had three bowls of it, and my waist obviously became better. Otherwise, I could not sit here for such a long time with you. »
67-year-old Guangdong farmer
« (Currently), the law bans the eating of pangolins but doesn’t ban the use of their scales in traditional Chinese medicine. The impact of that is that overall the consumers are receiving are mixed messages. »
Aron White
If the trade was quickly made illegal, it would push it out of wet markets in the cities, creating black markets in rural communities where it is easier to hide the animals from the authorities. Driven underground, the illegal trade of wild animals for consumption and medicine could become even more dangerous. Then we’ll see (virus) outbreaks begin not in markets this time, but in rural communities. »
Peter Daszak (Ecohealth Alliance)
« These animals have their own viruses. These viruses can jump from one species to another species, then that species may become an amplifier, which increases the amount of virus in the wet market substantially. When a large number of people visit markets selling these animals each day, the risk of the virus jumping to humans rises sharply. If this is part of Chinese culture, they still want to consume a particular exotic animal, then the country can decide to keep this culture, that’s okay. (But) then they have to come up with another policy — how can we provide clean meat from that exotic animal to the public? Should it be domesticated? Should we do more checking or inspection? Implement some biosecurity measures ? Culture cannot be changed overnight, it takes time. »
Leo Poon (Hong Kong University)
Although it is unclear which animal transferred the virus to humans — bat, snake and pangolin have all been suggested — China has acknowledged it needs to bring its lucrative wildlife industry under control if it is to prevent another outbreak. In late February, it slapped a temporary ban on all farming and consumption of « terrestrial wildlife of important ecological, scientific and social value, » which is expected to be signed into law later this year.
But ending the trade will be hard. The cultural roots of China’s use of wild animals run deep, not just for food but also for traditional medicine, clothing, ornaments and even pets.
This isn’t the first time Chinese officials have tried to contain the trade. In 2003, civets — mongoose-type creatures — were banned and culled in large numbers after it was discovered they likely transferred the SARS virus to humans. The selling of snakes was also briefly banned in Guangzhou after the SARS outbreak.
But today dishes using the animals are still eaten in parts of China.
Public health experts say the ban is an important first step, but are calling on Beijing to seize this crucial opportunity to close loopholes — such as the use of wild animals in traditional Chinese medicine — and begin to change cultural attitudes in China around consuming wildlife.
The Wuhan seafood market at the center of the novel coronavirus outbreak was selling a lot more than fish.
Snakes, raccoon dogs, porcupines and deer were just some of the species crammed inside cages, side by side with shoppers and store owners, according to footage obtained by CNN. Some animals were filmed being slaughtered in the market in front of customers. CNN hasn’t been able to independently verify the footage, which was posted to Weibo by a concerned citizen, and has since been deleted by government censors.
It is somewhere in this mass of wildlife that scientists believe the novel coronavirus likely first spread to humans. The disease has now infected more than 94,000 people and killed more than 3,200 around the world.
The Wuhan market was not unusual. Across mainland China, hundreds of similar markets offer a wide range of exotic animals for a range of purposes.
The danger of an outbreak comes when many exotic animals from different environments are kept in close proximity.
« These animals have their own viruses, » said Hong Kong University virologist professor Leo Poon. « These viruses can jump from one species to another species, then that species may become an amplifier, which increases the amount of virus in the wet market substantially. »
When a large number of people visit markets selling these animals each day, Poon said the risk of the virus jumping to humans rises sharply.
Poon was one of the first scientists to decode the SARS coronavirus during the epidemic in 2003. It was linked to civet cats kept for food in a Guangzhou market, but Poon said researchers still wonder whether SARS was transmitted to the cats from another species.
« (Farmed civet cats) didn’t have the virus, suggesting they acquired it in the markets from another animal, » he said.
Strength and status
Annie Huang, a 24-year-old college student from southern Guangxi province, said she and her family regularly visit restaurants that serve wild animals.
She said eating wildlife, such as boar and peacock, is considered good for your health, because diners also absorb the animals’ physical strength and resilience.
Exotic animals can also be an important status symbol. « Wild animals are expensive. If you treat somebody with wild animals, it will be considered that you’re paying tribute, » she said. A single peacock can cost as much as 800 yuan ($144).
Huang asked to use a pseudonym when speaking about the newly-illegal trade because of her views on eating wild animals.
She said she doubted the ban would be effective in the long run. « The trade might lay low for a few months … but after a while, probably in a few months, people would very possibly come back again, » she said
Beijing hasn’t released a full list of the wild animals included in the ban, but the current Wildlife Protection Law gives some clues as to what could be banned. That law classifies wolves, civet cats and partridges as wildlife, and states that authorities « should take measures » to protect them, with little information on specific restrictions.
The new ban makes exemptions for « livestock, » and in the wake of the ruling animals including pigeons and rabbits are being reclassified as livestock to allow their trade to continue.
Billion-dollar industry
Attempts to control the spread of diseases are also hindered by the fact that the industry for exotic animals in China, especially wild ones, is enormous.
A government-sponsored report in 2017 by the Chinese Academy of Engineering found the country’s wildlife trade was worth more than $73 billion and employed more than one million people.
Since the virus hit in December, almost 20,000 wildlife farms across seven Chinese provinces have been shut down or put under quarantine, including breeders specializing in peacocks, foxes, deer and turtles, according to local government press releases.
It isn’t clear what effect the ban might have on the industry’s future — but there are signs China’s population may have already been turning away from eating wild animals even before the epidemic.
A study by Beijing Normal University and the China Wildlife Conservation Association in 2012, found that in China’s major cities, a third of people had used wild animals in their lifetime for food, medicine or clothing — only slightly less than in their previous survey in 2004.
However, the researchers also found that just over 52% of total respondents agreed that wildlife should not be consumed. It was even higher in Beijing, where more than 80% of residents were opposed to wildlife consumption.
In comparison, about 42% of total respondents were against the practice during the previous survey in 2004.
Since the coronavirus epidemic, there has been vocal criticism of the trade in exotic animals and calls for a crackdown. A group of 19 academics from the Chinese Academy of Sciences and leading universities even jointly issued a public statement calling for an end to the trade, saying it should be treated as a « public safety issue. »
« The vast majority of people within China react to the abuse of wildlife in the way people in other countries do — with anger and revulsion, » said Aron White, wildlife campaigner at the Environmental Investigation Agency.
« I think we should listen to those voices that are calling for change and support those voices. »
Traditional medicine loophole
A significant barrier to a total ban on the wildlife trade is the use of exotic animals in traditional Chinese medicine.
Beijing has been strongly promoting the use of traditional Chinese medicine under President Xi Jinping and the industry is now worth an estimated $130 billion.
As recently as October 2019, state-run media China Daily reported Xi as saying that « traditional medicine is a treasure of Chinese civilization embodying the wisdom of the nation and its people. »
Many species that are eaten as food in parts of China are also used in the country’s traditional medicine.
The new ban makes an exception made for wild animals used in traditional Chinese medicine. According to the ruling, the use of wildlife is not illegal for this, but now must be « strictly monitored. » The announcement doesn’t make it clear, however, how this monitoring will occur or what the penalties are for inadequate protection of wild animals, leaving the door open to abuse.
A 2014 study by the Beijing Normal University and the China Wildlife Conservation Association found that while deer is eaten as a meat, the animal’s penis and blood are also used in medicine. Both bears and snakes are used for both food and medicine.
Wildlife campaigner Aron White said that under the new restrictions there was a risk of wildlife being sold or bred for medicine, but then trafficked for food. He said the Chinese government needed to avoid loopholes by extending the ban to all vulnerable wildlife, regardless of use.
« (Currently), the law bans the eating of pangolins but doesn’t ban the use of their scales in traditional Chinese medicine, » he said. « The impact of that is that overall the consumers are receiving are mixed messages. »
The line between which animals are used for meat and which are used for medicine is also already very fine, because often people eat animals for perceived health benefits.
In a study published in International Health in February, US and Chinese researchers surveyed attitudes among rural citizens in China’s southern provinces to eating wild animals.
One 40-year-old peasant farmer in Guangdong says eating bats can prevent cancer. Another man says they can improve your vitality.
« ‘I hurt my waist very seriously, it was painful, and I could not bear the air conditioner. One day, one of my friends made some snake soup and I had three bowls of it, and my waist obviously became better. Otherwise, I could not sit here for such a long time with you, » a 67-year-old Guangdong farmer told interviewers in the study.
Chinese authorities putting healthy people in field hospitals
China’s rubber-stamp legislature, the National People’s Congress, will meet later this year to officially alter the Wildlife Protection Law. A spokesman for the body’s Standing Committee said the current ban is just a temporary measure until the new wording in the law can be drafted and approved.
Hong Kong virologist Leo Poon said the government has a big decision to make on whether it officially ends the trade in wild animals in China or simply tries to find safer options.
« If this is part of Chinese culture, they still want to consume a particular exotic animal, then the country can decide to keep this culture, that’s okay, » he said.
« (But) then they have to come up with another policy — how can we provide clean meat from that exotic animal to the public? Should it be domesticated? Should we do more checking or inspection? Implement some biosecurity measures? » he said.
An outright ban could raise just as many questions and issues. Ecohealth Alliance president Peter Daszak said if the trade was quickly made illegal, it would push it out of wet markets in the cities, creating black markets in rural communities where it is easier to hide the animals from the authorities.
Driven underground, the illegal trade of wild animals for consumption and medicine could become even more dangerous.
« Then we’ll see (virus) outbreaks begin not in markets this time, but in rural communities, » Daszak said. « (And) people won’t talk to authorities because it is actually illegal. »
Poon said the final effectiveness of the ban may depend on the government’s willpower to enforce the law. « Culture cannot be changed overnight, it takes time, » he said.
https://edition.cnn.com/2020/03/05/asia/china-coronavirus-wildlife-consumption-ban-intl-hnk/index.html
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CHINOIS, RUSSES, TURCS, GENOCIDAIRES IMPUNIS DU MONDE, UNISSEZ-VOUS ! (Devinez qui, faute de procès de Nuremberg, continue à avancer ses pions en mer de Chine, Méditerranée ou ailleurs, pendant que… tout le monde tire sur le messager Trump ?)
CALIFE A LA PLACE DU CALIFE
Le gouvernement allemand a de son côté « pris acte » vendredi des manœuvres françaises en Grèce et a appelé Paris, Athènes et Ankara à éviter « l’escalade » dans le conflit en Méditerannée orientale autour de l’exploration d’hydrocarbures…
https://www.lemonde.fr/international/article/2020/08/14/la-turquie-accuse-la-france-de-jouer-au-caid-en-mediterranee-orientale_6048973_3210.html
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QUELLE INQUIETANTE FENETRE D’OPPORTUNITE STRATEGIQUE POUR LE NOUVEL AXE DU MAL ? (Dopé par les victoires accumulées, militaires d’un côté avec la Géorgie, l’Ukraine et la Syrie pour la Russie, et, économiques de l’autre sur le reste du monde pour la Chine, sans compter les divisions internes d’un Occident divisé et l’impunité de n’avoir toujours pas eu leur procès de Nuremberg pour les 100 millions de morts cumulés du communisme, le nouvel axe du mal russo-chinois va-t-il nous replonger, avec Taiwan comme nouveau déclencheur, dans cette deuxième guerre mondiale qui n’a toujours pas dit son dernier mot de ce côté de la planète ?)
« Poutine tente de restaurer le socle ethnique impérial de l’Etat russe (les Grands Russes, les petits Russes (ukrainiens) et les Biélorusses). L’essence de ce conflit est géopolitique: la Russie, avec l’Ukraine sous son contrôle, aura à nouveau la possibilité d’être un empire. Sans elle, elle devra au contraire accepter de devenir un Etat-nation normal. La question clé est savoir si la Russie deviendra à nouveau une puissance dominante en Europe ou un Etat nation eurasien par excellence, qui accepterait de se penser comme une grande puissance moderne, non impériale. (…) Nous sommes déjà engagés dans une guerre hybride avec la Russie et la Chine, même si nous n’en sommes pas à la guerre tout court. Si on considère la disparité des ressources entre la Russie et les Etats-Unis, Poutine ne pourra soutenir un face à face de guerre froide très longtemps. Il utilise son alliance avec la Chine pour équilibrer le jeu – puisqu’ensemble, Poutine et Xi imposent aux Américains une crise sur deux fronts, alors que les forces armées américaines ne sont formatées actuellement que pour une opération d’envergure sur un seul théâtre majeur. Mais le temps joue pour l’Amérique. Poutine et Xi savent que plus cette phase d’affrontement non direct dure, plus les capacités américaines à répondre vont augmenter. Après deux décennies d’opérations contre-terroristes, les Etats-Unis sont en train de reconstruire leur force pour des conflits interétatiques de haute intensité (cf la modernisation de l’armée de 2019). Selon moi, c’est la raison pour laquelle le délai qui pourrait nous amener d’une guerre hybride à une confrontation directe entre les Etats-Unis, la Russie et la Chine, est beaucoup plus court que beaucoup d’experts ne le pensent. Il y a un an, l’un de nos 4 amiraux 4 étoiles, dans une audition au Congrès, a affirmé que l’éventualité d’un conflit conventionnel avec la Chine sur la question de Taiwan serait posée d’ici 5 à 7 ans. Je parie sur un délai beaucoup plus court de 2 à 3 ans, mais si les Russes s’engagent en Ukraine, les Chinois pourraient décider d’exploiter cette opportunité pour créer «un piège de simultanéïté» pour nous, nous forçant à réagir sur deux théâtres à la fois. (…) Comme je l’ai dit au début, il rassemble à nouveau le cœur de l’empire russe historique, tel qu’il existait depuis la fin du 18e siècle. Pour moi, il veut déconstruire l’architecture de sécurité existante en Europe. Poutine ne veut pas avoir affaire à l’Union européenne ou à l’Otan, il veut dialoguer avec l’Allemagne sur une base bilatérale, et semble penser que North Stream 1 et 2 lui donne un avantage fort. Cette année, l’Allemagne fermera son dernier réacteur nucléaire et le gaz naturel sera vu largement comme l’énergie de transition vers les énergies renouvelables. Une fois que North Stream 2 deviendra opérationnel, la Russie deviendra le principal fournisseur d’énergie à l’Europe, et l’Allemagne le principal distributeur de gaz russe. Ce choix délibéré de l’Allemagne, qui n’était pas du tout obligatoire (elle aurait pu se tourner vers le gaz norvégien et le gaz liquéfié LNG américain) confère à Moscou une force de frappe énergétique dangereuse pour peser sur l’avenir européen. Poutine mise sur l’éclatement de la solidarité de l’Otan, avec l’approfondissement de cette crise. (…) Souvenons-nous de la raison pour laquelle l’Otan a pu s’élargir au départ: c’est parce que la Russie a été littéralement expulsée d’Europe centrale. A l’époque, nous étions profondément concernés par la zone grise d’instabilité qui émergeait dans l’espace post-soviétique. Dans les années 90, la Russie a traversé des temps de trouble existentiels sous Eltsine. Pour l’Europe Centrale, cela a ouvert une opportunité historique de se ré-amarrer à l’Occident démocratique. L’élargissement de l’Otan (j’utilise le terme originel d’élargissement à dessein et non celui d’expansion), a largement stabilisé la région. Je ne pense pas qu’il y ait eu à l’époque un chemin qui aurait pu mener à une architecture de sécurité globale incluant la Russie. On a parlé d’un statut de neutralité pour l’Ukraine, mais vu l’étendue de la fragmentation en Russie, et le niveau de corruption en Ukraine, c’était impossible à mon avis. Toutes les discussions sur ce que nous aurions dû faire me font penser aux conversations du lundi, après le match de football du dimanche. (…) A mon avis, David Goldman élude un point fondamental. Pour les pays de l’entre deux mers situés entre la Baltique et la Mer noire, la neutralité ne pourrait jamais permettre d’assurer la souveraineté. C’est ce qui a poussé ces pays à rejoindre l’Otan. Regardez la situation de la Géorgie et de l’Ukraine aujourd’hui: Poutine sait parfaitement qu’aussi longtemps qu’il occupe des portions de leur territoire, ils ne pourront entrer dans l’Otan car l’Alliance serait alors forcée de voter pour une guerre avec Moscou. Je pense que Poutine demande néanmoins un traité sur l’Ukraine à l’Occident, dans le but de nous humilier et de discréditer l’Alliance. Quant à l’idée de David Goldman sur le fait que l’Otan a été affaiblie par l’élargissement, je soulignerais que les pays qui dépensent 2% de leur PIB à la défense et sont sérieux avec leur armée sont essentiellement les nouveaux membres (la Pologne, les Baltes et la Roumanie notamment). C’est la vieille Europe qui est militairement étiolée, car c’est elle qui a désarmé depuis trente ans. Le problème de l’Otan n’est pas l’élargissement, c’est ce que j’appelle la régionalisation des optiques de sécurité en Europe. Si vous êtes à Tallin ou Bucarest, la seule menace, c’est la Russie ; si vous êtes à Berlin, vous réalisez que l’Allemagne n’est plus un pays impliqué dans un dispositif défensif, que ses intérêts économiques en Asie croissent de manière exponentielle, bref que son approche préférée est de gérer ses relations avec la Russie à travers une combinaison de moyens politiques et économiques. La France regarde surtout vers le Sud, dans la profondeur de l’Afrique, puisque la frontière sud de l’Europe n’est plus en Méditerranée, mais dans le Sahel et au-delà. Pour faire court, il n’y a pas de consensus en Europe sur la nature de la menace, ce qui complique une stratégie cohérente et un plan opérationnel. (…) En me basant sur tout ce que Poutine fait jusqu’ici, je pense qu’une attaque russe sur l’Ukraine est probable. Il a déployé des troupes d’extrême orient, ce qui veut dire qu’il a un accord avec Xi sur le fait que la Chine n’interfèrera pas. Ses déploiements en Biélorussie suggèrent qu’il peut utiliser ses troupes à partir de là, mais surtout, que son intention probable est d’installer une présence militaire en Biélorussie à proximité de la frontière avec l’Otan. Souvenez-vous que Poutine a déjà engrangé plusieurs victoires géopolitiques majeures par la force armée en Géorgie en 2008, en Ukraine en 2014 puis en Syrie. Tout récemment, il a montré à la Chine et à la Turquie que la Russie contrôle les ressources du Kazakhstan (en allant remettre de l’ordre à la demande du président kazakh, NDLR). Il continuera de pousser son avantage militaire, jusqu’à ce qu’on l’arrête. Il peut par exemple décider de déployer une division au Donbass et une autre en Biélorussie au-delà de Grodno, voire pousser plus loin. (…) D’abord, nous devons continuer à fournir des armes à l’Ukraine. Puis nous devons être en accord avec tous nos alliés européens sur les sanctions – qui devraient inclure l’exclusion de Moscou du système Swift en cas d’attaque, ainsi que l’annulation de North Stream. Sans ces deux composantes, je ne pense pas que les sanctions seront efficaces. La meilleure solution pour l’Ukraine, en cas d’attaque, serait qu’elle parvienne à défendre son territoire national. Mais vu le déséquilibre des forces, c’est improbable. La question est de savoir combien de temps l’armée ukrainienne résisterait, et quel coût elle infligerait à l’armée russe. Autre question: quel niveau de pertes la société russe accepterait-elle. Que se passerait-il si des trains pleins de corps de soldats russes rentrent à la maison? Poutine redoublerait-il d’efforts ou chercherait-il une voie de sortie? Je pense que les accords de Minsk sont déjà éclipsés par les évènements. Si l’armée russe défait l’armée ukrainienne on assistera à un démembrement de l’Etat ukrainien. La plus grande inconnue est de savoir si Poutine se risquerait à entrer en Ukraine occidentale, partie la plus farouchement nationaliste, qui ne se rendrait sans doute pas sans guérilla. Si cette guerre connaît une escalade, comme je le crains, l’Europe verra un niveau de destruction et de pertes en vies humaines comme elle n’en a pas vu depuis la seconde guerre mondiale. (…) Nous sommes à un tournant de la crise qui exige un positionnement sans équivoque. Je suis préoccupé par les vues divergentes qui se manifestent. C’est ce que veut Poutine: diviser l’alliance et chercher des accords en bilatéral. Mais l’Otan uni est bien plus fort que la Russie. La taille des économies européennes à elles seules est très supérieure à celle de la Russie. Ce qui manque à l’Ouest, c’est le désir de faire face au danger plutôt que de rechercher une porte de sortie pour Poutine. Poutine ne cherche pas de porte de sortie. Il veut réviser le règlement de l’après-guerre froide en Europe, recréer une sphère de domination en Europe de l’Est et retrouver de l’influence dans le périmètre de l’Otan. [Quant à L’initiative de Macron] elle a seulement souligné les différences au sein de l’occident. [Quant à Biden] L’idée du pivot vers l’Asie a dominé notre discussion politique depuis qu’Obama l’a formulée. Il est évident que la Chine présente une menace de bien plus grande ampleur pour nos démocraties que la Russie. Mais je mets en garde contre l’idée qu’une réorientation claire soit possible. Si on regarde l’histoire, on constate que les Grandes puissances ne pivotent pas d’un théâtre à l’autre, parce que tels efforts entraînent des effets secondaires ailleurs. Les Etats-Unis sont dans leur quintessence une puissance navale, une île continentale si l’on peut dire, et nous devons être ancrés à la fois en Europe et en Asie pour assurer notre sécurité et notre prospérité. Nous avons combattu dans deux conflits mondiaux et passé un demi-siècle à mener la guerre froide contre les Soviétiques pour empêcher l’URSS de contrôler les ressources de l’Europe et de l’Eurasie, car cela nous aurait renvoyés dans notre hémisphère. Les Etats-Unis ne vont pas quitter l’Europe dans un futur prévisible. (…) les divisions internes aux Etats-Unis et à l’Europe sont un sérieux sujet de préoccupation. Je n’ai aucun doute sur le fait que Poutine comme Xi voient le moment actuel comme une période de grande opportunité stratégique. C’est pourquoi j’ai dit un peu plus haut qu’ils voient cette fenêtre d’opportunité pour gagner face à l’Occident comme beaucoup plus étroite (et plus courte dans le temps) que beaucoup d’analystes ne le pensent. (…) La Russie et la Chine sont alignées contre le système global et l’équilibre des puissances que les Etats-Unis ont mis en place après la fin de la guerre froide. C’est ce qui les a rapprochées. La Russie est une puissance fondamentalement révisionniste, qui veut revoir le système en sa faveur sans le détruire totalement. La Chine est vraiment une menace existentielle pour l’Occident, car elle ne veut pas seulement revoir le système mais le démanteler et le remplacer par un système construit autour de sa puissance économique, son pouvoir militaire et ses valeurs. On a beaucoup parlé de la nécessité de refaire une stratégie à la Nixon-Kissinger, qui aurait consisté à détourner la Russie de Pékin et à l’utiliser contre les Chinois. Je considère actuellement ces considérations comme un exercice purement théorique. L’Occident doit avant tout reconstruire ses capacités militaires: cela devrait être la priorité numéro 1 de nos alliés européens. [Pour l’article récent du général à la retraite Leonid Ivachov critiquant le jeu géopolitique de Poutine] Si on assume que cet article n’est pas un faux, je ne pense pas que de tels appels puissent avoir beaucoup d’impact sur les choix de Poutine. Il va continuer de pousser son avantage militaire jusqu’à ce qu’on le remette à sa place. Ce qui rend la situation actuelle périlleuse est que nous sommes face à une guerre régionale sur la périphérie de l’Otan, sans garantie que le feu ne puisse sauter par-dessus la barrière de l’alliance. Il faut avoir en tête qu’une attaque russe génèrera, si elle a lieu, un flot de réfugiés vers l’Europe sans précédent depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Nous parlons de millions de gens qui entreraient en Europe pour sauver leur vie. Dans l’hypothèse de l’arrivée d’un démocrate comme Navalny au Kremlin, je resterais prudent, à cause de ce que la Russie est et qu’elle a été dans l’histoire européenne. Mais je suis tout à fait certain qu’ils ne tenteraient pas de récupérer l’Ukraine ou la Biélorussie et que, du coup, sans ces deux états dans son giron, la Russie serait forcée de se mettre à se penser elle-même comme une grande nation moderne, pas un empire. Un peu comme la Grande Bretagne ou la France »…
Andrew A. Michita
https://www.lefigaro.fr/vox/monde/considerant-les-precedents-de-poutine-une-attaque-russe-sur-l-ukraine-est-probable-20220210
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QUELLE VERITABLE MENACE POUR LA RUSSIE ? (Devinez qui, entre l’extinction de la population, la dégradation sociale systémique et une kleptocratie prédatrice est la véritable menace pour la Russie ?)
WHAT REAL THREAT TO RUSSIA ? (Guess who between population extinction, systemic social degradation and a preying kleptocraticy is the real threat to Russia ?)
« Today, humanity lives in anticipation of war.War is the unavoidable loss of life, destruction, suffering of large numbers of people, destruction of way of life, breakdown of the system of life of nations and peoples.The Great War was a great tragedy, and some people were guilty of heavy crimes.So Russia is at the center of this looming catastrophe.And it might be her first time ever.
Russia (Soviet Union) has fought forced (just) wars before, but often when vital interests of the state and society are at stake, and there is no choice.
What threatens the very existence of Russia itself today, and is there such a threat?Suffice to say, there is a real threat – a country that is about to end its history.All vital areas, including population, continue to deteriorate, and the rate of population extinction is breaking world records.And degradation is systemic, and in any complex system, damage to one element can cause the entire system to collapse.
We believe that this is the main threat facing the Russian Federation.However, this is an insider threat from the state model, the quality of power and the state of society.The reasons for its formation are internal: the state model is unworkable, power and management are totally unworkable and unprofessional, society is passive and unorganised.No country can live long in this state.
As far as external threats are concerned, they certainly exist.However, according to our expert assessment, at present, they are not the key to a direct threat to the existence of the Russian state and its vital interests. Overall, strategic stability was maintained, nuclear weapons were reliably controlled, and there was no build-up of NATO forces and no threatening activity.
Therefore, the crisis situation in Ukraine is first and foremost the artificiality and selfishness of some domestic forces, including the Russian Federation. With the decisive participation of Russia (Yeltsin), the Soviet Union disintegrated and Ukraine became an independent state, a member of the United Nations, and in accordance with Article 3 of the Ukrainian Constitution. Article XNUMX of the Charter of the United Nations enshrines the right to individual and collective self-defence.
The leaders of the Russian Federation have not yet accepted the results of the referendums on the independence of the Luhansk People’s Republics and Donetsk People’s Republics in eastern Ukraine, but have repeatedly stressed that their territories and people belong to the Ukraine.
In addition, High-level He has repeatedly expressed his desire to maintain normal relations with Kiev, without emphasizing special relations with the Luhansk People’s Republic and the Donetsk People’s Republic.
The issue of Kiev’s genocide in the southeast has not been raised at the UN or OSCE.Of course, in order for Ukraine to be a friendly neighbor to Russia, it needs to demonstrate the attractiveness of Russia’s state model and power system.
But Russia did not, its development model and foreign policy machinery of international cooperation alienated almost all its neighbors and more.
Russia’s acquisition of Crimea and Sevastopol, yet not recognized by the international community (that is, the vast majority of the world still considers them part of Ukraine), is a clear sign that Russia’s foreign policy is not standing Standing still, domestic policies are also unattractive.
Forcing « love » of the Russian Federation and its leaders through ultimatums and threats of force is pointless and extremely dangerous.
First, the use of military force against Ukraine would call into question the very existence of Russia as a state;
Second, always make Russians and Ukrainians sworn enemies.
Third, on the one hand, thousands (tens of thousands) of young people will die, which will definitely affect the future demographics of our endangered country.On the battlefield, if this happens, the Russian army will face not only Ukrainian servicemen, including many Russians, but also the troops and equipment of many NATO countries, and the members of the alliance will be obliged to declare war on Russia.
President of the Republic of Turkey. Erdogan has made it clear which side Turkey will take to fight. And it can be expected that two Turkish field armies and fleets will be ordered to liberate Crimea and Sevastopol, and possibly invade the Caucasus.
In addition, Russia will obviously be classified as a threat to peace and international security, subject to severe sanctions, becoming a rogue state in the international community, and possibly stripped of its status as an independent state.
The president, the government, the Department of Defense can’t understand the consequences because they’re stupid.
The question is: what is the real purpose of provoking tensions and potentially large-scale hostilities on the brink of war?The number and strength of the troops assembled on both sides – no less than XNUMX on each side – speaks to this.Russia crossed the eastern border to redeploy troops to the Ukrainian border.
We believe that national leaders, recognizing that they cannot lift the country out of a systemic crisis that could lead to popular uprisings and change the power of the country with the support of oligarchs, corrupt officials, ardent media and powerful figures, decided to strengthen A policy that will completely destroy Russia’s statehood and wipe out the country’s native population.
War is a means of solving this problem, in order to temporarily retain its anti-national power and protect the wealth plundered from the people.That’s the only explanation we can think of.
President of the Russian Federation, we are Russian military officers, we ask to renounce the criminal policy of provoking war, which will leave the Russian Federation alone to face the combined forces of the West, according to Article XNUMX of the Constitution of the Russian Federation, please announce your resignation.
We call on all reservists and ex-servicemen, Russian citizens to be vigilant, to organize, to support the demands of the Council of the All-Russian Military Officers’ Conference, to actively oppose propaganda and war, and to prevent the use of military force for civil war. »
Leonid Ivashov
https://www.huaglad.com/en/topimagenews/20220209/463684.html
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https://www.dailymail.co.uk/news/article-10484417/Top-hardline-Russian-general-warns-Putin-NOT-invade-Ukraine-accuses-criminal-policy.html
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QUELLE CRAINTE, POUR A LA FOIS POUTINE ET XI, DE LA CONTAGION DEMOCRATIQUE D’UNE UKRAINE COMME D’UN TAIWAN LIBRES A LEURS PORTES ?
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BIDEN OUR HERO (Putin’s just a nuclear-armed Mobutu, but we have, of all people,…Biden !)
“Let’s imagine Ukraine is a NATO state and they start this operation [to retake Crimea]. So now do we have to start a war against the NATO alliance? Did anyone think about that? I don’t think so.”
Rocketman Mobutu
“We can and must do for the defense industry what we did for Sochi. All questions relating to adequate resource allocation have been resolved.”
Rocketman Mobutu
Mr. Biden has a few flaws but he was a child of the Cold War and, unless I’m mistaken, has surprised and discombobulated Vladimir Putin with his un-Obama-like response to renewed tensions over Ukraine, including, on Monday, whipping a German chancellor into line. By sending military supplies to Ukraine, by deploying troops to Eastern Europe, by preparing sanctions, the Biden administration has orchestrated a set of signals that even Mr. Putin can’t misinterpret. Mr. Biden hasn’t committed U.S. troops to Ukraine itself, but this I now think would smack of desperation, and seems unnecessary. The U.S. and NATO don’t need to lift so many fingers to make Mr. Putin realize he can’t afford the risk. Whatever the Russian leader is thinking, he hoped to find the U.S. and its allies weak and divided. This is proving a bad bet so far. From a larger perspective, it’s easier to say what Mr. Putin wants than how he hopes to get it. He wants to be a U.S. client, spared any too-fervent support for democratic forces in Russia or its neighborhood. He could play the equal while, in truth, being a nuclear-armed Mobutu whose insecurities and vanity we patronize because it’s less trouble than not patronizing them. When he finally broke his silence on Ukraine last week, Mr. Putin’s key words, which he repeated for French President Emmanuel Macron on Monday, concerned the strategic but awkwardly situated peninsula his forces seized from Ukraine in 2014. For a short-term boost in patriotic rah-rah, for a simulated victory for Russia’s “historic” interests, he created a headache for himself that can only get worse. He all but admitted as much: “Let’s imagine Ukraine is a NATO state and they start this operation [to retake Crimea]. So now do we have to start a war against the NATO alliance? Did anyone think about that? I don’t think so.” The person who forgot to think was Mr. Putin. The 1936 Olympics were Hitler’s last big exercise in domestic pump-priming, before turning to rearmament, which then had to pay off somehow. In 2015 Mr. Putin told his defense chiefs, after the previous year’s Sochi Olympics, “We can and must do for the defense industry what we did for Sochi. All questions relating to adequate resource allocation have been resolved.” But it’s already clear that his giant mobilization on the borders of Ukraine won’t yield any big payoff, just as his earlier aggressions in Crimea and the Donbas region produced only financial black holes while alienating any support Russia enjoyed in the Ukrainian population. If he proceeds now with the threatened and pointless war, his hand would be strengthened by Russia’s newly accumulated $600 billion in foreign reserves. But these funds can’t buy needed imports if the imports are embargoed by the West; they can’t be used to settle claims levied against overseas Russian assets, including oil cargoes, if banks are prohibited from receiving the funds. He needs computer chips. He needs inputs for his oil industry and Russia’s military that Russia has no capacity to produce. China might be willing to provide inferior substitutes but at a price, and only if Xi Jinping believes there is an upside to backing the Russian horse, which he may begin to doubt. With his recent expostulations, Mr. Putin’s real aim may be a settlement legalizing Crimea as Russian territory and helping uncomplicate his international situation. But the idea is unlikely to fly with Ukrainian politicians for democratic reasons; the U.S. seems unlikely to press for it. Mr. Putin is right: He made himself a hostage to fortune when he seized Crimea. He made his situation worse and not better by triggering NATO to rally round Ukraine without making Ukraine a NATO member. He still has Russia’s oil-and-gas card, but when that’s all you have, you might be nervous about behaving in ways that incentivize your customers to seek out long-term alternatives. Which brings us to another ill-starred president to whom Mr. Biden has been compared. A disputed story has Jimmy Carter’s national security adviser Zbigniew Brzezinski pumping his fist when the Soviets rolled into Afghanistan, saying the Kremlin “took the bait.” I wouldn’t go quite that far but Mr. Putin is not “winning” the Ukraine crisis he started.
Holman W. Jenkins
https://www.wsj.com/articles/joe-biden-cold-warrior-russia-nato-putin-ukraine-crimea-donbas-germany-aid-president-scholz-11644353348
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BIDEN NOTRE HEROS (Poutine n’est qu’un Mobutu avec des fusées, mais on a, qui l’eut cru,… Biden !)
« Imaginons que l’Ukraine fasse partie de l’Otan et lance une opération [pour reprendre la Crimée]. Est-ce que nous devons entrer en guerre contre l’alliance Atlantique ? Quelqu’un a-t-il pensé à cela ? Je ne crois pas.”
Mobutu avec des fusées
« Nous pouvons et devons faire pour l’industrie de la défense ce que nous avons fait pour Sotchi. Toutes les questions relatives à l’allocation adéquate des ressources ont été résolues. »
Mobutu avec des fusées
« Joe Biden a bien des défauts, mais c’est un enfant de la guerre froide, et si je ne m’abuse, il est parvenu à surprendre et à déconcerter Vladimir Poutine en lui opposant une réaction très différente du style d’Obama face au regain de tensions en Ukraine, et notamment en faisant rentrer dans le rang le chancelier allemand [qui aurait accepté d’abandonner le gazoduc Nord Stream 2 en cas d’invasion]. En expédiant des équipements militaires à l’Ukraine, en déployant des troupes en Europe de l’Est et en préparant des sanctions, le gouvernement Biden a envoyé une série de signaux ne laissant aucune place à l’ambiguïté. Biden ne s’est pas engagé à envoyer des troupes américaines en Ukraine, mais cette mesure semblerait désespérée et ne paraît pas nécessaire. Les États-Unis et l’Otan n’ont pas besoin d’en faire autant pour faire comprendre à Poutine qu’il ne peut pas se permettre de prendre un tel risque. Quels que soient les calculs du président russe, il espérait trouver les États-Unis et leurs alliés faibles et en ordre dispersé. Les faits lui donnent tort jusqu’à présent. Quand il est enfin sorti de son silence sur la question ukrainienne la semaine dernière, les principaux éléments – que Poutine a ensuite répétés lundi au président Macron – concernaient la péninsule de Crimée, stratégique mais éloignée, que ses soldats ont arrachée à l’Ukraine en 2014. En fait, le président Poutine est tombé dans son propre piège, tout cela pour doper le patriotisme russe et proclamer la victoire d’intérêts “historiques”. Il l’a presque lui-même reconnu : Imaginons que l’Ukraine fasse partie de l’Otan et lance une opération [pour reprendre la Crimée]. Est-ce que nous devons entrer en guerre contre l’alliance Atlantique ? Quelqu’un a-t-il pensé à cela ? Je ne crois pas.” Sauf que la personne qui a oublié ce détail, c’est Vladimir Poutine. Il est déjà évident que ses gesticulations aux frontières de l’Ukraine ne lui apporteront pas grand-chose ; de la même manière que ses agressions en Crimée et dans la région du Donbass n’ont réussi qu’à créer des gouffres financiers et à faire perdre à la Russie tout soutien de la population ukrainienne. S’il se lance dans cette guerre absurde ainsi qu’il le menace, Poutine pourra s’appuyer sur les 600 milliards de dollars de devises étrangères récemment accumulés par Moscou. Mais cet argent ne lui permettra pas d’importer des biens si l’Occident place ces importations sous embargo. Et il ne pourra pas non plus régler des disputes concernant des avoirs russes à l’étranger, des cargos pétroliers par exemple, si les banques ont l’interdiction de recevoir son argent. Poutine a besoin de puces électroniques. L’industrie pétrolière et l’armée russes ont besoin de matières premières que la Russie ne peut pas produire elle-même. La Chine acceptera peut-être de lui fournir des substituts de moindre qualité mais à un certain prix, et seulement si Xi Jinping voit quelque avantage à se positionner du côté de Moscou, ce dont il pourrait commencer à douter. Les dernières protestations de Vladimir Poutine ont peut-être pour but réel d’obtenir la reconnaissance officielle de la Crimée comme partie du territoire russe et de l’aider à se sortir d’une situation délicate au plan international. L’idée a pourtant peu de chances d’être acceptée par les responsables politiques ukrainiens pour des raisons démocratiques, et il est peu probable que les États-Unis l’approuvent. Poutine conserve les atouts que sont le gaz et le pétrole russes, mais quand c’est tout ce que vous avez en main, vous avez du souci à vous faire si vos actions ne font qu’inciter vos clients à rechercher des solutions alternatives de long terme. Ce qui nous amène à un autre président malheureux auquel Biden a été comparé. Selon une version disputée de l’histoire, le conseiller pour la sécurité nationale de Jimmy Carter, Zbigniew Brzezinski, aurait applaudi quand les Soviétiques ont envahi l’Afghanistan, déclarant que le Kremlin avait “mordu à l’hameçon”. Je n’irais pas jusque-là mais Poutine n’est pas en train de “gagner” la crise qu’il a initiée en Ukraine. »
Holman W. Jenkins Jr.
https://www.courrierinternational.com/article/opinion-joe-biden-le-president-quil-fallait-face-poutine
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