Histoire: Faut-il brûler l’Ancien Testament? (Shall we burn the Old Testament?)

Madonna Litta (Leonardo da Vinci, c. 1490 ?)
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Une femme oublie-t-elle son nourrisson? De montrer sa tendresse au fils de son ventre? Même si celles-là oubliaient, moi je ne t’oublierai pas. Esaïe 49: 15
Comme un homme que sa mère console, Ainsi je vous consolerai; Vous serez consolés dans Jérusalem. Esaïe 66: 13
Dieu est mort! (…) Et c’est nous qui l’avons tué ! (…) Quelles solennités expiatoires, quels jeux sacrés nous faudra-t-il inventer? Nietzsche
Tout ce que nous appelons progrès – l’affranchissement de l’homme, du travail, la substitution de l’emprisonnement pour la peine de mort, et des amendes pour l’emprisonnement, la destruction de la polygamie, l’établissement de la liberté de parole, l’objection de conscience ; en bref tout ce qui tend au développement et à la civilisation de l’homme; tous les résultats des recherches, observations, expériences, et la liberté d’esprit ; tout ce qui fut bénéfique à l’homme depuis la fin des Ages Sombres – a été fait à l’encontre de l’Ancien Testament. Robert Ingersoll (1894)
Peut-on imaginer personnage littéraire plus désagréable que le Dieu de l’Ancien Testament? Jaloux et en étant fier; obsédé de l’autorité, mesquin, injuste et impitoyable; vengeur et sanguinaire tenant de l’épuration ethnique; tyrannique, misogyne, homophobe, raciste, infanticide, génocidaire, fillicide, pestilentiel, mégalomane, sadomasochiste et capricieusement diabolique. Richard Dawkins (2006)
Quant aux droits de l’homme d’abord proclamés en Europe, ils proviennent de la théorie du droit naturel, elle-même inspirée de l’humanisme de la philosophie antique et notamment de l’universalisme stoïcien, et non du christianisme. Si on veut à tout prix évoquer les racines, il faut les citer toutes, et de façon équitable. Henri Pena-Ruiz
Il est utile de dissiper une opinion répandue, si souvent invoquée par les musulmans réformateurs comme par bon nombre d’intellectuels occidentaux : la Bible contiendrait encore plus de violence que le Coran, dans la mesure où elle contiendrait encore plus de passages où Dieu se montre cruel que le Livre saint de l’islam. C’est l’exemple type de l’incompréhension qui règne entre l’Occident et l’Orient, idée fixe que l’on retrouve tant dans le discours interreligieux que dans la doxa nihiliste. (…) la Bible relate l’histoire du peuple hébreu, narration parfois fastidieuse de mille pérégrinations effectuées sous le regard de Dieu. Que le texte comporte des scènes de massacre collectif, des meurtres, des viols, des supplices et des bains de sang est choquant à l’aune de l’universalisme contemporain tout en étant rigoureusement conforme à la tristesse du champ historique concerné. Christian Makarian
La paix véritable, globale et durable viendra le jour où les voisins d’Israël reconnaîtront que le peuple juif se trouve sur cette terre de droit, et non de facto. (…) Tout lie Israël à cette région: la géographie, l’histoire, la culture mais aussi la religion et la langue. La religion juive est la référence théologique première et le fondement même de l’islam et de la chrétienté orientale. L’hébreu et l’arabe sont aussi proches que le sont en Europe deux langues d’origine latine. L’apport de la civilisation hébraïque sur les peuples de cette région est indéniable. Masri Feki
On apprend aux enfants qu’on a cessé de chasser les sorcières parce que la science s’est imposée aux hommes. Alors que c’est le contraire: la science s’est imposée aux hommes parce que, pour des raisons morales, religieuses, on a cessé de chasser les sorcières. René Girard
La condition préalable à tout dialogue est que chacun soit honnête avec sa tradition. (…) les chrétiens ont repris tel quel le corpus de la Bible hébraïque. Saint Paul parle de ” greffe” du christianisme sur le judaïsme, ce qui est une façon de ne pas nier celui-ci . (…) Dans l’islam, le corpus biblique est, au contraire, totalement remanié pour lui faire dire tout autre chose que son sens initial (…) La récupération sous forme de torsion ne respecte pas le texte originel sur lequel, malgré tout, le Coran s’appuie. René Girard
Ceux qui considèrent l’hébraïsme et le christianisme comme des religions du bouc émissaire parce qu’elles le rendent visible font comme s’ils punissaient l’ambassadeur en raison du message qu’il apporte. René Girard (« Christianisme et modernité », 2009)
Il serait malhonnête de banaliser en les «spiritualisant» les nombreux textes vétéro-testamentaires où agit un Dieu guerrier et suzerain absolu, mais aussi théologiquement douteux de l’opposer au Dieu d’amour du Nouveau Testament, prévient Thomas Römer dans «Dieu obscur». Les livres du Deutéronome et de Josué, qui contiennent l’essentiel de ces conceptions guerrières et tyranniques, font partie d’une fresque historiographique dont les origines se situent dans le royaume de Juda, au VIIe siècle av. J.-C. Une époque caractérisée par l’écrasante domination idéologique et culturelle de l’empire assyrien sur les petits royaumes vassalisés du Proche-Orient ancien que sont Israël, Juda et ses voisins, desquels est exigée une soumission absolue. Repris et détournés de façon subversive, le serment d’allégeance absolue au seul Dieu d’Israël (dans le livre du Deutéronome, qui ressemble dans sa structure à un traité de vassalité assyrien), de même que la figure d’un Dieu de la conquête se sont ainsi établis en s’inspirant très largement des modèles et des textes assyriens, leur terrible écho s’amplifiant du langage suggestif d’une époque où, selon Thomas Römer, déclarer faire passer l’ennemi «par le fil de l’épée» n’avait rien d’offusquant. Alexandra Rihs
Si les images humaines s’avèrent forcément insuffisantes pour exprimer l’indicible, il est vrai que le 1er chapitre de la Genèse, où il est dit que Dieu créa l’homme à son image, a souvent été pris au premier degré. Dans les textes des voisins égyptiens d’Israël, on s’aperçoit que lorsque Pharaon, le roi, est désigné comme l’image de Dieu sur terre, ce n’est pas dans l’idée d’une ressemblance physique mais parce qu’il joue un rôle de médiateur entre le peuple et le divin. L’Ancien Testament est le théâtre d’un phénomène de démocratisation de l’idéologie royale: l’humanité tout entière devient ce lien médiateur, ce qui est une manière de la prévenir de sa responsabilité envers la création. Consciemment ou non, et bien qu’il soit écrit «mâle et femelle il les créa», les textes évoquant Dieu le présentent presque toujours au masculin. Il existe pourtant une imagerie féminine et maternelle associée à Dieu, par exemple lorsqu’il répond à la peur qu’il aurait oublié son peuple : «Une femme oublie-t-elle son nourrisson? De montrer sa tendresse au fils de son ventre? Même si celles-là oubliaient, moi je ne t’oublierai pas» (Es. 49,15). S’il me semble important de valoriser cette imagerie jusqu’ici laissée dans l’ombre, l’exégèse féministe qui suppose tel ou tel livre écrit par une femme ne me convainc pas pour autant, car la réhabilitation des textes passe par une totale lucidité historique quant à leur production.  (…) [Quant aux textes guerriers] Ce sont des écrits de résistance, élaborés dans un climat d’insécurité, alors que l’identité du peuple d’Israël menaçait de se fondre dans l’empire assyrien, puis babylonien. On sait qu’un peuple menacé dans son identité recourt souvent à des discours beaucoup plus durs pour s’affirmer que s’il est en position dominante; le danger est grand d’utiliser ensuite ce modèle guerrier pour justifier les pires massacres, ce qui est malheureusement le cas tout au long de l’histoire chrétienne… N’oublions pas, toutefois, que c’est sur l’image d’un Dieu antimilitariste et universel que s’ouvre l’épopée du peuple hébreu dans le livre de la Genèse, et que la Bible hébraïque se clôt sur ce même Dieu universel, promettant un avenir de paix, dans les livres des Chroniques. Thomas Römer

Faut-il brûler l’Ancien Testament?

Etrange dérive, si souvent soulignée par René Girard, qui, au nom même du souci des victimes dont ils sont à l’origine, nous porte à la plus grande sévérité face aux écrits fondateurs de notre propre modernité alors que les moindres récits des peuplades les plus reculées ont droit à tous les égards et toutes les indulgences!

D’où, en ces curieux temps de négationnisme et de nihilisme postmoderne comme de l’ignorance médiatique qui les favorise, le mérite de théologiens tels que le professeur allemand de l’Université de Lausanne Thomas Römer (qui après sa leçon inaugurale de la semaine dernière, débute aujourd’hui même – grande première pour une telle institution en France – son cours au prestigieux Collège de France), de se tenir à « la totale lucidité historique quant à la production » des textes bibliques.

Et de rappeler, contre toutes les récupérations mais aussi la tentation de « spiritualiser ou psychologiser les passages difficiles ou dérangeants », que « la Bible n’est pas tombée du ciel » mais le produit, à partir d’une ensemble de matériaux à dimension indéniablement mythique, d’un long effort théologique et éditorial d’un peuple déterminé à montrer que Dieu intervient dans leur histoire et dans celle du monde qui les entoure.

Ainsi, comme il le rappelle dans son ouvrage de 1996 (« Dieu obscur; Le sexe, la cruauté et la violence dans l’Ancien Testament »), l’insistance sur un Dieu mâle, jaloux et vengeur pouvant s’expliquer par la nécessité de contrer la croyance, dans l’ancien Israël, à des déesses (Yaveh n’ayant pas toujours été célibataire) comme bien sûr le polythéisme (Yaveh lui-même ayant apparement eu lui aussi sa statue dans le temple de Jérusalem) ou les sacrifices humains.

Ou les appels à la vengeance et les probables exagérations dans les massacres rapportés se comprenant comme une sorte de « contre-histoire » dans un contexte d’oppression et de résistance face à la domination des peuples et des grands empires voisins.

D’où la reprise et surtout la subversion des textes de leurs puissants voisins mais aussi à l’occasion l’auto-ironie contre par exemple la déception d’un Jonas déçu de la non-destruction pourtant dûment annoncée de ses pires ennemis …

Enquête sur le « Dieu obscur »:
Faut-il brûler l’Ancien Testament?
Alexandra Rihs
Allez savoir
Janvier 1998

Un Dieu cruel, guerrier, macho, jaloux, totalitaire, incompréhensible: tel qu’il apparaît dans certains textes de l’Ancien Testament, ce Dieu-là ne peut que choquer le néophyte, croyant ou incroyant. Alors que les discours intégristes reprennent une vigueur alarmante, pourquoi ne pas se débarrasser de ce modèle archaïque pour ne garder que le Dieu tout amour et pardon du Nouveau Testament? Pas si vite: les discours de l’ancêtre n’ont pas fini de nous étonner.

Les difficultés d’approche de l’Ancien Testament

Même les plus réfractaires à l’enseignement religieux en ont retenu quelques scènes. Et pour cause: dès la Genèse, non content d’avoir expulsé Adam et Eve du jardin, le Dieu de l’Ancien Testament joue les Terminator avec sa création: il noie l’humanité sous le déluge, demande à Abraham de sacrifier son fils, veut tuer Moïse après l’avoir appelé à son service, élimine les premiers-nés des Egyptiens la nuit précédant l’Exode, supprime les Israélites s’adonnant au culte du veau d’or… et semble même faire l’apologie de la purification ethnique. Depuis les balbutiements de l’histoire du christianisme, la révolte gronde contre cette figure ténébreuse qui sert encore de légitimation aux pires exactions.

C’est sur ce Dieu-là que Thomas Römer, professeur d’Ancien Testament à la Faculté de théologie de l’Université de Lausanne, mène une enquête historique. Parce que l’air du temps est au retour du sacré mais aussi des discours intégristes, parce qu’une confrontation lucide aux textes litigieux vaut mieux que leur rejet sommaire, leur interprétation psychologisante ou leur utilisation «à la sauvette», parce qu’il se soucie d’une vulgarisation intelligente de l’exégèse, il a rassemblé dans un ouvrage : «Dieu obscur; Le sexe, la cruauté et la violence dans l’Ancien Testament» (1996, Ed. Labor et Fides), les éléments d’un cours public intitulé «Quelques questions sur le Dieu de l’Ancien Testament». Celles que tout un chacun est en droit de se poser. Par exemple: Dieu est-il mâle?

Patriarche barbu et machiste, père, roi, époux ou amant de son peuple, les surabondantes évocations masculines de Dieu ne pouvaient échapper aux critiques des théologiennes issues du mouvement féministe, certaines y voyant une mauvaise interprétation de l’Ancien Testament, d’autres une légitimation du pouvoir patriarcal par l’ensemble de la Bible. Sans vouloir intervenir dans ce débat, Thomas Römer s’est interrogé sur l’existence de déesses dans l’ancien Israël et sur l’interdiction possible d’évocations de la féminité dans le discours théologique. Il s’est trouvé confronté à plusieurs conceptions du «sexe» de Dieu : «Si les images humaines s’avèrent forcément insuffisantes pour exprimer l’indicible, il est vrai que le 1er chapitre de la Genèse, où il est dit que Dieu créa l’homme à son image, a souvent été pris au premier degré. Dans les textes des voisins égyptiens d’Israël, on s’aperçoit que lorsque Pharaon, le roi, est désigné comme l’image de Dieu sur terre, ce n’est pas dans l’idée d’une ressemblance physique mais parce qu’il joue un rôle de médiateur entre le peuple et le divin. L’Ancien Testament est le théâtre d’un phénomène de démocratisation de l’idéologie royale: l’humanité tout entière devient ce lien médiateur, ce qui est une manière de la prévenir de sa responsabilité envers la création.

Consciemment ou non, et bien qu’il soit écrit «mâle et femelle il les créa», les textes évoquant Dieu le présentent presque toujours au masculin. Il existe pourtant une imagerie féminine et maternelle associée à Dieu, par exemple lorsqu’il répond à la peur qu’il aurait oublié son peuple : «Une femme oublie-t-elle son nourrisson? De montrer sa tendresse au fils de son ventre? Même si celles-là oubliaient, moi je ne t’oublierai pas» (Es. 49,15). S’il me semble important de valoriser cette imagerie jusqu’ici laissée dans l’ombre, l’exégèse féministe qui suppose tel ou tel livre écrit par une femme ne me convainc pas pour autant, car la réhabilitation des textes passe par une totale lucidité historique quant à leur production.»

Respecter le sens des textes, pour Thomas Römer, c’est aussi éviter la tentation de «spiritualiser» les passages difficiles ou dérangeants, notamment face à cette autre question :

Dieu est-il cruel?

La célèbre mise à l’épreuve d’Abraham (Genèse 22, 1-19), lequel accepte sans broncher que Dieu lui ordonne de sacrifier Isaac, son fils longtemps espéré, avant de changer d’avis in extremis, n’a pas fini de faire scandale ni d’agiter l’esprit des exégètes. Récemment, une psychanalyste française, Marie Balmary, s’appuyait sur la traduction littérale de l’ordre de Dieu : «Fais-le monter en montée», pour interpréter la scène comme une projection inconsciente d’Abraham, qui aurait mal compris cette demande et se serait vu guéri de sa mauvaise compréhension du divin. Et pourquoi pas? «Une lecture allégorique ou psychologique est une façon d’échapper à ce qui nous fait peur dans de tels écrits. L’idée que Dieu ne peut pas exiger un sacrifice sanglant, mais veut simplement qu’Isaac monte sur une montagne est séduisante, car elle adoucit l’ordre insupportable, mais ne respecte ni le plan du récit ni la philologie. Dans toute la Bible hébraïque, «faire monter une montée» est un terme technique désignant le plus important des sacrifices, l’holocauste, lors duquel tout doit être brûlé pour monter vers Dieu.

«Maintenant, pourquoi avoir raconté ce récit? Plusieurs pistes sont possibles, qui n’enlèvent rien à son aspect dramatique. Jusqu’au VIe siècle av. J.-C., en cas de danger exceptionnel, les sacrifices d’enfants étaient pratiqués en Israël et dans les pays voisins. L’expérience d’Abraham peut donc être vue comme une façon pédagogique de montrer que ce temps est révolu, que Dieu ne veut plus de sacrifices mais l’obéissance et la foi. Une autre clé de lecture réside dans la situation d’exil d’une partie des Judéens, après la destruction de Jérusalem (587 av. J.-C.), au moment où se pose la question de l’avenir du peuple d’Israël : pour l’Antiquité, la résurrection n’est pas encore envisagée et l’unique façon de perdurer passe par la descendance. Sachant le temps qu’il fallut à Abraham pour obtenir la sienne, le fait que Dieu lui demande de la mettre en jeu peut aussi refléter les angoisses d’un peuple dominé par les Babyloniens, peut-être en perte d’identité, auquel Dieu répond que sa mise à l’épreuve vise un autre but que la destruction. Ce texte, qui a été mis en rapport avec la Shoah par plusieurs penseurs juifs contemporains, contient toutes les interrogations religieuses de l’homme face à un Dieu qu’il ne comprend pas toujours.»

Incompréhension plus flagrante encore: des croisades jusqu’au conflit bosniaque, l’histoire du christianisme est jonchée d’atrocités qui ont pu trouver une légitimation dans les écrits de l’Ancien Testament.

Dieu est-il despote et guerrier?

Il serait malhonnête de banaliser en les «spiritualisant» les nombreux textes vétéro-testamentaires où agit un Dieu guerrier et suzerain absolu, mais aussi théologiquement douteux de l’opposer au Dieu d’amour du Nouveau Testament, prévient Thomas Römer dans «Dieu obscur». Les livres du Deutéronome et de Josué, qui contiennent l’essentiel de ces conceptions guerrières et tyranniques, font partie d’une fresque historiographique dont les origines se situent dans le royaume de Juda, au VIIe siècle av. J.-C. Une époque caractérisée par l’écrasante domination idéologique et culturelle de l’empire assyrien sur les petits royaumes vassalisés du Proche-Orient ancien que sont Israël, Juda et ses voisins, desquels est exigée une soumission absolue. Repris et détournés de façon subversive, le serment d’allégeance absolue au seul Dieu d’Israël (dans le livre du Deutéronome, qui ressemble dans sa structure à un traité de vassalité assyrien), de même que la figure d’un Dieu de la conquête se sont ainsi établis en s’inspirant très largement des modèles et des textes assyriens, leur terrible écho s’amplifiant du langage suggestif d’une époque où, selon Thomas Römer, déclarer faire passer l’ennemi «par le fil de l’épée» n’avait rien d’offusquant. «Ce sont des écrits de résistance, élaborés dans un climat d’insécurité, alors que l’identité du peuple d’Israël menaçait de se fondre dans l’empire assyrien, puis babylonien. On sait qu’un peuple menacé dans son identité recourt souvent à des discours beaucoup plus durs pour s’affirmer que s’il est en position dominante; le danger est grand d’utiliser ensuite ce modèle guerrier pour justifier les pires massacres, ce qui est malheureusement le cas tout au long de l’histoire chrétienne… N’oublions pas, toutefois, que c’est sur l’image d’un Dieu antimilitariste et universel que s’ouvre l’épopée du peuple hébreu dans le livre de la Genèse, et que la Bible hébraïque se clôt sur ce même Dieu universel, promettant un avenir de paix, dans les livres des Chroniques.»

Fille de Descartes, notre civilisation n’entend plus se satisfaire du «mystère de la foi», mais cherche à comprendre la logique du comportement divin.

Dieu est-il compréhensible?

A entendre les questions familières du genre : «Qu’ai-je fait au bon Dieu pour mériter ça?» ou «Si Dieu existe, pourquoi les guerres, les famines, les catastrophes?», à en juger par certaines conceptions du Sida comme une conséquence fatale de la «débauche», les notions de sanction divine et de châtiment mérité censées expliquer l’irruption du mal perdurent chez nos contemporains. Les textes sacrés savent pourtant opposer une ironie rafraîchissante à la logique de la sanction et de la rétribution : «Certains d’entre eux insistent sur le côté imprévisible de Dieu. Ainsi, dans le livre de Jonas, ce dernier est contraint par Dieu d’annoncer la destruction de la ville assyrienne de Ninive, symbole même de toutes les oppressions subies par Israël; pourtant, Dieu ne détruit pas la ville, cassant ainsi la logique des collections d’oracles des livres prophétiques, construits sur l’idée fondamentale que le salut d’Israël passe par le jugement des nations. Jonas se fâche et Dieu va lui faire comprendre qu’il est libre et peut changer d’avis quand il lui plaît. En fait, le livre de Jonas se comprend très bien comme une réponse ironique à certaines tendances «intégristes» de l’époque perse, où la volonté de se séparer totalement des nations signifiait : Dieu s’occupe de nous, les autres sont de toute façon des païens qui n’ont pas droit au salut. Il y a là une mise en garde tout à fait d’actualité contre les théories nombrilistes et la tentation de créer des systèmes trop parfaits, avec une Vérité et des exclus.»

Finalement plus proche qu’il n’y paraît du Dieu du Nouveau Testament, le Dieu obscur mis en lumière par Thomas Römer occupe dans les textes un rôle ingrat mais essentiel : prévenir des risques liés à une conception trop humaine du divin, montrer les limites des discours théologiques. Il n’a pas fini de nous interroger. Mais à enquêter ainsi sur Dieu, à confronter les faits historiques et l’interprétation de l’histoire, les récentes découvertes archéologiques et les mythes originels, Thomas Römer ne craint-il pas que la foi et le sens même de Dieu ne se perdent en route? «La vraie question n’est pas de savoir comment les choses se sont réellement passées, mais sur quoi repose l’identité de quelqu’un qui se dit croyant. Imaginons que l’Exode n’ait pas rassemblé 600’000 Hébreux qui ont quitté l’Egypte et franchi la mer Rouge sous la conduite de Moïse, mais qu’une dizaine de personnes ont peut-être simplement traversé un marais : cela enlève-t-il toute signification à ce récit? Non, car les réalités historiques ne changeront rien au fond du message, à ce formidable appel à l’espoir qui laisse entrevoir, contre toute attente, que le renouveau, et non pas la mort, aura le dernier mot. A contrario, le pire danger pour la foi réside dans l’aveuglement qui consiste à se persuader qu’il faut croire, «puisque c’est écrit». S’interdire de faire appel à l’intelligence et au bon sens mène au fanatisme et à l’intégrisme, les risques majeurs auxquels s’exposent les religions monothéistes en prétendant à l’universalité.»

Voir aussi:

Lectures « modernes » par le christianisme
L’exégèse historico-critique et la question de la vérité historique
Thomas RŒMER

2 février 2008

L’Ancien Testament, c’est, entre autres, le récit d’une longue histoire, depuis la Création. Mais faut-il vraiment accepter ce récit comme histoire ? Si, jusqu’au 15e siècle, on y a vu des faits rééls, les premiers doutes survinrent avec les découvertes de Copernic et Galilée, qui montraient une image du monde toute différente. Et à partir du 19e siècle, avec la naissance de l’exégèse historico-critique, puis les développements de l’archéologie, les interrogations se sont multipliées. Aujourd’hui la compréhension du récit biblique n’est plus ce qu’elle fut longtemps. Quelques exemples le montrent.

L’histoire des Patriarches.

Selon les récits eux-mêmes, le parcours d’Abraham s’inscrit dans le Croissant fertile, dont toutes les régions, environ 500 avt notre ère, connaissaient des communautés juives. Le voyage d’Abraham traduirait donc en réalité la volonté d’unir toutes ces communautés, faisant d’Abraham leur ancêtre œcuménique. D’autre part, pendant longtemps, on a cru pouvoir parler de “ l’époque des Patriarches ” que l’on situait au deuxième millénaire avant notre ère, en gros au temps du Nouvel Empire égyptien. En réalité, le texte biblique ne donne aucune date et l’étude détaillée de la société et des coutumes des Patriarches les montre beaucoup plus proches de ce que l’on connaît aujourd’hui des sociétés du Moyen-Orient au premier millénaire. Abraham et Jacob ont-ils donc existé ? Peut -être, mais sans doute pas comme nous les décrivent les récits bibliques. Ils apparaissent plutôt comme des figures légendaires aux fonctions identitaires. Il s’agit d’une histoire généalogique tendant à montrer que la plupart des peuples de Syro-Palestine sont liés entre eux par une parenté.

L’Exode et la question de l’historicité de Moïse.

Ici, plus de perspective généalogique, mais l’histoire d’une vocation : celle de Moïse, et surtout celle du Peuple d’Israël dans son Alliance avec Dieu. Pour autant, l’Exode est-il contemporain de Ramsès II ? Rien ne le prouve. Moïse est ignoré des documents égyptiens, bien que son nom soit égyptien. En réalité, vu l’ancienneté des rapports de voisinage entre l’Egypte et la Syrie-Palestine, de multiples échanges ou conflits auraient laissé des traces dans la mémoire des populations et auraient constitué les matériaux du récit de l’Exode, sans que l’on puisse être assuré de l’historicité de ce dernier. Il y a peu, on a compris qu’avec d’un côté l’histoire des Patriarches et de l’autre celle de l’Exode et de Moïse, on a en fait deux récits des origines sans lien au départ (on fait partie d’Israël parce qu’on descend de tel ancêtre ou parce qu’on accepte l’Alliance) mais que le Pentateuque aurait combinés.

Le livre de Josué et la “ conquête ” de la Palestine.

Y eut-il conquête ? On sait maintenant qu’il est impossible que les choses se soient passées comme le décrit le Livre de Josué. Les traces archéologiques le démentent. L’opposition avec Canaan apparaît plus religieuse qu’ethnique. Canaan, ce sont ceux qui refusent d’adhérer au Dieu d’Israël. Très vraisemblablement, les origines d’Israël sont largement autochtones. Que signifie alors ce récit d’une violente guerre de conquête ? Il y a tout lieu d’y voir un récit tardif inspiré des modèles de la propagande assyrienne, que connaissaient les Hébreux. Israël, aux prises avec l’Assyrie, voulait montrer que le Dieu d’Israël est aussi fort que le dieu de l’Assyrie. D’où l’idée, après coup (nous sommes au 6e siècle), de raconter une conquête. Le Livre de Josué semble bien une contre-histoire contre les Assyriens.

La question de la Royauté.

Saül, David et Salomon sont-ils des rois historiques ? La question est de nos jours en plein débat. Ces trois rois sont des rois-type : le guerrier, le fondateur, le bâtisseur. Pendant longtemps on n’en avait d’autre preuve que le récit biblique. Depuis quelques décennies, une trouvaille archéologique a montré que les peuples de la région connaissaient une “ maison de David ”. Pour autant, on peut penser que la réalité historique fut différente de ce que la Bible nous raconte. Selon Finkelstein et Silberman, il s’agirait vraisemblablement de roitelets locaux. Les récits, écrits après coup et faisant ressortir la splendeur du Royaume d’Israël, auraient eu pour but de mettre les rois d’Israël sur le même pied que les autres souverains orientaux.

Finalement, de tout cela, il ressort que le récit biblique est une sorte de “ réécriture ” de l’histoire. C’est un récit identitaire, qui fait remonter aux temps mythiques des origines les rites qui seront les caractéristiques propres du Judaïsme : le shabbat, les interdits alimentaires, la circoncision, la Pâque. Tout est donné dès les origines, dans le Pentateuque. En ce sens, les récits bibliques constituent une interprétation théologique de l’histoire. Pour les auteurs bibliques, il est clair que Dieu intervient dans l’histoire. Il est aux origines, il a donné la Loi, il a puni le peuple de ses désobéissances ; c’est le retour aux prescriptions divines qui assurera le salut d’Israël.

19 Responses to Histoire: Faut-il brûler l’Ancien Testament? (Shall we burn the Old Testament?)

  1. […] Si la Bible parait plus violente que les mythes, c’est parce qu’elle rend explicite la violence que les mythes dissimulent. René Girard […]

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  2. […] Ceux qui considèrent l’hébraïsme et le christianisme comme des religions du bouc émissaire parce qu’elles le rendent visible font comme s’ils punissaient l’ambassadeur en raison du message qu’il apporte. René Girard […]

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  3. jean-pierre castel dit :

    Puis-je savoir quel est l’auteur et les qualifications de cette remarquable présentation (celle qui commence par « Un Dieu cruel, guerrier, macho, jaloux, »)?

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  4. jcdurbant dit :

    Oui, elle est effectivement bonne, tout ce que je sais, c’est que c’est Alexandra Rhis, une journaliste suisse, éventuellement contactable sur sa page Facebook

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  5. […] Une femme oublie-t-elle son nourrisson? De montrer sa tendresse au fils de son ventre? Même si celles-là oubliaient, moi je ne t’oublierai pas. Esaïe 49: 15 […]

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  6. […] Une femme oublie-t-elle son nourrisson? De montrer sa tendresse au fils de son ventre? Même si celles-là oubliaient, moi je ne t’oublierai pas. Esaïe 49: 15 […]

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  7. […] Une femme oublie-t-elle son nourrisson? De montrer sa tendresse au fils de son ventre? Même si celles-là oubliaient, moi je ne t’oublierai pas. Esaïe 49: 15 […]

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  8. […] Une femme oublie-t-elle son nourrisson? De montrer sa tendresse au fils de son ventre? Même si celles-là oubliaient, moi je ne t’oublierai pas. Esaïe 49: 15 […]

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  9. […] Si la Bible parait plus violente que les mythes, c’est parce qu’elle rend explicite la violence que les mythes dissimulent. René Girard […]

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  10. […] Ceux qui considèrent l’hébraïsme et le christianisme comme des religions du bouc émissaire parce qu’elles le rendent visible font comme s’ils punissaient l’ambassadeur en raison du message qu’il apporte. René Girard […]

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  11. […] Dieu est mort! (…) Et c’est nous qui l’avons tué ! (…) Quelles solennités expiatoires, quels jeux sacrés nous faudra-t-il inventer? Nietzsche […]

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  12. […] Peut-on imaginer personnage littéraire plus désagréable que le Dieu de l’Ancien Testament? Jaloux et en étant fier; obsédé de l’autorité, mesquin, injuste et impitoyable; vengeur et sanguinaire tenant de l’épuration ethnique; tyrannique, misogyne, homophobe, raciste, infanticide, génocidaire, fillicide, pestilentiel, mégalomane, sadomasochiste et capricieusement diabolique. Richard Dawkins […]

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  13. […] Peut-on imaginer personnage littéraire plus désagréable que le Dieu de l’Ancien Testament? Jaloux et en étant fier; obsédé de l’autorité, mesquin, injuste et impitoyable; vengeur et sanguinaire tenant de l’épuration ethnique; tyrannique, misogyne, homophobe, raciste, infanticide, génocidaire, fillicide, pestilentiel, mégalomane, sadomasochiste et capricieusement diabolique. Richard Dawkins […]

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  14. […] Ceux qui considèrent l’hébraïsme et le christianisme comme des religions du bouc émissaire parce qu’elles le rendent visible font comme s’ils punissaient l’ambassadeur en raison du message qu’il apporte. René Girard  […]

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  15. […] que, contrairement à la vulgate médiatique à laquelle n’échappe apparemment pas notre éminent bibliste, le président américain n’a jamais "appartenu à la mouvance chrétienne […]

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  16. […] Ceux qui considèrent l’hébraïsme et le christianisme comme des religions du bouc émissaire parce qu’elles le rendent visible font comme s’ils punissaient l’ambassadeur en raison du message qu’il apporte. René Girard […]

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