Cinéma: Tu n’as rien vu à Katyn (You saw nothing in Katyn)

Epurer la terre russe de tous les insectes nuisibles, des puces (les filous), des punaises (les riches), etc. Lénine (1917)
Si la révolution tarde en Allemagne, nous devrons nous mettre à l’école du capitalisme d’État des Allemands, l’imiter de toutes nos forces, ne pas craindre les procédés dictatoriaux pour accélérer cette assimilation de la civilisation occidentale par la Russie barbare, ne pas reculer devant les moyens barbares pour combattre la barbarie. Lénine (1918)
Le communisme, c’est le nazisme, le mensonge en plus. Jean-François Revel
Ce qui distingue le communisme du nazisme, ce n’est pas le système du pouvoir, il est identique dans les deux cas. C’est que le premier est une utopie et non le second; lorsqu’Hitler supprime la démocratie et crée des camps d’extermination, il réalise ses idées et tient ses promesses. Lorsque c’est Lénine qui le fait, il réalise le contraire de ses idées et trahit ses promesses. Mais il le nie au nom de l’avenir qu’il prétend radieux. L’utopie rend légitime la déconnexion entre les intentions et les actes. Jean-François Revel
Le refus vigilant de toute équivalence, de toute comparaison, même, entre nazisme et communisme, malgré la parenté de leurs structures étatiques et de leurs comportements répressifs, provient de ce que l’exécration quotidienne du nazisme sert de rempart protecteur contre l’examen attentif du communisme.(…) Perpétrées en quelques jours selon un plan préétabli, ces tueries en masse de Polonais vaincus, exterminés pour la seule raison qu’ils étaient polonais, constituent d’indiscutables crimes contre l’humanité, et non pas seulement des crimes de guerre, puisque la guerre était terminée en ce qui concerne la Pologne. D’après les conventions de Genève, l’exécution de prisonniers d’une armée régulière, qui ont combattu en uniforme, est un crime contre l’humanité, surtout une fois le conflit terminé. L’ordre de Moscou était de supprimer toutes les élites polonaises: étudiants, juges, propriétaires terriens, fonctionnaires, ingénieurs, professeurs, avocats et, bien sûr, officiers. Jean-François Revel
Du nazisme, les Français ont conservé, et à juste titre, la mémoire tragique de la défaite de 40 et de l´occupation (fusillades, pillages, déportations etc.). Par contre, depuis 1936, et surtout depuis 1944-1945, les Français ont assez largement conservé une mémoire glorieuse qui repose sur la participation du PCF au front populaire, sur la participation des communistes à la Résistance et à la Libération du pays, et aussi au rôle de l´URSS dans l´écrasement du nazisme. Cette opposition entre mémoire tragique de l´un et mémoire glorieuse de l´autre explique cette “différence de méfiance”. Mais, si vous allez par exemple en Europe de l´est, vous verrez qu´il n´y a aucune mémoire glorieuse du communisme, mais au contraire une mémoire tragique en raison des conditions dans lesquelles ont été “libérés” ces pays – certains dès 1939-1940, comme l´Ukraine occidentale, les Etats baltes – par l´Armée rouge : c´est-à-dire une totale soviétisation forcée avec à la clef la terreur de masse, les fusillades et déportations de masses, la destruction des cultures nationales etc. Stéphane Courtois
Quelle satisfaction aurait-on de voir que la carrière semi-clandestine d’un film sur le massacre soviétique perpétré à Katyn ne serait que le fruit d’une manœuvre réussie de diversion, de sorte que le grand public ne prenne pas connaissance d’un des plus atroces crimes du communisme. Pour peu que l’on ne veuille pas le corriger à l’aide d’excursions pédagogiques de spectateurs révoltés, il faut se rendre à l’évidence que les distributeurs timorés prévoyaient consciemment pire que la censure : les pires aspects du communisme, même confiés à un grand metteur en scène, n’émeuvent guère le grand public, ne suscitent aucune indignation sincère, n’enflamment pas la passion ou l’imagination d’un large publi (…) C’est une conclusion amère et triste, mais réelle. (…) 20 ans après la chute du Mur de Berlin, le communisme et ses massacres n’intéressent pratiquement personne, à l’exception de ceux pour qui l’anticommunisme est devenu une obsession. (…) Concernant le communisme – aucune indignation. Dans le monde de la culture, dans le débat public, aux caisses des cinémas, l’anticommunisme a subi une défaite mélancolique. Pierluigi Battista (Pourquoi « Katyn » n’intéresse personne ?, Corriere della Sera)
Katyn est fortement enraciné dans la mémoire des Polonais (…). Le régime communiste polonais n’a jamais été disposé à dire la vérité sur Katyn, aucun livre, aucun débat n’était permis sur la question. Son souvenir a constitué un grave obstacle dans les relations entre la Pologne et la Russie. (…) En même temps, l’attitude des alliés a entaché également les relations entre la Pologne et l’Occident. Leur silence à propos de ce massacre a été perçu comme une trahison. C’est bien pour ça que après 1945, même si on connaissait les responsables, une partie de l’élite polonaise a choisi le communisme. Andrzej Wajda
Septembre 1939, un pont métallique en Pologne. Soldats et civils, autos, charrettes et vélos tentent de traverser. Dans les deux sens. Les uns fuient les Allemands, les autres, les Russes. Le 17 septembre, les Polonais, repliés dans l’est du pays, contiennent l’attaque lancée le 1er du mois par la Wehrmacht, mais ils sont pris à revers par l’Armée rouge. La traîtrise est une des clauses secrètes du pacte germano-soviétique. Sur le pont, c’est la bousculade, impossible d’avancer. La première image de « Katyn », le nouveau film d’Andrzej Wajda, résume la tragédie de la Pologne, prise en étau. Le martyre ne fait que commencer. Emmanuel Hecht
Ces qualités rendent d’autant plus étrange le refus des grands circuits de distribution de montrer le film au public français. Sans doute Gaumont, UGC et MK2 ont-ils craint de s’attirer des ennuis avec un film décapant qui rappelle la collusion entre nazis et communistes dans les premiers mois de la Seconde Guerre mondiale (c’est pour dénoncer cette collusion que la police française avait arrêté en 1940 des militants communistes comme le jeune Guy Môquet). André Larané
Katyn est le premier film qui porte sur le massacre et l’agression soviétique contre la Pologne, commise en accord avec Hitler. Ce fut un sujet tabou pour la gauche française. Pendant de longues années, elle garda le silence autour de l’invasion de la Pologne par l’Armée rouge, des crimes des Soviétiques, de même que sur Katyn. Jusqu’à aujourd’hui, ce tragique événement historique est un cadavre dans le placard de la gauche française, si longtemps indulgente à l’égard du « Grand Linguiste » (Staline). Adam Michnik

Circulez: il n’y a rien à voir!

« Amidonnée par un académisme qui nuit à l’émotion », « longueurs et reconstitution empesée très académique », « lourdingue », « académisme empesé et d’une religiosité (un peu nationaliste) dont il ne se débarrassera jamais », « ne convainc pas », « esthétique surannée, vieillotte, académique », « échec », « pas assez dialecticien pour traiter ontologiquement cette question » …

Alors que la vieille Europe se réjouit des prétendus derniers soubresauts du capitalisme pendant qu’une Russie hypernationaliste se repenche avec nostalgie sur la soi-disant gloire passée du soviétisme et commence à refermer les archives …

Comment s’étonner, outre une on ne peut plus discrète sortie (deux ans après, douzaine de salles en France, 4 à Paris), de la plutôt tiède réception française dont, sauf exceptions, témoignent ces critiques de la dernière œuvre du réalisateur polonais Andrzej Wajda (83 ans)?

L’auteur de « Danton » (dont, 28 ans après, le DVD est lui aussi quasiment introuvable) dérangerait-il encore avec son récit si personnel en forme de testament (son propre père fit partie des quelque 22 000 officiers et autres membres de l’élite polonaise dont la sauvage liquidation par les Soviétiques à ou près de Katyn en avril 1940 fut faussement attribuée aux nazis) sur cet odieux mensonge érigé, pendant un demi-siècle et avec la complicité tacite de l’Ouest (BNF comprise?), en vérité historique?

Le renvoi dos à dos la barbarie nazie comme soviétique (parfaitement illustré tant par la première scène où se croisent deux vagues de civils fuyant l’une la Wehrmacht l’autre l’Armée rouge que la rafle nazie de l’Université de Cracovie) dérangerait-elle encore dans un pays pour lequel le communisme est encore, selon les mots de Marchais, un « bilan globalement positif » et où Guy Môquet est censé être un résistant?

Comme, au-delà d’un rapport certes ambigu de nombre de Polonais face au génocide juif (quid, dans le film, des 500 à 600 juifs de Katyn?), l’étrange ressemblance entre ces exécutions de masse au bord de tranchées, cette destruction programmée de toute une élite (officiers, universitaires, ingénieurs, intelligentsia) ainsi que les rafles, la traque et la déportation en camps de leurs familles avec ladite Shoah?

Sans compter, last but not least, l’organe de presse du parti qui pendant toutes ces années n’a rien vu à Kiev, Budapest, Prague ou Varsovie (ou Pékin, Hanoï, Pnom Penh, La Havane ou Pyongyang) et se permet maintenant de reprocher à l’un des fils des victimes de la police politique soviétique… de « n’avoir rien vu à Katyn » ?

Tu n’as rien vu à Katyn
Histoire . Le plus célèbre des cinéastes polonais revient sur le massacre où a péri son père.
J.R.
L’Humanité
le 1er avril 2009

Katyn,
d’Andrzej Wajda.
Pologne. 2 h 1.

En 1940 à Katyn, probablement quinze mille officiers de l’armée polonaise sont purement et simplement liquidés et balancés dans des fosses. Les coupables désignés de cette extermination sont les Allemands. Moi-même, participant il y a quelque trente ans de cela à une délégation très officielle en Union soviétique, ai été invité à me recueillir à Katyn sur ce symbole de la barbarie nazie. Mais (la délégation comportait de vieux crabes, dont un des officiers supérieurs de l’escadron Normandie-Niemen) des phrases circulaient sous le manteau. L’Armée rouge aurait, sur ordre de Staline, été responsable du massacre. Le dire aujourd’hui, en – Pologne de surcroît, ne relève plus du scoop mais on comprend que – Andrzej Wajda, qui perdit son père à Katyn à l’âge de quatorze ans, ait pu avoir envie, dans le cadre d’une superproduction apte à toucher des millions de spectateurs de surcroît, de revenir sur cette période de douleurs qu’il avait déjà abordée dans Génération, Kanal et Cendres et Diamant. C’est donc à travers une nouvelle fiction qu’il retrouve le chemin de sa mémoire, de sa propre résistance anticommuniste et de sa mère, Anna dans le film. Il y a là assez pour émouvoir.

Néanmoins, le résultat ne convainc pas. La première raison est que l’esthétique est surannée, vieillotte, académique en un mot. Piège incontournable où d’autres avant Wajda ont laissé des dents. Impossible de faire de l’avant-garde sur un tel sujet, et voici comment la forme se fige dans une intemporalité qui fait qu’il est impossible de savoir si l’oeuvre date d’aujourd’hui ou d’il y a bien longtemps (pourtant Wajda, dans les films précités, avait ouvert une voie possible…). L’autre cause de l’échec est plus subtile. Wajda intègre des documents d’archives soviétiques pour nous montrer que l’image peut mentir. Belle idée de cinéaste. Mais si l’image peut mentir, pourquoi alors ne pas douter de la version des faits rapportés par Wajda ? En bref, si je crois tout ou partie (la place manque pour soulever la question de sa représentation de l’antisémitisme en – Pologne) de ce qu’il affirme, c’est à partir d’un savoir extérieur, pas d’un point de vue intrinsèque. Comme – aurait dit Godard, est-ce une image juste ou juste une image ? Convaincu que l’affirmation d’une vérité suffit, Wajda n’est pas assez dialecticien pour traiter ontologiquement cette question. D’où, ce qui renvoie à notre réserve précédente, un film qui illustre son propos au lieu de secréter son – discours.

Voir aussi:

Katyn
Un film qui dérange

André Larané
Hérodote

Avril 2009 : Katyn sort en France dans la plus grande discrétion et ne tourne que dans une douzaine de salles ! L’ayant vu et apprécié, nous nous en étonnons…

Rappelons les faits : le 13 avril 1943, la radio allemande annonce la découverte d’un charnier dans la forêt de Katyn, près de Smolensk. Il s’agit des restes de plusieurs milliers d’officiers polonais, prisonniers de guerre délibérément exécutés par les Soviétiques lorsque ceux-ci, conformément au pacte germano-soviétique, s’étaient emparés en 1939-1940 de la partie orientale du pays. Pendant plusieurs décennies, les communistes persisteront à rejeter le crime sur les nazis.

En 2007, le grand cinéaste polonais Andrzej Wajda (82 ans) a tiré un film témoignage de ce drame dont son propre père a été l’une des victimes. Disons-le d’emblée, Katyn est un film d’une excellente facture : la mise en scène est talentueuse ; les acteurs, les décors et les scènes de vie tout à fait dans le ton des années 1940. La tension monte très vite et quand défile le générique de fin dans un silence mortuaire, c’est avec peine que les spectateurs s’arrachent à leur siège.

Ces qualités rendent d’autant plus étrange le refus des grands circuits de distribution de montrer le film au public français. Sans doute Gaumont, UGC et MK2 ont-ils craint de s’attirer des ennuis avec un film décapant qui rappelle la collusion entre nazis et communistes dans les premiers mois de la Seconde Guerre mondiale (c’est pour dénoncer cette collusion que la police française avait arrêté en 1940 des militants communistes comme le jeune Guy Môquet).

Le déni du crime

Andrzej Wajda est l’un des plus grands cinéastes actuels (Palme d’or au Festival de Cannes 1981 pour L’Homme de fer, film sur la révolution de Solidarnosc). Il déroule dans son dernier film les circonstances qui ont conduit au massacre de Katyn. En croisant les destins de plusieurs officiers et de leurs familles, il révèle surtout le traumatisme qui a suivi, dans la Pologne communiste de l’après-guerre, quand il a fallu taire la vérité pour complaire au vainqueur, l’URSS.

Tout commence le 17 septembre 1939 quand les Polonais qui fuient vers l’est l’avance des chars allemands se heurtent à leurs compatriotes qui fuient, eux, l’invasion soviétique ! On apprend alors que l’Armée rouge libère les soldats polonais capturés au fil des combats mais retient les officiers. Or, à la différence de l’Allemagne, l’URSS n’a pas signé la convention de Genève sur la protection des prisonniers de guerre…

Au printemps 1943, deux ans après la rupture du pacte germano-soviétique, la propagande nazie ne se fait pas faute d’exploiter la découverte des charniers de Katyn. L’horrible litanie des noms des victimes, diffusée dans les journaux et par haut-parleur dans les rues, veut convaincre les Polonais que le mal absolu est le communisme que combat désormais la Wehrmacht !

Retournement de situation en 1945, à la chute du nazisme, avec l’installation à Varsovie d’un gouvernement communiste aux ordres de Moscou. Ce dernier tente sans y réussir de convaincre l’opinion que les massacres de Katyn sont postérieurs au repli soviétique de juin 1941 et donc le fait des Allemands. Pour les familles des officiers, la date du décès – avril 1940 – devient désormais un enjeu vital.

Où sont les juifs ?

Remarquable document sur un aspect de la Seconde Guerre mondiale méconnu des Français et des Occidentaux, le film de Wajda fait toutefois silence sur l’existence de nombreux juifs dans la Pologne de 1939. Elle compte en effet 3,2 millions de juifs (un dixième de la population totale) et ceux-ci sont présents en masse dans les villes et les couches intellectuelles et bourgeoises. Le judaïsme imprègne profondément les grandes villes comme Cracovie.

Beaucoup d’officiers victimes des Soviétiques devaient même être de religion israélite. Leur absence du film est la seule entorse à la vérité historique mais elle mérite d’être relevée…

Voir également:

« Katyn », film poignant et douloureux pour Wajda
Jean-Luc Douin
Le Monde
01.04.09

Le cinéaste évoque l’assassinat par les Soviétiques, en avril 1940, de milliers d’officiers polonais, dont son père
ans les pays de l’Est, Katyn est un mot tabou. C’est le nom d’une forêt, en territoire russe, près de Smolensk, où les troupes allemandes trouvèrent en 1941 un charnier. Les cadavres de milliers d’officiers polonais exécutés d’une balle dans la nuque. Qui avait commandité ce massacre ? Les Allemands accusèrent les Soviétiques. Les Soviétiques désignèrent les Allemands. La polémique dura jusqu’à ce qu’éclate la vérité : en 1990, Mikhaïl Gorbatchev reconnaît officiellement que ces prisonniers de guerre avaient été fusillés par les services spéciaux du NKVD en avril 1940. En 1992, Boris Eltsine en livrera la preuve aux autorités de Varsovie : l’ordre du crime signé par Staline.

Rappel historique : lorsque la seconde guerre mondiale éclate, l’Armée rouge est liée aux nazis par le pacte germano-soviétique signé en 1939. Hitler et Staline se sont mis d’accord pour se partager la Pologne, « ce bâtard né du traité de Versailles », comme dit Molotov, le ministre soviétique des affaires étrangères. Les Allemands attaquent, et, lorsque les Soviétiques franchissent à leur tour la frontière, Staline parle de tendre une « main fraternelle au peuple polonais », de défendre les Ukrainiens et les Biélorusses de la Pologne orientale. Son objectif caché est de détruire la Pologne, qu’il considère comme un Etat fasciste, et d’y imposer le système soviétique.

Andrzej Wajda tenait absolument à tourner un film sur ce traumatisme national pour deux raisons. La première est intime : son père faisait partie des officiers exécutés à Katyn. Cette histoire lui permet de rendre hommage au courage de sa mère et de régler quelques comptes avec sa propre histoire. Il s’est par ailleurs donné une mission messianique, celle de défendre l’identité d’un pays qui fut envahi, morcelé, déchiqueté. Katyn est un nouvel épisode de l’épopée de la survie d’un peuple qui n’a cessé d’être une proie pour ses voisins. Et de la détermination de Wajda à dénoncer la falsification de l’histoire par les communistes.

Morceau de bravoure de ce film, le spectacle terrifiant de l’assassinat systématique des officiers – dont on pousse le corps dans une fosse après avoir tiré à bout portant à l’arrière de leur crâne – est précédé par l’évocation des épisodes de cette tragédie (attaque armée des Soviétiques, découverte des restes, etc.), et la manière dont un certain nombre de Polonais vivent l’événement, essentiellement des femmes. Un capitaine de cavalerie est longtemps attendu par sa femme, sa fille et sa mère, qui ont gardé espoir à cause d’une confusion sur la liste des morts. L’épouse d’un général, la soeur d’un pilote vivent douloureusement le silence et les mensonges qui entourent la disparition de leurs proches.

A 83 ans, Wajda arbore une belle vigueur créatrice. Katyn est l’un des films les plus poignants qu’il ait réalisés depuis longtemps. Il faut savoir toutefois que, évoquant des sujets sensibles, Katyn encourt deux types de critiques.

La première concerne le renvoi dos à dos des nazis et des Soviétiques comme prédateurs du territoire national. Réalisé, comme L’Homme de marbre, dans un contexte politique consensuel, le film est conçu comme une bombe antisoviétique. On y voit le Politburo envoyer une universitaire de Cracovie en camp de travail ; on y entend les troupes polonaises clairement assimilées à des partisans de la Pologne libre, et comportant autant de scientifiques, professeurs, ingénieurs, juristes et artistes que de militaires de carrière.

ETRANGE CONFUSION

Comme l’explique Victor Zaslavsky dans un ouvrage sur Le Massacre de Katyn (Tempus, 202 p., 7,50 ?), les Soviétiques ont effectivement programmé la mort des officiers polonais, qui incarnaient les « ennemis objectifs », une intelligentsia bourgeoise, un vivier potentiel de résistance, ainsi que la déportation en camps de leurs familles. Ces exécutions de masse sont conçues comme un « nettoyage de classe ».

La seconde est l’étrange confusion entre Katyn et le génocide des juifs. Rien, aucune allusion, dans le film, sur la Shoah, mais une description des rafles, de la traque des familles d’officiers polonais, comme s’il s’agissait de la déportation des juifs en camps. Détail troublant : ces proies d’un massacre programmé sont viscéralement attachées à leur ours en peluche. Or le Musée Yad Vashem de Jérusalem a fait de l’ours un symbole de l’extermination des enfants juifs, du martyre d’un peuple.

Dans Katyn, sommée par les services allemands de dénoncer la responsabilité soviétique dans le massacre, la femme d’un général polonais est menacée d’être envoyée à Auschwitz… Tout, sans cesse, nous ramène aux juifs, sauf que le mot n’est jamais prononcé. Le juif n’existe pas. La victime de la seconde guerre mondiale, c’est le Polonais.

Pourquoi ce non-dit, cette confusion ? Andrzej Wajda aura traîné cette question toute sa carrière, puisque son premier film, Génération (1955) – évocation de la résistance contre les nazis -, occultait déjà cet enjeu capital de la guerre. Il est vrai que l’ambiguïté de la représentation des juifs dans le cinéma polonais dépasse sa personne.

Voir de plus:

ENTRETIEN

Andrzej Wajda parle de son film « Katyn » : « Je voulais évoquer le crime et le mensonge »

Le Monde
01.04.09

L’histoire de milliers d’officiers polonais exécutés par les Soviétiques en 1940
Andrzej Wajda est un des plus grands cinéastes polonais de l’après-guerre. Depuis Génération (1955), il s’est donné une mission de porte-parole de sa nation, déterminé à adapter les oeuvres des grands romanciers nationaux (Jaroslaw Iwaskiewicz dans Le Bois de bouleaux, Wladyslaw Reymont dans La Terre de la grande promesse). Ou à retracer les heures glorieuses de l’histoire nationale, sa résistance aux tentatives de rayer le pays de la carte, son sursaut contre le stalinisme ( L’Homme de fer, 1981).

Le succès de Katyn en Pologne symbolise-t-il des funérailles nationales pour les victimes de cette tragédie ?

Katyn est un événement de notre histoire qui n’a jamais eu de véritable reflet. Le besoin était fort. L’ancienne génération, qui ne va pas au cinéma, s’est déplacée. Les écoles ont organisé des sorties. En revanche, la distribution à l’étranger n’a pas du tout fonctionné. Katyn n’est pas diffusé aux Etats-Unis, en Russie, en Allemagne. Il sort tout juste en France. Ceux qui l’ont acheté ne le montrent pas. C’est dû à l’incompétence de la télévision publique polonaise. Ce sont des mammouths du « socialisme réel ».

Katyn reste un sujet brûlant entre la Pologne et la Russie…

Après les années 1980, Gorbatchev puis Eltsine avaient autorisé la transmission de documents levant tout doute sur la nature du crime de Katyn. Notamment celui où Beria propose la liquidation des officiers, puis celui exprimant l’accord du comité central. En 2004, la situation a changé. Nous ne pouvions plus obtenir le reste des documents. L’an passé, j’ai écrit au procureur général de Russie pour demander en vertu de quel article de loi mon père avait été tué. Il m’a répondu qu’il ne pouvait rien expliquer, car le dossier de mon père n’existait pas.

Comment, justement, le drame de Katyn a-t-il influé sur votre destin ?

J’ai perdu mon père à 13 ans. Je suis très vite devenu autonome et actif, notamment comme soldat de l’Armée de l’intérieur [AK, mouvement de résistance] pendant l’Occupation. Ensuite, j’ai cherché ma place dans l’art, en entrant à l’Académie des beaux-arts dans les années 1940, puis à l’école de cinéma.

Mon père a été assassiné dans les caves de Kharkov et enterré dans une fosse commune, dans les abords de la ville, où reposaient aussi des victimes du stalinisme des années 1930. Ma mère a attendu son retour jusqu’à sa mort.

Certains considèrent que la fin du film [ l’exécution par balles des officiers, jetés dans des fosses ] est de la spéculation émotionnelle. En vérité, j’avais envisagé de commencer par ça. Mais je voulais évoquer à la fois le crime et le mensonge. Or, pour cela, il faut d’abord raconter le mensonge.

Quel mensonge ?

Les Allemands ont révélé le crime de Katyn en 1943. Le gouvernement polonais en exil à Londres a demandé à la Croix-Rouge internationale de vérifier qui se trouvait dans les fosses communes. Staline a alors rompu avec le gouvernement, affirmant que ce crime avait été commis par les Allemands.

Le mensonge portait sur la date : les faits avaient-ils eu lieu au printemps 1940, ou après que les Allemands furent entrés sur le territoire, lors de la guerre contre les Russes ? La datation des arbres qui ont poussé sur les fosses, les documents officiels et les papiers que les officiers avaient sur eux ne laissent aucun doute.

Le film risquait d’être emporté par vos émotions personnelles ?

Je ne craignais pas ça. Un réalisateur ne peut faire de films s’il est plus ému qu’il ne veut émouvoir le public. Mon problème était autre : je manquais de matériaux littéraires, comme pour mes autres films, avec des personnages, des scènes.

Les scénarios qu’on me proposait ne me satisfaisaient pas. J’ai décidé d’utiliser des personnages réels dont j’ai découvert l’existence dans des récits, des documents trouvés sur les officiers. J’avais des obligations, car je réalisais le premier film sur Katyn. Je devais associer des informations historiques à des personnages.

Pour les figures féminines, j’avais l’exemple de ma mère. Pour les hommes, je devais me faire une idée de la façon dont ils ont vécu cette fin, dont ils ont été tués.

Y a-t-il des films qui vous ravissent aujourd’hui ?

Le cinéma polonais tel que je l’ai connu s’est épuisé. Le public a changé. Au lieu de trois mille salles, il n’y en a plus que quelques centaines, dans les grandes villes. Les billets sont plus chers. Le public n’a pas envie de changement, la réalité lui convient, il prend le cinéma comme un divertissement. Il n’attend pas de films sociaux ou politiques.

Les films européens qui essaient de saisir une réalité me plaisent. Par exemple L’Enfant, des frères Dardenne. Cette idée qu’un enfant pourrait devenir un produit m’a fait une énorme impression. Je pense aussi à Entre les murs, de Laurent Cantet, qui m’a fait dresser les cheveux sur la tête. Cette hostilité des élèves contre leur professeur et contre la France pose la question des idéaux de la Révolution française.

Vous préparez un film sur Lech Walesa…

Il portera sur ses débuts. J’aimerais qu’il s’achève sur ces paroles fabuleuses, prononcées lors d’un voyage officiel à Washington comme président : « Nous, le peuple. » Lui, l’ancien électricien.
Propos recueillis par Piotr Smolar

Voir également:

« Katyn » ou le film du massacre des Polonais par les Soviétiques

Adam Michnik
Le Monde
15.04.09
Nulle ambiguïté chez Wajda : il relate un drame sans lien avec la Shoah

Le Monde fait partie des plus sérieux quotidiens internationaux. Aussi ai-je été fortement surpris de lire la critique qu’il a faite de Katyn, le dernier film d’Andrzej Wajda ( Le Monde du 1er avril).

Son auteur y formule deux remarques, dont la première « concerne le renvoi dos à dos des nazis et des Soviétiques comme prédateurs du territoire national ». Aux yeux du critique français, c’est une aberration, une contre-vérité. Cependant, dans la période entre septembre 1939 et juin 1940, tels furent les faits historiques. Quelle troublante ignorance !

A l’époque, la Pologne fut morcelée par deux puissances totalitaires liées par le pacte germano-soviétique. La terreur dans les deux parties occupées du pays fut comparable ; la brutalité et la cruauté avec lesquelles les deux occupants emprisonnaient et assassinaient les Polonais était la même.

Lorsque, en avril 1943, les Allemands découvrirent, dans la forêt de Katyn, les cadavres d’officiers polonais, le plus important bulletin de la Résistance polonaise ( Bulletin d’informations) publia le commentaire suivant : « Nous sommes conscients de la barbarie de l’occupation soviétique en territoire oriental de la Pologne. (…) En même temps, nous sommes stupéfaits par l’insolence des Allemands qui font semblant d’oublier leurs effroyables crimes commis à Auschwitz, Majdanek, Palmir, Wawer et n’hésitent pas à rechercher des criminels du côté de Smolensk. » (…)

« Aujourd’hui, alors qu’éclate toute la vérité sur cet événement tragique, nous disons avec force : nous n’oublierons jamais le crime soviétique perpétré près de Smolensk – comme nous n’oublierons jamais non plus les crimes allemands de Palmir, de Wawer, des camps de concentrations, et ceux de la partie occidentale de la Pologne. » Voici comment la Résistance polonaise réagit au massacre de Katyn, qui fut un couronnement du pacte Ribbentrop-Molotov.

Après la guerre, la vérité sur ce massacre était tue, voire falsifiée. Le silence mensonger entourait le drame ; Staline et sa propagande remportaient la victoire. En Europe centrale et orientale, ce silence fut imposé par la terreur. En Europe occidentale, en revanche, le dogme idéologique interdisait de mettre côte à côte les crimes d’Hitler et ceux de Staline. La critique du Monde est donc prisonnière de ce dogme, alors que Wajda le défie. Le metteur en scène polonais brise le mur du silence.

Katyn est le premier film qui porte sur le massacre et l’agression soviétique contre la Pologne, commise en accord avec Hitler. Ce fut un sujet tabou pour la gauche française. Pendant de longues années, elle garda le silence autour de l’invasion de la Pologne par l’Armée rouge, des crimes des Soviétiques, de même que sur Katyn. Jusqu’à aujourd’hui, ce tragique événement historique est un cadavre dans le placard de la gauche française, si longtemps indulgente à l’égard du « Grand Linguiste » (Staline).

Ce ne fut pas le seul dogme de la gauche française. Un autre fut la conviction que, depuis toujours, les Polonais tétèrent l’antisémitisme avec le lait de leurs mères, et que les juifs furent les seules victimes de l’occupation allemande. Je lis dans Le Monde que le film de Wajda crée « une étrange confusion entre Katyn et le génocide des juifs », ainsi qu’il n’y a « rien, aucune allusion, dans le film, sur la Shoah ». Il y a en revanche « une description des rafles, de la traque des familles des officiers polonais, comme s’il s’agissait de la déportation des juifs en camps ».

Pire : « Ces proies d’un massacre programmé sont attachées à leur ours en peluche. Or, le Musée Yad Vashem de Jérusalem a fait de l’ours un symbole de l’extermination des enfants juifs, du martyre d’un peuple ». Et de conclure : « Tout, sans cesse, nous ramène aux juifs, sauf que le mot n’est jamais prononcé. Le juif n’existe pas. La victime de la seconde guerre, c’est le Polonais. »

Faut-il rappeler que le thème central du film de Wajda n’est pas l’Holocauste mais le massacre de Katyn ? Si, dans ce film, on ne voit pas de juifs dans les rues de Cracovie occupée par les Allemands, c’est parce qu’en 1943, ils étaient entassés dans des ghettos et déportés dans des camps de la mort.

Aucune confusion n’est faite dans ce film entre Katyn et Treblinka. Ce furent deux crimes différents ; le film n’aborde que l’un des deux. Le reproche sur le manque de référence à l’Holocauste est donc absurde. Pourrait-on formuler la même critique à l’adresse de Steven Spielberg ou de Roman Polanski qui, dans leurs films ( La liste de Schindler et Le Pianiste), ne mentionnent pas non plus le massacre de Katyn, des goulags de la Kolyma, ou de Karaganda ? Jusqu’alors peu de films ont été réalisés autour des crimes soviétiques, même si ces derniers furent aussi barbares et massifs que ceux perpétrés par Hitler – et je le déplore. Pendant des décennies, ils furent entourés d’un mur de silence.

Par ailleurs, je tiens à souligner qu’Andrzej Wajda n’est pas et n’a jamais été un négationniste déguisé de l’Holocauste. Il a réalisé trois films consacrés à cette problématique : Samson, Korczak, et La Semaine sainte. Lui faire ce reproche me paraît tout à fait infondé. Katyn décrit avec réalisme les rafles et les persécutions subies par les Polonais, « coincés » entre deux Molochs totalitaires. Tel fut le sort réservé à ce peuple et c’est pour cette raison que les Polonais ont fait partie des principales victimes de la seconde guerre mondiale. Il est grand temps de prendre note de ces vérités banales.

En conclusion, la critique du Monde constate « l’ambiguïté de la représentation des juifs dans le cinéma polonais ». Or le cinéma polonais n’est pas un monolithe, il est représenté par une multitude de personnalités, de perspectives, de styles. C’est pourquoi il est insensé de généraliser cette question, comme il est insensé de reprocher à Wajda d’avoir polonisé le symbole du martyre du peuple juif – l’ours en peluche.

Voir enfin:

Communisme-Nazisme: la comparaison interdite
Jean-François Revel
Le Figaro Magazine
12 février 2000

Le refus vigilant de toute équivalence, de toute comparaison, même, entre nazisme et communisme, malgré la parenté de leurs structures étatiques et de leurs comportements répressifs, provient de ce que l’exécration quotidienne du nazisme sert de rempart protecteur contre l’examen attentif du communisme.

Rappeler chaque jour les atrocités nazies exercice devenu sacré, désormais, sous le nom de  » devoir de mémoire  » – entretient un bruit de fond permanent qui ne laisse plus de vigilance disponible pour le rappel des atrocités communistes. Selon la formule d’Alain Besançon, l’  » hypermnésie du nazisme « , détourne l’attention de 1’«amnésie du communisme». Chacun comprend donc que toute analyse, tout travail des historiens minoritaires ramenant l’accent sur leur essentielle similarité soulèvent des ouragans annonciateurs de rages vengeresses. On objectera, certes, avec raison, qu’aucun rappel de la criminalité nazie ne saurait être excessif. Mais l’insistance de ce rappel devient suspecte dès lors qu’elle sert à en ajourner indéfiniment un autre: celui des crimes communistes.

Révélateur du succès obtenu par ce leurre est le sens qu’a pris l’expression  » devoir de mémoire  » désignant de façon quasi exclusive le devoir de rappeler sans cesse les crimes nazis et eux seuls. On ajoute éventuellement à la liste quelques autres forfaits qui peuvent leur être comparés, à condition qu’ils n’appartiennent pas au champ d’action des grandes maisons mères communistes et ne relèvent pas non plus de la conception socialiste du monde.

Ainsi, le 16 juillet 1999, le président de la République française, Jacques Chirac, se rend à Oradour-sur-Glane pour inaugurer un Centre de la mémoire, dans ce village où, le 10 juin 1944, les SS de la division Das Reich ont massacré 642 habitants, dont 246 femmes et 207 enfants, brûlés vifs dans l’église. Noble et pieuse évocation du chef de l’Etat. Dans le discours qu’il prononce sur place, le Président flétrit, par-delà l’holocauste (au sens littéral) d’Oradour,  » tous  » les massacres et génocides de l’histoire,  » et d’abord bien sûr, dit-il, celui de la Shoah « . Puis il évoque également la Saint-Barthélemy,  » les villages de Vendée sous la Terreur  » (ce qui est courageux, vu le tabou d’origine jacobine qui a longtemps refusé la  » mémoire  » à ce génocide cependant fort mémorable). Puis furent énumérés Guernica, Sabra et Chatila (une pierre dans le jardin d’Israël), les meurtres de masse intertribaux du Rwanda en 1994 ; les milliers de Bosniaques assassinés dans et par tous les camps au nom de la  » purification ethnique  » entre 1992 et 1995, enfin les carnages plus récents du Kosovo. Dans toutes ces exterminations, comme à Oradour,  » les bourreaux n’ont pas fait de distinction entre les hommes, les femmes et les enfants « , a souligné Jacques Chirac avec force et indignation.

On le remarquera ou, plus exactement, personne ne l’a remarqué, dans cette fresque de  » tous  » les crimes, de  » tous  » les temps et de  » tous  » les lieux ne figure aucun massacre communiste. Katyn n’a jamais eu lieu. Lénine, Staline, Mao, Pol Pot, Mengistu, Kim Il-sung ont quitté sur la pointe des pieds, sous la houlette d’un chef d’Etat gaulliste, le théâtre de la mémoire des génocides et l’histoire des répressions exterminatrices au XX ème siècle.

Du passé de gauche, faisons table rase ! Bien plus: les despotismes communistes toujours actifs et inventifs, aujourd’hui même, dans l’art de peupler les cimetières progressistes et les camps de rééducation par le travail sont passés sous silence. La Chine, où se pratiquent par milliers chaque jour impunément des tortures qui ne sont pas au passé, de ces tortures qui valent par ailleurs une juste inculpation à Pinochet, lequel n’est plus au pouvoir ; le Vietnam, la Corée du Nord et, cela va de soi, Fidel Castro, dont on connaît l’angélique douceur, si grande qu’il est devenu le Notre-Dame de Lourdes de tous les pèlerins démocratiques ou ecclésiastiques.

 » Mémoire « , qui veut dire en français  » faculté de se souvenir « , est employé, depuis quelques années, comme un synonyme du mot  » souvenir « . Quant au  » souvenir de  » quelque chose, depuis qu’il s’est glissé dans les habits de la  » mémoire de « , on n’a plus le droit de l’employer qu’au sens de souvenir, pardon !  » mémoire  » des crimes nazis et, en particulier, de l’holocauste des Juifs.  » Mémoire  » et  » crimes nazis  » sont donc désormais deux termes interchangeables. Il en ressort que le  » devoir de mémoire « , lié au nazisme par une relation exclusive, est un devoir d’oubli pour tout le reste.

Au lendemain des propos présidentiels à Oradour, le quotidien régional Ouest France titre :  » Une mémoire contre la barbarie.  » Est-ce à dire qu’une seule mémoire, la mémoire d’un seul individu, se souvient encore de cette barbarie ? Ce serait fort triste.

N’hésitons pas à traduire: le souvenir sans cesse ravivé de la barbarie nazie doit enseigner aux jeunes générations le devoir d’éliminer toute barbarie dans l’avenir. En revanche, les régimes communistes, n’ayant jamais manifesté la moindre barbarie, ce qui est notoire, ne relèvent point du  » devoir de mémoire « . Ceux qui actuellement subsistent, torturent et persécutent ne sont l’objet d’aucun  » devoir de vigilance « . Notre résistance au nazisme se fait d’autant plus farouche que celui-ci s’éloigne dans le passé. C’est ainsi que le ministère des Anciens Combattants, de moins en moins surmené au fur et à mesure qu’il y a de moins en moins d’anciens combattants, songe à se reconvertir en un ministère de la Mémoire, et même à mettre sur pied un  » tourisme de la mémoire « . Gageons que ces organisateurs de voyages éthiques ne délivreront guère de billets à destination des lieux de mémoire de la Loubianka soviétique, du goulag aujourd’hui désaffecté, ou des laboratoires de travaux pratiques toujours en pleine activité du laogaï chinois. Que notre vigilance à l’égard des crimes du III éme Reich ne cesse de croire, c’est en soi un fruit salutaire conscience historique. Mais qu’elle ait décuplé depuis que la vérité sur la criminalité du communisme, après sa chute, a été mieux connue ou du moins, plus difficile à escamoter, voilà une concomitance qui laisse perplexe.

Le jour même où le président Chirac s’exprime à Oradour, notre Premier ministre, Lionel Jospin ne voulant pas être en reste dans la course à l’éthique hémiplégique, faisait, accompagné de son épouse, elle-même d’origine polonaise, du tourisme de mémoire à Auschwitz. Qui ne lui en reconnaissant ? On ne rappellera jamais assez l’unicité de la Shoah « , pour reprendre les termes d’Alain Besançon. On regrettera toutefois que nos deux  » touristes de mémoire  » ne se soient pas mis en  » devoir « , puisqu’ils étaient en Pologne, d’en profiter pour pousser jusqu’à Katyn. Le devoir de mémoire est universel ou il n’est que pharisianisme partisan. C’est insulter la mémoire des victimes du nazisme que de se servir d’elles pour enterrer le souvenir de celles du communisme.

Qu’on veuille bien m’excuser de résumé des faits, à l’usage des jeunes générations auxquelles l’appellation géographique Katyn ne dit rien – je l’ai souvent constaté – pour la raison que leur professeurs, leurs journaux et leurs médias ont pris toutes les précautions nécessaires pour éviter qu’elle ne leur dise quoi que ce fût. En septembre 1939, après la défaite de la Pologne, envahie simultanément par les nazis à l’Ouest et par leurs communistes à l’Est, une zone d’occupation de 200’000 kilomètres carrés est (entre autres territoires) octroyée par Hitler à ses amis soviétiques pour les récompenser de leur aide précieuse.

Dès la défaite polonaise, dans cette zone, les Soviétiques sur ordre écrit de Staline, massacrent plusieurs milliers d’officiers polonais prisonniers de guerre : plus de 4 000 à Katyn (près de Smolensk), 1ieu où fut découvert ultérieurement le charnier le plus connu, mais aussi environ 21000 en divers lieux. A ces victimes, il faut ajouter qu 15000 prisonniers simples soldats, probablement noyés dans la mer Blanche. Perpétrées en quelques jours selon un plan préétabli, ces tueries en masse de Polonais vaincus, exterminés pour la seule raison qu’ils étaient polonais, constituent d’indiscutables crimes contre l’humanité, et non pas seulement des crimes de guerre, puisque la guerre était terminée en ce qui concerne la Pologne. D’après les conventions de Genève, l’exécution de prisonniers d’une armée régulière, qui ont combattu en uniforme, est un crime contre l’humanité, surtout une fois le conflit terminé. L’ordre de Moscou était de supprimer toutes les élites polonaises : étudiants, juges, propriétaires terriens, fonctionnaires, ingénieurs, professeurs, avocats et, bien sûr, officiers.

Lorsque ces charniers polonais furent découverts, le Kremlin imputa ces crimes aux nazis. La gauche occidentale s’empressa naturellement d’obéir à la voix de son maître. Je ne dis pas que toute la gauche non communiste fut servile. La partie d’entre elle qui avait des doutes resta en tout cas fort discrète et plus plaintivement perplexe que catégoriquement accusatrice.

Pendant quarante-cinq ans, affirmer hautement que l’on croyait vraisemblable la culpabilité soviétique- pour la bonne raison que les crimes avaient été commis dans la zone d’occupation soviétique et non allemande – vous classait sur l’heure parmi les obsessionnels  » viscéraux  » de l’anticommunisme  » primaire « . Et puis voilà qu’en 1990, grâce à Gorbatchev et à sa glasnost, le Kremlin, dans un communiqué de l’agence Tass, reconnaît sans détours atténuants que  » Katyn a été un grave crime de l’époque stalinienne « . En 1992, à la suite d’un début d’inventaire des archives de Moscou, est divulgué un rapport secret de 1959 dû à Chélépine, alors chef du KGB. Il fait état de  » 21 857 Polonais de l’élite, fusillés en 1939 sur ordre de Staline « .

La question étant donc tranchée du fait des aveux soviétiques mêmes, on aurait pu espérer que les négationnistes occidentaux de gauche qui, pendant quatre décennies, avaient traité de fascistes, ou peu s’en faut, les partisans de la culpabilité soviétique, fissent alors amende honorable. C’était mal les connaître. Aussi peut-on regretter qu’en 1999 le premier ministre de la France n’ait pas eu, en Pologne, un petit geste  » touristique  » pour montrer qu’enfin la gauche avait cessé d’être une unijambiste de la  » mémoire « , de la morale et de l’histoire.

Cette discrimination persistante provient de la non moins tenace aberration selon laquelle le fascisme serait l’antithèse du communisme et donc que les victimes du second, quoique se chiffrant par dizaines de millions, seraient qualitativement moins  » victimes  » que celles du premier. On a envie d’interpeller les négateurs de ces victimes en leur criant :  » De quel lieu vous taisez-vous ?  » Ce n’est pas le fascisme qui est l’ennemi du communisme. C’est la démocratie. Il n’y aura pas de  » mémoire  » équitable, donc pas de mémoire du tout, car la mémoire volontairement tronquée est par là même inexistante, aussi longtemps que gauche et droite réunies traiteront différemment les criminels vainqueurs et les criminels vaincus.

[…] L’une des causes, en effet, du voile jeté sur les crimes communistes est une lâcheté certaine, puisqu’il est plus facile de s’en prendre à des totalitaires morts qu’à des totalitaires vivants. Il suffit de voir avec quels égards sont traités les régimes communistes subsistants, même faibles, pour mieux comprendre la colossale servilité qui se manifesta envers la puissante Union soviétique, entre sa victoire militaire de 1945 et sa disparition en 1991. Obligatoire en Occident chez ses parti- sans ou sympathisants, cette servilité surprend par son ampleur inattendue chez les adversaires mêmes de son idéologie. On a pu l’excuser jadis en alléguant des motifs de realpolitik. Mais elle survit chez eux à la fin du communisme soviétique et européen, parce qu’ils n’ont toujours pas le courage de déplaire à leur propre gauche, laquelle renâcle encore à reconnaître l’échec universel et les crimes avérés du socialisme réel. D’une part le 111, Reich a été anéanti politiquement voilà plus d’un demi-siècle, tandis que le communisme existe encore, quoique sur une étendue plus restreinte ; d’autre part, l’idéologie nazie a cessé depuis cinquante ans de représenter une force culturelle, sauf chez quelques marginaux sans influence, dont l’importance est d’ailleurs soigneusement grossie dans le dessein d’entretenir le mythe d’un danger fasciste éternellement renaissant. Au contraire, l’idéologie marxiste- léniniste, tout autant discréditée par la praxis ou qui devrait l’être, continue d’imprégner nos sché- mas interprétatifs et nos comportements culturels. Les procédés stalino-léninistes restent d’usage courant. La calomnie, le mensonge, la désinformation, la déformation, l’amalgame, l’injure excommunicatrice, le rejet dans le camp fasciste, vichyste, voire antisémite de tout contradicteur, l’affront immérité autant qu’insidieux restent admis dans nos mœurs politiques, et même artistiques ou littéraires. Le plus véniel anathème consiste à traiter de nazi quiconque désapprouve votre secte, sur quelque terrain queue se situe, le ,débat fût-il même étranger à la politique. Il est au demeurant révélateur que la loi française punissant depuis 1990 la contestation des seuls crimes nazis, et donc autorisant, par son silence même à leur sujet, la contestation des crimes communistes… soit due à un communiste. Je veux bien qu’on m’exhorte à exécrer chaque jour davantage les anciens admirateurs d’Himmler, à condition que cette homélie comminatoire ne me soit point administrés par d’anciens admirateurs de Beria.

5 Responses to Cinéma: Tu n’as rien vu à Katyn (You saw nothing in Katyn)

  1. Emile Koch dit :

    Ce film est à voir d’urgence en effet
    À noter les deux chroniques de JG Malliarakis :
    « Katyn un film magnifique de Wajda »
    http://www.insolent.fr/2009/04/katyn-un-film-magnifique-de-wajda.html
    et
    Katyn le poids historique du mensonge et du crime
    Le contexte mémoriel et politique du film
    http://www.insolent.fr/2009/04/katyn-le-poids-historique-du-mensonge-et-du-crime.html
    et leur version audio sur Lumière 101
    http://www.lumiere101.com

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  2. jcdurbant dit :

    Merci pour ces effectivement très éclairants commentaires.

    Oui, c’est un peu triste de voir le peu d’intérêt des distributeurs comme peut-être du grand public pour ce qui devrait être un évènement de première importance, Etats-Unis apparemment compris (malgré sa sélection aux oscars et une sortie ponctuelle à un festival en Floride) …

    Voir aussi l’intéressant commentaire de Libération sur sa sortie polonaise et notamment la véritable chape de plomb qui entourait l’affaire et la difficulté de trouver du travail pour ceux qui ne renonçaient pas à en parler, comme peut-être le jeune Wajda lui-même?

    « On devine le jeune Wajda dans le personnage d’un jeune résistant qui, à la fin de la guerre, vient à Cracovie pour étudier aux Beaux-Arts. Comme le père de Wajda, celui du jeune résistant est mort à Katyn mais il refuse, lui, de le renier dans son curriculum vitae comme beaucoup d’autres l’ont fait pour éviter les ennuis sous l’occupation soviétique. Le jeune homme meurt. «Un remords de conscience?», s’est interrogé un spectateur lors d’une avant-première : «Avec Katyn, vous laissez entendre que si vous n’aviez pas menti sur la mort de votre père, vous n’auriez pas pu étudier aux Beaux-Arts, à l’école de cinéma et que l’école polonaise du film n’aurait jamais vu le jour ?» Le cinéaste n’a eu d’autre réponse : «Je confesserai mes propres péchés devant un autre auditoire et ce sera certainement dans peu de temps.» Et de conclure : «Chacun militait à sa manière contre ce régime.»

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  3. spqr dit :

    Votre titre est exact : effectivement, avec le film Katyn vous n’avez encore rien vu :-! (nous en touchant un mot dans notre article sur Katyn).

    La meilleure réplique que j’ai lue à l’infâme et fielleuse critique de l’imMonde, un bel échantillon de de mal-journalisme comme dit Tipota : http://egoborone.free.fr/?p=180

    La première fois que j’ai lu la critique de l’imMonde, je l’ai trouvé hallucinante. Elle est tout simplement hors-sujet

    « Renvoi dos à dos » : encore une expression inappropriée de la part de ce critique. Elle ne m’est jamais venue à l’esprit lorsque j’ai vu le film ; ce serait plutôt « une mise dans le même sac ».

    La critique de l’Humanité est d’un autre style mais se termine par une tentative négationniste, d’autant plus ridicule que les soviétiques ont confirmé leur responsabilité en 1990, ce que tous ceux connaissant bien le sujet savaient déjà.

    Ces critiques tuent les victimes une seconde fois.

    En fait, leur but – je l’ai déjà observé à propos d’autres films qui les dérangeaient – est d’essayer de dissuader le maximum de gens à voir le film, d’où les qualificatifs que vous avez repris en début de votre article. Mais dès les premières secondes du film, on les oublie tant elles sont en déphasage avec la réalité. Quant à ceux qui prétendent que le film Katyn n’intéresserait pas les français, c’est de la même veine : s’il avait été programmé dans toutes les villes, il aurait un succès phénomènal.

    La critique d’Hérodote est bonne mais avec une confusion regrettable à la fin : Katyn n’est pas un film sur la Shoah. Citons Tipota : « Mais évitons un contre-sens ou un hors-sujet : Katyn n’est pas lié à la question juive, les officiers juifs polonais abattus lors de ce massacre ne l’étaient pas du fait de leur religion ou de leur race. Mais tout simplement comme ennemis de classe du régime communiste *. »

    Un seul petit reproche à votre article : les critiques du Monde, de l’Huma et d’Hérodote ne sont pas assez séparées de la votre : il y a une risque de confusion.

    De notre côté, nous avons fait un article avec l’historique de la Pologne, nécessaire pour bien comprendre la situation et avec de nombreuses vidéos d’époque :
    http://spqr7.wordpress.com/2009/04/14/le-massacre-de-katyn/

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  4. jcdurbant dit :

    « Ces critiques tuent les victimes une seconde fois » …

    J’aime bien votre formule (désolé de répondre si tard), même si, tout en étant largement d’accord avec votre critique du Monde ou celle de Michnik, je continue à penser, avec Hérodote, que Walda n’aurait rien perdu à son important rappel du martyre polonais (non-juif) à mentionner la présence des quelque 500 juifs parmi les membres de l’élite du pays massacrés à Katyn, montrant ainsi qu’ils étaient, chrétiens comme juifs, massacrés non en tant que juifs mais en tant que patriotes polonais.

    Et ce d’autant plus que l’antisémitisme, avant comme pendant ou après-guerre (Jedwabne comme Kielce), de nombre de Polonais reste une réalité historique, qu’on pourrait même d’ailleurs voir comme une des conséquences oubliées de Katyn lui-même …

    Voir Michnik:

    « Katyn est le premier film qui porte sur le massacre et l’agression soviétique contre la Pologne, commise en accord avec Hitler. Ce fut un sujet tabou pour la gauche française. Pendant de longues années, elle garda le silence autour de l’invasion de la Pologne par l’Armée rouge, des crimes des Soviétiques, de même que sur Katyn. Jusqu’à aujourd’hui, ce tragique événement historique est un cadavre dans le placard de la gauche française, si longtemps indulgente à l’égard du « Grand Linguiste » (Staline).

    Ce ne fut pas le seul dogme de la gauche française. Un autre fut la conviction que, depuis toujours, les Polonais tétèrent l’antisémitisme avec le lait de leurs mères, et que les juifs furent les seules victimes de l’occupation allemande. »

    Adam Michnik

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  5. […] Du nazisme, les Français ont conservé, et à juste titre, la mémoire tragique de la défaite de 40 et de l´occupation (fusillades, pillages, déportations etc.). Par contre, depuis 1936, et surtout depuis 1944-1945, les Français ont assez largement conservé une mémoire glorieuse qui repose sur la participation du PCF au front populaire, sur la participation des communistes à la Résistance et à la Libération du pays, et aussi au rôle de l´URSS dans l´écrasement du nazisme. Cette opposition entre mémoire tragique de l´un et mémoire glorieuse de l´autre explique cette “différence de méfiance”. Mais, si vous allez par exemple en Europe de l´est, vous verrez qu´il n´y a aucune mémoire glorieuse du communisme, mais au contraire une mémoire tragique en raison des conditions dans lesquelles ont été “libérés” ces pays – certains dès 1939-1940, comme l´Ukraine occidentale, les Etats baltes – par l´Armée rouge : c´est-à-dire une totale soviétisation forcée avec à la clef la terreur de masse, les fusillades et déportations de masses, la destruction des cultures nationales etc. Stéphane Courtois […]

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