Patrimoine: Cachez cet argent que je ne saurai voir ! (No money please, we’re French!)

https://i0.wp.com/st-takla.org/Gallery/var/albums/Bible/Illustrations/Coloured-Picture-Bible/www-St-Takla-org--foolish-servant.jpgIl en sera comme d’un homme qui, partant pour un voyage, appela ses serviteurs, et leur remit ses biens. Il donna cinq talents à l’un, deux à l’autre, et un au troisième, à chacun selon sa capacité, et il partit. Aussitôt celui qui avait reçu les cinq talents s’en alla, les fit valoir, et il gagna cinq autres talents. (…) Celui qui n’en avait reçu qu’un alla faire un creux dans la terre, et cacha l’argent de son maître. (…) Celui qui avait reçu les cinq talents s’approcha, en apportant cinq autres talents, et il dit: Seigneur, tu m’as remis cinq talents; voici, j’en ai gagné cinq autres. Son maître lui dit: C’est bien, bon et fidèle serviteur; tu as été fidèle en peu de chose, je te confierai beaucoup. (…)  Celui qui n’avait reçu qu’un talent s’approcha ensuite, et il dit: Seigneur,  (…) j’ai eu peur, et je suis allé cacher ton talent dans la terre; voici, prends ce qui est à toi.Son maître lui répondit: Serviteur méchant et paresseux, tu savais que je moissonne où je n’ai pas semé, et que j’amasse où je n’ai pas vanné;il te fallait donc remettre mon argent aux banquiers, et, à mon retour, j’aurais retiré ce qui est à moi avec un intérêt.Otez-lui donc le talent, et donnez-le à celui qui a les dix talents. Jésus (Matthieu 25: 14-21)
Quand les riches s’habituent à leur richesse, la simple consommation ostentatoire perd de son attrait et les nouveaux riches se métamorphosent en anciens riches. Ils considèrent ce changement comme le summum du raffinement culturel et font de leur mieux pour le rendre aussi visible que la consommation qu’ils pratiquaient auparavant. C’est à ce moment-là qu’ils inventent la non-consommation ostentatoire, qui paraît, en surface, rompre avec l’attitude qu’elle supplante mais qui n’est, au fond, qu’une surenchère mimétique du même processus. (…) Plus nous sommes riches en fait, moins nous pouvons nous permettre de nous montrer grossièrement matérialistes car nous entrons dans une hiérarchie de jeux compétitifs qui deviennent toujours plus subtils à mesure que l’escalade progresse. A la fin, ce processus peut aboutir à un rejet total de la compétition, ce qui peut être, même si ce n’est pas toujours le cas, la plus intense des compétitions. René Girard
Ce projet a causé la désertion de 80 à 100 000 personnes de toutes conditions, qui ont emporté avec elles plus de trente millions de livres ; la mise à mal de nos arts et de nos manufactures. (…) Sire, la conversion des cœurs n’appartient qu’à Dieu … Vauban (1689)
Qu’ils s’en aillent! Car nous sommes en France et non en Allemagne!” … Notre République est menacée d’une invasion de protestants car on choisit volontiers des ministres parmi eux., … qui défrancise le pays et risque de le transformer en une grande Suisse, qui, avant dix ans, serait morte d’hypocrisie et d’ennui. Zola (1881)
Autrefois pour faire sa cour on parlait d’amour (…) Aujourd’hui (…) Pour séduire le cher ange (…) On lui glisse à l’oreille (…) Un frigidaire, un joli scooter, un atomixer et du Dunlopillo … Boris Vian
Argent : cause de tout le mal. Gustave Flaubert Dictionnaires des idées reçues (1850-1880)
Mon seul adversaire, celui de la France, n’a jamais cessé d’être l’argent. De Gaulle (1952)
« L’Argent », vous savez » l’argent qui corrompt, l’argent qui achète, l’argent qui écrase, l’argent qui tue, l’argent qui ruine, et l’argent qui pourrit jusqu’à la conscience des hommes ! Mitterrand (1971)
Nos sociétés ont essayé de réagir, avec le communisme, contre la misère et l’inégalité. (…) Mais le libéralisme est lui aussi dangereux et conduira aux mêmes excès. (…) Je suis convaincu que le libéralisme est voué au même échec que le communisme, et qu’il conduira aux mêmes excès. L’un comme l’autre sont des perversions de la pensée humaine. (…) Je ne crois pas au libéralisme qui est, à mon avis, une forme de déviance. Jacques Chirac ( 2007)
Je n’aime pas les riches, j’en conviens. François Hollande
Dans cette bataille, mon véritable adversaire, c’est la finance. François Hollande (2012)
Je ne veux pas réguler le capitalisme, je veux l’étrangler. Jean-Luc Mélenchon
Au-dessus de 360 000 euros, il prend tout ! Le candidat du Front de gauche entend taxer à 100% tous les revenus annuels supérieurs à 360 000 euros par an. C’est-à-dire 30 000 euros mensuels. L’Express
La domination du capitalisme empêche toute véritable démocratie. Seul l’Etat, appuyé sur un secteur public puissant, peut faire reculer la domination de l’argent. Alain Touraine
Quand on évoque le rapport des Français à l’argent, c’est toujours, implicitement, pour l’opposer à la façon décomplexée et sans tabous dont les Américains l’aborderaient. La France serait ce pays frileux, taiseux et prude, face au grand corps sain et prodigue du monde anglo-saxon. Mais les choses sont un peu plus compliquées. Philippe Chanial, auteur de La Société du don (La Découverte), maître de conférences en sociologie à l’université de Paris-Dauphine et secrétaire général du Mauss (Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales), le rappelle : « Certains vont épingler l’absence de générosité des Français, mais il y aussi la figure du Français vu sous l’angle du sans-culotte, symbole de l’égalitarisme !  » (…) Si les Français sont hostiles à l’argent, ce n’est pas uniquement pour des mauvaises raisons, des héritages mal digérés de culture paysanne, de catholicisme étroit ou de marxisme rance. « Dans la tradition française, héritée de la Révolution, poursuit Philippe Chanial, la figure du citoyen suppose l’égalité matérielle. Pour Rousseau, une communauté politique ne peut pas exister avec des inégalités de richesse trop fortes. Il ne s’agit pas de raisons simplement morales, mais politiques : quand les gens sont trop pauvres, ils risquent d’être asservis, or, justement, l’égalité – comme la liberté, d’ailleurs – suppose d’abord la non-domination, le refus de toute forme de servitude. » Ainsi, le rapport méfiant que nous entretiendrions à l’argent ne viendrait pas seulement de basses raisons psychologiques – une vision pudibonde, hypocrite, envieuse, façon Père Goriot –, mais trouverait son origine dans une haute vision de la politique qui coulerait dans nos veines plus ou moins consciemment. Aussi cela peut-il paraître un peu absurde de comparer sans cesse les Français aux Anglo-Saxons, alors que nous sommes issus d’une histoire totalement différente. On est presque gêné de rappeler que si les Américains témoignent d’un rapport si décomplexé à l’argent, c’est que – comme l’a montré Max Weber, dans son légendaire ouvrage L’Éthique protestante et l’Esprit du capitalisme – le protestantisme a opéré un renversement de valeurs, où la richesse, devenant un signe d’élection divine, va donner une parfaite bonne conscience au faiseur d’argent. Elle « a modelé l’image du pionnier individualiste, du self-made man, qui est complètement étrangère à la conception française de la citoyenneté, où la reconnaissance du mérite individuel est en quelque sorte enchâssée dans une représentation forte de l’être-ensemble, inséparable d’une solidarité globale. » (…) Bien sûr on pourra faire remarquer que la tradition républicaine s’est essoufflée, qu’elle a connu de sérieux ratés, ce qui a provoqué une vraie conversion libérale dans notre pays. Nombre d’enquêtes ont ainsi attesté, ces dernières années, que les Français s’étaient réconciliés avec l’argent, que celui-ci était démythifié, dépassionné, dédramatisé, comme en témoigne l’engouement pour la Bourse. En 1998, un sondage exclusif publié dans Le Nouvel Observateur montrait que les Français associaient l’argent à des mots positifs comme « sécurité » (79 %), « plaisir » (75 %), « pouvoir » (71 %), « réussite » (71 %), « épanouissement » (59 %), alors que des termes négatifs comme « nuisance » ou « immoralité », qui s’imposaient autrefois, étaient à peine évoqués. L’économiste Jacques Marseille pouvait écrire dans l’hebdomadaire : « Nous sommes en train de vivre la fin de l’exception française. Tout se passe comme si les Français avaient compris que l’argent, avant d’être corrupteur, était l’instrument indispensable de toute économie d’échange. » C’était avant la crise. Depuis qu’elle a déferlé, les Français semblent avoir retrouvé certains de leurs anciens réflexes face à l’argent fou et aux inégalités criantes, tant le principe égalitariste est inscrit dans notre ADN culturel. Philo magazine
Les Français n’aiment pas parler d’argent mais ils adorent savoir. Janine Mossuz-Lavau
C’est la grande différence avec les États-Unis, où, au contraire, on parle beaucoup d’argent et où il n’est pas inhabituel qu’on vous demande dans la conversation combien vous gagnez. (…) Il y a trois raisons principales. La première tient à la culture paysanne. À une, deux, ou trois générations, nous sommes tous issus du monde paysan, où l’argent n’était pas à la banque, mais restait caché à la maison. On ne devait pas en parler, pour ne pas se le faire voler et ne pas attiser les convoitises. La seconde raison est la prégnance de la culture catholique, dans laquelle l’Église doit être tournée vers les pauvres. L’argent et la richesse ne doivent en aucun cas être la préoccupation première. Et puis, il existe une empreinte du marxisme sur toute une frange de la population de gauche. Il est resté, dans l’esprit des gens, l’idée que le profit, « ce n’est pas bien ». (…) Aux États-Unis, par exemple, il y a une obsession de l’argent beaucoup plus forte que chez nous, dans la mesure où les Américains doivent se préoccuper en permanence d’en trouver, non seulement pour vivre, mais aussi pour se soigner ou pour assurer les études de leurs enfants. Toutes choses qui sont accessibles gratuitement chez nous. (…) L’hypothèse qu’on peut devenir riche en travaillant beaucoup est rarement avancée. Janine Mossuz-Lavau

A l’heure, où strip poker suite à l’affaire Cahuzac oblige, nos gouvernants nous convient à présent à un véritable potlatch de scooters et vélos

Pendant qu’à l’instar de nos Obama ou Hollande, notre tribun néo-stalinien et multi cumulard national qui, avant sa démission du Sénat suite à son élection au parlement européen en juin 2009 aurait émargé pendant au mois quelques mois (entre ses mandats et indemnités de parlementaire européen et sénateur français entre juillet 2009 et janvier 2010 ?) à quelque 30 000 euros mensuels et donc 360 000 annuels, propose de confisquer comme par hasard les revenus de tous ceux qui auraient gagné plus  …

Retour avec la sociologue Janine Mossuz-Lavau …

Entre culture paysanne, catholicisme et marxisme plus ou moins bien digérés …

Sur ce tabou si français de l’argent de la fille aînée de l’Eglise

« L’argent est encore plus tabou que la sexualité »

Propos recueillis par Guirec Gombert

Le Figaro

0/08/2007

Janine Mossuz-Lavau, directrice de recherche au Centre de la vie politique française, estime que les jeunes osent plus parler d’argent que les générations pércédentes.

Le Figaro.fr : L’argent demeure-t-il tabou pour les Français ?

Janine Mossuz-Lavau : D’après mon enquête ce sujet est encore plus tabou que la sexualité. A mon sens, trois raisons continuent de l’expliquer. La première est que nous sommes tous issus d’une culture paysanne où l’on gardait l’argent à la maison. Il ne fallait pas en parler par peur de se le faire voler, et le conserver en cas de coups durs, de mauvaises récoltes notamment. La deuxième raison tient au catholicisme, qui est la religion des pauvres. Une phrase de l’évangile que l’on prête à Jésus le résume très bien : « Il est plus facile pour un chameau de passer par le chas d’une aiguille que pour le riche d’entrer au royaume des cieux. » Enfin, la troisième raison est l’influence du marxisme. Nous avons retenu que le profit c’est immoral. Il suffit de se rendre à un dîner entre amis pour constater que nous ne savons pas forcément combien les gens gagnent et nous n’en parlons pas si facilement. Cela change doucement chez les jeunes, plus à l’aise pour en parler.

Les hommes et les femmes ont-il un rapport différent à l’argent ?

Pas vraiment, j’ai eu autant de cas de femmes dépensières ou économes que d’hommes. Les jeunes femmes sont peut-être plus facilement dans le rouge, ou en interdit bancaire. Dans l’étude de la Sofres, elles apparaissent comme plus prévoyantes mais cela n’est pas une donnée absolue. En revanche, l’argent reste plus valorisé chez les hommes. Dans notre société, l’homme reste le pourvoyeur de la société, c’est lui qui apporte l’argent au ménage. D’ailleurs, il est rare que les femmes aient des revenus supérieurs aux hommes. Et quand c’est le cas, cela n’est pas sans poser problème. Il y a des cas où l’homme au chômage sent un regard de commisération. Mais c’est surtout chez les femmes qu’il y a un malaise, pour elles, il ne faut pas faire sentir qu’elles gagnent plus d’argent. L’égalité n’est pas encore réalisée dans ce domaine. La question se pose toujours chez les jeunes, le garçon doit inviter la fille pour séduire, même s’ils ont pris l’habitude de se dire on fait « moit-moit ».

L’argent demeure un gage de sécurité dans les mentalités?

Nous vivons dans un monde d’insécurité, de précarité très forte. Il n’est pas assuré que l’on conservera son travail, le taux de chômage est fort, les bas salaires et les temps partiels sont nombreux.

Comment expliquer que tant de personnes aient envie de consommer sans en avoir les moyens ?

Dans notre société de consommation, les sollicitations sont permanentes, dans les vitrines, à la télé, sur Internet… Cela donne envie de bénéficier de choses agréables, mais les gens n’ont pas envie que de superflu. Certaines personnes ne cherchent que des choses nécessaires. J’ai eu le cas d’une femme dont la situation lui paraissait meilleure qu’auparavant car, au lieu d’un paquet de pâtes dans son placard, elle en avait désormais deux. D’ailleurs à mon sens l’étude de la Sofres devrait se lire différemment : quand les gens répondent qu’ils n’ont pas envie de dépenser, certains ont intégré qu’ils ne le pouvaient pas. Au final, ils n’ont même plus l’envie de dépenser.

Janine Mossuz-Lavau a notamment publié  »L’argent et nous », aux éditions La Martinière.

Voir aussi:

Janine Mossuz-Lavau : « En France, parler d’argent est encore tabou »

La publication du patrimoine des élus ne fait pas l’unanimité dans un pays où parler d’argent est toujours difficile.

La Croix

14/4/13

Entretien avec la politologue Janine Mossuz-Lavau, directrice de recherche au Cevipof (1).

Comment expliquez-vous le malaise qui existe autour de la publication des déclarations de patrimoine de nos élus ?

Janine Mossuz-Lavau : Il tient au rapport que nous entretenons avec l’argent. Il est omniprésent dans nos vies, car on en a besoin, tout le monde en cherche et en veut plus. Mais la parole sur l’argent est encore largement taboue en France. En avoir est une chose, en parler est plus difficile.

C’est la grande différence avec les États-Unis, où, au contraire, on parle beaucoup d’argent et où il n’est pas inhabituel qu’on vous demande dans la conversation combien vous gagnez.

Comment expliquez-vous cette réticence à afficher son argent  ?

J. M.-L. : Il y a trois raisons principales. La première tient à la culture paysanne. À une, deux, ou trois générations, nous sommes tous issus du monde paysan, où l’argent n’était pas à la banque, mais restait caché à la maison. On ne devait pas en parler, pour ne pas se le faire voler et ne pas attiser les convoitises.

La seconde raison est la prégnance de la culture catholique, dans laquelle l’Église doit être tournée vers les pauvres. L’argent et la richesse ne doivent en aucun cas être la préoccupation première.

Et puis, il existe une empreinte du marxisme sur toute une frange de la population de gauche. Il est resté, dans l’esprit des gens, l’idée que le profit, « ce n’est pas bien ».

Y a-t-il une spécificité française dans ce domaine ?

J. M.-L. : Aux États-Unis, par exemple, il y a une obsession de l’argent beaucoup plus forte que chez nous, dans la mesure où les Américains doivent se préoccuper en permanence d’en trouver, non seulement pour vivre, mais aussi pour se soigner ou pour assurer les études de leurs enfants. Toutes choses qui sont accessibles gratuitement chez nous.

Notre État providence a, de ce point de vue, tendance à freiner la pression de l’argent. Mais les choses changent, car la crise et la remise en cause de notre modèle social contribuent fortement au retour de l’argent dans la préoccupation des Français.

On dit que les Français n’aiment pas les riches. Est-ce une réalité ?

J. M.-L. : Dans mon enquête (1), j’ai pu constater que les personnes qui étaient dans cette situation se plaignaient de n’être pas aimées, d’être tout le temps critiquées, alors qu’elles avaient le sentiment de se « défoncer » tous les jours pour gagner cet argent. De fait, les gens riches attisent la jalousie et le soupçon. On se demande forcément : d’où vient l’argent ? Soit c’est un héritage et on considère qu’il n’y a pas de mérite à en disposer ; soit vous l’avez gagné par vous-même et on va vous soupçonner d’avoir exploité des gens !

L’hypothèse qu’on peut devenir riche en travaillant beaucoup est rarement avancée. D’où le sentiment que le mérite n’est pas reconnu, même si, de ce point de vue, le quinquennat de Nicolas Sarkozy avec son côté « bling-bling » a tenté de décomplexer les Français.

Recueilli par Céline Rouden

Voir également:

Combien gagnent nos élus ?

La Croix

14/4/13

Le président de la République et le premier ministre : 14 910 € brut par mois. Une rémunération qui a été baissée de 30 % en juillet 2012. Elle était auparavant de 21 300 € brut.

Les parlementaires : une indemnité de base de 7 100 € brut par mois. S’y ajoute une indemnité représentative des frais de mandat d’un montant de 5 770 € brut. Est mis en outre à leur disposition un crédit maximum de 9 504 € pour rémunérer des collaborateurs.

Les conseillers régionaux : de 1 520 € dans les régions de moins d’un million d’habitants à 2 661 € pour les plus de trois millions d’habitants.

Les conseillers généraux : de 1 520 € pour un département de moins de 250 000 habitants à 2 661 € à partir de 1,25 millions d’habitants.

Les maires : de 646 € pour une commune de moins de 500 habitants à 2 470 € (10 000 à 20 000 habitants), 3 421 € (20 000 à 50 000 habitants), 4 181 € (50 000 à 100 000 habitants), 5 212 € (à partir de 100 000 habitants).

Voir encore:

DossierExiste-t-il un esprit français ?

Un problème avec l’argent ?

Ils refusent d’avouer leur salaire, ont une réputation de pingres en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, sont hostiles au bling-bling… Mais pourquoi les Français sont-ils ainsi fâchés avec l’argent ? Si nos racines paysannes expliquent en partie notre culte de l’épargne et de la propriété immobilière, il est possible que la valeur républicaine de l’égalité soit la principale racine du tabou.

Philomag n°30

28/05/2009

« Mon seul adversaire, celui de la France, n’a jamais cessé d’être l’argent », déclarait de Gaulle en 1952. Quelques années plus tard, en 1971, François Mitterrand fustigeait « l’argent qui corrompt, l’argent qui achète, l’argent qui écrase. L’argent-roi qui pourrit jusqu’à la conscience des hommes ». C’est bien connu : dans notre pays, l’argent n’a jamais eu bonne réputation. En témoignent les réactions outrées face au bling-bling sarkozien, les récentes indignations devant les revenus des patrons, ou la répugnance, plus ancrée, à avouer son salaire… Mais cette hostilité se mêle d’ambiguïté. Ne dit-on pas aussi que les Français sont avares ou obsédés par la propriété ? Et, ces temps-ci, n’ont-ils pas mieux résisté à la crise grâce au fait que, de tous les Occidentaux, ils sont ceux qui épargnent le plus ? Notre rapport à l’argent est complexe…

La défiance gauloise à son égard n’a rien d’un mythe. « En France, parler d’argent est encore plus dur que de parler de sexualité », constate la sociologue Janine Mossuz-Lavau, auteure d’une grande enquête parue en 2007, L’Argent et nous (La Martinière). « Cette hostilité s’explique par le fait que nous venons presque tous de familles paysannes. Dans la culture rurale, personne ne parlait d’argent car on l’avait tous en liquide à la maison. » Autre motif bien connu : le poids du catholicisme, religion tournée vers les humbles et qui n’a cessé de fustiger le pouvoir corrupteur des richesses. La sociologue rappelle aussi l’influence de la pensée marxiste sur une partie de la population, et le rôle de l’État providence, qui permet que l’on ait moins à évoquer l’argent dans les discussions et dans la vie quotidienne que dans un pays comme les États-Unis, où l’on doit à tout instant se soucier de payer pour tout : l’éducation, la santé, etc.

Quand on évoque le rapport des Français à l’argent, c’est toujours, implicitement, pour l’opposer à la façon décomplexée et sans tabous dont les Américains l’aborderaient. La France serait ce pays frileux, taiseux et prude, face au grand corps sain et prodigue du monde anglo-saxon. Mais les choses sont un peu plus compliquées. Philippe Chanial, auteur de La Société du don (La Découverte), maître de conférences en sociologie à l’université de Paris-Dauphine et secrétaire général du Mauss (Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales), le rappelle : « Certains vont épingler l’absence de générosité des Français, mais il y aussi la figure du Français vu sous l’angle du sans-culotte, symbole de l’égalitarisme ! »

« La France serait ce pays frileux, taiseux et prude, face au grand corps sain et prodigue du monde anglo-saxon. »

Préserver le pacte social

Si les Français sont hostiles à l’argent, ce n’est pas uniquement pour des mauvaises raisons, des héritages mal digérés de culture paysanne, de catholicisme étroit ou de marxisme rance. « Dans la tradition française, héritée de la Révolution, poursuit Philippe Chanial, la figure du citoyen suppose l’égalité matérielle. Pour Rousseau, une communauté politique ne peut pas exister avec des inégalités de richesse trop fortes. Il ne s’agit pas de raisons simplement morales, mais politiques : quand les gens sont trop pauvres, ils risquent d’être asservis, or, justement, l’égalité – comme la liberté, d’ailleurs – suppose d’abord la non-domination, le refus de toute forme de servitude. » Ainsi, le rapport méfiant que nous entretiendrions à l’argent ne viendrait pas seulement de basses raisons psychologiques – une vision pudibonde, hypocrite, envieuse, façon Père Goriot –, mais trouverait son origine dans une haute vision de la politique qui coulerait dans nos veines plus ou moins consciemment. Aussi cela peut-il paraître un peu absurde de comparer sans cesse les Français aux Anglo-Saxons, alors que nous sommes issus d’une histoire totalement différente. On est presque gêné de rappeler que si les Américains témoignent d’un rapport si décomplexé à l’argent, c’est que – comme l’a montré Max Weber, dans son légendaire ouvrage L’Éthique protestante et l’Esprit du capitalisme – le protestantisme a opéré un renversement de valeurs, où la richesse, devenant un signe d’élection divine, va donner une parfaite bonne conscience au faiseur d’argent. Elle « a modelé l’image du pionnier individualiste, du self-made man, qui est complètement étrangère à la conception française de la citoyenneté, où la reconnaissance du mérite individuel est en quelque sorte enchâssée dans une représentation forte de l’être-ensemble, inséparable d’une solidarité globale. » Les protestations récentes contre les salaires mirobolants des patrons et les séquestrations de dirigeants proviendraient moins d’une « jalousie » face à ceux qui réussissent que du sentiment très fort, bien qu’inconscient, que le pacte social est rompu. C’est ainsi qu’il faut comprendre la réaction négative des Français face à l’épisode bling-bling de Nicolas Sarkozy l’an passé, ou face aux déclarations de Jacques Séguéla sur sa Rolex. Sarkozy « l’Américain » n’avait pas seulement commis une faute de goût, il avait transgressé cette culture de l’égalité qui nous tient ensemble.

Un rôle dans la refonte du capitalisme

Bien sûr on pourra faire remarquer que la tradition républicaine s’est essoufflée, qu’elle a connu de sérieux ratés, ce qui a provoqué une vraie conversion libérale dans notre pays. Nombre d’enquêtes ont ainsi attesté, ces dernières années, que les Français s’étaient réconciliés avec l’argent, que celui-ci était démythifié, dépassionné, dédramatisé, comme en témoigne l’engouement pour la Bourse. En 1998, un sondage exclusif publié dans Le Nouvel Observateur montrait que les Français associaient l’argent à des mots positifs comme « sécurité » (79 %), « plaisir » (75 %), « pouvoir » (71 %), « réussite » (71 %), « épanouissement » (59 %), alors que des termes négatifs comme « nuisance » ou « immoralité », qui s’imposaient autrefois, étaient à peine évoqués. L’économiste Jacques Marseille pouvait écrire dans l’hebdomadaire : « Nous sommes en train de vivre la fin de l’exception française. Tout se passe comme si les Français avaient compris que l’argent, avant d’être corrupteur, était l’instrument indispensable de toute économie d’échange. » C’était avant la crise. Depuis qu’elle a déferlé, les Français semblent avoir retrouvé certains de leurs anciens réflexes face à l’argent fou et aux inégalités criantes, tant le principe égalitariste est inscrit dans notre ADN culturel.

« Dans la conception française de la citoyenneté, la reconnaissance du mérite individuel est inséparable d’une solidarité globale. »

Philippe Chanial

Ce qui n’est pas forcément un défaut. Alors que l’on s’interroge ces temps-ci sur la façon de réformer le capitalisme, la France, dans son rapport particulier à l’argent, peut jouer un rôle dans la définition d’une nouvelle direction. Commentaire de Philippe Chanial : « Comme le disait Hannah Arendt, la France est la nation politique par excellence, celle où les rapports sociaux sont fondés sur un contrat égalitaire, sur une solidarité entre les membres. Cette tradition anti-utilitaire, qui n’est pas fondée sur la seule poursuite de son intérêt personnel, ne s’oppose pas forcément, comme on le croit souvent, à la réussite économique. Bien au contraire. Elle permet justement cette confiance entre les membres de la société qui permet de donner aux autres, de coopérer, d’entreprendre et de réussir. Dans cette logique, l’argent ne fait pas le bonheur, mais peut-être est-ce aussi le bonheur que procure ce type de relation qui “fait” l’argent. » En d’autres termes, la passion de l’égalité, à l’origine de l’hostilité française face aux richesses, pourrait aussi être à la base de cette confiance si nécessaire au bon fonctionnement du capitalisme. Et le rapport des Français à l’argent pourrait ne pas être aussi ringard que ça.

Voir enfin:

Trois vélos, un combi, une 4L: les perles des déclarations de patrimoine des ministres

Marie Simon (avec Paul Chaulet)

L’Express

16/04/2013

Trois vélos, un fauteuil design, des terres agricoles, un découvert conséquent, un parking à Dijon… Quelques détails insolites se sont glissés dans les déclarations de patrimoine des ministres, publiées lundi soir. Quelques manques aussi.

Trois vélos, un combi, une 4L: les perles des déclarations de patrimoine des ministres

Un Combi Volkswagen comme celui du Premier ministre Jean-Marc Ayrault. Les déclarations de patrimoine des 37 ministres et du chef du gouvernement ont été publiées lundi soir, réservant quelques surprises insolites.

« Un frigidaire, un joli scooter, un atomixer et du Dunlopillo… » Les ministres ont-ils fait preuve d’autant d’imagination que Boris Vian, lorsqu’il a fallu dresser la liste de leur patrimoine, rendu public ce lundi soir? Najat Vallaud-Belkacem, porte-parole du gouvernement, n’en a retenu qu’un élément: le « joli scooter ». Un Piaggio acheté 1500 euros en 2008, d’une valeur de 500 euros actuellement et qui n’est pas à vendre, si l’on se fie aux réponses négatives de la ministre aux internautes intéressés.

Un soutien marqué à l’industrie automobile française

Restons dans les véhicules, une case que seuls Laurent Fabius (Affaires étrangères) et Manuel Valls (Intérieur) ont laissée vide. Les ministres ont un goût prononcé, naturel ou non, pour l’industrie automobile française. La Peugeot 407 a des adeptes, d’Arnaud Montebourg (Redressement industriel) à Vincent Peillon (Education nationale) en passant par Marisol Touraine (Santé).

La Renault Mégane et la Renault Twingo reviennent aussi souvent dans les déclarations. Et on a retrouvé l’un des rares acheteurs de la Velsatis, flop retentissant de la marque au losange: Alain Vidalies (Relations avec le Parlement). Outre une Twingo, Cécile Duflot (Logement)… n’a pas manqué de faire état de sa 4L, achetée 10 000 francs. Pas à vendre non plus. Valérie Fourneyron (Sports) reste fidèle à sa Citroën 2 chevaux.

Quant à Jean-Marc Ayrault, il soutient aussi le made in France, avec sa Citroën C4 Picasso. Mais le Premier ministre n’a pas oublié d’ajouter son Combi Volkswagen modèle 1988. Souvenir de ses années hippies ou de son passé de professeur d’allemand?

Trois vélos, deux bateaux et un fauteuil design…

On retient aussi les trois vélos de marques Décathlon, Peugeot et Gitane de Christiane Taubira (Justice), ou la moto BMW de Stéphane Le Foll (Agriculture). Loin de « tout ce qui roule », Michel Sapin (Travail) et Marylise Lebranchu (Réforme de l’Etat), eux, optent plutôt pour « tout ce qui flotte » et déclarent un bateau pêche promenade estimé à 4000 euros pour le premier, un bateau de marque Bénéteau d’une valeur de 2000 euros pour la seconde.

Si la place de parking sous-terrain qu’Arnaud Montebourg déclare à Dijon est « d’une valeur inconnue », on connaît en revanche le prix d’achat de son fauteuil du designer Charles Eames: 28 000 francs, en 1988. La perle de la déclaration de Delphine Batho (Environnement), elle, n’a pas été achetée mais léguée: il s’agit des photos de ses parents, les artistes-photographes Claude et John Batho, estimées à quelque 30 000 euros.

Ces deux éléments ne figurent pas, en réalité, dans la déclaration de patrimoine publiée: ce sont les ministres qui ont apporté ces précisions dans les médias. La case dans laquelle tombent ces miscellanées, les « biens mobiliers divers », ne présente souvent qu’un chiffre sans indication particulière. Chiffre tout petit pour certains… mais très coquet pour d’autres comme Anne-Marie Escoffier (Décentralisation) qui y déclare 275 000 euros de « on ne sait quoi », soit une très grosse partie de son patrimoine total d’environ 370 000 euros.

Passons aux logements des ministres. Un bel appartement à Paris et une (ou plusieurs) maison en province? Trop classique! Posséder un appartement à Dublin Nord comme Hélène Conway-Mouret (Français de l’étranger), voilà qui est plus original. Ou encore déclarer des terres agricoles. Dans cette catégorie, on retrouve Michel Sapin qui possède 433 hectares de terres et de bois dans l’Indre, son fief familial. Christiane Taubira aussi déclare plusieurs terrains en Guyane, Victorin Lurel (Outre-mer) en Guadeloupe et Michèle Delaunay (Affaires sociales) en Vendée.

L’âge de la ministre

On aura aussi découvert à cette occasion… des découverts. Un petit pour Christiane Taubira, qui s’élève à 173 euros sur un de ses comptes courants. Plus conséquent pour Laurent Fabius, avec un compte HSBC déficitaire de plus de 30 000 euros, mais sans doute pas pour longtemps compte tenu du patrimoine du ministre supérieur à 6 millions d’euros.

Yamina Benguigui (Francophonie), elle, a ramené à zéro euros deux de ses comptes en banque. Serait-elle fâchée avec les chiffres pour avoir omis d’indiquer son année de naissance? Un autre manque s’est glissé dans ces 38 inventaires à la Prévert: malgré son annonce dans les médias, Aurélie Filippetti n’a pas déclaré le Tshirt du footballeur David Beckham.

4 Responses to Patrimoine: Cachez cet argent que je ne saurai voir ! (No money please, we’re French!)

  1. […] C’est la grande différence avec les États-Unis, où, au contraire, on parle beaucoup d’argent et où il n’est pas inhabituel qu’on vous demande dans la conversation combien vous gagnez. (…) Il y a trois raisons principales. La première tient à la culture paysanne. À une, deux, ou trois générations, nous sommes tous issus du monde paysan, où l’argent n’était pas à la banque, mais restait caché à la maison. On ne devait pas en parler, pour ne pas se le faire voler et ne pas attiser les convoitises. La seconde raison est la prégnance de la culture catholique, dans laquelle l’Église doit être tournée vers les pauvres. L’argent et la richesse ne doivent en aucun cas être la préoccupation première. Et puis, il existe une empreinte du marxisme sur toute une frange de la population de gauche. Il est resté, dans l’esprit des gens, l’idée que le profit, « ce n’est pas bien ». (…) Aux États-Unis, par exemple, il y a une obsession de l’argent beaucoup plus forte que chez nous, dans la mesure où les Américains doivent se préoccuper en permanence d’en trouver, non seulement pour vivre, mais aussi pour se soigner ou pour assurer les études de leurs enfants. Toutes choses qui sont accessibles gratuitement chez nous. (…) L’hypothèse qu’on peut devenir riche en travaillant beaucoup est rarement avancée. Janine Mossuz-Lavau […]

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  2. […] C’est la grande différence avec les États-Unis, où, au contraire, on parle beaucoup d’argent et où il n’est pas inhabituel qu’on vous demande dans la conversation combien vous gagnez. (…) Il y a trois raisons principales. La première tient à la culture paysanne. À une, deux, ou trois générations, nous sommes tous issus du monde paysan, où l’argent n’était pas à la banque, mais restait caché à la maison. On ne devait pas en parler, pour ne pas se le faire voler et ne pas attiser les convoitises. La seconde raison est la prégnance de la culture catholique, dans laquelle l’Église doit être tournée vers les pauvres. L’argent et la richesse ne doivent en aucun cas être la préoccupation première. Et puis, il existe une empreinte du marxisme sur toute une frange de la population de gauche. Il est resté, dans l’esprit des gens, l’idée que le profit, « ce n’est pas bien ». (…) Aux États-Unis, par exemple, il y a une obsession de l’argent beaucoup plus forte que chez nous, dans la mesure où les Américains doivent se préoccuper en permanence d’en trouver, non seulement pour vivre, mais aussi pour se soigner ou pour assurer les études de leurs enfants. Toutes choses qui sont accessibles gratuitement chez nous. (…) L’hypothèse qu’on peut devenir riche en travaillant beaucoup est rarement avancée. Janine Mossuz-Lavau […]

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