C’est à regret que je parle des Juifs : cette nation est, à bien des égards, la plus détestable qui ait jamais souillé la terre. Voltaire, Article « Tolérance »
Qu’ils s’en aillent! Car nous sommes en France et non en Allemagne!” … Notre République est menacée d’une invasion de protestants car on choisit volontiers des ministres parmi eux., … qui défrancise le pays et risque de le transformer en une grande Suisse, qui, avant dix ans, serait morte d’hypocrisie et d’ennui. Zola (Le Figaro, le 17/5/1881)
Dans la dispute entre ces races pour savoir à laquelle revient le prix de l’avarice et de la cupidité, un protestant genevois vaut six juifs. A Toussenel, disciple de Fourier, 1845
Pour ses promoteurs, il existe dans la France de la Troisième République un » complot protestant « , mené par des étrangers de l’intérieur. Ce » péril » menace l’identité française et cherche sournoisement à » dénationaliser » le pays. Leurs accusations veulent prendre appui sur l’actualité : la guerre de 1870, la création de l’école laïque, les rivalités coloniales, l’affaire Dreyfus, la séparation des églises et de l’État. Derrière ces événements se profilerait un » parti protestant » qui œuvrerait en faveur de l’Angleterre et de l’Allemagne. Mais, à coté de l’actualité, la vision de l’histoire constitue également un enjeu et les antiprotestants, en lutte contre l’interprétation universitaire de leur époque, tentent une révision de la compréhension d’événements historiques comme la Saint-Barthélemy et la Révocation de l’Édit de Nantes. Ils accusent les protestants d’intolérance et érigent des statues à Michel Servet, victime de Calvin au XVIe siècle. La réaction protestante à ces attaques se marque non seulement par une riposte juridique, mais aussi par une auto-analyse plus critique que dans le passé. Cet axe se termine par une réflexion plus large sur la condition minoritaire en France et la manière dont la situation faite aux minorités est révélatrice du degré de démocratie de la société française. L’antisémitisme de cette époque concentre deux traditions hostiles aux juifs : l’une, religieuse, qui les accuse de » déicide « , l’autre, économique, qui les accuse de » spéculation financière « . La conjonction de ces deux traditions engendre des thèses raciales sur une lutte éternelle entre l’ » aryen » et le » sémite « , alors que les accusations raciales antiprotestantes, quand elles existent, n’atteignent pas ce degré d’intensité. L’anticléricalisme est l’envers du cléricalisme : deux camps de force égale se trouvent en rivalité politico-religieuse et leurs arguments dérivent souvent dans des stéréotypes où la haine n’est pas absente. La haine anticléricale se développe lors de la lutte contre les congrégations. Mais, à partir de 1905, la séparation des églises et de l’État constitue un » pacte laïque » et permet un dépassement de l’anticléricalisme. Paradoxalement, plus le groupe visé est faible, plus la haine à son encontre est forte. À ce titre, l’antiprotestantisme apparaît comme une haine intermédiaire entre l’anticléricalisme et l’antisémitisme. Mais, partout, à l’origine des haines, se trouve une vision conspirationniste de l’histoire : les pouvoirs établis et les idées qui triomphent sont le résultat de » menées occultes « , d' » obscurs complots « . Présentation du livre sur le site du CNRS
Lorsque Daudet et Zola se retrouvaient aux côtés de Barrès et Maurras …
Petit retour, dans notre petite exploration des grandeurs et misères de la tolérance (et toujours pour mesurer le chemin parcouru) sur les déclarations d’un autre de nos modèles nationaux de tolérance, après le défenseur du protestant Calas, le grand Zola de l’Affaire Dreyfus lui-même.
Et, à travers lui, sur « une haine oubliée » et pourtant pas si ancienne et en son temps particulièrement virulente, à savoir l’antiprotestantisme.
Qui se souvient en effet que la Belle Epoque fut l’occasion d’un rare unanimisme, à droite comme à gauche et du côté athée comme du côté catholique, contre les Protestants?
Souvent considérés (en une réthorique difficilement imaginable aujourd’hui de type « guerre des races » entre « Anglo-Germains » protestants et « latins » catholiques) comme une sorte de “5e colonne” ou des « ennemis de l’intérieur », les protestants de religion, éducation ou « ménage » (eg. Ferry marié à une Protestante!) se voient ainsi régulièrement reprochés la « conjuration » ou le « complot protestant » et la mainmise des « huguenots » sur l’université et la République.
Sans parler des accusations récurrentes, pour leur individualisme, leur universalisme ou leur libéralisme économique (cf. le Ministre des Finances Léon Say – petit-fils de l’économiste – au père éduqué à Genève et ayant voyagé en Amérique), d’être des « valets de l’Angleterre » ou des « vendus à l’Angleterre », slogans qui ne sont pas sans rappeler certaines formules plus contemporaines comme… « Sarkozy l’Américain » !
D’où l’intérêt de l’ouvrage du spécialiste de la laïcité Jean Baubérot et de la chercheure de l’Ecole pratique des hautes Etudes Valentine Zuber (« Une haine oubliée », 2000) qui non seulement ressuscite cet épisode oublié de notre histoire récente mais montre la perennité de certains discours de haine.
Et rappelle au passage que notre valeureux auteur du “J’accuse” de l’Aurore mais aussi fils d’immigré vénitien (recalé une dizaine de fois et perpétuel exclu de l’Académie) s’était lui aussi un temps livré à de telles attaques, même s’il s’inscrivait plutôt dans cette forme d’ « antiprotestantisme littéraire” qui, de Stendhal à Baudelaire, poussa tant de nos fins littérateurs à fustiger cette “lourdeur allemande” et cette “épaisseur suisse” ou cet “esprit boutiquier” anglais ou belge, que l’on retrouve d’ailleurs aujourd’hui dans notre antiaméricanisme actuel.
Voir aussi:
Comment sortir des doctrines de haine : le regard de la sociologie historique
CNRS
février 2000
Dans le contexte actuel où les intolérances (extrémismes et pensées uniques) se multiplient, deux chercheurs du CNRS et de l’EPHE* livrent le résultat de trois années de travail en sociologie historique sur l’époque fondatrice de la laïcité (1870-1905). Leur livre, Une haine oubliée. L’antiprotestantisme avant le » pacte laïque » (1870-1905), décrit et analyse l' » antiprotestantisme » sévissant en France il y a un siècle – haine aujourd’hui oubliée -, et montre comment des passerelles existent bel et bien entre cette haine d’hier et le flot des doctrines de haine actuelles.
Chacun peut en faire l’expérience : le froid est plus aisé à manipuler que le brûlant. L’antiprotestantisme des années 1870-1905 a donc valeur d’exemple. Il peut être décortiqué et analysé froidement et constituer ainsi un outil permettant au lecteur de réfléchir sur les diverses intolérances d’aujourd’hui : des problèmes que l’on aborde habituellement toujours de façon passionnelle reçoivent des éclairages nouveaux grâce à cette démarche.
Cette recherche s’articule autour de deux grands axes. Le premier étudie l’antiprotestantisme en tant que tel. Pour ses promoteurs, il existe dans la France de la Troisième République un » complot protestant « , mené par des étrangers de l’intérieur. Ce » péril » menace l’identité française et cherche sournoisement à » dénationaliser » le pays. Leurs accusations veulent prendre appui sur l’actualité : la guerre de 1870, la création de l’école laïque, les rivalités coloniales, l’affaire Dreyfus, la séparation des églises et de l’État. Derrière ces événements se profilerait un » parti protestant » qui œuvrerait en faveur de l’Angleterre et de l’Allemagne. Mais, à coté de l’actualité, la vision de l’histoire constitue également un enjeu et les antiprotestants, en lutte contre l’interprétation universitaire de leur époque, tentent une révision de la compréhension d’événements historiques comme la Saint-Barthélemy et la Révocation de l’Édit de Nantes. Ils accusent les protestants d’intolérance et érigent des statues à Michel Servet, victime de Calvin au XVIe siècle. La réaction protestante à ces attaques se marque non seulement par une riposte juridique, mais aussi par une auto-analyse plus critique que dans le passé. Cet axe se termine par une réflexion plus large sur la condition minoritaire en France et la manière dont la situation faite aux minorités est révélatrice du degré de démocratie de la société française.
Le deuxième axe de ce travail compare antiprotestantisme, antisémitisme et anticléricalisme, permettant de dégager ce qui est spécifique à chacune des haines et commun à toutes. L’antisémitisme de cette époque concentre deux traditions hostiles aux juifs : l’une, religieuse, qui les accuse de » déicide « , l’autre, économique, qui les accuse de » spéculation financière « . La conjonction de ces deux traditions engendre des thèses raciales sur une lutte éternelle entre l’ » aryen » et le » sémite « , alors que les accusations raciales antiprotestantes, quand elles existent, n’atteignent pas ce degré d’intensité. L’anticléricalisme est l’envers du cléricalisme : deux camps de force égale se trouvent en rivalité politico-religieuse et leurs arguments dérivent souvent dans des stéréotypes où la haine n’est pas absente. La haine anticléricale se développe lors de la lutte contre les congrégations. Mais, à partir de 1905, la séparation des églises et de l’État constitue un » pacte laïque » et permet un dépassement de l’anticléricalisme.
Paradoxalement, plus le groupe visé est faible, plus la haine à son encontre est forte. À ce titre, l’antiprotestantisme apparaît comme une haine intermédiaire entre l’anticléricalisme et l’antisémitisme. Mais, partout, à l’origine des haines, se trouve une vision conspirationniste de l’histoire : les pouvoirs établis et les idées qui triomphent sont le résultat de » menées occultes « , d' » obscurs complots « .
Le chapitre conclusif de l’ouvrage s’intitule : Analyser les doctrines de haine pour mieux les combattre. Il tente d’apprécier où se situe la ligne de partage entre le légitime droit à la critique et la dérive vers la doctrine de haine. Il cherche aussi à tracer des pistes pour sortir de l’engrenage des haines et contre-haines. Dans cette perspective, l’hégémonie culturelle des idéaux démocratiques constitue la véritable victoire de la démocratie en délivrant les consciences des peurs qui suscitent les haines.
* EPHE : École pratique des hautes études.
Référence
• Une haine oubliée. L’antiprotestantisme avant le » pacte laïque » (1870-1905) — Jean Baubérot, Valentine Zuber. Ed. Albin Michel, février 2000, (Sciences des religions), 336 p.- 140 F
Jean Baubérot est directeur du Groupe de sociologie des religions et de la laïcité (GSRL, CNRS-EPHE, IRESCO), et président de l’EPHE. Valentine Zuber est membre du GSRL et maître de conférences à l’EPHE.
Dès qu’il y a le moindre problème religieux (…), immédiatement, il y a un tryptique: il y a un évêque, un cardinal catholique, il y a un rabbin et il y a un imam, mais il n’y a jamais de protestant. Alors, c’est vrai qu’on a l’impression qu’ils sont partis en exil et qu’ils ne sont jamais revenus !
Alain Duhamel
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