Violences extrêmes et génocides: Comparer pour mieux différencier

19 août, 2008
Purifier et détruire (Jacques Sémelin)Ou bien les poux triompheront du socialisme ou bien le socialisme triomphera des poux. Lénine
Comparer, c’est différencier. (…) Selon moi, le génocide caractérise un processus spécifique de destruction qui vise à l’éradication totale d’une collectivité. (…) Dans un nettoyage ethnique, on tue les gens en partie, mais on leur dit : par ici la sortie. Dans un génocide, on ferme toutes les portes. Jacques Sémelin
Je préfère la notion de « processus » à celle de « continuum » dans la mesure où la première implique l’idée d’une dynamique de destruction qui peut connaître des aléas, des inflexions, des accélérations, bref un scénario qui n’est pas écrit à l’avance, mais qui se construit au gré de la volonté des acteurs et des circonstances. Pour être encore plus précis, je parlerai d’un processus organisé de destruction des civils, visant à la fois les personnes et leurs biens : Processus donc, car la pratique collective du massacre peut être considérée comme la résultante d’une situation complexe, principalement créée par la conjonction d’une histoire politique au long cours, d’un espace culturel et d’un contexte international particuliers ; Organisé, car il ne s’agit pas d’une destruction « naturelle » (du type tremblement de terre), ou accidentelle (du type catastrophe nucléaire de Tchernobyl). Ce processus de violence, loin d’être anarchique, est canalisé, orienté, voire construit contre tel ou tel groupe. Il prend concrètement la forme d’une action collective, impulsée le plus souvent par un État (et ses agents), qui ont la volonté d’organiser cette violence. Cela n’empêche pas une possible improvisation, voire spontanéité, des acteurs dans les manières de faire souffrir et de tuer ; Destruction car le terme est plus large que celui de « meurtre », incluant de possibles pratiques de démolition ou d’incendie des maisons, édifices religieux, bâtiments culturels afin d’annihiler la présence de l’« autre-ennemi ». Ce qui peut encore impliquer d’éventuels procédés de déshumanisation des victimes avant leur élimination. Les marches forcées et autres techniques de déportation, qui entraînent souvent un fort taux de mortalité, relèvent aussi de ces procédés de destruction des populations. En fait, le mot « destruction » ne préjuge pas plus de la méthode du meurtre, que ce soit par le feu, l’eau, le gaz, la faim, le froid, ou tout autre moyen lent ou rapide de faire mourir. Des civils car force est de constater que si cette violence peut être initialement dirigée contre des objectifs militaires (ou paramilitaires), elle tend à s’en détacher pour frapper essentiellement voire exclusivement des non-combattants, donc des civils. On connaît l’expression « destruction des populations civiles », familière du vocabulaire stratégique. Mais celle-ci renvoie trop à l’idée d’un bombardement aérien, donc de la mort provoquée d’une collectivité entière (par exemple les habitants d’une ville). Or, il faut aussi penser au processus de destruction plus différenciée, dirigée contre des civils « éparpillés » au sein d’une même société. C’est pourquoi l’expression « destruction des civils » est préférable parce qu’elle permet d’englober ces deux dimensions, qui vont de l’élimination d’individus éparpillés à celle de groupes constitués, jusqu’à des populations entières. Dans tous les cas, ces actions collectives de destruction sous-entendent un rapport totalement dissymétrique entre agresseurs et victimes. Il s’agit bien de la destruction d’un seul côté (one-sided destruction) contre des individus et des groupes qui ne sont pas en situation de se défendre. Mais attention : ceci ne préjuge en rien de la position antérieure ou future des victimes qui ont pu être ou pourront devenir à leur tour des bourreaux. Parallèlement à la constitution d’un vocabulaire propre à ce champ de recherche, il est important de différencier les dynamiques à l’œuvre dans ces processus de destruction des civils. (…) Par-delà l’horreur, force est de reconnaître que ceux-ci poursuivent des buts bien précis : appropriation de richesses, contrôles de territoires, conquête du pouvoir, déstabilisation d’un système politique, etc. (…)ceux qui commettent des massacres leur assignent des buts politiques ou stratégiques précis, lesquels peuvent cependant se modifier avec l’évolution de l’action, le contexte international, la réaction des victimes, etc. La diversité des situations historiques conduit ainsi à distinguer au moins deux types fondamentaux d’objectifs associés aux processus de destruction partielle, voire totale d’une collectivité visant à : sa soumission, son éradication. Le but est ici de faire mourir des civils pour détruire partiellement une collectivité afin de soumettre totalement ce qu’il en restera. Par définition, le processus de destruction est donc partiel mais son effet se veut global. Car les responsables de l’action comptent sur l’effet de terreur pour imposer ainsi leur domination politique sur les survivants. C’est pourquoi le procédé du massacre est particulièrement adapté à une telle stratégie : le massacre n’a pas à être tu mais su, de manière à ce que son effet terrorisant se propage dans la population. Depuis la nuit des temps, cette pratique du massacre est associée à l’exercice même de la guerre. La dynamique de destruction/soumission des civils peut en effet parfaitement s’intégrer dans une opération militaire pour précipiter la capitulation de l’adversaire, hâter la conquête de son territoire et la sujétion de ses populations. Ainsi, de la guerre antique à la guerre moderne en passant par la guerre coloniale, le massacre est presque toujours là, non comme un « excès » de la guerre, mais bien comme l’une de ses dimensions : pour hâter la capitulation de l’ennemi. C’est ce que Michael Walzer nomme la « guerre contre les civils », dans laquelle il range aussi les diverses formes de sièges et blocus visant à faire tomber une cité ou un pays (Walzer, 1992) ; pratiques de la destruction/soumission qui se retrouvent d’ailleurs aussi dans les guerres civiles contemporaines où l’on ne fait plus de distinction entre combattants et non-combattants. Ces pratiques de destruction/soumission peuvent aussi s’étendre à la gestion des peuples. À la guerre de conquête, qui a pu être conduite par le massacre, succède l’exploitation économique du peuple vaincu, en recourant encore, le cas échéant, au massacre de certains de ses membres. Telle fut par exemple l’attitude fondamentale des Conquistadores à l’égard des Indiens, perçus par eux comme des êtres sans valeur, corvéables à merci. L’histoire offre encore des variantes plus « politiques » de la logique destruction/soumission, passant de la guerre à la gestion des peuples. En ce cas, on pourrait renverser la formule de Clauzewitz : « Ce n’est plus la guerre qui est le moyen de continuer la politique : c’est la politique qui est le moyen de poursuivre la guerre »… contre les civils. Ceux qui gagnent une guerre civile sont d’ailleurs fort logiquement aspirés dans cette dynamique de construction de leur pouvoir, comme le montre d’une certaine manière l’exemple de la France révolutionnaire, plus encore celui des Bolcheviks dans la Russie de Lénine et des Khmers rouges dans le Cambodge de Pol Pot. La pratique d’une extrême violence, qui s’est développée au cours de la guerre civile, tend à se transférer dans la phase de la construction du pouvoir. Qu’il y ait eu ou non guerre civile, le procédé est de toute façon fort ancien : supplicier et massacrer « pour l’exemple » constitue l’une des techniques les plus classiques du tyran, qui entend mettre fin à une rébellion interne. Telle fut encore la tactique des exécutions d’otages pratiquée en Europe par les nazis (cent civils exécutés pour un Allemand tué) afin de combattre les foyers armés de résistance. Par la suite, certains régimes ont mis au point des techniques plus sophistiquées, comme celles de la « disparition », mises en œuvre par diverses dictatures latino-américaines des années 1970. On est là dans une pratique « discrète » d’élimination des civils, au sens à la fois formel et statistique. Car le nombre des disparus est en fin de compte assez faible, comme l’indiquent des études récentes (…) Dans certains cas, l’instauration d’un climat de terreur est à situer dans le contexte plus général du re-façonnage, sinon de la restructuration entière de la société. La détermination à détruire les bases de l’ancien système (et par conséquent, ceux et celles qui l’incarnent) s’enracine dans la volonté d’en construire un nouveau par tous les moyens. La conviction idéologique des dirigeants qui impulsent ce projet politique est donc ici déterminante. Dès lors, considérer que les pratiques variées de violences contre les civils ont pour seul but d’instiller un climat de terreur dans cette « nouvelle société » serait proposer une interprétation bien trop réductrice. Selon Uwe Makino, celles-ci font partie d’un ensemble plus large, n’étant que l’une des techniques d’une ingénierie sociale visant à transformer de fond en comble une société (Makino, 2001). Comme ce projet véritablement révolutionnaire concerne toute la société, on doit donc s’attendre à ce qu’il fasse des victimes dans toutes les strates de ladite société. Cette notion d’ingénierie sociale est également utilisée par Nicolas Werth dans son interprétation de la famine en Ukraine des années 1932-1933 et de la grande terreur stalinienne des années 1937-1938 (Werth, 2001). Dans des conditions fort différentes, on ne peut s’empêcher de penser aussi à la période de la Révolution culturelle chinoise dans cette perspective (Domenach, 1992). Ceux qui ont été probablement le plus loin dans cette voie sont les Khmers rouges au Cambodge. Mais le processus multiforme de la destruction/soumission de la société cambodgienne a eu ceci d’extraordinaire, mais de parfaitement cohérent, d’aller de pair avec le projet de la rééducation des Cambodgiens, puisque le soir étaient prévues des séances d’éducation idéologique. C’est dire que, dans sa forme probablement la plus radicale, le massacre de masse au Cambodge n’est pas synonyme d’extermination totale, le sens même de l’entreprise des Khmers rouges ayant été de viser la rééducation de ceux qui seraient épargnés ou qui réussiraient à survivre. Tout autre est cette seconde dynamique de la destruction/éradication. Son but n’est plus vraiment la soumission, mais bien l’élimination d’une collectivité, d’un territoire, plus ou moins vaste, contrôlé ou convoité par un pouvoir. Il s’agit de « nettoyer » ou de « purifier » cet espace de la présence d’un autre, jugé indésirable et/ou dangereux. C’est pourquoi la notion d’ « éradication » semble particulièrement pertinente dans la mesure où son étymologie renvoie à l’idée de « couper les racines », d’ « extraire de la terre », bref de « déraciner », comme on le dirait d’une plante malfaisante ou d’une maladie contagieuse ; sauf que, dans ce cas, cette vaste opération de déracinement vise une collectivité humaine tout entière. Ce processus de destruction/éradication, de nature identitaire, peut être également associé à la guerre de conquête. C’est le sens même de l’expression populaire : « Ôte-toi de là que je m’y mette ! » Le procédé du massacre, associé au pillage et au viol, est le moyen de se faire bien comprendre et donc de hâter le départ de cet « autre » jugé indésirable. Ainsi la destruction partielle du groupe et l’effet de terreur qui en résulte sont-ils de nature à provoquer et accélérer ces départs. Tel fut par exemple le procédé utilisé par les colons européens en Amérique du Nord à l’encontre des populations indiennes, les repoussant de plus en plus vers l’Ouest, au-delà du Mississippi. Dans les Balkans, ce mouvement contraint de populations chassées d’un territoire a été appelé « purification ethnique », notamment pour qualifier les différentes opérations de « nettoyage » pratiquées essentiellement par la Serbie et la Croatie, au début des années 1990. Mais les procédés utilisés (massacres, incendies des villages, destruction des édifices religieux…) ressortissent à des pratiques antérieures dans cette région, au moins depuis le xixe siècle dans le contexte de la montée des nationalismes et du déclin de l’Empire ottoman. Là encore, ces procédés à l’œuvre dans la guerre peuvent être réutilisés dans la « gestion » interne des peuples. Ainsi en est-il de toute la gamme des conflits ethniques étudiés par Andrew Bell-Fialkoff (1996), Donald Horowitz (2000) ou Norman Nairmark (2000). En général, on assiste à une instrumentalisation du critère ethnique à des fins de domination politique d’un groupe sur l’ensemble d’une collectivité. Le recours au massacre est alors légitimé pour régler définitivement un problème jugé insoluble. Mais ce processus peut prendre une forme encore plus radicale quand il s’agit d’éliminer totalement la collectivité visée sans même laisser à ses membres la possibilité de s’enfuir. En ce cas, le but est de capturer tous les individus de cette collectivité pour les faire disparaître. La notion de « territoire à purifier » devient secondaire par rapport à celle d’extermination proprement dite. Certains massacres coloniaux ont probablement été perpétrés dans une telle perspective, comme celui, peu connu, de la population des Hereros en 1904 par les colons allemands installés en Namibie. Y en a-t-il d’autres ? J’avoue mon incompétence. Nous savons encore bien trop peu de choses sur les massacres coloniaux, y compris ceux perpétrés par la France dans la conquête de l’Algérie au cours du xixe siècle. En tout cas, ce sont les dirigeants de l’Allemagne nazie qui ont été le plus loin dans le projet de destruction totale d’une collectivité. En effet, l’extermination des Juifs européens entre 1941 et 1945, qui fait suite à l’élimination partielle des malades mentaux allemands, est l’exemple prototypique de ce processus d’éradication poussé à l’extrême. Dans des contextes historiques fort différents, on peut en dire autant de l’extermination des Arméniens de l’Empire ottoman en 1915-1916 et de celle des Rwandais tutsis en 1994. Le but n’est plus ici de forcer un peuple à se disperser sur d’autres territoires. Il s’agit de le faire disparaître, non seulement de sa terre, mais de la terre, pour reprendre l’expression de Hannah Arendt. C’est à ce stade ultime de l’éradication que la notion de génocide peut être réintroduite, cette fois-ci comme concept en sciences sociales. En général, le grand public considère que le génocide est une sorte de massacre à grande échelle. En somme, quand le chiffre des morts atteindrait plusieurs centaines de milliers, et plus encore plusieurs millions, il y aurait lieu de parler de génocide. Mais cette approche intuitive, qui prend comme critère le grand nombre de victimes, n’est pourtant pas spécifique d’une action génocidaire. Du reste, aucun expert ne saurait dire aujourd’hui à partir de quel chiffre de morts commence un génocide. Ce qui définit plus sûrement ce dernier, c’est un critère qualitatif combiné à ce critère quantitatif : la volonté d’éradication totale d’une collectivité. En ce sens, le génocide se situe bien dans le même continuum de destructivité que l’épuration ethnique, mais s’en distingue fondamentalement. En effet, leurs dynamiques respectives sont toutes deux orientées vers l’éradication. Mais, comme le souligne bien Helen Fein, dans le premier cas (l’épuration), le départ ou la fuite des populations visées restent encore possibles, tandis que dans le second cas (le génocide), toutes les portes de sortie sont fermées. Je définirais donc le génocide comme ce processus particulier de la destruction des civils qui vise à l’éradication totale d’une collectivité dont les critères sont définis par son persécuteur. (…) Cette définition restrictive du génocide va donc à l’encontre de celle – bien plus large – de la convention de l’onu. D’une certaine manière, la définition du génocide proposée ici continue pourtant à prendre appui sur l’approche initiale de Raphaël Lemkin, du moins sur l’« essence de sa définition », comme le dit Éric Markusen, c’est-à-dire l’annihilation d’un groupe en tant que tel. (…) Mais ce raisonnement doit encore être complexifié dans la mesure où les processus de destruction/soumission et de destruction/éradication peuvent coexister, voire être imbriqués dans une même situation historique en visant des groupes différents. En général, l’un est dominant et l’autre secondaire. Ainsi, au Rwanda, en 1994, on a assisté à un processus d’éradication des Rwandais tutsis (qui peut donc être qualifié de génocide), mais en même temps, aux massacres de Hutus opposants au pouvoir (ce qui relève donc d’un processus de destruction/soumission). À l’inverse, au Cambodge, les massacres de masse relevaient bien d’un processus de destruction/soumission (tant il est vrai que Pol Pot n’a jamais voulu détruire tous les Khmers), mais ce processus de destruction comportait cependant certaines impulsions éradicatrices envers des groupes spécifiques (notamment la minorité musulmane des Chams). Notre travail d’analyste est précisément de discerner ces différentes dynamiques de violences, ce qui est souvent très complexe, car celles-ci peuvent non seulement être imbriquées, mais aussi évoluer avec le temps, passer par exemple de la soumission à l’éradication. Jacques Sémelin

Suite à notre dernier billet sur le génocide rwandais et le rôle fort douteux qu’y a joué la France …

Retour sur la véritable somme du meilleur spécialiste français de la question avec Yves Ternon, l’historien Jacques Sémelin, sur les violences extrêmes et les génocides (« Purifier et détruire. Usages politiques des massacres et génocides ») avec une critique d’Elwis Potier.

Et qui, contre ceux qui crient au génocide partout, a le mérite de présenter les choses à la fois transdisciplinairement et comparativement à partir des grands massacres historiques du xxe siècle, du génocide juif aux nettoyages ethniques de l’ex-Yougoslavie et au génocide Toutsi au Rwanda.

Tout en s’appuyant sur les travaux des meilleurs historiens sur la question et en en confrontant à chaque fois les différentes lectures et interprétations.

Ce qui permet de saisir à la fois les constantes du phénomène (la déshumanisation, l’animalisation, la part des intellectuels et autorités morales ou religieuses) et ses singularités .

Ainsi, en ces temps confus du n‘importe quoi, on comprend mieux la distinction entre un génocide et la simple épuration ethnique.

Mais aussi entre une logique génocidaire de type identitaire (nazie, houtoue) où l’ennemi est unique (juif, toutsi) et une logique politique (bolchévique, maoïste, khmère rouge) où, comme pour la Terreur de 1793, les ennemis ou suspects sont multiples et indéfiniment multipliables.

D’où aussi, ajouterions-nous, le bien plus grand nombre de victimes (jusqu’à des classes sociales entières !) que peut produire le second système …

Réflexion sur les violences extrêmes:Sémelin, J., Purifier et détruire.
Elwis Potier
Cultures & conflits
n°61 (2006)

Sémelin, J., Purifier et détruire.
Usages politiques des massacres et génocides, coll. « La Couleur des idées », Paris, Le Seuil, 2005.

Jacques Sémelin poursuit sa vaste exploration de la violence en menant une réflexion approfondie sur ses formes les plus extrêmes, les plus négatrices : la violence dans ce qu’elle a de plus macabre, de plus terrifiant, de plus absurde ou de proprement sidérant. L’auteur de ce grand livre oriente sa recherche vers ce qui paraît toujours plus inintelligible, l’énigme éminemment politique ainsi nommée « destructivité humaine de masse », pour comprendre les mécanismes à l’œuvre, les conditions et les processus qui aboutissent aux meurtres de masse.

Après avoir centré ses recherches sur la non-violence, initiant des travaux remarquables conduits au sein de l’Institut de recherche sur la résolution non violente des conflits1 et précisément sur la résistance civile en Europe sous le nazisme2, études qui ont contribué de manière décisive à porter un autre regard sur la Résistance3, Jacques Sémelin, en historien et penseur de la Résistance civile, montre dans cet ouvrage comment se mettent en place les processus de purification et de destruction du « corps social » afin d’analyser les « usages politiques des massacres et des génocides ». Tel est le projet annoncé par le sous-titre, ce qui revient en l’occurrence à traquer, notamment dans les « passages à l’acte », ce qui précisément résiste à l’analyse.

Si le titre de l’ouvrage rappelle inévitablement Surveiller et Punir de Michel Foucault, ce n’est pas seulement en raison de son homophonie. Il indique de la sorte une des références dont l’enquête ici engagée, parce qu’elle vise à saisir les liens entre violence et pouvoir, est d’une certaine façon une continuation, un prolongement possible, même si elle ne reprend pas, ou si peu, les analyses de Foucault. L’auteur s’en explique d’ailleurs dès son introduction intitulée « Comprendre4 ? » : « A l’évidence, le pouvoir politique, qui fait la matière de ce livre, n’apparaît pas de même nature que ceux des xviie et xviiie siècles, analysés par Foucault5 ». S’il évoque à nouveau rapidement la naissance du « bio-pouvoir » dans le dernier chapitre du livre, non sans avoir très justement relevé auparavant l’expression de « populicide » employée par Babeuf lors de la Révolution française, ces questions de « population », de « biopolitique » et de génocide, retravaillées ensuite par Foucault dans ses cours au Collège de France, ne font pas ici l’objet d’autres commentaires. Ce sont sans doute le titre évocateur et le caractère très explicite de la référence à Foucault qui peuvent parfois susciter de telles attentes.

Les deux verbes, « purifier » et « détruire », désignent exactement les deux facettes du même pouvoir dont l’auteur entreprend d’analyser les manifestations à travers la comparaison des grands massacres historiques du xxe siècle, principalement la Shoah, les nettoyages ethniques de l’ex-Yougoslavie et le génocide des Tutsi au Rwanda, en élargissant, selon les problématiques traitées, à d’autres exemples comme les génocides arménien et cambodgien. Il ne s’agit donc pas d’une archéologie du génocide, ni même d’un essai au sens philosophique du terme. Cette étude, qui prend la forme d’une synthèse de plusieurs années de recherches au CNRS, ne cherche pas à faire une relecture philosophique de l’histoire, c’est d’ailleurs ce qui en fait sa qualité première. L’auteur reste clairement dans une démarche d’enquête empirique et donne au lecteur tous les éléments de méthode utiles lui permettant de vérifier ou de juger sur pièces (on se reportera profitablement à l’introduction et aux annexes).

Il s’agit bien plus d’analyser, dans une approche transdisciplinaire, les différentes formes historiques de massacres collectifs suivant une démarche comparative rigoureuse en s’appuyant sur les nombreux travaux d’historiens et confrontant les différentes lectures et interprétations. Cela tend à situer Jacques Sémelin, comme il s’en réclame lui-même, davantage dans la lignée d’historiens comme Léon Poliakov et Yves Ternon. La qualité du travail historiographique n’a d’égal que la richesse de la documentation sur laquelle se fonde le questionnement. L’ouvrage, à cet égard, fait figure d’outil de travail indispensable, qui plus est, passionnant. L’autre intérêt indéniable tient à la portée des analyses et à la compréhension qu’il donne de la complexité des phénomènes décrits, une compréhension qui doit beaucoup à la diversité des références théoriques et à la posture singulière du chercheur.

Jacques Sémelin a été psychosociologue avant d’être professeur à Sciences Po. Il en a gardé un attrait pour les approches pluridisciplinaires, ce qui l’amène à croiser les regards psychologique, psychosociologique, anthropologique, philosophique, tout en maintenant le cap d’une sociologie politique, que l’on peut, sans hésiter qualifier de compréhensive. Cela revient, outre la filiation à Weber, à faire appel à des éclairages différents « sans réduire les phénomènes sociaux à des processus psychologiques6 ». On retrouve ainsi avec plaisir des auteurs qui ont nourri sa réflexion et jalonné ses écrits depuis son premier livre publié en 1983 Pour sortir de la violence7 : Arendt, Freud, Bettelheim, Fornari, Milgram, etc. Dans le cinquième chapitre par exemple (« Les vertiges de l’impunité8 »), les pages consacrées au « crime d’obéissance » reprennent les expériences de Milgram et Zimbardo avant de revenir plus longuement sur « la banalité du mal » et de revisiter les thèses d’Arendt. Cette ouverture pluridisciplinaire stimule la réflexion critique et permet de rendre compte des convergences et des divergences entre les différentes approches, d’autant que l’auteur, méfiant vis-à-vis du jargon et de l’enflure verbale, se garde bien de glisser vers une « esthétique de l’horreur9» et parvient à exprimer les différents points de vue, y compris le sien, dans un style simple et précis.

Les noms de psychologues, de philosophes et autres écrivains viennent naturellement compléter l’impressionnante liste des historiens, sociologues ou politistes de divers horizons qui alimentent la réflexion tout au long de l’ouvrage. L’étendue de l’investigation, par cette pluralité des approches et des thématiques, peut poser la question des limites de son champ, autrement dit, de la dispersion, mais il n’en est rien : la complexité de « l’abîme génocidaire » nécessite une telle démarche. C’est davantage l’objet même de cette recherche qui pose inévitablement problème, à commencer par les termes choisis et les notions qui le désignent. Jacques Sémelin en est pleinement conscient et décide de s’en tenir au terme de « massacre », terme qu’il qualifie paradoxalement de « minimal » et qu’il propose de définir en tant que « forme d’action le plus souvent collective de destruction de non-combattants10 ». La question du génocide est renvoyée en fin d’ouvrage et fait l’objet d’une analyse critique de ses usages et instrumentalisations, depuis son invention par Raphael Lemkin en 1944 et la définition du crime de génocide par la Convention de l’ONU en 1948, qui a marqué les premières études en sciences sociales sur le sujet. Cette clarification ne pourra se faire sans revenir sur la notion de massacre collectif, et sans reprendre les débats sur l’emploi du terme « Holocaust » et de l’expression « nettoyage ethnique ». Le parti pris de Sémelin veut donc que l’analyse de ces « usages politiques » ne puisse se faire qu’après avoir enquêté sur les processus qui aboutissent aux massacres. Cette mise à distance à laquelle correspond le report du travail sur la définition de l’objet d’étude répond bien de la démarche empruntée par le chercheur soucieux d’adopter une juste posture face à cet objet difficile, s’il en est. Ce qu’il nomme « l’abîme génocidaire » est en effet un objet massif (c’est cet aspect qui est le premier discriminant), sidérant, « hideux », qui oblige à une distance critique y compris envers les mots eux-mêmes, mots par lesquels le fantasme se mêle à la réalité.

La construction de l’ouvrage est donc remarquable à plus d’un titre. Chaque chapitre s’ouvre sur un éclairage particulier, un nouvel angle d’analyse, qui prolonge le précédent et renouvelle le questionnement. L’auteur nous convie ainsi à plusieurs temps d’analyse qui sont autant de niveaux d’interprétation, dans l’articulation desquels progresse une réelle compréhension du phénomène génocidaire. Il serait donc vain, on l’aura compris, de vouloir résumer une telle somme, tout au plus pouvons-nous donner quelques indications afin de rendre une idée de l’ensemble et nous interroger sur quelques points.

Le fil rouge qui dessine le parcours emprunté par l’auteur pour affronter la question du pouvoir de destruction est le passage à l’acte, « mouvement de bascule du fantasme à l’action11 ». Ce « moment » décisif semble insaisissable puisqu’il n’y a pas « un » acte ou « une » décision comme il ne peut y avoir « une seule » cause. Il sera alors appréhendé comme « processus de bascule, complexe, imbriquant des dynamiques collectives et individuelles, de nature politique, sociale, psychologique, etc.12 ».

Le premier chapitre13 s’ouvre naturellement sur une revue critique des théories qui privilégient un seul facteur, qu’il soit économique, culturel, démographique ou psychologique. Cette mise au point est d’emblée nécessaire tant les explications hâtives sont légion, comme l’interprétation très courue qui voudrait que la violence politique et les massacres collectifs traduisent une dilution14 du politique, celle des institutions et des Etats-nations. Sémelin rappelle à juste titre qu’« écrire l’histoire, c’est ouvrir le champ des possibles, en se méfiant de toute interprétation causale simpliste et déterministe du passé15 ». L’enchevêtrement des causes est certainement plus pertinent mais l’accumulation des « causes » possibles ne peut faire l’économie des significations de la situation pour les acteurs impliqués. « Pour vivre, les hommes ont besoin de donner du sens à leur existence. Pour tuer, il en est de même. Ce tremplin mental vers le meurtre de masse repose sur les interactions constantes entre imaginaire et réel, à travers lesquelles toute limite est abolie16 ».

Ces considérations sur les significations sociales amènent l’auteur à souligner la puissance de l’imaginaire, un imaginaire finement analysé à travers les thèmes de l’identité, de la pureté et de la sécurité, dans ses rapports à l’idéologie qui le relie au réel. Cette dynamique se traduit par le passage de l’angoisse collective à la peur intense à l’égard d’un ennemi, peur qui va pouvoir faire l’objet de manipulations. Après avoir décrit l’imaginaire de toute puissance et de destruction et la logique identitaire justement résumée par la formule « détruire le “eux” pour sauver le “nous”17», Sémelin s’attarde, dans le deuxième chapitre18, sur l’intention à partir de laquelle se construit le « discours incendiaire » et « la violence sacrificielle ». L’analyse porte sur la nature du discours, les conditions de son élaboration et de sa légitimation, notamment par la convergence des registres intellectuel, politique, religieux et social. Le chapitre suivant sur le « contexte international, guerre et médias19 » se tourne vers les facteurs externes aux pays pour comprendre comment s’effectue la « transformation du processus de violence en acte de guerre ». Le quatrième chapitre sur « les dynamiques du meurtre de masse20 » est une description des « pratiques collectives » de massacre et des différents modes d’adhésion, sinon de participation, de la société. Le rôle déterminant des acteurs étatiques et para-étatiques est alors replacé dans sa juste mesure.

Insistons au passage sur un point crucial : il est nécessaire, et même salutaire, de rappeler, comme le fait Sémelin, qu’il n’y a pas de violence « spontanée » des masses21 comme il n’y a pas de « passivité » absolue des populations22. La fin de cette partie dresse un tableau à la fois édifiant et contrasté des « morphologies de la violence extrême » et des types de destruction qui s’achève par la question fondamentale et critique à nos yeux de « l’autonomisation 23» du meurtre de masse. Voilà quelques unes des nombreuses idées qui ne manqueront pas d’éveiller la conscience. De même que nous nous abstenons de rentrer dans les faits historiques qui n’ont d’intérêt que remis en perspective, ce survol très rapide du « cœur » de l’ouvrage n’a pour but que de renvoyer au « corps » du texte en espérant donner envie de le lire.

La partie sur « les vertiges de l’impunité » est l’occasion pour Sémelin de centrer l’analyse sur le « moment », le « noyau dur » du passage à l’acte, et d’aller, en quelque sorte, au bout de son raisonnement. Au fil des pages de cet avant-dernier chapitre, en suivant les interrogations et les considérations sur la rationalité et le délire, puis sur la « jouissance de la cruauté », on arrive dans une « zone grise24 » qui semble aboutir à une impasse, à moins que ce ne soit le signe de notre libre arbitre.

Le dernier chapitre, synthèse sur les « usages politiques des massacres », est à part. Il est en partie consacré, nous l’avons dit, à une réflexion sur la notion de génocide en lien avec d’autres notions proches. A ce propos, la perspective que donne l’auteur du « nettoyage ethnique » est détonante et nous paraît viser juste : le « nettoyage ethnique », apparaît selon lui, comme « une nouvelle forme d’ingénierie sociale qui consiste […] à découper le peuple rebelle25 ». Mais on peut, en revanche, s’interroger sur la place qu’il donne par la suite au terrorisme et sur l’intérêt d’engager en toute fin de volume une réflexion sur cette question. Les cas historiques évoqués – et le 11 septembre 2001 y prend, bien évidemment, toute sa place – n’ont que peu de rapport avec les cas de génocides précédemment cités. Bien sûr, on peut considérer que les actes terroristes, ou désignés comme tels, provoquent des massacres mais peut-on, pour autant, rester sur une définition « minimale » pour justifier toute comparaison ? L’auteur, bien entendu, discute de l’usage du terme et cite les chercheurs qui font autorité en la matière26, mais il ne suit manifestement pas les avertissements de Didier Bigo pour qui « ce n’est pas un concept utilisable par les sciences sociales et la stratégie27 », et préfère s’en remettre aux conceptions d’Isabelle Sommier (la « violence totale 28»), chez qui il trouve la justification de ce rapprochement avec le génocide. Il faut dire que ce dernier chapitre est également en grande partie consacré à la typologie que Sémelin a conçue au terme de sa recherche. Il distingue trois types de logiques politiques des massacres que sont la soumission, l’éradication et l’insurrection. Il se trouve que le terrorisme constitue la principale illustration de la logique insurrectionnelle. Peut-on expliquer avec les mêmes concepts la violence génocidaire et la violence terroriste ? Des massacres peuvent, certes, participer d’une logique d’insurrection, mais faut-il toujours parler de « massacres de masse » ? Peut-être ne s’agit-il plus de la même « masse », non plus des mêmes « massacres » ni de la même « destruction ».

La conclusion ouvre des pistes intéressantes pour apporter des réponses concrètes aux problèmes soulevés. Soucieux de mener des recherches utiles, et fidèle à une éthique de la responsabilité, Jacques Sémelin propose des axes de travail prometteurs tant sur le plan des sciences sociales que sur celui de l’action internationale.

Notes

1. Publiés dans la revue Alternatives non violentes.
2. Son ouvrage Sans armes face à Hitler (préfacé par Jean-Pierre Azéma, Paris, Editions Payot, 1989), né d’une interrogation « de nature éthique et stratégique », a fait date sur la question.
3. Ces différentes études ont largement contribué à ouvrir le champ des sciences politiques par l’élaboration de nouvelles notions telles la « dissuasion civile » et la constitution de ce qu’il conviendrait d’appeler un « répertoire » des actions non violentes.
4. Sémelin J., Purifier et détruire, opcit., pp15-23.
5. Ibid., p21.
6. p286.
7. Sémelin J., Pour sortir de la violence, Paris, Les Editions ouvrières, 1983.
8. Sémelin J., Purifier et détruire, opcit., pp285-364.
9. Ibid., p22.
10. Ibid., p19.
11. Ibid., p39
12. Ibid., p. 16
13. Ibid., pp. 25-74
14. Ne confondons pas « dilution » et « délitement », Sémelin est convaincu qu’ « aucune société n’est à l’abri de tels processus dès lors qu’elle commence à se déliter » (Ibid., p. 25).
15. Ibid., p87.
16. Ibid., p287.
17. Ibid., p70.
18. Ibid., pp75-133.
19. Ibid., pp135-200.
20. Ibid., pp201-284.
21. Ibid., p203.
22. Ibid., p267.
23. Ibid., p. 284.
24. Expression de Primo Levi, dans Les Naufragés et les RescapésQuarante ans après Auschwitz, Paris, Gallimard, 1989.
25. p403.
26. pp.416-419.
27. Bigo D., « L’impossible cartographie du terrorisme », Cultures & Conflits, automne 2001.
28. Voir Sommier I., Le Terrorisme, Paris, Flammarion, coll« Dominos », 2000.
Pour citer cet article
Référence papier

Cultures & Conflits n°61 (2006) pp.165-172
Référence électronique

Elwis Potier, « Réflexion sur les violences extrêmes : Purifier et détruire, de Jacques Sémelin. », Cultures & Conflits, 61, printemps 2006, [En ligne], mis en ligne le 17 mai 2006. URL : http://www.conflits.org/index2044.html. Consulté le 19 août 2008.
Auteur
Elwis Potier

Elwis Potier est psychosociologue, auteur de l’article « L’imaginaire du contrôle des foules dans l’armée de terre française », Cultures & Conflits n°56, hiver 2004.

Voir aussi:


Le terme « génocide » a été créé en 1944 par Raphaël Lemkin, juriste américain d’origine polonaise, et institutionnalisé en 1948, sur le plan international, par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée par les Nations Unies. Cette notion de « génocide » est d’un emploi malaisé en sciences sociales du fait des enjeux moraux et politiques qui lui sont associés.

  • Enjeux de mémoire : du fait de l’existence de cette convention internationale, nombreux sont ceux qui veulent faire reconnaître que les massacres et violences subis dans le passé, de la part de tel groupe ou État, rentre dans la catégorie du génocide : le combat le plus emblématique à cet égard est celui de la communauté arménienne ;
  • Enjeux liés à l’action immédiate : quand une population semble ou est effectivement en danger de mort, le recours au mot « génocide » constitue comme le signal ultime adressé à tous pour empêcher la tragédie d’advenir ; cela pour provoquer un choc dans les consciences et susciter une intervention internationale en faveur des victimes ;
  • Enjeux judiciaires proprement dits : pour poursuivre en justice des responsables de violences de masse et de massacres (inculpation de Pinochet et plus récemment de Miloševic pour « génocide »).

Or, tiraillé entre ces enjeux moraux et politiques, il n’est pas facile pour le chercheur de se frayer un chemin, c’est-à-dire celui de sa propre autonomie. Ces mobilisations communautaires, citoyennes ou judiciaires, si importantes soient-elles, ne relèvent pas véritablement du métier de chercheur. Son rôle premier est ailleurs. Il est de conduire des enquêtes de terrain, de recueillir des données, d’élaborer des outils d’analyse pour interpréter ce que l’on nomme « génocide » (ce qui ne va pas de soi), et plus généralement, son rôle consiste à tenter de comprendre les processus de bascule dans les pratiques de violence extrême (et les massacres). Naturellement, les résultats de ses recherches peuvent servir par la suite à l’action et à la prévention.

Mon intention générale est précisément d’œuvrer à l’émancipation des sciences sociales, dans le champ des études sur le génocide, c’est-à-dire à une véritable autonomie du chercheur. Dans ce but, je propose trois axes de travail :

  1. Redéfinir les notions en partant d’une approche critique de celle de « génocide » (pour se dégager d’une approche juridique) ;
  2. Distinguer les différents processus de destruction dans les pratiques de massacres (en s’appuyant sur la sociologie historique et politique) ;
  3. Construire des problématiques de recherche qui nous aident à comprendre le processus du passage à l’acte dans la violence extrême, ce qui me paraît être la question centrale (et énigmatique) des études sur le génocide.

À l’avenir, je compte concentrer mon effort de recherche sur ce dernier point. Mais, compte tenu des limites de cet article, je me bornerai ici à l’exposé succinct des deux premiers.

Redéfinir les notions

Dans un récent numéro du Journal of Genocide Research, son directeur, Henry Huttenbach, écrivait dans son éditorial : « Les études sur le génocide sont-elles déjà dans un cul-de-sac ? » (Huttenbach, 2001, p. 7). Ce jugement a de quoi surprendre… Si Henry Huttenbach affirme cela, c’est parce qu’il n’existe pas de consensus entre les chercheurs sur ce qu’est ou n’est pas un génocide. Entre l’historien Stephan Katz, qui estime qu’il n’y a qu’un seul génocide – celui des juifs –, et le psychologue Israël Charny, qui considère que tout massacre est un génocide (en y incluant les catastrophes industrielles du type Tchernobyl), la gamme des définitions est très large. Parmi les travaux les plus intéressants dans le champ des genocide studies, je noterai ceux d’Helen Fein (1990), de Frank Chalk et Kurt Jonnasohn (1990), ainsi que de Marc Levene (2000). Mais même entre ces chercheurs, il n’existe pas vraiment d’accord sur une définition commune du génocide, ce qui rend très difficile le travail de comparaison.
D’une certaine manière, on peut comprendre que ceux qui veulent faire valoir l’unicité du génocide des juifs aient réussi à imposer d’autres mots, celui de Holocaust aux États-Unis et de Shoah en France. Évolution quelque peu paradoxale car si la convention sur le génocide a été votée par l’onu en 1948, c’est précisément dans le contexte de l’après-Auschwitz.

Je ne crois pourtant pas que les études sur le génocide soient dans une impasse : il suffit de constater la richesse des contributions publiées dans le Journal of Genocide Research. Mais il y a effectivement des problèmes cruciaux qu’il nous faut identifier : quels sont-ils ?

  1. Le premier tient à la nature de l’objet étudié. Nous nous intéressons ici à des « événements monstres » qui sont en eux-mêmes très difficiles à analyser ; d’autant que les archives sont souvent défaillantes. Certains estiment mêmes que l’on ne peut les comprendre. Ce n’est pas ma position. Des travaux en histoire, comme ceux de Christopher Browning, auteur Des hommes ordinaires (1992), ou en psychologie sociale, comme ceux de Stanley Milgram (1974), me semblent pertinents. Comprendre les génocides, et plus généralement les massacres, implique nécessairement le genre de démarche transdisciplinaire que suggère cette juxtaposition de références. Mais je crois aussi que nous avons toujours à faire preuve de modestie et d’humilité face à l’énigme de notre propre barbarie.
  2. Le deuxième tient à la jeunesse de ce champ d’études qui cherche son vocabulaire, sa méthodologie, etc. À cet égard, on a assisté durant ces trente dernières années à l’invention de nouveaux termes. Outre celui d’« ethnocide », déjà ancien, notons ceux de « politicide », créé par Ted Gurr et Barbara Harff (1988), de « démocide », par Rudolf Rummel (1994), et encore de « fémicide », de « culturicide », d’urbicide », etc. Tout se passe comme si l’effort s’était concentré sur le point de savoir comment nommer les phénomènes de destruction des populations civiles pour pouvoir les penser.
  3. Une troisième difficulté tient à la position même du mot « génocide », à l’intersection du droit international et des sciences sociales. Ceci peut se lire très explicitement dans le premier texte de Lemkin, dans son livre de 1944 : « Voici un phénomène nouveau qui est en train de se produire en Europe. Ce phénomène nouveau appelle un terme nouveau : je crée celui de « génocide ». Et il termine son texte en formulant des recommandations juridiques pour lutter contre ce nouveau type de crime sur le plan international.

Or, l’essentiel des études sur le génocide, depuis Lemkin, sont héritières de cette approche initiale. Le champ des études sur le génocide a été enfanté par le droit. Il suffit, pour nous en fournir la preuve, de faire un examen des principaux livres que je viens d’évoquer : ils commencent presque tous par une présentation et une discussion de la convention de l’onu de 1948. Or, on le sait, le texte de cette convention présente des insuffisances, voire des contradictions, sur lesquelles je ne reviendrai pas ici. En résultent maints débats et polémiques entre les chercheurs.

Plus profondément encore, le problème est d’utiliser une notion juridique comme catégorie d’analyse en sciences sociales. Autrement dit, on en vient à utiliser une norme qui est, par définition, politique, puisque le texte de cette convention résulte évidemment d’un accord international entre les États en 1948, dans le contexte de l’après-guerre.
Une telle situation est problématique. Elle fait penser à la critique développée par Durkheim, au début du xxe siècle, à propos de l’utilisation normative de la notion de « crime » en sociologie. En ce début de xxie siècle, nous avons également à développer la critique de l’utilisation normative de la notion de « génocide » dans les sciences sociales.
Ainsi, dans cette perspective d’autonomisation des sciences sociales (évoquée en introduction), cela doit s’exprimer d’abord dans leur émancipation à l’égard du droit et donc du politique. Ce n’est pas forcément à la mode dans la mesure où, de nos jours, tout devient juridique et, inversement, on utilise le droit pour faire de la politique. Le droit étant lui-même politique. En matière de droit international, nous commençons d’ailleurs à disposer d’excellents travaux de synthèse (Schabas, 2000). Néanmoins, cette émancipation de l’approche juridique me semble une étape indispensable, pour ne pas dire vitale, afin que les études sur le génocide acquièrent leur propre maturité.
Première conséquence de cette volonté d’autonomie : elle me conduit à employer un vocabulaire non normatif, non juridique, pour construire cet objet de recherche. En ce sens, je préconise d’abord l’utilisation de la notion de « massacre », comme unité lexicale de référence, dans ce champ d’études. Bien moins générale que celle de violence, la notion de « massacre » désigne une forme d’action le plus souvent collective, détruisant des individus sans défense ce qui, d’ailleurs, se dit aussi des animaux, depuis le Moyen Âge européen. Ce rapprochement immédiat entre le massacre des animaux et celui d’êtres humains, rapprochement à la fois sur le plan historique et sémantique, n’est d’ailleurs pas anodin.
Il est certain que cela ne résout pas encore la question d’une définition du génocide du point de vue des sciences sociales. Mais avant d’en arriver là, il s’agit d’abord de travailler sur le massacre ; tant il est vrai que tout massacre ne peut être considéré comme un génocide et qu’un génocide est d’abord constitué d’un ou plusieurs massacres. C’est donc le simple bon sens méthodologique qui conduit à privilégier l’objet d’études « massacre », la question étant notamment de savoir quand et dans quelles circonstances un massacre devient un génocide.

Mes travaux m’incitent donc à tenter de Penser les massacres (Sémelin, 2001), à partir d’un vocabulaire de base autour de cette notion, distinguant par exemple :

  • Massacres de proximité (de type « face to face ») et massacre à distance (du type bombardement aérien) ;
  • Massacres bilatéraux (comme dans la guerre civile) et massacres unilatéraux (du type d’un État contre son peuple) ;
  • La notion de « massacre de masse » (comme en Indonésie en 1965 ou au Rwanda en 1994) dans lesquels entre 500 000 à 800 000 personnes ont été tuées en quelques semaines) et des massacres à une échelle beaucoup plus réduite, comme en Algérie ou en Colombie. Dans le premier cas, il semble justifié de parler de « massacre de masse », de la même manière que l’on distingue entre une manifestation et une manifestation de masse.

La notion de massacre présente toutefois un inconvénient : celle de focaliser l’attention du chercheur sur l’ « événement massacre » proprement dit, sans prendre en compte le processus qui a conduit au fait de massacrer. En somme, elle met l’accent sur son dénouement physique : l’acte de donner la mort. Or, ce peut être là un biais important de l’appréhension du phénomène dans la mesure où des formes diverses de violences – avant le massacre – pourraient être tout simplement oubliées ou relativisées. L’exemple du Kosovo est à cet égard particulièrement significatif. Une polémique s’est développée en France sur le nombre de morts dans cette province de l’ex-Yougoslavie, à la suite des opérations de « nettoyage ethnique » entreprises par l’armée serbe et diverses milices. Au moment de l’intervention de l’otan de 1999, destinée officiellement à y mettre un terme, des chiffres de morts fort différents ont été avancés par les uns et les autres : 3 000 ? 10 000 ? 100 000 ? Cette comptabilité, pour macabre qu’elle soit, est certes nécessaire, ne serait-ce que dans une perspective judiciaire. Mais elle est bien trop réductrice des réalités des destructions causées au Kosovo depuis 1998 (sinon depuis 1990) en termes de personnes disparues, de familles déplacées, de femmes violées, de maisons brûlées, etc.

C’est dire l’importance de penser le massacre comme étant « seulement » la forme la plus spectaculaire et tragique d’un processus global de destruction. Le massacre peut soit « accompagner » ce processus soit en être l’aboutissement. Je rejoins ici l’approche du psychosociologue Ervin Staub, qui a jeté les bases d’une théorie à la fois psychologique et politique, du massacre de masse (1989). Toutefois, celui-ci avance plutôt l’idée d’un continuum de destruction et non d’un processus. Or, cette idée de « continuum » semble discutable dans la mesure où elle pourrait suggérer une continuité inéluctable qui irait nécessairement d’un événement a) à un événement b) ; par exemple de la persécution croissante d’une minorité à son massacre. Une telle vision est certainement inspirée de l’histoire de la « Shoah ». Mais on admet aujourd’hui qu’il s’agit d’une interprétation erronée reconstruite a posteriori (parce que l’on connaît la fin de l’histoire) : la persécution des juifs allemands au tout début de l’Allemagne hitlérienne n’impliquait nullement que le scénario d’Auschwitz était déjà écrit. C’est pourquoi je préfère la notion de « processus » à celle de « continuum » dans la mesure où la première implique l’idée d’une dynamique de destruction qui peut connaître des aléas, des inflexions, des accélérations, bref un scénario qui n’est pas écrit à l’avance, mais qui se construit au gré de la volonté des acteurs et des circonstances.

Pour être encore plus précis, je parlerai d’un processus organisé de destruction des civils, visant à la fois les personnes et leurs biens :

  • Processus donc, car la pratique collective du massacre peut être considérée comme la résultante d’une situation complexe, principalement créée par la conjonction d’une histoire politique au long cours, d’un espace culturel et d’un contexte international particuliers ;
  • Organisé, car il ne s’agit pas d’une destruction « naturelle » (du type tremblement de terre), ou accidentelle (du type catastrophe nucléaire de Tchernobyl). Ce processus de violence, loin d’être anarchique, est canalisé, orienté, voire construit contre tel ou tel groupe. Il prend concrètement la forme d’une action collective, impulsée le plus souvent par un État (et ses agents), qui ont la volonté d’organiser cette violence. Cela n’empêche pas une possible improvisation, voire spontanéité, des acteurs dans les manières de faire souffrir et de tuer ;
  • Destruction car le terme est plus large que celui de « meurtre », incluant de possibles pratiques de démolition ou d’incendie des maisons, édifices religieux, bâtiments culturels afin d’annihiler la présence de l’« autre-ennemi ». Ce qui peut encore impliquer d’éventuels procédés de déshumanisation des victimes avant leur élimination. Les marches forcées et autres techniques de déportation, qui entraînent souvent un fort taux de mortalité, relèvent aussi de ces procédés de destruction des populations. En fait, le mot « destruction » ne préjuge pas plus de la méthode du meurtre, que ce soit par le feu, l’eau, le gaz, la faim, le froid, ou tout autre moyen lent ou rapide de faire mourir.
  • Des civils car force est de constater que si cette violence peut être initialement dirigée contre des objectifs militaires (ou paramilitaires), elle tend à s’en détacher pour frapper essentiellement voire exclusivement des non-combattants, donc des civils. On connaît l’expression « destruction des populations civiles », familière du vocabulaire stratégique. Mais celle-ci renvoie trop à l’idée d’un bombardement aérien, donc de la mort provoquée d’une collectivité entière (par exemple les habitants d’une ville). Or, il faut aussi penser au processus de destruction plus différenciée, dirigée contre des civils « éparpillés » au sein d’une même société. C’est pourquoi l’expression « destruction des civils » est préférable parce qu’elle permet d’englober ces deux dimensions, qui vont de l’élimination d’individus éparpillés à celle de groupes constitués, jusqu’à des populations entières.

Dans tous les cas, ces actions collectives de destruction sous-entendent un rapport totalement dissymétrique entre agresseurs et victimes. Il s’agit bien de la destruction d’un seul côté (one-sided destruction) contre des individus et des groupes qui ne sont pas en situation de se défendre. Mais attention : ceci ne préjuge en rien de la position antérieure ou future des victimes qui ont pu être ou pourront devenir à leur tour des bourreaux.

Distinguer les différents processus de destruction des civils

Parallèlement à la constitution d’un vocabulaire propre à ce champ de recherche, il est important de différencier les dynamiques à l’œuvre dans ces processus de destruction des civils. Lorsqu’un massacre est commis et révélé par la presse, des journalistes sont enclins à insister sur son apparente irrationalité : pourquoi s’en prendre aux enfants, aux femmes, aux personnes âgées ? Des détails sur les atrocités sont aussi donnés dans ces reportages. Les caractéristiques révoltantes des massacres ne doivent pourtant pas empêcher de s’interroger sur la logique des acteurs, non seulement du point de vue de leurs moyens d’action mais de leurs objectifs et de leurs représentations de l’ennemi. Par-delà l’horreur, force est de reconnaître que ceux-ci poursuivent des buts bien précis : appropriation de richesses, contrôles de territoires, conquête du pouvoir, déstabilisation d’un système politique, etc.
Penser le massacre, c’est alors chercher à saisir à la fois sa rationalité et son irrationalité : ce qui peut relever du froid calcul et de la folie des hommes : ce que je nomme sa rationalité délirante. Ce qualificatif de « délirant » renvoie à deux réalités de nature psychiatrique. La première est celle d’une attitude de type « psychotique » à l’égard d’un autre à détruire, qui en fait n’est pas un « autre », parce qu’il est perçu par celui qui va l’anéantir comme un « non semblable » à lui-même. C’est dans le déni de l’humanité de cet autre « barbare » que réside la part psychotique du rapport du bourreau à sa future victime. Mais « délirant » peut encore signifier une représentation paranoïaque de cet autre perçu comme constituant une menace, voire incarnant le mal. Or la particularité d’une structure paranoïaque est sa dangerosité, la conviction d’avoir à faire à un autre malfaisant étant si forte qu’il y a effectivement risque de passage à l’acte. Ainsi, dans le massacre, la « polarisation binaire » « Bien/Mal » et « Amis/Ennemis » est à son comble comme dans la guerre. C’est pourquoi le massacre fait toujours bon ménage avec la guerre ou, s’il n’y a pas de guerre à proprement parler, il est vécu comme un acte de guerre.

C’est par là que les massacres ne sont pas « insensés », du point de vue de ceux qui les perpétuent, parce qu’ils ressortissent à une dynamique ou à des dynamiques de guerre. À ce titre, ceux qui commettent des massacres leur assignent des buts politiques ou stratégiques précis, lesquels peuvent cependant se modifier avec l’évolution de l’action, le contexte international, la réaction des victimes, etc. La diversité des situations historiques conduit ainsi à distinguer au moins deux types fondamentaux d’objectifs associés aux processus de destruction partielle, voire totale d’une collectivité visant à :

Détruire pour soumettre

Le but est ici de faire mourir des civils pour détruire partiellement une collectivité afin de soumettre totalement ce qu’il en restera. Par définition, le processus de destruction est donc partiel mais son effet se veut global. Car les responsables de l’action comptent sur l’effet de terreur pour imposer ainsi leur domination politique sur les survivants. C’est pourquoi le procédé du massacre est particulièrement adapté à une telle stratégie : le massacre n’a pas à être tu mais su, de manière à ce que son effet terrorisant se propage dans la population.
Depuis la nuit des temps, cette pratique du massacre est associée à l’exercice même de la guerre. La dynamique de destruction/soumission des civils peut en effet parfaitement s’intégrer dans une opération militaire pour précipiter la capitulation de l’adversaire, hâter la conquête de son territoire et la sujétion de ses populations. Ainsi, de la guerre antique à la guerre moderne en passant par la guerre coloniale, le massacre est presque toujours là, non comme un « excès » de la guerre, mais bien comme l’une de ses dimensions : pour hâter la capitulation de l’ennemi.
C’est ce que Michael Walzer nomme la « guerre contre les civils », dans laquelle il range aussi les diverses formes de sièges et blocus visant à faire tomber une cité ou un pays (Walzer, 1992) ; pratiques de la destruction/soumission qui se retrouvent d’ailleurs aussi dans les guerres civiles contemporaines où l’on ne fait plus de distinction entre combattants et non-combattants.
Ces pratiques de destruction/soumission peuvent aussi s’étendre à la gestion des peuples. À la guerre de conquête, qui a pu être conduite par le massacre, succède l’exploitation économique du peuple vaincu, en recourant encore, le cas échéant, au massacre de certains de ses membres. Telle fut par exemple l’attitude fondamentale des Conquistadores à l’égard des Indiens, perçus par eux comme des êtres sans valeur, corvéables à merci. L’histoire offre encore des variantes plus « politiques » de la logique destruction/soumission, passant de la guerre à la gestion des peuples. En ce cas, on pourrait renverser la formule de Clauzewitz : « Ce n’est plus la guerre qui est le moyen de continuer la politique : c’est la politique qui est le moyen de poursuivre la guerre »… contre les civils. Ceux qui gagnent une guerre civile sont d’ailleurs fort logiquement aspirés dans cette dynamique de construction de leur pouvoir, comme le montre d’une certaine manière l’exemple de la France révolutionnaire, plus encore celui des Bolcheviks dans la Russie de Lénine et des Khmers rouges dans le Cambodge de Pol Pot. La pratique d’une extrême violence, qui s’est développée au cours de la guerre civile, tend à se transférer dans la phase de la construction du pouvoir.
Qu’il y ait eu ou non guerre civile, le procédé est de toute façon fort ancien : supplicier et massacrer « pour l’exemple » constitue l’une des techniques les plus classiques du tyran, qui entend mettre fin à une rébellion interne. Telle fut encore la tactique des exécutions d’otages pratiquée en Europe par les nazis (cent civils exécutés pour un Allemand tué) afin de combattre les foyers armés de résistance. Par la suite, certains régimes ont mis au point des techniques plus sophistiquées, comme celles de la « disparition », mises en œuvre par diverses dictatures latino-américaines des années 1970. On est là dans une pratique « discrète » d’élimination des civils, au sens à la fois formel et statistique. Car le nombre des disparus est en fin de compte assez faible, comme l’indiquent des études récentes (voir ici l’article de Sandrine Lefranc).
Dans certains cas, l’instauration d’un climat de terreur est à situer dans le contexte plus général du re-façonnage, sinon de la restructuration entière de la société. La détermination à détruire les bases de l’ancien système (et par conséquent, ceux et celles qui l’incarnent) s’enracine dans la volonté d’en construire un nouveau par tous les moyens. La conviction idéologique des dirigeants qui impulsent ce projet politique est donc ici déterminante. Dès lors, considérer que les pratiques variées de violences contre les civils ont pour seul but d’instiller un climat de terreur dans cette « nouvelle société » serait proposer une interprétation bien trop réductrice. Selon Uwe Makino, celles-ci font partie d’un ensemble plus large, n’étant que l’une des techniques d’une ingénierie sociale visant à transformer de fond en comble une société (Makino, 2001). Comme ce projet véritablement révolutionnaire concerne toute la société, on doit donc s’attendre à ce qu’il fasse des victimes dans toutes les strates de ladite société. Cette notion d’ingénierie sociale est également utilisée par Nicolas Werth dans son interprétation de la famine en Ukraine des années 1932-1933 et de la grande terreur stalinienne des années 1937-1938 (Werth, 2001). Dans des conditions fort différentes, on ne peut s’empêcher de penser aussi à la période de la Révolution culturelle chinoise dans cette perspective (Domenach, 1992). Ceux qui ont été probablement le plus loin dans cette voie sont les Khmers rouges au Cambodge. Mais le processus multiforme de la destruction/soumission de la société cambodgienne a eu ceci d’extraordinaire, mais de parfaitement cohérent, d’aller de pair avec le projet de la rééducation des Cambodgiens, puisque le soir étaient prévues des séances d’éducation idéologique. C’est dire que, dans sa forme probablement la plus radicale, le massacre de masse au Cambodge n’est pas synonyme d’extermination totale, le sens même de l’entreprise des Khmers rouges ayant été de viser la rééducation de ceux qui seraient épargnés ou qui réussiraient à survivre.
Détruire pour éradiquer

Tout autre est cette seconde dynamique de la destruction/éradication. Son but n’est plus vraiment la soumission, mais bien l’élimination d’une collectivité, d’un territoire, plus ou moins vaste, contrôlé ou convoité par un pouvoir. Il s’agit de « nettoyer » ou de « purifier » cet espace de la présence d’un autre, jugé indésirable et/ou dangereux. C’est pourquoi la notion d’ « éradication » semble particulièrement pertinente dans la mesure où son étymologie renvoie à l’idée de « couper les racines », d’ « extraire de la terre », bref de « déraciner », comme on le dirait d’une plante malfaisante ou d’une maladie contagieuse ; sauf que, dans ce cas, cette vaste opération de déracinement vise une collectivité humaine tout entière.
Ce processus de destruction/éradication, de nature identitaire, peut être également associé à la guerre de conquête. C’est le sens même de l’expression populaire : « Ôte-toi de là que je m’y mette ! » Le procédé du massacre, associé au pillage et au viol, est le moyen de se faire bien comprendre et donc de hâter le départ de cet « autre » jugé indésirable. Ainsi la destruction partielle du groupe et l’effet de terreur qui en résulte sont-ils de nature à provoquer et accélérer ces départs. Tel fut par exemple le procédé utilisé par les colons européens en Amérique du Nord à l’encontre des populations indiennes, les repoussant de plus en plus vers l’Ouest, au-delà du Mississippi. Dans les Balkans, ce mouvement contraint de populations chassées d’un territoire a été appelé « purification ethnique », notamment pour qualifier les différentes opérations de « nettoyage » pratiquées essentiellement par la Serbie et la Croatie, au début des années 1990. Mais les procédés utilisés (massacres, incendies des villages, destruction des édifices religieux…) ressortissent à des pratiques antérieures dans cette région, au moins depuis le xixe siècle dans le contexte de la montée des nationalismes et du déclin de l’Empire ottoman.
Là encore, ces procédés à l’œuvre dans la guerre peuvent être réutilisés dans la « gestion » interne des peuples. Ainsi en est-il de toute la gamme des conflits ethniques étudiés par Andrew Bell-Fialkoff (1996), Donald Horowitz (2000) ou Norman Nairmark (2000). En général, on assiste à une instrumentalisation du critère ethnique à des fins de domination politique d’un groupe sur l’ensemble d’une collectivité. Le recours au massacre est alors légitimé pour régler définitivement un problème jugé insoluble.
Mais ce processus peut prendre une forme encore plus radicale quand il s’agit d’éliminer totalement la collectivité visée sans même laisser à ses membres la possibilité de s’enfuir. En ce cas, le but est de capturer tous les individus de cette collectivité pour les faire disparaître. La notion de « territoire à purifier » devient secondaire par rapport à celle d’extermination proprement dite. Certains massacres coloniaux ont probablement été perpétrés dans une telle perspective, comme celui, peu connu, de la population des Hereros en 1904 par les colons allemands installés en Namibie. Y en a-t-il d’autres ? J’avoue mon incompétence. Nous savons encore bien trop peu de choses sur les massacres coloniaux, y compris ceux perpétrés par la France dans la conquête de l’Algérie au cours du xixe siècle.
En tout cas, ce sont les dirigeants de l’Allemagne nazie qui ont été le plus loin dans le projet de destruction totale d’une collectivité. En effet, l’extermination des Juifs européens entre 1941 et 1945, qui fait suite à l’élimination partielle des malades mentaux allemands, est l’exemple prototypique de ce processus d’éradication poussé à l’extrême. Dans des contextes historiques fort différents, on peut en dire autant de l’extermination des Arméniens de l’Empire ottoman en 1915-1916 et de celle des Rwandais tutsis en 1994. Le but n’est plus ici de forcer un peuple à se disperser sur d’autres territoires. Il s’agit de le faire disparaître, non seulement de sa terre, mais de la terre, pour reprendre l’expression de Hannah Arendt.
C’est à ce stade ultime de l’éradication que la notion de génocide peut être réintroduite, cette fois-ci comme concept en sciences sociales. En général, le grand public considère que le génocide est une sorte de massacre à grande échelle. En somme, quand le chiffre des morts atteindrait plusieurs centaines de milliers, et plus encore plusieurs millions, il y aurait lieu de parler de génocide. Mais cette approche intuitive, qui prend comme critère le grand nombre de victimes, n’est pourtant pas spécifique d’une action génocidaire. Du reste, aucun expert ne saurait dire aujourd’hui à partir de quel chiffre de morts commence un génocide. Ce qui définit plus sûrement ce dernier, c’est un critère qualitatif combiné à ce critère quantitatif : la volonté d’éradication totale d’une collectivité. En ce sens, le génocide se situe bien dans le même continuum de destructivité que l’épuration ethnique, mais s’en distingue fondamentalement. En effet, leurs dynamiques respectives sont toutes deux orientées vers l’éradication. Mais, comme le souligne bien Helen Fein, dans le premier cas (l’épuration), le départ ou la fuite des populations visées restent encore possibles, tandis que dans le second cas (le génocide), toutes les portes de sortie sont fermées. Je définirais donc le génocide comme ce processus particulier de la destruction des civils qui vise à l’éradication totale d’une collectivité dont les critères sont définis par son persécuteur.
Il est vrai que certains auteurs appliquent la notion de « génocide » à tout l’éventail, à toute la gamme du processus de destruction/éradication, considérant donc le nettoyage ethnique comme une forme de génocide. Mais cette démarche me paraît poser beaucoup de problèmes. Je suis donc pour ma part en faveur d’une approche plus restrictive de la notion.

Conclusion

Cette définition restrictive du génocide va donc à l’encontre de celle – bien plus large – de la convention de l’onu. D’une certaine manière, la définition du génocide proposée ici continue pourtant à prendre appui sur l’approche initiale de Raphaël Lemkin, du moins sur l’« essence de sa définition », comme le dit Éric Markusen, c’est-à-dire l’annihilation d’un groupe en tant que tel. Néanmoins, il est clair qu’elle opère deux ruptures avec des travaux antérieurs.
Tout d’abord, il ne s’agit plus à l’évidence de partir du droit. C’est la démarche inverse qui prévaut, c’est-à-dire étudier la nature de la violence extrême à l’œuvre dans une situation historique pour déterminer – in fine – si le processus de destruction vise à l’éradication totale d’une collectivité. Autrement dit, l’éventuelle qualification de « génocide » vient au terme de l’analyse du chercheur : à lui alors de discuter son approche avec celle du juriste.
L’autre changement tient à la manière même de définir la notion de génocide. Parler de « processus » ou d’ « évolution », c’est appréhender le génocide comme une dynamique spécifique de violence. C’est donc rompre avec des approches descriptives, quasi statiques, à ce jour largement dominantes dans ce champ d’études. Celles-ci qualifient en effet de « génocide » un acte ou un événement au moyen d’une batterie d’items : a, b, c, d. Approches qui sont précisément héritières du droit et explicitement celle de la convention de l’onu[2][2] La Convention dispose, en son article 2 : « Le génocide…. Mieux vaudrait donc toujours parler d’un processus génocidaire de manière à insister sur cette dynamique particulière de la destruction/éradication.
Mais ce raisonnement doit encore être complexifié dans la mesure où les processus de destruction/soumission et de destruction/éradication peuvent coexister, voire être imbriqués dans une même situation historique en visant des groupes différents. En général, l’un est dominant et l’autre secondaire. Ainsi, au Rwanda, en 1994, on a assisté à un processus d’éradication des Rwandais tutsis (qui peut donc être qualifié de génocide), mais en même temps, aux massacres de Hutus opposants au pouvoir (ce qui relève donc d’un processus de destruction/soumission). À l’inverse, au Cambodge, les massacres de masse relevaient bien d’un processus de destruction/soumission (tant il est vrai que Pol Pot n’a jamais voulu détruire tous les Khmers), mais ce processus de destruction comportait cependant certaines impulsions éradicatrices envers des groupes spécifiques (notamment la minorité musulmane des Chams). Notre travail d’analyste est précisément de discerner ces différentes dynamiques de violences, ce qui est souvent très complexe, car celles-ci peuvent non seulement être imbriquées, mais aussi évoluer avec le temps, passer par exemple de la soumission à l’éradication.

Références

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  • Werth, N. 2003. « A mass-crime » in Kiernan, B. and Gelately, R. Comparative Genocides. Cambridge : Cambridge University Press.

Notes

[1] On pourrait développer ici l’idée d’un troisième type d’objectif : celui de la déstabilisation, que visent des groupes non étatiques recourant à des pratiques de massacres aux fins de lutte contre un État ou un système politique. C’est ce que l’on nomme communément « terrorisme », mais ce terme, tout aussi difficile d’emploi en sciences sociales que celui de génocide, nécessite d’être « déconstruit », comme le fait Isabelle Sommier dans ce numéro. Quoi qu’il en soit, les attentats-suicides du 11 septembre 2001 à New York relèvent d’une telle dynamique de destruction.

[2] La Convention dispose, en son article 2 : « Le génocide s’entend dans l’un quelconque des actes ci-après commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux en tant que tel :

  1. meurtre de membres du groupe ;
  2. atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupes ;
  3. soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
  4. les mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
  5. transferts forcés d’enfants du groupe à un autre groupe. »

Résumé

Français

Depuis le travail pionnier de Raphaël Lemkin, les études sur le génocide se sont surtout développées à la croisée du droit et des sciences sociales. Il en résulte un usage souvent normatif du terme « génocide », source de multiples controverses et difficultés conceptuelles. Comment sortir de ces problèmes ? Cet article se prononce résolument en faveur de l’émancipation des genocide studies à l’égard de l’approche juridique. Il préconise en premier lieu l’utilisation d’un vocabulaire non normatif autour de la notion de « massacre », proposée comme unité lexicale de référence. Il avance aussi l’expression plus générale de « processus de destruction », dont le massacre est la forme la plus spectaculaire. L’acte de massacrer n’est pas véritablement « fou » mais obéit à ce que l’auteur appelle une « rationalité délirante ». À cet égard, il distingue deux logiques de destruction : l’une orientée vers la soumission du groupe, l’autre vers son éradication. C’est dans ce second cas que l’on parlera d’un processus génocidaire. Ainsi, cet article voudrait rompre avec toute définition statique du génocide pour concevoir celui-ci bien davantage comme une dynamique spécifique de destruction des civils, produit à la fois de la volonté des acteurs et de circonstances favorables.


Mort de Soljenitsyne: Le romancier défie une dernière fois les historiens (Looking back on Solzhenitsyn’s anti-semitism)

7 août, 2008
200 years togetherCe qui se jouait, c’était le sort des Kalmouks, des Tatars de Crimée, des Tchètchènes et des Balkares exilés, sur ordre de Staline, en Sibérie et au Kazakhstan, ayant perdu le droit de se souvenir de leur histoire, d’enseigner à leurs enfants dans leur langue maternelle. Ce qui se jouait […] c’était le sort des Juifs, que l’Armée rouge avait sauvés, et sur la tête desquels Staline s’apprêtait à abattre le glaive qu’il avait repris des mains de Hitler, commémorant ainsi le dixième anniversaire de la victoire du peuple à Stalingrad. Vassili Grossman (« Vie et Destin »)
Les grandes convictions comportent leur part d’aveuglement, les grandes vérités leur revers d’ombre. Georges Nivat
Les grands sages sont tyranniques comme des généraux, tout aussi impolis et indélicats, car assurés de l’impunité. Tchékhov (parlant de Tolstoï)
Pourquoi Lénine et Staline n’auraient-ils pas tiré parti, fausses promesses à l’appui et sans parler de leur enthousiasme révolutionnaire, de la relative surinstruction et surreprésentation de nombre de juifs dans les professions lettrées (les fameux médecins de Staline!) pour remplir les postes dirigeants, goulag compris, du système bolchévique puis soviétique?
Après les odes dithyrambiques mais souvent étrangement amnésiques sur le tombeur du communisme …

Retour sur le reproche probablement le plus sérieux contre Soljenitsyne, à savoir celui de son antisémitisme.

Possédé par une seule idée et porteur d’un seul message, le romancier qui avait devancé les historiens manifesta en effet toute sa vie les limites de ce qui lui avait précisément permis de résister, survivre et triompher de « l’horreur politique et humaine qu’il avait subie » au goulag.

A la fois dans ses convictions avec son ancrage religieux ultra-orthodoxe depuis sa conversion de 1957.

Mais aussi dans ses méthodes de travail avec l’habitude, née de la nécessité, de travailler sur des sources de seconde main et de ré-écrire l’histoire à partir des formidables capacités de mémoire qu’il avait dû développer.

D’où sa constante dénonciation nationaliste des modèles culturels étrangers accusés de corrompre la civilisation chrétienne ses évidents côtés réactionnaire, nationaliste et anti-juif, son anti-occidentalisme » sa « glèbophilie, son « isolationnisme opposé à la conception universaliste à nombre des autres dissidents, notamment ceux qui avaient émigré, mêlé probablement de ressentiment envers des rivaux plus jeunes et mieux dotés, intellectuellement ou par le sort.

D’où, malgré sa seconde épouse et ses nombreux amis juifs ou son admiration pour Israël (notamment pour ses vertus théocratiques mais probablement aussi selon le bon vieux principe du chacun chez soi) son relatif silence sur les écrivains d’origine juive assassinés par Staline dans l’Archipel comme son insistence sur les noms juifs des premiers tchékistes, fondateurs du Goulag.

Ainsi, dans Une journée, la figure de planqué du juif César Markovitch ou le tchékiste Frenkel du livre I de l’Archipel dont il dit qu’il lui semblait haïr son pays.

Ou, plus tard, dans Lénine à Zurich, Parvus apparaît comme une sorte d’éminence diabolique et cosmopolite de la révolution russe, selon, comme l’a montré Simon Markish, le stéréotype du XIVe siècle du juif qui se venge de ses malheurs).

Et bien sûr, sans parler de son opposition aux oligarques russes (étant, selon lui, à 95 % juifs, tout comme la célèbre mafia « russe »), dans ses derniers ouvrages historiques, dont Deux siècles ensemble, qui abordait les relations entre les Juifs et les Russes de 1795 à 1995.

Et notamment la question de la « russité » ou « non-russité » de la révolution de 1917, contre la thèse du maximalisme russe (Berdiaeff, Frank), sa thèse d’une origine étrangère de ladite révolution et du peuple russe comme victime principale.

Ainsi son insistence, dans Août 1914 et tout en rejetant catégoriquement la thèse du « complot juif », sur la judéité de l’assassin du Premier ministre de Nicolas II Peter Stolypin à la veille de la première guerre mondiale et de la révolution d’octobre, pour avoir, soi-disant au nom de prétendus intérêts juifs, abattu le dernier politicien libéral et dynamique qui pouvait sauver la Russie du bolchévisme.

Un certain Dmitri Bogrov, qui n’avait rien de juif sinon la naissance et qui était en fait l’un des nombreux faux révolutionnaires anarchistes et agents doubles provocateurs de la police politique secrète de la Russie impériale (et notamment de ses éléments d’extrême-droite qui en voulaient au premier ministre pour ses vélléités réformatrices), la tristement célèbre Okhrana dont, on s’en souvient, le bureau parisien avait produit les fameux faux antisémite dit des Protocoles des Sages de Sion.

Reste que, comme le rappelle le Guardian, Soljenitsyne avait de ce fait le mérite de mettre le doigt sur le fait que, comme les Russes et autres nationalités, les juifs n’étaient pas les simples spectateurs passifs ou victimes mais aussi, pour nombre d’entre eux, les agents actifs de la révolution.

Posant ainsi la question, jusque là taboue parmi les historiens sérieux, de la place des juifs dans la révolution bolchevique et dans l’appareil stalinien, dont Trotsky lui-même avait critiqué la surreprésentation dans les instances dirigeantes du parti .

Et devançant ainsi, une fois de plus et avec les limites de ses moyens à lui (et certes dans un climat particulièrement défavorable , dans la Russie de Poutine, de résurgence du nationalisme et donc de l’antisémitisme), les historiens professionnels qu’on aimerait pourtant bien entendre sur le sujet …

Solzhenitsyn breaks last taboo of the revolution
Nobel laureate under fire for new book on the role of Jews in Soviet-era repression
Nick Paton Walsh in Moscow
The Guardian,
January 25 2003

Alexander Solzhenitsyn, who first exposed the horrors of the Stalinist gulag, is now attempting to tackle one of the most sensitive topics of his writing career – the role of the Jews in the Bolshevik revolution and Soviet purges.

In his latest book Solzhenitsyn, 84, deals with one of the last taboos of the communist revolution: that Jews were as much perpetrators of the repression as its victims. Two Hundred Years Together – a reference to the 1772 partial annexation of Poland and Russia which greatly increased the Russian Jewish population – contains three chapters discussing the Jewish role in the revolutionary genocide and secret police purges of Soviet Russia.

But Jewish leaders and some historians have reacted furiously to the book, and questioned Solzhenitsyn’s motives in writing it, accusing him of factual inaccuracies and of fanning the flames of anti-semitism in Russia.

Solzhenitsyn argues that some Jewish satire of the revolutionary period « consciously or unconsciously descends on the Russians » as being behind the genocide. But he states that all the nation’s ethnic groups must share the blame, and that people shy away from speaking the truth about the Jewish experience.

In one remark which infuriated Russian Jews, he wrote: « If I would care to generalise, and to say that the life of the Jews in the camps was especially hard, I could, and would not face reproach for an unjust national generalisation. But in the camps where I was kept, it was different. The Jews whose experience I saw – their life was softer than that of others. »

Yet he added: « But it is impossible to find the answer to the eternal question: who is to be blamed, who led us to our death? To explain the actions of the Kiev cheka [secret police] only by the fact that two thirds were Jews, is certainly incorrect. »

Solzhenitsyn, awarded the Nobel Prize for Literature in 1970, spent much of his life in Soviet prison camps, enduring persecution when he wrote about his experiences. He is currently in frail health, but in an interview given last month he said that Russia must come to terms with the Stalinist and revolutionary genocides – and that its Jewish population should be as offended at their own role in the purges as they are at the Soviet power that also persecuted them.

« My book was directed to empathise with the thoughts, feelings and the psychology of the Jews – their spiritual component, » he said. « I have never made general conclusions about a people. I will always differentiate between layers of Jews. One layer rushed headfirst to the revolution. Another, to the contrary, was trying to stand back. The Jewish subject for a long time was considered prohibited. Zhabotinsky [a Jewish writer] once said that the best service our Russian friends give to us is never to speak aloud about us. »

But Solzhenitsyn’s book has caused controversy in Russia, where one Jewish leader said it was « not of any merit ».

« This is a mistake, but even geniuses make mistakes, » said Yevgeny Satanovsky, president of the Russian Jewish Congress. « Richard Wagner did not like the Jews, but was a great composer. Dostoyevsky was a great Russian writer, but had a very sceptical attitude towards the Jews.

« This is not a book about how the Jews and Russians lived together for 200 years, but one about how they lived apart after finding themselves on the same territory. This book is a weak one professionally. Factually, it is so bad as to be beyond criticism. As literature, it is not of any merit. »

But DM Thomas, one of Solzhenitsyn’s biographers, said that he did not think the book was fuelled by anti-semitism. « I would not doubt his sincerity. He says that he firmly supports the state of Israel. In his fiction and factual writing there are Jewish characters that he writes about who are bright, decent, anti-Stalinist people. »

Professor Robert Service of Oxford University, an expert on 20th century Russian history, said that from what he had read about the book, Solzhenitsyn was « absolutely right ».

Researching a book on Lenin, Prof Service came across details of how Trotsky, who was of Jewish origin, asked the politburo in 1919 to ensure that Jews were enrolled in the Red army. Trotsky said that Jews were disproportionately represented in the Soviet civil bureaucracy, including the cheka.

« Trotsky’s idea was that the spread of anti-semitism was [partly down to] objections about their entrance into the civil service. There is something in this; that they were not just passive spectators of the revolution. They were part-victims and part-perpetrators.

« It is not a question that anyone can write about without a huge amount of bravery, and [it] needs doing in Russia because the Jews are quite often written about by fanatics. Mr Solzhenitsyn’s book seems much more measured than that. »

Yet others failed to see the need for Solzhenitsyn’s pursuit of this particular subject at present. Vassili Berezhkov, a retired KGB colonel and historian of the secret services and the NKVD (the precursor of the KGB), said: « The question of ethnicity did not have any importance either in the revolution or the story of the NKVD. This was a social revolution and those who served in the NKVD and cheka were serving ideas of social change.

« If Solzhenitsyn writes that there were many Jews in the NKVD, it will increase the passions of anti-semitism, which has deep roots in Russian history. I think it is better not to discuss such a question now. »

Voir aussi:

SOLZHENITSYN AND ANTI-SEMITISM: A NEW DEBATE
Richard Grenier
The NYT
November 13, 1985

The expanded version of Aleksandr I. Solzhenitsyn’s  »August 1914 » -containing a new section on the assassination of a Russian prime minister by an anarchist Jew – has touched off a controversy as to whether the Nobel Prize winner and author of the  »Gulag Archipelago » is anti-Semitic. The new book is already available in French and Russian and is to be published in English next year.

As the man responsible for almost single-handedly informing the West of the horrors of the Soviet Gulag, Mr. Solzhenitsyn has long been the object of Soviet efforts to destroy his reputation. But the accusations of anti-Semitism come from such impeccably anti-Communist sources as Prof. Richard Pipes of Harvard, a Soviet specialist and former director of Eastern European and Soviet Affairs on President Reagan’s National Security Council.

At a Washington conference of the World Congress for Soviet and East European Studies, which ended just last week, Mr. Solzhenitsyn’s purported anti-Semitism was dealt with head-on in an address by Vladislav Krasnov, a former editor of Radio Moscow’s broadcasting division who is now a professor of Russian studies at the Monterey Institute of International Studies in California. Mr. Krasnov said he found the charge  »completely groundless. » And earlier, articles on Mr. Solzhenitsyn and anti-Semitism among Russian emigres appeared in The New Republic and The Washington Post and other American newspapers.

Letters From Solzhenitsyn

Mr. Solzhenitsyn, who since his arrival in the United States has tended to remain aloof from such disputes, has been moved in this case to speak out in his own defense. In recent letters to this reporter, he denounced anti-Semitism, calling the charges against him  »base, » and declared that there is no anti-Semitism in his books nor in any other book worthy of being called literature.

Not that Mr. Solzhenitsyn has lacked defenders. Such an eminent spokesman for the Jewish community as Elie Wiesel, chronicler of the Holocaust and now a professor of the humanities at Boston University, is one of his supporters, asserting that Mr. Solzhenitsyn is an  »authentic hero. »

In addition, Mstislav Rostropovich, conductor of the National Symphony Orchestra in Washington, in whose home Mr. Solzhenitsyn lived for a time in the Soviet Union,  »swears » that the author is no anti-Semite. And Prof. Adam Ulam of Harvard, another Soviet specialist, said Professor Pipes’s characterization of Mr. Solzhenitsyn was  »very unfair, » while Robert Conquest, author of  »The Great Terror, » called the charge of anti-Semitism  »ludicrous. » Mr. Conquest added that unfortunately the charge falls on the ears of many American Jews predisposed to believe it because their notions of Orthodox Christianity and anti-Semitism in Eastern Europe are out of date.

A Derivative Dispute

The key evidence for the current debate, Mr. Solzhenitsyn’s expanded version of  »August 1914, » appeared in French almost two years ago without raising the charge of anti-Semitism. The controversy broke into the American mainstream press this year in connection with a separate if derivative dispute: whether it was prudent to broadcast over the Russian-language service of the Government-financed Radio Liberty a talk by Lev Lossev, himself a Russian Jew, discussing the possibility of anti-Semitism in the works of Mr. Solzhenitsyn.

In his broadcast, Mr. Lossev expressed clearly his conviction that Mr. Solzhenitsyn was not anti-Semitic. But in presenting the adversary view, as a kind of devil’s advocate, he used such words as  »snake » and  »degenerate » to describe the Jewish assassin portrayed in  »August 1914 » (words not used by Mr. Solzhenitsyn in the book), and it was thought that such terms beamed in Russian into the Soviet Union might be misinterpreted.

After articles inspired by this subsidiary dispute appeared in the American press, the matter was largely dropped, but the deeper questions about Mr. Solzhenitsyn’s attitude toward the Jews remain alive.

Charges of anti-Semitism against the author are not new; they began appearing in the Russian emigre press and in specialized and Jewish journals as long ago as 1972. In 1977, a full-scale analysis of the question appeared in English in Midstream, a publication of the Theodor Herzl Foundation, by a Jewish scientist named Mark Perakh. He did not deny that Mr. Solzhenitsyn was the  »greatest contemporary Russian writer » but said he felt a disproportionately large number of unattractive Jews appear in his work. He compared the  »Gulag Archipelago » unfavorably with  »The Great Terror » by Mr. Conquest, who, he said, was more impartial with respect to Jew and gentile. (Mr. Conquest vigorously denies that Mr. Solzhenitsyn is anti-Semitic and says his work contains extremely sympathetic writing about Jews.) Another charge, which goes back over a decade, is that Jews would be second-class citizens in Mr. Solzhenitsyn’s ideal Russia, a charge that Mr. Solzhenitsyn’s friends have rebutted by quoting the very work on which the charge is based, his  »Letter to the Soviet Leaders, » published in 1974, the year he was expelled from the Soviet Union. The author stated in this pamphlet that, although he saw Christianity today as  »the only living spiritual force capable of undertaking the spiritual healing of Russia, » he proposed no special privileges for Christianity and called on the regime to  »allow competition on an equal and honorable basis . . . among all ideological and moral currents, in particular among all religions. »

But it is the expanded version of  »August 1914, » containing the new section on the 1911 assassination of Prime Minister Peter Stolypin of Russia by Dmitri Bogrov, that has given new amplitude to the debate. This assassination, little known to most Americans, is considered a turning point in Russian history by Mr. Solzhenitsyn and other Russian scholars. They believe that Stolypin was the last liberal, dynamic Russian leader (and benefactor of the Jews) who might have  »saved » Russia from Bolshevism.

Professor Pipes said:  »Solzhenitsyn looks into Bogrov’s mind as he is preparing to assassinate Stolypin. Stolypin is reviving Russia, therefore, it’s bad for the Jews. He assassinates him, acting entirely in his capacity as a Jew. But the historical Bogrov was a Jewish renegade, not acting as a Jew at all.

 »Every culture has its own brand of anti-Semitism. In Solzhenitsyn’s case, it’s not racial. It has nothing to do with blood. He’s certainly not a racist; the question is fundamentally religious and cultural. He bears some resemblance to Dostoyevsky, who was a fervent Christian and patriot and a rabid anti-Semite. Solzhenitsyn is unquestionably in the grip of the Russian extreme right’s view of the Revolution, which is that it was the doing of Jews. »

In an article last summer in Midstream, Lev Navrozov, a scholar who immigrated from the Soviet Union in 1972 and who now writes for The Yale Literary Magazine, which is owned by his son Andrei, went even further than Professor Pipes. Mr. Navrozov condemns the Solzhenitsyn novel as  »a new Protocols of the Elders of Zion, » a reference to the fraudulent document that became a pillar of anti-Semitic propaganda early in this century.

‘He Is Not Anti-Semitic’

Professor Ulam takes sharp issue with the charges against Mr. Solzhenitsyn. He acknowledges that the assassination of Stolypin  »lends itself » to an anti-Semitic interpretation, but he continues:  »On balance, over all, taking into account all his work and his entire biography, I don’t think you can call Aleksandr Solzhenitsyn an anti-Semite. He has a very sharp pen, I admit. He’s extremely passionate. He has some sharp things to say about Jews. But he has sharp things to say about Russians who are not Jews. The most you might say about Solzhenitsyn is that he resents the intrusion of foreign influences into Russian life. But an anti-Semite? No. When you take his whole work and his whole life into account, you must say that he is not anti-Semitic and that he doesn’t hate liberalism. He is inconsistent, perhaps, but many great people are inconsistent. »

Mr. Wiesel, who was raised in Eastern Europe, completely rejected the charge of anti-Semitism brought against Mr. Solzhenitsyn.  »He is too intelligent, » said Mr. Wiesel,  »too honest, too courageous, too great a writer. For Solzhenitsyn to be an anti-Semite would be wholly out of character. I am only disturbed by what seems to be an unconscious insensitivity on his part to Jewish suffering. » In an essay on Mr. Solzhenitsyn, Mr. Wiesel said he hoped that one day the Russian writer would revise or at least explain this attitude  »if for no other reason than to reassure his Jewish admirers, who want to like and respect him without reservations. » When told recently that, according to those close to him, Mr. Solzhenitsyn’s attitude is that Jews are simply not  »his subject, » Mr. Wiesel said:  »Well, I understand that. As a Russian, he is concerned mainly with Russians the way I’m concerned mainly with Jews. »

Backed by a Former Dissident

Prof. Mikhail Agursky, now a Soviet expert at Hebrew University in Jerusalem, was one of several Jewish dissidents in the Soviet Union who defended Mr. Solzhenitsyn against charges of anti-Semitism. He has not changed his mind.  »He is a strong supporter of Israel and always has been, » said Professor Agursky.  »If you support Israel the way Solzhenitsyn does today, you are not an anti-Semite. And I don’t think his idea of a Russian state founded on the Russian Orthodox Church means that Jews would not have full rights. How about Israel? Let’s call a spade a spade. In Israel, religion is not separate from the state. Solzhenitsyn’s Russia would be built on the same principle. »

Writing in his own defense, a highly unusual event, Mr. Solzhenitsyn said in letters to this reporter that he is dedicated to the study of history  »just as it was, » which he feels is necessary  »in order not to repeat the horrors that humanity perpetrated on itself in the 20th century – all types of revolutionary and ethnic genocide. » His critics, he indicated, have arbitrarily ascribed anti-Semitism to him because in pre-revolutionary Russia, a period dealt with in his most recent books,  »a Jewish question existed and was a burning issue. But at that time, hundreds of authors, including Jews, wrote about this; at that time, precisely the omission of mentioning the Jewish question was considered a manifestation of anti-Semitism -and it would be unworthy for an historian of that era to pretend that that question did not exist. »

Referring to the cycle of historical novels of which  »August 1914 » is the first part, the author wrote, in English:  »I am developing ‘The Red Wheel,’ the tragic history – how Russians themselves in folly destroyed both their past and their future – and in my face is flung the base accusation of ‘anti-Semitism’ (cynically used as a club by some), and a string of false arguments is basely ascribed to me.

 »Concerning the label ‘anti-Semitism,’ this word, just as other labels as well, has lost its precice [sic] meaning from thoughtless use, and different publicists in different decades understood it differently. If a biased and unjustified attitude toward the Jewish nation is understood by this term – then I tell you assuredly: not only is there no – nor could there be – ‘anti-Semitism’ in my work, nor for that matter in any book worthy of being called literature. To approach a literary work with the measuring stick of ‘anti-Semitism’ is vulgar, an under-developed understanding of the nature of a literary work. By this measuring stick Shakespeare could be proclaimed ‘anti-Semite,’ and his creative work struck out. »

Willing to go further in his defense than Mr. Solzhenitsyn himself was his wife, Natalia, who is herself half-Jewish. The charge of anti-Semitism is  »nonsensical » and  »absolutely absurd, » Mrs. Solzhenitsyn wrote in a letter. Her husband was surrounded by Jewish friends in Russia, she said, both in and out of the Gulag.

Another Russian close to Mr. Solzhenitsyn, who insisted on anonymity, said:  »You don’t understand the attitude today of the Russian intelligentsia. Anti-Semitism is held in such contempt now that if a member of the intelligentsia knows you are an anti-Semite, he won’t shake your hand. Solzhenitsyn doesn’t care what people think of him here in the United States. What he cares about is what Russians will think who hear about this on Radio Liberty or the Voice of America. »

Indeed, in one of his two letters, Mr. Solzhenitsyn said:  »My task is to write true historical research on the Russian Revolution, beyond that it’s not so important to me whether my books are accepted precisely in this decade and precisely in this country. »

The expanded version of Mr. Solzhenitsyn’s  »August 1914 » is to be published in 1986 by Farrar, Straus & Giroux.


Antisémitisme: Si nous sommes comme vous pour le reste (What if there was indeed a factual basis for some of the medieval blood libel accusations?)

12 Mai, 2008
Blood passover by kamutef - IssuuL’Éternel parla à Moïse, et dit : (…) J’ai dit aux enfants d’Israël: Vous ne mangerez le sang d’aucune chair; car l’âme de toute chair, c’est son sang: quiconque en mangera sera retranché. Lévitique 17: 1-14
 Mais je te guérirai, je panserai tes plaies, Dit l’Éternel. Jérémie 30: 17
Tu pourras tirer un intérêt de l’étranger, mais tu n’en tireras point de ton frère. Deutéronome 23: 20
Pour arrêter l’écoulement du sang de la circoncision ou de l’hémorragie nasale en utilisant le sang coagulé de l’enfant ou du patient : le sang est placé devant le feu jusqu’à ce qu’il durcisse, puis il est écrasé avec un pilon, faisant une poudre fine à placer sur la plaie. Et c’est ce que nous trouvons écrit dans le livre de Jérémie (30:17) : « Car je te rendrai la santé, et je te guérirai de tes blessures « . Il faut comprendre en fait que c’est précisément de votre blessure, c’est-à-dire de votre sang, que votre santé vous sera rendue ». Sacharja Plongiany Simoner (Sefer Zechirah, « Livre des Rapports Médicaux »)
Il a ri de mes pertes, s’est moqué de mes gains, a méprisé ma race, contrarié mes affaires, refroidi mes amis, échauffé mes ennemis – Et pourquoi? Je suis juif… un Juif n’a-t-il pas des yeux ? Un Juif n’a-t-il pas des mains, des organes, des proportions, des sens, des émotions, des passions ? N’est-il pas nourri de même nourriture, blessé des mêmes armes, sujet aux mêmes maladies, guéri par les mêmes moyens, réchauffé et refroidi par le même été, le même hiver, comme un chrétien ? Si vous nous piquez, ne saignons-nous pas ? Si vous nous chatouillez, ne rions-nous pas ? Si vous nous empoisonnez, ne mourons-nous pas ? (…) Si vous nous faites tort, ne nous vengerons nous pas? Si nous vous ressemblons dans le reste, nous vous ressemblerons aussi sur cela… Si un Juif fait tort à un chrétien, où est l’humanité de celui-ci? Dans la vengeance. Si un chrétien fait tort à un Juif, où est la patience de ce dernier selon l’exemple chrétien? Eh bien, dans la vengeance. La vilenie que vous m’enseignez, je la pratiquerai et ce sera dur, mais je veux surpasser mes maîtres. Shylock (« Le Marchand de Venise », Shakespeare, III, 67-76)
L’accusation de crime rituel à l’encontre des Juifs est l’une des plus anciennes allégations antijuives et antisémites de l’Histoire. En effet, bien que l’accusation de crime de sang ait touché d’autres groupes que les Juifs, dont les premiers chrétiens, certains détails, parmi lesquels l’allégation que les Juifs utilisaient du sang humain pour certains de leurs rituels religieux, principalement la confection de pains azymes (matza) lors de la Pâque, leur furent spécifiques. (…) Le premier exemple connu d’accusation de ce type précède le christianisme, puisqu’il est fourni, selon Flavius Josèphe, par Apion, un écrivain sophiste égyptien hellénisé ayant vécu au Ier siècle. (…) Après la première affaire à Norwich (Angleterre) en 1144, les accusations se multiplient dans l’Europe catholique. De nombreuses disparitions inexpliquées d’enfants et de nombreux meurtres sont expliqués par ce biais. Wikipedia
Il y a sang pur et impur. Le sang pur, celui du sacrifice, peut laver le sang impur, ainsi le sang impur peut devenir aussi bénéfique au sein du rite qu’il est maléfique en dehors de lui. Il y a une nature double et une du sang, c’est-à-dire de la violence. Il peut être poison et remède. René Girard
Il y avait vraiment des gens qui s’agitaient devant des courts-bouillons de grenouilles et de scorpions, mais nous savons que leurs manigances n’empêcheraient pas les avions de voler (…) C’est bien pourquoi, même lorsqu’elles étaient condamnées, même lorsqu’elles étaient techniquement coupables, les sorcières étaient des boucs émissaires. René Girard (« Quand ces choses commenceront », 1994, chap. VII, p. 87)
De même que pour les juifs, ce sont les mêmes qui dénoncent les sorcières et qui recourent à leurs services. Tous les persécuteurs attribuent à leurs victimes une nocivité susceptible de se retourner en positivité et vice versa. René Girard (« Le Bouc émissaire », Chap. IV, p. 72)
J’ai essayé de montrer que le monde juif de l’époque était également violent, entre autres parce qu’il avait été blessé par la violence chrétienne. Bien entendu, je ne prétends pas que le judaïsme tolère le meurtre. Mais au sein du judaïsme ashkénaze, il y avait des groupes extrémistes qui auraient pu commettre un tel acte et le justifier. (…) [Dans le cas du meurtre d’un enfant chrétien, Simon de Trente, en 1475, dont on a cru par le passé qu’il avait été falsifié], j’ai trouvé des déclarations et des parties de documents qui ont été falsifiés. J’ai constaté qu’il y avait des déclarations et des parties du témoignage qui ne faisaient pas partie de la culture chrétienne des juges et qui ne pouvaient pas avoir été inventées ou ajoutées par eux. Il s’agissait d’éléments figurant dans des prières connues du livre de prières. Sur plusieurs dizaines de pages, j’ai prouvé la centralité du sang lors de la Pâque. Sur la base de nombreux sermons, j’ai conclu que le sang était utilisé, en particulier par les juifs ashkénazes, et qu’il existait une croyance dans les pouvoirs curatifs spéciaux du sang des enfants. Il s’avère que parmi les remèdes des juifs ashkénazes, on trouve des poudres de sang. Bien que l’utilisation du sang soit interdite par la loi juive, j’ai trouvé des preuves de l’autorisation rabbinique d’utiliser du sang, même du sang humain. Les rabbins l’autorisaient à la fois parce que le sang était déjà séché et parce que, dans les communautés ashkénazes, il s’agissait d’une coutume acceptée qui avait force de loi. Il n’y a pas de preuve d’actes de meurtre, mais il y avait des malédictions et de la haine envers les chrétiens, ainsi que des prières incitant à une vengeance cruelle contre les chrétiens. Il y avait toujours la possibilité qu’un fou passe à l’acte. Ariel Toaff

Et si les accusations de meurtres rituels avaient eu à l’occasion des bases factuelles?

Telle est la question, en ce 60e anniversaire de la (re)création d’une nation plus de trois fois millénaire et suite à notre dernier billet sur la tradition française d’antisémitisme honorable, qu’a le mérite de poser un livre très controversé de 2007, découvert via Wikipedia dont l’article sur l’antisémitisme soulève nombre de problèmes (merci Alithia), d’un chercheur israélien sur ce classique, aujourd’hui comme naguère, des accusations anitsémites, à savoir celles de meurtre rituel ou de crimes d’enfants (« Pasque de sangue », Ariel Toaff).

Qui, si l’on en croit le titre, semble pousser plutôt loin le révisionnisme, mais pointe un fréquent malentendu des discussions sur la nature des accusations antisémites qui voudrait que la moindre base factuelle de certaines des accusations remettrait nécessairement en question la fausseté de celles-ci.

Ainsi, au-delà de l’effet de source (comme pour les sorcières, l’essentiel des sources est constitué d’archives répressives), il est clair, comme l’a montré René Girard pour ces dernières, que le fait qu’il y ait eu des personnes réelles qui faisaient des manipulations esotériques et qui, comme leurs persécuteurs mais aussi utilisateurs!) croyaient réellement à leurs effets, n’infirme en rien le fait que leurs condamnations relevaient de phénomènes de bouc émissaire.

Et il est de notoriété historique que, parmi les nombreux guérisseurs-sorciers du Moyen-Age, il y avait aussi des juifs qui vendaient toutes sortes de colifichets ou potions à vertus plus ou moins prétendument médicinales (dont, si l’on en croit Toaff, du sang séché, aux vertus notoirement hémostatiques, qui n’est par ailleurs pas sans rappeler la véritable manie que connurent bien plus tard, parmi les médecins à la Molière, les saignées).

Et qui de plus étaient tout particulièrement cotés, selon le principe (typique de la pensée magique) bien mis en évidence par Girard pour les médecins juifs (et ce depuis le docteur juif portugais d’Elizabeth I d’Angleterre… jusqu’aux blouses blanches de Staline!) que celui qui peut empoisonner ou rendre malade est aussi nécessairement le mieux placé pour guérir.

En somme, de même que la preuve de la fausseté des accusations contre les sorcières (et de la pensée magique qui les suscitaient) est que l’on sait bien aujourd’hui que leurs manigances n’avaient aucune espèce d’efficacité en dehors de la crédulité de ses praticiens et patients …

On ne voit pas pourquoi le fait qu’il y ait pu avoir à l’occasion un ou des juifs sorciers, cupides, usuriers voire à la limite criminels infirmerait en rien la fausseté des accusations (peut-être aussi en partie liées à la succion post-circoncisionale voire à la confusion circoncision-castration ?) qui attribuaient systématiquement à TOUS  ET à CHAQUE juif de telles caractéristiques.

Et de surcroit au nom, prétendument, de leur religion, dont on sait par ailleurs l’opposition expresse (reprise d’ailleurs sous la forme extrême du refus des tranfusions par certains groupes fondamentalistes para-chrétiens) à de telles pratiques …

Bar-Ilan prof. defiant on blood libel book ‘even if crucified’
Ofri Ilani
H a a r e t z
12/02/2007

The author of a book on the use of blood by Jews in Ashkenazi communities in the Middle Ages said Sunday, in the face of the furor its publication aroused, « I will not give up my devotion to the truth and academic freedom even if the world crucifies me. »

In an interview with Haaretz from Rome, Professor Ariel Toaff said he stood behind the contention of his book, « Pasque di Sangue, » just published in Italy, that there is a factual basis for some of the medieval blood libels against the Jews. However, he said he was sorry his arguments had been twisted.

« I tried to show that the Jewish world at that time was also violent, among other things because it had been hurt by Christian violence, » the Bar-Ilan history professor said. Of course I do not claim that Judaism condones murder. But within Ashkenazi Judaism there were extremist groups that could have committed such an act and justified it, » he said.

Toaff said he reached his conclusions after coming across testimony from the trial for the murder of a Christian child, Simon of Trento, in 1475, which in the past was believed to have been falsified. « I found there were statements and parts of the testimony that were not part of the Christian culture of the judges, and they could not have been invented or added by them. They were components appearing in prayers known from the [Jewish] prayer book.

« Over many dozens of pages I proved the centrality of blood on Passover, » Toaff said. « Based on many sermons, I concluded that blood was used, especially by Ashkenazi Jews, and that there was a belief in the special curative powers of children’s blood. It turns out that among the remedies of Ashkenazi Jews were powders made of blood. »

Although the use of blood is prohibited by Jewish law, Toaff says he found proof of rabbinic permission to use blood, even human blood. « The rabbis permitted it both because the blood was already dried, » and because in Ashkenazi communities it was an accepted custom that took on the force of law, Toaff said. There is no proof of acts of murder, Toaff said, but there were curses and hatred of Christians, and prayers inciting to cruel vengeance against Christians. « There was always the possibility that some crazy person would do something. »

Toaff said the use of blood was common in medieval medicine. « In Germany, it became a real craze. Peddlers of medicines would sell human blood, the way you have a transfusion today. The Jews were influenced by this and did the same things.

« In one of the testimonies in the Trento trial, a peddler of sugar and blood is mentioned, who came to Venice, » Toaff says. « I went to the archives in Venice and found that there had been a man peddling sugar and blood, which were basic products in pharmacies of the period. A man named Asher of Trento was also mentioned in the trial, who had ostensibly come with a bag and sold dried blood. One of the witnesses said he was tried for alchemy in Venice and arrested there. I took a team to the archives and found documentation of the man’s trial. Thus, I found that it is not easy to discount all the testimony, » he added.

Toaff, who will be returning to Israel today, said he was very hurt by accusations that his research plays into the hands of anti-Semitic incitement. « I am being presented like the new Yigal Amir. But one shouldn’t be afraid to tell the truth. » Toaff also said, « unfortunately my research has become marginal, and only the real or false implications it might have are being related to. I directed the research at intelligent people, who know that in the Jewish world there are different streams. I believe that academia cannot avoid dealing with issues that have an emotional impact. This is the truth, and if I don’t publish it, someone else will find it and publish it. »

Still, Toaff says he is sorry he did not explain some of the points in his book more clearly.

He claims that he has been making the same arguments for a long time. « After 35 years of research, I have not become a stupid anti-Semite, and have not published a book to make money. »

In any case, Toaff says he believes his findings have current implications. « Extremists in the past brought disaster on us by false accusations. I wanted to show that hatred and incitement of this kind can develop, because there will always be someone who will take advantage of it. »

Meanwhile, Bar-Ilan University announced Sunday that its president, Professor Moshe Kaveh, will summon Toaff to explain his research. The university’s statement said it strongly objected to what was implied in media publications regarding Toaff’s research, and condemned « any attempt to justify the terrible blood libels against the Jews. » However, the university also reiterated that Toaff was among the senior lecturers in his field in Israel and internationally.

Voir enfin:

Blood Passover Chapter 9 – Ariel Toaf

Til Forsiden

Chapter Nine – Sacrifice and Circumcision: The Significance of Peschach

The celebration of the festivals of the Jewish calendar marking the life of the people of Israel from ancient times has assumed primarily the character of historical-ritual repetition and « renewal of memory » (zikkaron) of the divine interventions in the history of the nation. In this sense, Pesach, the Jewish Passover, is celebrated as a « memorial », zikkaron, in the sense of being a ritual representation of the past (1). More precisely, at Pesach, the events linked to slavery in Egypt, the persecutions suffered on the banks of the Nile, the miraculous exodus from the land of oppression, the divine vengeance on the enemies of Israel, and the laborious pathway towards the Promised Land and Redemption, are reviewed and projected into the present day. This is a pathway which has not yet been completed and perfected, pregnant with unknown factors and hazards, the happy outcome of which may be brought nearer by the actions of Man and the miraculous interventions of God in the history of Israel. What is more, the Jewish community, wherever it is located, is able to request the active involvement of the Divinity, intended to hasten the coming of Redemption, moving God through the sight of the sufferings of His Chosen People and impelling Him to act, defend, protect and wreak vengeance.

Blood is a fundamental and indispensable element in all the memorial celebrations of Pesach: the blood of the Passover Lamb and the blood of circumcision. In the Midrash, this relationship is continually stressed and demonstrated. God, having seen the door-posts of the doors of the children of Israel in Egypt, bathed with the blood of the Passover lamb, is said to have recalled his Pact with Abraham, signed and sealed with the blood of circumcision. « Thanks to the blood of the Passover lamb and that of circumcision, the children of Israel were saved from Egypt ». In fact, the Jews are said to have circumcised themselves for the first time precisely in concomitance with their exodus from the lands of the Pharaoh. And in this regard, adds the p. 138]

Midrash, « the blood of the lamb is mixed with that of circumcision » (2). The German rabbis, for their part, placed particular importance upon the importance of that magnificent and fateful event, stating that the Jews transfused the blood of their circumcision into the same glass into which the blood of the Passover Lamb to be utilized in painting the door-posts of their doorways had been poured, according to God’s orders, so that, together, they might, together, become the distinctive symbols of their salvation and redemption. This is why the prophet Ezekiel is said to have twice repeated the wish, « And when I passed by thee, and saw thee polluted in thine own blood, I said unto thee, when thou wast in thy blood, Live; yea, I said unto thee when thou wast in thy blood, Live. » (Ezekiel 16:6), intending to refer both to the blood of the Passover lamb and that of circumcision. In the Midrash, the German rabbis found the references necessary to establish beyond any doubt the close relationship between blood (of the Passover lamb and that of circumcision) and the final redemption of the people of Israel. « God has said: I have given them two precepts so that, fulfilling them, they may be redeemed, and these are the blood of the Passover lamb and that of circumcision » (3).

In the Sefer Nizzachon Yashan, a harsh anonymous anti-Christian polemical publication compiled in Germany at the end of the 13th century, the themes of which are repeated in the liturgical invocations of Rabbi Shelomoh of Worms, the exodus of the people of Israel from Egypt is taken as a pretext to outline a dispute intended to contrast the saving blood of the Passover blood and of circumcision to the powers of the cross.

« It is written: ‘And ye shall take a bunch of hyssop, and dip it in the blood (of the Passover lamb) that is in the basin, and strike the lintel and the two side posts with the blood that is in the basin’ (Ex. 12:22). « The Christians distance themselves even further from this passage and claim to find a reference to the Cross in it, since it recalls three places (the lintel and the two door-posts). This therefore tells us: It is thanks to the Cross that (your fathers in the exodus from Egypt) gained their salvation (4).

« One must reply to them by rejecting an interpretation of this kind. In fact, the truth is in these words of God: ‘Through the merit of the blood, poured into different occasions, I shall remember you, when I see your houses tinted with blood. This is the blood of circumcision of Abraham, of the blood of the sacrifice of Isaac, when Abraham was about to immolate his son, and of the blood of the Passover lamb ». It is for this reason that the blood returns three times in the verse of the prophet Ezekeiel (16:6). ‘And when I passed by thee, and saw thee polluted in thine own blood, I said unto that when thou wast in thine own blood, Live; yea, I said unto thee when thou wast in thy blood, Live.' » (5).

The reference to the sacrifice of Isaac would appear out of place, considering that, in the Biblical account, Abraham did not really immolate his son, as he was prepared to do, but was stopped by the miraculous Divine intervention which stayed his hand, holding the sacrificial knife. But this conclusion should certainly be revised. The Midrash even advances the hypothesis that Abraham really shed Isaac’s blood, sacrificing him on the precise spot upon which the Altar of the Temple of Jerusalem was later to be built. The pious patriarch is then believed to have proceeded to reduce the body to ashes, burning it on the pyre which he is said to have previously prepared for that purpose. Only later is God supposed to have rectified Abraham’s action, returning Isaac to life (6). Elsewhere, the analogy between Isaac, who bears the burden of the bundles of wood intended for his own holocaust on Mount Moriyah, and Christ, bent under double the weight of the Cross, is clearly shown (7). Explaining the verse of Ex. 12:13 (« And I when I see the blood, I will pass over you, and the plague shall not be upon you, and the plague shall be upon you to destroy you, when I smite the land of Egypt »), the Midrash asks us which blood God is to see on the doors of the Children of Israel, and unhesitatingly responds: « God will see the spilt blood of the sacrifice of Isaac ». On the other hand, the Jewish month of Nissan, during which the festivity of Pesach falls, in the tradition of Midrash, is considered the month of the Isaac’s birth, as well as that of his immolation (8).

Isaac was sacrificed for the love of God and his blood gushes onto the altar, coloring it red. This is the historical-ritual memory, transfigured and updated, which the Judaism of the German lands, reduced in numbers by the suicides and mass child murders committed during the Crusades « for the sanctification of the Lord’s name » wished to preserve, situating it at Passover and in relation to the exodus from Egypt. In one of his elegies, Ephraim of Bonn described not only the ardor and the zeal of Abraham in immolating his son, butchering him on the altar, but also the abnegation of Isaac, happy to serve as the holocaust (9). After which the saintly boy was carried back to life by God himself, Abraham is said to have sought to sacrifice him a second time in an overflowing backwash of fervent faith. It was precisely these the elements which, according to the Jews of the Franco-German communities, placed in relationship with the prayer for the dead (zidduk ha- din) with the sacrifice of Isaac.

« The verse ‘When He seeth the blood upon the lintel, and on the two side posts, the Lord will pass over the door, and will not suffer the destroyer to come in unto your houses to smite you’ (Ex. 12:23), recalls the sacrifice of Isaac, while the verse ‘I said unto thee when thou wast in thy blood, Live; yea, I said unto thee when thou wast in thy blood, Live!’ (Ez . 16:6) possesses the same numerical value (ghematryah) as the name Isaac, Izchak. For this reason was introduced into the text of the prayer for the dead, ziddu, ha-din, the following wish: ‘Through the merit of He who was sacrificed like a lamb (Isaac), Thou, oh God, lend an ear and act accordingly’. In fact, Isaac, was killed and appears at the sight of the divined presence (schechinah). Only after he was already dead did the angel cure him, restoring him to life » (10).

In conclusion, the German Jews, who, during the first crusade in 1096, sacrificed their sons to avoid forced baptism, intending to imitate the sacrifice of Isaac by the hand of Abraham, his father. Deliberately ignoring the Biblical conclusion of the episode, which stressed God’s aversion to human sacrifice, they preferred to refer to those texts of the Midrash in which Isaac actually met a cruel death on the altar. The German Jews thus conferred new life upon these new texts in search of moral support for the their actions, which appeared unjustifiable and might easily be condemned under the terms of ritual law (halakhah) (11).

The Biblical account of Jeptha was generally interpreted in this sense as well. The exegetic tradition of the Midrash has no hesitation of any kind in stating that the brave judge of Israel who solemnly promised to sacrifice the first creature he met upon victorious return from the battle against the Ammonites (Judges 11:31), actually kept his vow, sacrificing on the altar his only daughter, who ran out to celebrate the happy outcome of the epic battle with him (Judges 11:35) (12). Nor did the Medieval exegetics of the German territories show any kind of embarrassment in dealing with this problematical tale, since they were all intent on minimizing the seriousness of the action of this Jewish leader from Galahad (13). It is, however, a fact that, while reference to the sacrifice of Isaac is frequently made, heavily charged with significance in the historical-ritual memory of Ashkenazi Judaism, that of the Jeptha’s daughter never rose to the rank of moral precedent of reference.

As we have said, the memorial celebration of Pesach was indissolubly linked with the sacrifice of the lamb and the blood of circumcision. The latter arose as a symbol of the pact between God and the people of Israel, signed in the flesh of Abraham, while the blood of the Passover lamb was the emblem of salvation and redemption. As Yerushalmi notes, the Passover dinner or Seder has always constituted the exercise of memory par excellence of the Jewish community, wherever it existed.

« Here, during the meal around the family dining table, ritual, liturgical and culinary elements were orchestrated in such a way as to transmit the most vital sense of the past from one generation to another. The entire Seder is the symbolic staging of an historically founded scenario, divided into three main sections, corresponding to the structure of the Haggadah (the account of the stories of Pesach and about Pesach), which are to be read aloud: slavery, liberation, final Redemption. […] words and gestures which are intended to awaken, not simply memory, but a harmonious merging of the past and present. Memory is no longer something to be contemplated from afar, but represents a true and proper representation and updating » (14) The wine drunk during the Seder symbolizes the blood of the Passover lamb and the circumcision, and it is not therefore surprising that the Palestinian Talmud associates the four glasses of wine, which absolutely must be drunk during the Seder, with the four phases of Redemption. What is more, the text presents the charoset, the fruit preserve kneaded with the wine, intended to bring to mind the past, as « blood memorials » of the clay and mortar used by the Jews when engaged in slave labor during their long captivity in the land of the Pharaohs (15).

If the blood of the Passover lamb was distilled from a sacrifice, so, in a certain sense, is the blood of circumcision. The Midrash states that « a drop of the blood (of circumcision) is as pleasing to the Holy One — may His name be blessed — as that of sacrifices » (16). But it was the rabbis and the medieval exegetics, particularly, those of the Franco-German territories, who developed and broadened this concept. The Provençal Aharon di Lunel (13th century) did not hesitate to affirm that « He who offers his own son for circumcision is similar to the priest who presents the farinaceous offering and sacrifices a libation on the altar ». His contemporary, Bechayah b. Asher of Saragoza, a famous moralist, also stressed the close relationship between sacrifice and circumcision: « The precept of circumcision is equivalent to a sacrifice, because a man offers the fruit of his loins to blessed God for the purpose of fulfilling His command (to circumcise the son); and, just as sacrificial blood is used for expiation, thus the blood of circumcision heals wounds […] It is, in fact, thanks to this obligation, that God promised Israel salvation from Gehenna » (17).

Even more explicit is Yaakov Ha-Gozer (« the Cutter ») who lived in the 13th century in Germany, in his essay on the rite of circumcision. « Come and consider how pleasing is the precept of circumcision before the Holy One, may His name be blessed. In fact, every Jew who sacrifices by means of circumcision in the morning is considered as if he had presented the daily holocaust of the morning. Before God, the blood of circumcision is as valuable as the sacrifice of the lamb on the altar every day: one in the morning and the other in the evening, and his son is perfect and immaculate like the lamb of one year » (18).

Circumcision is therefore considered equal to the sacrifice and the blood poured out during this holy act of surgery thus came to assume the same value as the uncorrupted blood of the perfect and innocent lamb, butchered on the altar and offered to god. This sacrifice was at the same time individual and collective, because, as Bechayeh b. Asher observed, it was considered capable of providing automatic and infallible salvation from the torments of gehenna [inferno], regardless of the conduct of the individual and the community. It was a kind of sacramental mystery of certain efficacy and proven power (19).

In this sense, circumcision came, with time, to assume the character of an apotropaic [warding off evil] and exorcistic rite. The blood of the circumcised child and the providential cutting of the foreskin provided protection and salvation, as taught in the Biblical account — which is otherwise short on detail — of Moses, mortally assailed by God and miraculously saved by virtue of his own circumcision and that of his son. This was said to have been performed immediately, although a bit crudely, by Moses’ wife Zipporah. « And it came to pass by the in the inn, that the Lord met him and sought to kill him. Then Zipporah took a sharp stone, and cut off the foreskin of her son, and cast it at his feet, and said, Surely a bloody husband art thou to me. So He let him go; then she said, A bloody husband thou art, because of thy circumcision » (Ex. 4: 24-26).

Circumcision defended and liberated from danger, and the blood shed on that occasion possessed infallible exorcistic significance. The Gheonim, heads of the rabbinical academies of Babylon, « circumcised in the water », i.e., they taught that the bloody foreskin was to be thrown into a recipient containing water perfumed with spices and myrtil [a red flower]. The young males present at the ceremony hastened to wash the hands and face in the sweet-smelling fluid as a counter-spell intended to bring good luck and serve as a propitiatory sign of stupendous success in love and numerous and healthy descendants (20).

In the Middle Ages, particularly, in the German-speaking territories, circumcision came to assume, with particular clarity, the value of an apotropaic and exorcistic rite, which, in the synagogue, was free to express itself without hindrance of any kind against the background of community life. As we have seen, during the ceremony, the blood of circumcised foreskin was mixed with the wine and tasted by the mohel himself, by the child and his mother, and the libation was accompanied by the prophetic wish « Thanks to your blood, you live! » The famous German rabbi Jacob Mulin Segal (1360-1427), known as Maharil, who also lived at Treviso for some time, in his weighty handbook of customs in use in the Ashkenazi communities of the valley of the Rhine, reported that it was a widespread custom to pour whatever remained in the cup, together with the wine and the blood of the circumcised child, under the Ark with the rolls of the Law, located in the synagogue. This act was intended to exorcise the exterior dangers hanging over the Jewish world and the tragedies threatening its existence. In the 17th century, this custom was still in force in the Jewish community of Worms. « Soon after the mohel has completed the operation […] whatever remains of the content of the glass, together with the wine and blood of the circumcised child, is poured onto the steps before the Ark with the rolls of the Law in the synagogue » (21). Among Ashkenazi Jews therefore, on a popular level, the salvation represented by the blood of circumcision was essentially understood, by both the individual and the collective, in a magical sense. That blood was able to provide protection from the constant threat of the Angel of Death, while functioning as an antidote to the ills of this life and serving as a health-giving potion during the rites of passage, charged with unknown dangers (22).

Another curious testimony in this regard may be found in the writings of the so-called « Cutter, the mohel Yaakov Ha-Gozer. The German rabbi described the custom of his Jewish contemporaries (obviously, in the 13th century) of hanging the cloth used by the mohel to clean his hands from the lintel of the entranceway to the synagogue upon completion of the operation.

« Therefore, the cloth used by the mohel to clean his hands and mouth, which are full of blood, is placed on the door to the synagogue. The meaning of the custom of hanging the cloth in the entrance to the temple was explained to me by my uncle, rabbi Efraim of Bonn. In effect, our elders told us that the children of Israel left the land of Egypt thanks to the blood of the Passover sacrifice and the blood of circumcision. On that occasion, the sons of Israel colored the lintels of their doorways with blood so that the Lord would prevent the Angel of Death from striking their houses and for the purpose of manifesting the miracle. For this reason, the circumcision cloth, stained with blood, is hung in the door of the synagogue to indicate the sign linked to circumcision and to make manifestto all the precept, as is said, ‘It shall be a sign between thee and me' » (23).

The custom of hanging the cloth used by the mohel to clean his hands and mouth of blood of the child in the synagogue doorway also appears in the so-called Machazor Vitry, written around the 12th century. This ancient French liturgical text in fact states that, in the Ashkenazi Jewish communities, the cloth used by the mohel to clean off the blood « shall be hung at the entrance to the synagogue » (24). Jewish mystical texts also stress the relationship between the blood of the Passover lamb and that of circumcision and the meanings of Pesach. The Zohar « the blood of splendor », the classical text of the Cabbalah attributed to rabbi Shimon bar Yochai and set in Palestine of the 2nd century of the Christian era, but, in reality, composed in Spain at the end of the 13th century, stresses, in its peculiar language, the centrality of the motif of blood in the ceremonial commemoration of the exodus of the Jews from Egypt.

« The blood of the circumcision corresponds to the divine quality of absolute piety, because the Holy One, may His name be blessed, upon seeing the blood of the circumcision, feels compassion for the world; the blood of the Passover lamb, on the other hand, indicates the divine quality of judgment, because the sacrifice of the Passover is performed with the lamb, which corresponds to the Zodiacal sign of the ram, the god of Egypt […] therefore, the blood of the circumcision and that of the Passover lamb, which are to be seen on the door, corresponded to the two sefirot (the divine attributes) of piety and power (or justice), which had awakened to dominance in the heavens at that moment. In fact, the blood of circumcision represents the divine quality of compassion, while the blood of the Passover lamb represents the qualities of justice and power. Therefore, piety was kindled to pity the children of Israel so that they wouldn’t die […] while justice was kindled to wreak vengeance on the first born of the Egyptians (25).

For the Cabballah, the blood of circumcision and that of the Passover lamb therefore possessed opposite meanings. The first indicated the piety of God, ready to show compassion towards the Jews and save them from dangers and death. The second, on the other hand, represented the power and severity of Divine justice, which wreaked vengeance on the peoples of Egypt, killing their children. The motif of the blood of the circumcision, capable of protecting the children of Israel, effectively removing the threats to its existence, annulling the instinct of evil and hastening the hour of Redemption, returns, further along in the Zohar, in connection with the memorial of Pesach.

« When the Holy One, may His name be blessed, having come down from Egypt to smite the first born, saw the blood of the Passover sacrifice marking the doors (of Israel), and also sees the blood of the pact (of circumcision) and that both are found on the door […] To drive away the influx of evil spirits he sprinkled it (in those places) using a hyssop branch. In the future, in the hour of Israel’s redemption, sublime and complete, the Holy One, may His name be blessed, shall take unto himself the instinct of evil and shall butcher it, thus removing the spirit of impiety from the earth (26).

For the Zohar, God, passing by the doors of the children of Israel, dubbed with blood, is not only said to have saved the Jews from the Angel of Death, but He is said to have cured the wounds of their circumcision, collectively performed by the Jews for the first time. « It is written: ‘God smote Israel, he smote it and he cured it’ (Is. 19:22), wishing to signify that he smote Egypt and cured the Israelites, i.e., not only that Israel’s salvation only occurred simultaneously with the slaying of the first born (of the Egyptians), but that Israel’s healing occurred at the same time. If one were to wonder what the children of Israel were to recover from, we shall respond that, after being circumcised, they needed to be healed, and were cured through the appearance of the Divine Presence (ghilui schechinah). While the Egyptians were being smitten, at that exact same moment, the children of Israel were being cured of the wound caused by circumcision. In fact, what does the verse: ‘And God passed by the door’ (Ez. 12:23) mean? […] the answer is that He passed by the door of the body. But what is the door of the body? And we shall respond: the door of the body is the place of circumcision. We shall conclude by saying that when the Holy One, may His name be blessed, passed by the door (of the children of Israel), in Egypt, they were cured of the wound of circumcision (27).

The symbolic meaning of the Passover lamb offered in sacrifice is stressed by the Zohar, which places it in relationship with a significant, corresponding sacrifice performed in the secret and sublime world of the reality of God. When the children of Israel shall have immolated the Passover lamb, only then shall God in his firmament sacrifice the corresponding Lamb of Evil, responsible for the tragedies of Israel on earth and for the repeated exiles afflicting the Jews throughout history. p. 146] « Sayeth the Holy One, may His name be blessed, to the children of Israel: carry out this action below (on earth) and go and take the lamb and prepare it for sacrifice on the 14th of this month [of Nissan]; then I on high (in my heaven) shall destroy his power […] Observing the precept of the sacrifice of the Passover lamb below (on earth), the children of Israel have caused to be reduced to impotence the slag of evil (kelippah) of the lamb on high (in the divine firmament), which is responsible for the four exiles suffered by the children of Israel (in Babylon, in Media, in Greece and in Egypt). Thus it is written: ‘I will utterly put out the remembrance of Amalek from generation to generation’ (Ex. 17:14), has this significance: You, children of Israel, shall blot out the memory of Amalek below (on earth) through the sacrifice of the Passover lamb, as it is written: ‘Thou shalt cancel out the memory of Amalek’, and thanks to this your action I shall blot out its memory on high (in my firmament) » (28). The sacrifice of the Passover lamb therefore came to assume a cosmic significance in the texts of Jewish mysticism. Its blood, poured on the altar and applied to the door-posts of the houses, are intended to impel God to sacrifice the Lamb of Evil in His world, responsible for the successive troubles and misfortunes marking the history of Israel. The link between the blood of the circumcision and that of the Passover lamb came to assume additional meanings during the Middle Ages, particularly in the German-speaking territories, and no longer alluded merely to the blood by virtue of which sin is expiated. The latter blood came to be added to the blood shed by Jewish martyrs, who offered their own lives and those of their dear ones « to sanctify the name of God » (‘alkiddush ha-Shem), rejecting the waters of baptism. Thus, the blood of circumcision, that of the Passover lamb, and that of those killed in defense of their own faith became mixed together and became confounded, hastening the final redemption of Israel and persuading God to wreak His atrocious vengeance on the children of Edom, the Christians, responsible for the tragedies suffered by the Jewish people. The Jews in Germany who, during the first crusade, sacrificed their own children ‘as Abraham sacrificed Isaac his son’, were perfectly convinced that their own blood, together with that of the two other sacrifices — circumcision and the Passover lamb — all offered to God in abnegation, would not be lost, but would constitute the powerful fluid from which the well-deserved and predicted revenge and the much-desired Redemption would ferment (29). Thus, in a distorted logic borne of suffering and distorted by passion, one might even arrive at aberrant analogies which might nevertheless appear justifiable from the point of view of the persons concerned. In the ceremony of the milah, a few drops of blood from the circumcised child, poured into wine, possessed the power to transform the wine into blood; therefore, the wine was drunk by the child, his mother and the mohel himself, with propitiatory, well-auguring and counter-magical meanings (30).

By the same logic, during the Passover ceremony of the Seder, a few drops of the child’s blood, the symbol of Edom (Christianity) and of Egypt, dissolved in the wine, had the power to transform the wine into blood, intended to be drunk and sprinkled onto the table as a sign of vengeance and as a symbol of the curses directed at the enemies of Israel as well as a pressing call to Redemption. Again, in connection with Pesach, vengeance on the children of Edom – Christianity – representing Edom renewed, at Rome, the city of impurity — was also eagerly sought in the Zohar, even if in deliberately convoluted language: « It is written ‘Who is He who comes from Edom, with the garments tinted red from Bozrah?’ (Is. 63:6). The prophet predicts that the Holy One, may His name be blessed, shall wreak vengeance against Edom, and that the minister who represents the reign of Edom on high (in the celestial firmament) shall be the first to die. The prophet is in fact speaking with the language of ordinary people, observing that when they kill someone, blood squirts upon their garments. For this reason, he refers to them as if they asked: ‘Who is he who comes from Edom, with his garments tinted with blood; that is, from the armed city (Hebrew: bezurah, a pun, recalling the name Bozrah of the verse of Isaiah, which is he great metropolis of Rome? This is, therefore, the meaning of that which is written: in the future, the Holy One, may His name be blessed, shall reveal his powers of judgment and of blood in all their obviousness to wreak his vengeance on Edom » (31). The fact that this fragment of the Zohar — which contains not one explicit reference to the memorial of Passover — is found in the section dealing with the exodus of the Jews from Egypt, clearly indicates that blood — linked to the vengeance against Edom, the symbol of arrogant and triumphant Christianity — was a major element in the updated historical-ritual celebration of the Pesach. As we have seen, the preserve of fresh and dry fruit (apples, pears, nuts and almonds), kneaded with the wine, intended to represent the building materials used by the people of Israel during their captivity in Israel, and which was to be eaten and drunk during the Passover dinner of the Seder, took the name of charoset and was considered a memorial of the blood (32). In other words, the clay and mortar with which the Jews had built the city on the banks of the Nile were mixed with the blood flowing from their bodies, covered with sores and suffering. It is not, therefore, surprising that the Jews, in their history (yet again, we are speaking of Ashkenazi-origin Jews) have sometimes been accused of murdering Christian children to eat the body and drink the blood in the charoset during a repulsive cannibalistic repast.

In 1329, in the Duchy of Savoy, a Jew, Acelino da Tresselve, and a Christian, Jacques d’Aiguebelle, were accused of abducting Christian boys in numerous cities of the region, such as Geneva, Rumilly and Annecy. Several other Jews in the Duchy were involved in the inquiry, including a certain Jocetus (Yoseph) and Aquineto (Izchak). The inquiry finally forced them to confess, at least partially under torture, to sacrificing five children to knead their heads and viscera into the charoset (indicated in the confessions under the correct term of aharace), which they are then alleged to have been eaten, presumably during the Seder dinner. According to their statements, this collective ritual constituted a surrogate Easter sacrifice, and was, as such, able to bring closer the hour of Redemption (33). In relation to these facts, it might be noted that some of the Jews expelled from England in 1290 in the times of Edward I emigrated to Savoy, reinforcing the Jewish community of the Duchy from a demographic, cultural and religious point of view. Jews from Norwich, Bristol and Lincoln were now to be found at Chambéry, Bourg-en-Bresse and Annecy, bringing with them traditions and stereotypes charged with implications (34). The accusation of preparing the charoset of Pesach with the blood of Christian children was repeated with regards to the Jews of Arles in 1453 (35).

Another child murder, that of Savona, the particulars of which were revealed around 1456 to Alfonso de Espina, confessor to the King of Castille, by one of the participants in the cruel ritual, desiring to obtain pardon and baptism, appears to have revolved around the preparation of the charoset for the celebration of the Pesach(36). The victim’s blood, gathered in the cup ordinarily used to collect the blood of Jewish infants following circumcision, was said to have been poured into the kneaded dough of a pastry consisting of honey, pears, nuts, hazelnuts and other fresh and dried fruits, which all persons present at the ceremony were alleged to have gulped down hastily with an appetite born of religious zeal (37). The charoset, according to these reports –the reliability of which we would not be inclined to swear upon — was thus transformed into a kind of sacred human black pudding, capable of wonderfully enriching the list of the foods of the Passover dinner and, at the same time, of bringing to the table the exotic savor of Redemption, soon to come. It is therefore plausible that, whoever placed the charoset in the forefront of the ritual murder accusations was quite aware of the fact that tradition considered it a memorial of blood. In this sense, it constituted an element perfectly well suited to serve as a basis for arguments alleging that the Jews used the blood of children in their Passover rites. Circumcision, Passover lamb, sacrifice of Isaac, martyrdom for love of God, memorial of the charoset. A true and proper river of blood flowed towards Pesach, both on the table of Seder and in the pages of the Haggadah, the liturgical-convivial celebration of the stories of the exodus from Egypt. But that was not all. In addition, the first and the most characteristic of the ten plagues smiting the lands of the Pharaoh, guilty of culpably holding the Jews captive against their will, was linked to blood, dam. Moses and Aronne smote the sacred waters of the beneficial Nile with their staff and, by the will of God, the waters were transformed into venomous serpents (Ex. 7:14-25). These waters, now toxic and no longer potable, gave birth to abandonment, desolation and death.

In popular culture, carried along by a thousand rivulets within the traditions and customs of Jews in the Western word, the troublesome phenomenon of the waters of the rivers and the lakes, basins of water, fountains, and mountain fountains capable of transforming themselves without warning into lethal agents, were an unfortunately recurrent theme. At least four times a year, with every change in the season (tekufah), for four days, blood was said to be have become mixed with the potable water (i.e., this cannot refer to the waters of the sea, but rather, to rivers, wells and fountains), menacingly jeopardizing the health of men. The uncertainty and dismay which accompanied the moments and the phases of passage, such as the approach of the seasons, once again evoked the obsessive menace of blood. Blood at birth, blood at circumcision, blood in matrimony, blood at death, blood at each change of the seasons. Superficial carelessness or inadvertent negligence were fraught with danger. Once again, the classical references to Isaac’s cruel sacrifice (i.e., the sacrifice actually carried out), the transformation of the Nile into blood and Jeptha’s tragic vow, became both customary and mandatory, finding well-considered, welcome acceptance in the texts containing the most ancient traditions of Franco-Germanic medieval Judaism, from the Machazor Vitry to the late 17th century writings of Chaim Chaike Levi Hurwitz, rabbi of Grodno (38). In the Sefer Abudarham, famous liturgical compendium based on the popular traditions of the Sephardic world, both Sephardic, Provençal and Ashkenazim, makes open reference to the dangers threatening man whenever one season replaces another. David Agudarham, rabbi at Seville, who compiled his heavy handbook in 1340, advised, although with some hesitation, against the drinking of water during the days of the change of seasons (tekufah), for fear of its contamination by blood.

« I have found it written that one must be careful during any of the four changes of seasons, so as to avoid harm and danger. In the season of Nissan (spring, the Passover period), the waters of Egypt were actually transformed into wine; in the season of Tamuz (summer), when God commanded Moses and Aaron to speak to the rock, so that waters might flow forth from it, and they disobeyed, striking the rock instead [Num. 20:8-12], they were punished, and blood flowed forth from the rock […]; in the season of Tishri (autumn), because then Abraham sacrificed his son Isaac and from his knife fell drops of blood, which alone were sufficient to transform all waters; and in the season of Tevet (winter), because it was then that the daughter of Jeptha was sacrificed and all the waters became blood […]. It is for this reason that the Jews, living in the lands of the Occident, completely abstain from drinking water during any change of the seasons » (39).

Even at the end of the 16th century, the Marranos of Bragança, in northern Portugal, on trial before the Inquisition of Coimbra, proved themselves perfectly well aware of the dangers lurking in the night air upon the approach of any change of season. It was then that, according to the ancient traditions of the Judaizers [Christians who believe in circumcision ], rays and veins of blood (rai e veie de sangue) penetrated the waters of wells and fountains at the setting of the sun. A wonderful and extraordinary phenomenon was observed at this point, because the « waters turned into wine »; and anyone drinking of them would undoubtedly lose his life in the cruelest way. It then became necessary to have recourse to particularly effective and powerful antidotes, identified by tradition in the ceremony of « tempering », which consisted of throwing three glowing-hot coals into the polluted waters; or of « ironing » the same waters by dipping a red-hot horseshoe into them. Neglecting these precautions was said to cause certain death to anyone drinking those toxic and pestiferous potions. Death was said to fall upon the victim at the first onset of winter, « when his vines lose their last leaf » (40).

Sabato Nacamulli (Naccamù), a Jew of Ancona who later converted to Christianity under the name of Franceso Maria Ferretti, provided a critical summary of the rites relating to the change of seasons (tekufah), when the waters were capable of dangerously transforming themselves into deadly blood.

« Four times in the year, they pray that God might, at any moment, [at any] points or minutes [of the compass], turn all the waters into blood; they therefore abstained from drinking water at such times, because they firmly believed that if anyone drank the water at that moment, his abdomen would certainly swell, and he would die a few days afterwards; they, therefore, keep bread, a piece of iron, or something else in those waters at such times, and this, in their vanity, they called tecufa` » (41).

Perhaps linked to these popular beliefs was the custom among relatives in mourning to pour out, onto the ground, all water contained in recipients kept in the house of a dead person. In German-ritual Jewish communities, they actually believed that the Angel of Death intended to immerse his deadly sword in those waters, transforming them into blood, and thus threatening the lives of the relatives and all persons known by the deceased (42).

In the German-language territories, rivers, lakes, rivers and torrents possessed an ambiguous and disturbing fascination. Many of the presumed ritual murder victims had emerged from those very same waters, cast forth onto the river banks of Saxony by floods and currents. The muddy waters of the Severn and the Loire, the Rhine and the Danube, the Main and Lake Constance, with their ebb and flow, revealed that which was intended to remain hidden, becoming the fulcrum of many tales awaiting discovery.

Moreover, even the Christian populations of the regions traversed by these waterways were convinced, from ancient times, as Frazer tells us, that the spirit of the rivers and lakes claimed their victims every year, particularly during precise periods, such as the days around Assumption Day (43). People considered it dangerous to bathe in the waters of the Saale, the Sprea and the Neckar, and even Lake Constance, for fear of becoming involuntary sacrifices to the cruel gods of the river. Thus, on St. Johns’ Day, at Cologne, Schaffhausen, Neuburg in Baden, as well as at Fulda and Regensburg in Swabia, as well as in the Swiss valley of Emmenthal, there was wide-spread fear that new victims of the lethal waters of the rivers and lakes would be added to those of previous years, to satisfy the demands of the imperious spirits hovering over the waves. Jews and Christians observed the ebb and flow, fearful and simultaneously bewitched, possessed by an overwhelming fascination. No ritual homicide ever occurred, nor could it occur, at the seaside.

— NOTES TO CHAPTER NINE

1. In this regard, see A. di Nola, Antropologia religiosa, Florence, 1971, pp. 91-144; R. Le Deaut, La nuit pascale, Rome, 1963, p. 281.

2. Midrash Shemot Rabbah 17, 3-5, 19, 5; Ruth Rabbah 6; Shir Ha-shirim Rabbah 1, 35; 5; Midrash Tanchumah 55, 4; Pesiktah de-Rav Kahah 63, 27.

3. In this regard, see Haggadat ha-midrash ha-mevor. Haggadah shel Pesach by Z. Steinberger, P. Barzel and A.Z. Brillant, Jerusalem, 1998, pp. 65-69; N. Rubin, The Beginning of Life. Rites of Death, Circumsciscion and Redemption of the First-Born in the Talmud and Midrash, Tel Aviv, 1995, pp. 102, ss (in Hebrew); I.G. Marcus, Circumcision (Jewish), in J.R. Strayer, Dictionary of the Middle Ages. III: Cabala-Crimea, New York, 1983, pp. 401-412; Sh. J.D. Cohen, Why Aren’t Jewish Women Circumcised? Gender and Covenant in Judaism, Berkely (Calif.), 2005, pp. 16-18.

4. A useful argument, intended to link the meanings of redemption, implemented through the sign of the blood of the Passover lamb on the doors of the house of the Jewish people of Egypt, with the saving meaning of the Cross, may be found in Justine Martyr (Triphone, 111).

5. Cfr. Sefer Nizzachon Yashan (Nizzahon Vetus). A Book of Jewish-Christian Polemic, by M. Breuer, Ramat Gan, 1978, p. 50 (in Hebrew). For the same argumentation on the links between the blood of circumcision, that of the sacrifice of Isaac and that of the Passover lamb, see also Shelomoh di Worms, Siddur (« Book of Prayers »), Jerusalem, 1972, p. 288.

6. Cfr. H.E. Adelman, Sacrifices in the History of Israel, http://www.achva.ac.il/maof.2000_9.doc (google), pp. 5-6. See also the chapter dedicated to this argument in the thesis presented by my assistant in the Department of Jewish History at Bar-Ilan University, I. Dreyfus, Blood, Sacrifice and Circumcision among the Jews of the Middle Ages, Ramat Gan, 2005, pp. 11-16.

7. In this regard, see J. Parkes, The Conflict of the Church and the Synagogue, London, 1934, pp. 116-117. The paragon between Isaac and Jesus was known, among the Fathers of the Church, by Origin: « and his use of it suggests that he knew it was quoted in the synagogue ». 8. Midrash Mechiltah, Pascha 7, 11: Shemot Rabbah 12, 13, 15, 11.

9. Cfr. Sh. Spiegel, Me-haggadot ha-‘akedah: piyut ‘al shechitat Izchak we-te-chiyato’ le-R. Efraim mi-Bonn (« Of the Story of Sacrifice of Isaac: A poetical composition on the immolation of Isaac and this resurrection, written by the rabbi Efraim of Bonn »), in M. Marx, Alexander Marx Jubilee Volume, New York, 1950, pp. 493-497 (in Hebrew). It is significant that Yiddish theater traditionally represents the sacrifice of Isaac as a drama of death and resurrection (cfr. M. Klausner, The Sources of Drama, Ramat Gan, 1971, p. 186 ([in Hebrew]).

10. Tosofot ha-shalaem 22, 14. The term « tossaphists » [rabbinical commentators], the rabbi to whom the establishment of this liturgical custom is attributed, refers to the learned of the Talmudic academies in the Franco-German lands between the 12th and 14th centuries.

11. On this argument, see in particular, S. Spiegel, The Last Trial, New York, 1967; I.G. Marcus, From Politics to Martyrdom. Shifting Paradigms in the Hebrew Narratives of the 1096 Crusade Riots, in « Prooftext », II (1982), pp. 40-52; I.J. Yuval, « Two Nations in Your Womb ». Perceptions of Jews and Christians, Tel Aviv, 2000, pp. 173-175 (in Hebrew); H. Soloveitchik, Religious Law and Change. The Medieval Ashkenazic Example, in « AJS Review », XII (1987), pp. 205-221; Id., Halakhah, Ermeneutics and Martyrdom in Medieval Ashkenaz, in « The Jewish Quarterly Review », XCIV (2004), pp. 77-108, 278-299.

12. Midrash Beresit Rabbah 60, 3; Wairah Rabbah 37, 4; Kohelet Rabbah 10, 15; Midrash Tanchumah (Bechukkutai) 7. See also, Josephus, Ant. Jud. 5, 10.

13. In this regard, see J. Berman’s recent study, Medieval Monasticism and the Evolution of Jewish Interpretation to the Story of Jepthah’s Daughter in « The Jewish Quarterly Review », XCV (2005), pp. 228-256; E. Baumgarten, « Remember that Glorious Girl ». Jepthah’s Daughter in Medieval Jewish Culture, in « The Jewish Quarterly Review », XCVII (2007).

14. Cfr. Y.H. Yerushalmi, Zakhor. Storia ebraica e memoria ebraica, Parma, 1983, pp. 57-58.

15. In this regard, see L.A. Hoffmann, Covenant of Blood. Circumcision and Gender in Rabbinic Judaism, Chicago (Ill.), pp. 95-135. 80

16. Midrash Tachumah 57, 6.

17. Aharon b. Yaakov Ha-Cohen, Orchot Chayim (« The Paths of Life »), Berlin, 1902, vol. I, p. 12; Bechayeh b. Asher, Kad ha-kemach (« The Amphora of Flour »), Venice, Marco Antonio Giustinian, 1546, s.v. milah (circumcision); Id., Beur ‘al ha-Torah (Comment on the Penteuch »), Naples, Azriel Ashkenazi Gunzenhauser, 1492, on Genesis 17:24.

18. Yaakov Ha-Gozer, Zichron berit ha-rishonim (« On Circumcision »), by Yaakov Glassberg, Berlin-Cracow, 1892, p. 5.

19. Cfr. M. Klein, ‘Et la-ledet. Mihagim we-masorot be- ‘edot Israel ( » A Time to Give Birth. Traditional Customs and Uses of the Community of Israel »), Tel Aviv, 2001, pp. 157 ss.; A. Gross, Taame’ mizwat ha-milah. Zeramim we-hashpa’ ot historiot biyme’ ha’benaym (« The Motives for the Precept of Circumcision. Historical Currents and Influences in the Middle Ages »), in « Da’ at », XXI (1989), pp. 93-96; I.G. Marcus, Tikse’ yaldut. Chanichah we-limmud ba-chevrah ha-yehudit biyme’ ha-benaym (« The Ceremonies of Girlhood. Initiation and Learning in Jewish Society of the Middle Ages »), Jerusalem, 1998, pp. 20-21, 34; Dreyfus, Sacrifice and Circumcision, cit., pp. 11-16; Cohen, Why Aren’t Jewish Women Circumcised, cit., pp. 31-32.

20. Anon, Sha’are’ Zedeq, cit., c. 22v; Aharon b. Yaakov Ha-Cohen, Orchot chayim, cit., pp. 13-14; Yaakov Ha-Gozer, Zichron berit ha- rishonim, cit., pp. 14-21; Izchak b. Avraham, Sefer ha-eshkol. Hilkot milah, yoledot, chole’ we’ gherim (« Book of the Precepts of Circumcision, etc »), Halberstadt 1868, p. 131. In this regard, see also H.L. Strack, The Jew and Human Sacrifice. Human Blood and Jewish Ritual, London, 1909, pp. 136-137.

21. Jacob Mulin Segal (Maharil), Sefer ha’ ha-minhagim. The Book of Customs, by Sh. Spitzer, Jerusalem, 1989, pp. 482 ss (in Hebrew); Yuspa Shemesh, Mihage’ Warmaisa (« The Customs of Worms »), Jerusalem, 1992, vol. II, p. 71. In this regard, see also J. Trachtenberg, Jewish Magic and Superstition. A Study on Folk Religion, Philadelphia (Pa.), 1939, pp. 154; 170; Cohen, Why Aren’t Jewish Women Circumcised?, cit., pp. 32-40.

22. In this regard see Hoffman, Covenant of Blood, cit., pp. 96-135.

23. Yaakov Ha-Gozer, Zichron berit-ha-rishonim, cit., p. 61. See also in this regard S. Goldin, The Ways of Jewish Martyrdom, Lod, 2002 (in Hebrew).

24. Machazor Vitry, by H. Horovitz, Jerusalem, 1963, p. 626.

25. Zohar (parashat Bo),c. 35b.

26. ibidem, c. 41a.

27. Ibidem., c. 36a.

28. Ibidem, cc. 39b-40a

29. In this regard, see Yuval, « Two Nations in Your Womb », cit., pp. 109-150; Blood and Sacrifice, cit., pp. 28-30.

30. On this point, see in particular Hoffman, Covenant of Blood, cit., pp. 96-135.

31. Zohar (parashat Bo), c. 36a.

32. On the meaning and origins of the charoset, understood as « memorial of blood », see in particular Yuval, « Two Nations in Your Womb », cit., pp. 258-264.

33. On the rather extensive bibliography on ritual murders of 1329 in the Duchy of Savoy, linked to the preparation of the charoset, see, among others, Strack, The Jew and Human Sacrifice, cit., pp. 190; J. Trachtenberg, The Devil and the Jews, Philadelphia (Pa.), 1961, pp. 130 ss; M. Rubin, Gentile Tales. The Narrative Assault on Late Medieval Jews, New Haven (Conn.), 1999, p. 108; M. Esposito, Un procès contre les Juifs de la Savoie en 1329, in « Revue Historique », XXXIV (1938), pp. 785-801. According to the text of their confessions, the Jews of Savoy had carried out that rite consuming the human charoset « loco sacrificii » [at the sacrifice location] at Pesach, considering that they were approaching Redemption in so doing (« credunt se esse salvatos »).

34. The arrival in Savoy of the English Jews expelled in 1290 is documented by R. Segre, Testimonianze documentarie degli ebrei negli Stati Sabaudi (1297-1398), in « Michael », IV (1976), pp. 296-297. In the lists of Jews of the Duke, there appears the name of « Manisseo Menasheh) anglico, Crestecio (Ghershon) anglico, Elioto (Elahu) anglico, etc. ». See O. Ramírez’s recent study, Les Juifs et le crédit en Savoie au XIVe siècle, in R. Bordone, Credit e società: le fonti, le techniche e gli uomini. Secc. XIV-XVI, Asti, 2003, pp. 55-68. 35. In this regard, see R. Ben Shalom, Un’ accusa di sangue ad Arles e la missione francescana ad Avignone nel 1453, in « Zion », XVIII (1998), pp. 397-399 (in Hebrew).

36. Alphonsus de Spina, Fortalitium fidei, Nuremberg, Anton Koberger,10 October 1485, cc. 190-192.

37. Ibidem, c. 192: « Copiosissime vivus sanguis Infantis effundebatur in predicto vase (in quo Judaei consueverunt recipere sanguinem Infantium circumcisorum […] et deinde fructibus diversis, scilicet pomus, piris, nucibus, avelanis et ceteris, que habere potuerunt, in partes minuitissimas dividentes, sanguinem illius Infantis Christiani in predicto vase miscuerunt et de illa confectione horribili omnes illi Judaei comederunt » [Approximately: « The living blood of the child flowed copiously into the vessel (in which the Jews were accustomed to capture the blood of their circumcised children […] and then they mixed various fruits, like apples, pears, nuts, hazlenuts, etc., whatever they might have had on hand, cut into extremely fine bits, into the vessel containing the blood of the Christian child and then all the Jews ate of that horrible confection »]. 81

38. On the tradition of the tekefot (literally, « seasons »), rooted among the Jews of the German-speaking lands, above all starting in the years following the First Crusade, see in particular Trachtenberg, Jewish Magic and Superstition, cit., pp. 275-258; E. Baumgarten, Mothers and Children. Jewish Family Life in Medieval Europe, Princeton (N.J.), 2004, p. 238, no. 130; Ead., « Remember that Glorious Girl », cit. (which examines a broad range of Medieval Ahkenazi sources, in large part manuscript, on this topic).

39. Abudarhamha-shalem, b A.J. Wertheiemer, Jerusalem, 1963, pp. 311-312. On the religious texts of Ashzenazi Judaism, which include the tradition of the tekufot, from the Machazor Vitry to the manuscript of the work Kevod ha-chuppah (« The Honour of the Nuptials ») by Chaike Hurwitz, see ibidem, p. 413.

40. On the testimonies of the Marranos of Bragança relating to the tekufot, recorded in the protocols of the Inquisition of Coimbra, see in detail the pioneering study by my excellent student C.D. Stuczynski, A « Marrano Religion »? The Religious Behaviour of the New Christians of Braganca Convicted by the Coimbra Inquisition in the Sixteenth Century (1541-1605), Ramat Gan, Bar-Ilan University, 2005, pp. 32-35 (cum laude doctoral thesis).

41. Francesco Maria d’Ancona Ferretti, Le verità della fede christiana svelate alla Sinagoga, Venice, Carlo Pecora, 1741, pp. 342-343.

42. Cfr. Y. Bergman, Ha-foklor ha-yehudi (« Jewish Folklore »), Jerusalem, 1953, p. 38; Ch. B. Goldberg, Mourning in Halachah. The Laws and Customs of the Year of Mourning, New York, 2000, pp. 56-59 (« It is customary that people pour out all the water that is in the house, where the deceased is dying, because the Angel of Death whets his knife on water, and a drop of the blood of death falls in »). 43. Cfr. Frazer, The Golden Bough, cit., VII, pp. 26-30.

— p. 152] p. 153]

Til Forsiden

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Pékin 2008: Attention, une dissidence peut en cacher une autre (Will China’s Christian Führers eventually bring down the regime?)

10 avril, 2008
Monday demos (Leipzig, 1989)Bush meets Chinese christian dissidents (May 2006)Nous sommes le peuple! Slogan des célèbres « manifestations du lundi » organisées en octobre 1989 par le pasteur Christian Führer qui débouchèrent un mois plus tard sur la chute du Mur de Berlin
Quels sont les mouvements porteurs d’exigence démocratique et/ou de modernisation (économique, sociale, politique) qui ne sont pas passés par la « case » chrétienne? Jean-François Sabouret (Université Paris V)
Une économie de marché a le grand avantage d’apprendre aux gens à ne pas être paresseux. Mais elle ne peut pas leur apprendre à ne pas mentir ou à ne pas se faire de mal les uns aux autres. Zhao Xiao (Economiste de l’Université de Pékin)
Bush (…) se soucie davantage des droits de l’homme en Chine que Bill Clinton, et bien plus encore que les Européens. (…) Le christianisme fait partie de l’histoire chinoise. Ce n’est pas la religion des Blancs; elle appartient à tous. Yu Jie

Yu Jie, Wang Yi, Li Baiguang, Gao Zhisheng, Zhao Xiao, Yuan Zhiming ou Jiao Guobiao….

Seront-ils un jour les Karol Wojtyla, Christian Führer, Kim Youngsam ou Kim Daejung de la Chine?

Le président Bush ne s’y est pas trompé, qui a déjà invité nombre d’entre eux à la Maison blanche.

Car, au-delà des falong gong ou des bouddhistes tibétains (et contrairement à un islam qui enferme les peuples dans le sous-développement et le terrorisme) dont sont pleins les médias, la principale menace pour les massacreurs de Tiananmen est peut-être la véritable explosion que connaît depuis une dizaine d’années le christianisme en Chine.

Ce même christianisme qui s’était montré tellement efficace dans la lutte pour la démocratie en Europe de l’est, à Taiwan ou en Corée du sud.

Et ce d’autant plus qu’il devient massivement urbain, jeune, instruit et, de plus en plus insaisissable.

Notamment avec les « églises à domicile » ou « souterraines » (plutôt protestantes et surtout évangéliques) et les « chrétiens culturels«  ou non-institutionnels, c’est-à-dire rattachés à aucune église mais les plus nombreux et les plus influents car composés de nombre d’écrivains dissidents (souvent anciens activistes du Printemps chinois de 1989), intellectuels critiques, journalistes et avocats de plus en plus actifs dans la défense des droits de l’homme.

Et par conséquent d’autant plus inquiétants pour des autorités chinoises qui multiplient les arrestations et détentions.

Jusqu’à se méfier des moindres visiteurs étrangers dont elles ont tant besoin comme les experts ou professeurs d’anglais (et… potentiels « missionnaires déguisés »!).

Ou, à la veille même des JO, se priver, pour entrainer leur équipe féminine de tennis, des services de l’ancien N° 2 mondial, le Taiwano-américain et très fervent chrétien Michael Chang

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Chine: Certains Tibétains doivent comprendre (Certain Tibetans had better understand that they cannot use these games as weapons in their boycott against the Communists)

2 avril, 2008
Munich 1936Certains Juifs doivent comprendre qu’ils ne peuvent pas utiliser ces jeux comme une arme dans leur boycott contre les nazis. Avery Brundage (Fair Play for American athletes, publié par l’American Olympic Committee, 1935).
Ne soyons pas plus tibétains que les Tibétains. (…) Ne pas les offenser. Avoir de la patience, de la patience, de la patience. Ils finiront par comprendre que quelques millions de Tibétains ne menacent pas 1 milliard 300 millions de Chinois. (…) Les droits de l’homme ne peuvent pas résumer une politique étrangère. Kouchner
Nous sommes aussi contraints de ménager un certain nombre d’intérêts économiques pour ne pas creuser le chômage : cela s’appelle gouverner. Kouchner
Est-ce que vous laisseriez une mission des Nations unies pour voir ce qui s’est passé à Villiers-le-Bel? Qu Xing (numéro deux de l’ambassade de Chine à Paris sur Europe 1)

Berlin 1936, Moscou 1980 …

A l’heure où, gros contrats obligent (20 milliards quand même!), notre Kouchner national redécouvre, comme à son époque Mitterrand (un certain génocide africain), les contraintes de la Realpolitik …

Intéressante tribune, dans Le Figaro la semaine dernière, d’un collectif d’intellectuels dont Robert Redeker et Pierre-André Taguieff (« Boycottons les Jeux de la honte d’un Etat liberticide!« ) …

Qui, appelant au boycott des « Jeux de la honte » et « du laogaï », a le mérite de rappeler l’historique « collusion idéologique profonde » entre le CIO et les régimes totalitaires.

Et la manière dont les totalitarismes ont toujours utilisé, avec « des sportifs d’État, idéologiquement encadrés et biologiquement ‘usinés’  » et avec ‘l’objectif déclaré d’être la première puissance médaillée devant les États-Unis’, « la mobilisation sportive d’Etat » comme ‘instrument de propagande à l’extérieur et de répression à l’intérieur » pour « alimenter le nationalisme le plus virulent de l’actuelle direction du PCC » et ‘servir de tremplin aux conquêtes impérialistes ».

Certes, contre les obsédés du beurre et de l’argent du beurre à la François Hollande, Kouchner n’a pas tort de rappeler que le Dalai lama lui-même n’appelle pas au boycott et que celui-ci aurait un coût en emplois.

De même, la Chine n’est pas ou plus au niveau du nazisme et, via le CIO, la communauté internationale qui commerce librement avec elle (sans parler des futurs hôtes britanniques et russes des jeux de 2012 et 2014), s’est déjà engagée pour leur attribuer les Jeux.

Mais l’engagement était censé être mutuel et, comme le confirme la lourde répression contre les Tibétains (et certes de réels épisodes de ratonnade et lynchage anti-chinois), les massacreurs de Tienanmen (et accessoirement souteneurs des génocidaires ou tortionnaires khmers, nord-coréens, birmans ou soudanais) sont très loin de leurs engagements.

D’où la parfaite légitimité des reproches et pressions dont ils sont aujourd’hui l’objet et, comme l’a déjà fait l’Allemagne d’Angela Merkel pourtant très engagée économiquement en Chine, l’absolue opportunité (Kouchner l’a lui-même proposé) de recevoir dès maintenant le Dalai lama.

Et même, comme le proposait l’an dernier Thérèse Delpech et si ses nouveaux dirigeants le souhaitaient, d’offrir immédiatement la reconnaissance diplomatique à Taiwan

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Magdi Allam: Un islam physiologiquement violent et historiquement conflictuel (Islamic convert boldly comes out of the catacombs, but will the West protect and defend?)

28 mars, 2008
Magdi AllamA chaque femme martyrisée dans le monde, je veux dire que la France offre sa protection en lui donnant la possibilité de devenir française. Nicolas Sarkozy (Bercy, le 29 avril 2007)
Les juristes musulmans sont unanimes que les apostats doivent être punis, même s’ils diffèrent quant au genre de châtiment à leur infliger. La plupart d’entre eux, y compris les quatre écoles principales de la jurisprudence (Hanafi, Maliki, Shafi’i, et Hanbali) comme les quatre autres écoles de la jurisprudence (les quatre écoles shiites d’Az-Zaidiyyah, d’Al-Ithna-ashriyyah, d’Al-Jafariyyah, et d’Az-Zaheriyyah) conviennent que les apostats doivent être exécutés. Sheikh Yusuf Al-Qaradawi (al-Jazeera et IslamOnline)
J’ai donc dû prendre acte du fait que, au delà de la situation caractérisée par la domination du phénomène des extrémistes et du terrorisme islamique au niveau mondial, la racine du mal se trouve dans un islam qui est physiologiquement violent et historiquement conflictuel. (…) Si nous sommes incapables, ici en Italie, berceau du catholicisme, de garantir à tous la pleine liberté religieuse, comment pourrions-nous l’être quand nous dénonçons la violation de cette liberté dans d’autres pays du monde? Magdi Allam

Ben Laden met en garde l’Europe dans un nouveau message – Libération

Le double message de Ben Laden- Le Figaro

Oussama Ben Laden menace l’Europe et le pape dans un nouveau message – Le Monde

Magdi Allam fustige l’islam – Libération

Une conversion qui crée la polémique – Le Point

Le Vatican gêné après le baptême controversé d’un musulman – Le Monde

Mustapha Cherif « consterné » par le baptême à Rome d’un musulman converti – La Croix

Curieuse coïncidence de calendrier

A l’heure où, après les bonnes paroles habituelles, la France brille à nouveau par son silence suite à la demande d’asile de la dissidente d’origine somalienne toujours menacée de mort Ayaan Hirsi

Et au lendemain d’une énième menace du massacreur en série Ben Laden cette fois contre le Pape …

Que ce baptême, il y a une semaine et le jour même de Pâques, de l’éditorialiste italien d’origine égyptienne et musulmane Magdi Allam par le Pape lui-même!

Mais encore plus curieuse et symptomatique …

Cette façon dont nos médias se précipitent sur la première imprécation venue des bouchers d’Al Qaeda et se montrent soudain si réticents devant les déclarations d’un de ses plus grands critiques.

Il avait pourtant bien commencé (même si massacrer 3000 civils américains d’un seul coup et en annoncer d’autres est, il est vrai,… autrement plus vendeur!).

Né de parents musulmans en Egypte il y a 56 ans, il avait certes fait toutes ses études dans des écoles catholiques mais était retourné un temps à l’islam (il fera le pèlerinage à La Mecque). D’où l’accusation, de la part de ses ennemis dont son compatriote et islamiste masqué Tariq Ramadan, d’être un copte déguisé en musulman.

De même, journaliste au quotidien communiste « Il Manifesto » après une licence de sociologie puis au journal de centre-gauche « La Repubblica » et au vénérable « Corriere della Sera », il avait été un fervent défenseur des immigrés arabes et de la cause palestinienne.

Jusqu’à ces dernières années où il a fallu qu’il prenne des positions de plus en plus critiques par rapport au terrorisme islamiste et au multiculturalisme. Allant même jusqu’à défendre l’Opération « Liberté pour l’Irak » et intitulé l’un de ses livres « Vive Israël! », d’où sa protection policière depuis 5 ans suite aux nombreuses menaces dont il est l’objet …

Extraits (de sa récente lettre au Corriere della Sera au lendemain de son baptême):

Le miracle de la Résurrection du Christ s’est reflété sur mon âme, en la libérant des ténèbres d’une prédication où la haine et l’intolérance à l’égard du “différent“, condamné sans examen comme “ennemi“, l’emportent sur l’amour et le respect du “prochain“ qui reste toujours et en tout cas une “personne“. De la même manière, mon esprit s’est affranchi de l’obscurantisme d’une idéologie qui légitime le mensonge et la dissimulation, ainsi que la mort violente, ce qui conduit à l’homicide et au suicide, la soumission aveugle et la tyrannie. J’ai ainsi pu adhérer à la religion authentique de la Vérité, de la Vie et de la Liberté. A l’occasion de ma première fête de Pâques comme chrétien, j’ai découvert non seulement Jésus mais aussi, pour la première fois, le vrai et unique Dieu, qui est le Dieu de la Foi et de la Raison.

Ma conversion au catholicisme est l’aboutissement d’une méditation intérieure progressive et profonde. Jamais je n’aurais pu m’y soustraire, étant donné que, depuis cinq ans, je suis contraint de vivre enfermé, avec une surveillance continue de ma maison et une escorte de carabiniers pour chacun de mes déplacements. Cette situation est due aux menaces et aux condamnations à mort que m’adressent les extrémistes et les terroristes islamiques, d’Italie ou de l’étranger.

J’en suis venu à m’interroger sur le comportement de ceux qui ont publié des fatwas – des sentences juridiques islamiques – en me traitant, moi qui étais musulman, d’“ennemi de l’islam“, “hypocrite parce chrétien copte faisant semblant d’être musulman pour nuire à l’islam“, “menteur et diffamateur de l’islam“. Ils justifient de cette façon ma condamnation à mort.

Je me suis demandé comment il était possible que quelqu’un qui – comme moi – s’est inlassablement battu avec conviction pour un “islam modéré“, prenant la responsabilité de s’exposer directement en dénonçant l’extrémisme et le terrorisme islamique, ait fini par être condamné à mort au nom de l’islam et sur la base d’une justification coranique.

J’ai donc dû prendre acte du fait que, au delà de la situation caractérisée par la domination du phénomène des extrémistes et du terrorisme islamique au niveau mondial, la racine du mal se trouve dans un islam qui est physiologiquement violent et historiquement conflictuel.

Sa Sainteté a lancé un message explicite et révolutionnaire à une Eglise qui a été jusqu’à présent trop prudente dans la conversion des musulmans, puisqu’elle s’est abstenue de faire du prosélytisme dans les pays à majorité musulmane et n’a rien dit de la réalité des musulmans convertis dans les pays chrétiens. Par peur. Peur de ne pas pouvoir protéger les convertis contre leur condamnation à mort pour apostasie. Peur des représailles exercées sur les chrétiens qui vivent dans les pays musulmans.

Aujourd’hui Benoît XVI nous dit, par son témoignage, qu’il faut vaincre la peur et ne pas craindre d’affirmer la vérité de Jésus y compris aux musulmans.

Pour ma part, je dis qu’il est temps de mettre fin aux abus et à la violence des musulmans qui ne respectent pas la liberté de choix en matière de religion.

En Italie il y a des milliers de convertis à l’islam qui vivent sereinement leur nouvelle foi. Mais il y a aussi des milliers de musulmans convertis au christianisme qui sont obligés de cacher leur nouvelle foi par peur d’être assassinés par les extrémistes musulmans cachés parmi nous. Par un de ces “hasards” qui laissent entrevoir la main discrète du Seigneur, mon premier article dans le « Corriere della Sera », le 3 septembre 2003, était intitulé : “Les nouvelles catacombes des musulmans convertis”. C’était une enquête sur des nouveaux chrétiens en Italie qui dévoilaient leur profonde solitude spirituelle et humaine, due à la défaillance des institutions de l’Etat, qui ne veillent pas à leur sécurité, et au silence de l’Eglise elle-même.

Et bien, je souhaite que le geste historique du pape et mon témoignage les persuadent que le moment est venu de sortir des ténèbres des catacombes et d’affirmer publiquement leur volonté d’être pleinement eux-mêmes.

Si nous sommes incapables, ici en Italie, berceau du catholicisme, de garantir à tous la pleine liberté religieuse, comment pourrions-nous l’être quand nous dénonçons la violation de cette liberté dans d’autres pays du monde ?

Benoît XVI nous dit qu’il faut vaincre la peur

Magdi Cristiano Allam
Corriere della Serra
23 mars 2008

Cher directeur, ce que je vais te raconter concerne une décision de foi religieuse et de vie personnelle que j’ai prise. Elle ne vise en aucune façon à impliquer le “Corriere della Sera“, dont j’ai l’honneur de faire partie depuis 2003 comme directeur adjoint “ad personam“. Je t’écris donc à titre privé, en tant que personnage de cette histoire.

Hier soir, veille de Pâques, je me suis converti à la religion catholique, renonçant ainsi à mon ancienne foi musulmane.

Par la grâce divine, la lumière est finalement apparue au fruit sain et mûr d’une longue gestation vécue dans la souffrance et la joie, entre la réflexion profonde et intime et l’expression consciente et manifeste.

Je suis particulièrement reconnaissant envers Sa Sainteté le pape Benoît XVI, qui m’a administré les sacrements de l’initiation chrétienne – Baptême, Confirmation et Eucharistie – en la basilique Saint-Pierre, au cours de la célébration solennelle de la Veillée Pascale. J’ai pris le nom chrétien le plus simple et le plus explicite : “Cristiano“. Depuis hier soir, je m’appelle donc Magdi Cristiano Allam.

Pour moi, c’est le plus beau jour de ma vie. Pour un croyant, recevoir le don de la foi chrétienne de la main du Saint Père le jour de la fête de la Résurrection du Christ est un privilège sans égal et un bien inestimable.

A presque 56 ans, c’est, à ma modeste échelle, un fait historique, exceptionnel et inoubliable, qui marque un tournant radical et définitif par rapport au passé. Le miracle de la Résurrection du Christ s’est reflété sur mon âme, en la libérant des ténèbres d’une prédication où la haine et l’intolérance à l’égard du “différent“, condamné sans examen comme “ennemi“, l’emportent sur l’amour et le respect du “prochain“ qui reste toujours et en tout cas une “personne“. De la même manière, mon esprit s’est affranchi de l’obscurantisme d’une idéologie qui légitime le mensonge et la dissimulation, ainsi que la mort violente, ce qui conduit à l’homicide et au suicide, la soumission aveugle et la tyrannie. J’ai ainsi pu adhérer à la religion authentique de la Vérité, de la Vie et de la Liberté. A l’occasion de ma première fête de Pâques comme chrétien, j’ai découvert non seulement Jésus mais aussi, pour la première fois, le vrai et unique Dieu, qui est le Dieu de la Foi et de la Raison.

Ma conversion au catholicisme est l’aboutissement d’une méditation intérieure progressive et profonde. Jamais je n’aurais pu m’y soustraire, étant donné que, depuis cinq ans, je suis contraint de vivre enfermé, avec une surveillance continue de ma maison et une escorte de carabiniers pour chacun de mes déplacements. Cette situation est due aux menaces et aux condamnations à mort que m’adressent les extrémistes et les terroristes islamiques, d’Italie ou de l’étranger.

J’en suis venu à m’interroger sur le comportement de ceux qui ont publié des fatwas – des sentences juridiques islamiques – en me traitant, moi qui étais musulman, d’“ennemi de l’islam“, “hypocrite parce chrétien copte faisant semblant d’être musulman pour nuire à l’islam“, “menteur et diffamateur de l’islam“. Ils justifient de cette façon ma condamnation à mort.

Je me suis demandé comment il était possible que quelqu’un qui – comme moi – s’est inlassablement battu avec conviction pour un “islam modéré“, prenant la responsabilité de s’exposer directement en dénonçant l’extrémisme et le terrorisme islamique, ait fini par être condamné à mort au nom de l’islam et sur la base d’une justification coranique.

J’ai donc dû prendre acte du fait que, au delà de la situation caractérisée par la domination du phénomène des extrémistes et du terrorisme islamique au niveau mondial, la racine du mal se trouve dans un islam qui est physiologiquement violent et historiquement conflictuel.

Parallèlement, la Providence m’a fait rencontrer des catholiques pratiquants de bonne volonté qui, à cause de leur témoignage et de leur amitié, sont peu à peu devenus un point de référence sur le plan de la certitude de la vérité et de la solidité des valeurs. Tout d’abord mes nombreux amis de Communion et Libération, en tête desquels le père Juliàn Carròn ; mais aussi de simples religieux comme le père Gabriel Mangiarotti, sœur Maria Gloria Riva, le père Carlo Maurizi et le père Yohannis Lahzi Gaid. Ma redécouverte des salésiens, grâce aux pères Angelo Tengattini et Maurizio Verlezza, a culminé dans une amitié renouvelée avec leur recteur majeur, le père Pascual Chavez Villanueva. J’ai enfin reçu le soutien de hauts prélats d’une grande humanité comme le cardinal Tarcisio Bertone, Mgr Luigi Negri, Mgr Giancarlo Vecerrica, Mgr Gino Romanazzi et surtout Mgr Rino Fisichella, qui m’a suivi personnellement dans mon parcours spirituel d’acceptation de la foi chrétienne.

Mais, sans aucun doute, la rencontre la plus extraordinaire et qui a le plus influé sur ma décision de me convertir, c’est celle du pape Benoît XVI. Lorsque j’étais musulman, je l’ai admiré et défendu pour sa capacité à faire, du lien indissociable entre foi et raison, le fondement de la religion authentique et de la civilisation de l’homme. Comme chrétien, j’y adhère pleinement pour m’inspirer d’une nouvelle lumière dans l’accomplissement de la mission que Dieu m’a réservée.

Mon itinéraire a commencé quand j’avais quatre ans. Ma mère, Safeya, était une musulmane croyante et pratiquante. Par le premier d’une série de “hasards” qui se sont révélés non pas fortuits mais intégrés dans le destin divin auquel chacun de nous est appelé, elle m’a confié aux soins pleins de tendresse de sœur Lavinia, de l’ordre des comboniennes. Elle était convaincue que je recevrais une bonne éducation chez ces religieuses catholiques italiennes, installées au Caire, ma ville natale, pour témoigner de leur foi chrétienne à travers une œuvre tendant à contribuer au bien commun.

C’est ainsi que j’ai commencé mon expérience de la vie scolaire, effectuée chez les salésiens de l’Institut Don Bosco pour le collège et le lycée. Tout compte fait, on m’y a transmis non seulement un savoir mais surtout la conscience des valeurs. C’est grâce aux religieux catholiques que j’ai acquis une conception profondément et essentiellement éthique de la vie. Selon cette conception, la personne créée à l’image et à la ressemblance de Dieu est appelée à remplir une mission qui s’insère dans un dessein universel et éternel visant à la résurrection intérieure de chaque individu sur cette terre et à celle de l’humanité entière le Jour du Jugement Dernier. Cette conception, fondée sur la foi en Dieu et sur la primauté des valeurs, est axée sur le sens de la responsabilité individuelle et du devoir envers la collectivité. A cause de cette éducation chrétienne et parce que j’ai partagé l’expérience de la vie avec des religieux catholiques, j’ai toujours eu une foi profonde en la transcendance et j’ai toujours recherché la certitude de la vérité dans les valeurs absolues et universelles.

A un moment donné, la présence aimante et le zèle religieux de ma mère m’ont rapproché de l’islam. Je l’ai pratiqué périodiquement sur le plan cultuel et j’y ai cru sur le plan spirituel. J’en faisais une interprétation qui à l’époque – les années Soixante – correspondait en gros à une foi respectueuse de l’homme et tolérante envers le prochain. Le contexte était celui du régime de Nasser, avec une prédominance du principe laïque consistant à séparer la sphère religieuse de la sphère séculière.

Mon père, Mahmoud, était tout à fait laïc. Sur ce point, il était semblable à une majorité d’Egyptiens qui prenaient l’Occident comme modèle en matière de liberté individuelle, d’usages sociaux et de modes culturelles et artistiques. Malheureusement le totalitarisme politique de Nasser et l’idéologie belliqueuse du panarabisme, qui visait à l’élimination physique d’Israël, ont conduit l’Egypte à la catastrophe et ouvert la voie à la redécouverte du panislamisme, à l’arrivée au pouvoir des extrémistes musulmans et à l’explosion du terrorisme musulman mondialisé.

Les nombreuses années passées à l’école m’ont aussi permis de bien connaître, de près, la réalité du catholicisme ainsi que celle des femmes et des hommes qui ont consacré leur vie à servir Dieu au sein de l’Eglise. Dès cette époque, je lisais la Bible et les Evangiles et j’étais particulièrement fasciné par la figure humaine et divine de Jésus. J’ai pu assister à la sainte messe et il m’est même arrivé, une seule fois, de m’approcher de l’autel et de recevoir la communion. Ce geste manifestait évidemment mon attirance vers le christianisme et mon désir de me sentir inclus dans la communauté religieuse catholique.

Par la suite, quand je suis arrivé en Italie au début des années Soixante-dix, dans les fumées des révoltes étudiantes et les difficultés d’intégration, j’ai vécu une période où un athéisme affiché me tenait lieu de foi, tout en restant fondé sur la primauté des valeurs absolues et universelles. Je n’ai jamais été indifférent à la présence de Dieu, même si c’est seulement maintenant que je sens que le Dieu de l’Amour, de la Foi et de la Raison se concilie pleinement avec le patrimoine de valeurs qui sont enracinées en moi.

Cher directeur, tu m’as demandé si je ne craignais pas pour ma vie, parce que je serais conscient que ma conversion au christianisme m’attirera certainement une énième – et beaucoup plus grave – condamnation à mort pour apostasie.

Tu as tout à fait raison. Je sais à quoi je m’expose mais j’affronterai mon destin la tête haute, sans courber l’échine et avec la solidité intérieure de celui qui est sûr de sa foi. Et je le serai encore plus après le geste historique et courageux du pape qui – dès qu’il a connu mon désir – a tout de suite accepté de me conférer personnellement les sacrements d’initiation au christianisme.

Sa Sainteté a lancé un message explicite et révolutionnaire à une Eglise qui a été jusqu’à présent trop prudente dans la conversion des musulmans, puisqu’elle s’est abstenue de faire du prosélytisme dans les pays à majorité musulmane et n’a rien dit de la réalité des musulmans convertis dans les pays chrétiens. Par peur. Peur de ne pas pouvoir protéger les convertis contre leur condamnation à mort pour apostasie. Peur des représailles exercées sur les chrétiens qui vivent dans les pays musulmans.

Aujourd’hui Benoît XVI nous dit, par son témoignage, qu’il faut vaincre la peur et ne pas craindre d’affirmer la vérité de Jésus y compris aux musulmans.

Pour ma part, je dis qu’il est temps de mettre fin aux abus et à la violence des musulmans qui ne respectent pas la liberté de choix en matière de religion.

En Italie il y a des milliers de convertis à l’islam qui vivent sereinement leur nouvelle foi. Mais il y a aussi des milliers de musulmans convertis au christianisme qui sont obligés de cacher leur nouvelle foi par peur d’être assassinés par les extrémistes musulmans cachés parmi nous. Par un de ces “hasards” qui laissent entrevoir la main discrète du Seigneur, mon premier article dans le « Corriere della Sera », le 3 septembre 2003, était intitulé : “Les nouvelles catacombes des musulmans convertis”. C’était une enquête sur des nouveaux chrétiens en Italie qui dévoilaient leur profonde solitude spirituelle et humaine, due à la défaillance des institutions de l’Etat, qui ne veillent pas à leur sécurité, et au silence de l’Eglise elle-même.

Et bien, je souhaite que le geste historique du pape et mon témoignage les persuadent que le moment est venu de sortir des ténèbres des catacombes et d’affirmer publiquement leur volonté d’être pleinement eux-mêmes.

Si nous sommes incapables, ici en Italie, berceau du catholicisme, de garantir à tous la pleine liberté religieuse, comment pourrions-nous l’être quand nous dénonçons la violation de cette liberté dans d’autres pays du monde ? Je prie Dieu pour que ce jour de Pâques spécial voie la résurrection spirituelle de tous les fidèles au Christ qui ont été jusqu’à maintenant dominés par la peur. Joyeuses Pâques à tous.

Voir aussi:

A Prayer for Freedom
Will the West protect and defend?
Robert Spencer
NRO
March 26, 2008

Italy’s leading Muslim writer has become a Catholic. As Pope Benedict XVI baptized Magdi Allam during an Easter service at the Vatican, the glare of international publicity annoyed at least one Muslim, Yahya Sergio Yahe Pallavicini, vice president of Coreis, the Italian Islamic Religious Community. He told reporters: “What amazes me is the high profile the Vatican has given this conversion. Why could he have not done this in his local parish? . . . If Allam truly was compelled by a strong spiritual inspiration, perhaps it would have been better to do it delicately, maybe with a priest from Viterbo where he lives.”

Why should the exercise of a basic human right, the freedom of conscience, be a matter for delicacy? In voicing this complaint Pallavicini raised yet again the Islamic-supremacist specter that increasingly haunts Europe — for in traditional Islamic law, Christians in the Islamic state must be unobtrusive and submissive, eschewing bells, processions, and other public displays, and remaining private and unostentatious in their religious observances, so as to avoid offend the delicate sensibilities of Muslims. In suggesting that Allam would have done better to convert somewhere away from the flashbulbs and microphones, Pallavicini suggests that all this is part of his own mental baggage: In a perfect world, Christians may practice their faith, but they must do so out of sight.

The new convert himself, an editorial writer and deputy editor at the Italian daily Corriere della Sera and for years a vociferous critic of the jihad ideology and Islamic supremacism, might agree that this is indeed part of the attitude that Islamic sharia law can inculcate in its adherents. “Over the years,” he wrote trenchantly about Islam in a letter to Corriere della Sera, “my spirit has been freed from the obscurantism of an ideology that legitimizes lies and deception, violent death that leads to homicide and suicide, blind submission to tyranny.”

Must Allam now live in fear of this violent ideology? Yes. Allam has been under guard ever since he expressed support for Israel, which he does in no uncertain terms — in fact, he entitled a book Viva Israel after Hamas jihadists sent him death threats. And now he expects more, saying that he will likely receive “another death sentence for apostasy.”

The Islamic death sentence for apostasy is very real. All the schools of Islamic jurisprudence agree that apostates must be executed, and this law is rooted in the dictum of the Muslim prophet Mohammed: “Whoever changes his religion, kill him.” The internationally influential Sheikh Yusuf Al-Qaradawi, the eminence behind al-Jazeera and IslamOnline, who has been praised by Georgetown Islamic scholar John Esposito as a “reformist,” insisted recently on the traditional and mainstream status of this death sentence: “Muslim jurists are unanimous that apostates must be punished, yet they differ as to determining the kind of punishment to be inflicted upon them. The majority of them, including the four main schools of jurisprudence (Hanafi, Maliki, Shafi’i, and Hanbali) as well as the other four schools of jurisprudence (the four Shiite schools of Az-Zaidiyyah, Al-Ithna-ashriyyah, Al-Jafariyyah, and Az-Zaheriyyah) agree that apostates must be executed.”

Given the weight of this traditional ruling, it is extremely difficult for Islamic reformers to make headway — as Allam well knows. In his letter to Corriere della Sera, he explained that this was also one of the signposts on his journey toward conversion: “I asked myself how it was possible that those who, like me, sincerely and boldly called for a ‘moderate Islam,’ assuming the responsibility of exposing themselves in the first person in denouncing Islamic extremism and terrorism, ended up being sentenced to death in the name of Islam on the basis of the Quran.” It would not have been an outcome envisioned by those who have insisted that the elements of Islam that jihadists use to justify their violent actions are peripheral at best to the faith itself.

Nonetheless, Allam took this step with open eyes: “I realize what I am going up against but I will confront my fate with my head high, with my back straight and the interior strength of one who is certain about his faith.” And his concern is for other converts: also in his letter to Corriere, Allam remembered that “by one of those ‘fortuitous events’ that evoke the discreet hand of the Lord, the first article that I wrote for the Corriere on Sept. 3, 2003 was entitled ‘The new Catacombs of Islamic Converts.’ It was an investigation of recent Muslim converts to Christianity in Italy who decry their profound spiritual and human solitude in the face of absconding state institutions that do not protect them and the silence of the Church itself.” The situation hasn’t changed since then: “Thousands of people in Italy have converted to Islam and practice their faith serenely. But there are also thousands of Muslims who have converted to Christianity who are forced to hide their new faith out of fear of being killed by Islamist terrorists.”

Allam praised Pope Benedict for baptizing him in the public manner that nettled Pallavicini, for in doing so, he said, the Pontiff “sent an explicit and revolutionary message to a church that until now has been too cautious in the conversion of Muslims . . . because of the fear of being unable to protect the converted who are condemned to death for apostasy.”

Perhaps the conversion of Magdi Allam will herald the end of this shameful silence and fear, and trigger the recovery of a bit of self-confidence on the part of the West — such that European states and the Church will more zealously guard these new converts, recognizing in their conversion the expression of one of the fundamental human rights challenged today by the global jihad.

Even that would not be as great a Paschal gift as the one Magdi Allam received last weekend. But for all those who cherish the freedom of conscience as a fundamental human right, it would be a ray of hope.

— Robert Spencer is the director of Jihad Watch and author of the New York Times bestsellers The Politically Incorrect Guide to Islam (and the Crusades) and The Truth About Muhammad.


Tibet: Les autorités chinoises connaissent la capacité d’oubli des Occidentaux (One world, one nightmare for China?)

19 mars, 2008
Tibet protestÀ cinq mois des Jeux olympiques de Pékin, [les émeutes de Lhassa et la répression contre les Tibétains] rappellent crûment que la Chine est une puissance totalitaire, protectrice des pires dictatures en Corée du Nord ou en Birmanie, mais aussi des régimes les plus mafieux de la planète comme ceux du Cambodge, du Soudan, du Zimbabwe ou de Cuba. C’est la Chine faisant aujourd’hui tirer sur les Tibétains qui promet demain d’anéantir sous des milliers de missiles cux qu’elles nomment « frères », les habitants de Taiwan, s’il leur venait l’idée de déclarer leur indépendance. François Hauter (le Figaro)

L’année des Jeux sera-t-elle, comme nous l’évoquions il y a quelques mois, l’année de tous les dangers… pour la Chine?

Jeunes étudiants de l’élite tibétaine manifestant à visage découvert dans les grandes villes chinoises …

Manifestations touchant, bien au-delà de la Région autonome officielle et sans parler des réfugiés tibétains de par le monde, l’ensemble du Tibet historique …

Soutien populaire (jusqu’au pillage et lynchage de boutiquiers chinois ou musulmans?) aux moines qui manifestaient pour la première fois depuis 1989 pour l’anniversaire du soulèvement de 1959 …

Discours très incisif du dalaï-lama à l’occasion du 10 mars, où il évoquait la terreur et la « répression inimaginable » …

Voire Taiwan qui reparle d’un éventuel référendum sur son indépendance …

Serions-nous, cinq mois avant les Jeux Olympiques et autant de mois après les émeutes des moines birmans, en train d’assister à un éventuel début de réalisation du cauchemar parfait que pourrait devenir la consécration qu’étaient censés représenter les Jeux 2008 pour les assassins de Tienanmen?

Heureusement pour Beijing, comme le rappelle la spécialiste du Tibet Françoise Robin, les autorités chinoises connaissent (qui parle encore de la Birmanie ?) la capacité d’oubli des Occidentaux et de leurs médias …

« La limite du supportable pour les Tibétains a été atteinte »
Pour Françoise Robin, tibétologue et enseignante à l’INALCO, les manifestations violentes illustrent les frustrations d’un peuple laissé-pour-compte.
Courrier international
18 mars 2008

N’est-ce pas la première fois depuis fort longtemps que les relations entre Tibétains et Chinois s’enveniment au point de se solder par des morts et des blessés ?

Il s’agit d’une rupture, d’un tournant dans l’attitude des Tibétains vis-à-vis des Chinois, même si, dans le passé, pendant la Révolution culturelle en particulier, on a vu des épisodes de révolte violente antichinoise. Mais aujourd’hui, on a le résultat de cinquante ans d’occupation par une dictature coloniale. Ces décennies ont été émaillées d’innombrables protestations menées par des moines, suivies de vagues de répression très dure. Cette fois, comme en 1989, la foule s’est jointe aux moines qui manifestaient, le 10 mars, à l’occasion de l’anniversaire du soulèvement de 1959. Ce n’était pas arrivé depuis 1989. On ignore comment les violences ont commencé, ce qui est marquant, cependant, c’est que la première cible des attaques a été le secteur économique, à savoir les magasins tenus par des Chinois. Leur multiplication rapide a alimenté la rancœur des Tibétains, car elle a accentué leur sentiment d’être les laissés-pour-compte du développement économique, qui exacerbe leur désespoir face à la disparition de la culture et de la langue locales. La Chine pensait avoir anesthésié le sentiment identitaire et donc la revendication d’indépendance grâce à la croissance économique. Cela n’a pas marché dans la mesure où les Tibétains n’en ont pas bénéficié. Les jeunes Tibétains, dans leur grande majorité, n’ont pas accès à l’éducation ni à l’emploi, ils ne se voient pas d’avenir. Le fait que les manifestations des derniers jours aient réuni religieux et laïcs est la marque d’une exaspération qui dépasse tout, et qui fait surmonter la peur, la terreur ressentie quotidiennement par les Tibétains de Lhassa. Le passage à la violence, dont on ignore encore l’origine et l’étendue, est encore plus étonnant.

Comment interpréter les violences compte tenu de la politique de protestation pacifique du dalaï-lama ?

Il n’est pas impossible que le discours très incisif du dalaï-lama à l’occasion du 10 mars, où il évoquait la terreur et la « répression inimaginable », ait joué un rôle. Il est toutefois hautement improbable que le dalaï-lama ait tenu de tels propos avec l’intention de créer des troubles. Il a peut-être saisi l’occasion, en cette année olympique, de se réconcilier avec une jeunesse tibétaine en exil de moins en moins convaincue par le pacifisme et sa politique modérée en faveur de l’autonomie – et non de l’indépendance – tibétaine. Quoi qu’il en soit, que ses propos aient ou non été entendus au Tibet, les Tibétains étaient de toute façon prêts à manifester. La limite du supportable pour les Tibétains a été atteinte, et cela était palpable lors de mon séjour à Lhassa, en janvier. Ce qui est frappant et qui montre qu’une colère immense règne dans la population tibétaine, c’est que même des membres de l’élite tibétaine, des jeunes faisant des études dans les meilleures institutions possibles, à Lanzhou, à Pékin, à Chengdu, ont manifesté à visage découvert. Ils ont pris un grand risque. L’étendue géographique des manifestations est d’ailleurs extrêmement parlante, les manifestations ont touché surtout de nombreuses localités du Tibet historique, bien au-delà du territoire de la Région autonome du Tibet remodelé par les autorités chinoises [voir carte]. Cela montre très concrètement que la revendication territoriale des Tibétains est fondée et que la solidarité et la communauté de destin entre Tibétains, quelle que soit la province chinoise où ils résident, est vivace.

Les images d’émeutes ne risquent-elles pas d’émousser la solidarité internationale avec les Tibétains ?

Les autorités chinoises ont fait circuler des images montrant les Chinois de Lhassa comme des victimes. Cela risque de renforcer le nationalisme, déjà exacerbé, des Chinois et leur méfiance envers les Tibétains. Mais les manifestations de soutien aux Tibétains qui ont déjà eu lieu à travers le monde montrent que la propagande chinoise n’a pas atteint son objectif. Certes, on connaît la capacité d’oubli des médias occidentaux ; on a, par exemple, fort peu entendu parler de la Birmanie depuis la répression de manifestations de moines, en septembre 2007. Dans l’ensemble, au Tibet, seule la répression se profile à moyen terme, avec un Tibet fermé aux touristes étrangers pour les mois à venir. On peut se demander si l’Occident est capable de prendre la mesure de ce qu’un laisser-faire comme celui qui prévaut actuellement représente comme danger pour ses propres valeurs : droits de l’homme, liberté d’expression, justice. Les autorités chinoises connaissent la capacité d’oubli des Occidentaux et comptent dessus pour éviter que la question du Tibet n’envenime durablement leurs relations diplomatiques.
Propos recueillis par Agnès Gaudu

Voir aussi:

TIBET – Dans Lhassa en état de siège

Editorial
The Economist

Courrier international

17 mars 2008

Le correspondant de The Economist est le seul journaliste occidental officiellement présent dans la capitale tibétaine. Il raconte ce qu’il a vu depuis le début des émeutes, vendredi 14 mars.

Dimanche 16 mars, après deux jours d’émeutes, les autorités chinoises ont repris le contrôle du vieux quartier tibétain de Lhassa. Des soldats armés et casqués patrouillent dans les ruelles étroites, tirant quelques coups de feu occasionnels. Effrayés, les habitants restent cloîtrés chez eux, certains n’osant même pas s’aventurer sur les toits de peur d’être pris pour cible.

Jusqu’à présent, les forces de sécurité semblent avoir fait preuve d’une certaine retenue dans ce quartier de la ville. Des rumeurs persistantes mais non confirmées circulent toujours sur le nombre de Tibétains tués par des soldats lors des opérations de répression de vendredi et samedi derniers. Le dalaï-lama, chef spirituel des Tibétains en exil, a avancé le chiffre d’une centaine de morts. Mais nous ne disposons d’aucune information fiable permettant de comparer cette opération au massacre de la place Tian’anmen en 1989 ou à la répression de la dernière révolte antichinoise qui avait éclaté au Tibet au début de la même année. Toutefois, le délai imposé aux dissidents par Pékin pour qu’ils se rendent expirant lundi, certains habitants craignent une vague d’arrestations massive.

Le 14 mars, après des heures de violences, les soldats se sont déployés dans la nuit autour du quartier tibétain. Le lendemain, certains résidents ont continué d’attaquer les derniers commerces chinois restés intacts. J’ai vu un groupe de personnes saccager le rideau de fer d’un magasin, pendant que dans une autre ruelle, des insurgés jetaient dans un grand feu ce qu’ils avaient pillé. Un nuage de fumée s’élevait au-dessus de la principale mosquée de la ville. Dans ce quartier de Lhassa, de nombreux Chinois appartiennent à la communauté Hui, une minorité musulmane qui contrôle l’essentiel du commerce de viande dans la ville.

Les émeutiers ont commencé à se disperser à mesure que les forces de sécurité progressaient dans la ville (la plupart apparemment membres de la police du peuple, une brigade antiémeute). Au début, certains résidents ont jeté des pierres sur ces troupes non armées, avant d’être repoussés par des jets de gaz lacrymogène. Plus tard, dans la journée de samedi, des soldats armés ont pénétré dans le quartier, tirant quelques coups de feu isolés. Certains sont passés par les toits des maisons accolées les unes aux autres. Un soldat est même apparu sur le toit de l’hôtel de votre correspondant, effrayant un Tibétain et deux Occidentaux cachés derrière un balcon.

Pendant la nuit, de nombreux Tibétains sont montés sur les toits, alertés par des rumeurs annonçant des représailles de la communauté Hui en relation avec les incendies du quartier de la mosquée (on ignore encore si le bâtiment lui-même a été endommagé). Certains avaient préparé des stocks de pierres à lancer sur les assaillants. La tension n’est retombée qu’avec l’annonce du bouclage du quartier hui par les forces armées.

Dimanche, les autorités ont semblé avoir repris le contrôle des rues, même si de rares coups de feu (tirés dans un but dissuasif ou punitif) se faisaient encore entendre dans quelques ruelles. De rares habitants osaient encore sortir dans ce quartier habituellement bondé. Preuve de la confiance de Pékin dans l’efficacité de ses mesures de sécurité, deux représentants du bureau des Affaires étrangères de l’administration tibétaine se sont rendus dans l’hôtel où réside votre correspondant et qui se trouvait au centre des combats. Les deux hommes ont proposé d’affréter un vol spécial pour ceux qui le désiraient mais n’ont donné aucune instruction de départ. The Economist reste le seul média étranger dont la présence est officiellement autorisée au Tibet – une autorisation demandée et accordée bien avant que ces troubles n’éclatent.

Pour éviter que les habitants ne meurent de faim ou épuisent leurs réserves de beurre de yak (une denrée de base pour les Tibétains qui s’en servent pour faire du thé), les autorités vont devoir rapidement annoncer qu’ils peuvent circuler en toute sécurité pour acheter des produits de première nécessité. Même dans ce cas, l’armée voudra tout de même maintenir une présence visible, et la tension ne devrait pas retomber avant un certain temps. De nombreuses manifestations hostiles à l’occupation chinoise ont éclaté dans ce que Pékin appelle la région autonome du Tibet, ainsi que dans certaines provinces avoisinantes à forte dominante tibétaine. Les incidents les plus graves se sont produits dans la province du Gansu, à Labrang, où se trouve l’un des plus grands monastères tibétains. Pour de nombreux Tibétains, la tenue des Jeux olympiques à Pékin en août prochain représente une occasion rêvée pour attirer l’attention du monde.

A Lhassa, les autorités craignent que des Tibétains ne viennent troubler une cérémonie prévue en mai pour le passage de la flamme olympique. Il serait fâcheux pour les autorités chinoises de devoir annuler cet événement ou de l’organiser sous contrôle de l’armée. Pékin aura pourtant du mal à se tirer d’embarras et espère surtout que les gouvernements occidentaux ne répondront pas à l’appel au boycott des Jeux lancés par les sympathisants de la cause tibétaine. Mais la Chine n’a guère d’inquiétude sur ce point.


Génocide: Mode d’emploi (Looking back on Turkey’s Wannsee conference)

29 février, 2008
Hitler's Armenian quote (1939)Après tout, qui parle encore aujourd’hui de l’annihilation des Arméniens? Hitler (le 22 août 1939)

« Exciter l’opinion musulmane », « provoquer des massacres organisés comme les Russes », « s’en remettre à la population », « n’utiliser les forces militaires de l’ordre qu’ostensiblement pour arrêter les massacres », « exterminer tous les mâles au-dessous de 50 ans, les prêtres et les maitres d’école », « commencer l’opération partout au même instant afin de ne pas laisser le temps de mesures défensives », « veiller à la nature strictement confidentielle de ces instructions » …

Pour ceux qui douteraient encore du génocide des chrétiens (arméniens mais aussi assyriens et grecs) de 1915 par le gouvernement turc …

Retour sur le mode d’emploi du parfait génocidaire, le brouillon de la main du chef des services secrets du ministère de l’Intérieur d’alors, Ahmed Essad, que ce dernier a tenté de vendre aux Anglais en 1919 et qui est depuis 1949 archivé au Foreign Office.

Document dont l’authenticité est certes contestée mais qui, vrai (ie. écrit au moment même de la prise de décision, à l’hiver 14-15 et en présence du ministre de l’Intérieur Talat, des chefs de l’OS Nazim et Chakir ainsi que le chef de la sécurité Djambolat et du chef des renseignements à l’état-major et proche collaborateur d’Enver le colonel Seyfi, comme le prétend Essad qui y fit fonction de le secrétaire) ou faux (ie. fabriqué après et de mémoire par lui), constitue un excellent résumé (à quelques aménagements locaux et circonstanciels près) du déroulement du génocide et donc la preuve de sa préméditation.

Car, comme le rappelle l’historien britannique Arnold Toynbee (cité par Yves Ternon: « Guerres et génocides au XXe siècle », 2007), c’est exactement ce qui s’est passé dans « au moins cinquante endroits différents ».

Comme d’ailleurs étrangement lors des génocides qui ont suivi… jusqu’à même la présence, auprès des génocidaires, d’armes et conseillers européens (allemands dans le cas précis)!


Les dix commandements du comité Union et Progrès

1°) En s’autorisant des articles 3 et 4 du CUP, interdire toutes les associations arméniennes, arrêter ceux des Arméniens qui ont, a quelque moment que ce soit, travaillé contre le gouvernement, les reléguer dans les provinces, comme Bagdad ou Mossoul, et les éliminer en route ou à destination.

2° Confisquer les armes.

Exciter l’opinion musulmane par des moyens appropriés et adaptés dans des districts comme Van, Erzeroum ou Adana où il est de fait que les Arméniens se sont déjà acquis la haine des musulmans, et provoquer des massacres organisés, comme firent les Russes à Bakou.

4° S’en remettre pour ce faire à la population dans les provinces comme Erzeroum, Van, Mamouret-ul Aziz et Bitlis et n’y utiliser les forces militaires de l’ordre (comme la gendarmerie) qu’ostensiblement pour arrêter les massacres ; faire au contraire intervenir ces mêmes forces pour aider activement les musulmans dans des conscriptions comme Adana, Sivas, Brousse, Ismit et Smyrne.

5° Prendre des mesures pour exterminer tous les mâles au-dessous de 50 ans, les prêtres et les maîtres d’école ; permettre la conversion à l’Islam des jeunes filles et des enfants.

6° Déporter les familles de ceux qui auraient réussi à s’échapper et faire en sorte de les couper de tout lien avec leur pays natal.

7° En alléguant que les fonctionnaires arméniens peuvent être des espions, les révoquer et les exclure absolument de tout poste ou service relevant de l’administration de l’État.

8° Faire exterminer tous les Arméniens qui se trouvent dans l’armée de la façon qui conviendra, ceci devant être confié aux militaires.

9° Démarrer l’opération partout au même instant afin de ne pas laisser le temps de prendre des mesures défensives.

10° Veiller à la nature strictement confidentielle de ces instructions qui ne doivent pas être connues par plus de deux ou trois personnes.


Antichristianisme: Cachez cette religion que je ne saurais voir: les philosophes aussi!

24 janvier, 2008
CommandmentsDeclaration des droits de l'hommeIl n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme; car tous vous êtes un en Jésus-Christ. Paul (Galates 3: 28)
Les hommes sont inégaux par nature: voilà le point d’où il faut partir. Clémence Royer
Les racines de la France sont essentiellement chrétiennes […] Comme Benoît XVI, je considère qu’une nation qui ignore l’héritage éthique, spirituel, religieux de son histoire commet un crime contre sa culture. Nicolas Sarkozy (Rome, le 20 décembre 2007)
Les racines de l’Europe sont autant musulmanes que chrétiennes. Jacques Chirac (octobre 2001)
Quant aux droits de l’homme d’abord proclamés en Europe, ils proviennent de la théorie du droit naturel, elle-même inspirée de l’humanisme de la philosophie antique et notamment de l’universalisme stoïcien, et non du christianisme. Si on veut à tout prix évoquer les racines, il faut les citer toutes, et de façon équitable. Henri Pena-Ruiz

Cachez cette religion que je ne saurais voir!

Après les scientifiques, les philosophes …

Ou étaient nos maitres en bien-pensance en octobre 2001 quand notre Tyrannophilus Rex avait inventé à l’Europe d’imaginaires racines musulmanes prétendument aussi importantes que ses racines chrétiennes ?

Et que dire de l’indignation d’un philosophe spécialiste de la laïcité devant l’évocation par le président Sarkozy des racines « ESSENTIELLEMENT » chrétiennes de l’Europe (ce qui bien sûr n’exclut en rien son évident héritage grec comme juif – et n’exonère pas plus ledit président des âneries qu’il a pu prononcer par ailleurs) alors que lui-même prétend exclure le christianisme des sources des droits de l’homme ?

Et, oubliant commodément au passage toute une tradition rationaliste et athée comme notamment les introducteurs de Darwin en France, attribue au seul christianisme ses dérives antidémocratiques.

Il faut dire que le monsieur n’est pas à un raccourci ou amalgame près.

Comme assimiler la lutte de la compagne de route Simone de Beauvoir face à l’Occident chrétien à celle de la dissidente Taslima Nasreen dont la tête a été littéralement mise à prix par les théocraties islamistes.

Ou qualifier dl’humaniste athée le communiste Guy Môquet qui, au moment de son arrestation, soutenait le défaitisme révolutionnaire de ses chefs totalitaires de Moscou.

Ou faire des dékoulakisateurs Lénine et Staline les torquemadas d’un Jésus marxiste.

Autrement dit les pauvres victimes d’une application un peu trop à la lettre de la « loi de l’histoire » et de la disparition de la paysannerie anglaise du XIXe siècle décrites par le célèbre résident de Soho.

Ce qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler, toutes proportions gardées, la manière dont à la fin du XIXe siècle on avait présenté deux brillants et prometteurs étudiants de la Faculté de Médecine de Paris (Lebiez et Barré) comme de malheureuses victimes de Darwin, qui, aveuglés par leur mauvaise compréhension de sa théorie de la lutte pour la vie, avait sauvagement assassiné une pauvre laitière …

Laicité : les cinq fautes du président Sarkozy
Henri Pena-Ruiz
Le Figaro
Le 3 janvier 2008

Philosophe, professeur, écrivain, ancien membre de la commission Stasi sur l’application du principe de laïcité dans la République. Derniers ouvrages parus : Qu’est-ce que la laïcité? (Gallimard) et Leçons sur le bonheur (Flammarion).

Nicolas Sarkozy a prononcé au Vatican, un discours choquant à plus d’un titre. Soutenir, en somme, que la religion mérite un privilège public car elle seule ouvrirait sur le sens profond de la vie humaine est une profession de foi discriminatoire. Il est regrettable qu’à un tel niveau de responsabilité cinq fautes majeures se conjuguent ainsi.
Une faute morale d’abord. Lisons : «Ceux qui ne croient pas doivent être protégés de toute forme d’intolérance et de prosélytisme. Mais un homme qui croit, c’est un homme qui espère. Et l’intérêt de la République, c’est qu’il y ait beaucoup d’hommes et de femmes qui espèrent.»
Dénier implicitement l’espérance aux humanistes athées est inadmissible. C’est montrer bien peu de respect pour ceux qui fondent leur dévouement pour la solidarité ou la justice sur un humanisme sans référence divine. Ils seront nombreux en France à se sentir blessés par de tels propos. Était-ce bien la peine de rendre hommage au jeune communiste athée Guy Môquet pour ainsi le disqualifier ensuite en lui déniant toute espérance et toute visée du sens ? En fait, monsieur le président, vous réduisez indûment la spiritualité à la religion, et la transcendance à la transcendance religieuse. Un jeune héros de la Résistance transcende la peur de mourir pour défendre la liberté, comme le firent tant d’humanistes athées à côté de croyants résistants.
Une faute politique. Tout se passe comme si M. Sarkozy était incapable de distinguer ses convictions personnelles de ce qui lui est permis de dire publiquement dans l’exercice de ses fonctions, celles d’un président de la République qui se doit de représenter tous les Français à égalité, sans discrimination ni privilège. Si un simple fonctionnaire, un professeur par exemple, commettait une telle confusion dans l’exercice de ses fonctions, il serait à juste titre rappelé au devoir de réserve. Il est regrettable que le chef de l’État ne donne pas l’exemple. Curieux oubli de la déontologie.
Une faute juridique. Dans un État de droit, il n’appartient pas aux tenants du pouvoir politique de hiérarchiser les options spirituelles, et de décerner un privilège à une certaine façon de concevoir la vie spirituelle ou l’accomplissement humain. Kant dénonçait le paternalisme des dirigeants politiques qui infantilisent le peuple en valorisant autoritairement une certaine façon de conduire sa vie et sa spiritualité. Des citoyens respectés sont assez grands pour savoir ce qu’ils ont à faire en la matière, et ils n’ont pas besoin de leçons de spiritualité conforme.
Lisons à nouveau : «Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur.» On est surpris d’une telle hiérarchie éthique entre l’instituteur et le curé. L’école de la République a été inventée pour que les êtres humains puissent se passer de maître. Tel est l’honneur des instituteurs et des professeurs.
Grâce à l’instruction, l’autonomie éthique de chaque personne se fonde sur son autonomie de jugement. Elle n’a donc pas à être jugée moins bonne que la direction de conscience exercée par des tuteurs moraux. Étrange spiritualité que celle qui veut assujettir la conscience à la croyance !
Une faute historique. L’éloge du christianisme comme fondement de civilisation passe sous silence les terribles réalités historiques qui remontent à l’époque où l’Église catholique disposait du pouvoir temporel, puisque le pouvoir politique des princes était alors conçu comme son «bras séculier».
L’Occident chrétien peut-il s’enorgueillir du thème religieux du «peuple déicide» qui déboucha sur un antisémitisme particulièrement virulent là où l’Église était très puissante ? Les hérésies noyées dans le sang, les guerres de religion avec le massacre de la Saint-Barthélemy (3500 morts en un jour : autant que lors des attentats islamistes du 11 Septembre contre les Twin Towers), les croisades et les bûchers de l’Inquisition (Giordano Bruno brûlé vif en 1600 à Rome), l’Index Librorum Prohibitorum, censure de la culture humaine, l’anathématisation des droits de l’homme et de la liberté de conscience (syllabus de 1864) doivent-ils être oubliés ? Les racines de l’Europe ? L’héritage religieux est pour le moins ambigu…
L’approche discriminatoire est évidente dès lors que le christianisme est invoqué sans référence aux atrocités mentionnées, alors que les idéaux des Lumières, de l’émancipation collective, et du communisme sont quant à eux stigmatisés à mots couverts au nom de réalités contestables qu’ils auraient engendrées. Pourquoi dans un cas délier le projet spirituel de l’histoire réelle, et dans l’autre procéder à l’amalgame ? Si Jésus n’est pas responsable de Torquemada, pourquoi Marx le serait-il de Staline ? De grâce, monsieur le président, ne réécrivez pas l’histoire à sens unique !
Comment par ailleurs osez-vous parler de la Loi de séparation de l’État et des Églises de 1905 comme d’une sorte de violence faite à la religion, alors qu’elle ne fit qu’émanciper l’État de l’Église et l’Église de l’État ? Abolir les privilèges publics des religions, c’est tout simplement rappeler que la foi religieuse ne doit engager que les croyants et eux seuls. Si la promotion de l’égalité est une violence, alors le triptyque républicain en est une. Quant aux droits de l’homme d’abord proclamés en Europe, ils proviennent de la théorie du droit naturel, elle-même inspirée de l’humanisme de la philosophie antique et notamment de l’universalisme stoïcien, et non du christianisme. Si on veut à tout prix évoquer les racines, il faut les citer toutes, et de façon équitable.
Une faute culturelle. Toute valorisation unilatérale d’une civilisation implicitement assimilée à une religion dominante risque de déboucher sur une logique de choc des civilisations et de guerre des dieux. Il n’est pas judicieux de revenir ainsi à une conception de la nation ou d’un groupe de nations qui exalterait un particularisme religieux, au lieu de mettre en valeur les conquêtes du droit, souvent à rebours des traditions religieuses. Comment des peuples ayant vécu avec des choix religieux différents peuvent-ils admettre un tel privilège pour ce qui n’est qu’un particularisme, alors que ce qui vaut dans un espace politique de droit c’est justement la portée universelle de conquêtes effectuées souvent dans le sang et les larmes ?
Si l’Europe a une voix audible, ce n’est pas par la valorisation de ses racines religieuses, mais par celle de telles conquêtes. La liberté de conscience, l’égalité des droits, l’égalité des sexes, toujours en marche, signent non la supériorité d’une culture, mais la valeur exemplaire de luttes qui peuvent affranchir les cultures, à commencer par la culture dite occidentale, de leurs préjugés. Simone de Beauvoir rédigeant Le Deuxième Sexe pratiquait cette distanciation salutaire pour l’Occident chrétien. Taslima Nasreen fait de même au Bangladesh pour les théocraties islamistes. La culture, entendue comme émancipation du jugement, délivre ainsi des cultures, entendues comme traditions fermées. Assimiler l’individu à son groupe particulier, c’est lui faire courir le risque d’une soumission peu propice à sa liberté. Clouer les peuples à des identités collectives, religieuses ou autres, c’est les détourner de la recherche des droits universels, vecteurs de fraternité comme d’émancipation. Le danger du communautarisme n’est pas loin.
La laïcité, sans adjectif, ni positive ni négative, ne saurait être défigurée par des propos sans fondements. Elle ne se réduit pas à la liberté de croire ou de ne pas croire accordée avec une certaine condescendance aux «non-croyants». Elle implique la plénitude de l’égalité de traitement, par la République et son président, des athées et des croyants. Cette égalité, à l’évidence, est la condition d’une véritable fraternité, dans la référence au bien commun, qui est de tous. Monsieur le président, le résistant catholique Honoré d’Estienne d’Orves et l’humaniste athée Guy Môquet, celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas, ne méritent-ils pas même considération ?


Exodus: Retour sur les premiers boat people de l’histoire (Looking back on history’s first boat people)

13 décembre, 2007

ExodusAttention: un bateau peut en cacher d’autres !

Après le tristement célèbre « bateau pour l’enfer » de l’été 1939 (le St Louis), dernière chance pour les juifs allemands de quitter l’Allemagne après la Nuit de cristal et qui, rejeté par tout le monde (des Etats-Unis, au Canada et à la totalité des pays d’Amérique latine), se vit obligé, via un certain nombre de pays européens qui consentirent à accepter une partie de ses passagers (environ 200 par la Belgique, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, et la France) de repartir vers l’Allemagne …

Le désastre du Patria de novembre 1940 sur lequel les autorités britanniques de Palestine voulait déporter vers leurs colonies de Maurice ou Trinidad 1800 réfugiés juifs irréguliers et qui fut coulé dans la baie d’Haifa par l’organisation secrète juive Hagana, h élas avant que 267 de ses passagers puissent l’évacuer …

Et la tragédie du Struma de février 1942 qui, tombé en panne sur la Mer noire et devant le refus des Britanniques de le laisser arriver en Palestine, se vit remorqué par les autorités turques à Istanbul puis, après 71 jours, en pleine mer où il fut torpillé par un sous-marin russe chargé de bloquer tout ravitaillement nazi sur des navires neutres, faisant 790 victimes (780 juifs réfugiés roumains et 10 membres d’équipage) et un seul survivant (David Stoliar) …

Retour, 60 ans après et avec le documentaire de France 2 ce soir, sur la fameuse épopée de l’Exodus de l’été 1947, immortalisée en 1958 par le roman de Léon Uris puis deux ans plus tard par le film d’Otto Preminger.

Du nom du fameux bateau de réfugiés des camps nazis (4500) qui, devant l’intransigeance des autorités britanniques de Palestine (émeutes anti-juives comprises en Angleterre même!) se virent eux aussi obligés de retourner (dans d’infâmes bateaux-cages, un peu vite qualifiés, par un documentaire quelque peu douteusement dédié « aux clandestins » (?), de.. « Auschwitz flottants »?) en Allemagne même, dans les camps alors sous contrôle britannique.

Mais qui heureusement contribuera, via les pressions internationales de la presse mas aussi des Etats-Unis, à dessaisir les Britanniques du mandat de Palestine et à convaincre les Nations Unies d’accéder enfin à la multi-millénaire volonté de retour au pays de tout un peuple …

Compte rendu
Les passagers de l' »Exodus-1947″ se souviennent, soixante ans après
Sylvie Kerviel
Le Monde
12.12.07

Ils avaient survécu aux camps de la mort, ils durent encore endurer, la guerre terminée, des traitements inhumains. En juillet 1947, 4 500 réfugiés juifs de différentes nationalités, dont 1 732 femmes et 955 enfants, quittaient le port de Sète (Hérault) sur un bateau de fortune baptisé Exodus-1947 dans l’espoir de gagner la « Terre promise ». Mais le navire fut intercepté par la marine britannique au large de la Palestine. Les passagers, transférés sur trois bateaux-prisons, entassés dans des conditions sanitaires épouvantables, furent ramenés à Port-de-Bouc (Bouches-du-Rhône) dix-huit jours après leur départ.

Un « Auschwitz flottant » titre en « une » le quotidien marseillais Rouge Midi, qui relate, dans son édition du 30 juillet 1947, l’effroyable périple à travers la Méditerranée de ces émigrants que la France avait aidés, mais que les Britanniques, qui gouvernaient alors la Palestine, empêchèrent de rejoindre la « Terre promise ».

Quarante ans après, Jean-Michel Vecchiet revient sur cet épisode tragique de l’après-guerre dans un documentaire bouleversant, Nous étions l’Exodus, diffusé dans la case « Infrarouge » sur France 2. Le journaliste et écrivain Jacques Derogy avait déjà consacré à cette histoire un livre, La Loi du retour (Fayard, 1998), considéré comme un ouvrage de référence et sur lequel s’est appuyé le réalisateur.

PÉRIPLE

A travers les témoignages de passagers, de membres de l’équipage, de personnes ayant participé à cette opération menée par l’organisation sioniste Haganah et d’anciens réseaux de résistants français, Jean-Michel Vecchiet retrace le périple de l’Exodus. Il s’est aussi appuyé sur des archives secrètes auxquelles lui ont donné accès le ministère de la défense israélien et le Palmach (unité d’élite de la future armée israélienne) à Tel-Aviv. Il a également pu consulter la correspondance entre les gouvernements anglais et français pendant ce tumultueux épisode diplomatique et les échanges de courriers entre les organisations juives de l’époque.

Surtout, le réalisateur a bénéficié d’un fonds d’archives photographiques et filmographiques exceptionnel, en partie fourni par les passagers et les membres de l’équipage qui lui ont ouvert leurs albums personnels. Ces illustrations, mises en valeur par une réalisation soignée, permettent au téléspectateur de revivre un épisode méconnu de l’histoire contemporaine qui, à l’époque, avait choqué l’opinion mondiale. Un an plus tard, l’Etat d’Israël était créé et les malheureux passagers de l’Exodus-1947, entre-temps transférés en Allemagne (!), pouvaient enfin voir leurs voeux d’immigration réalisés.
« Nous étions l' »Exodus » », jeudi 13 décembre, à 23 h 05 sur France 2.

Voir aussi la critique de Télérama:

Documentaire de Jean-Michel Vecchiet (France, 2007). 80 mn. Inédit.
11 juillet 1947. A Sète, le President Warfield, vieux navire fatigué, quitte le port. Direction officielle : la Colombie. En réalité, malgré le blocus imposé par la Grande-Bretagne, le bateau se dirige vers la Palestine, avec à son bord quatre mille cinq cents immigrés clandestins juifs, tous rescapés de la Shoah. Me­née par l’organisation sioniste Haganah et d’anciens réseaux de résistants, c’est la plus grande opération d’immigration illégale vers la Terre promise jamais lancée. En route, l’expédition se baptise « Exodus 1947 », en référence à l’exode biblique de Moïse. Le nom est depuis entré dans l’Histoire, tant l’intransigeance des Britanniques (la marine arraisonnera le navire) et le sort des passagers (parqués dans des bateaux-prisons, ils seront maintenus dans le Sud de la France avant d’être renvoyés en Allemagne) ont bouleversé l’opinion mondiale et contribué, un an plus tard, au consensus occidental autour de la création de l’Etat d’Israël.
S’appuyant sur la parole des protagonistes (membres de l’équipage, pas­sagers, soutiens extérieurs…) et sur des archives exceptionnelles (photos, films, correspondances…), le documentaire de Jean-Paul Vecchiet retrace chronolo­giquement l’événement. Malgré une réalisation soignée, la première partie – qui s’intéresse aux préparatifs et au voyage – est plutôt décevante : submergé par la multiplicité des témoignages, le propos flotte et peine à décortiquer précisément le contexte historique et politique. La suite est beaucoup plus réussie : soixante ans après, le terrible stationnement des « expulsés » à Port-de-Bouc, bien rendu et illustré par quelques anecdotes émouvantes, frappe toujours autant les esprits.

Lucas Armati

le 8 décembre 2007