Attentats de Paris: Cachez ce drapeau que je ne saurai voir (With their national flag reduced to fancy dress accessory, far-right symbol or tourist souvenir, French left with nothing but their own resourcefulness and creativity)

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ZwastiskaRepubliquele président du Front national, candidat pour le deuxième tour de l'élection présidentielle, Jean-Marie Le Pen, salue des militants, le 01 mai 2002 place de l'Opéra à Paris, lors de son discours à l'occasion du défilé du FN. AFP PHOTO MAXIMILIEN LAMYSarkohommage-attentats-paris-13-novembre-2015-couleur-drapeau-français-monument-mondeparis-attacksBluewhiterednecessity2necessity3necessity4necessity5necessity6necessity7necessity8
Je vous apporte, Messieurs, une cocarde qui fera le tour du monde et une institution civique et militaire qui doit triompher des vieilles tactiques de l’Europe et qui réduira les gouvernements arbitraires à l’alternative d’être battus s’ils ne l’imitent pas et renversés s’ils osent l’imiter. Lafayette
Le drapeau rouge que vous rapportez n’a jamais fait que le tour du Champs-de-Mars, traîné dans le sang du peuple en 91 et en 93, et le drapeau tricolore a fait le tour du monde, avec le nom, la gloire et la liberté de la patrie. Lamartine (1848)
La Révolution n’a fait que catalyser un tricolore qui était déjà dans l’air du temps, porté depuis plusieurs années par ceux qui se revendiquaient de la révolution américaine. Michel Pastoureau
En fait, la Révolution française n’est qu’un aspect d’une révolution occidentale, ou plus exactement atlantique, qui a commencé dans les colonies anglaises d’Amérique peu après 1763, s’est prolongée par les révolutions de Suisse, des Pays-Bas, d’Irlande avant d’atteindre la France en 1787 et 1789. Jacques Godechot
Si la gauche progressiste a toujours opté pour le drapeau lorsque la patrie était en danger, elle a compris qu’il renvoyait aussi à des réalités d’oppression (…) La gauche, qui s’est largement fabriquée par des engagements intellectuels, se méfie de ces symboles englobants et fortement attachés à l’autorité de l’Etat. La politique des symboles est dangereuse car elle appelle à l’émotion et non à la critique. Le symbole, ça tue l’histoire. (…) La France a travaillé à laïciser l’espace public et politique. Mais avec cette invocation des symboles, on remet du religieux dans la République. C’est dangereux. Vincent Duclert (Ecole des hautes études en sciences sociales)
C’est un moment génial de l’histoire de France. Toute la communauté issue de l’immigration adhère complètement à la position de la France. Tout d’un coup, il y a une espèce de ferment. Profitons de cet espace de francitude nouvelle. Jean-Louis Borloo (avril 2003)
Le problème, c’est qu’il y a un problème de fierté. Aujourd’hui, je peux pas brandir un drapeau bleu blanc rouge, non je peux pas, alors que pour moi, c’est plus facile de lever le drapeau de l’Algérie, alors que je connais pas l’Algérie. (…) j’ai plus de facilité à monter sur scène avec le drapeau algérien – ce que je fais tout le temps – que de brandir un drapeau français, quelque chose que j’ai jamais fait. A part le jour de la Coupe du monde. Amel Bent (2008)
On est en guerre contre ce pays (…) Ce pays, on le quittera quand il nous rendra ce qu’on nous doit. (…) On n’est pas là parce qu’on aime la Tour Eiffel. Tribu Ka
 Il y a trente ans, quand je jouais avec l’équipe de France, la Marseillaise était sifflée sur tous les terrains. Mais à l’époque, les politiques ne s’intéressaient pas au football et ça ne choquait personne. Aujourd’hui, c’est devenu une obligation pour un homme politique, en fonction de son étiquette, de se positionner. Une fois encore, le football est pris en otage par le monde politique car cette histoire de sifflets est devenue une affaire politique qui n’a rien à voir avec le sport. […] Je ne vois pas dans les sifflets qu’on a entendus au Stade de France un manque de respect ou une insulte à la France mais simplement des manifestations contre un adversaire d’un soir, en l’occurrence l’équipe de France, que l’on veut battre.  Michel Platini (Le Monde, 2008)
Tout le monde a en mémoire les sifflets qui ont ponctué le match France-Algérie […] Que pensent-ils de la France ? On a l’impression que l’identité imaginaire est algérienne et que la France c’est au mieux une compagnie d’assurance, au pire un objet d’exécration. Et c’est la raison pour laquelle […] la campagne pour l’identité française a un succès en France. Certains nous disent qu’une telle affirmation identitaire est excluante. Non ! On invite tous les citoyens français à partager cette identité et il y en a un certain nombre qui refusent fermement et agressivement. Alain Finkielkraut
Le football était une composante essentielle de ce qu’un sociologue, Nobert Elias, a appelé le ’’processus de civilisation’’. […] Là, nous le voyons depuis un certain temps, un processus de décivilisation est à l’œuvre, et le football, le sport, est l’un de ses théâtres, comme aussi l’école. Et il y a dans tous ces événements une sorte de grand dévoilement qui se produit. On ne peut plus se mentir : on voit l’esprit de la Cité se laisser dévorer par l’esprit des cités. Alain Finkielkraut
L’appropriation à gauche du drapeau tricolore ou de l’hymne national a toujours fait débat. Cela vient du fait que pour une partie de la gauche française, les emblèmes de la révolution ne sont pas nationaux mais internationaux, il s’agit du drapeau rouge et de l’Internationale. Le rapport à la Nation est une question qui divise la gauche historiquement. On peut rappeler les mots de Lamartine dans son discours du 25 février 1848 à l’Hotel de Ville de Paris lorsqu’il défend le drapeau tricolore comme emblème de la nouvelle République face aux partisans du drapeau rouge (…) Cette division qui parcourt historiquement la gauche vient du fait que pour certains le peuple souverain recoupe le peuple national alors que pour d’autres c’est le peuple social qui est à la fois l’instrument et le but (son émancipation…) de toute action politique. Or ces peuples n’ont ni le même drapeau ni le même hymne. (…) Ce sont les symboles de la Nation, celle qui s’est détachée de son incarnation dans le roi au moment de la Révolution, dès le serment du Jeu de Paume en 1789 puis définitivement en 1792 après Valmy avec la proclamation de la République. Cette Nation est ainsi devenue souveraine et s’est battue les armes à la main pour défendre cette liberté toute nouvelle. C’est donc un héritage commun des Français même si une partie d’entre eux ne l’ont pas immédiatement accepté ou compris, soit parce qu’ils se battaient pour le drapeau blanc, celui de la monarchie, soit parce qu’ils se sont battus pour le drapeau rouge, celui de la révolution sociale. Ce sont ensuite ajoutés à ce moment fondateur des usages nationalistes ou impérialistes du drapeau tricolore, en France, en Europe et dans le monde. Le drapeau tricolore a en effet aussi été celui de l’épopée napoléonienne, celui de la colonisation tout au long du XIXème et du XXème siècles comme il a été celui de l’Etat français à Vichy. Pas seulement celui des soldats de l’An II, des révolutionnaires de 1830 ou de la France Libre. C’est notamment pourquoi, aujourd’hui encore, on trouve des Français qui ont du mal à «pavoiser» ou à reconnaître l’emblème national comme le leur, sans réserve. On peut le comprendre, et il n’y a bien évidemment pas d’obligation à l’amour inconditionnel du drapeau ou au chant à haute voix de la Marseillaise. La fierté nationale peut prendre d’autres formes et ne suppose pas d’abdiquer son esprit critique. Pourtant, dans des circonstances comme celles que traverse le pays aujourd’hui, ce genre de considérations paraissent très secondaires voire futiles. La politique est aussi affaire de priorités, et l’unité nationale face à la menace terroriste supporte mal les ratiocinations et les coquetteries que l’on peut se permettre, à gauche notamment, en temps normal. (…) Sur le fond, on peut considérer que le retour du sentiment national dans les esprits et les coeurs français est une bonne chose pour au moins deux raisons. La première, c’est que face à l’impuissance et même la dislocation de l’Europe, il peut être utile voire nécessaire de retrouver un espace de solidarité, de reconnaissance mutuelle – je n’ose dire d’identité collective – et de délibération qui soit à la fois légitime (car démocratique) et efficace. Tant du point de vue de la sécurité que de celui de la prospérité ou de la mobilité sociale par exemple. La seconde raison pour laquelle une telle réappropriation peut être positive, c’est au regard de la captation voire de la confiscation par le Front national des symboles et emblèmes nationaux. Si bien d’ailleurs que depuis des années, le drapeau voire l’hymne national ont pu passer aux yeux de certains pour des signes de nationalisme et donc de… lepénisme! Il en va de même d’ailleurs pour la laïcité désormais. C’est intéressant, car une telle réappropriation pourrait aider voire contraindre la gauche en particulier à s’interroger sur son rapport à la Nation, celui dont on parlait plus haut. Car c’est en partie en raison de ce débat interne à la gauche, que l’on évoquait, sur le «sens du peuple», que le FN a pu si facilement s’emparer des symboles nationaux pour en revendiquer l’exclusivité. La question des frontières est une question politique essentielle. C’est celle qui lie étroitement identité et souveraineté, qui permet de relier les trois dimensions du peuple au sens moderne, celui qui est acteur de son destin depuis la Révolution française: la démocratie, la nation et le social. Ainsi, seul un peuple libre, indépendant et souverain peut créer les conditions d’une réelle solidarité entre ses membres. C’est un tout indissociable. L’erreur de la construction européenne telle qu’elle s’est déroulée jusqu’à maintenant a été de croire le contraire. Ce tout indissociable n’est possible qu’à l’intérieur d’un espace délimité par des frontières, c’est-à-dire d’un lieu qui marque la différence entre l’extérieur et l’intérieur, en termes de droits, de devoirs, etc. Ce qui fait d’ailleurs qu’une frontière ne peut être ni un mur ni un non-lieu. Une frontière a une épaisseur, une consistance, il s’y passe des choses, on ne doit pas la franchir de manière anodine comme on va au marché par exemple. Mais une frontière doit aussi rester un espace que l’on peut franchir dans un sens comme dans l’autre. C’est une question que non seulement les Français mais encore tous les Européens feraient bien de se poser sérieusement. Pas seulement dans l’urgence face à la crise des migrants mais de manière politique, principielle. Cela nous aiderait sans doute à sortir des errements de ces dernières décennies et à retrouver une «doctrine» en la matière qui fait cruellement défaut aujourd’hui. La frontière considérée à nouveau comme objet politique et non comme simple obstacle économique, comme l’un des lieux de notre «commun», à la fois en termes d’identité, de souveraineté et de solidarité, voilà ce qui pourrait bien être un effet positif inattendu de la crise générale que nous traversons. Laurent Bouvet (Observatoire de la vie politique à la Fondation Jean-Jaurès)
C’est quoi tous ces ­­drapeaux français ? Les morts n’ont d’importance que parce qu’elles se déroulent sur “votre territoire”…? J’ai peur de ces “bleu-blanc-rouge” trop marine à mon goût… Eloïse
Dans l’esprit de beaucoup de gens, le drapeau reste associé à la figure du maréchal Pétain, qui l’a conservé durant cette période trouble, à l’Etat-nation, protégé par une armée puissante, et bien sûr à notre héritage colonial. L’appropriation du bleu, blanc, rouge dès 1972 par le Front national n’a évidemment pas aidé à “oublier”, surtout à gauche.  (…) On avait certes assisté à un frémissement avec la Coupe du monde de football en 1998, mais l’agitation des drapeaux tricolores était jusqu’alors restée cantonnée aux stades. Une fois n’est pas coutume, elle s’affiche sur la Toile. Olivier Dard (La Sorbonne)
Nous connaissons l’ennemi, c’est la haine ; celle qui tue à Bamako, à Tunis, à Palmyre, à Copenhague, à Paris et qui a tué naguère à Londres ou à Madrid. L’ennemi, c’est le fanatisme qui veut soumettre l’homme à un ordre inhumain, c’est l’obscurantisme, c’est-à-dire un islam dévoyé qui renie le message de son livre sacré. François Hollande
Le président (…) est enfin revenu sur la cérémonie de vendredi où seront présents l’ensemble des familles des victimes et a indiqué que chaque Français pourrait participer aussi en ayant la possibilité de pavoiser son lieu d’habitation avec un drapeau bleu-blanc-rouge. Stéphane Le Foll (porte-parole du gouvernement, 25.11.2015)
Non, merci Monsieur le Président, Messieurs les politiciens, mais votre main tendue, votre hommage, nous n’en voulons pas et vous portons comme partie responsable de ce qui nous arrive (…) parce qu’en France, il soit possible d’être en lien avec un réseau terroriste, de voyager en Syrie, et de revenir, librement » avant de déplorer que  « des personnes fichées S circulent librement, empruntent n’importe quel moyen de locomotion ou louent des voitures (…) pour perpétrer les fusillades dans les rues (…) rien n’a été fait (…) et 10 mois plus tard, les mêmes hommes, sont en mesure de recommencer et faire cette fois-ci, 10 fois plus de morts. Emma Prevost (soeur d’une victime du Bataclan)
[L’Idéologie française,de Bernard-Henri Lévy], qui décrivait la France comme un pays fascisant, a forgé les représentations de nombreuses classes intellectuelles françaises de gauche. Celles-ci n’ont dès lors eu de cesse de faire repentance avec ce passé. Nicolas Lebourg (université de Perpignan)
les Français entretiennent un rapport schizophrène avec leur étendard (…) Contrairement aux Anglo-Saxons, totalement décomplexés à l’idée de se draper dans l’Union Jack (on se souvient du succès de la robe de la Spice Girl Geri Halliwell), de porter un pull en laine arborant la bannière étoilée… Et au reste du monde, exhibant fièrement son soutien à la France en illuminant en tricolore l’Opéra de Sydney, le One World Trade Center à New York, le London Bridge, la porte de Brandebourg, à Berlin, ou le Corcovado à Rio de Janeiro. Autant de gestes d’affection qui ont sans doute facilité, ici, l’envie de se réapproprier sans arrière-pensée ces couleurs si populaires ailleurs. Le Monde
Les étudiants ont chanté La Marseillaise avec cœur et entrain. Pas du bout des lèvres comme c’est souvent le cas, notamment après les attentats contre Charlie Hebdo. Sandra Laugier (Paris-I-Panthéon Sorbonne)

Quand poussés par la nécessité, les Français redécouvrent l’invention …

A l’heure où après avoir tant craché sur les couleurs nationales rapportées d’Amérique par Lafayette …

Parce qu’associées aux seuls partis (FN) ou responsables politiques (Sarkozy) qui y étaient restés attachés …

Ou les avoir laissé siffler ou remplacer par les drapeaux rouges de Moscou ou du Maghreb ou par les bannières noires de l’anarchie ou de l’Etat islamique

Nos gouvernants s’avisent soudainement, après le miroir aux alouettes de la France black blanc beur et avec les récents hommages planétaires, à « remettre du religieux dans la République »

Et qu’après dix mois de seules bonnes paroles, un président qui a laissé revenir avec le bilan tragique que l’on sait les tueurs sur les lieux de leur crime …

Fait étrangement l’impasse, dans son appel à la compassion pour les capitales du monde meurtries par le terrorisme …

Sur tant le New York du 11 septembre que le Jérusalem des actuelles attaques au couteau de boucher …

Comment ne pas compatir avec une population contrainte pour retrouver son propre drapeau national …

De courir les farces et attrapes, souvenirs pour touristes ou brocanteurs ….

Quand ce n’est pas, entre lingerie fine, baudruches ou pièces de mobilier, à s’en fabriquer un de bric et de broc ?

Comment le drapeau français a repris des couleurs
Sandra Franrenet

Le Monde

19.11.2015

Apposer un filtre bleu-blanc-rouge à sa photo : l’initiative de Facebook ne fait pas l’unanimité. Notamment parce que les Français entretiennent un rapport schizophrène à leur drapeau.

« C’est quoi tous ces ­­drapeaux français ? Les morts n’ont d’importance que parce qu’elles se déroulent sur “votre territoire”…? J’ai peur de ces “bleu-blanc-rouge” trop marine à mon goût… », poste Eloïse sur le mur de son compte Facebook au lendemain des attentats à Paris et à Saint-Denis. S’ensuit une salve de commentaires outrés. « Désolé, le drapeau français n’appartient pas au FN… et il ne lui appartiendra pas ! », lui rétorque froidement Christophe.

Depuis quelques jours, la communauté sur Facebook s’enflamme autour du filtre tricolore concocté par l’équipe de Mark Zuckerberg. Saluée par les uns, conspuée par les autres, cette initiative censée rendre hommage aux victimes n’a laissé personne indifférent, tant les Français entretiennent un rapport schizophrène avec leur étendard.

Contrairement aux Anglo-Saxons, totalement décomplexés à l’idée de se draper dans l’Union Jack (on se souvient du succès de la robe de la Spice Girl Geri Halliwell), de porter un pull en laine arborant la bannière étoilée… Et au reste du monde, exhibant fièrement son soutien à la France en illuminant en tricolore l’Opéra de Sydney, le One World Trade Center à New York, le London Bridge, la porte de Brandebourg, à Berlin, ou le Corcovado à Rio de Janeiro. Autant de gestes d’affection qui ont sans doute facilité, ici, l’envie de se réapproprier sans arrière-pensée ces couleurs si populaires ailleurs.

Le blason tricolore n’a pourtant pas toujours été un objet de discorde en France. « Né sous la Révolution, il représentait des idéaux de progrès social, de laïcité et de liberté », rappelle Régis Meyran, anthropologue et chercheur associé à l’université de Nice. Une traduction symbolique de la devise « liberté, égalité, fraternité » dont le peuple de France est pourtant si fier.

Une défiance historique
Pour comprendre la défiance des Français à l’égard de leur drapeau, il suffit de plonger dans un passé récent, en particulier Vichy et la fin de la guerre d’Algérie. « Dans l’esprit de beaucoup de gens, le drapeau reste associé à la figure du maréchal Pétain, qui l’a conservé durant cette période trouble, à l’Etat-nation, protégé par une armée puissante, et bien sûr à notre héritage colonial. L’appropriation du bleu, blanc, rouge dès 1972 par le Front national n’a évidemment pas aidé à “oublier”, surtout à gauche », illustre Olivier Dard, professeur d’histoire contemporaine à La Sorbonne.

Nicolas Lebourg, historien-chercheur à l’université de Perpignan, va plus loin et pointe le rôle d’un ouvrage publié en 1981 : L’Idéologie française, de Bernard-Henri Lévy, un pamphlet ambitionnant de dénoncer « le fascisme aux couleurs de la France ». « Ce livre, qui décrivait la France comme un pays fascisant, a forgé les représentations de nombreuses classes intellectuelles françaises de gauche. Celles-ci n’ont dès lors eu de cesse de faire repentance avec ce passé. » Et de bannir dans le même temps leur drapeau.

Depuis, chacun colle sur l’étendard ce qu’il veut ou ce qu’il s’autorise à y mettre. « Un drapeau est un symbole, autrement dit un signifiant au contenu variable dans lequel on projette nos émotions et notre histoire », précise Régis Meyran.

“Cette fois, ils s’en sont pris à notre identité de Français « Black, Blanc, Beur ». Et donc à notre drapeau.” Sandra Laugier, professeur de philosophie
Faut-il voir derrière le déferlement de banderoles tricolores sur Facebook le signe que son contenu est en train de changer ? « Peut-être », répondent en chœur les trois universitaires avant de reconnaître qu’il est prématuré de parler de réconciliation.

Tous s’accordent en revanche à dire que la situation est suffisamment inédite pour être soulignée. « On avait certes assisté à un frémissement avec la Coupe du monde de football en 1998, mais l’agitation des drapeaux tricolores était jusqu’alors restée cantonnée aux stades. Une fois n’est pas coutume, elle s’affiche sur la Toile », constate Olivier Dard.

Professeur de philosophie à Paris-I-Panthéon Sorbonne, Sandra Laugier refuse d’assimiler les filtres tricolores de Facebook à de simples artifices dénués de sens. La jeune femme en veut pour preuve la scène à laquelle elle a assisté, le 16 novembre, lors de la minute de silence en présence de François Hollande. « Les étudiants ont chanté La Marseillaise avec cœur et entrain. Pas du bout des lèvres comme c’est souvent le cas, notamment après les attentats contre Charlie Hebdo », raconte-t-elle.

Loin de s’en étonner, elle explique cette différence de situation par la nature même des actes terroristes. « En janvier, les djihadistes ont attaqué la liberté d’expression. Cette fois, ils s’en sont pris à notre mode de vie, notre culture, autrement dit à notre identité de Français “Black, Blanc, Beur”. Et donc à notre drapeau. »

Voir aussi:

Merci de l’avoir posée
Où acheter un drapeau tricolore ?
Virginie Ballet
Libération
26 novembre 2015

Un drapeau tricolore à Avelin, dans le nord de la France, le 13 novembre. Photo Denis Charlet. AFP
Le gouvernement a invité les Français à pavoiser leur domicile du drapeau français vendredi, à l’occasion de l’hommage national rendu aux Invalides aux 130 victimes des attentats du 13 Novembre.

Où acheter un drapeau tricolore ?
Que chacun puisse participer à sa manière de chez soi : c’est le sens de l’invitation du gouvernement lancée aux Français à faire flotter des drapeaux tricolores à leur domicile vendredi, à l’occasion de l’hommage national rendu aux Invalides aux 130 victimes des attentats du 13 novembre. «Tout le monde ne pourra pas venir aux Invalides», a ainsi observé le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll. Ceux qui ne le peuvent pas mais souhaitent rendre hommage aux victimes peuvent donc faire «pavoiser» des drapeaux chez eux, a-t-il dit. Mais où s’en procurer ? Quelques pistes.

Vous êtes à Paris
Dans la capitale, aucun souci pour dégoter ce symbole de l’unité nationale, officialisé par le marquis de La Fayette en 1789. Première option : les boutiques de souvenirs (1), qui font florès dans les lieux touristiques de Paris (près de Notre-Dame de Paris, du côté de Montmartre, ou aux abords du Louvre). Idem dans les magasins de farces et attrapes (2). Plusieurs de ces boutiques ont néanmoins expliqué à Libération être assaillies de demandes en ce sens et devoir procéder à des réassorts d’urgence. La boutique officielle de la Fédération française de football (3) propose elle aussi des drapeaux. Comptez entre six et douze euros.

Vous êtes ailleurs
Dans les grandes villes ou les secteurs touristiques, tentez votre chance dans les boutiques de souvenirs ou de farces et attrapes. Mais pour gagner du temps, il n’est pas trop tard pour trouver l’objet convoité sur internet : plusieurs annonces proposent des modèles sur le site de vente entre particuliers Leboncoin, dans le Lot, les Hauts-de-Seine, ou encore le Rhône, pour des prix compris entre six euros pour un modèle basique et cent pour un modèle de collection. La Montagne a compilé quelques adresses du côté de Clermont-Ferrand, France 3 a fait de même du côté de Grenoble. Selon le Télégramme, les bretons ont leur chance de trouver des drapeaux dans les boutiques de bateaux, tandis que L’Est Republicain donne quelques pistes aux habitants du Territoire de Belfort, et la Nouvelle République à ceux du secteur de Tours.

Vous êtes bricoleur
Plusieurs tutoriels sont disponibles sur internet pour faire soi-même son drapeau, comme ici, en papier crépon, ou ici, en tissu, ou ci-après, en perles.

Ou, pour les plus méticuleux, en origami :

(1) Par exemple sous les arcades de la rue de Rivoli, face au musée du Louvre

(2) Par exemple au Clown de la République, 11 boulevard Saint-Martin, dans le IIIe arrondissement

(3) 85 rue de Grenelle, dans le XVe arrondissement

Voir aussi:

Les fabricants de drapeaux « débordés » par la demande
Nicole Vulser

Le Monde

26.11.2015

François Hollande, en invitant les Français à pavoiser leur domicile vendredi 27 novembre, lors de l’hommage rendu aux Invalides aux victimes des attentats, a donné un coup de pouce aux fabricants de drapeaux tricolores.

Depuis le 13 novembre, les commandes étaient déjà montées en flèche. La suggestion du président de la République, en marge du conseil des ministres de mercredi, d’arborer des drapeaux bleu-blanc-rouge sur les balcons a fait exploser les ventes. Les sites Maison des drapeaux, Drapeau France ou encore Amazon sont assaillis. Ce dernier prévient qu’il ne pourra pas livrer avant le 30 novembre.

Hormis quelques boutiques de farces et attrapes, ou des brocantes, les magasins qui commercialisent les étendards restent très rares. La quasi-totalité des ventes s’effectue aujourd’hui sur Internet.

Dans l’Hexagone, les fabricants ne sont pas légion non plus. L’usine Faber France, à Wavrin (Nord), arrive à faire face à « une très grosse demande », selon son codirigeant Georges Charlet, qui a repris l’entreprise voici huit mois. « Nous avons vendu des milliers de drapeaux tricolores depuis le 13 novembre », dit-il. « En quinze jours, c’est exceptionnel. La prise de conscience nationale passe, après ces événements, par la volonté d’arborer un drapeau français, ce qui n’avait pas été le cas après les attentats de Charlie Hebdo, où tout le monde avait exhibé “Je suis Charlie” », explique-t-il.

« Toute l’équipe donne un coup de main »

« Nous réalisons directement les drapeaux ici, à Wavrin, en cousant des bandes de couleur. On en fabrique en permanence pour faire face à la demande et, aujourd’hui, toute l’équipe donne un coup de main à la confection et au service des expéditions, les plus débordés », ajoute M. Charlet. Depuis jeudi matin, une petite boutique éphémère a également été ouverte dans l’usine pour permettre au public de venir directement s’approvisionner. Plusieurs centaines de drapeaux ont déjà trouvé preneurs.

Même fébrilité au sein de l’entreprise Doublet, installée à Avelin, près de Lille. Là aussi, une petite boutique a été inaugurée jeudi matin pour faire face à la demande. « Nous ne sommes pas en rupture de stock, mais tous les modèles ne sont plus disponibles, explique Agathe Doublet, chargée du développement international. Nous avons pris les commandes jusqu’à jeudi 15 heures pour les acheminer les drapeaux avant vendredi matin dans l’Hexagone », dit-elle.

Comme chez Faber France, le site d’Avelin fabrique les drapeaux assemblés par bandes. L’usine allemande de Doublet, elle, met les bouchées doubles pour les drapeaux réalisés par impression. La PME familiale a rarement vu une telle demande. « Il faut remonter aux très grands matchs de l’équipe de France de football, se souvient Agathe Doublet. Au cours d’un mois de novembre classique, on vend environ 5 000 drapeaux. Cette année, on devrait atteindre 10 000 à la fin du mois », explique-t-elle.

Selon son père, Luc Doublet, président du conseil de surveillance, « la sociologie des clients a changé : au début de la semaine, les commandes venaient de particuliers mais, depuis peu, ce sont des collèges et des institutions qui achètent ces drapeaux français ». Le patron de cette PME familiale, qui réalise la moitié de son chiffre d’affaires à l’international, ne peut s’empêcher de soupirer : « J’aurais vraiment préféré ne pas en vendre autant. »

Voir encore:

Laurent Bouvet : petite histoire du drapeau français

Alexandre Devecchio
Le Figaro
27/11/2015

FIGAROVOX/ENTRETIEN – François Hollande a invité les Français à pavoiser en hommage aux victimes du vendredi 13 novembre. Laurent Bouvet retrace l’histoire du drapeau tricolore de Valmy à aujourd’hui.

Laurent Bouvet est directeur de l’Observatoire de la vie politique (Ovipol) à la Fondation Jean-Jaurès. Son dernier ouvrage, L’insécurité culturelle, est paru chez Fayard.

Vendredi, en hommage aux victimes, Hollande invite les Français à «pavoiser» leur domicile. Que cela vous inspire-t-il?

C’est une initiative du président de la République qui s’inscrit pleinement dans le sens de la réaction de l’ensemble du pays – et du chef de l’Etat lui-même – depuis le 13 novembre. Le choc a été tel qu’une telle demande ne paraît pas incongrue alors que le lien habituel des Français à l’affichage des symboles nationaux a toujours été plus problématique qu’il ne l’est dans d’autres pays, comme les Etats-Unis ou le Royaume-Uni par exemple.

Cela fait suite aux trois jours de deuil national et va dans le sens d’un hommage national aux victimes mais aussi dans celui de cet immense élan de solidarité avec la France qu’on a pu voir s’afficher partout dans le monde à travers les trois couleurs nationales projetées sur de multiples bâtiments: de l’Opéra de Sidney à la Tour One du World Trade Center de New York entre mille autres.

Ségolène Royal en 2007 et Chevènement avant avaient été critiqués par la majorité de la gauche pour avoir tenté de se réapproprier ce symbole ainsi que celui de la Marseillaise …

Oui, l’appropriation à gauche du drapeau tricolore ou de l’hymne national a toujours fait débat. Cela vient du fait que pour une partie de la gauche française, les emblèmes de la révolution ne sont pas nationaux mais internationaux, il s’agit du drapeau rouge et de l’Internationale. Le rapport à la Nation est une question qui divise la gauche historiquement.

Ce sont ensuite ajoutés à ce moment fondateur des usages nationalistes ou impérialistes du drapeau tricolore, en France, en Europe et dans le monde. Le drapeau tricolore a en effet aussi été celui de l’épopée napoléonienne, celui de la colonisation tout au long du XIXème et du XXème siècles comme il a été celui de l’Etat français à Vichy. Pas seulement celui des soldats de l’An II, des révolutionnaires de 1830 ou de la France Libre. C’est notamment pourquoi, aujourd’hui encore, on trouve des Français qui ont du mal à «pavoiser» ou à reconnaître l’emblème national comme le leur, sans réserve.

On peut le comprendre, et il n’y a bien évidemment pas d’obligation à l’amour inconditionnel du drapeau ou au chant à haute voix de la Marseillaise. La fierté nationale peut prendre d’autres formes et ne suppose pas d’abdiquer son esprit critique. Pourtant, dans des circonstances comme celles que traverse le pays aujourd’hui, ce genre de considérations paraissent très secondaires voire futiles. La politique est aussi affaire de priorités, et l’unité nationale face à la menace terroriste supporte mal les ratiocinations et les coquetteries que l’on peut se permettre, à gauche notamment, en temps normal.

Les Français ont montré ces derniers jours leur attachement à différents symboles. Peut-on y voir un retour du sentiment national? Cela est-il rassurant ou inquiétant?

Avant même de savoir si c’est rassurant ou inquiétant, il faudra voir si cet attachement est… durable. Le choc est tel que les comportements peuvent être aussi exceptionnels que les circonstances. Nul ne peut aujourd’hui le dire.

Sur le fond, on peut considérer que le retour du sentiment national dans les esprits et les coeurs français est une bonne chose pour au moins deux raisons.

La question des frontières est une question politique essentielle. C’est celle qui lie étroitement identité et souveraineté, qui permet de relier les trois dimensions du peuple au sens moderne, celui qui est acteur de son destin depuis la Révolution française : la démocratie, la nation et le social.

La première, c’est que face à l’impuissance et même la dislocation de l’Europe, il peut être utile voire nécessaire de retrouver un espace de solidarité, de reconnaissance mutuelle – je n’ose dire d’identité collective – et de délibération qui soit à la fois légitime (car démocratique) et efficace. Tant du point de vue de la sécurité que de celui de la prospérité ou de la mobilité sociale par exemple.

La seconde raison pour laquelle une telle réappropriation peut être positive, c’est au regard de la captation voire de la confiscation par le Front national des symboles et emblèmes nationaux. Si bien d’ailleurs que depuis des années, le drapeau voire l’hymne national ont pu passer aux yeux de certains pour des signes de nationalisme et donc de… lepénisme! Il en va de même d’ailleurs pour la laïcité désormais. C’est intéressant, car une telle réappropriation pourrait aider voire contraindre la gauche en particulier à s’interroger sur son rapport à la Nation, celui dont on parlait plus haut. Car c’est en partie en raison de ce débat interne à la gauche, que l’on évoquait, sur le «sens du peuple», que le FN a pu si facilement s’emparer des symboles nationaux pour en revendiquer l’exclusivité.

ga première décision de François Hollande au soir des attentats a été de rétablir les frontières. Est-ce également le retour de l’État-nation et de son corolaire la souveraineté populaire?

La question des frontières est une question politique essentielle. C’est celle qui lie étroitement identité et souveraineté, qui permet de relier les trois dimensions du peuple au sens moderne, celui qui est acteur de son destin depuis la Révolution française: la démocratie, la nation et le social. Ainsi, seul un peuple libre, indépendant et souverain peut créer les conditions d’une réelle solidarité entre ses membres. C’est un tout indissociable. L’erreur de la construction européenne telle qu’elle s’est déroulée jusqu’à maintenant a été de croire le contraire.

Ce tout indissociable n’est possible qu’à l’intérieur d’un espace délimité par des frontières, c’est-à-dire d’un lieu qui marque la différence entre l’extérieur et l’intérieur, en termes de droits, de devoirs, etc. Ce qui fait d’ailleurs qu’une frontière ne peut être ni un mur ni un non-lieu. Une frontière a une épaisseur, une consistance, il s’y passe des choses, on ne doit pas la franchir de manière anodine comme on va au marché par exemple. Mais une frontière doit aussi rester un espace que l’on peut franchir dans un sens comme dans l’autre.

C’est une question que non seulement les Français mais encore tous les Européens feraient bien de se poser sérieusement. Pas seulement dans l’urgence face à la crise des migrants mais de manière politique, principielle. Cela nous aiderait sans doute à sortir des errements de ces dernières décennies et à retrouver une «doctrine» en la matière qui fait cruellement défaut aujourd’hui.

La frontière considérée à nouveau comme objet politique et non comme simple obstacle économique, comme l’un des lieux de notre «commun», à la fois en termes d’identité, de souveraineté et de solidarité, voilà ce qui pourrait bien être un effet positif inattendu de la crise générale que nous traversons.

Voir enfin:

Attentats de Paris : la famille d’une victime appelle au boycott de l’hommage national

Valeurs actuellles
25 Novembre 2015

Attentats. La sœur d’un jeune homme ayant trouvé la mort au Bataclan appelle, sur les réseaux sociaux, au boycott de l’hommage national.

« Non, merci Monsieur le Président, Messieurs les politiciens, mais votre main tendue, votre hommage, nous n’en voulons pas et vous portons comme partie responsable de ce qui nous arrive ». Dans un message posté sur Facebook, Emma Prevost, dont le frère François Xavier est tombé sous les balles des terroristes du bataclan, explique pourquoi elle et sa famille rejettent en bloc l’hommage national aux victimes des attentats, prévu vendredi prochain par l’Elysée.

« Rien n’a été fait »

Les pouvoir publics sont explicitement dénoncés comme les responsables des attentats notamment en raison notamment du manque de suivi des djihadistes. La jeune femme s’indigne « qu’en France, il soit possible d’être en lien avec un réseau terroriste, de voyager en Syrie, et de revenir, librement » avant de déplorer que  « des personnes fichées S circulent librement, empruntent n’importe quel moyen de locomotion ou louent des voitures (…) pour perpétrer les fusillades dans les rues »,

Selon elle, le manque de réactivité du gouvernement après les attentats de Charlie Hebdo est manifeste car « rien n’a été fait (…) et 10 mois plus tard, les mêmes hommes, sont en mesure de recommencer et faire cette fois-ci, 10 fois plus de morts ».

Soutenue par son député 

« J’appelle au boycott de l’hommage national rendu aux victimes » conclue la jeune femme qui a notamment reçu le soutien du député-maire de Lambersart, commune d’origine de la famille. « On ne peut s’empêcher de se demander combien de vies auraient pu être sauvées si les pouvoirs publics avaient agi plus tôt » a commenté Marc-Philippe Daubresse (LR).

Posté lundi, le message avait déjà été partagé près de 3 500 fois mardi matin.

Voir par ailleurs:

Contre-enquête sur un fiasco

Jérôme Dupuis, Eric Mandonnet, Sébastien Dekeirel

 

Le score du match est passé aux oubliettes. Mais La Marseillaise sifflée, le terrain envahi et les ministres malmenés sont restés dans les mémoires. Le 6 octobre 2001, la rencontre France-Algérie dérapait. Quatre mois plus tard, le débat reste vif. Le 5 février encore, lors de la première convention thématique de l’Union en mouvement (le nouveau mouvement des chiraquiens) consacrée à l’intégration, Alain Juppé affirmait: «On ne peut pas reprocher à des jeunes Français de siffler La Marseillaise au Stade de France et en même temps ne pas lutter contre les discriminations.» Le lendemain, le ministre de l’Education nationale, Jack Lang, distribuait un CD sur l’hymne national dans les écoles, les collèges et les lycées. Et dans son livre-programme (Le Courage de décider, Robert Laffont), le candidat Jean-Pierre Chevènement s’interroge sur la manière de «surmonter le moment de doute qui a saisi beaucoup de nos compatriotes, un soir d’automne, au Stade de France».

Vu par la ministre des SportsA la veille d’une série de rencontres, au Stade de France, la ministre de la Jeunesse et des Sports, Marie-George Buffet, ne dissimulait pas ses inquiétudes à L’Express: «Maintenant, il y a eu un précédent avec France-Algérie. On a vu que c’était facile et possible d’envahir la pelouse. Certains peuvent être tentés de recommencer.» Le souvenir du 6 octobre reste très présent à sa mémoire: «Les sifflets pendant La Marseillaise étaient tout de même assez massifs. J’ai senti une très forte tension chez les ministres. J’espérais que le foot reprendrait ses droits. Mais dès que j’ai vu les trois ou quatre premiers jeunes sur le terrain, je me suis dit que c’était fini. Je n’ai jamais reparlé de cette soirée avec Lionel Jospin. J’assume ma part de responsabilité, je ne regrette pas que cette « épreuve » se soit tenue. A nous tous maintenant d’aller débattre avec les jeunes.»

Sur le plan judiciaire et sportif, l’événement n’est pas clos non plus. Le lundi 11 février, trois jeunes, interpellés ce soir-là au Stade de France, ont été condamnés par le tribunal correctionnel de Bobigny (Seine-Saint-Denis) à trois mois de prison avec sursis. Le 13, à l’occasion des retrouvailles des Bleus avec leur pelouse fétiche de Saint-Denis, pour une rencontre amicale contre la Roumanie, ont été appliquées, pour la première fois, des mesures de sécurité plus strictes.

Pourtant, les véritables questions posées par ce match ne trouveront de réponse ni dans un prétoire ni dans un stade. Dès le lendemain de la rencontre, elles avaient été balayées par l’actualité internationale: le 7 octobre, les Américains entamaient les bombardements sur l’Afghanistan. Les Français, eux, n’oubliaient pas pour autant les débordements de France-Algérie. Une semaine après les faits, 56% d’entre eux, selon un sondage Ipsos, jugeaient les incidents «graves, car ils témoignent des difficultés d’intégration d’une partie de la population française d’origine musulmane». Ce soir-là, quelque 10,5 millions de téléspectateurs assistaient en direct à la fête gâchée. Le match avait été précédé d’un déchaînement médiatique rare: il serait plus qu’une rencontre sportive, une démonstration emblématique des retrouvailles entre deux peuples. Certains étaient néanmoins restés vigilants. Le directeur de l’antenne de TF 1, Etienne Mougeotte, avait personnellement demandé à Thierry Roland et Jean-Michel Larqué d’observer une neutralité absolue pendant toute la retransmission. Une consigne suivie à la lettre par le célèbre duo, qui réussit à ne pas mentionner une seule fois les sifflets assourdissants, lors de La Marseillaise, et chaque fois qu’un joueur français touchait le ballon.

Le Stade de France en chiffresDepuis son inauguration, en 1998, le stade de Saint-Denis a accueilli plus de 5 millions de spectateurs au cours de 76 événements (matchs, concerts de Johnny Hallyday, opéra Aïda…). D’une capacité de 80 000 places, d’une superficie de 17 hectares, il est recouvert d’une toiture de la surface de la place de la Concorde. Réalisant un chiffre d’affaires de 65 millions d’euros, le SDF accueille de nombreux congrès et séminaires tout au long de l’année (avec parfois à la clef séances de penaltys dans les buts où Zidane a marqué ses deux buts en finale de la Coupe du monde…). Le stade organise également des visites guidées pour le grand public. Le programme des six prochains mois est chargé: trois matchs de l’équipe de France de football (Ecosse, Russie, Belgique), trois rencontres du tournoi des Six-Nations, le Requiem de Verdi et une Nuit celtique.

Malgré cela, la soirée du 6 octobre a peut-être laissé une trace durable dans les esprits, comme l’a observé le directeur du Centre d’études de la vie politique française (Cevipof), Pascal Perrineau, qui assiste à de multiples séances avec des citoyens interrogés par les sondeurs: «Cet épisode a cristallisé un certain nombre de sentiments diffus autour des problèmes des banlieues, de la sécurité et de l’intégration, y compris chez des gens qui ne formulaient pas clairement leurs doutes.» Ainsi, en voyant que même une rencontre internationale pouvait dégénérer, des joueurs du dimanche y ont vu la confirmation de leur propre expérience des terrains. «Depuis plusieurs années, il devient par exemple très difficile de jouer contre certaines équipes où les jeunes des banlieues sont en majorité, s’inquiète Suzy Dandre, présidente de l’AS Attiches, un petit club du Nord. D’ailleurs, les arbitres n’osent même plus se déplacer. Il existe un effet de groupe et de provocation, exactement comme au Stade de France.»

«France-Algérie est devenu la référence automatique, déplore le président de SOS-Racisme, Malek Boutih. Le moindre faux pas coûte beaucoup plus cher que tous les bons pas que l’on peut faire.» Du côté de la communauté algérienne, le choc est rude. «Ces sifflets ont montré aux Français, toutes origines confondues, qu’il y a un échec de l’intégration, estime Hakim Denfer, 33 ans, président de la Maison des Algériens de France, association culturelle lilloise. De ces jeunes on a fait des zombies. Ils n’ont plus aucune culture.»

«L’Etat bafoué»Silencieux dans les jours qui suivirent le match, les dirigeants de droite n’hésitent plus aujourd’hui à évoquer régulièrement, pendant leurs réunions publiques, les incidents de France-Algérie.

«L’Etat est bafoué quand de jeunes Français sifflent La Marseillaise sans même se rendre compte de ce qu’ils font!» Alain Juppé (RPR), 25e anniversaire du RPR, 16 décembre 2001.

«L’hymne national ne sera plus jamais sifflé si on sait transmettre l’amour de la France à nos enfants.» Philippe Douste-Blazy (UDF), meeting de l’UEM à Lambersart, 18 décembre 2001.

«Y a-t-il encore un Etat quand, dans le Stade de France, l’hymne national est sifflé sans que le Premier ministre entende ni l’hymne ni les sifflets?» Bernard Pons (RPR), meeting de l’UEM à Lambersart, 18 décembre 2001.

Interrogées par Le Journal du dimanche pour sa rétrospective de 2001, des personnalités aussi diverses que Guy Roux, Arno Klarsfeld ou Olivier de Kersauson qualifiaient le match de «bide sportif» de l’année. Même le philosophe André Glucksmann fait part de sa préoccupation dans son dernier livre, Dostoïevski à Manhattan (Robert Laffont). «L’opinion publique a été fortement marquée par La Marseillaise sifflée au Stade de France, relevait le politologue Jérôme Jaffré dans Le Monde du 20 décembre. L’absence de réactions nettes des plus hautes autorités de l’Etat a accru le sentiment de perte des repères collectifs.»

Si la gêne a été patente au sein de l’exécutif, la droite a fini par percevoir l’attente de son électorat autour de cet événement. Sur les estrades, le match est devenu un passage obligé. Et un succès de salle garanti. Pas un meeting de l’opposition qui ne s’achève, comme le 22 janvier à Maisons-Alfort (Val-de-Marne), par un clin d’?il, au moment d’entonner La Marseillaise: «Ici, on ne la siffle pas, on la chante!» Jacques Chirac, lui, n’y a fait qu’une brève allusion devant l’Association des maires de France, le 21 novembre 2001. L’Elysée s’est interrogé sur l’opportunité de s’exprimer sur le sujet, par exemple au détour d’une intervention télévisée. Mais cela ne revenait-il pas à dénoncer implicitement l’échec collectif de l’intégration à la française? Risqué. Trois jours après le match, le président reçoit des dirigeants du RPR, qui suggèrent d’interpeller le gouvernement à l’Assemblée. «Ne bougez pas!» indique le chef de l’Etat. La classe politique, silencieuse sur le moment, est désormais plus loquace. «Cette rencontre, c’était une mauvaise idée, tranche le patron du PS, François Hollande. En vérité, le mécanisme d’intégration marche mal.» La ministre communiste des Sports, Marie-George Buffet, ne dit pas autre chose: «J’ai rencontré des mères de ces jeunes qui avaient envahi le terrain. Elles m’ont dit que leur génération n’aurait jamais fait une chose pareille, mais que nous avions rejeté leurs enfants.»

Nouvelles mesures de sécuritéLe 14 décembre, le Comité des utilisateurs du Stade de France s’est réuni pour prendre des mesures de sécurité, qui ont été appliquées dès le France-Roumanie du 13 février. Ainsi, les buvettes ne vendront plus de bouteilles en plastique mais des gobelets; un nouveau responsable sécurité devait être embauché; plus anecdotique, un hublot sonore permettra au PC sécurité de mieux «sentir» l’ambiance du stade. L’inextricable problème des recharges de portable, utilisées comme projectiles, n’a, en revanche, pas trouvé de réponse. Le point faible du dispositif a été revu: un système de barrières amovibles empêchera l’accès sauvage aux tribunes basses depuis les coursives intérieures du stade. L’installation des fameuses grilles de séparation entre les gradins et la pelouse demeure, en revanche, un sujet tabou, même si le préfet a demandé à les voir quelques jours après France-Algérie. Reste la question des stadiers. Sans véritable statut, payés 208 francs pour un match comme France-Algérie, ils vont voir leur recrutement affiné. «Nous allons mettre en place un agrément officiel, confirme Pascal Simonin. Le projet d’une école de stadiers est également à l’étude.»

Dans un registre plus démagogique, Bruno Mégret s’est déclaré candidat à la présidentielle devant le Stade de France. En privé, Jean-Marie Le Pen trouve logique que ces jeunes, «qui ont la double nationalité», aient «une attitude schizophrène». CQFD, selon le président du FN, qui ajoute: «Ce qui m’attriste, c’est qu’il n’y ait pas eu de jeunes pour applaudir La Marseillaise, voire se battre contre ceux qui l’ont sifflée.» Conçue comme un symbole, celui de l’amitié entre les peuples français et algérien, la rencontre du 6 octobre a ainsi tourné au fiasco politico-sportif. Cinq épisodes – souvent passés inaperçus – permettent d’expliquer ce dérapage.

Les avertissements des Renseignements généraux.

La date de la rencontre, celle du 6 octobre 2001, avait été fixée plusieurs mois à l’avance. Surgissent les attentats du 11 septembre. Très vite, la ministre des Sports fait savoir qu’il n’est pas question de reporter le match. Dès le 12, pourtant, une note des Renseignements généraux de Seine-Saint-Denis tire la sonnette d’alarme, en des termes souvent prémonitoires. Elle annonce que La Marseillaise pourrait être conspuée et s’interroge sur la «fiabilité» des stadiers chargés de la sécurité à l’intérieur du Stade de France. Pour contrôler la foule, les organisateurs ont fait appel à une société de sécurité domiciliée au Stade de France, la S 3 G, secondée, pour l’occasion, par leurs collègues des Grooms de Paris. Aux 800 stadiers habituels mobilisés pour les matchs internationaux, la S 3 G ajoute 400 hommes supplémentaires, recrutés essentiellement dans les cités de Seine-Saint-Denis. Ces stadiers ont-ils laissé pénétrer leurs «petits frères» des cités sur la pelouse sans opposer de résistance, comme l’ont prétendu certains? «Le Stade de France vit intégré dans son environnement, s’insurge son président, Pascal Simonin. Je crains qu’avec un service d’ordre composé de policiers ou de grands blonds aux yeux bleus les choses auraient été bien plus graves.»

Une deuxième note des RG, datée du 5 octobre, veille du match, précise que le terrain pourrait être envahi par des supporters de l’équipe algérienne, à la fin de la rencontre, en cas d’ «affront» au tableau d’affichage…

Le coup politique du gouvernement.

Le jeudi 4 octobre, à deux jours du match, le gouvernement tient l’une de ses réunions bimensuelles à Matignon. A la fin du déjeuner, Lionel Jospin, le premier, aborde le sujet. «Qui va au match?» demande le Premier ministre au moment du dessert. Marie-George Buffet ira, ainsi que Claude Bartolone, Pierre Moscovici et Daniel Vaillant, les ministres «footeux» de l’équipe. Mais le chef du gouvernement est tracassé: «On me dit que le match amical US Créteil-Algérie s’est mal passé, mardi soir?» Buffet répond par la négative. Jospin veut en avoir le c?ur net: il convoque son conseiller pour la sécurité, Alain Christnacht, dans la salle à manger, et lui demande de vérifier auprès du préfet du Val-de-Marne. En réalité, le terrain de Créteil a bien été envahi, mais après le coup de sifflet final… Le Premier ministre ira donc au match.

Samedi 6. Jour J. L’ambiance monte… au Palais-Bourbon, où le PS tient un conseil national. Dans les couloirs, Yves Colmou, conseiller en communication du Premier ministre, jubile: Chirac n’assistera pas à la rencontre ce soir, le gouvernement pourra tirer profit de la situation. Le chef de l’Etat, qui a été sollicité, comme pour chaque match, par la Fédération, a en effet décliné l’invitation. «De toute manière, il avait un autre engagement», indique l’Elysée. Après coup, le président expliquera à ses visiteurs qu’il avait pressenti une opération politique. Les ministres, eux, seront là en masse, même ceux que l’on a peu l’habitude de voir dans les stades de foot, comme Elisabeth Guigou, Ségolène Royal ou Jack Lang. Certains, à droite, laisseront entendre que le préfet de Seine-Saint-Denis a «sauté» à la suite du match. En réalité, selon le gouvernement, sa promotion à la préfecture de région Bourgogne était prévue de longue date.

La faille technique.

Dans la nuit qui a précédé le match, à 3 heures du matin, plusieurs individus ont tenté de pénétrer dans le stade. Arrêtés, ils ont expliqué qu’ils cherchaient un abri. A une heure du coup d’envoi, alors que les tribunes se remplissent, nouvel incident: un coup de fil annonce qu’une bombe va exploser pendant le match. Les ultimes vérifications des services du déminage ne donnent rien. A 20 h 40, la fanfare entame La Marseillaise. Bronca, huées, cris la couvrent instantanément. L’ampleur des sifflets est telle que la tribune présidentielle est sous le choc. «Les ministres avaient tous le masque», se souvient un témoin. «J’ai regardé Jospin et je me suis dit: pourvu qu’il ne quitte pas la tribune, on passerait de l’incident à la catastrophe», raconte un ministre. Jean-Pierre Chevènement et l’avocat «footeux», André Soulier, chantent à tue-tête pour essayer de couvrir le bruit…

A peine le coup d’envoi donné, un mouvement de foule se dessine dans la tribune sud. En raison des fouilles à l’entrée, qui ont duré plus longtemps que d’habitude par crainte d’un attentat, de nombreux spectateurs ne parviennent dans les gradins qu’à quelques minutes du coup d’envoi. Profitant de cette agitation, des supporters du Onze algérien s’introduisent – en force, ou grâce à la passivité des stadiers – dans la tribune basse qui jouxte la pelouse. «C’est là que s’est située la faille du dispositif», assure un policier. Conformément à la tradition au Stade de France, aucune grille ne sépare désormais ces supporters du terrain.

Le profil des «envahisseurs».

Première à fouler la pelouse, Sofia Benlemmane, une Franco-Algérienne de 31 ans, traverse tout le terrain entourée d’un drapeau algérien, sous les yeux des joueurs médusés, alors que la France mène 4 à 1. Interrogée par L’Express, cette footballeuse lyonnaise se refuse à tout commentaire, sinon pour confirmer qu’elle est une proche du président Bouteflika – elle avait même introduit une banderole, à la gloire du chef de l’Etat algérien, cachée sous ses vêtements ce soir-là. Elle n’est venue vivre en Europe qu’à l’âge de 20 ans, et refuse fermement d’être assimilée à «une beurette des banlieues». Elle a été condamnée à sept mois de prison avec sursis. La grande majorité des 16 autres spectateurs arrêtés est âgée de 16 à 25 ans (dont cinq mineurs) et d’origine algérienne. Lycéen, agent de piste à Roissy ou employé d’une boîte de nuit, ils viennent, pour la plupart, de Lyon et de la banlieue parisienne. Ils justifient leur geste par l’envie de «toucher Zidane» – qui avait pourtant été remplacé vingt minutes plus tôt – ou de fouler la pelouse mythique. Ils ont été condamnés à des peines de prison avec sursis (jusqu’à sept mois) et à des interdictions de stade.

Les ratés de la sécurité.

lors que les caméras restaient braquées sur le terrain, la tribune présidentielle est sous le feu des projectiles. Marie-George Buffet reçoit une petite bouteille d’eau pleine sur le visage. Touchée elle aussi, sa collègue Elisabeth Guigou a moins de chance: son cuir chevelu est entaillé. Choquée, elle est conduite à l’abri par la ministre des Sports. Les deux femmes s’enferment aux lavabos. Un officier supérieur de la gendarmerie nationale, venu en invité, sera, lui, plus grièvement atteint et portera plainte. Toutes les personnalités présentes se replient. Dans le salon Elyseum, l’atmosphère est lourde. Jospin, visiblement marqué, attend d’avoir des nouvelles de sa ministre pour quitter le stade.

Sur la pelouse, on récupérera de nombreux projectiles: mâts de drapeaux, bouteilles, batteries de portable, etc. L’évacuation du stade se passera bien, à l’exception d’un incident qui ne sera pas rendu public: une rame de RER est partiellement saccagée, quelques passagers pris à partie. Pour autant, la soirée n’a pas dégénéré. Si la violence physique a été pour une bonne part évitée, l’événement a choqué les esprits: des réminiscences de ce France-Algérie risquent de s’inviter dans la campagne électorale.

6 Responses to Attentats de Paris: Cachez ce drapeau que je ne saurai voir (With their national flag reduced to fancy dress accessory, far-right symbol or tourist souvenir, French left with nothing but their own resourcefulness and creativity)

  1. jcdurbant dit :

    Ce qui est quand même une entreprise sans précédent d’ingénierie sociale et identitaire visant à modifier en profondeur l’identité du peuple français et de la civilisation européenne …

    Depuis une quinzaine d’années, on le sait, on a assisté à la multiplication des phobies. Elles contribuent à la psychiatrisation de la vie politique. La dissidence est associée à une forme de dérèglement psychique, et on assistera à la multiplication des interdits moraux et idéologiques. L’inquiétude devant l’immigration massive ou le multiculturalisme sera assimilée à la xénophobie. Celle par rapport à la difficile intégration de grandes populations musulmanes en France sera quant à elle assimilée à l’islamophobie. La critique de l’intégration européenne relèvera de l’europhobie. À ce catalogue des phobies, il faudrait aussi ajouter l’homophobie et la transphobie, dont on a beaucoup parlé ces dernières années. Le nouveau régime issu de mai 68 exige qu’on s’enthousiasme devant sa promesse d’un avenir diversitaire radieux ou qu’on passe pour fou. Devant le déni de réel des élites médiatiques, certains cherchent la protestation la plus vigoureuse, même si elle est excessive. L’idéologie soixante-huitarde, qui prend forme aujourd’hui à travers la sacralisation de la diversité, a besoin du mythe du fascisme pour poursuivre son implantation. Il lui permet d’associer ainsi aux pires horreurs du vingtième siècle la simple défense des valeurs traditionnelles et des institutions qui les pérennisaient. Dès lors, le progressisme dominant propose son alternative funeste: multiculturalisme ou barbarie. Le désaccord populaire est toujours rabattu sur le fascisme, comme s’il représentait la dernière étape avant la conversion décomplexée à l’extrême-droite. En fait, il s’agit de désarmer mentalement le commun des mortels devant ce qui est quand même une entreprise sans précédent d’ingénierie sociale et identitaire visant à modifier en profondeur l’identité du peuple français et de la civilisation européenne. Encore aujourd’hui, on peine à traduire politiquement les clivages nés dans la dynamique des radical sixties. Qu’on le veuille ou non, la distinction entre la gauche et la droite structure encore la vie politique, surtout en France qui, à sa manière l’a inventée. Elle n’est pas sans profondeur anthropologique non plus: la gauche et la droite ne sont pas des notions complètement insensées. Mais il faut bien convenir que ce clivage n’est pas parvenu à donner une véritable forme politique aux enjeux qui touchent à la nature même de la communauté politique. Ils ne s’expriment vraiment clairement qu’avec les référendums européens, pour ensuite se dissiper une fois que le système partisan reprend ses droits. Une frange importante du peuple, dans les circonstances, semble privilégier une politique tribunicienne pour se faire entendre, même si, paradoxalement, elle l’isole politiquement dans les marges. On s’est demandé cet automne pourquoi les intellectuels avaient aujourd’hui plus d’influence que les politiques dans la vie publique. Naturellement, leur parole est plus libre. Ils ne sont pas en position de responsabilité. On les suspecte moins, conséquemment, de dissimuler une part de réalité et d’être lié par une attache partisane. Mais l’essentiel était ailleurs: ne cherchant pas à s’inscrire dans un clivage politique usé, ils parviennent plus aisément à réaliser les synthèses nécessaires et à formuler une vision de l’époque et de ses enjeux délivrée de l’écartèlement habituel et exagéré entre ce que la gauche et la droite de gouvernement croient devoir être. Plus souvent qu’autrement, ils expriment une forme de conservatisme qui est peut-être d’abord et avant tout un patriotisme de civilisation. Ce créneau est aujourd’hui idéologiquement majoritaire en France, même s’il demeure vitupéré médiatiquement. Si on laisse de côté le grand récit antifasciste maintenu artificiellement en vie par le système médiatique, on découvre une autre histoire de l’émergence du populisme européen. Sa vitalité politique repose sur un double abandon dont se sont rendus coupables les partis de gouvernement. La droite a sacrifié le patriotisme conservateur qui était la marque distinctive du RPR des bonnes années pour se convertir à un libéralisme moderniste qui n’a jamais suscité l’enthousiasme au-delà du cercle étroit des élus de la mondialisation heureuse. La gauche a renoncé à la défense du peuple pour se convertir à la cause de la diversité et à la sacralisation des minorités, en leur prêtant la vertu rédemptrice autrefois réservée au prolétariat. Le Front national a récupéré ces deux créneaux. En un mot, les élites françaises ont sacrifié la fonction protectrice du politique, ou sa part conservatrice, si on préfère. Elles ont ainsi renoncé à certaines aspirations fondamentales au cœur de la cité. Elles ont négligé le besoin d’enracinement au cœur de l’âme humaine. Les enjeux sociétaux ont émergé ces dernières années. Ils rappellent que la politique ne saurait être victime de réductionnisme économique sans s’appauvrir existentiellement. Les hommes, quoi qu’on en pense, ne se représentent pas la société comme une simple association contractuelle d’individus sans liens véritables entre eux. Ils veulent habiter un monde commun, noué dans l’histoire et la culture. Mais on a assisté, à bien des égards, à sa dissolution dans la seule logique des droits. Plus encore, les grandes réformes sociétales ont été présentées comme relevant de la fatalité historique. Ce sentiment d’impuissance entretenu par le mythe de la fatalité historique revalorise, par effet de contraste, ceux qui croient que la politique n’est pas sans lien et qui misent sur cette dernière pour infléchir autrement le cours de l’histoire, et reconstruire ce qui n’aurait pas dû être déconstruit. Les partis politiques qui prétendent, d’une manière ou d’une autre, sortir la politique de la seule logique de l’extension des droits et du traitement gestionnaire des problèmes sociaux retrouvent aisément un écho populaire. Ils laissent croire, en quelque sorte, que l’homme a une maîtrise sur son destin, même s’ils font preuve souvent de démagogie en laissant croire que cette volonté est toute-puissante et peut s’affranchir des pesanteurs de l’époque. On s’est émerveillé, ces dernières semaines, de la réhabilitation de la Marseillaise et du Tricolore, suite aux carnages du 13 novembre. Personne ne s’en désolera, naturellement. Il y avait là une forme de sursaut patriotique absolument admirable, à mille lieux du réflexe pénitentiel dans lequel le système médiatique se complaît spontanément. Mais une certaine autocritique aurait été la bienvenue: pourquoi les élites, et les élites de gauche, en particulier, avaient-elles abandonné les symboles nationaux? Car le Front national avait moins confisqué la nation qu’on ne lui avait concédée. C’est moins sur son programme spécifique qu’il est parvenu à croître, au fil des ans – d’autant que ce programme est assez changeant et ne se caractérise pas exactement par un souci de rigueur – que sur un désir de nation auquel il était à peu près le seul à répondre explicitement, aussi déformée sa réponse soit-elle. Il faut voir plus large. C’est à une crise de légitimité qu’on assiste, en fait. Une crise de régime, si on veut, qui touche toutes les sociétés occidentales même si encore une fois, même si c’est en France qu’elle prend une portée civilisationnelle. La France devient le théâtre des grandes contradictions qui traversent le monde occidental. Le pouvoir semble impuissant à affronter une crise de civilisation à peu près sans précédent et se contente de disqualifier ceux qui le rappellent à ses devoirs et l’invitent à ne pas se contenter d’incantations humanitaires devant des problèmes comme la crise des migrants. Il se permet même de persécuter ceux qui dénoncent son impuissance. Ainsi, ils sont de plus en en plus nombreux à défiler régulièrement devant les tribunaux pour avoir nommé la part de réel qui heurte l’idéologie dominante. C’est, à certains égards, le seul ressort qui lui reste. Il y a certainement d’excellentes raisons de s’opposer au Front national, mais la réduction de sa progression à la renaissance d’une forme de fascisme intemporel, qui serait la tentation diabolique de la civilisation européenne, n’en est pas vraiment une. Elle rassure certainement une frange significative des élites politiques et intellectuelles, qui peuvent dès lors prendre la pose avantageuse de la résistance contre la bête immonde, mais elle rend à peu près incompréhensible et inintelligible le pourrissement de la situation qui a pourtant propulsé le Front national au rang de premier parti de France. Et pour tout dire, la meilleure manière de lui faire barrage ne consiste certainement pas à pousser encore plus loin la politique qui a contribué à sa croissance.

    Mathieu Bock-Côté
    Les limites de l’antifascisme carnavalesque
    Le Figaro
    08/12/2015

    http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2015/12/08/31001-20151208ARTFIG00157-mathieu-bock-cote-les-limites-de-l-antifascisme-carnavalesque.php

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  2. jcdurbant dit :

    Interdit de «modifier l’aspect» de la façade …

    «L’appel national date de novembre. On a été particulièrement tolérants et nous leur avons laissé la possibilité de laisser pendre leur drapeau en façade. Il était temps de revenir à la réalité et de se conformer au règlement de copropriété. Il faut arrêter avec cette histoire qui prend des proportion énormes. Si encore on avait à se justifier de quelque chose, si on faisait une erreur, mais en l’occurrence on ne fait qu’observer le règlement! »

    Éric Noailly (syndic de copropriété)

    http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2016/02/08/01016-20160208ARTFIG00128-deux-femmes-se-battent-pour-garder-le-drapeau-francais-a-leur-balcon.php

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  3. jcdurbant dit :

    Cherchez l’erreur:

    Marion Maréchal-Le Pen : le FN au pouvoir, il n’y aurait «pas eu de 13 novembre»

    Le Figaro

    http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/citations/2016/03/21/25002-20160321ARTFIG00039-marion-marechal-le-pen-le-fn-au-pouvoir-il-n-y-aurait-pas-eu-de-13-novembre.php

    Si les mesures du Front national avaient été mises en place au moment des attentats du 13 novembre, il n’y aurait probablement pas eu de 13 novembre».

    Marion Maréchal-Le Pen

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  4. jcdurbant dit :

    QUELLE HAINE DE LA FRANCE ?

    «Quand vous portez un drapeau d’un pays où vous ne vivez pas, on vous dit «bravo, j’adore, c’est courageux, c’est un signe d’ouverture. Quand on porte le drapeau du pays dans lequel vous vivez, où vous payez vos impôts, avec lequel vous souffrez, aimez, combattez, on vous dit: «t’es un chien, un putain de facho». Je porte mon drapeau fièrement. Et j’emmerde les fils de putes qui préfèrent se sentir américains, marocains, russes etc tout ça parce qu’ils vont en vacances une semaine dans un autre pays et reviennent en se sentant étrangers à leur propre pays. Soyez patriotes et reconnaissant. Vous devez tout à la France.»

    Patrice Quarteron

    http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2017/07/28/31003-20170728ARTFIG00241-quand-patrice-quarteron-donne-une-lecon-de-patriotisme-a-ceux-qui-haissent-la-france.php

    “Dans la cité, on nous a appris la haine de la France. Nous, ce n’était pas la France mais La Grande Borne [à Grigny dans l’Essonne, NDLR]. C’était une forme de communautarisme, on ne s’aimait qu’entre nous et tous ceux qui venaient de l’extérieur, surtout les blancs, on les appelait les Gaulois, les baptous, on nous l’apprenait comme ça. Heureusement, grâce au sport, je sortais un peu de ma cité et j’étais aidé par des gens, notamment un (…) qui était blanc et flic. Toutes ces rencontres m’ouvraient l’esprit donc forcément, par la suite, je ne pouvais plus rentrer dans le schéma de la haine. Ce n’était plus cohérent. Je n’ai pas de clichés, noir, blanc, jaune vert (…) je ne m’attache pas à la minorité. Oui, j’ai connu des policiers méchants, mais c’est une minorité”.

    Patrice Quarteron

    https://www.sudradio.fr/societe/patrice-quarteron-dans-la-cite-nous-appris-la-haine-de-la-france

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  5. jcdurbant dit :

    France-Algérie 2001 : le mythe black-blanc-beur sur la touche
    Armelle Desmaison
    Thomas Deszpot
    L’Imprévu
    09.06.2017

    En octobre 2001, dans une société agitée par les débats autour de l’identité et dans un climat post-attentats du 11 septembre, la France a reçu l’Algérie pour un match de foot qui aurait dû être amical : la rencontre devait symboliser tolérance et fraternité. Mais avec une Marseillaise sifflée par certains supporters des Fennecs et un envahissement du terrain avant le coup de sifflet final, la fête a été gâchée. Retour sur une soirée où le sport a été phagocyté par l’histoire.

    « C’est un match de prestige les gars, peu importe si on le perd. Faites-vous plaisir au maximum. » À quelques minutes du coup d’envoi en cette fin mai, Abdenour Ouidir motive ses ouailles. Ce passionné de foot entraîne avec ferveur l’équipe du Club sportif berbère, créée voilà quelques années à Villetaneuse, au nord-ouest de la Seine-Saint-Denis. Pour ses joueurs, il s’agit de faire honneur aux couleurs vertes et jaunes du club. La causerie terminée, ils quittent les petits cabanons de bois qui font office de vestiaire et s’aventurent sur le terrain synthétique, inondé d’un soleil de plomb. Face à eux, Gonesse, un adversaire de taille. Sur la pelouse du stade Bernard Lama, c’est une place au prochain tour de la Coupe de France qui se joue.

    À peine l’arbitre siffle-t-il le début de la rencontre qu’Abdenour Ouidir donne de la voix. Il encourage ses poulains et leur lance des consignes en kabyle. Aucun problème de compréhension pour autant : au CS Berbère, la grande majorité des joueurs sont Algériens, sur leurs papiers ou dans leur coeur. Ceux qui ne sont pas nés de l’autre côté de la Méditerranée en sont souvent originaires. « Attention, nous ne sommes pas un club communautaire ! », prévient le coach. « On cherche à promouvoir notre culture et tous les joueurs sont bienvenus. »

    Aujourd’hui réunie en France, la joyeuse bande de sportifs se rassemble autour du foot et d’une histoire familiale comme dénominateurs communs. Ils étaient en majorité ados il y a quinze ans, mais se souviennent tous du match qui opposait la France à l’Algérie, un soir d’octobre 2001. Ce duel entre leur pays de naissance et leur pays d’adoption, tous l’ont suivi. Le premier souvenir qui leur revient à l’esprit ? « Le coup franc de Belmadi », lance Karim, grand défenseur au regard rieur. Pour de nombreux supporters, les yeux rivés sur la télévision ou présents au Stade de France, cette rencontre a marqué les esprits.

    https://limprevu.fr/articles/09-06-2017/france-algerie-2001-black-blanc-beur/

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