Erratum du Monde: ce que le monde n’avait jamais vu (You saw nothing in Hiroshima)

You saw nothing in HiroshimaTrès suspectes photos d'Hiroshima

Tu n’as rien vu à Hiroshima. Marguerite Dumas
C’est un serpent de mer: les Japonais allaient-ils capituler ? Les Etats-Unis ont-ils voulu intimider l’URSS ? etc. Pas plus tard que l’an dernier, un ministre japonais a provoqué un tollé en déclarant: « Hiroshima était inévitable ». Jean-Marie Bouissou (Sciences Po)

Incroyable mais vrai: le Monde publie son 2e erratum en 50 ans!

Après le fameux faux “rapport Fechteler” de mai 1952 …

Et sans parler de la discrète confession sur le Cambodge, il y a deux ans (on n’est pas à 30 ans près!) …

Ou tout récemment du demi-aveu des chiffres bidonnés de l’Irak (mais toujours rien sur les “colonnes infernales” de Rémy Ourdan, les suicides de GI’s, les “dont des femmes et des enfants” palestiniens) …

Voici, ultime confirmation de la grave crise que traverse depuis des années et comme nombre de ses concurrents le “quotidien de référence” et “conscience de la France” créé à la Libération sur ordre du Général …

L’affaire des fausses photos de charniers d’Hiroshima (en fait d’un tremblement de terre de 1923) de l’incorrigible Sylvain Cypel (et apparemment d’un de ses collègues du Nouvel Obs) qui comme par hasard désignait à la vindicte publique… l’Etat-repoussoir de dernier ressort!

Le piège des photos
Véronique Maurus
Médiatrice
Le Monde
18.05.08

S’il est vrai que faute avouée est à demi pardonnée, Le Monde a fait un grand pas sur le chemin de l’indulgence en publiant, mardi 13 mai, sur une demi-page (avec annonce à la « une »), l’un des errata les plus longs de son histoire. Sous le titre « Très suspectes photos d’Hiroshima », notre correspondant à New York, Sylvain Cypel, expliquait pourquoi le journal avait publié, quatre jours plus tôt, dix clichés censés montrer les charniers d’Hiroshima peu après l’explosion de la première bombe A, le 6 août 1945, alors que, pour six d’entre eux au moins, il s’agissait des ravages du tremblement de terre de 1923, autour de Tokyo.

Inutile de revenir sur les détails de l’affaire, nos contempteurs s’en sont largement chargés, notamment sur Internet. Mais la repentance ne nous exonère pas d’analyser les causes de cette bévue – ne serait-ce que pour éviter sa répétition. Le Monde a-t-il péché par incompétence ? Négligence ? Goût du sensationnel ? Ou précipitation ? Pour les lecteurs, cela ne semble guère faire de doute : « Il est navrant de constater, dans votre article à sensation («Hiroshima : ce que le monde n’avait jamais vu»), que vos journalistes écrivent n’importe quoi, après un minimum de recherches, ou, pour faire sérieux, citent de soi-disant experts, qui n’en connaissent guère plus », regrette M. Cartier (Bouilly, Yonne). « En espérant que vous prendrez le temps de vérifier la provenance des photographies que vous avez évoquées dans votre article », écrit Philippe Jarlat (Bessancourt, Val-d’Oise), en conclusion d’un courriel démontrant, citations d’experts à l’appui, que ces images avaient peu de chances d’être celles d’Hiroshima.

Plus dure encore, la réaction navrée d’Yves Carmona (Singapour) : « Le Monde, ses forces – le recul, un réseau de correspondants à l’étranger hors pair dans la presse française, sa capacité d’analyse -, les lecteurs comme moi y tiennent. Je n’en suis que plus triste de cette énorme bévue (…) . Ce qui fait la différence entre un journal de qualité, comme Le Monde doit le redevenir, et ses confrères (…), c’est précisément cela, le souci de tout vérifier sans se précipiter sur les scoops. »

Enquête faite, le dossier est moins accablant qu’il n’y paraît. Prenons les reproches un à un. D’abord l’incompétence. Tout est parti d’une double page publiée, le 7 mai, dans le quotidien italien La Repubblica, qui reproduisait lesdites « images d’Hiroshima ». Le journaliste photo qui les repère, de même que Michel Guerrin, chef du service culture, et Claire Guillot, rédactrice spécialisée, aussitôt saisis, savent tous que l’existence de telles photos inédites est probable. « On connaît des photos du champignon, des photos de victimes, mais aucune des charniers, explique Claire Guillot. Aucune jusqu’ici ne montre l’ampleur des morts. Mais on sait, par des témoignages, que des photos ont été prises sur place, le jour même, et que la censure américaine les a fait disparaître. »

La découverte tardive de ces clichés, même dans des conditions mystérieuses, est donc parfaitement plausible. C’est la vraie source de notre erreur. Elle est à rapprocher de la bourde historique commise par Le Monde, en mai 1952, avec la publication du fameux « rapport Fechteler », rapport ultrasecret censé émaner des autorités militaires américaines, qui se révélera un vulgaire article de réflexions stratégiques publié un an et demi plus tôt… L’histoire était, hélas !, trop belle, mais le contexte, comme ici, l’expliquait.

Second reproche, la négligence. On ne saurait pourtant ranger cette bavure au rang de rumeur non vérifiée. Car le journal a vérifié, pas assez, certes, on le voit a posteriori, mais consciencieusement. D’abord au sein du service photo, puis à New York, d’où Sylvain Cypel a joint la Hoover Institution de l’université de Stanford (en Californie), qui a diffusé ces images, le 5 mai. Il a aussi interrogé l’historien Sean Malloy, qui les avait découvertes dans les archives de la Hoover, puis publiées en partie dans un livre, La Tragédie nucléaire, paru en mars, et enfin toutes mises en lignes sur son site, le 5 mai. Par acquit de conscience, notre correspondant a également contacté un grand journal américain qui lui a laissé entendre qu’il travaillait sur le dossier.

Avec la caution d’une institution illustre et d’un historien spécialisé, les images semblaient donc validées, même si, compte tenu du décalage horaire, notre correspondant à Tokyo n’avait pu vérifier auprès du Musée d’Hiroshima et se limitait donc à ajouter, dans l’article, quelques paragraphes de contexte historique.

Troisième reproche, le sensationnalisme. Le Monde aurait-il dû se contenter d’un modeste article dans les pages internationales, signalant la sortie desdites photos, sans insister sur leur importance historique ? C’était une solution hypocrite. Car de deux choses l’une : soit le doute existait sur leur authenticité et mieux valait, alors, ne rien faire du tout, soit il n’y avait pas de doute et il convenait de leur donner toute leur portée. Une page illustrée n’avait, dans cette optique, rien d’excessif.

Reste la précipitation. Le journal n’aurait pas commis cette erreur s’il avait différé la publication d’un ou deux jours, le temps d’obtenir la validation des experts japonais, estiment la plupart de nos détracteurs. C’est vrai. Mais, d’une part, le délai pouvait être beaucoup plus long : notons en effet que ni le livre de Sean Malloy, pourtant adressé il y a deux mois au Musée d’Hiroshima, ni la double page de La Repubblica publiée le 7 mai, n’avaient été contestés au jour de la parution de nos articles, le 9 daté 10. D’autre part, cela supposait, là encore, que le doute existe. Or il n’existait pas dans l’esprit des intéressés.

C’est là que le bât blesse. Le Monde, finalement, a surtout failli par excès de confiance, en accordant un crédit excessif à une institution reconnue. Et il a, sans le vouloir, enfreint une règle d’or du journalisme : le croisement des sources. Il a cru obtenir confirmation de deux sources indépendantes alors que l’on peut supposer, après enquête, que la Hoover et l’historien se sont trompés mutuellement, chacun pensant que l’autre avait validé les images.

Seule consolation : ce n’était pas une manipulation, mais un piège fortuit, presque imparable. L’histoire de la photo est truffée de cas analogues, souligne Michel Guerrin. Raison de plus pour redoubler de prudence à l’avenir. On ne prêchera jamais assez les vertus du doute…

Voir aussi:

Hiroshima : ce que le monde n’avait jamais vu
Sylvain Cypel et Philippe Pons
Le Monde
10.05.08

Dix clichés, cachés pendant plus de soixante ans par un soldat américain, montrent, pour la première fois, les victimes de la bombe larguée le 6 août 1945 sur la ville japonaise

Ce sont des photos prises au sol, de l’intérieur du désastre. Rien à voir avec la vision abstraite et désincarnée du champignon nucléaire. Ces images montrent l’état de la ville japonaise d’Hiroshima dans les premiers jours qui ont suivi le largage, par l’aviation américaine, de la première bombe atomique, le 6 août 1945, à 8 h 17.

Sidérantes photos de corps flottant dans les eaux. Epouvantables images de visages tordus de souffrance. Clichés de cadavres entassés en pyramide, de corps tétanisés, adultes, vieillards et enfants, soufflés dans l’instant. Il n’y a plus ni homme ni femme. Uniquement des corps calcinés, enchevêtrés sous les gravats, ou allongés en rangs à perte de vue par les premiers sauveteurs et militaires nippons arrivés sur place, déambulant, masqués, entre les travées. On reconnaît simplement les enfants à leur petite taille.

La Hoover Institution, à l’université Stanford, en Californie, a rendu publiques dix photographies exceptionnelles, lundi 5 mai. Elles lui ont été remises, en 1998, par Robert L. Capp, un soldat qui avait participé aux forces américaines d’occupation du Japon à l’issue de la seconde guerre mondiale. « En fouillant une cave près d’Hiroshima, explique Sean Malloy, historien et chercheur à l’Université de Californie, à Merced, Capp est tombé sur des pellicules non développées : parmi elles, il y avait ces photos. » Leur auteur, japonais, est inconnu.

En travaillant sur un livre publié cette année, Atomic Tragedy : Henry L. Stimson and the Decision to Use the Bomb Against Japan ( La tragédie nucléaire : Henry Stimson et la décision de lancer la bombe sur le Japon, Cornell University Press), M. Malloy, ancien de l’université Stanford, a été autorisé à voir ces photos. Il a ensuite pu rencontrer la famille Capp, qui lui a permis de divulguer trois photos inédites dans son ouvrage. Robert Capp, décédé entre-temps, avait fait don de la collection, en 1998, au fonds d’archives Hoover, exigeant que ces photos ne soient pas montrées avant 2008.

En raison de la censure draconienne imposée par l’occupant américain sur tout ce qui touchait au bombardement d’Hiroshima (puis de Nagasaki, trois jours plus tard), on ignora pendant des mois l’ampleur de la tragédie dont furent victimes des populations essentiellement civiles. Les images prises par les premiers photographes nippons à s’être rendus sur place furent interdites. Les photos trouvées par M. Capp, sans doute d’un amateur, sont un témoignage de l’horreur des premiers jours qui suivirent le bombardement.

Ce 6 août 1945, Hiroshima (350 000 habitants) s’apprête à vivre une journée de chaleur moite, écrasante, vrillée par le cri des cigales, du torride été nippon. La bombe larguée par la forteresse volante Enola Gay, qui s’est envolée à l’aube de la ville de Tinan, dans le Pacifique, explose à 580 mètres d’altitude. La ville est rasée à 90 % et 150 000 personnes périssent sur le coup ou après une longue agonie. Aux effets foudroyants fera suite la mort lente provoquée par les radiations. « Rendez-nous notre humanité », lancera le poète atomisé Sankichi Toge.

A part le reportage du journaliste australien William Burchett, « No more Hiroshima », publié en septembre, on ne sait pratiquement rien, six mois plus tard, de ce qui s’est passé à Hiroshima et à Nagasaki. Avec les conséquences humaines tragiques : comment soigner ces terribles blessures, traitées comme de simples brûlures ? Comment stopper les hémorragies de corps écorchés vifs ? Le seul organisme mis en place par l’occupant fut un centre de recherches sur les effets de la bombe : il ne prodigue aucun soin, mais demande que les morts lui soient confiés pour autopsie…

L’horreur des photos pose une nouvelle fois la question : la bombe A était-elle le seul moyen de mettre fin à la guerre du Pacifique ? En 1945, le Japon était à bout de force. A Potsdam, le 26 juillet, les Etats-Unis avaient exigé sa capitulation sans condition, que Tokyo refusa. Mais la décision de larguer ses bombes sur l’Archipel avait déjà été prise, la veille, à Washington. Dans ses Mémoires, le général puis président des Etats-Unis, Dwight Eisenhower, écrit qu’en août 1945 « le Japon était déjà battu, le recours à la bombe était inutile ». A fortiori, la seconde, sur Nagasaki, qui fit 70 000 morts sur le coup. Plus que la capitulation nipponne, il s’agissait de montrer la suprématie américaine à l’URSS, qui avait entre-temps déclaré la guerre au Japon.

Depuis la divulgation de ces photos, blogueurs et internautes américains se déchirent sur le sujet. Une phrase revient souvent dans les commentaires : « Les Japs n’ont eu que ce qu’ils méritaient. » Sur le site MetaFilter, l’internaute signant « postroad » estime que le Japon « n’ayant aucune intention de capituler, comme le montre le film de Clint Eastwood (Lettres d’Iwo Jima), aussi horribles soient (ces photos), ces bombardements ont sauvé de nombreuses vies américaines – et aussi nippones ». Pour d’autres, à l’inverse, « l’Amérique masque ses crimes honteux ».

Beaucoup d’internautes se demandent aussi pourquoi ces clichés sortent aujourd’hui. Peu font confiance à la version officielle. Peut-on vraiment croire que M. Capp ait attendu cinquante-trois ans avant de montrer ces images à quiconque ? Pourquoi aurait-t-il exigé dix ans de secret supplémentaire ? M. Malloy n’a pas d’explication : « C’est une supposition, mais Capp se savait proche de la fin de sa vie. Il ne voulait pas être entraîné dans les polémiques que ces photos pouvaient générer. »

Pourquoi, également, M. Capp aurait apporté ces documents à la Hoover Institution? Celle-ci est perçue comme un centre de recherches néoconservateur extrême. Certains voient une volonté de « pousser » à une intervention américaine contre l’Iran avant que ce pays, disposant de la bombe A, puisse attaquer Israël. A l’inverse, d’autres suggèrent à Hillary Clinton de « bien regarder ces images avant de s’exprimer ». La candidate à l’investiture démocrate à l’élection présidentielle a récemment menacé d ‘« effacer l’Iran » de la carte s’il attaquait l’Etat juif. L’internaute appelé « oneirodynia » insiste sur « l’effort massif de censure tant de la part des Etats-Unis que de Tokyo après que la bombe eut été larguée. A l’été 1946, la censure américaine au Japon avait grandi au point d’occuper 6 000 personnes ».

Evoquant la « culture du secret » qu’ils croient déceler aux Etats-Unis, nombre de commentaires établissent un rapport entre Hiroshima, les bombardements massifs au napalm des populations locales durant la guerre américaine au Vietnam et… les prisons américaines de Guantanamo et d’Abou Ghraib aujourd’hui. D’Hiroshima à l’Irak, un internaute anonyme écrit, sur le site Yahoo!, que « le peuple américain ne s’intéresse jamais qu’à ses propres morts ».

Alors que le débat se développe sur Internet, la presse américaine n’a pas encore évoqué la divulgation de ces nouvelles photographies de la tragédie d’Hiroshima. Ni la presse japonaise, du reste.

Voir enfin:

Très suspectes photos d’Hiroshima
Sylvain Cypel (avec Philippe Pons à Tokyo)
Le Monde
14.05.08

Les images publiées dans « Le Monde » auraient été prises lors du tremblement de terre de 1923, près de Tokyo
résentées comme des images prises dans les décombres d’Hiroshima peu de temps après le largage par un bombardier américain de la première bombe A, le 6 août 1945, les photographies publiées par Le Monde dans son édition du 10 mai, qui accompagnaient l’article « Hiroshima : ce que le monde n’avait jamais vu », ne sont probablement pas authentiques. Ces clichés ont vraisemblablement été pris lors du tremblement de terre qui, en 1923, ravagea la plaine de Kanto, autour de Tokyo, et fit plus de 100 000 morts.

Pourquoi Le Monde a-t-il accordé du crédit à ces photos ? Elles ont été dévoilées, le 5 mai, par la Hoover Institution de l’Université Stanford, en Californie. Elles font partie d’un ensemble de dix clichés intitulé « Collection Capp ». Selon la Hoover, elles lui avaient été remises en 1998 par un ancien soldat américain en poste au Japon, Robert Capp. Ce dernier aurait trouvé une pellicule (ou des pellicules) dans une cave près d’Hiroshima. Trois de ces photos ont paru, en mars, dans La Tragédie nucléaire, un ouvrage publié en anglais par l’historien américain Sean Malloy.

Le Monde a alors joint ce dernier, chercheur à l’université Merced, en Californie, et les archives de la Hoover Institution, leur posant une série de questions sur les conditions de découverte et de divulgation de ces images, sans imaginer que Hoover pouvait diffuser sous son nom des photos non validées. M. Malloy a répondu à nos interrogations avant publication de l’article. Et Janel Quirante, des archives Hoover, se disant « dans l’impossibilité » de répondre à nos questions, nous écrivait : « L’information sur les donateurs est confidentielle. » Elle nous a indiqué le prix d’achat : 23,70 dollars le cliché.

« L’ENQUÊTE SE POURSUIT »

Mais, lundi 12 mai au matin, M. Malloy a retiré ces photos de son site Internet. La Hoover Institution a fait de même peu après. L’universitaire nous a indiqué avoir été « informé dimanche par deux e-mails reçus du Japon » des doutes concernant le lieu de la prise des photos. Le Monde dispose d’un de ces courriels. Ils incluent deux photos prises au lendemain du séisme de Kanto.

Les photos du séisme de 1923 sont célèbres au Japon. Leur similitude avec deux photos de la collection Capp a « convaincu » le chercheur « d’une forte présomption que l’identification fournie par la Hoover Institution est inexacte ». Il a dès lors jugé que deux photos sujettes à caution « jettent un doute sur la collection entière ». A Hiroshima, l’un des conservateurs du Musée pour le souvenir et la paix, Hiroyuki Ochiba, a confirmé au Monde qu’ayant eu connaissance, le 7 mai, de l’existence de ces photos sur le site Hoover, il a pris contact avec la Fondation à la mémoire des victimes du séisme de 1923, qui conserve les photographies de ce drame. « Après examen, nous sommes arrivés à la conclusion, le 12, que six des dix photos de la Hoover Institution sont celles de victimes du séisme, et non d’atomisés, affirme M. Ochiba. Pour les quatre autres, l’enquête se poursuit. »

Michael Lucken, directeur du département langue et civilisation du Japon à l’Inalco, à Paris, et qui publiera, en juin, 1945-Hiroshima : les images sources (Hermann) a aussi réagi. « Lorsque j’ai vu ces images dans Le Monde, j’ai pensé que l’on tenait enfin le chaînon manquant de l’iconographie sur Hiroshima. Cela m’a paru plausible, explique M. Lucken. Des témoins disent que des photos de charniers datant des trois premiers jours après le bombardement ont été prises. Elles n’ont jamais été trouvées. A partir du 17 août 1945, la censure militaire nippone a récupéré toutes les images pour les détruire. Il existe quelque 200 photos prises à Hiroshima dans les jours qui suivent le bombardement. Mais pas plus d’une demi-douzaine montrant des morts, et toutes les photos de charniers collectifs ont disparu. »

ARBRES INTACTS

En étudiant les dix images diffusées sur Internet, M. Lucken conclut qu’au moins quatre proviennent du séisme de 1923. Il avance trois arguments : « Les canotiers des sauveteurs sont typiques des années 1920 – dans les années 1940, ils portaient des casques ou des casquettes. Des cheminées d’usine apparaissent en arrière-plan, il n’y en avait pas à Hiroshima. Enfin, il est peu plausible qu’une explosion atomique calcine des arbres et en laisse d’autres intacts à proximité. » M. Lucken voit là « un faisceau d’indices, pas des preuves absolues », qu’aucun des autres clichés n’a été pris à Hiroshima, mais il « jette le discrédit sur la collection Capp ».

A l’issue d’une très longue réunion d’urgence de la direction de la Hoover Institution, lundi 12 mai, Michelle Horaney, sa porte-parole, a déclaré au Monde que celle-ci « ne diffusera aucune information avant mardi ». Elle a refusé de nous préciser si, à l’issue de cette réunion, la Hoover accrédite ou non l’authenticité des photos. Le « récit » du soldat Capp est-il fiable ? M. Malloy avait jugé « très convaincant » un entretien enregistré qu’il a laissé à l’Institution Hoover, ainsi que ses « longues conversations avec son fils ».

Désormais, il doute : « Capp était-il celui qu’il a prétendu être ? » M. Malloy explique pourquoi il a validé ces images : « Les archives Hoover ont grande réputation, et j’avais travaillé avec elles à de nombreuses reprises. Je n’avais aucune raison de suspecter que cette collection était douteuse. » Mais il « regrette » aujourd’hui de ne pas avoir procédé à de plus amples vérifications et admet ne pas avoir joint le Mémorial d’Hiroshima, qui fait autorité. Mais, indique-t-il, il lui « a envoyé [son] livre avec les photos, et celui-ci n’avait, à ce jour, pas réagi ».

Pourquoi la Hoover Institution a-t-elle validé ces photos comme datant des lendemains d’Hiroshima ? A-t-elle contacté le Mémorial d’Hiroshima ou d’autres spécialistes ? A-t-elle fait analyser les pellicules pour cerner la date des prises de vue ? Intervenu en bout de course, Le Monde, s’il a eu le tort de ne pas solliciter l’avis de personnalités qualifiées au Japon, n’a pu imaginer que la Hoover ne vérifie pas ses archives. Et la confirmation de M. Malloy a renforcé sa certitude.

Les auteurs de l’article ont exposé les doutes exprimés dans divers forums sur Internet quant à la version officielle de l’histoire des images, mais aucun interlocuteur n’a mis en doute leur authenticité. Reste à savoir qu’elle sera la réponse de la Hoover.

Voir enfin:

Jean-François Revel (« Comment finissent les démocraties », 1983, pp. 170-172)

La démocratie n’a que la supériorité de la vérité, même si, doutant trop souvent d’elle-même, elle n’use guère de cette supériorité quand elle traite avec le communisme. Pour sa part, les communistes s’adonnent à la désinformation parce qu’à l’état naturel la propagande communiste n’inspire pas confiance. D’où le recours aux moyens d’information occidentaux mêmes et à leur caution bourgeoise pour faire répandre les inventions et les préjugés les plus aptes à ployer les esprits dans un sens propice à la progression totalitaire.

La méthode comporte selon toute apparence peu de faiblesses, puisque appliquée sans changement de façon répétée, elle continue de réussir. Deux exemples parmi de nombreux exploits dans le genre illustrent cette constance, l’un de 1952, l’autre de 1978. Les services spéciaux soviétiques n’ont guère d’imagination et les médias occidentaux guère de mémoire: pourquoi dès lors changer de procédé? En 1952, une personnalité gaulliste, étiquette politique propre à endormir la méfiance, apporte en grande confidence au quotidien français le Monde un prétendu document secret, le « Rapport Fechteler », du nom de l’amiral américain auquel les services soviétiques avaient choisi d’attribuer le faux. Ce texte, censé dépeindre les plans stratégiques américains en Méditerranée, étalait un bellicisme si outrancier que les lecteurs ne pouvaient manquer d’y voir la preuve de la volonté de guerre des Etats-Unis – ce qui constituait l’exact effet recherché par les faussaires. Le Monde publie les yeux fermés dans son numéro du 10 mai 1952 l’invraisemblable « Rapport Fechteler ». Très vite, la supercherie se découvre. Mais la presse et les agences soviétiques n’en continueront pas moins comme avant à invoquer le mythique rapport, « révélation d’un véritable plan de guerre contre l’URSS », ritournelle reprise par les journaux communistes occidentaux, arguant que cette « révélation » a surgi dans un « grand journal indépendant », indice infaillible de son authenticité.

L’imposture de 1978 connaîtra une diffusion et une longévité encore supérieures. Elle prit la forme d’un « manuel pratique » signé par rien de moins que William Westmoreland, l’ancien chef d’état-major des armées. Le célèbre général y préconisait que les services secrets américains se servissent des organisations subversives d’extrême gauche opérant en Occident pour sauvegarder les intérêts des Etats-Unis dans les pays amis où les communistes semblaient sur le point d’accéder au pouvoir. En un mot, les Etats-Unis devaient infiltrer les groupes terroristes et les pousser à mettre en difficulté les gouvernements démocratiques alliés qui étaient coupables d’indulgence pour le communisme. Au moment où plusieurs démocraties européennes se trouvaient aux prises avec un terrorisme chaque jour plus efficace, et où l’on commençait à oser mentionner une éventuelle complicité soviétique dans ce terrorisme, les fabricants du faux entendaient inciter l’opinion à voir dans les services secrets américains les véritables instigateurs de la
subversion. Idée ingénieuse, mais difficile à croire. Par bonheur l Providence veillait. Elle prit le visage d’un journaliste espagnol, Fernando Gonzalez, qu’un miracle rendit maître et possesseur du faux, pompeusement sacré « Top secret ». Ce Gonzalez en prévit la publication dans l’hebdomadaire espagnol El Triunfo du 23 septembre 1978. Mais, par un geste d’abnégation unique dans les annales de la presse, El Triunfo se dépouilla volontairement de son exclusivité pour céder la primeur du faux, en avant-première et prépublication, au quotidien madrilène El Pais classé « indépendant de gauche », qui le passa le premier en toute confiance dans son numéro du 20 septembre. C’est que, Fernando Gonzalez étant communiste et proche de l’ambassade cubaine, il valait mieux « blanchir » le faux en le plongeant dans les eaux lustrales d’un « grand quotidien indépendant de centre gauche ». Lessive parfaite, immaculée conception, puisque, de El Pais, le faux sauta par-dessus les Pyrénées pour émerger en France dans le Monde trois jours après. On le ‘vit ensuite serpenter aux Pays-Bas dans l’hebdomadaire Vrij Nederland du 7 octobre 1978, en Italie dans L’Europeo du 16, en Grèce le 20 dans To Vima , qui claironnait l’ « indiscutable authenticité » du faux et titrait: « Un manuelaméricain secret sur les opérations de déstabilisation en Europe occidentale. » Dès lors, et c’est en cela que réside le grand art de la désinformation, l’agence soviétique Novosti était en mesure de reprendre la nouvelle en citant comme sources ces divers organes respectables de la presse occidentale non communiste. La pure logique entraîna dès lors Novosti et quelques-uns de ses porte-voix occidentaux à extrapoler et à rendre les services secrets américains responsables même de l’assassinat du chef de la démocratie chrétienne Aldo Moro par les Brigades rouges, des attentats de l’ETA basque et pourquoi pas ? de l’occupation par un commando de fanatiques armés, en 1979, de la Grande Mosquée de La Mecque.

L’inventaire exhaustif de la désinformation déborderait la carrure herculéenne de plusieurs encyclopédies. D’autant qu’elle est vraiment universelle et qu’aucun continent n’échappe à son rayonnement. En Asie, par exemple, en 1982, le centre pakistanais de lutte contre la malaria, travaillant depuis vingt ans grâce à des fonds d’organismes de santé internationaux et avec le concours de savants américains de l’Université du Maryland, se voit brusquement accusé d’élever une espèce particulière de moustiques, dont la piqûre mortelle doit servir à la guerre bactériologique projetée par la CIA en Afghanistan. Apprêté par la Literatournaya Gazeta du 2 février 1982, ce bobard dénué de toute finesse n’en est pas moins reprise avec un aveugle empressement par la pléiade habituelle de journaux « indépendants » parmi lesquels de vénérables institutions de la presse asiatique non communiste tels le Times of lndia et le Pakistani Daily Jang. Aussitôt colportée, la « nouvelle » déclenche une émeute anti-américaine à Lahore. Les malheureux chercheurs du centre contre la malaria doivent plier bagage avec leurs moustiques pour échapper à la lapidation. Cet épisode mouvementé survient à point nommé pour assourdir les bruits qui commencent alors à circuler sur l’utilisation, elle, bien réelle, d’armes biochimiques par les communistes en Afghanistan, au Laos et au Cambodge.

Ce n’est pas là le seul cas de désinformation défensive. Toujours en 1982, les communistes parviennent à faire expurger, et même récrire en rose, un rapport des Nations unies sur la débâcle économique vietnamienne, dans lequel les responsabilités de l’inepte Nomenklatura de Hanoi apparaissaient trop clairement. Censure constructive, qui fut d’autant plus facile à obtenir qu’au fil des années les fonctionnaires originaires d’Union soviétique et des pays prosoviétiques se sont emparés d’un grand nombre de postes clés dans l’ONU (1), C’est au point que dans un autre rapport de cette institution internationale, l’information diffusée par la presse et les agences occidentales se voit qualifiée de « grossièrement inexacte »! par contraste avec les journaux du bloc soviétique, loués pour l’objectivité de leurs reportages et leur « soutien continu » aux Nations unies (2) !

1. Voir l’article très étoffé de Thierry Wolton, « ONU : l’infiltration soviétique », le Point, 4 octobre 1982.
2. Bernard D. Nossiter, UN OfficiaIs Criticize News Coverage by West, « New York Times service », dans International Herald Tribune, 16-17 octobre 1982

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