Désinformation: Les Michael Moore du christianisme se font enfin remettre à leur place (Historians throw the Book at Christianity’s Michael Moores)

Les Chevaliers de l'ApocalypseJésus annonçait le royaume, et c’est l’Eglise qui est venue. Alfred Loisy (citation tronquée par Mordillat-Prieur)
Reprocher à l’Eglise catholique tout le développement de sa constitution, c’est donc lui reprocher d’avoir vécu, ce qui pourtant ne laissait pas d’être indispensable à l’Evangile même. (…) l’Evangile de Jésus avait déjà un rudiment d’organisation sociale et (…) le royaume devait avoir une forme de société. Jésus annonçait le royaume, et c’est l’Eglise qui est venue. Elle est venue en élargissant la forme de l’Evangile, qui était impossible à garder telle quelle, dès que le ministère de Jésus eût été clos par la passion. Il n’est aucune institution sur la terre ni dans l’histoire des hommes dont on ne puisse contester la légitimité et la valeur, si l’on pose en principe que rien n’a le droit d’être que dans son état originel. Alfred Loisy (citation en contexte)
Fidèles à la démarche historique et à l’écriture cinématographique qui ont fait le succès de leurs précédentes séries Corpus Christi et L’Origine du christianisme, Gérard Mordillat et Jérôme Prieur poursuivent leur réflexion documentaire sur les fondements de la religion chrétienne. Arte
Sans l’Eglise, la prédication du Galiléen aurait sombré dans l’oubli comme celles de tant d’autres prophètes de la même époque. Maurice Sartre

Les Michael Moore du christianisme se font enfin remettre à leur place par deux historiens.

Savants répondant à des questions que le spectateur ignore, lien entre ces monologues assuré par une voix off qui conduit l’argumentation, aucune discussion entre savants des questions qui font débat, non-séparation des discours des historiens et des théologiens qui ajoute à la confusion, livre d’accompagnement bénéficiant de la caution des savants mais élaboré par les seuls journalistes, citations tronquées et utilisées à contresens, partis pris, anachronismes, erreurs manifestes, vocabulaire péjoratif, parallèles et amalgames douteux (martyrs chrétiens/ suicide mortifère des islamistes) …

Après le succès de leurs précédentes séries sur les fondements de la religion chrétienne (« Corpus Christi » et « L’Origine du christianisme ») …

Le cinéaste Gérard Mordillat et le journaliste Jérôme Prieur ont remis le couvert en décembre dernier sur la chaine des documentaires soi-disant démystificateurs à la Eric Laurent avec une nouvelle série sur l’Apocalypse (films et livre).

Même démarche hyperdocumentaire, même impressionnante brochette d’historiens (quelque 50 dont les professeurs du Collège de France Paul Veyne et Michel Tardieu).

Mais aussi hélas, comme le montrent deux historiens Jean-Marie Salamito (dans un livre: « Les Chevaliers de l’Apocalypse ») et Maurice Sartre dans une critique du Monde Des Livres, mêmes techniques du montage et du dossier exclusivement à charge à la Michael Moore.

Avec, derrière l’apparence scientifique du propos, l’ordre du jour caché (à l’instar de leurs très polémiques titres: « Jésus contre Jésus », « Jésus après Jésus », « Jésus sans Jésus ») de la réduction politique ou plus précisément ethno-nationaliste du message du Christ, via la thèse hautement idéologique que « l’histoire du christianisme antique serait celle de la longue trahison de Jésus par ceux qui se réclamaient de lui » et que suite à la légalisation du christianisme par l’empereur Constantin, « le parti chrétien devient religieusement totalitaire »….

En étant resté qu’à une partie de la première série, nous ne saurions évidemment nous prononcer ici sur celle-ci, mais seulement évoquer une certaine gêne par rapport aux apparemment semblables procédés de la première.

Et surtout, en ces temps de mise à pilori systématique (et avec les mêmes discutables méthodes) du christianisme et du Pape, par rapport à l’apparent silence des historiens ayant participé à ces entreprises sur l’utilisation qui est ainsi faite de leurs recherches et interventions

Critique
« Les Chevaliers de l’Apocalypse. Réponse à MM. Prieur et Mordillat », de Jean-Marie Salamito »: descente aux enfers pour « L’Apocalypse » de Mordillat et Prieur
Maurice Sartre
Le Monde Des Livres
26.03.09

On se souvient du choc que représenta la diffusion à une heure de grande écoute de la série Corpus Christi, de Gérard Mordillat et Jérôme Prieur. Les réalisateurs ont récidivé par deux fois, et la dernière série, L’Apocalypse, a été diffusée peu avant Noël sur Arte. Sans nier les qualités d’un tel travail, Jean-Marie Salamito, spécialiste du christianisme antique, conteste avec vigueur sa pertinence. Car l’apparence scientifique du propos masque un a priori idéologique qui, montre-t-il, se résume dans une affirmation plusieurs fois répétée : « Jésus annonçait le royaume, et c’est l’Eglise qui est venue. » Cette citation du grand historien Alfred Loisy (1857-1940) prouverait, selon les réalisateurs, que l’Eglise s’est montrée plus préoccupée d’asseoir son pouvoir que de précipiter la réalisation du message évangélique. Ainsi Mordillat et Prieur défendraient-ils une thèse résolument antichrétienne, celle de la trahison de Jésus par les siens.

L’ennui, souligne Salamito, est que la citation est utilisée à contre-sens par Mordillat et Prieur. Car Loisy affirme au contraire qu’entre le discours de Jésus et l’Eglise de notre temps, il n’y a pas de rupture, mais simplement le travail du temps, donc des adaptations aux nécessités du moment. Sans l’Eglise, la prédication du Galiléen aurait sombré dans l’oubli comme celles de tant d’autres prophètes de la même époque.

L’argumentaire de Mordillat et Prieur est ici soumis à une critique qui fait mouche. La méthode d’abord : a-t-on assez remarqué que la quarantaine de savants interrogés répondait à des questions que le spectateur ignore ? Seul lien entre ces monologues, une voix off qui conduit l’argumentation. Une question fait-elle débat entre les spécialistes ? Aucune discussion entre savants ne vient l’éclairer. Salamito aurait pu ajouter que le fait de ne pas distinguer le discours des historiens et celui des théologiens ajoute à la confusion.

Le livre qui accompagne la série télévisée, Jésus sans Jésus (Seuil), n’est pas le texte intégral des interviews, mais une élaboration à prétention historique des seuls Mordillat et Prieur, bénéficiant indirectement de la caution apportée par les savants présents dans l’émission. Salamito insiste sur les partis pris, anachronismes et erreurs manifestes dont l’ouvrage abonde.

Deux exemples suffiront. La notion chrétienne du martyre s’intègre mal à la vision hostile à l’Eglise que développent Mordillat et Prieur. Ils entreprennent de la disqualifier en usant d’un vocabulaire péjoratif, allant jusqu’à établir un parallèle entre les martyrs chrétiens et ceux qu’un certain islam politique nomme aussi martyrs : or même un examen superficiel montre que tout oppose la mort subie – quoique acceptée – des chrétiens et le suicide mortifère des militants islamistes. Mordillat et Prieur se trompent lourdement en considérant les récits de martyres comme des témoignages sans valeur historique, alors que l’historien américain Glen Bowersock et d’autres ont prouvé qu’il s’agissait souvent des minutes mêmes du procès ou de textes rédigés à chaud. En faisant des martyrs chrétiens des « kamikazes » ou des « masochistes », les auteurs passent complètement à côté de la signification historique du phénomène.

FAUSSE ROUTE

De même, le monachisme s’intègre mal au schéma d’ensemble de Mordillat et Prieur. Ces derniers veulent y voir un mouvement d’opposition à l’Eglise officielle, preuve supplémentaire que, dès l’origine ou presque, certains auraient pris conscience de sa trahison. Personne ne nie qu’il y ait eu parfois de sérieux conflits entre les moines et les évêques, mais réduire le monachisme à une protestation contre la « collaboration » entre l’Eglise et l’Empire, c’est évidemment faire fausse route.

En ce sens, le livre de Salamito se révèle doublement indispensable. D’abord parce qu’il sort le spectateur de l’état quasi hypnotique où le plongent les séries de Mordillat et Prieur. Ensuite parce qu’il n’est pas inutile de rappeler que l’histoire reste une science exigeante, qui obéit à des règles méthodologiques strictes dont nul ne peut s’affranchir. Certes, l’histoire n’appartient pas aux historiens, mais sans eux et leur expertise l’analyse risque de se réduire à l’expression d’une opinion sans fondement scientifique.

Dans ces pages rigoureuses et denses, Salamito exerce au mieux son double devoir d’universitaire, celui de chercheur et d’enseignant.
LES CHEVALIERS DE L’APOCALYPSE. RÉPONSE À MM. PRIEUR ET MORDILLAT de Jean-Marie Salamito. Lethielleux/Desclée de Brouwer. 162 p., 12 €.

Voir aussi:

Les chevaliers de l’apocalypse
Jean-Marie Salamito
Desclée de Brouwer 159p., 12€

L’avis de La Croix
La réponse vigoureuse d’un historien à « L’Apocalypse »
Anne-Bénédicte Hoffner
La Croix

Spécialiste du christianisme antique, Jean-Marie Salamito relève les erreurs factuelles, mais surtout conteste la thèse de fond avancée par les «chevaliers de l’antichristianisme» Gérard Mordillat et Jérôme Prieur

Filmer en 12 épisodes de cinquante-deux minutes chacun les débats qui ont animé les débuts du christianisme, le projet, Jean-Marie Salamito le reconnaît, était «incroyablement ambitieux». Pas moins de 44 chercheurs invités, venus des universités de huit pays différents, dont les interventions ne sont illustrés seulement d’images de «papyrus antiques, de parchemins du Moyen Âge»… Au total, presque douze heures de « savante polyphonie ». «Je regarde tout, j’écoute tout. Avec passion», note l’auteur, qui avoue s’y être «laissé prendre, mais seulement jusqu’à un certain point» : jusqu’à l’instant où il a «commencé d’entrevoir le fil conducteur, discret mais solide, des 12 épisodes», à savoir que «l’histoire du christianisme antique serait celle de la longue trahison de Jésus par ceux qui se réclamaient de lui».

C’est dans un style très inhabituel pour lui que ce professeur d’histoire du christianisme antique à la Sorbonne a choisi de répondre à Jérôme Prieur et Gérard Mordillat : celui du pamphlet. Tout au long de son petit livre en effet – consacré pour un tiers à la série documentaire elle-même, mais plus encore au livre qui l’accompagne (1) – Jean-Marie Salamito entrecoupent de plaisanteries acerbes, d’exclamations ironiques, ses critiques fouillées, précises et argumentées du travail des deux journalistes. «Je me contenterai de féliciter les auteurs pour cet amalgame qui fait honneur à leur travail» (p. 83). «Quelle preuve éclatante d’honnêteté intellectuelle !» (p. 99). «Tout cela est cohérent, à défaut d’être historique» (p. 104)…

Il faut dire que ses premières tentatives d’explication avec eux – via le numéro 186 de la revue Le Monde de la Bible paru en novembre 2008, quelques jours plus tard lors d’un débat public à Paris, ou encore sur l’antenne de RCF – l’ont convaincu de la difficulté de l’exercice : «chevaliers de l’antichristianisme», Jérôme Prieur et Gérard Mordillat «avancent masqués», «déguisant leur croisade en travail documentaire, voire en enquête historique». Sont notamment en cause la «voix off» de la série télévisée qui, une fois les opinions des chercheurs exposées, en retient une, arbitrairement, mais surtout l’ouvrage Jésus sans Jésus, qui, «comme la voix off, mais bien plus longuement, exprime les positions personnelles de Gérard Mordillat».

Point par point, Jean-Marie Salamito s’attache à rétablir la vérité sur quelques-uns des thèmes abordés : le statut du «royaume» annoncé par Jésus (forcément «de ce monde», pour Mordillat et Prieur), le rapport des premiers chrétiens à leurs frères juifs (et leur «antisémitisme» supposé), le rôle des martyrs (accusés de présenter une «appétence pour la mort»), et surtout les conséquences de la légalisation du christianisme par l’empereur Constantin en 313. Date à partir de laquelle, selon eux, «le parti chrétien devient religieusement totalitaire »… Bref, résume Salamito , « un pamphlet, soit, mais d’un historien».

(1) Jésus sans Jésus, de Gérard Mordillat et Jérôme Prieur (Seuil/Arte Éditions, 2008). Ce livre fait suite à ceux déjà publiés par les mêmes auteurs au moment de leurs deux précédentes séries télévisées, Jésus, illustre et inconnu (avec Corpus Christi) et Jésus après Jésus (avec L’Origine du christianisme).

Voir enfin:
Contre le travestissement du premier christianisme en « tromperie » par rapport à un message christique purement juif et largement politique des chevaliers de l’Apocalypse …Un intéressant extrait, dans Le Figaro, d’un récent livre de l’historien Lucien Jerphagnon et du philosophe Luc Ferry, sur l’image menaçante de religion de l’anti-religion que donnait alors, dans un monde romain voué au culte de l’empereur, le christianisme naissant, d’où les persécutions.Mais aussi l’attraction que pouvait avoir celui-ci pour une société en mal de religion personnelle qui ne se satisfaisait ni du ritualisme vide des religions naturelles ni des concepts froids de la philosophie …

Pourquoi le christianisme?
Le Figaro
09/03/2009

L’historien de l’antiquité Lucien Jerphagnon et le philosophe Luc Ferry cosignent un recueil d’entretiens, La Tentation du christianisme (Grasset). Dans quel contexte intellectuel et social une nouvelle religion, née à Jérusalem, prospéra dans le monde romain ? Et quelle rupture apporta- t-elle pour la construction du monde moderne ? Nous publions les principaux extraits de leur livre, à paraître le 10 mars.

«Gaius ? Un type bien. Dommage qu’il soit chrétien !» Voilà, dit Tertullien, ce qu’on entendait dire. Les sociétés ont toujours détesté qu’on ne soit pas «comme tout le monde». D’où tant d’allusions méprisantes chez des gens aussi différents que Suétone, Tacite, Epictète, Trajan, Pline le Jeune, Marc Aurèle, Lucien… Tant d’invraisemblances aussi que le peuple prêtait aux chrétiens : l’âne crucifié, les orgies… Tant de crimes aussi, dont l’incendie de Rome en 64. Même Tacite proteste contre cette calomnie ! Et jusqu’aux dérèglements climatiques dont on les disait responsables : les crues du Tibre, les absences de crue du Nil, etc.

Tout venait de ce qu’aux yeux des Romains ou assimilés, ces chrétiens, des gens comme tout le monde, osaient ne pas prier comme tout le monde. Non qu’on leur reprochât d’adorer leur Christus, encore qu’il parût insolite, et à bien des égards. Un Juif qui avait encouru sous Tibère la crucifixion, la peine des esclaves, n’était pas recommandable a priori. Et puis, ce que racontaient ses fidèles, qu’il était né d’une vierge, etc. À ceux qui ricanaient, Tertullien rétorquait : «Acceptez cette fable pour le moment : elle est semblable aux vôtres !» (…) «Folie pour les païens, éthnesin dé môria», reconnaît l’apôtre Paul. Quant aux intellectuels, un Celse au IIe siècle, un Porphyre au IIIe, ils objectaient que l’incarnation même du logos contredisait sa transcendance. Bref, enrage Tertullien : «On nous prend pour des nuls(uani), pour des rigolos (irridenti).»

Pourtant, la vraie question n’était pas là. L’inadmissible, c’était d’entendre ces chrétiens soutenir qu’il n’y avait de dieu que Christus, précipitant d’un coup tout le Panthéon dans le néant. Tertullien, dans l’Apologeticum, ne s’en gêne pas. Pareil sacrilège scandalisait fatalement ceux qui de tradition attendaient tout de leurs dieux, à commencer par la sécurité. Depuis toujours, les dieux veillaient sur la cité ! Sur une cité qui peu à peu s’étendra jusques aux confins du monde : «Rome, toi qui as fait une cité de ce qui jadis était l’univers…» dira au Ve siècle Rutilius Namatianus le Gaulois. Ces chrétiens, pour qui se prennent-ils ? Oser dire que nos dieux n’existent pas ! Des sans-dieux, voilà ce qu’ils sont, et comme tels, dangereux. «On nous traite d’athées !» déplore Justin. Une accusation lourde de conséquences : les chrétiens auront beau protester de leur civisme, payer leurs impôts, prier pour César, comme l’assurent tant de textes des Pères, rien n’y fera. Car en se refusant à accomplir – fût-ce sans y croire – les actes sacrificiels jugés indispensables depuis toujours à la grandeur de Rome, à sa sécurité, ces gens n’exposent-ils pas l’Empire à des mesures de rétorsion de la part des dieux, si tatillons sur ce point ? Ainsi, aux yeux de Celse, au IIe siècle, les chrétiens n’étaient ni plus ni moins que des déserteurs. Cela même leur vaudrait, et durant trois siècles, de nombreuses persécutions. A fortiori s’ils se dérobaient à leur devoir quand un empereur, contraint de faire face à une situation difficile, en appelait au civisme religieux de tous et de chacun dans l’Empire (…)

Ainsi, la civilisation romaine avait cantonné jusque-là le religieux dans la sphère du domestique, et surtout du politique, et avec une rigueur tout administrative. C’était la religion du «nous, les Romains», et de toute évidence elle primait les éventuels états d’âme du «moi, Marcus» ou «moi, Julia». Ne serait-ce pas cela qui pouvait faire naître, chez des gens plus évolués, le sentiment d’un vide, d’un manque ? Disons : d’une carence spirituelle, sinon métaphysique ? Ce qui déjà expliquerait le thème récurrent de l’epistrophé, de la conversio ad philosophiam. En ces temps, la philosophie pouvait être un recours ou un secours. On la regardait comme un art de vivre, une sagesse que chaque école définissait à sa façon. Certains trouvaient là ce supplément d’âme que la religion à la romaine ne procurait guère. Voyez Marc Aurèle. Entre tout ce qu’il dit devoir aux dieux, la première chose c’est – je cite : «de ne m’être jamais laissé aller à un manquement envers aucun, quoique, vu mon caractère, j’aurais bien pu en venir là, l’occasion aidant…». Il leur doit aussi d’être tombé sur la bonne philosophie : le stoïcisme, où précisément la divinité ne fait qu’un avec l’idée de nature. On remarque qu’il a intitulé Tà eis eautón (Les Choses à lui), ce carnet où nous pouvons justement observer au jour le jour cette symbiose stoïcienne de l’âme, du cosmos et des dieux. Cent ans plus tard, Plotin, qui aura de la déité l’idée la plus haute qui soit, ne sera pas pour autant très «pratiquant». À Amélios qui le convie à une cérémonie, il répond : «C’est aux dieux de venir à moi, et pas à moi d’aller à eux.» Ironie de la providence : c’est grâce à Plotin qu’un siècle plus tard, le jeune Augustin verra son idée de Dieu, jusque-là si confuse, se transfigurer.

Mais la philosophie n’intéressait qu’un petit nombre de lettrés. Et même parmi cette élite, il n’est pas dit que tous s’en contentaient. En effet, le conceptuel et l’affectif sont des visées différentes d’une même conscience, fût-ce dans la relation avec l’absolu. Et donc, chez certains, un manque affectif pouvait subsister sur un autre plan que celui de la systématisation du cosmos et du divin. Ainsi Justin l’Apologiste : il avait tâté de plusieurs écoles, et finalement s’était fait chrétien. Ce qui lui avait valu de mourir décapité sous Marc Aurèle, qui ne voyait pas pourquoi les chrétiens mouraient «par entêtement». Cela étant, peut-être serons-nous mieux à même de discerner ce que visait au juste l’intention qui animait ces consciences-là. Ces consciences que ne saturaient ni le ritualisme, ni les concepts. À quoi peut bien aspirer celui que hante le sentiment d’une absence, sinon à une présence ? Aussi, ce que nous avons vu des ex-voto du père Festugière pourrait nous mettre sur la voie de ce que cherchaient ces gens. «Un dieu sensible au cœur», dit Pascal ; «Un absolu de dialogue», dit Duméry ; «La transcendance personnifiée», dit Luc Ferry. C’est qu’on ne parlait guère avec l’Olympe, pas plus qu’Aristote avec le premier moteur, ni que Plotin avec «l’au-delà de l’essence». Pas facile d’aller confier ses angoisses et ses espérances à l’idée de nature, de s’épancher dans la cause première. Or, voilà qu’à croiser des chrétiens, à les regarder vivre – et mourir -, à s’entretenir avec eux à l’occasion, on pressentait comme une autre façon de voir, de se voir, de voir les autres, et d’entrevoir le divin. On ne change pas tout seul, un beau matin, de vision du monde : on pose des questions, on échange des points de vue, et parfois on en vient à partager des ferveurs. Car, même si les «premiers chrétiens» n’étaient pas tous des vierges et des martyrs façon péplum, reste qu’aux yeux des païens «en manque», quelque chose venait à faire envie. Il y avait chez ces chrétiens comme une présence, qu’ils étaient les seuls à éprouver. Une présence qui inspirait leur comportement global, et pas seulement religieux. Même entre eux, les rapports semblaient différents. Comme s’ils n’étaient jamais seuls. Comme si cette présence-là les accompagnait tous et chacun au long de leurs jours et, à les en croire, au-delà même de la mort et pour l’éternité.

9 Responses to Désinformation: Les Michael Moore du christianisme se font enfin remettre à leur place (Historians throw the Book at Christianity’s Michael Moores)

  1. jcdurbant dit :

    Merci Letel pour cet éclairant débat et, contre le travestissement du premier christianisme en “tromperie” par rapport à un message christique prétendument purement juif et politique des “chevaliers de l’Apocalypse”, cet extrait qui rappelle bien l’image menaçante de religion de l’anti-religion que donnait alors, dans un monde romain voué au culte de l’empereur, le christianisme naissant, d’où les persécutions.

    Mais aussi l’attraction que pouvait avoir celui-ci pour une société en mal de religion personnelle qui ne se satisfaisait ni du ritualisme vide des religions naturelles ni des concepts froids de la philosophie …

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  2. bruno dit :

    Je viens d’acheter un peu par hasard le livre de Salamito. Comme je me suis définitivement écarté de la télévision (sauf hélas pour payer le racket annuel, et parfois regarder une finale de Roland Garros), je découvrais la dernière des duettistes Prieur et Mordillat. Ils n’en sont pas à leur coup d’essai ; ils sont même atteints de monomanie. Ou ils ont trouvé le filon qui paie pour eux.
    Il peut être intéressant de retourner aux archives du début de l’année 2004, quand ils se sont fendus d’une frénétique et sournoise attaque du film de Mel Gibson, la Passion.
    Voici ce qu’en avait retenu un journaliste :
    « Grâce à MM. Prieur et Mordillat, qui travaillent pour la télévision, j’ai appris du nouveau sur Jésus. Enfant adultérin d’une femme dont la réputation n’est pas excellente, il quitte la Galilée du collaborateur Hérode pour Jérusalem. Avec douze complices, il menace la paix romaine. Gouverneur des autorités d’occupation, Ponce Pilate ne s’y trompe pas. Il le fait arrêter et exécuter. Ensuite, mais bien après, naîtra le christianisme, mouvement fasciste qui a pris son envol au Ve siècle. »
    Ils n’ont de surcroît même pas le mérite de l’originalité. Car ils ne sont pas les seuls à nous servir en permanence une thèse antichrétienne récurrente, sous des sauces à peine personnalisées.
    Au début des années 90 sévissait particulièrement un nommé Messadié. Pseudo scientifique mais vrai héritier de la tradition maçonnique, il trôna longuement à la rédaction de « Science & Vie », canard fondé jadis par les frères pour démontrer la vérité du Scientisme et l’inanité du christianisme.
    Les tonnes de bouquins qu’il a pondu (un désastre écologique, toutes ces forêts abattues) tournent autour de la même thèse reprise par les duettistes télévisuels.
    – « Le christianisme est une supercherie fasciste fabriquée par ce salaud de Paul de Tarse ».
    Tresmontant s’était occupé à un moment donné d’analyser son fatras mensonger. Mais à quoi bon, finit-on par se dire.
    C’est tellement à la mode chez les antichrétiens de tout poil (faute de trouver autre chose, sans doute), que ce leitmotiv est repris sur un site islamique ciblant les chrétiens, nommé, oh joie, « aimerjésus » !

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  3. […] les plus sanglants qui ont suivi, avec le développement de toutes sortes d’hérésies, l’Edit de Thessalonique de Théodore Ier (380) interdisant en effet le […]

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  4. stephanie dit :

    « thèse résolument antichrétienne, celle de la trahison de Jésus par les siens. »

    Je n’ai lu qu’un livre d’eux et ce n’est pas l’interpretation que j’en fait. La these me semble-t-il soulevee par les auteurs de l’Apocalypse est plus celle des « conflits » (qui n’entend pas necessairement trahison, violence, etc.. mais difference, changement voire separation, lutte de pouvoir)au coeur des processus de changements ou de maintien des organisations.

    Je ne vois donc pas de tentative malintentionnee.

    « Certes, l’histoire n’appartient pas aux historiens, mais sans eux et leur expertise l’analyse risque de se réduire à l’expression d’une opinion sans fondement scientifique. »

    Oui ca je l’ai deja entendu dans vos cours. La vulgarisation historique fait toujours peur semble-t-il, pourtant ici je vois a quel point elle est enrichissante lorsqu’elle ouvre le debat au public.

    Le fondement scientifique ne se resumerait-il pas a l’honnetete intellectuelle de reconnaitre que malgre un savoir encyclopedique il reste dans le travail du scientifique une part importante de subjectivite et de conditionnement ( baggage educatif notemment) et qui pousse l’auteur a adopter une approche theorique particuliere!

    Il serait interessant que Mr. Sartre et Mr. Salamito exposent clairement leur approche theorique ou plus concretement de « quelle ecole de pensee » ils sont issus.

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  5. Jak dit :

    @Stephanie
    Ce qui est malhonnête, chez Mordillat et Prieur, c’est de déguiser leur propagande antichrétienne en enquête historique.
    Bien sûr, après coup, ils sont clairement montré leur antichristianisme, lorsqu’ils ont publié leur ouvrage « De la crucifixion, considérée comme un accident du travail ».
    Mais après coup seulement.
    Auparavant, ils se faisaient passer pour d’honnêtes journalistes résumant objectivement la pensée des historiens.
    Et ils ont été pris pour tels par beaucoup de téléspectateurs naïfs.

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  6. […] sur Arte (visionnable toute la semaine sur leur site) du fameux documenteur du Michael Moore (ou Mordillat) israélien Dror Morey (« The Gatekeepers/Israel confidential) […]

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