Présidentielle 2007: les trois tabous de la campagne (Guy Sorman)

https://i0.wp.com/upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/e/e7/France_map_labour_protests_CPE_23-3-2006.png/300px-France_map_labour_protests_CPE_23-3-2006.pngJe suis convaincu que le libéralisme est voué au même échec que le communisme et qu’il conduira aux mêmes excès. L’un comme l’autre sont des perversions de la pensée humaine. Jacques Chirac
Dans l’Hexagone, le terme « libéral » est devenu une insulte. Mais c’est un hommage à la vertu. Il y a 25 ans, personne ne l’utilisait. (…) Par ailleurs, je ne vois pas contre qui sont les antilibéraux. Leur antilibéralisme égale antimondialisme égale antiaméricanisme. Guy Sorman

A l’heure où l’actuel squatter et (Dieu merci) très prochain SDF de l’Elysée profite de ses derniers jours pour sortir les deux volumes de ses impérissables chiraqueries, à savoir ses sempiternelles variations et avertissements sur les « méfaits » du libéralisme, sorties, ironie du calendrier,… la veille même du 50e anniversaire de l’Europe qui nous a rendus riches …

A l’heure donc où le même incorrigible responsable des douze années d’immobilisme que nous venons de vivre se paye en fait (et contre son propre camp!) un aussi ultime que dérisoire réglement de comptes avec (suivez mon regard!) « ceux qui pensent que le salut de la France passe par une brutale saignée libérale et par le démantèlement de notre modèle social » et le « concept pernicieux de la discrimination, même positive » …

Au moment où, de l’autre côté, la Royal multiplie les déclarations, aussi contradictoires les unes que les autres. Il ne faut pas parler d’identité nationale mais… sortir les drapeaux! Ou: il faut lutter contre l’immigration clandestine mais… donner des papiers à tous les clandestins! (du moins ceux qui auront été assez malins pour scolariser leurs enfants) …

Il fait lire, sur le site de France 2, l’intéressant entretien de l’essayiste Guy Sorman sur la campagne présidentielle.

Ou plus précisément, sur les trois problèmes centraux de la dette, l’intégration et du terrorisme, ou plutôt, sur les tabous dont ils sont entourés en France.

Sur la dette, le tabou, c’est en fait le surdimentionnement de l’Etat : un tiers de plus qu’ailleurs et donc… un tiers de plus d’électeurs potentiels à affronter !

Sur l’intégration, la vache sacrée, ce serait plutôt le Code du travail et les entraves à la liberté du travail (SMIC, charges, impossibilité de licencier) qui protègent les privilégiés détenteurs d’un emploi ou futurs diplômés (voir le ridicule des manifs d’étudiants contre le CPE, destiné justement aux… non-diplomés!) sur le dos des sans-emploi, et donc les jeunes souvent issus de l’immigration. Mais aussi le refus, parce que d’origine américaine, d’une politique de la « diversité », qui ne peut bien sûr fonctionner (ce qui montre bien que tous les problèmes sont liés) que s’il y a des emplois à répartir.

Et enfin sur le terrorisme, la guerre mondiale que les jihadistes ont déclarée au Monde libre (et à tous ceux qui aspirent à la liberté, les premières victimes, faut-il le rappeler, en étant les musulmans eux-mêmes). Et où, à nouveau, le grand tabou, c’est l’Amérique avec laquelle il faut éviter de s’aligner trop ouvertement alors que, comme notre police et notre justice au niveau intérieur et européen, notre armée y est déjà (de l’Afghanistan à la Bosnie en passant par l’Afrique) largement impliquée. On se souvient des attaques contre Sarko l’Américain, qui a depuis dû considérablement désaméricaniser ses propos – jusqu’à renier son soutien de l’intervention contre le dictateur Saddam !

L’état de la France vu par Guy Sorman
France 2
le 16/03/07

L’interview de Guy Sorman

Comment voyez-vous l’état de la France à la veille de la présidentielle ?

A mon sens, la France se distingue du reste du monde par trois facteurs : sa dette, la difficulté de l’intégration des jeunes issus de l’immigration et le terrorisme. Il s’agit de trois problèmes centraux plus ou moins abordés dans cette campagne. Mais plutôt moins que plus…

En ce qui concerne la dette, les candidats disent vouloir la réduire. Mais ils ne parlent de ce qui est en à l’origine. A savoir le problème d’un Etat surdimensionné qui fait plus de choses qu’ailleurs, des choses qui ne sont pas forcément nécessaires. Pourtant, partout, on a réduit la dimension de l’Etat. Mais cela n’a pas été fait en France.

Ce fait est la raison principale du chômage. Car tout argent que l’Etat absorbe, c’est autant de moins que les entreprises n’investissent pas. Il écrème les fonds nécessaires par les impôts et l’emprunt. Résultat : en France, il y a peu d’investissements quand on compare la situation avec ce qui se fait dans les autres pays de l’OCDE.

Vous faites là un bien rude constat …

Mon propos n’est pas polémique. Cette analyse est partagée par tous les économistes. Ce qui manque dans l’Hexagone, c’est une réflexion pour savoir à quoi sert l’Etat, dans quels domaines il devrait intervenir. Evidemment, poser la question est politiquement dangereux : en France, il y a un tiers de fonctionnaires de plus qu’en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas ou en Espagne !

Les deux secteurs où l’on dépense le plus sont l’enseignement public et l’armée. Naturellement, personne ne va dire qu’il faut réduire ces dépenses ! Pourtant, il convient de les rationaliser. Que je sache : en Grande-Bretagne ou en Espagne, les gens ne sont pas moins bien éduqués.

Je le répète, le premier problème, c’est la dimension de l’Etat. La dette n’en est qu’une conséquence.

Comme second problème, vous évoquiez tout à l’heure l’intégration des jeunes issus de l’immigration…

Oui, si l’on compare avec d’autres pays, la France n’a pas d’autre problème sociétal. Dans ce domaine, la première difficulté, c’est l’emploi. Actuellement, tout ce qui est fait joue contre les jeunes sans qualification. En augmentant SMIC et charges, on dissuade, à cause du coût, les employeurs d’embaucher. Il en va de même pour l’impossibilité de licencier. Or si on veut intégrer, il faut libérer le travail.

Avec le CPE, le gouvernement disait vouloir procéder de cette manière. Mais cette politique a déclenché de très importantes manifestations…

Le CPE, c’était le combat des privilégiés contre la perte des privilèges. Les étudiants qui manifestaient n’avaient pas conscience des problèmes. Il faut dire aussi que le gouvernement Villepin n’a rien expliqué. Quand on fait des réformes de ce genre, il faut commencer par une pédagogie.

La question est de savoir comment on organise le marché du travail pour que les jeunes y accèdent. Mais il faut que le problème soit clairement posé pour qu’ensuite on s’interroge sur les mécanismes, sur la manière d’organiser les choses.

Et la question de l’intégration proprement dite ?

Je pense qu’il faut comme aux Etats-Unis mener une politique d’ »action affirmative » (affirmative action en anglais), de « discrimination positive », comme on dit en France. En fait, aux Etats-Unis aujourd’hui, on parle plus de « diversité ». Une diversité qui, dans ce pays, est obligatoire à tous les niveaux et est contrôlée par des juges. Elle a débuté dans la police. Résultat : aujourd’hui, dans celle de New York, on a 20 à 30 % de noirs, ce qui est le reflet de la population locale. Dans l’armée, c’est pareil.

La discrimination positive, évidemment, Nicolas Sarkozy en parle. Mais une telle politique ne peut pas fonctionner s’il n’y a pas de créations d’emplois. Tous les problèmes sont liés.

Comme troisième problème, vous avez mentionné le terrorisme…

Le terrorisme, la violence internationale sont des thèmes très absents de la campagne électorale. Pourtant, l’Hexagone n’est pas à l’abri. On ne peut pas ignorer que s’est constituée une branche algérienne d’Al Qaïda qui a la France en ligne de mire.

L’armée française, qui est une armée importante, est présente dans de nombreux pays, de l’Afghanistan à la Bosnie en passant par l’Afrique. Pourtant, il n’y a pas de réflexion sur sa place dans le monde, sur son rôle. On ne se demande pas qui est l’ennemi, comment il faut combattre, avec qui.

Regardez la polémique sur un second porte-avions nucléaire, notamment avec Ségolène Royal. On fournit des réponses sans poser les questions !

Tout cela vous amène-t-il à dire que la France est en déclin ?

C’est ce que disent les « déclinologues ». Ce qui ne fonctionne pas chez nous, c’est l’Etat. Mais la société française, elle, ne fonctionne pas trop mal. Il en va de même pour les grandes entreprises multinationales françaises.

Mais il ne faut pas négliger le fait que la France connaît une série d’érosions. Plusieurs millions de jeunes se retrouvent ainsi au bord de la route, comme je le disais plus haut. De plus, on assiste à un affaissement des positions économiques en raison de la baisse de l’investissement. Si on ne remédie pas à cette situation, on va à la décadence. Il y a donc menace de décadence.

Comment jugez-vous le système américain, souvent pris en modèle par les libéraux ?

On ne peut pas comparer la France et les Etats-Unis. Car les deux sociétés sont fondées sur des principes économiques, philosophiques et politiques très différents.

Aux Etats-Unis, le mécanisme de l’intégration fonctionne assez bien. De même que l’économie. Il y a 4 % de chômeurs. C’est vrai qu’on trouve une vraie pauvreté, liée à l’immigration. Mais la croissance est extraordinaire. Elle permet de financer la première armée du monde, dont le budget représente 3 % du budget fédéral, sans peser sur les contribuables. Une chose qui ne marche pas, c’est la lutte contre le terrorisme. Mais je le répète : la comparaison avec la France reste impossible.

Vous définissez-vous comme un libéral ?

Oui. Mais comme un libéral français, au sens classique du terme tel qu’on l’a utilisé de Turgot à Raymond Aron. Personnellement, j’appartiens à l’école de Raymond Aron. Je n’ai ni le culte des Etats-Unis, ni celui de l’économie de marché. Pour moi, celle-ci est une mécanique au service de l’action politique.

Que pensez-vous du débat autour du libéralisme et de l’antilibéralisme ?

Ce débat ne m’intéresse pas ! Ce qui m’intéresse, c’est de savoir quels sont les moyens permettant de faire progresser l’idée de liberté. Dans le cas de l’intégration, par exemple, c’est à l’Etat d’intervenir. Mais pour le chômage des jeunes, il faut assouplir le Code du travail. De leur côté, les libéraux ultra placent souvent la réponse avant la question.

En fait, je ne pense pas que le libéralisme et l’ultralibéralisme soient représentés sur la scène politique française. Leurs adeptes sont surtout des universitaires.

Je constate simplement que dans l’Hexagone, le terme « libéral » est devenu une insulte. Mais c’est un hommage à la vertu. Il y a 25 ans, personne ne l’utilisait. Et aujourd’hui, le libéralisme est redevenu une école. Pour autant, on le confond souvent avec le mondialisme. Par ailleurs, je ne vois pas contre qui sont les antilibéraux. Leur antilibéralisme égale antimondialisme égale antiaméricanisme.

Dernière question : que pensez-vous d’internet ?

Ce qui m’intéresse avec ce média, c’est son côté instantané. Quand j’écris dans mon blog, je reçois tout de suite des commentaires et des réactions. Je peux ainsi tester mes idées, repérer les points sensibles de l’opinion. Cela m’apporte véritablement quelque chose. Il faut dire que mon blog n’est pas narcissique !

1 Responses to Présidentielle 2007: les trois tabous de la campagne (Guy Sorman)

  1. […] Le terrorisme, la violence internationale sont des thèmes très absents de la campagne électorale. Pourtant, l’Hexagone n’est pas à l’abri. On ne peut pas ignorer que s’est constituée une branche algérienne d’Al Qaïda qui a la France en ligne de mire. L’armée française (…) est présente dans de nombreux pays, de l’Afghanistan à la Bosnie en passant par l’Afrique. Pourtant, il n’y a pas de réflexion sur sa place dans le monde, sur son rôle. On ne se demande pas qui est l’ennemi, comment il faut combattre, avec qui. Regardez la polémique sur un second porte-avions nucléaire, notamment avec Ségolène Royal. On fournit des réponses sans poser les questions! Guy Sorman […]

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