Election américaine et médias: Plus modeste que moi, tu meurs! (Obama and the Media: Give credit where credit is due)

In the tank for Obama
Covering Obama
In bed with Obama
Il y a un culte de la personnalité légèrement inquiétant dans tout ça. (…) ça me met un peu mal à l’aise qu’il soit si singulier. Il contrôle clairement son propre spectacle. C’est quelqu’un de profondément manipulateur. Evan Thomas (Newsweek, aveu post-électoral)
La présidence de Barack Obama, dans la mer agitée que nous connaissons, avec les plages obscures de son passé et ses accointances, la vacuité de son discours, le risque, révélé par son colistier, qu´il se fasse flouer par les ennemis du monde libre m´apparaît infiniment périlleuse. (…) L´innocence d´Obama m´inquiète, de même que ses longues fréquentations extrémistes antisémites et anti-israéliennes. Pour fournir une échelle de comparaison et donner matière à réflexion à ceux qui crient à la rumeur et prétendent que c´est sans importance, les théories des gens qu´Obama a côtoyés durant des décennies forment un mélange désavantageux de celles de Dieudonné et de la tribu-Ka. Stéphane Juffa
Tout cela ne prouve pas, bien sûr, qu’un Président Obama conduirait la politique de ces dangereux cinglés. Mais on ne peut pas échapper au choix suivant: soit Obama partageait les convictions de ces gens jusqu’à un âge avancé, auquel cas il ment probablement dans son centrisme actuel; soit il ne partageait pas leurs convictions mais ne voyait pas de difficulté à les fréquenter, auquel cas on peut se poser des questions sur son jugement; soit, enfin, il ne les a fréquentés que pour constituer une base politique qui le lancerait et qu’il pourrait trahir plus tard. La dernière explication est la plus rassurante, mais elle fait d’Obama un homme politique cynique, comme les autres, et non un Messie. Sébastien Castillion
Soupçonné d’être un traître, un partageux, un socialiste, l’ami intime de poseurs de bombes, le disciple d’un prédicateur enragé, Barack Obama l’a finalement emporté haut la main. Denis Lacorne (directeur de recherche au CERI, Sciences Po)

Au lendemain du hold up réussi du caméléon de Chicago …

Et du concert de louanges dont il a été salué …

Il y a pourtant un groupe d’acteurs qui n’a pas compté sa peine, et qui, modestie oblige, a étrangement été oublié: nos journalistes et nos chercheurs!

Démonstration avec ce petit joyau d’hagiographie et surtout de dissimulation dans le portrait du nouveau Messie par le correspondant aux Etats-unis du Figaro au surlendemain de l’élection.

Dès le titre, les côtés caméléon du monsieur sont transfigurés en « l’homme multiple ».

Mais, contrairement à un chercheur comme Denis Lacorne qui dès la première phrase et le premier mot balaie toutes les zones d’ombre par un brillant « soupçonné » (voir ci-dessus), tout (à quelques omissions près) y est pourtant:

« Agit-prop », le choix stratégique et calculé du « pasteur Jeremiah Wright » et ses « sermons enflammés » (« pour rallier à son action locale ») …

« L’alliance » avec la fille « du South side », qui « vaut enracinement et sera cruciale dans l’attitude de la communauté afro-américaine » …

Le choix de la « faculté de droit de Harvard, la plus prestigieuse » (certes sans thèse ni articles, omet-on de nous préciser) …

L’élection à la « présidence de la prestigieuse Law Review » … qui lui vaut les contrats de livres qui le voient qualifié d’ « écrivain » pour trois livres (« autobiographiques », nous dit-on, autrement dit… à la gloire de lui-même !) …

Le choix calculé d’une circonscription à Chicago, « ville réputée pour ses mœurs politiques brutales » (comprenez: la municipalité la plus corrompue des Etats-unis) …

La « disqualification », dès sa première élection au sénat de l’Etat d’Illinois en 96, des adversaires par la « mise en cause des signatures recueillies par son adversaire » (en fait ses adversaires et sous les prétextes les plus minces, qui le feront se retrouver seul en lice, mais à quoi bon le préciser?) …

La « divulgation », pour sa deuxième élection au Sénat à Washingon en 2004, de « documents compromettants sur le divorce de son rival » (de ses deux rivaux en fait – dès les primaires – et de documents censés être sous scellés et qui conduira à l’abandon ou à l’effondrement des candidatures desdits adversaires, mais pourquoi embêter le lecteur avec tous ces fastidueux détails?)…

Le (beau) « discours à la convention démocrate en 2006 » qui le fera connaître …

Le « vote avec prudence » et la « distance à de nombreux dossiers sensibles » (lire : les 130 votes « présent » et l’absence totale de législation particulière attachée à son nom mais les votes systématiquement à la gauche de son parti sur tous les autres) …

Et, bouquet final, on y apprend même dans la conclusion que « certaines facettes de cet homme multiple ont été occultées » et que « depuis deux ans, ledit monsieur « s’est efforcé de ressembler aux électeurs qu’il courtisait » (traduction: le caméléon à nouveau – qu’en termes délicats ces choses-là sont dites !) …

Extraits:

il accepte un job d’«organisateur de communauté», mélange de travail social et d’agit-prop dans le South Side de Chicago. Il est payé 1 000 dollars par mois pour mobiliser une population noire à 95 % en faveur de projets de développement. Pour la première fois, il appréhende l’expérience des ghettos urbains américains, avec leurs codes, leur langage et leur violence.

Sans religion déterminée, il y choisit une Église, celle du pasteur Jeremiah Wright, dont les sermons enflammés ont fait polémique. Un choix à la fois affectif et calculé : l’afro-centrisme de la Trinité unie du Christ lui rappelle ses racines kenyanes, mais il a aussi besoin de rallier le révérend Wright à son action locale. Le temple est une sorte de chaudron bouillonnant où se mélangent la ferveur des Églises du Sud profond et le militantisme politique du «Black Power». Cela ne ressemble pas du tout au politicien «post-racial» d’aujourd’hui. Il y est pourtant resté plus de vingt ans.

À Chicago, Obama trouvera aussi sa nouvelle famille. Il rencontre Michelle Robinson en 1989, lors d’un stage d’été dans le cabinet d’avocats. Passée par Princeton et Harvard, elle est issue d’une famille modeste du South Side. (…) Cette alliance, qui vaut enracinement, sera cruciale dans l’attitude de la communauté afro-américaine à l’égard du candidat : d’abord réticente, elle a fini par le reconnaître comme l’un des siens, en grande partie grâce à Michelle.

Après trois ans dans le South Side et un voyage au Kenya, Barry, définitivement redevenu Barack, décide de reprendre ses études. Ce sera la faculté de droit de Harvard, la plus prestigieuse, dont il sortira docteur magna cum laude en 1991. L’ambition politique a commencé à germer en lui depuis longtemps : elle va s’épanouir à Harvard. En deuxième année, il est élu président de la prestigieuse Law Review, le premier Noir de l’histoire à occuper cette fonction. Il y parvient par le consensus, devenant le candidat de compromis de plusieurs factions rivales. Une vocation est née.

(…)

Mais une autre ambition le rattrape d’abord. Sa position à Harvard lui vaut d’être remarqué par un éditeur, qui lui propose d’écrire un livre sur les relations raciales aux États-Unis. Pour attirer ce jeune homme de talent, l’Université de Chicago lui offre un poste de chercheur. L’ouvrage prendra beaucoup plus de temps que prévu, évoluant en un récit autobiographique qu’il ira terminer pendant plusieurs mois à Bali avec Michelle.

(…)

Le succès politique de Barack Obama tient beaucoup à son art oratoire. Il lui permet d’exprimer un idéalisme en termes concrets qui résonnent dans l’opinion. Mais il ne faut pas sous-estimer le calculateur qui se cache derrière ces envolées. En choisissant une circonscription à Chicago, il s’oblige à faire ses preuves dans une ville réputée pour ses mœurs politiques brutales. Pour se faire élire au Sénat de l’Illinois en 1996, il n’hésitera pas à mettre en cause les signatures recueillies par son adversaire, obtenant sa disqualification. Durant la campagne qui le porte au Sénat de Washington en 2004, beaucoup ont reconnu sa main dans la divulgation de documents compromettants sur le divorce de son rival.

Dans l’enceinte du Capitole, le jeune sénateur joue la modestie. Starisé par ses livres et son discours à la convention démocrate en 2006, il prend le temps d’apprendre et de tisser ses réseaux. Cela lui coûte de longues heures d’auditions dans des commissions quasi désertes. Préférant les dîners de travail aux soirées mondaines, il laisse sa famille à Chicago, loge dans un petit studio du Chinatown de Washington. Il vote avec prudence, restant à l’écart de nombreux dossiers sensibles. «Il a traité le Sénat comme un pont à traverser», analyse le Washington Post. Vers son ambition ultime : la présidence.

(…)

Certaines facettes de cet homme multiple ont été occultées durant la course pour la Maison-Blanche. (…) Depuis deux ans, Barack Obama s’est efforcé de ressembler aux électeurs qu’il courtisait.

Barack Obama, l’homme multiple
De notre envoyé spécial à Chicago, Philippe Gélie
Le Figaro
06/11/2008

L’homme élu 44e président des États-Unis ne ressemble à personne. Pas seulement à cause de sa couleur de peau.

Le parcours et la personnalité de Barack Obama en font un cas à part dans l’histoire politique américaine, si original qu’il a divisé l’électorat entre enthousiasme et perplexité durant toute la campagne. Le simple fait qu’il soit arrivé aux portes de la Maison-Blanche est historique

Racines biraciales

Barack Obama est né le 4 janvier 1961 à Honolulu, Hawaï. Sa mère avait 18 ans, son père 25. Il était noir comme le jais, elle blanche comme le lait. Il venait du Kenya, membre de la tribu des Luo, et faisait partie de la première vague d’étudiants africains admis dans les universités américaines. Elle appartenait à une famille du Kansas poussée vers l’Ouest par la quête d’une vie meilleure. Dans l’Amérique des années 1960, creuset des affrontements raciaux et de la génération beatnik, l’«étranger» semble avoir aisément surmonté les préjugés, grâce à son intelligence, son charme et sa suprême assurance.

Ce père restera une image floue, presque mythique, pour le jeune Barack. Il disparaît quand celui-ci a 2 ans, pour aller poursuivre son cursus à Harvard, avant de retourner au Kenya. Il y aura six autres enfants, avec trois autres femmes. Il ne reverra le petit Américain qu’une fois, huit ans plus tard, lors d’un séjour d’un mois à Hawaï, durant lequel le père et le fils n’ont pas grand-chose à se dire. Il n’aura jamais la brillante carrière qui lui semblait promise et mourra dans un accident de voiture en 1982. Pour le jeune Barack, la quête de cette part de son identité va constituer un préalable complexe à la construction de sa personnalité.

Jeune citoyen du monde

Lorsque l’enfant a 6 ans, sa mère part avec lui en Indonésie rejoindre son nouveau mari, Lolo Soetoro. Barack passera quatre ans à Jakarta, au milieu des singes et des animaux exotiques, jouant dans la rue avec ses voisins dont il apprend rapidement la langue. Il goûte à la viande de chien et de serpent, mange des sauterelles grillées. «Une longue aventure, un bonus accordé à un petit garçon», écrit-il dans ses Mémoires *. S’il baigne dans la culture musulmane locale, il est inscrit dans une école publique, où l’enseignement n’est pas islamique. Sa mère le réveille à 4 heures du matin pour lui faire travailler son anglais.

Ce n’est que bien plus tard, en 1988, que Barack Obama découvrira l’Europe, pendant trois semaines, puis le Kenya, pendant plus d’un mois. À Londres, Paris, Madrid, il admire les vieilles pierres, mais ne s’y reconnaît pas. À Nairobi, pour la première fois, il ressent «l’aisance, la stabilité identitaire» apportée par un nom «que personne n’écorche». Il fait la connaissance de son autre famille, innombrable, généreuse, parfois envahissante. Il découvre un pays marqué par le colonialisme et le tribalisme, où les schémas politiques occidentaux n’ont pas cours. C’est un voyage intime, une quête de soi, qui l’ancre définitivement dans sa double culture.

Enfant de la «middle class»

À 10 ans, sa mère renvoie «Barry» à Hawaï pour vivre avec ses grands-parents. Il intègre Punahou, le lycée de l’élite locale. Il y prend conscience de son identité raciale, mais en douceur, dans une société ethniquement plus diverse que sur le continent. Une passion pour le basket s’empare de l’adolescent. Elle ne le quittera plus : c’est ainsi qu’il se défoule aujourd’hui du stress de la politique.

Son grand-père travaille dans un magasin de meubles, puis vend des assurances, tirant le diable par la queue. Sa grand-mère démarre au bas de l’échelle dans une banque, dont elle finira vice-présidente. Revenue d’Indonésie pour quelques années en 1972, avec une fille de 2 ans, sa mère a parfois recours aux bons de nourriture du gouvernement. Elle mourra d’un cancer en 1995, à 52 ans, en bataillant avec son assurance-maladie pour faire rembourser son traitement. C’est ce versant-là de son histoire que Barack Obama a mis en avant durant sa campagne : l’expérience typique d’un enfant de la classe moyenne américaine, dans laquelle peut se reconnaître la majorité blanche.

L’Afro-Américain

Après quatre années à New York, diplômé de Columbia, le jeune homme débarque à Chicago en 1985 au volant d’une vieille Honda essoufflée. Alors que s’ouvrent à lui les portes du monde des affaires, il accepte un job d’«organisateur de communauté», mélange de travail social et d’agit-prop dans le South Side de Chicago. Il est payé 1 000 dollars par mois pour mobiliser une population noire à 95 % en faveur de projets de développement. Pour la première fois, il appréhende l’expérience des ghettos urbains américains, avec leurs codes, leur langage et leur violence.

Sans religion déterminée, il y choisit une Église, celle du pasteur Jeremiah Wright, dont les sermons enflammés ont fait polémique. Un choix à la fois affectif et calculé : l’afro-centrisme de la Trinité unie du Christ lui rappelle ses racines kenyanes, mais il a aussi besoin de rallier le révérend Wright à son action locale. Le temple est une sorte de chaudron bouillonnant où se mélangent la ferveur des Églises du Sud profond et le militantisme politique du «Black Power». Cela ne ressemble pas du tout au politicien «post-racial» d’aujourd’hui. Il y est pourtant resté plus de vingt ans.

À Chicago, Obama trouvera aussi sa nouvelle famille. Il rencontre Michelle Robinson en 1989, lors d’un stage d’été dans le cabinet d’avocats. Passée par Princeton et Harvard, elle est issue d’une famille modeste du South Side. Son père travaille à la compagnie des eaux, son frère brille dans le championnat de basket universiatire. Marié en 1992, le couple aura deux filles : Malia, 11 ans, et Sasha, 7 ans. Cette alliance, qui vaut enracinement, sera cruciale dans l’attitude de la communauté afro-américaine à l’égard du candidat : d’abord réticente, elle a fini par le reconnaître comme l’un des siens, en grande partie grâce à Michelle.

Juriste et écrivain

Après trois ans dans le South Side et un voyage au Kenya, Barry, définitivement redevenu Barack, décide de reprendre ses études. Ce sera la faculté de droit de Harvard, la plus prestigieuse, dont il sortira docteur magna cum laude en 1991. L’ambition politique a commencé à germer en lui depuis longtemps : elle va s’épanouir à Harvard. En deuxième année, il est élu président de la prestigieuse Law Review, le premier Noir de l’histoire à occuper cette fonction. Il y parvient par le consensus, devenant le candidat de compromis de plusieurs factions rivales. Une vocation est née.

Mais une autre ambition le rattrape d’abord. Sa position à Harvard lui vaut d’être remarqué par un éditeur, qui lui propose d’écrire un livre sur les relations raciales aux États-Unis. Pour attirer ce jeune homme de talent, l’Université de Chicago lui offre un poste de chercheur. L’ouvrage prendra beaucoup plus de temps que prévu, évoluant en un récit autobiographique qu’il ira terminer pendant plusieurs mois à Bali avec Michelle. À sa sortie, en 1995, Les Rêves de mon père figure 61 semaines en tête des ventes. Le tome suivant, L’Audace de l’espoir, y restera quatre mois en 2006.

Le politicien de Chicago

Le succès politique de Barack Obama tient beaucoup à son art oratoire. Il lui permet d’exprimer un idéalisme en termes concrets qui résonnent dans l’opinion. Mais il ne faut pas sous-estimer le calculateur qui se cache derrière ces envolées. En choisissant une circonscription à Chicago, il s’oblige à faire ses preuves dans une ville réputée pour ses mœurs politiques brutales. Pour se faire élire au Sénat de l’Illinois en 1996, il n’hésitera pas à mettre en cause les signatures recueillies par son adversaire, obtenant sa disqualification. Durant la campagne qui le porte au Sénat de Washington en 2004, beaucoup ont reconnu sa main dans la divulgation de documents compromettants sur le divorce de son rival.

Dans l’enceinte du Capitole, le jeune sénateur joue la modestie. Starisé par ses livres et son discours à la convention démocrate en 2006, il prend le temps d’apprendre et de tisser ses réseaux. Cela lui coûte de longues heures d’auditions dans des commissions quasi désertes. Préférant les dîners de travail aux soirées mondaines, il laisse sa famille à Chicago, loge dans un petit studio du Chinatown de Washington. Il vote avec prudence, restant à l’écart de nombreux dossiers sensibles. «Il a traité le Sénat comme un pont à traverser», analyse le Washington Post. Vers son ambition ultime : la présidence.

Le candidat

Certaines facettes de cet homme multiple ont été occultées durant la course pour la Maison-Blanche. Peu de références à l’Indonésie ou au Kenya, un seul discours sur la question raciale, un minimum d’allusions aux universités d’élite qu’il a fréquentées. Il a en revanche insisté sur son travail dans le South Side, sur les «valeurs» de sa famille maternelle, ses difficultés économiques et son service au pays. Depuis deux ans, Barack Obama s’est efforcé de ressembler aux électeurs qu’il courtisait.

Mais le jeu électoral ne peut masquer l’originalité de son parcours. Son pari résidait dans le reflet tendu à une société multiraciale, en pleine évolution et en proie aux doutes d’un nouveau siècle, entamé à l’ombre de deux guerres et d’une grave crise économique. S’il est élu, c’est sans doute que le pays l’attendait.

Voir aussi:

Election de Barack Obama: dimension historique et inquiétude politique
Stéphane Juffa

Metula News Agency
05/11/8)

La planète passe à la couleur

L´Amérique a voté, l´Amérique a élu Barak Obama, propulsé à la
Maison Blanche par 57 millions d´électeurs contre 52 millions à son
adversaire. Remportant probablement la victoire dans 28 Etats, contre
22 à John McCain.

Quelles que soient nos préférences politiques, nos craintes pour
l´avenir, nous commettrions une impardonnable erreur en passant à
travers l´historicité de cette élection. Le choix d´Obama recèle
plusieurs processus parallèles, attention alors à ne pas tout mélanger;
les priorités domestiques, la crise économique, la politique étrangère
et la sécurité du monde ne doivent pas faire d´ombre à la cooptation
du premier homme de couleur au rang de personnalité la plus
importante et la plus puissante de la planète.

Seule une très grande démocratie pouvait exprimer concrètement cette
préférence. Elle matérialise enfin l´égalité entre tous les hommes, met
un point final aux scories de la Controverse de Valladolid, donne
rétroactivement un sens aux souffrances endurées par les Africains,
« importés » en Amérique dans des navires à bestiaux, exploités comme
esclaves tels des bêtes de somme.

Aux USA, certes, mais également en Amérique du Sud, en Europe et
dans le monde arabe. Depuis la nuit dernière, les gens de couleur ont
non seulement une âme, mais ils sont encore reconnus capables par
leurs pairs de mener les affaires du monde. Le gnome Adolf, qui ne
leur serrait pas la main par peur de la contagion, a grillé une seconde
fois devant son bunker.

Surtout, que personne ne doute un seul instant de l´impact immédiat
que le choix d´Obama aura sur les vieux réflexes racistes! Depuis
cette nuit, parler de l´égalité entre les races n´est plus la prérogative
des humanistes éclairés, c´est un fait avéré.

Tout comme les Etats-Unis, tant critiqués, avec leur peine de mort,
leurs armes à feu, leurs télé-évangélistes et leurs dispositions ringardes sur l´IVG, ont montré aux autres peuples, que le problème de la couleur de la peau d´une personne n´en était pas un chez eux.

Tout aussi important, peut-être, la démonstration s´est déroulée en
douceur, les démons racistes sont restés enfermés dans leurs
bouteilles. La noirceur de Barak Obama n´a jamais occupé le moindre
espace dans le débat, ce n´est donc pas hier que les Américains ont
franchi le cap des vieux préjugés, car hier, ils n´existaient déjà plus.

C´est à peine si l´on est désormais capable de se rappeler que
l´abolition de l´esclavage n´a pas encore fêté ses 150 ans. Qu´au
XXème siècle, dans certains Etats, on pendait encore des « nègres » à « la
plus haute branche de l´arbre le plus proche » pour avoir regardé une
femme blanche à hauteur d´yeux.

Dans le Tennessee, il y a vingt-cinq ans, alors que je faisais mon
apprentissage de pilote, mon moniteur avait cessé de m´adresser la
parole après m´avoir vu inviter à danser une élève de Côte d´Ivoire au
bal de l´école.

Maintenant il aura un président noir, et ça me fait sourire. C´est
comme ouvrir toutes les fenêtres de sa maison, le matin, et respirer le
bon air frais à pleins poumons. Le monde est moins injuste, ce
mercredi, parce que les Américains lui ont donné une bonne leçon de
choses.

A tort ou à raison

Les sondages à la sortie des urnes l´ont démontré: la préoccupation
principale de 50% des Etasuniens relève de la situation économique.

Lors de l´interminable campagne électorale, les deux candidats se
trouvaient dans un mouchoir de poche jusqu´à la semaine noire de la
bourse américaine. Le mince avantage de McCain a fondu instantanément, et l´avance d´Obama, depuis, s´est faite irrattrapable.

Afin d´expliquer la victoire du Démocrate, on pourrait énumérer bien
des facteurs, les américanologues s´y sont employés, sur toutes les
chaînes de télévision, toute la nuit durant.

Certes McCain n´avait ni l´avantage de l´âge ni celui de la rhétorique,
et il aurait pu beaucoup mieux gérer sa campagne. Mais il aurait perdu
tout de même.

Ce ne sont pas les différences dogmatiques entre les deux prétendants
qui ont fait pencher la balance, pas plus que la situation en
Afghanistan ou en Irak, et encore moins les préoccupations relatives à
l´avenir d´Israël.

Ce n´est pas moi qui le dit mais les mêmes sondages effectués devant
les isoloirs. C´est la situation économique qui a fait sortir les
Américains de chez eux et constituer les queues impressionnantes
qu´on a vues devant les bureaux de vote.

C´est d´avoir entendu qu´un ami, qui travaillait chez General Motors
depuis vingt ans, avait été licencié en un jour. C´est la florescence des
affiches « A vendre. Propriété de la banque XY » sur les maisons de
leur rue. C´est le jeune couple d´en-face, auquel on a enlevé la voiture
car il avait cessé de payer ses traites.

C´est ce qui se déroule devant leurs yeux, qui a fait réagir les
Américains, quoi de plus normal. Et dans ces conditions, McCain,
avec son rêve américain pour tous était moins rassurant que celui qui
parle de partager plus équitablement les ressources existantes. Dur de
rêver et même d´imaginer l´avenir quand on a les jambes dans la
mélasse jusqu´aux genoux.

Inutile de chercher à juger s´ils ont fait le bon choix ou s´ils se sont
placés dans les mains du Diable. Ce qui est sûr, c´est que c´est sous la
présidence d´un Républicain que le système a explosé, que les
banquiers, qui leur faisaient la morale pour un dépassement de cinq
cents dollars, en ont dilapidés des milliers de milliards, et que l´Etat
est bien obligé de se porter garant de leurs folies pour empêcher la
société de se désintégrer.

Il suffirait en effet qu´un établissement bancaire majeur, n´importe où
sur terre, devienne insolvable pour entraîner un effet domino aux
circonstances terrifiantes. C´est pour cela que tous les gouvernements
sauvent leurs banques.

Mais c´est aussi le constat d´un échec cuisant et d´un procédé rageant, parce que profondément injuste et conduit avec nos économies.

Et même si les sénateurs Démocrates sont au moins aussi responsables
que le gouvernement dans cette avalanche, il était hors de question,
pour les Yankees, de reconduire les Républicains au Capitole.

Le sentiment de l´urgence de la situation économique est largement
plus présent outre-Atlantique qu´en Europe, où nous avons toujours un temps de retard. Même si je doute qu´Obama pourra résoudre la crise, je n´hésite pas à jouer les propagateurs d´angoisses: les Américains ont tout-à-fait raison d´avoir peur; la crise est là, elle est inéluctable, profonde, et nous allons tous passer un fort mauvais moment.

L´activité économique diminue partout, de jour en jour, inversement
au nombre des licenciements qui lui, va croissant. Demandez aux
industriels de votre région ce qu´il en est, et réservez une place
numérotée dans l´Arche de Noé. Les autorités tentent d´éviter la
panique en prenant des mesures rassurantes et sociales, mais ils font
dans le cosmétique; en vérité, le tsunami est terrible.

J´ai entendu certains experts financiers optimistes parler d´un creux de vague d´un an, moi je vois plutôt un marasme de trois, voire de quatre ans, juste en évaluant le temps que durent le flux, le reflux et la
reconstruction de l´économie.

Juffa, éternel oiseau de mauvais augures? Je n´en sais rien, je n´y suis
pour rien, mais je peux vous dire, à propos de l´économie israélienne,
reconnue pour être plus solide que la moyenne, qui a, par exemple,
traversé sans même sourcilier la guerre de 2006, que les actions saines
de la bourse de Tel-Aviv ont déjà perdu plus de 64% de leur valeur
depuis le début 2008.

Lundi, j´ai reçu à Métula la visite de deux grands patrons de la high-
tech israélienne, le secteur le plus porteur de notre économie. Ils
prévoient que d´ici la même date en 2009, la moitié des sociétés de
leur domaine auront mis la clef sous la porte.

« Vous comprenez, Stéphane, quel que soit votre produit, LE marché
de la high-tech, c´est les Etats-Unis. Et s´ils cessent d´acheter, s´ils
perdent leur pouvoir d´achat, si les banques ne financent plus leurs
acquisitions, nous sommes cuits. ». Je leur ai dit que je saisissais,
ajoutant: « et c´est inévitable », eux me répondant: « ça a déjà
commencé, nos ventes ont déjà diminué de 20%… et ça empire ».

Une question de point de vue

En dépit de la préoccupation économique qui m´inquiète de plus en
plus, ma plus grande crainte est toujours constituée par les efforts de
dotation de l´Iran en armes atomiques.

Normal, je vis à Métula, au Moyen-Orient, et Ahmadinejad n´a de
cesse de me rappeler son intention de m´éradiquer.

L´Amérique, c´est plus loin de Téhéran; Jean Tsadik prévoit que la
République Islamique sera capable d´envoyer ses missiles sur le
continent américain dans un laps de 5 à 6 ans. Cela leur laisse un peu
de temps, nous en possédons beaucoup moins.

De plus, toujours dans le but d´éviter l´affolement, les autorités US,
comme leurs consoeurs européennes et israéliennes, d´ailleurs, tentent
de minimiser la menace islamiste. Elles s´y emploient en demeurant
floues sur sa nature précise, qu´elles connaissent pourtant parfaitement.

Pour évoquer la différence de notre agenda de préoccupations, les
Américains et moi, je prendrai l´exemple d´un grand paquebot. Dans
mon cas, subissant l´anomalie de ma déviance professionnelle
consacrée à la stratégie internationale, je me soucie de l´état de la
coque, et, secondairement, des activités sociales qui se déroulent à
bord.

Si je vois que nous nous dirigeons droit sur un banc d´icebergs, je
sonne à la cloche d´alarme, j´informe le capitaine et les passagers.

Quant aux Américains moyens, qui ne voient pas la coque, qui ne
savent pas évaluer sa solidité ni utiliser un radar, ils se préoccupent
naturellement de ce qui se voit. L´état de l´intérieur du navire, ses
réserves en nourriture, leur capacité à s´en procurer, comment
continuer à payer sa cabine, etc.

De leur point de vue, qu´importe-t-il d´avoir une coque solide, si tout
ce qui se trouve à l´intérieur est inutilisable? Du mien, c´est « à quoi
cela sert-il de vous occuper de socialités alors que votre coque est
pourrie et que vous risquez de couler à tout moment? ».

Cela explique la raison pour laquelle la présidence de Barack Obama,
dans la mer agitée que nous connaissons, avec les plages obscures de
son passé et ses accointances, la vacuité de son discours, le risque,
révélé par son colistier, qu´il se fasse flouer par les ennemis du monde
libre m´apparaît infiniment périlleuse. Que j´aurais voté McCain,
nonobstant la longue liste de nos divergences dans la façon
d´aménager l´intérieur d´un paquebot.

Ceci dit, il existe une chanson très connue en Israël, qui dit « les choses
que l´on voit de là-bas, on ne les voit pas d´ici », et, par la force des
choses, vice-versa.

Peur pour Israël?

Toujours, ce qui me semble naturel vu notre situation géopolitique. Je
suis absolument certain, toutefois, que la menace iranienne est au
moins autant dirigée contre l´Europe et les USA, que contre l´Etat
hébreu. Mais j´ai appris à me soucier d´abord de mes intérêts, surtout
lorsqu´ils sont existentiels et que, dans l´espace-temps, je suis menacé avant les autres.

L´innocence d´Obama m´inquiète, de même que ses longues
fréquentations extrémistes antisémites et anti-israéliennes. Pour
fournir une échelle de comparaison et donner matière à réflexion
à ceux qui crient à la rumeur et prétendent que c´est sans importance,
les théories des gens qu´Obama a côtoyés durant des décennies
forment un mélange désavantageux de celles de Dieudonné et de la
tribu-Ka.

Je déteste aussi les phrases qu´on lui prête à propos d´Israël, dont
celles dissimulées du regard du public par les media démocrates.

En bref, il serait surprenant que le nouveau Président se dévoile
comme un ami sincère de mon pays. Et bien moins surprenant, s´il
replaçait artificiellement notre conflit avec les Arabes au centre du
calendrier international, et s´il se mettait, graduellement, à faire
pression sur Jérusalem afin qu´elle fasse des concessions qui nous
mettent en danger.

On sera fixé dès que Barack Obama formera son équipe
gouvernementale; dès qu´on connaîtra le nom du nouveau Secrétaire
d´Etat, le nouveau chef à la Défense, aux renseignements, ainsi que
son équipe de conseillers.

Il faut aussi craindre pour toute la région, et envisager la situation
intenable qu´Obama y créerait s´il retirait subitement l´armée US
d´Irak, comme il l´a promis durant sa campagne. Il faut être islamiste
ou déséquilibré pour appeler de ses voeux semblable implosion
trismégiste.

Il y a lieu toutefois de modérer ses appréhensions: en reconnaissant
d´abord que les présidents américains ne prennent pas leurs décisions
au milieu d´un vide politique. Washington est une mécanique
complexe de pouvoirs et de contre-pouvoirs, et la marge de décision
du Président est restreinte.

En matière proche-orientale, en raison de cette mécanique, un
président américain ne peut pas être farouchement anti-israélien.
Certainement pas avec un parlement dont la majorité démocrate
compte parmi les meilleurs amis de l´Etat hébreu.

Pas non plus avec un électorat juif, dont Obama aura besoin s´il
entend briguer un second mandat, et qui s´est prononcé à raison de
plus de 75% en faveur de sa candidature. Un électorat représentant 3%
en moyenne nationale, mais 0,001% dans le Vermont, et jusqu´à 30%
dans les Etats qui fournissent le plus grand nombre de grands
électeurs.

Dans ces conditions, un Président américain peut être « un peu proche
d´Israël », ou « très », comme c´est le cas de George W. Bush.

Quant aux Juifs américains, ils ont donné la preuve de leur intégration
A l´instar des originaires d´Italie, d´Allemagne ou d´Irlande, ils se sont mis à la décoration navale.

Ce à quoi il faut ajouter, avant de conclure, que les Israélites américains ont été les premiers et les meilleurs alliés de la communauté noire durant son émancipation. Au point que, jusqu´à l´émergence de Farrakhan, de sa nation de l´islam et d´autres mouvements extrémistes dans les années 70, les communautés noire et juive aux USA étaient pratiquement garantes l´une de l´autre, y compris lorsqu´il s´agissait de défendre le droit des Israélites de vivre dans leur patrie historique.

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