Irak: Le consensus absolu génère toujours une suspicion (Ludovic Monnerat)

No war on Iraq!Parmi les rares esprits forts qui ont résisté à l’étouffant consensus (encore renforcé par l’étroitesse de notre petit monde francophone !) de ces longs mois qui ont précédé et suivi l’intervention alliée en Irak, une place toute particulière à Ludovic Monnerat, cet officier de l’Armée suisse et conseiller militaire (ainsi que blogueur émérite !) qui, tout au long de la guerre et à l’été 2003 – dans un bilan aux allures aujourd’hui quasi-PROPHÉTIQUES ! – avait le culot de déclarer :

« à long terme les Américains ont déjà gagné leur pari: avec la multiplication de ces vecteurs modernes que sont le téléphone portable, les antennes satellites et le réseau Internet, la contagion des idées libérales et démocratiques a commencé. Plus rien ne sera comme avant. »

« ceux qui prédisent le désastre depuis une année devront tôt ou tard se livrer à un sérieux examen de conscience face à son absence chronique. »

Contre les surenchères catastrophistes de nos médias, il n’avait de cesse de remettre les choses en perspective et de rappeler tout ce que ceux-ci omettaient systématiquement.

Quelques petits exemples:

– sur les « catastrophiques » pertes américaines: 87% d’entre elles ne survenaient que sur 2 à 3% du territoire irakien ne représentant que moins de 30% de sa population (le fameux «triangle sunnite», entre Bagdad, Ramadi et Tikrit) …

– sur le « bourbier vietnamien »: une moyenne de 25 attaques quotidiennes à l’arme à feu et à l’explosif, ainsi que 40 incidents graves sur… un pays de 24 millions d’habitants ! et… pour une force de 160 000 hommes et femmes ! (contre, à titre de comparaison, 578 attaques juives par jour sur les troupes britanniques en Palestine entre 1946 et 1947 !).

– sur la « résistance populaire »: pour maintenir leurs attaques, les belligérents avaient dû augmenter leurs rémunérations de 250 $ pour une tentative et 1000 $ pour chaque succès, à… respectivement 1000 et 5000 $ ! (dans un pays où un médecin gagnait jusqu’ici 350 $ par an) …

– sur la réelle explosion de la criminalité à Bagdad: 470 morts par armes à feu en un mois pour une population de 5,6 millions d’habitants mais… 275 homicides par mois pour 3,2 millions d’habitants à… Johannesburg ! (sans oublier que des rafales lâchées pour célébrer la mort des deux fils aînés de Saddam pouvaient tuer à elles seules … 31 Irakiens et en blesser… 76 autres !).

– sur l’état désastreux des infrastructures: négligées depuis plus d’une décennie par… Saddam, l’Irak ne consommait avant-guerre que 4000 mégawatts d’électricité, contre 6000 MW au début du mois de juin ; or le réseau actuel peinait à atteindre durablement les 4000 MW, et serait incapable de dépasser 4500 …

– sur la catastrophique situation sanitaire: 20 millions de dollars pour l’ensemble des services de santé du pays dépensés par le régime de Saddam en 2002; budget du Ministère de la Santé pour le deuxième semestre 2003: … 210 millions !

– sur la haine anti-américaine de la population irakienne: selon les sondages 50% des Irakiens approuvaient la guerre menée par les coalisés contre le régime de Saddam, contre 27% qui s’y opposaient; et si 75% estimaient que l’Irak était un endroit plus dangereux « aujourd’hui », 9% déclaraient préférer vivre sous Saddam, 5% souhaitant un retour de Saddam et 6% l’arrivée au pouvoir des mollahs, contre 36% qui demandaient une démocratie à l’occidentale et 26% un régime islamique ayant adopté des principes de justice et de gouvernement modernes …

Et il concluait par un bilan qu’on ne peut s’empêcher de citer en entier :

« Bilan : la coalition en bonne voie

Quel bilan peut-on tirer de cette avalanche d’informations ? Le moins que l’on puisse dire, c’est que le bourbier ou la déroute sont assez contraires à la réalité. Pour interpréter et comprendre une situation aussi complexe et changeante, il est nécessaire de prendre du recul par rapport aux aspérités ponctuelles de l’actualité – une émeute à Bassorah, une fusillade à Bagdad – et de s’intéresser aux mouvements de fond. Or ceux-ci vont majoritairement dans la même direction : les Américains ont sans cesse plus d’hommes, plus de moyens, plus d’appuis et plus de renseignements pour atteindre leurs objectifs, alors que leurs ennemis peinent à renouveler leurs ressources et préserver leur liberté d’action.

Contrairement à une opinion reçue, le temps joue donc en faveur de la coalition. D’une part, les pertes subies sont trop faibles pour que le soutien politique fléchisse, et l’attitude de la population irakienne est suffisamment positive pour que les efforts de reconstruction et de stabilisation soient suivis d’effets. /…/ Enfin, les infiltrations de combattants étrangers ne sont pas suffisantes pour mettre les formations américaines sur la défensive, perturber leurs activités et modifier leur comportement.

Les principales qualités dont font preuve les Américains en Irak sont la souplesse d’esprit et le pragmatisme : lorsque qu’une méthode ne fonctionne pas, lorsqu’une situation est bloquée, ils ne s’obstinent pas et recherchent une solution à la fois originale et acceptable. Le grand public l’ignore, mais il se passe des choses exceptionnelles en Irak. Une unité de Marines confrontée à une foule excitée par un imam extrémiste et hurlant des chants haineux s’est mise à son tour à chanter pour montrer l’absurde de la situation. Une section de paras prise dans une fusillade a détaché des hommes pour mettre à couvert plusieurs personnes âgées, et n’a plus été attaquée dans le quartier. Les exemples sont multiples.

Les Irakiens forment aujourd’hui un peuple en pleine confusion, qui a soif d’informations, de sécurité, de certitudes et d’améliorations, et qui doit réinventer au quotidien ou presque sa manière de vivre. On ne s’en doute guère, mais à long terme les Américains ont déjà gagné leur pari: avec la multiplication de ces vecteurs modernes que sont le téléphone portable, les antennes satellites et le réseau Internet, la contagion des idées libérales et démocratiques a commencé. Plus rien ne sera comme avant. Les erreurs commises par l’administrateur, le commandant de bataillon ou le soldat individuel seront vite oubliées ; la liberté d’expression et d’opinion marqueront à jamais les esprits.

Le plus grand danger à présent réside dans les fractures que connaît la société irakienne. Aux différences d’ethnie et d’obédience religieuse viennent en effet s’ajouter la fidélité à l’ancien régime ou la collaboration avec le nouveau, et les règlements de comptes contre les membres de l’ex-parti Ba’as et les auxiliaires des forces coalisées se chiffrent chaque mois par dizaines. Ce n’est guère un hasard si les ennemis de la coalition s’en prennent de plus en plus aux Irakiens, qui sont des cibles autrement moins dangereuses. Constituer un gouvernement suffisamment fort pour faire respecter l’ordre et suffisamment représentatif pour éviter une guerre civile ne sera guère aisé.

Des efforts considérables restent donc nécessaires pour transformer chaque jour un peu plus le pays. Les Etats-Unis continueront à perdre des soldats au fil des semaines, même s’ils subissent moins d’attaques ; tôt ou tard, la négligence ou la malchance permettra à une attaque d’être particulièrement efficace et de tuer des dizaines d’hommes. Pourtant, c’est uniquement en acceptant les pertes, en continuant à s’exposer et à s’investir que la coalition parviendra à se maintenir sur la bonne voie et à progressivement transférer ses responsabilités aux Irakiens. La patience n’est pas une qualité fréquente en Occident, mais la transformation du Proche-Orient l’exige.

Il reste à se demander pourquoi les médias s’obstinent à hurler au bourbier lorsque la réalité contredit une telle opinion. Entre l’envie de montrer qu’une intervention militaire ne peut réussir que dans le cadre de l’ONU, le besoin de dissimuler leurs propres erreurs quant à une «résistance» présumée de la population irakienne, l’influence néfaste d’experts enclins aux clichés plus qu’à l’analyse, et bien entendu une hostilité généralisée à la puissance américaine, les explications ne manquent pas. Quoi qu’il en soit, ceux qui prédisent le désastre depuis une année devront tôt ou tard se livrer à un sérieux examen de conscience face à son absence chronique. »

Contrairement aux litanies des médias, la stabilisation et la démocratisation de l’Irak sont en bonne voie

Ludovic Monnerat

Checkpoint

le 10 août 2003

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