Poésie/Keats: Cette étrange capacité négative que Shakespeare possédait à un degré énorme … (Solomon in all his glory was not arrayed like one of these)

KeatsVous avez appris qu’il a été dit: Tu aimeras ton prochain, et tu haïras ton ennemi. Mais moi, je vous dis: Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent, afin que vous soyez fils de votre Père qui est dans les cieux; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes. Jésus (Mt 5: 43-45)
Ne vend-on pas deux passereaux pour un sou? Cependant, il n’en tombe pas un à terre sans la volonté de votre Père. Et même les cheveux de votre tête sont tous comptés. Ne craignez donc point: vous valez plus que beaucoup de passereaux. Jésus (Matthieu. 10: 29-31)
Considérez comment croissent les lis: ils ne travaillent ni ne filent; cependant je vous dis que Salomon même, dans toute sa gloire, n’a pas été vêtu comme l’un d’eux. Si Dieu revêt ainsi l’herbe qui est aujourd’hui dans les champs et qui demain sera jetée au four, à combien plus forte raison ne vous vêtira-t-il pas, gens de peu de foi? Jésus (Luc 12: 27-28)
Le médecin analysant s’abandonne, dans un état d’attention uniformément flottante, à sa propre activité mentale inconsciente, évite le plus possible de réfléchir et d’élaborer des attentes conscientes, ne veut, de ce qu’il a entendu, rien fixer en particulier dans sa mémoire et capte de la sorte l’inconscient du patient avec son propre inconscient. Freud
Il n’y a que l’Occident chrétien qui ait jamais trouvé la perspective et ce réalisme photographique dont on dit tant de mal: c’est également lui qui inventé les caméras. Jamais les autres univers n’ont découvert ça. Un chercheur qui travaille dans ce domaine me faisait remarquer que, dans le trompe l’oeil occidental, tous les objets sont déformés d’après les mêmes principes par rapport à la lumière et à l’espace: c’est l’équivalent pictural du Dieu qui fait briller son soleil et tomber sa pluie sur les justes comme sur les injustes. On cesse de représenter en grand les gens importants socialement et en petit les autres. C’est l’égalité absolue dans la perception. René Girard 
Notre monde est de plus en plus imprégné par cette vérité évangélique de l’innocence des victimes. L’attention qu’on porte aux victimes a commencé au Moyen Age, avec l’invention de l’hôpital. L’Hôtel-Dieu, comme on disait, accueillait toutes les victimes, indépendamment de leur origine. Les sociétés primitives n’étaient pas inhumaines, mais elles n’avaient d’attention que pour leurs membres. Le monde moderne a inventé la “victime inconnue”, comme on dirait aujourd’hui le “soldat inconnu”. Le christianisme peut maintenant continuer à s’étendre même sans la loi, car ses grandes percées intellectuelles et morales, notre souci des victimes et notre attention à ne pas nous fabriquer de boucs émissaires, ont fait de nous des chrétiens qui s’ignorent. René Girard
Je rêve presque que nous soyons des papillons n’ayant à vivre que trois jours d’été. Avec vous, ces trois jours seraient plus plaisants que cinquante années d’une vie ordinaire. John Keats
Je vis une Dame par la prairie, elle était belle — une fille des fées, ses cheveux étaient longs, ses pas légers, et ses yeux étaient fous. (…) Et sûrement son étrange langage disait : « Je t’aime fidèlement. (…) Je vis aussi des rois pâles, et des princes pâles, des guerriers pâles, tous pâles comme la mort ; — Ils me criaient : « La Belle Dame sans merci t’a pris dans ses rets. Keats
J’ai été frappé tout d’un coup de la qualité essentielle à la formation d’un Homme d’Art accompli particulièrement en Littérature et que Shakespeare possédait à un degré énorme – je veux dire la Capacité Négative, je veux dire celle de demeurer au sein des incertitudes, des Mystères, des doutes, sans s’acharner à chercher le fait et la raison. John Keats
La poésie doit nous frapper comme l’expression, par mots, des plus hautes pensées, et nous paraître presque une réminiscence. John Keats (27 févr. 1818)
Un poème doit se comprendre à travers les sens. L’intérêt de plonger dans un lac n’est pas de nager immédiatement jusqu’au rivage ; c’est d’être dans le lac, se prélasser dans la sensation de l’eau. On ne théorise pas un lac. C’est une expérience au-delà de la pensée. La poésie apaise et enhardit l’âme pour accepter le mystère. Keats
Rien ne semblait lui échapper, ni le chant d’un oiseau, ni la réponse en sourdine du sous-bois ou de la haie, ni le bruissement de quelque animal, ni les variations des lumières vertes et brunes et des ombres furtives, ni les mouvements du vent – la façon exacte que celui-ci avait d’attraper certaines fleurs et plantes élancées – ni la pérégrination des nuages ; ni même les traits et les gestes des trimardeurs de passage, la couleur des cheveux d’une femme, le sourire d’un visage d’enfant, l’animalité furtive, sous le déguisement d’humanité chez nombre de vagabonds, ni même les chapeaux, les vêtements, les souliers, partout où ceux-ci véhiculaient la moindre indication quant à la personnalité du porteur. Joseph Severn
Il semble que M. Keats est mort à Rome où il s’était retiré pour se rétablir des conséquences que la rupture d’un vaisseau sanguin avait eues sur sa santé. Il n’est pas impossible que sa mort prématurée ait été provoquée par les soins qu’il prodiguait à son jeune frère, lui aussi décédé ; l’attention qu’il portait à l’invalide était fiévreuse et infatigable au point que ses amis voyaient clairement que sa santé pâtissait de cet effort. Cela a pu être une cause, mais je ne crois pas que ce soit la seule. On se souviendra que Keats a subi, il y a deux ans, un traitement brutal de la critique (…), qui de l’avis des esprits sensibles et élégants, s’est rendue odieuse par son empressement grossier à céder aux appétits pervers du commérage et de la foire aux scandales. Jusqu’à quel point il fut affecté par le sort que lui réservèrent ces journalistes, je ne peux le dire. (…) Il est réellement douloureux de voir l’ardeur d’un esprit enthousiaste et confiant ainsi livré au rire monstrueux d’une meute brutale, aux piques et aux baïonnettes de mercenaires de la littérature. Si M. Grifford tire une quelconque satisfaction de savoir à quel point il a contribué à la douleur d’un esprit généreux, je pourrai lui être agréable en l’informant que Keats a passé une nuit entière à parler avec amertume du traitement injuste qu’il a connu. Charles Cowden Clarke
He goes on to say « the simple imaginative Mind may have its rewards in the repetitions of its own silent workings coming continually on the Spirit with a fine Suddenness » – a remark that contains more of the psychology of productive thought than many treatises. (…) Ultimately there are two philosophies. One of them accepts life and experience in all its uncertainty, mystery doubt and half knowledge and turns that experience unto itself  to deepen and deepen its own qualities  – to imagination and art. This is the philosophy of Shakespeare and Keats. John Dewey
Le poème est un creuset où sont portés à l’incandescence les objets d’étonnement et de plénitude jusqu’à ce qu’ils révèlent la lumière dont ils étaient seulement soupçonnés d’être porteurs. Jean Roudaut
Les lettres de Keats constituent la plus riche et la plus émouvante correspondance laissée par un écrivain anglais du siècle dernier. On y suit pas à pas l’évolution d’un esprit qui mûrissait avec une rapidité exceptionnelle et multipliait les confidences, non tant (sauf les déchirants cris d’amour et de jalousie de la fin de sa vie) sur lui-même ou sur la composition de ses œuvres que sur le sens de la poésie. Chez le poète, il voulait tout d’abord une réceptivité totale, une ouverture presque indolente aux impressions de la nature et du monde extérieur. Dans une lettre du 27 octobre 1818, Keats énonce que le vrai poète n’a aucune identité ; il n’est rien et il est tout, un caméléon. Un an plus tôt déjà, il avait, à propos de Shakespeare, dénommé  » capacité négative  » (« négative capability »), ce don de séjourner dans le mystère et le doute sans se soucier de poursuivre faits ou raison. Son culte des sensations, souvent proclamé, l’est moins des seules jouissances de goût ou de parfum (cependant fort intenses chez lui) que de ces intuitions de l’imagination qui ne reposent sur rien de rationnel. Il tenait en outre l’intensité comme l’apanage, et peut-être la marque, du génie. Après quelque profusion trop décorative, dans ses œuvres de jeunesse, des maniérismes et des langueurs prodiguées, Keats en vint très vite à répudier tout didactisme, tout excès de couleur ou de gênante présence du poète (lettre du 3 févr. 1818).  » La poésie doit nous frapper comme l’expression, par mots, des plus hautes pensées, et nous paraître presque une réminiscence  » (27 févr. 1818). Dans les meilleurs de ses vers, le poète si jeune encore élimine toute rhétorique, toute virtuosité verbale comme celle de Byron ou de Swinburne, les prosaïsmes qu’avait recherchés ou consentis Wordsworth, et même une certaine mollesse qui affaiblit parfois Shelley. Il y a dans les odes et dans Hyperion , aussi bien que dans une dizaine de sonnets, une densité, une concentration explosive, et un toucher infaillible pour réaliser l’adéquation juste et pleine entre l’émotion ou la pensée et l’expression. Car il y a une pensée personnelle et profonde chez Keats, comme chez Goethe, Baudelaire, Mallarmé ou Rilke. Il a vécu le rêve romantique d’évasion vers la Grèce, terre de la beauté, mais surtout de la mythologie, qui animait la nature, et des dieux païens, chers à Keats qui ne fut jamais touché par le puritanisme, par le christianisme ou même par le spiritualisme platonicien. Dans une très belle lettre du 3 mai 1818, il a parlé du passage graduel d’une demeure de la pensée juvénile à d’autres logis moins radieux, dans lesquels on sent la présence de la misère humaine et on porte ce que Wordsworth appelait  » le fardeau du mystère « . Il imagina un moment les Grecs comme un peuple serein, content de vivre pour la beauté. Pourtant il aperçut plus vite que Chénier ou Schiller ce qu’avait de partiel cette idéalisation. À la fin de sa vie, révisant son Hyperion , il dépeignait un temple dont seuls peuvent gravir l’escalier  » ceux pour qui les misères du monde sont misère, et ne leur laissent nul repos « . À celle qu’il aimait jusqu’à la torture, il confessait éprouver en son cœur les souffrances qu’Hamlet aimant Ophélie avait dû ressentir, malgré ses sarcasmes. Comme Rimbaud, en trois ou quatre années, Keats concentra l’expérience de plusieurs existences et atteignit une perfection artistique si riche de vie, de variété, si infaillible dans ses réussites que bien des critiques de son pays ont répété le mot de Matthew Arnold :  » Il est, avec Shakespeare, au premier rang des poètes. » Ultima8team

Tombé à l’occasion de recherches sur le grand poète romantique anglais John Keats et sa célèbre « Belle dame sans merci » …

Sur cette « capacité négative » qu’il décrivait comme « qualité essentielle à la formation d’un Homme d’Art accompli » et que Shakespeare possédait à un degré énorme »….

A savoir celle de « demeurer au sein des incertitudes, des Mystères, des doutes, sans s’acharner à chercher le fait et la raison » …

Qui, dans sa réaction même contre un certain scientisme issu de l’Age des Lumières, a fait largement la singularité et le succès de la civilisation comme de la science occidentales …

Et frappé par l’étrange ressemblance, malgré toutes les dénégations de ses praticiens les plus dévoués,  de cette sorte d« équivalent poétique », à l’instar de l’ « attention uniformément flottante » freudienne, du « Dieu qui fait briller son soleil et tomber sa pluie sur les justes comme sur les injustes » et revêt les lys des champs de parures que n’avait pas « Salomon même, dans toute sa gloire »…

A l’Evangile dont il est issu et dont il tient tant à se distinguer ...

KEATS, John

Keats, issu d’un milieu londonien très humble, menacé très tôt par la tuberculose, disparut avant sa vingt-sixième année. Il s’était voué très jeune au culte de la beauté. Il salua les Grecs, qu’il ne connaissait que par des traductions, comme ses inspirateurs et sut faire revivre leur mythologie. Plus tard, Milton fut son modèle. Il redonna une vie originale à la poésie narrative, et ses fragments épiques constituent l’une des très rares réussites romantiques dans le genre si périlleux de l’épopée. Surtout, dans plusieurs sonnets et dans cinq ou six grandes odes, Keats réalisa une œuvre d’une plénitude et d’une perfection qui le placent non loin de Shakespeare. Sa gloire n’a plus été mise en question après sa mort, alors qu’il avait été méconnu ou méprisé de son vivant.

Sa courte et tragique existence, sa maîtrise de la forme et l’incroyable maturité de ses idées sur la poésie exprimées dans ses lettres – qui ont fasciné nombre de modernes – font de lui le génie le plus précoce de toute la littérature anglaise, comparable (mais très différent d’eux) à Mozart ou à Rimbaud.

1. Des brumes de Londres à la lumière hellénique

À la différence de ses deux aînés, Wordsworth et Coleridge, qui appartenaient à la classe bourgeoise et venaient de l’Angleterre provinciale, de Byron et de Shelley, tous deux aristocrates, élèves des  » public schools « , de Cambridge et d’Oxford, John Keats était londonien, pauvre, le fils aîné d’un palefrenier qui mourut en 1804 d’une chute de cheval. Sa mère semble avoir été une femme de caractère gai, affectueuse, très attachée à son premier enfant. Le second fils, George, émigra plus tard aux États-Unis, le troisième, Tom, mourut en 1818, ce dont John eut un immense chagrin. Une jeune sœur, Frances, née en 1803, s’efforça de comprendre son frère et correspondit avec la fiancée de celui-ci, alors qu’il se mourait de tuberculose en Italie.

L’argent manquait pour envoyer l’enfant à l’une des écoles renommées de l’Angleterre ; il reçut néanmoins une éducation convenable dans une petite école d’Enfield tenue par un pasteur, y apprit le latin, ne sut jamais le grec, mais semble déjà s’être passionné pour la mythologie hellénique à travers des dictionnaires illustrés. En 1813, il commença des études de médecine, s’en lassa au bout d’un an et demi, ne ressentant nul attrait pour la dissection. Il avait alors près de vingt ans et la lecture de La Reine des fées de Spenser lui avait révélé sa passion pour la poésie. Il se lia d’amitié avec un cercle littéraire à idées politiques avancées pour l’époque, un peu vulgaire de sensibilité et d’expression, dont l’animateur était Leigh Hunt. Shelley, qui plus tard aida financièrement Leigh Hunt, apparaissait quelquefois parmi eux ; mais, peut-être en raison de leur origine sociale différente, Keats et Shelley ne se prirent pas alors d’une vive sympathie mutuelle. Byron se montra encore plus dédaigneux du poète  » cockney  » qu’il croyait voir en Keats.

Dès sa vingt et unième année, Keats écrivit l’un des plus parfaits sonnets de la littérature anglaise, sur sa découverte de la traduction d’Homère par Chapman. Il y comparait son émotion devant ce monde merveilleux de la Grèce primitive, rendu par un poète élisabéthain, à celle d’Hernán Cortés et de ses compagnons apercevant le Pacifique :  » Muets, sur un pic à Darién.  » Il traduisit dans d’autres sonnets son émerveillement à la visite des marbres du Parthénon que lord Elgin avait rapportés d’Athènes. Une note de joie intense en présence de la nature et des légendes de la chevalerie médiévale aussi bien que de la Grèce résonne dans le premier volume de Keats, Early Poems (1817). Le plus long poème de ce recueil juvénile Sleep and Poetry (Sommeil et poésie ), ne traite guère du sommeil, thème favori des poètes anglais, sinon comme prétexte à des visions de rêve, mais affirme un credo poétique opposé à Boileau, à Pope, à tout classicisme aride.  » Ce que l’imagination saisit comme beauté doit être la vérité « , affirmera plus tard dans l’une de ses lettres ce jeune poète qui louera l’imagination avec plus de ferveur encore que Coleridge.

Les maîtres de Keats étaient alors Spenser, les lyriques du XVIe siècle et Shakespeare, qu’il lut et médita en voyageant dans l’île de Wight, et plus tard encore. La sensualité de quelques poèmes de Shakespeare (Vénus et Adonis ) et de Marlowe (Héro et Léandre ) séduisait en Keats l’adorateur de la sensation.  » Ô qu’on me donne une vie de sensation plutôt qu’une vie de pensée !  » s’écriera-t-il dans une lettre de novembre 1817. Il s’agissait non d’une sensualité tournée vers le morbide ou l’érotisme, mais d’une prise de possession du concret par tout son être et du refus de penser et de raisonner selon des cadres empruntés. Vers 1819, il se tourna davantage vers Milton, dont le ton et la diction sont trop sensibles dans certains vers d’Hyperion dont la grandiose froideur est lassante. Il admira Dante dans la traduction de H. F. Cary et certains poèmes de Wordsworth. Mais le reste de la littérature européenne le toucha peu. Il rêva des Grecs et les imagina plus qu’il ne les lut.

2. Les grandes œuvres

Assez vite, Keats comprit que la poésie familière prônée par Leigh Hunt ne convenait pas à son génie. Dans la grisaille de l’hiver londonien et la torpeur de la vie politique et intellectuelle, hostile au romantisme de Shelley et au scandale soulevé par Byron, il rêva de légendes mythologiques et de la beauté des cultes païens.  » Une chose de beauté est une joie éternelle  » est le premier vers du long poème Endymion (1818). La déesse Séléné descend la nuit embrasser sur le mont Latmos son amoureux endormi : Endymion. La passion de l’éphèbe ainsi aimé de la lune est celle de l’âme humaine pour la beauté entrevue en songe. Le poème est trop long, trop décoratif et  » alexandrin « , trop dépourvu d’intérêt humain ; il n’eut guère, et ne pouvait avoir, de succès. Mais son ouverture, le grandiose  » Hymne à Pan  » dit à une fête en l’honneur de ce dieu, et, au livre IV, les strophes musicales d’Au chagrin (To Sorrow ), chantées par une vierge indienne, sont admirables. Dans une courte et modeste préface, le poète disait son espoir de n’avoir pas trop terni l’éclat de la splendide mythologie des Grecs et son désir de revenir une fois encore à ce passé.

Il entreprit en 1818 un voyage à pied dans l’est et le nord de la Grande-Bretagne, voyage qui devait être fatal pour sa santé. Les revues le prenaient à parti avec férocité, selon leur tactique qui était de barrer la route aux innovations littéraires. Keats ne mourut pas, trois ans plus tard, de ces attaques, comme on le dit alors, mais il fut ulcéré de tant d’incompréhension et de mauvaise foi.  » Je crois que je compterai après ma mort parmi les poètes de l’Angleterre « , osait-il avouer à un correspondant en octobre 1818. Il était attiré par un besoin de tendresse féminine et de passion qui enflammât son imagination autant que ses sens. Une Mrs. Isabella Jones fut à cette époque (1818-1819) aimée de lui et peut-être lui suggéra le thème de La Veille de la Sainte-Agnès (The Eve of St. Agnes ). Il conçut une passion plus violente et peut-être mal payée de retour pour une jeune fille, Fanny Brawne, qui ne comprit qu’à demi l’exaspération sensuelle de ce poète miné par la consomption, mais promit de l’épouser. Les lettres d’amour et souvent de supplication adressées par Keats à la jeune fille, coquette sans doute et déconcertée plus que cruelle, publiées après sa mort, choquèrent la pudibonderie de certains critiques victoriens. Leur pathétique est cependant déchirant. C’est sous le stimulant de cet amour qu’en 1819 le poète composa, coup sur coup, des œuvres de longue haleine et de grande ambition, et ses odes les plus célèbres.

Isabelle, ou le Pot de basilic (Isabella ) écrit pendant l’hiver de 1818, est un poème narratif en strophes de huit vers, qui reprend une histoire tragique du Décaméron de Boccace. Deux frères, ayant découvert l’amour de leur sœur Isabelle pour leur valet, Lorenzo, assassinent l’amant. Le fantôme du mort apparaît à la jeune fille et lui révèle où il est enterré. Elle creuse l’endroit dit, coupe la tête du mort et l’enfouit sous une plante, un basilic qu’elle arrose de ses pleurs. L’histoire est contée avec passion et grâce, et les personnages sont tracés avec vivacité. La Veille de la Sainte-Agnès , en strophes dites  » spensériennes  » (neuf vers, dont le dernier, plus long, est une sorte d’alexandrin), est un pur chef-d’œuvre de concision, de puissance évocatrice, de merveilleux jamais forcé. Deux amoureux séparés comme Roméo et Juliette sont réunis en un rendez-vous délicat. Un fragment, La Veille de la Saint-Marc , exerça une séduction enchanteresse sur les poètes préraphaélites du milieu du XIXe siècle, D. G. Rossetti et W. Morris. Lamia ne suscite plus cette atmosphère médiévale, mais est encore un long conte en vers où perce le secret de la fascination qu’exerçait alors Fanny Brawne sur Keats. Une femme-serpent ravit dans ses enchantements un jeune Grec de Corinthe ; cette magicienne ne peut cependant le faire entièrement croire à leur bonheur ; le rêve ou le charme est rompu par le froid regard scrutateur de l’homme. Le conte est plus proche du réel, plus touché par quelque mélancolie, et saisissant dans quelques-uns de ses épisodes.

La plus audacieuse entreprise de Keats, toujours pendant cette année 1819 d’une extraordinaire fécondité, fut un poème inspiré à la fois par la mythologie ou la théogonie grecques et par la gravité majestueuse de Milton, Hyperion. Le contraste entre cette forme sévère et sculpturale, mais parfois génante par son rappel du Paradis perdu , et le sujet (la lutte des dieux grecs avec les titans, la défaite du dieu solaire Hyperion par Apollon) prive le poème épique de l’unité d’impression qu’on voudrait ressentir. Keats l’abandonna après le début du troisième chant, revint ensuite à une nouvelle version d’une beauté plus humaine ou plus moderne. Il montre dans ce fragment d’épopée  » digne d’Eschyle « , comme en convint Byron après la mort du jeune poète, une juste intuition du sens profond de la mythologie grecque, avec son ruissellement de divinités successivement détrônées, et une maîtrise rare du vers blanc. Le discours d’Oceanus au chant II est parmi les morceaux les plus chargés de sens moral et philosophique de la poésie romantique européenne.

3. Les odes et derniers sonnets

Sans doute les œuvres épiques et narratives de Keats souffrent-elles de la désaffection que les modernes ressentent pour les longs poèmes, forcément inégaux. De beaucoup la partie la plus lue et la plus admirée de l’œuvre de Keats est la série de grandes odes qu’il composa en 1818-1819. Rien en effet ne les égale en Angleterre ou même en France et en Allemagne, en dehors de quelques odes de Shelley et de certains hymnes de Novalis et de Hölderlin.

Quatre de ces odes furent écrites avec une rapidité peu commune en mai 1819 : Ode to a Nightingale , Ode on a Grecian Urn , Ode on Melancholy , Ode on Indolence. L’Ode to Autumn fut composée en octobre de la même année. Le 3 mai de l’année précédente, Keats avait incorporé dans une lettre à un ami, J. H. Reynolds, un poème de quatorze vers qu’il donnait comme le fragment d’une Ode à Maia , mère d’Hermès, en fait un morceau achevé et d’une rare splendeur. L’Ode à un rossignol , la plus longue et la plus dramatique, est tout entière un mouvement vers la mort, appelée et désirée par le poète tandis qu’il écoute, dans un décor de printemps voluptueux, le chant de l’oiseau qui, lui, n’était pas fait pour mourir : toujours son chant a consolé grands et pauvres, et la Ruth biblique, exilée parmi les blés étrangers. L’Ode sur une urne grecque , avec sa célèbre identification de la vérité avec la beauté lue comme le message offert par les peintures de ce vase antique, évoque la supériorité de l’art, durable et triomphant des années, sur la vie inquiète et éphémère. L’Ode sur la mélancolie est plus douloureuse, car celle-ci, comme chez Lucrèce, apparaît au sein même des plaisirs les plus délicieux : la dernière strophe en est grave et profonde. L’Ode sur l’indolence est moins harmonieuse de structure et dit le plaisir de s’abandonner parfois à une langueur voluptueusement passive. L’Ode à Psyché , la dernière en date des déesses acceptées par le panthéon hellénique, est plus somptueuse et caressante ; elle montre en Keats l’adorateur des divinités païennes, dont il promet, dans la strophe finale, de se faire le chantre et le prêtre. Sa beauté troublante et tremblante de sensualité sera goûtée par les poètes britanniques de l’art pour l’art qui exclut morale et religion. Enfin l’Ode à l’automne , plus sereine, dont le moi du poète est absent, évoque la félicité d’un paradis d’où l’angoisse de la mort et la turbulence de la vie sont bannies. C’est peut-être le poème le plus parfait de la langue anglaise.

4. Mort et résurrection

À cette extraordinaire floraison succéda, en 1820, une année douloureuse. Keats avait vu lentement mourir de tuberculose son frère Tom en décembre 1818. Un peu plus d’un an après, il se sut atteint de la même maladie. Il avait, dans un poème de jeunesse, demandé dix ans de carrière poétique pour s’élever au rang qu’il espérait être le sien ; cela ne devait pas lui être accordé. Son amour mêlé de brûlante ardeur et d’amère insatisfaction le rongeait. Il avait symboliquement crié sa détresse de se savoir ainsi miné par un amour dont jamais il ne jouirait, dans sa splendide ballade La Belle Dame sans merci (1819) ; le titre seul provenait d’Alain Chartier, le poème est une merveille d’art évocateur et d’images étranges et prenantes, sur un chevalier captif d’une femme-vampire. De plus en plus attristé, le poète écrivit l’un des sonnets les plus tragiques, et les plus parfaits, de la poésie anglaise,  » Eclatante étoile, puissé-je comme toi être fixé en repos !  » Il appelle à lui la mort, et voudrait qu’elle le surprît embrassant son amante. Il ne pouvait plus ébaucher de projet d’avenir.

Il entreprit, avec un peintre de ses amis, Joseph Severn, qui l’assista jusqu’au dernier jour, le long voyage par mer vers la Méditerranée, Rome et Naples, angoissé de laisser la jeune femme désirée. Il analysait lucidement les degrés de ce mal qui pourrissait ses organes.  » Je sens les fleurs pousser sur moi « , disait-il ; et dans l’amertume de son cœur, il demanda que sur sa tombe fût écrit en anglais :  » Ci-gît un homme dont le nom fut écrit sur l’eau.  » Son modeste logis était à Rome, près des escaliers de Trinità dei Monti, sur la place d’Espagne ; la maison est aujourd’hui le musée Keats-Shelley. Shelley en effet, dès l’été de 1820, avait écrit à Keats pour l’inviter à le rejoindre en Italie, à Pise. Keats avait refusé, par une lettre un peu sèche, conseillant à son aîné de trois ans plus de concentration et de densité dans son art. Shelley ne s’en vexa point. Dès qu’il apprit la mort de Keats à Rome, il écrivit la plus grandiose élégie jamais consacrée par un poète à un autre poète, Adonaïs , tribut au génie de Keats arrêté dans sa floraison et anticipation du sort réservé à Shelley lui-même, qui voulait être enterré dans le même cimetière protestant de Rome ; il le fut en effet dix-huit mois plus tard.

Il fallut une dizaine d’années pour qu’enfin la jeunesse des universités britanniques, à Cambridge d’abord, puis à Oxford, revendiquât pour Keats et pour Shelley une place parmi les vrais poètes. Monckton Milnes, devenu plus tard lord Houghton, se consacra à cette réhabilitation. Le jeune Tennyson, né en 1809, admira l’art de Keats dès 1832-1833. Les préraphaélites (Rossetti, Morris) se proclamèrent ses disciples. Swinburne admira son hellénisme, son paganisme poétique, son culte éperdu de la beauté, et surtout l’accent mis sur le sensuel, alors que la littérature victorienne se croyait tenue de proposer un message moral optimiste. Depuis, la gloire de Keats n’a jamais plus été mise en question. Elle brille, hors des pays de langue anglaise, surtout parmi les connaisseurs, car la traduction la déflore. Nul poète anglais n’est plus récité, plus aimé.

5. Un poète et une poétique

Les lettres de Keats constituent la plus riche et la plus émouvante correspondance laissée par un écrivain anglais du siècle dernier. On y suit pas à pas l’évolution d’un esprit qui mûrissait avec une rapidité exceptionnelle et multipliait les confidences, non tant (sauf les déchirants cris d’amour et de jalousie de la fin de sa vie) sur lui-même ou sur la composition de ses œuvres que sur le sens de la poésie. Chez le poète, il voulait tout d’abord une réceptivité totale, une ouverture presque indolente aux impressions de la nature et du monde extérieur. Dans une lettre du 27 octobre 1818, Keats énonce que le vrai poète n’a aucune identité ; il n’est rien et il est tout, un caméléon. Un an plus tôt déjà, il avait, à propos de Shakespeare, dénommé  » capacité négative  » ( » négative capability « ), ce don de séjourner dans le mystère et le doute sans se soucier de poursuivre faits ou raison. Son culte des sensations, souvent proclamé, l’est moins des seules jouissances de goût ou de parfum (cependant fort intenses chez lui) que de ces intuitions de l’imagination qui ne reposent sur rien de rationnel.

Il tenait en outre l’intensité comme l’apanage, et peut-être la marque, du génie. Après quelque profusion trop décorative, dans ses œuvres de jeunesse, des maniérismes et des langueurs prodiguées, Keats en vint très vite à répudier tout didactisme, tout excès de couleur ou de gênante présence du poète (lettre du 3 févr. 1818).  » La poésie doit nous frapper comme l’expression, par mots, des plus hautes pensées, et nous paraître presque une réminiscence  » (27 févr. 1818). Dans les meilleurs de ses vers, le poète si jeune encore élimine toute rhétorique, toute virtuosité verbale comme celle de Byron ou de Swinburne, les prosaïsmes qu’avait recherchés ou consentis Wordsworth, et même une certaine mollesse qui affaiblit parfois Shelley. Il y a dans les odes et dans Hyperion , aussi bien que dans une dizaine de sonnets, une densité, une concentration explosive, et un toucher infaillible pour réaliser l’adéquation juste et pleine entre l’émotion ou la pensée et l’expression.

Car il y a une pensée personnelle et profonde chez Keats, comme chez Goethe, Baudelaire, Mallarmé ou Rilke. Il a vécu le rêve romantique d’évasion vers la Grèce, terre de la beauté, mais surtout de la mythologie, qui animait la nature, et des dieux païens, chers à Keats qui ne fut jamais touché par le puritanisme, par le christianisme ou même par le spiritualisme platonicien. Dans une très belle lettre du 3 mai 1818, il a parlé du passage graduel d’une demeure de la pensée juvénile à d’autres logis moins radieux, dans lesquels on sent la présence de la misère humaine et on porte ce que Wordsworth appelait  » le fardeau du mystère « . Il imagina un moment les Grecs comme un peuple serein, content de vivre pour la beauté. Pourtant il aperçut plus vite que Chénier ou Schiller ce qu’avait de partiel cette idéalisation. À la fin de sa vie, révisant son Hyperion , il dépeignait un temple dont seuls peuvent gravir l’escalier  » ceux pour qui les misères du monde sont misère, et ne leur laissent nul repos « . À celle qu’il aimait jusqu’à la torture, il confessait éprouver en son cœur les souffrances qu’Hamlet aimant Ophélie avait dû ressentir, malgré ses sarcasmes. Comme Rimbaud, en trois ou quatre années, Keats concentra l’expérience de plusieurs existences et atteignit une perfection artistique si riche de vie, de variété, si infaillible dans ses réussites que bien des critiques de son pays ont répété le mot de Matthew Arnold :  » Il est, avec Shakespeare, au premier rang des poètes. « 

Voir aussi:

Ne me Keats pas

Didier Péron

Libération

6 janvier 2010

En 1990, dans Un ange à ma table, la cinéaste néo-zélandaise Jane Campion retraçait dans son deuxième long métrage la vie chaotique de sa compatriote, l’écrivain Janet Frame (1924-2004) : diagnostiquée à tort comme schizophrène et internée pendant près d’une dizaine d’années en hôpital psychiatrique où après de nombreux électrochocs, elle réchappait de peu à la lobotomie. Aujourd’hui, avec Bright Star, elle poursuit ce dialogue entre biographie tourmentée et création littéraire en évoquant l’amour passionné (mais chaste) entre le poète John Keats (1795-1821) et sa voisine Fanny Brawne, dans l’Angleterre des années 1820.

De nombreuses similitudes entre Frame et Keats frappent d’emblée en dépit de leurs éloignements historique, géographique et esthétique. D’abord, ils viennent de milieux sociaux qui ne les prédestinent pas à la carrière littéraire : Frame était née dans une famille ouvrière (père cheminot, mère femme de ménage), le père de Keats tenait une écurie de louage. Ensuite, ils sont très tôt frappés par le malheur en cascade : Janet Frame est traumatisée par la mort de deux de ses sœurs, l’une et l’autre noyées au cours d’accidents successifs . John Keats connaît le deuil dès l’enfance, il n’a que 8 ans quand son père meurt d’un accident de cheval, 14 ans quand sa mère est emportée par la tuberculose. Il sera ensuite confronté, comme on le voit dans le film, à la maladie identique d’un de ses frères, Thomas, qui expire en crachant le sang à l’âge canonique de 19 ans. D’emblée s’instaure, donc, dans les deux films un double rapport d’adversité et d’héroïsme, face aux hiérarchies sociales défavorisantes et aux assauts d’un destin catastrophique.

Bien qu’elle s’appuie sur la biographie de Keats écrite par Andrew Motion (non traduite en français), la cinéaste a composé un scénario original qui donne une part plus grande à Fanny Brawne qu’au poète. Du moins, c’est par son regard de fille moderne (ou tentant de l’être), issue d’une famille relativement aisée de la banlieue de Londres, se piquant de mode et fabriquant elle-même ses extravagants robes et chapeaux, que la cinéaste approche, comme en marchant sur des œufs, le mystère de la création. De manière significative, l’acte d’écrire lui-même n’est jamais véritablement représenté, ou alors sous la forme comique d’une séance de travail qui allait à peine commencer et que la jeune fille, désinvolte, peu sensible a priori aux muses poétiques, interrompt par ses intrusions intempestives ou ses questions déplacées.

La première mention de Fanny Brawne dans la correspondance de Keats, en décembre 1818, n’est d’ailleurs pas très flatteuse : «Elle se conduit de manière épouvantable, s’emballant à tout bout de champs, traitant les gens de tous les noms au point que je me suis obligé à la qualifier de « pimbêche ».» Pourtant, les liens se resserrent rapidement, Fanny est séduite par la douceur du jeune homme ; lui est conquis par sa fraîcheur et sa liberté d’esprit. Un an plus tard, alors qu’il se trouve sur l’île de Wight en voyage, il lui envoie une dizaine de lettres-poèmes, témoignages d’un amour brûlant : «Je rêve que nous soyons des papillons n’ayant à vivre que trois jours d’été. Avec vous, ces trois jours seraient plus plaisants que cinquante années d’une vie ordinaire.»

«Cockney». En octobre 1819, les deux jeunes gens se fiancent en secret, mais le mariage n’est pas envisageable selon les codes de l’époque. Car Keats n’a pas d’argent, il ne peut donc prétendre demander la main de Fanny. Campion décrit très bien ce mélange étrange de libéralisme moral, qui voit par exemple la mère de Fanny ne pas chercher à violemment séparer une union qu’elle jugerait socialement inappropriée (même si elle le dit et le répète), et de rigidité des codes sociaux anglais dominée par un sentiment aristocratique puissant. Ainsi, dimension que le film ne traite pas pour le coup, dès la parution de ses premiers poèmes, Keats est jugé avec mépris comme le rejeton dégénéré des quartiers «cockney», roturier sans éducation et usant de licences poétiques «indécentes». Lord Byron qui est, à l’époque avec Shelley, le représentant d’une jeunesse dorée, héritière de fortunes familiales et formée dans les meilleures universités, qualifiera d’ailleurs la poésie de Keats de «masturbation mentale». Le romantisme anglais contient donc sui generis la forte polarité sociale anglaise et s’élabore dans deux creusets de nature fort distincte : d’un côté de belles âmes sans souci matériel soignant leur mal de vivre au gré de grands voyages orientaux ; de l’autre, un orphelin désargenté, autodidacte des lettres, s’inscrivant à une formation de chirurgien dans l’un des quartiers les plus populaires de Londres, près du Guy’s Hospital, et payant son loyer en faisant des pansements.

Campion est quand même plus intéressée par la guerre des sexes que par la lutte des classes. Elle évoque la pauvreté de Keats, mais c’est surtout la littérature comme sport masculin qu’elle représente au premier chef. Ainsi le personnage de Charles Brown est-il chargé de toutes les caractéristiques d’une virilité coupable. Si Keats est maladif et androgyne (un genre de rock star british qui ne demande qu’à éclore), Brown est l’homme en pleine santé, à grosse voix et barbe, essayant d’empêcher la donzelle Fanny Brawne de distraire son protégé des geysers de son propre génie. L’amitié poétique est ainsi perçue comme une homosexualité qui ne dit pas son nom.

Linceul. Bien que nous assistions en somme à l’émergence du romantisme, Jane Campion ne cherche jamais ici à courir sur les lignes de crête qui jalonnent cette histoire – drame personnel, confrontation littéraire souvent acerbe, passion contrariée, jalousie, dépression et exaltation… -, elle se tient à dessein sur un chemin de contrebas où le tumulte ne parvient qu’amorti, filtré. C’est une passion courte pour une vie brève, mais perçue à pas lents et feutrés. Le couple central lui-même, interprété par deux acteurs délicieusement séduisants (Ben Whishaw et Abbie Cornish), se détache presque en creux sur une toile où le fond (paysages, accessoires, costumes…) et surtout les seconds rôles (incroyable silhouette des jeunes frères et sœurs de Fanny, pittoresque de la coterie campagnarde entourant Keats…) sont traités avec des reliefs plus soutenus.

Fanny et John sont pour ainsi dire des personnages préposthumes qui ne trouveront d’épaisseurs et de raison d’être qu’une fois glissés dans le linceul d’une mort embellissante. Les deux amants étant le plus souvent éloignés, ils ne restent à filmer pour la jeune fille en fleur que le fétichisme d’un corps masculin qui ne se donne véritablement qu’à travers des lettres déchirantes, des lambeaux de phrases tombées d’une bouche d’or, très vite barbouillée du sang artériel de la tuberculose qui le tuera à 25 ans :«La poésie de la terre ne s’arrête jamais», «Astre étincelant, que ne suis-je comme toi, immuable ?», «Quel est donc ce cortège qui s’avance en vue du sacrifice ?». Extrêmement composé, le film – qui a, selon le vœu de Jane Campion, la forme d’une «ballade», c’est-à-dire procédant par strophes, rythmes internes et ellipses – parvient à procurer le vertige d’une poésie qui s’invente au présent.

Si, après la projection, les larmes séchées, l’on veut en savoir plus sur Keats, on peut lire sa poésie (notamment dans un recueil de poche chez Gallimard), ainsi que la riche étude à la fois biographique et critique que lui a consacrée Christian La Cassagnère, sous le titre John Keats, les terres perdues (éd. Aden). Il nous éclaire sur un des nombreux aspects que le film laisse de côté, à savoir le souci du jeune homme non de compter fleurette ou de dire son malaise, mais d’affronter le mythe à travers les modèles écrasants de Shakespeare et de John Milton. Les longs textes – tels qu’Endymion ou l’inachevé Hyperion, tableau grandiose des Titans égarés, sans puissance, dans une vallée obscure – témoigne d’une ambition artistique que le film tend sans doute à minorer. Hyperion résume aussi le fond mélancolique d’un artiste qui ne connaîtra jamais la gloire auquel il avait désespérément aspiré jusqu’à son dernier soupir, «un poème sur l’essence tragique de l’homme», écrit La Cassagnère. «A travers le récit de la chute des dieux, Keats représente un être qui a pour destin de se constituer comme sujet dans une perte qui le laisse déshérité.»

Bright Star de Jane Campion avec Abbie Cornish, Ben Whishaw, Paul Schneider, Kerry Fox… 1 h 59.

Voir encore:

Bright Star: Campion’s Film About the Life and Love of Keats

Poets.org

A portrait of love and loss, Jane Campion’s film Bright Star chronicles the tragic love affair between John Keats and his neighbor, Fanny Brawne, throughout the years in which Keats wrote several of the most celebrated poems of the Romantic period. Told from Brawne’s perspective on the romance, the film not only reveals the evolution of their young love, but traces Brawne’s introduction and immersion into Keats’s world of poetry, beginning with apathy and ending with passionate involvement.

Though at the time the lovers meet in 1818 Keats has already established himself in the literary world, his career does not afford him the financial means to marry. Knowing this, Brawne’s interaction with Keats is limited, so she injects herself into his life by feigning an interest in poetry.

One of the most intimate early scenes of the relationship takes place over an impromptu poetry lesson, though Keats is suspicious of Brawne. When she asks for an introduction concerning « the craft of poetry, » Keats dismisses the notion: « Poetic craft is a carcass, a sham. If poetry doesn’t come as naturally as leaves to a tree, then it better not come at all. »

As the conversation continues, however, Brawne earns Keats’s trust, and he offers a more useful explanation: « A poem needs understanding through the senses. The point of diving in a lake is not immediately to swim to the shore; it’s to be in the lake, to luxuriate in the sensation of water. You do not work the lake out. It is an experience beyond thought. Poetry soothes and emboldens the soul to accept mystery. »

From that point on, Brawne develops an obsession with poetry—mostly Keats’s own poems—and occasionally recites favorite verses from memory. It is through Brawne that much of the poetry of the film reveals itself, either from her memory, or read to her by Keats.

Poems excerpted in the film include the book-length sequence Endymion, « When I Have Fears that I May Cease to Be, » « The Eve of St. Agnes, section XXIII, [Out went the taper as she hurried in], » « Ode to a Nightingale, » « La Belle Dame Sans Merci, » and the title poem, « Bright Star, » which Campion depicts as having been written with Brawne as Keats’s muse, though the historical evidence is inconclusive.

As Andrew Motion notes in Keats: A Biography (which Campion credits as having inspired the film), there are two parallels between the poem and Brawne: the first is found in one of Keats’s love letters to Brawne (« I will imagine you Venus tonight and pray, pray, pray to your star like a Heathen. Your’s ever, fair Star. »), and the second is the fact that in 1819 she transcribed the poem in a book by Dante which Keats had given her. There are, however, poems that were definitely written to Brawne (« The day is gone… » and « I cry your mercy… »), and Motion points out that their form resembles that of the title poem.

Another of Keats’s works unmistakably written for Brawne is the poem « To Fanny, » the last known poem written by Keats. In it, the poet addresses doubts and suspicions about Fanny—a turn at the end of Keats’s life that Campion understandably leaves out of the film entirely.

« [‘To Fanny’] begins with a desperate challenge to the advice that [Keats] should avoid writing, » explains Motion, « describing ‘verse’ as an illness which ‘Physician Nature’ must cure by bleeding. »

Though Campion’s film excludes any mention of Keat’s suspicions, Motion explains how the handwritten manuscript of Keats’s final poem offers « touching evidence » of the state the poet was in when he wrote it: « Initially large and wild, with several letters hastily unformed, Keats’s handwriting eventually slackens and splays. He was obviously worn out. The fact that it was the last poem he wrote makes this all the more moving. »

Voir enfin:

Enjoying « La Belle Dame Sans Merci », by John Keats

Ed Friedlander, M.D.

This pursued through volumes might take us no further than this, that with a great poet the sense of Beauty overcomes every other consideration, or rather obliterates all consideration.

— Keats (Dec. 21, 1817)

I’m a physician and medical school teacher in real life. I’ve liked Keats since I was in high school. Generally I enjoy the classics because they say what most of us have thought, but much more clearly.

The real John Keats is far more interesting than the languid aesthete of popular myth. Keats was born in 1795, the son of a stable attendant. As a young teen, he was extroverted, scrappy, and liked fistfighting. In 1810 he became an apprentice to an apothecary-surgeon, and in 1815 he went to medical school at Guy’s Hospital in London. In 1816, although he could have been licensed to prepare and sell medicines, he chose to devote his life entirely to writing poetry.

In 1818, Keats took a walking tour of the north of England and Scotland, and nursed his brother Tom during his fatal episode of tuberculosis.

By 1819, Keats realized that he, too, had tuberculosis. If you believe that most adult TB is from reactivation of a childhood infection, then he probably caught it from his mother. If you believe (as I do) that primary progressive TB is common, then he may well have caught it from Tom. Or it could have come from anybody. TB was common in Keats’s era.

Despite his illness and his financial difficulties, Keats wrote a tremendous amount of great poetry during 1819, including « La Belle Dame Sans Merci ».

On Feb. 3, 1820, Keats went to bed feverish and feeling very ill. He coughed, and noticed blood on the sheet. His friend Charles Brown looked at the blood with him. Keats said, « I know the color of that blood; it is arterial blood. I cannot be deceived. That drop of blood is my death warrant. » (Actually, TB is more likely to invade veins than arteries, but the blood that gets coughed up turns equally red the instant it contacts oxygen in the airways. The physicians of Keats’s era confused brown, altered blood with « venous blood », and fresh red blood with « arterial blood ».) Later that night he had massive hemoptysis.

Seeking a climate that might help him recover, he left England for Italy in 1820, where he died of his tuberculosis on Feb. 23, 1821. His asked that his epitaph read, « Here lies one whose name was writ in water. »

Percy Shelley, in « Adonais », for his own political reasons, claimed falsely that bad reviews of Keats’s poems (Blackwoods, 1817) had caused Keats’s death. Charles Brown referred to Keats’s « enemies » on Keats’s tombstone to get back at those who had cared for him during his final illness. And so began the nonsense about Keats, the great poet of sensuality and beauty, being a sissy and a crybaby.

There is actually much of the modern rock-and-roll star in Keats. His lyrics make sense, he tried hard to preserve his health, and he found beauty in the simplest things rather than in drugs (which were available in his era) or wild behavior. But in giving in totally to the experiences and sensations of the moment, without reasoning everything out, Keats could have been any of a host of present-day radical rockers.

O for a Life of Sensations rather than of Thoughts! It is a « Vision in the form of Youth » a shadow of reality to come and this consideration has further convinced me… that we shall enjoy ourselves here after having what we called happiness on Earth repeated in a finer tone and so repeated. And yet such a fate can only befall those who delight in Sensation rather than hunger as you do after Truth.

— Keats to Benjamin Bailey, Nov. 22, 1817

If you are curious to learn more about Keats, you’ll find he was tough, resilient, and likeable.

« La Belle Dame Sans Merci » exists in two versions. The first was the original one penned by Keats on April 21, 1819. The second was altered (probably at the suggestion of Leigh Hunt, and you might decide mostly for the worse) for its publication in Hunt’s Indicator on May 20, 1819.

Manuscript

I

Oh what can ail thee, knight-at-arms,

Alone and palely loitering?

The sedge has withered from the lake,

And no birds sing.

II

Oh what can ail thee, knight-at-arms,

So haggard and so woe-begone?

The squirrel’s granary is full,

And the harvest’s done.

III

I see a lily on thy brow,

With anguish moist and fever-dew,

And on thy cheeks a fading rose

Fast withereth too.

IV

I met a lady in the meads,

Full beautiful – a faery’s child,

Her hair was long, her foot was light,

And her eyes were wild.

V

I made a garland for her head,

And bracelets too, and fragrant zone;

She looked at me as she did love,

And made sweet moan.

VI

I set her on my pacing steed,

And nothing else saw all day long,

For sidelong would she bend, and sing

A faery’s song.

VII

She found me roots of relish sweet,

And honey wild, and manna-dew,

And sure in language strange she said –

‘I love thee true’.

VIII

She took me to her elfin grot,

And there she wept and sighed full sore,

And there I shut her wild wild eyes

With kisses four.

IX

And there she lulled me asleep

And there I dreamed – Ah! woe betide! –

The latest dream I ever dreamt

On the cold hill side.

X

I saw pale kings and princes too,

Pale warriors, death-pale were they all;

They cried – ‘La Belle Dame sans Merci

Hath thee in thrall!’

XI

I saw their starved lips in the gloam,

With horrid warning gaped wide,

And I awoke and found me here,

On the cold hill’s side.

XII

And this is why I sojourn here

Alone and palely loitering,

Though the sedge is withered from the lake,

And no birds sing.

Published

I

Ah, what can ail thee, wretched wight,

Alone and palely loitering?

The sedge is wither’d from the lake,

And no birds sing.

II

Ah, what can ail thee, wretched wight,

So haggard and so woe-begone?

The squirrel’s granary is full,

And the harvest’s done.

III

I see a lily on thy brow,

With anguish moist and fever dew;

And on thy cheek a fading rose

Fast withereth too.

IV

I met a lady in the meads,

Full beautiful – a faery’s child;

Her hair was long, her foot was light,

And her eyes were wild.

V

I set her on my pacing steed,

And nothing else saw all day long,

For sideways would she lean, and sing

A faery’s song.

VI

I made a garland for her head,

And bracelets too, and fragrant zone;

She look’d at me as she did love,

And made sweet moan.

VII

She found me roots of relish sweet,

And honey wild, and manna dew;

And sure in language strange she said –

‘I love thee true.’

VIII

She took me to her elfin grot,

And there she gazed, and sighed deep,

And there I shut her wild wild eyes

So kiss’d to sleep.

IX

And there we slumber’d on the moss,

And there I dream’d – Ah! woe betide!

The latest dream I ever dream’d

On the cold hill side.

X

I saw pale kings, and princes too,

Pale warriors, death-pale were they all;

They cried – ‘La Belle Dame sans Merci

Hath thee in thrall!’

XI

I saw their starved lips in the gloam,

With horrid warning gaped wide,

And I awoke, and found me here

On the cold hill side.

XII

And this is why I sojourn here,

Alone and palely loitering,

Though the sedge is wither’d from the lake,

And no birds sing.

The Story

The poet meets a knight by a woodland lake in late autumn. The man has been there for a long time, and is evidently dying.

The knight says he met a beautiful, wild-looking woman in a meadow. He visited with her, and decked her with flowers. She did not speak, but looked and sighed as if she loved him. He gave her his horse to ride, and he walked beside them. He saw nothing but her, because she leaned over in his face and sang a mysterious song. She spoke a language he could not understand, but he was confident she said she loved him. He kissed her to sleep, and fell asleep himself.

He dreamed of a host of kings, princes, and warriors, all pale as death. They shouted a terrible warning — they were the woman’s slaves. And now he was her slave, too.

Awakening, the woman was gone, and the knight was left on the cold hillside.

Notes

« La Belle Dame Sans Merci » means « the beautiful woman without mercy. » It’s the title of an old French court poem by Alain Chartier. (« Merci » in today’s French is of course « thank you ».) Keats probably knew a current translation which was supposed to be by Chaucer. In Keats’s « Eve of Saint Agnes », the lover sings this old song as he is awakening his beloved.

« Wight » is an archaic name for a person. Like most people, I prefer « knight at arms » to « wretched wight », and obviously the illustrators of the poem did, too. (« Until I met her, I was a man of action! »)

« Sedge » is any of several grassy marsh plants which can dominate a wet meadow.

« Fever dew » is the sweat (diaphoresis) of sickness. Keats originally wrote « death’s lily » and « death’s rose », and he refers to the flush and the pallor of illness. If the poet can actually see the normal red color leaving the cheeks of the knight, then the knight must be going rapidly into shock, i.e., the poet has come across the knight right as he is dying, and is recording his last words. (The knight is too enwrapped in his own experience to notice.)

Medieval fairies (dwellers in the realm of faerie) were usually human-sized, though Shakespeare’s Midsummer Night’s Dream allowed them (by negative capability) to be sometimes-diminutive.

« Sidelong » means sideways. A « fragrant zone » is a flower belt. « Elfin » means « pertaining to the elves », or the fairy world. A « grot » is of course a grotto. « Betide » means « happen », and « woe betide » is a more romantical version of the contemporary expression « —- happens ». « Gloam » means gloom. A « thrall » is an abject slave.

The Poem’s Inspiration

Keats had a voluminous correspondence, and we can reconstruct the events surrounding the writing of « La Belle Dame Sans Merci ». He wrote the poem on April 21, 1819. It appears in the course of a letter to his brother George, usually numbered 123. You may enjoy looking this up to see how he changed the poem even while he was writing it.

At the time, Keats was very upset over a hoax that had been played on his brother Tom, who was deceived in a romantic liaison. He was also undecided about whether to enter into a relationship with Fanny Brawne, who he loved but whose friends disapproved of the possible match with Keats.

Shortly before the poem was written, Keats recorded a dream in which he met a beautiful woman in a magic place which turned out to be filled with pallid, enslaved lovers.

Just before the poem was written, Keats had read Spenser’s account of the false Florimel, in which an enchantress impersonates a heroine to her boyfriend, and then vanishes.

All these experiences probably went into the making of this powerful lyric.

In the letter, Keats followed the poem with a chuckle.

Why four kisses — you will way — why four? Because I wish to restrain the headlong impetuosity of my Muse — she would have fain said « score » without hurting the rhyme — but we must temper the imagination as the critics say with judgment. I was obliged to choose an even number that both eyes might have fair play: and to speak truly I think two apiece quite sufficient. Suppose I had said seven; there would have been three and a half apiece — a very awkward affair — and well got out of on my side —

Keats’s Themes

John Keats’s major works do not focus on religion, ethics, morals, or politics. He mostly just writes about sensations and experiencing the richness of life.

In his On Melancholy, Keats suggests that if you want to write sad poetry, don’t try to dull your senses, but focus on intense experience (not even always pleasant — peonies are nice, being b_tched out by your girlfriend isn’t), and remember that all things are transient. Only a poet can really savor the sadness of that insight.

In Lamia, a magic female snake falls in love with a young man, and transforms by magic into a woman. They live together in joy, until a well-intentioned scholar ruins the lovers’ happiness by pointing out that it’s a deception. Until the magic spell is broken by the voice of reason and science, they are both sublimely happy. It invites comparison with « La Belle Dame Sans Merci ».

Richard Dawkins took a line from « Lamia » for the title of his book, Unweaving the Rainbow, against the familiar (romantic?) complaints that studying nature (as it really is) makes you less appreciative of the world’s beauty. (I agree with Dawkins. I haven’t found that being scientific spoils anybody’s appreciation of beauty. — Ed.)

In On a Grecian Urn, Keats admires a moment of beauty held forever in a work of art. The eternal moment, rather than the stream of discursive, rational thought, led Keats to conclude, « Beauty is truth, truth beauty — that is all you know, or ever need to know. »

To a Nightingale recounts Keats’s being enraptured (by a singing bird) out of his everyday reality. He stopped thinking and reasoning for a while, and after the experience was over, he wondered which state of consciousness was the real one and which was the dream.

To Autumn is richly sensual, and contrasts the joys of autumn to the more-poetized joys of spring. Keats was dying at the time, and as in « La Belle Dame Sans Merci », Keats is probably describing, on one level, his own final illness — a time of completion, consummation, and peace.

Ask your instructor about Keats’s « pleasure thermometer ». The pleasure of nature and music gives way to the pleasure of sexuality and romance which in turn give way to the pleasure of visionary dreaming.

What’s It All About?

Keats focuses on how experiencing beauty gives meaning and value to life. In « La Belle Dame Sans Merci », Keats seems to be telling us about something that may have happened, or may happen someday, to you.

You discover something that you think you really like. You don’t really understand it, but you’re sure it’s the best thing that’s ever happened to you. You are thrilled. You focus on it. You give in to the beauty and richness and pleasure, and let it overwhelm you.

Then the pleasure is gone. Far more than a normal letdown, the experience has left you crippled emotionally. At least for a while, you don’t talk about regretting the experience. And it remains an important part of who you feel that you are.

Drug addiction (cocaine, heroin, alcohol) is what comes to my mind first. We’ve all known addicts who’ve tasted the pleasures, then suffered the health, emotional, and personal consequences. Yet I’ve been struck by how hard it is to rehabilitate these people, even when hope seems to be gone. They prefer to stagnate.

Vampires were starting to appear in literature around Keats’s time, and the enchantress of « La Belle Dame Sans Merci » is one of a long tradition of supernatural beings who have charmed mortals into spiritual slavery. Bram Stoker’s « Dracula » got much of its bite from the sexuality and seductiveness of the vampire lord.

Anyone who has seen or read « Coraline » can explore whether the « Beldame », who offers love and then imprisons her victims, is related to Keats’s « Belle Dame ». Explore the origins of the word in folklore. The theme of « Coraline » seems to be that if parents do not give attention to, and attend to the emotional needs of, their children… then other people will. And they will be the wrong people.

Failed romantic relationships (ended romances, marriages with the love gone) account for an astonishing number of suicides. Rather than giving up and moving on, men and women find themselves disabled, but not expressing sorrow that the relationship occurred.

Ideologies bring enormous excitement and happiness to new believers. They offer camaraderie and the thrill of thinking that you are intellectually and morally superior and about to change the world for the better. Members of both the Goofy Right and the Goofy Left seemed very happy on my college campus, and I’ve seen the satisfaction that participation in ideological movements brings people ever since. People who leave these movements (finding out that the movements are founded on lies) are often profoundly saddened and lonely.

Religious emotionalism can have an enormous impact, and some lives are permanently changed for the better at revivals. But some people who have come upon a faith commitment emotionally find themselves devastated when the emotions fade, and become unable to function even at their old level.

The Vilia is a Celtic woodland spirit, celebrated by Lehar and Ross in a love song from « The Merry Widow », 1905. The song itself was popular during the 1950’s. The song deals with a common human experience — never being able to recover the first ardor of love. The show itself celebrates that people CAN find love again.

There once was a VIlia, a witch of the wood,

A hunter beheld her alone as she stood,

The spell of her beauty upon him was laid;

He looked and he longed for the magical maid!

For a sudden tremor ran,

Right through the love bwildered man,

And he sighed as a hapless lover can.

Vilia, O Vilia! the witch of the wood!

Would I not die for you, dear, if I could?

Vilia, O Vilia, my love and my bride,

Softly and sadly he sighed.

The wood maiden smiled and no answer she gave,

But beckoned him into the shade of the cave,

He never had known such a rapturous bliss,

No maiden of mortals so sweetly can kiss!

As before her feet he lay,

She vanished in the wood away,

And he called vainly till his dying day!

Vilia, O Vilia, my love and my bride!

Softly and sadly he sighed, Sadly he sighed, « Vilia. »

Vilia — organ chorded version

Vilia — Chet Atkins, jazzier guitar version

Beauty itself, fully appreciated (as only a poet can), must by its impermanence devastate a person. Or so wrote Keats in his « To Melancholy », where the souls of poets hang as « cloudy trophies » in the shrine of Melancholy.

My experience has been more in keeping with Blake’s: « He who kisses a joy as it flies / Lives in eternity’s sunrise. »

Keats praised Shakespeare’s « negative capability ». If I understand the passage correctly, he’s referring to the lack of unambiguous messages in Shakespeare’s works. Instead of preaching or moralizing, Shakespeare’s works mirror life, and let the reader take away his or her own conclusions.

In « La Belle Dame Sans Merci » Keats is letting the reader decide whether the knight’s experience was worth it. Keats (the master of negative capability) records no reply to the dying knight.

For Discussion

What do people mean by « romanticism »? Some common features of works from the movement are:

simple language;

medieval subject matter;

supernatural subject matter;

emphasis on beauty, emotion, and sensuality;

emphasis on unreason.

In the middle ages, ballads were popular songs that told stories. Keats has imitated the ballad form, and you can find more ballads in the library.

Why did Keats choose this meter for his poem? The short-footed final lines of each stanza come as a bit of a surprise, and because of the spondees, they take as long to recite as the other lines. Their sudden slowness reminds me of the knight’s loss.

Unless you choose to use your own « negative capability », try to figure out the story. Is the woman a wicked temptress, trying to destroy men for caprice or sheer cruelty? Or are her tactics her way of defending her life and/or the people of her supernatural nation? Or is she, too, unable to fully join with mortal men, and as sad and frustrated as the men whose lives she has touched? Does the knight stay by the lake because he sees no further purpose in living, or because his experience has redefined him as a person, or because he expects the woman to return? What happened to his horse? Is the knight a ghost?

Why did Keats start the poem as he did? He paints a late-autumn scene (« the squirrel’s granary is full »). Is this setting the scene, or using nature to mirror a knight’s condition? Is there perhaps a more sinister / magical reason that the sedge is withering, or that no birds are singing? (Rachel Carson is said to have chosen the title « Silent Spring » — which correctly made the public aware of the danger that widespread DDT use had on the health of birds — after remembering this poem.)

Conservatives have suggested that the enchantress in the poem is a nature-cult that leads to demonic possession. Be this as it may, what is the fascination of the supposed supernatural and magical? Do you know anybody who has had a good and/or a bad experience with something like this?

To include this page in a bibliography, you may use this format: Friedlander ER (1999) Enjoying « La Belle Dame Sans Merci » by John Keats Retrieved Dec. 25, 2003 from http://www.pathguy.com/lbdsm.htm

For Modern Language Association sticklers, the name of the site itself is « The Pathology Guy » and the Sponsoring Institution or Organization is Ed Friedlander MD.

Links sedge; courtesy of a cranberry company

Keats

Keats Biography

Yahoo on John Keats

Keats

Keats

Negative Capability

http://www.john-keats.com

Thomas of Erceldoune (Thomas the Rhymer) was another mortal who was taken by the fairies to their realm where they live in prosperity, peace, and delight — as Satan’s cattle.

U. Florida drawings of sedges, etc.

« English Teaching Life » has evidently used this page to instruct people who are learning the language. I am very pleased by this, and commend Jan as a teacher

The Vale of Soul Making

There’s something else.

As I’ve mentioned, Keats does not deal with conventional religion in his poems. In several of his private letters, he explicitly stated that he did not believe in Christianity, or in any of the other received faiths of his era.

As he faced death, it’s clear that Keats did struggle to find meaning in life. And in the same letter (123) that contains the original of « La Belle Dame Sans Merci », Keats gives his answer.

The common cognomen of this world among the misguided and superstitious is « a vale of tears » from which we are to be redeemed by a certain arbitrary interposition of God and taken to Heaven. What a little circumscribed straightened notion!

Call the world, if you please, « the Vale of Soul Making ». Then you will find out the use of the world….

There may be intelligences or sparks of the divinity in millions — but they are not Souls till they acquire identities, till each one is personally itself.

Intelligences are atoms of perception — they know and they see and they are pure, in short they are God. How then are Souls to be made? How then are these sparks which are God to have identity given them — so as ever to possess a bliss peculiar to each one’s individual existence. How, but in the medium of a world like this?

This point I sincerely wish to consider, because I think it a grander system of salvation than the Christian religion — or rather it is a system of Spirit Creation…

I can scarcely express what I but dimly perceive — and yet I think I perceive it — that you may judge the more clearly I will put it in the most homely form possible. I will call the world a school instituted for the purpose of teaching little children to read. I will call the human heart the hornbook used in that school. And I will call the child able to read, the soul made from that school and its hornbook.

Do you not see how necessary a world of pains and troubles is to school an intelligence and make it a soul? A place where the heart must feel and suffer in a thousand diverse ways….

As various as the lives of men are — so various become their souls, and thus does God make individual beings, souls, identical souls of the sparks of his own essence.

This appears to me a faint sketch of a system of salvation which does not affront our reason and humanity…

Keats believed that we begin as identical bits of God, and acquire individuality only by life-defining emotional experiences. By doing this, we prepare ourselves for happiness in the afterlife.

You may decide for yourself (or exercise negative capability) about whether you will believe Keats. But it’s significant that this most intimate explanation of the personal philosophy behind his work follows a powerful lyric about emotional devastation.

If Keats’s philosophy is correct, then any intense experience — even letting your life rot away after a failed relationship, or enduring the agony of heroin withdrawal, or dying young of tuberculosis — is precious. (Perhaps Keats, medically trained and knowing he had been massively exposed, was foreseeing his own from TB — he would have been pale and sweaty and unable to move easily.) Each goes into making you into a unique being.

The idea is as radical as it sounds. And if you stay alert, you’ll encounter similar ideas again and again, in some of the most surprising places.

Diotima

He who from these ascending under the influence of true love, begins to perceive that beauty, is not far from the end. And the true order of going, or being led by another, to the things of love, is to begin from the beauties of earth and mount upwards for the sake of that other beauty, using these as steps only, and from one going on to two, and from two to all fair forms, and from fair forms to fair practices, and from fair practices to fair notions, until from fair notions he arrives at the notion of absolute beauty, and at last knows what the essence of beauty is.

Monty Python’s « The Meaning of Life »

In the universe, there are many energy fields which we cannot normally perceive. Some energies have a spiritual source, which act upon a person’s soul. The soul does not exist ab initio, as orthodox Christianity teaches. It has to be brought into existence by a process of guided self-observation. However, this is rarely achieved, owing to man’s unique ability to be distracted from spiritual matters by everyday trivia.

Planescape — adventure gaming based on philosophies of life, where the Sensate faction lives out Keats’s ideals.

Dean Koontz, « Intensity »

Mr. Vess is not sure if there is such a thing as the immortal soul, but he is unshakably certain that if souls exist, we are not born with them in the same way that we are born with eyes and ears. He believes that the soul, if real, accretes in the same manner as a coral reef grows from the deposit of countless millions of calcareous skeletons secreted by marine polyp. We build the reef of the soul, however, not from dead polyps but from steadily accreted sensations through the course of a lifetime. In Vess’s considered opinion, if one wishes to have a formidable soul — or any soul at all — one must open oneself to every possible sensation, plunge into the bottomless ocean of sensory stimuli that is our world, and experience with no consideration of good or bad, right or wrong, with no fear but only fortitude.

I’m an MD, a pathologist in Kansas City, a mainstream Christian. a modernist, a skydiver, an adventure gamer, the world’s busiest free internet physician, and a man who still enjoys books and ideas.

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Brown University, Department of English — my home base, 1969-1973.

More of my stuff:

Antony & Cleopatra — just getting started

The Book of Thel

Hamlet

Julian of Norwich

King Lear

The Lady of Shalott

A Midsummer Night’s Dream

Macbeth

Moby Dick

Oedipus the King

Prometheus Bound

Romeo and Juliet — just a short note

The Knight’s Tale

The Seven Against Thebes

The Tyger

Timbuctoo

Twelfth Night

I do not possess Keats’s negative capability. You get over a failed relationship by making a conscious decision to do so. I want to grab the horseman in the poem and yell, « Cowboy up! » or something. I suspect most visitors to this page would want to do exactly the same thing.

If I don’t share Keats’s focus on beauty and sensation over everything else, I do appreciate him for his insights into the human heart.

Teens: Stay away from drugs, work yourself extremely hard in class or at your trade, play sports if and only if you like it, and get out of abusive relationships by any means. If the grown-ups who support you are « difficult », act like you love them even if you’re not sure that you do. It’ll help you and them. The best thing anybody can say about you is, « That kid likes to work too hard and isn’t taking it easy like other young people. » Health and friendship.

Like Keats, I had tuberculosis in 1978-82. It was memorable. I’m grateful to modern, reality-based science for my cure.

2 Responses to Poésie/Keats: Cette étrange capacité négative que Shakespeare possédait à un degré énorme … (Solomon in all his glory was not arrayed like one of these)

  1. […] les plus dévoués, par l’étrange ressemblance de cette sorte d’ »équivalent poétique du Dieu qui fait briller son soleil et tomber sa pluie sur les justes comme sur les […]

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  2. […] Il n’y a que l’Occident chrétien qui ait jamais trouvé la perspective et ce réalisme photographique dont on dit tant de mal: c’est également lui qui inventé les caméras. Jamais les autres univers n’ont découvert ça. Un chercheur qui travaille dans ce domaine me faisait remarquer que, dans le trompe l’oeil occidental, tous les objets sont déformés d’après les mêmes principes par rapport à la lumière et à l’espace: c’est l’équivalent pictural du Dieu qui fait briller son soleil et tomber sa pluie sur les justes comme sur les injustes. On cesse de représenter en grand les gens importants socialement et en petit les autres. C’est l’égalité absolue dans la perception. René Girard  […]

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