Pollice verso: Et quand le peuple l’ordonne en tournant le pouce (Slaying whomsoever the mob with a turn of the thumb bids them)

Naguère sonneurs de cor et habitués de l’arène des villes de province, joues bien connues des bourgades, ils financent maintenant des jeux, et quand le peuple l’ordonne en tournant le pouce, ils tuent pour se faire bien voir; et en revenant de l’arène, ils soumissionnent pour des chiottes…  Juvénal (troisième satire)
Et la poitrine de celui qui est à terre, l’honnête vierge, en retournant le pouce, ordonne de la briser. Prudence (Contre Symmaque)
Le droit de grâce (missio) appartenait à l’editor, et, autant qu’il semble, à lui seul ; aussi en réalité ne dit‑on pas qu’il fait tuer les vaincus, mais qu’il les tue (occidit), le vainqueur n’étant que l’instrument de sa volonté ; cependant il est probable qu’en général il se conformait au désir exprimé par la foule. Si l’empereur entrait dans sa tribune au moment où le sort d’un vaincu était en suspens, celui‑ci avait la vie sauve par le fait même. Les spectateurs qui souhaitaient qu’on accordât la grâce levaient un doigt en l’air, ou bien ils agitaient une pièce d’étoffe (mappa), en criant « Missum ! » Leur geste, répété par l’editor, donnait au vaincu le droit de sortir aussitôt de l’arène. Si au contraire sa prière était repoussée, les spectateurs, et après eux l’editor, baissaient le pouce vers la terre (vertere pollicem), en criant: « Jugula ! » Dès lors il n’avait plus qu’à tendre la gorge pour recevoir le coup mortel (ferrum recipere) de la main du vainqueur. Georges Lafaye
Se basant sur une réelle connaissance des sources mais en leur donnant une mauvaise interprétation, Gérôme crée aussi ce geste célèbre du pouce retourné, geste rapidement jugé suffisamment spectaculaire pour qu’il soit repris dans le péplum italien « Quo vadis » en 1912. […] Mais que disent les sources antiques de ce fameux geste ? En fait, deux textes seulement l’évoquent. […] ces deux témoignages ne traitent pas directement des gladiateurs mais veulent dénoncer, à travers l’instant crucial de la mort du vaincu, certains contemporains qui la réclament. […] La nature exacte du fameux geste fatal est bien fondée sur une seule et unique référence littéraire qui, comme le montre brillamment Michel Dubuisson, a sans doute été mal comprise. « Le vertere de Juvenal, que Prudence jugeait déjà utile de préciser en convertere, est loin d’avoir toujours été interprété de cette façon-là. Pour les commentateurs du début de l’avant dernier siècle, il allait de soi, au contraire, que pollice verso signifiait ici « pouce tendu vers » un objet (en l’occurrence la propre poitrine de celui qui fait le geste) […] il n’y a donc aucune raison de supposer que ce même verbe, employé absolument, se mette soudain à désigner une direction de haut en bas. Pollice verso ne pourrait dès lors signifier que « pouce tourné vers, tendu ». » Ainsi, le geste de la mort, si important dans l’imagerie d’Epinal de la gladiature, repose sur de bien faibles indices. Si le signe fatal ordinairement admis peut légitimement être mis en doute, il en va de même du signe opposé. En effet, le geste du pouce levé vers le haut, censé accorder la grâce au vaincu, est une spéculation purement moderne. Ce geste n’est attesté par aucune source ancienne, ni littéraire ni iconographique. Eric Teyssier (Université de Nimes)
Il est vrai qu’une observation hâtive et incomplète d’un médaillon d’applique découvert à Cavillargues en 1845 a pu faire croire le contraire au moins pendant quelque temps, en tout cas de 1853 à 1910, c’est-à-dire jusqu’à la huitième édition d’un autre grand classique des vies quotidiennes, la Sittengeschichte de Friedländer (…) ce que confirme une autopsie à la loupe de l’original, qui est au musée de Nîmes, c’est-à-dire qu’il est bien difficile de savoir si les quatre personnages de la scène du haut sont des spectateurs commentant la missio de gladiateurs épargnés ou bien ces gladiateurs eux-mêmes et qu’il est impossible de reconnaître là un pouce ou même d’ailleurs un poing (sans parler d’une femme). (…) Juvénal pourrait bien désigner ici, en fait, ce qu’un poète de l’ Anthologia Latina appelle plus clairement un infestus pollex , un pouce hostile, en position d’attaque, dirigé vers celui qu’on veut voir mourir …  Le geste attesté (uerso pollice) pourrait paradoxalement avoir été réinterprété à partir du geste fatalement non attesté, puisqu’il est purement moderne, mais senti comme allant de soi, le geste par lequel on dit que tout va bien. (…). Un des deux gestes aurait donc bien été tiré de l’autre, mais par un processus inverse de celui que j’évoquais d’abord. (…) Donc ni le pouce vers le haut, purement moderne, ni le pouce vers le bas, tiré du précédent et faussement imputé à Juvénal, n’ont jamais existé dans l’antiquité. Resterait le pouce tendu vers le gladiateur qu’il s’agit d’achever – geste au demeurant peu naturel et peu commode. Etienne Famerie (Université de Liège, 2006)
On devine grâce aux rais de lumière la présence d’un velum tiré sur les gradins de l’amphithéâtre afin de protéger les spectateurs du soleil. Il est légitime, de ce fait, de se demander si nous n’assistons pas aux fameux jeux de midi, jeux les plus cruels, d’après les auteurs latins qui en ont été les témoins et qui avaient lieu à l’heure où le soleil, à son zénith, rendait nécessaire le déploiement du velum. Le goût du sensationnel de Gérome et des peintres pompiers en général, s’y prêterait assez bien. (…) Comme à son habitude, Gérome nous offre un tableau historique très bien documenté en ce qui concerne les types et équipements des gladiateurs, l’architecture et la disposition de l’amphithéâtre (velum, tribune impériale, vomitoria), les vêtements de l’époque, le nombre de Vestales et les prérogatives qui étaient les leurs, etc. Mais à cette recherche de réalisme se mêle un goût prononcé pour le sensationnel et le spectaculaire. Ainsi, le choix du récit de Prudence, dont il s’est largement inspiré pour représenter des Vestales en furie, n’est pas anodin. De plus, Gérome réécrit l’Histoire en inventant le geste du pouce baissé (Pollice verso) qui connaîtra par la suite la fortune que l’on sait. R. Delord

Vous avez dit pompier?

Où, grâce à l’actuelle rétrospective  du Musée d’Orsay, l’on (re)découvre …

Derrière les sempiternels procès en pompiérisme et en goût malsain du sensationnel …

Mais aussi les réelles erreurs factuelles dues à l’état des connaissances de l’époque

Et des fameux rais de lumière de Pollice Verso au détail de l’équipement des gladiateurs

L’incroyable obsession, dans ces véritables merveilles d’archéologie expérimentale, du peintre Jean-Léon Gérôme pour la vérité et la réalité historiques …

Tout autant, derrière l’indéniable fascination, qu’un probablement réel et si chrétien parti pris (il y a apparemment bien eu au moins un combat de soldats gladiateurs ayant salué l’empereur avec les fameuses paroles et deux mentions, certes polémiques et non parfaitement univoques mais bien attestées, de pouces inversés) et souci de la victime … 

Histoire des Arts : Analyse d’une oeuvre –

Jean-Léon Gérôme, « Pollice Verso » (1872)

huile sur toile – 97,5 x 146,7 cm

Musée d’art de Phoenix, Arizona

– « Pollice Verso » est un des tableaux qui a inspiré Ridley Scott pour la réalisation de son film

Gladiator en 2000.

– Dans les interviews qu’il a données aux médias, Ridley Scott déclarait lui-même ne pas avoir cherché à faire un film historique mais plutôt à rendre hommage à l’école des peintres dits « pompiers » du XIXème siècle.

I. Description – Composition

– Nous nous trouvons dans un amphithéâtre romain dont nous distinguons deux niveaux de gradins,

juste en face de la tribune impériale. Gérôme ne représente donc pas le Colisée puisque celui-ci

comprenait trois niveaux construits en dur.

– La scène représentée est un combat de gladiateurs. Le fait qu’il y ait quatre gladiateurs dans l’arène

peut laisser penser qu’il s’agit d’un combat de masse lors duquel plusieurs paires de gladiateurs

s’affrontaient. L’absence de l’arbitre qui veille généralement au bon déroulement du combat semble

également appuyer cette hypothèse.

– Le gladiateur à l’arrière plan est difficilement identifiable. En revanche, on peut clairement

identifier les gladiateurs au premier plan grâce à leur équipement. Nous avons donc à faire à deux

Thraces, l’un à terre, mort, l’autre debout victorieux, et à un rétiaire également à terre mais encore en vie et tendant le bras pour demander son salut. Les premiers étaient équipés d’une épée courte, d’un casque, de jambières de cuir, d’une manique recouvrant le bras droit ainsi que d’un petit bouclier rond. Le second était muni d’un filet ainsi que d’un trident qui semble légèrement enfoncé dans le sable. On notera au passage que le rétiaire est le seul gladiateur représenté sans chaussure.

– Nous sommes à la fin du combat, au moment précis où le gladiateur vainqueur attend les ordres de l’empereur pour savoir s’il doit exécuter ou laisser la vie sauve au gladiateur vaincu.

– Le peuple, représenté à l’arrière plan, est flou. Il semble légèrement penché à l’avant, comme attentif au sort qui va être réservé au gladiateur vaincu, mais il est impossible de dire plus précisément quelle est son attitude.

=> ??? Nous tenterons donc de voir en quoi la représentation de ce combat de gladiateurs par Jean-

Léon Gérôme respecte ou s’écarte des données historiques et archéologiques ???

II. Composition

1°) Horizontales et verticales

– On peut généralement diviser un tableau classique selon un quadrillage de trois cases en hauteur

sur trois cases en largeur. Cela fonctionne assez bien avec notre tableau (image 01) ; on notera que

la ligne marquée par le haut du mur des gradins crée une ligne diagonale dynamique qui monte de

gauche à droite, épouse le champ de vision du gladiateur victorieux, et attire l’attention du

spectateur sur les femmes voilées.

1 : le peuple dans les gradins

2 : la loge impériale

3 : la tribune des femmes voilées de blanc

4 : architecture et bas-relief

5 : le gladiateur Thrace victorieux

6 : les tentures de la tribune des femmes (prédominance de la tenture au chardon)

7 : un gladiateur mort en arrière plan, la tête d’un Thrace mort au premier plan

8 : le rétiaire vaincu demandant grâce au public

9 : l’arène (arena : « sable », en latin)

– Ce découpage du tableau en colonnes nous montre où se situe le centre d’intérêt du tableau. En effet, autant la suppression de la colonne de gauche ne porte pas à conséquence (image 03), autant celle de la colonne de droite rend incompréhensible l’action représentée et son enjeu dramatique (image 04).

2°) Découpage par le milieu

– Un découpage du tableau par le milieu est également pertinent puisqu’il met en lumière quatre zones (image 02) :

1 : la tribune impériale et le casque du gladiateur victorieux

2 : la tribune des femmes voilées et la tenture au motif végétal

3 : les gladiateurs vaincus

4 : l’arène (arena : « sable », en latin)

3°) Les diagonales

– Nous nous sommes contentés, pour l’analyse de ce tableau, de tracer trois diagonales assez révélatrices (image 10).

– La première (diagonale bleue sur nos images) suit la pente de la tribune des femmes voilées, descend vers la gauche en passant par le sommet du casque du gladiateur victorieux, puis l’angle d’un élément architectural en forme d’autel, accolé à la gauche de l’avancée de la tribune impériale.

– La seconde (diagonale rose) passe à la fois par le bras du gladiateur vaincu et suppliant qu’on l’épargne et par celui de la troisième femme voilée, celle qui semble la plus penchée vers l’avant pour réclamer la mort du gladiateur terrassé.

– La troisième (diagonale verte) est marquée par l’aile du premier aigle impérial, passe par la personne de l’empereur, l’angle de la tenture rouge, le cimier du casque du gladiateur vainqueur. Elle suit le prolongement de la cuisse de ce dernier et termine sa course en passant par l’épaule du gladiateur vaincu.

– Ces trois lignes de force marquent encore un peu plus la distinction entre la gauche et la droite du tableau et présentent surtout deux gladiateurs, l’un vainqueur, l’autre vaincu, qui semblent plus s’adresser aux jeunes femmes voilées de blanc qu’à l’empereur.

III. Lumière (image 05)

– On devine grâce aux rais de lumière la présence d’un velum tiré sur les gradins de l’amphithéâtre afin de protéger les spectateurs du soleil. Il est légitime, de ce fait, de se demander si nous n’assistons pas aux fameux jeux de midi, jeux les plus cruels, d’après les auteurs latins qui en ont été les témoins et qui avaient lieu à l’heure où le soleil, à son zénith, rendait nécessaire le déploiement du velum. Le goût du sensationnel de Gérome et des peintres pompiers en général, s’y prêterait assez bien. Les rais de lumière horizontaux convergent vers le centre de l’arène et attirent notre attention sur le groupe des gladiateurs. Les rais de lumière verticaux remontent de manière évidente vers les trois femmes voilées qui paraissent les plus véhémentes.

– Les reflets du soleil sur les éléments métalliques (casques, manique, effigies) attirent également notre regard.

IV. Couleurs

– Le rouge et ses nuances, très présent dans le tableau, est à la fois le symbole du pouvoir et de la violence, de la pourpre (étoffe très onéreuse réservée aux fonctions les plus élevées de l’Etat) et du sang versé par les gladiateurs dans l’arène (image 06).

– L’architecture de l’amphithéâtre adopte quant à elle des couleurs sombres (noir, gris, bordeaux). Deux raisons à cela : l’une pratique car ces couleurs sombres servent de fond à l’action, l’autre symbolique car l’amphithéâtre est un lieu sombre, sinistre, un lieu de mort (image 07).

– Les tons clairs du tableau font ressortir trois zones importantes du tableau, de gauche à droite : le peuple, le groupe de gladiateurs et le groupe de femmes voilées de blanc (image 08).

– A la dorure des effigies de l’empereur, des aigles et du fauteuil impériaux répond le bronze des casques des gladiateurs au premier plan (image 09).

V. Interprétation des symboles

1°) L’aigle noir

– On peut voir dans l’aigle noir figurant sur la tenture rouge de la tribune impériale un symbole de mort. Par sa couleur et avec ses ailes rabattues, il est en effet en opposition avec les aigles dorés aux ailes déployées perchés au sommet des colonnes de marbre rouge et symbolisant le pouvoir impérial.

2°) L’ombre d’un empereur

– L’empereur est représenté minuscule et de façon très sommaire (couleurs sombres et traits du visage grossiers ; seule la couronne de laurier est vraiment reconnaissable) contrairement à l’usage courant qui veut que l’on représente toujours les personnages importants démesurément grands.

L’empereur peint par Gérome est un empereur qui n’a pas encore fait son choix, indécis, faible.

3°) L’homme en noir et les femmes en blanc

– Un personnage discret semble se cacher dans un recoin sombre de l’amphithéâtre, dans l’angle du muret qui sépare la loge impériale de la tribune des femmes en blanc. Cet homme a son importance puisqu’il nous confirme l’identité des femmes en blanc qu’il accompagne.

– Nous sommes donc en présence de toute la troupe des Vestales (6 au total), prêtresses qui bénéficiaient d’honneurs importants (amplissimi honores), de sorte qu’à la fin de la République romaine, elles étaient précédées d’un licteur pendant leurs déplacements.

– Personnes sacrées, les Vestales sont intouchables, et nul ne peut leur interdire d’aller où bon leur semble. Dans son Contre Symmaque, le polémiste chrétien Prudence met en doute la pureté des moeurs des Vestales et prétend qu’elles assistaient même aux jeux de l’amphithéâtre.

– Même si l’on admet qu’il était possible de croiser les Vestales dans un amphithéâtre, les représenter, comme le fait Gérome, en furie et réclamant à tous cris l’exécution d’un malheureux gladiateur à terre relève d’une recherche du sensationnalisme. La réalité était toute autre et leur intervention toujours miséricordieuse.

– Enfin, même si la liberté des Vestales était grande, il semble étonnant – aucun texte n’en fait mention – que des femmes, toutes prêtresses de Vesta qu’elles soient, occupent le premier niveau des gradins normalement réservé aux sénateurs (image 12). Sous le règne de Domitien on fit d’ailleurs ajouter un autre niveau, le maenianum secundum in ligneis, (« deuxième étage en bois ») au sommet du Colisée qui consistait en une galerie destinée aux pauvres, aux esclaves et aux femmes, avec des places debout ou aménagées succinctement sur des tribunes de bois en pente très raide. Là encore, il y a chez Gérome une volonté de choquer, de frapper les esprits.

4°) Le motif du chardon ?

– Un autre symbole attire notre regard sur la partie droite du tableau. Nous sommes d’ailleurs guidés vers cette zone à la fois par le regard du gladiateur vainqueur et par le mouvement circulaire de la bordure des tribunes. Le motif floral figurant sur la tenture qui pend devant le groupe de Vestales semble bien être un chardon.

– La symbolique de cette plante est double. Le chardon symbolise généralement la souffrance de Jésus et de la Vierge à mettre peut-être en rapport avec la souffrance des gladiateurs vaincus ou agonisants. On notera au passage l’aspect cyanosé du visage du rétiaire qui semble rendre son dernier souffle.

– Le chardon est aussi, comme la châtaigne, l’image de la vertu protégée par ses piquants. Il faudrait alors voir avec son inscription dans le tableau, une marque d’ironie du peintre envers ses prêtresses qui semblent avoir perdu toute vertu en s’adonnant ainsi aux spectacles de l’amphithéâtre.

5°) Pollice Verso

– « Pollice Verso », le pouce baissé en italien. Ce geste censé signifier la mise à mort d’un gladiateur vaincu n’est mentionné dans aucun texte antique. Il est une pure invention de Jean-Léon Gérome qui a été le premier à le représenter et a ensuite été copié, dès le début du vingtième siècle, dans tous les peplums et dans toutes les illustrations présentant des combats de gladiateurs.

Conclusion :

– Comme à son habitude, Gérome nous offre un tableau historique très bien documenté en ce qui concerne les types et équipements des gladiateurs, l’architecture et la disposition de l’amphithéâtre (velum, tribune impériale, vomitoria), les vêtements de l’époque, le nombre de Vestales et les prérogatives qui étaient les leurs, etc.

– Mais à cette recherche de réalisme se mêle un goût prononcé pour le sensationnel et le spectaculaire. Ainsi, le choix du récit de Prudence, dont il s’est largement inspiré pour représenter des Vestales en furie, n’est pas anodin. De plus, Gérome réécrit l’Histoire en inventant le geste du pouce baissé ( Pollice verso) qui connaîtra par la suite la fortune que l’on sait.

Pour aller plus loin (proposé par Marjorie Lévêque)

– Une réflexion s’impose autour de tous les styles qui confluent dans ce tableau et qui reflètent la difficulté sous-tendue que Gérôme a eu de s’insérer dans un mouvement précis dans le siècle qu’il a traversé. Gérôme est un peu le pivot entre David et son style néoclassique si austère dont il ne reste que le thème dans Pollice verso qui est beaucoup plus animé et grouillant de détails que dans un tableau conventionnel ; l’orientalisme, si cher au coeur de Gérôme, qu’on retrouve dans les formes…

– On notera que l’hyperréalisme que l’on retrouve souvent dans ses oeuvres est ici d’emblée

abandonné (foule floue…)

– On pourra dire également un mot de la vision romantique de la scène. Gérôme, qui a toute sa vie cherché à être là – à l’image d’un David qui dominait toute la scène, et qui même s’il était décrié à l’époque de Gérôme, avait quand même donné l’allure -, a réussi ici à créer une vision de l’antiquité. Son travail est devenu LA référence qui nous fait même oublier que rien ne prouve que cette histoire de pouce est vraie ou pas.

– Ne pas oublier que l’on dit de Gérôme qu’il est un peintre pompier parce qu’il n’a pas voulu céder aux sirènes de la modernité…

– Voir aussi les autres tableaux de Jean-Léon Gérôme représentant les jeux du cirque et de l’amphithéâtre :

La dernière prière des martyrs chrétiens et Morituri te salutant

Voir enfin :

Quelques idées reçues à propos de Rome

Aue, Caesar, morituri te salutant

Aue Caesar, morituri te salutant .

« Salut, César (ou Sire), ceux qui vont mourir te saluent. » Nul n’ignore que les gladiateurs, à leur entrée dans l’arène, allaient tout droit vers la loge impériale pour s’acquitter de cette indispensable formalité. Un film d’ailleurs excellent, le Gladiator de Ridley Scott, vient encore de le rappeler – la scène y figure même deux fois.

Et pourtant

Avant même de se mettre en quête de la source de cette formule, deux détails auraient dû étonner.

1. D’abord aue , en latin, n’est pas un « salut » ou un « bonjour » quelconque (comme salue ) ; c’est le salut militaire réglementaire. Et les gladiateurs ne sont évidemment pas des soldats. Un gladiateur même retraité ne pourra d’ailleurs jamais s’engager dans l’armée : la profession qu’il a exercée le marque à jamais d’ infamia (à peu près, déchéance des droits civils et politiques).

2. Ensuite et surtout, morituri est absurde : comment ceux qui vont mourir en seraient-ils déjà sûrs ? Ou bien tous sauraient-ils qu’ils vont mourir de toute façon ? Evidemment non : dans un combat singulier, il y a, par définition, un survivant sur deux, et d’ailleurs un gladiateur bien entraîné est un investissement qu’on ne sacrifiera pas à la légère – qu’on chouchoute autant, en fait, qu’un footballeur d’aujourd’hui. Le vaincu obtient donc, en pratique, toujours sa grâce (la uenia ) – avec ou sans un geste du pouce , c’est une autre question

La source de la citation vient résoudre ces difficultés, tout en confirmant que la formule est aujourd’hui employée constamment à contresens.

L’empereur Claude, dont le règne fut marqué par de grands travaux, comme l’agrandissement du port d’Ostie, fit également assécher le lac Fucin. Une fois réalisé le canal qui devait permettre l’écoulement définitif des eaux, il y eut une cérémonie que Claude décida d’immortaliser par un spectacle mémorable : une naumachie, c’est-à-dire un combat naval en réel. La chose en soi n’était pas nouvelle : César et Auguste avaient déjà offert au peuple ce genre de divertissement, que les Flaviens organiseront au Colisée. Mais sur un vrai lac, c’était évidemment autre chose Qui étaient les figurants ? Non pas des gladiateurs, évidemment, mais des soldats et des marins de la flotte, de toute façon condamnés à mort pour désobéissance ou toute autre faute de service, et auxquels on avait réservé un mode d’exécution original et spectaculaire. Leur adresse à l’empereur était donc parfaitement naturelle. Ce qui le fut moins, et qui déclencha même un incident – c’est pour cette raison, en réalité, que Suétone s’y étend -, c’est que Claude, qui n’était évidemment pas censé leur répondre, marmonna de son habituelle voix indistincte (dont Juvénal, avec sa gentillesse habituelle, dit qu’elle faisait songer à celle d’un veau marin, c’est-à-dire un phoque) quelque chose que les soldats comprirent aut non : « ou bien non, peut-être pas ». Pour la suite, il faut laisser la parole à Suétone. « A ces mots, puisqu’il leur avait fait grâce, plus aucun ne voulut combattre. Alors il fut longtemps à se demander s’il n’allait pas les exterminer par le fer et par le feu ; il finit par sauter de sa chaise et se mit à courir partout sur les berges du lac, non sans boitiller de façon grotesque, et à force de menaces et d’encouragements il finit par les décider à se battre. »

Aue, Caesar, morituri La formule est donc authentique (on serait tenté de dire : pour une fois), mais elle n’a pas du tout la portée qu’on lui donne aujourd’hui : il s’agit d’un épisode bien précis et non d’une règle générale, et qui, de toute façon, n’a rien à voir avec les gladiateurs.

(…)

Pouce !

S’il est un élément de choix de notre vision stéréotypée de l’antiquité, ce sont bien les combats de gladiateurs, récemment remis à la mode par la sortie d’un péplum hollywoodien qui a suscité de nombreuses réactions, le Gladiator de Ridley Scott (1). Le déroulement du combat est lui-même ponctué de scènes et de gestes stéréotypés, dont le plus fameux est sans doute, depuis le célèbre tableau de Gérôme (2), Pollice verso, le pouce tourné vers le bas, par le public ou par l’éditeur des jeux, pour indiquer qu’on veut qu’un gladiateur blessé soit achevé, et son contraire, le pouce vers le haut en signe de grâce.

Pollice verso

On retrouve ce fameux pouce dans la plupart des ouvrages de vulgarisation sur la « vie quotidienne », et d’abord dans le classique entre les classiques :

« et l’empereur, tranquillement, ordonnait en renversant son pouce, pollice verso, l’immolation du gladiateur terrassé qui n’avait plus qu’à tendre sa gorge au coup de grâce du vainqueur » (3).

L’assertion est, comme toujours chez Carcopino, appuyée par une note, et comme souvent, la note en question se borne à une unique référence, « Juv. III.36 », un passage auquel nous reviendrons. Notons seulement pour l’heure 1. qu’il n’y est nullement question de l’empereur, mais d’un type classique de parvenu, l’ancien sonneur de cor enrichi et devenu lui-même organisateur de jeux ; 2. que l’expression de Juvénal est uerso pollice et non pollice uerso – qui est par contre le titre du tableau de Gérôme.

Plus récemment, J.-N. Robert est plus nettement encore influencé par Gérôme : « même les femmes et les Vestales se lèvent pour abaisser le pouce et ordonner la mort de qui a mal combattu » (4). Pourquoi les Vestales, et d’où Gérôme les tirait-il ? En fait du seul autre témoignage littéraire dont nous disposions sur la question, celui de Prudence, dont le propos n’est pas plus que chez Juvénal de traiter des combats de gladiateurs en eux-mêmes, mais bien, en l’occurrence, de stigmatiser la fausse vertu desdites Vestales.

Mais les choses sont bien moins simples, même dans les raccourcis qu’impose la vulgarisation (5). R. Auguet, par exemple, dissocie les deux gestes : « cependant, les spectateurs sont partagés : les uns lèvent la main en signe de clémence, les autres, du pouce dirigé vers le sol (pollice uerso), réclament l’exécution du vaincu » (6). Et dans la Vita Romana d’U.E. Paoli : « si tous, le doigt levé, agitaient leurs mouchoirs, en criant : ‘Renvoie-le !’ (Mitte !), la mort était épargnée au vaincu. Si, au contraire, ils tendaient le poing, le pouce vers le bas, en hurlant: ‘Égorge-le !’ (Iugula !), le vainqueur ou un esclave l’achevait » (7).

Ainsi le geste de grâce paraît-il mal établi (est-ce la main ? est-ce le doigt, mais lequel ? avec ou sans mouchoir ?), alors que le pouce reste omniprésent dès qu’il s’agit de condamner un gladiateur maladroit ou malchanceux.

Il est d’autant plus curieux de constater que ce geste n’apparaît (pas plus que l’autre) dans aucune des innombrables représentations figurées des combats de gladiateurs, qu’il s’agisse de bas-reliefs, de mosaïques ou de graffiti.

Il est vrai qu’une observation hâtive et incomplète d’un médaillon d’applique découvert à Cavillargues en 1845 a pu faire croire le contraire au moins pendant quelque temps, en tout cas de 1853 à 1910, c’est-à-dire jusqu’à la huitième édition d’un autre grand classique des vies quotidiennes, la Sittengeschichte de Friedländer ; la neuvième, revue par Wissowa, faisant disparaître purement et simplement, et d’ailleurs assez maladroitement (le raccord est visible), toute allusion à la chose. Je ne m’y étendrai pas ici : un bref tableau rassemblant quelques descriptions fait comprendre d’emblée ce que confirme une autopsie à la loupe de l’original, qui est au musée de Nîmes, c’est-à-dire qu’il est bien difficile de savoir si les quatre personnages de la scène du haut sont des spectateurs commentant la missio de gladiateurs épargnés ou bien ces gladiateurs eux-mêmes et qu’il est impossible de reconnaître là un pouce ou même d’ailleurs un poing (sans parler d’une femme) (8).

Descriptions

– Germer-Durand (1893) :

Le détail : un groupe de quatre gladiateurs qui occupent, en haut du médaillon, l’extrémité de l’arène, où la légende (…) explique qu’ils ont obtenu des spectateurs, en récompense de leur conduite vaillante, l’exemption de continuer la lutte 

Personnages : rétiaire et myrmillon

Assistants : lanistes 

Geste à droite : la joie du triomphe ; il étend le bras droit vers les gradins et tient repliés sous la main le bout des doigts et le pouce ; il semble demander au public la permission pour le combattant vainqueur, auquel il sert de témoin, de mettre à mort son adversaire 

– Post (1892) 

The slightest examination must convince any one that they cannot be spectators…      

 who extends his arm and whose hand is represented with the four fingers bent down over the thumb, seems to corroborate in an unexpected way what has been said of the pollicem premere as a declaration for the missio. 

– Friedländer (1910) : 

vier Zuschauer, worunter eine Frau, die den Daumen in die Höhe heben 

samnite et rétiaire       

– Catalogue 1987 :

 le public, symbolisé par quatre personnages qui s’agitent dans la partie supérieure du médaillon, est séduit par la qualité de l’affrontement. Il clame : stantes missi ! renvoyés debouts (sic) !

 rétiaire et secutor  arbitres    

Laissons-le donc de côté : l’archéologue français Georges Ville (9), auteur d’une somme sur les gladiateurs, – une thèse d’État -, s’il accumule dans de longues notes les références iconographiques, ne trouve à citer, à propos de la missio , que deux références, toutes deux littéraires : le fameux passage de la troisième satire de Juvénal,

quondam hi cornicines et municipalis harenae

perpetui comites notaeque per oppida buccae

munera nunc edunt et, uerso pollice uulgus

cum iubet, occidunt populariter ; inde reuersi

conducunt foricas… (10)

« naguère sonneurs de cor et habitués de l’arène des villes de province, joues bien connues des bourgades, ils financent maintenant des jeux, et quand le peuple l’ordonne en tournant le pouce, ils tuent pour se faire bien voir ; et en revenant de l’arène, ils soumissionnent pour des chiottes… »

et un texte plus récent, le Contre Symmaque, où Prudence, partant en guerre contre la réputation de vertu à son sens usurpée des Vestales, stigmatise leur comportement lors des spectacles de gladiateurs :

… pectusque iacentis

uirgo modesta iubet conuerso pollice rumpi (11)

« et la poitrine de celui qui est à terre, l’honnête vierge, en retournant le pouce, ordonne de la briser ».

On voit d’emblée que ces deux témoignages se réduisent à un seul. Si le chrétien convaincu et militant qu’est Prudence a quelque cohérence, il n’a pas pu assister à ce genre de spectacle, interdit à ses coreligionnaires. Il cherche tout comme nous à s’en faire une idée d’après les sources littéraires, en l’occurrence Juvénal, à l’époque précisément où il revient à la mode après un long purgatoire.

On remarquera aussi que le geste du pouce vers le haut n’est, lui, attesté nulle part, pas même chez Juvénal. On dirait qu’il est tiré de l’autre par une sorte de souci de symétrie.

Quant au pouce tourné vers le bas , les choses sont bien moins claires qu’il n’y paraît.

Le uertere de Juvénal, que Prudence jugeait déjà utile de préciser en conuertere, est loin d’avoir toujours été interprété de cette façon-là. Pour les commentateurs du début de l’avant-dernier siècle, il allait de soi, au contraire, que pollice uerso signifiait ici « pouce tendu vers » un objet (en l’occurrence la propre poitrine de celui qui fait le geste)… (12) Leur intuition peut du reste être vérifiée bien vite : la simple lecture du Gaffiot nous apprendra, ou nous rappellera, que le complément de uertere, quand il en a un, est constamment introduit par in ou ad suivis de l’accusatif (« vers » quelqu’un ou quelque chose, représentant une direction ou un but à atteindre – par exemple, dans le cas des versions, la langue-cible) ; il n’y a donc aucune raison de supposer que ce même verbe, employé absolument, se mette soudain à désigner une direction de haut en bas.

Pollice uerso ne pourrait dès lors signifier que « pouce tourné vers, tendu » (dans une direction déterminée, pour montrer). Mais s’agit-il nécessairement de la poitrine de celui qui fait le geste, et qui indiquerait ainsi au vainqueur la marche à suivre (« transperce-le comme ça ! ») ? Ce n’est guère probable dans la mesure où le coup de grâce prend normalement la forme d’un égorgement (iugula !, effectivement attesté) – ce qui confirme au passage que Prudence n’a jamais vu un combat de gladiateurs.

Juvénal pourrait bien désigner ici, en fait, ce qu’un poète de l’ Anthologia Latina appelle plus clairement un infestus pollex , un pouce hostile, en position d’attaque, dirigé vers celui qu’on veut voir mourir (13), ou, comme chez le Thélyphron d’Apulée, pointé vers les auditeurs dont on cherche à capter l’attention (ac sic aggeratis in cumulum stragulis et effultus in cubitum suberectusque porrigit dexteram et ad instar oratorum conformat articulum duobusque infimis conclusis digitis ceteros eminens et infesto pollice clementer subrigens infit Thelyphron) (14). Quant au geste du pouce par lequel on veut indiquer ses bonnes intentions, son fauor, parce qu’il y en a un, Pline l’Ancien le désigne on ne peut plus clairement par premere pollicem , c’est-à-dire comprimer son pouce sur les autres doigts, voire le rentrer à l’intérieur de la main – le rengainer, en quelque sorte: pollices, cum faueamus, premere etiam prouerbio iubemur (15).

Alors d’où vient ce stéréotype et d’où Gérôme l’a-t-il tiré ? Le geste attesté (uerso pollice) pourrait paradoxalement avoir été réinterprété à partir du geste fatalement non attesté, puisqu’il est purement moderne, mais senti comme allant de soi, le geste par lequel on dit que tout va bien. S. Morton Braund dit encore : « the upturned thumb was probably the signal for death, in contrast with our (sic) favorable signe of thumbs up ». Un des deux gestes aurait donc bien été tiré de l’autre, mais par un processus inverse de celui que j’évoquais d’abord.

Donc ni le pouce vers le haut, purement moderne, ni le pouce vers le bas, tiré du précédent et faussement imputé à Juvénal, n’ont jamais existé dans l’antiquité. Resterait le pouce tendu vers le gladiateur qu’il s’agit d’achever – geste au demeurant peu naturel et peu commode.

Peut-être est-il possible d’aller à ce propos plus loin encore, en faisant deux remarques.

La première, déjà faite par Post en 1892, est toute de bon sens : il faut qu’on puisse bien voir le geste d’en bas, depuis l’arène, et qu’on ne puisse le confondre avec aucun autre ; Ville parle de même d’un « geste qui devait être compris des combattants et du public ». On imagine sans peine les conséquences en cas d’ambiguïté et de méprise.

La deuxième a trait à la symbolique des doigts, et je me réfère là, entre autres, au passionnant ouvrage d’Onians sur les origines de la pensée européenne (16) : le pouce est pour les Romains le doigt principal, le plus important, le doigt par excellence, au point que pollex fini par pouvoir désigner métonymiquement n’importe quel doigt, ou même, par synecdoque, la main. Vous voyez où je veux en venir, ou plus exactement la voie dans laquelle j’hésitais encore à m’engager complètement, avant de mettre la main in extremis sur un article que je cherchais depuis longtemps, celui de Corbeill intitulé Pollex and Index (17).

Le doigt que la foule de Juvénal tend vers celui qu’elle veut voir mettre à mort, ce n’est évidemment pas le pouce, c’est l’index, le doigt qui sert par excellence à montrer, le mieux visible de loin. Le geste est d’ailleurs nettement plus facile à faire et plus naturel…

Pour plus de détails sur l’emploi de pollex au sens d’index, je renvoie à cet article de Corbeill, à cause de qui ou grâce à qui j’ai finalement renoncé à publier l’article que je méditais moi-même d’écrire. Ce qui ne m’a pas empêché, tout de même, de vous infliger aujourd’hui les grandes lignes de mon raisonnement.

Quelles conclusions peut-on en tirer dans une séance comme celle-ci, consacrée aux vertus formatives des langues anciennes, et en quoi une telle démarche pourrait-elle enrichir notre argumentaire ?

1. Le retour au texte, et au texte lu de près, est indispensable et aucune traduction ne peut le remplacer. Dès lors, faire de la civilisation romaine sans faire de la langue est insuffisant, mutilant, sans fondement scientifique, et pas spécialement formatif.

2. Par contre, ce retour au texte en rendant compte de chaque mot est une incomparable école à la fois d’honnêteté et de rigueur intellectuelles. L’honnêteté passe par le refus de l’argument d’autorité : l’interprétation d’un traducteur ou d’un commentateur même prestigieux ne dispense pas de se faire soi-même son opinion. La rigueur réside dans le refus de l’à peu près : une fois le texte repris en main, il faut en regarder chaque mot et justifier son emploi.

3. Même à propos de choses aussi anciennes, pour ne pas dire aussi vieilles, on trouve toujours des choses nouvelles : ne croyez pas ceux qui disent que sur l’antiquité tout a été trouvé depuis longtemps et il n’y a plus rien à faire.

4. Je plaide, vous l’avez compris, pour qu’au cours de latin on fasse du latin, et pas ou pas seulement de la civilisation coupée de ses bases. Je ne suis pour autant ni sectaire ni exclusif : rien n’empêche, évidemment, une telle explication de déboucher sur un « thème », la violence comme fait de société, les défoulements collectifs, la catharsis…

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Notes

1. Universal Pictures, mai 2000. Il a entraîné l’apparition dès l’été de deux bonnes douzaines de sites Internet où s’échangeaient les appréciations les plus diverses et les plus tranchées (de ‘corrosively boring’ à ‘nearly perfect’ … ), un dossier spécial d’ Historia (n° 643 [juillet 2000], p. 46-69) avec des articles de J.-P. Thuillier, C. Salles, J. Gaillard et L. Jerphagnon, et même la sortie, dans la foulée, de M. JUNKELMANN, Das Spiel mit dem Tod. So kämpften Roms Gladiatoren , Mayence, 2000, qui reproduit des images du film.

2. Pollice verso (1872), reproduit dans Junkelmann p. 3 ; voir G.M. ACKERMANN, La vie et l’oeuvre de Jean-Léon Gérôme, Paris, 1986, p. 105.

3. J. CARCOPINO, La vie quotidienne à Rome à l’apogée de l’Empire, Paris, 1939, p. 279.

4. J.-N. ROBERT, Les plaisirs à Rome, 2e éd., Paris, 1986, p. 91.

5. Sur ce type de raccourcis, cf D.G. KYLE, Spectacles of Death in Ancient Rome, Londres, 1998, p. 156 (à propos, précisément, de l’ouvrage de R. Auguet) : « like Gérôme’s paintings, such reconstructions weave together the scattered testimony of artistic and literary sources ».

6. R. AUGUET, Cruauté et civilisation : les jeux romains, Paris, 1970, p. 55.

7. U.E. PAOLI, Vita Romana. La vie quotidienne dans la Rome antique, tr., Bruges, 1955, p. 368. La note renvoie, outre JUV., 3, 36, à MART., XII, 29, 7, qui fonde en fait la mention des mouchoirs, ou plus exactement des serviettes : il s’agit en effet du kleptomane Hermogenes (nuper cum Myrino peteretur missio laeso/subduxit mappas quattuor Hermogenes). Voir aussi M. JOHNSTON, Roman Life, Chicago, 1957, p. 302 : « the custom was to refer the plea to the people, who signaled in sorne way if they were in favor of granting mercy, or gesticulated pollice uerso, apparently with the arrn out and thumb down as a signal for death » ; F.R. COWELL, Everyday Life in Ancient Rome, Londres, 1961, p. 178 : « hands began to turn down » ; C.W. WEBER, Panem et Circenses. Massenunterhaltung als Politik im antiken Rom, Düsseldorf-Vienne, 1983, p. 52 : « fiel die Entscheidung negativ aus, so senkte der Kaiser den Daumen : pollice uerso wurde so zum Fachausdruck für die befohlene Tötung eines unterlegenen Gladiators ».

8. E. GERMER-DURAND, Inscriptions antiques de Nîmes, Toulouse, 1893, n° 188. G. LAFAYE, art. Gladiator, dans DA, II, 2 (1896), p. 1595 (fig. 3595 : dessin). P. WUILLEUMIER – A. AUDIN, Les médaillons d’applique gallo-romains de la vallée du Rhône, Lyon, 1952 (Annales de l’université de Lyon-III, Lettres), n° 34. V.L. et C[hristian] L[andes], 71. Médaillon d’applique représentant un combat de gladiateurs, dans Les gladiateurs. Exposition, Musée archéologique de Lattes, 1987, p. 157. (phot. n.b.). M. JUNKELMANN, Das Spiel mit dem Tod. So kämpften Roms Gladiatoren, Mayence, 2000, n° 213, p. 134-5 (phot. coul.).

9. G. VILLE, p. 420.

10. Tous les mss ont uerso pollice ; les seules variantes concernent la suite du passage (au lieu de cum iubet, on trouve quem iubet ou lubet, qui n’intéressent pas notre propos).

11. PRUD., C. Symm., 11, 1098-9.

12. Ainsi N.E. LEMAIRE, Paris, 1823, p. 175 : « pollex vertebatur, id est, dirigebatur in pectus, quo indicabatur, ni fallor, illud gladio transfigendum esse » ; J.E.B. MAYOR, Thirteen Satires of Juvenal, 3e éd., 1, 1886, p. 186 : « those who wished the death of a conquered gladiator turned (vertebant, convertebant) their thumbs towards their breasts, as a signal to his opponent to stab him » ; A. WEIDNER, Teubner, 1889 : « wollte das Volk den Tod des Besiegten, so drückte es den ausgestreckten Daumen gegen die Brust (uerso pollice) und rief : recipe ferrum ! » ; J.D. DUFF, Cambridge, 1932 : “it is generally believed that the former gesture was to turn the thumb up towards the breast in imitation of the fatal weapon”. Le dernier commentaire, celui de E. COURTNEY, Londres, 1980, reste prudent : « the actual gesture is hard to establish » (p. 161). – Pour COURTAUD DIVERNÉRESSE, dans Œuvres complètes d’Horace, de Juvénal…, sous la dir. de M. Nisard, Paris, 1858, p. 210, les choses sont même inversées : « au pouce levé de la multitude, ils égorgent, pour lui plaire, le premier gladiateur ».

13. Anth., 415, 28 Bücheler-Riese (t. 1, 1) : sperat et in saeua uictus gladiator harena, / sit licet infesto pollice turba minax.

14. APUL., Mét., II, 21, 1.

15. PL., HN, XXVIII, 25. Cf. A. OTTO, Die Sprichwörter und sprichwörtlichen Redensarten der Rômer, Leipzig, 1890, s.u. pollex, p. 283. – Le passage d’Horace souvent cité comme parallèle par les commentateurs de Juvénal (Ep., 1, 18, 65) est en fait sans rapport : utroque… pollice laudare y signifie « applaudir des deux mains », comme l’avaient déjà vu tant Acron (utroque pollice sunekdochikos, ‘manu utraque’) que Porphyrion (tropos synecdoche : a parte totum. An quia, uehementius ut plaudat, manus iungens iungit pollicem cum proximo ?), et il n’y est pas question de grâce à accorder, et moins encore de gladiateurs. Ces métonymies, dans un sens ou dans l’autre, sont d’ailleurs très fréquentes : cf. manum non uertere au sens de « ne pas lever le petit doigt » (Cic., Fin., 5, 93, ; Apul., Apol., 56). – Quant à la Glycera du Ps.-Alciphron, elle serre (ou croise) superstitieusement les doigts ou mieux se tord les mains à cause du trac (11, 4, 5).

16. R.B. ONIANS, The Origins of European Thought , 2e éd., 1954, p. 139, n. 4.

17. A. CORBEILL, Thumbs in Ancient Rome : Pollex and Index, dans Memoirs of the American Academy in Rome , 42 (1997), p. 1-21.

2 Responses to Pollice verso: Et quand le peuple l’ordonne en tournant le pouce (Slaying whomsoever the mob with a turn of the thumb bids them)

  1. […] donc préserver les effectifs. Écoutons Eric Teyssier de l’Université de Nîmes sur le blog Tintin au pays des Soviets. Se basant sur une réelle connaissance des sources mais en leur donnant une mauvaise […]

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