Débarquement: Un gigantesque travail de préparation (A cold look on the Longest Day)

US Normandy graves (Coleville)Nouvel ouvrage d’historien sur le Débarquement en Normandie (« Histoire du débarquement », Olivier Wievorkia) à partir de nouvelles archives américaines et anglaises et surtout sur les 15 mois de préparation.

Ne l’ayant pas encore lu, je m’en tiendrai à la critique de Paxton qui, malgré quelques petites réserves, le recommande.

De son inscription dans la lignée des nouveaux historiens américains et anglais plutôt révisionnistes, j’en retiens le manque d’enthousiasme des Alliés à libérer la France (que semblaient d’ailleurs partager… nombre de Français eux-mêmes!).

Et on peut imaginer que pour le trouffion de base américain, la vraie menace sur son pays devait plutôt lui sembler venir du côté du Pacifique dont après tout ils avaient déjà reçu une cinglante attaque directe sur leur propre territoire.

D’où peut-être l’apparemment grande fréquence de troubles psychiatriques (allant jusqu’à l’automutilation), qui tenait aussi peut-être, comme le suggère Paxton, d’une meilleure détection et prise en compte du côté américain ? Surtout comparé aux Allemands et aux Russes qui traitaient ça au peloton d’exécution!

Extraits de la critique de Paxton:

Parmi les nombreuses faiblesses qu’il relève chez les Alliés, la plus frappante est sans doute le faible moral des troupes.

En Normandie, le moral s’effondra en juillet lorsque Britanniques et Canadiens furent bloqués devant Caen, tandis que les Américains piétinaient dans le bocage du Cotentin. Un des facteurs que Wieviorka ne mentionne pas était l’habitude américaine de remplacer les pertes en intégrant des soldats non aguerris dans des unités où ils se sentaient isolés et vulnérables. (…) Confronté au même genre de problème, le commandement allemand fit exécuter 15 000 soldats et en fit emprisonner 420 000. Les Soviétiques appliquèrent les mêmes méthodes répressives. L’armée britannique, elle, n’exécuta que quarante de ses soldats.

Quant à la 2e division blindée française, elle échappa à cette baisse de moral, phénomène que Wieviorka explique à la fois par son arrivée sur place après l’immobilisation forcée de juillet, et par le fait qu’elle était uniquement composée de volontaires aguerris. Il aurait pu ajouter que ces hommes se battaient pour la libération de leur pays… On peut également se demander si la 2e DB disposait elle aussi du personnel psychiatrique qui a établi les surprenantes statistiques citées par Wieviorka à propos des armées britannique, canadienne et américaine.

Si ces pilonnages échouèrent à faire baisser la productivité allemande, ils obligèrent Hitler à maintenir 70 % de son aviation en Allemagne, laissant ainsi aux Alliés une supériorité aérienne cruciale en Normandie.

contrairement à « une légende tenace », les Alliés n’avaient aucune intention d’imposer un gouvernement militaire en France.

Un regard froid sur le jour le plus long
Robert O. Paxton
Le Monde
Le 05.01.07

Robert O. Paxton analyse l’ouvrage d’Olivier Wieviorka sur la campagne de Normandie

Depuis une dizaine d’années, certains auteurs britanniques et américains ont entrepris de présenter la campagne de Normandie d’une façon moins triomphaliste et héroïque que jusqu’alors. J. Robert Lilly a révélé les crimes commis par les troupes américaines en Normandie, et Alice Kaplan a montré que les soldats noirs étaient exécutés plus fréquemment que les blancs pour le viol de femmes françaises ; Paul Fussell a décrit les souffrances, les doutes et le malaise du fantassin américain ; enfin John Charmley a, avec d’autres, accusé Winston Churchill d’avoir perdu sa guerre sur le long terme parce qu’il avait épuisé l’Angleterre et subordonné son pays aux Américains.

L’impressionnant travail d’Olivier Wieviorka renforce cette nouvelle approche. Se fondant sur les ouvrages publiés mais aussi sur des recherches minutieuses dans les archives américaines et britanniques, il jette un « regard froid » sur la campagne de Normandie, décrite comme « un événement essentiellement humain, dans sa grandeur comme dans ses faiblesses ».

Parmi les nombreuses faiblesses qu’il relève chez les Alliés, la plus frappante est sans doute le faible moral des troupes. Les phénomènes de commotion ou de stress du combat n’étaient pas nouveaux – au cours de la première guerre mondiale, le haut commandement avait fini par comprendre que la détresse émotionnelle qui affectait certains soldats sur le champ de bataille n’était pas un signe de couardise mais révélait de véritables traumatismes psychiques.

En Normandie, le moral s’effondra en juillet lorsque Britanniques et Canadiens furent bloqués devant Caen, tandis que les Américains piétinaient dans le bocage du Cotentin. Un des facteurs que Wieviorka ne mentionne pas était l’habitude américaine de remplacer les pertes en intégrant des soldats non aguerris dans des unités où ils se sentaient isolés et vulnérables.

Le moral des troupes américaines s’améliora après le 25 juillet, date de la percée d’Avranches, qui ouvrit la route de Paris. Confronté au même genre de problème, le commandement allemand fit exécuter 15 000 soldats et en fit emprisonner 420 000. Les Soviétiques appliquèrent les mêmes méthodes répressives. L’armée britannique, elle, n’exécuta que quarante de ses soldats.

Quant à la 2e division blindée française, elle échappa à cette baisse de moral, phénomène que Wieviorka explique à la fois par son arrivée sur place après l’immobilisation forcée de juillet, et par le fait qu’elle était uniquement composée de volontaires aguerris. Il aurait pu ajouter que ces hommes se battaient pour la libération de leur pays… On peut également se demander si la 2e DB disposait elle aussi du personnel psychiatrique qui a établi les surprenantes statistiques citées par Wieviorka à propos des armées britannique, canadienne et américaine.

Il est toujours hasardeux de former des jugements sur les différents caractères nationaux en se fondant sur les performances au combat, lesquelles varient en fonction de l’expérience, de l’entraînement, du commandement et du ravitaillement. Du reste, les troupes alliées améliorèrent leurs capacités au fur et à mesure des combats. Mais il demeure que, de l’avis général, les soldats allemands s’avérèrent dans cette campagne les plus résilients et les plus entreprenants, les plus tenaces et les plus spartiates.

Si cet ouvrage est remarquablement bien documenté, certaines de ses conclusions paraissent cependant inutilement négatives. On peut difficilement affirmer par exemple que l’impréparation américaine de 1940 était due à la « sourde oreille » que le président Roosevelt aurait opposée à ceux qui le pressaient de réarmer. Le plus souvent, on a au contraire accusé Roosevelt d’avoir abusé de ses pouvoirs présidentiels, face à la puissante opposition des républicains, en aidant les Britanniques par des mesures qui confinaient à la déclaration de guerre, comme la loi prêt-bail (Lend-Lease Act) de mai 1941. Il fallut attendre l’attaque japonaise sur Pearl Harbor, le 7 décembre 1941, pour que l’opinion publique américaine, jusqu’alors massivement isolationniste, bascule en faveur de l’intervention.

De même, s’il est exact que les Etats-Unis sont parvenus à maintenir un meilleur niveau de vie à leurs citoyens que n’importe quel autre belligérant, et qu’ils n’ont pas appelé leur main-d’oeuvre industrielle sous les drapeaux, Wieviorka sous-estime l’intensité de la mobilisation de guerre en Amérique. Loin de recourir exclusivement à des « mesures libérales », le gouvernement américain procéda à l’arrêt total de la production de certains secteurs comme l’automobile, imposa contrôle des prix et rationnement et institua un impôt de 94 % sur les plus hauts revenus. Enfin, c’est le conflit avec le Japon, absorbant 35 % de l’effort de guerre américain, qui fut à l’origine de la pénurie de barges de débarquement, et non pas, comme il est suggéré, le refus américain de se plier aux impératifs des temps de guerre.

OPÉRATION DE DÉSINFORMATION

A l’énumération de tout ce qui n’a pas marché de leur côté, le lecteur peut légitimement se poser la question : comment les Alliés ont-ils pu l’emporter ? Un des facteurs-clés de la victoire fut l’élément de surprise. Une vaste campagne de désinformation, complétée par le stationnement d’une fausse armée dans le sud-est de l’Angleterre, avec chars en bois et échanges radio bidons, convainquit les Allemands de maintenir jusqu’à fin juillet des forces nombreuses dans le Pas-de-Calais, en attente du « vrai débarquement ». Un autre facteur fut le ravitaillement. Même si les Alliés ne surmontèrent jamais complètement leurs problèmes en ce domaine, les pénuries dont pâtirent les Allemands furent aggravées du fait que les attaques aériennes empêchaient tout transport durant la journée.

D’autres éléments qui expliquent la victoire des Alliés ne sont pas mentionnés dans ce livre, lequel se concentre d’abord sur le front normand. L’une de ces conditions, décisive, fut le front russe, qui mobilisa la plus grande partie des forces hitlériennes. Une autre fut la campagne de bombardements sur l’Allemagne. Si ces pilonnages échouèrent à faire baisser la productivité allemande, ils obligèrent Hitler à maintenir 70 % de son aviation en Allemagne, laissant ainsi aux Alliés une supériorité aérienne cruciale en Normandie. Le troisième élément fut, après mai 1943, la solution du problème des sous-marins nazis dans l’Atlantique nord, qui permit d’acheminer plus d’un million d’hommes et leur matériel en Angleterre.

Wieviorka étudie d’un regard moins « froid » la contribution française à la libération de la Normandie. Une grosse surprise émerge au fil de son analyse, extrêmement critique, des réticences alliées à l’égard de la Résistance et des forces de la France libre. L’auteur conclut que, contrairement à « une légende tenace », les Alliés n’avaient aucune intention d’imposer un gouvernement militaire en France.

Malgré quelques passages inutilement sévères, le travail d’Olivier Wieviorka constitue, parmi les ouvrages de langue française, la synthèse la mieux informée sur la campagne de Normandie. Il mérite à ce titre de figurer aux côtés du livre remarquable que François Bédarida consacra naguère au Débarquement (Normandie 44, Albin Michel, 1987).
Robert O. Paxton

Voir aussi la critique d’Amouroux dans le Figaro:

Pas de système D pour le jour J
Henri Amouroux de l’Institut.
Le Figaro
le 11 janvier 2007

OLIVIER WIEVIORKA – Face à une armée allemande encore redoutable, le Débarquement allié n’a réussi que grâce à un gigantesque travail de préparation.

QUEL LIVRE intéressant ! Avant de l’ouvrir, j’ai pensé : « Encore un livre sur le Débarquement… » Il s’agit bien, en effet, d’un livre sur le Débarquement, mais le récit des opérations militaires du 6 juin 1944 ne débute qu’à la page 220 d’un ouvrage qui en comporte, hors notes, 416. Voilà qui décevra les amoureux de « l’histoire bataille » et des incontournables Cornélius Ryan et Paul Carell qu’Olivier Wieviorka ne cite d’ailleurs pas dans sa bibliographie, ce qui est un signe. Celui d’un parti pris. Pour Wieviorka, en effet, et c’est en cela que l’architecture de son livre est originale, le Débarquement n’est que le résultat d’un gigantesque travail de préparation. Et il a raison contre les auteurs qui oublient, plus exactement négligent, minimisent, tout ce qui précède le jour J pour se lancer immédiatement dans le dramatique : les combats sur Omaha Beach ou la libération providentielle de Sainte-Mère-l’Église.

Or, ce qui précède le jour J : accord entre Américains et Anglais sur le choix du lieu, la Méditerranée étant éliminée au profit de l’Atlantique, le Pas-de-Calais au profit de la Normandie ; rassemblement et entraînement en Angleterre des centaines de milliers d’hommes nécessaires aux premières batailles, puis des millions qui devront suivre ; mise au point d’armes – les chars-fléaux, par exemple – bien adaptées aux conditions du débarquement ; repérage et localisation des défenses allemandes ; destruction du réseau ferré français afin d’interdire l’arrivée des renforts ; tout cela (on pourrait continuer) réclamait des mois, voire des années de discussions, de réflexion, de travaux multiples. Pour n’évoquer que (si l’on peut dire) le plan général du Débarquement dans ses très grandes lignes, c’est à partir de mars 1943 – quinze mois, donc, avant le premier assaut sur les plages de Normandie – que le général britannique Franck Morgan fut chargé de le préparer.

Dans une entreprise de l’importance du Débarquement, face à une armée allemande encore redoutable, il n’était pas possible de se fier à l’à-peu-près, d’attendre du « système D » ou du courage des hommes qu’ils arrivent à combler les oublis des bureaux, les négligences des états-majors. De la minutie de cette préparation, je retiens l’exemple des embarquements en Angleterre et débarquements sur les plages de Normandie. Wievorka leur a consacré un chapitre. Chapitre passionnant dans la mesure où l’accumulation de détails fait comprendre au lecteur l’importance de l’indispensable, du long et fastidieux travail réalisé « en coulisses ».

Un esprit dégagé de tout sectarisme

Wievorka, qui a disposé d’une impressionnante documentation, cite de nombreux, très nombreux chiffres. Ils ne sont jamais ennuyeux, car toujours intégrés au récit, bien mené quoique sans romantisme, ils perdent ainsi leur sécheresse. Un exemple encore : Wievorka évoque la situation de la Lutwaffe. Comment ne pas le faire ? Par sa domination, elle avait permis à l’Allemagne de gagner les batailles de mai-juin 1940 ; par son absence, en juin 44, au-dessus des plages de Normandie, elle facilitera grandement le succès allié. Wievorka écrit que l’Allemagne perdit 2 500 pilotes de chasse en avril 1944, 2 461 en mai. Il complète ces chiffres par des informations qui les éclairent. Au bout de trois mois, en effet, les escadres aériennes sont complètement usées, d’avril à juin 1944, l’allocation en kérosène a été divisée par près de quatre ; le temps d’entraînement des pilotes par cinq !

Tous les problèmes qui se sont posés avant, pendant et après la bataille sont abordés avec la même minutie, le même souci de renseigner le lecteur et de le faire dans un esprit dégagé de tout sectarisme. Intégrant, comme il le faut, le débarquement de Normandie, dans le cadre d’une guerre mondiale – et le rôle de l’Union soviétique n’est pas oublié – ce livre ne néglige pas le côté français mais il traite les relations libérateurs-libérés, parfois aigres-douces, avec une finesse dans l’analyse et une précision dans le renseignement assez rares pour être signalés.

Il y a longtemps que, sur un sujet aussi « connu » que le Débarquement, un livre ne m’avait apporté autant de plaisir de découvertes. Car si le « rabâchage » peut-être séduisant, la découverte constitue toujours pour l’esprit un merveilleux enrichissement.

Histoire du débarquement en Normandie d’Olivier Wievorka Seuil, 441 p., 24 €.

2 Responses to Débarquement: Un gigantesque travail de préparation (A cold look on the Longest Day)

  1. […] que nous rendons un probablement dernier hommage aux millions de soldats, résistants et martyrs qui ont donné leur vie pour mettre un terme, avant […]

    J’aime

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.