Expo Abdessemed/Centre Pompidou: Avec fil de fer barbelé de Guantanamo, s’il vous plait! (20 years of gratuitous provocation and they hang you at the Pompidou!)

Depuis que l’ordre religieux est ébranlé – comme le christianisme le fut sous la Réforme – les vices ne sont pas seuls à se trouver libérés. Certes les vices sont libérés et ils errent à l’aventure et ils font des ravages. Mais les vertus aussi sont libérées et elles errent, plus farouches encore, et elles font des ravages plus terribles encore. Le monde moderne est envahi des veilles vertus chrétiennes devenues folles. Les vertus sont devenues folles pour avoir été isolées les unes des autres, contraintes à errer chacune en sa solitude. Chesterton
Le nouveau rebelle est un sceptique, et ne fera confiance entièrement à rien. Il n’a aucune fidélité ; donc il peut ne jamais être vraiment un revolutioniste. Et le fait qu’il doute de tout l’empêche de dénoncer quoi que ce soit. Car toute dénonciation implique une doctrine morale d’une certaine sorte ; et le revolutioniste moderne doute non seulement de l’établissement qu’il dénonce, mais de la doctrine par laquelle il la dénonce. Ainsi il écrit un livre se plaignant que l’oppression impériale insulte la pureté des femmes puis il écrit un autre livre en lequel il l’insulte lui-même. Il maudit le sultan parce que les filles chrétiennes perdent leur virginité, et puis maudit Mme Grundy parce qu’elles la gardent. En tant que politicien, il criera que la guerre est un gaspillage de la vie, et puis pleurera, en tant que philosophe, que toute vie est perte de temps. Un pessimiste russe dénoncera un policier pour avoir tué un paysan, et puis prouvera par les principes philosophiques les plus élevés que le paysan devait être tué. Un homme dénonce le mariage comme mensonge, et puis dénonce les libertins aristocratiques pour le traiter comme mensonge. Il appelle un drapeau une babiole, et puis blâme les oppresseurs de la Pologne ou de l’Irlande parce qu’ils emportent cette babiole. L’homme de cette école va d’abord à une réunion politique, où il se plaint que des sauvages sont traités comme si ils étaient des bêtes ; puis il prend son chapeau et son parapluie et se rend à une réunion scientifique, où il montre qu’ils sont pratiquement des bêtes. En bref, le revolutioniste moderne, étant un sceptique infini, est toujours occupé à miner ses propres mines. Dans son livre sur la politique il attaque des hommes pour piétiner la moralité ; dans son livre sur l’éthique il attaque la moralité pour piétiner les hommes. Par conséquent l’homme moderne dans la révolte est devenu pratiquement inutile pour tous les buts de révolte. En se rebellant contre tout il a perdu son droit à se rebeller contre quoi que ce soit. Chesterton
Nous ruinerons cette civilisation qui vous est chère… Monde occidental tu es condamné à mort. Nous sommes les défaitistes de l’Europe… Voyez comme cette terre est sèche et bonne pour tous les incendies. Aragon (1925)
Que les trafiquants de drogue se jettent sur nos pays terrifiés. Que l’Amérique au loin croule de ses buildings blancs… André Breton (1925)
L’acte surréaliste le plus simple consiste, revolvers au poing, à descendre dans la rue et à tirer, au hasard, tant qu’on peut dans la foule. Breton
Il faut avoir le courage de vouloir le mal et pour cela il faut commencer par rompre avec le comportement grossièrement humanitaire qui fait partie de l’héritage chrétien. (..) Nous sommes avec ceux qui tuent. Breton
Bien avant qu’un intellectuel nazi ait annoncé ‘quand j’entends le mot culture je sors mon revolver’, les poètes avaient proclamé leur dégoût pour cette saleté de culture et politiquement invité Barbares, Scythes, Nègres, Indiens, ô vous tous, à la piétiner. Hannah Arendt (1949)
I’m having my work made by Indonesian children who work 16 hours a day and get paid $10.00 a month. I’m doing it as an act of controversy to make people think about the unjust nature of the world economy. Thumbs up or down?  Matthew Weinstein
Thirty years ago when I was 25 years old, I made a film in which I shot a dog. It was an indefensible act that I am deeply sorry for. Many of us have experienced profound emotional turmoil and despair. Few have made the mistake I made. I hope people can find it in their hearts to forgive me. Tom Otterness
Dans La Crucifixion, de Grünewald – dont cette quadruple sculpture s’inspire –, ce sont les mains qui crient. Je l’ai réalisée avec le fil de fer barbelé de la prison de Guantanamo. Adel Abdessemed
Dans ma sculpture, ce n’est pas le cheval qui reçoit des coups, mais lui qui s’apprête à en donner. C’est comme renverser un pouvoir… Adel Abdessemed
Pour moi, les animaux ne sont pas des signes, pas des symboles, pas des icônes, pas des métaphores. Ce sont mes frères lointains, de vraies présences, mes compagnons silencieux. Adel Abdessemed
Les sans-nation, les sans-continent, les sans-papiers, les sans-abri, les sans-baluchon… Où vont-ils ? J’ai pensé à cette peinture de naufrage. Un bateau abandonné, un espoir échoué. Adel Abdessemed
On peut dire que l’idéologie crée des moules, moule un peuple. J’ai pensé à une voiture brûlée, piégée. Je l’ai traduite dans mon langage. Ma voiture est en terracotta. Elle est comme un corps qui respire, comme un cœur qui palpite. Adel Abdessemed
Cette pièce est née d’un coup de fil à ma mère pendant la période du ramadan. Je précise : je ne suis pas musulman. Mais je suis spirituel et j’ai le sens du sacré. Je suis un artiste. Mon ascèse, c’est la créativité. Adel Abdessemed
Abdessemed fait une allégorie zarathoustrienne du désir de déclin. Jean-Philippe Toussaint
Une apologie de la violence ? C’est ce que dénoncent les détracteurs de l’installation posée sur le parvis du Centre Pompidou : une statue de bronze d’Adel Abdessemed, qui représente l’inoubliable geste de Zinedine Zidane envers Marco Materazzi, lors de la finale France-Italie du Mondial 2006. Intitulée « Coup de tête », haute de plus de cinq mètres, elle fait partie de l’exposition de l’artiste, « Je suis innocent », qui ouvre le 3 octobre. Ce « coup de boule » avait valu un carton rouge à Zizou, et encouragé, selon certains, la défaite de la France. Le commissaire de l’exposition, Philippe Alain Michaud, affirme que « cette statue s’oppose à la tradition qui consiste à faire des statues en l’honneur de certaines victoires. Elle est une ode à la défaite. » Malgré la polémique naissante, l’œuvre est censée rester sur la Piazza Beaubourg jusqu’au 7 janvier, fin de l’exposition. Evene
Don’t Trust Me déroute car l’image est dépouillée de toute mise en spectacle ou dramatisation, il est aussi à l’opposé d’un rituel sacrificiel ou d’une tradition culturelle. La brutalité du pouvoir se concentre sur cette capacité de la main de l’homme à donner la mort, d’où l’impensé du pouvoir. Rappelons aussi que l’histoire visuelle du cinéma au XXe siècle s’est construite à partir de ces images d’abattage : en 1903, Thomas Edison a filmé l’électrocution d’un éléphant au Luna Park de Coney Island (Electrocuting an Elephant). En 1949, Georges Franju réalise « Le sang des bêtes » en filmant les techniques d’abattage et de dépeçage des animaux dans les quartiers Vaugirard et La Villette à Paris. Les films de Pier paolo Pasolini et ceux de Rainer Werner Fassbinder ont aussi visualisé ces scènes d’animaux abattus et sacrifiés. Chez Abdessemed, cette croyance sacrificielle a disparu et il y a dans son art une exigence irascible à pousser au plus loin la représentation de la folie du pouvoir de l’homme. Wikipedia

Christs en fil de fer barbelé certifié de Guantanamo, amoncellement de véritables animaux sauvages naturalisés brûlés au chalumeau (aux proportions, s’il vous plait, du Guernica de Picasso!), vieille barque chargée de boat people africains préemballés, cercles concentriques en barbelé à nouveau certifié de Guantanamo, accumulations d’animaux morts, moulage en terre cuite d’une voiture brulée garantie émeutes françaises de 2005, vraies carcasses d’avions enlacées, auto-transformation en torche vivante, glorification monumentale du geste d’antijeu du siècle,vidéos d’insectes et de reptiles on ne peut plus rassurants, vidéo grand écran de porcelet tétant en dolby stéréo une jeune femme, vidéos d’animaux les plus divers (coqs, serpents, pitbulls, tarantules, iguanes, souris blanches, scorpions, crapauds) se déchirant les uns les autres, photos de villes vidées de leur population et envahies par les animaux sauvages, religieux nu et rasé joue des airs berbères à la flûte, danseuses en burqa mises à nu au son d’une sensuelle mélopée orientale, titres provocateurs (Also sprach Allah, God is Design, Tolérance zéro, cocktail), références lettrées à l’histoire de l’art (Géricault, Goya, Grünewald) …

Après les photos volées de cadavres d’une morgue parisienne ou les décoctions de christs dans l’urine et le sang  (Andres Serrano), autodafé de rate vivants (Kim Jones), pipe à un poète essayant de lire son oeuvre (Kathy Aker), contemplations assistées de col d’utérus (Annie Sprinkle), abattage de chiens ( Tom Otterness) …

Comment un artiste pressé et immigré de surcroit obtient la consécration d’une rétrospective au Centre Pompidou à 41 ans ?

Facile!

Multiplier les provocations les plus simplistes et les plus explicites …

Ne manquer aucun des sujets qui fâchent du moment avec matériaux certifiés d’origine (terrorisme, religion, délinquance, immigration, sport) …

Saupoudrer de quelques allusions bien appuyées aux rituels sacrificiels primitifs …

Assaisonner de titres les plus ironiques ou les plus provovcateurs possibles …

Ne pas omettre la petit touche de relations zoophiles …

Donner dans la plus extrême démesure …

Jouer sur l’indignation et le malaise physique du spectateur …

Se donner le beau rôle de la victime nécessairement innocente et du dénonciateur …

Prétexter de la violence de la societé pour en rajouter dans la surenchère …

Multiplier tant les déclarations-manifestes à l’emporte pièce que les références lettrées …

Ajouter une pincée de scandale avec si possible fermeture imposée de l’expo …

Et enfin surtout ne pas oublier, après le détour à New York, le mécène milliardaire!

Les coups de tête d’Adel Abdessemed

« Je suis innocent », l’exposition-manifeste d’Adel Abdessemed au Centre Pompidou

Laetitia Cénac

Madame Figaro
08 octobre 2012

La violence du monde, cet artiste plasticien la sublime à travers un spectaculaire manifeste esthétique. Le titre de son exposition au Centre Georges-Pompidou ? Je suis innocent. Voici son plaidoyer en huit œuvres chocs.

Adel Abdessemed est un artiste pressé. À 41 ans, l’enfant chéri du collectionneur François Pinault

exposé cet automne au Centre Pompidou, lâche ce commentaire : « Enfin ! » C’est tout lui, cette réplique : il est vif-argent, tranchant comme une lame de rasoir et sûr de lui à défaut de l’être de l’univers. Il faut dire que l’étranger lui a déjà rendu hommage (comme l’Art Institute de San Francisco, en 2008) et que ses œuvres se vendent comme des petits pains (la galerie David Zwirner, à New York, a été dévalisée au printemps dernier). Arrivé en France en 1994, après l’assassinat du directeur de l’École des beaux-arts d’Alger où il étudiait, il s’est hissé en une décennie au rang d’icône de l’art contemporain. La clé de son succès ? Des œuvres d’une redoutable efficacité en phase avec la violence du monde, doublées de références à l’histoire de l’art, Géricault, Goya, Grünewald… Impossible d’oublier ses images : une voiture carbonisée réalisée en céramique, un bateau de clandestins rempli de sacs-poubelle, un bloc d’animaux empaillés et brûlés, des carcasses d’avions enlacées… Lui qui a connu les « années de sang » dans son pays, pour qui la jeunesse se confond avec le désespoir, répète : « L’art était la seule porte de sortie », avant d’ajouter : « Mon moteur, c’est la lutte. » Un art de la guerre construit sur fond d’exil, donc. Son exposition, intitulée paradoxalement Je suis innocent (1), s’ouvre dès la Piazza Beaubourg (place Georges-Pompidou) avec une sculpture monumentale, Coup de tête, qui grave dans le marbre le geste de Zidane en finale de Coupe du monde. « Je me suis construit dans la férocité, confie-t-il dans un livre d’entretien (2). Dans la dispute, je n’hésitais jamais à donner un coup de tête. »

(1) Jusqu’au 7 janvier. http://www.centrepompidou.fr

Voir aussi:

Adel Abdessemed frappe fort à Pompidou

Métro

01-10-2012

Sa statue en bronze du fameux coup de boule de Zidane à Materazzi n’est pas passée inaperçue. Le Centre Pompidou ouvre mercredi la première grande exposition consacrée à l’artiste Adel Abdessemed.

A l’entrée, une mise en garde : attention aux arêtes et aux éléments coupants. A l’intérieur, nouvel avertissement : des scènes explicites peuvent choquer le jeune public. Va-t-on sortir choqué et sanguinolent de l’exposition d’Adel Abdessemed ? Cet artiste, né en 1971 en Algérie, est connu du grand public depuis qu’il a installé sur le parvis de Beaubourg Coup de tête, sa sculpture de cinq mètres de haut immortalisant la fin impactante de la carrière de Zidane. Le reste de son œuvre risque aussi de faire parler de lui.

Des rêves violents

Le Centre Pompidou abrite une autre œuvre clé d’Abdessemed, Telle mère tel fils, trois carlingues d’avion entrelacées. Un matériau pour le moins inusité dans l’art contemporain, que l’artiste reprend pour l’enrouler dans Bourek. « Adel dit souvent qu’il rêve ses pièces, explique Philippe-Alain Michaud, commissaire de l’exposition. Bourek a été fait après un rêve où sa mère lui donnait une recette de ce sandwich roulé, avant de rêver d’avion. » Jusque-là, tout va bien. Les âmes sensibles sont plutôt concernées par certaines vidéos : un porcelet tète une jeune femme avec des bruits de succion assez pénibles (Lise), un religieux nu et rasé joue des airs berbères à la flûte (Joueur de flûte), des mygales, reptiles et chiens s’entretuent dans Usine. Tout au fond, devant un immense tableau tapissé d’animaux naturalisés (Who’s afraid of the big bad wolf ?), une vidéo montre des couples faisant l’amour devant un public qui les applaudit debout.

« L’oeuvre d’Adel se découvre en deux temps, poursuit Philippe-Alain Michaud, il y a d’abord l’impact immédiat de l’oeuvre, comme une détonation, puis un renvoi à des formes inscrites dans l’histoire de l’art. » Ce sont notamment les quatre Christ en fil de fer barbelé à doubles lames (Décor), qui fait écho au Christ de Grünewald sur le retable d’Issenheim (1516). Ou les cercles, dans la même matière coupante, rappellant Sol Lewitt. « Cette exposition inscrit aussi Adel dans l’histoire contemporaine, par la rédemption ornementale du matériau. » La quoi ? Comprendre : comment se servir de terre cuite pour reproduire des carcasses de voiture brûlées (Practice zero tolerance) ou de résine pour remplir de sacs poubelle un bateau de clandestins (Hope).

L’exposition s’appelle Je suis innocent. En prévision d’un scandale que pourrait provoquer l’une de ses œuvres ? Adel Abdessemed a déjà été censuré à San Francisco à cause d’une vidéo qui montrait l’abattage d’animaux. Cette exposition y répond avec des éléments autobiographiques, sans chercher à choquer. Ni innocent, ni coupable, Abdessemed maîtrise sa matière.

 Voir également:

Adel Abdessemed, je suis innocent, jusqu’au 7 janvier au Centre Pompidou, Paris 4e.

Pourquoi Abdessemed tape-t-il si dur ?

Philippe Dagen

Le Monde

04.10.2012

Une rétrospective à 41 ans au Centre Pompidou, peu d’artistes peuvent se flatter d’une reconnaissance si prompte en ce lieu. Aux Etats-Unis et en Allemagne, où il n’est pas rare que des artistes encore jeunes soient ainsi mis en évidence, ce ne serait pas étonnant. Au Centre Pompidou, où l’on est timoré quand il s’agit de défendre des artistes de moins de 50 ans, surtout quand ils travaillent en France, le cas est exceptionnel. Adel Abdessemed ne l’ignore pas, mais quand on le lui fait remarquer, il répond sur le ton de la plaisanterie que 41 ans, ce n’est plus si jeune

Lequel l’admet évidemment, tout en faisant observer qu’il a d’autres collectionneurs et que Who’s Afraid of the Big Bad Wolf ? lui appartient et qu’il se refuse à le céder, fût-ce à son prestigieux amateur. Or, l’œuvre est emblématique d’Abdessemed. C’est un panneau de 363 cm de haut et 779 de long couvert d’animaux sauvages naturalisés dont la fourrure a été légèrement brûlée à la flamme d’un chalumeau. Son efficacité visuelle est immédiate, en raison de ces dimensions et de ce qu’il a de farouche et de funèbre. Abdessemed précise que la plupart des bêtes – renards, lièvre… –ont été abattues en France, à l’exception des loups, qu’il a ajoutés aux Etats-Unis pour des raisons juridiques. Couchés les uns contre les autres, ces cadavres évoquent un massacre monstrueux, la folie d’un dépeupleur.

Destruction de la nature par l’homme ? C’est l’interprétation première. Une deuxième, qui fait de l’œuvre une allégorie de tout carnage, se trouve renforcée quand on s’aperçoit que le panneau a les proportions du Guernica de Picasso, l’allégorie de la guerre la plus célèbre de toute l’histoire de l’art.

LA DÉMESURE POUR ALLIÉE

C’est dire qu’Abdessemed n’hésite pas à se mesurer à des rivaux de premier plan, mais aussi qu’il revendique la valeur symbolique de l’œuvre d’art. Ses quatre Christs en sont une autre preuve, ainsi que Hope, vieille barque chargée de sacs de plastique noir qui symbolise de toutes les émigrations tragiques, celles du passé autant que celles d’aujourd’hui. Le Wall Drawing, composé de neuf cercles de barbelé, est aussi explicite : titre ironique, matériau cruel, perfection de la forme close.

C’est sa force : Abdessemed invente des expressions plastiques à la fois intensément provocantes, simples à appréhender et vivement explicites. La démesure est l’une de ses meilleures alliées : accumulation d’animaux morts, terres cuites aux dimensions de voitures brûlées, vraies carcasses d’avions enlacées de Telle mère tel fils. Susciter un malaise physique est une autre de ses bonnes manières : ballet d’insectes et de serpents inquiétants dans la vidéo Usine ou jeune femme allaitant un cochon de lait dans Lise, autre vidéo sur grand écran. On se souvient, bien qu’il ne les remontre pas ici, de ses photographies de sangliers et de serpents sur un trottoir parisien, qui semblent prophétiser qu’après une catastrophe planétaire, les animaux sauvages envahissent les villes vidées de leurs populations.

Abdessemed frappe dur, comme Zidane un certain soir. Pourquoi si fort ? Dans une société saturée de fausses images et hébétée de divertissements, son art de l’irruption et de la percussion est l’un des derniers modes de dénonciation qui puisse opérer encore. Il entend retourner contre la société du spectacle ses procédés habituels, avec ce que cela exige de violence. Le danger serait que cette société le récupère et fasse de lui un de ces artistes stars qu’elle aime d’autant plus que leurs productions sont anodines et consensuelles. Comme suffisent à le suggérer les titres, l’auteur d’Also sprach Allah et de God is Design ne risque pour l’heure rien de tel.

Il n’ignore pas non plus qu’une trajectoire si rapide lui vaut des détracteurs qui veulent croire que son succès s’explique par le soutien de François Pinault. Pour l’exposition, celui-ci a en effet prêté Décor, les quatre Christs en fil de fer barbelé que le collectionneur a acquis au début de l’année lors de leur présentation dans la galerie David Zwirner, à New York, et qu’il a présentés cet été à Colmar à proximité immédiate du polyptyque de Grunewald, donc du Christ qu’Abdessemed a transposé de la peinture à la sculpture.

Chez Zwirner, le collectionneur a pris aussi le groupe de marbre Coup de tête, d’après celui que Zinedine Zidane assena à Marco Materazzi, dont une version plus grande en bronze est placée devant le Centre le temps de l’exposition, et suscite d’innombrables photographies. Qui a visité à Venise la fondation de François Pinault sait combien il défend de longue date l’artiste.

Voir encore:

Adel Abdessemed’s Fighting-Animal Video Sparks Art-World Uproar

Jerry Saltz

Right now there’s a short video at David Zwirner Gallery that has some of the art world up in arms. Adel Abdessemed, 38, who was born in Algeria and now lives in New York, is a big deal on the international circuit. He had a one-person show at P.S. 1 last year, was included in the last Venice Biennale, and has had numerous solo museum exhibitions. The Zwirner show is a bit of a fizzle, an example of huge expensive gestures producing paltry effects. (As such it’s a throwback to the art of the recent past.) The work that has people furious is Usine, a 1:27-minute color video made in Mexico depicting a bunch of different animal and insect species thrown together into a pen: We see fighting roosters, snakes, pit bulls, tarantulas, iguanas, white mice, scorpions, and one toad. The creatures maul or ignore one another. The tape freaked me out, turned me off, and even outraged me. But I admit to being intrigued that in many cases the creatures fighting one another were like unto like, that the same species went after the same species. I looked, I shuddered, I passed on to the next disappointing work, not giving the moral dimensions of Usine too much thought.

This morning as I was getting down to work, I posted to Facebook a comment made to me by someone else. People instantly went batshit — given the topic, actually, I shouldn’t refer to animals, and instead say they went bananas. At 12:47 p.m. I posted the following comment, made by my friend, New York Times critic Ken Johnson: “I think that Adel Abdessemed’s video of animals fighting and killing each other (at the David Zwirner gallery), is the most appalling and evil work of art I have ever seen. Michael Vick went to prison for far less. Why so little outrage?” Within minutes scores of comments poured in, almost all of them saying that this work was “evil,” “despicable,” “100 percent cruel,” and that this piece represented “the faux avant-garde bullshit that has become the New York art world.” The conclusion of many was that “art should be moral.” That’s when I started to get uncomfortable.

My Facebook friends had found solid ground. They were absolutely, irrevocably against art that involved any cruelty to animals whatsoever. Abdessemed was called “a fucking voyeur,” “a sadist,” and compared to Nazis who were “just following orders.” Artist Oliver Wasow rightfully raised the old issue as to what to make of Leni Riefenstahl’s Triumph of the Will Olympia, her depiction of the 1936 Olympics held in Hitler’s Berlin. Then people starting bringing up past pieces of art that also violated moral codes: Andreas Serrano photographing corpses in a Paris morgue without permission from the families of the deceased; Kim Jones burning a rat alive; Kathy Aker performing oral sex on a poet who was trying to read his work; Annie Sprinkle inserting a speculum into her vagina and inviting audience members to view her cervix; Tom Otterness shooting a dog. The list went on to include depictions of rape and artists who portray children too seductively. Most of this work is just awful. I began to get a queasy feeling in my stomach. Then I remembered how people railed against the work of Kara Walker because it was thought to be racist.

I understand the conviction and compassion aroused by Abdessemed. The work is exploitive and intense. I hate cruelty to animals. Still, I did come away from the Abdessemed piece knowing more than ever that I don’t believe in certainty, that even though the work wasn’t good, I was snagged by the paradox it raised about what kills what. Still, two of the best comments in the Facebook thread came from artist Matthew Weinstein, who is very certain about his position against cruelty to animals. First he made a good comparison: “I’m having my work made by Indonesian children who work 16 hours a day and get paid $10.00 a month. I’m doing it as an act of controversy to make people think about the unjust nature of the world economy. Thumbs up or down?” Of course, I’d say thumbs down, but just as quickly I thought about how the artist Santiago Sierra paid Mexican workers to do things like get tattoos on their backs or to hold up cement walls. Regardless, another Weinstein comment to someone may say it all: “Go cut the paws off a kitten.”

Voir enfin:

Eloge du doute

Adel Abdessemed

Palazzo Grassi

Né en Algérie en 1971, Adel Abdessemed quitte son pays à cause de la guerre civile, qui y éclate au début des années quatre-vingt-dix, et arrive en France en 1994 pour étudier les Beaux-Arts. Depuis il a vécu dans de nombreuses villes – New York, Berlin, Paris. Sur la base d’une pensée nourrie de nombreuses lectures philosophiques, politiques, sociologiques, Abdessemed concentre son regard sur les failles et les contradictions du monde contemporain. Il réalise des œuvres qui ont valeur d’ « actes » prenant la forme de sculptures, d’installations, de vidéos, de dessins : « Mon art n’a pas la prétention de représenter la réalité, dit-il, simplement de toucher le réel ».

Practice Zero Tolerance (2006), est un moulage en terre cuite d’une voiture détruite au cours des émeutes de 2005 dans les banlieues françaises. La sculpture fait référence à la politique de « tolérance zéro » revendiquée alors par le pouvoir constitué en Europe comme aux Etats-Unis. Mais, loin d’ être une simple présentation, l’œuvre met en jeu une série de tensions plus profondes : entre la violence de l’impact visuel et la douceur quasi-sensuelle de la terre cuite, la fragilité et la solidité du matériau, la puissance destructrice du feu et sa dimension créatrice (la céramique est précisément un « art du feu »), l’immédiateté et l’archéologie d’un présent dont Practice Zero Tolerance serait le vestige.

Taxidermy (2010) est un cube formé d’animaux empaillés (récupérés dans les brocantes), assemblés avec du fil de fer puis brûlés. Abdessemed a souvent utilisé les animaux dans ses travaux, en tant que victimes silencieuses de toutes sortes de violences (lesquelles semblent indigner davantage l’opinion publique que les injustices, pourtant bien pires, perpétrées contre les êtres humains), mais aussi en tant que témoins d’une existence en deça du langage. En choisissant la forme du cube – référence iconique des sources de la modernité, puis de l’art minimal – qui pourrait sembler aux antipodes de son vocabulaire, Abdessemed établit un lien de tension extrême entre la notion de pouvoir/abus et l’acte de création artistique.

Wall Drawing (2006), est constitué de neuf grands cercles dont les diamètres correspondent exactement à la taille de l’artiste ou à celle de sa compagne, réalisés avec le même type de fil barbelé que celui utilisé dans les prisons américaines de Guantanamo. La perfection de la forme géométrique contraste avec l’aspect menaçant du matériau et ses terribles connotations d’oppression, établissant là encore une tension très forte entre forme et expressivité, dimensions conceptuelle et existentielle.

Cocktail (2007) joue également sur le registre de l’ambigüité du titre (événement mondain ou cocktail Molotov ?), la contradiction entre le caractère inoffensif des pupitres de musiciens et le sujet des dessins présentés. C’est le regard du spectateur, passant d’une image à l’autre de cette sorte de flip-book immobile, qui met en mouvement cette révolte silencieuse et minimale.

(2) Adel Abdessemed. Entretien avec Pier Luigi Tazzi (éd. Actes Sud).

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