Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée. Car je suis venu mettre la division entre l’homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa belle-mère; et l’homme aura pour ennemis les gens de sa maison. Jésus (Matthieu 10 : 34-36)
En Afrique, ils vont renverser le président, ils renversent le palais, ils rentrent dans le palais, ça se passe comme ça en Afrique, pourquoi ça devrait pas se passer comme ça en France. Assa Traoré
Il faut avoir à l’esprit qu’il n’y a pas un racisme, mais des racismes : il y a autant de racismes qu’il y a de groupes qui ont besoin de se justifier d’exister comme ils existent, ce qui constitue la fonction invariante des racismes. Il me semble très important de porter l’analyse sur les formes du racisme qui sont sans doute les plus subtiles, les plus méconnaissables, donc les plus rarement dénoncées, peut-être parce que les dénonciateurs ordinaires du racisme possèdent certaines des propriétés qui inclinent à cette forme de racisme. Je pense au racisme de l’intelligence. Le racisme de l’intelligence est un racisme de classe dominante qui se distingue par une foule de propriétés de ce que l’on désigne habituellement comme racisme, c’est-à-dire le racisme petit-bourgeois qui est l’objectif central de la plupart des critiques classiques du racisme, à commencer par les plus vigoureuses, comme celle de Sartre. Ce racisme est propre à une classe dominante dont la reproduction dépend, pour une part, de la transmission du capital culturel, capital hérité qui a pour propriété d’être un capital incorporé, donc apparemment naturel, inné. Le racisme de l’intelligence est ce par quoi les dominants visent à produire une « théodicée de leur propre privilège », comme dit Weber, c’est-à-dire une justification de l’ordre social qu’ils dominent. Il est ce qui fait que les dominants se sentent d’une essence supérieure. Tout racisme est un essentialisme et le racisme de l’intelligence est la forme de sociodicée caractéristique d’une classe dominante dont le pouvoir repose en partie sur la possession de titres qui, comme les titres scolaires, sont censés être des garanties d’intelligence et qui ont pris la place, dans beaucoup de sociétés, et pour l’accès même aux positions de pouvoir économique, des titres anciens comme les titres de propriété et les titres de noblesse. Pierre Bourdieu
Sciences humaines et sciences naturelles ne font pas bon ménage. Quand les biologistes s’aventurent dans les domaines de l’anthropologie et de la psychologie, ils extrapolent souvent abusivement des causes matérielles aux conséquences sociales. L’homme fait certes partie de la nature, mais les lois biologiques expliquent-elles tous les comportements ? L’hérédité est certes un facteur puissant, mais comment nier que l’histoire des sociétés comme celle des individus a un impact sur notre identité ? Les analyses sociobiologiques des arts et des cultures, à force de se croire capables de tout expliquer à leur aune, laissent souvent sceptique. Du côté des sciences humaines et sociales, c’est moins la boulimie que l’anorexie qui fait des ravages : penseurs et philosophes contemporains semblent avoir adopté pour devise la célèbre formule « Commençons par écarter tous les faits ». D’où vient cette cécité volontaire, obstinée, parfois loufoque, vis-à-vis des sciences naturelles ? En grande partie, bien sûr, de la catastrophe qu’a représentée, au XXe siècle, l’interprétation finaliste de la découverte darwinienne, qui a débouché sur l’idéologie nazie et sur sa traduction dans le réel. Hitler croyait au déterminisme biologique, Hitler était un salaud, donc le déterminisme biologique n’existe pas : le caractère spécieux du raisonnement saute aux yeux. On aurait pu aussi bien tirer la conclusion inverse à partir des pratiques adoptées en Russie communiste au cours des mêmes années, où l’on envoyait les généticiens dans les camps et idolâtrait l’agronome Trofim Lyssenko (1898-1976), d’après qui l’hérédité était inexistante et la nature des plantes pouvait être modifiée à volonté par les conditions environnementales et les hommes. Malgré ces excès, l’idée que l’intervention volontariste peut être utile n’a pas été pourfendue autant que celle de la pertinence du biologique. Certains domaines sont tout simplement désossés de toute influence biologique ; la thèse qui en résulte n’est pas bien différente d’une mythologie moderne. Ainsi de l’idée selon laquelle toutes les différences non physiologiques entre hommes et femmes seraient construites (« la théorie du genre », introduite depuis peu dans les manuels scolaires français). Dans le monde vivant, mâles et femelles diffèrent toujours biologiquement, y compris pour une partie de leurs comportements, car chaque sexe a une façon spécifique de se reproduire, ainsi chez les gorilles, chimpanzés et bonobos, dont nous sommes les plus proches cousins. Quelle force mystérieuse aurait effacé ces différences dans notre espèce à nous ? Les faits, quand on cherche à les connaître, nous montrent que déjà à la naissance – donc avant toute influence sociale – filles et garçons n’ont pas les mêmes comportements. Et comment ne pas reconnaître que le pic d’hormones de la puberté, que partagent les adolescents humains avec les adolescents chimpanzés, a une origine biologique et un effet marqué sur les comportements ? A cela s’ajoute bien évidemment une forte intervention sociale, qui aura le plus souvent tendance à exacerber les différences biologiques. Autre exemple : celui des différences entre groupes humains. Il existe une multitude de races de chiens, neuf sous-espèces de girafes, quatre de chimpanzés, quelques variétés de mésanges bleues, une liste impressionnante de sous-espèces de ratons laveurs. Quel que soit le mot employé, il s’agit là de différences génétiques. Et chez Homo sapiens ? La fiction actuellement à la mode nous assène que les différences génétiques entre groupes humains sont proches de zéro, que la notion de race est scientifiquement infondée. Idée aussi généreuse dans ses intentions politiques que farfelue sur le plan des faits. La diversité de l’espèce humaine est grande : une partie de notre héritage génétique est largement partagée, mais une autre est caractéristique de groupes géographiques. D’ailleurs, il suffit de séquencer le génome d’un inconnu pour savoir d’où proviennent ses ancêtres. Comment nommer ces différences ? Le mot « race » fait peur – il va du reste prochainement disparaître de la Constitution française, on se demande s’il sera suivi par « sexe » –, mais peu importe le terme, il s’agit de ne pas enseigner des inanités. Ces mythes modernes ont en commun avec les religions de reposer sur la dénégation tranquille de faits physiques et biologiques avérés et irréfutables. Ils ont aussi en commun avec les religions de nous flatter et nous rassurer sur notre statut « unique », « choisi », « élu » parmi les espèces terriennes : loin de faire partie du règne animal et de la nature, nous assurent-ils, les humains jouiraient d’un statut à part. Les races et les sexes, c’est bon pour les plantes et les animaux. Nous, on est supérieurs ! On décide de notre propre sort ! Cet orgueil inné de l’humain est particulièrement coriace en France, où il se combine avec la certitude nationale de disposer d’une intelligence exceptionnelle. Ainsi les faits biologiques ont-ils tendance, ici, à être instantanément traduits en concepts philosophiques. Si vous affirmez l’existence chez les humains de deux sexes, plutôt que d’un seul ou de toute une kyrielle, vous êtes aussitôt taxé d' »essentialisme ». Pourtant, dire que seules les femmes ont un utérus, ou que les hommes ont en moyenne un niveau de testostérone plus élevé qu’elles, ce n’est ni spéculer quant à l' »essence » de l’un ou l’autre sexe, ni promouvoir une idéologie sexiste, ni décréter l’infériorité des femmes par rapport aux hommes, ni recommander que les femmes soient tenues à l’écart de l’armée et les hommes des crèches, c’est énoncer des faits ! Des faits qui, en l’occurrence, ont eu un impact décisif sur l’histoire de l’humanité – son organisation sociale (patriarcat), familiale (mariage, primogéniture), politique (guerre). Nier la différence des sexes, c’est s’interdire toute possibilité de comprendre, donc d’avancer. De même, affirmer que Homo sapiens, à partir d’une même souche africaine voici soixante-dix mille à cent mille années, a évolué de façon relativement autonome dans différentes parties du globe et s’est peu à peu diversifié en sous-espèces, ou variétés, ou – pardon ! – races différentes, ce n’est pas une opinion, encore moins un décret politique, c’est une simple réalité. Elle n’implique aucun jugement de valeur ; la génétique moderne se contente de décrire. (…) Notre identité biologique est elle-même le résultat, non seulement de l’hérédité, mais aussi de l’interaction avec le milieu dans lequel nous vivons. Depuis des millénaires, les populations humaines se sont adaptées au terrain, au climat et aux conditions de vie extrêmement variables d’une partie du globe à l’autre. Aujourd’hui, les différentes populations humaines n’ont ni la même pilosité, ni la même couleur de la peau, ni les mêmes maladies et systèmes de défense contre celles-ci. Les médecins savent qu’il existe une variation dans la réponse aux médicaments – les psychotropes par exemple – selon le groupe auquel appartient le malade. Les Inuits sont adaptés au froid, tout comme les sherpas de l’Himalaya sont adaptés à la vie en altitude. Même si des traits culturels interviennent également, ces adaptations sont génétiques. (…) Soulignons au passage que la différence des sexes est d’une autre nature que celle-là, car les sexes ne se métissent pas : en croisant un mâle et une femelle, on n’obtient ni un hermaphrodite ni une transsexuelle mais, dans la quasi-totalité des cas, un mâle ou une femelle. La connaissance du vivant n’a pas à se soumettre au choix politique entre droite conservatrice, qui exagère toujours le poids du donné, et gauche révolutionnaire, qui croit tout transformable. Il est temps de passer outre ces réponses simplistes à des questions infiniment difficiles, car si nous continuons à ignorer et à maltraiter le monde, nous risquons de compromettre nos chances de survie. L’antagonisme entre nature et culture est intenable. L’être humain est un animal pas comme les autres : pas facile d’accepter vraiment les deux parties de cette phrase en même temps ! Comme l’on ne disposera jamais d’un discours unique, capable de rendre compte de sa complexité, au lieu de se cantonner dans le sectarisme et le dogmatisme qui conduisent à la cécité réciproque, nous avons tout intérêt à partager nos différents savoirs. Ceux d’entre nous qui gagnent leur vie par la pensée devraient donner l’exemple en matière de modestie et de curiosité. Nancy Huston et Michel Raymond
« Quand j’avais 14 ans, mes parents m’ont kidnappée et emmenée au Pakistan où j’ai dû vivre un an et demi.» Confidence de la cinéaste Iram Haq. Elle vivait en Norvège et mariait sans difficultés la chaleureuse, gourmande, joyeuse culture familiale et la modernité sympathique, un peu brute de ses camarades d’école. Jusqu’à l’adolescence. Premiers troubles sensuels, premiers flirts, premières cachotteries… la routine qu’on a tous pratiquée. Sauf qu’avec un père et une mère fortement imprégnés du «déshonneur», la désobéissance d’une fille se paie cher. Ce film est à la fois un thriller et le portrait d’un écartèlement. On ne quitte pas le cerveau de la jeune Nisha -en réalité l’auteur du film. On vit d’abord avec elle dans cette Norvège avant-gardiste, accueillante envers d’autres cultures mais intraitable sur l’égalité homme-femme et la liberté de choix. Les assistantes sociales, rodées à la question, se doutent que quelque chose ne tourne pas rond dans la famille de Nisha… Mais celle-ci ne veut pas trahir ses parents, ne veut pas les faire apparaitre rétrogrades, pas trahir leur autorité, donc leur dignité… Jamais on n’a si bien donné à ressentir ce déchirement. Ensuite, la gamine se retrouve contre son gré dans sa famille pakistanaise et il lui est impossible de nier ce qu’elle est profondément. Nouveaux drames… On ressort de la salle bouleversé, complètement déboussolé. Non seulement c’est formidablement bien filmé, bien joué, vif, naturel, intense, mais ce film prenant pose des questions complexes et terrifiantes. Comment un père peut-il être fou de sa fille… et la maltraiter pareillement ? La réalisatrice avoue n’avoir presque plus revu ses parents pendant 26 ans. Et en découvrant ce qu’elle a vécu, on la comprend. Ca n’est que lorsque son père, en fin de vie, l’a contactée qu’ils ont renoué : «Il m’a demandé pardon, je ne m’y attendais pas du tout!» Le savoir réconcilie le spectateur avec ce personnage qu’on a envie d’étrangler. Rien n’est simple… Paris Match
La réalisatrice signe un film magnifique que l’on devine personnel : l’histoire de cette gamine, kidnappée par ses propres parents, et emmenée au Pakistan pour laver ce qu’ils considèrent comme une souillure, fut la sienne : on le sent dans chaque humiliation subie par l’héroïne, chaque obstacle qui l’empêche de devenir la femme libre qu’elle voudrait être. Plusieurs moments épouvantent : des policiers pakistanais ripoux forçant Nisha à se déshabiller pour avoir embrassé un jeune homme ou son père prêt à la précipiter dans le vide, plutôt que de subir une « honte » supplémentaire. Ce film est un vibrant appel à la survie. Télérama
Je vous demande de ne rien céder, dans ces temps troublés que nous vivons, de votre amour pour l’Europe. Je vous le dis avec beaucoup de gravité. Beaucoup la détestent, mais ils la détestent depuis longtemps et vous les voyez monter, comme une lèpre, un peu partout en Europe, dans des pays où nous pensions que c’était impossible de la voir réapparaître. Et des amis voisins, ils disent le pire et nous nous y habituons. Emmanuel Macron
On ne peut pas parler aujourd’hui d’une crise migratoire. C’est une crise politique de l’Europe sur l’immigration. Emmanuel Macron
Le courage de Mme Merkel impressionne et laisse François Hollande sur place. Mais sa prise de position mêle la prédication, la stratégie et le réalisme. Elle veut doubler la suprématie économique de l’Allemagne d’un magistère moral, car elle sait qu’elle en a les moyens. Si elle prévoit sans frémir d’accueillir 800.000 réfugiés en 2015, c’est que ce chiffre a déjà été atteint en 1992. Cette année-là, comme les années suivantes, l’Allemagne accueillait à la fois les migrants fuyant les guerres de l’ex-Yougoslavie et les Russes ou Kazakhs d’origine allemande (ou supposés tels), qui bénéficiaient d’un droit au retour. Un tel surcroît dans un pays de 80 millions d’habitants augmente la population de 1 %. Angela Merkel sait aussi que, depuis les années 1970, l’Allemagne compte plus de décès que de naissances. Les projections démographiques annoncent une baisse de 20 % de la population active d’ici à quarante ans. L’intérêt se joint à la morale. L’Allemagne peut jouer sur les deux tableaux. (…) « Soutenable » est une notion relative. Sur les 4,5 millions de personnes qui ont fui la Syrie, selon le Haut-Commissariat aux réfugiés, 40 % sont en Turquie, dans des conditions déplorables, et beaucoup d’autres en Jordanie, au Liban, en Egypte. N’arrivent en Europe que les plus jeunes et les plus instruits. Dans une Grèce en grande difficulté économique, l’afflux de réfugiés pose un sérieux problème. Mais pour l’Union européenne, avec ses 510 millions d’habitants, accueillir un million d’exilés, c’est seulement croître de 1/500. Ce qui me frappe, c’est de voir à quel point les politiques redoutent les mouvements de population sans avoir la moindre idée des ordres de grandeur. Alain Peyrefitte a rapporté la réaction horrifiée du général de Gaulle apprenant qu’on allait peut-être devoir accueillir 10.000 rapatriés à la fin de la guerre d’Algérie. Or ils ont été près d’un million à gagner la métropole, qui comptait alors 47 millions d’habitants ! Les chiffres absolus impressionnent, mais, en démographie, il faut raisonner en proportions. (…) Il subsiste en Europe un profond clivage Est-Ouest. Pendant des décennies, les pays communistes n’accueillaient qu’un nombre infime d’immigrés des « pays frères « . Les conditions d’accueil étaient draconiennes : on interdisait le regroupement familial et, si les femmes tombaient enceintes, on les enjoignait de repartir ou d’avorter. Cette volonté d’autarcie a créé un état d’esprit persistant. (…) En Allemagne, les migrants sont à l’Ouest mais la xénophobie est à l’Est, car les populations de ces régions n’ont jamais été habituées à leur présence. Quand le Front national rêve d’un pays quasiment sans immigration, qu’elle soit légale ou non, il réactive le modèle communiste d’une société vivant sur elle-même. (…) Des années 1880 aux années 1920, notre pays a accueilli 150.000 juifs russes fuyant les pogroms. En 1939, plus de 700.000 Catalans ont fui l’Espagne de Franco : nous les avons très mal accueillis, ce qui n’a pas dissuadé nombre d’entre eux de rejoindre la Résistance. A partir de 1973, en revanche, l’Etat a réservé à 170.000 boat people vietnamiens et cambodgiens un accueil digne de ce nom, avec des programmes de logement et d’emploi. Ces expériences étant plus anciennes que celles de l’Allemagne, la France est désemparée devant un afflux extraordinaire. (…) Avant la crise actuelle, en 2012, nous étions en 12e position en Europe par le nombre de demandeurs d’asile rapporté au nombre d’habitants ! La Suède en recevait 5 fois plus, la Suisse 4 fois plus, la Norvège 2 fois plus, et je ne parle pas de Malte ou de Chypre. L’Allemagne enregistrait autant de demandes que nous, mais son taux de décisions positives était le double du nôtre : 29 % contre 15 %. Fin 2014, les taux ont progressé sous la pression de la crise syrienne : 42 %, contre 25 %, toutes origines confondues. (…) Sur les dernières décennies, les flux migratoires vers l’Allemagne ont une allure de montagnes russes, avec des pics impressionnants (en 1992, en 2002), où la part des réfugiés peut dépasser 50 % puis retomber à zéro. Rien à voir avec le solde migratoire de la France : nous accueillons en continu une migration issue de nos anciennes colonies, plus modérée que celle de l’Allemagne mais constante. Or, il faut le rappeler, c’est le respect des conventions internationales sur les droits de l’homme qui alimente en France le gros de l’immigration. Sur les 200.000 titres accordés chaque année à des immigrés extracommunautaires, 10 % seulement le sont au titre du travail non saisonnier, les 90 % restants le sont en application d’un droit : le droit d’épouser un Français (50.000 entrées par an), le droit des étrangers de vivre en famille (35.000), le droit d’asile (18.000) et ce quasi-droit, désormais, d’étudier à l’étranger (plus de 60.000). Certes, l’immigration chez nous ne représente qu’un quart de l’accroissement annuel de la population ; c’est bien moins que chez nos voisins européens. Mais cela dure depuis des décennies. Résultat : un quart de la population vivant en France est soit immigrée, soit enfant d’immigré. La France peut logiquement demander que ce facteur soit pris en compte par la Commission européenne dans sa répartition des réfugiés. (…) Si la France devait accueillir en proportion autant de réfugiés que le chiffre annoncé par Mme Merkel pour l’Allemagne, cela représenterait 640.000 personnes. Divisé par deux, cela ferait encore 300.000 personnes à accueillir. Nous en sommes très loin. Même les chrétiens d’Orient n’ont été accueillis qu’au compte-gouttes. (…) Nous reproduisons le triste paradoxe de la frontière entre Etats-Unis et Mexique : deux grands pays liés par un accord de libre-échange mais séparés par un mur anti-migrants. Laurent Fabius vient de chapitrer la Hongrie pour avoir posé des barbelés à sa frontière, mais les barrières qui ceignent l’entrée du tunnel sous la Manche et le port de Calais ne valent pas mieux. François Héran
Il n’y pas de crise migratoire, il n’y a qu’une crise politique. La preuve, tous les chiffres sont à la baisse : un million de personnes qui étaient entrées dans l’espace Schengen en 2015, 500.000 en 2016, pour 204.000 en 2017. François Héran (Collège de France)
Bien sûr, il reste des situations à régler par rapport à la crise de 2015. Je pense notamment au quartier de La Chapelle à Paris où des personnes n’ont toujours pas vu leur situation régularisée. Pour autant, on assiste aujourd’hui à une maîtrise des flux migratoires, contrairement à 2015. La preuve, tous les chiffres sont à la baisse : un million de personnes qui étaient entrées dans l’espace Schengen en 2015, 500.000 en 2016, pour 204.000 en 2017. [Les affaires de « L’Aquarius » et du « Lifeline »] sont des épiphénomènes si on se place face aux chiffres (…) Non, il n’y a pas de crise migratoire. D’ailleurs même en 2014, on n’employait pas cette expression. Les chiffres sont parlants : l’UE enregistrait plus d’1.3 million de demandes d’asile en 2015, contre 705.000 en 2017. La crise est aujourd’hui d’ordre politique. (…) On observe aujourd’hui l’arrivée au pouvoir d’une série de gouvernements hostiles à l’immigration. On l’a vu avec les sorties du ministre de l’Intérieur italien, Matteo Salvini, mais aussi les positions de son homologue autrichien, Sebastian Kurz… (…) Ces mouvements populistes apportent une réponse simple à des questions complexes : la figure du migrant sert de bouc émissaire, comme cela a souvent été le cas avec les formations d’extrême droite. Ce type de discours est bien reçu par une partie de l’électorat qui, parce qu’il a mal vécu la mondialisation, a envie de renverser la table. Dès lors, ces lignes dures peuvent être payantes à court terme électoralement, mais à long terme, cela ne peut pas tenir. (…) Si on prend les chiffres bruts, la France a enregistré 100.000 demandes en 2017. Il est alors facile pour le gouvernement de dire : « Regardez, on est le deuxième pays d’accueil, on est tolérants ». Mais si on rapporte le nombre de demandes d’asile déposées par rapport à taille de la population, la France se retrouve finalement en 16ème position par rapport à ses voisins européens. La leçon est un peu courte ! (…) La question migratoire n’est pas un sujet aussi inflammable en Suède qu’en France. Les Suédois ont une tradition d’accueil des personnes qui ont besoin d’une protection. En France, on a un problème avec la question migratoire, on ne veut pas en parler. Si bien que seuls les extrêmes s’en saisissent. L’espace de débat démocratique lui, est totalement désert. Yves Pascouau
Ce n’est pas une crise. Une crise, c’est un moment aigu dans des circonstances particulières. Ce à quoi nous assistons n’est, au contraire, que la poursuite d’une tendance de fond qui s’est amplifiée ces dernières années avec les migrations africaines et asiatiques notamment. Cette pression migratoire accrue n’est pas un accident, c’est un problème chronique structurel, un phénomène fondamental qui va troubler l’horizon européen pendant des décennies, bien au-delà de la question ponctuelle de tel ou tel bateau de migrants qui ne trouve pas de port d’accueil. Il faut regarder les choses en face : l’Europe représente un havre de paix, de prospérité et de protection sociale unique au monde, alors brite que 7% de la population mondiale. Nous ne sommes qu’un demi-milliard d’habitants et nous avons beaucoup plus que les autres. Marcel Gauchet
Les musulmans sont, de loin, ceux qui expriment le plus faible sentiment national. Plus la foi de ces jeunes est affirmée, plus leur adhésion à l’Etat est faible (…) seulement 30,7% des collégiens musulmans disent se sentir français, alors que leurs camarades catholiques répondent oui à 76,8%. L’Express
Il faut préciser que nous avons tout fait pour cela. Nous avons cassé tous les lieux où s’opérait le mixage social. Le rapport parle du service militaire, qui n’était d’ailleurs plus depuis longtemps le principal lieu de brassage : tous les jeunes des classes supérieures partaient en coopération et ne moisissaient plus dans les casernes. Mais plus encore : sous prétexte de principe de précaution, on a rendu le scoutisme carrément impraticable – or c’était un lieu suprême pour le brassage social. Il en va de même pour les écoles libres : en leur imposant cette limite non-écrite mais réelle des 20%, on en fait des écoles d’élite, alors que si elles pouvaient se développer elles seraient davantage des lieux d’éducation pour ceux qui en manquent. Car le problème aigu, c’est la place qu’a pris l’éducation dans la vie sociale. Ce qui importe est moins à présent de savoir que de savoir-être. On va embaucher un jeune moins en raison de son diplôme que parce qu’il sera arrivé à l’heure au rendez-vous et sans chewing-gum dans la bouche. Et cela ne s’apprend que dans la famille, ou bien dans une troupe scoute, ou bien dans certaines écoles plus attentives que d’autres… Il faut bien convenir que nos gouvernements ont tout fait pour déconsidérer tous ces lieux éducatifs et jeter sur eux la dérision. Evidemment E.Macron est le représentant typique de cette classe supérieure désormais détachée du peuple. Pour être élu il lui a fallu déborder largement cette couche sociale, qui demeure très restreinte. Mais il en demeure le prisonnier typique : apparemment il ignore que les autres classes existent, et ne les a jamais rencontrées. C’est inquiétant. Le « séparatisme social » qui s’est développé en France dans les catégories les plus favorisées a progressivement engendré un recul du sentiment d’appartenance à la communauté nationale. Et si le populisme pouvait être un outil qui, dosé avec une juste mesure, permettrait de renouer ce lien social perdu ? N’est-ce pas, dans un certaine mesure, ce qu’essaye de faire Emmanuel Macron avec le service civil pour renforcer la cohésion nationale ? Chantal Delsol
L’importance des réactions suscitées par le rapport Kepel révèle en filigrane le malaise de la société française face au surgissement d’une société multiculturelle encore impensée. Il faut dire que, en la matière, nous nous sommes beaucoup menti. Convaincus de la supériorité du modèle républicain, en comparaison du modèle communautariste anglo-saxon, nous nous sommes longtemps bercés d’illusions sur la capacité de la République à poursuivre, comme c’était le cas par le passé, « l’assimilation républicaine ». La réalité est que, depuis la fin des années 1970, ce modèle assimilationniste a été abandonné quand l’immigration a changé de nature en devenant familiale et extra-européenne (pour beaucoup originaire de pays musulmans). Alors que l’on continuait à s’enorgueillir du niveau des mariages mixtes, les pratiques d’évitement explosaient. Aujourd’hui, le séparatisme culturel est la norme. Il ne s’agit pas seulement d’un séparatisme social mais d’abord d’un séparatisme culturel. Pire, il frappe au coeur des classes populaires. Désormais, les classes populaires d’origine étrangère et d’origine française et d’immigration ancienne ne vivent plus sur les mêmes territoires. Les stratégies résidentielles ou scolaires concernent une majorité de Français, tous cherchent à ériger des frontières culturelles invisibles. Dans ce contexte, la fable des mariages mixtes ne convainc plus grand monde et ce d’autant plus que les chiffres les plus récents indiquent un renforcement de l’endogamie et singulièrement de l’homogamie religieuse. La promesse républicaine qui voulait que « l’autre », avec le temps, se fondît dans un même ensemble culturel, a vécu. Dans une société multiculturelle, « l’autre » reste « l’autre ». Cela ne veut pas dire « l’ennemi » ou « l’étranger », cela signifie que sur un territoire donné l’environnement culturel des gens peut changer et que l’on peut devenir culturellement minoritaire. C’est ce constat, pour partie occulté, qui explique la montée des partis populistes dans l’ensemble des pays européens. Si le rapport Kepel est « dérangeant », c’est d’abord parce qu’il nous parle d’un malaise identitaire qui touche désormais une majorité de Français. A ce titre, il faut relever l’importance de cette question pour l’ensemble des classes populaires d’origine française ou étrangère. C’est dans ce contexte qu’il faut lire la montée de l’abstention et de la défiance pour les grands partis aussi bien en banlieue que dans les espaces périurbains, ruraux et industriels. Si un islam identitaire travaille les banlieues, l’adhésion pour les thèses frontistes d’une part majoritaire des classes populaires de la France périphérique souligne que la question sociale est désormais inséparable de la question culturelle. Christophe Guilluy
Le sujet n’a pas été abordé pendant la campagne présidentielle, pas davantage que les enjeux, plus larges, du «commun», de ce que c’est aujourd’hui qu’être Français, des frontières du pays, de notre «identité nationale». Et que cette occultation n’a pas fait disparaître cet enjeu fondamental pour nos concitoyens, contrairement à ce qu’ont voulu croire certains observateurs ou certains responsables politiques. (…) il y a la crainte d’aborder des enjeux tels que l’immigration ou la place de la religion dans la société par exemple. Crainte de «faire le jeu du FN» dans le langage politique de ces 20 dernières années suivant un syllogisme impeccable: le FN est le seul parti qui parle de l’immigration dans le débat public, le FN explique que «l’immigration est une menace pour l’identité nationale», donc parler de l’immigration, c’est dire que «l’immigration est une menace pour l’identité nationale»! La seule forme acceptable d’aborder le sujet étant de «lutter contre le FN» en expliquant que «l’immigration est une chance pour la France» et non une menace. Ce qui interdit tout débat raisonnable et raisonné sur le sujet. Enfin, les partis et responsables politiques qui avaient prévu d’aborder la question ont été éliminés ou dans l’incapacité concrète de le faire: songeons ici à Manuel Valls et François Fillon. Et notons que le FN lui-même n’a pas joué son rôle pendant la campagne, en mettant de côté cette thématique de campagne pour se concentrer sur le souverainisme économique, notamment avec la proposition de sortie de l’euro. Tout ceci a déséquilibré le jeu politique et la campagne, et n’a pas réussi au FN d’ailleurs qui s’est coupé d’une partie de son électorat potentiel. (…) L’opinion majoritairement négative de l’islam de la part de nos compatriotes vient de l’accumulation de plusieurs éléments. Le premier, ce sont les attentats depuis le début 2015, à la fois sur le sol national et de manière plus générale. Les terroristes qui tuent au nom de l’islam comme la guerre en Syrie et en Irak ou les actions des groupes djihadistes en Afrique font de l’ensemble de l’islam une religion plus inquiétante que les autres. Même si nos compatriotes font la part des choses et distinguent bien malgré ce climat islamisme et islam. On n’a pas constaté une multiplication des actes antimusulmans depuis 2015 et les musulmans tués dans des attaques terroristes depuis cette date l’ont été par les islamistes. Un deuxième élément, qui date d’avant les attentats et s’enracine plus profondément dans la société, tient à la visibilité plus marquée de l’islam dans le paysage social et politique français, comme ailleurs en Europe. En raison essentiellement de la radicalisation religieuse (pratiques alimentaires et vestimentaires, prières, fêtes, ramadan…) d’une partie des musulmans qui vivent dans les sociétés européennes – l’enquête réalisée par l’Institut Montaigne l’avait bien montré. Enfin, troisième élément de crispation, de nombreuses controverses de nature très différentes mais toutes concernant la pratique visible de l’islam ont défrayé la chronique ces dernières années, faisant l’objet de manipulations politiques tant de la part de ceux qui veulent mettre en accusation l’islam, que d’islamistes ou de partisans de l’islam politique qui les transforment en combat pour leur cause. On peut citer la question des menus dans les cantines, celle du fait religieux en entreprise, le port du voile ou celui du burkini, la question des prières de rue, celle de la présence de partis islamistes lors des élections, les controverses sur le harcèlement et les agressions sexuelles de femmes lors d’événements ou dans des quartiers où sont concentrées des populations musulmanes, etc. (…) Aujourd’hui, cette défiance s’étend à de multiples sujets, notamment aux enjeux sur l’identité commune et à l’immigration. Et, de ce point de vue, l’occultation de ces enjeux à laquelle on a pu assister pendant ces derniers mois, pendant la campagne dont cela aurait dû être un des points essentiels, est une très mauvaise nouvelle. Cela va encore renforcer cette défiance aux yeux de nos concitoyens car non seulement les responsables politiques ne peuvent ou ne veulent plus agir sur l’économie mais en plus ils tournent la tête dès lors qu’il s’agit d’immigration ou de définition d’une identité commune pour le pays et ses citoyens. Laurent Bouvet
Ce qui vient de se passer avec Trump, c’est comme avec le vote en faveur du Brexit récemment au Royaume-Uni, l’expression de toute une partie des électeurs, des citoyens, contre des élites, contre un «système» politique, économique et médiatique, qu’ils estiment les tenir à l’écart, dont ils pensent qu’ils les ont «abandonnés» selon le mot qui revient souvent dans les enquêtes d’opinion. Cette partie «abandonnée», «invisible» de nos sociétés démocratiques se rebiffe en quelque sorte en votant pour des leaders et des formations qui clament leur opposition à ce système ou qui prétendent être leur porte-voix contre celui-ci. Peu importe qu’ils soient eux-mêmes issus du système d’ailleurs. On peut constater que les critiques sociales sur la fortune d’un Trump ou le mode de vie d’une Le Pen n’ont aucune incidence sur leur électorat. Il ne s’agit plus d’un combat politique traditionnel articulé autour d’une vision de classe. C’est l’erreur de toute une partie de la gauche aujourd’hui qui continue de penser que les catégories populaires sont réductibles à la classe ouvrière d’antan et qu’elles devraient donc voter massivement pour leurs légitimes représentants. On a ainsi vu fleurir depuis la victoire de Trump, chez certains responsables de gauche en France notamment, l’idée que Bernie Sanders aurait battu Trump, lui, s’il avait été le candidat du parti démocrate plutôt que Clinton! L’illusion continue de fonctionner à plein alors que les cols-bleus de la Rust Belt (anciens états industriels du nord des États-Unis) ont massivement voté pour Trump et non pour Sanders aux primaires démocrates. (…) Attention d’abord à cette idée d’un «baroud d’honneur» de «petits blancs» face au caractère inexorable du projet multiculturaliste (on distingue bien ici le multiculturalisme de fait qui touche toutes les sociétés ouvertes aujourd’hui et le multiculturalisme normatif comme projet politique bien représenté aujourd’hui par les discours d’un Justin Trudeau, Premier ministre canadien par exemple). Il n’est pas du tout certain en effet que l’on assiste à une montée en puissance sûre et certaine du projet politique multiculturaliste dans les années qui viennent face aux réactions des populations auxquelles il est plus souvent imposé que proposé par une partie de leurs dirigeants, des médias, etc. Je dirais plutôt que les réactions que l’on constate aujourd’hui dans de nombreux pays contre un tel projet en démontrent le caractère forcé et contraire à la volonté de pans entiers sinon de la majorité de la population dans les pays concernés. À la fois et indissociablement, comme on le comprend mieux maintenant visiblement, pour des raisons économiques et identitaires. La réaction immédiate est évidemment portée par les leaders et les formations populistes mais dans le temps, elle peut être plus profonde et entraîner des modifications importantes du paysage politique au sein duquel le clivage autour du «commun», de ce qui fait et tient ensemble nos sociétés devient un enjeu majeur du débat politique, renvoyant aux marges à la fois la réaction populiste et les promoteurs du multiculturalisme normatif. (…) Cette forme d’inquiétude globale sur son propre devenir et sur le devenir de la société dans laquelle on vit, mêlant étroitement des éléments économiques, sociaux, culturels, que j’ai essayés, avec d’autres, de repérer et de préciser sous le terme d’insécurité culturelle, est en effet devenue un élément déterminant du comportement politique, électoral notamment, d’une partie croissante de la population de nos vieilles démocraties. Pour une double raison, simple à comprendre même si elle est encore inaudible visiblement pour tout un tas d’observateurs et d’acteurs politiques: le sentiment d’abandon de la part des élites de pans entiers de la population et de territoires ; le mépris ostensiblement affiché par ces élites vis-à-vis de ces populations et évidemment durement ressenti par celles-ci. Nombre de nos concitoyens vivent aujourd’hui au quotidien cet abandon et ce mépris, et depuis de longues années. Ils ont pu à un moment continuer d’avoir espoir dans tel ou tel parti classique du jeu politique. Ils ont pu aussi cesser de participer à la vie politique (l’augmentation tendancielle des taux d’abstention dans les démocraties se vérifie partout désormais comme l’a bien montré ma collègue Pippa Norris notamment). Et évidemment ils ont commencé aussi à voter pour des leaders et des formations populistes qui mettent en scène cette insécurité culturelle, qui s’en font les champions en quelque sorte. Nous en sommes aujourd’hui à une sorte de point de rupture électoral que l’on voit arriver depuis des années – et à propos duquel nous sommes un certain nombre à avoir alerté en vain -: l’accès au pouvoir, local et national, de leaders et formations populistes. L’insécurité culturelle n’est plus ni un fantasme ni une construction médiatique, c’est devenu une réalité politique aux conséquences aussi tangibles qu’incertaines. (…) Le remplacement stratégique de ces catégories populaires par une coalition de groupes minoritaires, souvent désignés par un critère spécifique de leur identité culturelle (femmes, homosexuels, jeunes issus de l’immigration…) ne suffit pas à garantir la victoire de cette gauche qui se dit «progressiste». D’autant que son programme économique et social n’est plus principalement dirigé vers les catégories populaires mais plutôt vers des catégories sociales supérieures, diplômées, vivant dans les métropoles, profitant de la mondialisation et de l’ouverture des frontières. Si bien que le clivage économique classique n’est plus opérationnel pour cette gauche puisqu’il s’est en quelque sorte inversé tandis qu’elle rejetait dans le même temps toute pertinence des interrogations «identitaires» ou culturelles de ces mêmes catégories populaires. Aujourd’hui, l’électorat de la gauche de gouvernement s’est donc considérablement réduit et cette réduction la prive de toute perspective de pouvoir dans les années qui viennent. (…) Le fait de ne pas ou plus vouloir réfléchir à certains enjeux, de disqualifier a priori certaines préoccupations et de ne plus se poser de questions par rapport à la réalité de l’évolution des relations internationales ou de l’économie a privé la gauche dans son ensemble d’une grande partie de sa capacité d’action. Et nos concitoyens l’ont parfaitement compris. D’autres forces politiques aussi, notamment chez les populistes, qui ont repris des thèmes autrefois chers à la gauche, comme ceux que vous mentionnez mais aussi comme le patriotisme ou l’attachement à la souveraineté du peuple. On l’a particulièrement éprouvé ces dernières décennies avec la construction européenne. Par dogmatisme et par aveuglement idéologique, la gauche a très largement contribué à bâtir un monstre bureaucratique aussi inefficace qu’illégitime politiquement. La question européenne est devenue le Nœud Gordien de la gauche européenne contemporaine. Si elle ne parvient pas à le trancher, elle ne pourra retrouver son rôle historique d’émancipation collective des populations des pays européens. Celles-ci allant chercher les voies et moyens de cette émancipation ailleurs, souvent pour le pire. (…) Surtout si l’on considère la vision très largement répandue d’un multiculturaliste normatif au sein de cette gauche. On y rencontre parfois même, aujourd’hui, certains élus, certaines organisations très favorables à l’islam politique et à une critique très virulente de tout ce qui peut constituer notre commun. (…) Nous entrons pour la gauche dans son ensemble, partout dans les démocraties libérales, dans une phase de refondation indispensable. Et pour ce faire, il lui faudra quitter nombre des vieux habits endossés pendant des décennies en veillant à ne pas tout oublier de ce qui fonde son origine. Laurent Bouvet
Virale, la vidéo d’un responsable Inter-LGBT refusant d’être assimilé à sa masculinité fonctionne comme une formidable métaphore d’une fin d’époque. Sur le fond, la séquence dans sa drôlerie involontaire nous raconte l’effondrement d’une théorie dont le moteur poussé jusqu’à bout de chevaux engage son véhicule dans une spectaculaire sortie de route. Cette théorie n’est pas tant dans ses fondements celle du genre, pavillon désormais épouvantail de bien des revendications sociétales, que celle des tenants de la fameuse «construction sociale de la réalité», du titre éponyme de l’ouvrage désormais classique paru voici plus d’un demi-siècle sous la plume de Peter L. Berger et Thomas Luckmann, deux sociologues de la connaissance pour lesquels les stéréotypes, entre autres, contribuent au façonnage du monde, des identités, de tout ce qui relève à un degré ou un autre de ce que Durkheim appelait le «fait social». Cette thèse «constructiviste» qui voit in fine dans le regard des autres un puissant vecteur d’ordonnancement des sociétés fonctionnera très vite comme la boîte de Pandore de tous les apôtres de la déconstruction. Ces derniers verront dans l’analyse de Berger et Luckmann, non sans la surinterpréter voire la détourner, la porte étroite intellectuelle pour saper, subvertir, démonter les principes d’un «vieux monde» abhorré auquel ils veulent s’opposer et échapper. À partir du moment où ce sont les représentations sociales qui fondent le réel, il suffit de démonter celles-ci pour changer la société. Les soixante-huitards feront leur miel de ce parti pris! Ils dénonceront alors les mœurs de leurs pères à leurs yeux «aliénantes», «réactionnaires», «petite bourgeoises», autant de greniers poussiéreux dont ils rêveront de se débarrasser, accrochés qu’ils seront à leur imaginaire postadolescent nourri tout à la fois de Rimbaud et de Marcuse. Au fur et à mesure des décennies, cette révolte libertaire s’est fait dogme, catéchisme, inquisition. Elle a alimenté un nouveau bréviaire, celui du «politiquement correct» qui, de manière inégale mais continue, a conditionné à son tour les réflexes de nombre des élites politiques, économiques, culturelles des sociétés occidentales, avec plus ou moins d’intensité selon les pays, mais avec cette même injonction à reconnaître pour inévitablement inéluctable la force irrésistiblement «progressiste» du sociétal, de ses groupes de pression et de ses revendications. La «contre-société» s’est muée en carcan sémantique d’abord, en sommation historiographique ensuite, en mise en demeure normative… Elle est devenue de facto le pouvoir. On ne compte plus les effets de cette nouvelle idéologie dominante sur le vocabulaire, les mémoires, les lois. Les dictionnaires, les livres d’histoire, les législations sont littéralement révisés pour faire stricto sensu droit aux exigences de cet agrégat de minorités rassemblées dans la même volonté d’imposer leur doxa à l’ensemble de l’espace public. Ainsi les mentions «père» et «mère» disparaissent au profit des neutralités lexicales «parent 1» et «parent 2» ; ainsi Jacques Chirac et Dominique de Villepin ne célèbrent pas Austerlitz en 2005 pour ne pas heurter les quelques activistes de la répression mémorielle et de l’anachronisme historique ; ainsi le législateur se fait traqueur de toutes les phobies réelles ou … supposées! Tout se passe comme si un aggiornamento sociétalement libertaire, inclusif, communautaire délimitait les termes du dicible et de l’indicible, du permis et de l’interdit, de l’acceptable et de l’inacceptable, du correct et de l’incorrect. La com’ et la publicité, dont le visionnaire Jacques Ellul avait compris la fonction éminemment propagandiste au service de l’hubris technicienne, ont balisé le terrain au quotidien, conditionnant, imprégnant, infusant une certaine idée de la mise au pas du verbe et de ses aspérités, du passé et de son irréductible altérité, de l’homme et de son aspiration au sacré. Cette radicalisation a ses icônes politiques dont la mairie de Paris, en France, constitue à sa façon le foyer. L’emballement sociétal se radicalise à proportion que des résistances commencent à se faire jour, y compris parmi certains tenants prudents du «politiquement correct» . Cette radicalisation a ses icônes politiques dont la mairie de Paris, en France, constitue à sa façon le foyer. Elle s’incarne avec virulence dans l’obsession de la chasse symbolique au «mâle blanc cinquantenaire» , victime propitiatoire désignée de toutes les élites du postmodernisme. Elle se naufrage dans un excès de dénégation dont l’extrait de l’échange entre Daniel Schneidermann, producteur de l’émission d’Arrêts sur images et son interlocuteur autoproclamé «non-binaire (sic)» constitue en soi une expression anthologique de l’absurde, non pas d’un absurde existentiel, mais d’un absurde sociétal, stade ultime de l’infantilisme du politiquement correct qui achève ainsi sa course dans une tragi-comédie. Arnaud Benedetti
La nouvelle rhétorique à gauche déconcerte. Des assemblées générales interdites aux hommes blancs à Tolbiac, aux manifestations contre le «racisme d’État» du mouvement Justice pour Adama, les mobilisations sociales se teintent de plus en plus d’une coloration identitaire, comme si le monde commun n’avait plus d’autre usage pour les militants que l’expression de leur particularité. Ce nouveau langage politique, apparu aux États-Unis, n’est pas resté confiné aux groupes les plus marginaux ; il a au contraire profondément imprégné le fonctionnement du parti démocrate. (…) La nouvelle forme d’activisme dont il est question est d’abord apparue sur les campus universitaires où elle a produit une génération de militants (désignés péjorativement sous le nom de Social Justice Warriors) moins préoccupés par l’exercice du pouvoir que par la critique de la domination et la défense des minorités dominées. Leur force de mobilisation est toutefois peu à peu devenue un objet de convoitise de la part des responsables démocrates confrontés à la perte d’influence des organisations professionnelles qui les soutenaient traditionnellement. C’est pour cette raison qu’au-delà des théories de Michel Foucault, Judith Butler ou encore Kimberlé Crenshaw qui sont à l’origine de ce mouvement, le «progressisme identitaire» a également engendré une stratégie électorale concrète, dont l’illustration en France fut le fameux rapport Terra Nova de 2011. Dans ce document, Olivier Ferrand constatait l’érosion du soutien des classes populaires à l’égard du parti socialiste, et invitait ce dernier à reconstituer une majorité grâce à l’agrégation de segments électoraux minoritaires rassemblés autour de problèmes identitaires et sociétaux (multiculturalisme, mariage homosexuel, droits des femmes etc.). Ce qu’offrait cette myriade de mouvements associatifs aux partis progressistes, c’est effectivement un relais de transmission permettant de transformer les revendications identitaires de communautés spécifiques en soutien pour un programme gouvernemental garantissant séparément chacun de ces intérêts distincts. Le rêve d’une coalition arc-en-ciel rencontra peu de résistances auprès des responsables démocrates, ou de leurs confrères européens, tant il ne semblait comporter que des avantages. De tels groupes communautaires, caractérisés par un militantisme de terrain, permettaient en effet aux partis politiques de combler ce qu’ils pouvaient ressentir comme un déficit de représentation. Ils concernaient également des niches électorales (homosexuels, immigrés récents etc.) moins susceptibles d’être contestées par leurs adversaires. Et enfin, alors que le socialisme comme doctrine économique avait perdu une grande partie de sa capacité de mobilisation, ces mouvements constituaient la seule force neuve et conquérante d’un paysage politique fait de routines et de consensus décourageants. Le soutien de cet électorat ne reposait toutefois plus sur les attentes et les intérêts collectifs d’une classe sociale — aspirant à organiser le travail et distribuer ses produits — ; il traduisait l’indignation de groupes constitués autour d’une identité de race ou de genre, ayant le sentiment d’être les victimes d’un système de domination, auquel ils entendaient résister et qu’ils souhaitaient éventuellement détruire. Se défiant du processus électoral et de ses compromissions, cette gauche, née de la contre-culture des années 60-80, trouva d’abord refuge dans les universités au moment où la droite américaine parvenait avec Reagan à porter un coup fatal aux équilibres de la sociale démocratie d’après-guerre. Leur démarche ne consistait plus à conquérir le pouvoir — ce qui aurait impliqué d’obtenir le consentement de leurs concitoyens à un moment où ceux-ci se détournaient résolument de leurs combats — mais à convertir à leurs idées ceux qui, par leur parcours, devaient accéder bientôt à la classe dirigeante. Ce n’est que dans un second temps que cette politique d’entrisme, d’hégémonie culturelle et de politisation de l’éducation supérieure put se cristalliser dans un ensemble d’engagements métapolitiques de construction communautaire [community building] destinés, par le vecteur des identités, à politiser certaines marges de la société autour de la revendication de droits spécifiques. L’histoire du concept de «consentement explicite» illustre particulièrement bien cette stratégie. (…) Les organisations féministes ont fini par imposer la création d’une forme de justice parallèle au service de leur conception des relations entre les sexes. (…) Partant d’un problème effectivement légitime, les organisations féministes ont ainsi fini par imposer la création d’une forme de justice parallèle au service de leur conception des relations entre les sexes. Par effet de capillarité, cette prise de pouvoir au sein des campus a produit des chambres d’écho avec des sites d’information (The Huffington Post et Buzzfeed) et un foisonnement de blogs, de chaînes YouTube et de comptes tumblr au service de la cause. (…) L’exclusion de certains conférenciers sur les campus universitaires en raison de leurs idées a particulièrement médiatisé ce processus. Les départements de sciences humaines ont, pour des raisons évidentes, souffert dans une plus large mesure, et plus tôt que les autres, de cette déstabilisation des savoirs. Il ne serait néanmoins pas inexact d’affirmer qu’elle affecte désormais tout le corps politique. (…) Dans un premier temps, ces mouvements n’ont accordé leur soutien aux partis traditionnels qu’en échange de mesures dont leurs adversaires conservateurs ne pouvaient accepter l’application sans se couper de leur base. Dans les pays où ils ont consenti à de tels compromis, de nouvelles formations ou un nouveau personnel politiques ont pris leur relai afin de cristalliser l’opposition à ces réformes. Ce premier phénomène de bipolarisation fut aggravé par le langage accusateur et agressif, essentiellement anti-pluraliste, dans lequel étaient exprimées les revendications progressistes. Si cette rhétorique leur a garanti bien des succès d’opinion auprès d’une partie non négligeable de la population (plutôt connectée, urbaine, diplômée et cosmopolite), elle a de manière croissante rendu impossible à ceux qui en étaient exclus (déconnectés, ruraux, déclassés et blancs) d’envisager avec elle une action, des intérêts ou un destin communs. (…) En définitive, ces nouveaux militants se préoccupent moins de convaincre leurs concitoyens de la justesse de leur opinion que de persuader les juges de la leur imposer. (…) Mais dès lors que la gauche doit ses succès électoraux à la défense des droits d’une minorité, ou d’un ensemble de minorités, elle est contrainte d’introduire sans cesse de nouveaux droits, et, par conséquent, de découvrir de nouvelles injustices, quitte à les exagérer, sous peine de voir son électorat se démobiliser, ou pire, passer à l’adversaire, une fois satisfaction obtenue. Proclamant des droits qui ont de moins en moins de sens, et condamnant des injustices qu’il est de plus en plus difficile de voir comme telles, les partis progressistes, prennent le risque de s’isoler, et d’isoler les catégories de population qui les soutiennent, du reste de la société. À titre d’exemple, Antioch College, cité plus haut, requiert désormais de tout visiteur la signature d’un protocole d’accord, signifiant l’adhésion au principe du consentement explicite. L’usage est même de requérir un tel consentement pour tout contact physique, quelle qu’en soit la nature. Dans l’article du New-York Times consacré à l’établissement, une jeune femme s’y indigne que sa mère ait osé l’embrasser à son retour de l’université sans lui en demander la permission. Quelle citoyenneté penser quand les gestes les plus élémentaires de la proximité humaine sont ainsi criminalisés? (…) on ne peut concevoir d’engagement politique sain sur l’idée que la société et la conversation publique dissimulent une structure de domination, dont le langage n’est que l’instrument des pouvoirs qui le mobilisent. L’université, par l’autorité qu’elle possède sur la gauche, et la gauche, par l’autorité qu’elle possède sur l’université, sont-elles prêtes à prendre leurs responsabilités face à ces nouveaux enjeux? Alexis Carré
Mercredi 27 juin, les députés ont donc décidé que le mot « race » serait ôté de l’article 1 de la Constitution, qui disposerait désormais que « la France assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction de sexe, d’origine ou de religion ». La mesure a été votée à l’unanimité en commission à l’Assemblée nationale, le 27 juin, et devrait, selon toute logique, être adoptée le 10 juillet prochain. (…) La suppression du mot « race » de la Constitution, c’est un peu comme le droit de vote des étrangers, cela fait des années qu’on en entend parler mais cela n’a jamais abouti. Promesse de campagne de François Hollande finalement abandonnée, cette mesure a été relancée par des députés LREM qui considèrent que le terme de « race » ne serait plus adapté à une société démocratique du XXIe siècle, qu’il rend la Constitution symboliquement violente, mal comprise (on se demande bien par qui) et infondée. Vraiment ? A y regarder de plus près, cette mesure apparaît pourtant aussi inutile que dangereuse. Inutile car la Constitution n’est pas le seul texte qui interdit la distinction fondée sur la race. L’article 2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne adoptée en 2000 prohibent toute distinction fondée sur la « race ». (…) Aussi, pour que la suppression du mot « race » soit effective, outre la suppression des textes de droit international, il conviendrait de procéder à une réécriture complète du code pénal dans lequel il figure toujours. Se borner à le supprimer de la seule Constitution, cela ne sert strictement à rien. (…) Supprimer le mot « race » est en plus dangereux. Vouloir supprimer le mot « race », c’est vouloir supprimer l’expression qui lui est associée à savoir « sans distinction de race », c’est-à-dire la suppression du principe selon lequel on ne distingue plus selon la race. C’est extrêmement préoccupant à une époque où justement les distinctions raciales à l’anglo-saxonne deviennent de plus en plus présentes. Depuis 1998, on se gargarise bêtement devant une France prétendument « black, blanc, beur », la diversité est promue au rang de dogme et chacun est renvoyé à sa race. Le président de la République lui-même (ainsi que la ministre de la Culture et la présidente de France Télévisions) regrette la surreprésentation des « mâles blancs » et invite à l’Elysée un artiste s’affichant ostensiblement « noir et pédé ». En 2016, sous le slogan « les compétences d’abord », le gouvernement, en se chargeant de véhiculer des stéréotypes, prétendait lutter contre les discriminations à l’embauche par une campagne d’affichage dans laquelle chaque affiche fusionnait les visages d’un candidat blanc et d’un candidat de couleur : au visage blanc était associée une réponse positive de recruteur, au visage de couleur, une réponse négative. Il était insinué que les seuls blancs étaient favorisés et qu’ils devaient être nécessairement culpabilisés pour cela. Causeur
Ce recensement n’est pas le recensement des bavures policières. Mme Monéger-Guyomarc’h
L’inspection générale de la police nationale a pour la première fois rendu public, mardi, le nombre de personnes tuées lors d’interventions des forces de l’ordre. Ce sont des chiffres sensibles qu’a dévoilés, mardi 26 juin, l’inspection générale de la police nationale (IGPN), la « police des polices », à l’occasion de la publication du dernier rapport annuel de sa patronne Marie-France Monéger-Guyomarc’h, qui doit bientôt quitter son poste après six ans de service. De fait, elle a annoncé une très forte hausse du recours aux armes à feu chez les policiers entre 2016 et 2017 (+ 54 %) ; et surtout pour la première fois de l’histoire de l’IGPN, le chiffre du nombre de morts et de blessés lors d’interventions policières. Entre juillet 2017 et mai 2018, elle recense 14 décès et une centaine de blessés. Des chiffres révélateurs d’un climat tendu sur le terrain. Un exercice nouveau de transparence pour l’institution alors que les violences policières sont devenues l’objet de forts clivages politiques et de tensions récurrentes dans les quartiers populaires. (…) La très forte hausse du recours aux armes à feu s’est ainsi traduite par quelque 394 utilisations, entre 2016 et 2017, selon l’IGPN. Ces tirs ont été essentiellement le fait de l’usage du pistolet dont les policiers sont porteurs en service, et beaucoup dans un cadre très particulier d’intervention, selon Mme Monéger-Guyomarc’h : le refus d’obtempérer des véhicules en mouvement. Tous ces coups de feu ont été considérés comme de la légitime défense. Ils pourraient néanmoins amener la maison police, soucieuse à demi-mot de cette évolution, à adapter ses formations. Ce chiffre de 394 n’est en effet pas étranger à une nouvelle loi entrée en vigueur en février 2017. Celle-ci a élargi les règles de la légitime défense notamment dans un but de meilleure prévention du terrorisme. Depuis, les policiers peuvent faire usage de leur arme sans risquer d’être sanctionnés, en particulier en cas de la présence d’un véhicule « dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ». Ce point de la loi avait été particulièrement débattu, de crainte qu’il n’engendre une multiplication de l’usage des armes à feu. (…) La gendarmerie est elle aussi confrontée à cette progression de l’usage des armes. Selon les informations du Monde, entre 2016 et 2017, cette hausse a été de 15 %. Elle serait toutefois ponctuelle, ce chiffre ayant nettement diminué sur les dix dernières années de l’ordre de 20 %. En parallèle, le nombre d’agressions contre des gendarmes a explosé : + 68 %. Des chiffres qui font dire à la gendarmerie que « malgré l’augmentation des situations qui exigent de recourir aux armes, c’est le plus faible niveau de coercition qui est toujours recherché et utilisé ». Autre exercice de transparence : la communication du nombre de tués ou de blessés sur l’année écoulée. Quelque quatorze personnes ont ainsi été tuées lors d’interventions policières entre le 1er juillet 2017 et le 31 mai 2018 (onze mois). Ce chiffre comprend les individus abattus après avoir commis un acte terroriste, quatre personnes ayant mis fin à leurs jours au moment où la police intervenait, ainsi que quelques personnes étant décédées en ayant pris la fuite lors d’une intervention de police (accident, noyade, etc.). Mme Monéger-Guyomarc’h n’a toutefois pas donné plus de détails sur ce dernier indicateur. (…) Ce bilan IGPN est enfin marqué par une hausse des enquêtes judiciaires à la suite d’allégations visant des fonctionnaires de police dans plusieurs catégories notables : « violences volontaires » (574 enquêtes ouvertes dans le bilan 2017 contre 543 au bilan en 2016), « violation du secret » (55 contre 47), et « vol » (125 contre 104). En matière « d’injures racistes », en revanche, il y a eu une légère baisse (de 42 à 32). Le Monde
Nous savions depuis l’attaque de Magnanville que les terroristes n’hésitaient pas à s’en prendre aux policiers dans leur vie privée, mais désormais cette logique s’étend aux voyous de droit commun, qui considèrent que le policier est un ennemi avec qui ils ont un contentieux personnel. Avec le Centre de réflexion sur la sécurité intérieure, nous avons recensé au moins quatre incidents similaires depuis deux mois: le 12 mai, à Menton, des policiers qui allaient dîner au restaurant en dehors de leur service ont été pris à partie par une trentaine d’individus. L’un des policiers a eu trente jours d’ITT. Le 22 mai, à Grenoble, plusieurs CRS au repos ont été reconnus, attaqués et roués de coups par une dizaine d’individus. L’un des policiers a eu 45 jours d’ITT. Le 31 mai, à Orléans, deux individus en scooter ont suivi et menacé un policier hors service, qui a dû sortir son arme. Et samedi dernier, à Bugey, une quinzaine d’individus ont roué de coups (31 jours d’ITT) un policier devant chez lui, qui a dû tirer pour se dégager. L’attaque personnelle des policiers se banalise chez les délinquants. Cela touche aussi les gardiens de prison. On a même vu des magistrats menacés de mort. (…) Je ne me prononce pas sur le fond de l’affaire, que je ne connais pas. Mais quand on sait que l’individu abattu était un délinquant chevronné, recherché par la police, qui conduisait une voiture signalée comme participant à un trafic, la première chose qui frappe est que le quartier a pourtant solidairement présenté l’individu comme un saint, faisant donc abstraction du profil de l’intéressé pour se camper unanimement dans une position clanique. C’est désormais soit l’adhésion totale, soit le rejet en bloc, «eux» ou «nous», il n’y a plus ni demi-mesure ni lucidité. Ensuite, lors des émeutes, un policier a été touché au casque par un tir de .22LR. C’est la première fois depuis très longtemps qu’on tire à balles réelles sur des policiers en maintien de l’ordre. C’est extrêmement inquiétant. La police n’est plus perçue comme une autorité représentant la République mais comme une bande rivale contre laquelle tout est permis. Dans les quartiers, il y a plusieurs guets-apens par semaine contre les forces de l’ordre. Des photos de policiers circulent sur les réseaux sociaux, et on a même vu un tag «La justice se fera avec la mort d’un CRS» à Nantes. Tout converge vers l’imminence d’un drame. (…) Dans une logique tribale de territoire, les émeutiers s’en prennent aux infrastructures financées par l’État précisément pour sortir ces quartiers de la ghettoïsation. Six ou sept établissements publics ont été brûlés à Nantes, mais un commerce halal a été épargné: on est dans la logique clanique d’un rejet de l’État. Cela montre d’ailleurs les limites de la pacification des banlieues par l’argent, comme le préconisait le rapport Borloo. La solution passe par le rétablissement de l’ordre, en assumant ses conséquences inévitables. Les populations qui vivent dans ces quartiers, qui sont prises en otages par ces comportements claniques, ont tout à gagner au rétablissement de l’autorité républicaine. (…) les forces de l’ordre ne sont pas racistes: elles font leur travail dans des conditions rendues chaque jour plus difficiles par le cumul du péril terroriste, de la logique de partition territoriale et du manque de moyens. Mais ce discours est politique: il est porté par des associations ou des personnalités militantes qui ont pour but d’exacerber les tensions communautaires. S’inspirant notamment des mouvements américains type Black Lives Matter, ces associations promeuvent une racialisation des tensions. On a vu la sœur d’Adama Traoré (jeune homme décédé lors de son interpellation par la police en juillet 2016) appeler dans un discours récent place de la République à envahir le Palais de l’Élysée «comme en Afrique», sans que cela n’émeuve personne. Ce sont des discours antirépublicains, sécessionnistes et racialistes qu’il faut combattre impitoyablement. (…) L’affaire Théo a été symptomatique d’une hystérisation du débat par les associations communautaires. À Nantes, comme pour l’affaire Théo, la justice a immédiatement réagi et engagé une procédure. Dans un fonctionnement républicain «normal», on en attendrait les résultats avec sang-froid, sans provoquer d’émeute pour réclamer une «justice» qui est précisément à l’œuvre. Dans l’affaire Théo, les émeutiers n’ont pas cru la justice, qui faisait son travail. Et la visite du président Hollande au chevet de Théo a été une faute politique immense qui a marqué durablement l’esprit des policiers. Le rapport Grosdidier, remis cette semaine au Sénat, montre bien la crise profonde que traversent les forces de l’ordre. Il est plus que temps d’engager une réflexion en profondeur sur les moyens et les stratégies relatifs à la sécurité intérieure pour les années à venir. L’enjeu est vital pour la France. Thibault de Montbrial
Un contrôle de police a dégénéré mardi soir, à Nantes (Loire-Atlantique), dans le quartier du Breil. Lors d’un contrôle effectué par des CRS, vers 20h30, « après des infractions commises par un véhicule », le jeune conducteur aurait refusé d’obtempérer et fait une marche arrière, percutant un policier. Un des collègues de celui-ci aurait alors tiré sur la voiture. Le conducteur, âgé de 22 ans, aurait été touché au niveau de la carotide. Il est décédé à l’hôpital, vers 23 heures. Selon une source proche de l’enquête, il s’appelait Aboubakar F. , était natif de Garges-les-Gonesses, dans le Val d’Oise, et avait usurpé l’identité de Mamadou D. Le jeune homme était connu de la police pour vol par effraction, menace de mort, vol en bande organisée et association de malfaiteurs. Il faisait l’objet d’un mandat d’arrêt pour vol en bande organisée et recel. Son véhicule avait été signalé dans le cadre d’une enquête pour trafic de stupéfiants. A la suite du contrôle de police, des échauffourées ont éclaté dans le quartier du Breil entre plusieurs personnes encagoulées et la police, qui a été « prise à partie » avec des « jets de cocktails Molotov », selon le directeur départemental de la sécurité publique (DDSP), Jean-Christophe Bernard. Plusieurs bâtiments ont été incendiés, selon Ouest-France, ainsi que des véhicules en stationnement. Les violences urbaines ont ensuite gagné les quartiers de Malakoff et des Dervallières, nécessitant la mobilisation de 200 membres des forces de l’ordre. Un peu avant 3 heures, ce mercredi matin, le calme semblait revenu dans les trois quartiers. Aux Dervallières, une boulangerie, un coiffeur et un kebab ont été incendiés. (…) Il y a une semaine, au Breil, un tir de Kalachnikov dans la rue avait fait un blessé. A la suite de cet événement, des CRS avaient été envoyés en renfort dans le quartier. Le Parisien
Cachez cette race que je ne saurai voir !
Quartier « sensible », envoi de renforts policiers suite à un blessé par kalachnikov la semaine précédente, infraction routière, contrôle de police, refus d’obtempérer d’un jeune conducteur d’origine (nord-)africaine, mandat d’arrêt (pour trafic de stupéfiants), multirécidiviste (vol par effraction, menace de mort, vol en bande organisée et association de malfaiteurs), tir apparemment accidentel du policier, décès du conducteur, nuits d’émeutes …
Au lendemain d’une « bavure » semblable à tant de « bavures » policières américaines …
Où une France pourtant si prompte à crier au racisme et à la brutalité policière quand il s’agit des Etats-Unis …
Mais qui, à l’exception toute récente des victimes des forces de l’ordre, interdit (statistiques ethniques) ou cache ses chiffres (homicides des DOMTOM) …
N’a évoqué à cette occasion ni l’une ou l’autre de ces deux accusations …
Et où à l’instar de la diversité d’une équipe nationale de football réduite à quatre joueurs d’origine non-africaine …
Entre séparatisme choisi (des élites) et séparatisme contraint (des autres, juifs compris) …
La « mixité ethnique » (pardon: » sociale ») tant louée de nos belles âmes ressemble de plus en plus la fable qu’elle a probablement toujours été …
Et où en une Europe sous le coup d’une assimilation toujours plus illusoire de deux millions de migrants illégaux en deux ans …
Sans compter les autres millions qui ne vont manquer de s’amasser de l’autre côté de la Méditerranée …
La crise migratoire est si vite passée aux pertes et profits …
Devinez quel mot infâme contre « cette nouvelle lèpre qui monte » …
Nos valeureux parlementaires vont enfin bouter définitivement et contre toute évidence hors de notre constitution ?
LREM déchire la « race »: un vote dangereux et inutile
En pleine racialisation de la société française, la mesure interroge…
Stanislas François
Causeur
4 juillet 2018
Les députés (LREM, principalement) ont voté pour la disparition du mot « race » de la Constitution. En pleine racialisation de l’Etat et de la société française, la mesure interroge…
Le gouvernement a déposé, le mercredi 9 mai 2018, le projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace. Pêle-mêle, ce projet prévoit la création d’une chambre de la société civile en remplacement du Conseil économique, social et environnemental, la réduction du nombre de parlementaires, la suppression de la Cour de justice de la République, la création d’incompatibilités entre les fonctions ministérielles et l’exercice de certaines responsabilités locales, la simplification de la procédure législative ou encore l’inscription de la Corse dans la Constitution. Conformément à la procédure de révision de la Constitution, le Conseil d’Etat a donné un avis sur le projet de loi constitutionnelle le 3 mai dernier.
Le tour de passe-race des députés
Une mesure symbolique de cette réforme ne figure toutefois pas dans le projet déposé : la suppression du mot « race » de l’article 1er de la Constitution. Elle est issue d’un amendement parlementaire ajouté pendant les discussions sur le projet. Mercredi 27 juin, les députés ont donc décidé que le mot « race » serait ôté de l’article 1 de la Constitution, qui disposerait désormais que « la France assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction de sexe, d’origine ou de religion ». La mesure a été votée à l’unanimité en commission à l’Assemblée nationale, le 27 juin, et devrait, selon toute logique, être adoptée le 10 juillet prochain.
Ajouter des mesures à un texte dans le cadre des discussions parlementaires comporte un avantage considérable, cela permet d’éviter opportunément l’avis du Conseil d’Etat (qui ne peut porter que sur le projet présenté par le gouvernement) au cas où le Conseil mettrait en lumière les incohérences juridiques de tels ajouts. Et il y a effectivement lieu à discuter de la nécessité tant juridique que symbolique de cette mesure.
La suppression du mot « race » de la Constitution, c’est un peu comme le droit de vote des étrangers, cela fait des années qu’on en entend parler mais cela n’a jamais abouti. Promesse de campagne de François Hollande finalement abandonnée, cette mesure a été relancée par des députés LREM qui considèrent que le terme de « race » ne serait plus adapté à une société démocratique du XXIe siècle, qu’il rend la Constitution symboliquement violente, mal comprise (on se demande bien par qui) et infondée. Vraiment ? A y regarder de plus près, cette mesure apparaît pourtant aussi inutile que dangereuse.
La Constitution n’a pas le monopole de la « race »
Inutile car la Constitution n’est pas le seul texte qui interdit la distinction fondée sur la race. L’article 2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne adoptée en 2000 prohibent toute distinction fondée sur la « race ». Supprimez le mot « race », il demeurera malgré tout en vigueur au sommet de l’ordonnancement juridique. Les tribunaux français sont les juges de droit commun du droit international, en particulier de celui de l’Union européenne, rien ne les empêchera de se fonder sur ces textes, quand bien même le mot « race » aurait été expurgé de la Constitution.
A lire aussi: Niquez vos (prétendues) races !
Aussi, pour que la suppression du mot « race » soit effective, outre la suppression des textes de droit international, il conviendrait de procéder à une réécriture complète du code pénal dans lequel il figure toujours. Se borner à le supprimer de la seule Constitution, cela ne sert strictement à rien.
Si elle part d’un bon sentiment, cette démarche trahit une méconnaissance de l’histoire constitutionnelle de la France. L’introduction du terme « race » dans la Constitution en 1946, confirmée en 1958 n’a jamais eu pour objet ou pour effet d’exprimer une pensée raciste. Bien au contraire, il s’agissait, après l’horreur du nazisme, de nommer clairement son ennemi afin de mieux le combattre. La volonté de prohiber toute distinction de race s’inscrit dans la droite ligne de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, selon laquelle les distinctions ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. Vouloir supprimer le mot « race » en considérant d’une part qu’il affirme l’existence des races et d’autre part qu’il permet de valider le racisme, c’est manifestement ne rien comprendre à son utilité dans le texte suprême.
La sacralisation du racialisme
Supprimer le mot « race » est en plus dangereux. Vouloir supprimer le mot « race », c’est vouloir supprimer l’expression qui lui est associée à savoir « sans distinction de race », c’est-à-dire la suppression du principe selon lequel on ne distingue plus selon la race. C’est extrêmement préoccupant à une époque où justement les distinctions raciales à l’anglo-saxonne deviennent de plus en plus présentes.
Depuis 1998, on se gargarise bêtement devant une France prétendument « black, blanc, beur », la diversité est promue au rang de dogme et chacun est renvoyé à sa race. Le président de la République lui-même (ainsi que la ministre de la Culture et la présidente de France Télévisions) regrette la surreprésentation des « mâles blancs » et invite à l’Elysée un artiste s’affichant ostensiblement « noir et pédé ». En 2016, sous le slogan « les compétences d’abord », le gouvernement, en se chargeant de véhiculer des stéréotypes, prétendait lutter contre les discriminations à l’embauche par une campagne d’affichage dans laquelle chaque affiche fusionnait les visages d’un candidat blanc et d’un candidat de couleur : au visage blanc était associée une réponse positive de recruteur, au visage de couleur, une réponse négative. Il était insinué que les seuls blancs étaient favorisés et qu’ils devaient être nécessairement culpabilisés pour cela.
Du sommet de l’Etat jusqu’à la base, la société se racialise, le travail de sape du modèle français républicain est à l’œuvre et on glisse dangereusement vers une américanisation de la pensée (mais qu’importe après tout, pour notre chef de l’Etat, la culture française n’existerait pas).
Vouloir supprimer le mot « race », c’est vouloir supprimer l’expression qui lui est associée à savoir « sans distinction de race ». Sans distinction de race, nous pouvons justifier toutes les revendications farfelues, à commencer par les fameux ateliers racisés en non mixité qui sont particulièrement à la mode. Sans distinction de race, on banalise les discours effrayants comme celui tenu à l’occasion de la scène surréaliste survenue dans l’émission « Arrêt sur images », ce week-end, dans laquelle l’homme qui prétendait ne pas en être un regrettait aussi d’être considéré comme « blanc ». Comme s’il ne pouvait exister de débat sans composition raciale.
La Constitution n’est pas un tract
Comme l’a très justement écrit l’essayiste Mathieu Bock-Côté : « Que pensent les députés qui se sont ralliés à cet amendement de cette effrayante racialisation des appartenances ? »
Certains défenseurs de cette suppression considèrent que c’est parce que les races n’existent pas que le mot doit disparaître. Soit, mais si la Constitution ne devait comporter que des notions qui existent, pourquoi ne supprimerions-nous pas celle qui donne au gouvernement le pouvoir de « déterminer et de conduire la politique de la nation » ? Pour beaucoup d’adeptes de la déconstruction du roman national, il n’existe pas de nation française et nous serions face à une fiction juridique. Mais peut-être devrions-nous aussi supprimer la référence à la parité au motif que pour certains la distinction homme-femme n’a aucune consistance et qu’ils ne s’y retrouvent pas ?
Tout cela n’a aucun sens. La Constitution n’est pas un essai biologique. C’est un texte de droit.
Voir aussi:
Bock-Côté : «La France fait un pas de plus vers le politiquement correct à l’américaine»
Alexandre Devecchio
Le Figaro
31/07/2017
ENTRETIEN – Mathieu Bock-Côté voit dans un amendement adopté mardi dernier par l’Assemblée une étape supplémentaire vers un multiculturalisme d’inspiration nord-américaine funeste pour la liberté d’expression. Il nous met en garde contre une « dérive orwellienne » qu’il constate déjà dans son propre pays.
C’est le plus Français des intellectuels québécois. Mathieu Bock-Côté scrute avec un mélange d’admiration et de crainte notre pays. Et s’interroge sur son devenir. La France va-t-elle conserver sa culture du débat? Rester la patrie des paroles et des idées dissidentes? Ou va-t-elle se soumettre à ce que le sociologue appelle le «nouveau régime diversitaire». Nouveau régime marqué par un politiquement correct tatillon qui, selon lui, imposerait une police du langage et de la pensée.
LE FIGARO – Les députés LREM ont voté un amendement à l’article 1 du projet de loi de moralisation de la vie politique prévoyant une «peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité» en cas de manquement à la probité. La probité impliquerait «les faits de discrimination, injure ou diffamation publique, provocation à la haine raciale, sexiste ou à raison de l’orientation sexuelle» précise l’amendement. Que cela vous inspire-t-il?
Mathieu BOCK-CÔTÉ – Vous me permettrez et me pardonnerez d’être franc: j’en suis effaré. Et je pèse mes mots. Évidemment, tout le monde s’entend pour condamner le racisme, le sexisme ou l’homophobie. J’ajouterais que nos sociétés sont particulièrement tolérantes et ont beaucoup moins de choses à se reprocher qu’on veut bien le croire. Mais le problème apparait rapidement: c’est celui de la définition. À quoi réfèrent ces concepts? Nous sommes devant une tentative peut-être sans précédent d’exclure non seulement du champ de la légitimité politique, mais même de la simple légalité, des discours et des idées entrant en contradiction avec l’idéologie dominante. Il faut inscrire cet amendement dans un contexte plus large pour comprendre sa signification: nous sommes devant une offensive idéologique bien plus brutale qu’il n’y paraît.
Prenons l’exemple du racisme. On a vu à quel point, depuis quelques années, on a amalgamé le racisme et la défense de la nation. Pour la gauche diversitaire et ceux qui se soumettent à ses prescriptions idéologiques, un patriotisme historique et enraciné n’était rien d’autre qu’une forme de racisme maquillé et sophistiqué. Ceux qui voulaient contenir l’immigration massive étaient accusés de racisme. Ceux qui affirmaient qu’il y avait un lien entre l’immigration et l’insécurité étaient aussi accusés de racisme. De même pour ceux qui confessaient l’angoisse d’une dissolution de la patrie. Cette assimilation du souci de l’identité nationale à une forme de racisme est une des tendances lourdes de l’histoire idéologique des dernières décennies. On l’aura compris, on accuse de racisme ceux qui ne se plient pas à l’idéologie diversitaire. Quelle sort sera réservé à ceux qui avouent, de manière articulée ou maladroite, de telles inquiétudes?
Prenons l’exemple du débat sur le mariage pour tous aussi. Il ne s’agit pas de revenir sur le fond du débat mais sur la manière dont il a été mené. Pour une partie importante des partisans du mariage homosexuel, ceux qui s’y opposaient, fondamentalement, étaient homophobes. Ils n’imaginaient pas d’autres motifs à leur engagement. Comme toujours, chez les progressistes, il y a les intolérants et les vertueux. Deux philosophies ne s’affrontaient pas: il y a avait d’un côté l’ombre, et de l’autre la lumière. Doit-on comprendre que dans l’esprit de nos nouveaux croisés de la vertu idéologique, ceux qui ont défilé avec la Manif pour tous devraient être frappés d’inéligibilité? Posons la question autrement: faudra-t-il simplement proscrire juridiquement le conservatisme moral et social de la vie politique?
Prenons aussi le cas de la théorie du genre et de ses dérivés, comme l’idéologie transgenre, qui prétend abolir la référence au masculin et au féminin dans la vie publique, et qui émerge un peu partout dans le monde occidental. C’est pour plier à ses injonctions, par exemple, que le métro de Londres cessera de dire Ladies and Gentleman pour se tourner vers un fade «hello everyone». Celui qui s’oppose frontalement – ou même subtilement – à cette idéologie peut être accusé à n’importe que moment de sexisme ou de transphobie, comme c’est déjà le cas en Amérique du nord. Faudra-t-il aussi interdire la vie politique à ceux qui en seront un jour reconnus coupables? Faudra-t-il criminaliser tôt ou tard ceux qui continuent de croire que la nature humaine est sexuée?
Ce n’est pas d’hier qu’on assiste à une pathologisation du conservatisme, réduit à une série de phobies ou de passions mauvaises. Il est depuis longtemps frappé d’un soupçon d’illégitimité. Il y a une forme de fondamentalisme de la modernité qui ne tolère pas tout ce qui relève de l’imaginaire de la finitude et de l’altérité. Ce n’est pas d’hier non plus qu’on assiste à sa diabolisation: on le présente comme une force régressive contenant le mouvement naturel de la modernité vers l’émancipation. D’une certaine manière, maintenant, on entend le pénaliser. On l’exclura pour de bon de la cité. C’est une forme d’ostracisme postmoderne. Disons l’essentiel: cet amendement crée un climat d’intimidation idéologique grave, il marque une étape de plus dans l’étouffement idéologique du débat public. Et ne doutons pas du zèle des lobbies victimaires qui patrouillent l’espace public pour distribuer des contraventions idéologiques. On me dira que l’amendement ne va pas jusque-là: je répondrai qu’il va dans cette direction.
À mon avis, derrière cet amendement, il y a la grande peur idéologique des progressistes ces dernières années. Ils croyaient avoir perdu la bataille des idées. Ils croyaient la France submergée par une vague conservatrice réactionnaire qu’ils assimilaient justement à une montée du racisme, de la xénophobie, du sexisme et de l’homophobie. Ils se sont dit: plus jamais ça. Ils veulent reprendre le contrôle du débat public en traduisant dans le langage de l’intolérance la philosophie qui contredit la leur. Il s’agit désormais de verrouiller juridiquement l’espace public contre les mal-pensants.
LE FIGARO. – En France, le racisme n’est pas une opinion, mais un délit…
Mathieu BOCK-COTÉ. – Ce qu’il faut savoir, c’est que la sociologie antiraciste ne cesse d’étendre sa définition du racisme. Elle instrumentalise le concept noble de l’antiracisme à des fins qui ne le sont pas.
J’en donne deux exemples.
Pour elle, ou du moins, ceux qui s’opposent à la discrimination positive se rendraient coupables, sans nécessairement s’en rendre compte, de racisme universaliste, qui écraserait la différence et la diversité. Traduisons: le républicanisme est raciste sans le savoir, et ceux qui la soutiennent endossent, sans nécessairement s’en rendre compte, toutefois, un système raciste. Ils participeraient à la perpétuation d’une forme de racisme systémique.
Inversement, ceux qui soutiendraient qu’une communauté culturelle ou une religion particulière s’intègre moins bien que d’autres à la nation seront accusés de racisme différentialiste car ils essentialiseraient ainsi les communautés et hiérarchiseraient implicitement ou explicitement entre les différentes cultures et civilisation. Ainsi, une analyse sur la question ne sera pas jugée selon sa pertinence, mais disqualifiée parce qu’elle est à l’avance assimilée au racisme.
Je note, soit dit en passant, que les seuls militants décomplexés en faveur de la ségrégation raciale se retrouvent dans l’extrême-gauche anticoloniale, qui la réhabilite dans sa défense des espaces non-mixtes, comme si elle devenait légitime lorsqu’elle concerne les minorités victimaires. Mais ce racisme, apparemment, est respectable et trouve à gauche ses défenseurs militants …
Nous avons assisté, en quelques décennies, à une extension exceptionnelle du domaine du racisme: il faut le faire refluer et cesser les amalgames. En gros, soit vous êtes favorable au multiculturalisme dans une de ses variantes, soit vous êtes raciste. Multiculturalisme ou barbarie? On nous permettra de refuser cette alternative. Et de la refuser vigoureusement.
Il y a aujourd’hui une tâche d’hygiène mentale: il faut définir tous ces mots qui occupent une place immense dans la vie publique et surtout, savoir résister à ceux qui les utilisent pour faire régner un nouvel ordre moral dont ils se veulent les gardiens passionnés et policiers. Il faut se méfier de ceux qui traquent les arrière-pensées et qui surtout, rêvent de vous inculper pour crime-pensée.
LE FIGARO. – Cela rappelle-t-il le politiquement correct nord-américain? En quoi?
Mathieu BOCK-COTÉ. – Le politiquement correct n’est plus une spécificité nord-américaine depuis longtemps. Mais pour peu qu’on le définisse comme un dispositif inhibiteur qui sert à proscrire socialement la critique de l’idéologie diversitaire, on constatera qu’il s’impose à la manière d’un nouvel ordre moral, et qu’on trouve à son service bien des fanatiques. Ils se comportent comme des policiers du langage: ils traquent les mots qui témoigneraient d’une persistance de l’ancien monde, d’avant la révélation diversitaire. Ceux qui n’embrassent pas l’idéologie diversitaire doivent savoir qu’il y aura un fort prix à payer pour entrer en dissidence. On les traitera comme des proscrits, comme des parias. On leur collera une sale étiquette dont ils ne pourront plus se départir. Populiste, réactionnaire, extrême-droite: les termes sont nombreux pour désigner à la vindicte publique une personnalité insoumise au nouvel ordre moral. Dès lors, celui qui se présente dans la vie publique avec cette étiquette est disqualifié à l’avance: il s’agit d’une mise en garde adressée à l’ensemble de ses concitoyens pour leur rappeler de se méfier ce se personnage. C’est un infréquentable: on ne l’invitera, à la rigueur, que pour servir de repoussoir. On lui donnera la parole peut-être mais ce sera pour dire qu’il dissimule ses vraies pensées en multipliant les ruses de langage. Alors nos contemporains se taisent. Ils comprennent que s’ils veulent faire carrière dans l’université, dans les médias ou en politique, ils ont intérêt à se taire et à faire les bonnes prières publiques et à ne pas aborder certaines questions. La diversité est une richesse, et ceux qui bémoliseront cette affirmation n’auront tout simplement plus droit de cité. En France, le politiquement correct a pour fonction de disqualifier moralement ceux qui ne célèbrent pas globalement ce qu’on pourrait appeler la société néo-soixante huitarde. Avec cet amendement, le pays fait un pas de plus vers le politiquement correct en le codifiant juridiquement, ou si on préfère, en le judiciarisant: désormais, il modèlera explicitement le droit.
La liberté d’expression est pourtant un droit sacré aux États-Unis protégé par la constitution? Qu’en est-il au Canada?
Mathieu BOCK-COTÉ. – Nous sommes à front renversé. Pour le dire rapidement, la liberté d’expression est juridiquement bien balisée chez nous mais la vie publique est écrasée par une forme de consensus idéologique diversitaire qui rend impossible des débats semblables à ceux qu’on trouve en France. Autrement dit, le contrôle de la parole dissidente s’exerce chez nous moins par le droit que par le contrôle social. Un politicien qui, clairement, s’opposerait au multiculturalisme, par ailleurs inscrit dans la constitution canadienne, verrait sa carrière exploser. On a le droit de dire bien des choses, mais personne ne dit rien – il faut néanmoins tenir compte de l’exception québécoise, où la parole publique est plus libre, du moins en ce qui concerne la question identitaire. Je note, cela dit, que ces dernières années, on a assisté à des tentatives pour judiciariser le politiquement correct. Inversement, en France, la liberté d’expression est soumise à mille contraintes qui me semblent insensées mais la culture du débat demeure vive, ce qui n’est pas surprenant dans la mesure où elle est inscrite dans l’histoire du pays et dans la psychologie collective.
Comment ce «politiquement correct» est-il né? Quels sont les conséquences sur le débat public?
Mathieu BOCK-COTÉ. – C’est un des résultats de la mutation de la gauche radicale engagée dans la suite des Radical Sixties. Il s’institutionnalisera vraiment dans les années 1980, dans l’université américaine. On connait l’histoire de la conversion de la gauche radicale, passée du socialisme au multiculturalisme et des enjeux économiques aux enjeux sociétaux. La lutte des classes s’effaçait devant la guerre culturelle, et la bataille pour la maîtrise du langage deviendra vitale, ce qui n’est pas surprenant pour peu qu’on se souvienne des réflexions d’Orwell sur la novlangue. Celui qui maîtrise le langage maîtrisera la conscience collective et certains sentiments deviendront tout simplement inexprimables à force d’être censurés.
Mais revenons à l’histoire du politiquement correct: dans les universités nord-américaines, on a voulu s’ouvrir aux paroles minoritaires, ce qui impliquait, dans l’esprit de la gauche radicale, de déboulonner les grandes figures de la civilisation occidentale, rassemblées dans la détestable catégorie des hommes blancs morts. Autrement dit, la culture n’était plus la culture, mais un savoir assurant l’hégémonie des dominants sur les dominés: on a voulu constituer des contre-savoirs idéologiques propre aux groupes dominés ou marginalisés. C’est une logique bien bourdieusienne. Les humanités ont été le terrain inaugural de cette bataille. Ce serait maintenant le tour historique des minorités (et plus exactement, de ceux qui prétendent parler en leur nom, cette nuance est essentielle) et ce sont elles qui devraient définir, à partir de leur ressenti, les frontières du dicible dans la vie publique. Ce sont elles qui devraient définir ce qu’elles perçoivent comme du «racisme», du «sexisme», de «l’homophobie». Et on devrait tous se soumettre à cette nouvelle morale. On invite même le «majoritaire» à se taire au nom de la décence élémentaire. On demeure ici dans la logique du postmarxisme: les nouvelles minorités identitaires sorties des marges de la civilisation occidentales sont censées incarner un nouveau sujet révolutionnaire diversifié.
Mais on a oublié qu’il peut y avoir un intégrisme victimaire et un fanatisme minoritaire, qui a versé dans la haine décomplexée de l’homme blanc, jugé salaud universel de l’histoire du monde. La société occidentale est soumise à un procès idéologique qui jamais, ne s’arrête. Je vous le disais tout juste: ces notions ne cessent de s’étendre et tout ce qui relève de la société d’avant la révélation diversitaire finira dans les déchets du monde d’hier, dont il ne doit plus rester de traces. Et il est de plus en plus difficile de tenir tête à ce délire. À tout le moins, cela exigera beaucoup de courage civique.
Et en ce moment, l’université nord-américaine, qui demeure la fabrique institutionnelle du politiquement correct, est rendue très loin dans ce délire: on connait le concept de l’appropriation culturelle qui consiste à proscrire les croisements culturels dans la mesure où ils permettraient à l’homme blanc de piller les symboles culturels des minorités-victimes. On chantait hier le métissage, on vante désormais l’intégrité ethnique des minorités victimaires. On veut aussi y multiplier les safe spaces, qui permettent aux minorités victimaires de transformer l’université en un espace imperméabilisé contre les discours qui entrent en contradiction avec leur vision du monde. C’est sur cette base que des lobbies prétendant justement représenter les minorités-victimes en ont appelé, à plusieurs reprises, à censurer tel discours ou tel événement. Pour ces lobbies, la liberté d’expression ne mérite pas trop d’éloges car elle serait instrumentalisée au service des forces sociales dominantes. Ils n’y reconnaissent aucune valeur en soi et croient nécessaire de transgresser les exigences de la civilité libérale, qui permettaient à différentes perspectives de s’affronter pacifiquement à travers le débat démocratique. Ces lobbies sont animés par une logique de guerre civile.
Ce qui est terrible, c’est que la logique du politiquement correct contamine l’ensemble du débat public. Elle vient de l’extrême-gauche mais en vient à redéfinir plus globalement les termes du débat politique. Tous en viennent à se soumettre peu à peu à ses exigences. Le politiquement correct entraine un appauvrissement effrayant de la vie intellectuelle et politique. Les thèmes interdits se multiplient: la démocratie se vide des enjeux essentiels qui devraient être soumis à la souveraineté populaire dans la mesure où on ne veut voir derrière elle que la tyrannie de la majorité. On psychiatrise de grands pans de la population en l’accusant de mille phobies. On présente le peuple comme une masse intoxiquée par de vilains préjugés et stéréotypes: il faudrait conséquemment le rééduquer pour le purger de la part du vieux monde qui agirait encore en lui.
On trouve de plus en plus de spécialistes du procès idéologique. Ils patrouillent l’espace public à la recherche de dérapages – ce terme est parlant dans la mesure où il nous dit que la délibération publique doit se faire dans un couloir bien balisé et qu’il n’est pas permis d’en sortir.
J’ajouterais une chose: les gardiens du politiquement correct ne se contentent pas d’un ralliement modéré aux thèses qu’ils avancent: ils exigent de l’enthousiasme. Il faut manifester de manière ostentatoire son adhésion au nouveau régime diversitaire en parlant son langage. Bien des journalistes militants se posent aussi en inquisiteur: ils veulent faire avouer aux hommes politiques ou aux intellectuels leurs mauvaises pensées. Ils les testent sur le sujet du jour en cherchant la faute, en voulant provoquer la déclaration qui fera scandale. Ils veulent prouver qu’au fond d’eux-mêmes, ce sont d’horribles réactionnaires.
LE FIGARO. – Est-il le corollaire du multiculturalisme?
Mathieu BOCK-COTÉ. – Le multiculturalisme est traversé par une forte tentation autoritaire – pour ne pas dire plus. Il est contesté – plus personne ne croit sérieusement qu’il dispose d’une adhésion populaire. Il doit alors faire taire ses contradicteurs. Il le fait en les diabolisant. Ceux qui rapportent les mauvaises nouvelles à son sujet sont accusés de propager la haine. Une information qui ne corrobore pas les récits lénifiants sur le vivre-ensemble sera traitée au mieux comme un fait divers ne méritant pas une attention significative, au pire comme un fait indésirable qui révélerait surtout la psychologie régressive de celui qui en témoigne. D’ailleurs, on le voit avec les poursuites à répétition contre Éric Zemmour: on pensera ce qu’on voudra de ses idées, mais ce qui est certain, c’est qu’il est poursuivi pour ce qu’on appellera des crimes idéologiques. Il ne voit pas le monde comme on voudrait qu’il le voit alors on travaille fort à le faire tomber. Et on se dit qu’une fois qu’on sera débarrassé de ce personnage, plus personne ne viendra troubler la description idyllique de la société diversitaire. On veut faire un exemple avec lui. Je note par ailleurs que Zemmour n’est pas seul dans cette situation: Georges Bensoussan et Pascal Bruckner ont aussi goûté aux charmes de la persécution juridique. J’en oublie. Il s’agissait d’odieux procès.
Mais on peut aussi vouloir aller plus loin. Au Québec, en 2008, une universitaire bien en vue proposait au gouvernement de donner à certaines autorités devant réguler la vie médiatique le pouvoir de suspendre pour un temps la publication de journaux proposant une représentation négative de la diversité.
Tout cela pour dire que le multiculturalisme, pour se maintenir, doit diaboliser et maintenant pénaliser ceux qui en font le procès.
Mais il faut voir que le multiculturalisme ne fait pas bon ménage avec la liberté d’expression, dans la mesure où la cohabitation entre différentes communautés présuppose une forme de censure généralisée où chacun s’interdit de juger des traditions et coutumes des autres. On appelle cela le vivre-ensemble: c’est une fraude grossière. On le voit quand certaines communautés veulent faire inscrire dans le droit leur conception du blasphème ou du moins, quand elles veulent obliger l’ensemble de la société à respecter leurs interdits moraux, comme on a pu le voir dans l’affaire des caricatures. Je dis certaines communautés: il faudrait parler, plus exactement, des radicaux qui prennent en otage une communauté en prétendant parler en son nom.
Le génie propre de la modernité, c’est le droit d’examiner et de remettre en question n’importe quelle croyance, sans avoir à se soumettre à ses gardiens qui voudraient nous obliger à la respecter. Ce sont les croyants qui doivent accepter que des gens ne croient pas la même chose qu’eux et se donnent le droit de moquer leurs convictions les plus profondes, sans que cette querelle ne dégénère dans la violence. On nous demande de respecter la sensibilité des uns et des autres, comme s’il existait un droit de ne pas être vexé et un droit de veto accordé à chaque communauté pour qu’elle puisse définir la manière dont on se la représente.
LE FIGARO. – Ce type de disposition peut-il être également utilisé par les islamistes pour interdire toute critique de l’islam?
Mathieu BOCK-COTÉ. – Naturellement. C’est tout le sens de la querelle de l’islamophobie: il s’agit de transformer en pathologie haineuse et socialement toxique la simple critique d’une religion ou le simple constat de sa très difficile inscription dans les paramètres politiques et culturels de la civilisation occidentale.
Les islamistes excellent dans le retournement de la logique des droits de l’homme contre le monde occidental pour faire avancer des revendications ethnoreligieuses. De la même manière, ils sauront user de ces nouvelles dispositions pour présenter comme autant de propos haineux les discours qui cherchent à contenir et refouler leur influence, notamment en critiquant la stratégie de l’exhibitionnisme identitaire fondée en bonne partie sur la promotion du voile islamique dans l’espace public. On cherchera à faire passer toute critique un tant soit peu musclée de l’islamisme pour une forme de haine raciale ou religieuse méritant sanction juridique et politique. Soit dit en passant, en 2015-2016, le Québec est passé bien près d’adopter une loi qui aurait entrainé une pénalisation de la critique des religions en général et de l’islam en particulier. Elle était portée par une institution paragouvernementale officiellement vouée à la défense et la promotion des droits de la personne. On voit à quel point aujourd’hui, cette mouvance s’est retournée contre les idéaux qu’elle prétend servir.
Mais l’islamisme n’est pas l’islam, me direz-vous? C’est vrai. Mais il devrait être permis de critiquer aussi l’islam, à la fois dans son noyau théologique et dans ses différentes variétés culturelles, tout comme il est possible de critiquer n’importe quelle autre religion. À ce que j’en sais, la critique abrasive, la moquerie, l’humour, la polémique, appartiennent aussi au registre de la liberté d’expression en démocratie libérale. Il est à craindre que dans une société de plus en plus patrouillée médiatiquement par la bien-pensance progressiste, la critique de l’islam devienne tout simplement inimaginable.
On en revient à l’essentiel: la restauration de la démocratie libérale passe aujourd’hui par la restauration d’une liberté d’expression maximale, qui ne serait plus tenue sous la tutelle et la surveillance des lobbies qui participent à l’univers du politiquement correct. L’amendement dont nous parlons propose exactement le contraire. C’est très inquiétant.
Voir également:
Laurent Bouvet : «La défaite d’Hillary Clinton, dernier avertissement pour la gauche française»
Alexis Feertchak
Le Figaro
FIGAROVOX/ENTRETIEN – Hillary Clinton a perdu dans plusieurs États traditionnellement démocrates. Pour Laurent Bouvet, c’est l’ensemble des partis sociaux-démocrates qui ont perdu la confiance des catégories populaires en plébiscitant un multiculturalisme normatif.
Laurent Bouvet est professeur de Science politique à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. Il a publié L’Insécurité culturelle chez Fayard en 2015.
FIGAROVOX. – Donald Trump a déjoué la plupart des pronostics en battant Hillary Clinton à l’élection présidentielle américaine. Peut-on faire un parallèle entre les vies politiques américaine et française?
Laurent BOUVET. – Il est à la fois difficile de faire un parallèle tant les systèmes électoraux et les modes de scrutin sont différents (un seul tour, grands électeurs…) et évident qu’il y a des similitudes entre ce qui se passe en Europe, pas seulement en France, et aux États-Unis, où des leaders et des formations populistes ont le vent en poupe.
Ce qui vient de se passer avec Trump, c’est comme avec le vote en faveur du Brexit récemment au Royaume-Uni, l’expression de toute une partie des électeurs, des citoyens, contre des élites, contre un «système» politique, économique et médiatique, qu’ils estiment les tenir à l’écart, dont ils pensent qu’ils les ont «abandonnés» selon le mot qui revient souvent dans les enquêtes d’opinion.
Cette partie «abandonnée», «invisible» de nos sociétés démocratiques se rebiffe en quelque sorte en votant pour des leaders et des formations qui clament leur opposition à ce système ou qui prétendent être leur porte-voix contre celui-ci. Peu importe qu’ils soient eux-mêmes issus du système d’ailleurs. On peut constater que les critiques sociales sur la fortune d’un Trump ou le mode de vie d’une Le Pen n’ont aucune incidence sur leur électorat. Il ne s’agit plus d’un combat politique traditionnel articulé autour d’une vision de classe. C’est l’erreur de toute une partie de la gauche aujourd’hui qui continue de penser que les catégories populaires sont réductibles à la classe ouvrière d’antan et qu’elles devraient donc voter massivement pour leurs légitimes représentants. On a ainsi vu fleurir depuis la victoire de Trump, chez certains responsables de gauche en France notamment, l’idée que Bernie Sanders aurait battu Trump, lui, s’il avait été le candidat du parti démocrate plutôt que Clinton! L’illusion continue de fonctionner à plein alors que les cols-bleus de la Rust Belt (anciens états industriels du nord des États-Unis) ont massivement voté pour Trump et non pour Sanders aux primaires démocrates.
On a dit souvent que la candidature de Donald Trump était le baroud d’honneur des «petits blancs» face à un multiculturalisme transformé en projet politique. N’assiste-t-on pas à la cristallisation des mêmes clivages en France?
Attention d’abord à cette idée d’un «baroud d’honneur» de «petits blancs» face au caractère inexorable du projet multiculturaliste (on distingue bien ici le multiculturalisme de fait qui touche toutes les sociétés ouvertes aujourd’hui et le multiculturalisme normatif comme projet politique bien représenté aujourd’hui par les discours d’un Justin Trudeau, Premier ministre canadien par exemple). Il n’est pas du tout certain en effet que l’on assiste à une montée en puissance sûre et certaine du projet politique multiculturaliste dans les années qui viennent face aux réactions des populations auxquelles il est plus souvent imposé que proposé par une partie de leurs dirigeants, des médias, etc.
Je dirais plutôt que les réactions que l’on constate aujourd’hui dans de nombreux pays contre un tel projet en démontrent le caractère forcé et contraire à la volonté de pans entiers sinon de la majorité de la population dans les pays concernés. À la fois et indissociablement, comme on le comprend mieux maintenant visiblement, pour des raisons économiques et identitaires.
La réaction immédiate est évidemment portée par les leaders et les formations populistes mais dans le temps, elle peut être plus profonde et entraîner des modifications importantes du paysage politique au sein duquel le clivage autour du «commun», de ce qui fait et tient ensemble nos sociétés devient un enjeu majeur du débat politique, renvoyant aux marges à la fois la réaction populiste et les promoteurs du multiculturalisme normatif.
Finalement, l’insécurité culturelle est au cœur des inquiétudes occidentales de part et d’autre de l’Atlantique?
Cette forme d’inquiétude globale sur son propre devenir et sur le devenir de la société dans laquelle on vit, mêlant étroitement des éléments économiques, sociaux, culturels, que j’ai essayés, avec d’autres, de repérer et de préciser sous le terme d’insécurité culturelle, est en effet devenue un élément déterminant du comportement politique, électoral notamment, d’une partie croissante de la population de nos vieilles démocraties.
Pour une double raison, simple à comprendre même si elle est encore inaudible visiblement pour tout un tas d’observateurs et d’acteurs politiques: le sentiment d’abandon de la part des élites de pans entiers de la population et de territoires ; le mépris ostensiblement affiché par ces élites vis-à-vis de ces populations et évidemment durement ressenti par celles-ci. Nombre de nos concitoyens vivent aujourd’hui au quotidien cet abandon et ce mépris, et depuis de longues années. Ils ont pu à un moment continuer d’avoir espoir dans tel ou tel parti classique du jeu politique. Ils ont pu aussi cesser de participer à la vie politique (l’augmentation tendancielle des taux d’abstention dans les démocraties se vérifie partout désormais comme l’a bien montré ma collègue Pippa Norris notamment). Et évidemment ils ont commencé aussi à voter pour des leaders et des formations populistes qui mettent en scène cette insécurité culturelle, qui s’en font les champions en quelque sorte.
Nous en sommes aujourd’hui à une sorte de point de rupture électoral que l’on voit arriver depuis des années – et à propos duquel nous sommes un certain nombre à avoir alerté en vain -: l’accès au pouvoir, local et national, de leaders et formations populistes. L’insécurité culturelle n’est plus ni un fantasme ni une construction médiatique, c’est devenu une réalité politique aux conséquences aussi tangibles qu’incertaines.
Que dire de la gauche Clinton? Quelles leçons la gauche française peut-elle en tirer?
On peut y voir, outre l’échec d’une personnalité et d’un clan, d’une «machine» politique, au sens américain du terme, qui domine le Parti démocrate depuis près de 30 ans, la difficulté pour la gauche de gouvernement aujourd’hui, pour la social-démocratie en général, à conquérir et conserver le pouvoir sans pouvoir s’appuyer sur une base électorale suffisamment large dont font partie historiquement les catégories populaires, ou du moins une partie d’entre elles.
Le remplacement stratégique de ces catégories populaires par une coalition de groupes minoritaires, souvent désignés par un critère spécifique de leur identité culturelle (femmes, homosexuels, jeunes issus de l’immigration…) ne suffit pas à garantir la victoire de cette gauche qui se dit «progressiste». D’autant que son programme économique et social n’est plus principalement dirigé vers les catégories populaires mais plutôt vers des catégories sociales supérieures, diplômées, vivant dans les métropoles, profitant de la mondialisation et de l’ouverture des frontières.
Si bien que le clivage économique classique n’est plus opérationnel pour cette gauche puisqu’il s’est en quelque sorte inversé tandis qu’elle rejetait dans le même temps toute pertinence des interrogations «identitaires» ou culturelles de ces mêmes catégories populaires. Aujourd’hui, l’électorat de la gauche de gouvernement s’est donc considérablement réduit et cette réduction la prive de toute perspective de pouvoir dans les années qui viennent.
Trump, c’est aussi le rejet du libre-échangisme maximaliste, un partisan de l’État stratège, du protectionnisme intelligent. Il souhaitait également augmenter les impôts des plus riches et diminuer ceux des classes moyennes, etc. La gauche française, en se privant de ces outils traditionnels qui reposent sur l’État-nation, a-t-elle abandonné l’idée de faire des politiques économiques de gauche?
Le fait de ne pas ou plus vouloir réfléchir à certains enjeux, de disqualifier a priori certaines préoccupations et de ne plus se poser de questions par rapport à la réalité de l’évolution des relations internationales ou de l’économie a privé la gauche dans son ensemble d’une grande partie de sa capacité d’action. Et nos concitoyens l’ont parfaitement compris. D’autres forces politiques aussi, notamment chez les populistes, qui ont repris des thèmes autrefois chers à la gauche, comme ceux que vous mentionnez mais aussi comme le patriotisme ou l’attachement à la souveraineté du peuple.
On l’a particulièrement éprouvé ces dernières décennies avec la construction européenne. Par dogmatisme et par aveuglement idéologique, la gauche a très largement contribué à bâtir un monstre bureaucratique aussi inefficace qu’illégitime politiquement. La question européenne est devenue le Nœud Gordien de la gauche européenne contemporaine. Si elle ne parvient pas à le trancher, elle ne pourra retrouver son rôle historique d’émancipation collective des populations des pays européens. Celles-ci allant chercher les voies et moyens de cette émancipation ailleurs, souvent pour le pire.
Il ne faut pas oublier non plus le succès important de Bernie Sanders aux primaires démocrates. Mélenchon doit-il se réjouir de l’échec de la gauche Clinton?
Je ne suis pas certain que ce que l’on appelle la gauche de la gauche ou la gauche radicale (par opposition à la gauche de gouvernement) ait des raisons de se réjouir de l’échec de Clinton. Car même si Bernie Sanders a fait une excellente campagne et a su capter notamment l’attention de nombreux jeunes Américains, il n’a pas attiré à lui les suffrages des ouvriers de la Rust Belt. Cette gauche radicale pas plus que la gauche de gouvernement ne convainc les électeurs. En particulier parce que ses solutions économiques apparaissent souvent comme décalées par rapport au besoin de trouver de nouvelles solutions aux difficultés économiques que nous vivons. Et que ces solutions ne doivent pas nécessairement venir de la puissance et de l’argent publics.
Surtout si l’on considère la vision très largement répandue d’un multiculturaliste normatif au sein de cette gauche. On y rencontre parfois même, aujourd’hui, certains élus, certaines organisations très favorables à l’islam politique et à une critique très virulente de tout ce qui peut constituer notre commun.
Bref, il n’y a pas là de solution nouvelle à la crise structurelle de la gauche, et le talent indéniable d’un Mélenchon en France par exemple, qui a bien compris ces enjeux en infléchissant substantiellement son discours par rapport à 2012, ne suffira pas à convaincre nos concitoyens issus des catégories populaires notamment de voter pour lui en 2017.
Nous entrons pour la gauche dans son ensemble, partout dans les démocraties libérales, dans une phase de refondation indispensable. Et pour ce faire, il lui faudra quitter nombre des vieux habits endossés pendant des décennies en veillant à ne pas tout oublier de ce qui fonde son origine.
Voir de plus:
Comment le langage de la gauche identitaire détruit le bien commun
Alexis Carré
Le Figaro
FIGAROVOX/ANALYSE- Alexis Carré propose une généalogie des mouvements de la «gauche identitaire» venus des universités américaines désormais présents en France. Selon lui, leur rhétorique menace l’université et l’esprit républicain qui est censé y régner.
Alexis Carré est doctorant en philosophie politique à l’École normale supérieure. Il travaille à l’Institut pour la Justice. Retrouvez-le sur twitter.
La nouvelle rhétorique à gauche déconcerte. Des assemblées générales interdites aux hommes blancs à Tolbiac, aux manifestations contre le «racisme d’État» du mouvement Justice pour Adama, les mobilisations sociales se teintent de plus en plus d’une coloration identitaire, comme si le monde commun n’avait plus d’autre usage pour les militants que l’expression de leur particularité. Ce nouveau langage politique, apparu aux États-Unis, n’est pas resté confiné aux groupes les plus marginaux ; il a au contraire profondément imprégné le fonctionnement du parti démocrate. Alors même que la politique de segmentation électorale de ce dernier inspire ses homologues partout en Europe, des intellectuels progressistes américains, Mark Lilla, William Galston ou encore Yascha Mounk, l’accusent d’être à l’origine des difficultés de leur famille politique et d’avoir contribué à la montée d’un populisme de ressentiment. Les transformations politiques auxquelles ils s’opposent font, et feront de plus en plus, partie de notre quotidien. Aussi est-il plus important que jamais de voir en quoi la situation américaine éclaire notre avenir politique afin de pouvoir nous prémunir des dangers qu’il nous réserve.
La nouvelle forme d’activisme dont il est question est d’abord apparue sur les campus universitaires où elle a produit une génération de militants (désignés péjorativement sous le nom de Social Justice Warriors) moins préoccupés par l’exercice du pouvoir que par la critique de la domination et la défense des minorités dominées. Leur force de mobilisation est toutefois peu à peu devenue un objet de convoitise de la part des responsables démocrates confrontés à la perte d’influence des organisations professionnelles qui les soutenaient traditionnellement. C’est pour cette raison qu’au-delà des théories de Michel Foucault, Judith Butler ou encore Kimberlé Crenshaw qui sont à l’origine de ce mouvement, le «progressisme identitaire» a également engendré une stratégie électorale concrète, dont l’illustration en France fut le fameux rapport Terra Nova de 2011. Dans ce document, Olivier Ferrand constatait l’érosion du soutien des classes populaires à l’égard du parti socialiste, et invitait ce dernier à reconstituer une majorité grâce à l’agrégation de segments électoraux minoritaires rassemblés autour de problèmes identitaires et sociétaux (multiculturalisme, mariage homosexuel, droits des femmes etc.).
Ce qu’offrait cette myriade de mouvements associatifs aux partis progressistes, c’est effectivement un relais de transmission permettant de transformer les revendications identitaires de communautés spécifiques en soutien pour un programme gouvernemental garantissant séparément chacun de ces intérêts distincts. Le rêve d’une coalition arc-en-ciel rencontra peu de résistances auprès des responsables démocrates, ou de leurs confrères européens, tant il ne semblait comporter que des avantages. De tels groupes communautaires, caractérisés par un militantisme de terrain, permettaient en effet aux partis politiques de combler ce qu’ils pouvaient ressentir comme un déficit de représentation. Ils concernaient également des niches électorales (homosexuels, immigrés récents etc.) moins susceptibles d’être contestées par leurs adversaires. Et enfin, alors que le socialisme comme doctrine économique avait perdu une grande partie de sa capacité de mobilisation, ces mouvements constituaient la seule force neuve et conquérante d’un paysage politique fait de routines et de consensus décourageants.
Politisation de l’université et durcissement communautaire
Le soutien de cet électorat ne reposait toutefois plus sur les attentes et les intérêts collectifs d’une classe sociale — aspirant à organiser le travail et distribuer ses produits — ; il traduisait l’indignation de groupes constitués autour d’une identité de race ou de genre, ayant le sentiment d’être les victimes d’un système de domination, auquel ils entendaient résister et qu’ils souhaitaient éventuellement détruire. Se défiant du processus électoral et de ses compromissions, cette gauche, née de la contre-culture des années 60-80, trouva d’abord refuge dans les universités au moment où la droite américaine parvenait avec Reagan à porter un coup fatal aux équilibres de la sociale démocratie d’après-guerre. Leur démarche ne consistait plus à conquérir le pouvoir — ce qui aurait impliqué d’obtenir le consentement de leurs concitoyens à un moment où ceux-ci se détournaient résolument de leurs combats — mais à convertir à leurs idées ceux qui, par leur parcours, devaient accéder bientôt à la classe dirigeante. Ce n’est que dans un second temps que cette politique d’entrisme, d’hégémonie culturelle et de politisation de l’éducation supérieure put se cristalliser dans un ensemble d’engagements métapolitiques de construction communautaire [community building] destinés, par le vecteur des identités, à politiser certaines marges de la société autour de la revendication de droits spécifiques.
L’histoire du concept de «consentement explicite» illustre particulièrement bien cette stratégie. L’idée, de plus en plus populaire au sein des cercles féministes, que tout contact sexuel devrait être précédé, et ce dans ses différentes étapes, d’un «consentement verbal explicite et enthousiaste» fut formulée dans un premier temps en 1990 par un groupe d’étudiantes d’Antioch College dans l’Ohio. Le document issu de cette mobilisation, Politique de Prévention des Infractions Sexuelles [Sexual Offense Prevention Policy], fut à l’époque de sa publication la risée de tout le pays . Plus tard dans les années 90 une série de procès visant des établissements d’enseignement supérieur dans des affaires de harcèlement sexuel entre étudiants amenèrent la Cour Suprême à étendre la responsabilité des établissements à s’abstenir de discriminations d’accès à l’enseignement sur la base du sexe (connu sous le nom de Title IX) aux cas de harcèlement et d’agression sexuels. Une lettre de l’administration Obama de 2011, précisant les conditions d’application de cette extension, a entraîné la multiplication des bureaux de lutte contre le harcèlement sexuel au sein même des universités (Title IX offices). Par crainte de poursuites mettant en cause leur responsabilité, ces nouveaux organes ont été encouragés à définir de plus en plus restrictivement les limites du consentement. Chargés d’enquêtes internes, ils sont désormais capables de délivrer des sanctions disciplinaires sur la base de leur propre définition du harcèlement ou de l’agression sexuels. Ces mesures peuvent gravement affecter la vie des étudiants mis en cause, et ce, même dans les cas où le système judiciaire traditionnel n’est pas susceptible de réunir des preuves suffisantes pour engager des poursuites. Partant d’un problème effectivement légitime, les organisations féministes ont ainsi fini par imposer la création d’une forme de justice parallèle au service de leur conception des relations entre les sexes. Par effet de capillarité, cette prise de pouvoir au sein des campus a produit des chambres d’écho avec des sites d’information (The Huffington Post et Buzzfeed) et un foisonnement de blogs, de chaînes YouTube et de comptes tumblr au service de la cause.
Cette stratégie, qui va de l’université aux périphéries sans passer par la société, et son monde commun, a profondément modifié la physionomie de l’éducation supérieure, non seulement aux États-Unis, mais partout en Occident. Et si elle a effectivement décuplé l’influence et l’écho de ces revendications minoritaires, elle a aussi contribué à discréditer l’autorité des institutions dont elle cherchait à se servir. L’exclusion de certains conférenciers sur les campus universitaires en raison de leurs idées a particulièrement médiatisé ce processus. Les départements de sciences humaines ont, pour des raisons évidentes, souffert dans une plus large mesure, et plus tôt que les autres, de cette déstabilisation des savoirs. Il ne serait néanmoins pas inexact d’affirmer qu’elle affecte désormais tout le corps politique.
L’autoségrégation des progressistes
Pour Mark Lilla , William Galston et Yascha Mounk , les partis progressistes ont de fait beaucoup souffert de leur association avec ces nouvelles formes militantes qui ont peu à peu paralysé leur capacité à participer à la délibération démocratique en vue de diriger notre action collective. Cette paralysie a pris plusieurs formes. Dans un premier temps, ces mouvements n’ont accordé leur soutien aux partis traditionnels qu’en échange de mesures dont leurs adversaires conservateurs ne pouvaient accepter l’application sans se couper de leur base. Dans les pays où ils ont consenti à de tels compromis, de nouvelles formations ou un nouveau personnel politiques ont pris leur relai afin de cristalliser l’opposition à ces réformes. Ce premier phénomène de bipolarisation fut aggravé par le langage accusateur et agressif, essentiellement anti-pluraliste, dans lequel étaient exprimées les revendications progressistes. Si cette rhétorique leur a garanti bien des succès d’opinion auprès d’une partie non négligeable de la population (plutôt connectée, urbaine, diplômée et cosmopolite), elle a de manière croissante rendu impossible à ceux qui en étaient exclus (déconnectés, ruraux, déclassés et blancs) d’envisager avec elle une action, des intérêts ou un destin communs .
À mesure qu’ils cultivaient leur relation avec ces nouveaux alliés de la société civile les partis progressistes se sont donc coupés de leurs homologues politiques et, avec eux, de l’habitude de la délibération par laquelle s’organise le partage du gouvernement en régime pluraliste. À la puissance organisatrice de la parole politique, celle des adversaires qui s’accordent, et celle de la loi qui commande, a succédé le langage cathartique des professions de foi et des confessions publiques dont la fonction est l’expression des sentiments et la mise en cause des oppresseurs. Dans un tel contexte la conversation entre citoyens égaux, avec toutes les incertitudes et les tensions qu’elle comporte, a laissé place à la dénonciation, nécessairement inégalitaire, qui sépare la souffrance indiscutable de la victime et le privilège injustifiable du dominant. La conversation démocratique ne vise plus à déterminer les motifs et les moyens de l’action, on lui intime de protéger chacun contre l’opinion de tous les autres. En définitive, ces nouveaux militants se préoccupent moins de convaincre leurs concitoyens de la justesse de leur opinion que de persuader les juges de la leur imposer.
Ces effets sont encore plus visibles dans la vie interne des partis de gauche, tant celle-ci s’est éloignée du fonctionnement habituel des institutions dont ils prétendaient exercer le contrôle. Comme école de citoyenneté, ils ont peu à peu cessé de préparer leurs cadres à parler ou à diriger des gens qui ne leur ressemblaient pas ou qui n’appartenaient pas à leur électorat captif . De peur d’être accusé d’indifférence ou de collusion avec l’oppression dont ces communautés se disaient victimes, il est devenu dangereux pour eux de faire preuve de prudence ou de modération. Si de vivants espoirs et de réels problèmes ont pu justifier ces transformations, elles se sont finalement avérées beaucoup plus dangereuses que ne l’avaient anticipé les acteurs politiques qui croyaient en bénéficier.
Une antipolitique de la lutte
À y regarder de plus près, le nouvel activisme sur le soutien duquel ils comptaient repose sur la critique radicale des institutions et de leurs représentants. Ces derniers ne sauraient donc en emprunter la force sans en valider l’analyse, et valider cette analyse sans porter un coup fatal à leur propre légitimité. Celle-ci émane effectivement du dispositif libéral et démocratique, plus précisément de la capacité de la délibération collective à donner ses raisons à l’action commune, et donc de la capacité de chacun à comprendre et donc intégrer ou rejeter les motifs ainsi exposés. Or la critique de la domination à l’œuvre dans l’analyse en question nie la capacité du discours à exprimer autre chose que la particularité d’une identité inscrite dans les relations de pouvoir dont elle est l’effet. Il donne voix à la résistance de la victime ou à l’oppression du dominant, mais pas à une raison partagée. La parole résistante ainsi formulée se refuse d’emblée à la possibilité de la contradiction ou même du dialogue démocratique. On ne saurait que la reconnaître sans rien y ajouter, toute tentative de réponse relevant de l’appropriation ou de la négation par le dominant de la souffrance du dominé. Dans ce cadre, tout discours sur le bien commun ne saurait être que la dissimulation ou la justification du pouvoir exercé par les uns sur les autres (par les blancs sur les personnes de couleurs, par les hommes sur les femmes, ou encore par les hétérosexuels sur les personnes pratiquant d’autres sexualités). À la communauté d’action que suppose et engendre toute politique, cette nouvelle gauche oppose une antipolitique de la lutte fondée sur la communauté d’être des identités.
En recherchant l’aide de ces forces métapolitiques la gauche s’est en quelque sorte empêtrée dans sa propre querelle des investitures, soumettant constamment le pouvoir politique à l’inquisition jalouse d’une légitimité spirituelle résolument antipolitique, ayant le témoignage de la victime, et l’imaginaire qui en découle, pour seul critère de vérité. Pris au piège entre cette compréhension du monde et leurs impératifs électoraux, les progressistes ont souvent choisi d’obéir le plus silencieusement possible aux revendications identitaires tout en taisant la condamnation de la majorité des «déplorables» qu’elles contenaient implicitement. Ce divorce de la parole et de l’action a validé l’accusation d’hypocrisie portée à leur encontre, et alimenté la défiance de leur ancien électorat ouvrier.
Une politique fondée sur la défense des intérêts des classes populaires peut admettre des phases de tranquillité et de compromis dans la mesure où ces intérêts ne sont pas toujours en danger, et parce que ces catégories de populations ne sont pas toujours insatisfaites. Mais dès lors que la gauche doit ses succès électoraux à la défense des droits d’une minorité, ou d’un ensemble de minorités, elle est contrainte d’introduire sans cesse de nouveaux droits, et, par conséquent, de découvrir de nouvelles injustices, quitte à les exagérer, sous peine de voir son électorat se démobiliser, ou pire, passer à l’adversaire, une fois satisfaction obtenue. Proclamant des droits qui ont de moins en moins de sens, et condamnant des injustices qu’il est de plus en plus difficile de voir comme telles, les partis progressistes, prennent le risque de s’isoler, et d’isoler les catégories de population qui les soutiennent, du reste de la société. À titre d’exemple, Antioch College, cité plus haut, requiert désormais de tout visiteur la signature d’un protocole d’accord, signifiant l’adhésion au principe du consentement explicite. L’usage est même de requérir un tel consentement pour tout contact physique, quelle qu’en soit la nature. Dans l’article du New-York Times consacré à l’établissement, une jeune femme s’y indigne que sa mère ait osé l’embrasser à son retour de l’université sans lui en demander la permission. Quelle citoyenneté penser quand les gestes les plus élémentaires de la proximité humaine sont ainsi criminalisés?
La république et l’université
Face à cela, Lilla, Galston et Mounk partagent l’idée d’un retour au politique, c’est-à-dire à une parole partagée. Or cette parole partagée ne saurait se limiter à l’expression de particularités incommensurables, et de droits éternellement opposables, à une société conçue exclusivement comme l’instrument d’oppression des élites. Ce patriotisme civique a de puissantes racines historiques aux États-Unis et ailleurs. Mais si la cause n’est pas perdue, une telle réforme de nos comportements politiques requiert toutefois un retour à l’éducation libérale qui fut durant toute notre histoire le préalable indispensable à la citoyenneté. Car notre incapacité croissante au gouvernement de soi s’explique aisément par notre éloignement croissant d’une compréhension de soi permettant l’action commune. À cet égard, l’empire des sciences sociales sur notre éducation politique, ou l’empire de la critique de la domination sur les sciences sociales, sont indissociables de notre désarroi pratique. La participation politique, l’engagement de la majorité dans l’élaboration d’une action commune, supposent qu’une telle action soit en mesure de produire un certain bien que chacun recherche mais que nul ne peut obtenir isolément. À l’inverse on ne peut concevoir d’engagement politique sain sur l’idée que la société et la conversation publique dissimulent une structure de domination, dont le langage n’est que l’instrument des pouvoirs qui le mobilisent. L’université, par l’autorité qu’elle possède sur la gauche, et la gauche, par l’autorité qu’elle possède sur l’université, sont-elles prêtes à prendre leurs responsabilités face à ces nouveaux enjeux?
Voir encore:
«Dans une logique clanique, les émeutiers s’en prennent aux infrastructures de l’État»
À Nantes, des individus ont mis le feu à des dizaines de voitures et à plusieurs bâtiments suite à la mort d’un jeune homme de 22 ans, tué par un policier.
Eugénie Bastié
Le Figaro
06/07/2018
GRAND ENTRETIEN – Après l’attaque d’un couple de policiers en Seine-et-Marne et les émeutes de nantes, l’avocat Thibault de Montbrial analyse les rapports tendus entre police et population.
LE FIGARO. – Deux gardiens de la paix ont été roués de coups à Othis (Seine-et-Marne) alors qu’ils sortaient de chez des amis. Que vous inspire cette attaque? Le nombre d’agressions envers les policiers est-il en hausse?
Thibault de MONTBRIAL. -Cette agression est insupportable. Elle s’est déroulée devant les enfants du jeune couple, en dehors des heures de service. Cela témoigne d’une évolution inquiétante: nous savions depuis l’attaque de Magnanville que les terroristes n’hésitaient pas à s’en prendre aux policiers dans leur vie privée, mais désormais cette logique s’étend aux voyous de droit commun, qui considèrent que le policier est un ennemi avec qui ils ont un contentieux personnel.
Avec le Centre de réflexion sur la sécurité intérieure, nous avons recensé au moins quatre incidents similaires depuis deux mois: le 12 mai, à Menton, des policiers qui allaient dîner au restaurant en dehors de leur service ont été pris à partie par une trentaine d’individus. L’un des policiers a eu trente jours d’ITT. Le 22 mai, à Grenoble, plusieurs CRS au repos ont été reconnus, attaqués et roués de coups par une dizaine d’individus. L’un des policiers a eu 45 jours d’ITT. Le 31 mai, à Orléans, deux individus en scooter ont suivi et menacé un policier hors service, qui a dû sortir son arme. Et samedi dernier, à Bugey, une quinzaine d’individus ont roué de coups (31 jours d’ITT) un policier devant chez lui, qui a dû tirer pour se dégager. L’attaque personnelle des policiers se banalise chez les délinquants. Cela touche aussi les gardiens de prison. On a même vu des magistrats menacés de mort.
Un homme de 22 ans a été abattu à Nantes alors qu’il fuyait un contrôle de police, ce qui a donné lieu à plusieurs nuits d’émeute dans les cités. Que dit cette ambiance des rapports entre police et population?
«Des photos de policiers circulent sur les réseaux sociaux, et on a même vu un tag « La justice se fera avec la mort d’un CRS » à Nantes. Tout converge vers l’imminence d’un drame»
Je ne me prononce pas sur le fond de l’affaire, que je ne connais pas. Mais quand on sait que l’individu abattu était un délinquant chevronné, recherché par la police, qui conduisait une voiture signalée comme participant à un trafic, la première chose qui frappe est que le quartier a pourtant solidairement présenté l’individu comme un saint, faisant donc abstraction du profil de l’intéressé pour se camper unanimement dans une position clanique. C’est désormais soit l’adhésion totale, soit le rejet en bloc, «eux» ou «nous», il n’y a plus ni demi-mesure ni lucidité.
Ensuite, lors des émeutes, un policier a été touché au casque par un tir de .22LR. C’est la première fois depuis très longtemps qu’on tire à balles réelles sur des policiers en maintien de l’ordre. C’est extrêmement inquiétant. La police n’est plus perçue comme une autorité représentant la République mais comme une bande rivale contre laquelle tout est permis. Dans les quartiers, il y a plusieurs guets-apens par semaine contre les forces de l’ordre. Des photos de policiers circulent sur les réseaux sociaux, et on a même vu un tag «La justice se fera avec la mort d’un CRS» à Nantes. Tout converge vers l’imminence d’un drame.
Pendant la troisième nuit d’émeute, un lycée et une bibliothèque ont été incendiés. Pourquoi le moindre incident devient-il le prétexte à de telles destructions? Quelle est la logique?
Dans une logique tribale de territoire, les émeutiers s’en prennent aux infrastructures financées par l’État précisément pour sortir ces quartiers de la ghettoïsation. Six ou sept établissements publics ont été brûlés à Nantes, mais un commerce halal a été épargné: on est dans la logique clanique d’un rejet de l’État. Cela montre d’ailleurs les limites de la pacification des banlieues par l’argent, comme le préconisait le rapport Borloo. La solution passe par le rétablissement de l’ordre, en assumant ses conséquences inévitables. Les populations qui vivent dans ces quartiers, qui sont prises en otages par ces comportements claniques, ont tout à gagner au rétablissement de l’autorité républicaine.
La dénonciation de «bavures policières» donne lieu de plus en plus fréquemment à la mise en cause d’un «racisme d’État». Que vous inspire ce discours? Les violences policières envers les jeunes des cités sont-elles selon vous un véritable problème?
«Non, les forces de l’ordre ne sont pas racistes : elles font leur travail dans des conditions rendues chaque jour plus difficiles»
Ce discours est d’abord faux. Non, les forces de l’ordre ne sont pas racistes: elles font leur travail dans des conditions rendues chaque jour plus difficiles par le cumul du péril terroriste, de la logique de partition territoriale et du manque de moyens. Mais ce discours est politique: il est porté par des associations ou des personnalités militantes qui ont pour but d’exacerber les tensions communautaires. S’inspirant notamment des mouvements américains type Black Lives Matter, ces associations promeuvent une racialisation des tensions. On a vu la sœur d’Adama Traoré (jeune homme décédé lors de son interpellation par la police en juillet 2016) appeler dans un discours récent place de la République à envahir le Palais de l’Élysée «comme en Afrique», sans que cela n’émeuve personne. Ce sont des discours antirépublicains, sécessionnistes et racialistes qu’il faut combattre impitoyablement.
L’affaire Théo avait été très médiatisée, alors qu’on s’était rendu compte que la «victime» n’était pas aussi innocente. Que nous a enseigné cette affaire?
L’affaire Théo a été symptomatique d’une hystérisation du débat par les associations communautaires. À Nantes, comme pour l’affaire Théo, la justice a immédiatement réagi et engagé une procédure. Dans un fonctionnement républicain «normal», on en attendrait les résultats avec sang-froid, sans provoquer d’émeute pour réclamer une «justice» qui est précisément à l’œuvre.
Dans l’affaire Théo, les émeutiers n’ont pas cru la justice, qui faisait son travail. Et la visite du président Hollande au chevet de Théo a été une faute politique immense qui a marqué durablement l’esprit des policiers. Le rapport Grosdidier, remis cette semaine au Sénat, montre bien la crise profonde que traversent les forces de l’ordre. Il est plus que temps d’engager une réflexion en profondeur sur les moyens et les stratégies relatifs à la sécurité intérieure pour les années à venir. L’enjeu est vital pour la France.
Voir encore:
Sommet du 28 juin
Dernier bobard à la mode : la crise migratoire serait finie !
Hervé Nathan
Marianne
29/06/2018
Pour le célèbre démographe François Héran, les flux de migrants sont en train de s’éteindre. Et donc la « crise » n’est plus qu’une manipulation de l’extrême droite. Une vision myope du problème, en partie récupérée par Emmanuel Macron, mais qui défie la réalité des centaines de milliers d’étrangers, errant dans l’espace européen.
« Il n’y pas de crise migratoire, il n’y a qu’une crise politique ». C’est avec cette phrase bien péremptoire que le célèbre démographe François Héran, titulaire de la chaire du même nom au prestigieux Collège de France, envoie balader dans l’Obs les opinions publiques européennes. L’argumentaire se veut imparable puisque statistique : « La preuve, tous les chiffres sont à la baisse : un million de personnes qui étaient entrées dans l’espace Schengen en 2015, 500.000 en 2016, pour 204.000 en 2017. » Conclusion, tout ceci n’est que mise en scène poussée par les droites xénophobes en Europe à qui la « figure du migrant sert de bouc émissaire ».
Certes, il reste bien quelques scories de la vague migratoire de 2015, par exemple, les personnes qui campent sur les trottoirs de Paris porte de la Chapelle. Mais pour le célèbre chercheur, ce ne sont plus que « des situations à régler ». Problème négligeable, voire secondaire si l’on comprend bien. Mais ce qu’évacue ainsi François Héran, c’est que les situations à régler se chiffrent en centaines de milliers d’individus. En 2017, Eurostat estimait à 619.000, dont 115.000 en France, le nombre de personnes en situation illégale sur le territoire de l’Union européenne. Et tout le monde s’accorde à estimer qu’il s’agit là d’une estimation très basse, puisqu’il s’agit des personnes ayaat reçu un ordre de quitter le territoire (OQTF). Par exemple, les migrants en situation irrégulière étaient 156.000 en Allemagne mais on pense que l’Allemagne a encore 300.000 déboutés du droit d’asile sur son sol (un chiffre identique à la France), fait qui provoque l’ultimatum du ministre de l’Intérieur Hosrt Seehofer vis-à-vis d’Angela Merkel. Le « problème politique », c’est donc bien celui des « dublinés » (voir encadré ci-dessous), que le conseil européen s’est montré dans l’incapacité de traiter ce 28 juin, et il a bien un rapport avec la réalité des migrations.
Déclarer forclose la crise des migrants engendrée par la guerre en Syrie, au motif que les flux traversant la Méditerranée se sont heureusement affaiblis, mais alors que plusieurs centaines de milliers de personnes errent en Europe, de pays en pays, est pour le moins imprudent. et surtout irréaliste quant à l’avenir. Les citoyens du XXIe siècle sont quand même informés de la dynamique démographique de l’Afrique subsaharienne, qui devrait passer de 1 milliard d’habitants en 2010 à 2,5 milliards en 2050.
Sans attendre des décennies, tant que des malheureux camperont sur les trottoirs à Paris, Rome ou Madrid (en Europe du Nord, tout le monde est à l’abri), les opinions publiques s’estimeront en situation de crise et aucun discours d’autorité, qu’il soit scientifique comme celui de François Héran, ou politique, comme celui du président Emmanuel Macron qui l’imite dans ses discours, ne sera audible. Pire ils attiseront le sentiment de délaissement des populations. En 2002, le Premier ministre socialiste s’était rendu malheureusement célèbre par son expression : « Il n’y a pas d’insécurité, mais un sentiment d’insécurité ». Dix sept-ans après, on tombe dans « il n’y a pas de crise des migrants, mais un sentiment de crise des migrants ». Avec le résultat politique que l’on sait !
Voir de plus:
Migrants : « Les derniers arrivés servent toujours de boucs émissaires »
Professeur au Collège de France, François Héran revient sur la longue et tumultueuse histoire des migrations… et de la xénophobie.
L’Italie qui refuse l’accostage de l' »Aquarius », l’île de Malte qui renvoie le « Lifeline ». Ce n’est pas la première fois que des pays s’opposent au débarquement d’exilés…
L’histoire bégaie. En 1849 déjà, 200 libéraux polonais expulsés par l’Autriche quittent Trieste à bord du « Gian Matteo » et supplient la France de pouvoir débarquer à Marseille. Mais le gouvernement les refoule vers l’Algérie, sans leur accorder de statut. Cet épisode ouvre le livre de Delphine Diaz, « Un asile pour tous les peuples ? Exilés et réfugiés étrangers en France au cours du premier XIXe siècle » (1).
Je songe aussi au « Saint-Louis », parti de Hambourg en mai 1939 avec 963 juifs allemands et qui tente vainement d’accoster à Cuba, aux Etats-Unis et au Canada. Un sondage révèle que l’opinion publique américaine, à 84%, refuse de relever les quotas d’étrangers, et Roosevelt recule. Le bateau doit revenir en Europe. Il accoste à Anvers quelques semaines avant l’invasion de la Pologne par l’Allemagne nazie. Nombre de passagers finiront dans les camps.
Le monde subissait alors les effets de la crise de 1929. Vous constatez un lien entre les périodes de récession économique et le rejet de l’étranger ?
C’est certain. La crise des années 1930 est la période la plus xénophobe de notre histoire en temps de paix. Deux ans avant le krach de 1929, la France avait adopté une loi de naturalisation très libérale : trois ans de séjour suffisaient pour devenir français…
François Héran : « Sur les réfugiés, l’Europe doit changer d’échelle et d’approche »
Elsa Freyssen et Virginie Robert
Les Echos
03/09/15
INTERVIEW – Le démographe François Héran décrypte pour « les Echos » les ressorts et l’origine des désaccords entre pays européens sur l’accueil des réfugiés. Malgré ses discours volontaristes, la France n’est, « dans les faits », pas « une grande terre d’asile » montre-il, chiffres à l’appui. Face à l’urgence actuelle, il estime que séparer « immigration économique et immigration de refuge n’a plus de sens « .
Pensez-vous, comme Angela Merkel, que les blocages de certains pays européens sur les réfugiés remettent en question les fondements de l’Europe ?
Le courage de Mme Merkel impressionne et laisse François Hollande sur place. Mais sa prise de position mêle la prédication, la stratégie et le réalisme. Elle veut doubler la suprématie économique de l’Allemagne d’un magistère moral, car elle sait qu’elle en a les moyens. Si elle prévoit sans frémir d’accueillir 800.000 réfugiés en 2015, c’est que ce chiffre a déjà été atteint en 1992. Cette année-là, comme les années suivantes, l’Allemagne accueillait à la fois les migrants fuyant les guerres de l’ex-Yougoslavie et les Russes ou Kazakhs d’origine allemande (ou supposés tels), qui bénéficiaient d’un droit au retour. Un tel surcroît dans un pays de 80 millions d’habitants augmente la population de 1 %. Angela Merkel sait aussi que, depuis les années 1970, l’Allemagne compte plus de décès que de naissances. Les projections démographiques annoncent une baisse de 20 % de la population active d’ici à quarante ans. L’intérêt se joint à la morale. L’Allemagne peut jouer sur les deux tableaux.
Un tel afflux est-il soutenable dans une Europe en crise économique ?
« Soutenable » est une notion relative. Sur les 4,5 millions de personnes qui ont fui la Syrie, selon le Haut-Commissariat aux réfugiés, 40 % sont en Turquie, dans des conditions déplorables, et beaucoup d’autres en Jordanie, au Liban, en Egypte. N’arrivent en Europe que les plus jeunes et les plus instruits. Dans une Grèce en grande difficulté économique, l’afflux de réfugiés pose un sérieux problème. Mais pour l’Union européenne, avec ses 510 millions d’habitants, accueillir un million d’exilés, c’est seulement croître de 1/500. Ce qui me frappe, c’est de voir à quel point les politiques redoutent les mouvements de population sans avoir la moindre idée des ordres de grandeur. Alain Peyrefitte a rapporté la réaction horrifiée du général de Gaulle apprenant qu’on allait peut-être devoir accueillir 10.000 rapatriés à la fin de la guerre d’Algérie. Or ils ont été près d’un million à gagner la métropole, qui comptait alors 47 millions d’habitants ! Les chiffres absolus impressionnent, mais, en démographie, il faut raisonner en proportions.
La Pologne, la République tchèque, la Slovaquie et la Hongrie, les pays Baltes bloquent tout plan d’accueil concerté au niveau de l’Europe…
Il subsiste en Europe un profond clivage Est-Ouest. Pendant des décennies, les pays communistes n’accueillaient qu’un nombre infime d’immigrés des « pays frères « . Les conditions d’accueil étaient draconiennes : on interdisait le regroupement familial et, si les femmes tombaient enceintes, on les enjoignait de repartir ou d’avorter. Cette volonté d’autarcie a créé un état d’esprit persistant. La Hongrie et son mur ne sont qu’un exemple. Voyez aussi le fossé qui sépare encore aujourd’hui l’ouest et l’est de l’Allemagne. Il n’y a quasiment pas de migrants ou d’enfants de migrants sur le territoire de l’ex-RDA — 4 % ou 5 % de la population — alors qu’on monte à 25 % dans les autres Länder. En Allemagne, les migrants sont à l’Ouest mais la xénophobie est à l’Est, car les populations de ces régions n’ont jamais été habituées à leur présence. Quand le Front national rêve d’un pays quasiment sans immigration, qu’elle soit légale ou non, il réactive le modèle communiste d’une société vivant sur elle-même.
De tels mouvements migratoires sont-ils si nouveaux dans l’histoire européenne ?
Ni pour l’Allemage ni pour la France. Des années 1880 aux années 1920, notre pays a accueilli 150.000 juifs russes fuyant les pogroms. En 1939, plus de 700.000 Catalans ont fui l’Espagne de Franco : nous les avons très mal accueillis, ce qui n’a pas dissuadé nombre d’entre eux de rejoindre la Résistance. A partir de 1973, en revanche, l’Etat a réservé à 170.000 boat people vietnamiens et cambodgiens un accueil digne de ce nom, avec des programmes de logement et d’emploi. Ces expériences étant plus anciennes que celles de l’Allemagne, la France est désemparée devant un afflux extraordinaire. Mais l’histoire montre que de grands Etats ont su mettre sur pied un plan d’urgence pour accueillir un flot imprévu de migrants. Le frein est d’abord politique.
A voir. VIDEO : François Héran : « Les réticences à l’Est face aux migrants est un héritage communiste »
Paris est pourtant en pointe, aux côtés de Berlin, pour faire bouger l’Europe sur la question des réfugiés…
Dans les faits, la France reste en retrait. En dépit du travail accompli par les offices de sélection et d’accueil, la France n’est pas une grande terre d’asile. Sur les 200.000 entrées de migrants non-européens qu’elle enregistre chaque année, seuls 10 % sont des réfugiés, et cette part est stable depuis dix ans. La spécialité de la France, c’est l’accueil du flux continu de migrants ordinaires. Avant la crise actuelle, en 2012, nous étions en 12e position en Europe par le nombre de demandeurs d’asile rapporté au nombre d’habitants ! La Suède en recevait 5 fois plus, la Suisse 4 fois plus, la Norvège 2 fois plus, et je ne parle pas de Malte ou de Chypre. L’Allemagne enregistrait autant de demandes que nous, mais son taux de décisions positives était le double du nôtre : 29 % contre 15 %. Fin 2014, les taux ont progressé sous la pression de la crise syrienne : 42 %, contre 25 %, toutes origines confondues. Mais l’écart subsiste entre les deux pays.
Comment l’expliquer ?
Cette différence est ancienne. Sur les dernières décennies, les flux migratoires vers l’Allemagne ont une allure de montagnes russes, avec des pics impressionnants (en 1992, en 2002), où la part des réfugiés peut dépasser 50 % puis retomber à zéro. Rien à voir avec le solde migratoire de la France : nous accueillons en continu une migration issue de nos anciennes colonies, plus modérée que celle de l’Allemagne mais constante. Or, il faut le rappeler, c’est le respect des conventions internationales sur les droits de l’homme qui alimente en France le gros de l’immigration. Sur les 200.000 titres accordés chaque année à des immigrés extracommunautaires, 10 % seulement le sont au titre du travail non saisonnier, les 90 % restants le sont en application d’un droit : le droit d’épouser un Français (50.000 entrées par an), le droit des étrangers de vivre en famille (35.000), le droit d’asile (18.000) et ce quasi-droit, désormais, d’étudier à l’étranger (plus de 60.000). Certes, l’immigration chez nous ne représente qu’un quart de l’accroissement annuel de la population ; c’est bien moins que chez nos voisins européens. Mais cela dure depuis des décennies. Résultat : un quart de la population vivant en France est soit immigrée, soit enfant d’immigré. La France peut logiquement demander que ce facteur soit pris en compte par la Commission européenne dans sa répartition des réfugiés.
Mais, s’agissant des réfugiés, la part prise en charge par la France vous paraît-elle suffisante ?
Non, bien sûr. Si la France devait accueillir en proportion autant de réfugiés que le chiffre annoncé par Mme Merkel pour l’Allemagne, cela représenterait 640.000 personnes. Divisé par deux, cela ferait encore 300.000 personnes à accueillir. Nous en sommes très loin. Même les chrétiens d’Orient n’ont été accueillis qu’au compte-gouttes.
A supposer qu’il soit un jour adopté, le plan Juncker est-il adapté à la situation ?
Quand le président de la Commission suggère de répartir les demandes d’asile entre les pays de l’Union au prorata de leur population et de leur richesse, il reprend les critères classiques d’Eurostat. La France a demandé qu’on tienne compte également du taux de chômage. Elle aurait pu soutenir aussi qu’elle prend continûment sa part de la migration économique ordinaire, et qu’en cela elle garantit l’exercice des droits de l’homme. Mais, surtout, l’Europe doit changer radicalement d’échelle et d’approche.
C’est-à-dire ?
La convention de Genève de 1951 sur le droit d’asile est exigeante : le demandeur doit démontrer qu’il est personnellement exposé à la persécution. D’où de laborieuses enquêtes au cas par cas pour différencier la demande d’asile de la migration économique. Manuel Valls a beau se cramponner à cette distinction, elle est inadaptée au cas des guerres civiles. Quand vous fuyez un pays où l’économie s’effondre, où les salaires ont été divisés par quatre, où les écoles et les boulangeries sont fermées, vous ne pouvez plus démontrer que vous êtes personnellement persécuté, alors que vous êtes bel et bien un exilé à la fois politique et économique. L’Organisation internationale des migrations parle de « migration mixte « . Le mur mental et administratif qu’on veut dresser entre immigration économique et immigration de refuge n’a plus de sens dans de telles extrémités. L’UE doit réviser ses catégories. On parle beaucoup aujourd’hui de « réfugié climatique ». Or le « réfugié économique « , plus tangible à mon sens, mériterait au moins autant d’attention.
Nicolas Sarkozy voudrait suspendre l’actuel accord de Schengen pour le remplacer par un accord de libre circulation réservé aux pays européens ayant la même politique migratoire. Qu’en pensez-vous ?
Rétablir au sein de l’Union des frontières intérieures ou des sous-Schengen serait une régression analogue à la sortie de l’euro. On le voit déjà entre la France et l’Angleterre, du fait que les Britanniques nous sous-traitent le contrôle des frontières de l’espace Schengen. Nous reproduisons le triste paradoxe de la frontière entre Etats-Unis et Mexique : deux grands pays liés par un accord de libre-échange mais séparés par un mur anti-migrants. Laurent Fabius vient de chapitrer la Hongrie pour avoir posé des barbelés à sa frontière, mais les barrières qui ceignent l’entrée du tunnel sous la Manche et le port de Calais ne valent pas mieux. Faut-il s’étonner que les hommes tentent de s’agripper aux marchandises pour pouvoir circuler avec la même liberté qu’elles ?
La question que vous posez va au-delà de la demande d’asile ; elle vaut aussi pour la migration ordinaire. Durant la campagne de 2012, Nicolas Sarkozy promit, s’il était élu, de diviser par deux les 200.000 entrées légales en France, alors qu’il n’avait pas réussi à faire bouger ce chiffre sous son mandat. Et Mme Le Pen de surenchérir en proposant de diviser ce chiffre par 10, puis par 20, autant dire en abolissant la migration légale. Ces annonces sont déconnectées de la réalité, puisque l’essentiel des entrées correspond à l’exercice d’un droit garanti par les conventions internationales. On ne peut interdire le regroupement familial ou mettre en cause le mariage avec des Africains ou des Asiatiques sans appliquer les mêmes mesures aux Américains ou aux Canadiens. Vous imaginez les rétorsions ? Ceux qui rêvent d’un pays sans migration semblent ignorer que la migration ne répond pas à la loi du marché mais à la logique des droits. Le modèle dont ils rêvent évoque celui des régimes soviétiques : un monde de coercition, où l’on vivrait entre soi, à l’écart des grands courants de circulation et d’échange.
Voir de plus:
« Il n’y a pas de crise migratoire, mais une crise politique »
Les discours xénophobes fleurissent sur la scène européenne. Pourtant, les flux migratoires n’ont rien de comparable à ceux de 2015. Entretien avec le chercheur Yves Pascouau.
Marie Campistron
L’Obs
27 juin 2018
Après l’odyssée de l' »Aquarius », un nouveau navire venant en aide aux migrants patientait ce mardi en mer, dans l’espoir qu’un port européen daigne bien l’accueillir. Accusé de transporter de la « chair humaine » (!) selon les mots du ministre de l’Intérieur italien, Matteo Salvini, le bateau et ses 239 migrants à bord, s’était vu interdire l’accès aux côtes italiennes. Il pourra finalement accoster à Malte.
Le navire, propriété de l’ONG allemande « Lifeline », incarne le nouveau symbole d’un épuisant bras de fer entre les pays européens sur la prise en charge des migrants secourus en Méditerranée. Un sujet brûlant qui, après avoir nourri les discours xénophobes de l’Italie et de l’Autriche, fera l’objet d’un sommet européen, le 28 juin prochain.
Mais alors que l’Europe durcit sa ligne vis-à-vis de l’accueil des migrants, la situation observée à ses frontières n’a rien de comparable avec celle de 2015, souligne Yves Pascouau, chercheur spécialiste des questions européennes en matière d’immigration. Interview.
L’Union européenne s’écharpe sur la question migratoire. Pour autant, la situation n’est plus aussi explosive qu’en 2015…
Totalement. Bien sûr, il reste des situations à régler par rapport à la crise de 2015. Je pense notamment au quartier de La Chapelle à Paris où des personnes n’ont toujours pas vu leur situation régularisée. Pour autant, on assiste aujourd’hui à une maîtrise des flux migratoires, contrairement à 2015. La preuve, tous les chiffres sont à la baisse : un million de personnes qui étaient entrées dans l’espace Schengen en 2015, 500.000 en 2016, pour 204.000 en 2017.
Les affaires de « L’Aquarius » et du « Lifeline » masquent donc une réalité plus complexe…
Attention, ce sont des épiphénomènes si on se place face aux chiffres, mais évidemment pas si on regarde du côté de l’individu. Le parcours migratoire est un parcours individuel. On a trop souvent tendance à l’oublier, en le noyant derrière des chiffres plus ou moins grands. Oui, 629 personnes sur un navire ne représentent pas grand-chose… sauf pour celle ou celui qui est à bord.
A quoi correspondait le « pic » des flux migratoires de 2015 ?
Il y a eu cette année-là une arrivée massive de personnes qui avaient besoin d’une protection internationale : des Syriens, des Irakiens, des Érythréens, des Afghans… Beaucoup ont quitté la Syrie, en guerre depuis 2011, et se sont retrouvés en Turquie, au Liban, en Jordanie. De là, on a vu des « colonnes » de personnes remontant depuis la Grèce, la route des Balkans occidentaux pour atteindre l’Allemagne.
La logique de Berlin a alors été d' »endiguer » ces flux, c’est-à-dire d’empêcher les personnes d’entrer dans un parcours migratoire. La route des Balkans a été fermée. Un accord a également été passé entre l’Union européenne et la Turquie. En échange d’une aide de 3 milliards d’euros de l’UE, Ankara s’est engagé à contrôler les départs depuis ses côtes. Les flux depuis la Turquie vers la Grèce et l’Allemagne se sont alors considérablement taris.
Les chiffres ont donc significativement baissé. Peut-on encore parler de crise migratoire ?
Non, il n’y a pas de crise migratoire. D’ailleurs même en 2014, on n’employait pas cette expression. Les chiffres sont parlants : l’UE enregistrait plus d’1.3 million de demandes d’asile en 2015, contre 705.000 en 2017. La crise est aujourd’hui d’ordre politique.
Justement, malgré la baisse des flux migratoires, des discours de plus en plus extrémistes et xénophobes ont fleuri sur la scène européenne. Comment expliquer leur portée ?
On observe aujourd’hui l’arrivée au pouvoir d’une série de gouvernements hostiles à l’immigration. On l’a vu avec les sorties du ministre de l’Intérieur italien, Matteo Salvini, mais aussi les positions de son homologue autrichien, Sebastian Kurz… Certains Etats, à l’image de la Hongrie et de la Pologne, se définissent même comme des « démocraties illibérales ».
Ces mouvements populistes apportent une réponse simple à des questions complexes : la figure du migrant sert de bouc émissaire, comme cela a souvent été le cas avec les formations d’extrême droite. Ce type de discours est bien reçu par une partie de l’électorat qui, parce qu’il a mal vécu la mondialisation, a envie de renverser la table. Dès lors, ces lignes dures peuvent être payantes à court terme électoralement, mais à long terme, cela ne peut pas tenir.
Emmanuel Macron a affirmé que la France « n’a de leçon à recevoir de personne » sur le dossier des migrants car elle est le « deuxième pays d’accueil des demandeurs d’asile cette année ». Un argument qui mériterait selon vous, une nuance ?
En effet, car les chiffres sont toujours parlants… mais à condition de les regarder dans leur réalité. Si on prend les chiffres bruts, la France a enregistré 100.000 demandes en 2017. Il est alors facile pour le gouvernement de dire : « Regardez, on est le deuxième pays d’accueil, on est tolérants ». Mais si on rapporte le nombre de demandes d’asile déposées par rapport à taille de la population, la France se retrouve finalement en 16ème position par rapport à ses voisins européens. La leçon est un peu courte !
On constate aussi que la Suède accueille le plus de demandes d’asile si on rapporte ce chiffre à sa population. On entend pourtant rarement parler les autorités suédoises évoquer une « crise migratoire »…
La question migratoire n’est pas un sujet aussi inflammable en Suède qu’en France. Les Suédois ont une tradition d’accueil des personnes qui ont besoin d’une protection. En France, on a un problème avec la question migratoire, on ne veut pas en parler. Si bien que seuls les extrêmes s’en saisissent. L’espace de débat démocratique lui, est totalement désert.
Selon vous, que peut-on attendre du sommet du 28 juin ?
Il est très compliqué de savoir ce qui peut en sortir. Les 28 pays vont sans doute se mettre d’accord sur le renforcement du contrôle aux frontières extérieures de l’espace Schengen. Ils risquent de s’entendre aussi sur la création de zones/camps/centres – on verra bien le nom qui sera retenu – à la fois à l’extérieur et à l’intérieur de l’UE. Sur tout le reste, c’est le grand point d’interrogation.
Propos recueillis par Marie Campistron
Voir de même:
Il n’y a pas de crise migratoire, mais…
Jean-Pierre Denis
La Vie
02/07/2018
Les chiffres ne souffrent guère discussion. Il n’y a pas de crise migratoire en Europe, mais un retour à l’ordinaire. La pression n’a rien à voir avec celle qui s’exerçait au moment où Angela Merkel prit la décision d’accueillir plus de un million de personnes en Allemagne, lâchant son fameux : « Nous y arriverons. » En 2015, 1,8 million de personnes ont illégalement franchi les limites de l’espace Schengen, et encore 511.000 l’année suivante. On évoque environ 20.000 entrées illégales depuis le début de l’année. L’épaisseur du trait à l’échelle de Schengen et de pays aussi importants que la France ou l’Allemagne. La montagne n’était qu’une aiguille abrupte, précédée et suivie de molles collines. Donc, oui, Emmanuel Macron a eu raison de le déclarer : « On ne peut pas parler aujourd’hui d’une crise migratoire. C’est une crise politique de l’Europe sur l’immigration. »
Mais à bien y réfléchir, la distinction opérée par le Président français est-elle si juste ? D’abord, si l’on élargit le cercle et que l’on regarde en Turquie, au Liban, en Libye, en Algérie, et plus loin dans la zone sahélienne, on voit bien que la crise migratoire n’a pas disparu. Elle s’est juste éloignée, avec son lot de trafics et d’exploitation, de violence et d’espérance. Ensuite, on doit se rappeler que la crise politique n’a pas surgi du néant mais peut se définir, justement, comme l’effet retard de la crise migratoire de 2015. Angela Merkel a fait alors une double erreur d’appréciation. La chrétienne-démocrate a pensé que les Allemands, hantés par les souvenirs du nazisme, accepteraient d’ouvrir leur pays et leur cœur. Et la fille de pasteur a estimé que la question relevait de la morale, celle qu’enseigne l’Évangile. Or c’est, hélas, plus compliqué. D’autant plus compliqué, précisément, que l’humanitaire a perdu de son importance au profit de l’identitaire.
En Allemagne, pour la première fois depuis la guerre, un parti d’extrême droite est présent au Bundestag et dicte l’agenda politique.
Les craquelures et les failles sont devenues des gouffres si profonds qu’ils menacent d’engloutir l’insubmersible Merkel. En France, en Allemagne, une coalition de circonstance unissant l’Église catholique, les ONG, les médias, les milieux économiques et culturels insiste sur l’universalisme et invoque encore l’humanitaire. Mais elle cède du terrain. Partout des partis nationalistes en croissance ou de vieux partis conservateurs en perte de vitesse prétendent défendre le peuple trahi. Dans l’Obs, Marcel Gauchet estime que la question migratoire est devenue la nouvelle question sociale. D’où le déclin de la social-démocratie. En Allemagne, pour la première fois depuis la guerre, un parti d’extrême droite est présent au Bundestag et dicte l’agenda politique, menant la coalition au pouvoir au bord de l’implosion. À l’échelle de l’Europe, et jusqu’aux États-Unis, tout l’édifice démocratique vacille.
Une deuxième faille, géographique, séparait l’Ouest et l’Est. Le gouvernement hongrois ressent ou présente les migrants, pourtant presque inexistants, comme une menace existentielle. Il veut leur opposer le rempart d’un christianisme néomaurrassien. Pour tout arranger, les élections en Autriche puis en Italie et la perspective des élections régionales en Bavière, dans le sud de l’Allemagne, ont brisé net la plaque occidentale. Voilà pourquoi, bien loin de se distinguer, la crise politique et la crise migratoire se rejoignent aujourd’hui sur une question et de plus en plus épineuse : comment gérer les flux migratoires internes, dans la zone Schengen ? Plus aucune règle ne fait consensus, plus aucune coordination n’est acceptée, plus aucune solidarité n’est envisageable, et les camps fermés que l’on annonce dans le sud de l’Allemagne offrent une solution peu crédible. Cette Europe du chacun pour soi et chez soi validée par le dernier Conseil européen est-elle encore l’Europe ?
Voir par ailleurs:
Lettre d’un « lépreux » ch’ti au président de la République
La « lèpre » n’est peut-être pas là où vous le croyez
David Duquesne
Causeur
5 juillet 2018
Emmanuel Macron a dénoncé dans un discours, fin juin, la « lèpre qui monte en Europe ». David Duquesne s’est senti visé. Il lui répond.
Monsieur le président de la République,
Je vous écris de mon Nord natal, du bassin minier précisément, une terre de souffrance généreuse dans ses sacrifices et dans l’accueil qu’elle aura réservé à des centaines de milliers de Polonais, d’Italiens ou de Nord-africains venus user leur santé dans nos mines et nos industries. Je voudrais vous parler des Ch’tis, des gens simples et attachants qui n’ont pas la chance d’avoir des origines extra-européennes et qu’on peut brocarder et humilier à loisir, ils ne menaceront personne de mort. Leurs grands-parents formaient le plus gros des bataillons de ceux qui remontaient le charbon.
Les plus pauvres d’entre eux vivent aujourd’hui dans des anciens corons et des cités HLM et subissent l’insécurité culturelle, physique, économique et n’ont pas tellement le droit de dire ce qu’ils voient et ce qu’ils vivent, ils subiraient autrement une forme de terrorisme intellectuel.
Dans certains milieux laïques, on dit d’eux qu’ils feraient partie de la tenaille identitaire.
Ils préfèrent se taire ou ne parlent qu’avec des personnes de confiance et ils votent souvent pour la « lèpre » puisqu’ils ne sont pas écoutés par les gens qui pensent bien et qui sont susceptibles de danser sur votre perron à la gloire d’une fellation ou d’une explosion. En terme d’enrichissement culturel, nous avons franchi un cap, atteint un sommet !
Les fiers et humbles descendants des mineurs, ces gueules noires qui ont sacrifié leurs vies dans les mines de charbon ont vécu 270 ans d’humiliations, de manifestations réprimées dans le sang, subi deux guerres sur leur sol et n’ont eu de cesse de se remettre à la tâche pour reconstruire leurs maisons, leurs cités, leurs villes.
Si les gamins des banlieues, qui brûlent des voitures et tirent à vue sur la police, avaient enduré le dixième du quart de ce que le peuple ch’ti a encaissé, notre pays serait à feu et à sang.
Le petit peuple laborieux de cette France périphérique n’a jamais décidé des guerres que les puissants aux affaires ont commencées ou déclarées.
Ils ne se sont jamais enrichis sur l’esclavage et la colonisation, ils sont justes responsables de leurs actes. En 1948, on envoyait les chars écraser les bicyclettes des mineurs en grève, des milliers furent blessés, il y eut de nombreux morts, mais aucun BHL pour demander une intervention pour libérer le bassin artésien de la cruauté des dirigeants de l’époque. Ils auraient pu fuir dans des barcasses en mer du Nord. Ils ont préféré continuer à participer à l’effort de solidarité nationale, toute l’économie française reposait sur les bras de ces femmes et de ces hommes au cœur vaillant.
Les ch’tis ont une identité culturelle qui fait partie de l’identité culturelle française, leur identité n’est pas un suprématisme ethnique ni un racisme. Cette identité culturelle, c’est leur épanouissement car c’est ce qui leur va le mieux et leur permet d’être heureux.
Leur identité, c’est ce qui leur reste, une fois qu’on leur a tout pris, à l’image de tous les Français qui ne vivent pas dans ces « villes-monde », où le bobo devise dans un Starbucks près d’un centre d’affaires, à quelques coudées seulement de quartiers où les lois de la République ne sont plus appliquées.
Ces enclaves où les prêches de religieux importés de pays liberticides, encouragent la partition culturelle, territoriale, quand ils n’encouragent pas le djihad.
La France des terroirs et des clochers n’est pas un nazisme, vous pourrez abuser de la qualification « identitaires », toutes les cultures ne se valent pas, elles n’ont rien de biologique ou d’ethnique, le racisme n’a rien à faire dans cette histoire !
Au contraire, humilier les Français sur leur histoire, leur culture, leur identité, leur religion historique, c’est un racisme hideux qui procède par l’inversion accusatoire et qui se soumet dans la collaboration avec les récipiendaires de la Charia et de l’indigénisme revanchard.
Le « barbensemblisme » de façade entre barbus hipsters et barbus salafistes n’est pas notre tasse de thé et nous goûtons peu l’entrisme des Frères musulmans dans toutes les strates de la société.
La lèpre n’est pas là où certains le croient.
Apres quatre décennies d’impéritie dans la gestion de l’immigration, des quartiers en partition sont séparés de la communauté nationale.
Cinq millions de personnes y vivent, dominées par des caïds qui régentent une économie parallèle. Les islamistes protégés par le service de sécurité local colonisent les cœurs d’enfants offerts par les élus. Des professeurs qui se censurent pour éviter les menaces physiques, des immeubles défigurés et abîmés par le civisme de quelques uns. Cette contre-société nous a été imposée, et vous et vos prédécesseurs l’avez accompagnée pour de sombres avantages économiques d’un côté et des gains électoralistes de l’autre. Cette contre-société n’est pas la France, n’est pas notre continuité historique, nous ne l’aimons pas car elle est l’antithèse de tout ce qui fonde notre socle républicain et nos valeurs communes.
Nos voisins d’Europe centrale, mais aussi allemands et italiens n’ont pas envie de connaître les joies d’un tel échec qui risque d’atomiser notre pays. Ils ne souffrent pas non plus du syndrome postcolonial.
Après 42 ans d’échec dans la gestion de l’immigration et d’importation de normes socioculturelles qui changent dangereusement la nature de portions importantes de notre territoire national, on peut être méfiant.
D’autant plus que les mêmes phénomènes s’observent à Cologne, Marseille, Londres, Malmö ou Amsterdam.
Plutôt que de lutter contre la peste islamiste et la gangrène des caïds, vous préférez insulter ceux qui attendent de l’État d’être protégés de ces entités dangereuses.
François Mitterrand a mis en place un épouvantail permettant de jouer avec les peurs, méfiez-vous de cet épouvantail, il y a fort à parier qu’une majorité de Français finissent par le retourner contre ces « élites » qui ont trahi leur peuple en recevant des communautés qu’elles ont encouragées à détester notre mode de vie, notre culture, notre histoire, nos enfants.
Je suis d’autant mieux placé par rapport à ce sujet que je suis moi-même issu de l’immigration nord-africaine et que j’ai joué le jeu de l’assimilation et de la méritocratie, refusant la victimisation perpétuelle, systématique.
Aujourd’hui, je suis trahi car je passe pour un traitre aux yeux de communautés qui haïssent la France, j’agace cette gauche qui refuse l’émancipation à une culture rétrograde et je peux être victime de racistes, heureusement très minoritaires.
Votre France, c’est le communautarisme, le séparatisme culturel et ethnique et à terme la libanisation du pays.
Votre Europe, c’est les « élites » contre le peuple.
Je vous invite, Monsieur le président, à revoir vos positions sur la gestion de l’immigration, de l’islamisme et des territoires perdus de la République, avant que le peuple ne redevienne souverain, car c’est vous qui lui êtes redevable et non l’inverse.
Le peuple français a été accueillant, bienveillant, patient, ne le poussez pas vers des issues radicales, une colère sourde traverse le pays, écoutez-la et soyez au rendez-vous de notre histoire et à la hauteur de notre nation.
Voir encore:
Le recours aux armes à feu par les policiers a fortement augmenté en France en 2017
L’inspection générale de la police nationale a pour la première fois rendu public, mardi, le nombre de personnes tuées lors d’interventions des forces de l’ordre.
Elise Vincent
Le Monde
27.06.2018
Ce sont des chiffres sensibles qu’a dévoilés, mardi 26 juin, l’inspection générale de la police nationale (IGPN), la « police des polices », à l’occasion de la publication du dernier rapport annuel de sa patronne Marie-France Monéger-Guyomarc’h, qui doit bientôt quitter son poste après six ans de service. De fait, elle a annoncé une très forte hausse du recours aux armes à feu chez les policiers entre 2016 et 2017 (+ 54 %) ; et surtout pour la première fois de l’histoire de l’IGPN, le chiffre du nombre de morts et de blessés lors d’interventions policières. Entre juillet 2017 et mai 2018, elle recense 14 décès et une centaine de blessés. Des chiffres révélateurs d’un climat tendu sur le terrain. Un exercice nouveau de transparence pour l’institution alors que les violences policières sont devenues l’objet de forts clivages politiques et de tensions récurrentes dans les quartiers populaires.
Pour tous ces nouveaux indicateurs, l’IGPN a donné ses explications. « Ce recensement n’est pas le recensement des bavures policières », a tenu d’emblée à préciser Mme Monéger-Guyomarc’h avant d’en détailler la méthode de comptage.
La très forte hausse du recours aux armes à feu s’est ainsi traduite par quelque 394 utilisations, entre 2016 et 2017, selon l’IGPN. Ces tirs ont été essentiellement le fait de l’usage du pistolet dont les policiers sont porteurs en service, et beaucoup dans un cadre très particulier d’intervention, selon Mme Monéger-Guyomarc’h : le refus d’obtempérer des véhicules en mouvement. Tous ces coups de feu ont été considérés comme de la légitime défense. Ils pourraient néanmoins amener la maison police, soucieuse à demi-mot de cette évolution, à adapter ses formations.
Règles de la légitime défense élargies
Ce chiffre de 394 n’est en effet pas étranger à une nouvelle loi entrée en vigueur en février 2017. Celle-ci a élargi les règles de la légitime défense notamment dans un but de meilleure prévention du terrorisme. Depuis, les policiers peuvent faire usage de leur arme sans risquer d’être sanctionnés, en particulier en cas de la présence d’un véhicule « dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ». Ce point de la loi avait été particulièrement débattu, de crainte qu’il n’engendre une multiplication de l’usage des armes à feu.
Mme Monéger-Guyomarc’h n’a toutefois pas souhaité attribuer cette hausse des tirs à cette évolution législative. L’augmentation était « déjà sensible avant février 2017 », selon elle. D’après elle, il n’y a qu’un seul cas où la nouvelle loi a été utilisée stricto sensu durant l’année écoulée : lorsqu’à Montargis (Loiret), en août 2017, un homme d’une cinquantaine d’années a été tué à bord de sa voiture après avoir fait de violentes manœuvres et menacé de « tuer des fonctionnaires ».
La gendarmerie est elle aussi confrontée à cette progression de l’usage des armes. Selon les informations du Monde, entre 2016 et 2017, cette hausse a été de 15 %. Elle serait toutefois ponctuelle, ce chiffre ayant nettement diminué sur les dix dernières années de l’ordre de 20 %. En parallèle, le nombre d’agressions contre des gendarmes a explosé : + 68 %. Des chiffres qui font dire à la gendarmerie que « malgré l’augmentation des situations qui exigent de recourir aux armes, c’est le plus faible niveau de coercition qui est toujours recherché et utilisé ».
Autre exercice de transparence : la communication du nombre de tués ou de blessés sur l’année écoulée. Quelque quatorze personnes ont ainsi été tuées lors d’interventions policières entre le 1er juillet 2017 et le 31 mai 2018 (onze mois). Ce chiffre comprend les individus abattus après avoir commis un acte terroriste, quatre personnes ayant mis fin à leurs jours au moment où la police intervenait, ainsi que quelques personnes étant décédées en ayant pris la fuite lors d’une intervention de police (accident, noyade, etc.). Mme Monéger-Guyomarc’h n’a toutefois pas donné plus de détails sur ce dernier indicateur.
Hausse de l’usage des pistolets à impulsion électrique
Le comptage des blessés, lui, concerne seulement la période allant du 1er juillet au 31 décembre 2017. Il se limite par ailleurs aux personnes ayant eu des incapacités totales de travail d’au moins huit jours. Un critère destiné à permettre à l’IGPN de se concentrer sur les « blessés sérieux ». Le but : mieux identifier les cas dans lesquels peut être améliorée la doctrine d’emploi.
Les armes à feu ne sont pas les seules à faire l’objet d’un usage plus intensif dans le bilan de l’IGPN. Si le recours à la grenade à main de désencerclement, souvent utilisée lors des manifestations contre la loi travail en 2016, a connu une baisse de 8 %, l’emploi des pistolets à impulsion électrique et lanceurs de balles de défense ont connu, eux aussi une hausse : de respectivement 20 % et 46 %. Soit, en valeur absolue, 1 403 déclarations d’usage pour les premiers, et 2 495 pour les seconds. « Malgré sa très mauvaise réputation, le pistolet à impulsion électrique permet de faire baisser la pression et de sauver des vies », a insisté Mme Monéger-Guyomarc’h.
Lire aussi : Les grenades de désencerclement, arme controversée du maintien de l’ordre
Ce bilan IGPN est enfin marqué par une hausse des enquêtes judiciaires à la suite d’allégations visant des fonctionnaires de police dans plusieurs catégories notables : « violences volontaires » (574 enquêtes ouvertes dans le bilan 2017 contre 543 au bilan en 2016), « violation du secret » (55 contre 47), et « vol » (125 contre 104). En matière « d’injures racistes », en revanche, il y a eu une légère baisse (de 42 à 32). Les enquêtes pour corruption quant à elles, sont stables (43). Le nombre total d’enquêtes ouvertes a été de 1 108, contre 1 015 au bilan 2016, soit un peu moins de 10 % d’augmentation.
Voir de plus:
Nantes : violences après la mort d’un jeune lors d’un contrôle de police
Un homme de 22 ans a été mortellement blessé par un policier lors d’un contrôle. Des violences ont éclaté dans trois quartiers sensibles de la ville
Jérémie Pham-Lê et Mehdi Pfeiffer
Le Parisien
04 juillet 2018
Un contrôle de police a dégénéré mardi soir, à Nantes (Loire-Atlantique), dans le quartier du Breil. Lors d’un contrôle effectué par des CRS, vers 20h30, « après des infractions commises par un véhicule », le jeune conducteur aurait refusé d’obtempérer et fait une marche arrière, percutant un policier. Un des collègues de celui-ci aurait alors tiré sur la voiture.
Le conducteur, âgé de 22 ans, aurait été touché au niveau de la carotide. Il est décédé à l’hôpital, vers 23 heures. Selon une source proche de l’enquête, il s’appelait Aboubakar F. , était natif de Garges-les-Gonesses, dans le Val d’Oise, et avait usurpé l’identité de Mamadou D.
Le jeune homme était connu de la police pour vol par effraction, menace de mort, vol en bande organisée et association de malfaiteurs. Il faisait l’objet d’un mandat d’arrêt pour vol en bande organisée et recel. Son véhicule avait été signalé dans le cadre d’une enquête pour trafic de stupéfiants.
Nantes : nuit de violences après le décès d’un jeune homme tué par la police A la suite du contrôle de police, des échauffourées ont éclaté dans le quartier du Breil entre plusieurs personnes encagoulées et la police, qui a été « prise à partie » avec des « jets de cocktails Molotov », selon le directeur départemental de la sécurité publique (DDSP), Jean-Christophe Bernard. Plusieurs bâtiments ont été incendiés, selon Ouest-France, ainsi que des véhicules en stationnement.
Trois quartiers touchés, jusqu’à 3 heures du matin
Les violences urbaines ont ensuite gagné les quartiers de Malakoff et des Dervallières, nécessitant la mobilisation de 200 membres des forces de l’ordre. Un peu avant 3 heures, ce mercredi matin, le calme semblait revenu dans les trois quartiers.
Aux Dervallières, une boulangerie, un coiffeur et un kebab ont été incendiés. La mairie annexe et la maison de la justice et du droit ont été détériorées. Les pompiers ont dû intervenir jusque très tard dans la nuit, au-delà de 3 heures ce mercredi matin.
Johanna Rolland, la maire PS de Nantes, s’est rendue aux Dervallières vers 2h30 pour appeler au calme. « Mes premières pensées vont à ce jeune homme mort, à sa famille, à tous les habitants de ce quartier, de nos quartiers », a-t-elle déclaré.
« La police et la justice dans son indépendance devront faire la clarté et la plus totale des transparences sur ce qui s’est passé ce soir », a-t-elle martelé, « mais l’urgence ce soir, c’est l’appel au calme dans nos quartiers ».
« Rien ne justifie de faire subir maintenant aux habitants, policiers et pompiers des incendies et violences », a réagi, moins diplomatiquement, François de Rugy, président de l’Assemblée nationale, député de Loire-Atlantique.
« Le SRPJ de Nantes et l’Inspection générale de la police nationale sont saisis de l’enquête afin de préciser la commission des faits et déterminer dans quelles circonstances le policier a été amené à faire usage de son arme », a précisé à l’AFP le procureur de la République de Nantes Pierre Sennès.
Il y a une semaine, au Breil, un tir de Kalachnikov dans la rue avait fait un blessé. A la suite de cet événement, des CRS avaient été envoyés en renfort dans le quartier.
Voir enfin
«Je ne suis pas un homme» : l’ultime naufrage du politiquement correct
Arnaud Benedetti
Le Figaro
05/07/2018
FIGAROVOX/TRIBUNE – Pour Arnaud Benedetti, l’épisode «Je ne suis pas un homme» ayant fait le tour des réseaux sociaux est l’expression absurde et tragicomique de la fin de course d’un certain conformisme idéologique.
Arnaud Benedetti est professeur associé à l’Université Paris-Sorbonne. Il vient de publier Le coup de com’ permanent (éd. du Cerf, 2018) dans lequel il détaille avec lucidité les stratégies de communication d’Emmanuel Macron.
Virale, la vidéo d’un responsable Inter-LGBT refusant d’être assimilé à sa masculinité fonctionne comme une formidable métaphore d’une fin d’époque. Sur le fond, la séquence dans sa drôlerie involontaire nous raconte l’effondrement d’une théorie dont le moteur poussé jusqu’à bout de chevaux engage son véhicule dans une spectaculaire sortie de route. Cette théorie n’est pas tant dans ses fondements celle du genre, pavillon désormais épouvantail de bien des revendications sociétales, que celle des tenants de la fameuse «construction sociale de la réalité», du titre éponyme de l’ouvrage désormais classique paru voici plus d’un demi-siècle sous la plume de Peter L. Berger et Thomas Luckmann, deux sociologues de la connaissance pour lesquels les stéréotypes, entre autres, contribuent au façonnage du monde, des identités, de tout ce qui relève à un degré ou un autre de ce que Durkheim appelait le «fait social». Cette thèse «constructiviste» qui voit in fine dans le regard des autres un puissant vecteur d’ordonnancement des sociétés fonctionnera très vite comme la boîte de Pandore de tous les apôtres de la déconstruction. Ces derniers verront dans l’analyse de Berger et Luckmann, non sans la surinterpréter voire la détourner, la porte étroite intellectuelle pour saper, subvertir, démonter les principes d’un «vieux monde» abhorré auquel ils veulent s’opposer et échapper. À partir du moment où ce sont les représentations sociales qui fondent le réel, il suffit de démonter celles-ci pour changer la société. Les soixante-huitards feront leur miel de ce parti pris! Ils dénonceront alors les mœurs de leurs pères à leurs yeux «aliénantes», «réactionnaires», «petite bourgeoises», autant de greniers poussiéreux dont ils rêveront de se débarrasser, accrochés qu’ils seront à leur imaginaire postadolescent nourri tout à la fois de Rimbaud et de Marcuse.
Au fur et à mesure des décennies, cette révolte libertaire s’est fait dogme, catéchisme, inquisition. Elle a alimenté un nouveau bréviaire, celui du «politiquement correct» qui, de manière inégale mais continue, a conditionné à son tour les réflexes de nombre des élites politiques, économiques, culturelles des sociétés occidentales, avec plus ou moins d’intensité selon les pays, mais avec cette même injonction à reconnaître pour inévitablement inéluctable la force irrésistiblement «progressiste» du sociétal, de ses groupes de pression et de ses revendications. La «contre-société» s’est muée en carcan sémantique d’abord, en sommation historiographique ensuite, en mise en demeure normative… Elle est devenue de facto le pouvoir. On ne compte plus les effets de cette nouvelle idéologie dominante sur le vocabulaire, les mémoires, les lois. Les dictionnaires, les livres d’histoire, les législations sont littéralement révisés pour faire stricto sensu droit aux exigences de cet agrégat de minorités rassemblées dans la même volonté d’imposer leur doxa à l’ensemble de l’espace public. Ainsi les mentions «père» et «mère» disparaissent au profit des neutralités lexicales «parent 1» et «parent 2» ; ainsi Jacques Chirac et Dominique de Villepin ne célèbrent pas Austerlitz en 2005 pour ne pas heurter les quelques activistes de la répression mémorielle et de l’anachronisme historique ; ainsi le législateur se fait traqueur de toutes les phobies réelles ou … supposées! Tout se passe comme si un aggiornamento sociétalement libertaire, inclusif, communautaire délimitait les termes du dicible et de l’indicible, du permis et de l’interdit, de l’acceptable et de l’inacceptable, du correct et de l’incorrect. La com’ et la publicité, dont le visionnaire Jacques Ellul avait compris la fonction éminemment propagandiste au service de l’hubris technicienne, ont balisé le terrain au quotidien, conditionnant, imprégnant, infusant une certaine idée de la mise au pas du verbe et de ses aspérités, du passé et de son irréductible altérité, de l’homme et de son aspiration au sacré.
L’emballement sociétal se radicalise à proportion que des résistances commencent à se faire jour, y compris parmi certains tenants prudents du «politiquement correct» . Cette radicalisation a ses icônes politiques dont la mairie de Paris, en France, constitue à sa façon le foyer. Elle s’incarne avec virulence dans l’obsession de la chasse symbolique au «mâle blanc cinquantenaire» , victime propitiatoire désignée de toutes les élites du postmodernisme. Elle se naufrage dans un excès de dénégation dont l’extrait de l’échange entre Daniel Schneidermann, producteur de l’émission d’Arrêts sur images et son interlocuteur autoproclamé «non-binaire (sic)» constitue en soi une expression anthologique de l’absurde, non pas d’un absurde existentiel, mais d’un absurde sociétal, stade ultime de l’infantilisme du politiquement correct qui achève ainsi sa course dans une tragi-comédie….
Voir par ailleurs:
Alors que M. Hollande veut supprimer le mot « race » de la Constitution, la romancière Nancy Huston et le biologiste Michel Raymond soutiennent que réduire nos comportements à la nature ou à la culture, est une impasse.
Nancy Huston et Michel Raymond
Le Monde
Sciences humaines et sciences naturelles ne font pas bon ménage. Quand les biologistes s’aventurent dans les domaines de l’anthropologie et de la psychologie, ils extrapolent souvent abusivement des causes matérielles aux conséquences sociales. L’homme fait certes partie de la nature, mais les lois biologiques expliquent-elles tous les comportements ? L’hérédité est certes un facteur puissant, mais comment nier que l’histoire des sociétés comme celle des individus a un impact sur notre identité ? Les analyses sociobiologiques des arts et des cultures, à force de se croire capables de tout expliquer à leur aune, laissent souvent sceptique.
Du côté des sciences humaines et sociales, c’est moins la boulimie que l’anorexie qui fait des ravages : penseurs et philosophes contemporains semblent avoir adopté pour devise la célèbre formule « Commençons par écarter tous les faits« . D’où vient cette cécité volontaire, obstinée, parfois loufoque, vis-à-vis des sciences naturelles ? En grande partie, bien sûr, de la catastrophe qu’a représentée, au XXe siècle, l’interprétation finaliste de la découverte darwinienne, qui a débouché sur l’idéologie nazie et sur sa traduction dans le réel.
Hitler croyait au déterminisme biologique, Hitler était un salaud, donc le déterminisme biologique n’existe pas : le caractère spécieux du raisonnement saute aux yeux. On aurait pu aussi bien tirer la conclusion inverse à partir des pratiques adoptées en Russie communiste au cours des mêmes années, où l’on envoyait les généticiens dans les camps et idolâtrait l’agronome Trofim Lyssenko (1898-1976), d’après qui l’hérédité était inexistante et la nature des plantes pouvait être modifiée à volonté par les conditions environnementales et les hommes. Malgré ces excès, l’idée que l’intervention volontariste peut être utile n’a pas été pourfendue autant que celle de la pertinence du biologique.
UNE DIFFÉRENCE BIOLOGIQUE
Certains domaines sont tout simplement désossés de toute influence biologique ; la thèse qui en résulte n’est pas bien différente d’une mythologie moderne. Ainsi de l’idée selon laquelle toutes les différences non physiologiques entre hommes et femmes seraient construites (« la théorie du genre« , introduite depuis peu dans les manuels scolaires français). Dans le monde vivant, mâles et femelles diffèrent toujours biologiquement, y compris pour une partie de leurs comportements, car chaque sexe a une façon spécifique de se reproduire, ainsi chez les gorilles, chimpanzés et bonobos, dont nous sommes les plus proches cousins.
Quelle force mystérieuse aurait effacé ces différences dans notre espèce à nous ? Les faits, quand on cherche à les connaître, nous montrent que déjà à la naissance – donc avant toute influence sociale – filles et garçons n’ont pas les mêmes comportements. Et comment ne pas reconnaître que le pic d’hormones de la puberté, que partagent les adolescents humains avec les adolescents chimpanzés, a une origine biologique et un effet marqué sur les comportements ? A cela s’ajoute bien évidemment une forte intervention sociale, qui aura le plus souvent tendance à exacerber les différences biologiques.
Autre exemple : celui des différences entre groupes humains. Il existe une multitude de races de chiens, neuf sous-espèces de girafes, quatre de chimpanzés, quelques variétés de mésanges bleues, une liste impressionnante de sous-espèces de ratons laveurs. Quel que soit le mot employé, il s’agit là de différences génétiques. Et chez Homo sapiens ? La fiction actuellement à la mode nous assène que les différences génétiques entre groupes humains sont proches de zéro, que la notion de race est scientifiquement infondée.
« AUSSITÔT TAXÉ D’ESSENTIALISME »
Idée aussi généreuse dans ses intentions politiques que farfelue sur le plan des faits. La diversité de l’espèce humaine est grande : une partie de notre héritage génétique est largement partagée, mais une autre est caractéristique de groupes géographiques. D’ailleurs, il suffit de séquencer le génome d’un inconnu pour savoir d’où proviennent ses ancêtres. Comment nommer ces différences ? Le mot « race » fait peur – il va du reste prochainement disparaître de la Constitution française, on se demande s’il sera suivi par « sexe » –, mais peu importe le terme, il s’agit de ne pas enseigner des inanités.
Ces mythes modernes ont en commun avec les religions de reposer sur la dénégation tranquille de faits physiques et biologiques avérés et irréfutables. Ils ont aussi en commun avec les religions de nous flatter et nous rassurer sur notre statut « unique« , « choisi« , « élu » parmi les espèces terriennes : loin de faire partie du règne animal et de la nature, nous assurent-ils, les humains jouiraient d’un statut à part. Les races et les sexes, c’est bon pour les plantes et les animaux. Nous, on est supérieurs ! On décide de notre propre sort !
Cet orgueil inné de l’humain est particulièrement coriace en France, où il se combine avec la certitude nationale de disposer d’une intelligence exceptionnelle. Ainsi les faits biologiques ont-ils tendance, ici, à être instantanément traduits en concepts philosophiques.
Si vous affirmez l’existence chez les humains de deux sexes, plutôt que d’un seul ou de toute une kyrielle, vous êtes aussitôt taxé d' »essentialisme ». Pourtant, dire que seules les femmes ont un utérus, ou que les hommes ont en moyenne un niveau de testostérone plus élevé qu’elles, ce n’est ni spéculer quant à l' »essence » de l’un ou l’autre sexe, ni promouvoir une idéologie sexiste, ni décréter l’infériorité des femmes par rapport aux hommes, ni recommander que les femmes soient tenues à l’écart de l’armée et les hommes des crèches, c’est énoncer des faits ! Des faits qui, en l’occurrence, ont eu un impact décisif sur l’histoire de l’humanité – son organisation sociale (patriarcat), familiale (mariage, primogéniture), politique (guerre). Nier la différence des sexes, c’est s’interdire toute possibilité de comprendre, donc d’avancer.
L’IDENTITÉ, RÉSULTAT DE NOS INTERACTIONS
De même, affirmer que Homo sapiens, à partir d’une même souche africaine voici soixante-dix mille à cent mille années, a évolué de façon relativement autonome dans différentes parties du globe et s’est peu à peu diversifié en sous-espèces, ou variétés, ou – pardon ! – races différentes, ce n’est pas une opinion, encore moins un décret politique, c’est une simple réalité. Elle n’implique aucun jugement de valeur ; la génétique moderne se contente de décrire.
Le racisme hitlérien, scientifiquement aberrant, s’enracinait – comme toutes les autres formes de racisme – dans des convictions autrement anciennes et tribales.
Notre identité biologique est elle-même le résultat, non seulement de l’hérédité, mais aussi de l’interaction avec le milieu dans lequel nous vivons. Depuis des millénaires, les populations humaines se sont adaptées au terrain, au climat et aux conditions de vie extrêmement variables d’une partie du globe à l’autre. Aujourd’hui, les différentes populations humaines n’ont ni la même pilosité, ni la même couleur de la peau, ni les mêmes maladies et systèmes de défense contre celles-ci.
Les médecins savent qu’il existe une variation dans la réponse aux médicaments – les psychotropes par exemple – selon le groupe auquel appartient le malade. Les Inuits sont adaptés au froid, tout comme les sherpas de l’Himalaya sont adaptés à la vie en altitude. Même si des traits culturels interviennent également, ces adaptations sont génétiques.
DÉPASSER UNE CÉCITÉ RÉCIPROQUE
L’évolution ne s’arrête jamais. Ces différents groupes humains donneront-ils à l’avenir de véritables espèces ne pouvant plus se croiser ? C’est une possibilité, assez banale dans l’histoire des mammifères et plusieurs fois observée dans notre lignée évolutive récente. A l’inverse, si les reproductions entre les groupes actuels deviennent très fréquentes, cela pourrait homogénéiser l’ensemble. On en est bien loin, même aux Etats-Unis. A l’heure actuelle, donc, les groupes humains génétiquement différenciés existent.
Soulignons au passage que la différence des sexes est d’une autre nature que celle-là, car les sexes ne se métissent pas : en croisant un mâle et une femelle, on n’obtient ni un hermaphrodite ni une transsexuelle mais, dans la quasi-totalité des cas, un mâle ou une femelle. La connaissance du vivant n’a pas à se soumettre au choix politique entre droite conservatrice, qui exagère toujours le poids du donné, et gauche révolutionnaire, qui croit tout transformable. Il est temps de passer outre ces réponses simplistes à des questions infiniment difficiles, car si nous continuons à ignorer et à maltraiter le monde, nous risquons de compromettre nos chances de survie. L’antagonisme entre nature et culture est intenable. L’être humain est un animal pas comme les autres : pas facile d’accepter vraiment les deux parties de cette phrase en même temps !
Comme l’on ne disposera jamais d’un discours unique, capable de rendre compte de sa complexité, au lieu de se cantonner dans le sectarisme et le dogmatisme qui conduisent à la cécité réciproque, nous avons tout intérêt à partager nos différents savoirs. Ceux d’entre nous qui gagnent leur vie par la pensée devraient donner l’exemple en matière de modestie et de curiosité.
JUST ASK THE FRENCH !
« Just ask the French football team. Not all of those folks looked like Gauls to me. But they’re French! »
Barack Hussein Obama
IN REALITY, AFRICA WON THE WORLD CUP
« The French team seems like the African team, in reality Africa won, the African immigrants who arrived in France. How much have they despised Africa, and in the football World Cup France won the trophy thanks to African players or the sons of Africans.
Nicolas Maduro
https://www.news24.com/Africa/News/in-reality-africa-won-the-world-cup-says-venezuelas-maduro-20180717
J’aimeJ’aime
WHY CANT THEY BE BOTH ? (Truth on this side of the Atlantic, error on the other side)
http://www.vulture.com/2018/07/trevor-noah-is-apparently-feuding-with-the-french-ambassador.html
J’aimeJ’aime
L’annonce par Emmanuel Macron du retour du tragique dans l’histoire européenne n’empêche pas les parlementaires français de se vautrer dans le comique. Il est vrai que le Président, pour les distraire, leur a offert la Constitution en joujou. Tel l’enfant qui, devant un beau dessin, ne peut s’empêcher de l’enrichir en le barbouillant, nos députés ont ainsi entrepris d’attaquer le patrimoine juridique républicain à coups d’amendements. Au programme notamment, la suppression du vilain mot « race » de l’article premier de la Constitution -un texte de 1946 qui avait pourtant pour intention de marquer, après l’épisode nazi, l’incompatibilité du racisme avec la conception républicaine de la loi. Preuve qu’au Parlement aussi le niveau baisse, l’amendement révisionniste a été voté à l’unanimité par la Commission des lois. En 2008, une grande figure de l’ancien monde, Robert Badinter, s’était opposée avec panache, au Sénat, à cette réforme absurde promise alors par le candidat Hollande. L’entreprise de rectification du vocabulaire juridique (le mot « race » a d’ores et déjà été supprimé des lois françaises en mai 2013) consacre une campagne d’une quinzaine d’années qui demeurera sans doute, au regard des historiens du futur, comme une expression de l’esprit (si l’on peut dire) de notre temps. Elle est une variante française du political correctness, « cette pratique politique importée d’outre-Atlantique qui ambitionne de moraliser les mœurs en corrigeant le langage. (…) Le principal argument relève de la plus élémentaire logique: la référence à la race est nécessaire pour formuler la prohibition de la distinction fondée sur la race. C’est un argument simple mais imparable: faire disparaître le mot race de l’énoncé des distinctions interdites revient à faire disparaître la condamnation solennelle du racisme par la Constitution. De la nouvelle formulation, en effet, on pourra déduire, au mieux que la condamnation du racisme est moins essentielle que celle des discriminations fondées sur l’origine, la religion ou le sexe, au pire, que les discriminations fondées sur la race seront désormais constitutionnelles (…) Robert Badinter avançait deux autres arguments: la nécessité de maintenir une cohérence juridique entre textes français et internationaux en matière de condamnation du racisme, et celle de respecter les textes historiques. « On ne peut détacher certains textes solennels et riches de portée de leur origine » assénait-il avec justesse. Ce dernier point me paraît crucial sur le plan politique. Sans leur ancrage dans la chair de l’Histoire, les principes universels « abstraits par essence » n’ont d’autre point d’appui que le ciel des idées. Dans la société de l’innovation permanente, comment transmettre aux générations futures le sens de la transcendance et de la fixité des principes si l’on entreprend ainsi de « ringardiser » ou de désacraliser les textes fondateurs de la tradition républicaine, ce au nom de l’évidente supériorité de la dernière idéologie en vogue? Le jeunisme -le culte du nouveau, l’arrogance de la « nouvelle génération », des derniers-nés et des derniers élus, la perte du lien qui nous unit au passé fondateur -risque fort de nous plonger dans le relativisme, en disloquant l’identité républicaine qui constitue la colonne vertébrale de la nation française. (…) La Constitution n’est pas un cours de biologie: la notion de race renvoie à l’identification bien réelle de groupes humains par des traits naturels; qu’une telle identification ait ou non une pertinence du point de vue de la génétique est une question qui intéresse la science, pas le droit. La confusion entre le droit et la science, faut-il le préciser, nuit non seulement au droit (lequel définit des normes qui, fort heureusement, peuvent être affirmées sans dépendre de la connaissance scientifique) mais aussi à la science (la fabrication législative de « vérités officielles » garanties par l’État étant incompatible avec le principe de la liberté de la recherche). Les deux autres confusions « fondent » le politiquement correct: on entend régler par la loi non seulement les conduites (en prohibant les pratiques discriminatoires du législateur et des citoyens) mais aussi les esprits (en prohibant au nom du Bien la distinction intellectuelle de groupes raciaux au sein de l’humanité); et on entend régler les esprits en réformant le langage. On se trompe ainsi sur la nature du droit, en lui assignant un objectif qu’il ne peut pas tenir, et on se trompe (naïvement et doublement) sur la nature du langage, en croyant possible de faire disparaître la chose par la neutralisation du concept, et de neutraliser le concept par la suppression du mot qui sert à l’exprimer. On ne lutte pas efficacement contre la rage en supprimant le mot « chien » des dictionnaires, et en supprimant le mot « chien » des dictionnaires on n’empêcherait personne de concevoir l’idée du chien. (…) Si l’on avait voulu préserver l’esprit de l’humanisme authentique tout en relativisant la portée du mot « race », il eût été possible de conserver celui-ci en l’accompagnant de la mention « réelle ou supposée ». Conserver la référence à la notion de « race » aurait précisément eu pour vertu de souligner la distance de l’humanisme à l’égard du biologisme, c’est-à-dire de marquer l’indépendance vis-à-vis de la science de l’affirmation de l’unité du genre humain. Que l’on puisse ou non distinguer des variantes génétiques au sein de l’espèce humaine n’a en effet, sur le plan de la morale et du droit, strictement aucune importance. Ces considérations, objectera-t-on, sont purement spéculatives. En pratique, la majorité morale -même si elle ne sait plus très bien pourquoi -n’entend pas revenir sur l’abolition de l’esclavage ni proclamer l’égalité animale. Elle n’est pas non plus disposée à promouvoir une législation raciste. La réforme constitutionnelle ne changera rien. Le concept de race lui-même résistera à la prohibition du mot en se formulant autrement. Les hommes continueront à voir des races comme ils continueraient à voir des couchers de soleil quand bien même on leur expliquerait que la notion n’a aucune réalité du point de vue de l’astrophysique. En pratique cependant, la question du racisme et des moyens de lutter contre celui-ci va continuer de se poser.
Eric Deschavanne
https://www.huffingtonpost.fr/eric-deschavanne/pourquoi-supprimer-le-mot-race-de-la-constitution-est-une-grave-bourde-philosophique_a_23478654/
J’aimeJ’aime
QUEL POIDS LEGER QUI A BESOIN D’OBAMA POUR NOUS DIRE COMMENT VOTER ?
Justin Trudeau … a eu beau décréter que le pays était désormais postnational, sa défaite ou sa réélection minoritaire reposeront en grande partie sur les irréductibles nationalistes québécois. Le dieu de la modernité politique canadienne est ainsi déboulonné. Son règne débuté avec une orgie de selfies s’est poursuivi dans une farandole de déguisements, au point de briser son image de séducteur mignon, néanmoins féministe, qu’il a imposée à travers la planète. Ses déclarations diverses, fruit d’un comité de stratèges politiques de haute voltige peu enclins à pratiquer l’humilité, mais plutôt attirés par la politique spectacle, ont fini par semer le doute dans l’esprit de nombre de citoyens. Plus grave encore, le fait de faire son mea culpa avec des sanglots dans la voix devant certaines communautés culturelles religieuses ou ethniques, choisies en fonction de ses propres intérêts ou de son cœur sensible, a suscité des doutes chez d’autres groupes de victimes de la méchanceté d’exploiteurs méprisables qui se sentent négligés par lui. Le premier ministre a perdu des plumes, sans jeu de mots, aux yeux des autochtones. N’oublions pas que la démission fracassante de la ministre Jody Wilson-Raybould, en février, a été perçue fort négativement par ces derniers. Même si Justin Trudeau justifiait sa décision politique de se débarrasser de sa ministre, il aurait dû savoir que cette figure majeure du combat autochtone, qu’il avait nommée, ne nous le cachons pas, parce qu’elle était femme et autochtone, lui liait en quelque sorte les mains. La discrimination positive que prône le premier ministre multiculturaliste est à ce prix.
Le chef du PLC prend les Québécois pour des idiots, disons-le clairement. Devant le résultat des sondages dévastateurs pour lui, il est débarqué mercredi à Montréal avec un nombre impressionnant de ministres et de candidats pour mettre en garde les électeurs francophones – les Anglos lui étant déjà acquis en quasi-majorité. Il annonce que le français ne sera plus protégé sans lui au pouvoir. Il répète qu’il est en faveur de la laïcité, mais on sait qu’il interviendra « si nécessaire » pour contester la loi 21. De plus, il assure que son gouvernement est « aligné avec les valeurs des Québécois ». C’est à voir. Son multiculturalisme est à l’extrême opposé du nationalisme des Québécois. Comme son père avant lui, Justin Trudeau exècre ce qu’il perçoit comme intolérance, discrimination et fermeture aux autres. Il vit le nationalisme comme une excroissance visqueuse qui entache la démocratie anglo-canadienne. Justin Trudeau sort plus qu’affaibli de cette campagne. Il se révèle tel qu’en lui-même : un poids léger qui a besoin d’Obama pour nous dire comment voter. Il dit la chose et son contraire. Il croit incarner le progrès, mais il le confond avec les modes du moment, des modes vite dépassées.
Denise Bombardier
https://www.journaldemontreal.com/2019/10/18/le-perdant-justin-trudeau
J’aimeJ’aime
WHAT NEW ANTIRACIST OBSCURANTISM ? (Arguing that no substantial differences among human populations are possible will not only lose scientists the trust of the public, but invite the very racist misuse of genetics that they wish to avoid)
“When are you guys going to figure out why it is that you Jews are so much smarter than everyone else?”
James Watson
It is true that race is a social construct. It is also true, as Dr. Lewontin wrote, that human populations “are remarkably similar to each other” from a genetic point of view. But over the years this consensus has morphed, seemingly without questioning, into an orthodoxy. The orthodoxy maintains that the average genetic differences among people grouped according to today’s racial terms are so trivial when it comes to any meaningful biological traits that those differences can be ignored. The orthodoxy goes further, holding that we should be anxious about any research into genetic differences among populations. The concern is that such research, no matter how well-intentioned, is located on a slippery slope that leads to the kinds of pseudoscientific arguments about biological difference that were used in the past to try to justify the slave trade, the eugenics movement and the Nazis’ murder of six million Jews. I have deep sympathy for the concern that genetic discoveries could be misused to justify racism. But as a geneticist I also know that it is simply no longer possible to ignore average genetic differences among “races.” Groundbreaking advances in DNA sequencing technology have been made over the last two decades. These advances enable us to measure with exquisite accuracy what fraction of an individual’s genetic ancestry traces back to, say, West Africa 500 years ago — before the mixing in the Americas of the West African and European gene pools that were almost completely isolated for the last 70,000 years. With the help of these tools, we are learning that while race may be a social construct, differences in genetic ancestry that happen to correlate to many of today’s racial constructs are real. Recent genetic studies have demonstrated differences across populations not just in the genetic determinants of simple traits such as skin color, but also in more complex traits like bodily dimensions and susceptibility to diseases. For example, we now know that genetic factors help explain why northern Europeans are taller on average than southern Europeans, why multiple sclerosis is more common in European-Americans than in African-Americans, and why the reverse is true for end-stage kidney disease. I am worried that well-meaning people who deny the possibility of substantial biological differences among human populations are digging themselves into an indefensible position, one that will not survive the onslaught of science. I am also worried that whatever discoveries are made — and we truly have no idea yet what they will be — will be cited as “scientific proof” that racist prejudices and agendas have been correct all along, and that those well-meaning people will not understand the science well enough to push back against these claims. This is why it is important, even urgent, that we develop a candid and scientifically up-to-date way of discussing any such differences, instead of sticking our heads in the sand and being caught unprepared when they are found. To get a sense of what modern genetic research into average biological differences across populations looks like, consider an example from my own work. Beginning around 2003, I began exploring whether the population mixture that has occurred in the last few hundred years in the Americas could be leveraged to find risk factors for prostate cancer, a disease that occurs 1.7 times more often in self-identified African-Americans than in self-identified European-Americans. This disparity had not been possible to explain based on dietary and environmental differences, suggesting that genetic factors might play a role. (…) While most people will agree that finding a genetic explanation for an elevated rate of disease is important, they often draw the line there. Finding genetic influences on a propensity for disease is one thing, they argue, but looking for such influences on behavior and cognition is another. But whether we like it or not, that line has already been crossed. A recent study led by the economist Daniel Benjamin compiled information on the number of years of education from more than 400,000 people, almost all of whom were of European ancestry. After controlling for differences in socioeconomic background, he and his colleagues identified 74 genetic variations that are over-represented in genes known to be important in neurological development, each of which is incontrovertibly more common in Europeans with more years of education than in Europeans with fewer years of education. It is not yet clear how these genetic variations operate. A follow-up study of Icelanders led by the geneticist Augustine Kong showed that these genetic variations also nudge people who carry them to delay having children. So these variations may be explaining longer times at school by affecting a behavior that has nothing to do with intelligence. This study has been joined by others finding genetic predictors of behavior. One of these, led by the geneticist Danielle Posthuma, studied more than 70,000 people and found genetic variations in more than 20 genes that were predictive of performance on intelligence tests. (…) You will sometimes hear that any biological differences among populations are likely to be small, because humans have diverged too recently from common ancestors for substantial differences to have arisen under the pressure of natural selection. This is not true. The ancestors of East Asians, Europeans, West Africans and Australians were, until recently, almost completely isolated from one another for 40,000 years or longer, which is more than sufficient time for the forces of evolution to work. Indeed, the study led by Dr. Kong showed that in Iceland, there has been measurable genetic selection against the genetic variations that predict more years of education in that population just within the last century. To understand why it is so dangerous for geneticists and anthropologists to simply repeat the old consensus about human population differences, consider what kinds of voices are filling the void that our silence is creating. Nicholas Wade, a longtime science journalist for The New York Times, rightly notes in his 2014 book, “A Troublesome Inheritance: Genes, Race and Human History,” that modern research is challenging our thinking about the nature of human population differences. But he goes on to make the unfounded and irresponsible claim that this research is suggesting that genetic factors explain traditional stereotypes. One of Mr. Wade’s key sources, for example, is the anthropologist Henry Harpending, who has asserted that people of sub-Saharan African ancestry have no propensity to work when they don’t have to because, he claims, they did not go through the type of natural selection for hard work in the last thousands of years that some Eurasians did. There is simply no scientific evidence to support this statement. Indeed, as 139 geneticists (including myself) pointed out in a letter to The New York Times about Mr. Wade’s book, there is no genetic evidence to back up any of the racist stereotypes he promotes. Another high-profile example is James Watson, the scientist who in 1953 co-discovered the structure of DNA, and who was forced to retire as head of the Cold Spring Harbor Laboratories in 2007 after he stated in an interview — without any scientific evidence — that research has suggested that genetic factors contribute to lower intelligence in Africans than in Europeans. At a meeting a few years later, Dr. Watson said to me and my fellow geneticist Beth Shapiro something to the effect of “When are you guys going to figure out why it is that you Jews are so much smarter than everyone else?” He asserted that Jews were high achievers because of genetic advantages conferred by thousands of years of natural selection to be scholars, and that East Asian students tended to be conformist because of selection for conformity in ancient Chinese society. (Contacted recently, Dr. Watson denied having made these statements, maintaining that they do not represent his views; Dr. Shapiro said that her recollection matched mine.) What makes Dr. Watson’s and Mr. Wade’s statements so insidious is that they start with the accurate observation that many academics are implausibly denying the possibility of average genetic differences among human populations, and then end with a claim — backed by no evidence — that they know what those differences are and that they correspond to racist stereotypes. They use the reluctance of the academic community to openly discuss these fraught issues to provide rhetorical cover for hateful ideas and old racist canards. This is why knowledgeable scientists must speak out. If we abstain from laying out a rational framework for discussing differences among populations, we risk losing the trust of the public and we actively contribute to the distrust of expertise that is now so prevalent. We leave a vacuum that gets filled by pseudoscience, an outcome that is far worse than anything we could achieve by talking openly. (…) For me, a natural response to the challenge is to learn from the example of the biological differences that exist between males and females. The differences between the sexes are far more profound than those that exist among human populations, reflecting more than 100 million years of evolution and adaptation. Males and females differ by huge tracts of genetic material — a Y chromosome that males have and that females don’t, and a second X chromosome that females have and males don’t. Most everyone accepts that the biological differences between males and females are profound. In addition to anatomical differences, men and women exhibit average differences in size and physical strength. (There are also average differences in temperament and behavior, though there are important unresolved questions about the extent to which these differences are influenced by social expectations and upbringing.) How do we accommodate the biological differences between men and women? I think the answer is obvious: We should both recognize that genetic differences between males and females exist and we should accord each sex the same freedoms and opportunities regardless of those differences. It is clear from the inequities that persist between women and men in our society that fulfilling these aspirations in practice is a challenge. Yet conceptually it is straightforward. And if this is the case with men and women, then it is surely the case with whatever differences we may find among human populations, the great majority of which will be far less profound. (…) It is important to face whatever science will reveal without prejudging the outcome and with the confidence that we can be mature enough to handle any findings. Arguing that no substantial differences among human populations are possible will only invite the racist misuse of genetics that we wish to avoid.
David Reich (Harvard)
J’aimeJ’aime