Nuit debout: Les carnavals ne coûtent pas cher (Always concerned: Five years after OWS, Paris’s indignants discover the heady pleasures of falling in love with yourself)

OWS
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Hijabforaday
La dictature, c’est « ferme ta gueule », et la démocratie, c’est « cause toujours ». Woody Allen
Je hais la réalité mais c’est quand même le meilleur endroit où se faire servir un bon steak. Woody Allen
Lorsque des corps se rassemblent pour manifester leur indignation et affirmer leur existence plurielle dans l’espace public, ils expriment aussi des demandes plus vastes. Ils demandent à être reconnus et valorisés ; ils revendiquent le droit d’apparaître et d’exercer leur liberté ; ils réclament une vie vivable. Judith Butler
On sait (…) que, en mai-juin 1968 comme durant l’année 1968 elle-même, des manifestations ont lieu aussi aux États-Unis, en Belgique, en RFA, en Italie, en Grande-Bretagne, en Suède, aux Pays-Bas, etc. Celles-ci posent la question des interactions activistes et idéologiques internationales, centrale pour penser la structuration des espaces militants et des logiques de crise à cette autre échelle pertinente qu’est l’échelle occidentale. Mais nous manquons à ce jour d’études circonstanciées qui auraient permis d’en apercevoir les mécanismes concrets, empiriquement constatables et théoriquement problématisables. Le repérage des familiarités idéologiques et des voyages militants d’un territoire à l’autre, moins encore la simple juxtaposition panoramique, très courante, des luttes et des mouvements, ne sauraient suffire à éclairer le problème du comparatisme entre des contextes très différents, d’autant que celui-ci, déjà crucial en ce qui concerne l’Occident, se complexifie avec l’irruption de mobilisations au Japon, dans l’Espagne franquiste, en Yougoslavie, au Sénégal, en Europe de l’Est, au Brésil, au Mexique, dans toute l’Amérique latine. Le choix de la France se justifie aussi par sa spécificité : nous ne trouvons pas ailleurs une telle synchronisation des crises étudiante et ouvrière, une telle extension à l’ensemble du salariat, un tel vacillement du régime. Boris Gobille
Je dis aux jeunes : cherchez un peu, vous allez trouver. La pire des attitudes est l’indifférence, dire « je n’y peux rien, je me débrouille ». En vous comportant ainsi, vous perdez l’une des composantes essentielles qui fait l’humain. Une des composantes indispensable : la faculté d’indignation et l’engagement qui en est la conséquence. Stéphane Hessel (2010)
Créer, c’est résister. Résister, c’est créer. Stéphane Hessel
Prenez le relais, indignez-vous ! Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l’ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l’actuelle dictature internationale des marchés financiers qui menace la paix et la démocratie. Stéphane Hessel
Si je peux oser une comparaison sur un sujet qui me touche, j’affirme ceci : l’occupation allemande était, si on la compare par exemple avec l’occupation actuelle de la Palestine par les Israéliens, une occupation relativement inoffensive, abstraction faite d’éléments d’exception comme les incarcérations, les internements et les exécutions, ainsi que le vol d’œuvres d’art. Stéphane Hessel
Vous avez peur d’être culturellement minoritaires. Mais ça va se passer. Ça va se passer. Ça s’appelle une mutation. L’Europe va muter. Elle a déjà muté. Il ne faut pas avoir peur. Cette transformation est peut-être effrayante pour certains, mais ils ne seront plus là pour en voir l’aboutissement. Leonora Miano (Prix Femina 2013)
Le bobo naît du croisement entre l’aspiration bourgeoise à une vie confortable et l’abandon bohème des exigences du devoir pour les élans du désir, de la durée pour l’intensité, des tenues et des postures rigides, enfin pour une décontraction ostentatoire. Le bobo veut jouer sur les deux tableaux : être pleinement adulte et prolonger son adolescence à n’en plus finir.  Alain Finkielkraut
« Bobo », j’en suis un. Je mentirais en disant que je regarde de l’extérieur cette tentative de synthèse entre le bourgeois classique et l’artiste ou, si l’on préfère, le bohème. D’autant que c’est une création de la génération de 68. Ce que je reproche à certains bobos, c’est de se payer de mots. Ainsi vantent-ils sans cesse les vertus du métissage et vivent-ils dans des immeubles ultra-protégés, plaçant leurs enfants dans des établissements socialement et même ethniquement homogènes. Alain Finkielkraut
Si toi aussi tu penses que toutes les femmes devraient avoir le droit de se vêtir comme elles le souhaitent et d’être respectées dans leur choix (..) alors rejoins-nous ! Collectif Hijab day de Sciences Po
Dans le contexte actuel, ce n’était pas la meilleure des idées. Mais cela signifie «Dieu est le plus grand». Un combattant brésilien avait «Jésus» inscrit sur son short et on n’en a pas fait tout un plat. Quant aux autres propos, si un énergumène tatoué de croix gammées confond «Salam aleykoum» avec les prénoms des deux terroristes en question, on ne peut rien y faire. Jean-François Collet (organisateur de combats de boxe suisse)
Contrairement à ce que nous aimerions croire, il n’existe pas de collectif dépourvu de structure. Quelle que soit leur nature, les groupes humains finissent toujours par se structurer. Leur organisation peut s’avérer plus ou moins souple, varier dans le temps et distribuer les tâches, les ressources et le pouvoir de façon plus ou moins égale. Mais elle se cimente indépendamment des compétences, de la personnalité ou des intentions des personnes impliquées : il s’agit d’un phénomène inévitable dès lors que nous sommes des individus aux talents, prédispositions et parcours variés. L’absence de structure requerrait que nous refusions d’entrer en contact les uns avec les autres ; un non-sens pour des groupes humains. L’espoir de créer des groupes dépourvus de structure ressemble donc à celui de disposer d’une information objective (…) ou d’évoluer dans une économie libre ; l’idée d’un groupe fonctionnant sur la base du « laisser-faire » semble aussi réaliste que celle d’une société organisée autour du même principe. L’ambition offre, dans les faits, un écran de fumée derrière lequel les puissants et les chanceux imposent leur hégémonie, que nul n’interroge. Cette domination prend d’autant plus facilement racine que l’ambition formelle de se départir des structures n’empêche pas leur apparition de manière informelle. De la même façon, la philosophie du « laisser-faire » n’interdit pas aux secteurs dominants de l’économie de contrôler les salaires, les prix et la distribution : elle se contente de priver l’Etat de la possibilité de le faire. L’absence de structure cache le pouvoir et, dans le mouvement féministe, l’idée séduit en particulier les personnes les mieux placées pour en profiter (qu’elles en soient conscientes ou non). Pour que chacun puisse avoir la possibilité de s’impliquer dans un groupe (…) les règles de prise de décision doivent être transparentes, et cela n’est possible que si elles ont été formalisées. (…) La question n’est donc pas de choisir entre structure et absence de structure, mais entre structure formelle et structure informelle. Joreen Freeman
No wise politician should invest in the bunch like those rampaging in Oakland. Their nocturnal frolics are a long way from Woody Guthrie’s Deportee, the Hobos’ « Big Rock Candy Mountain, » and the world John Steinbeck fictionalized. It is the angst of the wannabe class, overeducated and underemployed, which chooses to live not in Akron or Fowler, but in tony places like the Bay Area or New York, where annual rents are far more than a down payment on a starter house in the Midwest. Being educated, but broke and in proximity to the wealthy of like upbringing and background, are ingredients for riot. (…) Apparently, most middle-class and upper-middle class liberals—many of them (at least from videos) young and white—are angry at the “system.” And so they are occupying (at least until it gets really cold and wet) financial districts, downtowns, and other areas of commerce across the well-reported urban landscape. As yet there is no definable grievance other than anger that others are doing too well, and the protestors themselves are not doing at all well, and the one has something to do with the other. I am not suggesting union members and the unemployed poor are not present, only that the tip of the spear seems to be furious young middle class kids of college age and bearing, who mope around stunned, as in “what went wrong? » Then there is a wider, global phenomenon of the angry college student. In the Middle East, much of the unrest, whether Islamist, liberal, or hard-core leftist, is fueled by young unemployed college graduates. Ditto Europe in general, and Greece in particular: The state subsidizes college loans and the popular culture accepts an even longer period between adolescence and adulthood, say between 18 and 30 something. Students emerge “aware,” but poorly educated, highly politicized, and with unreal expectations about their market worth in an ossifying society, often highly regulated and statist. (…) Students with such high opinions of themselves are angry that others less aware—young bond traders, computer geeks, even skilled truck drivers—make far more money. Does a music degree from Brown, a sociology BA in progress from San Francisco State, two years of anthropology at UC Riverside count for anything? They are angry at themselves and furious at their own like class that they think betrayed them. After all, if a man knows about the construction of gender or a young woman has read Rigoberta Menchu, or both have formed opinions about Hiroshima, the so-called Native American genocide, and gay history, why is that not rewarded in a way that derivatives or root canal work surely are? Victor Davis  Hanson
The autumn protests, which had some resonance with the American people who were burned by Wall Street and resent its bailouts and mega-bonuses that weren’t performance based, have degenerated into a wintery vagrancy and sixties-style street carnival. It wasn’t ever a movement that could translate directly into political advantage the way the Tea Party led to the near-historic 2010 midterm upheavals, given its incoherence. For who exactly were the culpable 1 percent on Wall Street — liberal former governor Jon Corzine, under whose leadership MF Global’s speculation led to bankruptcy and a missing $600 million? Clintonite Jamie Gorelick, who took $26 million from a bankrupt Fannie Mae for her financial brilliance? The banking expert Rahm Emanuel who went in and out of the financial world rather quickly for his $16 million? Peter Orszag, who went through the revolving door from OMB to Citigroup in a wink? Franklin Rains, Chris Dodd (of Countrywide fame), Jim Johnson, or the profit-minded Pelosis? Perhaps George Soros, whose currency speculations nearly broke the Bank of England? What about Barack Obama, the largest recipient of Wall Street cash in history, a bounty that in part allowed him to be the first candidate in over 30 years to renounce public campaign financing? (…) So the protesters never had clear targets, inasmuch as Wall Street money in 2008 went heavily for Obama, an expert in garnering Goldman Sachs and BP cash. Otherwise, its peripheral messages were incoherent or anarchic, and turned off rather than won over most Americans. Occupy Wall Street did, however, raise one important issue: that of higher education and its role in increasing tuition and little commensurate education. So much of the angst in video clips and op-eds was voiced by a youthful upper middle class who went to the university, majored either in social science or liberal arts, piled up debt, faced almost no employment choices commensurate with their class and their educational brand — and thus were furious at the more profit-minded members of a like class for abandoning them. Revolutionary movements throughout history are so often sparked by the anger, envy, and disappointments of an upper-middle cohort, highly educated, but ill-suited for material success in the existing traditional landscape. Victor Davis  Hanson
How did the « Occupy » movement acquire such immunity from the laws that the rest of us are expected to obey? Simply by shouting politically correct slogans and calling themselves representatives of the 99 percent against the 1 percent. (…) Democracy does not mean mob rule. (…) In San Francisco, when the mob smashed the plate-glass window of a small business shop, the owner put up some plywood to replace the glass, and the mob wrote graffiti on his plywood. The consequences? None for the mob, but a citation for the shop owner for not removing the graffiti. When trespassers blocking other people at the University of California, Davis refused to disperse, and locked their arms with one another to prevent the police from being able to physically remove them, the police finally resorted to pepper spray to break up this human logjam. The result? The police have been strongly criticized for enforcing the law. (…) If we (…) refuse to enforce the law, the steady erosion of Constitutional protections will ultimately render it meaningless. Everything will just become a question of whose ox is gored and what is the political expediency of the moment. There has been much concern, rightly expressed, about the rusting of bridges around the country, and the crumbling and corrosion of other parts of the physical infrastructure. But the crumbling of the moral infrastructure is no less deadly. The police cannot maintain law and order, even if the political authorities do not tie their hands in advance or undermine them with second-guessing after the fact. The police are the last line of defense against barbarism, but they are equipped only to handle that minority who are not stopped by the first lines of defense, beginning with the moral principles taught at home and upheld by families, schools, and communities. But if everyone takes the path of least resistance — if politicians pander to particular constituencies and judges give only wrist slaps to particular groups or mobs who are currently in vogue, and educators indoctrinate their students with « non-judgmental » attitudes — then the moral infrastructure corrodes and crumbles. The moral infrastructure is one of the intangibles, without which the tangibles don’t work. Like the physical infrastructure, its neglect in the short run invites disaster in the long run. Thomas Sowell
Depuis le 30 mars la Place de la République est occupée par un mouvement brownien, Nuit Debout. En parfaite autogestion, la jeunesse et ses alliés donnent à la Place des airs de jungle de Calais avec un soupçon de Place Tahrir. Les médias adorent ce peuple en convergence de lutte, les AG interminables, les petites idées inscrites au feutre sur de grandes feuilles blanches, leur cantine et leur détermination. Des jeunes journalistes tendent le micro aux jeunes Nuits Debout : « ils exigent le retrait pur et simple de la loi El Khomri. » En marge, c’est toujours en marge que ça se passe et que ça casse, des cagoulés par centaines attaquent la police et des agences bancaires. Cinq ou six sont interpellés. Les Nuits Debout, affairés à ranger des idées vintage sur les présentoirs de leur pop-up store, nient tout lien avec les petits casseurs. Ils ne cherchent même pas à savoir comment, dans le nouveau monde qu’ils prétendent esquisser, on pourrait gérer cette violence qui se retournera un jour contre eux. Les pacifistes de la Place de la République, debout aux côtés d’un monument aux morts improvisé aux prémices d’une guerre mal assumée, se couchent devant les tueurs sauvages qui nous guettent. Ça commence en octobre 2000. En marge, c’est toujours en marge, d’une manifestation pro-palestinienne provoquée par la mise en scène de la « mort du petit Mohamed al Dura » on crie « mort aux Juifs ». La police ne bouge pas. Les MRAP et autres antiracistes ne se retirent pas. L’important c’est d’inscrire au sein du mouvement le message « Israël criminel » et si quelques Juifs devaient payer le prix fort par la suite tant pis, le peuple aura parlé. Les pacifistes de 2003 s’en prennent aux Juifs pour mieux exprimer leur opposition à l’ « invasion » de l’Irak par ces maudits Américains. Et ainsi de suite : bon an mal an les citoyens se sont habitués aux manifestations de haine humaniste, de violence pacifiste, des incontrôlés fidèles au poste, aux jours de colère, aux morts aux Juifs et à la mort des Juifs. Ici, en France. Et bien entendu là-bas en Israël comme ça se mérite. Jusqu’au comble de l’enthousiasme en 2014 où on fête le 13 juillet en assiégeant des fidèles dans une synagogue parisienne. S’affichant sans pudeur pro-Hamas, les Gaza-Mon-Amour se foutent des interdictions de manifester, cassent du flic, sèment la destruction à Barbès, pourchassent des Juifs dans le Marais et brûlent leurs commerces à Sarcelles … Le 26 juillet le drapeau noir du djihad flotte aux pieds de Marianne, Place de la République. Six mois plus tard les djihadistes frappent la France : Charlie Hebdo, Montrouge, Hyper Cacher. Le peuple se redresse. Ils sont des millions dans toute la France. Debout. Le mot djihad entre enfin dans le vocabulaire et les esprits. On pense avoir vu le pire mais le pire reste à venir. L’exploit Charlie n’est qu’une mise en bouche. Des djihadistes, quelle surprise, reviennent du califat niché dans les rangs des migrants conquérants. D’autres, restés en Europe, répondent aux consignes des donneurs d’ordre en Syrie. Tout ce petit monde s’organise, s’équipe et se rue sur des Parisiens aux terrasses des cafés et au Bataclan, tout près de la Place de la République. Malgré le ratage au Stade de France—ce sera pour une prochaine fois—ils ont tué 130 personnes, en ont mutilé des dizaines, blessé des centaines. Et c’est là, à côté du mémorial artisanal orné de bougies /fleurs/ messages d’amour et de chagrin, que les Nuits Debout proclament leur innocence. Ils sont contre la loi El Khomri, pour l’embauche, contre les patrons ; pour le droit au logement, contre le capital; pour les allocations, contre l’Etat ; contre les OGM et les émissions de CO2, pour la musique techno sans entraves… Zadistes, ils sont sans défense contre le djihad. (…) L’état d’urgence est trop brutal pour les tendres esprits des Nuits Debout qui occupent le devant de la scène depuis deux semaines déjà. Quid des attentats à venir. Plus vite qu’on ne pense et en plus grand. Comme des enfants qui jouent dans la boue d’un camp de réfugiés, ils s’amusent, ils font des bêtises, on est indulgent car leur innocence nous touche. Ecran de fumée, ils cachent l’impuissance d’un Etat incapable d’assumer ses responsabilités envers le peuple et les forces de l’ordre chargées de nous protéger. Nidra Poller
Pacifique le mouvement? Chaque nuit ou presque apporte son lot de dégradations et d’attaques contre des personnes. Quand ce ne sont pas des commerces, c’est du mobilier urbain qui est détruit, quand ce ne sont pas des voitures électriques Autolib qui sont endommagées, c’est une antenne de Pôle emploi. Pas d’amalgame des casseurs avec Nuit Debout? Mais au sein du mouvement, en assemblée générale, certains justifient les violences «qui arrangent bien le mouvement pour qu’on parle de nous»: «il nous faut assumer ces heurts avec la police, c’est comme cela qu’on progresse dans la lutte. Il faut aussi faire peur». Sans parler des bannières du Hamas et des militants boycotteurs d’Israël du BDS qui circulent naturellement. Il y a quelques semaines, c’est sur la même place que l’on flétrissait le terrorisme, et que l’on honorait les victimes et les flics…Antiraciste le mouvement? Sans doute à l’instar de cet inénarrable: «groupe de réflexions non mixité racisée», qui ne tolère que les paroles «non blanches». Comme le note Marie-Estelle Pech dans le même article, «seules les minorités, c’est-à-dire les femmes, les lesbiennes, transsexuelles et homosexuelles sont admises pour prendre la parole. En revanche, les «cisgenres», comprenez les hommes hétérosexuels, par trop «dominants» dans la société française sont bannis des discussions. Tolérant le mouvement? Une sorte de Hyde Park corner improvisé? Mais samedi soir, on a craché sur un philosophe qui veut rester debout et français et qui venait simplement s’informer. Consolons-nous comme nous pouvons, sous ces pavés de faux-semblants, sous l’emprise du virtuel idéologisé, la plage de vérité: la preuve est rapportée de l’insigne faiblesse de la gauche à la dérive devant les menées de la gauche gauchisante et de l’islamo-gauchisme. Sa résistance de façade n’est qu’une tartufferie. Malgré les massacres de 2015, malgré l’état d’urgence, malgré la mobilisation nécessaire de la police, la maire de Paris tolère les dégradations et le ministre de l’intérieur et son préfet ne réservent toujours leurs coups de matraque qu’aux opposants non-violents de l’autre camp. La place de la République est devenue la place de la dictature des rebelles en papier-bavard. Gilles William Goldnadel
L’étonnant est que la jeunesse ne se soit pas révoltée plus tôt, d’une manière ou d’une autre. Angoissée par le chômage de masse, frappée par la précarité, elle avait bien plus de raisons objectives de se rebeller qu’en mai 1968. C’est dire si l’éclosion du mouvement «Nuit Debout» était attendue, ou redoutée, par nombre d’observateurs ou d’acteurs politiques. L’absence jusqu’à présent, en France, de mouvements analogues à celui des «Indignés» en Espagne a pu s’expliquer de différentes manières. La crise économique a frappé ici moins durement les populations que de l’autre côté des Pyrénées. Or le projet de loi dit El Khomri a précisément donné à certains jeunes le sentiment que l’ère des protections sociales était désormais révolue. L’autre raison, et sans doute la principale, du retard de la jeunesse française à se mettre en mouvement tient à l’importance spécifique du champ politique dans ce pays. Les espoirs placés dans l’alternance de l’équipe au pouvoir et l’habitude d’attendre beaucoup (trop) de l’Etat ne militaient pas en faveur du surgissement de la société sur la scène publique. Le moins qu’on puisse dire est que François Hollande a fortement contribué à déniaiser la jeunesse française. Preuve a été spectaculairement administrée que les changements de couleur au sommet de l’Etat ne changeaient pas grand chose aux politiques effectivement conduites. Le terrain était ainsi déblayé pour qu’apparaisse enfin en France un mouvement de protestation rappelant, plus ou moins, les précédents américain d’«Occupy Wall Street» (2011) et espagnol des «Indignados» (2011-2012). Pour l’heure, «Nuit Debout» n’a cependant pas du tout la même ampleur que ce dernier phénomène. On ne peut qu’être frappé par le contraste qui existe entre l’ample traitement médiatique du mouvement et sa relative modestie sur le terrain. «J’ai l’impression que les journalistes en font quelque chose de plus gros que ça n’est pour le moment», reconnaît honnêtement Johanna Silva, militante de Nuit Debout qui travaille au journal Fakir de François Ruffin. (…) Le dévoiement de la démocratie représentative a atteint un tel degré qu’il est logique que la démocratie directe soit particulièrement attractive pour de jeunes citoyens en phase de politisation. Comment croire encore aux joutes électorales droite-gauche lorsqu’un ministre éminent lance son propre mouvement politique en précisant que celui-ci peut accueillir à la fois des membres du PS et de LR? Pour autant, il est un peu étrange que soit proposé en AG de revoter, par  quelques centaines de participants, des projets de lois en discussion au Parlement. Les libres prises de parole de Nuit Debout tiennent, au demeurant, souvent plus de l’expression de préoccupations diverses que de l’effort de définir un intérêt commun. Un orateur défenseur des animaux est suivi par un militant avocat des migrants. Curieusement, alors qu’il est entendu que personne ne doit intervenir au nom d’une organisation, nombreux sont ceux qui prennent la parole uniquement pour défendre la cause qui leur tient à cœur. D’autres se contentent d’exprimer leur ressenti personnel dans la droite ligne de l’individualisme ambiant. Si beaucoup de prises de paroles sont souvent émouvantes et rafraîchissantes, il est dommage que la méfiance de principe à l’égard des responsables de tous poils interdise à Nuit Debout d’être irrigué par de solides expériences militantes. Des syndicalistes auraient beaucoup de choses à dire aux jeunes rassemblés. Jean-Baptiste Eyraud regrette à raison qu’ils ne soient «pas forcément très appréciés» dans ces assemblées. Le principal risque auquel s’expose Nuit Debout, pointé un soir par Ruffin lui-même, est celui de «l’entre soi». Par l’énergie qu’il exige simplement pour se constituer et se structurer, ce genre de mouvement innovant est menacé de devenir sa propre fin. On a pu entendre, place de la République, un militant en appeler au civisme de chacun au motif que Nuit Debout devait constituer «une mini-société parfaite». C’est là se fixer un objectif à la fois trop ambitieux –la perfection n’étant pas de l’ordre du social– et trop modeste –le but devant être plutôt de changer la société dans son ensemble. Dans le même esprit, un participant à une «assemblée constituante» explique: «On s’entraîne à écrire la Constitution, simplement pour se rendre compte qu’on peut le faire nous-même». L’étroitesse sociologique de Nuit Debout est, au stade actuel, criante. Le public rassemblé à Paris, blanc et surtout jeune, ne brille guère par sa «diversité». «Pour le moment, il faut bien l’admettre, la Nuit Debout reste un mouvement animé par des individus qui n’appartiennent pas aux couches sociales les plus défavorisées, auxquels s’adjoignent, au mieux, quelques précaires (qui sont le plus souvent des intellectuels précaires», constate le sociologue Albert Ogien. Ruffin s’inquiète, lui aussi, de sa capacité à «toucher des milieux populaires»: «Le mouvement doit dépasser les seuls centres urbains et essaimer à la périphérie, dans les banlieues, les zones rurales et industrielles, sinon il trouvera vite ses limites», prévient-il. Le mouvement Nuit Debout ne passera à la vitesse supérieure que s’il est capable d’un décentrement assez radical. Il ne pourra être le lieu d’une «convergence des luttes» s’il tient à l’écart ceux qui les portent effectivement et s’il se limite à juxtaposer les revendications les plus diverses. L’expérience malheureuse de «Occupy Wall Street» devrait lui être utile. Ce mouvement était «tombé amoureux de lui-même», ce qui avait fini par signer son arrêt de mort. Eric Dupin
Le philosophe Slavoj Žižek avait mis en garde les campeurs de Zuccotti Park en octobre 2011 : « Ne tombez pas amoureux de vous-mêmes. Nous passons un moment agréable ici. Mais, rappelez-vous, les carnavals ne coûtent pas cher. Ce qui compte, c’est le jour d’après, quand nous devrons reprendre nos vies ordinaires. Est-ce que quelque chose aura changé ? » (…) Depuis, une avalanche de productions éditoriales a submergé les étals des libraires, des discours prononcés sur les campements aux analyses journalistiques en passant par les témoignages de militants. Ces ouvrages tombent presque tous dans le panneau évoqué par Žižek. Leurs auteurs sont profondément, désespérément amoureux d’OWS. Chacun prend pour acquis que les campeurs anti-Wall Street ont fait trembler les puissants de ce monde et suffoquer d’admiration tous les réprouvés de la planète. (…) Dans Jours de destruction, jours de révolte, l’ancien journaliste du New York Times compare OWS aux révolutions de 1989 en Allemagne de l’Est, en Tchécoslovaquie et en Roumanie. Les protestataires new-yorkais, écrit-il, « étaient d’abord désorganisés, pas très sûrs de ce qu’ils devaient faire, pas même convaincus d’avoir accompli quoi que ce soit de méritoire. L’air de rien, ils ont pourtant déclenché un mouvement de résistance global qui a résonné à travers tout le pays et jusque dans les capitales européennes. Le statu quo précaire imposé par les élites durant des décennies a volé en éclats. Un autre récit a pris forme. La révolution a commencé. »(…) Mesuré en nombre de mots par mètre carré de pelouse occupée, Zuccotti Park constitue sans aucun doute l’un des lieux les plus scrutés de l’histoire du journalisme. La grande épopée fut pourtant de courte durée. Les campeurs ont été évacués deux mois après leur installation. Hormis quelques groupes résiduels ici et là, animés par des militants chevronnés, le mouvement OWS s’est désagrégé. La tempête médiatique qui s’était engouffrée dans les tentes de Zuccotti Park est repartie souffler ailleurs. Faisons une pause et comparons le bilan d’OWS avec celui de son vilain jumeau, le Tea Party, et du renouveau de la droite ultraréactionnaire dont celui-ci est le fer de lance. Grâce à ces bénévoles de la surenchère, le Parti républicain est redevenu majoritaire à la Chambre des représentants ; dans les législatures d’Etat, il a pris six cents sièges aux démocrates. Le Tea Party a même réussi à propulser l’un des siens, M. Paul Ryan, à la candidature pour la vice-présidence des Etats-Unis. La question à laquelle les thuriféraires d’OWS consacrent des cogitations passionnées est la suivante : quelle est la formule magique qui a permis au mouvement de rencontrer un tel succès ? Or c’est la question diamétralement inverse qu’ils devraient se poser : pourquoi un tel échec ? Comment les efforts les plus louables en sont-ils venus à s’embourber dans le marécage de la glose académique et des postures antihiérarchiques ? Les choses avaient pourtant commencé très fort. Dès les premiers jours d’occupation de Zuccotti Park, la cause d’OWS était devenue incroyablement populaire. De fait, comme le souligne Todd Gitlin, jamais depuis les années 1930 un thème progressiste n’avait autant fédéré la société américaine que la détestation de Wall Street. Les témoignages de sympathie pleuvaient par milliers, les chèques de soutien aussi, les gens faisaient la queue pour donner des livres et de la nourriture aux campeurs. Des célébrités vinrent se montrer à Zuccotti et les médias commencèrent à couvrir l’occupation avec une attention qu’ils n’accordent pas souvent aux mouvements sociaux estampillés de gauche. Mais les commentateurs ont interprété à tort le soutien à la cause d’OWS comme un soutien à ses modalités d’action. Les tentes plantées dans le parc, la préparation de la tambouille pour des légions de campeurs, la recherche sans fin du consensus, les affrontements avec la police… voilà, aux yeux des exégètes, ce qui a fait la force et la singularité d’OWS ; voilà ce que le public a soif de connaître. Ce qui se tramait à Wall Street, pendant ce temps-là, a suscité un intérêt moins vif. Dans Occupying Wall Street, un recueil de textes rédigés par des écrivains ayant participé au mouvement, la question des prêts bancaires usuraires n’apparaît qu’à titre de citation dans la bouche d’un policier. Et n’espérez pas découvrir comment les militants de Zuccotti comptaient contrarier le pouvoir des banques. Non parce que ce serait mission impossible, mais parce que la manière dont la campagne d’OWS est présentée dans ces ouvrages donne l’impression qu’elle n’avait rien d’autre à proposer que la construction de « communautés » dans l’espace public et l’exemple donné au genre humain par le noble refus d’élire des porte-parole. Malheureusement, un tel programme ne suffit pas. Bâtir une culture de lutte démocratique est certes utile pour les cercles militants, mais ce n’est qu’un point de départ. OWS n’est jamais allé plus loin ; il n’a pas déclenché une grève, ni bloqué un centre de recrutement, ni même occupé le bureau d’un doyen d’université. Pour ses militants, la culture horizontale représente le stade suprême de la lutte : « Le processus est le message », entonnaient en chœur les protestataires. On pourra objecter que la question de présenter ou non des revendications fut âprement débattue par les militants lorsqu’ils occupaient effectivement quelque chose. Mais, pour qui feuillette tous ces ouvrages un an plus tard, ce débat paraît d’un autre monde. Presque aucun ne s’est hasardé à reconnaître que le refus de formuler des propositions a constitué une grave erreur tactique. Au contraire, Occupying Wall Street, le compte rendu quasi officiel de l’aventure, assimile toute velléité programmatique à un fétiche conçu pour maintenir le peuple dans l’aliénation de la hiérarchie et de la servilité. Hedges ne dit pas autre chose lorsqu’il explique que « seules les élites dominantes et leurs relais médiatiques » exhortaient OWS à faire connaître ses demandes. Présenter des revendications serait admettre la légitimité de son adversaire, à savoir l’Etat américain et ses amis les banquiers. En somme, un mouvement de protestation qui ne formule aucune exigence serait le chef-d’œuvre ultime de la vertu démocratique… D’où la contradiction fondamentale de cette campagne. De toute évidence, protester contre Wall Street en 2011 impliquait de protester aussi contre les tripatouillages financiers qui nous avaient précipités dans la grande récession ; contre le pouvoir politique qui avait sauvé les banques ; contre la pratique délirante des primes et des bonus qui avait métamorphosé les forces productives en tiroir-caisse pour les 1 % les plus riches. Toutes ces calamités tirent leur origine de la dérégulation et des baisses d’impôts — autrement dit, d’une philosophie de l’émancipation individuelle qui, au moins dans sa rhétorique, n’est pas contraire aux pratiques libertaires d’OWS. Inutile d’avoir suivi des cours de « post-structuralisme menant à l’anarchisme » pour comprendre comment inverser la tendance : en reconstruisant un Etat régulateur compétent. Souvenez-vous de ce que disaient durant ces fameux premiers jours de septembre 2011 les militants d’OWS : réintroduisons la loi Glass-Steagall de 1933, qui séparait les banques de dépôt et les banques d’investissement. Vive l’« Etat obèse » ! Vive la sécurité ! Mais ce n’est pas ainsi que l’on enflamme l’imagination de ses contemporains. Comment animer un carnaval lorsqu’on rêve secrètement d’experts-comptables et d’administration fiscale ? En remettant les choses à plus tard. En évitant de réclamer des mesures concrètes. Réclamer, c’est admettre que les adultes guindés et sans humour ont repris la barre et que la récréation est finie. Ce choix tactique a remarquablement fonctionné au début, mais il a aussi fixé une date de péremption à tout le mouvement. En s’interdisant d’exiger quoi que ce soit, OWS s’est enfermé dans ce que Christopher Lasch appelait — en 1973 — le « culte de la participation ». Autant dire dans une protestation dont le contenu se résume à la satisfaction d’avoir protesté. Dans leurs déclarations d’intention, les campeurs de Zuccotti Park célébraient haut et fort la vox populi. Dans la pratique, pourtant, leur centre de gravité penchait d’un seul côté, celui du petit monde universitaire. (…) Cet échec s’explique peut-être par la surreprésentation en son sein d’une profession dont le mode opératoire est délibérément abscons, ultrahiérarchisé, verbeux et professoral, peu propice à une démarche fédératrice. Ou peut-être résulte-t-il de la persistance à gauche d’un mépris envers l’homme de la rue, surtout quand on peut lui reprocher d’avoir mal voté ou commis quelque péché politique. Ou peut-être encore est-ce l’effondrement de l’appareil industriel qui rend les mouvements sociaux obsolètes. Ce n’est pas dans les ouvrages sur OWS que l’on trouvera la moindre réponse. Les activistes anti-Wall Street n’aiment pas, c’est clair, leurs homologues du Tea Party. Dans leur esprit, apparemment, ils ne sont pas tout à fait de vraies gens, comme si d’autres principes biologiques s’appliquaient à leur espèce. (…) Pourtant, les deux mouvements présentent quelques ressemblances. Ils partagent par exemple la même aversion obsessionnelle pour les plans de sauvetage de 2008, qualifiés par les deux camps de « capitalisme de connivences ». L’un et l’autre s’expriment en occupant des espaces publics ; l’un et l’autre ont accordé une place importante aux partisans de M. Ron Paul, le chef de file du courant « libertarien » du Parti républicain. Même le masque d’Anonymous (à l’effigie de Guy Fawkes, le vengeur solitaire du film V comme Vendetta) a circulé dans les deux camps. Sur le plan tactique aussi les analogies existent. OWS et le Tea Party sont restés pareillement flous dans leurs revendications, afin de ratisser plus large. Les deux groupes se sont appesantis avec la même emphase sur les persécutions dont ils s’estimaient victimes. (…) L’absence de dirigeants est un autre point commun aux deux camps. (…) Une dernière similitude. L’astuce idéologique du Tea Party a consisté, bien sûr, à détourner la colère populaire qui s’était déchaînée contre Wall Street pour la reporter sur l’Etat. OWS a fait de même, mais de façon plus abstraite et théorique. On s’en aperçoit, par exemple, en déchiffrant l’argumentaire de l’anthropologue Jeffrey Juris : « Les occupations ont remis en question le pouvoir souverain de l’Etat de réguler et contrôler la distribution des corps dans l’espace, (…) notamment par l’appropriation d’espaces urbains particuliers tels que les parcs publics et les squares et par leur requalification en lieux d’assemblée publique et d’expression démocratique. » Ce type de rhétorique illustre un point de convergence entre OWS et la gauche universitaire : la mise en accusation de l’Etat et de son pouvoir de tout « réguler », « contrôler », même si, dans le cas de Wall Street, le problème vient plutôt du fait qu’il ne régule et ne contrôle à peu près rien. A quelques corrections mineures près, le texte pourrait se lire comme un pamphlet libertarien contre les espaces verts. (…) La raison pour laquelle OWS et le Tea Party paraissent parfois si semblables tient au fait qu’ils empruntent tous deux à ce libertarisme un peu paresseux et narcissique qui imprègne désormais notre vision de la contestation, depuis les adolescents de Disney Channel en quête d’eux-mêmes jusqu’aux pseudo-anarchistes qui vandalisent un Starbuck’s. Tous imaginent qu’ils se rebellent contre « l’Etat ». C’est dans le génome de notre époque, semble-t-il. Le succès venant, le Tea Party a remisé au placard ses discours bravaches sur l’organisation horizontale. Autant de boniments dont la principale vocation était d’appâter le client. Ce mouvement n’avait pas de penseurs poststructuralistes, mais il disposait d’argent, de réseaux et de l’appui d’une grande chaîne de télévision (Fox News). Aussi n’a-t-il pas tardé à produire des dirigeants, des revendications et un alignement fructueux sur le Parti républicain. Occuper Wall Street n’a pas pris ce chemin-là. L’horizontalité, il y croyait vraiment. Après avoir connu un succès foudroyant, il s’est donc disloqué en vol. Les élections présidentielles et législatives de novembre 2012 sont maintenant terminées : M. Obama a été reconduit à la Maison Blanche, M. Ryan a conservé son siège à la Chambre des représentants, la guerre contre les travailleurs continue — dans le Michighan, notamment — et Wall Street dirige toujours le monde. Certes, la ploutocratie n’est pas parvenue à convaincre la population qu’elle était sa meilleure amie, mais l’ordre ancien perdure et il apparaît de plus en plus évident que seul un mouvement social de masse, solidement ancré à gauche, pourra mettre fin à l’ère néolibérale. Malheureusement, OWS n’en fut pas un. Thomas Franck

Attention: une occupation peut en cacher une autre !

Au lendemain du 3e anniversaire des attentats du Boston où un autre boxeur d’origine tchéchène salue, sur un ring suisse et avec les Allahu akbar de rigueur, les auteurs des récents attentats de France et de Belgique …

Qui eux-mêmes avaient donné lieu, comme encore hier en Palestine pour celui de Jérusalem comme vient de le rappeler le ministre de l’intérieur belge, aux réjouissances que l’on sait …

Et à l’heure où nos services de renseignement nous confirme le retour depuis longtemps annoncé de combattants de l’Etat islamique …

Pendant qu’en Amérique les acteurs d’une nouvelle série télé trans se voient honteusement privés de toilettes séparées et qu’après avoir si courageusement fait des enfants avec deux pères ou deux mères, l’on se réjouit en France d’avoir échappé à l’abomination de la suppression de l’accent circonflexe tout en s’initiant dans les meilleures écoles aux joies du hijab

Comment ne pas se sentir rassuré de savoir que sur la place de la République et qu’entre un appel à la révolution et une petite destruction de mobilier urbain ou de vitrine veillent nos écholaliques et mangeurs de compote enfants de Stéphane Hessel ?

Et ne par repenser, avec le politologue américain Thomas Franck …

 A un autre mouvement lui aussi inspiré de l’expérience il y a cinq ans des indignés de Madrid

Et qui avait lui aussi en son temps occupé les manchettes de journaux depuis sa place de Manhattan

Avant, « tombé amoureux de lui-même », de mourir de sa belle mort ?

Le piège d’une contestation sans revendications

Occuper Wall Street, un mouvement tombé amoureux de lui-même
Tout oppose le Tea Party, soucieux de baisser le niveau de la fiscalité, et le mouvement Occuper Wall Street, révolté par le creusement des inégalités. Mais, alors que le premier continue à peser dans la société et sur les institutions, le second a (provisoirement ?) levé le camp sans avoir obtenu grand-chose. L’auteur de « Pourquoi les pauvres votent à droite » tire de ce dénouement quelques leçons cruelles de stratégie politique. Elles résonnent au-delà du cas américain.
Thomas Frank
Le Monde diplomatique
Janvier 2013

Une scène me revient en mémoire à chaque fois que je tente de retrouver l’effet grisant que le mouvement Occuper Wall Street (OWS) a produit sur moi au temps où il semblait promis à un grand avenir. Je me trouvais dans le métro de Washington, en train de lire un article sur les protestataires rassemblés à Zuccotti Park, au cœur de Manhattan. C’était trois ans après la remise à flot de Wall Street ; deux ans après que toutes mes fréquentations eurent abandonné l’espoir de voir le président Barack Obama faire preuve d’audace ; deux mois après que les amis républicains des banquiers eurent conduit le pays au bord du défaut de paiement en engageant un bras de fer budgétaire avec la Maison Blanche. Comme tout le monde, j’en avais assez.

Près de moi se tenait un voyageur parfaitement habillé, certainement un cadre supérieur revenant de quelque salon commercial, à en juger par le slogan folâtre imprimé sur le sac qu’il portait en bandoulière. Ce slogan indiquait comment optimiser ses placements boursiers, ou peut-être pourquoi le luxe est un bienfait, ou à quel point c’est magnifique d’être un gagnant. L’homme paraissait extrêmement mal à l’aise. Je savourais la situation : récemment encore, j’aurais rougi d’exhiber la couverture de mon journal dans une rame de métro surpeuplée ; aujourd’hui, c’étaient les gens comme lui qui rasaient les murs.

Quelques jours plus tard, je visionnais une vidéo sur Internet montrant un groupe de militants d’OWS en train de débattre dans une librairie. A un moment du film, un intervenant s’interroge sur l’insistance de ses camarades à prétendre qu’ils ne s’expriment que « pour eux-mêmes », au lieu d’assumer leur appartenance à un collectif. Un autre lui réplique alors : « Chacun ne peut parler que pour soi-même, en même temps le “soi-même” pourrait bien se dissoudre dans sa propre remise en question, comme nous y invite toute pensée poststructuraliste menant à l’anarchisme. (…) “Je ne peux seulement parler que pour moi-même” : c’est le “seulement” qui compte ici, et bien sûr ce sont là autant d’espaces qui s’ouvrent. »

En entendant ce charabia pseudo-intellectuel, j’ai compris que les carottes étaient cuites. Le philosophe Slavoj Žižek avait mis en garde les campeurs de Zuccotti Park en octobre 2011 : « Ne tombez pas amoureux de vous-mêmes. Nous passons un moment agréable ici. Mais, rappelez-vous, les carnavals ne coûtent pas cher. Ce qui compte, c’est le jour d’après, quand nous devrons reprendre nos vies ordinaires. Est-ce que quelque chose aura changé ? »

L’avertissement de Žižek figure dans l’ouvrage Occupy : Scenes from Occupied America Occuper. Scènes de l’Amérique occupée », Verso, 2011), le premier livre consacré au phénomène protestataire de l’année dernière. Depuis, une avalanche de productions éditoriales a submergé les étals des libraires, des discours prononcés sur les campements aux analyses journalistiques en passant par les témoignages de militants.

Ces ouvrages tombent presque tous dans le panneau évoqué par Žižek. Leurs auteurs sont profondément, désespérément amoureux d’OWS. Chacun prend pour acquis que les campeurs anti-Wall Street ont fait trembler les puissants de ce monde et suffoquer d’admiration tous les réprouvés de la planète. Cette vision béate s’exprime souvent dans le titre même du livre : « Cela change tout : Occuper Wall Street et le mouvement des 99 % » (1), par exemple. Les superlatifs s’entrechoquent sans retenue ni précaution. « Les 99 % se sont éveillés. Le paysage politique américain ne sera plus jamais le même », annonce l’auteur de Voices From the 99 Percent (2). Une prophétie presque tiède comparée à l’enthousiasme péremptoire de Chris Hedges. Dans Jours de destruction, jours de révolte (3), l’ancien journaliste du New York Times compare OWS aux révolutions de 1989 en Allemagne de l’Est, en Tchécoslovaquie et en Roumanie. Les protestataires new-yorkais, écrit-il, « étaient d’abord désorganisés, pas très sûrs de ce qu’ils devaient faire, pas même convaincus d’avoir accompli quoi que ce soit de méritoire. L’air de rien, ils ont pourtant déclenché un mouvement de résistance global qui a résonné à travers tout le pays et jusque dans les capitales européennes. Le statu quo précaire imposé par les élites durant des décennies a volé en éclats. Un autre récit a pris forme. La révolution a commencé. »

Ce qui rend ces livres très ennuyeux, c’est qu’à quelques exceptions près ils se ressemblent tous, racontent les mêmes anecdotes, citent les mêmes communiqués, déroulent les mêmes interprétations historiques, s’attardent sur les mêmes broutilles. Comment le joueur de djembé a empêché tout le monde de dormir, ce qui s’est vraiment passé sur le pont de Brooklyn, pourquoi et comment Untel s’est retrouvé là, qui a eu l’idée en premier de tenir des assemblées générales, comment chacun a nettoyé le parc durant une nuit d’affolement pour éviter de s’en faire expulser le lendemain, etc. Mesuré en nombre de mots par mètre carré de pelouse occupée, Zuccotti Park constitue sans aucun doute l’un des lieux les plus scrutés de l’histoire du journalisme.

La grande épopée fut pourtant de courte durée. Les campeurs ont été évacués deux mois après leur installation. Hormis quelques groupes résiduels ici et là, animés par des militants chevronnés, le mouvement OWS s’est désagrégé. La tempête médiatique qui s’était engouffrée dans les tentes de Zuccotti Park est repartie souffler ailleurs. Faisons une pause et comparons le bilan d’OWS avec celui de son vilain jumeau, le Tea Party, et du renouveau de la droite ultraréactionnaire dont celui-ci est le fer de lance (4). Grâce à ces bénévoles de la surenchère, le Parti républicain est redevenu majoritaire à la Chambre des représentants ; dans les législatures d’Etat, il a pris six cents sièges aux démocrates. Le Tea Party a même réussi à propulser l’un des siens, M. Paul Ryan, à la candidature pour la vice-présidence des Etats-Unis.

La question à laquelle les thuriféraires d’OWS consacrent des cogitations passionnées est la suivante : quelle est la formule magique qui a permis au mouvement de rencontrer un tel succès ? Or c’est la question diamétralement inverse qu’ils devraient se poser : pourquoi un tel échec ? Comment les efforts les plus louables en sont-ils venus à s’embourber dans le marécage de la glose académique et des postures antihiérarchiques ?

Les choses avaient pourtant commencé très fort. Dès les premiers jours d’occupation de Zuccotti Park, la cause d’OWS était devenue incroyablement populaire. De fait, comme le souligne Todd Gitlin (5), jamais depuis les années 1930 un thème progressiste n’avait autant fédéré la société américaine que la détestation de Wall Street. Les témoignages de sympathie pleuvaient par milliers, les chèques de soutien aussi, les gens faisaient la queue pour donner des livres et de la nourriture aux campeurs. Des célébrités vinrent se montrer à Zuccotti et les médias commencèrent à couvrir l’occupation avec une attention qu’ils n’accordent pas souvent aux mouvements sociaux estampillés de gauche.

Mais les commentateurs ont interprété à tort le soutien à la cause d’OWS comme un soutien à ses modalités d’action. Les tentes plantées dans le parc, la préparation de la tambouille pour des légions de campeurs, la recherche sans fin du consensus, les affrontements avec la police… voilà, aux yeux des exégètes, ce qui a fait la force et la singularité d’OWS ; voilà ce que le public a soif de connaître.

Ce qui se tramait à Wall Street, pendant ce temps-là, a suscité un intérêt moins vif. Dans Occupying Wall Street, un recueil de textes rédigés par des écrivains ayant participé au mouvement (6), la question des prêts bancaires usuraires n’apparaît qu’à titre de citation dans la bouche d’un policier. Et n’espérez pas découvrir comment les militants de Zuccotti comptaient contrarier le pouvoir des banques. Non parce que ce serait mission impossible, mais parce que la manière dont la campagne d’OWS est présentée dans ces ouvrages donne l’impression qu’elle n’avait rien d’autre à proposer que la construction de « communautés » dans l’espace public et l’exemple donné au genre humain par le noble refus d’élire des porte-parole.

Culte de la participation

Malheureusement, un tel programme ne suffit pas. Bâtir une culture de lutte démocratique est certes utile pour les cercles militants, mais ce n’est qu’un point de départ. OWS n’est jamais allé plus loin ; il n’a pas déclenché une grève, ni bloqué un centre de recrutement, ni même occupé le bureau d’un doyen d’université. Pour ses militants, la culture horizontale représente le stade suprême de la lutte : « Le processus est le message », entonnaient en chœur les protestataires.

On pourra objecter que la question de présenter ou non des revendications fut âprement débattue par les militants lorsqu’ils occupaient effectivement quelque chose. Mais, pour qui feuillette tous ces ouvrages un an plus tard, ce débat paraît d’un autre monde. Presque aucun ne s’est hasardé à reconnaître que le refus de formuler des propositions a constitué une grave erreur tactique. Au contraire, Occupying Wall Street, le compte rendu quasi officiel de l’aventure, assimile toute velléité programmatique à un fétiche conçu pour maintenir le peuple dans l’aliénation de la hiérarchie et de la servilité. Hedges ne dit pas autre chose lorsqu’il explique que « seules les élites dominantes et leurs relais médiatiques » exhortaient OWS à faire connaître ses demandes. Présenter des revendications serait admettre la légitimité de son adversaire, à savoir l’Etat américain et ses amis les banquiers. En somme, un mouvement de protestation qui ne formule aucune exigence serait le chef-d’œuvre ultime de la vertu démocratique…

D’où la contradiction fondamentale de cette campagne. De toute évidence, protester contre Wall Street en 2011 impliquait de protester aussi contre les tripatouillages financiers qui nous avaient précipités dans la grande récession ; contre le pouvoir politique qui avait sauvé les banques ; contre la pratique délirante des primes et des bonus qui avait métamorphosé les forces productives en tiroir-caisse pour les 1 % les plus riches. Toutes ces calamités tirent leur origine de la dérégulation et des baisses d’impôts — autrement dit, d’une philosophie de l’émancipation individuelle qui, au moins dans sa rhétorique, n’est pas contraire aux pratiques libertaires d’OWS.

Inutile d’avoir suivi des cours de « post-structuralisme menant à l’anarchisme » pour comprendre comment inverser la tendance : en reconstruisant un Etat régulateur compétent. Souvenez-vous de ce que disaient durant ces fameux premiers jours de septembre 2011 les militants d’OWS : réintroduisons la loi Glass-Steagall de 1933, qui séparait les banques de dépôt et les banques d’investissement. Vive l’« Etat obèse » ! Vive la sécurité !

Mais ce n’est pas ainsi que l’on enflamme l’imagination de ses contemporains. Comment animer un carnaval lorsqu’on rêve secrètement d’experts-comptables et d’administration fiscale ? En remettant les choses à plus tard. En évitant de réclamer des mesures concrètes. Réclamer, c’est admettre que les adultes guindés et sans humour ont repris la barre et que la récréation est finie. Ce choix tactique a remarquablement fonctionné au début, mais il a aussi fixé une date de péremption à tout le mouvement. En s’interdisant d’exiger quoi que ce soit, OWS s’est enfermé dans ce que Christopher Lasch appelait — en 1973 — le « culte de la participation ». Autant dire dans une protestation dont le contenu se résume à la satisfaction d’avoir protesté.

Le galimatias des militants

Dans leurs déclarations d’intention, les campeurs de Zuccotti Park célébraient haut et fort la vox populi. Dans la pratique, pourtant, leur centre de gravité penchait d’un seul côté, celui du petit monde universitaire. Les militants cités dans les livres ne dévoilent pas toujours leur identité socioprofessionnelle, mais, lorsqu’ils le font, ils se révèlent soit étudiants, soit ex-étudiants récemment diplômés, soit enseignants.

On ne peut que saluer la mobilisation du monde universitaire. La société a besoin d’entendre cette voix-là. Quand les frais de scolarité grimpent à des pics vertigineux, que l’endettement des diplômés débarquant sur le marché du travail atteint facilement les 100 000 dollars, que des doctorants se retrouvent exploités sans vergogne, les personnes concernées ont parfaitement raison de protester (7). Elles devraient s’attaquer au système, exiger un contrôle strict des frais de scolarité. Que l’on songe aux manifestations qui ont ébranlé le Québec au printemps dernier, quand une partie importante de la population est venue soutenir dans la rue l’exigence estudiantine d’une éducation accessible à tous : là-bas, le mouvement a gagné. Les étudiants ont obtenu presque tout ce qu’ils demandaient. La protestation sociale a fait valser les portes de l’université.

Mais c’est quand l’inverse se produit, quand la discussion académique de haute culture devient un modèle de lutte sociale, que le problème surgit. Pourquoi OWS inspire-t-il aussi souvent à ses admirateurs le besoin de s’exprimer dans un jargon inintelligible ? Pourquoi tant de militants ont-ils éprouvé le besoin de quitter leur poste pour participer à des débats de salon entre érudits (8) ? Pourquoi d’autres ont-ils choisi de réserver leurs témoignages à des revues confidentielles comme American Ethnologist ou Journal of Critical Globalisation Studies ? Pourquoi un pamphlet conçu pour galvaniser les troupes d’OWS est-il rempli de déclarations amphigouriques du genre : « Notre point d’attaque se situe dans les formes de subjectivité dominantes produites dans le contexte des crises sociales et politiques actuelles. Nous nous adressons à quatre figures subjectives — l’endetté, le médiatisé, le sécurisé et le représenté —, qui sont toutes en voie d’appauvrissement et dont le pouvoir d’action sociale est masqué ou mystifié. Nous pensons que les mouvements de révolte et de rébellion nous donnent les moyens non seulement de refuser les régimes répressifs dont souffrent ces figures subjectives, mais aussi d’inverser ces subjectivités face au pouvoir (9) » ? Et pourquoi, quelques mois seulement après avoir occupé Zuccotti Park, plusieurs militants ont-ils jugé indispensable de créer leur propre revue universitaire à prétention théorisante, Occupy Theory, destinée bien sûr à accueillir des essais impénétrables visant à démontrer la futilité de toute théorisation ? Est-ce ainsi qu’on bâtit un mouvement de masse ? En s’obstinant à parler un langage que personne ne comprend ?

La réponse est connue : avant qu’une protestation s’élargisse en mouvement social de grande ampleur, ses protagonistes doivent d’abord réfléchir, analyser, théoriser. Le fait est que, de ce point de vue, OWS a fourni assez de matière pour alimenter un demi-siècle de luttes — sans réussir pour autant à mener la sienne ailleurs que dans une impasse.

Occuper Wall Street a réalisé d’excellentes choses. Il a su trouver un bon slogan, identifier le bon ennemi et capter l’imagination du public. Il a donné forme à une culture protestataire démocratique. Il a établi des liens avec les syndicats de travailleurs, un pas crucial dans la bonne direction. Il a redonné vigueur à la notion de solidarité, vertu cardinale de la gauche. Mais les réflexes universitaires ont vite pris une place écrasante, transformant OWS en un laboratoire où ses forts en thème venaient valider leurs théories. Car les campements n’accueillaient pas seulement des militants soucieux de changer le monde : ils ont aussi servi d’arène à la promotion individuelle de quelques carriéristes.

Et c’est une façon encore trop optimiste de présenter les choses. La manière pessimiste consisterait à ouvrir le dernier livre de Michael Kazin, American Dreamers (Knopf, New York, 2011), et à convenir avec lui que, depuis la guerre du Vietnam et le combat pour les droits civiques dans les années 1960, aucun mouvement progressiste n’a opéré la jonction avec le grand public américain — à l’exception de la campagne anti-apartheid des années 1980. Il est vrai qu’au temps du Vietnam le pays fourmillait de militants de gauche, surtout dans les universités. Mais, depuis, étudier la « résistance » a constitué un moyen éprouvé d’améliorer ses perspectives de carrière, quand ce n’est pas la matière même de certaines disciplines annexes. Toutefois, aussi érudite soit-elle sur le plan intellectuel, la gauche continue d’aller de défaite en défaite. Elle ne parvient plus à faire cause commune avec le peuple.

Cet échec s’explique peut-être par la surreprésentation en son sein d’une profession dont le mode opératoire est délibérément abscons, ultrahiérarchisé, verbeux et professoral, peu propice à une démarche fédératrice. Ou peut-être résulte-t-il de la persistance à gauche d’un mépris envers l’homme de la rue, surtout quand on peut lui reprocher d’avoir mal voté ou commis quelque péché politique. Ou peut-être encore est-ce l’effondrement de l’appareil industriel qui rend les mouvements sociaux obsolètes. Ce n’est pas dans les ouvrages sur OWS que l’on trouvera la moindre réponse.

Les activistes anti-Wall Street n’aiment pas, c’est clair, leurs homologues du Tea Party. Dans leur esprit, apparemment, ils ne sont pas tout à fait de vraies gens, comme si d’autres principes biologiques s’appliquaient à leur espèce. La philosophe Judith Butler, professeur à l’université de Columbia, évoque avec répugnance une réunion du Tea Party au cours de laquelle des individus se seraient réjouis de la mort prochaine de plusieurs malades dépourvus d’assurance-maladie. « Sous quelles conditions économiques et politiques de telles formes de cruauté joyeuse émergent-elles ? », s’interroge-t-elle.

C’est une bonne question. Deux paragraphes plus loin, pourtant, Butler change de sujet pour louer l’admirable décision d’OWS de ne rien réclamer, ce qui lui fournit l’occasion d’esquisser une théorie de haut vol : une foule qui proteste est spontanément et intrinsèquement libérationniste. « Lorsque des corps se rassemblent pour manifester leur indignation et affirmer leur existence plurielle dans l’espace public, ils expriment aussi des demandes plus vastes, écrit-elle. Ils demandent à être reconnus et valorisés ; ils revendiquent le droit d’apparaître et d’exercer leur liberté ; ils réclament une vie vivable (10). » C’est réglé comme du papier à musique : les mécontents qui descendent dans la rue le font nécessairement pour affirmer l’existence plurielle de leurs corps, partout et toujours — sauf s’ils appartiennent au groupe mentionné deux paragraphes plus haut…

Pourtant, les deux mouvements présentent quelques ressemblances. Ils partagent par exemple la même aversion obsessionnelle pour les plans de sauvetage de 2008, qualifiés par les deux camps de « capitalisme de connivences ». L’un et l’autre s’expriment en occupant des espaces publics ; l’un et l’autre ont accordé une place importante aux partisans de M. Ron Paul, le chef de file du courant « libertarien » du Parti républicain. Même le masque d’Anonymous (à l’effigie de Guy Fawkes, le vengeur solitaire du film V comme Vendetta) a circulé dans les deux camps.

Sur le plan tactique aussi les analogies existent. OWS et le Tea Party sont restés pareillement flous dans leurs revendications, afin de ratisser plus large. Les deux groupes se sont appesantis avec la même emphase sur les persécutions dont ils s’estimaient victimes. Côté campeurs, on insistait sur les brutalités policières. Dans un récit de quarante-cinq pages (11), Will Bunch narre en détail la répression aveugle et l’arrestation de masse d’une manifestation sur le pont de Brooklyn. Côté Tea Party, c’est le supplice infligé par les « médias de gauche » et leurs accusations de racisme qui nourrit la martyrologie collective (12).

L’absence de dirigeants est un autre point commun aux deux camps. Dans le manifeste du Tea Party rédigé en 2010 par M. Richard (« Dick ») Armey, ancien parlementaire républicain du Texas, figure même un chapitre intitulé « Nous sommes un mouvement d’idées, pas de leaders ». Le raisonnement livré ici ne dépareillerait pas chez les théoriciens d’OWS : « S’ils [nos adversaires] savaient qui tire les ficelles, ils pourraient s’en prendre à lui ou à elle. Ils pourraient écraser l’opposition gênante du Tea Party. »

Si l’on se plonge dans les références littéraires du Tea Party, on peut également y déceler des traces de la philosophie d’OWS relative au refus de toute revendication. Voyons ce qu’en dit la philosophe Ayn Rand, dont les théories « objectivistes » ont servi de socle moral à la dérégulation capitaliste (13). Dans La Grève, sa grande œuvre romanesque parue en 1957, vendue à sept millions d’exemplaires aux Etats-Unis, les « revendications » sont assimilées au monde nuisible du pouvoir politique, qui les formule au nom de ses administrés forcément fainéants et improductifs. Les hommes d’affaires, en revanche, négocient des contrats : ils agissent dans l’harmonie des liens consensuels établis par le libre marché. Le morceau de bravoure se situe au moment où le personnage de John Galt, qui s’est mis en grève contre le fléau de l’égalitarisme, adresse ce discours au gouvernement américain : « Nous n’avons aucune revendication à vous présenter, aucune disposition à marchander, aucun compromis à atteindre. Vous n’avez rien à nous offrir. Nous n’avons pas besoin de vous. »

Faire grève sans rien réclamer ? Oui, car demander quelque chose à l’Etat serait reconnaître sa légitimité. Pour définir cette attitude, Rand a forgé une expression sophistiquée : la « légitimation de la victime ». Engagé dans la réalisation de son potentiel personnel, le grand patron — la « victime », dans la pittoresque vision du monde de l’auteure — refuse la bénédiction d’une société qui le tyrannise à coups d’impôts et de règlements. Le milliardaire éclairé ne veut rien avoir à faire avec les pillards et les parasites qui peuplent une société nivelée par le bas.

Comment ces précurseurs du « 1 % » vont-ils s’y prendre pour l’emporter ? En bâtissant une communauté modèle au cœur même du vieux monde. Toutefois, les milliardaires meurtris imaginés par Rand n’organisent pas des assemblées générales dans les jardins publics, mais se retirent dans une vallée déserte du Colorado, où ils créent un capitalisme paradisiaque, non coercitif, dont la monnaie, un étalon-or fait maison, ne doit rien à l’Etat.

Comment appâter le client ?

Une dernière similitude. L’astuce idéologique du Tea Party a consisté, bien sûr, à détourner la colère populaire qui s’était déchaînée contre Wall Street pour la reporter sur l’Etat (14). OWS a fait de même, mais de façon plus abstraite et théorique. On s’en aperçoit, par exemple, en déchiffrant l’argumentaire de l’anthropologue Jeffrey Juris : « Les occupations ont remis en question le pouvoir souverain de l’Etat de réguler et contrôler la distribution des corps dans l’espace, (…) notamment par l’appropriation d’espaces urbains particuliers tels que les parcs publics et les squares et par leur requalification en lieux d’assemblée publique et d’expression démocratique (15). » Ce type de rhétorique illustre un point de convergence entre OWS et la gauche universitaire : la mise en accusation de l’Etat et de son pouvoir de tout « réguler », « contrôler », même si, dans le cas de Wall Street, le problème vient plutôt du fait qu’il ne régule et ne contrôle à peu près rien. A quelques corrections mineures près, le texte pourrait se lire comme un pamphlet libertarien contre les espaces verts.

Puisque aucun des livres cités ici n’a prêté attention à ces concordances, on ne risque pas d’y trouver une théorie susceptible de les expliquer. Qu’on me permette donc de proposer la mienne.

La raison pour laquelle OWS et le Tea Party paraissent parfois si semblables tient au fait qu’ils empruntent tous deux à ce libertarisme un peu paresseux et narcissique qui imprègne désormais notre vision de la contestation, depuis les adolescents de Disney Channel en quête d’eux-mêmes jusqu’aux pseudo-anarchistes qui vandalisent un Starbuck’s. Tous imaginent qu’ils se rebellent contre « l’Etat ». C’est dans le génome de notre époque, semble-t-il.

Le succès venant, le Tea Party a remisé au placard ses discours bravaches sur l’organisation horizontale. Autant de boniments dont la principale vocation était d’appâter le client. Ce mouvement n’avait pas de penseurs poststructuralistes, mais il disposait d’argent, de réseaux et de l’appui d’une grande chaîne de télévision (Fox News). Aussi n’a-t-il pas tardé à produire des dirigeants, des revendications et un alignement fructueux sur le Parti républicain. Occuper Wall Street n’a pas pris ce chemin-là. L’horizontalité, il y croyait vraiment. Après avoir connu un succès foudroyant, il s’est donc disloqué en vol.

Les élections présidentielles et législatives de novembre 2012 sont maintenant terminées : M. Obama a été reconduit à la Maison Blanche, M. Ryan a conservé son siège à la Chambre des représentants, la guerre contre les travailleurs continue — dans le Michighan, notamment — et Wall Street dirige toujours le monde. Certes, la ploutocratie n’est pas parvenue à convaincre la population qu’elle était sa meilleure amie, mais l’ordre ancien perdure et il apparaît de plus en plus évident que seul un mouvement social de masse, solidement ancré à gauche, pourra mettre fin à l’ère néolibérale. Malheureusement, OWS n’en fut pas un.

Thomas Frank

Journaliste à Harper’s Magazine et fondateur de la revue The Baffler, où fut publiée la version originale de cet article (no 21, novembre-décembre 2012). Auteur de Pourquoi les pauvres votent à droite, Agone, Marseille, 2004.

(1) Sarah Van Gelder et l’équipe de Yes ! Magazine, This Changes Everything : Occupy Wall Street and the 99 % Movement, Berrett-Koehler, San Francisco, 2012.

(2) Lenny Flank, Voices From the 99 Percent : An Oral History of the Occupy Wall Street Movement, Red Black & Publishers, St Petersburg (Floride), 2011.

(3) Chris Hedges et Joe Sacco, Jours de destruction, jours de révolte, Futuropolis, Paris, 2012.

(4) Lire Robert Zaretsky, « Au Texas, le Tea Party impose son style », Le Monde diplomatique, novembre 2010.

(5) Todd Gitlin, Occupy Nation : The Roots, the Spirit, and the Promise of Occupy Wall Street, It Books, New York, 2012.

(6) Collectif Writers for the 99 %, Occupying Wall Street : The Inside Story of an Action that Changed America, Haymarket Books, Chicago, 2012.

(7) Lire Christopher Newfield, « La dette étudiante, une bombe à retardement », Le Monde diplomatique, septembre 2012.

(8) Une situation qu’on observe aussi ailleurs. Lire Pierre Rimbert, « La pensée critique dans l’enclos universitaire », Le Monde diplomatique, janvier 2011.

(9) Antonio Negri et Michael Hardt, « Declaration », repris par Jacobin sous le titre « Take up the baton ».

(10) Judith Butler, « From and against precarity », décembre 2011.

(11) Will Bunch, October 1st, 2011 : The Battle of the Brooklyn Bridge, Kindle Singles, Seattle, 2012.

(12) Par exemple, Michael Graham, That’s No Angry Mob, That’s My Mom : Team Obama’s Assault on Tea-Party, Talk-Radio Americans, Regnery Publishing, Washington, DC, 2010.

(13) Lire François Flahault, « La philosophe du Tea Party », Manière de voir, n°125, « Où va l’Amérique ? », octobre-novembre 2012.

(14) Lire Thomas Frank, « Et la droite américaine a détourné la colère populaire », Le Monde diplomatique, janvier 2012.

(15) Jeffrey S. Juris, « Reflections on #Occupy everywhere : Social media, public space, and emerging logics of aggregation », American Ethnologist, vol. 39, n°2, Davis (Californie), mai 2012.

Voir aussi:

Nuit Debout: les limites d’un mouvement sympathique

Le rassemblement nocturne qui dure depuis la fin du mois de mars devra surmonter les difficultés de la démocratie directe et la tentation de l’entre soi.

L’étonnant est que la jeunesse ne se soit pas révoltée plus tôt, d’une manière ou d’une autre. Angoissée par le chômage de masse, frappée par la précarité, elle avait bien plus de raisons objectives de se rebeller qu’en mai 1968. C’est dire si l’éclosion du mouvement «Nuit Debout» était attendue, ou redoutée, par nombre d’observateurs ou d’acteurs politiques.

Déniaisement politique

L’absence jusqu’à présent, en France, de mouvements analogues à celui des «Indignés» en Espagne a pu s’expliquer de différentes manières. La crise économique a frappé ici moins durement les populations que de l’autre côté des Pyrénées. Or le projet de loi dit El Khomri a précisément donné à certains jeunes le sentiment que l’ère des protections sociales était désormais révolue.

L’autre raison, et sans doute la principale, du retard de la jeunesse française à se mettre en mouvement tient à l’importance spécifique du champ politique dans ce pays. Les espoirs placés dans l’alternance de l’équipe au pouvoir et l’habitude d’attendre beaucoup (trop) de l’Etat ne militaient pas en faveur du surgissement de la société sur la scène publique.

Le moins qu’on puisse dire est que François Hollande a fortement contribué à déniaiser la jeunesse française. Preuve a été spectaculairement administrée que les changements de couleur au sommet de l’Etat ne changeaient pas grand chose aux politiques effectivement conduites.

Un mouvement à déplafonner

Le terrain était ainsi déblayé pour qu’apparaisse enfin en France un mouvement de protestation rappelant, plus ou moins, les précédents américain d’«Occupy Wall Street» (2011) et espagnol des «Indignados» (2011-2012). Pour l’heure, «Nuit Debout» n’a cependant pas du tout la même ampleur que ce dernier phénomène.

On ne peut qu’être frappé par le contraste qui existe entre l’ample traitement médiatique du mouvement et sa relative modestie sur le terrain. «J’ai l’impression que les journalistes en font quelque chose de plus gros que ça n’est pour le moment», reconnaît honnêtement Johanna Silva, militante de Nuit Debout qui travaille au journal Fakir de François Ruffin.

Les centaines de personnes qui se rassemblent, chaque soir, sur une partie de la place de la République ne font guère boule de neige malgré l’important écho médiatique. «Là pour l’instant on peut dire qu’on plafonne, il y a une stabilité, il n’y a pas plus de monde chaque jour», observe Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole de Droit au Logement qui participe à Nuit Debout. La multiplication d’opérations du même type dans les régions ne résout pas la question de son élargissement.

Limites de la spontanéité

Avec ses longues assemblées générales et ses multiples commissions, Nuit Debout passe plus de temps à s’organiser qu’à se fixer des objectifs précis.

Pour grandir, le mouvement devra vraisemblablement surmonter une série de difficultés qui pèsent sur la mobilisation. La première tient aux limites de la spontanéité.

Ruffin, dont les initiatives sont à l’origine première de cet événement, rappelle une évidence:  «Il ne faudrait surtout pas croire que Nuit Debout est un mouvement spontané, né comme par miracle de la somme de désirs communs». Au contraire, «il a fallu organiser tout ça, canaliser ces actions disparates et ce besoin d’action».

Le rédacteur en chef de Fakir s’est cependant mis en retrait, laissant à de plus jeunes le soin d’organiser ce mouvement. Ce respect de l’autonomie d’une nouvelle génération est louable mais se paie d’inévitables tâtonnements. Avec ses longues assemblées générales et ses multiples commissions, Nuit Debout passe beaucoup plus de temps à s’organiser qu’à se fixer des objectifs précis.

Limites de la démocratie directe

Le dévoiement de la démocratie représentative a atteint un tel degré qu’il est logique que la démocratie directe soit particulièrement attractive pour de jeunes citoyens en phase de politisation. Comment croire encore aux joutes électorales droite-gauche lorsqu’un ministre éminent lance son propre mouvement politique en précisant que celui-ci peut accueillir à la fois des membres du PS et de LR?

Pour autant, il est un peu étrange que soit proposé en AG de revoter, par  quelques centaines de participants, des projets de lois en discussion au Parlement. Les libres prises de parole de Nuit Debout tiennent, au demeurant, souvent plus de l’expression de préoccupations diverses que de l’effort de définir un intérêt commun.

Un orateur défenseur des animaux est suivi par un militant avocat des migrants. Curieusement, alors qu’il est entendu que personne ne doit intervenir au nom d’une organisation, nombreux sont ceux qui prennent la parole uniquement pour défendre la cause qui leur tient à cœur. D’autres se contentent d’exprimer leur ressenti personnel dans la droite ligne de l’individualisme ambiant.

Si beaucoup de prises de paroles sont souvent émouvantes et rafraîchissantes, il est dommage que la méfiance de principe à l’égard des responsables de tous poils interdise à Nuit Debout d’être irrigué par de solides expériences militantes. Des syndicalistes auraient beaucoup de choses à dire aux jeunes rassemblés. Jean-Baptiste Eyraud regrette à raison qu’ils ne soient «pas forcément très appréciés» dans ces assemblées.

Le risque de l’entre soi

Le principal risque auquel s’expose Nuit Debout, pointé un soir par Ruffin lui-même, est celui de «l’entre soi». Par l’énergie qu’il exige simplement pour se constituer et se structurer, ce genre de mouvement innovant est menacé de devenir sa propre fin.

Le mouvement «Occupy Wall Street» était «tombé amoureux de lui-même», ce qui avait fini par signer son arrêt de mort.

On a pu entendre, place de la République, un militant en appeler au civisme de chacun au motif que Nuit Debout devait constituer «une mini-société parfaite». C’est là se fixer un objectif à la fois trop ambitieux –la perfection n’étant pas de l’ordre du social– et trop modeste –le but devant être plutôt de changer la société dans son ensemble. Dans le même esprit, un participant à une «assemblée constituante» explique: «On s’entraîne à écrire la Constitution, simplement pour se rendre compte qu’on peut le faire nous-même».

L’étroitesse sociologique de Nuit Debout est, au stade actuel, criante. Le public rassemblé à Paris, blanc et surtout jeune, ne brille guère par sa «diversité». «Pour le moment, il faut bien l’admettre, la Nuit Debout reste un mouvement animé par des individus qui n’appartiennent pas aux couches sociales les plus défavorisées, auxquels s’adjoignent, au mieux, quelques précaires (qui sont le plus souvent des intellectuels précaires», constate le sociologue Albert Ogien.

Ruffin s’inquiète, lui aussi, de sa capacité à «toucher des milieux populaires»: «Le mouvement doit dépasser les seuls centres urbains et essaimer à la périphérie, dans les banlieues, les zones rurales et industrielles, sinon il trouvera vite ses limites», prévient-il.

Le mouvement Nuit Debout ne passera à la vitesse supérieure que s’il est capable d’un décentrement assez radical. Il ne pourra être le lieu d’une «convergence des luttes» s’il tient à l’écart ceux qui les portent effectivement et s’il se limite à juxtaposer les revendications les plus diverses. L’expérience malheureuse de «Occupy Wall Street» devrait lui être utile. Ce mouvement était «tombé amoureux de lui-même», ce qui avait fini par signer son arrêt de mort.

Voir également:

Nuit debout : comment dépasser l’expérience citoyenne dans un projet politique ?

Laura Raïm

Regards

9 avril 2016

Occupy Wall Street a montré les risques de dispersion qui menacent les mouvements sociaux quand le formalisme démocratique l’emporte sur la formulation d’objectifs politiques. La Nuit debout devra trouver les moyens d’aller au-delà de l’occupation…

Délocaliser ou pas la cuisine de la cantine, telle est la question qui accapare une bonne vingtaine de minutes l’Assemblée générale de la quatrième Nuit debout, dimanche 3 avril, Place de la République. Pour des raisons d’hygiène, il serait préférable de préparer la nourriture dans de vraies cuisines équipées. Oui mais alors le cuisinier, à l’écart, ne pourrait plus participer aux discussions de la place. Le débat glisse ensuite vers une question plus profonde : est-il vraiment indispensable de faire débattre et voter, là maintenant, le millier de personnes présentes en AG sur la délocalisation de la cuisine ? Les membres de la « commission cantine » ne pourraient-ils pas, tout simplement, décider entre eux du lieu où ils veulent faire à manger ?

« Nous n’occupons pas pour occuper. Nous occupons pour atteindre des objectifs politiques. » Frédéric Lordon

Savoir ce que l’on dit aux profiteurs qui se nourrissent tous les jours à l’œil à la cantine où le prix est libre est important. Décider ce que l’on fait des gens ivres sur la place aussi. « Mais il ne faut pas que tout ça nous fasse perdre le sens de ce que nous faisons ici. » Le recadrage émane de Frédéric Lordon, qui a demandé à prendre la parole au bout d’une heure de discussions logistiques. L’économiste, soutien depuis le début du mouvement, n’est pas là pour parler intendance. « Nous n’occupons pas pour occuper. Nous occupons pour atteindre des objectifs politiques. » Et de plaider d’une part pour la « convergence des luttes » avec les agriculteurs, les chauffeurs de taxi etc, et d’autre part pour l’écriture d’une « constitution de la république sociale pour nous libérer de la propriété privée du capital ».

La perte de vue des objectifs politiques constitue-t-elle un écueil possible pour le mouvement qui a émergé après la manifestation du 31 mars 2016 contre la loi El Khomri ? À voir la pancarte « Ni capitaliste ni anticapitaliste, citoyen », on peut penser qu’une partie des jeunes « nuitdeboutistes » ont même une aversion à élaborer le moindre projet politique. « Mon père est de droite, je veux pouvoir lui dire de venir car ici ce n’est ni de gauche ni de droite », se réjouit une jeune femme, suscitant une réaction mitigée dans l’agora.

Pour certains d’entre eux, la réappropriation de l’espace public et l’expérimentation concrète de la démocratie directe et participative sont des fins en soi. Et de fait, il y a de quoi se réjouir. Beaucoup de jeunes n’avaient jamais manifesté avant. Maintenant ils sont là, ils parlent pendant des heures de valeurs collectives, du sens du travail, de distribution des richesses, d’accueil des réfugiés, de violence policière, bref, de politique, et c’est énorme. Est-ce suffisant ?

« Bâtir une culture de lutte démocratique est certes utile pour les cercles militants, mais ce n’est qu’un point de départ. Occupy Wall Street n’est jamais allé plus loin. » Thomas Franck

Dans un article du Monde diplomatique intitulé « Le piège d’une contestation sans revendications : Occuper Wall Street, un mouvement tombé amoureux de lui-même », le journaliste américain Thomas Franck affirme que « le refus de formuler des propositions a constitué une grave erreur tactique ». « Bâtir une culture de lutte démocratique est certes utile pour les cercles militants, mais ce n’est qu’un point de départ. OWS n’est jamais allé plus loin. (…) Pour ses militants, la culture horizontale représente le stade suprême de la lutte : « Le processus est le message », entonnaient en chœur les protestataires ».

Comment auraient-ils dû procéder ? Pour Thomas Franck, lutter contre Wall Street en 2011 impliquait, très prosaïquement, de se battre pour reréguler la finance par des lois et reconstruire « un État régulateur compétent ». « Mais ce n’est pas ainsi que l’on enflamme l’imagination de ses contemporains. Comment animer un carnaval lorsqu’on rêve secrètement d’experts-comptables et d’administration fiscale ? En remettant les choses à plus tard. En évitant de réclamer des mesures concrètes. Réclamer, c’est admettre que les adultes guindés et sans humour ont repris la barre et que la récréation est finie. Ce choix tactique a remarquablement fonctionné au début, mais il a aussi fixé une date de péremption à tout le mouvement. »

Le campement à Zuccotti Park a été évacué au bout de deux mois. On pourrait objecter à Thomas Franck que la dispersion d’Occupy n’est pas synonyme d’échec. Comme le fait souvent remarquer notamment Naomi Klein, le mouvement a fait resurgir le sentiment de la possibilité d’une transformation sociale, et une fois rentrés chez eux, les militants ont poursuivi de plus belle la lutte, que ce soit dans la restauration rapide en faveur des 15 dollars de l’heure ou dans la campagne Black Lives Matter contre les violences policières. Surtout, le mouvement a produit une chose que l’on ne pensait pas voir de sitôt aux États-Unis : un candidat socialiste aux primaires des présidentielles. Bernie Sanders a été porté par la génération Occupy. On peut en dire autant de Jeremy Corbyn aux Royaume-Uni ou de Syriza en Grèce, deux pays qui ont vu des mouvements importants d’occupation des places.

« S’il y a bien une chose qui n’a que faire de tout principe arithmétique de majorité, ce sont bien les insurrections. » Le Comité invisible

La critique de Thomas Franck fait écho, pour des raisons pourtant diamétralement opposées, à celle du Comité invisible sur le « fétichisme de l’assemblée générale » dans À nos amis. À Placa Catalunya à Barcelone, « chacun a pu alors constater que, lorsque l’on est aussi nombreux, il n’y a plus aucune différence entre démocratie directe et démocratie représentative. L’assemblée est le lieu où l’on est contraint d’écouter des conneries sans pouvoir répliquer, exactement comme devant la télé ».

À Oakland, on en vint à « considérer que l’assemblée n’avait aucun titre à valider ce que tel ou tel groupe pouvait ou voulait faire, qu’elle était un lieu d’échange et non de décision ». Car de toute façon, « s’il y a bien une chose qui n’a que faire de tout principe arithmétique de majorité, ce sont bien les insurrections, dont la victoire dépend de critères qualitatifs — de détermination, de courage, de confiance en soi, de sens stratégique, d’énergie collective ». Les auteurs évoquent quasiment une pathologie démocratique : « Si l’insurrection a d’abord trait à la colère, puis à la joie, la démocratie directe, dans son formalisme, est d’abord une affaire d’angoissés. Que rien ne se passe qui ne soit déterminé par une procédure prévisible. Qu’aucun événement ne nous excède ».

Il est en effet tentant de sourire devant les procédures que s’imposent depuis une quinzaine d’années les altermondialistes, Occupy et autres indignés pour maintenir la sacro sainte horizontalité. « Le Comité invisible mise tout sur la densité des relations et la confiance qui naît du fait d’habiter et de manger ensemble, de s’auto-organiser. Il n’empêche que les règles qu’ils ridiculisent ont leur utilité, affirme le philosophe Manuel Cervera-Marzal. Le système du tour de parole, par exemple, permet aux gens timides de s’inscrire et d’oser s’exprimer. Sans ça, c’est celui qui a l’habitude et qui crie le plus fort qui est entendu ».

Pour l’auteur de Désobéir en démocratie, les mouvements sociaux désireux de s’affranchir des structures hiérarchiques associées aux partis traditionnels auraient même, dans certains cas, intérêt à se doter de plus de règles. « Le problème, quand on part du principe qu’il n’y a pas de chef, c’est qu’on est aveugle face à celui qui émerge de manière informelle, par exemple sous l’effet des médias qui repèrent le « bon client ». Comme on ne le voit pas, on ne se donne pas les moyens de le contrôler par des élections et des mandats bien définis ».

« Non, la démocratie ne signifie pas donner la parole à tout le monde, et surtout pas aux fachos. Globalement, il y a un gros travail d’éducation populaire à faire pour politiser les AG. » Lise, une des initiatrices de la Nuit debout

C’était tout le propos de Joreen Freeman, lors de sa conférence sur « la tyrannie de l’absence de structure », prononcée en mai 1970. La militante féministe américaine comparait l’approche spontanéiste qui se méfie de tout protocole à la doctrine du « laisser-faire » qui « n’interdit pas aux secteurs dominants de l’économie de contrôler les salaires, les prix et la distribution » mais qui « se contente de priver l’État de la possibilité de le faire. L’absence de structure cache le pouvoir et, dans le mouvement féministe, l’idée séduit en particulier les personnes les mieux placées pour en profiter (qu’elles en soient conscientes ou non). Pour que chacun puisse avoir la possibilité de s’impliquer dans un groupe (…) les règles de prise de décision doivent être transparentes, et cela n’est possible que si elles ont été formalisées. (…) La question n’est donc pas de choisir entre structure et absence de structure, mais entre structure formelle et structure informelle. »

Sur place, le petit groupe d’organisateurs de la Nuit debout, constitué fin février autour du film Merci Patron de François Ruffin, ont eux-mêmes été confrontés à une certaine méfiance de la part des jeunes qui rejoignent le mouvement et qui rejettent toute structure : « Ils s’imaginent souvent que tout s’est mis en place spontanément, alors qu’on a fait un gros travail d’organisation en amont et que c’est grâce au soutien d’associations comme le Droit au logement, Attac et Solidaires que l’on a pu s’installer ici, avoir une sono, etc. », explique Lise, instit, membre du noyau dur d’initiateurs.

Les « anciens » comme elle essaient progressivement de passer la main mais « restent comme un Conseil de sages, pour éviter que ça parte dans tous les sens politiquement ». Elle explique : « Car non, la démocratie, ça ne signifie pas donner la parole à tout le monde, et surtout pas aux fachos. Pour les petites choses logistiques, il faut arrêter de perdre du temps et de l’énergie à les faire voter en AG. En revanche, il y a des questions beaucoup plus importantes, comme la rédaction des communiqués de presse, qui ne doivent pas se faire sans contrôle. Globalement, il y a un gros travail d’éducation populaire à faire pour politiser les AG. Il faut que d’autres camarades intellectuels rejoignent Frédéric Lordon et aident à faire passer le message qu’on n’est pas là juste pour « être citoyen » mais pour porter un projet politique, pour défendre un certain nombre de valeurs et d’idées. »

Voir par ailleurs:

Occupy Wall Street follows three years of sloppy presidential name-calling — “millionaires and billionaires,” slurs about Las Vegas and the Super Bowl, profit-mad, limb-lopping doctors, introspection that now is not the time for profits and at some point we should cease making money, spread the wealth, punish our enemies, and all the old Obama boilerplate. Someone finally got the message about the evil 1%.

When Ms. Pelosi and President Obama voice support for the protestors, we enter 1984. Does that mean that the Pelosis now pull their millions out of Wall Street, that the First Family eschews the 1% at Martha’s Vineyard and Vail? That Obama turns his back on Wall Street cash, and, for once, accepts public funding for his 2012 campaign? Postmodern class warfare is an insidious business, and hinges on its advocates not looking in the mirror.

No wise politician should invest in the bunch like those rampaging in Oakland. Their nocturnal frolics are a long way from Woody Guthrie’s Deportee, the Hobos’ « Big Rock Candy Mountain, » and the world John Steinbeck fictionalized. It is the angst of the wannabe class, overeducated and underemployed, which chooses to live not in Akron or Fowler, but in tony places like the Bay Area or New York, where annual rents are far more than a down payment on a starter house in the Midwest. Being educated, but broke and in proximity to the wealthy of like upbringing and background, are ingredients for riot.

I saw videos of youths burning things in Oakland, but was told that it “was a small minority” and atypical of the protest. Not long ago I saw no clips of anyone spitting at black congresspeople wading into the Tea-Party demonstration, but was told they did and that it was typical of tens of thousands of racialists on the Mall.

But Some Are Less Equal Than Others

I don’t think the protests are really much over the Goldman Sachs bailout, or jerks like revolving-door Budget Director Peter Orszag starting back up at Citigroup, or Solyndra crony capitalism. Apparently, most middle-class and upper-middle class liberals—many of them (at least from videos) young and white—are angry at the “system.” And so they are occupying (at least until it gets really cold and wet) financial districts, downtowns, and other areas of commerce across the well-reported urban landscape. As yet there is no definable grievance other than anger that others are doing too well, and the protestors themselves are not doing at all well, and the one has something to do with the other. I am not suggesting union members and the unemployed poor are not present, only that the tip of the spear seems to be furious young middle class kids of college age and bearing, who mope around stunned, as in “what went wrong?”

Then there is a wider, global phenomenon of the angry college student. In the Middle East, much of the unrest, whether Islamist, liberal, or hard-core leftist, is fueled by young unemployed college graduates. Ditto Europe in general, and Greece in particular: The state subsidizes college loans and the popular culture accepts an even longer period between adolescence and adulthood, say between 18 and 30 something. Students emerge “aware,” but poorly educated, highly politicized, and with unreal expectations about their market worth in an ossifying society, often highly regulated and statist.

The decision has been made long ago not to marry at 23, have two or three kids by 27, and go to work in the private sector in hopes of moving up the ladder by 30. Perhaps at 35, a European expects that a job opens up in the Ministry of Culture or the elderly occupant of a coveted rent-controlled flat dies.

Students rarely graduate in four years, but scrape together parental support and, in the bargain, often bed, laundry, and breakfast, federal and state loans and grants, and part-time minimum wage jobs to “go to college.” By traditional rubrics—living at home, having the car insurance paid by dad and mom, meals cooked by someone else—many are still youths. But by our new standards—sexually active, familiar with drugs or alcohol, widely traveled and experienced—many are said to be adults.

Debt mounts. Jobs are few. For the vast majority who are not business majors, engineers, or vocational technicians, there are few jobs or opportunities other than more debt in grad or law school. In the old days, an English or history degree was a certificate of inductive thinking, broad knowledge, writing skills, and a good background for business, teaching, or professionalism. Not now. The watered down curriculum and politically-correct instruction ensure a certain glibness without real skills, thought, or judgment. Most employers are no longer impressed.

Students with such high opinions of themselves are angry that others less aware—young bond traders, computer geeks, even skilled truck drivers—make far more money. Does a music degree from Brown, a sociology BA in progress from San Francisco State, two years of anthropology at UC Riverside count for anything? They are angry at themselves and furious at their own like class that they think betrayed them. After all, if a man knows about the construction of gender or a young woman has read Rigoberta Menchu, or both have formed opinions about Hiroshima, the so-called Native American genocide, and gay history, why is that not rewarded in a way that derivatives or root canal work surely are?

Voir encore:

Victor Davis Hanson
November 11, 2011
Tuberculosis, Zuccotti lung, rape, murder, and assault — the various Occupy Wall Street protests nationwide have now seen almost everything. The autumn protests, which had some resonance with the American people who were burned by Wall Street and resent its bailouts and mega-bonuses that weren’t performance based, have degenerated into a wintery vagrancy and sixties-style street carnival.
It wasn’t ever a movement that could translate directly into political advantage the way the Tea Party led to the near-historic 2010 midterm upheavals, given its incoherence. For who exactly were the culpable 1 percent on Wall Street — liberal former governor Jon Corzine, under whose leadership MF Global’s speculation led to bankruptcy and a missing $600 million? Clintonite Jamie Gorelick, who took $26 million from a bankrupt Fannie Mae for her financial brilliance? The banking expert Rahm Emanuel who went in and out of the financial world rather quickly for his $16 million? Peter Orszag, who went through the revolving door from OMB to Citigroup in a wink? Franklin Rains, Chris Dodd (of Countrywide fame), Jim Johnson, or the profit-minded Pelosis? Perhaps George Soros, whose currency speculations nearly broke the Bank of England? What about Barack Obama, the largest recipient of Wall Street cash in history, a bounty that in part allowed him to be the first candidate in over 30 years to renounce public campaign financing?
Wall Street is insidious in ways that transcend the 401(k) plans of the middle classes. It is deeply embedded within the Washington–New York nexus, the Ivy League, and both the liberal and conservative political apparat. So the protesters never had clear targets, inasmuch as Wall Street money in 2008 went heavily for Obama, an expert in garnering Goldman Sachs and BP cash. Otherwise, its peripheral messages were incoherent or anarchic, and turned off rather than won over most Americans.
Occupy Wall Street did, however, raise one important issue: that of higher education and its role in increasing tuition and little commensurate education. So much of the angst in video clips and op-eds was voiced by a youthful upper middle class who went to the university, majored either in social science or liberal arts, piled up debt, faced almost no employment choices commensurate with their class and their educational brand — and thus were furious at the more profit-minded members of a like class for abandoning them.
Revolutionary movements throughout history are so often sparked by the anger, envy, and disappointments of an upper-middle cohort, highly educated, but ill-suited for material success in the existing traditional landscape.
Voir de plus:

The unwillingness of authorities to put a stop to their organized disruptions of other people’s lives, their trespassing, vandalism and violence is a de facto suspension, if not repeal, of the 14th Amendment’s requirement that the government provide « equal protection of the laws » to all its citizens.

How did the « Occupy » movement acquire such immunity from the laws that the rest of us are expected to obey? Simply by shouting politically correct slogans and calling themselves representatives of the 99 percent against the 1 percent.

But just when did the 99 percent elect them as their representatives? If in fact 99 percent of the people in the country were like these « Occupy » mobs, we would not have a country. We would have anarchy.

Democracy does not mean mob rule. It means majority rule. If the « Occupy » movement, or any other mob, actually represents a majority, then they already have the votes to accomplish legally whatever they are trying to accomplish by illegal means.

Mob rule means imposing what the mob wants, regardless of what the majority of voters want. It is the antithesis of democracy.

In San Francisco, when the mob smashed the plate-glass window of a small business shop, the owner put up some plywood to replace the glass, and the mob wrote graffiti on his plywood. The consequences? None for the mob, but a citation for the shop owner for not removing the graffiti.

When trespassers blocking other people at the University of California, Davis refused to disperse, and locked their arms with one another to prevent the police from being able to physically remove them, the police finally resorted to pepper spray to break up this human logjam.

The result? The police have been strongly criticized for enforcing the law. Apparently pepper spray is unpleasant, and people who break the law are not supposed to have unpleasant things done to them. Which is to say, we need to take the « enforcement » out of « law enforcement. »

Everybody is not given these exemptions from paying the consequences of their own illegal acts. Only people who are currently in vogue with the elites of the left — in the media, in politics and in academia.

The 14th Amendment? What is the Constitution or the laws when it comes to ideological soul mates, especially young soul mates who remind the aging 1960s radicals of their youth?

Neither in this or any other issue can the Constitution protect us if we don’t protect the Constitution. When all is said and done, the Constitution is a document, a piece of paper.

If we don’t vote out of office, or impeach, those who violate the Constitution, or who refuse to enforce the law, the steady erosion of Constitutional protections will ultimately render it meaningless. Everything will just become a question of whose ox is gored and what is the political expediency of the moment.

There has been much concern, rightly expressed, about the rusting of bridges around the country, and the crumbling and corrosion of other parts of the physical infrastructure. But the crumbling of the moral infrastructure is no less deadly.

The police cannot maintain law and order, even if the political authorities do not tie their hands in advance or undermine them with second-guessing after the fact.

The police are the last line of defense against barbarism, but they are equipped only to handle that minority who are not stopped by the first lines of defense, beginning with the moral principles taught at home and upheld by families, schools, and communities.

But if everyone takes the path of least resistance — if politicians pander to particular constituencies and judges give only wrist slaps to particular groups or mobs who are currently in vogue, and educators indoctrinate their students with « non-judgmental » attitudes — then the moral infrastructure corrodes and crumbles.

The moral infrastructure is one of the intangibles, without which the tangibles don’t work. Like the physical infrastructure, its neglect in the short run invites disaster in the long run.

Voir de même:

Playing baseball games without keeping score. Parents not allowed to cheer for one side or the other at basketball games. Refusing to use red ink to grade tests because it’s too jarring. No dodgeball. Participation trophies. Telling kids, « You’re special, » without their doing anything to show they’re special.

Newsflash: You may be special to God, your mommy, and your teacher just because you were born, but the rest of us aren’t impressed.

The world doesn’t owe you a living, a promotion, or any special consideration at all. The people who tell you otherwise are doing it because they think you’re stupid, easy to manipulate, and they want to use you for their own purposes.

Oh, but what about the lucky ones, you say? The lazy, good-for-nothing punk kids who just happened to be born in the right family and live a life of luxury as a result?

What about them? There’s always a little bit of randomness in life. The woman who does everything right and gets hit by a bus before she ever gets her payoff or the guy who does everything wrong and seems to get every break. So what? Is the idea supposed to be that you should have everything you want in life handed to you on a silver platter even though you’re lazy and good-for-nothing because the Kennedy family exists?

Wait, wait, I forgot; you’re not lazy and good-for-nothing. Your teacher told you that you are special and so did your mommy.

I hate to break this to you, but they may have told you a lie. Think back; what did you actually do that was so special? Were you an all-state quarterback? Did you carry your team to victory on your shoulders in a HI IQ Bowl competition? Did you set a state record for selling chocolate bars to support the school band? Those are the sort of achievements that should build self-esteem. That’s because the right way to build self-esteem is by finding something you want to do, becoming better at it than most other people, realizing it, and then feeling a sense of specialness as a result of your accomplishments.

Instead, what we call « building self-esteem » has become nothing more than giving children a false sense of confidence. Oh, little Johnnie, you were born in America! That means the world is your oyster! Oh, you graduated from high school; that’s great! Then you graduated from college? With a degree in Art History? Wow, that’s really amazing! Just stand there long enough and your reward is sure to fall from the sky, wrapped in a bow, right into your waiting hands!

The « American Dream » used to be getting married, getting a white house with a picket fence, having 2.5 kids, and living a reasonably comfortable life. Tens of millions of working people have made good and happy lives for themselves and their families living that dream. However, now we have man-children going $50,000 in debt for a philosophy degree who are starting to realize that they’re not actually going to make $100,000 a year as a community organizer or licking stamps for some left-wing foundation. Even worse yet in their minds, they can’t afford a 50 inch TV, a Kindle, an IPod, an iPhone, a new car, nice clothes, a Playstation 3, and everything else their parents accumulated over a lifetime – which, of course, they want at 25 while working 40 hours a week at a job they like.

That is not the real world. That has never been the real world.

The « Greatest Generation » suffered through the Great Depression, which makes every bad economy we’ve had since then look like a tea party with the queen. Afterwards, they went overseas, fought the Nazis and the Japanese, and the ones that lived came back home and started to build a life while they stood up for freedom across the world against the Soviet Union. They did make one mistake though; they had it so brutally hard in their own lives that they eased up too much on their own kids. That was the heart of a generation speaking. What they missed was that the struggles that they had to endure were what shaped their character and carved them into such an extraordinary group of people. Because they had to fight so hard for everything they had, not only did they grab every opportunity that came their way with both hands, they appreciated just being given the opportunity to work their butts off to have a chance to succeed.

The same certainly can’t be said about the Baby Boomers. As a group, they were inferior to their parents in almost every way that mattered. They were less Godly, less moral, less charitable, less patriotic, less industrious, less ambitious, lazier….but they would certainly never admit that to themselves. So, they looked at the very, very limited subset of things that they did better than their parents and they created a pseudo-morality based on tolerance, diversity, and “not being mean. » That’s an extraordinarily thin group of minimally important virtues for any group of people to hang their hat on, but it’s what they had to work with.

The problem with this pseudo-morality is that it has now been taken to its natural conclusion and it’s doing more harm than good. We’re creating a nation full of man-children because every stupidity and immorality you can think of is now being tolerated. Build your house on a flood plain so dangerous you can’t even insure it? No problem; somebody will pay for it. Have 15 kids with 3 different men? No problem; somebody will pay for it. Ride your bike down a trail you weren’t supposed to when it was icy and fall? No problem; somebody will pay for it. Make a really dumb deal on a house and get underwater on your mortgage? No problem; somebody will help pay for it. We’ve got a lot of people dedicated to proving that they’re « tolerant » and « not mean » who really should be asking whether or not they are being stupid.

Of course, this mentality has shaped outlooks on life, too. If you’re a woman and failing, the patriarchy must be keeping you down. If you’re black and behind, the white man must be holding you back. If you’re an illegal alien, the problem isn’t that you broke the law; it must be that racists don’t like you. If you have minimal skills and a gaggle of illegitimate kids, the state must not be doing enough to help you. Can’t pay your mortgage? The bank must have ripped you off. If you’re poor, some rich guy must be taking money that was somehow meant for you. The only good thing about the way losers blame everybody but themselves for their own failures is that it warns the rest of us that they’re losers.

It’s gotten so bad that treating adults like small children isn’t enough. Now, we’ve actually gotten to the point where we have to make phony excuses for why the mediocrities aren’t as successful as the people who’re talented, smart, and work hard. Suddenly, the guy who worked 70 hours a week for decades, saved all his money, and invested it or started his own business — he’s the bad guy. It didn’t used to be that way. We used to hold people like that up as an example and encourage people to learn from them. Now, we have to try to tear people down because their success is a living rebuke to the sort of selfish, lazy, morally bankrupt man-children who are failing at life despite the fact that they think they’re so « special. »

If people really think bankers and CEOs have it easy, why not become a banker or a CEO? Oh yeah, that would mean no neck tattoos, wearing a suit and tie, celebrating success, and working seventy hours a week for a few decades without a surefire guarantee that you could outperform other hard-driven achievers in a competitive field. It’s a whole lot easier to go to the park, lay back like a big baby, complain about how hard you’ve got it, and demand to be given a portion of somebody else’s success that you don’t even remotely deserve.

We have people who mock God, scoff at tradition, scorn hard work, show disdain for men of honor, embrace hedonism, and wallow in their own selfishness and victimhood while they demand pity because they’ve got it hard as a result of the irresponsible way they live their lives. Let me tell you what a lot of people really think, but don’t want to say because it’s not politically correct. Stop complaining that the people who are paying your share, their share, and a dozen other people’s share aren’t doing enough while you camp out in Zuccotti Park and eat donated food. There are few things worse than arrogant beggars. So, get off your lazy butt, stop looking for hand-outs, take baths, apply for jobs on Wall Street instead of protesting it, and start contributing to society instead of leeching off of it. The problem with society isn’t the people paying taxes and creating jobs; it’s the non-contributors with a huge sense of entitlement who think they should be able to make a good living off the sweat of someone else’s brow. Your envy, your endless excuses, and your embrace of victimhood are sickening and unmanly. Grow up.

1) If you’re serious about going after Wall Street, it’s hard to see how you could vote for Barack Obama who ladled out billions in taxpayer dollars to Wall Street corporations. « Wall Street (also) donated twice as much money to Barack Obama’s presidential campaign in 2008 as it did to John McCain’s. » How much sense does it make to protest Wall Street and then vote for the guy who is doing more to help Wall Street at America’s expense than anyone else in the country?

2) The Tea Partiers have been called racist because there aren’t a lot of minorities who show up at the protests. Yet, judging by the pictures, there aren’t any more minorities at Occupy Wall Street. Does that mean they’re racist? In fact, given that black Americans vote Democratic 9-to-1 and Hispanic Americans vote Democratic 2-to-1, shouldn’t there be a lot more minorities at Occupy Wall Street than at a Tea Party?

3) If you « occupy a job, » you don’t have time to spend weeks « Occupying Wall Street. » If you don’t « occupy a job, » it would make more sense to put in resumes with Wall Street firms than protest them. If you don’t have the skills to get a job on Wall Street or anywhere else, you should « occupy » a university or a training class to build some marketable skills, rather than sleeping in the park like a hobo and blocking the Brooklyn Bridge so that working people can’t get home.

4) Liberals have claimed that Tea Parties are violent mobs, but there have been more arrests, violence, and attacks on police in just the Occupy Wall Street protest in New York City than in every Tea Party combined nationwide. Also, if reports are to be believed, I’m pretty sure there have been more people relieving themselves in alleyways and on police cars, too.

5) Although the reasons behind the Occupy Wall Street protests are extremely fuzzy, which is pretty weird if you think about it, the most common theme that has come up is a complaint about the bank bailouts. First of all, it’s worth noting that unlike many of the Republicans in D.C., much of the conservative base was opposed to the bank bailouts right from the start. In fact, back in September of 2008, 71% of conservative bloggers were opposed to the bailout. Additionally, the economic collapse that led to the bailout was caused by the government, not the banks. The government bent the banks over a barrel, forced them to make risky loans, and then when those loans eventually went bad, the same people who created the problem pretended they had nothing to do with it. So, you can protest Wall Street all day long, but the real culprits are in D.C.

6) The word « astroturf » keeps falsely being applied to Tea Party protests by liberals. Meanwhile, there are actually ads on Craigslist offering to pay people to go out and protest at Occupy Wall Street.

7) There are a lot of college students protesting that they have huge student loans to pay off, but they can’t find a job that pays enough to do it. For some people, this may be a short term problem. Know where my first post-college job was in a crummy economy? Wal-Mart Portrait Studios. What a wonderful use of my four year degree that was. That being said, if you ran up $60,000 in debt so you could get a degree in philosophy or lesbian studies at a private school, whose fault is that? Certainly not Wall Street. If you rack up huge amounts of debt so you can get a degree that qualifies you to spend the next 30 years as a convenience store clerk, that was YOUR dumb decision and how you take care of it should be YOUR problem.

8) As more Democrats like Nancy Pelosi start to associate themselves with Occupy Wall Street, it seems fair to ask these politicians to answer two basic questions. Will they give back the campaign contributions they’ve already received from Wall Street? Will they continue to take campaign contributions from Wall Street?

9) Nobody, not even the Occupy Wall Street protesters, knows exactly why they’re protesting or what they’re trying to accomplish, but the general idea seems to be that the people who aren’t paying income taxes are complaining that the people who are paying taxes aren’t handing over enough of their money. Apparently, the phrase, « The world doesn’t owe you a living » needs to make a comeback in homes across America.

10) As Herman Cain said, « You can demonstrate all you want on Wall Street. The problem is 1600 Pennsylvania Avenue! » The solutions to America’s problems aren’t going to be found in punishing corporations, the rich, or the successful. They’ll be found in shrinking the government, giving more power to the people, and getting more Americans to form corporations, become rich, and become successful.

Why are so many liberals obsessing about inequality? Why does the president keep talking about rich people as part of his re-election campaign?

Two things to remember about the pundits: (1) the chattering class has to chatter about something and (2) the worst thing for a professional chatterer is to be ignored. One thing to remember about the president: he desperately wants to be re-elected.

Here’s the overall problem: The political left has no solutions to our most pressing problems. Whether the issue is economic growth or runaway entitlement spending or non-performing public schools, left-of-center solutions were tried and found wanting here and abroad during the last century.  Further, the only solutions that seem to work today are right-of-center — requiring privatization, individual empowerment and free markets.

For Barack Obama the problem is even worse. If the election is about the economy or government regulation of the economy, or whether bigger government or smaller government is the solution to what ails the economy, the president is almost certain to lose.

So what to do? Make up a problem whose only solution appears to be higher taxes and bigger government. That’s where inequality comes in. It’s a way to change the subject. It’s a way to find a scapegoat to blame (explicitly or implicitly) for the problems at hand. It’s a way to distract attention away from the fact that the president is not solving our problems (and even making them worse!) toward people who are not generally loved. It’s also a way to justify a more active role for government.

There is nothing new about any of this. The tactic of finding a scapegoat to blame for our problems and using the argument to justify more government power is as old as politics itself.

During the Great Depression, people were in misery everywhere and political leaders had no idea what to do about it. In Germany, Hitler made a scapegoat of the Jews and blamed them for Germany’s economic problems. In the United States, racist politicians in the South and Midwest blamed economic bad times on blacks, other minorities and immigrants. At the national level, Franklin Roosevelt did the same thing with the wealthy. In fact, his administration launched an attack on 60 wealthy families — calling them “plutocrats” and blaming them for prolonging the Depression and preventing economic recovery.

Granted, Roosevelt didn’t put wealthy individuals in concentration camps. He didn’t burn crosses on anyone’s front lawn. But he definitely violated the civil liberties of our most successful citizens and their families, and he skillfully used the politics of division and envy to distract voters from real problems and real solutions. As Amity Shlaes reports in The Forgotten Man, Roosevelt got the IRS to delve into their tax returns; he got the Justice Department to pursue criminal investigations and prosecutions — even when there was no obvious crime; and he got the Securities and Exchange Commission to publish the salaries of utility executives in order to publicly shame them.

Roosevelt had tax commissioner Guy Helvering give out the names of 67 “large wealthy taxpayers (Pierre du Pont included), who by taking assets out of their personal boxes and transferring them to incorporated pocketbooks have avoided paying their full share of taxes.” He referred to the wealthy as “princes of property,” even though he was wealthy himself. His Interior Secretary, Harold Ickes, railed about an “irreconcilable conflict” that “must be fought — until plutocracy or democracy, until America’s 60 families or America’s 120,000,000 people — win.”

Barack Obama has obviously learned from that experience. High gasoline prices are a political problem? Blame the oil companies. Families are hurting? Blame the rich. People are not successful finding a job? Blame the most successful 1%.

What is surprising about the current era is the willingness of respectable economists to become pawns in this scheme. On “Morning Joe,” Harvard economist Jeffrey Sachs complains about rich people “sucking up all the income.” Paul Krugman frequently implies that the gains of the rich have come at the expense of the non-rich. But no economist has actually come out and said that the top 1% are the cause of our failure to recover from the Great Recession.

Until now. In yesterday’s New York Times column Paul Krugman finally goes over the top. Resurrecting the Roosevelt term “plutocracy,” he blames the failure of economic recovery on the country’s billionaires. “Money buys power,” he writes, “and the increasing wealth of a tiny minority has effectively bought the allegiance of one of our two major political parties [guess which one?], in the process destroying any prospect for cooperation.”

There’s more:

And the takeover of half our political spectrum by the 0.01 percent is, I’d argue, also responsible for the degradation of our economic discourse, which has made any sensible discussion of what we should be doing impossible.

You have to wonder, who does Krugman think is attending those $35,000-a-person dinners to support the president’s re-election campaign? Is he really unaware that Obama receives far more funding than any Republican from Hollywood, Silicon Valley and Wall Street? Does he really not know that almost all of the largest foundations have fallen into the hands of liberals? Or that worthless heirs are hugely in the Obama camp?

Go figure.

Yesterday we learned that the SEIU, a union with heavy ties to President Obama, is paying $4,000 per month for office space in downtown Washington D.C. What is the office space for? Occupiers to organize and meet. President Obama supports Occupy Wall Street. So yesterday, I decided to take a trip down to the Occupy offices and check it out for myself. The office is located on 16th and L and is on the 6th floor.

I walked up to the door, took a picture of it and asked if there was someone in there I could talk to. I was then brought into the front room of the office where I was greeted with a « Jesus Christ! » when I told them I was a reporter. I received the same reaction when they found out I was a conservative. Regardless, they seemed willing to talk. I was taken into another smaller room, where the conversation began. I noticed an Apple corporation computer on the desk to the left and a Dell corporation computer to my right. « Ironic » I thought, considering Occupy claims to hate corporations, but whatever. In case you’re wondering, people in the office looked clean, a step up from their hygiene level back at the park.

The Occupiers were upset and felt « betrayed » by a Washington Examiner article about their new space, calling it unprofessional and inaccurate. They said SEIU is paying for their office space, but that they are in no way working for President Obama or the unions and that they absolutely refuse to be co-opted. Karina Stenquist, editor of the newspaper D.C. Mic Check, said it was unethical for Examiner reporter Aubrey Whelan to bring the SEIU’s connection to President Obama into a story about their new office space, making the argument that the SEIU’s connection to Obama in an election year is irrelevant. Occupiers also argued that the space lease ending on just after election day 2012 is irrelevant when I asked if they felt they would be used as political pawns.

Anyway, moving on. I talked the most with Johnny Mandracchia, who describes himself as an anarchist and anarcho-syndicalist (don’t ask me what that means, just Google it.) He agreed to say on an audio recording, that violence is not smashing Starbucks’ windows, « because Starbucks isn’t a private business it’s a corporation » or burning cop cars, but is instead simply vandalism.

Dictionary definition of violence:

vi·o·lence [vahy-uh-luhns] noun
1. swift and intense force: the violence of a storm.
2. rough or injurious physical force, action, or treatment: to die by violence.
3. an unjust or unwarranted exertion of force or power, as against rights or laws: to take over a government by violence.
4. a violent  act or proceeding.
5. rough or immoderate vehemence, as of feeling or language: the violence of his hatred.

Mandracchia admitted off the recording during our conversation that as long as their isn’t a cop in the car, burning cop cars is okay. Regardless, Occupiers from Occupy D.C. (and around the country for that matter) haven’t had any problem assaulting police officers in the past. A few months ago a police officer was smashed in the face by an occupier with a brick. Mandracchia did say he had no plans to smash windows, but also had no issue with others doing so, « That’s their decision. » Another woman in the room, who described her name as « someone who occupies » after admitting she has « at least six names » she uses, agreed with the violence argument.

Mandracchia also told me that he has no plans to vote because voting « doesn’t matter. » When I asked him what he and other occupiers were going to do instead to get their needs met he responded with, « whatever we want. » Keep in mind, voting is a substitute for violence. I also asked Mandracchia if he would denounce Occupy rapes across the country, specifically close to D.C. in Baltimore and he said, « I’m not aware of any rapes in Baltimore. »

Justine Tunney has caused quite an uproar within what remains of the dying Occupy movement for a couple of reasons. First, Occupy prided itself as being a “horizontal,” leaderless movement, not a top-down organization directed by a leader like Tunney. The anonymous masses displaying their Guy Fawkes masks want the illusion that Occupy was spontaneously started by the working class (“the 99 percent”), idealistically how a Marxist utopian communist revolution should emerge; they don’t want to admit it was a movement directed by any bourgeois leader. Secondly, Tunney is now a software engineer at Google, embodying big business and the corporate world, practically the antithesis of the Occupy movement which despises corporate America. In December, Occupiers attempted to block buses from large tech companies like Google and Apple from picking up their workers.

Tunney is not interested in working with the mainstream left. Blowing off the Democrat Party – the closest connection the Occupy movement ever had to power – makes it pretty unlikely Occupy will ever accomplish much. Tunney bragged last week about the negative relationship the clueless anarchist amateurs who started Occupy have with Democrats, “That’s why Liberal Elite™ has always fought so hard to destroy Occupy. It’s why they spread lies about us. Because we’re #winning.”

At the same time Occupy has been imploding, the angry extreme left has resorted to using the Twitter hashtag #RWNJ, which stands for Right Wing Nut Jobs. What is revealing about this is it acknowledges that the left has given up on trying to work with the right wing; instead, they would rather block them and bash them. Resorting to angry tactics like that says a lot about their inability to debate and work through issues. A typical tweet from that channel: “It is always so much easier to block #RWNJ trolls than trying to reason with them.”

This attitude is emblematic of where the far left is today. They would rather cut off debate entirely than actually debate the right. No longer are they are interested in the civilized kind of political debates this country was founded on and has relied upon for years, epitomized by the Lincoln-Douglas debates of 1858. The left would rather silence the right to win.

Their language is full of hate towards the right, which is hypocritical considering they claim to be against hate with their No Hate gay campaign. One tweeted, “If you want to see an illogical and crazy these #Kochsucker, check out this #RWNJ = @CapitaLiszt #psycothic #loser #liar #nutjob #suckup.” Much of the language is so foul it cannot be repeated here.

Even more amusing, the far left cannot stop bragging about themselves while avoiding genuine debate with the right. One lefty tweeted, “You know why I pick on #RWNJs? Because I feel I have a gift I must share with the world!” One prolific contributor to the channel has a grandiose username of “princessomuch.” Another has a blank website entitled liberalbadass.com. His ostensibly credentialed background is enjoying wine and supporting lefty causes. One can’t help but wonder what is wrong with these people to brag this much about nothing.

Many of those who contribute to #RWNJ have profiles that say “I am awesome” and are all about explaining how they – in all their importance – have come to their viewpoints. The vast majority haven’t accomplished much in their life, but boy do they brag about their opinions. Who is reading these thousands of narcissistic profiles, tweets and blog posts? There are so many now like this, it is mind-boggling.

The anger combined with the constant bragging makes one wonder what is wrong with them. Are they taking out personal issues in the political realm in order to mask them as simply anger over partisan politics? What is clear is that they’ve lost the intellectual debate. Refusing to debate issues anymore is a sign the left admits they no longer have any arguments left to refute the right; they’ve let emotionalism take over.

Voir encore:

Nuit debout: du plaisir de manger de la compote!
Immersion place de la République
Ludovic Fillols

Causeur

19 avril 2016

Malgré les limites de Nuit debout et la bêtise des plus sectaires de ses participants, il y a un plaisir à s’asseoir une demi-heure place de la République pour écouter des gens dire un peu tout et n’importe quoi.

On arrive à Nuit debout comme au milieu de la fête de l’Huma. Des arabes glabres vendent des sandwiches halal, on fait la queue pour retirer de l’argent au distributeur le plus proche, des médecins parlent de leur condition précaire sans que personne ne les écoute, des skateboarders glissent sur la place de la République, une cantine végétarienne à prix libre campe au milieu de la place et l’on peut inhaler d’occasionnels effluves de cannabis. Le printemps est de retour, après huit mois de dur labeur, la véritable année, qui commence en avril et finit en septembre, peut démarrer. Le mouvement social du moment fait déplacer les foules.

Antispécisme et prépubères en keffieh
Avec un tant soit peu de mauvaise foi (et même sans mauvais foi), on peut trouver de quoi dégonfler la baudruche Nuit debout. Des jeunes capricieux, avec des dreadlocks, ramassent des bouts de joints usagés pour les casser et en rouler de nouveaux, des prépubères en keffieh agitent des panneaux défendant l’antispécisme (et donc l’abolition de toute différence entre l’homme et l’animal, ce qui est en somme tout un programme, à des années-lumière du très démodé antiracisme), des vieillards à la peau dégommée par l’alcool houspillent dans tous les sens et puis un bruit de basse assourdissant en fond sonore s’annonce en prévision de la soirée qui commencera quand tout le monde aura assez bu et fumé. Sans parler du reste, quelque chose semble avoir échappé à nos amis debout : ce monde a besoin de tout sauf de bruit supplémentaire.

On a tout de même envie de rester un peu. On ne crache pas sur la fraîcheur printanière d’un vendredi soir place de la République. On prend sa place au milieu des gens assis tendant l’oreille en agitant passagèrement les bras au-dessus de leur tête.

68, c’était hier…
Pendant l’Assemblée générale, un certain nombre de codes se mettent en place. On n’applaudit pas en tapant dans ses mains. Il ne faut pas interrompre les gens. Le silence reste salutairement gardé pendant que les gens parlent. Défilent alors toutes sortes de personnes. Un type au crâne rasé enthousiaste et revendicateur qui dit qu’il ne faut pas lâcher, que tout ça doit durer, qu’il faut faire attention aux récupérateurs comme le leader de Podemos Pablo Iglesias. Une femme rappelle le souvenir chéri de 68 arrêté en plein vol. On vit « un moment historique » nous dit-elle. Il ne faut pas se le faire voler. Un ouvrier Renault raconte avec émotion les dessous de tractations entre l’Etat et des bailleurs privés pour exclure les travailleurs des logements sociaux. Tous n’ont qu’un mot à la bouche : pas de recours à la violence. Ou plutôt, pas encore. Les policiers, qui surveillent et qui vident la place tous les matins à 5h00, pourront bientôt s’amuser un peu. Un autre jeune homme vient qui dit qu’il n’est pas révolté, qu’il n’a guère de raisons de l’être. Mais il est « un rêveur ». Et le monde de demain, il le voit ! Ce monde-là n’est pas aux mains du capital. Ce monde-là n’est pas un monde en guerre. Il insiste sur l’importance de la spiritualité. Qu’elle soit laïque ou religieuse, elle fait le ciment de la communauté. Nuit debout est en flagrant délit d’occulto-socialisme : ce sourd désir de fusion généralisée qui habite l’humanité depuis le XIXème siècle de Philippe Muray. Et, comme pour lui donner raison, lui qui regarde tout ça de là où il est avec un œil distrait, on amène une petite fille blonde à la tribune. « Les parents, quand ils travaillent, ils ne s’occupent pas de nous. Nous, on veut qu’ils travaillent moins ». Tonnerre d’applaudissements. Mains qui claquent à tout rompre. Bien évidemment. Infanthéisme quand tu nous tiens…

Il faut montrer patte blanche
Un dernier homme vient à la tribune avant la diffusion d’un film sur une toile que l’on est en train d’élever. Il veut faire un exposé en trois points. Il assure qu’il est solidaire du mouvement. Il insiste bien, il le répète.  Chez Causeur, on appelle ça « mettre une capote ». Pour éviter toute interprétation tendancieuse de ses propos, on montre patte blanche, on met de la nuance, on protège son discours pour le faire rentrer en douceur. Ses deux premiers points ne sont pourtant pas très irrespectueux. Evitons la violence. Ne nous avachissons pas dans la révolte stérile et sans vision. En troisième lieu, il déclare qu’il faut lire des livres. Et que ça tombe bien parce qu’il veut nous parler d’un livre qui est paru « aux Belles lettres ». Mon oreille se dresse. Depuis 10 minutes qu’il nous parle, ayant fait exploser le temps de parole imparti à chacun, le public commence à se faire impatient. Et, alors qu’il s’apprête à dire le nom de ce livre et de son auteur, le micro lui est repris. Je trépigne. « Les Belles lettres c’est bien, ok, mais enfin c’est juste des connards élitistes » me glisse un type avec un bonnet rouge de skateboarder et une barbe bien taillée assis juste devant moi. Je suis un peu déçu. Le lendemain, j’apprends qu’Alain Finkielkraut, victime d’une image médiatique réductrice et peu reluisante aux yeux des étudiants en révolution qui peuplent la place de la République, a payé de son éviction sans la moindre délicatesse le prix de cet antiélitisme béat et bêta.

Rêve rafraîchissant
Pourtant, en se levant, on ne peut pas s’empêcher d’être charmé. Alors qu’on passe son temps à courir, à sauter de métro en métro, à faire un travail sans intérêt, auquel on ne croit pas, dont les conséquences nous déplaisent et sont en contradiction avec le plus élémentaire bon sens, il y a un plaisir à s’asseoir une demi-heure pour écouter des gens dire un peu tout et n’importe quoi. Le réel s’est dissous, ils ne seront pas ceux qui le feront réapparaître. Cela, personne ne le peut. Mais, comme dirait Pierre Gattaz à propos de l’initiative macronienne En marche : « C’est rafraîchissant ». Alors, quand, avant de s’en aller, on passe au stand de la cantine à prix libre où il ne reste plus rien sauf une grande toupine de compote de pommes, poires, kiwis et bananes, on n’a pas envie de partir en donnant 10 centimes. Alors, on vide bien ses poches, on donne une somme décente et on s’en va, gobelet en plastique à la main. On n’est pas mécontent. Et on repart, rêvant à ces deux vers de Muray : « J’aime ce qui achoppe et j’aime ce qui rate/ Les projets qu’on remballe dans la plus grande hâte. »

Banlieue debout?
Ces associatifs qui veulent reprendre le terrain laissé aux islamistes
Laurent Gayard

Causeur

19 avril 2016

Tandis que les désolants Nuit debout ont décidé de chasser de la place de la République ceux qui ne leur plaisent pas à coups d’insultes et de crachats, d’autres mènent un combat moins médiatisé et plus quotidien pour tenter d’abattre les murs plutôt que de dresser des cordons sanitaires autour de leurs idées. A 17 kilomètres au nord-est de Paris, dans le parc forestier de la Poudrerie de Sevran-Livry, une centaine de personnes se sont réunies dimanche 17 avril à l’occasion de la Fête de la fraternité et d’un hommage aux victimes des attentats du 13 novembre 2015. La rencontre ne s’est pas limitée aux hommages et aux formules généreuses mais a permis de partager expériences de lutte, témoignages et projets d’action pour faire tomber le mur du silence qui entoure encore largement en 2016 ce qu’un collectif d’enseignants appelait il y a près de quinze ans « les territoires perdus de la République ». Beaucoup de ceux qui participent ce dimanche à cette grande réunion aux airs de pique-nique printanier se connaissent déjà : représentants associatifs, travailleurs sociaux, habitants et habitantes de communes de la Seine-Saint-Denis, ou quelquefois de plus loin. Nombreux sont aussi ceux et celles qui se rencontrent pour la première fois et mesurent la proximité des luttes partagées à distance depuis des années.

On vient d’un peu partout en effet : Sevran bien sûr, et le quartier des Beaudottes, ou des communes avoisinantes, comme Saint-Denis, Aubervilliers ou La Courneuve, mais aussi de Tours, comme François Norelle ou Yamina Mahboubi, respectivement représentant et présidente de l’association Je suis France, créée après les attentats de janvier 2015 dans le but de lutter contre la radicalisation dans les quartiers, sans bénéficier d’ailleurs du soutien enthousiaste des élus. Aucune subvention, aucune aide n’est perçue par l’association qui ne se sent pas vraiment encouragée : « Ils considèrent que nous les mettons en porte-à-faux puisque nous dénonçons une situation qui est la rançon de la politique menée depuis des années. » L’association met donc en place comme elle le peut rencontres et ateliers à destination des plus jeunes notamment. « Il s’agit de regagner le terrain pris par les islamistes et nous devons les battre en utilisant la stratégie qu’ils emploient, celle de la proximité. » Terrain stratégique dans des zones où l’autorité publique, aux yeux des habitants, n’intervient plus et a laissé le champ libre aux fondamentalistes, aidés quelquefois par la complaisance des élus. Ceux-là ont ainsi trouvé un moyen d’acheter la paix civile ou de tirer un profit électoral en donnant de l’argent à n’importe qui et quelquefois aux plus extrémistes.

La complaisance ancienne des élus locaux
« Les trois quarts des salles de prière en France sont gérées par des associations culturelles de statut loi 1901, à but non lucratif, qui permet d’obtenir des subventions publiques. (…) Nombre de lieux de culte musulman jouent sur les deux registres, partant du fait qu’une mosquée n’est pas qu’un lieu de prière », rappelait L’Express en… 2002. La conséquence principale étant que les collectivités locales peuvent accorder de généreuses subventions à des lieux de prières qui passent pour des lieux culturels plutôt que des lieux de culte grâce à la présence d’une bibliothèque ou d’une médiathèque. Le financement controversé de la grande mosquée de Bordeaux, la polémique autour de celle de Marseille ou le rôle décrié du Conseil français du culte musulman et ses liens troubles avec l’Union des organisations islamiques de France ont été en fait les grands arbres cachant la forêt touffue des subventions locales aux associations religieuses.

En arrière-plan il y a bien sûr la situation sociale des villes où l’extrémisme et la radicalisation prolifèrent le plus. Depuis 2014 et la fondation de la Brigade des mères, Nadia Remadna, sa présidente, habitante de Sevran et travailleuse sociale, ne cesse de dénoncer cette situation. En point de mire, la complaisance des élus locaux et des pouvoirs publics qui ont délaissé les quartiers jusqu’à la conclusion tragique des attentats de Paris et de Bruxelles, au point que les grands médias se demandent aujourd’hui s’ils ne sont pas susceptibles de produire des Molenbeek à la française. « La ville de Sevran est pour la Brigades des mères un lieu symbolique. C’est ici, en 2014, que, face à la montée de l’intégrisme et au sentiment d’abandon, nous avons voulu réagir. » Mégaphone en main, juchée sur une chaise face à la petite buvette du parc, Nadia Remadna en impose à l’assemblée. Beaucoup lui sont reconnaissants d’avoir fait parler de leur combat au-delà des murs de la banlieue. Le contexte y est pour quelque chose, bien sûr, mais la personnalité de celle qui avait pris d’assaut il y a quelques semaines la place de la République avec ses « brigadières »  – avant que les Nuit debout ne s’y installent – n’est pas faite pour desservir sa cause. « En 5 minutes chez Taddéi, elle a réussi à déconcerter quelqu’un comme Houria Bouteldja (la porte-parole du Parti des indigènes de la République, ndlr) qui avait semble-t-il oublié que les militantes de terrain savent de quoi elles parlent », assène Soad Baba-Aissa, représentante de l’association Femmes solidaires. Avec un certain amusement, Ahmed Meguini, président du réseau LaïcART, évoque aussi « l’effet de sidération » provoqué par Nadia Remadna qui recadrait sévèrement il y a quelques mois Laurent Joffrin ou Thomas Guénolé sur la question des « imams républicains » au cours du premier colloque du Comité Orwell organisé à Paris.

Les intervenants se succèdent au mégaphone qui sert de micro. Autour des petites tables de jardin sur lesquelles on pique-nique, les langues se délient. Chacun parle des problèmes de sa ville, de son quartier, de ses actions ou simplement de ce qu’il voit ou subit en tant que riverain, parent ou habitant. Sofia, une Femen volubile, propose de lancer une « Nuit debout des femmes » le week-end suivant à Clichy-sous-Bois. Je lui demande si elle était présente lorsque le salon salafiste de Cergy-Pontoise avait été perturbé par son mouvement : « Oui bien sûr ! C’était un sacré coup ça ! » A côté d’elle, deux représentantes du Mouvement mondial des mères m’expliquent que leur association, fondée en 1947, possède désormais un statut consultatif à l’ONU et elles plaident pour un renouvellement de la pensée féministe : « Le féminisme a regardé la maternité comme un frein pendant des années. A l’inverse, dans d’autres pays, les femmes ne sont considérées que comme mères. Il y a certainement un hiatus à résoudre. »

La France veut-elle vraiment savoir ?
Parmi les invités de ce dimanche à Sevran, la présence de Véronique Roy, la mère de Quentin, jeune homme de 23 ans mort en Syrie en janvier dernier, était également remarquée. Invitée le 14 avril de l’émission Dialogues citoyens en présence de François Hollande, elle regrette l’ambiguïté vis-à-vis du salafisme d’un président se réfugiant dans la tergiversation, ce qui aura été, pourrait-on ajouter, la marque de fabrique de son mandat présidentiel. Véronique Roy est aussi habitante de Sevran, où son fils a peu à peu embrassé la cause de l’islam radical. Face aux intervieweurs, elle martèle encore en ce dimanche, trois jours après son face-à-face avec le chef de l’Etat, que tout cela « aurait pu être évité et peut encore être évité. Aujourd’hui on peut endiguer l’hémorragie », tout en regrettant que le message ne soit pas encore assez bien reçu dans notre pays : « J’ai été contacté par une association libanaise après la mort de Quentin. J’ai eu l’impression d’être plus entendue là-bas qu’en France. »

Ce constat est très largement partagé par celles et ceux qui sont présents ce dimanche au parc de la Poudrerie. Et force est de constater également qu’une absence flagrante crève les yeux ce jour-là : celle des élus locaux. Pas un seul n’a fait le déplacement. Pas de Stéphane Gatignon, maire de Sevran, ni aucun autre politique en vue. Parmi la foule disparate de représentants du monde associatif et de la société civile qui sont venus rappeler aujourd’hui que certaines ou certains « tirent la sonnette d’alarme depuis plus de dix ans », cette absence est peut-être finalement ce qui se voit le plus. Et si l’on met en relation cette très concrète absence du politique avec les grandes déclarations d’intention de la communication gouvernementale et élyséenne en ce qui concerne la résurrection nécessaire de l’esprit citoyen, on ne peut que conclure que l’élu est par nature tout autant que par nécessité « bavard pendant la campagne, avare pendant son mandat… »

L’effet de cette maxime est renforcé par une dérive de la pratique politique sur le plan local qui semble ne plus se soucier que de préserver des micro-baronnies électorales au point de délaisser en grande partie les administrés quand ils ne sont plus vus comme des électeurs, ou de consentir à une alliance avec le diable au prix de quelques voix supplémentaires. « Les gouvernements, écrit Tocqueville, périssent ordinairement par impuissance ou par tyrannie. » Puisque le politique confie ainsi son impuissance, ou son indifférence, à un niveau où sa probité et sa présence sont pourtant les plus requises, la société civile a-t-elle le pouvoir de faire passer au politique le goût de l’inaction avant qu’on ne lui impose un autre pouvoir, celui de la tyrannie ? Tandis qu’on regarde s’envoler quelques dizaines de ballons dans le ciel, la petite foule présente entonne la Marseillaise, en hommage aux victimes des attentats. Comme l’écrivait encore Tocqueville : « La démocratie ne vaut que par la qualité des citoyens. »

«Allah Akbar» sur le ring: l’organisateur se défend
Lors d’une soirée d’arts martiaux, l’attitude d’un combattant a choqué la salle. Le responsable de la soirée donne sa version.

Mirko Martino

20 minutes

19 avril 2016

Samedi, un incident a marqué la Fight Night, un événement d’arts martiaux mixtes (MMA) à Montreux. A la fin du quatrième des neuf combats prévus, le lutteur français d’origine tchétchène Magomed Guekhaiev a scandé plusieurs fois «Allah Akbar», provoquant de nombreux sifflets parmi les 1200 spectateurs. Il a ensuite pris le micro des mains du présentateur. «Après avoir remercié son entraîneur, il a dédié sa victoire à ses frères de Toulouse et dans le monde, à Salah et à Mohamed, raconte Julien, un spectateur. Je suis persuadé que c’était une référence aux terroristes Salah Abdeslam et Mohamed Merah.»

Sécurité lacunaire
Des spectateurs ont fait part de leur surprise de ne pas avoir été fouillés. «Ce n’est pas ma première manifestation de ce genre, explique l’un d’eux. J’ai toujours été minutieusement contrôlé. Là, pas du tout.» D’autres affirment avoir vu des débuts de bagarres. «Les fouilles n’étaient peut-être pas systématique, admet Jean-François Collet. Mais il n’y a pas eu de problème de sécurité. Nous n’avons pas eu à intervenir, ni à appeler la police.» Deux combats annulés
«Comme tout le monde, je venais pour Ronny Markes, la tête d’affiche, explique un spectateur. Son combat a été annulé. Avec des billets allant de de 59 à 250 fr., c’est honteux.» Deux lutteurs ont refusé de combattre, arguant que leurs adversaires n’avaient pas de certificats sanguins (ndlr: en raison du risque d’infections par le sang, comme le HIV). «Nous les avions fourni numériquement, se défend l’organisateur. Ils ont attendu le dernier moment pour demander les originaux sur papier.» Aucun remboursement n’est envisagé. D’autres témoignages parlent de propagande islamiste et d’appels au jihad. Des accusations que balaie l’organisateur, Jean-François Collet. «Dans le contexte actuel, ce n’était pas la meilleure des idées, reconnaît l’ex-président du FC Lausanne-Sport. Mais cela signifie «Dieu est le plus grand». Un combattant brésilien avait «Jésus» inscrit sur son short et on n’en a pas fait tout un plat. Quant aux autres propos, si un énergumène tatoué de croix gammées confond «Salam aleykoum» (ndlr: «Que la paix soit sur vous») avec les prénoms des deux terroristes en question, on ne peut rien y faire.»

La vidéo de l’événement montre en effet que le Franco-Tchétchène ne fait que remercier son équipe et son entourage.

Voir de plus:

J’ai fait un (mauvais) rêve

Une nuit entière prisonnier du politiquement correct

Franck Crudo
Journaliste. Il a notamment participé au lancement de 20 Minutes.

Causeur

20 avril 2016

La nuit dernière, j’ai fait un rêve bizarre. Le genre de rêve qui fout vraiment les jetons. J’étais prisonnier d’un monde total(itair)ement politiquement correct. Une sorte de dystopie orwellienne, en pire. Massacre à la tronçonneuse ou Vendredi 13 à côté, c’est presque un conte pour enfants… Je vous raconte.

C’est le jour de Noël. J’allume la radio et me rends compte que seul France Inter émet, au moment même où Patrick Cohen passe la main à Nicolas Demorand. Bizarre. Du coup je mets en marche ma télé. Toutes les chaînes sont payantes et cryptées, hormis celles du service public, iTélé et Arte. Le journal de 13 h de France 2 est présenté par Noël Mamère, lequel a arrêté la politique après ses 0,3 % à la dernière présidentielle pour se consacrer de nouveau au journalisme.

J’apprends ainsi que le pays est gouverné par un Comité de bien-pensance publique dirigé par Edwy Plenel et composé de six hommes et six femmes, mixité oblige. Parmi ses membres figurent Clémentine AutainJean-Louis BiancoAymeric CaronCaroline de HaasEva Joly, Gérard Filoche, Gérard Miller ou encore Alain Juppé. Une goutte de sueur perle sur mon front. J’apprends également que Michel Houellebecq vient d’être retrouvé mort à son domicile. De source officielle, il se serait suicidé d’un coup de poignard dans le dos.

Mamère lance ensuite un reportage sur la prison du Temple, apparemment restaurée, où sont enfermés Eric ZemmourElisabeth BadinterAlain Finkielkraut et Malek Boutih, tous inculpés pour « islamophobie ». Michel Onfray a, lui, été condamné par contumace car il s’est réfugié à Cuba. Par curiosité, je zappe sur iTélé et tombe sur Claude Askolovitch qui regarde dans les yeux la caméra en disant « Pas de stigmatisation, pas d’amalgame ». Un quatrième attentat a eu lieu cette semaine en Belgique. Déprimant.

Je tente ma chance sur France 3 où une naine unijambiste et borgne présente la météo régionale. Vu sa coupe de cheveux et son accoutrement, je me demande si elle n’est pas lesbienne. Mais je n’en suis pas certain. Bon, j’enfile mon manteau et décide de faire un tour au jardin du Luxembourg. En sortant, je croise mon nouveau voisin pakistanais. Un homme charmant, même si l’on a du mal à se comprendre tous les deux.

A chacun son wagon camarade !

J’arrive près de ma station de métro. C’est étrange, car je me rends compte que je n’ai vu aucune déco de Noël dans la rue. Je croise une jeune femme bien roulée en mini-jupe et ne peux m’empêcher — c’est hélas instinctif, voire darwinien — de me retourner. Là, une policière m’interpelle et me fait payer une amende de 22 euros. Elle me rappelle qu’en vertu de la loi du 18 fructose, pardon fructidor, qui vise à lutter contre les manifestations d’oppression masculine, il est désormais interdit de reluquer de façon trop marquée une silhouette féminine. Si mes calculs sont bons, je serai verbalisé à 14 reprises pendant mon rêve.

La rame de métro arrive. Je pénètre dans un wagon particulièrement cosy et parfaitement chauffé. Un détail m’étonne néanmoins : assis sur des fauteuils confortables, tout le monde feuillette Le Nouvel obs ou Libé. Un jeune binoclard aux faux airs de hipster me murmure que je suis obligé de monter dans le wagon d’à côté, car je n’ai rien en main. Comme les regards sont pesants, je ne me fais pas prier et m’exécute. Dans l’autre wagon, pas de fauteuil molletonné, mais des banquettes austères, placées sous un immense panneau : « REACTIONNAIRES ! » Il fait froid. Je m’enquiers de ce qui se passe auprès de mon voisin, lequel m’explique que l’on n’a pas à se plaindre car dans le troisième wagon, réservé aux lecteurs du Figaro et de Causeur, il n’y a même pas de banquettes pour s’assoir !

J’arrive enfin devant le Jardin du Luxembourg. Je ne reconnais pas du tout les alentours ! On se croirait dans le 13e arrondissement. Des tours ont remplacé les immeubles haussmanniens. Je croise une vieille dame que promène son chien et lui pose des questions. J’apprends ainsi qu’en vertu de la loi du 14 prairial sur le vivre ensemble et la mixité sociale, chaque immeuble doit contenir une moitié de locataires « issus de la diversité ». Tout propriétaire d’un logement de plus de 50 m2 doit en outre héberger un migrant pendant un an, trois s’il habite le 16ème arrondissement. C’est la raison pour laquelle on a été obligé de lancer un vaste programme de construction.

J’apprends également que le calendrier grégorien ayant été jugé discriminant à l’égard des autres religions, le calendrier républicain a été rétabli. La vieille dame me révèle par ailleurs que, pour les mêmes raisons, Noël a été remplacé par la Fête de la Diversité. Je lui demande pourquoi certaines personnes portent un bracelet électronique dans la rue. Elle m’explique que seuls les mâles blancs, hétéros et chrétiens ou athées ont l’obligation d’en porter. Je ne comprends pas non plus pourquoi les couloirs de bus sont saturés alors que les voies classiques roulent parfaitement. La vieille dame me confie qu’en raison des embouteillages dans Paris, les voies réservées au bus et aux taxis ont été ouvertes aux femmes et aux minorités ethniques au nom de la discrimination positive. Mais que du coup, ce sont ces voies qui sont désormais saturées. Je note au passage qu’on roule maintenant à gauche dans la capitale.

Le grand roque du vocabulaire

Dans le Jardin du Luxembourg, je m’approche de l’endroit où pullulent des joueurs d’échecs, l’une de mes passions. Et là, je pige que dalle. J’interpelle un joueur.
– Excusez-moi, mais vous savez que ce ne sont pas les noirs qui commencent la partie normalement…
– De quelle planète venez-vous monsieur ? La Commissaire à l’Egalité réelle a modifié les règles il y a longtemps. En vertu de la loi du 3 ventôse, ce sont les pièces « de couleurs », et non les « noirs » comme vous dîtes trivialement, qui commencent la partie…
– Et le roi ?
– Vous voulez parler du « tyran » ? On ne dit plus le « roi », symbole de l’oppression. De même, les « pions » s’appellent désormais les « surveillants » et doivent protéger la « dame » à la place du « tyran »…

Je m’enfuis et cours pendant de longues minutes, une cavalcade seulement interrompue par les amendes de 22 euros que je dois débourser, ici ou là. J’ai l’impression de vivre un cauchemar ce qui, ironie de l’histoire, est le cas. Je passe devant la vitrine d’une librairie où est mis en exergue un best-seller d’Agatha Christie intitulé A la fin, il ne reste plus personne. J’entre intrigué et confesse au vendeur que je ne savais pas que la romancière anglaise avait écrit ce livre. Mon interlocuteur m’informe qu’il s’agit en fait de la version rebaptisée des Dix petits nègres. Stupéfait, j’apprends également que Tintin au Congo se vend sous le manteau et que la version originale des Mémoires du général de Gaulle est interdite, tout comme Les Aventures de Babar, suspecté de défendre en creux (comme dirait l’autre) des idées colonialistes.
– C’est une blague ?
– Sûrement pas, les blagues sont interdites en public !
– Quoi ?
– Le Comité a remarqué que la plupart des histoires drôles étaient tendancieuses, car trop souvent à caractère homophobe, sexiste, antisémite ou raciste… Seules les blagues Carambar et les charades sont autorisées.
– Et dans votre monde, on a le droit de baiser au moins ?
– Cela dépend ?
– Comment ça cela dépend ?
– La sexualité est encadrée par la loi du 11 prairial. En vertu de l’égalité femme-homme, la durée de la fellation ne doit excéder celle du cunnilingus. Il n’y a que trois positions autorisées, les autres étant jugées potentiellement dégradantes pour les femmes : le « missionnaire », la « balançoire » et « l’herboriste ». La « levrette » est passible d’une peine d’intérêt général. Quand à la s…
– C’est bon, j’ai compris.

Je sors du magasin abasourdi et suis aussitôt abordé par un homme hirsute, vêtu d’un imperméable beige. Il me demande de le suivre jusqu’à une petite ruelle. Là, il entrouvre furtivement son imper et me propose un CD de Michel Sardou, un livre de Sacha Guitry et un DVD de La Petite maison dans la prairie. Sardou et Guitry, je vois à peu près pourquoi, mais La Petite maison dans la prairie ? Le clone de Columbo m’explique que cette série est prohibée car elle contient des passages controversés sur les Indiens d’Amérique.

J’arrive enfin au seuil de ma porte, où règne une odeur appétissante de cheese nan. Mais aucun bruit. Parce que le bruit et les odeurs, plus un voisin pakistanais, ça sort illico du cadre du politiquement correct. Je mets le journal de 20 heures, présenté par Bruno Masure. J’apprends qu’une technicienne de surface en surcharge pondérale non-voyante et malentendante a été « l’auteure » (sic) d’un homicide envers son mari, un ancien exploitant agricole demandeur d’emploi et issu de la minorité visible. Traduire : une femme de ménage obèse, sourde et aveugle a étranglé son mari, un paysan maghrébin au chômage.

Avant de clôturer son journal sur un dicton (« A la Saint-Valentin, elle me tient la main. Vivement la Sainte-Marguerite »), Bruno Masure évoque le titre de champion de France de foot remporté par l’OM. Les nouvelles règles, qui stipulent qu’au nom de l’égalité les matchs nuls valent 3 points et les victoires 1 seul point, ont semble-t-il avantagé le club marseillais.

C’est à y perdre son gaulois…

Je zappe sur iTélé. J’entends à peine Olivier Ravanello dire « Pas de stigmatisation, pas d’amalgame » que je bascule sur France 5, où je découvre une pub avec la poupée Barbie, habillée en plombier, à côté de Ken, vêtu d’un simple tablier de cuisine… Sur France 4, un dessin animé. Astérix « l’Européen » (anciennement Astérix « le Gaulois ») dévore un sanglier avec son ami Obélix, qui a étrangement la peau noire. J’ignore quelle loi est à l’origine de cette teinture. Je jette un œil au programme : après Astérix, France 4 doit diffuser Blanche-Neige et les sept personnes de petite taille, suivi de La Belle et le SDF.

Sur Arte, je tombe sur une speakerine bègue qui annonce une soirée James Bond : tous les 007 seront diffusés successivement, sauf deux. Je me dis qu’il faudrait au moins deux jours entiers pour les voir tous, mais je comprends vite mon erreur. Expurgé de ses scènes jugées violentes et sexistes, la durée de chaque James Bond n’excède guère dix minutes. Les diamants sont éternels, où les méchants sont joués par un couple d’homosexuels, n’est pas diffusé. Tout comme Vivre et laisser mourir, où Roger Moore combat un homme de couleur, Mr Big. Un cliché honteusement raciste.

Sur France 3, une fois n’est pas coutume, pas d’énième rediffusion du Père Noël est une ordure, mais un pot-pourri des meilleurs spectacles de Guy Bedos et Stéphane Guillon. Du coup, je repasse sur France 2 où David Pujadas anime « Des paroles et des actes », émission qui a pour thème : « Comment combattre le terrorisme ». Pour analyser et trouver des réponses à ce délicat problème, l’animateur, pardon le journaliste a invité Joey Starr, l’ex-footballeur Vikash Dhorasoo, le psychotérapeuthe Christophe André et le moine bouddhiste Matthieu Ricard. Karim Rissouli fait son apparition pour évoquer le débat qui a eu lieu en début d’émission entre Edwy Plenel et Alain Finkielkraut, lequel avait obtenu une permission temporaire de sortie. Rissouli explique que les réseaux sociaux ont été bien davantage convaincus par le président du Comité de bien-pensance publique que par le « pseudo philosophe », selon ses termes.

La soirée se poursuit avec l’émission de Laurent Ruquier « On n’est pas couché », diffusée désormais quatre fois par jour sur le service public. Un nouveau concept. L’animateur précise que pour respecter la pluralité des opinions, il y aura désormais un invité plutôt centriste, voire de droite, parmi la dizaine de personnalités autour de la table. Le téléphone sonne tout d’un coup. Je me réveille d’un bond, en nage. Tout ceci n’était en fait qu’un interminable cauchemar ! Que ça fait du bien, parfois, de retrouver le monde réel…

Voir enfin:

L’événement Mai 68 Pour une sociohistoire du temps court

Boris Gobille

Université de Lyon, ENS – LSH, CNRS – UMR Triangle

Annales

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Durant plusieurs décennies, les événements de mai 1968 en France ont été « plus commémorés qu’historicisés [1] ». Des travaux de sciences sociales venus déconstruire cette emprise mémorielle [2], on peut retenir au moins le constat que les interprétations successives de « l’esprit de Mai », qu’il s’agisse de le célébrer ou de le dénoncer, ont en commun une méthode : interpréter l’événement à l’aune de ses conséquences supposées – l’individualisme contemporain, le relativisme des valeurs, l’opportunisme d’une « génération 68 », dite « libérale-libertaire », parvenue ensuite à des positions de pouvoir médiatiques et politiques, etc. – en se passant de l’épreuve et de la reconstitution des faits, en opérant des montées en généralité hasardeuses à partir de quelques slogans ou de quelques trajectoires ultérieures d’anciens « leaders » de Mai, et en réduisant la complexité de la crise au périmètre étroit du seul mois de mai 1968, de la seule géographie parisienne, et des seuls étudiants. Ces interprétations disent ainsi beaucoup sur les positions d’énonciations et sur les intérêts politiques qui les sous-tendent, mais rien ou si peu sur l’événement lui-même, avec lequel elles n’entretiennent qu’un rapport, au mieux, d’« exemplification faible » dirait Jean-Claude Passeron, au pire, d’imputation erronée. L’anachronisme, l’absence de construction de l’objet, l’usage incontrôlé du schéma de la « ruse de l’histoire », permettant de prêter à l’événement des propriétés qu’il n’avait pas, et l’oubli de l’empirie comportent a contrario une leçon de méthode, au demeurant banale mais qu’il faut malheureusement rappeler : « l’histoire est un récit d’événements vrais » et « un fait doit remplir une seule condition pour avoir la dignité de l’histoire, avoir réellement eu lieu » [3]. Autrement dit, les topiques et la logique « démonstrative » de la mémoire dominante de mai 1968 attestent à nouveau, s’il le fallait, de ce que la « prétention à dire le monde historique sans référence à l’empirique » est « irrecevable [4] » et de ce que seul le « parti pris du réalisme [5] » permet d’éviter le travestissement de l’histoire. Mais cette emprise mémorielle, qui fait écran, s’est trouvée d’une certaine façon redoublée dans son principe par l’optique que retient à son tour l’entreprise des « lieux de mémoire ». Pour celle-ci en effet, la logique mémorielle serait la vérité même de l’événement-68 : « Pas de révolution, rien même de tangible et palpable, mais, en dépit des acteurs, à leur corps défendant, la remontée incoercible et le festival flamboyant du légendaire complet de toutes les révolutions. […] Les soixante-huitards voulaient agir, ils n’ont fait que célébrer, dans un ultime festival et une reviviscence mimétique, la fin de la Révolution [6] ». Il ne se serait au fond rien passé en mai-juin 1968, qui reçoive la dignité de l’histoire, avec ou sans majuscule, sinon, déjà, une mémoire en acte du panthéon révolutionnaire. De sorte qu’il n’y aurait à en faire qu’une « histoire de second degré […], histoire spéculaire, attentive non pas à restituer le passé, mais qui trouve sa fin dans l’établissement d’une distance critique avec les modalités sociales de sa muséification [7] ».

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Or, l’accumulation des travaux d’histoire et de sciences sociales sur mai 1968 depuis une vingtaine d’années, en particulier leurs développements récents, autorise que nous fassions ici le pari, inverse, d’une restitution raisonnée de l’événement. Ce qui suppose de se défaire non seulement des impasses de sa circulation mémorielle ultérieure, mais aussi des insuffisances associées à « l’illusion étiologique » qui est souvent de mise dans l’étude des crises politiques et des phénomènes de radicalisation. Michel Dobry entend par « illusion étiologique » la posture qui clôt l’explication des crises dès lors qu’en sont (parfois prétendument) découverts les « déterminants », « sources historiques » et « causes ». Outre la tentation du catalogue des « facteurs » à laquelle elle expose toujours, la focalisation sur les conditions de possibilité tend à considérer la dynamique de crise comme transparente à ses origines et sans grand intérêt analytique. Évitement de l’événement lui-même, qui pousse à méconnaître « les enchaînements causaux internes aux processus de crise [8] ». On ne reviendra donc pas sur la discussion qui entoure les tentatives menées en 1969 par Raymond Boudon autour du schème de la « crise des débouchés [9] », puis en 1984 par Pierre Bourdieu autour du « déclassement » et de la « déqualification structurale des diplômes » [10], pour expliquer les racines de la révolte étudiante, ni sur le détail de tout ce qui les oppose au-delà de certaines similarités. Si elles ont pour intérêt de rompre avec les analyses, trop générales pour être vérifiables, qui prévalaient auparavant, notamment les analyses en terme « générationnel », rappelons simplement que d’une part leur pertinence statistique a été contestée [11] et que d’autre part le schème du déclassement est difficile à manier en raison de la prise qu’il offre à des lectures disqualifiantes ne voulant voir de la contestation que l’effet du ressentiment d’« intellectuels frustrés » – lectures dont Roger Chartier a souligné la récurrence historique et la parenté avec un imaginaire réactionnaire [12]. De plus, l’explication par la frustration relative éprouvée par des acteurs incertains de trouver un avenir à la hauteur de leurs attentes est toujours menacée non seulement par une forme de légitimisme [13] mais aussi par un raisonnement circulaire [14]. Mais surtout, et cela nous importe plus ici, ces analyses méconnaissent qu’il y a loin du mécontentement à la mobilisation [15] : nombre de mécontentements se gèrent par la fuite, l’adaptation patiente et la révision à la baisse des aspirations, ou bien se vivent sur le mode de la fatalité ou d’une révolte individuelle enclose dans le silence du for intérieur, de sorte que la prise de parole n’est qu’un des devenirs possibles de l’insatisfaction, loyalisme et défection en étant les pendants muets. Qui plus est, ce qui est passé sous silence – hormis, d’une certaine façon, dans le modèle de P. Bourdieu, nous y reviendrons –, c’est la dynamique même de l’événement, son irréductibilité relative à ses « causes », les logiques de désectorisation qui étendent la crise de l’univers étudiant au monde ouvrier, à des pans entiers du salariat et à l’arène politique institutionnelle, ainsi que les subjectivations dissidentes qui se font jour pendant et par l’événement [16].

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Il convient donc de rompre avec ce double évitement de l’événement par le privilège accordé à ses racines ou par l’interprétation de ses conséquences supposées, et de faire retour sur la crise elle-même et sur ce qui fait son énigme propre : la dynamique de désectorisation et de radicalisation des luttes, la resectorisation et la normalisation du jeu politique, ainsi que les résistances qui lui sont opposées. On défendra l’idée que l’attention aux particularités du temps court permet de rouvrir à nouveaux frais le « dossier des origines » en identifiant ce qui du passé reste opératoire ou ne l’est plus dans le présent de la crise. Le « présent de l’histoire [17] » en conjoncture de crise est ainsi justiciable d’une sociohistoire du temps court, dont l’enjeu est de penser ensemble l’irréductibilité des temporalités critiques et le travail continué du passé dans les mobilisations multisectorielles et la fluidité politique. Les grèves ouvrières seront privilégiées, non seulement en raison du refoulement dont elles ont été longtemps l’objet dans la mémoire officielle, mais aussi parce que d’importantes avancées historiographiques récentes autorisent à les réinscrire à la place qui leur revient dans l’événement-68 [18].

Revenir à l’événement : émergences symboliques et réemplois du passé

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Revenir à l’événement n’a rien d’une réhabilitation de l’histoire événementielle et ne se soutient que d’une reproblématisation de la notion même d’événement. Constatant que « l’événement ne va pas de soi pour les sciences sociales », Alban Bensa et Éric Fassin proposent de le reconsidérer non plus sous l’angle de l’accident empirique, mais sous le rapport de la « rupture d’intelligibilité » qu’il ouvre : l’événement, en effet, « ce n’est pas qu’il se passe quelque chose, quelque important que soit ce fait, mais plutôt que quelque chose se passe – un devenir [19] ». Il rompt les régimes ordinaires d’intelligibilité du monde social, « l’évidence habituelle de la compréhension ». À la suite de Gilles Deleuze, les auteurs évoquent le fait que « le mode de l’événement, c’est le problématique » : « l’événement par lui-même est problématique et problématisant ». Il sépare un présent où le sens est brusquement devenu incertain, d’un passé où les grilles de lecture du monde semblaient solidement assises et pertinentes. Cette conception emporte une première conséquence. Les acteurs plongés dans l’événement font d’abord face à l’incertitude sur le sens de ce qui se passe. Les crises sont donc des moments où s’intensifient les activités de définition de la situation [20]. Si, comme le remarque l’« analyse des cadres » en sociologie de l’action collective, ces activités se rencontrent dans toute mobilisation [21], même « ordinaire », le travail de la signification[22] auquel se livrent les acteurs s’aiguise dès lors qu’il s’inscrit dans des situations problématiques [23] où la scène du commun se désinstitutionnalise, où le monde social se désobjective et où la définition sectorisée des enjeux se fragilise. Bascule alors dans les faits, c’est-à-dire dans ce que la recherche doit découvrir et analyser, l’ensemble du travail symbolique des acteurs plongés dans la crise. Il ne s’agit évidemment pas de sacrifier à un quelconque « tournant linguistique », mais de considérer que l’énonciation de l’événement par ceux qui sont en train de le vivre – telle qu’elle apparaît dans les déclarations publiques et les archives consignant les tracts produits dans le cours même de l’action – est constitutive de l’événement lui-même [24] : la façon dont les acteurs interprètent ce qui se passe est déterminante dans leurs anticipations, leurs calculs et leurs actions, c’est-à-dire aussi dans les coups qu’ils échangent et dans les interdépendances qui les lient et qui façonnent pas à pas la conjoncture. Or, l’expérience vécue des situations de crise est d’abord une expérience de l’incertitude. Il faut donc prendre au sérieux l’indétermination du sens éprouvée par les acteurs et l’énigme qu’ils vivent, ce qui suppose d’« explorer la signification de leur expérience [25] », et d’étudier la combinaison problématique de savoir et d’ignorance dans laquelle ils sont immergés, puisque pendant l’événement, « nous savons qu’il se passe quelque chose, mais nous ne savons pas exactement ce qui se passe, nous ne pouvons pas vraiment qualifier l’événement [26] ». Autrement dit, « le travail des sciences sociales rejoint l’expérience des acteurs, au moins dans un premier temps [27] » : de la même manière que les acteurs ignorent largement en situation, même s’ils s’attachent à les anticiper, la suite de la dynamique de crise et a fortiori sa conclusion, les sciences sociales doivent d’abord « mettre entre parenthèses le résultat [28] » si elles veulent analyser au plus près les logiques mêmes de la conjoncture. Condition nécessaire, en particulier, à la compréhension des crises comme moments où les subjectivités des acteurs sont prises dans un dépassement plus ou moins grand des limites héritées de leur socialisation et objectivées dans leur position sociale. Condition nécessaire, en somme, pour saisir ce que Timothy Tackett appelle le « devenir révolutionnaire [29] ». Le phénomène de la radicalisation est ainsi un phénomène situé, un processus, et c’est pourquoi il faut « accepter de le suivre avant de vouloir l’expliquer [30] ».

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C’est donc en restituant au plus près les intrigues du temps court de l’événement, dans leur dimension inséparablement tactique et symbolique, que l’on se donne un premier outil d’analyse des logiques qui président à la désectorisation de la crise étudiante à d’autres mondes professionnels : dans chacun des champs, la situation ouverte par la contestation incite un certain nombre d’acteurs à saisir l’ouverture du possible pour inscrire sur l’agenda critique leurs propres doléances en les retraduisant, la plupart du temps, dans le langage même de la révolte étudiante, notamment en critiquant les autorités et tutelles auxquelles ils sont soumis. Le travail de la signification en situation, c’est-à-dire la façon dont les groupes travaillent les significations et dont les significations travaillent les groupes, est au cœur des mécanismes d’extension sociale de la crise. Il importe cependant d’y voir autre chose qu’un accord idéologique [31]. Si la tentation, courante dans les interprétations dominantes, de dire ce qu’est l’idéologie de mai 1968 – ou son « sens », son « esprit », son « imaginaire totalitaire », etc. – est vaine, c’est à plus d’un titre. D’une part, ces interprétations se heurtent aux conditions sociales qui rendent peu vraisemblable l’unisson idéologique de groupes aux traditions, aux histoires et aux visions du monde très différentes. D’autre part, elles ne peuvent esquiver le problème et sauver le principe d’une idéologie de mai 1968 qu’au prix d’un certain nombre d’opérations contestables : homogénéiser des activités symboliques marquées au contraire par une extrême diversité et une absence de coordination, réifier les groupes autour des productions discursives de leurs dirigeants – ce qui est d’autant moins opératoire en mai-juin 1968 que, précisément, le principe et la pratique de la délégation aux dirigeants sont remis en cause –, évacuer de l’analyse les acteurs paraissant entrer le moins facilement dans le moule commun, comme les ouvriers, et privilégier, comme par hasard, ceux des acteurs entre lesquels circule de longue date un certain nombre de schèmes, c’est-à-dire les étudiants et les intellectuels critiques érigés en prescripteurs de « l’esprit de Mai », voire d’une « pensée 68 ». C’est dire, au demeurant, l’écueil de l’ethnocentrisme lettré qui conduit à constituer en acteurs centraux ceux qui, comme les interprètes, sont habités par un modèle lettré et le plus disposés à formuler et formaliser leurs visions du monde.

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Le travail symbolique en conjoncture de crise est, plus encore peut-être que dans les mobilisations « ordinaires », un processus. C’est en situation que se découvre la « transférabilité » de certaines visions du monde hors de leur milieu d’incubation, que les visions du monde s’hybrident, et que les groupes eux-mêmes œuvrent à élargir leurs cadrages des causes et des injustices, pour les rendre aptes à des appropriations diverses de la part d’autres acteurs dont le soutien est recherché, appropriations, bricolages et braconnages [32] pouvant aller jusqu’à l’entente dans le malentendu. Aussi est-ce bien souvent les schèmes les plus souples qui circulent le mieux [33], à l’image de la critique anti-autoritaire en mai-juin 1968, qui peut être considérée, à condition de ne pas la fossiliser en « idéologie », comme le cadre global (master frame) assurant la connexion la plus grande entre secteurs en lutte. Cette force sociale du flou tient au fait que sa plasticité permet à la critique antiautoritaire de faire écho à des intérêts préconstitués auxquels elle donne un sens et une audience plus larges, et d’entrer en résonance avec des vécus, ce que l’analyse des cadres appelle le « phenomenological life world [34] ». Par exemple, on ne peut rendre compte des jonctions étudiants-ouvriers en mai-juin 1968, limitées au niveau des groupes « réifiés » mais bien réelles au niveau des acteurs individuels ou des groupes labiles constitués en situation, qu’en décrivant finement, souvent à l’échelle locale, non seulement les effectives proximités idéologiques qui se font jour ici et là – comme on verra plus loin dans le cas des jonctions ouvriers-étudiants-paysans à Nantes – mais aussi la façon dont la critique anti-autoritaire et la revendication d’autonomie, très présentes dans des pans entiers du mouvement étudiant, rencontrent chez certains ouvriers un refus de l’autoritarisme d’entreprise, voire de l’encadrement syndical déterminé en grande partie par leur refus de l’ordre usinier [35]. Et si ces appropriations sont possibles, c’est bien parce que la critique antiautoritaire mêle, jusque dans les secteurs lettrés, critique artiste et critique sociale [36] : loin de s’opposer radicalement, comme la dissociation analytique des révoltes étudiante et ouvrière voudrait le faire croire, la revendication d’autonomie de l’individu fait signe vers la dénonciation de l’aliénation productiviste, et la contestation de l’autorité se fait toujours, en mai-juin, au nom de l’égalité [37]. Si le schème anti-autoritaire concourt à la désectorisation de la crise, c’est d’une part parce qu’il travaille les acteurs en offrant un cadre interprétatif renouvelé à leurs luttes contre la domination, et d’autre part parce que, dans le même temps, les acteurs travaillent à l’ajuster au plus près des propriétés spécifiques de la conflictualité sociale dans laquelle ils sont inscrits.

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On pourrait durcir le modèle. P. Bourdieu suggère que la diffusion de la crise est le produit « des solidarités fondées sur les homologies structurales entre les occupants de positions dominées dans des champs différents » : « du fait que tout champ tend à s’organiser autour de l’opposition entre des positions dominantes et des positions dominées, il existe toujours un rapport sous lequel les agents d’un champ déterminé peuvent s’agréger ou être agrégés à des agents occupant une position homologue dans un autre champ, pour éloignée dans l’espace social que soit cette position et pour si différentes que puissent être les conditions d’existence qu’elle offre à ses occupants et, du même coup, les habitus dont ils sont dotés ». Qu’ils se reconnaissent à tort (allodoxia) ou à raison dans le mouvement critique, les individus et les groupes occupant des positions subalternes dans leurs champs respectifs et partageant l’expérience de la domination sont ainsi portés à investir le moment critique ou, tout simplement, à « saisir l’occasion créée par la rupture critique de l’ordre ordinaire pour faire avancer leurs revendications ou défendre leurs intérêts » [38]. M. Dobry souligne le poids de ce facteur : « Toutes les fois que ces champs sociaux différenciés se rapprochent de configurations structurelles homologues et, dans le cas plus particulier de configurations dualistes, rendent ainsi parfaitement visibles les clivages entre dominants et dominés dans chaque champ, on a affaire à un puissant facteur de coordination tacite en cas d’émergence de mobilisations multisectorielles en leur sein [39]. » Cette coordination tacite, bien loin de l’accord idéologique conscient, apparaît comme un ressort privilégié de la désectorisation des luttes, signale la force mobilisatrice du symbolique et des alignements de cadres interprétatifs dans les conjonctures marquées par la vitesse des événements et l’incertitude sur le sens de ce qui se passe, dessine un contexte qui fait sens et qui fait agir, et se situe à la rencontre entre des émergences symboliques en situation et des états structurels de conflictualité qu’elles redéfinissent et coalisent.

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Pourtant, cette circulation des enjeux critiques à travers les frontières sociales ne saurait expliquer à elle seule les mécanismes d’extension de la crise dont elle est, en retour, très largement le produit. La critique anti-autoritaire, cheminant de longue date dans les cercles intellectuels et étudiants du marxisme hétérodoxe, de l’anarchisme et de la critique artiste du capitalisme, n’acquiert pas immédiatement, et pour ainsi dire comme par elle-même, sa force d’enrôlement et de cadrage des mobilisations non étudiantes, ni, parmi celles-ci, des mobilisations de certaines organisations d’extrême gauche. Après tout, dans leur grande majorité, les grèves ouvrières ne commencent que le 13 mai, de même que celles qui touchent d’autres univers professionnels ne débutent qu’après le 15, voire le 20 mai. C’est donc bien que quelque chose se passe dans les événements, qui en assure soudainement le relais. Aussi faut-il porter l’attention sur les « saillances situationnelles [40] » qui font converger les anticipations tactiques et les définitions de la situation des protagonistes. Sans leur prise en compte, on ne saurait mesurer combien l’accidentel peut, en conjoncture de fluidité politique, faire franchir un seuil de radicalisation à la dynamique des mobilisations.

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Afin de rompre avec le privilège causal attribué aux facteurs structurels (économiques, sociaux, politiques et culturels), dont elle constate qu’ils se retrouvent ailleurs sans avoir eu les mêmes conséquences, Ingrid Gilcher-Holtey reprend à nouveaux frais la notion d’« événement critique » proposée par P. Bourdieu, qui permet de penser ensemble histoire structurelle et histoire événementielle [41]. Elle en démontre la fécondité à partir de ce moment particulier que représente la première « nuit des barricades » rue Gay-Lussac et alentour, dans la nuit du 10 au 11 mai. Événement et mode d’action sans commune mesure avec les revendications étudiantes restreintes jusqu’alors à la réouverture de la Sorbonne, la libération des étudiants arrêtés et condamnés, et le retrait de la police du quartier Latin. Elle analyse ce passage de seuil comme le fruit du télescopage entre, d’une part, des imaginaires insurrectionnels et des dispositions à agir, et, d’autre part, une part accidentelle liée à la coïncidence de petites décisions non coordonnées, d’anticipations hasardeuses et d’hésitations du côté des manifestants comme du côté des autorités. La confusion créée au sommet de l’État par l’absence du Premier ministre Georges Pompidou, en visite en Iran et en Afghanistan, et par le silence ombrageux de de Gaulle est telle que le ministre de l’Éducation nationale, Alain Peyrefitte, et le Premier ministre par intérim, Louis Joxe, négocient séparément avec les manifestants. Ce flottement encourage les étudiants, bien qu’ils hésitent encore et s’opposent quant à ce qu’il convient de faire une fois rassemblés aux abords de la Sorbonne. La première barricade est érigée sans que personne n’en donne la consigne. Le rôle des médias est capital dans la dramatisation et la nationalisation ce qui se passe alors : les voitures-radio d’Europe 1 et de RTL retransmettent les événements toute la nuit, contribuent « à la circulation de l’information à l’intérieur même du mouvement », relient « les acteurs agissant dispersés dans des rues différentes et favorisent le sentiment d’adhésion à la situation ». C’est même depuis l’une de ces voitures que s’effectue et est diffusé l’entretien entre Alain Geismar et le recteur de l’académie de Paris, publicité qui rompt avec les tentatives du gouvernement de négocier discrètement, et qui pousse les manifestants à la fermeté. Les pourparlers sont suspendus à 1 heure 50, et l’assaut policier commence vingt minutes après, le préfet de police ayant fait valoir en haut lieu que ses hommes, mobilisés toute la journée, commençaient à fatiguer et qu’il fallait intervenir sans plus attendre. La « stéréophonie totale » permet alors à des millions de Français de suivre le déroulement des heurts qui durent jusqu’à 5 h 30. Dramatisée par sa publicisation, la répression solidarise « l’opinion publique », dont la mesure cependant fait défaut, et les syndicats ouvriers avec les étudiants. G. Pompidou, de retour en France le lendemain, cédant aux trois revendications étudiantes, donne le sentiment que la radicalisation paie. Un seuil est franchi : la contestation quitte le strict site universitaire et gagne le monde ouvrier, l’événement critique brise l’isolement des champs d’action, précipite des crises sectorielles latentes dues à des facteurs structurels, et les synchronise en les liant ensemble dans les faits et dans les représentations. Par un enchaînement contingent d’événements, on entre alors pleinement dans le « moment critique ». La dénonciation de la répression gaulliste devient ainsi la forme par laquelle les centrales syndicales s’approprient la critique anti-autoritaire, en la reformulant dans leurs registres propres et en l’ajustant avec leur agenda spécifique.

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L’événement critique est donc bien un facteur déterminant de la solidarisation des mouvements étudiant et ouvrier contre la répression et le gouvernement. Le seuil de désectorisation qu’il fait franchir à la dynamique de crise ne renvoie donc pas aux métaphores habituelles de la « tâche d’huile » et de la « contagion », qui n’expliquent rien. Il ne s’analyse qu’en rapport avec les mécanismes empiriques précis d’enchaînement des événements. Il ouvre un moment de convergence dans la concurrence entre les organisations de la classe ouvrière et le mouvement étudiant, malgré l’hostilité affichée très tôt par la CGT et le PCF à l’égard des « gauchistes ». La journée d’action et de grève générale du 13 mai en est la traduction, même si les discussions entre les uns et les autres à propos de l’itinéraire et de la place des défilés sont âpres. Semblable analyse permet de rendre compte des autres seuils de radicalisation. Déjà le 3 mai, c’est la rupture du « contrat » passé entre les forces de l’ordre et les quelques centaines de militants regroupés dans la cour de la Sorbonne – évacuation contre non-arrestation – qui fait basculer les événements et débouche sur les premiers affrontements violents d’ampleur dans le quartier Latin, débordant de loin les seuls militants « gauchistes » mobilisés ce jour-là. La solidarisation des étudiants présents autour du boulevard Saint-Michel et de la rue des Écoles est ainsi l’effet de la rencontre entre, d’un côté, une sensibilité de crise déjà perceptible [42], une politisation silencieuse hors des cadres organisationnels de l’extrême gauche, et, de l’autre, la répression disproportionnée qui s’abat alors jusque sur des passants. Le maintien de l’ordre constituera au demeurant à plusieurs reprises un levier involontaire de radicalisation de la situation, comme on le verra à propos des résistances à la reprise du travail, au point qu’il devient « l’événement dans l’Événement [43] ». D’autres seuils de radicalisation paraissent en comparaison moins déterminants. Ils jouent pourtant un grand rôle. Le débat sur les examens le 15 mai, la décision de les boycotter le 16, et finalement leur report, alors même qu’ailleurs les grèves et occupations ouvrières se multiplient, semblent a priori sans poids significatif dans l’évolution de la conjoncture, alors qu’en réalité, en débarrassant les étudiants de cette préoccupation immédiate quant à leur avenir, ils les rendent plus disponibles pour l’action [44]. De même, aussi folklorique qu’elle ait pu paraître après-coup à certains commentateurs, l’occupation du théâtre de l’Odéon le 15 mai par des éléments du Mouvement du 22 mars, entre autres, et la libération de la parole qui s’ensuit, ont elles aussi contribué à l’élargissement de la crise aux secteurs culturels : aucune institution culturelle, aucun « monstre sacré » – Jean-Louis Barrault, Jean Vilar, Maurice Béjart l’apprennent à leurs dépens – ne peut plus se considérer protégé. Aucune autorité symbolique n’est désormais à l’abri de la critique antiautoritaire, anti-bureaucratique, anti-institutionnelle. Les intellectuels ne peuvent plus témoigner de leur soutien ex cathedra – par exemple sous la forme de la pétition –, mais sont invités à créer eux-mêmes des comités d’action, si du moins ils entendent témoigner de leurs aspirations « révolutionnaires ». Les directeurs de centres dramatiques et de maisons de la culture se réunissent à Villeurbanne le 21 mai pour reconsidérer les politiques de décentralisation et de démocratisation culturelles sous l’angle du « non-public » et des liens entre création culturelle et politisation. D’autres professions, au même moment, s’alignent sur la critique antiautoritaire – sous les deux formes qu’elle prend alors, la critique de la division verticale du travail qui institue hiérarchies et dominations, et la critique de la division sociale horizontale qui segmente les mondes sociaux et limite les métissages trans-sectoriels – pour réinterroger leurs idéologies, pratiques et fonctionnements professionnels [45]. Et le jeu ouvert par les occupations d’usines, si contrôlées qu’elles soient majoritairement par les directions syndicales, travaille lui aussi à la désectorisation en autorisant des rencontres sociales improbables, que ce soit entre ouvriers et militants gauchistes, dans de rares cas entre ouvriers et étudiants, ou encore entre ouvriers, d’un côté, ingénieurs et cadres de l’autre. Sur ce dernier point, pour divisé et (auto)limité que soit le « mai 1968 des cadres », il donne lieu à des transgressions de frontières qui marquent les esprits, à l’image de ce qu’exprime un ingénieur CFDT du secteur automobile : « Ils [les cadres de la fabrication] connaissent parfaitement les réactions de l’ouvrier à son poste de travail, mais l’ouvrier redevenu un homme, ils ne savent pas ce que c’est. Finalement, comme ont dit les copains du CG [comité de grève], ‘les ingénieurs et cadres ont découvert cet animal qu’on appelait jusqu’à maintenant l’ouvrier’. À noter d’ailleurs qu’au comité de grève, les ouvriers ont découvert cet animal qu’ils appelaient jusque-là ingénieur ou cadre [46] ! »

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Il reste, comme on l’a laissé entendre, que la dynamique de désectorisation n’est pas davantage séparable de facteurs structurels qu’elle ne l’est de facteurs situationnels. « L’événement ne signifie pas dans un vide [47]. » Si tout n’est pas déjà joué avant la crise, tout néanmoins ne se joue pas en lui. C’est parce que l’événement critique rencontre des crises sectorielles latentes qu’il a le pouvoir d’ouvrir une crise générale. Si l’événement est une « rupture d’intelligibilité », c’est aussi parce qu’il donne à voir, à l’état explicite, des mutations antérieures qui sans lui seraient restées sourdes et silencieuses [48]. Une sociohistoire du temps court a donc pour vocation de penser ensemble les spécificités du présent de la crise et les « séries dans lesquelles l’événement prend sens [49] », celles-ci n’étant pas tributaires d’une chronologie et d’une logique uniques, mais s’ouvrant et se fermant, durant « les années 68 » [50], selon des temporalités et des mécanismes différenciés. De nombreuses mobilisations en mai-juin 1968, des architectes des Beaux-Arts [51] aux écrivains [52], des médecins [53] aux magistrats [54], des contestations dans le champ religieux [55] jusqu’aux footballeurs [56], en passant par une multitude de microgroupes ou associations, permettraient d’illustrer que le présent de l’histoire en situation de crise généralisée est un processus dans lequel se rencontrent, d’un côté, une grammaire générale de la contestation qui émerge en situation, et de l’autre, des prédispositions à s’en emparer pour rejouer, grandir, élargir et radicaliser des causes et des conflits déjà là. On voudrait le détailler à propos des grèves ouvrières.

La désectorisation du monde ouvrier : une généralisation par le bas

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Le mot d’ordre de grève lancé par les directions syndicales pour le 13 mai est de fait inséparable de la rencontre entre l’événement critique de la première « nuit des barricades » et des « dispositions à agir collectivement qui trouvent leur principe dans la tradition du mouvement ouvrier français [57] ». C’est en effet parce que le répertoire de la grève unitaire existait dans la tradition syndicale, malgré sa fréquence relative, que les directions des organisations syndicales ont pu un moment lire la synchronisation des crises sectorielles comme une forme de continuation, contrôlable, de l’existant. Mais la grève du 13 mai n’était pas « reconductible ». Comment expliquer, dès lors, cette énigme propre à mai 1968 : la généralisation des grèves sans mot d’ordre de « grève générale » – ce que la CGT elle-même reconnaît le 16 mai, à sa manière (c’est-à-dire en en revendiquant le contrôle), par la voix de Georges Séguy : « Pour le moment, notre tactique et notre stratégie, c’est d’étendre la grève ‘par en bas’ [58] » ? L’éclatement des scènes et la multiplicité des sites de confrontation partout en France incitent évidemment à la prudence analytique : les logiques spécifiques à l’usine, au local et au régional, se mêlent à l’intrigue nationale selon des modalités chaque fois différentes. Cette généralisation sans chef d’orchestre n’en est pas moins intelligible, si du moins l’on accepte ce qu’il reste de points aveugles dans un récit abandonnant la poursuite vaine d’un principe organisateur unique de la texture infinie du réel en crise, et procédant par coups de sonde et par nœuds problématiques.

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Le cadre global de mobilisation et de sens créé par la conjoncture le 13 mai pousse à rejouer, en situation, des revendications antérieures qui avaient échoué au niveau local et qui paraissent désormais à portée de satisfaction, y compris dans de petites unités de production. Xavier Vigna a ainsi montré que c’est dès le 13 mai au soir, avant les grosses usines, que, par exemple, des usines modestes comme les Papeteries La Chapelle à Saint-Étienne-du-Rouvray ou la filature Dollfus Mieg à Loos-les-Lille cessent le travail, et ce jusqu’au 4 juin [59]. La conjoncture donne aussi droit de cité à des cadres de perception échappant à l’ordre syndical dominant. L’occupation de l’usine Sud-Aviation à Bouguenais près de Nantes, le 14 mai, s’entend comme le produit à la fois du précédent créé par la révolte étudiante et la mobilisation du 13 mai, d’un côté, des grèves tournantes initiées quelques semaines auparavant et d’une tradition anarcho-syndicaliste fortement présente [60], de l’autre. Et l’effet d’entraînement ainsi créé s’analyse lui-même comme le télescopage de conflits antérieurs et de la dynamique de l’événement, à laquelle, parfois, la surdité du patronat aux revendications n’est pas non plus étrangère. De même, dans l’usine Renault de Cléon, le lendemain, ce qui au départ est une journée d’action pour l’abrogation des ordonnances sur la Sécurité sociale change de sens et, face au refus de la direction de recevoir les délégués du personnel l’après-midi, se transforme en occupation de l’usine et en quasi-séquestration de la direction. La grève « sauvage » à Renault-Cléon est ainsi initiée par la conjonction de la conflictualité spécifique à cette usine et du précédent créé, ailleurs, par les Sud-Aviation nantais, en même temps qu’elle renforce à son tour la dynamique de contestation dans les autres usines Renault qui entrent en grève le lendemain. Ce pouvoir de levée de censure et d’entraînement est plus patent encore à l’échelle locale. À Nantes, si l’occupation de Sud-Aviation le 14 mai contribue à précipiter nombre d’usines, d’institutions et de syndicats locaux dans la mobilisation, c’est qu’en élargissant l’espace des possibles, elle rend légitime et crédible la reprise et la radicalisation de revendications antérieures. Il se produit alors des synergies qui, à ce degré, n’étaient pas envisageables quelques jours auparavant : on discute d’autogestion à Sud-Aviation, dans des entreprises de presse, dans les caisses d’allocations familiales; surtout, un comité central de grève est mis en place le 24 mai, qui pallie la paralysie de la ville en organisant, en relation avec les comités de grève et les comités de quartier, certaines tâches ordinairement dévolues à la municipalité, au point qu’on a pu parler de « Commune de Nantes [61] ». Ce comité central de grève, sous l’égide des centrales ouvrières, associe les paysans, et même quelques étudiants. Or, ce décloisonnement pratique et idéologique des causes, impensable à ce degré sans la dynamique même de la crise, est aussi inséparable de facteurs locaux de plus longue durée. Ainsi, le rapprochement des syndicats ouvriers et paysans est déjà à l’œuvre lors de la journée d’action du 8 mai, décidée le 13 mars, qui touche seize villes de Bretagne et des Pays de Loire. Et les raisons en sont à chercher à la fois dans la situation dramatique de l’emploi dans ces régions, et dans un certain nombre de mutations syndicales vieilles d’une dizaine d’années : les minorités anarcho-syndicalistes et trotskistes sont très actives à Nantes chez les étudiants, les ouvriers et les paysans; les jeunes paysans formés à la JAC qui prennent le contrôle du syndicalisme agricole départemental à la fin des années 1950, avec pour objectif de moderniser les relations sociales et non pas seulement les exploitations, entrent en relation, par l’intermédiaire de la CFTC, avec la JOC, la CGT et l’UD FO dirigée localement par l’anarcho-syndicaliste Alexandre Hébert, ce qui se traduit par des actions communes tout au long des années 1960 et par la signature, le 13 mars 1968, d’un « programme d’action des organisations syndicales ouvrières et agricoles de l’Ouest » réclamant, notamment, « la mise sous responsabilité publique, et leur gestion démocratique, des secteurs clés de l’industrie, de la banque et des crédits d’investissement ». Le terrain est donc déjà préparé à la jonction des luttes en mai 1968, qui voit des paysans participer auprès des étudiants aux combats de rue le 24 mai au soir, qui voit également Bernard Lambert pour la FDSEA, Jean Cadiot pour le CDJA, appeler à « l’union nécessaire étudiants-paysans » et à l’alliance des paysans avec « les ouvriers, les enseignants, les étudiants en lutte » [62]. Le signal lancé par les Sud-Aviation le 14 mai au soir et la dynamique de la contestation dans les semaines suivantes s’enracinent donc dans un passé local qui se rejoue en mai 1968 sous une forme radicalisée, et qui aura pour conséquence l’éclatement de l’unité du syndicalisme agricole sous l’effet d’un courant révolutionnaire dont le nom de B. Lambert est le plus emblématique. Semblables passerelles entre mondes sociaux et professionnels, semblables articulations entre conjoncture critique et mutations sociales, économiques, idéologiques et syndicales antérieures, s’observent dans d’autres sites, comme à Angers [63] : là aussi, mai 1968 radicalise les tendances au décloisonnement des causes, au renouvellement des modes d’action, aux convergences syndicales et à l’engagement dans les mobilisations multisectorielles de secteurs ordinairement plus corporatistes comme le secteur agricole, et de mondes traditionnellement en retrait comme l’Église (l’évêque avertit les fidèles, le 26 mai, que le produit de la quête ira au soutien des grévistes du département), la CFDT jouant ici le rôle de pivot dans l’unification des luttes, la grève illimitée des cheminots à partir du 18 mai celui de signal fort dans le passage à l’action des autres entreprises.

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Les mécanismes de l’extension de la grève au sein du monde ouvrier sont donc à analyser selon trois échelles à la fois interdépendantes et relativement autonomes : les spécificités locales, le jeu du passé et du présent, et bien sûr l’intrigue nationale. Comme l’écrit X. Vigna, « les grévistes suivent les faits qui se déroulent ailleurs : dans les usines à proximité, dans la ville ou le bassin d’emploi, et surtout à Paris [64] ». Le travail de mobilisation des syndicats joue ainsi un rôle important : s’ils ne sont pas à l’initiative des grèves spontanées qui lancent le mouvement dans les grosses unités de production, ils tentent rapidement de les encadrer, de leur donner un cadre revendicatif clair, et de susciter d’autres arrêts de travail. Le jeu est donc subtil, et souvent convergent, entre ce qui leur échappe et ce qui leur revient. Des phénomènes de solidarité contribuent aussi à l’élargissement de la contestation : que ce soit localement ou nationalement, il devient coûteux de ne pas suivre et intéressant de suivre le mouvement général dès lors que celui-ci, à partir du 20 mai, a atteint une ampleur sans rapport avec les grèves pour l’emploi des années précédentes [65]. Il faudrait, pour se convaincre de cet effet d’opportunité, multiplier les monographies d’usines et y saisir les pressions qui s’exercent pour ne pas être en reste du mouvement général, à l’image des tournées organisées dans les communes rurales où certains ouvriers se sont retirés durant la grève, comme à Sochaux, et où ils sont allés travailler pour se faire un pécule, comme dans le Cambraisis [66]. Les pressions relèvent aussi, et ce n’est pas anecdotique, des difficultés matérielles qui s’accumulent et qui empêchent de se rendre au travail : la grève gagne en effet les premiers dépôts SNCF et RATP le 17 mai, l’ensemble de ces deux entreprises les deux jours suivants et jusqu’au 5 juin, et l’essence commence à manquer le 19. Le cas de la SNCF est au demeurant important pour notre propos. La grève y est essentiellement corporative [67], mais la position stratégique des transports en fait un seuil dans la généralisation de la crise à l’échelle nationale.

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D’autre part, l’extension du mouvement ne se réduit pas à la multiplication des arrêts de travail, mais renvoie aussi à la radicalisation des revendications et des modes d’action, et sur ce plan encore, l’interaction entre passé et présent est déterminante. Les grèves syndicales sont certes majoritaires en mai-juin 1968. Elles caractérisent surtout la grande industrie et sont fortement encadrées par des syndicats, principalement la CGT et FO, qui s’empressent de saisir l’opportunité offerte par la situation de crise pour faire aboutir des revendications anciennes et traditionnelles, par exemple en matière de salaires. Il s’agit aussi, dans certains cas, de « grèves d’émancipation » qui aboutissent pour l’essentiel à la création de sections syndicales et qui prennent place dans des entreprises où la représentation syndicale, en raison de politiques du personnel répressives ou paternalistes et en raison d’une organisation du travail très cloisonnée, est avant la crise soit inexistante, soit le fait d’organisations « indépendantes » peu représentatives. Les grèves plus novatrices, mettant en cause le système des relations professionnelles, sont minoritaires, qu’elles demandent la participation ou la cogestion de l’entreprise par les ouvriers, notamment pour limiter l’arbitraire de l’encadrement, comme dans les entreprises nationalisées, ou qu’elles mettent en question plus radicalement les rapports sociaux au sein de l’entreprise, l’autoritarisme, et exigent le « contrôle ouvrier », voire l’autogestion [68]. Or, pour minoritaires qu’elles soient, ces grèves marquent les esprits : elles questionnent le principe de la délégation syndicale et paraissent préfigurer à l’échelle de l’usine, voire de l’atelier, ce que pourrait être une société future fondée sur l’autonomie des travailleurs. Elles sont le produit, là aussi, de logiques structurelles et de logiques situationnelles. Le communiqué de la CFDT du 16 mai 1968, qui appelle à substituer à la « monarchie industrielle et administrative » des « structures démocratiques à base d’autogestion » et « le droit des travailleurs à la gestion de l’économie et de leur entreprise », joue un rôle non négligeable dans la mesure où il est relayé par les syndicats CFDT selon leur poids dans les entreprises et la nature de leur alliance avec la CGT. Si le thème de l’autogestion chemine alors depuis une dizaine d’années dans les cercles intellectuels de la Nouvelle Gauche et dans certaines fractions de la CFDT déconfessionnalisée, comme les fédérations Chimie et Hacuitex, ce n’est que parce que la situation paraît l’accréditer, avec les premières grèves spontanées des 14-15 mai et leurs revendications « qualitatives » en faveur du « pouvoir ouvrier », qu’il est repris officiellement et au niveau national par la CFDT, qui en fera ensuite le socle de sa réflexion [69]. Et si le thème de l’autogestion, et plus généralement l’exigence d’une expression autonome des travailleurs, rencontrent un écho certain dans le mouvement, c’est également dans la mesure où ils entrent en résonance avec un contexte inédit de « prise de parole [70] » et de revendication d’autonomie, dans lequel ils s’insèrent et qui lui donnent sens, et qu’ils contribuent à renforcer en retour. Or, ce contexte renvoie lui-même à deux dimensions qu’il faut examiner tour à tour : les jonctions ouvriers-étudiants et le refus de l’ordre usinier.

Jonctions étudiants-ouvriers

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On a beaucoup glosé sur le « rendez-vous manqué » entre ouvriers et étudiants en mai-juin 1968, rendez-vous manqué qu’accréditerait l’image, devenue image d’Épinal, des étudiants marchant sur la forteresse ouvrière de Renault-Billancourt et y trouvant portes closes comme l’avait annoncé la CGT. Mais si le constat se vérifie assez largement au niveau des groupes réifiés (« le mouvement ouvrier », « le mouvement étudiant »), il méconnaît les nombreux cas où ces rencontres ont bien lieu. Et l’on ne peut s’en apercevoir que si l’on prend toute la mesure de ce qu’appelle l’analyse des situations de crise : la dé-réification des groupes, toujours pluriels et plus encore dans les conjonctures critiques, la suspension de l’identification des ouvriers au « mouvement ouvrier » ou aux « organisations ouvrières » [71], et la variation des échelles d’observation qui suppose une attention très grande à la pluralité des situations d’usines [72] en mai-juin 1968 et à l’existence de ces métissages sociaux [73] entre acteurs et groupes qui constituent une des spécificités des crises. Les monographies et les synthèses existantes sur les mobilisations ouvrières, notamment dans leurs insertions locales, attestent du fait que ces rencontres entre étudiants et ouvriers ont bien eu lieu, que ce soit à Nantes et à Angers, comme on l’a vu, mais aussi à Caen, aux usines Renault de Billancourt et Flins, Citroën de Javel et Nanterre, Thomson-Houston de Gennevilliers, ainsi que dans de nombreuses villes universitaires [74]. Or, ces rencontres ne sont pas compréhensibles en dehors de l’opportunité que leur ouvre la conjoncture de crise. Si les crises constituent des moments de désectorisation de l’espace social, c’est plus vrai encore de celle de mai-juin 1968 dans la mesure où la critique de la division sociale du travail et des cloisonnements sociaux y est explicite, recherchée et érigée en modèle de société future, dans la mesure également où la libération de la parole, revendiquée et pratiquée par les comités d’action étudiants, est précisément rendue possible dans le monde ouvrier par la cessation du travail et y fait parfois écho au désir de ne plus déléguer aux représentants syndicaux l’expression des souffrances associées à la servitude laborieuse. Le comité central de grève de l’usine Rhône-Poulenc de Vitry écrit ainsi dans un tract du 28 mai 1968 : « Alors que l’on nous avait toujours refusé la parole, nous l’avons prise, nous avons appris à parler et cela est irréversible [75]. »

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Mais ces rencontres, qui se poursuivent en partie après mai aussi bien à l’échelle individuelle qu’au niveau collectif, comme l’illustre le cas des groupes Medvedkine dans la région de Sochaux [76], doivent aussi beaucoup à des éléments antérieurs à la crise elle-même. L’histoire propre des syndicats, en premier lieu. Si tendanciellement la CFDT soutient la jonction ouvriers-étudiants quand la CGT s’en méfie, c’est évidemment en raison de deux traditions très différentes : la CGT, dont la position est liée à celle du Parti communiste et travaillée par une identité ouvriériste peu ouverte aux « jeunes bourgeois » gauchistes, s’adresse d’abord aux ouvriers professionnels de la grande industrie syndiqués depuis longtemps; la CFDT, attentive aux nouveaux acteurs ouvriers, notamment les jeunes OS, et aux revendications « qualitatives » sur les relations sociales au sein des entreprises, se reconnaît plus volontiers dans la remise en cause anti-autoritaire contenue dans la prise de parole étudiante. Mais ce qui vaut en tendance ne vaut pas partout, là encore pour des raisons historiques : dans les houillères en grève, une section CGT d’Oignies se démarque de la méfiance de G. Séguy à l’endroit des étudiants et se fait fort de rappeler que c’est « un honneur de ne jamais oublier » que ceux-ci avaient précocement soutenu la grève des mineurs de 1963 [77]. Le poids de l’histoire, notamment des histoires locales, est donc déterminant dans l’ensemble des facteurs qui autorisent ou au contraire empêchent que soit saisie la possibilité, ouverte ou renforcée par la crise, de rencontrer le dehors de l’usine. L’exemple des jonctions ouvriers-étudiants à Caen est à cet égard emblématique. L’unité d’action entre la CFDT et l’UNEF, auxquelles la CGT, réticente, s’associe parfois, se matérialise par une manifestation unitaire le 10 mai et des défilés communs le 13, et se prolonge par la création d’une commission luttes étudiantes-luttes ouvrières, par des discussions entre ouvriers et étudiants à l’université ou aux portes de Moulinex et de Citroën, par des actions communes le 24 mai, notamment la mise à sac du local du parti gaulliste, et par une manifestation commune le 31 contre la riposte gaulliste de la veille. Mais la rencontre caennaise entre étudiants et ouvriers en mai-juin 1968 trouve en fait ses racines dans le soutien explicite qu’apporte l’UNEF aux grévistes de la SAVIEM, brutalement réprimés le 24 janvier, et dans les heurts qui opposent les jours suivants ouvriers et étudiants d’un côté, police de l’autre. Et ces racines renvoient elles-mêmes aux luttes menées en commun par la CFTC, la CGT, la FEN et l’UNEF contre la guerre d’Algérie au début des années 1960. Les convergences qui se dessinent alors sont relayées les années suivantes par de multiples contacts entre une UNEF conquise en 1965 par les ESU, les étudiants du PSU, et une CFDT abritant elle-même une forte proportion de militants du PSU. Une commune socialisation au syndicalisme chrétien (Action catholique ouvrière ou Jeunesse étudiante chrétienne), la jeunesse partagée des étudiants et des ouvriers – les usines locales emploient une forte majorité de moins de trente ans –, des idéologies convergeant en particulier sur le problème de jeunes OS d’origine rurale massivement recrutés lors de la décentralisation industrielle, assurent dès lors la continuité d’un front commun qui se rejoue et s’affermit encore en mai-juin 1968, et permettent sa focalisation, non seulement sur la question des salaires et de l’emploi, mais aussi, plus radicalement, sur la dénonciation du taylorisme et la défense de la dignité ouvrière [78].

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Il importe de souligner ce dernier aspect : le refus de l’ordre usinier, à bien des égards plus radical et non-négociable que les revendications quantitatives classiques, s’exprime de façon aiguë jusque dans des grèves n’exigeant pourtant pas explicitement le « pouvoir ouvrier » et l’autogestion; il détermine en partie la longévité des luttes, leur extension, leurs modes d’action parfois illégaux comme les séquestrations de dirigeants ou de cadres d’entreprise et l’affrontement violent avec les forces de l’ordre, l’entrée en scène de nouveaux acteurs ouvriers comme les jeunes OS, la formation d’un langage commun avec les étudiants, fait de prise de parole hors délégation syndicale, de revendications d’autonomie et de dignité, et d’aspirations publiques à en finir avec l’aliénation quotidienne du productivisme; il met en jeu ce qui vient du passé et ce que réarticule et radicalise la crise, en ce sens qu’il traduit une contestation embryonnaire du modèle fordiste que la crise manifeste au grand jour et qui devient, dans l’après-Mai, le point focal de bien des manifestations de l’insubordination ouvrière comme des innovations managériales par lesquelles les entreprises tenteront d’en tenir compte tout en en éliminant la charge subversive [79]. En cela, le refus de l’ordre usinier représente un prisme crucial pour une sociohistoire du temps court de la crise. Et d’autant plus qu’il constitue un élément central des résistances à la reprise du travail en juin 1968, alors que l’intrigue nationale est à la resectorisation et à la normalisation du jeu politique.

Résistances à la reprise du travail et refus de l’ordre usinier

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À la fin du mois de mai et au début du mois de juin 1968, les éléments qui poussent à la reprise du travail sont nombreux, mais interviennent dans un climat instable. L’échec de l’annonce d’un référendum sur la participation par le général de Gaulle le 24 mai, la seconde nuit des barricades parisiennes dans les heures qui suivent, le refus du constat de Grenelle par les ouvriers de Renault-Billancourt le matin du 27, le meeting commun de l’UNEF, du PSU, de la CFDT au stade Charléty le soir même, la conférence de presse de François Mitterrand le 28, le souhait d’un gouvernement populaire d’union démocratique à forte participation communiste plusieurs fois réitéré par le PCF, les manifestations massives de la CGT le 29 mai à Paris, la « disparition » de de Gaulle à Baden-Baden le même jour, la poursuite des grèves et des occupations un peu partout en France, tout ceci pousse le flottement politique et la fluidité de la situation à leur comble. Certes, l’allocution du général de Gaulle le 30 mai, annonçant la dissolution de l’Assemblée nationale et la tenue d’élections législatives anticipées à la fin du mois de juin, appuyée par la manifestation de masse de la droite deux heures après à Paris, paraît réordonner le jeu politique institutionnel autour de la perspective électorale, d’autant plus que la FGDS et le PCF s’y rallient très rapidement. Mais contrairement à ce qu’ont pu faire accroire les reconstructions rétrospectives, fortes de leur connaissance du fin mot de l’histoire – la tenue des élections et le retour à l’ordre –, contrairement aussi à la vision promue par une certaine histoire politique, plus attentive à l’histoire institutionnelle qu’à l’histoire sociale et à la sociologie des crises, et pénétrée d’une disposition scolastique lettrée, sinon empathique, cherchant dans la « magie gaullienne du verbe » le levier unique d’un retournement héroïque de la situation [80], l’instabilité prévaut encore et conduit aux anticipations les plus contradictoires. La CGT appelle certes, dès la fin des négociations de Grenelle et dans les jours suivants, à la reprise du travail, mais très prudemment, la CFDT ne s’y employant à son tour que le 4 juin, et encore, avec des nuances notables selon les entreprises et les usines.

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Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que, même après le 30 mai, nombre de grèves et d’occupations se durcissent et s’éternisent, certaines jusqu’au début du mois de juillet, et que d’autres, qui plus est, s’enclenchent après Grenelle, comme dans de petits établissements restés jusqu’alors à l’écart, en Isère, en Haute-Loire, dans l’Eure, en Vendée, en Haute-Saône ou dans la région de Dunkerque [81]. Au demeurant, la sociologie des crises politiques met bien en évidence que les « dérapages tendent à survenir dans des contextes où certains acteurs dotés de ressources importantes ont tenté de stabiliser une situation qui semblait leur échapper et ont pu être fondés à croire […] y être parvenus [82] », mais en vain, comme c’est le cas le 27 mai après le refus du constat de Grenelle à Renault-Billancourt. De sorte que là encore, l’irréductibilité ouvrière n’est intelligible qu’en associant facteurs situationnels et facteurs structurels, spécificités locales et intrigue nationale. Se télescopent alors à la fois une radicalité ouvrière débordant bien souvent les syndicats, des pressions pour le retour à l’ordre exercées par les autorités, un décalage entre les solutions proposées et les attentes, et des facteurs « accidentels » qui vont contribuer aux heurts violents observés aux portes de certaines usines.

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Maints indices attestent de cette radicalité ouvrière. Dès le 13 mai au soir en province, de multiples refus de dispersion, barrages, barricades, sit-in prolongés, assauts de préfectures, et affrontements sont observés, notamment dans l’Ouest et à Clermont-Ferrand [83]. Le constat de Grenelle est accueilli avec hostilité dans de nombreux départements, des grèves se durcissent en Haute-Marne, dans les Vosges, l’Hérault, le Loiret, le Calvados, et des responsables syndicaux sont chahutés dans le Valenciennois [84]. Les modes d’action sortent parfois du répertoire ouvrier classique, à l’image, on l’a dit, des séquestrations de dirigeants d’entreprises et de cadres, qui se multiplient à partir du 16 mai [85]. Des syndicalistes CGT enlèvent même quatre cadres le 2 juin aux usines Ducellier situées en zone rurale aux confins de la Haute-Loire et du Puy-de-Dôme [86]. Dans certaines usines occupées, comme à Citroën-Javel à Paris, des ouvriers radicaux s’associent à des militants « gauchistes » et organisent leur propre occupation, à l’écart des militants syndicaux chevronnés [87].

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De l’autre côté, circulaires ministérielles et rapports préfectoraux témoignent de la volonté des autorités, immédiatement après le discours de de Gaulle le 30 mai, d’employer les moyens nécessaires pour forcer la reprise et ramener l’ordre. Consigne est donnée aux préfets et aux forces de l’ordre, plus encore après que Raymond Marcellin a succédé à Christian Fouchet le 5 juin (symptôme, en lui-même, d’un durcissement du pouvoir), de multiplier si besoin les interventions policières pour expulser les ouvriers occupant les usines et permettre l’accès des non-grévistes aux ateliers [88]. L’État mobilise aussi les moyens du maintien de l’ordre symbolique. Michelle Zancarini-Fournel note ainsi l’insistance avec laquelle la télévision, relayée par la presse dans sa grande majorité, évoque les reprises du travail là où elles ont lieu et tait les refus, façon performative de prescrire en « décrivant », d’annoncer en énonçant, qui délégitime par avance toute résistance et impose l’idée générale que la tendance, sinon la règle, est à la fin des grèves [89]. Cette disqualification symbolique, associée au sentiment donné à son camp par le général de Gaulle, dans son discours du 30 mai, que la reprise en main est en marche, encourage des initiatives violentes contre les grévistes irréductibles : attaques de piquets de grève, agressions de militants, saccages de sièges syndicaux [90].

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Les évacuations musclées de grévistes occupant leurs usines débutent les 5 et 6 juin, chez Lockeed à Beauvais, dans le Nord, et surtout, à Renault-Flins en région parisienne et à Peugeot-Sochaux. Ces deux derniers cas condensent le jeu des facteurs mis en évidence précédemment. À Peugeot-Sochaux, dans un contexte de tensions entre la direction et les syndicats, de votes ambigus et contestés sur la question de la reprise, et de division progressive du front syndical, de jeunes grévistes soutenus par des syndicalistes CFDT appellent à relancer l’occupation de l’usine le 10 juin. L’intervention des forces de l’ordre le lendemain est d’une brutalité inouïe : elles s’en prennent aussi bien aux grévistes qu’aux non-grévistes arrivés par cars pour reprendre le travail, ce qui provoque la solidarisation des uns et des autres; les CRS tirent et tuent un ouvrier, Pierre Beylot; les combats durent toute la journée, blessant de nombreux ouvriers et en tuant un autre, Henri Blanchet. Si ce déchaînement a sans doute partie liée avec les modalités concrètes de maintien de l’ordre sur le terrain, jamais totalement contrôlables par la hiérarchie [91], il s’entend aussi comme la conjonction des consignes de fermeté lancées par des autorités politiques, attentives à ne pas voir se prolonger une grève avec occupation dans un secteur automobile symboliquement et stratégiquement déterminant, de la résistance que leur opposent les ouvriers, et de l’incertitude qui règne sur l’état du rapport de force : un nombre en effet peu élevé de travailleurs a participé à l’occupation de l’usine depuis le 20 mai et aux votes relatifs à la reprise du travail, de sorte que nul ne peut anticiper, ni les syndicats, ni la direction, ni les autorités, ce qu’il en est de leur combativité. Incertitude typique des situations de crise, qui en l’espèce pousse la direction à parier sur la passivité des absents. Pari erroné. C’est donc bien dans le rapport distant à l’usine de ces « attentistes » que réside la clef du dérapage, comme le montre Nicolas Hatzfeld [92]. Ils sont en effet la « grande inconnue du conflit » : ils suivent la grève de loin, se retirent dans leur famille, mais ce qui a pu apparaître pour de l’indifférence n’est en réalité qu’une attitude « symptomatique d’un certain fatalisme des classes populaires et inhérente aux logiques de délégation [93] ». Cette modalité particulière – défection provisoire, mise à distance – de refus de l’ordre usinier traduit en réalité ce qu’on retrouve dans bien des cas en mai-juin 1968 : la moindre « usinisation » qui caractérise un groupe ouvrier alors en pleine transformation [94]. C’est bien ce qui est en jeu dans le cas de Peugeot-Sochaux. La croissance de l’entreprise a en effet conduit depuis le milieu des années 1950 à des recrutements massifs qui déstabilisent l’ordre usinier : on recrute des ouvriers-paysans, des travailleurs immigrés en contrats temporaires, des jeunes souvent venus d’autres régions, au point que « manœuvres et OS constituent les trois quarts de l’effectif [95] ». Ces nouveaux ouvriers cantonnés aux tâches parcellisées, adhérant peu au « métier », à l’encadrement syndical, ainsi qu’à l’« esprit Peugeot », en particulier les jeunes, sont ceux qui, déjà en 1960 et 1961, recourent à de nouvelles façons de lutter comme les grèves sauvages et les occupations de bureaux, et subissent la répression de la direction. Ils sont aussi ceux qui, en mai-juin 1968, mettent en cause « l’autorité des responsables syndicaux », se montrent sensibles aux discours plus radicaux des militants trotskistes de la CFDT, et, pourtant distants à l’usine, déploient une combativité inattendue le 11 juin. De sorte que si, ce jour-là, « la résistance ouvrière a été aussi massive et énergique, au point de rester maîtresse du terrain, c’est qu’elle réagit au télescopage de toutes les dominations : celle du travail dans l’entreprise et de ses contraintes, celle de l’entreprise sur la vie hors usine, celle de l’État, par ses troupes policières au service de la même entreprise [96] ». Quelque chose de cet ordre se joue aussi à Flins entre le 6 et le 10 juin, où des affrontements violents ont lieu autour de l’usine Renault, culminant avec la mort d’un lycéen maoïste, Gilles Tautin, qui se noie dans la Seine en tentant d’échapper aux forces de l’ordre. La dimension supplémentaire étant ici l’alliance, approuvée par la section CFDT, qui se noue entre jeunes ouvriers et étudiants venus par centaines appuyer les grévistes contre la reprise de l’usine par la police le 6 juin.

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L’apparition de revendications irréductibles à l’agenda syndical classique, comme la mise en cause des relations d’autorité et de pouvoir dans les entreprises, la critique des responsables syndicaux, la radicalité des modes d’action, le refus du constat de Grenelle, les résistances parfois violentes à la reprise du travail, tout ceci traduit un refus de l’ordre usinier qui vient s’exprimer de façon inédite en mai-juin 1968, mais qui est inséparable des modifications du recrutement ouvrier induites par la décentralisation industrielle depuis les années 1950. Anciens et nouveaux ouvriers coexistent désormais, souvent dans les mêmes établissements [97], et les femmes, les jeunes ouvriers, les ouvriers ruraux, les travailleurs étrangers, aussi différents soient-ils, partagent au moins une distance très nette à l’endroit du modèle de l’ouvrier professionnel de la grande industrie, masculin, d’âge moyen, syndiqué, dont la CGT a fait son cœur de cible. Et s’ils ne se reconnaissent pas dans le constat de Grenelle, c’est bien que ce compromis fordiste, où s’échangent satisfactions salariales et maintien de l’organisation du travail, ne répond pas à leur rapport à l’usine ni à leur refus de la servitude laborieuse, du travail parcellaire et aliénant, de l’autoritarisme de la maîtrise ou du paternalisme des dirigeants. En butte au syndicalisme classique, qui continue à « mastiquer les mêmes mots ou les mêmes slogans, nos traitements, nos pensions, nos retraites [98] », ces ouvriers, dont certains sont pourtant syndiqués depuis longtemps, notamment à la CGT, expriment leur désir d’une démocratisation dans l’entreprise, d’une transformation des rapports de pouvoir, et d’un contrôle ouvrier sur l’organisation du travail. Ils le font parfois, en mai-juin, dans le cadre de comités de base. Si la plupart sont aux mains des délégués syndicaux, certains réservent un poids important à la base dont la parole est ainsi libérée des traductions qu’en opère le plus souvent les porte-parole syndicaux. Ils exigent un droit de regard sur les cadences, l’attribution des postes de travail, le chronométrage, les conditions sanitaires du travail, à l’image de cette jeune femme des usines Wonder de Saint-Ouen, filmée par une équipe d’étudiants de l’IDHEC, que l’on voit opposer au délégué CGT, appelant début juin à reprendre le travail, son refus de « remettre les pieds dans cette taule dégueulasse ». Ces revendications, ignorées tant par Grenelle que par la plupart des accords de branche qui suivent, sont au cœur de l’irréductibilité ouvrière du mois de juin.

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S’ouvre alors, comme l’a montré X. Vigna [99], une période post-68 marquée par le développement d’une insubordination ouvrière qui met en crise le compromis fordiste prévalant depuis la Libération. Cette insubordination se traduit par la politisation de questions d’usine liées à l’organisation du travail ou aux relations sociales internes aux entreprises (cotation par poste, salaire au rendement, augmentation des cadences, rotations de postes, pénibilité, mise en danger de la santé des travailleurs, autoritarisme des chefs), elle se traduit aussi par la multiplication des foyers de conflictualité jusque dans des périphéries récemment industrialisées et sans tradition de lutte, jusque dans des entreprises de taille modeste et des départements conservateurs, elle se traduit enfin par l’amplification de modes d’action radicaux (grèves de la faim, grèves d’atelier, grèves productives) et de répertoires illégaux (occupations, séquestrations des dirigeants, sabotages et dégradations).

Le « retour à la normale »

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Et pourtant, la reprise du travail, bon an mal an, a bien eu lieu, les manifestations ont cessé, les élections législatives se sont bien tenues, remportées de manière écrasante par la droite. La normalisation de la conjoncture politique interroge à nouveau les rapports entre le passé et le présent dans les situations de crise. Les reprises du travail, qui se multiplient au cours du mois de juin, doivent bien sûr à la répression en cours, mais aussi au réenclavement des espaces de confrontation : les acteurs politiques institutionnels se concentrent sur l’arène électorale; les étudiants encore mobilisés s’interrogent sur la « stratégie » à suivre et se trouvent progressivement canalisés vers un tête-à-tête avec le ministère de l’Intérieur qui culmine le 12 juin avec la dissolution des organisations d’extrême gauche et l’interdiction des manifestations; on négocie désormais au niveau des branches ou des entreprises; et la CGT – conformément à la volonté du PCF d’aller dans l’ordre aux élections pour éviter d’accréditer l’épouvantail du « communisme totalitaire » agité par de Gaulle – fait pression sur les ouvriers pour qu’ils regagnent les ateliers. Il devient dès lors difficile pour les syndicats CFDT, dans les nombreux sites où ils sont minoritaires, de poursuivre seuls la grève et l’occupation, et la désagrégation progressive des luttes, la répression et les désalignements imposés par une conjoncture moins porteuse renforcent les coûts des mobilisations. Et parce qu’elle délégitime la ténacité et la radicalité des actions protestataires, la convergence des anticipations des acteurs institutionnels, syndicats et partis, vers la solution législative est un élément pivot du retour à la normale. Celui-ci est ainsi le produit complexe des interdépendances conjoncturelles qui replacent progressivement les acteurs partisans au centre du jeu, et des transactions plus routinières, à la fois collusives et concurrentielles, qui lient les partis dans une commune reconnaissance du jeu électoral, c’est-à-dire d’un jeu dont ils connaissent les règles et dont ils pensent pouvoir tirer parti. Autrement dit, dans un contexte de dissipation de la lisibilité du monde social et de la pertinence des calculs ordinaires, propice aux anticipations erronées, la resectorisation et le resserrement du jeu politique apparaissent comme le résultat, certes advenu mais non nécessaire, d’une interdépendance tactique élargie, de coups ratés ou réussis, de transferts dans la crise de schèmes d’interprétation et d’action forgés antérieurement ou réajustés en situation, et de réemplois de technologies institutionnelles ayant fait leurs preuves en temps ordinaire.

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Il importe donc, pour penser la normalisation, de revenir sur les tactiques déployées par les protagonistes politiques « classiques ». Confrontés à une situation inédite qui brise les routines d’action et d’interprétation des jeux sociaux et politiques ordinaires, les acteurs politiques ont certes à s’adapter dans l’urgence à un système d’action élargi qui échappe au fonctionnement ordinaire du régime parlementaire, mais peuvent être tentés de s’en remettre, pour se déterminer dans une situation indéterminée, à ce qu’ils croient savoir et à ce qu’ils croient savoir faire, et ce d’autant plus que les dispositions intériorisées sont dotées d’une inertie plus grande que les rapports sociaux institutionnalisés ou les représentations objectivées du monde social [100]. Cette oscillation entre adaptation au régime de crise et « confiance dans l’habitus [101] » est un produit presque nécessaire de la fluidité politique, mais les acteurs et les groupes y répondent de façons différentes en fonction de leur histoire, de leur position dans le jeu, de leur perception de la situation et des ajustements qu’ils déploient pour en tirer profit ou en réduire les coûts. Si l’on regarde les différentes tactiques employées par la présidence, le Premier ministre et les partis d’opposition, la solution législative n’a rien d’une évidence. Elle ne s’impose que sur le tard, au terme d’un processus qui a vu chacun des protagonistes poursuivre, pour reprendre Erving Goffman, une « carrière morale » incertaine et recourir à des coups d’une autre nature. Elle ne fait converger les calculs qu’après que les autres options envisagées, moins conformes aux règles institutionnelles, ont échoué ou perdu leur saillance. À cet égard, il n’est pas certain que, même en conjoncture de crise, les solutions exceptionnelles – et la dissolution de l’Assemblée nationale n’en est pas une, puisqu’elle est prévue par la Constitution et qu’elle a déjà été employée en 1962 – soient les plus performantes.

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La solution référendaire voulue par de Gaulle est un symptôme patent du caractère inopérant que peuvent revêtir les coups héroïques que paraît pourtant appeler, aux yeux de leurs auteurs, le caractère exceptionnel de la crise. Le référendum, dont la Constitution en son article 11 limite l’usage, tout particulièrement lorsqu’il s’agit de passer en force, n’a pas à cette époque, faut-il le rappeler, de légitimité, son emploi en 1962 ayant soulevé l’opposition des partis de gauche, de nombreux constitutionnalistes et du Sénat. Il se heurte, en mai 1968, tant à des limites techniques – différents services ministériels ayant fait valoir qu’il ne pouvait être organisé dans les temps – qu’à l’opposition du mouvement étudiant, de la gauche parlementaire, de G. Pompidou, de fractions importantes de la majorité parlementaire auxquelles il n’offre rien de tangible, et même du patronat (le référendum portant sur la participation). Prisonnier d’une stratégie charismatique, qui a antérieurement fait ses preuves mais qui perd déjà ses soutiens jusque dans le camp gaulliste, rejouant le 13 mai 1958, voire le 18 juin 1940, de Gaulle rate bel et bien la spécificité de ce qui se déroule sous ses yeux rendus distants par la cage interprétative que sa longue carrière a forgée. Quant à la gauche parlementaire, sa « carrière » dans la crise est pour le moins marquée par une tension entre solutions exceptionnelles et solutions routinières. Après avoir dénoncé les étudiants, puis appelé à une grève de solidarité le 13 mai, déposé une motion de censure, tenté de réguler les grèves « sauvages », accepté les négociations de Grenelle, envisagé de former un gouvernement populaire nécessairement illégal puisqu’il ne pouvait obtenir le consentement du Président qui, seul, en avait constitutionnellement le pouvoir, le PCF se replie finalement sur l’option législative, plus conforme, au fond, à ses grilles de lecture traditionnelles, à sa stratégie de conquête du pouvoir par les urnes, la courte victoire de la droite aux législatives de 1967 accréditant l’idée, qui plus est, qu’il y a à ce moment-là un coup à jouer. Le cheminement de la FGDS est similaire, à ceci près qu’elle a à faire avec ses divisions internes, et avec la tactique de « l’homme providentiel » adopté par le représentant d’un de ses courants, F. Mitterrand, dans sa conférence de presse du 28 mai, dans laquelle il appelle à la fois à la formation d’un gouvernement provisoire de gestion et annonce qu’il sera candidat à l’élection présidentielle en cas de « non » au référendum et de départ du général de Gaulle. Captifs de leur stratégie électorale de rapprochement décidée antérieurement à la crise, et de leurs grilles de lecture largement hostiles aux étudiants et à leur illégalisme, mais tentés eux-mêmes ou le paraissant, un bref instant, par le coup de force, PCF et FGDS échouent sur les deux tableaux du renversement du régime et de la bataille législative.

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En comparaison, la constance avec laquelle G. Pompidou prend le parti du jeu politique classique – refus d’évacuer la Sorbonne par la force mi-mai, négociations sociales avec les syndicats, division des fronts et marginalisation des étudiants, et solution législative arrachée à grand-peine à de Gaulle – paraît à première vue à contre-emploi : les crises ont en effet pour caractéristique de radicaliser les antagonismes, de fragiliser les compromis et de déligitimer les positions modérées [102]. Elle réussit pourtant, preuve supplémentaire que les produits des conjonctures critiques ne sont jamais écrits à l’avance. Mais l’on aurait tort d’y voir une lucidité à toute épreuve et une intelligence infaillible de la situation. C’est là encore au terme de sa carrière dans la crise et des enseignements qu’il en tire que G. Pompidou se résout à l’option électorale. Il a, en effet, échoué à comprendre à temps ce qu’il faut faire lorsqu’il a, le 11 mai, satisfait aux premières revendications étudiantes, alors que la première nuit des barricades les rendait de facto caduques. Il n’a pas obtenu non plus, du moins au moment où la dissolution de l’Assemblée nationale est envisagée, les résultats escomptés des négociations de Grenelle. De sorte que c’est, là encore, parce que toutes les alternatives ont été épuisées que la solution législative apparaît comme la moins mauvaise dans un contexte où lui non plus ne peut anticiper de façon claire les résultats qui en sortiront. Et si sens du jeu il y a malgré tout dans cette tactique, c’est dans l’ajustement à la recomposition des alliances en cours au sein de la majorité parlementaire qu’il se situe. Attentif aux premiers signes de rupture d’allégeance des députés indépendants à l’autorité gaullienne, à la marginalisation des soutiens de de Gaulle – il n’y a plus guère alors que les gaullistes de gauche et les proches conseillers du Président qui fondent les CDR (comités de défense de la République) – à la délégitimation de la figure du fondateur de la Ve République, G. Pompidou offre, avec une bataille législative qui ne peut être menée qu’en nom collectif contrairement au référendum-plébiscite, la possibilité au camp gaulliste de se réorganiser en soldant les comptes de l’ancien gaullisme charismatique attaché à la personne même de de Gaulle au profit d’un gaullisme partisan dont le capital politique est désormais collectif [103]. En cela, le retour à la normale n’est pas un retour inchangé au passé.

Le présent de l’histoire

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L’analyse des facteurs présidant à la désectorisation et à la resectorisation de la conjoncture en mai-juin 1968 fait apparaître combien l’objet crise politique, l’événement au sens fort, permet de revisiter des enjeux méthodologiques déterminants des sciences sociales en mettant celles-ci à l’épreuve de ces situations où leurs modes routiniers d’analyse sont mis au défi de saisir ensemble la singularité historique et le travail continué des facteurs structurels. Autrement dit, l’événement est ce qui leur impose de penser à la fois les logiques complexes par lesquelles, comme en temps ordinaire, « le mort saisit le vif » – les institutions saisissant les individus et prédéterminant les contextes d’action –, et les logiques critiques au travers desquelles, au contraire, les acteurs et leurs actions contribuent à faire et défaire les institutions, au travers desquelles, donc, le vif saisit le mort. Le présent de la crise condense donc le passé en même temps qu’il le déplace et le reconfigure selon des logiques nouvelles. Il se passe au fond, dans le temps accéléré et radicalisé du moment critique, ce qui passe en temps ordinaire de façon plus invisible et plus lente : comme l’écrit Bernard Lepetit, « le temps historique se réalise au présent », « le passé […] est un présent en glissement », et le présent des sociétés est fait de « réemplois du passé », par lesquels « les groupes requalifient, pour de nouveaux emplois, les objets, les institutions et les règles qui dessinent ensemble l’espace d’expérience dont ils disposent » [104]. La spécificité de la crise réside en ceci qu’elle met à nu ces glissements, réemplois et reconfigurations du passé dans le présent. Elle réside dans l’accélération qu’elle imprime aux façons dont le présent s’envole du passé où il prend son origine, aux façons dont il fabrique des possibles à partir de ceux dessinés en amont, dont il brise l’évidence du sens pratique et du sens tout court inscrits dans une matrice du passé qui continue néanmoins de peser dans cet effarement même, et dont il fait émerger de déterminations préalables un irréductible. La vitesse des événements, la démultiplication des interactions et des causalités, l’évaporation des orchestrations ordinaires participent de cette déconventionnalisation brutale de l’ordre tacite des choses par laquelle surgissent un nouveau cours et une nouvelle perception de ce cours. Mais l’intérêt d’une sociohistoire du temps court, comme rupture avec les « risques symétriques de la tyrannie des héritages et de la liberté des usages [105] », c’est aussi de montrer comment, du fait que les propriétés de la fluidité politique les requalifie soudain comme pertinentes, les solutions institutionnelles, c’est-à-dire un code constitutionnel pensé dans un passé sans rapport avec le présent, peuvent contribuer en partie à la déflation critique, sans que pour autant le retour à la normale, si féroces que soient les manières de l’imposer, de le relégitimer, de le rendre évident et de l’administrer, soit un pur et simple retour au passé comme si, précisément, rien ne s’était passé ni n’avait passé.

 

[1]

Michelle ZANCARINI-FOURNEL, « 1968 : histoire, mémoires et commémoration », Espaces-Temps, 59-60-61,1995, p. 152.

[2]

Jean-Pierre RIOUX, « À propos des célébrations décennales du Mai français », Vingtième siècle, 23,1989, p. 49-58; Isabelle SOMMIER, « Mai 68 : sous les pavés d’une page officielle », Sociétés Contemporaines, 20,1994, p. 63-79; M. ZANCARINI-FOURNEL, « 1968 : histoire… », art. cit.; Bernard LACROIX, « D’aujourd’hui à hier et d’hier à aujourd’hui : le chercheur et son objet », Scalpel, 4-5,1999, en ligne : hhttp :// www. gap-nanterre. org/ article.php3 ?id_article=44]; Boris GOBILLE, « Excès de mémoire, déficit d’histoire. Mai 68 et ses interprétations », in J. MICHEL (dir.), Mémoires et histoires. Des identités personnelles aux politiques de reconnaissance, Rennes, PUR, 2005; Kristin ROSS, Mai 68 et ses vies ultérieures, Bruxelles/Paris, Éd. Complexe/Le Monde diplomatique, 2005.

[3]

Paul VEYNE, Comment on écrit l’histoire, Paris, Éd. du Seuil, 1971, p. 23.

[4]

Bernard LEPETIT, « Une logique du raisonnement historique », Annales ESC, 48-5, 1993, p. 17, traduit ainsi la méfiance dont témoigne, à l’égard de l’herméneutique, Jean-Claude PASSERON, Le raisonnement sociologique. L’espace non-poppérien du raisonnement naturel, Paris, Nathan, 1991.

[5]

Bernard LACROIX, « À contre-courant : le parti pris du réalisme », Pouvoirs, 39,1986, p. 117-127.

[6]

Toutes ces citations sont extraites de Pierre NORA, « L’ère de la commémoration », in P. NORA (dir.), Les lieux de mémoire, Les France, Paris, Gallimard, [1984] 1997, t. 3, p. 4688-4690.

[7]

Comme l’écrit Bernard Lepetit à propos (implicitement) de l’entreprise des « lieux de mémoire » : Bernard LEPETIT, « Le présent de l’histoire », in B. LEPETIT (dir.), Les formes de l’expérience. Une autre histoire sociale, Paris, Albin Michel, 1995, p. 298.

[8]

Michel DOBRY, Sociologie des crises politiques. La dynamique des mobilisations multisectorielles, Paris, Presses de la FNSP, 1986, p. 52 (nous soulignons). Sur « l’illusion étiologique », ibid., p. 48-60.

[9]

Raymond BOUDON, « La crise universitaire française : essai de diagnostic socio-logique », Annales ESC, 24-3,1969, p. 738-764.

[10]

Pierre BOURDIEU, Homo Academicus, Paris, Éd. de Minuit, 1984, « Le moment critique », p. 207-250.

[11]

Louis GRUEL, La rébellion de 68. Une relecture sociologique, Rennes, PUR, 2004, p. 23-66.

[12]

Roger CHARTIER, « Espace social et imaginaire social : les intellectuels frustrés au XVIIe siècle », Annales ESC, 37-2,1982, p. 389-400.

[13]

Sur le légitimisme consistant à analyser une révolte contre les institutions et l’ordre existant comme le produit d’une impossibilité à y réussir, à prêter aux « dominés » le désir d’être et d’avoir ce que les dominants sont et ont, et à lire toute hétérodoxie comme une orthodoxie contrariée, voir Boris GOBILLE, « Crise politique et incertitude : régimes de problématisation et logiques de mobilisation des écrivains en mai 1968 », thèse pour le doctorat de sciences sociales, EHESS, 2003, chap. 1.

[14]

Raisonnement circulaire bien mis en évidence par la sociologie de l’action collective et qui consiste à « prouver » la frustration par le surgissement de la mobilisation et à expliquer en retour celle-ci par l’existence de frustrations préalables. Vois Érik NEVEU, Sociologie des mouvements sociaux, Paris, La Découverte, 2005, p. 43, et M. DOBRY, Sociologie des crises politiques…, op. cit., p. 55-56.

[15]

Albert O. HIRSCHMAN, Défection et prise de parole : théorie et applications, Paris, Fayard, [1970] 1995.

[16]

Pour une discussion des racines de la crise étudiante et du devenir dissident, voir Boris GOBILLE, « La vocation d’hétérodoxie », in D. DAMAMME et al., (dir.), Mai-juin 68, Paris, Éd. de l’Atelier, 2008, p. 274-291.

[17]

B. LEPETIT, « Le présent de l’histoire », art. cit., p. 273-298.

[18]

Nous avons choisi de centrer l’analyse sur le seul cas français. On sait pourtant que, en mai-juin 1968 comme durant l’année 1968 elle-même, des manifestations ont lieu aussi aux États-Unis, en Belgique, en RFA, en Italie, en Grande-Bretagne, en Suède, aux Pays-Bas, etc. Celles-ci posent la question des interactions activistes et idéologiques internationales, centrale pour penser la structuration des espaces militants et des logiques de crise à cette autre échelle pertinente qu’est l’échelle occidentale. Mais nous manquons à ce jour d’études circonstanciées qui auraient permis d’en apercevoir les mécanismes concrets, empiriquement constatables et théoriquement problématisables. Le repérage des familiarités idéologiques et des voyages militants d’un territoire à l’autre, moins encore la simple juxtaposition panoramique, très courante, des luttes et des mouvements, ne sauraient suffire à éclairer le problème du comparatisme entre des contextes très différents, d’autant que celui-ci, déjà crucial en ce qui concerne l’Occident, se complexifie avec l’irruption de mobilisations au Japon, dans l’Espagne franquiste, en Yougoslavie, au Sénégal, en Europe de l’Est, au Brésil, au Mexique, dans toute l’Amérique latine. Le choix de la France se justifie aussi par sa spécificité : nous ne trouvons pas ailleurs une telle synchronisation des crises étudiante et ouvrière, une telle extension à l’ensemble du salariat, un tel vacillement du régime.

[19]

Alban BENSA et Éric FASSIN, « Les sciences sociales face à l’événement », Terrain, 38,2002, p. 8.

[20]

M. DOBRY, Sociologie des crises politiques…, op. cit., p. 201-210.

[21]

David A. SNOW, « Le legs de l’École de Chicago à la théorie de l’action collective », entretien avec Daniel Cefaï et Dany Trom, Politix, 50,2000, p. 157.

[22]

Voir « Présentation », in D. CEFAÏ et D. TROM (dir.), Les formes de l’action collective. Mobilisations dans des arènes publiques, Paris, Éd. de l’EHESS, 2001, p. 12. Voir aussi Daniel CEFAÏ, « Les cadres de l’action collective. Définitions et problèmes », ibid., p. 51-97.

[23]

D. CEFAÏ, « Les cadres de l’action collective… », art. cit., p. 56 et 60.

[24]

Alain DEWERPE, Charonne 8 février 1962. Anthropologie d’un massacre d’État, Paris, Gallimard, 2006, montre ainsi que l’attention à « la textualité de l’archive, à l’énonciation et à la narration » appartient au travail propre de l’historien (p. 19).

[25]

Timothy TACKETT, « Par la volonté du peuple ». Comment les députés de 1789 sont devenus révolutionnaires, Paris, Albin Michel, [1996] 1997, p. 20.

[26]

Érik NEVEU et Louis QUÉRÉ, « Présentation », dossier « Le temps de l’événement I », Réseaux, 75,1996, p. 13.

[27]

A. BENSA et É. FASSIN, « Les sciences sociales face à l’événement », art. cit., p. 10.

[28]

Michel DOBRY, « ‘Penser = classer ?’Entretien avec André Loez, Gérard Noiriel et Philippe Olivera », Genèses, 59,2005, p. 121-155, ici p. 158.

[29]

T. TACKETT, « Par la volonté du peuple »…, op. cit., p. 20. Sur le poids respectif des facteurs structurels et situationnels, comme l’idéologie, l’antagonisme social, l’apprentissage politique et la dynamique de groupe chez les députés des États généraux et de l’Assemblée constituante en 1789, voir aussi Timothy TACKETT, « Le processus de radicalisation au début de la Révolution française », in A. COLLOVALD et B. GAÏTI (dir.), La démocratie aux extrêmes. Sur la radicalisation politique, Paris, La Dispute, 2006, p. 47-66.

[30]

Annie COLLOVALD et Brigitte GAÏTI, « Questions sur la radicalisation politique », in A. COLLOVALD et B. GAÏTI (dir.), La démocratie aux extrêmes…, op. cit., p. 30.

[31]

Sur la relativisation du poids de l’idéologie dans la radicalisation révolutionnaire des députés des États généraux en 1789, voir T. TACKETT, « Le processus de radicalisation… », art. cit.

[32]

Michel DE CERTEAU, L’invention du quotidien. 1. Arts de faire, Paris, Gallimard, 1990, chap. 12.

[33]

Robert D. BENFORD et David A. SNOW, « Framing processes and social movements : An overview and assessment », Annual Review of Sociology, 26,2000, p. 611-639, ici p. 618 : « Hypothetically, the more inclusive and flexible collective action frames are, the more likely they are to function as or evolve into ‘master frames’. »

[34]

Robert D. BENFORD et David A. SNOW, « Ideology, frame resonance, and participant mobilization », International Social Movement Research, 1,1988, p. 197-217, ici p. 207-211.

[35]

Xavier VIGNA, L’insubordination ouvrière dans les années 68. Essai d’histoire politique des usines, Rennes, PUR, 2007, p. 37-41. Dans certains cas aussi, l’expérience antérieure de la guerre d’Algérie et de la hiérarchie militaire est au principe d’un rapport indocile à l’autoritarisme de la maîtrise dans les ateliers. À propos de la grève à la Rhodiaceta de Besançon en 1967, voir Cédric LOMBA et Nicolas HATZFELD, « La grève de Rhodiaceta en 1967 », in D. DAMAMME et al. (dir.), Mai-juin 68, op. cit., p. 108.

[36]

Sur la critique artiste du capitalisme, Luc BOLTANSKI et Ève CHIAPELLO, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999, p. 83-86,244-249 et 501-576; Ève CHIAPELLO, Artistes versus managers. Le management culturel face à la critique artiste, Paris, Éd. Métailié, 1998, p. 13-64.

[37]

Michelle ZANCARINI-FOURNEL, « Conclusion », in G. DREYFUS-ARMAND et al. (dir.), Les Années 68. Le temps de la contestation, Éd. Complexe/ IHTP, Paris, 2000, p. 502.

[38]

Sur la « synchronisation », voir P. BOURDIEU, Homo Academicus, op. cit., p. 226-233.

[39]

M. DOBRY, Sociologie des crises politiques…, op. cit., p. 100.

[40]

Ibid., p. 198-201.

[41]

Ingrid GILCHER-HOLTEY, « ‘La nuit des barricades’», Sociétés & Représentations, 4, 1997, p. 165-184.

[42]

Sur la « crise de sensibilité » et la « sensibilité de crise » des étudiants dans les années 1960, inséparables des mutations de l’appareil scolaire, voir Bernard PUDAL, « Ordre symbolique et système scolaire dans les années 1960 », in D. DAMAMME et al. (dir.), Mai-juin 68, op. cit., p. 62-74.

[43]

Patrick BRUNETEAUX, Maintenir l’ordre. Les transformations de la violence d’État en régime démocratique, Paris, Presses de la FNSP, 1996, p. 203.

[44]

M. DOBRY, Sociologie des crises politiques…, op. cit., p. 168.

[45]

Pour une synthèse, Boris GOBILLE, Mai 1968, Paris, La Découverte, 2008, p. 61-74.

[46]

Renaud DULONG, « Les cadres et le mouvement ouvrier », in P. DUBOIS et al., Grèves revendicatives ou grèves politiques ? Acteurs, pratiques et sens du mouvement de mai, Paris, Éd. Anthropos, 1971, p. 215.

[47]

A. BENSA et É. FASSIN, « Les sciences sociales face à l’événement », art. cit., p. 8.

[48]

Georges DUBY, Le dimanche de Bouvines, 27 juillet 1214, Paris, Gallimard, [1973] 1985, p. 9, rappelait déjà que la valeur de l’événement historique tient à ce que « brusquement, il éclaire. Par ses effets de résonance, par tout ce dont son explosion provoque la remontée depuis les profondeurs du non-dit, par ce qu’il révèle à l’historien des latences ».

[49]

A. BENSA et É. FASSIN, « Les sciences sociales face à l’événement », art. cit., p. 15.

[50]

Notion proposée par les historiens du temps présent : G. DREYFUS-ARMAND et al. (dir.), Les années 68…, op. cit.

[51]

Jean-Louis VIOLEAU, « Les architectes et le mythe de mai 1968 », in G. DREYFUS – ARMAND et al. (dir.), Les années 68…, op. cit., p. 239-258.

[52]

Boris GOBILLE, « Les mobilisations de l’avant-garde littéraire française en mai 1968. Capital politique, capital littéraire et conjoncture de crise », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 158,2005, p. 30-53.

[53]

Voir le tract du Centre national des jeunes médecins, « Médecine et répression », cité dans Pierre VIDAL-NAQUET et Alain SCHNAPP (éd.), Journal de la Commune étudiante, textes et documents, novembre 1967-juin 1968, Paris, Éd. du Seuil, [1969] 1988, p. 827-829; Comité d’action santé, Médecine, Paris, Maspero, 1968; et le témoignage de Jean CARPENTIER, Journal d’un médecin de ville. Médecine et politique, 1950-2005, Nice, Éd. du Losange, 2005.

[54]

Anne DEVILLÉ, « L’inscription du Syndicat de la magistrature dans la culture politique des années 68 », Lettre d’information, 28,1998, Institut d’Histoire du Temps Présent : http ://irice.cnrs.fr/IMG/pdf/Lettre_d_info_68_no28_12-01-98.pdf.

[55]

Voir Étienne FOUILLOUX, « Des chrétiens dans le mouvement du printemps 68 ? », in R. MOURIAUX et al. (dir.), 1968. Exploration du Mai français, t. 2, Acteurs, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 247-268; Grégory BARRAU, Le mai 68 des catholiques, Paris, Éd. de l’Atelier, 1998; Denis PELLETIER, La crise catholique. Religion, société, politique en France, 1965-1978, Paris, Payot, 2002; Hervé SERRY, « Église catholique, autorité ecclésiale et politique dans les années 1960 », in D. DAMAMME et al. (dir.), Mai-juin 68, op. cit., p. 47-61.

[56]

Alfred WAHL, « Le mai 68 des footballeurs français », Vingtième siècle, 26,1990, p. 73-82.

[57]

I. GILCHER-HOLTEY, « ‘La nuit des barricades’», art. cit., p. 177.

[58]

Cité par X. VIGNA, L’insubordination ouvrière dans les années 68…, op. cit., p. 29.

[59]

Ibid., p. 128.

[60]

Ibid., p. 28 et 56.

[61]

Yannick GUIN, La Commune de Nantes, Paris, Maspero, 1969. Le point reste cependant discuté : René BOURRIGAUD, « Les paysans et mai 1968 : l’exemple nantais », in R. MOURIAUX et al. (dir.), 1968. Exploration du Mai français, t. 1, Terrains, op. cit., p. 237, conteste le terme de « Commune », dans la mesure où il n’y a pas eu d’élections d’institutions révolutionnaires.

[62]

Sur tous ces éléments, ibid., p. 238-239.

[63]

Marc BERGÈRE, « Les grèves en France : le cas du Maine-et-Loire », in G. DREYFUS – ARMAND et al. (dir.), Les années 68…, op. cit., p. 313-327.

[64]

X. VIGNA, L’insubordination ouvrière dans les années 68…, op. cit., p. 31.

[65]

Sami DASSA, « Le mouvement de mai et le système de relations professionnelles », no spécial « Le mouvement ouvrier en mai 1968 », Sociologie du Travail, 3,1970, p. 244-261, ici p. 245.

[66]

Nicolas Hatzfeld, cité par X. VIGNA, L’insubordination ouvrière dans les années 68…, op. cit., p. 41.

[67]

Georges RIBEILL, « SNCF : une grève dans la tradition de la corporation du rail », in R. MOURIAUX et al. (dir.), 1968. Exploration du Mai français, t. 1, Terrains, op. cit., p. 119-140.

[68]

Sur ces différents types de grève, S. DASSA, « Le mouvement de mai et le système de relations professionnelles », art. cit.

[69]

Frank GEORGI, « La CFDT en mai-juin 68 », in R. MOURIAUX et al. (dir.), 1968. Exploration du Mai français, t. 2, Acteurs, op. cit., p. 35-56, et « ‘Vivre demain dans nos luttes d’aujourd’hui’. Le syndicat, la grève et l’autogestion en France (1968-1988) », in G. DREYFUS-ARMAND et al. (dir.), Les années 68…, op. cit., p. 399-413.

[70]

Michel DE CERTEAU, La prise de parole et autres écrits politiques, Paris, Éd. du Seuil, [1968] 1994.

[71]

Bernard PUDAL et Jean-Noël RETIÈRE, « Les grèves ouvrières de 68, un mouvement social sans lendemain mémoriel », in D. DAMAMME et al. (dir.), Mai-juin 68, op. cit., p. 207-221; Xavier VIGNA, « La figure ouvrière à Flins (1968-1973) », in G. DREYFUS-ARMAND et al. (dir.), Les années 68…, op. cit., p. 329-343.

[72]

X. VIGNA, « La figure ouvrière à Flins (1968-1973) », art. cit., p. 330, et Nicolas HATZFELD, « Les ouvriers de l’automobile : des vitrines sociales à la condition des OS, le changement des regards », in G. DREYFUS-ARMAND et al. (dir.), Les années 68…, op. cit., p. 346.

[73]

B. PUDAL et J.-N. RETIÈRE, « Les grèves ouvrières de 68… », art. cit.

[74]

X. VIGNA, L’insubordination ouvrière dans les années 68…, op. cit., p. 49.

[75]

Ibid., p. 48.

[76]

Bruno MUEL et Francine MUEL-DREYFUS, « Week-ends à Sochaux (1968-1974) », in D. DAMAMME et al. (dir.), Mai-juin 68, op. cit., p. 329-343.

[77]

Olivier KOURCHID et Cornelia ECKERT, « Les mineurs des houillères en grève : l’insertion dans un mouvement national », in R. MOURIAUX et al. (dir.), 1968. Exploration du Mai français, t. 1, Terrains, op. cit., p. 91.

[78]

Gérard LANGE, « La liaison étudiants-ouvriers à Caen », in R. MOURIAUX et al. (dir.), 1968. Exploration du Mai français, t. 1, Terrains, op. cit., p. 217-236.

[79]

L. BOLTANSKI et È. CHIAPELLO, Le nouvel esprit du capitalisme, op. cit.

[80]

René RÉMOND, Notre siècle. 1918-1991, Paris, Fayard, 1991, p. 689, écrit ainsi : « De cette intervention l’effet est foudroyant. Rarement renversement de situation s’est accompli en si peu de temps. Jean Lacouture a excellement exprimé le ressaisissement de l’initiative : ‘En l’espace de cinq minutes, la France changea de maître, de régime et de siècle. Avant 16 h 30, on était à Cuba. Après 16 h 35, c’était presque la Restauration’. »

[81]

X. VIGNA, L’insubordination ouvrière dans les années 68…, op. cit., p. 32.

[82]

M. DOBRY, Sociologie des crises politiques…, op. cit., p. 151.

[83]

Danielle TARTAKOWSKY, « Les manifestations de mai-juin 68 en province », in R. MOURIAUX et al. (dir.), 1968. Exploration du Mai français, t. 1, Terrains, op. cit., p. 148-150.

[84]

X. VIGNA, L’insubordination ouvrière dans les années 68…, op. cit., p. 32 et 58.

[85]

Voir, pour de nombreux exemples, ibid., p. 38-39.

[86]

Ibid., p. 39-40.

[87]

Patrick HASSENTEUFEL, « Citroën-Paris : Une ‘grève d’émancipation’», in R. MOURIAUX et al. (dir.), 1968. Exploration du Mai français, t. 1, Terrains, op. cit., p. 35-50.

[88]

X. VIGNA, L’insubordination ouvrière dans les années 68…, op. cit., p. 33-34.

[89]

Ibid., p. 35.

[90]

Ibid.

[91]

P. BRUNETEAUX, « Les enseignements de mai 1968 », Maintenir l’ordre…, op. cit., p. 197-244.

[92]

Nicolas HATZFELD, « Peugeot-Sochaux : de l’entreprise dans la crise à la crise dans l’entreprise », in R. MOURIAUX et al. (dir.), 1968. Exploration du Mai français, t. 1, Terrains, op. cit., p. 51-72.

[93]

B. PUDAL et J.-N. RETIÈRE, « Les grèves ouvrières de 68… », art. cit., p. 218.

[94]

Pierre BOURDIEU, « La grève et l’action politique », Questions de sociologie, Paris, Éd. de Minuit, 1984, p. 253, désigne par le terme « usinisation », sur le modèle du concept d’asilisation d’Erving Goffman, « le processus par lequel les travailleurs s’approprient leur entreprise, et sont appropriés par elle, s’approprient leur instrument de travail et sont appropriés par lui, s’approprient leurs traditions ouvrières et sont appropriés par elles, s’approprient leur syndicat et sont appropriés par lui, etc. ».

[95]

N. HATZFELD, « Peugeot-Sochaux : de l’entreprise dans la crise à la crise dans l’entreprise », art. cit., p. 63.

[96]

Ibid., p. 59-60.

[97]

Xavier VIGNA, « L’insubordination ouvrière dans l’après-68 », in D. DAMAMME et al. (dir.), Mai-juin 68, op. cit., p. 320.

[98]

Ouvrier de Citroën, syndiqué depuis 20 ans à la CGT, cité par X. VIGNA, L’insubordination ouvrière dans les années 68…, op. cit., p. 65.

[99]

X. VIGNA, « L’insubordination ouvrière dans l’après-68 », art. cit., p. 319-328.

[100]

M. DOBRY, Sociologie des crises politiques…, op. cit., p. 245.

[101]

Ibid., p. 250.

[102]

P. BOURDIEU, Homo Academicus, op. cit., p. 235 : « la crise tend à substituer la division en camps clairement distincts […] à la distribution continue entre deux pôles et à toutes les appartenances multiples, partiellement contradictoires, que la séparation des espaces et des temps permet de concilier ». Voir aussi les remarques d’A. COLLOVALD et B. GAÏTI, « Questions sur la radicalisation politique », art. cit., p. 26-28.

[103]

Brigitte GAÏTI, « Le charisme en partage : mai-juin 68 chez les gaullistes », in D. DAMAMME et al. (dir.), Mai-juin 68, op. cit., p. 259-273.

[104]

B. LEPETIT, « Le présent de l’histoire », art. cit., p. 296.

[105]

Ibid., p. 290.

 

Français

La crise de mai-juin 1968 en France a fait l’objet de multiples interprétations qui tendent à en privilégier les conséquences supposées ou les origines. Contre ce double évitement de l’événement, il convient de revenir à la conjoncture elle-même et à ce qui en constitue l’énigme : la désectorisation et la synchronisation des mobilisations, notamment étudiantes et ouvrières. Les acquis de l’historiographie, des sciences sociales et de la sociologie des crises politiques invitent à reconsidérer le poids des logiques de situation dans les phénomènes de radicalisation et les effets qu’exerce un contexte instable et incertain sur les acteurs mobilisés. Il reste que l’événement n’est pas arraché à l’histoire et que le présent de la crise est aussi fait de réemplois du passé. Aussi une sociohistoire du temps court a-t-elle vocation à penser ensemble histoire événementielle et histoire structurelle. La désectorisation puis la normalisation du jeu politique apparaissent dès lors comme le produit complexe, advenu mais non nécessaire, de jeux d’échelle multiples liant propriétés de la fluidité politique et mutations antérieures, intrigue nationale et intrigues locales.

English

The May ’68 event: A sociohistorical approach to short-term temporality The crisis of May-June 1968 in France has been variously interpreted, but many analyses tend to focus upon its alleged causes or consequences. In contrast with this doubly evasive approach overshadowing the event itself, we aim to revert to the ‘conjunctural’dimension of the crisis and its most puzzling aspect: the synchronization of students’ and workers’ mobilizations. Achievements in the fields of historiography, social sciences and the sociology of political crises, induce us to re-examine the weight of the logic of situations behind phases of radicalisation, and the effects of an unstable and uncertain context on the actors involved in the uprising. The fact remains that the event cannot be abstracted from its historical background and that the current state of a crisis may also be viewed – to some extent – as re-activation of the past. A sociohistorical account of short-term crises is therefore designed to help construe – and conceive as forming a united whole – the history of events and the history of structures. The synchronization of mobilizations as well as the political normalisation then appear to be the complex – actual though unnecessary – outcome of a multilayered interplay between political lability and previous structural changes, and of intermingled national and local intrigues.

 

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2 Responses to Nuit debout: Les carnavals ne coûtent pas cher (Always concerned: Five years after OWS, Paris’s indignants discover the heady pleasures of falling in love with yourself)

  1. jcdurbant dit :

    « toute une sociologie de professionnels de la révolte » …

    « On parle AG, économie solidaire, vivre-ensemble, on vante le modèle espagnol des Indignés, on dessine des organigrammes sans chefs… »

    http://www.valeursactuelles.com/les-niais-debout-60947

    Oui, moi aussi, j’y suis passé (j’habite pas très loin), mais ce que j’ai retenu, entre les vitrines de banques, assurances ou mutuelles fracassées (oui, même la MGEN !), c’était un atelier sur l’antispécisme et une féministe qui expliquait ce qu’étaient les redoutables cissexuels dont apparemment je faisais partie …

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