France: On a trop souvent joué avec le Front national (Déjà vu: French socialists gearing up for reverse vote for the Crook-not the Fascist election strategy)

Olivier Faure on Twitter: "#ZemmourContreLesFemmes" / TwitterPoissy (juin 1982)La Marche des beurs veut entrer dans l'histoire de FranceMalik BEZOUH on Twitter: "@faizaz @JeromeBalazard @libe Nostalgie ...Histoire. Quand le leader du Parti Communiste fait le spectacle devant les micros.. 1981 Georges Marchais, un Le Pen avant l'heure ?https://i0.wp.com/s.tf1.fr/mmdia/i/32/7/carpentras-manifestation-place-de-la-bastille-le-14-mai-1990-10808327hsses.jpg

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Les fascistes de demain s’appelleront eux-mêmes antifascistes. Huey Long (?)
Pourquoi voulez-vous qu’à 67 ans, je commence une carrière de dictateur?  Général de Gaulle (mai 1958)
GAULLE (CHARLES DE), né en 1890, politicien réactionnaire français, général, chef du parti fasciste Rassemblement du peuple français, élevé au collège des jésuites, monarchiste et clérical. À pris part à la première guerre mondiale de 1916 à 1918, a été prisonnier de guerre en Allemagne. À pris part du côté polonais à la guerre soviéto-polonaise de 1920. À servi pendant un laps de temps considérable à partir de 1921 à l’état-major du maréchal Pétain, le chef des réactionnaires français. Ayant été étroitement lié avec l’oligarchie financière française, de Gaulle était un porte-parole de ces impérialistes français qui s’alignèrent sur l’Angleterre et les États-Unis. Après que l’Allemagne hitlérienne eut déclenché la seconde guerre mondiale en septembre 1939, de Gaulle, avec les autres impérialistes franco-britanniques, au lieu de faire la guerre à l’Allemagne hitlérienne, essaya de déclencher une guerre contre l’U.R.S.S. Durant la guerre finno-soviétique (1939-1940), de Gaulle fut l’un des auteurs d’un plan d’attaque franco-britannique contre l’U.R.S.S. Fut ministre adjoint de la guerre dans le gouvernement Reynaud (juin 1940). Peu après la capitulation des dirigeants français devant l’Allemagne hitlérienne, signée à Compiègne le 22 juin 1940, de Gaulle s’échappa vers Londres, et sur les instructions de Churchill créa une organisation de  » Français libres « , principalement composée de réactionnaires extrémistes. Elle avait pour mission de fournir à l’impérialisme britannique des forces coloniales françaises et aussi de prévenir le développement du mouvement de libération antifasciste sur le territoire de la France occupée. Les organismes directeurs du mouvement de la  » France libre  » (après juillet 1942 : la  » France combattante ») reposaient sur leur réseau clandestin d’organisations réactionnaires. Le  » bureau central de renseignements et d’action  » (B.C.R.A.), une Gestapo de son bon plaisir, opérait en contact étroit avec les hitlériens et les fascistes (voir Vichy). En juillet 1944 le B.C.R.A. a livré aux hitlériens un important contingent de partisans dans le Vercors. Tout en fournissant abondamment des armes à ses agents, de Gaulle » refusa des armes au Mouvement de résistance (voir cette rubrique). De Gaulle et sa clique sont responsables de l’anéantissement, de l’extermination, par les hitlériens d’un grand nombre de patriotes français. La clique de de Gaulle a continuellement appuyé la criminelle politique d' » attentisme « , politique de trahison et d’assistance à l’ennemi. Après l’occupation des possessions françaises en Afrique du Nord par les Anglo-Américains (novembre 1942) de Gaulle devint l’un des leaders du Comité français de libération nationale, établi le 3 juin 1943 à Alger, qui, le 2 juin 1944, fut rebaptisé gouvernement provisoire de la République française avec de Gaulle à sa tête. Après que l’Union soviétique eut battu les forces principales de l’Allemagne hitlérienne en 1944, et après la libération de la quasi-totalité du territoire français par les efforts du peuple français, de Gaulle, sous la pression de larges masses de la population, fut forcé de conclure un traite franco-soviétique d’amitié et d’assistance mutuelle (10 décembre 1944). De Gaulle essaya d’utiliser ce traité comme un déguisement pour sa politique étrangère antipopulaire. Après l’occupation du territoire français par les troupes américaines et britanniques, les impérialistes anglo-américains jouèrent un rôle décisif dans l’extension à la France du pouvoir du gouvernement de Gaulle, qui attendait à Alger. Les agents socialistes impérialistes de l’aile droite avaient aussi tendu tous les services à de Gaulle. Les tentatives de de Gaulle pour établir un régime dictatorial se heurtèrent à la résistance résolue des forces démocratiques conduites par le parti communiste. Le 20 janvier 1946 de Gaulle fut forcé de quitter le gouvernement. À la suite de cela il déploya ouvertement sur une large échelle des activités subversives contre le peuple français. En avril 1947, de Gaulle a créé le soi-disant Rassemblement du peuple français, parti fasciste opérant sur les ordres des impérialistes anglo-franco-américains et financé par les plus grandes banques françaises et américaines. Ce parti, qui est la troupe de choc de la réaction dans sa lutte contre le peuple français, bénéficie du soutien de tous les partis bourgeois, les socialistes de droite, le Mouvement républicain populaire, dirigé par G. Bidault, M. Schumann et d’autres. De Gaulle appuie le pacte atlantique agressif (voir la rubrique à ce sujet) et collabore à la transformation de la France en satellite des impérialistes américains. De Gaulle bénéficié d’un large appui du Vatican et de l’Église catholique française. De Gaulle préconise ouvertement l’établissement d’une dictature fasciste, avec lui-même comme dictateur, et appelle à la guerre contre l’U.R.S.S. et les pays des démocraties populaires. Les intrigues de de Gaulle vont à l’encontre de la résistance croissante des travailleurs français et de leur avant-garde, le parti communiste. Grande Encyclopédie soviétique (2e édition, vol. II, 1952)
J’’étais surpris de découvrir la place marginale accordée à cet épisode [de coup d’État militaire] dans les histoires de la période. Quelques ouvrages sont bien parus autour de 2008-2009, pour le 50e anniversaire de 1958, mais je trouvais la disproportion avec les travaux universitaires et les fêtes commémoratives autour de 1968 assez surprenante. Mai 68 est certes un événement majeur de la France contemporaine… mais qui se solde par la victoire écrasante de la droite conservatrice et la reprise en main de la situation. Imaginez, aux législatives de Juin 1968 la majorité présidentielle de Pompidou obtient 363 sièges sur 485 ! En 1958 des insurgés ont fait tomber un gouvernement et ont imposé à la France un système constitutionnel qui dure encore aujourd’hui.(…) [1958-1962] C’est une sorte d’interrègne, entre l’avènement du pouvoir gaulliste et sa consolidation. Jusqu’en 1962, les dirigeants du nouveau régime n’étaient pas aussi assurés de leur maintien au pouvoir que ce qu’ils ont pu laisser penser par la suite. 1962, c’est l’année de l’indépendance de l’Algérie, de l’élimination de facto de l’OAS, mais aussi du référendum instaurant l’élection du président de la République au suffrage universel direct. En 1962 la France sort d’une période où elle a vécu avec le spectre de la guerre civile. La presse parlait de putschs avortés, de massacres de rue, à un moment où la mémoire de Vichy, de l’Occupation et de la Résistance, est encore dans toutes les mémoires. Une fois l’ordre rétabli, ce qui survient assez vite en fin de compte, on assiste à une forme de “refoulement”. On s’est mis à parler de l’Algérie comme si les drames de la période avaient été le fait de circonstances inéluctables, inhérentes à tout processus de décolonisation. La métaphore du « refoulement », terme qui relève à la fois de la métaphysique et de la psychanalyse est discuté par l’historien Benjamin Stora. S’il est sans doute critiquable, il me paraît dans ce cas assez pertinent. (…) J’ai obtenu un certain nombre de dérogations afin de consulter les dossiers de la « justice d’exception », notamment concernant les « activistes » de l’Algérie française. Ce travail de documentation est long et parfois fastidieux, mais il faut dire que le service des Archives nationales en France fonctionne bien. Les fonds privés, notamment les papiers de Michel Poniatowski [directeur de cabinet du secrétaire d’État aux finances Valéry Giscard d’Estaing du gouvernement Debré (1959-1962) suspecté d’avoir été l’intermédiaire entre l’OAS à Alger et le futur président de la République] et ceux du corps militaire, conservés au Château de Vincennes, ont été plus difficiles d’accès, en particulier ce qui touchait à la politique nucléaire. [Le titre de mon ouvrage, La guerre civile en France. 1958-1962] C’est un choix un peu spécial… La référence au texte de Marx est volontaire bien-sûr. D’abord, ce qui marque dans les textes de Marx sur la Commune, c’est qu’on y voit en plein action l’autonomie — même très relative — des différents appareils d’État. Or, en 1958, une partie de la gauche, et tout particulièrement le PCF, dont j’ai étudié les archives sur la période, a pensé que De Gaulle était, sinon un fasciste, l’incarnation d’un pouvoir fascisant : c’est-à-dire, selon la vieille doctrine des années 1930 encore suivie par le PCF à l’époque, le représentant direct des tendances les plus réactionnaires du capitalisme, d’un « pouvoir bourgeois des monopoles”. D’autres esprits, plus éclairés, se sont rapidement rendus compte qu’en fait il y avait d’importantes contradictions au sein du nouveau régime, notamment autour du règlement du conflit en Algérie : l’acceptation de la perte de l’Algérie s’est faite à différentes vitesses, y compris au sein du gouvernement. En mai 1958 Jean Lacouture, futur biographe de De Gaulle, aurait déclaré « ce n’est pas un général, c’est un champ de bataille”. Ce jugement me semble assez juste. Ensuite, ce concept de « guerre civile » était beaucoup utilisé dans les débats parlementaires. Pendant toute l’agonie de la IVe République, l’invocation de cette menace est omniprésente. L’Algérie incarnait cette crainte, la peur que la violence qui se déversait là-bas sur les populations gagne le cœur de la nation en métropole… Ce qui est arrivé d’une certaine manière ! Les attentats du FLN puis la montée de l’OAS et l’intensification des répressions policières ont contribué à instaurer en métropole un climat de guerre. Afin d’être tout-à-fait clair, ce concept est avant tout un outil de lutte à des fins politiques, un outil polémique, bien plus qu’un concept idéal ou analytique. (…) C’est une question capitale. Il y a un vieux débat sur les intentions de De Gaulle en 1958. D’après une certaine tradition, qui flirte avec l’hagiographie du « décolonisateur prophétique », il serait arrivé au pouvoir avec l’idée que l’Algérie allait être indépendante. À l’opposé, certains considèrent qu’il aurait été déterminé à conserver la souveraineté française sur le territoire jusqu’au dernier moment, et ne s’est incliné que devant les pressions internationales. Pour ma part je m’inscris plutôt dans le sillage de Julian Jackson, auteur d’une très récente biographie en anglais [A Certain Idea of France : The life of Charles de Gaulle, éd. Penguin, 2018], selon lequel De Gaulle était pragmatique au sujet de la présence française en Afrique du Nord, et qu’il a gardé — au moins jusqu’en 1960 — l’espoir d’une Algérie « liée à la France » par une forme de compromis néocolonial. Il ne s’agit donc pas tant des convictions du président en son for intérieur que de la manière dont il essaie de maîtriser les contradictions au sein des appareils d’État, entre les jusqu’auboutistes convaincus et les plus modérés. C’est là l’innovation gaulliste. Il a réussi à négocier et maîtriser ses contradictions, il s’impose au sein de l’État – au bout d’un processus long et particulièrement violent, surtout en Algérie. Il finit par faire passer aux yeux des Français la perte de l’Algérie en « une victoire sur nous-mêmes« , selon le mot de Malraux. (…) Après l’échec du Rassemblement du peuple français, au début des années 50, De Gaulle voit bien qu’il a besoin d’une crise pour reprendre le pouvoir. Il est clair pour son entourage que l’échec électoral appelle d’autres formes d’action. Un petit groupe de fidèles, parmi lesquels Michel Debré et Jacques Foccart, maintient des rapports avec les milieux militaires, ainsi qu’avec des associations d’anciens combattants et un noyau de gaullistes proches de l’extrême droite, habitués à la violence de rue et prêts à l’action extra-parlementaire. Ces réseaux joueront un rôle important, sinon décisif, dans le dénouement des événements de mai 1958. À l’époque, on parlait beaucoup de « complots », et de l’éventuelle complicité de De Gaulle dans le soulèvement qui aboutit à son retour aux affaires. L’ouverture des archives de la présidence n’a pas, à cet égard, apporté de nouvelles preuves probantes, en d’autres termes, il n’y a pas de « smoking gun » : les faits sont là, connus de tous – seul change l’interprétation qu’on leur donne. Ce qui est frappant c’est la permanence d’une grille de lecture déjà formulée par différents acteurs à l’époque. C’est le cas du journaliste français Christophe Nick qui présente l’action du général De Gaulle comme un coup [d’Etat] démocratique. Toujours est-il que soixante ans après circule le fantasme d’un machiavélisme gaullien, les uns insistant sur le côté autoritaire du Général, son scepticisme à l’égard de la légalité républicaine, d’autres qui voient en lui au contraire une sorte de sauveur, un « George Washington » français. Les deux tendances se rejoignent par l’importance qu’elles accordent à la personne de De Gaulle et à ses ambitions. Ce n’est pas ma manière de considérer les choses. En suivant la politologue Brigitte Gaïti [De Gaulle : Prophète de la Cinquième République, 1946 – 1962, Paris : Presses de Sciences Po, 1998], je me suis beaucoup plus intéressé à la manière par laquelle divers protagonistes — De Gaulle et ses collaborateurs, bien sûr, mais aussi des militaires, des hommes politiques, des intellectuels — ont négocié une interprétation neutralisante de cette crise. On a créé la légitimité de la République gaulliste à partir d’une base a priori pas très favorable à l’interprétation légaliste qui aujourd’hui domine. (…) Ce que j’essaie de démontrer, c’est qu’en 1958 on voit l’ultime résurgence d’un vocabulaire politique très ancré dans la gauche française, celui de l’anti-bonapartisme, de l’opposition au pouvoir exécutif qu’on retrouve aussi dans l’antifascisme de l’entre-deux-guerres. Ce vocabulaire appartient à une tradition au passé honorable, qui va des luttes révolutionnaires du XIXe siècle au Front populaire et à la Résistance, mais en 1958 ce registre ne correspond pas à la réalité des crises politiques contemporaines. Et selon moi, cette aporie est directement liée à la définition même de crise politique. Je me fais l’écho des travaux de sociologues français tels Michel Dobry [Sociologie des crises politiques, éd. Sciences Po, 1986]. Les crises politiques sont des moments de recours à des analogies historiques et au vocabulaire légué par des luttes passées, le plus souvent désormais inappropriées. De Gaulle n’était pas fasciste, ça ne fait aucun doute. Cette analyse, d’une partie de la gauche française, était erronée, quoiqu’elle fût fondée sur des raisons compréhensibles. Si le PCF s’est obstiné si longtemps à dire que De Gaulle était fasciste ou du moins un tremplin vers le fascisme, c’était au nom d’une idée de rassemblement et de défense républicaine qui a marché un temps ; mais en 1958, l’unité de la gauche avait été sévèrement compromise par la guerre froide et les conflits de décolonisation. Le décalage entre la radicalité et la violence des actes et l’absence de passage à l’acte est flagrant. Ce moment est aussi, pour la gauche française, l’occasion d’une renaissance de l’analyse du bonapartisme et de l’État fort. Une pensée marxiste hétérodoxe se met dès lors à remettre à nouveau en question le rapport entre l’État et les différentes fractions de la classe gouvernante. 1958 et la fin de la guerre d’Algérie jouent un rôle de premier plan dans cette entreprise de renouvellement théorique. (…) Le discours du pouvoir gaulliste durant la première décennie de son existence repose sur l’opposition entre un conservatisme modernisateur d’une part (le gaullisme et son gouvernement d’experts) et l’archaïsme des paysans, de la petite bourgeoisie pro-Algérie française, des colons et d’une partie de l’armée. Mais cette opposition ne va pas de soi, il ne s’agit pas à mon sens d’une querelle des anciens et des modernes mais d’une lutte entre des définitions rivales de la modernité et de l’avenir de la France. Les partisans de l’Algérie française se concevaient eux aussi comme des modernisateurs. Ils prétendaient défendre une vision ouverte et fédérale d’un empire français renouvelé contre une France rétrécie, étriquée et hexagonale — c’est la vision des Barrès et des Maurras, dont certains disaient de De Gaulle qu’il en était l’héritier. Ceci nous ramène au motif du « refoulement ». Je pense ici à la formule de Lacan, selon laquelle le refoulement prend toujours la forme d’un retour du refoulé : il ne s’agit pas seulement de la censure et de l’oubli, mais de quelque chose qui doit se rejouer. On pense aussi à la sentence de Marx dans le 18 Brumaire, « les événements historiques se répètent deux fois… la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce”. En 1958, les fantômes de Vichy et de l’occupation ressurgissent un temps avant d’être contenus, et d’une certaine manière refoulés par l’État gaullien, qui travaille en même temps à faire oublier sa propre naissance. Ce qui est frappant justement, c’est qu’en 1968 on voit ressurgir… mille références ! Les gens avaient forcément conscience de vivre un moment particulier, et c’est étonnant de voir que dans les travaux sur 1968 on parle si peu du fait que cette année-là était aussi le dixième anniversaire de la prise de pouvoir gaulliste. Selon moi, ce phénomène tient à la réconciliation entre le gaullisme d’État et les autres droites avec lesquelles il avait été en rupture lors de l’affaire algérienne. La nécessité de s’opposer aux mouvements de gauche de 1968 a poussé ces fractions à faire un compromis ; compromis par lequel le régime gaulliste a pu encore une fois dissimuler ses origines. Grey Anderson
Never have liberal ideas been so firmly entrenched within America’s core elite institutions. Never have those institutions been so weak and uninfluential. (…) What liberals are struggling to come to grips with today is the enormous gap between the dominant ideas and discourse in the liberal worlds of journalism, the foundations, and the academy on the one hand, and the wider realities of American life on the other. Within the magic circle, liberal ideas have never been more firmly entrenched and less contested. Increasingly, liberals live in a world in which certain ideas are becoming ever more axiomatic and unquestioned even if, outside the walls, those same ideas often seem outlandish.Modern American liberalism does its best to suppress dissent and critique (except from the left) at the institutions and milieus that it controls. Dissent is not only misguided; it is morally wrong. Bad thoughts create bad actions, and so the heretics must be silenced or expelled. “Hurtful” speech is not allowed, and so the eccentricities of conventional liberal piety pile up into ever more improbable, ever more unsustainable forms.To openly support “torture”, for example, is close to unthinkable in the academy or in the world of serious journalism. For a university professor or a New Yorker writer to say that torture is acceptable under any circumstances is to court marginalization. A great many liberals don’t know anybody who openly supports torture, and a great many liberals are convinced that the concept of torture is so heinous that simply to name and document incidents will lead an aroused public to rally against the practice—and against the political party that allowed it.Thus a group of journalists, human rights activists, and others relentlessly pursued allegations of CIA use of torture, not only as an important moral duty but also as an effective political strategy. It flopped. As we’ve seen, the revelations about CIA methods left most Americans still telling pollsters that they favor torture when national security is in question. “Torture” may be unthinkable to well meaning academics and human rights activists, but the argument hasn’t been won—hasn’t really even been engaged—among the broader public. The left silenced and banished critics; it didn’t convert or refute them. The net result of the liberal campaign to “hold the CIA accountable” wasn’t to discredit the Bush administration; the campaign simply undercut claims by liberals that the left can safely be entrusted with security policy. A group of liberal journalists and politicos worked very hard to make Dick Cheney’s day. Similarly, the liberal hothouses that so many university campuses are today encourage students to adopt approaches to real life problems that, to say the least, are counterproductive. Take, for example, the recent attempts by law students at Harvard, Georgetown, and Columbia to have their exams postponed due to the stress they suffered as a result of the Ferguson controversy. “This is more than a personal emergency. This is a national emergency,” said the anguished Harvardians asking for an extension. Said the fragile and delicate souls from Georgetown,“We, students of color, cannot breathe…. We charge you to acknowledge that Black Lives Matter.  (…) But liberals today face more problems than cocooning. They face the problem that, even as the ideas in liberal institutions become ever more elaborate, intricate, and unsuited to the actual political world, liberal institutions are losing more of their power to shape public opinion and national debate. Forty years ago, the key liberal institutions were both less distanced from the rest of American society and significantly more able to drive the national agenda. The essentially likeminded, mainstream liberals who wrote and produced the major network news shows more or less controlled the outlets from which a majority of Americans got the news. There was no Drudge Report or Fox News in those days, much less an army of pesky fact checkers on the internet. When liberal media types decided that something was news, it was news. If the Sandy Hook massacre had taken place in 1975, it’s likely that the liberal take on gun violence would not have been challenged. But these days, an army of bloggers and a counter-establishment of policy wonks in right leaning think tanks are ready to respond to extreme events like Sandy Hook. After the 2014 midterm, Gaffy Gifford’s old congressional seat will be filled by a pro-gun rights Republican, and polls show support for “gun rights” at historic highs. Liberal strategies don’t work anymore in part because liberal institutions are losing their power.Meanwhile, many liberals are in a tough emotional spot. They live in liberal cocoons, read cocooning news sources, and work in professions and milieus where liberal ideas are as prevalent and as uncontroversial as oxygen. They are certain that these ideas are necessary, important and just—and they can’t imagine that people have solid reasons for disagreeing with them. Yet these ideas are much less well accepted outside the bubble—and the bubbles seem to be shrinking. After the horrors of the George W. Bush administration, liberals believed that the nightmare of conservative governance had vanished, never to return. Aided by the immigration amnesty, an irresistible army of minority voters would enshrine liberal ideas into law and give Democrats a permanent lock on the machinery of an ever more powerful state.That no longer looks likely; we can all look forward to eloquent laments, wringing of hands, impassioned statements of faith as the realization sinks in. There will be reeling, there will be writhing, and there will be fainting in coils. In the end, we can hope that liberalism will purge itself of the excesses and indulgences that come from life in the cocoon. The country needs a forward looking and level headed left; right now what we have is a mess. Walter Russell Mead
400 francs pour tous, 5e semaine accolée aux congés, 30 minutes pour le ramadan, nous voulons être respectés. Banderole de grévistes (Usine Talbot, Poissy, juin 1982)
Ma voiture, vous savez, celle qui est fabriquée en Afrique du Nord, à Aulnay-sous-bois… Pour le débrayage, ils sont imbattables, chez Citroën ! Ils font les trois-huit : 8 heures d’arrêt de travail, 8 heures de grève et 8 heures de prière. Thierry Le Luron
L’automobile otage de ses immigrés. Aulnay, Poissy, Flins, comment la CGT récupère la révolte des musulmans. L’Expansion (3 janvier 1983)
Pour les immigrés disent les uns, Akka Ghazzi est le symbole de la dignité retrouvée. D’autres notent que Ghazzi a emprunté un raccourci syndical saisissant en passant en un an de la CSL à la CGT. Akka Ghazzi serait-il un pion de la CGT ou serait-il l’ayatollah d’Aulnay, une sorte de chef d’orchestre clandestin de cet intégrisme musulman dont certains ont cru déceler l’influence chez les travailleurs immigrés ? Portait d’Akka Ghazi (secrétaire du syndicat CGT à l’usine Citroën d’Aulnay-sous-Bois, Sept Sur Sept, 20 mars 1983)
Travailleurs de Citroën, je vous remercie tous d’être là. Au nom de Dieu nous espérons que nos revendications aboutiront, que notre dignité sera respectée. Au nom de Dieu, nous sommes tous unis, tous des frères dans cette grève. Dieu est avec nous. Nous espérons que nos problèmes seront résolus. Nous devons lutter au nom de Dieu. C’est la liberté. La liberté et nos droits. Allez mes frères. Vive la CGT, vive la liberté, vive la France. Délégué de la CGT (en arabe)
Ces Musulmans, alignés sur le parking vers La Mecque [qui] récitent leur prière au son des slogans religieux scandés en arabe par les haut-parleurs de la CGT ! Ces scènes rappellent tout à fait celles de l’Iran Khomeyniste.  Centre d’études des entreprises
Les principales difficultés sont posées par des travailleurs immigrés […] agités par des groupes religieux et politiques qui se déterminent en fonction de critères ayant peu à voir avec les réalités sociales françaises. Pierre Mauroy (Premier ministre, PS, Nord-Eclair, 28 janvier 1983)
L’expression religieuse ne peut pas être institutionnalisée dans les entreprises qui sont avant tout des lieux de travail. […] S’il est prouvé que des influences extérieures d’inspiration religieuse ou politique ont pesé sur le comportement des immigrés en grève. […] alors le gouvernement prendra ses responsabilités et en premier lieu le ministère du Travail. Nous ne tolérerons pas que ces attitudes compromettent la réussite des entreprises en agissant contre l’intérêt national. […] Nous leur avons donné une liberté nouvelle. À charge pour eux d’entrer dans le jeu des institutions nationales et des syndicats représentatifs. Je ne tolérerai pas la création de syndicats particularistes fondés sur une finalité qui ne serait pas la défense des salariés ou qui serait le regroupement d’étrangers refusant d’accepter les règles de notre pays. Jean Auroux (ministre du Travail, PS, Paris Match, 2 février 1983)
Lorsque des ouvriers prêtent serment sur le Coran dans un mouvement syndical, il y a des données qui sont extra-syndicales. […] Un certain nombre de gens sont intéressés à la déstabilisation politique ou sociale de notre pays parce que nous représentons trop de choses en matière de liberté et de pluralisme. Jean Auroux (France Inter, 10 février 1983)
Il y a, à l’évidence une donnée religieuse et intégriste dans les conflits que nous avons rencontrés, ce qui leur donne une tournure qui n’est pas exclusivement syndicale. […] Je m’oppose à l’institutionnalisation d’une religion quelle qu’elle soit à l’intérieur du lieu de travail. […] les immigrés sont les hôtes de la France et à ce titre ont un double devoir : jouer le jeu de l’entreprise et celui de la nation. Jean Auroux (L’Alsace, 10 février 1983)
Des salles de prière existent à Renault Billancourt depuis 1976, et à Talbot-Poissy depuis 1978 (Barou et al. 1995), sans que les demandes d’ouverture aient pris place dans des conflits, les salles de prières étant souvent vues comme un « facteur de régulation sociale » (Barou 1985). À Citroën, avant la grève, l’Islam des ouvriers n’est pas non plus perçu comme un problème. La presse de l’entreprise rend même hommage aux salariés partis à La Mecque faire leur pèlerinage. De fait, en 1982 le fait nouveau tient à la façon dont l’enjeu autour des lieux de prières se construit au sein d’une contestation plus générale du système que subissent les ouvriers immigrés. De plus, le déroulement et les lieux de la grève rendent visibles les pratiques religieuses des ouvriers. Alors que la direction de Citroën-Aulnay, les responsables de la CSL et les salariés opposés à la grève sont retranchés dans l’usine, les grévistes occupent les parkings, qui deviennent alors des lieux de prière pour les ouvriers musulmans. Ces scènes sont filmées, par la télévision ou par des documentaristes, dévoilant ainsi les pratiques religieuses de ces travailleurs, restées jusqu’ici cantonnées aux ateliers. Des meetings devant l’usine sont parfois entrecoupés de prières, un imam pouvant intervenir au milieu des discours syndicaux. C’est aussi lors de prises de parole en plus petits groupes que le vocabulaire religieux est mobilisé par certains grévistes. Vincent Gay
La Courneuve, un mort qui accuse. Le Monde (9 juillet 1983)
Ici, nous sommes presque tous des immigrés ; mais certains sont plus immigrés que d’autres. Dans les disputes, les Antillais se targuent d’être citoyens français et nos compatriotes, souvent, leur disent de repartir manger leurs bananes. Résidente algérienne des 4000 (La Courneuve, 12 juillet 1983)
En raison de la présence en France de près de quatre millions et demi de travailleurs immigrés et de membres de leurs familles, la poursuite de l’immigration pose aujourd’hui de graves problèmes. Il faut stopper l’immigration officielle et clandestine. Georges Marchais (6 janvier 1981)
Nous pensons que tous les travailleurs sont frères, indépendamment du pays où ils sont nés (…) » Mais « dans la crise actuelle, elle [l’immigration] constitue pour les patrons et le gouvernement un moyen d’aggraver le chômage, les bas salaires, les mauvaises conditions de travail, la répression contre tous les travailleurs, aussi bien immigrés que français. C’est pourquoi nous disons : il faut arrêter l’immigration, sous peine de jeter de nouveaux travailleurs au chômage. Georges Marchais
Il faut résoudre d’importants problèmes posés dans la vie locale française par l’immigration […] se trouvent entassés dans ce qu’il faut bien appeler des ghettos, des travailleurs et des familles aux traditions, aux langues, aux façons de vivre différentes. Cela crée des tensions, et parfois des heurts entre immigrés des divers pays. Cela rend difficiles leurs relations avec les Français. Quand la concentration devient très importante […], la crise du logement s’aggrave ; les HLM font cruellement défaut et de nombreuses familles françaises ne peuvent y accéder. Les charges d’aide sociale nécessaire pour les familles immigrées plongées dans la misère deviennent insupportables pour les budgets des communes peuplées d’ouvriers et d’employés. L’enseignement est incapable de faire face… Georges Marchais (lettre au recteur de la Mosquée de Paris, 7 juin 1981)
Quand madame Le Pen parle comme un tract du Parti communiste des années 70 – parce que c’est ça en réalité, en pensant qu’on peut fermer les frontières, qu’on peut nationaliser les industries, qu’on peut sortir un certain nombre de capitaux de notre pays sans qu’il y ait de risques. Quand elle parle comme le Parti communiste, ça parle dans cette région-là [le Nord- Pas-de-Calais, ndlr] parce que ça a été, encore aujourd’hui, une région influencée par le Parti communiste. (…) Sauf que le Parti communiste, il ne demandait pas qu’on chasse les étrangers, qu’on fasse la chasse aux pauvres… Il avait des valeurs.. (…) Marine Le Pen parle comme le Parti communiste des années 70 « avec les mêmes références que son propre père quand il s’agit de montrer que c’est l’étranger, que c’est l’Europe, que c’est le monde ». François Hollande (19.04.2015)
[Un programme commun FN et UMP] tout d’abord ce serait la mort de l’UMP, et les dirigeants de l’UMP le savent. Deuxièmement, ils se heurteraient d’emblée à une telle bronca médiatique qu’ils en seraient tétanisés. Troisièmement, à la différence de ce qui s’est passé dans le rapport PS-PC dans les années 1970 et 1980, cela profiterait au FN et non pas à l’UMP. Au tout début de l’émergence du Front, la droite classique aurait pu juguler cette ascension, par exemple en pratiquant des alliances à l’échelle locale. Mais, aujourd’hui, le FN a son identité, son électorat et, surtout, le vent en poupe. En revanche, le positionnement actuel de Nicolas Sarkozy sur nombre de sujets est très ambigu. D’un côté, on le sent soucieux de s’ouvrir vers le centre, et, d’un autre, de prendre en compte des aspirations proches de la ligne du FN au risque de s’aliéner les centristes. C’est une stratégie à risques car, comme l’a bien dit Jean-Marie Le Pen, « les électeurs préféreront toujours l’original à la copie ». (…) Sur le principe, les programmes paraissent totalement incompatibles. Sauf que la ligne économique du FN a très largement évolué à travers les années. Le programme du FN d’il y a vingt ans se rapprochait du libéralisme de l’actuelle UMP, Le Pen père se vantait même d’avoir connu l’économie de l’offre et les idées de Reagan avant les autres ! Depuis, Marine Le Pen s’est repositionnée en prônant un étatisme interventionniste qui prenne en compte le sort des territoires, des politiques sociales, etc. Bref, je ne pense pas que les enjeux économiques pèsent d’un grand poids dans la probabilité d’une alliance. (…) Le défi numéro un est d’arriver à sécréter au sein du parti une élite capable de gouverner. C’est encore loin d’être le cas au FN, même s’il multiplie les initiatives pour attirer des enseignants ou des chefs d’entreprise. Vient ensuite un autre obstacle : la formidable résistance que pourrait opposer la haute administration à un gouvernement frontiste… Dans des citadelles comme Bercy ou la place Beauvau, le ministre peut commander, mais il faut que l’intendance suive. Un troisième facteur joue contre Marine Le Pen : les contraintes internationales, à commencer par l’Europe. On est dans un carcan qui rend les marges de manœuvre des gouvernements assez étroites. L’épisode du budget français est emblématique : il ne va pas se passer grand-chose parce que l’Europe ne veut pas taper sur les doigts de la France, pour ne pas faire monter le FN. Reste que la France n’est plus maîtresse de son budget. Quand, à propos de la GPA, qu’elle combat, Marine Le Pen affirme qu’elle « coupera le cordon » avec la Convention européenne des droits de l’homme, c’est imparable. Elle sait qu’aucun dirigeant du PS ou de l’UMP ne le fera. Mais le ferait-elle si elle était au pouvoir, et comment gérerait-elle les inévitables mesures de rétorsion ? Si l’intérêt de Marine Le Pen est bien sûr de progresser électoralement, mieux vaut pour elle qu’elle  ne se retrouve pas trop vite dans une position trop favorable – 2017, c’est sans doute trop tôt. (…) Le modèle français de recrutement des élites administratives est au bord de l’épuisement. À partir des années 1920, ce modèle a pu fonctionner pendant des décennies car, sous Vichy ou sous le gaullisme, on vivait en régime d’économie administrée. Ce type d’élites correspondait au personnel politique qu’on retrouvait partout en Europe occidentale. Il y a encore vingt ans, les épreuves des concours de recrutement des hauts fonctionnaires européens ressemblaient beaucoup à celles des grands concours français. Aujourd’hui, c’est fini ! le modèle à l’anglo-saxonne a gagné, comme en témoigne l’évolution de Sciences Po. Il s’agit de ne plus sacraliser la fonction publique, de donner moins de place à des disciplines classiques comme l’histoire au profit d’enjeux bien plus actuels tels que les études sur le genre. Les grandes écoles se sont adaptées à ce nouveau modèle en envoyant leurs étudiants en stage à l’étranger. Mais, au niveau de notre classe politique, le décalage reste incontestable, particulièrement en matière de maîtrise des langues étrangères. Entre ces deux modèles, le FN refuse de choisir puisqu’il tient un discours anti-élites tous azimuts. Ses diatribes visent tout autant les élites traditionnelles issues de l’ENA que les élites mondialisées. Dans ces conditions, sur qui pourra-t-il encore s’appuyer pour arriver au pouvoir et surtout l’exercer ? Aujourd’hui, il ne donne aucune réponse crédible à cette question. (…) Ce qui unit l’électorat FN dans sa diversité, c’est la défense identitaire, si l’on ne limite pas l’identité à l’immigration. L’identité, ce n’est pas uniquement une question ethnique, mais aussi sociale, économique et territoriale. J’ai été pendant des années professeur en Lorraine, à Metz, où l’effondrement de la sidérurgie a entraîné la fin d’un monde. Dans les provinces françaises, les politiques de reconversion industrielle menées par la droite et la gauche ont coûté très cher, pour des résultats très en deçà de ce qu’on pouvait en attendre. Il y a aujourd’hui des populations qui sont très difficiles à employer vu la technicité d’un certain nombre de métiers. À mesure que les écoles ferment et que les services publics s’en vont, la désertification se développe. Les gens ne disent pas seulement « on n’a pas assez de retraite, on n’a pas assez de salaire », mais, de plus en plus, « vous êtes en train de casser notre mode de vie ». En jouant la carte des territoires et de l’enracinement, le FN met le doigt sur des réalités d’importance et capte donc un électorat rural qui n’était au départ pas le sien. (…) Marine Le Pen a deux atouts pour elle : elle est l’élément fédérateur et elle réussit ! Aussi longtemps que ses succès la porteront, ce qu’elle dit restera incontesté. Ainsi, un certain nombre d’anciens militants qui avaient quitté le FN sont en train d’y revenir, en se disant qu’il faut en passer par là car Marine Le Pen gagne. Mais (…) par-delà le charisme personnel de sa présidente, se pose la question du futur programme de gouvernement que devra élaborer le FN. Marine Le Pen est très habile, mais cela ne veut pas dire qu’elle a gagné la bataille de la compétence ! En matière de politique extérieure, c’est assez flou, elle peine encore à trancher entre les positions des uns et des autres. Sur le plan économique, les choses sont plus claires, mais la ligne retenue suscite quelques réticences. C’est sur les questions européennes que la présidente du FN est sans doute la plus fédératrice, mais il s’agit davantage d’une fédération de rejets que de propositions alternatives. (…) Gare au malentendu : le FN n’est pas seulement un parti de militants ! C’est d’abord un parti d’électeurs dominé par une figure charismatique, dont la force de frappe passe par les médias et non les appareils. Dites-vous bien que le congrès va bien plus intéresser la presse que les électeurs du FN. Pour répondre à votre question, il serait intéressant de comparer les taux de notoriété. Qui l’opinion connaît-elle du FN en dehors de Marine Le Pen ? Peut-être Florian Philippot et Louis Aliot, Marion Maréchal, Bruno Gollnisch et Gilbert Collard. Toutes ces individualités comptent moins que l’étiquette frontiste et les thèmes mobilisés. Parmi eux, il faut compter avec la question de l’islamisme et sa force d’attraction. Aux régionales de 2010 en Lorraine, où le FN avait recueilli 14,87 % des voix, une liste soutenue par des groupements dissidents (Mouvement national républicain, Parti de la France, Nouvelle Droite populaire), et dont les quatre femmes têtes de listes départementales n’étaient pas connues du grand public, a recueilli 3 % des voix, avec comme seul mot d’ordre : « Stop aux minarets en Lorraine ! ». Au-delà des questions de personnes, un éventuel changement de nom et d’emblème du parti représente donc un enjeu crucial pour le FN de demain. Olivier Dard
J’avais perdu les pédales, tous mes repères. Ce qui fait le plus mal, sept ans après, c’est de réaliser qu’à un moment de notre vie, on s’est conduit comme un animal. (…) Nous étions inhumains, tout simplement, comme des animaux. (…) Pardon Madame Germon. Nous avons fait cela pour des raisons antisémites et de racisme. A l’époque, on a été influencé par des discours d’extrême droite. Je regrette la profanation. Je regrette d’être entré dans l’extrême droite. Je ne vous ai pas demandé pardon avant le procès pour que l’on ne pense pas que je voulais influencer le jury. Je comptais le faire d’une façon moins exposée. Pardon Madame Germon. Yannick Garnier
Le seul qui manque à l’appel, Jean-Claude Gos, est pourtant celui que tous désignent comme l’initiateur et le chef de leur bande. Ce néonazi à l’antisémitisme forcené s’est en effet tué, à 27 ans, lors d’un accident de moto, en décembre 1993, en Vaucluse. Quatre ans plus tôt, en 1989, Gos laisse entrevoir pour la première fois sa fascination pour le cimetière juif de Carpentras. A son copain d’enfance Olivier Finbry, alors appelé du contingent à Berlin, il fait visiter cet endroit retiré, symbole, pour ce militant du PNFE, un groupuscule néonazi, de l’emprise des juifs sur la région. Les deux hommes se quittent en se promettant d’y faire un jour un «coup d’éclat». L’année suivante, aux alentours du 30 avril, date anniversaire de la mort d’Adolf Hitler, ils décident, pour célébrer l’événement, d’attaquer le cimetière et d’y déterrer un cadavre juif. De véritables repérages sont alors effectués. S’ajoute, pour l’occasion, un troisième compère, Patrick Laonegro, lui aussi membre du PNFE. (…) Mais cette opération commando nécessite de gros bras. Deux jeunes apprentis skins d’Avignon, Yannick Garnier et Bertrand Nouveau, leur prêtent donc main-forte. (…) Le ministre de l’Intérieur accuse l’extrême droite. Les Renseignements généraux désignent à la police judiciaire, dès le lendemain, 11 mai, la liste de membres du PNFE d’Avignon. Parmi eux, Jean-Claude Gos et Patrick Laonegro, qui seront respectivement entendus les 11 et 14 mai. Mais, au milieu des dizaines de gardes à vue, ils passeront entre les mailles du filet, d’autant que la police est alors convaincue que la profanation a été commise dans la nuit du 9 au 10 mai, c’est-à-dire le lendemain de la date véritable, personne n’ayant pénétré dans le cimetière dans l’intervalle. Mais l’ampleur des réactions fait éclater définitivement ce petit groupe constitué de fraîche date et plutôt hétéroclite. Le meneur incontesté, doté d’un véritable ascendant physique sur ses compagnons, Jean-Claude Gos, était le seul à pouvoir se targuer d’un casier judiciaire: deux condamnations, dont l’une à six mois ferme, pour agressions. Dans les mois précédant la profanation, il avait entrainé ses amis dans des ratonnades. Il leur avait aussi imposé une sorte d’uniforme skinhead, avec, en particulier, un bracelet comportant un insigne nazi. Membre du PNFE de 1988 à 1989, il quitte ce parti néonazi avec son ami Laonegro, tous deux l’estimant trop modéré à leur goût… Laonegro ira même jusqu’à assister à une réunion du PNFE, à Paris, pour s’expliquer. Selon lui, l’organisation ne valorisait pas suffisamment leurs actions. Tous les mois, en effet, le chef de section de chaque région envoie à Paris un Cram (compte rendu d’action militante). Ceux d’Avignon auraient systématiquement minimisé leurs exploits… A ce duo de choc s’ajoute un inquiétant troisième personnage: Olivier Finbry, un ami d’enfance de Gos, aujourd’hui militaire de carrière. Les enquêteurs auraient retrouvé de la documentation néonazie dans sa chambre. Le groupe avait loué un local à Saint-Saturnin-lès-Avignon, qui leur servait notamment de salle pour s’entraîner à la boxe. A la même époque, en décembre 1989, Yannick Garnier, qui revient du service militaire, retrouve par hasard, à Avignon, un ancien camarade de troisième, Bertrand Nouveau. Les deux compères découvrent, vers février 1990, le local de Gos et Laonegro. Une ambiance virile qui plaît beaucoup à Garnier, un colosse de 1,96 mètre. Mais quand Gos lui prête un exemplaire de Mein Kampf, l’ouvrage lui tombe des mains… Après la profanation, le groupe se disperse. Bertrand Nouveau fait un passage éclair de cinq mois à la Légion étrangère. Puis il se range, passe trois CAP et devient ouvrier dans une usine qui fabrique du polystyrène. Comme Laonegro, devenu vendeur dans une grande surface, près de Perpignan, il s’était marié en 1993 et avait eu un enfant. Tous deux auraient révélé à mi-mot leur terrible secret à leurs épouses. Garnier, lui, n’a personne à qui le confier. Ce solitaire, hanté par le souvenir de la profanation, part à la dérive. (…) Au bout du rouleau, persuadé, selon son avocat, Me Bruno Rebstock, que l’affaire de la profanation a détruit sa vie, il décide d’aller tout avouer aux policiers des Renseignements généraux. Pourquoi les RG? Peut-être parce que, en tant qu’ancien skinhead, il avait eu l’occasion d’en croiser par le passé. Garnier racontera durant une heure et demie son histoire à la commissaire Dominique Gines. Celle-ci alerte aussitôt la PJ et son directeur central à Paris, Yves Bertrand. La PJ interpelle immédiatement les trois autres complices encore en vie – qui vont tous avouer. L’Express
On ne va pas s’allier avec le FN, c’est un parti de primates. Il est hors de question de discuter avec des primates. Claude Goasguen (UMP, Paris, 2011)
Ne laissez pas la grande primate de l’extrême goitre prendre le mouchoir … François Morel (France inter)
Moi, je revendique la stigmatisation de Marine Le Pen. Manuel Valls
Pendant toutes les années du mitterrandisme, nous n’avons jamais été face à une menace fasciste, donc tout antifascisme n’était que du théâtre. Nous avons été face à un parti, le Front National, qui était un parti d’extrême droite, un parti populiste aussi, à sa façon, mais nous n’avons jamais été dans une situation de menace fasciste, et même pas face à un parti fasciste. D’abord le procès en fascisme à l’égard de Nicolas Sarkozy est à la fois absurde et scandaleux. Je suis profondément attaché à l’identité nationale et je crois même ressentir et savoir ce qu’elle est, en tout cas pour moi. L’identité nationale, c’est notre bien commun, c’est une langue, c’est une histoire, c’est une mémoire, ce qui n’est pas exactement la même chose, c’est une culture, c’est-à-dire une littérature, des arts, la philo, les philosophies. Et puis, c’est une organisation politique avec ses principes et ses lois. Quand on vit en France, j’ajouterai : l’identité nationale, c’est aussi un art de vivre, peut-être, que cette identité nationale. Je crois profondément que les nations existent, existent encore, et en France, ce qui est frappant, c’est que nous sommes à la fois attachés à la multiplicité des expressions qui font notre nation, et à la singularité de notre propre nation. Et donc ce que je me dis, c’est que s’il y a aujourd’hui une crise de l’identité, crise de l’identité à travers notamment des institutions qui l’exprimaient, la représentaient, c’est peut-être parce qu’il y a une crise de la tradition, une crise de la transmission. Il faut que nous rappelions les éléments essentiels de notre identité nationale parce que si nous doutons de notre identité nationale, nous aurons évidemment beaucoup plus de mal à intégrer. Lionel Jospin (France Culture, 29.09.07)
On peut avoir une très mauvaise séquence électorale. On peut perdre 35 départements. Jean-Christophe Cambadélis (premier secrétaire du PS)
Il ne faut «pas seulement une politique du logement et de l’habitat» mais une «politique du peuplement». Une «politique du peuplement pour lutter contre la ghettoïsation, la ségrégation. Manuel Valls
Le fascisme, contre lequel pensent lutter toutes ces légions d’anges sans mémoire et sans sexe, est un mythe, non une réalité. S’ils savaient reconnaître le fascisme dans la réalité, ils seraient tous fièrement islamophobes, à l’instar de Wilders, et de Churchill, qui savait de quoi il parlait. Radu Stoenescu
Nous nous demandons si nous n’avons pas fait l’objet d’une récupération politique. Jean Hassoun (président de la communauté juive d’Avignon)
En se joignant à la manifestation parisienne, le président de la République défendait l’idée que si la France devait « se ressaisir », c’était à l’État de donner l’impulsion. Par ce geste, il montrait également qu’il avait pris note des critiques formulées depuis l’annonce de la profanation, par voie de presse, à l’encontre de son gouvernement. En effet, pour nombre de journalistes, la profanation était symptomatique d’une France en crise. François Mitterrand a été réélu le 8 mai 1988 à la présidence de la République mais son parti est en déroute. « Le bilan des années Mitterrand aurait pu être positif s’il n’était entaché par une grave carence morale et […] un développement considérable de la corruption. » Le gouvernement et les parlementaires socialistes ont souffert d’un discrédit profond dans l’opinion, conséquence de l’enchaînement ininterrompu des « affaires »  Parmi celles-ci, citons les procédés illégaux de financement… . La série d’élections en 1988-1989 est un bon indicateur de la crise qu’ils traversent. Aux municipales et cantonales, on relève une augmentation de l’abstention et une réorientation du corps électoral vers le FN ou les Verts. Les élections européennes ne font que confirmer cette tendance. Quant à la droite, elle peine à se positionner sur l’échiquier politique français. Les éditoriaux du Figaro illustrent bien de quelle façon les proportions de l’événement Carpentras, rapportées à la morosité politique ambiante, ont été redimensionnées : « N’insistons pas sur le machiavélisme d’un pouvoir socialiste qui ne songe, depuis des années, qu’à gonfler les voiles de l’extrême droite. Plaignons-le, il aura des comptes à rendre à l’histoire » (Franz-Olivier Giesbert) . Le 14, Xavier Marchetti poursuit dans la même veine : « Il faut aussi faire la part de la pernicieuse dégradation de la vie politique. Elle entraîne moquerie et rejet »  (Xavier Marchetti). D’aucuns rétorqueront que Le Figaro, journal de droite, en a profité pour tirer à bout portant sur les socialistes. Mais leurs confrères de Libération ont aussi relié l’événement au climat général. Ils parlent d’« authentique désarroi » et citent Jacques Chirac qui voit dans cette profanation la manifestation d’une « crise dont nous sommes tous responsables » (Marc Kravetz). Au moment où les formations traditionnelles étaient en proie au malaise, sans réponse face aux problèmes de l’immigration À l’automne 1989, l’affaire du foulard islamique relance…  et de l’insécurité, le FN récoltait des voix. Qui veut comprendre la facilité avec laquelle s’est mise en place la rhétorique de culpabilisation du FN autour de la profanation de Carpentras doit la mettre en relation avec la visibilité croissante du parti dans le paysage politique français. Que l’acte ait eu lieu en Provence, terre d’élection du Front National, qu’il ait été commis, apparemment, dans la nuit du mercredi au jeudi Les premières conclusions de l’enquête ont débouché… [17] , juste après le passage de Jean-Marie Le Pen à L’Heure de vérité : ces données forment un faisceau d’indices qui désignent le parti d’extrême droite comme coupable pour la classe politique. (…) En septembre 1990, un article du sociologue Paul Yonnet dans la revue Le Débat relance la polémique : l’ancrage historique de l’événement aurait eu pour but d’assurer « la culpabilité récurrente de Le Pen »  Paul Yonnet, « La machine Carpentras », Le Débat, septembre-octobre… . Ce rebondissement vient étayer la thèse selon laquelle cette profanation est devenue presque instantanément un « récit médiatique » construit et imposé. Dès son exposition sur la scène publique, l’acte a échappé à ses protagonistes. Les médias et les pouvoirs publics se sont approprié l’information pour la reconstruire selon leurs interprétations, interdisant de la regarder comme une empreinte immédiate du réel. La profanation n’est pas la première du genre mais en mai 1990 à Carpentras le cadavre d’un homme juif a été exhumé et empalé (il s’agissait en fait d’un simulacre, comme le révélera l’enquête par la suite). Ce fait a joué de tout son poids dans la réception de la profanation. Il a constitué le motif sur lequel les instances de médiation ont pu unanimement greffer une trame aux tissages politique, historique et mémoriel. La conjonction de plusieurs éléments contextuels, désarticulation du corps social et climat politique délétère, ascension électorale du Front National, réactivation concomitante de la mémoire de la Shoah et de la mémoire de Vichy, permet seule de dénouer les fils du récit médiatique de la profanation de Carpentras. Émergeant dans une France profondément désorientée, l’acte perpétré a cristallisé les angoisses et les hantises du moment, en libérant les consciences et la parole. La manifestation du 14 mai 1990 a bien montré la valeur curative que l’on a prêtée à l’événement : expurger les maux de la société et la gangrène de la mémoire. Floriane Schneider
N’insistons pas sur le machiavélisme d’un pouvoir socialiste qui ne songe, depuis des années, qu’à gonfler les voiles de l’extrême droite. Plaignons-le, il aura des comptes à rendre à l’histoire. Franz-Olivier Giesbert
The Left in France has been using the rhetoric of “anti-racism” to give itself a moral agenda and place the mainstream Right on the defensive. Up to now, moreover, this tactic has been successful. At Carpentras, the Minister of the Interior (who has responsibilities comparable to our Attorney General) virtually accused Le Pen of being responsible for the outrage. Then, as if such blatant politicization of a criminal affair were not sufficient, the Interior Ministry proceeded thoroughly to botch the Carpentras investigation. Not only was evidence lost, but it developed that the desecration, undoubtedly disgusting, was not quite so gross in its physical details as the Minister (and his government colleagues) had at first let on. Whether they themselves had been deceived by misleading reports, or whether they were unable to resist an opportunity to make a public show of moral indignation, will probably never be known. What is known is that there is no extremist group in France, particularly on the far Right, that remains closed to the police, and if any such group had been implicated the fact would have emerged quickly. As Salomon Malka, a radio journalist, was forced to conclude, “We feel we’ve been cuckolded. I hope it’s not worse than that. But the crime certainly was manipulated for political ends. »  Beyond the calculations of domestic politics, public displays of “anti-anti-Semitism” in France, as the historian Annie Kriegel has noted, serve another purpose: “covering” a government foreign policy that is not well disposed toward Israel, and indeed has not been well disposed ever since the Six-Day War of 1967. (If anything, Mitterrand has been rather more sympathetic, at least at the level of gestures, than his predecessors.) Thus, just after Carpentras, the French government sent its human-rights man, Bernard Kouchner, to Israel to complain about its treatment of Arabs. Finally, and perhaps most importantly, the intellectuals in France (broadly speaking), despite their ritual “anti-anti-Semitism,” have permitted a public discourse to develop in which anti-Semitism nevertheless is a factor. Today, “certain things” can be said in France about the Jews that could not have been said twenty, let alone thirty or forty, years ago; and though these “certain things” are ritually denounced, they are seldom rebutted. What has happened in the intellectual world is that sentimental indignation often has taken the place of serious combat. The shifting attitudes of the French Left to Israel play an important role here. It was Liberation, the same paper that ran the headline “Outrage” after Carpentras, that in 1976 greeted Israel’s lifesaving raid on Entebbe with the headline, “Israel, Champion Terrorist.” The paper would almost certainly not do this today—after repeated demonstrations of the way Israel’s enemies behave, the French media have acquired a certain respect for that country’s security requirements. Yet the often virulently anti-Israel view which prevailed on the Left between the end of the Six-Day War and the withdrawal from Lebanon did make it easier to raise other “questions” about the Jewish people, past and present, and the poison of that earlier view still lingers in the air. No wonder, then, that French intellectuals, whose delicate consciences only yesterday were hurt by Israel’s insistence on defending itself, today often lack the lucidity needed to mount an effective argument in behalf of Israel in particular, and the Jewish people in general, and instead wander perplexedly about in what the historian François Furet has justly called the “desert of antiracism.” So there is an atmosphere in France—a tone, if you will—which, although hardly responsible for events like Carpentras, is very much part of the explanatory context in which such events take place. Richard Kaplan
À une époque où la gauche, aux États-Unis (les démocrates) comme en France, commence à manquer de boucs émissaires pour expliquer ses échecs (…)  cette intransigeance tribale se traduit par l’impossibilité de rallier les troupes pour gouverner. En France, le PS a dû utiliser l’article 49.3 pour adopter des réformes économiques tièdes. Aux États-Unis, réticent à négocier avec les républicains, le président Obama utilise maintenant son véto pour faire avancer ses dossiers. On peut déjà prédire que l’héritage de François Hollande ne jouera pas en faveur du candidat du PS au prochain scrutin présidentiel. Même chose aux États-Unis. Les observateurs qui se disent assurés que la démocrate Hillary Clinton est la prochaine présidente sous-estiment le boulet que représentera pour elle aux élections les huit années peu productives de l’administration Obama. Daniel Girard
Il y a d’abord l’immense frisson qui secoue la France. Frisson d’horreur, tant la profanation de Carpentras est odieuse, frisson de révolte face à l’antisémitisme. Le 14 mai, à Paris, une foule innombrable s’écoule de la République à la Bastille, et c’est la nation qu’elle incarne. Ce jour-là, pour la première fois depuis la Libération, un président de la République participe à une manifestation de rue: François Mitterrand accompagne le cortège quelques minutes. Tout l’éventail politique est au premier rang, en une ribambelle d’écharpes tricolores, et Jean-Marie Le Pen est rendu « responsable non pas des actes de Carpentras, mais de tout ce qui a été inspiré par la haine raciste depuis des années », comme le formule alors Pierre Joxe. Les piétinements de l’enquête ouvrent après l’été le chapitre du doute. Le sociologue Paul Yonnet le détaille, en septembre 1990, dans un article de la revue Le Débat intitulé « La machine Carpentras, histoire et sociologie d’un syndrome d’épuration ». Débordés par les progrès du lepénisme, les politiques auraient érigé Carpentras en drame national pour terrasser le Front national par un discrédit définitif. Et rétablir auprès de l’opinion une estime ruinée par la récente loi d’amnistie du financement politique. Dès la mi-juillet, Jean Hassoun, président de la communauté juive d’Avignon, avait confié cet état d’âme: « Nous nous demandons si nous n’avons pas fait l’objet d’une récupération politique. » Le malaise s’aggrave quand les pistes locales semblent emporter l’adhésion des enquêteurs. Messes noires qui auraient dégénéré, délinquance morbide de la jeunesse dorée de Carpentras, elles composent le troisième chapitre. Il va traîner en longueur, sans apporter aucun dénouement. (…) En s’enlisant, l’affaire Carpentras est en effet devenue une arme pour le Front National, un boomerang qu’il veut voir revenir à la face de l’ « establishment » politique. Dès le 10 mai 1991, un an après la profanation, Jean-Marie Le Pen porte une lettre à François Mitterrand, lui demandant de « réparer publiquement l’injustice dont le FN a été victime ». Et, le 11 novembre 1995, 7 000 militants d’extrême droite viennent à Carpentras réclamer des « excuses nationales ». « Carpentras, mensonge d’Etat », est alors en passe de devenir un argument majeur et récurrent de la rhétorique lepéniste. Les aveux brusques et tardifs du skinhead avignonnais, Yannick Garnier, imposent un épilogue qui est aussi un retour à la case départ. Politiquement, l’affaire, après avoir servi les intérêts du FN, se retourne contre lui. Les lepénistes hurlent déjà à la manipulation en affirmant que « les coupables sont presque parfaits », mais les faits, cette fois-ci, sont bien établis. (…) Trois types de profanations peuvent être distingués. Le premier est le vandalisme banal: en juin dernier, trois cimetières militaires de la Première Guerre mondiale ont été dévastés dans le Nord-Pas-de-Calais, et, le 26 juillet, cinq enfants âgés de dix à douze ans ont abîmé une centaine de tombes à Mulhouse. Le second type est la cérémonie satanique, comme, au début de juin, à Toulon, où les coupables ont été arrêtés. D’effroyables mises en scène accompagnent souvent ces actes, qui visent surtout les cimetières chrétiens, au nom de l’Antéchrist. A Toulon, un crucifix fut planté à l’envers dans le coeur du cadavre exhumé. Il y a enfin les profanations antisémites. Nombreuses, elles sont souvent gardées le plus secrètes possible par les autorités juives, pour éviter les « épidémies ». Dans le mois qui suivit Carpentras, 101 actes antisémites furent recensés, contre six par mois d’habitude. Christophe Barbier
Carpentras, c’était une manipulation. Hubert Védrine
[Yves Bertrand, le patron des RG] explique que au départ, les gens du CRIF (…) ne voulaient pas en faire une grande manifestation et que c’est Mitterrand lui-même qui a imposé la grande manifestation publique, qui a imposé l’itinéraire classique de gauche c’est-à-dire République-Bastille-Nation. Pour bien mettre ce combat dans les combats de la gauche et qui a ainsi manipulé tout le monde. Tout ça, pour empêcher évidemment une alliance entre  la droite – Chirac pour parler vite – et le Front national évidemment parce que si le Front national devenait une espèce de monstre nazi, évidemment on pouvait plus s’allier à lui. Et c’est la grande stratégie de Mitterrand sur quinze ans qui a permis à la gauche de rester au pouvoir pendant toutes ces années. Eric Zemmour
L’affaire avait provoqué une vive émotion au sein de la classe politique. Jacques Chirac avait condamné « avec force cet acte inqualifiable » et exprimé sa solidarité avec la communauté juive de France. Le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, s’était aussitôt rendu sur les lieux et avait rappelé que l’auteur de ce genre de fait encourait vingt ans de prison. Le maire de Paris, Bertrand Delanoë, avait même parlé de « barbares » . Quant au ministre israélien des Affaires étrangères, Silvan Shalom, il avait exhorté les autorités françaises à se montrer « plus dures » face aux actes antisémites. On sait désormais que l’incendie qui, dans la nuit du 21 au 22 août, a ravagé le centre social juif de la rue Popincourt, dans le 11e arrondissement de Paris, n’est pas un acte antisémite. Son auteur, Raphaël Ben Moha, est un juif séfarade de 52 ans, originaire de Casablanca, au Maroc, qui aurait agi par vengeance. Comme dans l’affaire de la fausse agression antisémite du RER D, il y a deux mois, les policiers ont tout de suite eu la puce à l’oreille au vu des indices retrouvés dans les décombres : les croix gammées dessinées à l’envers et la quarantaine d’inscriptions incohérentes taguées au feutre rouge. (…). Fait troublant : un feuilleton de la série « PJ » a été tourné pendant un week-end dans le centre de la rue Popincourt. L’épisode mettait en scène un incendie criminel perpétré par un juif dans une école israélite. Sauf que cela se passait il y a un an et demi et qu’à l’époque Raphaël Ben Moha ne fréquentait pas encore le centre. Apparemment, Ben Moha en voulait à sa communauté, à laquelle il reprochait de ne pas l’avoir suffisamment aidé. (…) Une fois encore, la classe politique a fait preuve de précipitation pour dénoncer un acte antisémite, alors que les premiers éléments d’enquête incitaient à la prudence. Si nul ne peut mettre en doute la montée des actes antisémites en France – déjà 298 enregistrés depuis début 2004, contre 108 en 2003 -, qualifier d’antisémites des affaires qui ne le sont pas contribue à semer la confusion dans les esprits. D’où la réaction, lundi 30 août, du président du consistoire de Paris, Moïse Cohen, qui a appelé les juifs et les politiques « à un peu plus de raison » . Et d’insister : « C’est une erreur de réagir à un fait divers sans appliquer le principe de précaution. »  Le Point
Tout dépend de quelle gauche on parle… La gauche mondaine, parisienne, celle de Saint-Germain-Des-Prés ? La gauche caviar de BHL ? (…)  La gauche qui préfère avoir tort avec Robespierre, Marx, Lénine, Staline, Mao, Khomeiny que raison avec Camus ? La gauche qui rend responsables Houellebecq, Finkielkraut et Zemmour des attentats du 7 janvier qu’elle ne veut pas nommer islamistes ? (…) La gauche qui traque la misogynie et la phallocratie partout dans la langue française et veut qu’on dise professeure et auteure mais qui ne voit pas que la polygamie, le voile, la répudiation, les mariages arrangés, l’excision, le chômage des mères seules au foyer, les ex-maris qui ne paient pas les pensions alimentaires,  font des ravages plus profonds en matière de phallocratie ? La gauche qui vote comme Sarkozy sur l’Europe et l’euro, le raccourcissement des retraites et l’augmentation du temps de travail, les restrictions de remboursements maladie,  et croit que le danger fasciste est partout sauf là où il est ? La gauche qui se croit antifasciste comme Jean Moulin quand elle appelle à interdire le parti de Marine Le Pen ? (…) Que cette gauche là ne m’aime pas, ça m’honore… (…) je préfère les girondins fédéralistes et provinciaux aux jacobins centralisateurs et coupeurs de têtes , et avec ça je suis de gauche – si Eléments est d’accord avec ça, devrai-je cesser de croire ce que je crois ? (…) Une certaine intelligentsia de gauche, comme vous dites, n’a jamais aimé que je ne sois pas du sérail et que je ne doive mon statut qu’à mon travail et non au copinage tribal qui fait l’essentiel de son quotidien. J’ai construit ma vie pour n’avoir rien à demander à personne.  Que cette tribu grosse comme un village papou fasse sa loi et fonctionne comme une mafia, c’est son affaire, pas la mienne. (…) Depuis que je juge la gauche sur ce qu’elle fait plus que sur ce qu’elle dit d’elle, je ne me fais plus avoir par les étiquettes. Il n’y a pas la gauche et la droite, mais des gens de gauche et des gens de droite. Et je n’estime pas une personne sur ces critères. Pas plus que l’athée que je suis ne juge autrui sur le fait qu’il croie ou non en Dieu, mais sur ce qu’il fait de son athéisme ou de sa foi dans sa vie quotidienne. Là aussi, là encore, je préfère un croyant intelligent à un athée imbécile. Je trouve même sidérant qu’on ait besoin de le dire, ce qui supposerait qu’un homme de gauche devrait préférer un crétin de gauche à un homme de droite intelligent…(…) Je ne me sens pas proche de BHL ou d’Alain Minc, ni de Jacques Attali qui, me dit-on, sont de gauche. Faudrait-il que je me sente proche pour cela d’intellectuels de droite ? Qui sont-ils d’ailleurs ? Concluez si vous voulez que je préfère une analyse juste d’Alain de Benoist à une analyse injuste de Minc, Attali ou BHL et que je préférais une analyse qui me paraisse juste de BHL à une analyse que je trouverais injuste d’Alain de Benoist … Les Papous vont hurler ! Mais ils ne me feront pas dire que je préfère une analyse injuste de BHL sous prétexte qu’il dit qu’il est de gauche et que Pierre Bergé, Libération, Le Monde et le Nouvel Observateur, pardon, L’Obs affirment aussi qu’il le serait … Michel Onfray
J’ai dit que je préférais une idée juste d’Alain de Benoist à une idée fausse de Bernard-Henri Lévy, et que si l’idée était juste chez Bernard-Henri Lévy et fausse chez Alain de Benoist,  je préférerais l’idée juste de Bernard-Henri Lévy. Donc, je n’ai jamais dit que je préférais Alain de Benoist à Bernard-Henri Lévy. (…) Je fais juste mon travail de philosophe en disant que je préfère une idée juste, et mon problème n’est pas de savoir si cette idée juste est de droite ou de gauche. J’ai l’impression que Manuel Valls pense le contraire, c’est à dire qu’il préfère une idée fausse, pourvu qu’elle soit de gauche, à une idée juste si elle de droite. Michel Onfray
Quand un philosophe connu, apprécié par beaucoup de Français, Michel Onfray, explique qu’Alain de Benoist, qui était le philosophe de la Nouvelle droite dans les années 70 et 80, qui d’une certaine manière a façonné la matrice idéologique du Front national, avec le Club de l’Horloge, le Grèce, (…) au fond vaut mieux que Bernard-Henri Lévy, ça veut dire qu’on perd les repères. (…) dans ce moment-là, mon rôle, le rôle des formations politiques, c’est de faire en sorte qu’on comprenne quels sont les enjeux. Manuel Vals
Force est de constater qu’on a trop souvent dans le passé joué avec le Front national. À gauche, en l’instrumentalisant. À droite, en pratiquant le déni. Passez-moi le mot : il faut « reprioriser » les choses. Il y a aura toujours une droite et une gauche, des différences entre elles et aussi, bien sûr, des confrontations. Mais aujourd’hui, la priorité commune, c’est le combat contre le FN. La droite doit en finir avec les facilités qui ont été trop longtemps les siennes et ce degré de porosité avec le FN imputable aux « buissonneries » d’hier. La gauche, elle, doit cesser d’être naïve ou idéaliste. Quant à la gauche de la gauche, se rend-elle compte que ses outrances anti-économiques, sa haine de l’Europe et du capitalisme ont comme seul résultat de saper les fondements de la République? Je suis effrayé quand je lis dans Le Point sous la plume de Michel Onfray que mieux vaut Alain de Benoist plutôt que Bernard-Henri Lévy. Mais où va-t-on? Toutes ces dérives creusent le sillon de Marine Le Pen. Je dis à tous : ne soyez ni naïfs, ni opportunistes, ni sectaires. Reprenez-vous! Et je pourrais dire la même chose au patronat, aux syndicats, aux autorités religieuses et à beaucoup d’intellectuels. Jean-Marie Le Guen
Quand Manuel Valls, dimanche, « revendique la stigmatisation de Marine Le Pen », il érige en martyr du Système celle qui ne cesse de se présenter comme telle avec un succès croissant. Alors que la diabolisation du FN est une stratégie d’appareil qui perd de plus en plus ses effets d’intimidation auprès d’électeurs excédés, c’est pourtant vers cette solution contre-productive que se précipite à nouveau le premier ministre. Il explique : « Mon angoisse (…) : j’ai peur pour mon pays qu’il se fracasse sur le Front national ». Mais la France n’a pas eu besoin du FN pour s’être déjà fracassée sur le chômage, l’endettement, le matraquage fiscal, la paupérisation, l’insécurité, la déculturation, l’immigration de peuplement, etc. C’est parce que ces sujets ne cessent de s’amplifier, faute de réformes adéquates, que Marine Le Pen est passée en tête dans les sondages. Quand Valls s’alarme de la voir « gagner l’élection présidentielle de 2017 », il ferait mieux de se demander pourquoi, au lieu de sortir les gourdins. Un chef du gouvernement qui, en s’attaquant au FN, prend une conséquence pour une cause tient un raisonnement bancal qui annonce l’échec. (…) Illustration avec le diagnostic du premier ministre, établi le 20 janvier, sur « l’apartheid territorial, social, ethnique qui s’est imposé à notre pays ». Rien n’est plus faux que ce constat d’une politique voulue de séparation raciale, même si le communautarisme ethnique est bien une réalité. Or c’est sur cette assise idéologique, irréaliste dès le départ, que le gouvernement entend construire sa « politique de peuplement », dont les termes laissent poindre l’autoritarisme déplacé. Cette politique vise à imposer partout la « mixité sociale » (entendre : mixité ethnique) dans le cadre, explique Valls, d’un « projet de société répondant aux exigences des Français exprimées le 11 janvier », c’est-à-dire lors de la grande manifestation en solidarité aux victimes des attentats. Or non seulement cette instrumentalisation partisane du 11 janvier est choquante, mais il est irresponsable de déplorer les ghettos et de ne rien faire pour interrompre l’immigration du tiers-monde qui ne cesse de les consolider. Ivan Rioufol
C’est l’histoire d’une pièce de théâtre qui connut jadis un immense succès, mais dont le texte a vieilli. Les ficelles dramatiques paraissent convenues et désormais surjouées par un acteur grandiloquent devant une salle aux trois-quarts vides. C’est la République en danger, le fachisme ne passera pas ou, pour faire plaisir à l’acteur, « no pasaran ». Manuel Valls peut tout jouer, mal mais tout. Alors qu’il est en campagne pour des élections locales, il a déjà déclenché le programme spécial 21 avril 2002. Les loups sont entrés dans Paris. C’est trop tôt ou trop tard. A l’époque, le candidat vaincu Lionel Jospin n’avait pas tardé à reconnaître que tout cela était du théâtre, qu’aucun danger fasciste ne menaçait la République. En 2002, Manuel Valls était conseiller en communication du Premier ministre, et François Hollande, premier secrétaire du PS. Ah, ce n’est pas que les deux hommes ne désirent pas revivre un pareil séisme, mais ils veulent seulement que ce soit à leur profit. Car la seule chance de réélection de Hollande est de se retrouver au second tour face à Marine Le Pen. Le Président fait donc tout pour en faire la seule opposition, à la fois en majesté et diabolisée. Valls met son énergie et son sens de la démesure au service de cette tactique exclusive. Les deux hommes achèvent ainsi le travail commencé il y a trente ans par François Mitterrand: l’ancien président avait alors réussi à casser la droite en trois morceaux irréconciliables.  (…) La manoeuvre est limpide et poursuit trois objectifs successifs. 1) « réveiller et rameuter un peuple de gauche chauffé artificiellement au feu antifasciste ». 2) culpabiliser la gauche de la gauche, de Mélenchon à Duflot ». 3) préparer le troisième tour des départementales lors de l’élection des présidents des conseils généraux pour casser l’UMP entre ceux qui pactiseraient avec le diable. Eric Zemmour

Attention: un fascisme peut en cacher un autre !

Rassemblement républicain, apartheid social, profanations de cimetières juifs, stigmatisation de Marine Le Pen, excommunication de malpensants …

A l’heure où des deux côtés de l’Atlantique la même gauche ne gouverne désormais plus qu’à coup de décrets …

Et où à la veille d’une nouvelle élection (pour des départements appelés à être supprimés ?) annoncée catastrophique pour la gauche au pouvoir …

Mais surtout, pour les présidentielles de 2017, d’une probable réédition du 21 avril 2002 …

Le gouvernement Hollande-Valls en rajoute, entre appels à la « stigmatisation » et au « peuplement« , dans la bonne vieille démagogie anti-fasciste …

Comment ne pas repenser avec Eric Zemmour mais aussi avec le demi-aveu du responsable PS Jean-Marie Le Guen …

Aux paroles de Lionel Jospin …

Rappelant lui-même il y a quelques années que l’antifascisme des années mitterrandistes n’étaient en fait « que du théâtre » ?

Et donc comment ne pas voir …

Derrière notamment la « manipulation » de Carprentas (dixit Hubert Védrine) suite à la fausse attribution au Front national d’une profanation de tombes juives par cinq jeunes néonazis

La stratégie miterrandienne de plus en plus évidente, de la part d’un pouvoir à nouveau aux abois, de se bricoler un 21 avril à l’envers …

Où après l’impossible choix de 2002 entre l’escroc Chirac et le facho Le Pen …

Les électeurs français se verraient contraints et forcés de choisir …

Entre la prétendue facho Le Pen fille et le véritable zozo Hollande ?

En France comme en Amérique, la logique tribale de la gauche exaspère
La gauche est en crise, et menace de perdre ses soutiens les plus fidèles.

Daniel Girard.

Contrepoints

11 mars 2015

Que se passe-t-il avec la gauche ? La question se pose tant en France qu’en Amérique. En France, la gauche est incarnée par le gouvernement socialiste de François Hollande. Le PS a déçu plus que des partisans ; il a aussi secoué des alliés traditionnels par son choix de combats.

Alain Finkielkraut est l’un de ces penseurs déçus par les politiques du Parti socialiste. Tellement, qu’il répudie la gauche. « Je ne suis plus de gauche, dit-il, car la gauche a trahi sa promesse républicaine en précipitant le désastre de l’école au nom de l’égalité. » Le philosophe ne digère pas l’abandon de l’exigence de la langue française et la fin de la rigueur pour inclure le plus grand nombre.

Il déplore aussi la prédominance du politiquement correct qui tue dans l’œuf tout débat. « Ce n’est pas en dissimulant la réalité sous le voile de la « bien-pensance » qu’on résoudra les problèmes », s’est-il récemment écrié.

La colère de Michel Onfray

Alain Finkielkraut n’est pas le seul à être désabusé. Le philosophe Michel Onfray ne se reconnaît pas lui non plus dans les luttes menées par la gauche « bien-pensante ». Dans une chronique dans Le Point intitulée « Cette mafia qui se réclame de la gauche », il tire à boulets rouges sur « cette gauche qui préfère avoir tort avec Robespierre, Marx, Lénine, Staline, Mao, Khomeiny plutôt que raison avec Camus ».

Une gauche, dit-il, « qui traque la misogynie et la phallocratie partout dans la langue française (…) mais qui ne voit pas que la polygamie, le voile, la répudiation, les mariages arrangés, l’excision, le chômage, les mères seules (…) font des ravages plus profonds en matière de phallocratie. »

Michel Onfray s’élève contre cette intelligentsia de gauche qui lui en veut de n’être pas du sérail, qui digère mal qu’il ne doive rien à personne et qu’il ait connu son succès grâce au travail et non au copinage tribal.

La volte-face de David Mamet

Le concept d’appartenance tribale évoqué par Michel Onfray est au centre du reniement de la gauche du dramaturge David Mamet. L’auteur était un enfant chéri de la gauche américaine. Deux de ses œuvres théâtrales American Buffalo et Glengarry Glen Ross, sont inscrites à jamais dans l’imaginaire progressiste américain. En 2008, David Mamet avait dit à une gauche abasourdie qu’il était devenu conservateur. Depuis ce temps, il vit avec l’hostilité de beaucoup de ceux qui, avant 2008, ne juraient que par lui.

À une époque où la gauche, aux États-Unis (les démocrates) comme en France, commence à manquer de boucs émissaires pour expliquer ses échecs, les réflexions de David Mamet n’ont jamais été aussi opportunes. David Mamet trouvait difficile de discuter avec la gauche. Dans une discussion, dit-il, il faut faire l’effort de comprendre le point de vue de l’autre, même si on ne le partage pas.

Pour lui, les gens de gauche rejettent les autres points de vue sans même les examiner. Ce qui les intéresse, c’est de savoir si vous êtes d’accord. Ils sondent votre opinion sur une foule de sujets allant de l’avortement au réchauffement climatique, à la recherche d’indices pour vous disqualifier. Dès qu’ils vous ont pris en défaut, ils ne veulent plus discuter avec vous, vous n’appartenez pas à leur tribu.

Pas de lendemains qui chantent

Tant en France qu’en Amérique, cette intransigeance tribale se traduit par l’impossibilité de rallier les troupes pour gouverner. En France, le PS a dû utiliser l’article 49.3 pour adopter des réformes économiques tièdes. Aux États-Unis, réticent à négocier avec les républicains, le président Obama utilise maintenant son véto pour faire avancer ses dossiers.

On peut déjà prédire que l’héritage de François Hollande ne jouera pas en faveur du candidat du PS au prochain scrutin présidentiel. Même chose aux États-Unis. Les observateurs qui se disent assurés que la démocrate Hillary Clinton est la prochaine présidente sous-estiment le boulet que représentera pour elle aux élections les huit années peu productives de l’administration Obama.

Voir aussi:

Jean-Marie Le Guen : « On a trop souvent joué avec le FN »

JDD

8 mars 2015

INTERVIEW – Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’Etat (PS) aux Relations avec le Parlement revient sur son analyse politique qu’il vient de rediger pour la Fondation Jean-Jaurès.
Secrétaire d’État aux Relations avec le Parlement et très proche de Manuel Valls, Jean-Marie Le Guen vient de rédiger pour la Fondation Jean-Jaurès une analyse politique de 36 pages (« Front national, le combat prioritaire de la gauche »), qui, à gauche, fera date. S’adressant à l’ensemble du camp républicain (droite, gauche, gauche de la gauche) et estimant que « personne ne peut être exonéré de sa propre responsabilité » (dans la montée en puissance d’un parti « xénophobe et anti-européen », désormais aux portes du pouvoir), Le Guen tire la sonnette d’alarme. « Il est temps de reconnaître que la lutte contre le FN est prioritaire », proclame-t-il.

Le ton de votre analyse est de bout en bout grave. « Le Front national, écrivez-vous d’emblée, peut l’emporter »…

Mon ton est grave parce que la gravité de la situation du pays renforce la gravité de la situation née du défi du Front national. Ce parti n’est pas un produit de circonstance. Ce n’est pas – ou pas seulement, ce serait trop facile – la conséquence de la « mal-politique », de gauche et de droite. La mondialisation, la crise de l’Europe telle qu’elle est, le danger terroriste, les retards pris dans l’accouchement d’un islam de France, le malaise profond de tant de quartiers, le chômage de masse qu’on ne pourra pas terrasser en quelques mois : c’est de tout cela que se nourrit le Front national. Or, forcément, bien au-delà des cantonales, la crise va durer…

Que faire?

Force est de constater qu’on a trop souvent dans le passé joué avec le Front national. À gauche, en l’instrumentalisant. À droite, en pratiquant le déni. Passez-moi le mot : il faut « reprioriser » les choses. Il y a aura toujours une droite et une gauche, des différences entre elles et aussi, bien sûr, des confrontations. Mais aujourd’hui, la priorité commune, c’est le combat contre le FN. La droite doit en finir avec les facilités qui ont été trop longtemps les siennes et ce degré de porosité avec le FN imputable aux « buissonneries » d’hier. La gauche, elle, doit cesser d’être naïve ou idéaliste. Quant à la gauche de la gauche, se rend-elle compte que ses outrances anti-économiques, sa haine de l’Europe et du capitalisme ont comme seul résultat de saper les fondements de la République? Je suis effrayé quand je lis dans Le Point sous la plume de Michel Onfray que mieux vaut Alain de Benoist plutôt que Bernard-Henri Lévy. Mais où va-t-on? Toutes ces dérives creusent le sillon de Marine Le Pen. Je dis à tous : ne soyez ni naïfs, ni opportunistes, ni sectaires. Reprenez-vous! Et je pourrais dire la même chose au patronat, aux syndicats, aux autorités religieuses et à beaucoup d’intellectuels.

Insister à ce point sur la menace Front national, n’est-ce pas en faire le pivot de la vie politique?
Comme je l’écris, il s’agit de « mettre fin au déni devant une menace majeure ». En ne nous trompant pas, j’insiste, de priorités. Pardonnez-moi de me citer encore : « Il est des époques où la République peut se mettre au service de l’idéal socialiste. Mais d’autres, comme aujourd’hui, où c’est le socialisme qui doit se mettre au service de la République. » C’est clair, non? Je vais être plus direct encore : sortir de l’Europe, sortir de l’euro, ce serait faire de nos actuels partenaires des adversaires, donc entrer dans une logique de concurrence acharnée qui, tôt ou tard, déboucherait immanquablement sur une véritable guerre économique. Ayons en tête ce que nous disait François Mitterrand il y a quelques années : le nationalisme, c’est la guerre. Oui, le nationalisme version dévoyée et agressive du patriotisme, c’est la guerre.

Voir également:

Départementales
Avant d’aller aux urnes, le PS proclame sa défaite
La PS s’attend à perdre près de la moitié des départements qu’il dirige alors que la réforme territoriale est toujours au stade de l’esquisse
Stéphane Grand

L’Opinion

20 octobre 2014

A un peu moins de six mois des élections départementales, les 22 et 29 mars, le Parti socialiste ne fanfaronne pas. Chose rare, ses cadres ne cachent pas qu’ils anticipent une nouvelle « correction d’ampleur». Pour ce nouveau rendez-vous électoral, qui aura valeur de test pour François Hollande et Manuel Valls, la direction socialiste s’attend à un séisme d’une même magnitude que lors des municipales en mars 2014. Rue de Solférino, les projections sont pessimistes. Dans cette ambiance mortifère, la direction nationale essaye de préparer les esprits. « On peut avoir une très mauvaise séquence électorale, tranche d’emblée Jean-Christophe Cambadélis, le Premier secrétaire. On peut perdre 35 départements ».

A ce jour, le PS et ses alliés (radicaux de gauche et dans une moindre mesure le Parti communiste) gèrent près des deux tiers des conseils généraux, avec 60 présidences sur les 101 assemblées départementales (métropole et outre-mer). Dans les prévisions les plus sombres, il pourrait ne rester dans la corbeille socialiste que 25 départements. « Il y a 20 ans de conquête départementale qui vont peut-être partir en fumée », peste un premier fédéral, lui même sur la sellette en mars prochain. Tout cela sur fond de réforme territoriale, portée par Manuel Valls, qui prévoit de faire la peau, en partie, aux départements.

« Comment voulez-vous sérieusement être crédible quand un jour, on vous dit qu’on va les supprimer et qu’ensuite, le gouvernement assure que les départements vont être pérennisés dans les zones rurales, s’énerve un baron socialiste. C’est mortel. » Le PS a donc les mains moites avant ce futur rendez-vous départementales sachant que le pire pour la gauche viendra dans la foulée, avec les élections régionales en décembre 2015. «N’oublions pas le vote sanction, s’autorise un député breton. On continue à transformer l’or en plomb. Il faut s’attendre à une nouvelle baffe. Le gouvernement n’a que des mauvaises nouvelles à annoncer, les urnes vont en être le réceptacle… »

Du coup, certains remettent en cause la logique de la réforme territoriale. « Je n’ai jamais rencontré un Français qui faisait des insomnies du fait du millefeuille territorial, reconnaît un ministre, anciennement président d’un département. Je suis perplexe sur ces transferts de compétences des départements vers les régions, peut-être qu’il aurait plutôt fallu porter un bloc de cohérence».

Le PS doit surtout revoir sa stratégie électorale, gênée directement par le Front national. « Localement, il peut y avoir une foule de mini-21 avril, » prévient un élu qui pronostique que dans de nombreux cantons, le candidat socialiste pourrait arriver en troisième position, derrière ses adversaires UMP et frontiste. « Que fait-on si nous sommes en mesure de nous maintenir pour le second tour? s’interroge un dignitaire socialiste. Si nous décidons nationalement de nous retirer, au nom du sacro-saint principe de front républicain, nous prenons aussi le risque qu’il n’y ait plus d’élu socialiste dans certaines assemblées ». En raison du mode de scrutin, le risque est d’ailleurs encore pire aux élections régionales. La direction du PS va d’ailleurs commencer de longues et périlleuses discussions avec ses partenaires de gauche, avec l’ambition de limiter les dégâts.

Départementales
Avant d’aller aux urnes, le PS proclame sa défaite
La PS s’attend à perdre près de la moitié des départements qu’il dirige alors que la réforme territoriale est toujours au stade de l’esquisse

Voir encore:

Cambadélis : «Le PS peut perdre énormément»
Solenn de Royer
23/11/2014

VIDÉO – Le premier secrétaire du Parti socialiste, qui était invité dimanche soir au Grand jury Le Figaro-RTL-LCI, redoute les élections départementales et régionales de 2015.

Il est «trop tôt» pour parler des primaires. Pour le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, le débat lancé par le secrétaire d’État Thierry Mandon la semaine dernière n’est pas d’actualité. «Mandon est ministre de la Simplification administrative, pas de la complication des affaires du PS», a taclé le patron du PS dimanche soir devant le Grand jury Le Figaro-RTL-LCI. Cambadélis aurait préféré que Mandon «mesure ses propos» et ne «s’embarque» pas dans cette «histoire compliquée». Car, selon lui, les Français sont encore «loin de la présidentielle». «Le PS doit se concentrer sur la réussite du quinquennat», a-t-il insisté, tout en précisant que cette question des primaires à gauche serait traitée en 2016, pas avant.

Interrogé sur les «affaires» qui ternissent le quinquennat de François Hollande, le premier secrétaire du PS a défendu un président qui savait trancher quand il le fallait. Ce qu’il a fait par exemple avec Kader Arif, qui a démissionné du gouvernement après avoir été mis en cause par la justice. Le patron du PS a également condamné la campagne menée par l’ex-compagne du président Valérie Trierweiler, qui fait la promotion de son livre en Angleterre ces jours-ci. «Attaquer, ridiculiser le président à l’étranger, ça me met vraiment mal à l’aise, a-t-il dit. Valérie Trierweiler ne se rend plus compte des conséquences de ses propos. Ça implique la France. Ça donne une image déplorable des Français.» Et le patron du PS d’ironiser: «Je savais que la vengeance était un plat qui se mangeait froid, mais je ne savais pas que ce plat se mangeait plusieurs fois.»

Deux candidats de droite au premier tour de la présidentielle de 2017
Alors que selon le magazine allemand Der Spiegel à paraître lundi, le ministre de l’Économie, Emmanuel Macron pourrait présenter jeudi un assouplissement des 35 heures et un gel des salaires, de concert avec son homologue allemand, Sigmar Gabriel, le patron du PS a indiqué que la question des salaires n’était pas le souci de l’économie française. Il a également fermé la porte à un assouplissement des 35 heures. «Si la droite avait voulu les supprimer, elle l’aurait fait, a-t-il noté. Or elle ne l’a pas fait. Ce n’est pas le sujet du jour.»

Le patron du PS a plaidé aussi pour l’unité à gauche, en vue des élections régionales et départementales de 2015. «Si nous sommes désunis, et ça en prend le chemin, le PS peut perdre, énormément, a-t-il mis en garde. Mais le PC peut disparaître et les écologistes ne plus avoir de représentation.» Il a estimé enfin que les deux droites, celles d’Alain Juppé et celle de Nicolas Sarkozy, étaient irréconciliables. Selon lui, il ne serait pas étonnant qu’il y ait deux candidats de droite au premier tour de la présidentielle de 2017. Tout comme il y aura plusieurs candidats de gauche. Ce qui fera le jeu du FN, a-t-il regretté.

POLITIQUE La formule est chargée en sous-entendus ethniques selon des experts…

Voir de plus:

Manuel Valls veut une «politique du peuplement pour lutter contre la ghettoïsation, la ségrégation»
20 minutes

23.01.2015

Un comité interministériel se réunira contre les inégalités «dans les quartiers»
Selon Valls, les politiques publiques n’ont pas permis d’éviter «la relégation, le regroupement ethnique, religieux» ni permis «la mixité des populations»
«Dans ces écoles on ne trouve que des élèves issus de familles pauvres, souvent monoparentales, issues uniquement de l’immigration», constate le Premier ministre
Deux jours après avoir évoqué un «apartheid», Manuel Valls enfonce le clou. Jeudi, Premier ministre a annoncé lors d’une conférence de presse à Matignon qu’un comité interministériel consacré à la lutte contre les inégalités «dans les quartiers» se tiendra en mars, après une «phase de débats» pour «prendre les décisions qui s’imposent».

Pour Manuel Valls, il ne faut «pas seulement une politique du logement et de l’habitat» mais une «politique du peuplement». Une «politique du peuplement pour lutter contre la ghettoïsation, la ségrégation», a-t-il plaidé. Les politiques publiques menées «depuis 30 ans», n’ont pas permis d’éviter «la relégation, le regroupement ethnique, religieux» ni permis «la mixité des populations», a fait valoir le locataire de Matignon.

Aller «plus loin» que la seule politique du logement
«Je ne supporte pas, comme républicain, de voir cet enfermement, cette relégation dans un certain nombre de ces quartiers (…), que dans des écoles on ne trouve que des élèves issus de familles pauvres, souvent monoparentales, issues uniquement de l’immigration, des mêmes cultures et de la même religion», a-t-il poursuivi.

Que désigne cette «politique du peuplement»? Dans le langage des sociologues et des experts de la politique de la ville, il s’agit des mesures prises pour imposer la «mixité sociale» dans un quartier ou une commune, notamment dans les procédures d’attribution des logements sociaux. «L’idée, c’est de casser ces logiques de ségrégation sociale, et donc de renforcer la mixité sociale», d’aller «plus loin» que la seule politique du logement, a tenté d’expliciter l’entourage du Premier ministre.

«Une phase de communication dure»
Mais nombre y ont vu une nouvelle référence ethnique, alors que mardi, lors de ses voeux à la presse, Manuel Valls avait suscité la controverse en évoquant «un apartheid social, territorial et ethnique» qui se serait «imposé» à la France.

«Manuel Valls reste là dans la rhétorique de l’apartheid. Il est dans une phase de communication dure», souligne le géographe Christophe Guilly, spécialiste des quartiers difficiles et du logement social. Selon l’auteur de «la France périphérique», «il marque qu’il a compris les tensions de la société française et qu’il va se montrer ferme sur le sujet» même s’il n’a pas de solution clé en mains».

Voir de même:

Sur le FN, Manuel Valls pense à l’envers
Ivan Rioufol

Liberté d’expression

9 mars 2015

La droite et la gauche répètent que le Front national menace la France. Leur semblable complexe de supériorité leur interdit de constater qu’elles sont elles-mêmes, en réalité, les causes de la crise politique qui affaiblit la nation. La constante progression du FN n’est que la conséquence de leurs propres refus à s’adresser aux Oubliés, ces « populistes » qui ont le mauvais goût de se réclamer de la démocratie et de ses règles. Or il faut bien constater la même incapacité de l’UMP et du PS à corriger cette grossière erreur de jugement. Se confirme, singulièrement à gauche, une réticence à aborder la vie des gens autrement qu’avec des idées tordues. Quand Manuel Valls, dimanche, « revendique la stigmatisation de Marine Le Pen », il érige en martyr du Système celle qui ne cesse de se présenter comme telle avec un succès croissant. Alors que la diabolisation du FN est une stratégie d’appareil qui perd de plus en plus ses effets d’intimidation auprès d’électeurs excédés, c’est pourtant vers cette solution contre-productive que se précipite à nouveau le premier ministre. Il explique : « Mon angoisse (…) : j’ai peur pour mon pays qu’il se fracasse sur le Front national ». Mais la France n’a pas eu besoin du FN pour s’être déjà fracassée sur le chômage, l’endettement, le matraquage fiscal, la paupérisation, l’insécurité, la déculturation, l’immigration de peuplement, etc. C’est parce que ces sujets ne cessent de s’amplifier, faute de réformes adéquates, que Marine Le Pen est passée en tête dans les sondages. Quand Valls s’alarme de la voir « gagner l’élection présidentielle de 2017 », il ferait mieux de se demander pourquoi, au lieu de sortir les gourdins.

Un chef du gouvernement qui, en s’attaquant au FN, prend une conséquence pour une cause tient un raisonnement bancal qui annonce l’échec. Le philosophe Michel Onfray vise juste quand il réplique au premier ministre : « J’ai l’impression que Manuel Valls (…) préfère une idée fausse, pourvu qu’elle soit de gauche, à une idée juste, si elle est de droite ». Illustration avec le diagnostic du premier ministre, établi le 20 janvier, sur « l’apartheid territorial, social, ethnique qui s’est imposé à notre pays ». Rien n’est plus faux que ce constat d’une politique voulue de séparation raciale, même si le communautarisme ethnique est bien une réalité. Or c’est sur cette assise idéologique, irréaliste dès le départ, que le gouvernement entend construire sa « politique de peuplement », dont les termes laissent poindre l’autoritarisme déplacé. Cette politique vise à imposer partout la « mixité sociale » (entendre : mixité ethnique) dans le cadre, explique Valls, d’un « projet de société répondant aux exigences des Français exprimées le 11 janvier », c’est-à-dire lors de la grande manifestation en solidarité aux victimes des attentats. Or non seulement cette instrumentalisation partisane du 11 janvier est choquante, mais il est irresponsable de déplorer les ghettos et de ne rien faire pour interrompre l’immigration du tiers-monde qui ne cesse de les consolider. Nombreux sont les électeurs du FN qui ont fui les cités d’immigration pour rejoindre les périphéries. Ceux-là n’ont aucune envie de cohabiter à nouveau, contraint et forcés, avec ceux qui ne partagent pas leur mode de vie. Mettre en place une telle politique, c’est jouer Marine Le Pen. Valls pense à l’envers. Il en devient donc inconséquent.

Voir aussi:

Michel Onfray: « Cette mafia qui se réclame de la gauche »

Le Point

25 février 2015

INTERVIEW. Le philosophe fustige la gauche bien-pensante. Assez pour que la droite le récupère…

Propos recueillis par Sébastien LE FOL©

1. Une partie de la gauche est devenue très hostile à votre égard. Votre opposition à la théorie du genre, votre critique de l’islam et votre défense d’Eric Zemmour vous ont valu le surnom de « Finkielkraut bis ». Auriez-vous basculé du « côté obscur de la force » ?

Tout dépend de quelle gauche on parle… La gauche mondaine, parisienne, celle de Saint-Germain-Des-Prés ? La gauche caviar de BHL ? La gauche tellement libérale qu’elle défend la vente d’enfants en justifiant la location d’utérus des femmes pauvres pour des couples riches ? La gauche de Pierre Bergé qui estime que louer son ventre c’est la même chose que travailler comme caissière ? La gauche qui préfère avoir tort avec Robespierre, Marx, Lénine, Staline, Mao, Khomeiny que raison avec Camus ? La gauche qui rend responsables Houellebecq, Finkielkraut et Zemmour des attentats du 7 janvier qu’elle ne veut pas nommer islamistes ? La gauche de Libération qui, le 20 janvier 2014, justifie la zoophilie et la coprophagie avec la philosophe Beatriz Preciado, chroniqueuse du dit journal ? La gauche qui fit de Bernard Tapie son héros et un ministre ? La gauche qui a vendu une télévision publique à Berlusconi ? La gauche qui traque la misogynie et la phallocratie partout dans la langue française et veut qu’on dise professeure et auteure mais qui ne voit pas que la polygamie, le voile, la répudiation, les mariages arrangés, l’excision, le chômage des mères seules au foyer, les ex-maris qui ne paient pas les pensions alimentaires,  font des ravages plus profonds en matière de phallocratie ? La gauche qui vote comme Sarkozy sur l’Europe et l’euro, le raccourcissement des retraites et l’augmentation du temps de travail, les restrictions de remboursements maladie,  et croit que le danger fasciste est partout sauf là où il est ? La gauche qui se croit antifasciste comme Jean Moulin quand elle appelle à interdire le parti de Marine Le Pen ? La gauche de ceux qui croient à la liberté de la presse, à la liberté d’expression, bien sûr, mais qui m’interdit France-Inter pendant quatre années ou demande qu’on interdise la diffusion de mon cours sur Freud à France-Culture en initiant une pétition contre moi au nom de la liberté d’expression ? La gauche du sénateur socialiste qui intervient auprès du président du Conseil régional de Basse-Normandie pour faire sauter la subvention de l’université populaire à la demande d’une historienne de la psychanalyse qui elle aussi, bien sûr, est de gauche? La gauche qui détruit l’école parce qu’elle sait que ses enfants sortiront de toute façon du lot, puisqu’ils s’en occupent chez eux et qui, de ce fait, renvoie les enfants de pauvres dans les caniveaux où Marine Le Pen, ou le Djihad,  les récupère ? Que cette gauche là ne m’aime pas, ça m’honore… En revanche, je ne compte pas le nombre de gens vraiment de gauche qui me disent, dans la rue, par mails, par courrier, à l’issue mes conférences, qu’ils sont d’accord avec moi, mais n’osent pas le dire parce qu’il règne une terreur idéologique activée par cette mafia qui se réclame de la gauche…

2. Même la revue de la Nouvelle Droite, Eléments, vous tresse des lauriers….Y aurait-il un malentendu ?

Je suis antilibéral, contre l’euro et l’Europe, pour les peuples, je défend un socialisme proudhonien, mutualiste et fédéraliste, je crois au génie du peuple tant que les médias de masse ne l’abrutissent pas pour le transformer en masse abêtie qui jouit de la servitude volontaire et descend dans la rue comme un seul homme au premier coup de sifflet médiatique, je ne crois pas que le marché doive faire la loi, je ne fais pas de l’argent l’horizon indépassable de toute éthique et de toute politique , je préfère les girondins fédéralistes et provinciaux aux jacobins centralisateurs et coupeurs de têtes , et avec ça je suis de gauche – si Eléments est d’accord avec ça, devrai-je cesser de croire ce que je crois ?

3. Dans « L’ordre libertaire : la vie philosophique d’Albert Camus », vous faisiez une critique implacable de la « gauche totalitaire ». Ce livre n’a-t-il pas marqué une rupture définitive entre une certaine intelligentsia de gauche et vous ?

Une certaine intelligentsia de gauche, comme vous dites, n’a jamais aimé que je ne sois pas du sérail et que je ne doive mon statut qu’à mon travail et non au copinage tribal qui fait l’essentiel de son quotidien. J’ai construit ma vie pour n’avoir rien à demander à personne.  Que cette tribu grosse comme un village Papou fasse sa loi et fonctionne comme une mafia, c’est son affaire, pas la mienne. J’ai créé une université populaire il y a treize ans à Caen, en province, pour lutter contre la présence de Le Pen au second tour des présidentielles, cette UP fonctionne à merveille avec une vingtaine d’amis. J’y travaille bénévolement et les cours sont gratuits. C’est ma façon d’être de gauche car se dire de gauche compte pour rien si l’on ne vit pas une vie de gauche, à savoir une vie dans laquelle on incarne les idéaux de gauche – banalement : liberté, égalité, fraternité, laïcité, féminisme.  Cette intelligentsia n’en parle jamais alors que mille personnes viennent chaque lundi à mon cours. L’arbitre des élégances n’est pas pour moi ce village papou, mais ce peuple qui vient.

4. « Moi qui suis de gauche, je préfère un homme de droite intelligence à un homme de gauche débile », avez-vous déclaré au Figaro. La droite serait-elle de plus en plus intelligente ? Et à contrario la gauche serait-elle de plus en plus débile ?

Depuis que je juge la gauche sur ce qu’elle fait plus que sur ce qu’elle dit d’elle, je ne me fais plus avoir par les étiquettes. Il n’y a pas la gauche et la droite, mais des gens de gauche et des gens de droite. Et je n’estime pas une personne sur ces critères. Pas plus que l’athée que je suis ne juge autrui sur le fait qu’il croie ou non en Dieu, mais sur ce qu’il fait de son athéisme ou de sa foi dans sa vie quotidienne. Là aussi, là encore, je préfère un croyant intelligent à un athée imbécile. Je trouve même sidérant qu’on ait besoin de le dire, ce qui supposerait qu’un homme de gauche devrait préférer un crétin de gauche à un homme de droite intelligent…

5. Quels sont les intellectuels de droite dont vous vous sentez le plus proche ?

Je ne me sens pas proche de BHL ou d’Alain Minc, ni de Jacques Attali qui, me dit-on, sont de gauche. Faudrait-il que je me sente proche pour cela d’intellectuels de droite ? Qui sont-ils d’ailleurs ? Concluez si vous voulez que je préfère une analyse juste d’Alain de Benoist à une analyse injuste de Minc, Attali ou BHL et que je préférais une analyse qui me paraisse juste de BHL à une analyse que je trouverais injuste d’Alain de Benoist … Les Papous vont hurler ! Mais ils ne me feront pas dire que je préfère une analyse injuste de BHL sous prétexte qu’il dit qu’il est de gauche et que Pierre Bergé, Libération, Le Monde et le Nouvel Observateur, pardon, L’Obs affirment aussi qu’il le serait…

6. Y a-t-il un homme politique de droite pour lequel vous seriez prêt à voter ?

Aucun. Ni d’ailleurs aucun un homme de gauche. C’est fini l’époque où je croyais aux bateleurs de la politique politicienne.

Voir par ailleurs:

« Pour Marine Le Pen, 2017, c’est sans doute trop tôt! »

Entretien avec Olivier Dard

Historien et essayiste français, docteur en histoire contemporaine

Causeur
27 novembre 2014

Propos recueillis par Daoud Boughezala et Gil Mihaely

Causeur : Avec son programme social très étatiste, ses odes à la République et un électorat très composite, le FN est-il toujours un parti d’extrême droite ?

Olivier Dard : Le terme d’extrême droite est ambigu et très discuté par les chercheurs, en France comme à l’étranger. Dans mes ouvrages, je lui préfère la notion de « droite radicale ». Cela étant, le FN de Marine Le Pen est incontestablement différent de celui  de son père. D’abord, leur rapport à l’histoire des droites nationalistes françaises est tout à fait différent. Jean-Marie Le Pen est le véritable héritier de toute l’histoire des ligues nationalistes françaises depuis la fin du xixe siècle, qui n’ont jamais vraiment cherché à construire un parti de gouvernement.

Marine Le Pen est née en 1968, a eu 20 ans en 1988, et il y a tout un héritage qui n’est pas le sien, notamment sur la décolonisation, même si elle a participé récemment à une cérémonie d’hommage aux harkis. Surtout, son objectif est de construire une force politique destinée à accéder au pouvoir et à l’exercer. C’est la raison pour laquelle Marine Le Pen surveille comme le lait sur le feu les villes gérées par le FN. Là où son père multipliait les provocations pour rester à l’écart, elle s’efforce au contraire d’arrondir un certain nombre d’angles.

Marine Le Pen a en effet mis beaucoup d’eau dans le vin du FN ces dernières années. Dans le même temps, Nicolas Sarkozy a annoncé vouloir remettre à plat les accords de Schengen sur la libre circulation des hommes en Europe. N’y a-t-il pas là les prémices d’un programme commun FN et UMP ?

Je ne le crois pas, car tout d’abord ce serait la mort de l’UMP, et les dirigeants de l’UMP le savent. Deuxièmement, ils se heurteraient d’emblée à une telle bronca médiatique qu’ils en seraient tétanisés. Troisièmement, à la différence de ce qui s’est passé dans le rapport PS-PC dans les années 1970 et 1980, cela profiterait au FN et non pas à l’UMP. Au tout début de l’émergence du Front, la droite classique aurait pu juguler cette ascension, par exemple en pratiquant des alliances à l’échelle locale. Mais, aujourd’hui, le FN a son identité, son électorat et, surtout, le vent en poupe.

En revanche, le positionnement actuel de Nicolas Sarkozy sur nombre de sujets est très ambigu. D’un côté, on le sent soucieux de s’ouvrir vers le centre, et, d’un autre, de prendre en compte des aspirations proches de la ligne du FN au risque de s’aliéner les centristes. C’est une stratégie à risques car, comme l’a bien dit Jean-Marie Le Pen, « les électeurs préféreront toujours l’original à la copie ».

Curieusement, vous ne mentionnez pas le plus évident des obstacles à l’union : l’incompatibilité des propositions économiques de l’UMP et du FN, sur des questions aussi essentielles que l’euro et le rôle de l’État providence …

Sur le principe, les programmes paraissent totalement incompatibles. Sauf que la ligne économique du FN a très largement évolué à travers les années. Le programme du FN d’il y a vingt ans se rapprochait du libéralisme de l’actuelle UMP, Le Pen père se vantait même d’avoir connu l’économie de l’offre et les idées de Reagan avant les autres ! Depuis, Marine Le Pen s’est repositionnée en prônant un étatisme interventionniste qui prenne en compte le sort des territoires, des politiques sociales, etc. Bref, je ne pense pas que les enjeux économiques pèsent d’un grand poids dans la probabilité d’une alliance.

Sans avoir eu besoin de s’allier avec l’UMP, Marine Le Pen a déjà gagné la bataille de la respectabilité. Il lui reste à remporter celle de la crédibilité. Quand on l’interroge sur le manque de cadres du FN, sa présidente insinue que des centaines de hauts fonctionnaires très compétents n’attendent que le sifflet de l’arbitre pour la rallier. Y croyez-vous ?

Comme dirait l’autre, « les promesses n’engagent que ceux qui les croient ! ». J’ignore si des hauts fonctionnaires ont dit derrière des vitres fumées à Marine Le Pen qu’ils se rallieraient à elle « le jour où ». En revanche, ce que je vois, c’est qu’il y a une forme de danger à manipuler ce genre de discours quand on préside le Front national. La force de Marine Le Pen réside dans son discours anti-élites et ses charges contre les technocrates qui nous gouvernent. Mais on ne peut pas critiquer la technostructure tout en expliquant qu’on va s’appuyer sur elle ! Dans le cadre d’une campagne présidentielle, si Marine Le Pen est vraiment en position d’arriver au second tour, elle devra dépasser cette contradiction.

Combien faut-il de technocrates pour gouverner la France ? Certains parlent de 500 personnes, d’autres de 2 000…

Je crois que ce n’est pas un problème de nombre. Le défi numéro un est d’arriver à sécréter au sein du parti une élite capable de gouverner. C’est encore loin d’être le cas au FN, même s’il multiplie les initiatives pour attirer des enseignants ou des chefs d’entreprise. Vient ensuite un autre obstacle : la formidable résistance que pourrait opposer la haute administration à un gouvernement frontiste… Dans des citadelles comme Bercy ou la place Beauvau, le ministre peut commander, mais il faut que l’intendance suive.

Un troisième facteur joue contre Marine Le Pen : les contraintes internationales, à commencer par l’Europe. On est dans un carcan qui rend les marges de manœuvre des gouvernements assez étroites. L’épisode du budget français est emblématique : il ne va pas se passer grand-chose parce que l’Europe ne veut pas taper sur les doigts de la France, pour ne pas faire monter le FN. Reste que la France n’est plus maîtresse de son budget.

Quand, à propos de la GPA, qu’elle combat, Marine Le Pen affirme qu’elle « coupera le cordon » avec la Convention européenne des droits de l’homme, c’est imparable. Elle sait qu’aucun dirigeant du PS ou de l’UMP ne le fera. Mais le ferait-elle si elle était au pouvoir, et comment gérerait-elle les inévitables mesures de rétorsion ? Si l’intérêt de Marine Le Pen est bien sûr de progresser électoralement, mieux vaut pour elle qu’elle  ne se retrouve pas trop vite dans une position trop favorable – 2017, c’est sans doute trop tôt.

Le FN semble éprouver un double sentiment de rejet et de fascination pour les élites françaises – songez que l’énarque Florian Philippot a été nommé vice-président trois ans après son adhésion ! Peut-il partir de cette ambivalence pour révolutionner le système français de recrutement des élites politiques ? Comme aux États-Unis, des hommes politiques qui seraient d’ex-capitaines d’industrie pourraient supplanter les traditionnels énarques…

Le modèle français de recrutement des élites administratives est au bord de l’épuisement. À partir des années 1920, ce modèle a pu fonctionner pendant des décennies car, sous Vichy ou sous le gaullisme, on vivait en régime d’économie administrée. Ce type d’élites correspondait au personnel politique qu’on retrouvait partout en Europe occidentale. Il y a encore vingt ans, les épreuves des concours de recrutement des hauts fonctionnaires européens ressemblaient beaucoup à celles des grands concours français.

Aujourd’hui, c’est fini ! le modèle à l’anglo-saxonne a gagné, comme en témoigne l’évolution de Sciences Po. Il s’agit de ne plus sacraliser la fonction publique, de donner moins de place à des disciplines classiques comme l’histoire au profit d’enjeux bien plus actuels tels que les études sur le genre. Les grandes écoles se sont adaptées à ce nouveau modèle en envoyant leurs étudiants en stage à l’étranger. Mais, au niveau de notre classe politique, le décalage reste incontestable, particulièrement en matière de maîtrise des langues étrangères.

Entre ces deux modèles, le FN refuse de choisir puisqu’il tient un discours anti-élites tous azimuts. Ses diatribes visent tout autant les élites traditionnelles issues de l’ENA que les élites mondialisées. Dans ces conditions, sur qui pourra-t-il encore s’appuyer pour arriver au pouvoir et surtout l’exercer ? Aujourd’hui, il ne donne aucune réponse crédible à cette question.

Le rejet de l’énarchie et des élites mondialisées permet de capitaliser des voix à bon compte. Mis à part cette fibre populiste, le refus de l’immigration constitue-t-il le ressort unique du vote frontiste ?

Ce qui unit l’électorat FN dans sa diversité, c’est la défense identitaire, si l’on ne limite pas l’identité à l’immigration. L’identité, ce n’est pas uniquement une question ethnique, mais aussi sociale, économique et territoriale. J’ai été pendant des années professeur en Lorraine, à Metz, où l’effondrement de la sidérurgie a entraîné la fin d’un monde. Dans les provinces françaises, les politiques de reconversion industrielle menées par la droite et la gauche ont coûté très cher, pour des résultats très en deçà de ce qu’on pouvait en attendre. Il y a aujourd’hui des populations qui sont très difficiles à employer vu la technicité d’un certain nombre de métiers.

À mesure que les écoles ferment et que les services publics s’en vont, la désertification se développe. Les gens ne disent pas seulement « on n’a pas assez de retraite, on n’a pas assez de salaire », mais, de plus en plus, « vous êtes en train de casser notre mode de vie ». En jouant la carte des territoires et de l’enracinement, le FN met le doigt sur des réalités d’importance et capte donc un électorat rural qui n’était au départ pas le sien.

Le congrès du FN, qui se déroulera à Lyon fin novembre, se conclura très certainement par l’adoption d’une motion unique. Derrière cette unanimité de façade, la diversité idéologique, qui va des nationaux-libéraux (Aymeric Chauprade) aux souverainistes gauchisants (Florian Philippot), menace-t-elle la cohésion du parti lepéniste ?

Je ne suis pas certain que les clivages internes s’expriment aussi profondément que vous le dites. Marine Le Pen a deux atouts pour elle : elle est l’élément fédérateur et elle réussit ! Aussi longtemps que ses succès la porteront, ce qu’elle dit restera incontesté. Ainsi, un certain nombre d’anciens militants qui avaient quitté le FN sont en train d’y revenir, en se disant qu’il faut en passer par là car Marine Le Pen gagne. Mais, et là vous avez raison, par-delà le charisme personnel de sa présidente, se pose la question du futur programme de gouvernement que devra élaborer le FN.

Marine Le Pen est très habile, mais cela ne veut pas dire qu’elle a gagné la bataille de la compétence ! En matière de politique extérieure, c’est assez flou, elle peine encore à trancher entre les positions des uns et des autres. Sur le plan économique, les choses sont plus claires, mais la ligne retenue suscite quelques réticences. C’est sur les questions européennes que la présidente du FN est sans doute la plus fédératrice, mais il s’agit davantage d’une fédération de rejets que de propositions alternatives.

À vous entendre, les militants frontistes obéissent comme un seul homme à Marine Le Pen, quitte à mettre leurs divergences sous le boisseau. À terme, l’émergence de personnalités concurrentes telles que sa nièce Marion Maréchal-Le Pen ou même Florian Philippot ne pourrait-elle pas lui faire de l’ombre ?

Gare au malentendu : le FN n’est pas seulement un parti de militants ! C’est d’abord un parti d’électeurs dominé par une figure charismatique, dont la force de frappe passe par les médias et non les appareils. Dites-vous bien que le congrès va bien plus intéresser la presse que les électeurs du FN. Pour répondre à votre question, il serait intéressant de comparer les taux de notoriété.

Qui l’opinion connaît-elle du FN en dehors de Marine Le Pen ? Peut-être Florian Philippot et Louis Aliot, Marion Maréchal, Bruno Gollnisch et Gilbert Collard. Toutes ces individualités comptent moins que l’étiquette frontiste et les thèmes mobilisés. Parmi eux, il faut compter avec la question de l’islamisme et sa force d’attraction.

Aux régionales de 2010 en Lorraine, où le FN avait recueilli 14,87 % des voix, une liste soutenue par des groupements dissidents (Mouvement national républicain, Parti de la France, Nouvelle Droite populaire), et dont les quatre femmes têtes de listes départementales n’étaient pas connues du grand public, a recueilli 3 % des voix, avec comme seul mot d’ordre : « Stop aux minarets en Lorraine ! ». Au-delà des questions de personnes, un éventuel changement de nom et d’emblème du parti représente donc un enjeu crucial pour le FN de demain.

 Voir aussi:

CARPENTRAS Le vrai visage des profanateurs

Six ans plus tard, les violeurs de sépultures ont avoué: il s’agit bien de jeunes néonazis

Trois jours d’enquête pour six ans de mystère: après les aveux spontanés, mardi 30 juillet, de Yannick Garnier, l’un des auteurs de la profanation de Carpentras, les interrogatoires des trois autres participants arrêtés permettent de reconstituer l’hallucinante équipée de cette nuit de mai 1990. Leurs récits concordants montrent à quel point cette violation de sépultures avait été minutieusement préméditée et réalisée avec des méthodes dignes d’un commando militaire. Chacun des quatre hommes, aujourd’hui incarcérés, a revécu devant les policiers cette scène macabre qu’il avait voulu oublier depuis six ans. Le seul qui manque à l’appel, Jean-Claude Gos, est pourtant celui que tous désignent comme l’initiateur et le chef de leur bande. Ce néonazi à l’antisémitisme forcené s’est en effet tué, à 27 ans, lors d’un accident de moto, en décembre 1993, en Vaucluse.

Quatre ans plus tôt, en 1989, Gos laisse entrevoir pour la première fois sa fascination pour le cimetière juif de Carpentras. A son copain d’enfance Olivier Finbry, alors appelé du contingent à Berlin, il fait visiter cet endroit retiré, symbole, pour ce militant du PNFE, un groupuscule néonazi, de l’emprise des juifs sur la région. Les deux hommes se quittent en se promettant d’y faire un jour un «coup d’éclat». L’année suivante, aux alentours du 30 avril, date anniversaire de la mort d’Adolf Hitler, ils décident, pour célébrer l’événement, d’attaquer le cimetière et d’y déterrer un cadavre juif. De véritables repérages sont alors effectués. S’ajoute, pour l’occasion, un troisième compère, Patrick Laonegro, lui aussi membre du PNFE. Les trois hommes découvrent un trou dans le mur d’enceinte et localisent la tombe à laquelle ils veulent s’attaquer – celle d’Emma Ulmann, située un peu à l’écart.

Mais cette opération commando nécessite de gros bras. Deux jeunes apprentis skins d’Avignon, Yannick Garnier et Bertrand Nouveau, leur prêtent donc main-forte. L’expédition, prévue pour le 8 mai, est soigneusement préparée: cagoules confectionnées à partir de manches de tee-shirts, gants, baskets pour ne pas laisser de traces. Yannick Garnier se fera d’ailleurs «engueuler» par Gos pour avoir cru bon de revêtir sa tenue de skin et ses rangers. En guise d’instruments, ils sont équipés de pelles et de pieds-de-biche.

«On n’en parlera jamais»
Après minuit, les cinq hommes arrivent au cimetière dans deux voitures. Ils commencent par saccager des dizaines de tombes au hasard. Mais, ensuite, malgré leurs efforts, ils ne parviennent pas à ouvrir la tombe repérée le 30 avril, trop lourde. Tout juste arrivent-ils à déplacer la dalle. Ils se replient alors sur la tombe de Félix Germon. Ils grattent la terre avec les pelles, mais manquent de cordes pour hisser le cercueil. Du coup, ils utilisent un tuyau d’arrosage trouvé dans un local d’entretien du cimetière. Ils exhument le corps, et Gos, pris d’une folie raciste, tente de l’empaler avec un pied de parasol trouvé sur place. Il voulait, en fait, dresser le corps verticalement.

L’opération macabre aura duré plus de deux heures en tout. A la sortie du cimetière, Patrick Laonegro intime l’ordre: «On n’en parlera jamais à personne, ni à ses copines ni à sa mère…» Nouveau et Garnier rentrent à Avignon sans dire un mot. Les trois autres repartent de leur côté et se débarrassent des cagoules, des gants et des chaussures dans des conteneurs-poubelles sur la route. Ce n’est que le surlendemain, lors de la découverte de la profanation, que Yannick Garnier, qui somnole sur un divan devant la télévision, chez ses parents, a un choc en découvrant Pierre Joxe visitant le cimetière.

Le ministre de l’Intérieur accuse l’extrême droite. Les Renseignements généraux désignent à la police judiciaire, dès le lendemain, 11 mai, la liste de membres du PNFE d’Avignon. Parmi eux, Jean-Claude Gos et Patrick Laonegro, qui seront respectivement entendus les 11 et 14 mai. Mais, au milieu des dizaines de gardes à vue, ils passeront entre les mailles du filet, d’autant que la police est alors convaincue que la profanation a été commise dans la nuit du 9 au 10 mai, c’est-à-dire le lendemain de la date véritable, personne n’ayant pénétré dans le cimetière dans l’intervalle.
Mais l’ampleur des réactions fait éclater définitivement ce petit groupe constitué de fraîche date et plutôt hétéroclite. Le meneur incontesté, doté d’un véritable ascendant physique sur ses compagnons, Jean-Claude Gos, était le seul à pouvoir se targuer d’un casier judiciaire: deux condamnations, dont l’une à six mois ferme, pour agressions.

Dans les mois précédant la profanation, il avait entrainé ses amis dans des ratonnades. Il leur avait aussi imposé une sorte d’uniforme skinhead, avec, en particulier, un bracelet comportant un insigne nazi. Membre du PNFE de 1988 à 1989, il quitte ce parti néonazi avec son ami Laonegro, tous deux l’estimant trop modéré à leur goût… Laonegro ira même jusqu’à assister à une réunion du PNFE, à Paris, pour s’expliquer. Selon lui, l’organisation ne valorisait pas suffisamment leurs actions. Tous les mois, en effet, le chef de section de chaque région envoie à Paris un Cram (compte rendu d’action militante). Ceux d’Avignon auraient systématiquement minimisé leurs exploits… A ce duo de choc s’ajoute un inquiétant troisième personnage: Olivier Finbry, un ami d’enfance de Gos, aujourd’hui militaire de carrière. Les enquêteurs auraient retrouvé de la documentation néonazie dans sa chambre.

Le groupe avait loué un local à Saint-Saturnin-lès-Avignon, qui leur servait notamment de salle pour s’entraîner à la boxe. A la même époque, en décembre 1989, Yannick Garnier, qui revient du service militaire, retrouve par hasard, à Avignon, un ancien camarade de troisième, Bertrand Nouveau. Les deux compères découvrent, vers février 1990, le local de Gos et Laonegro. Une ambiance virile qui plaît beaucoup à Garnier, un colosse de 1,96 mètre. Mais quand Gos lui prête un exemplaire de Mein Kampf, l’ouvrage lui tombe des mains…

Après la profanation, le groupe se disperse. Bertrand Nouveau fait un passage éclair de cinq mois à la Légion étrangère. Puis il se range, passe trois CAP et devient ouvrier dans une usine qui fabrique du polystyrène. Comme Laonegro, devenu vendeur dans une grande surface, près de Perpignan, il s’était marié en 1993 et avait eu un enfant. Tous deux auraient révélé à mi-mot leur terrible secret à leurs épouses.

Il a tout avoué aux RG
Garnier, lui, n’a personne à qui le confier. Ce solitaire, hanté par le souvenir de la profanation, part à la dérive. D’abord agent de sécurité pour divers spectacles (festival de blues de Bagnols-sur-Cèze ou la Mosaïque gitanes à Arles, pour 4 500 francs), il gardera, pour le compte de la société World Sécurité, le parking du supermarché Auchan du Pontet. Seul incident à retenir l’attention: propriétaire d’un pitbull, chien féroce très prisé par les skinheads, il a un différend avec un autre possesseur du même animal. Mais la dernière société de protection à l’employer disparaît: le voilà démuni, contraint de s’installer dans un meublé d’une résidence, à Avignon. La chute continue: il n’a pu payer ses deux derniers loyers. Lundi 29 juillet, il reçoit un avis d’expulsion pour le lendemain. Au bout du rouleau, persuadé, selon son avocat, Me Bruno Rebstock, que l’affaire de la profanation a détruit sa vie, il décide d’aller tout avouer aux policiers des Renseignements généraux.

Pourquoi les RG? Peut-être parce que, en tant qu’ancien skinhead, il avait eu l’occasion d’en croiser par le passé. Garnier racontera durant une heure et demie son histoire à la commissaire Dominique Gines. Celle-ci alerte aussitôt la PJ et son directeur central à Paris, Yves Bertrand. La PJ interpelle immédiatement les trois autres complices encore en vie – qui vont tous avouer. Brutalement ramené six ans en arrière, Bertrand Nouveau, selon son défenseur, Me Jean-Luc Palmieri, se dit prêt à payer, tout en souhaitant que le procès apporte la lumière sur les raisons pour lesquelles il a pu être entraîné à commettre un tel acte. Un procès qui mettra fin à six ans de rumeurs, d’insinuations et de fausses pistes.

Voir enfin:
Carpentras, 10-15 mai 1990, polysémie d’une profanation
Floriane Schneider
Le Temps des médias

2006/1 (n° 6)

Éditeur

Nouveau Monde éditions

Pages 175 – 187

1Tombes saccagées, stèles cassées, cadavre exhumé : telle est la découverte faite par deux femmes venues se recueillir dans la matinée du jeudi 10 mai 1990 dans le carré juif du cimetière de Carpentras. Dans un premier temps tenue secrète pour éviter les effets d’imitation, la profanation est rendue publique à 15h53 par un communiqué de l’AFP : « Le ministre de l’Intérieur est attendu aujourd’hui à Carpentras où il se rendra au cimetière juif qui a été profané par des inconnus […] 33 tombes et non pas 2 seulement comme indiqué précédemment ont été endommagées par des inconnus qui ont ouvert un cercueil et exhumé le défunt, un homme décédé de 81 ans. Le corps, empalé sur un manche de parasol, a été découvert gisant sur la tombe voisine. Cet acte n’a pas été revendiqué. Les enquêteurs ont relevé les empreintes de chaussures de quatre personnes différentes qui, semble-t-il, auraient opéré au cours de la nuit de mercredi à jeudi [1]  AFP, jeudi 10 mai 1990. Sont soulignés en gras les… [1] . »

2Depuis une dizaine d’années les profanations s’étaient multipliées et l’attentat contre la synagogue de la rue Copernic à Paris en 1980 avait révélé la persistance de l’antisémitisme en France. Pourtant ce qui s’est passé à Carpentras a revêtu dès le départ une dimension singulière. Par un processus d’appropriation du fait “brut” dans ce qu’il a d’objectif, les médias et la classe politique l’ont reconstruit selon plusieurs configurations sémantiques. C’est précisément ce processus que nous allons interroger pour essayer d’en démonter les mécanismes, mettre en lumière ses enjeux. Comment s’est opérée la transmutation du “fait” en “événement” [2]  Pour Alain Flageul, l’événement résulte de l’imbrication… [2] , au terme de laquelle la profanation de Carpentras, acte d’antisémitisme révoltant, est devenue une affaire politico-médiatique polysémique [3]  Cette étude repose sur le dépouillement des quotidiens… [3] ?

3Depuis le jour de son annonce jusqu’au 14 mai 1990, jour de la grande manifestation parisienne « contre le racisme et l’antisémitisme » placée sous l’égide du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), la profanation du cimetière juif de Carpentras a investi l’espace et le débat publics. À partir du 16 mai, en revanche, l’intérêt pour le sujet semble retomber. L’enquête de police devient la composante essentielle de l’information.

L’antisémitisme à son paroxysme : un acte irrecevable en République

La violation du sacré comme violence antisémite
4La profanation de sépultures a été immédiatement perçue comme un acte dirigé contre les Juifs. Mais ce geste ne peut être réduit à une forme d’antisémitisme ordinaire, dans la mesure où il porte atteinte aux vivants à travers leurs morts. L’empalement a constitué l’élément “factuel” autorisant la transmutation médiatique du “fait” en “événement”. Le 10 mai, dans le JT de 20h de TF1, Patrick Poivre d’Arvor annonce « la grande nouvelle de la journée » : « un véritable spectacle d’horreur […] 34 tombes profanées, le corps d’un défunt avait même été sorti, exhumé et empalé sur un manche de parasol […] tout de suite ces horribles détails ». L’empalement, aspiration des profanateurs à une horreur appelée à faire sensation, est bien reçu par l’opinion comme l’acmé de la violence antisémite. « Je voudrais dire les choses d’une façon nette, même si ça peut choquer, et dans ce cas je m’en excuse. 40 tombes ont été profanées. Dans l’un des cas, on a sorti un corps et on l’a retrouvé avec un manche de pelle enfoncé dans l’anus. » Dans la déclaration de Laurent Fabius, premier secrétaire du PS, le 10 au soir, la captation de l’attention du public l’emporte sur la visée informative (40 ou 34 tombes, manche de pelle ou de parasol ?), fut-ce au prix d’un effet d’amplification et d’une crudité de langage rarement autorisée à une heure de grande écoute. Dès le départ, l’“horreur” se retrouve au cœur de la mise en forme de l’événement : horreur de l’acte, suggérée et suscitée.
5Le 11 mai la profanation de Carpentras fait la Une de tous les quotidiens, pour lesquels sa spécificité résiderait dans la violence exercée, transgressive et inouïe. « La France tétanisée par le choc antisémite » titre Libération ; Vaucluse Matin parle d’un « acte d’antisémitisme sans précédent » : « La communauté israélite de Carpentras […] a été d’autant plus profondément traumatisée que la tradition religieuse juive s’oppose à l’exhumation des corps ». On peut distinguer 3 degrés dans la nature de l’acte : le premier constitué par la destruction matérielle (tombes cassées), le second par l’atteinte symbolique à la culture religieuse juive. Eux seuls suffiraient à justifier l’horreur sans nom prêtée au crime. Mais l’acte porte également atteinte à l’équilibre de la France républicaine, fille des Lumières. « Un crime prémédité […] la transgression sauvage du tabou le plus antique : le respect des morts. Un véritable défi à la société française, comme pour la prévenir que ses fondements les plus solides étaient en train de s’effriter. » Telle est l’analyse que livre Marcel Trillat dans le journal d’Antenne 2 (A2). Le crime de Carpentras serait double, dirigé à la fois contre les Juifs et contre la France.
Les « Juifs du pape » entre intégration et exclusion : une « cible symbole »

6Dès le 10 mai, le lieu de la profanation est mis en exergue par la rédaction d’A2, dans l’édition de 20h du JT : « Dans cette ville [Carpentras] vit une communauté juive depuis le xiiie siècle ; elle est même une cité historique du judaïsme français ». Le 11 mai et les jours suivants, toutes les rédactions insistent sur la renommée juive de la ville provençale, « berceau du judaïsme français » [4]  Libération, 11 mai 1990, éditorial et p. 3. [4] , « Jérusalem comtadine » [5]  Le Monde, 12 mai 1990, p. 14. [5] abritant la « communauté israélite la plus ancienne de France » [6]  Vaucluse Matin, 11 mai 1990, dernière page. [6] . La qualité antisémite de l’acte est indéniable : les profanateurs de Carpentras, héritiers des Drumont et consorts, partagent avec leurs prédécesseurs l’idée que le Juif, entité raciale et/ou religieuse, incarne le Mal absolu. Pour l’éradiquer, il faut en pulvériser les racines.

7La symbolique du lieu révèle ainsi trois aspects de l’affaire en devenir. La ville est :
8– La « cible symbole » d’un crime qu’un éclairage historique désigne comme explicitement antijuif. Le lieu devait être en lui-même le véhicule du sens de la profanation.

9– Cela rapproche le geste profanateur, aux yeux des membres de la communauté juive, d’une « démarche d’anéantissement absolu » [7]  Claude Lanzmann, in Le Figaro, 12-13 mai 1990, p. … [7] . Ses auteurs, en retournant et souillant la « Terre mère », cherchaient à l’empêcher de féconder à nouveau.

10– La « capitale des juifs du pape », terre d’asile pour les Juifs bannis du royaume de France par Philippe le Bel en 1306 et Charles IX en 1394. Le perpétuel mouvement de balancier – intégration/exclusion – qu’incarne de façon exemplaire le destin des « Juifs du pape » jusqu’au drame du printemps 1990 semble obliger les Français à un examen de conscience.
11C’est donc le portrait de la France de Dreyfus que dépeint la presse, capable de défendre ses Juifs et de les clouer au pilori dans le même temps ; une façon de porter l’accusation au-delà du cercle des auteurs de la profanation. Face à un tel événement, il convient de choisir son camp, absolument et unanimement, pour la défense des Juifs et de leur dignité.
L’« union sacrée » face au péril

12En transgressant un tabou, les profanateurs ont menacé la pérennité de l’ordre démocratique. C’est l’idée qu’a exprimée le Grand Rabbin de France, Joseph Sitruk, lors de la cérémonie religieuse organisée le 13 mai dans l’enceinte du cimetière : « Il faut que la France démocratique d’aujourd’hui comprenne qu’il ne faut plus laisser faire ». Dans les sujets des JT de 20h de TF1 et d’A2 du 13 mai, un plan américain focalise notre attention sur le Grand Rabbin, debout sur une estrade, surplombant la foule d’officiels et d’anonymes. Il porte un costume sombre et un chapeau de feutre noir. La sauvegarde de la République passerait selon lui par une cohésion sociale réinventée, la fraternisation entre juifs et non juifs. François Mitterrand l’a parfaitement compris, en se rendant le 10 mai au soir au domicile du Grand Rabbin. Il tenait à apporter réconfort et soutien à la communauté juive, « comme on le fait pour un deuil de famille quand un membre de cette famille disparaît », a-t-il déclaré à l’AFP. Nous voilà revenus au temps de la République fraternelle dont les Juifs étaient « fous » [8]  D’après l’ouvrage de Pierre Birnbaum, Les Fous de la… [8] .

13Mais cette image qui s’impose, de communion dans le chagrin, est une image construite, notamment par le reportage de TF1 sur la cérémonie du 13 mai. Après avoir fait entendre le message de pardon du Grand Rabbin on enchaîne directement sur le discours du ministre de l’Intérieur Pierre Joxe. À l’écran toute rupture est abolie. Pierre Joxe apparaît en plan moyen, portant également un costume sombre et un chapeau noir. Il adopte la même attitude que celui qui l’a précédé sur l’estrade : des feuillets à la main, il prononce un discours empreint d’émotion [9]  Reportage de Sylvie Cenci sur la cérémonie religieuse… [9] . Le visage grave traduit la solennité de l’instant. De la prise de conscience collective dépend l’honneur de la République française – Joseph Sitruk et Pierre Joxe parlent d’une seule et même voix. Dans ce reportage, l’image du Grand Rabbin, représentant la communauté juive, et celle du ministre de l’Intérieur, porte-parole de la Nation, sont entièrement superposables : cette équivalence d’ordre visuelle entre les 2 hommes suggère que Juifs et Français sont à l’unisson. La lecture de la presse ne fait que confirmer cette entente générale. Dans l’édition du 15 mai, Le Monde revient sur la portée de la célébration du 13 mai. « Un consensus exemplaire que saluera M. Sitruk en s’exclamant avec force : “Quel bonheur de sentir la France à nos côtés !” [10]  Guy Porte, correspondant régional du Monde, 15 mai… [10] . » Cela donne un avant-goût de la manifestation du lendemain.

14La France avait en effet été conviée par le CRIF à une grande manifestation le 14 mai à Paris, entre les places de la République et de la Bastille. Cette manifestation, emblématique de la capacité de réaction du pays – le « sursaut » s’affiche en gros titre dans toute la presse – a connu un retentissement exceptionnel dans les médias, érigée en “événement” du fait de la présence du président de la République. Le 15 mai on retrouve sa photographie dans tous les quotidiens : « Un président de la République dans la rue », Libération ; « fait sans précédent depuis la Libération, le président de la République en la personne de François Mitterrand s’est joint à cette manifestation », Vaucluse Matin. Pour tous les journalistes, le rassemblement se caractérise, outre la présence de François Mitterrand, par sa massivité, sa diversité multi-ethnique et pluriconfessionnelle et son slogan fédérateur : « non au racisme et à l’antisémitisme ». Ces traits ressortent bien dans le reportage tourné place de la Bastille et diffusé dans le JT de TF1. Différents témoignages ont été recueillis : ceux d’anonymes, un musulman, une catholique, un professeur venu en famille et un couple de juifs. Puis défilent successivement à l’écran, en plans rapprochés, Jean-Pierre Bloch (LICRA), François Léotard, Jacques Chirac, Georges Marchais, Pierre Mauroy, Harlem Désir, Mgr Decourtray, Christophe Dechavanne, Guy Bedos et enfin Michel Rocard. Le reportage d’A2 applique le même schéma de déroulement scénographique : « Parmi les manifestants, de nombreuses personnalités politiques, toutes tendances confondues […] puis vers 19h15, François Mitterrand rejoignait le cortège ». À leur nom, les hommes politiques apparaissent à l’écran, fendant la foule. Ce sont des hommes d’action, en action, que l’on donne à voir aux téléspectateurs. Le climax est atteint lorsque l’image de François Mitterrand emplit l’écran sans voix off ni musique. L’importance de l’instant vécu et médiatisé est soulignée au moyen d’un silence imposant.

Rapports de force politiques

Crise sociale et climat politique délétère, les racines du Mal ?

15En se joignant à la manifestation parisienne, le président de la République défendait l’idée que si la France devait « se ressaisir », c’était à l’État de donner l’impulsion. Par ce geste, il montrait également qu’il avait pris note des critiques formulées depuis l’annonce de la profanation, par voie de presse, à l’encontre de son gouvernement. En effet, pour nombre de journalistes, la profanation était symptomatique d’une France en crise.

16François Mitterrand a été réélu le 8 mai 1988 à la présidence de la République mais son parti est en déroute. « Le bilan des années Mitterrand aurait pu être positif s’il n’était entaché par une grave carence morale et […] un développement considérable de la corruption [11]  Jean-Marie Colombani et Hugues Portelli, Le Double… [11] . » Le gouvernement et les parlementaires socialistes ont souffert d’un discrédit profond dans l’opinion, conséquence de l’enchaînement ininterrompu des « affaires » [12]  Parmi celles-ci, citons les procédés illégaux de financement… [12] . La série d’élections en 1988-1989 est un bon indicateur de la crise qu’ils traversent. Aux municipales et cantonales, on relève une augmentation de l’abstention et une réorientation du corps électoral vers le FN ou les Verts. Les élections européennes ne font que confirmer cette tendance. Quant à la droite, elle peine à se positionner sur l’échiquier politique français.

17Les éditoriaux du Figaro illustrent bien de quelle façon les proportions de l’événement Carpentras, rapportées à la morosité politique ambiante, ont été redimensionnées : « N’insistons pas sur le machiavélisme d’un pouvoir socialiste qui ne songe, depuis des années, qu’à gonfler les voiles de l’extrême droite. Plaignons-le, il aura des comptes à rendre à l’histoire » [13]  Franz-Olivier Giesbert, « La France souillée », Le… [13] . Le 14, Xavier Marchetti poursuit dans la même veine : « Il faut aussi faire la part de la pernicieuse dégradation de la vie politique. Elle entraîne moquerie et rejet » [14]  Xavier Marchetti, « Une société malade », Le Figaro,… [14] . D’aucuns rétorqueront que Le Figaro, journal de droite, en a profité pour tirer à bout portant sur les socialistes. Mais leurs confrères de Libération ont aussi relié l’événement au climat général. Ils parlent d’« authentique désarroi » et citent Jacques Chirac qui voit dans cette profanation la manifestation d’une « crise dont nous sommes tous responsables » [15]  Marc Kravetz, « Les pourvoyeurs de l’ordure », Libération,… [15] .

18Au moment où les formations traditionnelles étaient en proie au malaise, sans réponse face aux problèmes de l’immigration [16]  À l’automne 1989, l’affaire du foulard islamique relance… [16] et de l’insécurité, le FN récoltait des voix. Qui veut comprendre la facilité avec laquelle s’est mise en place la rhétorique de culpabilisation du FN autour de la profanation de Carpentras doit la mettre en relation avec la visibilité croissante du parti dans le paysage politique français.

Responsabilité et/ou culpabilité : le Front National en accusation

19Que l’acte ait eu lieu en Provence, terre d’élection du Front National, qu’il ait été commis, apparemment, dans la nuit du mercredi au jeudi [17]  Les premières conclusions de l’enquête ont débouché… [17] , juste après le passage de Jean-Marie Le Pen à L’Heure de vérité : ces données forment un faisceau d’indices qui désignent le parti d’extrême droite comme coupable pour la classe politique. Mais selon quelles modalités l’attaque a-t-elle porté contre le Front National au point que l’évidence des uns (les hommes politiques de gauche et de l’opposition, les représentants de la communauté juive de France) soit devenue la certitude des autres ?

20Depuis le milieu des années 1980 le FN s’est enraciné dans la vie politique française. C’est en septembre 1983 qu’il émerge réellement lors de l’élection municipale partielle à Dreux. En décembre 1989, à Dreux toujours, il confirme son importance, avec la victoire de sa candidate Marie-France Stirbois au second tour des législatives partielles. Le vrai souci pour la gauche au pouvoir est dès lors de lui barrer la route. Survient la profanation : elle est créditée le jour même par Pierre Joxe sur le compte du parti frontiste. L’ère du soupçon est ouverte, le monde politique et les médias s’appropriant d’emblée le drame des Juifs de Carpentras, sous prétexte que derrière lui se profilerait le drame d’une société minée de l’intérieur par une force politique à l’influence pernicieuse. Le président du CRIF, Jean Kahn, croit qu’il faut « établir un lien de concomitance avec une recrudescence d’appels à l’incitation raciale et à l’antisémitisme qui sont de nature à susciter des actes de ce type ». Le lendemain, l’ensemble des titres de la presse quotidienne lui font écho.

21Maurice Trillat explique dans le JT d’A2 du 11 mai qu’il faut tenir compte des « bons professeurs de Lyon [18]  Le Monde des 28-29 janvier 1990 a révélé que Bernard… [18] , des élus qui ne cessent de jeter de l’huile sur le feu de la haine raciale » et des « tribuns talentueux qui distillent les petites phrases, comme celle que l’on a pu entendre l’autre soir à L’Heure de vérité » [19]  Maurice Trillat, JT 13h, A2, 11 mai 1990. [19] . « Dès l’été 1989, le FN pallie la chute de tension électorale en multipliant les déclarations provocatrices […]. Il se replie sur le noyau dur de l’idéologie de l’extrême droite française : l’antisémitisme [20]  Pascal Perrineau, Le Symptôme Le Pen : radiographie… [20] . » Valéry Nataf en donne un exemple dans sa « petite chronique de l’antisémitisme ordinaire dans la France de 1990 ». Claude Autant-Lara, « cinéaste vieillissant » et député européen du FN, n’a-t-il pas dit : « quand on me parle de génocide, je dis : en tout cas, ils ont raté la mère Veil » [21]  In Valéry Nataf, « Petite chronique de l’antisémitisme… [21] . Dans Le Monde, Edwy Plenel revient longuement sur cette percée et présence de l’extrême droite en France, qui a définitivement abandonné la confidentialité et l’UEJF s’effraie que les « antisémites n’en soient plus à l’utilisation des mots ou des calembours douteux » mais qu’ils passent « à l’acte avec des pioches et s’attaquent à des cadavres » [22]  L’Union des étudiants juifs de France, dans Le Monde,… [22] .

22Le 12, l’acte d’accusation se précise et s’affine : « Le Pen pointé du doigt par la classe politique », Libération des 12-13 mai. Le 14, il a rallié l’opinion publique à lui. À la manifestation parisienne, toute la classe politique était là, à l’exception du FN. « Il y a ce soir à la Bastille la plupart des responsables religieux, syndicaux et politiques. La gauche comme la droite. […] Un seul absent, vous le savez déjà, c’est Jean-Marie Le Pen. Le FN ne viendra pas et personne ne croira à un hasard », annonce Philippe Lefait dans le JT d’A2. « Bien sûr » que le FN est absent, ajoute Françoise Laborde sur la chaîne concurrente. Les journalistes font comme si la chose était acquise : « vous le savez déjà » ; la condamnation est irréfutable, il n’y a donc pas lieu de discuter : « bien sûr ». Chaque jour, entre le 11 et le 14 mai, le dossier à charge n’a cessé de s’étoffer ; il en a résulté la conviction collective que le FN était le profanateur, dans l’intention du moins. Le 14 mai un mannequin représentant le leader du FN trône au-dessus du cortège avec l’inscription suivante : « Carpentras c’est moi ». L’hypothèse de départ est devenue, accréditée par les médias, thèse inébranlable.
« À qui sert le crime ? »

23Dans un premier temps, fort de son audience électorale, le FN a témoigné sa solidarité à la communauté juive outragée, au même titre que les autres partis. Le 11 mai, Carl Lang, son secrétaire général, condamne la « bestialité » de la profanation et dénonce « l’horreur et l’ignominie de ce comportement barbare ». Cependant la rumeur du soupçon qui pèse sur le parti continue de s’amplifier. Celui-ci entame alors sa contre-offensive médiatique. En voyage au Danemark, Jean-Marie Le Pen tient une conférence de presse le 11 mai et affirme sur un ton courroucé être victime d’une machination. L’affrontement entre les accusateurs et l’accusé est narré dans le JT de 20h d’A2 : « Ce matin, le ministre de l’Intérieur Pierre Joxe […] estimait que les idées du leader du FN pouvaient conduire à des violences qui dépassent l’imagination […] Jean-Marie Le Pen prend lui aussi position mais il articule son propos. Oui, il s’agit d’un acte ignoble mais c’est un coup monté qui sert de tremplin à la classe politique pour s’attaquer au FN » [23]  JT 20h, A2, 11 mai 1990. [23] .

24Les piétinements de l’enquête policière ainsi que la piste avortée des skinheads semblent jouer en sa faveur. « L’attitude de certains hommes politiques apparaît comme tellement choquante qu’elle fait immédiatement penser à un montage. D’ailleurs, par beaucoup de côtés, cet événement rappelle quelque chose de récent : c’est l’opération de Timisoara [24]  Décembre 1989 : presse écrite et chaînes de télévision… [24] . […] À qui le crime profite ? Cela devrait en tout cas écarter le FN » [25]  Réaction publique de Jean-Marie Le Pen en visite au… [25] . C’est le troisième temps de l’argumentaire frontiste : cible d’une instrumentalisation politicienne de la profanation, le FN se pose en victime. Ce renversement dialectique devait enlever toute pertinence à l’accusation portée contre lui ; c’est du moins ce qu’espéra Bruno Mégret, s’exprimant devant la presse le 14 mai, à l’heure où la manifestation parisienne commençait. « La situation aujourd’hui dans notre pays n’est pas celle que disent les responsables politiques et Mr Joxe en tête. Ce n’est pas celle de la montée de l’antisémitisme et d’une communauté juive qui serait persécutée. C’est tout le contraire qui est vrai. […] Ceux qui sont persécutés, c’est le Front National, ceux qui sont placés au ban de la société, c’est le Front National. » Bruno Mégret va même jusqu’à parler de « diffamation d’État » et dénonce en Pierre Joxe un « ministre de la propagande qui pratique la politique du bouc émissaire » [26]  Vaucluse Matin, 14 mai 1990. [26] .

25Le 12 mai, André Fontaine signe l’éditorial du Monde, « Le danger ». Il prétend se garder de tout jugement hâtif « à la différence du Front National ». Mais sa simple observation des faits ne parvient pas à se départir d’un style allusif sous lequel s’énonce une sentence : « il n’est pas trop tôt pour souligner le danger de la banalisation […] du discours raciste ou révisionniste […]. Le drame de Carpentras devrait en inciter plus d’un, homme public comme citoyen privé, à faire en ce domaine, son examen de conscience » [27]  André Fontaine, « Le danger », Le Monde, 12 mai 1990,… [27] . Face à l’entreprise de diabolisation de son parti, qui a rassemblé dans une entente tacite les différentes forces politiques, Jean-Marie Le Pen n’est pas parvenu à imposer l’idée d’un Front National victime expiatoire sacrifiée sur l’autel de la manipulation.

Jeux et enjeux de mémoire

« Chagrin et Pitié » face à une double exhumation

26« Lorsque l’horreur est indicible, on ne doit rien dire, on doit se taire et méditer. C’est ce que nous venons de faire. Mais lorsque les criminels sont connus, on doit les dénoncer. Nous les connaissons ; je dénonce donc le racisme, l’antisémitisme, l’intolérance et je pense que tout le monde en France ressentira, comme nous, chagrin et pitié », tels sont les mots de réconfort que Pierre Joxe adresse le 10 mai à la communauté juive de France. L’association de ces deux mots, chagrin et pitié, possède une forte résonance historique et culturelle. Au printemps 1990, la France replongeait dans son passé à l’occasion de la publication dans L’Express d’une « enquête sur un crime oublié ». Le journaliste Eric Conan y retraçait l’itinéraire des enfants de la rafle du Vel’d’Hiv’, arrêtés les 16 et 17 juillet 1942 par la police française sur ordre allemand puis regroupés dans les camps du Loiret avant d’être déportés vers Auschwitz. Le “syndrome de Vichy” [28]  Se reporter à l’ouvrage d’Henry Rousso, Le Syndrome… [28] joue alors à plein et le rappel des persécutions antijuives pendant la Seconde Guerre mondiale jette le trouble dans la conscience nationale.

27Dans un tel régime de mémoire, la citation du film de Marcel Ophüls, Le Chagrin et la Pitié devient sur-signifiante. En déterrant le cadavre de Félix Germon, les auteurs du crime ont (in)volontairement procédé à une double exhumation, faisant resurgir à la surface du temps présent les années de l’Occupation. « Chagrin et pitié », l’expression sert de tremplin aux éditorialistes de la presse écrite ainsi qu’aux équipes de rédaction des JT qui rebondissent sur le thème et l’alimentent en retour. Du statut des Juifs d’octobre 1940, promulgué par le régime de Vichy à la déclaration de Jean-Marie Le Pen à L’Heure de vérité le 9 mai 1990, l’attaque contre les Juifs serait toujours de même nature. À l’appui de ce parallèle, qui transforme la profanation en sinistre machine à remonter le temps, plusieurs démonstrations ont été développées. Dans le JT d’A2 par exemple, l’historien du fascisme et de l’antisémitisme Jean-Pierre Azéma analyse le discours du leader du FN du 9 mai, dans lequel ce dernier dénonce l’existence d’un « pouvoir juif dans la presse », à la lumière de l’article 5 du statut des juifs d’octobre 1940 (il interdisait aux Juifs d’exercer des professions touchant à la communication) [29]  JT 20h, A2, 11mai 1990. [29] . Dans son éditorial du 11 mai, Le Figaro s’interroge : « quand Jean-Marie Le Pen parlait mercredi soir d’un “pouvoir juif dans la presse”, ne réveillait-il pas de vieux démons ? ». Dès lors il faut faire front et dire non au racisme et à l’antisémitisme, l’enjeu même de la manifestation du 14 mai. « Du chagrin et pitié », évocation traumatique d’une période où « les Français ne s’aimaient pas », la France bascule très vite dans « le chagrin et la résistance ».

28Intervenant en pleine phase d’obsession mémorielle concernant le régime de Vichy, le sens de la profanation du cimetière juif de Carpentras n’a pu se déployer que sous son influence. La mémoire collective des “années noires” réactivée récemment par les médias a imposé ses référents au point que l’événement de mai 1990 ne peut être saisi qu’à travers ses arcanes, éclairé par « ce passé qui ne veut pas passer ». Afin de rendre intelligible un « événement sans précédent », il faudrait paradoxalement l’inscrire dans une continuité. C’est ainsi que les étoiles jaunes s’affichent côté cœur [30]  Pour TF1, Nelly Pons est allée recueillir le témoignage… [30] . Tout est suggéré ici, mais avec force et conviction : comment ne pas y voir le procès de Vichy, 50 ans après [31]  Dans le JT de 20h de TF1, 14 mai 1990, Bernard Nicolas… [31] ?

Auschwitz-Carpentras : entrée en résonance

29La plongée dans l’histoire qu’a provoquée la profanation de Carpentras atteint, au-delà des années Vichy, les profondeurs abyssales de la Shoah. Derrière les relents d’antisémitisme transparaît en filigrane la mémoire du génocide des Juifs perpétré par les nazis, que les commémorations du 8 mai 1945 célébrées quelques jours auparavant ont contribué à réactiver. Le Figaro le premier adopte cet angle, ouvrant une brèche dans laquelle le reste des médias s’est engouffré. L’éditorial du 11 mai comprend déjà les mots « holocauste nazi ». Le 12, le propos prend de l’envergure : la « prose » des profanateurs serait inspirée du « très beau film de Rossif », De Nuremberg à Nuremberg, rediffusé le 8 mai sur A2 : « les petits écrans provoquent d’étranges phénomènes de retour ». Le quotidien convoque enfin des « spécialistes » afin d’étayer cette thèse : Claude Lanzmann estime que les profanateurs avaient une « démarche d’anéantissement absolu […] ce que faisaient les nazis dans les camps d’extermination » [32]  « Des spécialistes tentent d’évoquer cet acte inqualifiable… [32] . Cette interprétation de l’événement relie le drame actuel au génocide des Juifs. Le 11 mai, dans le JT de 20h d’A2, un reportage s’ouvre sur une assemblée recueillie à Carpentras autour d’un rabbin. Elie Wiesel apparaît à l’écran, présence hautement symbolique et significative. Le Prix Nobel de la Paix n’est-il pas le chantre de la mémoire de la Shoah ? Une voix off commente les images : « Le chant des familles juives pour pleurer les morts d’Auschwitz, comme si Carpentras avait remonté le temps cet après-midi ». La profanation de Carpentras ou le génocide continué : on pleure celles et ceux, Juifs, dont la dignité a été bafouée à cinquante ans d’intervalle, dans un deuil difficile à achever car à ré-entreprendre toujours. C’est là une mise en forme de l’événement qui le fait se dérober à lui-même – de simple profanation, nous sommes passés à un crime contre la mémoire juive.

30En ce printemps 1990, la France investit donc de facto les rescapés de la Shoah d’une légitimité à témoigner. Ceux-ci participent pleinement à la dramatisation de l’événement et assument la fonction de « faire ressentir » la douleur juive. Dans un reportage du JT de TF1 du 11 mai (édition de 20h), la caméra s’arrête sur une femme âgée juive, prise en gros plan ; elle crie presque : « j’ai été déportée par les Hongrois exactement pareil. Mes parents ils ont brûlé à Birkenau, ils ont massacré les synagogues et les cimetières. Ils ont commencé exactement pareil ». La caméra se tourne ensuite vers un homme ; son matricule de déporté apparaît en gros plan à l’écran : « Je montre ça parce que c’est vrai », dit-il avant de pleurer. Les téléspectateurs assistent à un retour de l’histoire inscrite dans la chair des anciens déportés, qui occupent en permanence l’arrière-plan, incarnation du martyre juif perpétuellement enduré et figuration d’un sens prêté à l’événement. Invitée du JT d’A2 le 14 mai, Simone Veil, rescapée d’Auschwitz, incarnerait la parole institutionnalisée du déporté juif au point que l’on « a reparlé des chambres à gaz et de l’holocauste […] sans que personne n’ait pu trouver ces interventions déplacées », commente Vaucluse Matin [33]  Gilles Debernardi, « Une offense au genre humain »,… [33] .

31L’événement Carpentras disparaît de la Une des journaux à partir du 16 mai 1990. Il resurgit ponctuellement au gré des aléas de l’enquête policière mais l’affaire n’est pas close pour autant. En septembre 1990, un article du sociologue Paul Yonnet dans la revue Le Débat relance la polémique : l’ancrage historique de l’événement aurait eu pour but d’assurer « la culpabilité récurrente de Le Pen » [34]  Paul Yonnet, « La machine Carpentras », Le Débat, septembre-octobre… [34] . Ce rebondissement vient étayer la thèse selon laquelle cette profanation est devenue presque instantanément un « récit médiatique » construit et imposé. Dès son exposition sur la scène publique, l’acte a échappé à ses protagonistes. Les médias et les pouvoirs publics se sont approprié l’information pour la reconstruire selon leurs interprétations, interdisant de la regarder comme une empreinte immédiate du réel.

32La profanation n’est pas la première du genre mais en mai 1990 à Carpentras le cadavre d’un homme juif a été exhumé et empalé (il s’agissait en fait d’un simulacre, comme le révélera l’enquête par la suite). Ce fait a joué de tout son poids dans la réception de la profanation. Il a constitué le motif sur lequel les instances de médiation ont pu unanimement greffer une trame aux tissages politique, historique et mémoriel. La conjonction de plusieurs éléments contextuels, désarticulation du corps social et climat politique délétère, ascension électorale du Front National, réactivation concomitante de la mémoire de la Shoah et de la mémoire de Vichy, permet seule de dénouer les fils du récit médiatique de la profanation de Carpentras.
33Émergeant dans une France profondément désorientée, l’acte perpétré a cristallisé les angoisses et les hantises du moment, en libérant les consciences et la parole. La manifestation du 14 mai 1990 a bien montré la valeur curative que l’on a prêtée à l’événement : expurger les maux de la société et la gangrène de la mémoire.

Épilogue

34En juillet 1996, les aveux de Yannick Garnier, ancien skinhead, révéleront que le crime avait été prémédité par des extrémistes du Parti national français et européen, un groupuscule d’inspiration néo-nazie.

Notes

[1] AFP, jeudi 10 mai 1990. Sont soulignés en gras les termes de la dépêche qui auront par la suite d’importantes conséquences dans le traitement de l’information par la classe politique et les médias.

[2] Pour Alain Flageul, l’événement résulte de l’imbrication étroite, jusqu’à ne plus pouvoir les dissocier, du « fait brut » dans ce qu’il a d’inaliénable et de « mythes factuels, tissus serrés d’énonciation et de ressentis ». In « La télévision de l’événement », Les dossiers de l’Audiovisuel, Paris, INA/La Documentation française, n° 91.

[3] Cette étude repose sur le dépouillement des quotidiens Le Monde, Libération, Le Figaro et Vaucluse Matin, édition provençale du Dauphiné Libéré qui permet de replacer l’événement dans son environnement local. Ont été également visionnés les journaux télévisés de TF1 et d’A2, éditions de 20h, du 10 au 14 mai et éditions de 13h des 11 et 13 mai 1990.

[4] Libération, 11 mai 1990, éditorial et p. 3.

[5] Le Monde, 12 mai 1990, p. 14.

[6] Vaucluse Matin, 11 mai 1990, dernière page.

[7] Claude Lanzmann, in Le Figaro, 12-13 mai 1990, p. 9.

[8] D’après l’ouvrage de Pierre Birnbaum, Les Fous de la République. Histoire des Juifs de France de Gambetta à Vichy, Paris, Fayard, 1992.

[9] Reportage de Sylvie Cenci sur la cérémonie religieuse du 13 mai 1990 au cimetière de Carpentras, diffusé au tout début du journal, JT 20h, 13 mai 1990, TF1.

[10] Guy Porte, correspondant régional du Monde, 15 mai 1990, p. 13.

[11] Jean-Marie Colombani et Hugues Portelli, Le Double septennat de François Mitterrand : dernier inventaire, Paris, Grasset, 1995.

[12] Parmi celles-ci, citons les procédés illégaux de financement du PS, la confusion autour de la loi d’amnistie des délits politico-financiers votée en décembre 1989 et la retombée du scandale lié à la transfusion de sang contaminé par le virus du sida à des hémophiles.

[13] Franz-Olivier Giesbert, « La France souillée », Le Figaro, 11 mai 1990.

[14] Xavier Marchetti, « Une société malade », Le Figaro, 14 mai 1990.

[15] Marc Kravetz, « Les pourvoyeurs de l’ordure », Libération, 11 mai 1990.

[16] À l’automne 1989, l’affaire du foulard islamique relance le débat sur l’immigration. Michel Rocard convoqua son gouvernement, en avril 1990, à une table ronde sur l’immigration pour essayer de trouver des solutions et apaiser les tensions sociales grandissantes. En vain.

[17] Les premières conclusions de l’enquête ont débouché sur l’idée que la profanation avait eu lieu dans la nuit du mercredi au jeudi. Par la suite, de nouveaux éléments ont permis de démontrer que l’acte avait été commis dans la nuit du mardi 8 au mercredi 9 mai 1990, c’est-à-dire avant le passage télévisé de Jean-Marie Le Pen : la piste du Front National était de ce fait sérieusement remise en cause.

[18] Le Monde des 28-29 janvier 1990 a révélé que Bernard Notin, professeur d’histoire à l’université de Lyon III, avait réussi à faire publier un article violemment antisémite et aux accents ouvertement négationnistes dans une revue pilotée par le CNRS, Economies et sociétés. L’affaire fit grand bruit et montrait que le négationnisme avait repris son travail de sape des fondements historiques de la « Solution finale » ; de Robert Faurisson, grâce auquel le négationnisme réalisa sa percée médiatique, à Bernard Notin, la relève de flambeau semblait assurée.

[19] Maurice Trillat, JT 13h, A2, 11 mai 1990.

[20] Pascal Perrineau, Le Symptôme Le Pen : radiographie des électeurs du Front National, Paris, Fayard, 1997, p. 62.

[21] In Valéry Nataf, « Petite chronique de l’antisémitisme ordinaire dans la France de 1990 », JT 20h, TF1, 11 mai 1990.

[22] L’Union des étudiants juifs de France, dans Le Monde, 12 mai 1990, p. 14.

[23] JT 20h, A2, 11 mai 1990.

[24] Décembre 1989 : presse écrite et chaînes de télévision françaises évoquent un charnier découvert en Roumanie, dans la ville de Timisoara, pour illustrer les atrocités commises par la révolution roumaine contre les opposants. Il fut révélé par la suite que le charnier découvert n’était en réalité qu’une fosse commune pour les gens pauvres, datant d’avant la révolution.

[25] Réaction publique de Jean-Marie Le Pen en visite au Puy-en-Velay, diffusée sur TF1, JT 20h, 11 mai 1990.

[26] Vaucluse Matin, 14 mai 1990.

[27] André Fontaine, « Le danger », Le Monde, 12 mai 1990, p. 1.

[28] Se reporter à l’ouvrage d’Henry Rousso, Le Syndrome de Vichy, Paris, Seuil, 1987.

[29] JT 20h, A2, 11mai 1990.

[30] Pour TF1, Nelly Pons est allée recueillir le témoignage de manifestants, le 14 mai, entre République et Bastille. Dans son reportage, on assiste à une distribution d’étoiles jaunes par une vieille dame : JT TF1, 14 mai 1990. Libération marque vraiment le pas en consacrant une double page à la photographie d’un couple arborant l’étoile jaune sur leur poitrine ; 15 mai 1990, pp. 2-3.

[31] Dans le JT de 20h de TF1, 14 mai 1990, Bernard Nicolas suit en direct l’avancée de la manifestation parisienne depuis la place de la Bastille. Il conclut son intervention sur ces mots : « j’ai noté une banderole, comme ça, tout à fait par hasard, « procès de Vichy 1940-1990 », comme s’il y avait ici un retour de l’histoire ». Hasard ? Si cette banderole plus qu’une autre a attiré et retenu l’attention du reporter au point que ce soit celle-ci qu’il mentionne, c’est sans doute parce qu’elle véhiculait un message conforme à l’orientation sémantique du discours médiatique du moment.

[32] « Des spécialistes tentent d’évoquer cet acte inqualifiable », Le Figaro, 12-13 mai 1990, p. 9.

[33] Gilles Debernardi, « Une offense au genre humain », Vaucluse Matin, 13 mai 1990.

[34] Paul Yonnet, « La machine Carpentras », Le Débat, septembre-octobre 1990, p. 21, 23 et 26. Voir aussi les analyses de : Nonna Mayer, « Carpentras machine arrière », Commentaire, printemps 1991, pp. 75-80 et Nicole Leibowitz, L’Affaire Carpentras, Paris, Plon, 1997.

Résumé

Français

En mai 1990, dans le cimetière juif de Carpentras, des tombes ont été profanées, un corps exhumé et son empalement simulé. Dès son annonce publique, le 10 mai, les médias français ont proposé une lecture politique de l’événement et l’ont investi d’une forte charge symbolique. L’acte antisémite était à la fois violation des principes républicains et mise en acte du discours frontiste. Dans un pays baigné par les ressacs de la mémoire de Vichy et de la Shoah, les médias et la classe politique ont livré cette interprétation ultime : la profanation comme perpétuation du génocide nazi.

English

In May 1990, tombs were desecrated, and a disinterred body was violated. As soon as the affair became public, the French media proposed a political interpretation of the event ; this anti-Semitic act was presented as a violation of the very principles of the republic and the reflection of the discourse of the National Front party. In a country haunted by the memory of Vichy and the Holocaust, the media and politicians depicted this profanation as tantamount to the continuation of the Nazi genocide.

Voir également:

Le procès des profanateurs du cimetière juif de Carpentras. Quatre accusés, deux regrets. Laonegro en veut à Garnier, qui a confié ses remords à la police.
Michel HENRY

Libération

18 mars 1997

Marseille envoyé spécial

Le sergent Fimbry est franc. La profanation de Carpentras? «On ne va pas revenir là-dessus.» Le génocide juif? «C’est passé, c’est fait.» Le racisme? «Bon, dire que je ne suis plus raciste, c’est un peu trop dire.» L’antisémitisme? «On en parlait beaucoup, mais on s’en prenait surtout aux Maghrébins. On n’avait jamais fait quelque chose pour les juifs, euh, sur les juifs.» Et après la profanation? «Euh…Une émotion forte. On ne fait pas ça tous les jours.» Sur son fauteuil, Magdeleine Germon, 87 ans, veuve de Felix, dont la dépouille avait été profanée, sursaute: «Mais c’est un monstre, celui-là!»

Le sergent Fimbry, 27 ans, qui comparaît depuis hier devant le tribunal correctionnel de Marseille avec trois co-prévenus poursuivis pour la profanation du cimetière juif de Carpentras en mai 1990, ne regrette pas grand chose. Si: que son pote Yannick Garnier ait parlé, fin juillet 1996, et les ait dénoncés. «J’aurais aimé qu’il se taise. Quand il a avoué, tout s’est effondré autour de moi. Je voyais déjà ma carrière brisée.»

Elle l’est: l’armée a résilié son contrat. Aujourd’hui, Olivier Fimbry, tête rasée, dit qu’il a changé, sans convaincre personne, surtout pas lui-même. Quand il a été arrêté, en août dernier, on a trouvé dans sa chambre de l’armée, à Colmar, des affiches nazies et un buste d’Hitler. «Des reliques, dit-il. Je suis conservateur, je garde tout.»

Pour lui, les Waffen SS sont toujours «l’élite». Pour le reste, il s’embrouille, ne sait pas trop, par exemple, à quoi correspond l’anniversaire du 8 mai 1945. «L’histoire, ça ne m’intéresse pas trop. C’est l’armistice?» Et le 14 juillet? «L’armistice aussi? Je sais qu’on défile. Mais moi, les dates…»

A ses côtés, Patrick Laonegro, 30 ans, vendeur en électronique, explique qu’il a admiré le IIIe Reich pour «l’aspect social, le travail pour tout le monde», «le côté esthétique, puissant», «l’aspect famill», et «le côté sportif, sain physiquement». «On peut faire du sport sans être skin», rétorque la présidente Monique Sakri, impeccable. «Oui, mais c’était un plus», répond Laonegro.

A son arrestation, l’été dernier, cet ancien membre du PNFE (Parti nationaliste français et européen, néo-nazi), déclarait: «Je ne suis pas raciste dans la mesure où je n’ai pas la haine de l’autre mais l’amour de ma race.» Hier, il dit s’être écarté de ces idées, ne plus croire à «l’inégalité des races». Mais cela paraît de pure forme. Car il décriait encore, fin 1996, devant un expert psychiatre, «le pouvoir sémite dans le circuit de l’argent, les banques et les médias», et «le pourrissement des valeurs». Hier, oeil perçant, voix assurée, Laonegro confirme: «On vit dans un monde où toutes les valeurs se perdent. Bon, c’est vrai que c’est un peu délicat de dire ça après ce qu’on a fait.»

Quant aux aveux de Garnier, Laonegro ne les a pas non plus appréciés: «C’est un peu surprenant de contacter la police. Il aurait pu s’adresser à un curé.» Et il met en doute leur spontanéité: «Moi, je pense que, en tant qu’organisateur de rave, Garnier a dû négocier un délit qu’il avait commis contre ces aveux.»

Yannick Garnier conteste. «Je suis fier de ce que j’ai fait il y a six mois. Fier de pouvoir dire enfin non à la profanation.» Certains y ont vu du narcissisme, Garnier rétorque: «Avec tout ce que j’ai perdu depuis ­ et j’en avais conscience à l’époque de mes aveux ­, je ne vois pas où est le narcissisme.»

Géant aux petits yeux enfoncés, Garnier, 26 ans, agent de sécurité, rêvait de devenir «garde du corps du Président de la République», il s’est retrouvé skin, «antisémite par conformité». «La haine de l’autre à l’époque, c’était la haine de moi-même, dit Garnier. Il me fallait un souffre-douleur pour me venger de tous mes problèmes. Les juifs, on s’en prenait à eux tout simplement parce qu’on n’avait pas réussi à être importants, à être dans des rouages importants de la société comme eux.»

S’il défendait à l’époque des «thèses proches du FN», Garnier dit avoir changé: «Après, j’ai appris à me combattre et à devenir quelqu’un de bien. Je n’ai plus besoin d’ennemis, car j’ai fait la paix avec moi-même. Aujourd’hui, je suis aux antipodes de ce que j’étais à 19 ans. Sans être d’extrême gauche, j’évolue au milieu de gens de toutes origines. Je suis devenu tolérant.»

On lui demande ce qu’il pense d’un «homme politique» qui a récemment déclaré que «le Président de la République est aux mains des juifs». Garnier répond: «Celui qui dit ça a encore beaucoup de chemin à faire.» Et aux jeunes qui seraient tentés de croire en l’«inégalité des races», Garnier demande de «revenir dans le monde des vivants».

Même métamorphose déclarée chez Bertrand Nouveau, 28 ans, ouvrier, père de famille, qui paraît en ce sens le plus sincère des quatre, selon une psychologue. «J’étais faible, j’avais la haine, je ne réfléchissais pas trop, dit-il. Le FN essaye de normaliser une haine envers les immigrés, les personnes différentes. A force de dire ça à un jeune de 20 ans, ça peut le pousser à l’extrême.» Maladroitement, Nouveau essaye de justifier son changement: «Des amis israélites ou maghrébins, j’en ai énormément actuellement. Et, s’il y a une race supérieure, je ne vois pas laquelle, puisqu’il y a de grands sportifs noirs et de grands savants juifs.»

Reprise des débats ce matin.

Voir de même:

Anatomie d’un drame national
Christophe Barbier

L’Express

08/08/1996

De la découverte d’un acte abject, aux aveux d’un skinhead repenti, l’affaire, après avoir servi Le Pen, se retourne contre lui

« Lorsque les criminels sont connus, on doit les dénoncer, et c’est le cas. Je dénonce le racisme, l’antisémitisme et l’intolérance. » En prononçant cette phrase, le 10 mai 1990, au sortir du cimetière juif de Carpentras, où il s’est précipité alors que l’on vient de découvrir la profanation des tombes, Pierre Joxe, alors ministre de l’Intérieur et des Cultes, ignore bien sûr que l’enquête lui donnera raison six ans plus tard. Mais il détermine en quelques mots le scénario d’un drame national, un scénario en quatre chapitres.

Il y a d’abord l’immense frisson qui secoue la France. Frisson d’horreur, tant la profanation de Carpentras est odieuse, frisson de révolte face à l’antisémitisme. Le 14 mai, à Paris, une foule innombrable s’écoule de la République à la Bastille, et c’est la nation qu’elle incarne. Ce jour-là, pour la première fois depuis la Libération, un président de la République participe à une manifestation de rue: François Mitterrand accompagne le cortège quelques minutes. Tout l’éventail politique est au premier rang, en une ribambelle d’écharpes tricolores, et Jean-Marie Le Pen est rendu « responsable non pas des actes de Carpentras, mais de tout ce qui a été inspiré par la haine raciste depuis des années », comme le formule alors Pierre Joxe.

Les piétinements de l’enquête ouvrent après l’été le chapitre du doute. Le sociologue Paul Yonnet le détaille, en septembre 1990, dans un article de la revue Le Débat intitulé « La machine Carpentras, histoire et sociologie d’un syndrome d’épuration ». Débordés par les progrès du lepénisme, les politiques auraient érigé Carpentras en drame national pour terrasser le Front national par un discrédit définitif. Et rétablir auprès de l’opinion une estime ruinée par la récente loi d’amnistie du financement politique. Dès la mi-juillet, Jean Hassoun, président de la communauté juive d’Avignon, avait confié cet état d’âme: « Nous nous demandons si nous n’avons pas fait l’objet d’une récupération politique. »

Le malaise s’aggrave quand les pistes locales semblent emporter l’adhésion des enquêteurs. Messes noires qui auraient dégénéré, délinquance morbide de la jeunesse dorée de Carpentras, elles composent le troisième chapitre. Il va traîner en longueur, sans apporter aucun dénouement. Une jeune fille, Alexandra Berrus, est découverte inanimée en mai 1992, et succombera à ses blessures. Cinq mois plus tard, Jessie Foulon, une autre adolescente, est battue et violée. Il y a quelques mois, elle raconte soudain « sa » vérité sur l’affaire: des jeux de rôle de la jeunesse locale, une deuxième équipe de profanateurs, de la drogue…

Climat empoisonné
Si ces thèses prospèrent ainsi, c’est qu’elles profitent du climat judiciaire et politique local. Côté justice, outre les déclarations maladroites de quelques magistrats, Me Gilbert Collard relance spectaculairement l’affaire à l’automne dernier. Avocat de la mère d’Alexandra Berrus et d’un cousin de Félix Germon, il déclare: « A Carpentras, tout le monde connaît le nom des profanateurs. » Dans une mise en scène douteuse, Me Collard se fait remettre en public par le cousin Germon une enveloppe censée contenir les noms des six « profanateurs assassins ». « J’ai bien l’intention de jouer le petit Zola de Carpentras », fanfaronne l’avocat. Sitôt les vrais coupables arrêtés, le maire de Carpentras, Jean-Claude Andrieu, a rappelé ce « burlesque médiatique où gesticulaient un avocat de renom et son client égaré ».

Le maire lui-même n’avait pas été épargné par la tempête locale: son fils a fait partie des jeunes un temps suspectés, et le climat politique municipal est depuis six ans empoisonné par l’affaire. Face à une droite divisée, le candidat lepéniste à la mairie, Guy Macary, a presque doublé son score entre l’élection de 1989 et celle de 1995.
En s’enlisant, l’affaire Carpentras est en effet devenue une arme pour le Front National, un boomerang qu’il veut voir revenir à la face de l’ « establishment » politique. Dès le 10 mai 1991, un an après la profanation, Jean-Marie Le Pen porte une lettre à François Mitterrand, lui demandant de « réparer publiquement l’injustice dont le FN a été victime ». Et, le 11 novembre 1995, 7 000 militants d’extrême droite viennent à Carpentras réclamer des « excuses nationales ». « Carpentras, mensonge d’Etat », est alors en passe de devenir un argument majeur et récurrent de la rhétorique lepéniste.

Les aveux brusques et tardifs du skinhead avignonnais, Yannick Garnier, imposent un épilogue qui est aussi un retour à la case départ. Politiquement, l’affaire, après avoir servi les intérêts du FN, se retourne contre lui. Les lepénistes hurlent déjà à la manipulation en affirmant que « les coupables sont presque parfaits », mais les faits, cette fois-ci, sont bien établis.

Profanations…
Trois types de profanations peuvent être distingués. Le premier est le vandalisme banal: en juin dernier, trois cimetières militaires de la Première Guerre mondiale ont été dévastés dans le Nord-Pas-de-Calais, et, le 26 juillet, cinq enfants âgés de dix à douze ans ont abîmé une centaine de tombes à Mulhouse. Le second type est la cérémonie satanique, comme, au début de juin, à Toulon, où les coupables ont été arrêtés. D’effroyables mises en scène accompagnent souvent ces actes, qui visent surtout les cimetières chrétiens, au nom de l’Antéchrist. A Toulon, un crucifix fut planté à l’envers dans le coeur du cadavre exhumé.
Il y a enfin les profanations antisémites. Nombreuses, elles sont souvent gardées le plus secrètes possible par les autorités juives, pour éviter les « épidémies ». Dans le mois qui suivit Carpentras, 101 actes antisémites furent recensés, contre six par mois d’habitude.

Voir de plus:

CARPENTRAS Le vrai visage des profanateurs
Jérôme Dupuis  et Jean-Marie Pontaut

L’Express

08/08/1996

Six ans plus tard, les violeurs de sépultures ont avoué: il s’agit bien de jeunes néonazis

Trois jours d’enquête pour six ans de mystère: après les aveux spontanés, mardi 30 juillet, de Yannick Garnier, l’un des auteurs de la profanation de Carpentras, les interrogatoires des trois autres participants arrêtés permettent de reconstituer l’hallucinante équipée de cette nuit de mai 1990. Leurs récits concordants montrent à quel point cette violation de sépultures avait été minutieusement préméditée et réalisée avec des méthodes dignes d’un commando militaire. Chacun des quatre hommes, aujourd’hui incarcérés, a revécu devant les policiers cette scène macabre qu’il avait voulu oublier depuis six ans. Le seul qui manque à l’appel, Jean-Claude Gos, est pourtant celui que tous désignent comme l’initiateur et le chef de leur bande. Ce néonazi à l’antisémitisme forcené s’est en effet tué, à 27 ans, lors d’un accident de moto, en décembre 1993, en Vaucluse.

Quatre ans plus tôt, en 1989, Gos laisse entrevoir pour la première fois sa fascination pour le cimetière juif de Carpentras. A son copain d’enfance Olivier Finbry, alors appelé du contingent à Berlin, il fait visiter cet endroit retiré, symbole, pour ce militant du PNFE, un groupuscule néonazi, de l’emprise des juifs sur la région. Les deux hommes se quittent en se promettant d’y faire un jour un « coup d’éclat ». L’année suivante, aux alentours du 30 avril, date anniversaire de la mort d’Adolf Hitler, ils décident, pour célébrer l’événement, d’attaquer le cimetière et d’y déterrer un cadavre juif. De véritables repérages sont alors effectués. S’ajoute, pour l’occasion, un troisième compère, Patrick Laonegro, lui aussi membre du PNFE. Les trois hommes découvrent un trou dans le mur d’enceinte et localisent la tombe à laquelle ils veulent s’attaquer – celle d’Emma Ulmann, située un peu à l’écart.

Mais cette opération commando nécessite de gros bras. Deux jeunes apprentis skins d’Avignon, Yannick Garnier et Bertrand Nouveau, leur prêtent donc main-forte. L’expédition, prévue pour le 8 mai, est soigneusement préparée: cagoules confectionnées à partir de manches de tee-shirts, gants, baskets pour ne pas laisser de traces. Yannick Garnier se fera d’ailleurs « engueuler » par Gos pour avoir cru bon de revêtir sa tenue de skin et ses rangers. En guise d’instruments, ils sont équipés de pelles et de pieds-de-biche.

« On n’en parlera jamais »
Après minuit, les cinq hommes arrivent au cimetière dans deux voitures. Ils commencent par saccager des dizaines de tombes au hasard. Mais, ensuite, malgré leurs efforts, ils ne parviennent pas à ouvrir la tombe repérée le 30 avril, trop lourde. Tout juste arrivent-ils à déplacer la dalle. Ils se replient alors sur la tombe de Félix Germon. Ils grattent la terre avec les pelles, mais manquent de cordes pour hisser le cercueil. Du coup, ils utilisent un tuyau d’arrosage trouvé dans un local d’entretien du cimetière. Ils exhument le corps, et Gos, pris d’une folie raciste, tente de l’empaler avec un pied de parasol trouvé sur place. Il voulait, en fait, dresser le corps verticalement.

L’opération macabre aura duré plus de deux heures en tout. A la sortie du cimetière, Patrick Laonegro intime l’ordre: « On n’en parlera jamais à personne, ni à ses copines ni à sa mère… » Nouveau et Garnier rentrent à Avignon sans dire un mot. Les trois autres repartent de leur côté et se débarrassent des cagoules, des gants et des chaussures dans des conteneurs-poubelles sur la route. Ce n’est que le surlendemain, lors de la découverte de la profanation, que Yannick Garnier, qui somnole sur un divan devant la télévision, chez ses parents, a un choc en découvrant Pierre Joxe visitant le cimetière.

Le ministre de l’Intérieur accuse l’extrême droite. Les Renseignements généraux désignent à la police judiciaire, dès le lendemain, 11 mai, la liste de membres du PNFE d’Avignon. Parmi eux, Jean-Claude Gos et Patrick Laonegro, qui seront respectivement entendus les 11 et 14 mai. Mais, au milieu des dizaines de gardes à vue, ils passeront entre les mailles du filet, d’autant que la police est alors convaincue que la profanation a été commise dans la nuit du 9 au 10 mai, c’est-à-dire le lendemain de la date véritable, personne n’ayant pénétré dans le cimetière dans l’intervalle.

Mais l’ampleur des réactions fait éclater définitivement ce petit groupe constitué de fraîche date et plutôt hétéroclite. Le meneur incontesté, doté d’un véritable ascendant physique sur ses compagnons, Jean-Claude Gos, était le seul à pouvoir se targuer d’un casier judiciaire: deux condamnations, dont l’une à six mois ferme, pour agressions.

Dans les mois précédant la profanation, il avait entrainé ses amis dans des ratonnades. Il leur avait aussi imposé une sorte d’uniforme skinhead, avec, en particulier, un bracelet comportant un insigne nazi. Membre du PNFE de 1988 à 1989, il quitte ce parti néonazi avec son ami Laonegro, tous deux l’estimant trop modéré à leur goût… Laonegro ira même jusqu’à assister à une réunion du PNFE, à Paris, pour s’expliquer. Selon lui, l’organisation ne valorisait pas suffisamment leurs actions. Tous les mois, en effet, le chef de section de chaque région envoie à Paris un Cram (compte rendu d’action militante). Ceux d’Avignon auraient systématiquement minimisé leurs exploits… A ce duo de choc s’ajoute un inquiétant troisième personnage: Olivier Finbry, un ami d’enfance de Gos, aujourd’hui militaire de carrière. Les enquêteurs auraient retrouvé de la documentation néonazie dans sa chambre.

Le groupe avait loué un local à Saint-Saturnin-lès-Avignon, qui leur servait notamment de salle pour s’entraîner à la boxe. A la même époque, en décembre 1989, Yannick Garnier, qui revient du service militaire, retrouve par hasard, à Avignon, un ancien camarade de troisième, Bertrand Nouveau. Les deux compères découvrent, vers février 1990, le local de Gos et Laonegro. Une ambiance virile qui plaît beaucoup à Garnier, un colosse de 1,96 mètre. Mais quand Gos lui prête un exemplaire de Mein Kampf, l’ouvrage lui tombe des mains…

Après la profanation, le groupe se disperse. Bertrand Nouveau fait un passage éclair de cinq mois à la Légion étrangère. Puis il se range, passe trois CAP et devient ouvrier dans une usine qui fabrique du polystyrène. Comme Laonegro, devenu vendeur dans une grande surface, près de Perpignan, il s’était marié en 1993 et avait eu un enfant. Tous deux auraient révélé à mi-mot leur terrible secret à leurs épouses.

Il a tout avoué aux RG
Garnier, lui, n’a personne à qui le confier. Ce solitaire, hanté par le souvenir de la profanation, part à la dérive. D’abord agent de sécurité pour divers spectacles (festival de blues de Bagnols-sur-Cèze ou la Mosaïque gitanes à Arles, pour 4 500 francs), il gardera, pour le compte de la société World Sécurité, le parking du supermarché Auchan du Pontet. Seul incident à retenir l’attention: propriétaire d’un pitbull, chien féroce très prisé par les skinheads, il a un différend avec un autre possesseur du même animal. Mais la dernière société de protection à l’employer disparaît: le voilà démuni, contraint de s’installer dans un meublé d’une résidence, à Avignon. La chute continue: il n’a pu payer ses deux derniers loyers. Lundi 29 juillet, il reçoit un avis d’expulsion pour le lendemain. Au bout du rouleau, persuadé, selon son avocat, Me Bruno Rebstock, que l’affaire de la profanation a détruit sa vie, il décide d’aller tout avouer aux policiers des Renseignements généraux.

Pourquoi les RG? Peut-être parce que, en tant qu’ancien skinhead, il avait eu l’occasion d’en croiser par le passé. Garnier racontera durant une heure et demie son histoire à la commissaire Dominique Gines. Celle-ci alerte aussitôt la PJ et son directeur central à Paris, Yves Bertrand. La PJ interpelle immédiatement les trois autres complices encore en vie – qui vont tous avouer. Brutalement ramené six ans en arrière, Bertrand Nouveau, selon son défenseur, Me Jean-Luc Palmieri, se dit prêt à payer, tout en souhaitant que le procès apporte la lumière sur les raisons pour lesquelles il a pu être entraîné à commettre un tel acte. Un procès qui mettra fin à six ans de rumeurs, d’insinuations et de fausses pistes.

Voir encore:

Le grand absent de Carpentras
Stein Sylviane

L’Express

20/03/1997

Mort en 1993, le chef des profanateurs n’a pu être jugé

Ce fut un étrange procès où, par-delà les vivants, deux morts se faisaient face. Deux absents que rien n’aurait dû faire se rencontrer, réunis dans le prétoire par une sépulture violée. L’un, Félix Germon, était enterré depuis vingt jours au cimetière juif de Carpentras (Vaucluse) quand, le 8 mai 1990, son cadavre fut arraché à sa sépulture et martyrisé. L’autre, Jean-Claude Gos, s’est tué à moto le 23 décembre 1993. C’est lui qui, au dire de ses complices, conduisait la troupe des cinq profanateurs.

S’il n’était pas mort, jamais les autres n’auraient parlé, laissant l’affaire s’enliser dans les 8 000 pages de la procédure. « Il disait qu’il lancerait un contrat sur ma tête si je parlais », avouera Yannick Garnier, celui qui fit tomber la bande en se dénonçant, six ans après les faits. Gos était un enragé, un néonazi engagé, un temps, dans les rangs du PNFE, un groupuscule d’extrême droite. Un « made in France » tatoué sur la nuque « signait sa personne », écrit Nicole Leibowitz, qui a retracé l’enquête (1). Deux fois condamné par la justice, dont une fois à un an de prison, pour avoir « ratonné » un harki. Grand, blond, les yeux bleus, cet agent de service de lycée recommandait à sa bande d’écouter Wagner et Carl Orff, le musicien préféré du Führer. Il menaçait: « Vous avez intérêt à vous taire, parce qu’après notre coup on va rétablir la peine de mort. » La sienne lui a épargné la prison.

(1) L’Affaire Carpentras, Plon.

Voir de même:

Incident at Carpentras
Roger Kaplan
Commentary

08.01.90

Is France in the midst of an anti-Semitic wave?

Jean Kahn, the president of CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France, i.e., the French equivalent of the American Conference of Presidents of Major Jewish Organizations), thinks that the answer is yes, that “there is an escalation of anti-Semitism in France.” And he cites “graffiti, threats, gasoline bombs thrown at synagogues, attacks on cemeteries, particularly in Alsace. . . . What happened at Carpentras is not new.”

Jews have lived in Carpentras, in the south of France, since at least the 1st century, which is to say even before there was a France. This past May, the ancient Jewish cemetery there was desecrated in a particularly odious way. Yet in response to this outrage (the term by which the event was headlined in Libération, a left-wing daily paper with a circulation of over a million), the entire French political class, with one significant exception, and virtually every editorialist in the country said more or less what President François Mitterrand said after visiting the home of Joseph Sitruk, France’s chief rabbi: “I came to him as one does when there is a death in the family.” Furthermore, an appeal by a Jewish organization brought 200,000 people into the streets on less than 48-hours’ notice.

The exception within the political class was Jean-Marie Le Pen, the president of the Front National (FN), a growing xenophobic party which also contains a serious current of anti-Semitism. As if to heighten alarm about Le Pen, a few days before the Carpentras desecration, Jacques Médecin, the mayor of Nice, had made a derogatory remark (“I have never met a Jew who did not accept a gift, even when he did not like it. . . .”). This was a case of adding insult to injury, since Médecin made the remark just after having ostentatiously played host to an FN congress at which a conspicuous guest was Franz Schönhuber, a former Waffen-SS officer who until recently was the leader of a right-wing West German party called the Republikaner and who has spoken of the Jews as the “fifth occupying power” in Germany.

In addition to such phenomena, there are also a number of French academics who deny that the Holocaust took place, and there are journalists who write things like, “Denying there was a Holocaust doesn’t make you an anti-Semite,” and, “Is it against the law to say someone is cheating? It depends on whether you are talking about pâté producers who are faking, or Jews.”

Does all this add up to a danger? Of course there are anti-Semites in France, and there is always some danger, practically everywhere, in being targeted simply as a Jew. It is also true that there is less rhetorical self-restraint in France than there used to be, now that the “taboo” imposed by the Holocaust has worn off. A report prepared for the French Premier last spring noted that while anti-Semitic acts remain relatively few, there seems to be a clear increase in verbal threats of all kinds. At the same time, however, many if not most politically consequential people in France are willing to stand up and be counted on the proposition that their country must not serve the ends of the Jew-haters.

Although the situation in France today is novel, to understand what has been going on here one has to reach back to the time of the Dreyfus Affair—when, as is often overlooked, the partisans of Captain Dreyfus won the day. True, the anti-Semites (or anti-Dreyfusards) got their revenge decades later when the Nazi puppet regime in Vichy was set up in 1940. But their triumph was short-lived, and its sweetness was immediately spoiled by the bitter experience after 1945 of being, if not shot, then purged, jailed, disgraced, and deprived for years of civil rights. Ever since, the old anti-Semites have been burning for another round of revenge.

Those in the vanguard of the anti-Dreyfusard-Pétainist-collaborationist tradition do not, as far as anyone can judge, have a truly substantial posterity. The people in leadership roles who are playing out this tradition are old men or, in a few instances, their sons—the Front National’s “scientific council” includes individuals drawn from the so-called New Right, which in reality is the old racist tradition dressed up in “ultraliberal” clothing. In some respects they all seem to be caught up in some gruesome family tragedy. On the other hand, they write and they, and especially their followers among France’s disgruntled, vote—in large enough numbers so that they could conceivably become part of a winning coalition.

For in addition to its history, France has its present. One of the world’s great empires has shrunk in less than a generation’s time to a small hexagonal territory at the tip of Europe. A country that was predominantly agricultural as late as the 1940’s has become an industrial and service-sector power. A highly centralized state, which for better or for worse had a homogeneous character, intellectual and cultural as well as administrative, has become fragmented, decentralized to some extent, and (in the nightmare of some) “multicultural.”

It is noteworthy that along with these demographic and cultural shifts, the Jewish community in France has grown into the world’s fourth largest1 (and Islam has emerged as the country’s second religion). This, however, has in some ways contributed to making France more, not less, tolerant than at any time in its past. The French today really are less sure of the superiority of their civilization than they used to be; perhaps more significantly, there is little evidence that they care a great deal about their civilization’s rank in the world, at least to the point of making it a fighting issue. But here, precisely, is the paradox: tolerance may be producing diminishing returns in the sense that xenophobes, raising the question of whether the French are not being asked to give up too much of themselves in order to be nice to others, touch a nerve that Le Pen is able to exploit.

This is not to say that xenophobia and anti-Semitism are always the same thing. Xenophobia can in certain circumstances be taken a long way in France, while programmatic anti-Semitism is almost universally viewed as demented. Every time Le Pen shows his frankly anti-Semitic side, he repulses those trying to convince themselves he has become respectable. It is mainly the French Left that has an interest in blurring the distinction between xenophobia and anti-Semitism, in order to make it that much harder for anti-Le Pen conservatives to take a principled “nationalist” position.

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It is often said that France must be anti-Semitic because where else in Europe during World War II did the locals voluntarily pass anti- Jewish laws before the Nazis even asked them to? This thesis is not false but it lacks nuance and perspective. An anti-Semitic party which had not been able to win an election, but which was propelled into power under the impact of the military and moral collapse of France in 1940, took advantage of the fact that the Nazis had a gun to the country’s head to promulgate laws that never would have passed a democratic legislature.

This is not to dismiss as uncharacteristic a terrible chapter in French history, and by and large the French do not dismiss it. They remind themselves of it, as they did a few weeks ago when an enterprising reporter at l’ Express, the country’s leading newsweekly, reconstructed the deportation to a transit camp in the Loire valley that followed the infamous roundup by the French police of Jews in Paris in July 1942. The story was a painful one, soberly reported. It did not bring out any new historical facts. Rather, it brought out once again—and this is probably something that cannot be done too often-the peculiar mix of indifference and cowardice and moral exhaustion that characterized the French collaboration with the country’s Nazi conquerors.

What is often overlooked about France in the 1940’s, however, is that the anti-Semitic measures occurred only because the anti-democratic party—whose supporters ranged from Germanophobe monarchists like the writer and poet Charles Maurras to intellectual Teutonophiles and Nazi sympathizers like the writer Robert Brasillach—had been imposed on the country by German arms; and while crimes were being committed against the Jews, Jews were also being saved. As Claude Lanzmann, the author of the film Shoah, noted following the Carpentras affair in May: “Despite the collaboration, despite Vichy, two-thirds of the Jews of France were saved. And that is thanks to the French.” But Lanzmann also expressed concern over the fact that some people still do not realize that anti-Semitism is a crime, not an opinion.

Actually, anti-Semitism has been legally a crime in France since 1972, and just recently there has also been an attempt (which failed) to criminalize the view that the Holocaust never occurred. Lanzmann happens to think that such legislation is dangerous in a variety of ways, and that the weapons of choice now must be education and information (including films like his own). He may well be right: the laws have hardly affected the rate or quantity of anti-Semitic expression. Le Pen himself has been taken to court several times, has lost several times, and has at least two more court dates ahead of him. In late May he was found guilty and fined for his remark that the Holocaust was a “detail” (in the sense of a minor circumstance) of World War II; he is likely to appeal. A couple of years ago, he was also found guilty of incitement to hatred for specifically naming three prominent Jewish journalists as evidence that the press is against him and is controlled by his (Jewish) enemies. Yet none of this deterred him from referring, just before Carpentras, to the “good representation” of Jews in the media.

Nor does it appear that his party’s fortunes have ebbed under the prosecutorial offensive. Although the FN has only one deputy in the National Assembly, it has several hundred municipal and regional councillors scattered around France, and these sometimes represent the balance of local power. There are also 10 FN men in the European Parliament at Strasbourg, in a French delegation of 81.

Within the Le-Penist coalition of disaffected voters, a hard core is made up of people unhappy that it was de Gaulle, rather than Pétain, who turned out to be right in the 1940’s—right about the outcome of the war, of course, but also right about France. Others who were Gaullists then (as Le Pen has claimed of himself) still have not digested the loss of French Algeria. Still others long for the sort of pre-Vatican II Catholicism that the French Church has turned its back on. And finally there are those (by no means coming only from the Right) who vote for Le Pen’s party because they think it is the only one which addresses issues, such as immigration and security, that concern them.

How much these different circles of followers, whose common denominator is frustration, can be contaminated by the anti-Semitism of some simply cannot be predicted.2 But the archaic, or local, nature of the recent anti-Semitic affaires suggests that the contamination may not go far.

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Consider the case of Claude Autant-Lara.

Autant-Lara is an acerbic old man who in the 1940’s was a successful film-maker, one of the leaders of what was called the Qualité française style. Although he did not enjoy German patronage and was never thought of as a Germanophile, he was later attacked mercilessly by the Nouvelle Vague group of critics and directors, led by François Truffaut, and he never forgave them. In his mind, disappointments going back to the 1930’s in Hollywood became confused with the eclipse of what had been a powerful film career in France, and accordingly the intellectuals in Paris and the Jews in Hollywood became his favorite scapegoats. These sentiments landed him a place on the Euro-parliamentary ticket of the FN and then a seat in Strasbourg.

Shortly after he took that seat, someone from the new Jewish magazine Globe got on the phone to the eighty-eight-year-old Autant-Lara and started pumping him. Autant-Lara asserted that there was a Jewish conspiracy against him, against France, and against the French film industry; moreover, he said, although he was not sure about the Holocaust, he did know that whatever the Nazis may have done, they did not get “the Veil woman” (ils ont raté la mère Veil), referring to Simone Veil, an Auschwitz survivor who has become one of the most popular politicians in France.

The Ministry of Justice initiated a suit against Autant-Lara for incitement to racial hatred. Every politician in France came out with statements condemning him. Even Jean-Marie Le Pen, who had put Autant-Lara on his ticket for a reason, felt compelled to express disapproval. Faced with all this, Autant-Lara resigned from the Euro-parliament and is presently facing prosecution for his interview with Globe.

More recently there was the Médecin affair in Nice, epitome of the French Riviera (bright sun and blue skies, mountains just behind the yellow and white beaches, elegant linen outfits, wine, seafood, the beautiful and the rich on the seashore, real-estate men and other tycoons, movie stars, and bimbos). Jacques Médecin practically inherited Nice’s city hall from his father in 1964, and from the Center-Left he has moved to the Center-Right; until lately he was a member of RPR, the Gaullist party of Jacques Chirac.

Now, it is important to understand about Médecin that he has been a strong supporter of Israel. He has twinned Nice with Netanya, he has denounced Arab terrorism, he has taken part in demonstrations against Arafat’s visit to meet with Mitterrand, and has done many things of concrete use to Israel, not to mention to the Jewish community of Nice, approximately 25,000 souls of mostly North African background.

Médecin, in other words, is emphatically not an enemy of the Jews. And yet, thinking he could score a few cheap political points at a time when he was under attack by his Socialist opponents for a variety of alleged financial irregularities, he publicly welcomed the Front National when it had its party congress in Nice not long before Carpentras and, as mentioned earlier, made a derogatory statement about Jews. The response of RPR, his own party, was to denounce Médecin, who in turn lost little time in resigning.

Again, as with Autant-Lara, the anti-Jewish virus was localized and quarantined.

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If the anti-Semitism of an Autant-Lara (for all the echo it finds in the extreme right-wing press) represents nothing but a spent, or almost spent, tradition, and if the alleged anti-Semitism of a Jacques Médecin is, on closer inspection, nothing but a political gesture, albeit a shameful one, then what is the political significance of these “affairs,” of which so much has been made in France?

For one thing, the Left in France has been using the rhetoric of “anti-racism” to give itself a moral agenda and place the mainstream Right on the defensive. Up to now, moreover, this tactic has been successful. At Carpentras, the Minister of the Interior (who has responsibilities comparable to our Attorney General) virtually accused Le Pen of being responsible for the outrage. Then, as if such blatant politicization of a criminal affair were not sufficient, the Interior Ministry proceeded thoroughly to botch the Carpentras investigation. Not only was evidence lost, but it developed that the desecration, undoubtedly disgusting, was not quite so gross in its physical details as the Minister (and his government colleagues) had at first let on. Whether they themselves had been deceived by misleading reports, or whether they were unable to resist an opportunity to make a public show of moral indignation, will probably never be known. What is known is that there is no extremist group in France, particularly on the far Right, that remains closed to the police, and if any such group had been implicated the fact would have emerged quickly. As Salomon Malka, a radio journalist, was forced to conclude, “We feel we’ve been cuckolded. I hope it’s not worse than that. But the crime certainly was manipulated for political ends.”

Beyond the calculations of domestic politics, public displays of “anti-anti-Semitism” in France, as the historian Annie Kriegel has noted, serve another purpose: “covering” a government foreign policy that is not well disposed toward Israel, and indeed has not been well disposed ever since the Six-Day War of 1967. (If anything, Mitterrand has been rather more sympathetic, at least at the level of gestures, than his predecessors.) Thus, just after Carpentras, the French government sent its human-rights man, Bernard Kouchner, to Israel to complain about its treatment of Arabs.

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Finally, and perhaps most importantly, the intellectuals in France (broadly speaking), despite their ritual “anti-anti-Semitism,” have permitted a public discourse to develop in which anti-Semitism nevertheless is a factor. Today, “certain things” can be said in France about the Jews that could not have been said twenty, let alone thirty or forty, years ago; and though these “certain things” are ritually denounced, they are seldom rebutted. What has happened in the intellectual world is that sentimental indignation often has taken the place of serious combat.

It is important to remember, moreover, that although today the main academic or would-be academic deniers of the Holocaust in France are in the orbit of the Front National, the late Robert Faurisson, the “dean” of the French Holocaust- deniers, was first represented by an extreme-Left publisher; and even today, a revisionist tract was recently published in an organ of the prestigious CNRS, France’s major state-funded graduate-research institute (it caused an uproar).

The shifting attitudes of the French Left to Israel play an important role here. It was Liberation, the same paper that ran the headline “Outrage” after Carpentras, that in 1976 greeted Israel’s lifesaving raid on Entebbe with the headline, “Israel, Champion Terrorist.” The paper would almost certainly not do this today—after repeated demonstrations of the way Israel’s enemies behave, the French media have acquired a certain respect for that country’s security requirements. Yet the often virulently anti-Israel view which prevailed on the Left between the end of the Six-Day War and the withdrawal from Lebanon did make it easier to raise other “questions” about the Jewish people, past and present, and the poison of that earlier view still lingers in the air. No wonder, then, that French intellectuals, whose delicate consciences only yesterday were hurt by Israel’s insistence on defending itself, today often lack the lucidity needed to mount an effective argument in behalf of Israel in particular, and the Jewish people in general, and instead wander perplexedly about in what the historian François Furet has justly called the “desert of antiracism.”

So there is an atmosphere in France—a tone, if you will—which, although hardly responsible for events like Carpentras, is very much part of the explanatory context in which such events take place.

Yet in the end it would be wrong to exaggerate on this score, too. The novelist Marek Halter, who lived through World War II in Poland and Russia and has witnessed the war against the Jews from Argentina to the borders of Israel, dismisses the notion that there is a serious threat in France of a social movement based on anti-Semitism. Referring to France as “one of the most beautiful democracies in the world, with a political class which, whatever else one might say of it, is one of the most generous,” Halter adds that it is now home to “a Jewish community which has never lived so freely throughout its two-thousand-year presence in this country.”

It does not do, ever, to underestimate the political potential of anti-Semitism in society. Yet despite the understandable alarm of Jews like Jean Kahn of CRIF, on balance Marek Halter’s seems a fair judgment about today’s France, even taking Le Pen into account, and even after the anxiety aroused by Carpentras.

Footnotes

1 There are in France a little under a million Jews, in a population of over 55 million. They are in their large majority of North African origin, having arrived in France in 1962 at the end of the Algerian war.

2 One of the more famous members of the Front National, for example, is Pierre Sergent, who is a municipal councillor at Perpignan, a city in the southwest. He was a leader of the OAS, the violent irredentist movement that tried to sabotage Algerian independence, and was later amnestied after years in hiding. But the relevant point about him in this context is that he chose to wear a yellow star in 1942 (when he was still in high school) before joining the Resistance. Sergent believes that so long as he is in the FN, the anti-Semites cannot gain the upper hand in the party.

About the Author
Roger Kaplan has written widely on French politics and on Algeria’s Islamist insurgency of the 1990’s.

Voir aussi:

« Votez escroc, pas facho! »
Libération
23 avril 2002

Silences, regards lourds, satisfaction rentrée et gueule de bois. A Paris, Abdoulaye, électeur de Le Pen, défend son vote. A Aubervilliers, le frère d’Icham n’a pas supporté que la Marseillaise soit sifflée au Stade de France, en octobre. Les étudiants de Sciences-Po Paris et de l’université Louis-Lumière de Lyon organisent la résistance. Dans le Nord, jadis fief de la gauche, les électeurs expliquent pourquoi, cette fois, ils n’ont pas choisi Jospin. Et à la cité de La Duchère, à Lyon, les jeunes ruminent leur mauvaise conscience d’avoir boudé les urnes. Au lendemain du premier tour, Libération s’est rendu dans les cafés, les cités, à la porte des usines. Témoignages.

Rue Myrrha, église Saint-Bernard… Dans ce XVIIIe arrondissement où Jospin devance Chirac et Le Pen est «seulement» à 11 %, des femmes en boubou surveillent des gamins en maillot bleu de l’équipe de France, qui dribblent sur le bitume en rigolant : «Vive Le Pen !» Hier midi, début de cagnard ou gueule de bois. Chez Jean-Claude Quenet, 62 ans, tenancier d’un kiosque à journaux, rue Stephenson, on affiche une belle humanité malgré «quatre agressions, dont une à main armée, en quatre ans de métier». Entre magazines, chewing-gums, ballons de foot et papeterie, Bruno, 34 ans, profil d’aigle et débit haché, «fils de la Ddass et RMIste», attend un logement depuis si longtemps que Jean-Claude, bonne pâte, le dépanne. Ni l’un ni l’autre n’ont choisi Le Pen. Mais ils en connaissent qui ont voté pour lui. «Chaque voiture brûlée, chaque petite vieille agressée, ça lui fait une voix.» Des gamins entrent acheter des Malabar, des habitués un journal. Quelques mines dévastées. «Les mômes ne sont plus élevés du tout. Tenez, raconte Jean-Claude, un petit Africain de quatre ou cinq ans fouinait dans les revues. Je le reprends. Pfuitt ! Il se débraguette, baisse son slip et me dit : « Suce ! »» Et ça, dit-il, «personne ne veut le voir. Quand on parle d’insécurité, on passe pour de vieux paranos fachos». Bruno acquiesce. Ne trouve pas le scrutin de dimanche trop grave, finalement, juste un «avertissement» à «ceux d’en haut», ces «intellos» qui ne s’adressent qu’aux «enseignants, aux journalistes», qui parlent de morale sans se rendre compte «qu’un seul cause juste : Le Pen».

Paris, place Stalingrad

Un bistrot du XIXe arrondissement, hier à l’heure de l’apéro, verre de vin blanc au prix imbattable de 1,15 euro. Le barman est gonflé à bloc. «Les urnes sont là. En face, il y a des gens qui manifestent et qui cassent pour contester les résultats. Alors, qui sont les vrais fachos ?» Il entend à peine la remarque d’un client, «les fachos, ils buvaient du champagne à Saint-Cloud», et poursuit en aparté : «Je connais les gens du service d’ordre du FN, c’est des sérieux. Les autres n’ont pas intérêt à s’approcher.» Sa clientèle est plus débonnaire, elle commente les résultats électoraux comme un match de foot. Ils ont joué dimanche, et déplorent la panne du chauffe-eau dans les vestiaires. «La douche froide, elle n’était pas que pour nous.»

– Jospin a voulu surenchérir sur les conneries de Mamère, avec le vote des immigrés.

– Y’en a qui râlent, mais ils n’ont même pas voté.

– Le facteur plus Arlette, ils font quand même 10 %.

– Hue, pour le remboursement de ses frais de campagne, c’est raté.

– Le Pen va défiler le 1er mai sur les Champs-Elysées, c’est de la provocation.

– Non, sa manif, c’est toujours au Louvre. De Gaulle lui-même ne voulait pas s’installer à l’Elysée, il préférait le palais du Louvre.

– Il n’avait pas été élu au premier tour, lui ?

– Même en cas de score 80-20, il faut toujours un second tour. Ah non ?

Paris, Sciences-Po

Dans le hall, des affiches appellent pêle-mêle à une «mobilisation générale», à une «journée antifasciste « No Pasaran »», à une «grève contre la haine». Hier, à Sciences-Po Paris, une petite moitié des étudiants n’a pas assisté aux cours, transformant ce lendemain de premier tour en un moment de «résistance démocratique», à l’appel de mouvements de gauche ou de la droite républicaine. Plus de 700 étudiants se sont rassemblés dans l’amphithéâtre Boutmy. Des chercheurs du Cevipof (Centre d’étude de la vie politique française) sont venus livrer leur analyse du scrutin. Les étudiants ont écouté, puis fait une ovation à Stéphane Hessel, 85 ans, ancien ambassadeur de France, étudiant à Sciences-Po «il y a 59 ans», né en Allemagne, déporté à Buchenwald, et qui participa après-guerre à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU. Leur prof, le député européen (PS) Olivier Duhamel, leur dit : «Quelle douleur hier soir, mais quel bonheur de vous voir aujourd’hui.» Pour le second tour, «on a le choix entre un fasciste et un voleur», lance un étudiant. Chacun donne sa solution : «Voter Chirac en se bouchant le nez.» «Voter contre Le Pen en se disant qu’on ne vote pas pour Chirac.» «Voter démocratie le 5 mai et progrès social en juin.»

Paris, place de la République

Anna est en larmes. Dimanche, cette avocate de 24 ans a voté Jospin. «C’est monstrueux. Mais qu’est-ce qu’ils veulent ? Un état totalitaire ? Ce sont des enfants gâtés : j’ai vécu au Brésil, ici ils ne savent pas ce que c’est l’insécurité ! Ça me répugne d’être française !» Elle marche parmi les milliers de manifestants, jeunes dans leur grande majorité, hier à 18 heures, entre République et Bastille. «J’ai honte d’aller voter Chirac, mais c’est une question d’honneur», lâche Malika, 26 ans, qui travaille dans la finance. C’était la première présidentielle de Laure : «Je crois que je ne me rendais pas compte de ce que le vote pouvait représenter… J’ai choisi Taubira. Maintenant je culpabilise.» Ils citent les responsables, en vrac. Les sondages : «Les gens n’ont pas besoin qu’on pense pour eux.» Les médias : «A cause d’eux, tous les pépés qui restent chez eux ont peur qu’on vienne les égorger !» Et avant tout, «eux», les Français, électeurs, abstentionnistes. «Ils votent comme on va acheter un paquet de céréales. Ils élisent Juppé, ils le jettent. Ils élisent Jospin, ils le jettent comme un malpropre…» Certains brandissent des panneaux «Votez Chirac le pourri». D’autres pensent qu’il faut oublier les clivages droite-gauche un moment, se concentrer sur la lutte contre le FN : «Maintenant, il faut éviter qu’il fasse 30 %.» Julien, 20 ans, a presque peur d’avouer son vote : «Pour un centriste…» Sa voisine, socialiste : «Mais dis-le ! C’est bien de voter Bayrou !»

Lyon, université Louis-Lumière

11 heures, l’amphithéâtre en plein air est plein à craquer. Les étudiants se succèdent au mégaphone. Ils veulent «parler», «réfléchir» ou «crier leur dégoût». Sans cesse, une question revient, provoquant tour à tour huées et applaudissements : «Comment va-t-on pouvoir voter Chirac ?» Ceux qui s’y refusent dénoncent les «dérives de la gauche plurielle». Evoquent les absences de la campagne : les sans-papiers, l’insécurité, la mondialisation. Un étudiant rappelle à ses camarades les anciens propos de Chirac sur «le bruit et les odeurs» : «Putain, comment on peut voter pour lui ?» «On n’a plus le choix», lui répond, presque en choeur, une partie de l’auditoire. Les autres huent. Les derniers parlent juste de «tristesse». Comme cette jeune fille : «Hier, on avait deux choix, voter avec notre coeur ou voter stratégique. J’ai voté avec mon coeur. Je n’aurais peut-être pas dû.» Un étudiant explique qu’il est arabe et qu’il habite Vénissieux. Pour lui, ce n’est plus devant un auditoire converti qu’est l’urgence de la parole et de l’action : «On est tous de gauche ici, et on finira bien par se résoudre à voter Chirac mais c’est pas nous qu’il faut convaincre. Il faut aller chercher les jeunes dans les banlieues. Il faut faire marcher les portables, faire descendre dans la rue ceux qui ne descendent pas et qui n’ont pas voté».

Aubervilliers

Malgré son maire communiste (Jack Ralite), et comme presque toutes les communes de Seine-Saint-Denis, Aubervilliers a donné près de 20 % des voix à Jean-Marie Le Pen. Signe d’intégration, selon Kader, sympathisant communiste qui tenait un bureau de vote, des Arabes ont voté FN. Une beurette l’a fait avec éclat : «Elle a juste pris le bulletin Le Pen. On lui a dit : « Mademoiselle il faut au moins deux bulletins. » Elle a répondu : « J’en ai rien a foutre », elle n’est même pas allée dans l’isoloir». Icham, animateur ; a voté Mamère car ses positions sur le Proche-Orient lui ont «beaucoup plu». Il appelle le frère de sa fiancée sur son portable. Le frère explique que, dans sa famille, ils n’ont pas supporté que la Marseillaise soit sifflée lors du match France-Algérie. «C’est nous les premières victimes de ces petits cons. J’ai une maîtrise d’informatique et j’ai dû prendre un emploi-jeune dans un collège. Ici, les gens qui votent Le Pen ne sont pas xénophobes, ils en ont marre. T’as pas le droit d’avoir une belle voiture, tu le la fais braquer ou brûler.» Philippe, 53 ans, une des 103 voix Le Pen du bureau n° 12, est taxi, vit dans une HLM et ne possède pas de box pour protéger son outil de travail. Il doit la laisser dans un garage, à 2 km de chez lui, et prendre le bus. «Les collègues, y’a des Noirs, des Arabes, des Chinois, dedans il y a des bons et des cons. Le problème, c’est les petits merdeux qui te crèvent les pneus de ta bagnole, pour rien, juste pour emmerder le peuple.»

Ivry-sur-Seine, parvis de la mairie

Encore un fief communiste du Val-de-Marne. Robert Hue y explose ses scores. A Ivry, il a récolté 15,47 % des voix. Devant la mairie, comme tous les jours, des habitués jouent à la pétanque presque en silence. Surpris des résultats nationaux au premier tour ? «Plutôt, oui, c’est vrai qu’ils ont pris un bon coup, les communistes», explique un retraité qui ne mentionne même pas la performance de Le Pen. Un de ses collègues n’a plus le droit de vote (il a fait faillite) et s’énerve : «Le Pen ? J’ai toujours dit qu’il fallait une dictature en France pendant deux ou trois ans, le temps de purger tous les ministères, et après on revient à la démocratie.» Mais, sur le parvis de la mairie, comme au café d’en face, les électeurs n’osent pas imaginer Le Pen gagnant au second tour, «les Français ne sont pas bêtes à ce point-là». «Si Le Pen passe, c’est la révolution, se rassure Michel, qui promène son chien. Je suis persuadé que même l’armée va se retourner contre lui. Si ça arrive, on va être la risée du monde entier et il y en a ici qui vont pouvoir faire leurs bagages.» «S’il passe, je me suis d’abord dit que je quitterais la France, ajoute une trentenaire qui regrette de ne pas être allée voter. Maintenant, je me dis que je vais militer, arrêter d’être passive.» La plupart voteront à droite pour la première fois de leur vie. A contre-coeur, comme Catherine : «Je vis dans une municipalité communiste depuis que je suis toute petite. J’ai été trop naïve. Maintenant, j’ai l’impression que la France est à droite et ça me dépasse».

Pierrefitte, quartier des Poètes

«Je suis choqué, ébranlé», dit Ahmed. Il sert pour 50 centimes ou un euro de bonbons à des marmots qui défilent. «C’est l’horreur. Mais pas tout à fait une surprise.» L’insécurité ? Depuis trente-cinq ans en France, Ahmed est passé d’une cité dure à l’autre. Il trouve que celle-ci est devenue vivable, après la mobilisation de tous, associations et habitants. D’ailleurs, le quartier des Poètes vogue à contre-courant : Le Pen est passé de 16,26 % en 1995 à 7,82 % dimanche (et 1,27 % pour Mégret). «Si vous vouliez m’agresser, c’est eux qui me défendraient», dit-il en désignant deux grands dadais venus acheter des Coca. L’un d’eux opine : «Ouais, c’est notre épicier.» En face, à la Maison des parents, des femmes s’absorbent dans des travaux de peinture. Mylène, trentenaire, d’origine togolaise, s’emballe : «Faut arrêter quoi ! Les gens sont pas contents.» Elle avait prévu de voter blanc au premier tour, s’est ravisée et a opté pour Jospin, sur les conseils de son père. «Je travaille à mi-temps dans une crèche à Paris. On voit arriver des gosses qui sont malades tout le temps parce qu’ils vivent dans des hôtels minables, faute de vrai logement. Dans le quartier, je vois une femme qui fait les poubelles. Ces gens-là, vous allez leur demander de voter pour qui ? Pour quoi ? poursuit Mylène. Les gens se sentent trahis, abandonnés. Ils se défoulent dans l’isoloir.» Deux portes plus loin, c’est le centre social. Yao, éducateur, n’a pas le droit de vote : «Au lieu de taper sur le FN, il faut se démener».

Paris, XXe arrondissement

C’est l’un des arrondissements de Paris qui a le mieux résisté : Jospin à 22 %, Le Pen à 10,5 %. Le choc est d’autant plus violent. Au Pacte, une association d’amélioration de l’habitat, on concède que certaines rues sont un peu chaudes. «Mais les riverains habitent là depuis longtemps, ils ne veulent pas partir. Ils n’ont pas peur», tempère une jeune femme. Pour Pascal, le danger est plus profond : «En vingt ans, certaines expressions scandaleuses de Le Pen, style « tous pourris », sont passées dans le langage populaire, comme une sorte de bon sens.» Une de ses collègues approuve : «Hier soir, je me suis tout de suite demandée si des gens de mon entourage, au travail, avaient voté Le Pen. Mais qui ? Ce matin, l’ambiance était mauvaise dans le train, personne ne se regardait.» Comme au Petit Navire, un bistrot de la rue Ramponneau : «Curieux, personne n’osait en parler», note le patron. Abdoulaye, 22 ans, Black du nord de l’arrondissement, veut s’exprimer : «J’ai voté Le Pen, ma mère aussi ! Il a des idées réalistes, il concrétise, il ne bavarde pas comme les autres. Avec lui, on sait ce qu’on choisit, sur quoi on s’abstient. Il a le courage de dire ce qu’il pense, et on sait qu’il fera ce qu’il dit.» L’année dernière, Abdoulaye a voté socialiste, «mais Delanoë n’a rien fait». Le programme de Le Pen, la répression dans les cités ? «Mais il faut des mesures draconiennes dans certaines cités, il faut un nettoyage !» Dans les ateliers de la Forge, Pero, artiste d’origine monténégrine, se souvient que «Le Pen s’opposait aux bombardements de Belgrade». Il n’a pas voté, aurait donné sa voix à Chevènement. Il relève «la lucidité» de Le Pen, compare Jospin et Chirac à «des techniciens de la politique, représentants d’un Etat enfermé, bureaucratique, loin des gens et des artistes», leur oppose un «Le Pen, vieux lion, animal blessé, qui a su pousser le peuple français à un caprice» : «Il est utile pour lutter contre l’endormissement. Comme en art, il faut des accidents pour que la France ressemble à un chef-d’oeuvre.»

Montereau, quartier Surville

Dans le sud de la Seine-et-Marne, «c’est pas l’anarchie, on est à la campagne», précise Nabyl, étudiant. Le Pen y fait pourtant 19 %. «Je ne me retrouvais dans aucun candidat : j’ai même pas voulu glisser le petit drapeau de la Palestine dans l’enveloppe. Entre Supermenteur et Superfacho, je vais voter Chirac», se morfond Kamel, lycéen, 18 ans. «Tout ça c’est pour se débarrasser de nous», lâche un vieil Algérien. Tous habitent à Surville, la cité perchée sur le coteau, que la ville basse regarde d’un mauvais oeil. Surtout dans cette rue bordée de «pavillons à 1 million de francs où les retraités votent tous FN», indique un passant. «Faut voir les voitures brûlées, les agressions. Je suis FN comme j’étais gaulliste en 1940 : les Arabes, ici, c’est les Allemands d’alors. Il faut que Le Pen fasse au moins 22 % au second tour pour peser sur Chirac ensuite», se félicite Pierre, retraité de 77 ans, derrière sa clôture.

Argenteuil, Bezons

Une dizaine de jeunes discutent au soleil au pied des immeubles. Pas un seul n’était inscrit. «Moi, je regrette, dit l’un. Beaucoup de jeunes regrettent aujourd’hui.» Un autre : «Moi, je m’en fous. Je dis juste « nique les Schmitt ».» Son copain s’énerve : «Non, dis pas ça. Sans les flics, il y aurait des morts et des braquages tous les jours.» Dimanche soir, passé 20 heures, toute la cité ne parlait que des élections. Ceux qui étaient aux fenêtres s’adressaient à ceux attroupés en bas. «Une femme était tellement dégoûtée qu’elle voulait se jeter de sa fenêtre, racontent les jeunes. Ça a duré jusqu’à 4 heures du matin.»

A Bezons (Val-d’Oise), la ville limitrophe, deux hommes boivent un café en terrasse. Hassen a voté «Lionel» et Mouloud pour Chevènement. «Je suis malade depuis hier, dit Mouloud, 35 ans. Les gens sont fous. Ils nous voient comme des immigrés, ils veulent qu’on parte. Mais je suis né ici !» Hassen enchaîne : «Moi, j’ai même choisi d’être français.» Ensemble : «Ils ont voté sur l’insécurité, parce qu’on ne voit que des merdeux à la télé. Mais ils ne savent pas ce qui les attend : un type qui embrasse Saddam Hussein et qui dit que la Shoah est un détail !»

Nanterre, place de la Mairie

Le parvis est presque vide. Assise dans un coin, Habiba, 24 ans, militante PS, commente les résultats du scrutin dans le «fief communiste» des Hauts-de-Seine. «La culture de gauche, ça existe encore ici. Le Pen, pour nous, c’est un raciste, ça explique peut-être qu’il fasse un peu moins qu’ailleurs. Je veux bien qu’on me parle de chômage et d’insécurité, mais beaucoup de gens ne font rien, ils ne cherchent même pas de boulot alors qu’il y a des antennes de l’emploi partout.» A 13,41 %, le candidat du FN fait moins bien qu’au niveau national mais dépasse Robert Hue ; Jospin arrive largement en tête, juste sous les 20 %. «Quand il y a de gros problèmes comme avec la fusillade, il y a trois semaines, les gens se rassemblent. Ils ne sont peut-être pas d’accord mais ils communiquent.» «Il n’y a presque que des gens d’origine maghrébine ici, explique Sabrina, qui travaille dans les cantines scolaires de la ville. Le Pen, il ne devrait même pas faire 1 %, c’est grave comme score.» Pour Nelly, serveuse à Paris, «Le Pen pose quand même les bonnes questions, faut reconnaître. Il y a des jours, je pourrais voter pour lui, mais j’ai un bon fond, j’aime les êtres humains».

Aulnay-sous-Bois, usine PSA

Hier après-midi, à l’heure du changement d’équipe sur le parking de l’usine. Intérimaires chez Valéo, un fournisseur qui travaille sur le site, les deux copines arrivent à pied. «J’ai jamais voté de ma vie, dit Laurence. Mais aujourd’hui, je regrette un peu. De toute façon, je n’aurais pas voté Jospin mais Arlette. Elle au moins, elle nous comprend, elle défend nos droits.» Sa copine, Kardiatou, d’origine sénégalaise, est intérimaire depuis trois semaines. «Arlette, ce n’est pas quelqu’un qui avance.» La menace Le Pen ? «Je pense qu’il est beaucoup moins raciste qu’il ne le dit. Il ne fera jamais ce qu’il dit», assure Kardiatou. La présence de Le Pen au second tour ne surprend pas grand monde. «L’insécurité, c’est le vrai sujet. Moi, je me suis fait déjà choper par la police et ils m’ont relâché tout de suite, sans rien dire. C’est un truc de fou», dit un Black de 19 ans, qui a voté Jospin. «Il y a des vraies victimes de l’insécurité, et c’est toujours les pauvres… alors, faut pas s’étonner», poursuit son copain Brahim.

Le Pen président ? «Je m’en fous. Je n’ai jamais voté, ça m’intéresse pas», dit Jonathan, un Black de 20 ans, en CDD depuis six mois, les yeux rivés sur sa montre de peur d’être en retard au travail. «Je ne suis pas dedans, tente de se justifier son copain, Abdel, lui aussi en CDD. Peut-être qu’il faudrait quand même que j’aille voter au second tour. Mais j’ai pas la carte. Alors je ne sais pas si on a le droit…», dit-il. La carte ? «Ben, je sais pas, la carte, euh… Comment ca s’appelle déjà… La carte électorale, c’est ça ?»

Mantes-la-Jolie, le Val-Fourré

«Voir des gens dire qu’ils ont honte d’être français après ce qui s’est passé, ça fait quand même quelque chose», dit Mouloud en se posant la main sur la poitrine. Stagiaire éducateur sportif de 23 ans, il habite le Val-Fourré, ghetto au coeur de Mantes-la-Jolie. Dès les premières estimations, il a eu «des frissons» : «C’est comme ça qu’on remercie les travailleurs immigrés qui ont servi la France ?» Pour lui, comme pour son copain Ahmed, qui prépare un BEP, «presque tous les candidats ont fait de la pub à Le Pen» en exploitant l’insécurité. Mais pour Awad, formateur, «le jour où il y aura des permanences des partis dans les cités, les gens se déplaceront peut-être»…

Lyon, cité de La Duchère

La honte, la peur, et pour la première fois, la culpabilité. Le scrutin a douché La Duchère. L’extrême droite totalise 26,36 % dans le quartier. Pour Dounia, 22 ans, «c’est un peu à cause de gens comme nous que Le Pen est au deuxième tour». Etudiante en BTS, elle ne s’est pas déplacée. Elle raconte la surprise, la peur de ses parents, qu’elle a trouvés «figés» devant la télé, dimanche, en rentrant. Une crainte partagée dans les familles immigrées. Leurs enfants, surtout, se sentent mal à l’aise. «Je ne sais plus comment regarder les gens, raconte Slimane, 21 ans, en terminale. Quand il passe quelque chose de bizarre dans leurs yeux, je me dis que celui-là a peut-être voté Le Pen. Il faut que je m’en décolle pour rester moi-même.» Il affirme pourtant qu’il n’a pas peur : «Je suis français, j’ai pas de raison.» Mais il ajoute : «A la place d’un vrai Français, j’aurais surtout la honte.» «C’est fou, résume Saadia. Les Français ont choisi les deux plus vieux, les deux plus riches et les deux plus voleurs.» Elle, a voté à gauche, mais pas Jospin. Elle aimerait «revenir vingt-quatre heures en arrière».

Au club de pétanque, en revanche, le résultat n’est «pas une surprise». Ici, «on ne parle pas de politique», mais «on est tous d’accord». Arrivés pour la plupart en 1962, les boulistes parlent des voitures brûlées, d’une vieille dame agressée, de «tous ces noms arabes qu’on lit dans le journal». Ils sont pieds-noirs pour la plupart, Le Pen ne leur fait plus peur. «Il s’en prendrait à l’insécurité, pas aux juifs et aux Arabes qui respectent le quartier.» Le vote sécuritaire n’a pas tout fait. Pour Sammy, responsable du ciné-club du quartier, «plus personne ici ne croit à ceux qui nous représentent. Il y a un gouffre qu’ils sont seuls à ne pas voir». «Jospin, c’est bien qu’il arrête la politique, décrète Slimane, le lycéen. Il avait une tête qui ne passait pas. On sentait qu’il était honnête, mais il était triste, tout en dedans. Chirac, les gens savent qu’il ment, mais quand il parle, il les rassure.»

Lille, Grand-Place

Dimanche soir, les Jeunes socialistes brandissent des affichettes «Votez escroc, pas facho», puis les brûlent. Entre militants LCR et socialistes, le ton monte. Le socialiste : «On n’est pas là pour sortir des drapeaux, on manifeste contre le FN.» Le trotskiste : «Le FN ? Mais c’est pas les fachos qui ont gagné, ce sont les socialistes qui se cassent la gueule ! Viens voir dans les quartiers, viens parler aux gens ! Ça fait longtemps qu ils ne se reconnaissent plus dans les socialistes, les gens.» Le vieux bastion de la gauche a honte. L’abstention est deux points au-dessus de la moyenne nationale, et le FN est le premier parti du Nord.

Lundi, même lieu. Des lycéennes prennent le soleil, sèchent les cours. «On va aller manifester contre Le Pen, même nos profs nous ont incités à y aller, à nous battre. La prof d’espagnol, ça l’a vraiment touchée, parce qu’elle est pas française pure. Le prof d’éco, son ulcère s’est réveillé. Il nous a dit que, pour la première fois de sa vie, il avait honte de son pays», racontent Amal et Cindy, 16 et 15 ans. Soraya, 18 ans, a «honte de la France», elle aussi. Elle va voter Chirac pour faire reculer Le Pen «le plus loin possible». «Je me suis dit « ah les cons, les cons, les cons… » Je suis tombée de très très haut», raconte Blandine, ancienne militante PS. Dimanche, elle a voté Mamère, pour la première fois. «Je m’en mords les doigts jusqu’au coude.» Mais elle a détesté la campagne des socialistes sur l’insécurité : «On a plus besoin d éducateurs que de policiers.» Claude, prof de collège à Roubaix et militant syndical, est «abattu», «alarmé», mais estime que «cette gauche-là avait perdu pied depuis longtemps». Serge, d’origine kabyle, est éducateur en milieu carcéral : «Les socialistes étaient trop sûrs d’eux. Le Pen, ils l’ont pris pour un lutin, ils le croyaient foutu. Les intellectuels n’ont rien vu venir. Maintenant, ça y est, ils ont laissé entrer le vampire.» Jean-Daniel, médecin dans un quartier populaire, pense qu’un pas a été franchi : «Au deuxième tour, Le Pen va améliorer son score, surtout après son discours de dimanche « aux ouvriers, aux mineurs, aux métallos ». Dans le Nord, les travailleurs ne se reconnaissent plus dans le PC et le PS. Dans mon cabinet, j’entends les langues se délier.»

Béziers, quartier Faubourg

Dans le quartier du faubourg de Béziers, là où, il y a un mois, un buraliste a tiré sur un jeune qui tentait de voler sa voiture, rares sont ceux à concéder qu’ils ont voté Le Pen, mais tout le monde comprend pourquoi le candidat du Front national a raflé 35 % des voix. «Si Chirac et Jospin avaient mis le doigt sur les problèmes, sûrement on n’en serait pas là. On n’arrête pas de nous dire : « Il faut pas être raciste, il faut pas être ceci », alors, officiellement, les gens ne sont pas racistes, sauf dans les urnes. Parce que l’insécurité, ça va avec», analyse un buraliste. Un peu plus loin, le patron du bar le Joffre explique, le doigt pointé : «On ne peut plus laisser nos enfants seuls dans la rue. Regardez ce restaurant jaune, là, c’est le rendez-vous des clandestins et des dealers. La police le sait, mais personne ne fait rien.» Lui voudrait «Le Pen comme ministre de l’Intérieur». Accoudé au bar, un client acquiesce : «Où est le problème ? En Autriche, en Italie, ils n’en ont pas fait tout un plat !» Un groupe de cinq filles de l’école de coiffure sont étonnées qu’on leur demande pourquoi Le Pen a fait un tel score à Béziers : «Vous ne regardez pas les actualités ?»

Marseille

La manif anti-Le Pen a réuni 1 000 à 2000 personnes hier. Parmi elles, Tanguy Cornu, 19 ans, étudiant en hypokhâgne. «J’ai voté Mamère, dit-il. J’ai fait une connerie. Maintenant, il nous manque quelque chose. L’impression d’être trahi, qu’on nous enlève une occasion de nous exprimer.» Mais il y a pire : ses copains qui ne sont pas allés voter. «Ils se mordent les doigts. C’est le point positif : ça fait prendre conscience que si on ne va pas voter, d’autres le font à notre place.» Sandra Benbrahim, 23 ans, étudiante, explique : «On a tous été un peu leurrés par les médias et les sondages. J’ai voté vert, par conviction, et je ne regrette pas. Jospin a fait une mauvaise campagne. Quand on est de gauche, on fait une campagne de gauche.» Dans le cortège, il y a aussi des enseignants, comme Jean Guillaume, 55 ans : «Certains sont très tristes. Ce n’est pas mon cas. C’est un choc sanitaire. Bien sûr, l’élection a accouché d’un monstre. Mais c’est une sanction attendue. La déception d’une politique concernant les libertés, d’une RTT qui est très mal passée dans la fonction publique. Les socialistes sont englués dans des rapports au pouvoir plombants. Ils ne savent plus les gestes qu’il faut pour parler à la base. Mes élèves de terminale ont presque tous voté Besancenot. Ils trouvent que c’est le seul qui a le même langage qu’eux.» Une banderole proclame : «Après Vitrolles, la France ?» Beaucoup de manifestants arborent un autocollant «L’arnaque plutôt que la haine/Chirac plutôt que Le Pen». Jean-Pol et Jacqueline Melone, 64 et 63 ans, enseignants à la retraite, ont fait la campagne pour le PS. «Les gens prenaient les tracts mais ne les regardaient pas, critiquaient le programme mais ne l’avaient pas lu. Ils se sont fait une idée d’après la télé. Ils voient un matraquage sur la sécurité, des séries d’images qui ne laissent que des impressions. Par rapport à ça, Chirac et Le Pen, c’est très simple, ce qu’ils disent. Jospin, c’est plus compliqué.» .

Récit de la rédaction

 Voir par ailleurs:

Winter on the Left

Living Large in a Shrinking Cocoon

American interest

December 21, 2014

Never have liberal ideas been so firmly entrenched within America’s core elite institutions. Never have those institutions been so weak and uninfluential.

Voir aussi : mARCHAIS

Georges Marchais se défend alors de tout racisme et dit parler dans l’intérêt de tous :

« Nous pensons que tous les travailleurs sont frères, indépendamment du pays où ils sont nés (…) » Mais « dans la crise actuelle, elle [l’immigration] constitue pour les patrons et le gouvernement un moyen d’aggraver le chômage, les bas salaires, les mauvaises conditions de travail, la répression contre tous les travailleurs, aussi bien immigrés que français. C’est pourquoi nous disons : il faut arrêter l’immigration, sous peine de jeter de nouveaux travailleurs au chômage. »

Cette vision de l’immigration reste radicale : elle rend responsables du chômage les travailleurs immigrés.

Lors de la campagne présidentielle de 1981, Georges Marchais écrit une longue lettre au recteur de la mosquée de Paris. Il y détaille la position des communistes sur l’immigration, qui n’est pas sans rappeler un discours qu’on trouve aujourd’hui au FN ou dans une partie de l’UMP  :

« Il faut résoudre d’importants problèmes posés dans la vie locale française par l’immigration […] se trouvent entassés dans ce qu’il faut bien appeler des ghettos, des travailleurs et des familles aux traditions, aux langues, aux façons de vivre différentes. Cela crée des tensions, et parfois des heurts entre immigrés des divers pays. Cela rend difficiles leurs relations avec les Français. Quand la concentration devient très importante […], la crise du logement s’aggrave ; les HLM font cruellement défaut et de nombreuses familles françaises ne peuvent y accéder. Les charges d’aide sociale nécessaire pour les familles immigrées plongées dans la misère deviennent insupportables pour les budgets des communes peuplées d’ouvriers et d’employés. L’enseignement est incapable de faire face… »

4. Difficile de comparer deux époques si lointaines

Le PCF a donc connu une phase où il tenait des positions opposées à l’immigration et à la présence de travailleurs immigrés, c’est un fait. Peut-on pour autant le comparer à l’actuel FN ?

Marine Le Pen a opéré un glissement « à gauche » de son parti sur les thématiques économiques. Le FN n’hésite plus à critiquer les dérives du capitalisme ou du libéralisme, et à les opposer aux « travailleurs », reprenant une dichotomie classique à gauche. Surtout, le FN a su faire son nid dans nombre d’anciens bastions communistes et populaires, en jouant sur cette double rhétorique, contre l’immigration et contre le « grand patronat », qui peut présenter des similarités avec le discours communiste de 1981.

Mais sur l’Europe, par exemple, si les positions peuvent être proches (Georges Marchais souhaitait une « protection de notre marché intérieur », et le slogan du PCF en 1981 était « Produisons français ! »), il est difficile de comparer. En 1981, la formation européenne est encore embryonnaire et concerne surtout des accords économiques à l’intérieur de ses frontières, sans monnaie unique et avec une plus grande marge de manœuvre pour les Etats membres. En 2015, la France est l’un des moteurs de la zone euro, qui est bien plus intégrée, au point de prendre des décisions budgétaires communes, qui contraignent en partie les politiques nationales.

Surtout, le substrat idéologique du communiste est l’internationalisme. Le marxisme prône justement la disparition des frontières et l’union des « travailleurs de tous pays ». Si on peut questionner la période 81 où le PCF s’essaye au nationalisme, il n’est pas, comme le FN, héritier d’une tradition d’extrême-droite aux accents parfois racistes ou antisémites, comme le rappelle d’ailleurs François Hollande dans sa phrase.

Voir par ailleurs:

Le meurtre d’un enfant algérien à La Courneuve: La fête en deuil

Plusieurs centaines de personnes ont manifesté, dimanche soir, à La Courneuve (Seine-Saint-Denis) pour protester contre le meurtre, la veille, d’un garçon de dix ans, Toufik Ouannès, tué par balle alors qu’il faisait exploser des pétards. Le drame survenu en pleine préparation de la fête du ramadan, qui s’achève ce 11 juillet, a suscité une vive émotion dans la cité des 4 000 de La Courneuve, où sont concentrés en un ghetto une partie des immigrés de la capitale – les H.L.M. de la cité des 4 000 appartiennent à la Ville de Paris. Tard dans la soirée de dimanche, des jeunes s’en sont pris aux commerces installés dans la cité, provoquant un début d’incendie dans une librairie et cassant plusieurs vitrines. Ce meurtre intervient après une vague de violences à caractère raciste. Durant le mois de juin, deux jeunes maghrébins ont été tués à Livry-Gargan (Seine-Saint-Denis) et à Laval (Mayenne), deux autres grièvement blessés à Meudon (Hauts-de-Seine) et à Vénissieux (Rhône). L’opération  » anti-été chaud  » 1983 est lancée officiellement, depuis le 8 juillet, pour prévenir ces violences. Près de dix mille jeunes des banlieues déshéritées vont pouvoir partir avec l’aide de l’État (neuf millions de francs) et des collectivités locales. Cela suffira-t-il à prévenir une dégradation de la situation que beaucoup redoutent ?

Roger Cans

Le Monde

12 juillet 1983

Dans l’appartement du deuxième étage, c’est la désolation. Mme Khadoudja Ouannès, la mère de Toufik, une femme maigre et cassée, pleure son petit dernier dont la photo trône sur le buffet. Alignées sur les chaises du salon, la sœur et les voisins assistent sans mot dire au spectacle de cette femme recroquevillée au sol, éplorée mais silencieuse après une nuit d’insomnie. Drame de femmes. Le père du petit Toufik, en effet, est reparti depuis plusieurs années pour l’Algérie. Mme Ouannès ne reçoit plus de lui qu’une pension pour un ancien accident de travail.

Elle doit faire face, seule et malade, à l’éducation de ses quatre enfants, dont l’aînée, âgée de vingt-cinq ans, vit dans un foyer pour handicapés. La seconde, âgée de vingt et un ans, a été hospitalisée le soir du drame, lorsque, à la vue de son petit frère mort, elle a été prise d’une crise de nerfs. Reste maintenant le petit Mohamed, onze ans.  » J’ai peur pour lui aussi, dit sa mère. Moi, si je crève, tant pis. Mais je voudrais que justice soit faite. « 

Le petit Toufik devait partir avec son frère pour une colonie de vacances en Bretagne. Mais ce samedi 9 juillet, peu avant 21 heures, il a rencontré son destin, absurde. Avec quatre camarades algériens plus âgés, il fait exploser des pétards.  » Pas pour le ramadan, mais pour le 14 juillet « , précise Hafid, quatorze ans, qui allait tous les soirs avec Toufik suivre des cours d’arabe à l’école coranique de la cité. Il leur suffit de regarder autour d’eux : partout la municipalité annonce la fête nationale à grands renforts de bonnets phrygiens.

Au bruit des pétards, un résident, antillais semble-t-il, passe la tête à une fenêtre pour protester. Puis, d’une autre fenêtre, une bouteille de plastique remplie d’eau est lancée sur le groupe d’enfants. Enfin, inopinément, un coup de feu part, couvert par le bruit des pétards. Touché à l’épaule, mais ignorant qu’il s’agit d’une balle, le petit Toufik veut rentrer chez lui, à 30 mètres de là. Pris d’un malaise, il se couche dans l’entrée de l’immeuble et meurt avant l’arrivée des secours.

Aucun indice

Qui a tiré ? Toute la journée de dimanche, les résidents se sont posé la question, réunis par petits groupes au pied de l’immeuble, inquiets, mais comme abattus par ce coup du sort en plein préparatifs de fête. Ils n’ont aucune piste, pas même le plus petit soupçon à l’égard de quiconque. La famille Ouannès, réduite, si l’on songe aux familles nombreuses qui occupent les quatre mille logements de la cité, ne se connaissait pas d’ennemis. Il n’y a pas eu de dispute. Rien que quelques pétards un soir de canicule, alors qu’il fait encore jour et que les musulmans pratiquants n’ont pas commencé leur dîner.

Crime raciste ?  » Je ne crois pas « , dit M. Radji, un transporteur algérien qui avait donné son briquet aux enfants pour qu’ils allument leurs pétards. Au commissariat de police, on penche pour le geste d’un fou ou d’un esprit échauffé par l’alcool.  » Avec la chaleur, ça ne rate pas, dit l’officier de police judiciaire ; certains boivent et font n’importe quoi.  » Le père de Hafid, venu témoigner, s’en prend à la cité entière.  » C’est tout pourri par ici, rien que des dingues et des drogués. On ne peut pas élever ses enfants proprement.  » Lui en a neuf. Installé depuis 1954 en France, et depuis un an seulement aux 4 000, il songe à rentrer en Algérie. Non pas tant à cause du racisme que parce que les jeunes de la cité se droguent, volent et,  » donnent le mauvais exemple « .

Comme les policiers, il ne serait pas surpris que ce soit un autre gosse qui ait tiré. Allez savoir ! Et allez retrouver un assassin parmi les résidents d’une barre de quinze étages et de plus de deux cents mètres de long ! Certains n’écartent pas le conflit racial.  » Ici, nous sommes presque tous des immigrés ; mais certains sont plus immigrés que d’autres, explique une Algérienne. Dans les disputes, les Antillais se targuent d’être citoyens français et nos compatriotes, souvent, leur disent de repartir manger leurs bananes.  » Un racisme latent qui, tout de même, n’explique pas la mort d’un enfant pour quelques pétards.

Une seule chose est sûre : Toufik Ouannès, né le 28 août 1973 à Clichy-sous-Bois, est mort le 9 juillet 1983 à La Courneuve, toujours en Seine-Saint-Denis. Pour la famille et les voisins, la fête du ramadan, qui s’achève ce 11 juillet, sera un jour de deuil. Et le 14 juillet un jour peu glorieux.

Voir enfin:

Grèves saintes ou grèves ouvrières ?
Le « problème musulman » dans les conflits de l’automobile, 1982-1983
Vincent Gay
Genèses 2015/1 (n° 98), pages 110 à 130
Cairn

« Pour les immigrés disent les uns, Akka Ghazzi est le symbole de la dignité retrouvée. D’autres notent que Ghazzi a emprunté un raccourci syndical saisissant en passant en un an de la CSL à la CGT. Akka Ghazzi serait-il un pion de la CGT ou serait-il l’ayatollah d’Aulnay, une sorte de chef d’orchestre clandestin de cet intégrisme musulman dont certains ont cru déceler l’influence chez les travailleurs immigrés ? »
(Portait d’Akka Ghazi, secrétaire du syndicat CGT à l’usine Citroën d’Aulnay-sous-Bois, Sept Sur Sept, 20 mars 1983)

La présence musulmane en France liée aux migrations a, depuis le début du xxe siècle, fait l’objet de discours et de pratiques, de la part de l’État ou des entreprises. Pour autant, si l’identité musulmane des migrants a été l’objet de telles attentions, et si des catégories coloniales ont pu être importées en Métropole (De Barros 2005), les ouvriers venus du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne pendant les Trente Glorieuses ont été essentiellement considérés comme une main d’œuvre dont les caractéristiques religieuses ne faisaient pas vraiment question. Pourtant au début des années 1980, lors d’importantes grèves dans l’automobile, différents acteurs voient la marque d’un « problème musulman », voire d’un intégrisme plus ou moins latent, permettant d’expliquer le changement de comportement des ouvriers immigrés et leur investissement dans les conflits sociaux. Ni le moment de cette controverse, alors que s’amorce un changement d’orientation du gouvernement d’union de la gauche, ni l’industrie en question ne sont anodins. L’automobile a tout au long du xxe siècle été un des secteurs industriels où ont été scrutées les transformations du monde du travail, ainsi qu’un des lieux où depuis les années 1930, et plus encore dans la seconde moitié du siècle, l’immigration a occupé une place importante, notamment à travers le rôle des travailleurs immigrés dans les conflits sociaux (Gallissot et al. 1994 ; Tripier 1990). Les corrélations établies entre activité gréviste et caractéristiques religieuses des acteurs, que signale l’expression « grèves saintes » employée par plusieurs commentateurs, traduisent les déplacements de lecture du monde social. Ce sont tout autant les regards portés sur le phénomène gréviste que sur la religion musulmane qui sont alors en jeu, sur un mode de dévaluation, et qui s’alimentent réciproquement.

Plutôt que de questionner la religiosité réelle ou supposée des grévistes, il s’agit ici d’établir un certain nombre d’hypothèses quant à l’élaboration des explications des grèves par le fait religieux et leur circulation d’un espace à un autre. En effet, si dans certaines usines – en particulier celles de Citroën à Aulnay-sous-Bois et de Talbot à Poissy qui du fait de leur écho et du rôle qu’y jouent les ouvriers immigrés seront prises comme terrain d’étude – l’activité contestataire connaît indéniablement un renouveau à partir de 1982, nous étudierons comment la perception d’un fait musulman dans ces grèves a des incidences sur certains acteurs. En nous penchant sur les pratiques discursives des grévistes eux-mêmes et des syndicalistes face à la question religieuse, nous formulerons tout d’abord des hypothèses sur les logiques sociales et politiques qui font de la pratique religieuse un élément des conflits d’usine. Le second temps de l’article se penchera sur la façon dont se forgent des lectures des conflits mêlant peur de l’agitation ouvrière, peur de l’Islam, et peur d’une subversion communiste, puis comment de telles lectures évoluent et se déplacent, faisant ainsi émerger un discours inédit sur l’Islam en milieu ouvrier.

Sources

Cet article s’appuie sur des sources variées, recueillies lors d’une thèse en cours intitulée « Immigration, travail, restructurations industrielles : les travailleurs immigrés aux usines automobiles d’Aulnay-Sous-Bois et Poissy, des années 1970 aux années 1990 ».
Un corpus de sources syndicales, politiques et administratives a pu être constitué grâce aux fonds des Archives nationales, départementales de Seine-Saint-Denis, de l’Union locale CGT d’Aulnay-sous-Bois, de l’Institut d’histoire sociale confédéral de la CGT et de la confédération CFDT. Des archives privées ont pu également être consultées, en particulier celles d’un conseiller technique auprès du premier ministre Pierre Mauroy. La conservation aux archives départementales de Seine-Saint-Denis des rushes du documentaire Haya, consacré à la grève de Citroën de 1982, a permis d’exploiter des images et propos pris alors sur le vif devant l’usine d’Aulnay-sous-Bois. La presse généraliste et les journaux d’entreprise ont également été dépouillés. Des archives inédites transmises par Nicolas Hatzfeld et émanant de la direction de l’usine Talbot de Poissy, ont permis de préciser l’approche par les directions d’entreprise du phénomène musulman chez leurs ouvriers. Enfin, outre quelques dizaines d’entretiens avec différents salariés, quatre entretiens ont été ici particulièrement utilisés : deux avec d’anciens syndicalistes, un avec un ancien responsable des Renseignements généraux, et un avec un ancien ministre.

L’Islam, un enjeu syndical ?

La part de la main d’œuvre immigrée, notamment maghrébine, est très importante dans les usines automobiles de la région parisienne, et ce depuis les années 1950 dans certaines usines, Renault-Billancourt en particulier, et plus tardivement dans d’autres, Renault-Flins, Citroën, Simca-Talbot. Cependant, ces usines ne connaissent pas la même histoire sociale. À Renault existe une tradition d’engagements syndicaux et de conflits sociaux dans lesquels les ouvriers immigrés, notamment algériens, prennent une place importante, pendant la guerre d’Algérie, en mai 1968 et surtout dans la décennie suivante, participant à la construction politique et symbolique du groupe des ouvriers spécialisés (OS) immigrés (Pitti 2002). En revanche, dans les usines Simca ou Citroën, les modes d’encadrement des ouvriers immigrés offrent peu d’opportunités à la contestation sociale. Les traditions syndicales, les expériences militantes qui se forgent dans les années 1968 sont donc différentes d’une usine à l’autre. Chez Citroën comme chez Simca, le militantisme syndical est d’abord dirigé contre cet ordre coercitif, pour la défense des libertés syndicales ; il se traduit par un affrontement entre des syndicats CGT et CFDT très faiblement implantés du fait de la répression, et la CFT/CSL [1] qui incarne un syndicalisme de collaboration de classe, anticommuniste, proche des courants politiques de droite (Favre 1998 ; Loubet et Hatzfeld 2002), mais constitue également un moyen d’intégration à l’usine, plus ou moins contraint, pour les différentes catégories de personnel, y compris les travailleurs immigrés. Pour les syndicalistes CGT et CFDT, souvent des ouvriers professionnels français, syndiquer et organiser les ouvriers immigrés est un enjeu majeur, particulièrement dans des usines, comme celle de Citroën à Aulnay-sous-Bois, où ils constituent environ 70 % du groupe ouvrier au début des années 1980.

figure im1

Si l’ordre patronal, structuré grâce à la CFT/CSL, semble immuable durant les années 1970, des premiers craquements apparaissent au début des années 1980. Lors des grèves qui débutent au printemps 1982, les événements se précipitent. À l’usine Citroën d’Aulnay-sous-Bois d’abord, lors d’une grève entre le 23 avril et le 1er juin 1982, dans d’autres usines de la marque ensuite, puis à l’usine Talbot de Poissy, du 2 juin au 5 juillet 1982 (Hatzfeld et Loubet 2004 ; Chetcuti et Hatzfeld 2007). Finalement, les recommandations d’un médiateur, nommé par le gouvernement, sont acceptées par les syndicats et les directions d’entreprise. Chez Citroën, les revendications spécifiques aux travailleurs immigrés, comme la possibilité d’accoler la cinquième semaine de congés aux quatre autres pour prolonger un séjour dans son pays d’origine, le libre choix de son interprète dans l’usine, ou la demande d’ouverture de lieux de prière sont appuyées par le médiateur [2]. À Poissy, lors de la grève du mois de juin 1982, une banderole de la CGT défend les revendications suivantes : « 400 F pour tous, 5e semaine accolée aux congés, 30 minutes pour le Ramadan. Nous voulons être respectés » [3] Une partie des revendications concerne donc les moyens de pratiquer la religion musulmane sur les lieux de travail, mais elles occupent une place relativement mineure dans les cahiers de revendications, voire sont absentes des premiers cahiers rédigés en vue des négociations [4] Elles s’inscrivent dans une approche élargie des libertés et de la dignité au travail. Le Manifeste des OS d’Aulnay-sous-Bois [5]. explique ainsi les motivations des grévistes :

« Nous voulons tout simplement avoir les mêmes droits que tous les travailleurs :

  • le respect de la dignité ;
  • la liberté de parler avec qui nous voulons ;
  • de prendre la carte du syndicat de notre choix ;
  • de voter librement.

Nous voulons :

  • choisir l’interprète de notre choix […] ;
  • qu’on nous reconnaisse le droit de pensée et de religion différentes, par l’attribution d’une salle de prière et par des mesures adaptées aux périodes du ramadan ;
  • des élections libres […] ;
  • voter comme tous les autres travailleurs de ce pays […]

CHEZ CITROËN, LA LIBERTE ET LES DROITS DE L’HOMME DOIVENT TRIOMPHER »

L’ouverture de lieux de prière et les mesures adaptées au ramadan sont donc intégrées à la reconnaissance d’un droit de pensée et de religion différentes, mais également comme un des éléments qui permettent aux OS immigrés de voir reconnaître leur dignité. Peut-être faut-il voir là un phénomène inédit dans le fait que de telles revendications prennent place dans un conflit aux sources diverses, mais où les libertés et la dignité sont érigées en mot d’ordre générique. Pour autant, l’existence de l’Islam dans l’univers industriel ne date pas du début des années 1980. L’historien Jean-Baptiste Garache relève la présence d’un imam dans les usines Renault lors de l’enterrement d’un ouvrier en 1933 (Garache 1984) ; l’ethnologue Noëlle Gérôme souligne qu’en 1948 à la SNECMA de Gennevilliers, le comité d’entreprise (CE) permet le déblocage de certaines denrées contingentées afin que les travailleurs musulmans puissent célébrer la fête de l’aïd (Gérôme 1998). Mais les revendications liées à la pratique de l’Islam sont rares lors des conflits sociaux. Seul sans doute le conflit dans les foyers Sonacotra a été questionné sous cet angle. Jacques Barou y perçoit un moment où l’ouverture de salles de prière a été une des demandes les plus fortes, ce qui aurait été masqué par la prééminence des discours des militants de gauche (Barou 1985). Cependant, Choukri Hmed nuance fortement cette interprétation et relève à travers l’étude des revendications « tout le contraire d’une islamisation des griefs. […] Il est permis de voir dans cette absence […] l’inexistence d’un “besoin”, exprimé comme tel par les comités de résidents » (Hmed 2008 : 87-88). L’étude des archives tendrait donc à relativiser ce que Jacques Barou aurait perçu lors d’entretiens rétrospectifs avec des résidents.

Des salles de prière existent à Renault Billancourt depuis 1976, et à Talbot-Poissy depuis 1978 (Barou et al. 1995), sans que les demandes d’ouverture aient pris place dans des conflits, les salles de prières étant souvent vues comme un « facteur de régulation sociale » (Barou 1985). À Citroën, avant la grève, l’Islam des ouvriers n’est pas non plus perçu comme un problème. La presse de l’entreprise rend même hommage aux salariés partis à La Mecque faire leur pèlerinage [6] De fait, en 1982 le fait nouveau tient à la façon dont l’enjeu autour des lieux de prières se construit au sein d’une contestation plus générale du système que subissent les ouvriers immigrés. De plus, le déroulement et les lieux de la grève rendent visibles les pratiques religieuses des ouvriers. Alors que la direction de Citroën-Aulnay, les responsables de la CSL et les salariés opposés à la grève sont retranchés dans l’usine, les grévistes occupent les parkings, qui deviennent alors des lieux de prière pour les ouvriers musulmans. Ces scènes sont filmées, par la télévision ou par des documentaristes, dévoilant ainsi les pratiques religieuses de ces travailleurs, restées jusqu’ici cantonnées aux ateliers. Des meetings devant l’usine sont parfois entrecoupés de prières, un imam pouvant intervenir au milieu des discours syndicaux. C’est aussi lors de prises de parole en plus petits groupes que le vocabulaire religieux est mobilisé par certains grévistes. Un délégué de la CGT prend ainsi la parole en arabe :

« Travailleurs de Citroën, je vous remercie tous d’être là. Au nom de Dieu nous espérons que nos revendications aboutiront, que notre dignité sera respectée. Au nom de Dieu, nous sommes tous unis, tous des frères dans cette grève. Dieu est avec nous. Nous espérons que nos problèmes seront résolus. Nous devons lutter au nom de Dieu. C’est la liberté. La liberté et nos droits. Allez mes frères. Vive la CGT, vive la liberté, vive la France. » [7]

L’expression gréviste se mêle ici à un langage religieux, ou plutôt à des expressions rituelles, dont il ne faut pas surestimer la portée strictement religieuse. Elle témoigne d’un entre-soi discursif au sein des travailleurs parlant arabe, mais également de l’usage de références à tonalité religieuse qui modifient sinon la nature du moins la forme du discours syndical. Cette expression est aussi le support de la construction d’un espace autonome aux immigrés, les syndicalistes français devant alors trouver des relais pour rester liés à cet espace.

La situation de conflit ne modifie pas les pratiques ni le sens de l’Islam des ouvriers ; celui-ci n’est pas un vecteur essentiel de mobilisation. Autrement dit, on ne se mobilise pas au nom de l’Islam, et les appartenances religieuses ne sont pas le ciment de la construction de groupes antagonistes. Pour autant, les pratiques religieuses, qui font déjà partie du quotidien de l’usine avant les grèves, peuvent être érigées en revendications dès lors qu’elles concernent le quotidien du travail, dans ses aspects spatiaux et temporels. En effet, jusqu’alors, les ouvriers doivent prier discrètement, entre les chaînes, utiliser une partie de leur temps de pause ou arriver en avance à l’usine pour cela. Le respect de la pratique religieuse suscite une demande d’adaptation du temps et de l’espace des ateliers. Des syndicalistes soutiennent de telles revendications et s’en justifient par leur souci démocratique de répondre à une attente majoritaire, ainsi que par la nécessité d’apporter des solutions face à des situations où les ouvriers se mettent en danger en priant n’importe où et à n’importe quel moment. Les registres justificatifs autour de la démocratie et de la sécurité au travail permettent alors de mettre à distance la question religieuse chez des acteurs souvent athées et marqués par une culture anti-religieuse [8]

Lors des grèves, c’est donc un déjà-là qui est rendu visible et trouve des points de rencontre avec des préoccupations syndicales. Il s’agit dès lors de ne pas surévaluer la portée politique de demande d’ouverture de lieux de prière ; les salariés interviewés au moment de la grève n’y font guère allusion, elle s’intègre simplement aux cahiers revendicatifs, comme d’autres demandes spécifiques aux travailleurs immigrés. La revendication est donc présente dans le conflit, mais est loin d’en être le moteur, et rien n’atteste d’une correspondance entre comportements religieux et pratiques grévistes. A contrario, l’appel au respect des préceptes musulmans peut devenir un moyen de délégitimation de la grève. Pendant et après le printemps 1982, plusieurs tracts expriment en effet la contradiction entre la grève, le syndicalisme et la fidélité à l’Islam. Dénonçant les communistes comme des ennemis de la religion, certains tracts circulant dans les usines soulignent que « le matérialisme athée, c’est l’erreur qui ne peut avoir place dans l’Islam. Seul le travail dans l’ordre est source de progrès […] Le désordre à l’inverse ne peut que te faire précipiter dans un monde décadent » [9]. Un autre souligne que les deux croyances, Islam et communisme, sont « aux antipodes l’une de l’autre », l’Islam étant la religion de Dieu, le communisme « une simple croyance matérialiste » [10] Plusieurs rappels à l’ordre à l’adresse des travailleurs marocains accusés de collaborer avec les communistes empruntent donc le chemin de la fidélité à l’Islam [11]

Les revendications liées aux pratiques religieuses ne peuvent laisser indifférents les acteurs non musulmans du conflit, en premier lieu les organisations syndicales. Leur attitude est marquée par un certain pragmatisme qui leur permet de concilier culture laïque et défense du droit à l’exercice du culte ; le quarante et unième congrès confédéral de la CGT qui se tient en juin 1982, soit quelques jours après la fin de la grève à Citroën, intègre d’ailleurs dans son corpus revendicatif la reconnaissance « des droits et des moyens d’exercer le culte de son choix », mais cette revendication disparaît en 1985. À partir d’enquêtes menées à Renault Billancourt, René Mouriaux et Catherine Wihtol de Wenden identifient trois types d’attitudes syndicales (Mouriaux et Wihtol de Wenden 1987). La première, qu’on retrouve surtout à la CFDT, minimise le fait musulman en dénonçant surtout les utilisations qui peuvent être faites des demandes de pratiques religieuses par les directions d’entreprise, qui achètent la paix sociale en satisfaisant de telles revendications peu coûteuses. Une seconde consiste à « vivre avec », à intégrer le fait musulman, sans en faire un élément de l’action syndicale. La troisième position, « offensive », consiste à « occuper le terrain » en s’emparant des demandes quant aux pratiques religieuses pour en faire des revendications syndicales. À Citroën et à Talbot, on retrouve des oscillations entre ces types d’attitude, voire des tensions. Au moment du conflit en particulier, il semble que l’Islam des ouvriers soit accepté sans restriction, avec parfois un parallèle entre l’intégration en cours des ouvriers musulmans dans le syndicalisme et la place prise par les chrétiens dans le mouvement ouvrier (Benoit 1982). La sensibilité syndicale qui s’exprime alors envers le respect des principes religieux est un moyen de légitimation de la CGT et de délégitimation des directions d’entreprise. Dans le long extrait qui suit, un responsable CGT prend la parole suite à une séance de négociations à Citroën. On constate comment la rhétorique du respect, qui est essentielle dans le conflit, permet d’intégrer les pratiques religieuses dans un registre plus large de dignité des travailleurs :

« Il faut que vous sachiez que la direction qui est en difficulté, continue à manœuvrer. […] Je vais vous expliquer ce qu’elle fait. Lorsqu’on parle de la dignité des travailleurs, on a demandé par exemple que la direction mette à votre disposition un lieu de prière comme ça se fait chez Renault et chez Simca. La direction pendant toute la matinée et une partie de l’après-midi a dit que c’était pas possible, que ça coûtait trop cher. Notre camarade Oufkir a défendu cette revendication avec beaucoup de forces, et à un moment donné la direction a obtenu le soutien d’un syndicat qui s’appelle la CFTC qui a proposé que si la direction ne veut pas, proposons aux camarades maghrébiens [sic] d’utiliser les aires de repos pour les lieux de prière. Nous avons dénoncé cela. Vous devez donner aux camarades un lieu de prière pour qu’ils puissent comme tout le monde, c’est une question de liberté et de dignité, pour qu’ils puissent comme tout le monde pratiquer leur religion. […] Nous lui avons dit aussi, c’était hier soir sur le coup de 10 h 30, la direction avait faim et elle a demandé une suspension de séance pour aller manger des casse-croûte, et elle nous a envoyé, un cadeau de la direction, des casse-croûte. Je vais vous dire ce qu’elle a fait la direction. La délégation CGT et la délégation CFDT est composée de camarades français et de camarades maghrébiens [sic]. La direction sait bien ce que mangent les camarades maghrébiens [sic] et ce que boivent les camarades maghrébiens [sic]. Hé bien la direction elle n’a envoyé que des sandwichs au porc et que du vin. C’est encore là une attitude qui montre qu’elle n’a rien compris au conflit, qu’elle n’a rien compris aux positions des grévistes, qu’elle n’a rien compris à la position de la CGT. Et nous ce qu’on a fait, c’est qu’on lui a renvoyé ses sandwichs au porc et son vin, en disant on ne mange pas de ce pain-là, vous avez pris une position dégueulasse, nos camarades immigrés ils ont le droit de manger ce qu’ils mangent chez eux. Et on leur a renvoyé le vin qu’ils avaient ouvert et leur sandwichs, et si ils les ont mangé, ils ont dû avoir une indigestion. » [12]

À partir d’un événement relativement anodin, le responsable syndical peut faire la démonstration de sa solidarité réelle. Autour du partage de la nourriture surgissent des enjeux symboliques et stratégiques réactivés à travers la question de l’Islam (Birnbaum 2013). En choisissant de ne pas manger de porc ni de boire de vin lors des négociations, il exprime un partage de condition, alors que « manger de ce pain-là » aurait été une façon d’accepter une ligne de différenciation fondée sur la religion, et derrière, sur un clivage entre Français et immigrés. En faisant de cette péripétie un élément de compréhension ou d’incompréhension des grévistes, le syndicaliste intègre le particularisme religieux dans une approche universelle autour de la défense de la dignité et du respect. Autrement dit, derrière le partage ou le non-partage de la nourriture se lisent des lignes de clivage et des enjeux qui sont certes liés aux positions de chacun dans les rapports de production, mais également aux attitudes vis-à-vis d’une pratique du groupe dominé. Le respect de cette pratique par les syndicalistes, contre le mépris dont fait preuve la direction, permet de forger une table commune entre les syndicalistes français et les travailleurs musulmans, affermissant les frontières du « eux » et du « nous ».

Les archives syndicales permettent aussi d’observer comment la CGT à Aulnay-sous-Bois adopte la « position offensive » qu’évoquent René Mouriaux et Catherine Wihtol de Wenden après la grève du printemps 1982. La fragile unité qui s’est construite lors de la grève entre la CGT et la masse des OS immigrés nécessite d’être étayée, d’où un registre discursif syndical faisant appel au respect de la différence et des pratiques religieuses alors que l’ouverture des lieux de prière a été obtenue. Un extrait de tract publié, parmi d’autres, dans les mois qui suivent la grève illustre les inflexions du discours syndical. Le tract d’appel aux élections du comité d’établissement de décembre 1982 donne ainsi la parole à des ouvriers de différentes nationalités ou origines (Van Hiep, Diallo, Manuel, Pierre, Mohamed, Cetim). Leur nationalité est soit explicite (Vietnamien, Turc), soit imprécise (Africains noirs), soit sous-entendue (référence au fascisme dans les paroles de l’ouvrier portugais), soit simplement induite par le prénom (Pierre pour le Français par exemple). Or, les paroles mises dans la bouche de l’ouvrier identifiable comme maghrébin sont les suivantes :

« Je suis musulman, je voudrais que mes frères réfléchissent afin qu’ils comprennent d’eux-mêmes qui les respecte, qui respecte leurs convictions religieuses, qui respecte le droit à la différence, cela en se posant la question : qui nous a permis d’obtenir les lieux de prière ? Dignité pour la direction, ça ne veut rien dire, pour eux nous sommes comme un troupeau docile que l’on guide, que l’on manipule, comme si nos frères qui sont à la tête du syndicat, allaient nous manipuler. Pour moi, gagner le CE, ce sera la victoire de la vérité, de la clarté, ce sera la possibilité de leur faire voir que nous sommes des hommes capables de s’exprimer, de décider. » [13]

L’ouvrier s’exprime ici d’abord comme musulman, et caractérise la CGT comme le syndicat qui respecte le droit à la différence et les convictions religieuses. Si l’action du syndicat ne se résume pas à cette seule dimension, elle est néanmoins première, et la seule victoire du conflit du printemps mentionnée est l’ouverture des lieux de prière.

Alors que les pratiques religieuses font partie du quotidien des usines depuis les années 1970, voire avant dans certains cas, les revendications qui s’y rapportent peuvent revêtir des dimensions différentes selon les moments et les contextes de chaque entreprise. En 1976 à Renault-Billancourt, une pétition initiée par des ouvriers sénégalais, à l’écart des syndicats, permet rapidement l’ouverture d’une salle de prière ; à Citroën ou Talbot, en revanche, c’est parce qu’elles prennent place dans des conflits aux revendications diverses que les demandes de temps pour le ramadan ou de salle de prière sont appropriées par les syndicats et prennent place dans un registre plus large.

Peur du rouge et peur du vert

Dans les partis de gauche comme à la CGT et la CFDT, les conflits de Citroën et Talbot de 1982 sont célébrés. Perçues comme des victoires contre un patronat autoritaire, ces luttes pour les libertés concordent avec les débats parlementaires sur les nouveaux droits accordés aux travailleurs dans le cadre des lois Auroux. Mais d’autres lectures se font jour, qui participent, dans les semaines et mois qui suivent le printemps 1982, à modifier le regard porté sur les luttes des ouvriers immigrés. Des adversaires des grèves font en effet de l’Islam, à des degrés divers et selon des modalités distinctes, un ressort des conflits. La manipulation de l’Islam, d’une part, le surgissement d’un problème musulman, d’autre part, sont autant de clés d’explication qui disqualifient les approches classistes des conflits.

De l’Islam manipulé…

Dans les bilans des grèves tirés par les cercles patronaux ou certains auteurs de droite, la cible première est non pas l’Islam mais la CGT et le Parti communiste, accusés de fomenter le désordre. L’Islam n’est pas alors décrit comme un problème en soi, mais c’est l’enrôlement par la CGT d’ouvriers catégorisés comme Musulmans qui est dénoncé. Plus que l’islamophobie plus ou moins latente, il faut souligner les représentations qui sous-tendent ces discours sur les ouvriers, les circulations et mises en relation entre des manifestations de l’Islam de divers ordres, ainsi que l’essentialisation des Musulmans. Trois écrits, parmi d’autres, illustrent de telles tendances.

Le premier est une brochure du Centre d’études des entreprises (CEE) consacrée au conflit de Citroën. Le CEE est né en 1964 « d’une rencontre entre responsables d’entreprises qui se heurteraient à des difficultés sociales » [14] ; il s’agit d’un groupe de conseils aux chefs d’entreprises confrontés à des conflits sociaux. Dans cette brochure, le CEE axe son argumentation sur la violence et la terreur que la CGT fait peser dans l’entreprise. Les immigrés sont ici plutôt décrits comme des victimes de la CGT qui les utilise à leur corps défendant. Mais certains passages expriment l’idée d’un point de rencontre entre un fanatisme et une violence qui seraient communs à la CGT et à l’Islam ; la convocation d’un imaginaire construit par les images de la révolution iranienne joue à plein pour décrier un fanatisme syndicalo-religieux. Ainsi, « ces Musulmans, alignés sur le parking vers La Mecque [qui] récitent leur prière au son des slogans religieux scandés en arabe par les haut-parleurs de la CGT ! Ces scènes rappellent tout à fait celles de l’Iran Khomeyniste » [15][15]Idem.. Ce type de description renvoie au tournant médiatique qui affecte les représentations de l’Islam depuis 1979 et qui « ressuscite l’idée d’un Islam séculaire intrinsèquement hostile à la modernité occidentale » (Deltombe 2007 : 27).

Un second exemple est le livre que Claude Harmel (1983) consacre à la grève de Talbot. L’auteur, ancien membre de la SFIO, puis partisan de Vichy et membre du Rassemblement national populaire de Marcel Déat, fondateur de l’Institut supérieur du Travail, collaborateur de l’Institut d’histoire sociale [16] et de l’Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM), peut être classé à l’extrême-droite ; mais il se veut aussi spécialiste du mouvement ouvrier, auteur notamment d’un livre sur l’anarchisme (Harmel 1984) et d’un « Que sais-je ? » sur la CGT (Harmel 1982). La CGT à la conquête du pouvoir : l’exemple de Poissy est d’abord un pamphlet anticommuniste. Mais il évoque également un réveil de l’Islam qu’il constate aussi bien en Iran que dans les usines françaises, et grâce auquel les communistes manipulent les travailleurs immigrés. Ainsi Claude Harmel insiste sur la contradiction entre l’athéisme proclamé des communistes et leur soutien à une revendication religieuse, de même qu’il souligne que bien que condamnant par principe l’antisémitisme, les communistes n’hésitent pas à flatter la haine des Juifs censée caractériser les Musulmans. Le propos de Claude Harmel opère donc en deux temps ; d’une part, il essentialise les Musulmans en en faisant des antisémites par nature, d’autre part, il dénonce la perfidie des communistes et de la CGT qui finissent par ne plus défendre les intérêts des travailleurs, « mais les intérêts des Musulmans en tant que tels » (Harmel 1983 : 71), ce qui conduit alors à des appels à la guerre sainte dans les usines.

Un troisième ouvrage adopte des thèses proches. L’École des esclaves (Ewald 1983), rédigé par un groupe anonyme de cadres de Citroën, décrit les tentatives de la CGT pour renverser par la force le pouvoir à Citroën. Le registre militaire est maintes fois convoqué (troupes, unités combattantes, général en chef, bombardement, guerre civile, etc.), et c’est un climat de guerre qui est décrit, dans lequel la CGT joue le rôle de la hiérarchie militaire et les ouvriers immigrés celui des troupes dociles. L’Islam est alors un facteur de mobilisation manipulé par la CGT qui excite le sentiment religieux grâce aux prières sur les parkings et à la présence d’imams, et utilise l’antisémitisme musulman en assimilant « juifs, fascistes et tyrans » (Ewald 1983 : 136). Ici, outre la violence, c’est l’irrationalité qui domine, ainsi que le mélange d’un sentiment religieux et du « culte de la CGT rédemptrice » (Ewald 1983 : 222). Les modes de désignation des ouvriers sont souvent d’ordre religieux, y compris dans l’analyse des résultats des élections, lors desquelles la CGT devance la CSL dans les bureaux où les Musulmans sont majoritaires, cela résultant de l’« action proprement terroriste » (Ewald 1983 : 225) et de l’obligation de jurer sur le Coran à voter pour la CGT. La critique des convergences entre fanatismes religieux et syndical nourrit un discours fantasmatique sur les visées de la CGT, et révèle aussi les représentations que construisent ces cadres de l’entreprise à propos des grévistes, dont les actes sont nécessairement renvoyés du côté de la violence, du religieux, de l’irrationnel et de la manipulation.

Les deux premiers écrits mentionnés sont le fait d’auteurs ou d’officines de conseil dont les directions de PSA sont coutumières et qui visent le plus souvent à contrecarrer l’influence syndicale dans les ateliers. On peut faire l’hypothèse que ces thèses circulent entre ces officines et auteurs et les directions d’entreprise, ce dont témoigne la similitude de points de vue présentés dans L’École des esclaves. Mais en même temps qu’elles circulent elles se modifient en partie. Ainsi, d’autres analyses poussent plus loin l’approche et diagnostiquent l’émergence d’un problème musulman dans les usines.

… Au problème musulman

Pour les directions d’entreprise, les conflits du printemps 1982 nécessitent d’en comprendre la nature, ce qui est l’objet de deux notes internes à PSA [17]. publiées quelques jours après les conflits de Citroën et Talbot et qui semblent circuler en dehors de l’entreprise comme l’atteste l’origine des archives où elles ont été trouvées [18] La première de ces notes procède à une analyse en trois temps afin de décrire les changements qui touchent la « forte minorité musulmane ». Avant les événements, celle-ci, en majorité marocaine, berbère, et ayant conservé son organisation tribale, est présentée comme extrêmement calme. En voie d’intégration, sa pratique religieuse diminue progressivement ; cependant, malgré ses qualités, la minorité musulmane exige d’être encadrée, tâche dévolue à la CSL. Lors des conflits, qui démarrent suite à des incidents montés de toute pièce, « il apparaît sans aucun doute possible que l’un des principaux buts de la CGT est la mainmise sur l’élément musulman » du personnel ; preuve en est que le personnel non musulman n’a pas été concerné par la grève. Le succès des grèves s’explique donc par leur dimension religieuse, par le fait que les Musulmans n’ont pu s’y soustraire, ce qui a été rendu possible par deux méthodes. D’une part, « l’ensemble de la propagande cégétiste a été focalisé sur l’aspect islamique », que ce soit à travers les tracts, les banderoles, les discours, les chants, les drapeaux verts, les prières publiques ostentatoires, les demandes de création de mosquées, la « présence d’un sorcier à Poissy », ou l’« appel à la grève sainte ». D’autre part, la violence a été nécessaire pour mette en condition la minorité musulmane. Le troisième temps est celui de l’après-conflit. À court terme, si la CGT veut faire perdurer son pouvoir récemment acquis, elle ne peut que poursuivre dans la voie de la violence ; mais à moyen terme, parmi les conséquences possibles, existe « le risque non négligeable de voir des mouvements intégristes, soit spontanés, soit venus du Proche-Orient, s’efforcer de tirer bénéfice de cette agitation », certains leaders marocains étant d’ailleurs connus « pour leurs liens avec les mouvements intégristes de leur pays d’origine ».

La seconde note insiste à nouveau sur l’enchaînement de violence auquel se prête la CGT et évalue les risques potentiels que recèle cette situation. Le particularisme religieux monté en épingle par la CGT contrecarre l’intégration des travailleurs immigrés, et peut conduire à monter les communautés les unes contre les autres. De plus, un « bouillon de culture » peut être ainsi créé et risquer « d’attirer l’attention des milieux intégristes du Proche-Orient ». Des preuves existent pour étayer cette thèse : le fait qu’on ait vu les « occupants d’une voiture d’une ambassade arabe » distribuant des tracts sur le parking d’Aulnay et le développement d’une propagande d’origine étrangère, « apparemment strictement religieuse mais en fait orientée » parmi les ouvriers musulmans. Si la CGT est là aussi présentée comme manipulant un sentiment religieux, celui-ci prend une autre dimension que dans les textes évoqués plus haut. La référence à l’intégrisme ne relève plus de représentations plus ou moins lointaines issues des images de la révolution iranienne mais renvoie à des craintes réelles de voir des thèses et des courants intégristes venus de l’étranger pénétrer les milieux ouvriers immigrés. Se diffuse donc au sein de la direction de l’entreprise une approche relativement inédite des conflits du travail fondée sur une perception des risques de radicalisation intégriste. Cette approche conduit donc à s’interroger sur cette « minorité musulmane », et notamment à la quantifier, la seconde note citée estimant qu’elle constitue 37 % de l’effectif total des usines PSA de la région parisienne, soit 13 600 personnes, et 75 % de l’effectif immigré, sans qu’on sache quels outils statistiques ont été utilisés pour produire ces chiffres.

Les représentations qui imprègnent ces notes trouvent leur origine, d’une part, dans le déni du sentiment d’injustice vécu par les ouvriers [19], d’autre part, dans le primat accordé à une lecture des événements par le religieux. Les ouvriers ne sont jamais décrits par leur position dans les processus de travail, ni par leurs salaires, pas plus que n’est évoqué le contexte politique des usines concernées. Ils sont également très rarement désignés comme immigrés, mais souvent par leur supposée appartenance ethnique [20] La confusion des catégories, l’absence de celles se rapportant au travail, font de l’Islam la caractéristique majeure des acteurs mobilisés, à côté d’une CGT française cherchant à prendre le pouvoir dans les usines.

Les officines de conseil et les directions d’entreprise produisent donc des analyses qui traitent de l’Islam dans les conflits des usines PSA, soit à travers la manipulation par la CGT et le Parti communiste du sentiment religieux, soit en décrivant de supposées dynamiques internes à la population musulmane qui passerait d’une attitude calme à de possibles tentations intégristes. Alors qu’après les grèves du printemps 1982 les usines automobiles de la région parisienne connaissent une succession de conflits et de débrayages, les hypothèses, jusqu’alors relativement confidentielles de l’influence religieuse dans les grèves gagnent peu à peu en audience dans les mondes policier et politique.

Des grèves aux discours publics sur l’Islam ouvrier

Lors des conflits du printemps 1982 et de ceux qui émaillent ensuite le quotidien des usines, les Renseignements généraux produisent des notes d’information, dont certaines se contentent de décrire les événements tandis que d’autres se veulent plus analytiques. Une d’entre elles se penche sur « le rôle des ressortissants marocains dans les récents conflits de l’industrie automobile » [21] La thèse défendue est que les travailleurs marocains qui à Citroën et Talbot revendiquent un droit à la dignité sont contrôlés par l’Association des Marocains en France (AMF) [22], organisation de gauche opposée au régime chérifien, soutenue par les Frères musulmans, auxquels s’ajoutent quelques militants du Front Polisario luttant pour l’indépendance du Sahara occidental ; bref, un faisceau de courants politiques adversaires d’Hassan II s’appuyant sur un aspect confessionnel qui se manifeste par « l’exigence d’un lieu de prière, [des] incantations religieuses lors des manifestations, [les] bannières de l’Islam, [l’]appellation “frère” entre compatriotes et ethnies musulmanes… ». Ces faits s’expliquent par « une pénétration des thèses de l’intégrisme islamique dans certaines sociétés françaises à population ouvrière musulmane » et le prosélytisme d’ouvriers, en majorité marocains, ayant effectué « des périodes de “formation” relativement longues dans certains pays, tels que l’Iran, l’Inde ou le Pakistan », cherchant à rallier à leur retour en France « leurs coreligionnaires à leur doctrine ». La note évoque aussi les violences physiques et les menaces utilisées par « les noyaux durs d’OS marocains ou africains noirs (Sénégalais musulmans) », la récupération de la CGT, et les aspirations à une « nouvelle dignité » avivées « par une mentalité progressiste issue des luttes politiques internes au pays d’origine » et entretenue par l’AMF. On pourrait discuter du bien-fondé de ces hypothèses, mais là n’est pas l’essentiel. Il est en revanche intéressant de relever comment, selon cette note, d’une part, l’agitation s’explique par des éléments propres à la vie politique marocaine et, d’autre part, qu’une influence étrangère agit à travers les formations islamistes suivies par des ouvriers marocains. En l’absence de renseignements plus précis sur le rédacteur de cette note et ses sources, on peut seulement faire l’hypothèse qu’il s’agit d’une approche policière des phénomènes sociaux produite par les services de renseignements, particulièrement la DST, qui considèrent l’Islam avant tout à travers l’islamisme iranien [23]qui réactive la peur du « parti de l’étranger » (Lejeune 2003).

Cette note des Renseignements généraux et celles de PSA, mais également les rencontres entre des membres des cabinets ministériels et de la direction de l’entreprise laissent donc penser que de telles analyses circulent entre les mondes de l’entreprise, du renseignement, et les sphères gouvernementales. En effet, dès le 20 juillet 1982, le directeur des relations extérieures de PSA rencontre un conseiller de Pierre Mauroy pour lui faire part du contenu de la note du 16 juillet 1982 citée plus haut [24] La situation dans les usines est alors décrite comme « un terrain excellent pour Khadafi ». En passant d’une sphère à une autre, on peut estimer que ces analyses s’entretiennent et se renforcent mutuellement pour forger un constat commun d’un problème musulman dans les conflits de l’automobile. Jusqu’alors relativement confiné, ce constat prend un caractère public à la fin du mois de janvier 1983 suite à des déclarations de plusieurs ministres [25]

Le ministre de l’Intérieur Gaston Defferre est le premier à évoquer le rôle d’« intégristes, de chiites » [26]. dans les grèves, suivi par le premier ministre Pierre Mauroy qui déclare que « les principales difficultés sont posées par des travailleurs immigrés […] agités par des groupes religieux et politiques qui se déterminent en fonction de critères ayant peu à voir avec les réalités sociales françaises » [27]. Mais c’est surtout Jean Auroux, ministre du Travail, qui multiplie les déclarations à ce sujet en l’espace de quelques jours (voir encadré). Cette succession de déclarations produit un discours de suspicion vis-à-vis des grévistes immigrés, et d’eux uniquement, fondé sur le constat d’une triple rupture d’allégeance, vis-à-vis de la France, vis-à-vis de l’industrie, et vis-à-vis de la liberté et du pluralisme. La supposée perméabilité à l’intégrisme des travailleurs musulmans radicalise les frontières entre le « eux » et le « nous » : étranger contre national, syndical contre extra-syndical, groupes religieux contre réalités sociales françaises, influences extérieures contre intérêt national, déstabilisation politique contre liberté et pluralisme, particularisme contre institutions nationales et syndicats représentatifs, etc. Des liens de causalité créent ainsi un continuum entre immigration, conflits sociaux, religiosité, intégrisme, déstabilisation de la France. Ils opèrent un déplacement des regards sur les luttes ouvrières, participant d’une mise à distance des racines sociales des conflits, et des identités au travail auxquelles est substituée une identité religieuse décrite comme potentiellement dangereuse.

Les déclarations de Jean Auroux, février 1983

« L’expression religieuse ne peut pas être institutionnalisée dans les entreprises qui sont avant tout des lieux de travail. […] S’il est prouvé que des influences extérieures d’inspiration religieuse ou politique ont pesé sur le comportement des immigrés en grève. […] alors le gouvernement prendra ses responsabilités et en premier lieu le ministère du Travail. Nous ne tolérerons pas que ces attitudes compromettent la réussite des entreprises en agissant contre l’intérêt national. […] Nous leur avons donné une liberté nouvelle. À charge pour eux d’entrer dans le jeu des institutions nationales et des syndicats représentatifs. Je ne tolérerai pas la création de syndicats particularistes fondés sur une finalité qui ne serait pas la défense des salariés ou qui serait le regroupement d’étrangers refusant d’accepter les règles de notre pays. »
(Paris Match, 2 février 1983)
« Il y a, à l’évidence une donnée religieuse et intégriste dans les conflits que nous avons rencontrés, ce qui leur donne une tournure qui n’est pas exclusivement syndicale. […] Je m’oppose à l’institutionnalisation d’une religion quelle qu’elle soit à l’intérieur du lieu de travail. […] les immigrés sont les hôtes de la France et à ce titre ont un double devoir : jouer le jeu de l’entreprise et celui de la nation. »
(L’Alsace, 10 février 1983)
« Lorsque des ouvriers prêtent serment sur le Coran dans un mouvement syndical, il y a des données qui sont extra-syndicales. […] Un certain nombre de gens sont intéressés à la déstabilisation politique ou sociale de notre pays parce que nous représentons trop de choses en matière de liberté et de pluralisme. »
(France Inter, 10 février 1983)
Ces déclarations traduisent une inquiétude tant à propos des événements qui agitent un secteur industriel qui avait été un moteur de l’expansion des Trente Glorieuses [28][28]Pour le cas de PSA, voir (Loubet 1994) et pour celui de…, que sur le plan de la politique intérieure ; 1983 est en effet l’année d’un premier ajustement face à une opinion publique perçue comme hostile aux mesures en faveur des immigrés (Weil 1995). Si elles sont sans doute le produit de croyances réelles suite à la diffusion des analyses des conflits évoquées précédemment, les déclarations agissent comme un rappel à l’ordre. Ceux qui quelques mois auparavant étaient encore présentés comme des ouvriers en lutte pour leur dignité sont désormais présentés comme fauteurs de troubles menaçant l’industrie française. Il ne s’agit donc pas simplement, et pas principalement, de l’acceptation ou non d’une pratique religieuse, qui comme on l’a vu, existe dans d’autres usines, et dont l’État français a fait la promotion dès 1976 en favorisant l’aide à la construction d’espaces religieux et de lieux de culte dans le cadre d’une politique culturelle en direction des immigrés [29][29]Circulaire du 2 septembre 1976. Sur l’intégration des questions….

Nourrie par les déclarations gouvernementales, la polémique sur les supposées origines intégristes des conflits sociaux, ou du moins sur les liens de causalité entre religiosité et conflictualité sociale est reprise par différents acteurs. À Aulnay-sous-Bois par exemple, lors de la campagne des élections municipales de mars 1983, le Rassemblement pour la République (RPR) publie un tract intitulé « La faucille et le Coran » qui accuse le Parti communiste français (PCF) d’utiliser les immigrés musulmans pour déstabiliser le pays [30][30]Archives de l’Union locale CGT d’Aulnay-sous-Bois.. Des journalistes [31][31]Le magazine Paris-Match du 11 février 1983 explique que « la…, des dessinateurs de presse, des humoristes participent de la diffusion des termes de la polémique, avec une récurrence des références à la révolution iranienne, notamment à travers le terme d’ayatollah, incarnation de la menace islamiste, ce dont témoigne le portrait d’Akka Ghazzi placé en exergue de cet article [32][32]La télévision sera cependant assez peu disserte sur la…. Dans Le Figaro ou France Soir, Jacques Faizant et Trez illustrent la pénétration de thèses intégristes parmi les ouvriers immigrés et l’aveuglement syndical face à ce nouveau phénomène [33][33]Le Figaro, 1er février 1983 ; France-Soir, 2 février 1983.. Dans la même veine, Thierry Le Luron, fait dire à son personnage de français moyen, M. Glandu, qu’à Aulnay, les ouvriers font les 3×8, « huit heures d’arrêt de travail, huit heures de grève, huit heures de prière » [34][34]« Thierry Le Luron au théâtre du gymnase », 1985..

Par ailleurs, au vu de la faiblesse des recherches en sciences sociales sur l’Islam de France à l’époque (Geisser 2012), les journalistes et correspondants de presse peuvent être d’autant plus écoutés ; ainsi dans Le radeau de Mahomet, Jean-Pierre Péroncel-Hugoz, correspondant du Monde à Alger et au Caire, décrit l’expansion de l’intégrisme musulman au Proche-Orient et au Maghreb, évoque les « grèves saintes », craint « qu’à travers l’Islam familier ne s’introduise dans la bergerie le loup intégriste » et alerte sur « la surenchère “islamique” de syndicalistes proches du Parti communiste » (Péroncel-Hugoz 1983 : 46-49)Pour autant, si ces représentations circulent et se diffusent, elles ne sont cependant pas hégémoniques : les associations immigrées [35][35]Communiqués des associations AMF, ATMF, FASTI, ATAF,… réagissent pour mettre en cause la lecture par l’Islam des grèves de l’automobile, de même que les journalistes des quotidiens marqués à gauche [36][36]« Une phrase de trop », Le Monde, 30 janvier 1983 ; « Immigrés…, ainsi que les organisations syndicales. La CFDT, en proclamant « nous sommes tous des intégristes chiites » [37][37]« Nous sommes tous des intégristes chiites », Bulletin CFDT…, dénonce la désinvolture du ministre de l’Intérieur et explique qu’elle « refuse toute attitude, y compris celle de M. Defferre, qui galvaude et réduit à moins que rien la libre expression, y compris religieuse, de travailleurs » [38][38]« L’Union régionale d’Île de France CFDT répond à Gaston…. Sans critiquer explicitement leurs collègues, des membres du gouvernement et du Parti socialiste (PS) refusent également une telle lecture des événements, notamment le secrétaire d’État chargé des immigrés [39][39]« Des conflits du travail avant tout », interview de François… ou le secrétaire national aux entreprises du PS [40][40]Jean-Paul Bachy, « Automobile : qui est intégriste ? »,…. Trente ans après les faits, Jean Auroux reconnaît lui aussi que bien que présente dans les usines, la religion n’a pu jouer qu’un rôle mineur dans les conflits [41][41]Entretien avec Jean Auroux, janvier 2014.. Cette relativisation rétrospective ne peut que nous interroger sur la profondeur et la force de la polémique, qui finalement demeure circonscrite à un temps relativement restreint. En mai 1983, le directeur des relations extérieures de PSA, toujours inquiet de l’agitation dans les usines, note d’ailleurs qu’il n’existe pas de vague de fond intégriste [42][42]Entrevue du 12 mai 1983, Archives privées de RC.. Le risque perçu quelques semaines auparavant semble alors s’évanouir.

*

Les années 1982 et 1983 et le déplacement des regards portés sur les luttes ouvrières où sont fortement impliqués des travailleurs immigrés peuvent être appréhendées de diverses manières. D’une part, elles font émerger des lectures nouvelles du monde social qui mettent à distance les enjeux sociaux, les inégalités et les dominations au sein du monde du travail. D’autre part, on assiste là à une nouvelle manifestation du traitement différencié des Musulmans par les institutions françaises ou leurs représentants. Naomi Davidson (2012) explique en effet que tout au long du xxe siècle, le fait d’être musulman en France a été construit comme un éternel marqueur de différence, au même titre que le genre ou la couleur de la peau, prenant le pas sur toutes les autres dimensions identitaires, au point de transformer une identité religieuse en identité raciale. C’est là en effet un trait marquant de la caractérisation de ces grèves par des marqueurs religieux, qui, en devenant un élément majeur d’explication des conflits, finissent par en occulter les racines sociales, l’organisation du travail, les salaires ou les relations au personnel d’encadrement des usines. Enfin, même si la polémique publique est de courte durée, on peut y voir les prémisses d’un passage, ou d’une superposition, entre « problème de l’immigration » (Noiriel 2008 ; Laurens, 2009) et « problème musulman » (Hajjat et Mohammed 2013). En scrutant la circulation des discours émis sur les grévistes de l’automobile, produits et reproduits dans différents espaces, on constate en effet une évolution de la façon dont ils sont catégorisés. Ouvriers immigrés, ils sont rapidement perçus comme musulmans, puis cette dimension devient un des facteurs des conflits, du fait de la manipulation et de l’exacerbation du sentiment religieux par la CGT, puis de l’existence d’un « problème musulman » en tant que tel. Finalement, la mobilisation de ces ouvriers musulmans met en lumière les risques et tentations intégristes alors à l’œuvre, une telle analyse constituant un phénomène relativement inédit. De glissement en glissement, les questions du travail et des dominations subies par les groupes subalternes du salariat sont mises à distance tandis que les caractéristiques religieuses des immigrés semblent se substituer à leurs identités professionnelles et sociales. Dans le même mouvement, la question musulmane, qui n’est pas nouvelle en France et renvoie à l’histoire coloniale du pays, est construite alors en problème, puis en risque intégriste. Plus que des évolutions qui se révéleraient à travers de nouvelles pratiques religieuses rendues alors visibles, ces années sont le signe de nouvelles formes d’altérisation des populations immigrées en même temps que d’une disqualification des luttes ouvrières, les deux phénomènes allant de pair. On peut y voir enfin un moment révélateur de confusion entre Islam, islamisme et intégrisme, confusion qui ne quittera plus la scène publique à partir de la fin des années 1980, s’appuyant tant sur des événements français qu’internationaux.

Notes

    • [1]
      La Confédération française du Travail (CFT) est créée en 1959, puis prend le nom de Confédération des syndicats libres (CSL) en 1977. Elle incarne un syndicalisme dit indépendant, mais qui entretient une forte proximité avec les directions d’entreprises, notamment dans les usines automobiles où elle est majoritaire, comme Simca et Citroën.
    • [2]
      « Mémoire remis par la CGT à M. Dupeyroux, 22 mai 1982 », et « Conflit Citroën : recommandation du médiateur, 26 mai 1982 », archives de l’Union locale CGT d’Aulnay-sous-Bois.
    • [3]
      Photographie de manifestation, banderole de la CGT Talbot, archives privées.
    • [4]
      « Revendications remises par la CGT à la Direction régionale du Travail », 3 mai 1982, archives de l’Union locale CGT d’Aulnay-sous-Bois
    • [5]
      Archives départementales de Seine-Saint-Denis, 49J572.
    • [6]
      Traction, n° 29, 26 janvier 1979.
    • [7]
      Haya, film de Claude Blanchet et Edouard Bobrowski, 1982, archives départementales de la Seine-Saint-Denis, côte 2AV20595. La traduction des paroles de l’ouvrier apparaît en sous-titre dans le film.
    • [8]
      Entretiens avec NT, secrétaire du syndicat CGT de Talbot Poissy entre 1976 et 1987, réalisé en février 2011, et CB, secrétaire du syndicat CGT de Citroën d’Aulnay-sous-Bois de 1974 à 1982 et de 1985 à 2000, réalisé en novembre 2009. Notons cependant que la secrétaire de la CGT Talbot à Poissy, issue de la Jeunesse ouvrière chrétienne et de l’Action catholique ouvrière, mais aussi adhérente du Parti communiste, se revendique laïque et croyante ; d’où peut-être une approche compréhensive du sentiment religieux.
    • [9]
      « Tract de l’Association des Marocains Libres », février 1983, archives de l’Institut d’histoire sociale de la CGT, 105CFD382.
    • [10]
      « Tract de la Ligue des Traditions Musulmannes Sounnites en France » [sic], non daté, archives de l’Institut d’histoire sociale de la CGT, 105CFD382.
    • [11]
      Cela dit, la fidélité à l’esprit national marocain et à Hassan II est plus souvent utilisée que la fidélité à l’Islam pour appeler à la mesure les ouvriers marocains. L’immigration marocaine est d’ailleurs encadrée essentiellement par des institutions politiques, l’ambassade ou les amicales, dont la fédération est présidée par Mohamed VI, fils d’Hassan II, et non par des institutions religieuses.
    • [12]
      Intervention devant l’usine Citroën d’Aulnay-sous-Bois, mai 1982, rushes du film Haya de Claude Blanchet, 1982, Archives départementales de Seine-Saint-Denis, 2AV20640/643.
    • [13]
      « Quand plusieurs gars du monde font une table ronde parlant de leurs problèmes, ils parlent CGT », tract d’appel de la CGT Citroën-Aulnay pour l’élection du 1er décembre 1982, Archives de l’Union locale CGT d’Aulnay-sous-Bois.
    • [14]
      « Le conflit Citroën », Revue du Centre d’études des entreprises, n° 62, juillet 1982, p. 2., archives de l’Union locale CGT d’Aulnay-sous-Bois.
    • [15]
      Idem.
    • [16]
      L’institut d’histoire sociale peut être qualifié d’« officine patronale française chargée de lutter contre l’influence communiste au sein du mouvement ouvrier » ; voir Annie Lacroix-Riz, « L’Institut d’histoire sociale, une officine anti-sociale », 2005, http://www.voltairenet.org/article130193.html.
    • [17]
      Les marques Citroën et Talbot appartiennent au groupe PSA.
    • [18]
      La première note « Le problème musulman dans les événements Citroën et Talbot de mai-juin 1982 », 16 juillet 1982, provient des archives interfédérales CFDT, versement 1B417 ; une note manuscrite sur la première page semble par ailleurs indiquer qu’elle a été transmise au gouvernement. La seconde, « Problèmes sociaux », n.d., fait suite à la première, et se trouve aussi dans des archives de la CFDT (archives confédérales CFDT, 8H729), mais également dans les fonds du cabinet du premier ministre (Centre des archives contemporaines, 19890442/15, liasse 3). Il est difficile d’expliquer les parcours exacts de ces circulations, en revanche, il est certain que c’est le directeur des relations extérieures de PSA qui se charge sinon de la rédaction des notes – elles ne sont pas signées –, du moins de leur diffusion.
    • [19]
      Il est seulement question de « quelques perturbations et des changements de postes qui avaient eu pour conséquence un peu de tension sociale ».
    • [20]
      L’ethnicisation ou la racialisation et la caractérisation par le religieux des ouvriers s’articulent dans d’autres analyses patronales des conflits ; ainsi, la direction de Talbot distingue, outre les Maghrébins qui subissent une « influence extérieure religieuse », « les hommes de couleur musulmans » qui constituent « un milieu plus soudé par la “race” » et les « “Vietnamiens” qui […] ont l’habitude du combat dur ». Voir « Grève Talbot juin/juillet 1982 », note de la direction, n.d., archives de l’entreprise, transmise par Nicolas Hatzfeld.
    • [21]
      « Le rôle des ressortissants marocains dans les récents conflits de l’industrie automobile », anonyme, janvier 1983, Centre d’archives contemporaines, fonds du ministère de l’Intérieur, versement 19880178/12.
    • [22]
      Créée en 1961, l’AMF est la plus ancienne association de Marocains en France, créée par des militants de gauche proches de l’Union nationale des forces populaires, parti créé par Mehdi Ben Barka, et opposants au régime monarchique. En 1975, une scission de l’AMF conduira à la création de l’ATMF en 1982. La confusion entre AMF et ATMF est possible, la seconde étant plus liée aux mobilisations ouvrières que la première, bien que regroupant un nombre très réduit de militants.
    • [23]
      Entretien avec BG, chef d’unité aux Renseignements généraux entre 1984 et 1997, en charge des questions liées à l’Islam, réalisé en juillet 2013.
    • [24]
      Archives privées de RC, conseiller technique auprès du premier ministre entre 1981 et 1984. Dans ses cahiers de travail, ce conseiller prend des notes sur les réunions et les entrevues auxquelles il participe. Il reçoit à plusieurs reprises des représentants de PSA qui lui font part de leur analyse de la situation dans les usines.
    • [25]
      Ces déclarations ne visent pas spécialement les ouvriers des usines d’Aulnay-sous-Bois et de Poissy ; en janvier 1983, des conflits ont lieu à Renault-Flins, Renault-Billancourt, Chausson-Gennevilliers, Unic-Fiat-Trappes, Citroën-Asnières et Citroën-Nanterre, tandis qu’à Aulnay règne une agitation certaine avant le début d’un nouveau conflit le 2 février 1983. Les déclarations visent donc un climat général dans l’industrie automobile de la région parisienne.
    • [26]
      Interview radiophonique à Europe 1, 26 janvier 1983.
    • [27]
      Interview à Nord-Eclair, 28 janvier 1983.
    • [28]
      Pour le cas de PSA, voir (Loubet 1994) et pour celui de Renault, voir (Loubet 2000).
    • [29]
      Circulaire du 2 septembre 1976. Sur l’intégration des questions religieuses dans la politique culturelle en faveur des immigrés voir (Escafré-Dublet 2008, chap. 5 ; Davidson 2012, chap. 6).
    • [30]
      Archives de l’Union locale CGT d’Aulnay-sous-Bois.
    • [31]
      Le magazine Paris-Match du 11 février 1983 explique que « la DST et la DGSE avaient prévenu le ministère de l’Intérieur depuis plusieurs mois que des services secrets financés par l’Iran et la Libye manipulaient des travailleurs immigrés chez Citroën et chez Renault ».
    • [32]
      La télévision sera cependant assez peu disserte sur la polémique provoquée par les propos des ministres.
    • [33]
      Le Figaro, 1er février 1983 ; France-Soir, 2 février 1983.
    • [34]
      « Thierry Le Luron au théâtre du gymnase », 1985.
    • [35]
      Communiqués des associations AMF, ATMF, FASTI, ATAF, Libération, 1er février 1983.
    • [36]
      « Une phrase de trop », Le Monde, 30 janvier 1983 ; « Immigrés et islamisme, quelle mouche a piqué Mauroy et Defferre ? », Libération, 1er février 1983.
    • [37]
      « Nous sommes tous des intégristes chiites », Bulletin CFDT Métaux Paris, février 1983. Archives confédérales CFDT, 8H729.
    • [38]
      « L’Union régionale d’Île de France CFDT répond à Gaston Deferre, ministre d’État, ministre de l’Intérieur et de la décentralisation », 27 janvier 1983. Voir aussi « À la recherche de l’intégrisme chiite », Bulletin CFDT-Flins, février 1983. Archives confédérales CFDT, 8H729. Pour autant, l’hypothèse de propos alarmistes tenus par des syndicalistes à des membres du gouvernement à propos du rôle d’intégristes dans les grèves n’est pas à exclure. Elle est exprimée par Françoise Gaspard en 1985 ; voir « Temps de l’Islam, temps industriel », table ronde, Esprit, n° 6, juin 1985, p. 235.
    • [39]
      « Des conflits du travail avant tout », interview de François Autain sur la chaine de télévision Antenne 2, février 1983, retranscrite dans le dossier de Sans Frontière, « La crise est grande, Mauroy est son prophète », n° 74, mars 1983.
    • [40]
      Jean-Paul Bachy, « Automobile : qui est intégriste ? », L’Unité, n° 500, 11 février 1983.
    • [41]
      Entretien avec Jean Auroux, janvier 2014.
    • [42]
      Entrevue du 12 mai 1983, Archives privées de RC.

Voir aussi:

Pourquoi le coup d’État gaulliste a-t-il été effacé de notre mémoire collective ?
Nicolas Bove
Les Inrocks
11 septembre 2018

La guerre civile en France, 1958-1962 de Grey Anderson – source éd. La Fabrique

Pourquoi le souvenir du coup d’État du général De Gaulle en 1958 a-t-il été effacé de la mémoire nationale ? C’est la question que pose un jeune universitaire américain, Grey Anderson, qui a eu accès à des archives inédites. Sa thèse, dans laquelle il questionne les origines de notre République, paraît ce mercredi 12 septembre aux éditions La Fabrique.

Qu’est-il advenu de la mémoire du coup d’état de mai 1958 lorsque, s’appuyant sur la révolte de l’armée et de la population en Algérie, le général De Gaulle a pris le pouvoir ? Dans sa thèse, réalisée au sein de la prestigieuse université de Yale, le jeune universitaire américain Grey Anderson interroge les débuts parfois troubles de notre République qui a fêté – discrètement – cette année ses 60 ans. Ce travail universitaire fut remarqué par Éric Hazan, à la fois éditeur et traducteur de l’ouvrage qui paraît ce mercredi 12 septembre aux éditions La Fabrique. La richesse de cet écrit provient à la fois d’un examen minutieux de sources encore inexploitées de la « justice d’exception » du régime gaulliste et d’un regard extérieur et assez neuf d’un universitaire américain sur un sujet franco-français.
Nous avons donné rendez-vous au chercheur dans un café à l’est de la place de la République à Paris. Un endroit tranquille à ce moment de la journée – il est 14 heures. Grey Anderson arrive, la trentaine mais une moustache couronnée de lunettes rondes cerclées dorées qui n’auraient pas eu honte face à celles de nos arrière-grands-pères. Le pas avenant, le jeune homme arbore un grand sourire et une poignée de main chaude : un « Salut ! » dit avec un accent marqué. Il s’excuse et insiste pour mener l’entretien en français. Il explique sa surprise d’avoir été contacté par une maison d’édition française pour faire de sa thèse un livre, qui paraîtra également en anglais l’année prochaine. Il est venu avec un carnet moleskine qui lui sert de bloc note, qu’il n’ouvrira pas pendant l’entretien mais qui restera tout de même sous la main. C’est son premier entretien en tant que chercheur, son premier entretien tout court. Les six ans de recherches qui l’ont amené de l’université de Yale dans le Connecticut aux archives nationales françaises et au XIe arrondissement de la capitale se sont faites dans les archives. Il a bien sûr beaucoup utilisé les « interviews » du service historique de la défense, ou des fonds oraux de Sciences Po qui lui furent très précieux.

Quelle est la motivation d’un étudiant de l’université de Yale, originaire de Californie, pour mener une thèse de six ans sur la fondation de la Ve République française ?

Grey Anderson – J’ai commencé mes études doctorales peu après le « surge » de 2007 en Irak [l’envoi de 20 000 soldats supplémentaires sur le terrain irakien, décidé par l’administration Bush. Ndlr.] et la publication, à peu près au même moment, du « Field Manual » [Ce manuel militaire présentait les principes de guerre contre-insurrectionnelle jugés nécessaires aux officiers en poste en Irak. NDLR.], un moment de redécouverte, aux États-Unis, de la doctrine française de contre-insurrection. Cette référence m’a interpellé et j’ai été amené à me questionner à ce sujet : j’ai lu des textes américains des années 1960 où il est question de l’expérience de l’armée française en Algérie, sur la tactique bien sûr mais aussi sur la question des rapports entre le pouvoir militaire et le pouvoir civil. Je me suis ainsi penché sur une autre facette de cette époque qu’on est habitué à qualifier de « Trente glorieuses » : la France, au cœur de la construction européenne et de cette Europe pacifiée de la croissance avait connu une transformation de grande ampleur, consécutive à un coup d’État militaire. Par la suite, j’étais surpris de découvrir la place marginale accordée à cet épisode dans les histoires de la période. Quelques ouvrages sont bien parus autour de 2008-2009, pour le 50e anniversaire de 1958, mais je trouvais la disproportion avec les travaux universitaires et les fêtes commémoratives autour de 1968 assez surprenante. Mai 68 est certes un événement majeur de la France contemporaine… mais qui se solde par la victoire écrasante de la droite conservatrice et la reprise en main de la situation. Imaginez, aux législatives de Juin 1968 la majorité présidentielle de Pompidou obtient 363 sièges sur 485 ! En 1958 des insurgés ont fait tomber un gouvernement et ont imposé à la France un système constitutionnel qui dure encore aujourd’hui.

Pourquoi avoir fait le choix de ces dates (1958-1962) qui correspondent à la période de la guerre d’Algérie au cours de laquelle le pouvoir était, à Paris, détenu par le général De Gaulle et les gaullistes ?
C’est une sorte d’interrègne, entre l’avènement du pouvoir gaulliste et sa consolidation. Jusqu’en 1962, les dirigeants du nouveau régime n’étaient pas aussi assurés de leur maintien au pouvoir que ce qu’ils ont pu laisser penser par la suite. 1962, c’est l’année de l’indépendance de l’Algérie, de l’élimination de facto de l’OAS, mais aussi du référendum instaurant l’élection du président de la République au suffrage universel direct. En 1962 la France sort d’une période où elle a vécu avec le spectre de la guerre civile. La presse parlait de putschs avortés, de massacres de rue, à un moment où la mémoire de Vichy, de l’Occupation et de la Résistance, est encore dans toutes les mémoires. Une fois l’ordre rétabli, ce qui survient assez vite en fin de compte, on assiste à une forme de « refoulement« . On s’est mis à parler de l’Algérie comme si les drames de la période avaient été le fait de circonstances inéluctables, inhérentes à tout processus de décolonisation. La métaphore du « refoulement », terme qui relève à la fois de la métaphysique et de la psychanalyse est discuté par l’historien Benjamin Stora [notamment dans La gangrène et l’oubli, éd. La découverte. NDLR]. S’il est sans doute critiquable, il me paraît dans ce cas assez pertinent.

Un des apports de vos recherches repose sur l’accès que vous avez eu à des archives nouvelles, le fond 5W du tribunal militaire et de la Cour de Sûreté de l’État, comment s’est déroulée cette découverte de ces sources ?

J’ai obtenu un certain nombre de dérogations afin de consulter les dossiers de la « justice d’exception », notamment concernant les « activistes » de l’Algérie française. Ce travail de documentation est long et parfois fastidieux, mais il faut dire que le service des Archives nationales en France fonctionne bien. Les fonds privés, notamment les papiers de Michel Poniatowski [directeur de cabinet du secrétaire d’État aux finances Valéry Giscard d’Estaing du gouvernement Debré (1959-1962) suspecté d’avoir été le l’intermédiaire entre l’OAS à Alger et le futur président de la République] et ceux du corps militaire, conservés au Château de Vincennes, ont été plus difficiles d’accès, en particulier ce qui touchait à la politique nucléaire.

Le titre de votre ouvrage, La guerre civile en France. 1958-1962, est un titre polémique qui fait notamment référence au texte de Karl Marx de 1871 sur la Commune de Paris, pourquoi ce choix qui peut paraître inapproprié, ou du moins excessif ?

C’est un choix un peu spécial… La référence au texte de Marx est volontaire bien-sûr. D’abord, ce qui marque dans les textes de Marx sur la Commune, c’est qu’on y voit en plein action l’autonomie — même très relative — des différents appareils d’État. Or, en 1958, une partie de la gauche, et tout particulièrement le PCF, dont j’ai étudié les archives sur la période, a pensé que De Gaulle était, sinon un fasciste, l’incarnation d’un pouvoir fascisant : c’est-à-dire, selon la vieille doctrine des années 1930 encore suivie par le PCF à l’époque, le représentant direct des tendances les plus réactionnaires du capitalisme, d’un « pouvoir bourgeois des monopoles« . D’autres esprits, plus éclairés, se sont rapidement rendus compte qu’en fait il y avait d’importantes contradictions au sein du nouveau régime, notamment autour du règlement du conflit en Algérie : l’acceptation de la perte de l’Algérie s’est faite à différentes vitesses, y compris au sein du gouvernement. En mai 1958 Jean Lacouture, futur biographe de De Gaulle, aurait déclaré « ce n’est pas un général, c’est un champ de bataille« . Ce jugement me semble assez juste.
Ensuite, ce concept de « guerre civile » était beaucoup utilisé dans les débats parlementaires. Pendant toute l’agonie de la IVe République, l’invocation de cette menace est omniprésente. L’Algérie incarnait cette crainte, la peur que la violence qui se déversait là-bas sur les populations gagne le cœur de la nation en métropole… Ce qui est arrivé d’une certaine manière ! Les attentats du FLN puis la montée de l’OAS et l’intensification des répressions policières ont contribué à instaurer en métropole un climat de guerre. Afin d’être tout-à-fait clair, ce concept est avant tout un outil de lutte à des fins politiques, un outil polémique, bien plus qu’un concept idéal ou analytique.

L’État gaulliste a-t-il marqué une différence de traitement quant à la question algérienne ? Des travaux comme ceux de Guy Pervillé tendent à montrer que, mis à part la répression contre les partisans de l’Algérie française, le dispositif militaire, judiciaire et policier est resté sensiblement le même [Pour une histoire de la guerre d’Algérie, éd. Picard, 2002.]

C’est une question capitale. Il y a un vieux débat sur les intentions de De Gaulle en 1958. D’après une certaine tradition, qui flirte avec l’hagiographie du « décolonisateur prophétique », il serait arrivé au pouvoir avec l’idée que l’Algérie allait être indépendante. À l’opposé, certains considèrent qu’il aurait été déterminé à conserver la souveraineté française sur le territoire jusqu’au dernier moment, et ne s’est incliné que devant les pressions internationales. Pour ma part je m’inscris plutôt dans le sillage de Julian Jackson, auteur d’une très récente biographie en anglais [A Certain Idea of France : The life of Charles de Gaulle, éd. Penguin, 2018], selon lequel De Gaulle était pragmatique au sujet de la présence française en Afrique du Nord, et qu’il a gardé — au moins jusqu’en 1960 — l’espoir d’une Algérie « liée à la France » par une forme de compromis néocolonial. Il ne s’agit donc pas tant des convictions du président en son for intérieur que de la manière dont il essaie de maîtriser les contradictions au sein des appareils d’État, entre les jusqu’auboutistes convaincus et les plus modérés. C’est là l’innovation gaulliste. Il a réussi à négocier et maîtriser ses contradictions, il s’impose au sein de l’État – au bout d’un processus long et particulièrement violent, surtout en Algérie. Il finit par faire passer aux yeux des Français la perte de l’Algérie en « une victoire sur nous-mêmes« , selon le mot de Malraux.

Avant de parvenir au sommet de l’Etat, quelle capacité de nuisance avait véritablement les Gaullistes contre la IVe République ? Car, avant 1958, toutes les tentatives de prise du pouvoir avaient échoué.

Après l’échec du Rassemblement du peuple français, au début des années 50, De Gaulle voit bien qu’il a besoin d’une crise pour reprendre pouvoir. Il est clair pour son entourage que l’échec électoral appelle d’autres formes d’action. Un petit groupe de fidèles, parmi lesquels Michel Debré et Jacques Foccart, maintient des rapports avec les milieux militaires, ainsi qu’avec des associations d’anciens combattants et un noyau de gaullistes proches de l’extrême droite, habitués à la violence de rue et prêts à l’action extra-parlementaire. Ces réseaux joueront un rôle important, sinon décisif, dans le dénouement des événements de mai 1958.

À l’époque, on parlait beaucoup de « complots », et de l’éventuelle complicité de De Gaulle dans le soulèvement qui aboutit à son retour aux affaires. L’ouverture des archives de la présidence n’a pas, à cet égard, apporté de nouvelles preuves probantes, en d’autres termes, il n’y a pas de « smoking gun » : les faits sont là, connus de tous – seul change l’interprétation qu’on leur donne. Ce qui est frappant c’est la permanence d’une grille de lecture déjà formulée par différents acteurs à l’époque. C’est le cas du journaliste français Christophe Nick qui présente l’action du général De Gaulle comme un coup démocratique.

Toujours est-il que soixante ans après circule le fantasme d’un machiavélisme gaullien, les uns insistant sur le côté autoritaire du Général, son scepticisme à l’égard de la légalité républicaine, d’autres qui voient en lui au contraire une sorte de sauveur, un « George Washington » français. Les deux tendances se rejoignent par l’importance qu’elles accordent à la personne de De Gaulle et à ses ambitions.
Ce n’est pas ma manière de considérer les choses. En suivant la politologue Brigitte Gaïti [De Gaulle : Prophète de la Cinquième République, 1946 – 1962, Paris : Presses de Sciences Po, 1998], je me suis beaucoup plus intéressé à la manière par laquelle divers protagonistes — De Gaulle et ses collaborateurs, bien sûr, mais aussi des militaires, des hommes politiques, des intellectuels — ont négocié une interprétation neutralisante de cette crise. On a créé la légitimité de la République gaulliste à partir d’une base a priori pas très favorable à l’interprétation légaliste qui aujourd’hui domine.

Vous discutez de l’emploi du terme de fascisme concernant le gaullisme, pourriez-vous y revenir ?

Ce que j’essaie de démontrer, c’est qu’en 1958 on voit l’ultime résurgence d’un vocabulaire politique très ancré dans la gauche française, celui de l’anti-bonapartisme, de l’opposition au pouvoir exécutif qu’on retrouve aussi dans l’antifascisme de l’entre-deux-guerres. Ce vocabulaire appartient à une tradition au passé honorable, qui va des luttes révolutionnaires du XIXe siècle au Front populaire et à la Résistance, mais en 1958 ce registre ne correspond pas à la réalité des crises politiques contemporaines. Et selon moi, cette aporie est directement liée à la définition même de crise politique. Je me fais l’écho des travaux de sociologues français tels Michel Dobry [Sociologie des crises politiques, éd. Sciences Po, 1986]. Les crises politiques sont des moments de recours à des analogies historiques et au vocabulaire légué par des luttes passées, le plus souvent désormais inappropriées.
De Gaulle n’était pas fasciste, ça ne fait aucun doute. Cette analyse, d’une partie de la gauche française, était erronée, quoiqu’elle fût fondée sur des raisons compréhensibles. Si le PCF s’est obstiné si longtemps à dire que De Gaulle était fasciste ou du moins un tremplin vers le fascisme, c’était au nom d’une idée de rassemblement et de défense républicaine qui a marché un temps ; mais en 1958, l’unité de la gauche avait été sévèrement compromise par la guerre froide et les conflits de décolonisation. Le décalage entre la radicalité et la violence des actes et l’absence de passage à l’acte est flagrant.
Ce moment est aussi, pour la gauche française, l’occasion d’une renaissance de l’analyse du bonapartisme et de l’État fort. Une pensée marxiste hétérodoxe se met dès lors à remettre à nouveau en question le rapport entre l’État et les différentes fractions de la classe gouvernante. 1958 et la fin de la guerre d’Algérie jouent un rôle de premier plan dans cette entreprise de renouvellement théorique.

Vous partez du constat d’une rupture à partir de 1968 vis-à-vis de la mémoire de la naissance de la République, celle de 1968 venant effacer la première, de quoi parle-t-on alors ?

Le discours du pouvoir gaulliste durant la première décennie de son existence repose sur l’opposition entre un conservatisme modernisateur d’une part (le gaullisme et son gouvernement d’experts) et l’archaïsme des paysans, de la petite bourgeoisie pro-Algérie française, des colons et d’une partie de l’armée. Mais cette opposition ne va pas de soi, il ne s’agit pas à mon sens d’une querelle des anciens et des modernes mais d’une lutte entre des définitions rivales de la modernité et de l’avenir de la France. Les partisans de l’Algérie française se concevaient eux aussi comme des modernisateurs. Ils prétendaient défendre une vision ouverte et fédérale d’un empire français renouvelé contre une France rétrécie, étriquée et hexagonale — c’est la vision des Barrès et des Maurras, dont certains disaient de De Gaulle qu’il en était l’héritier.

Ceci nous ramène au motif du « refoulement ». Je pense ici à la formule de Lacan, selon laquelle le refoulement prend toujours la forme d’un retour du refoulé : il ne s’agit pas seulement de la censure et de l’oubli, mais de quelque chose qui doit se rejouer. On pense aussi à la sentence de Marx dans le 18 Brumaire, « les événements historiques se répètent deux fois… la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce« . En 1958, les fantômes de Vichy et de l’occupation ressurgissent un temps avant d’être contenus, et d’une certaine manière refoulés par l’État gaullien, qui travaille en même temps à faire oublier sa propre naissance. Ce qui est frappant justement, c’est qu’en 1968 on voit ressurgir… mille références ! Les gens avaient forcément conscience de vivre un moment particulier, et c’est étonnant de voir que dans les travaux sur 1968 on parle si peu du fait que cette année-là était aussi le dixième anniversaire de la prise de pouvoir gaulliste.
Selon moi, ce phénomène tient la réconciliation entre le gaullisme d’État et les autres droites avec lesquelles il avait été en rupture lors de l’affaire algérienne. La nécessité de s’opposer aux mouvements de gauche de 1968 a poussé ces fractions à faire un compromis ; compromis par lequel le régime gaulliste a pu encore une fois dissimuler ses origines.

Propos recueillis par Nicolas Bove

Grey Anderson, La guerre civile en France, 1958-1962. Du coup d’État gaulliste à la fin de l’OAS. Éd. La Fabrique, 304 pages – 15 euros. Sortie le 12 septembre 2018

11 Responses to France: On a trop souvent joué avec le Front national (Déjà vu: French socialists gearing up for reverse vote for the Crook-not the Fascist election strategy)

  1. jcdurbant dit :

    Voir aussi:

    Il est donc indécent de mettre en parallèle ce phénomène et la haine des Juifs qui se traduit par de la barbarie et des tueries envers des hommes, des femmes et des enfants dont le seul objet de la haine est d’être nés juifs !

    Que dire encore du « pas d’amalgame» de la bouche même de ceux qui ne cessent d’user «d’amalgame» entre les dérives de quelques candidats du Front National et la Présidente de ce même parti alors que celle-ci a immédiatement condamné ces propos indignes et a immédiatement suspendu ces candidats contrairement à ce que font d’autres partis ( nous développerons plus bas) !

    Que dire du « pas d’amalgame» de la bouche de ceux qui ne cessent de jouer de l’amalgame entre Marine Le Pen et son père, oubliant par là-même le principe républicain de responsabilité qui précise que nul ne peut être tenu responsable pour les actes d’autrui !

    Que dire du « pas d’amalgame» proclamé par ceux qui ne cessent de faire «l’amalgame» entre la moindre bavure d’un sympathisant F.N et les 30% de français, électeurs de ce parti !

    Entendons-nous bien ! Nous n’avons aucune sympathie envers ce parti mais nous en avons encore moins envers le mensonge, les manœuvres anti-démocratiques et les fausses et indécentes indignations !

    Ce qui nous heurte, nous choque et nous indigne c’est l’utilisation de l’éthique et de la morale en paravent à des fins «politicardes», surtout quand ces offusqués du Dimanche se comportent de manière bien plus indigne que ceux qu’ils dénoncent à longueur d’antenne !

    Ainsi que dire de «l’indécente indignation» d’un Aymeric Caron qui vient justifier devant les téléspectateurs, avec des précautions oratoires peu audibles, l’assassinat d’un Ilan Halimi ? Il fait partie de la cohorte de ceux qui trouvent toujours un moyen de «justifier» les dérives meurtrières des « fous de Dieu des banlieues » !

    Et que dire encore de « l’indécente indignation » de ceux qui sont toujours en première ligne pour manifester aux côtés des antisémites les plus notoires: Parti Communiste, Verts, N.P.A, Front de Gauche,… Tous ceux qui ont pour habitude de manifester sous le drapeau de la Barbarie Islamique, ou qui sont les défenseurs invétérés des terroristes en tous genres, pire qui les décorent comme «citoyens d’honneur» quand ils sont en responsabilité et en possibilité de le faire.

    Et que dire encore du « l’indécente indignation » du « cartel des antisémites de gauche », au slogan provocateur de «Tous ensemble, Tous ensemble » alors qu’ils n’agissent que pour rendre épars ce qui est uni !

    Mais comment donc s’est constitué ce « cartel des antisémites de gauche» et comment agissent-ils?

    Il y a bien sûr le reliquat du Parti Communiste qui essaie de retrouver dans la haine du Juif un soupçon de popularité dans les «quartiers» qu’ils ont totalement perdus; il y a également bien sûr l’extrême-gauche qui s’est rebaptisée N.P.A ou Lutte Ouvrière, vestiges d’Action Directe, de triste mémoire et auteurs de très nombreux attentats antisémites dans les années 80, et dont quelques reliquats, sortis de la naphtaline comme Jean-Marc Rouillan, constituent aujourd’hui la garde rapprochée des dirigeants du Parti; il y a également des responsables syndicaux qui, ne pouvant plus défendre les ouvriers, et après les avoir trahis, essaient de les fourvoyer dans la haine des autres; il y a également quelques socialistes (31 paraît-il) qui n’ont plus de socialiste que le nom tant ils n’ont plus rien à voir avec le parti du même nom et auquel ils s’opposent sur tous les fronts ( économique, sociétal, international, moral et éthique); il y a également ceux que l’on appelle les verts, peut-être à cause de leur proximité avec les islamistes, et qui n’ont d’écologistes que le nom tant leur programme se confond avec celui de la gauche prolétarienne et révolutionnaire, et qui n’existent politiquement que grâce au pacte contre nature avec les socialistes; et il y a bien sûr les islamistes qui n’ont, bien entendu, rien à voir avec le socialisme ou la gauche qu’ils abhorrent, mais dont les intérêts convergent avec cette gauche extrême dont ils partagent un seul et unique but qui est celui de la destruction de l’ordre et de la culture occidentale !!!!

    Ils sont les dignes héritiers de Proudhon et de son antisémitisme viscéral: « le Juif est l’ennemi du genre humain. Il faut renvoyer cette race en Asie ou l’exterminer… Par le fer, par le feu ou par l’expulsion il faut que le Juif disparaisse » (Proudhon, Carnets, 26 décembre 1847)

    Comme nous le voyons l’antisémitisme à une origine multipolaire, il est autant le rejeton de la gauche que de la droite.

    Voilà donc rassemblés dans ce « cartel »un conglomérat d’antisémites qui s’accrochent à chaque opportunité durant laquelle ils pourront «Tous ensemble», «Tous ensemble», … vomir leur haine du juif en se cachant sous le foulard, bien utile, de l’antisionisme !

    Mais pour ne pas tomber dans l’amalgame tant récrié, il est bon de signaler que les exceptions existent, oui, il existe des exceptions notables ! Jean-Pierre Brard, Jean-Claude Gayssot, André Gattolin, Jean-Vincent Placé, et quelques autres ne rentrent pas dans ces travers et sauvent l’honneur de ces partis embourbés dans l’antisémitisme!

    Ironie du sort, alors que les élus socialistes défilaient le 11 janvier dernier contre le terrorisme et l’antisémitisme, alors qu’ils dénoncent et insultent les candidats du Front National qui dérapent, ils feignent d’oublier qu’un certain lundi 21 juillet, l’un d’entre eux, Ahmed Chekhab, a été exclu du parti pour antisémitisme mais… que, curieusement et simultanément, cet élu avait été promu au sein de sa mairie. Comble du comble, il a été férocement défendu par la L.I.C.R.A, SOS RACISME et consorts, ceux-là même qui poursuivent, avec hargne et détermination, les candidats du Front National qui ont tenu des propos similaires mais qui n’ont pas eu la chance d’avoir la même compréhension de la part de leurs procureurs !!! Il faut tout de même, pour la compréhension des choses, rappeler que cet élu de gauche avait proféré des insultes à caractère violemment antisémite à l’encontre de l’ancien adjoint aux Sports, Philippe Zittoun.

    La gauche extrême a d’ailleurs tort de se rallier au panache blanc ( vert en l’occurrence) de l’islamisme, alors que celui-ci a éradiqué la gauche dans tous les territoires où il exerce son pouvoir !

    La droite n’est pas en reste avec ses quelques moutons noirs, le plus éloquent et nauséabond d’entre eux, est un ex haut personnage de l’État, qui ne perd pas une occasion pour vomir sa haine des juifs, il est vrai qu’il est grassement récompensé par des dollars qataris ! Mais d’autres élus, moins connus, se sont également signalés par leur homophobie, leur racisme ou leur antisémitisme sans que cela n’émeuve outre-mesure leur hiérarchie qui n’a pas éprouvé le besoin de sanctionner ces dérives par des exclusions; seule, parfois, une suspension temporaire a été prononcée afin de feindre la sanction au dérapage et pour tenter de les calmer !

    Le drame est que tous ces piliers de l’antisémitisme, de droite comme de gauche, sont souvent les chouchous des médias qu’ils polluent de leur bien-pensance dévoyée, et qui, sous prétexte de « droits de l’homme », sont les meilleurs vecteurs de l’antisémitisme et du racisme ! Dans les Studios, les producteurs, par l’intermédiaire de leurs «chauffeurs de salle», se rendent souvent complices de ces éléments subversifs en les faisant applaudir par un public docile !

    Ne nous y trompons pas, les slogans scandés sont là pour le rappeler, un parfum de haine des Juifs, souvent sous couvert d’antisionisme, flotte au dessus de notre pays, mais cette haine, c’est également la haine de l’Occident, la haine de notre système républicain et la haine de la France telle que nous l’avons toujours connue et telle que nous l’aimons !

    Et cette haine ne vient pas forcément de l’horizon Bleu Marine mais beaucoup plus souvent de l’alliance « Vert (Ecologistes) – Rouge ( PC, Front de Gauche, NPA) – Vert (Islamistes) »

    Restons donc vigilants contre les idéologues de la haine mais également, et surtout, contre les auteurs de ces « indécentes indignations», car ils sont encore plus subversifs puisque «apparemment» plus fréquentables !!!

    Richard C. ABITBOL
    Président
    Confédération Des Juifs de France et Amis d’Israël

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  2. jcdurbant dit :

    MENSONGES, GROS MENSONGES ET STATISTIQUES

    “Il y a trois sortes de mensonges: les mensonges, les gros mensonges et les statistiques.”

    Benjamin Disraeli

    Il faut savoir que le CCIF comptabilisait à l’époque comme «actes islamophobes» des faits aussi divers qu’une question posée à une jeune femme voilée lors d’un entretien à l’ANPE, des règlements de compte crapuleux, des vols relevant du simple droit commun, des propos jugés insultants et, beaucoup plus graves, des expulsions de prédicateurs violemment antisémites et appelant au djihad contre les infidèles et l’Occident, voire en lien avec des entreprises terroristes.

    Les relevés du CCIF ne sont plus disponibles sur leur site. En revanche, il a conservé sa spécificité: délivrer de fausses informations, amplifier des phénomènes, accumuler des faits invérifiables. Agissant sur les réseaux sociaux en véritables commandos groupés, ses membres pratiquent ce que ReputatioLab appelle «cloudsurfing», contraignant ainsi les médias à se tourner vers eux et, de ce fait, à légitimer leur discours. À l’aide de hashtags affolants (#PerquisitionnezMoi, par exemple), ils mobilisent des comptes dont on ignore tout de la tangibilité dans le monde réel. La question se pose vraiment, car nombre de musulmans ne s’y retrouvent absolument pas et refusent cette instrumentalisation victimaire. À propos des perquisitions, le porte-parole du CCIF, Yasser Louati, a ainsi déclaré sur Al-Jazeera qu’elles consistaient en «raids brutaux» et humiliaient des «millions de musulmans»…

    la gravité des actes n’entre pas en considération dans la froideur statistique. Je tiens ici à préciser que parmi les 806 actes antisémites constatés sur à peine 1 % de la population, il y a eu en 2015 quatre victimes juives massacrées à l’HyperCasher parce qu’elles étaient juives – et que la policière Clarissa Jean-Philippe a été abattue parce qu’elle était postée à proximité d’une synagogue et d’une école juive, ainsi que plusieurs agressions au couteau particulièrement graves, destinées à tuer et ayant entraîné des blessures sanglantes, portées dans la rue contre des concitoyens juifs parce que juifs.

    Le patrimoine cultuel chrétien est en effet celui qui est le plus touché en nombre par les dégradations. Il est aussi le plus important en nombre, en France. Encore une fois, il faudrait être en mesure de connaître le détail de chaque dégradation ou violence envers les personnes en raison de leur confession pour répondre correctement à une telle question. Je déplore que certains chrétiens versent en effet dans une forme de concurrence victimaire.S’exprime surtout la crainte d’être dépossédé non du nombre d’exactions, mais d’une part de son identité historique.Il est vrai que les médias, quant à eux, ne relaient pas en boucle sur le ton le plus offusqué les exactions antichrétiennes. Dans la logique qui est la mienne, je considère que c’est heureux car ces escalades médiatiques ne présagent rien de bon.

    Il faut cependant distinguer, à mon sens, ce qui relève de «traditions» d’extrême droite en général assez localisées – je n’ai pas encore décrypté les chiffres de 2015, mais entre 2003 et 2012, nombre de profanations de lieux de culte et de sépultures musulmans et juifs avaient eu lieu au même endroit et au même moment, et, pour ce qui concerne les lieux chrétiens, les actes motivés par des groupuscules satanistes. Cela dit, les inscriptions racistes sur les mosquées, les jets de chair porcine, les menaces adressées à des responsables musulmans et les dégradations spécifiquement antimusulmanes se sont en effet multipliées, surtout après les attentats de janvier, comme une réponse abjecte à l’horreur des massacres. La hausse a été moins forte après les attentats de novembre. Et c’est cela qu’il faut comprendre de toute urgence: ne pas céder à une tentation vengeresse en réponse aux tueries des djihadistes.

    Je pense d’ailleurs que l’on gagnerait en sérénité si, plutôt que se saisir de faits dont on ignore les causes et de les relayer dans tous les médias, on les considérait non pas en raison du nombre de plaintes déposées, mais après résultat d’enquêtes. Il faudrait analyser dans le détail les dates, les faits, les auteurs et les motivations.

    Peut-être conviendrait-il aussi d’étudier de près les menaces et les discours que des prédicateurs proches des courants fréristes, salafistes, wahhabites délivrent à leurs fidèles ou lancent contre des personnalités dont le seul tort est de s’exprimer. N’oublions jamais qu’être accusé d’être islamophobe tue.

    Isabelle Kersimon

    http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2016/01/20/31003-20160120ARTFIG00339-islamophobie-les-chiffres-du-ccif-ne-sont-pas-fiables.php

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  3. jcdurbant dit :

    la géographe et américaniste Cynthia Ghorra-Gobin propose une lecture décentrée de la question de la métropolisation en mettant à profit son regard « multisitué ». Elle postule que le détour américain est de nature à dépasser les controverses franco-françaises, telle que celle soulevée par les travaux de Christophe Guilly sur les fractures entre les métropoles et la France périphérique. Sa méthode consiste à coupler l’examen des travaux scientifiques sur la question métropolitaine aux USA et en France et celui de sa constitution en enjeu politique. Cela la conduit, dans les deux premiers chapitres qui procèdent à cet examen des cas américain et français d’abord en parallèle, à identifier des convergences académiques malgré les différences de culture et de morphologie urbaine. Aux USA, la métropolisation est d’abord « une subversion économique du territoire » (titre du premier chapitre). On assiste à un renversement des dynamiques spatiales, les inner cities se vidant de leur emplois qui s’implantent dans les périphéries où se développent les désormais bien connues edge cities. Cette évolution appelle, selon de nombreux chercheurs dont Cynthia Ghorra-Gobin met notamment en avant Myron Orfield, « une révolution métropolitaine ». L’Etat fédéral et les Etats fédérés sont appelés à reconnaître le rôle de locomotive économique des métropoles, et pour cela une transformation de la gouvernance est requise, faisant plus de place aux élus locaux, pour répondre à la fois eux enjeux de compétitivité économique et aux enjeux sociaux, très accentués avec la montée des inégalités et du chômage dans les inner cities. En France, la métropolisation est bien identifiée comme processus économique affectant les plus grandes villes dans les années 1990. Elle devient progressivement un enjeu politique, consacré par l’Acte III de la décentralisation qui consacre le statut de métropole en faisant le constat de l’échec ou de l’insuffisance de la loi Chevènement, dont la stratégie de l’intercommunalité a été mise en échec, notamment à Paris. Le troisième chapitre met en parallèle les critiques portées par les chercheurs sur l’accentuation des inégalités entraînées aux Etats-Unis comme en France par la montée du phénomène métropolitain, et les réponses divergentes qui sont proposées. Aux Etats-Unis, les tentatives de l’Etat fédéral, dès les années 1960, d’organiser le développement métropolitain, notamment à travers les transports, ont fait long feu notamment en raison de la dynamique de sécession municipale, construite sur une logique de ségrégation socio-ethnique et de captation des financements des services urbains au bénéfice des plus aisés. Ces problèmes suscitent une critique de la théorie du choix public pour les effets pervers que son application au niveau des municipalités a entraînée. En France, et c’est notamment la critique de Guilluy, la consécration politique du fait métropolitain s’effectuerait au détriment de la « souffrance spatiale » (terme que l’auteur reprend à Bruno Latour) des habitants « périphériques ». Mais Cynthia Ghorra-Gobin considère que cette critique manque son objectif en n’accordant pas assez d’attention aux inégalités internes aux agglomérations. Dans la deuxième partie du chapitre 3, elle revendique une approche « normative » et insiste sur le statut de « glocalité » propre aux métropoles, dont elle souligne le caractère inédit. Il s’agit de comprendre la métropole à la fois dans sa relation multi-niveau avec les institutions d’échelle nationale et régionale mais aussi dans ses liens économiques et politiques au-delà de l’espace national. L’enjeu métropolitain consiste donc selon elle à articuler l’enjeu de la solidarité intramétropolitaine et celui de l’insertion dans la mondialisation, à travers un rééchelonnement nécessaire de l’Etat.Dans le détail, on notera dans la démonstration une plus grande maîtrise des enjeux américains, notamment dans l’analyse des stratégies politiques locales, et une lecture moins fouillée des contradictions françaises. Alors que le rôle de pionnier de la métropolisation de Gérard Collomb, maire de Lyon et président de la métropole de Lyon est cité, il aurait été intéressant de souligner les limites de sa stratégie métropolitaine, davantage intéressée par les bénéfices politiques immédiats que par les enjeux sociaux. A la suite de ce qui ressemble beaucoup à un Yalta électoral avec le président du Conseil général du Rhône, élu des campagnes rhodaniennes quand Collomb maîtrisait les réseaux politiques du Grand Lyon, la nouvelle institution métropolitaine lyonnaise ressemble à une cote mal taillée. Elle laisse de côté des populations pourtant largement métropolisées en termes économiques et de modes de vie, notamment les nouveaux périurbains qui cherchent en lointaine périphérie un foncier moins cher, au risque du piège de la précarité énergétique et de la dépendance automobile. Si le débat avec C. Guilluy est certainement nécessaire, les exemples français mobilisés dans le livre, qu’ils soient lyonnais ou bordelais, ne convainquent pas toujours. Il n’en reste pas moins que ce plaidoyer pour une lecture décentrée n’est pas sans vertu et réussit à apporter un éclairage utile pour une nécessaire prise de recul.

    https://geocarrefour.revues.org/9756

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  4. jcdurbant dit :

    Le vote FN traduit un vrai conflit de classes. Tant que les élites, politiques mais aussi économiques, culturelles, médiatiques et administratives n’auront pas intégré cette donnée socio-politique, rien ne changera. (…) La diabolisation du FN parvient à figer le système. Elle fait office de bouclier idéologique qui arrête toujours le FN même quand celui-ci rassemble plus d’un quart de l’électorat. Mais il faut bien comprendre que le sujet n’est pas le FN : en réalité, comme l’a avoué Lionel Jospin, « la lutte antifasciste n’est que du théâtre » qui vise à ne jamais remettre en cause des choix économiques et sociétaux faits il y a plusieurs décennies. (…) Les classes dominantes, les catégories supérieures, les gagnants de la mondialisation, mais aussi ceux qui en sont protégés (les retraités, une partie de la fonction publique), tout cela dépasse largement les élites et forme un gros bloc. Ceux qui croient avoir des avantages à perdre, ça fait du monde. (…) Une majorité, ce n’est pas sûr, une base électorale, oui. Ce sont les retraités qui sauvent l’UMP, ce sont les fonctionnaires et les classes moyennes urbaines qui sauvent la gauche. Ces deux gros blocs sont arrimés ad vitam aeternam aux deux gros partis. Ils ne bougeront pas. (…) la question identitaire (…) travaille les catégories populaires dans la France périphérique (celle des zones rurales, des petites villes et des villes moyennes) mais aussi en banlieue. À ce titre, il faut souligner l’importance de la question identitaire pour la jeunesse populaire (ce n’est pas le cas pour la jeunesse aisée ou branchée des grandes métropoles) qui se manifeste par le vote FN dans la France périphérique, et par la réislamisation pour la jeunesse de banlieue. C’est pour cette raison que la gauche est tellement mal. L’électorat FN est presque plus prolétarisé que ne l’était l’électorat communiste des années 1960, c’est du jamais vu ! À ceci près que nous ne sommes plus en 1960, à l’époque de la « lutte des classes ». Si ces catégories sociales manifestent une « inconscience de classe », elles partagent néanmoins une même perception de la mondialisation, de l’immigration et de l’islam. Inversement, la posture antifasciste de nos élites n’est qu’un écran de fumée cachant des intérêts de classe bien compris. Se dire antifasciste permet de se déguiser en résistant, tout en souhaitant la perpétuation du système. (…) La classe ouvrière stricto sensu est certes ultra-minoritaire. Mais si vous y ajoutez les employés, les petits paysans et autres mal payés et précaires, vous obtenez la majorité de la population active… Ajoutez à cela les retraités et les jeunes issus de ces catégories, et vous avez la majorité de la population française. Aujourd’hui, la majorité de ces catégories populaires vit à l’écart des métropoles, dans une France périphérique qui crée peu d’emploi et de richesse et qui se caractérise par une grande fragilité économique et sociale. (…) la question sociale nous amène à la question identitaire et il faut les prendre en compte toutes les deux. Pourquoi un habitant de Hénin-Beaumont, avec un revenu de 600 euros par mois, préfère-t-il Marine Le Pen à Mélenchon, qui lui propose un SMIC à 1 600 € ? « Ce type est débile ! », explique, pour se rassurer, l’intelligentsia médiatico-universitaire. En gros, si ces gens avaient fait des études, ils voteraient Mélenchon ! Bizarrement, on n’a jamais reproché à l’électorat ouvrier qui votait PCF son niveau de diplôme ! C’est un raisonnement fallacieux, qui vise à nier l’existence de la« frontière invisible ». (…) À la différence de nos parents dans les années 1960, nous vivons dans une société multiculturelle, c’est-à-dire une société où l’autre ne devient pas soi. Et quand « l’autre » ne devient pas soi, les gens ont besoin de savoir « combien va être l’autre », dans son quartier, son immeuble car personne ne veut devenir minoritaire, a fortiori en milieu populaire. Parce que quand on est riche, on peut s’abriter derrière des frontières privées. (…) Contrairement à ce que laisse entendre le clivage électoral qui oppose d’un côté des classes populaires tentées « par le repli » et des classes supérieures affichant leur ouverture, face à l’émergence de la société multiculturelle, nous pensons tous la même chose. Seules les postures changent. Les catégories supérieures ont les moyens d’ériger une « frontière invisible » entre eux et l’autre (y compris dans des quartiers multiethniques) : elles pratiquent l’évitement résidentiel et scolaire, et un séparatisme « cool et invisible » qui permet de continuer à afficher un discours d’ouverture. À l’inverse, l’anxiété des catégories modestes et populaires sur la question migratoire s’explique par l’impossibilité d’opérer ces choix résidentiels et scolaires. Bien à l’abri, ceux qui érigent des frontières invisibles se disent résistants, antifascistes, tandis que les groupes sociaux qui subissent le multiculturalisme au quotidien, se débrouillent comme ils peuvent. Ils exigent de l’État de les protéger et on les qualifie de fachos, de racistes et de beaufs. Rappelons que cette question du rapport à l’autre ne se pose pas seulement pour les « petits blancs » mais pour tous les « petits » – qu’ils soient blancs, noirs, juifs, musulmans. En région parisienne, l’électorat maghrébin qui est en phase d’ascension sociale est de plus en plus sensible aux problèmes de sécurité et d’immigration. En Seine-Saint-Denis, l’évitement des immeubles à forte population africaine par la petite bourgeoisie maghrébine est un secret de polichinelle. [l’électeur qui dépose un bulletin FN dans l’urne] pense prioritairement à l’immigration parce qu’il est fragile socialement. S’il ne se préoccupait que du social, il voterait Mélenchon. Il ne contrôle ni l’endroit où il va vivre, ni son environnement, ni l’école dans laquelle il va scolariser ses enfants. C’est d’ailleurs ce qui explique une montée d’une critique de l’État-providence par ceux-là mêmes qui en ont besoin. Pourquoi ? La montée du discours critique sur l’État, qui serait trop généreux avec les chômeurs, les RMIstes, vise en fait l’immigration. Les programmes de construction de logements sociaux sont ainsi combattus par ceux-là mêmes qui en ont potentiellement besoin. (…) Depuis les années 1980, les quartiers de logements sociaux des grandes métropoles se sont de facto spécialisés dans l’accueil des populations immigrées. Auparavant, ces groupes étaient minoritaires. Et un phénomène n’arrange rien : depuis vingt ans, les non-immigrés s’auto-excluent de la demande de logements sociaux. En région parisienne, la majorité des demandes de logements sociaux émane de ménages immigrés. On peut se demander pourquoi le vote FN explose dans le grand Ouest, alors que d’après Hervé Le Bras, cette région anciennement catholique resterait hermétique à la vague frontiste. La réponse est simple : les gens ont vu changer la grande ville du coin, le logement social de Nantes, de Rennes et de Brest accueillant de plus en plus de ménages immigrés. (…) Je n’ai jamais sous-estimé la question sociale des banlieues, je dis juste que ce ne sont pas des ghettos mais des sas, où se concentrent les flux migratoires. La mobilité de ces zones explique que le portrait social de la banlieue soit toujours dégradé : les diplômés, les ménages en phase d’ascension sociale quittent ces territoires et sont remplacés par des ménages précaires et immigrés. Cette mobilité montre que l’intégration économique et sociale des immigrés est une réalité. Cela s’explique par le fait que, malgré tout, les trois quarts des ZUS sont situés dans les territoires qui comptent, ceux qui créent de l’emploi, c’est-à-dire les grandes métropoles. J’en conclus qu’il vaut mieux vivre à La Courneuve, située à dix minutes du centre de Paris, qu’au fin fond de la Picardie. Alors que des régions comme la Picardie s’enfoncent dans le chômage, les banlieues créent de la classe moyenne depuis vingt ans. Une petite bourgeoisie musulmane d’origine maghrébine a rapidement émergé en région parisienne, au moment où les classes populaires (qui vivent à 80 % en dehors des grandes métropoles) se cassaient la gueule. Soit dit en passant, cette nouvelle classe moyenne n’a pas lâché ses valeurs : vous pouvez très bien être à la fois un cadre supérieur et rester attaché à votre religion et votre système de valeurs. (…) pour la première fois, la majorité des catégories populaires ne vivent pas là où se créent la richesse et l’emploi. Ce n’est jamais arrivé dans l’histoire. Hier, la classe ouvrière vivait dans les régions ou villes industrielles, là où se créait la richesse. Cela entraîne entre autres conséquences une sédentarisation forcée. La France était plus mobile en 1968 qu’aujourd’hui. Aujourd’hui, la majorité des gens vivent et meurent dans le département où ils sont nés, car qui dit France périphérique dit France sédentarisée. On y trouve de moins en moins d’emplois et ceux qui existent sont mal payés. C’est la France des revenus médians – autour de 1 000-1 500 euros avec le risque d’un chômage définitif. Certains s’illusionnent sur les possibilités offertes par la révolution numérique. On ne crée par sa boîte high-tech dans son coin. Apple n’est pas né dans le Cantal. Si 70 % des cadres supérieurs vivent dans les grandes métropoles, ce n’est pas par hasard ! Résultat, les habitants de la France périphérique sont exclus des possibilités d’ascension sociale et se tournent vers des options politiques antisystème : les Bonnets rouges en Bretagne et le vote FN ailleurs… (…) Pour le moment, certains votent encore, mais les radicalités vont forcément augmenter car aucun projet économique sérieux n’est proposé pour ces territoires ; cette impasse économique renforçant l’anxiété autour des questions identitaires. J’ai travaillé en province au moment de la crise des migrants, et dans le Cantal on m’a posé des questions sur l’immigration. Le logement social vacant, susceptible d’accueillir des migrants, n’est pas dans les grandes métropoles mais dans les petites villes et villes moyennes de cette France périphérique. (…) Le neg’marron, l’esclave qui a fui la plantation, n’obéit plus à son maître. Les catégories populaires ont lâché les partis de gouvernement, c’est vrai dans la France périphérique mais aussi en banlieue où les minorités ont lâché la gauche.
    Et la qualité des élus n’y change rien : quand vous vous promenez en France, le député du coin ou le conseiller général du coin, de droite ou de gauche, dresse un assez bon diagnostic de son territoire, il connaît ses administrés, sait quelles sont les entreprises qui marchent, etc. Mais ces petits élus n’ont aucun pouvoir à l’intérieur de leur parti. Tout cela aboutira à une fracture à l’intérieur même des partis, entre les élus de cette France périphérique d’un côté, et les élus des métropoles et les états-majors de l’autre. (…) Qu’il s’agisse de Buisson ou de Terra Nova, du petit blanc ou de l’immigré, les deux grands partis ont intégré depuis longtemps le fait ethnoculturel, sans le dire. Ils constatent que les classes populaires ne se déterminent plus sur des questions d’ordre économique ou social, mais sur des questions identitaires. C’est vrai pour les musulmans comme pour les non-musulmans. En 2012, Sarkozy était le candidat idéal pour la gauche : dépeint comme islamophobe, négrophobe, anti-arabe, anti-immigré et (pire !) sioniste, il a permis au PS de mobiliser la banlieue contre lui. Ça a marché. Cette stratégie est beaucoup plus compliquée à appliquer en face d’une candidate comme Valérie Pécresse. La preuve : les musulmans ne sont pas allés voter Bartolone. L’indigénat, c’est fini ; les banlieues ne sont plus un électorat captif de la gauche. On l’avait déjà vu aux municipales quand Bobigny, Aulnay-sous-Bois ont basculé à droite, y compris dans des quartiers très majoritairement musulmans et/ou maghrébins, qui ont voté à droite parce qu’il y avait des camps de Roms en bas de chez eux. (…) Depuis plusieurs années, à en croire les sondages, environ 70 % des Français considèrent en effet qu’il y a trop d’immigrés en France. Malgré tout, les politiques ne bougent pas car ils restent prisonniers du dogme sans-frontiériste, sur l’immigration comme en économie. À gauche, la gêne est palpable. En tout cas, je ne connais aucun élu qui souhaite accueillir plus d’immigrés. En général, ils expliquent qu’ils veulent lutter contre la concentration et encourager la mixité. Mais, il faudra qu’on m’explique en quoi la « concentration » est mauvaise en soi ! Que je sache, autrefois, il n’y avait aucune mixité sociale : les ouvriers vivaient dans des quartiers ouvriers et personne ne se posait la question de savoir si le fils de l’ouvrier rencontrait le fils de l’avocat ! (…) on ne peut pas imposer le mélange. Quoi qu’il en soit, tous les élus, y compris de gauche, sont d’accord avec l’idée qu’il faut réguler les flux migratoires, mais poser cette question, c’est mettre le doigt dans un engrenage qui pourrait conduire à remettre en cause, non seulement la libre circulation des personnes, mais aussi celle des biens et des capitaux, autant dire la mondialisation elle-même. On comprend que le patronat ne tienne pas à ouvrir cette boîte de Pandore. Voilà pourquoi l’immigration est un sujet tabou, comme l’était le sexe au xixe siècle !

    Christophe Guilluy

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  5. jcdurbant dit :

    Les «élites» françaises, sous l’inspiration et la domination intellectuelle de François Mitterrand, on voulu faire jouer au Front National depuis 30 ans, le rôle, non simplement du diable en politique, mais de l’Apocalypse. Le Front National représentait l’imminence et le danger de la fin des Temps. L’épée de Damoclès que se devait de neutraliser toute politique «républicaine». Cet imaginaire de la fin, incarné dans l’anti-frontisme, arrive lui-même à sa fin. Pourquoi? Parce qu’il est devenu impossible de masquer aux Français que la fin est désormais derrière nous. La fin est consommée, la France en pleine décomposition, et la république agonisante, d’avoir voulu devenir trop bonne fille de l’Empire multiculturel européen. Or tout le monde comprend bien qu’il n’a nullement été besoin du Front national pour cela. Plus rien ou presque n’est à sauver, et c’est pourquoi le Front national fait de moins en moins peur, même si, pour cette fois encore, la manœuvre du «front républicain», orchestrée par Manuel Valls, a été efficace sur les électeurs socialistes. Les Français ont compris que la fin qu’on faisait incarner au Front national ayant déjà eu lieu, il avait joué, comme rôle dans le dispositif du mensonge généralisé, celui du bouc émissaire, vers lequel on détourne la violence sociale, afin qu’elle ne détruise pas tout sur son passage. Remarquons que le Front national s’était volontiers prêté à ce dispositif aussi longtemps que cela lui profitait, c’est-à-dire jusqu’à aujourd’hui. Le parti anti-système a besoin du système dans un premier temps pour se légitimer. Nous approchons du point où la fonction de bouc émissaire, théorisée par René Girard va être entièrement dévoilée et où la violence ne pourra plus se déchaîner vers une victime extérieure. Il faut bien mesurer le danger social d’une telle situation, et la haute probabilité de renversement qu’elle secrète: le moment approche pour ceux qui ont désigné la victime émissaire à la vindicte du peuple, de voir refluer sur eux, avec la vitesse et la violence d’un tsunami politique, la frustration sociale qu’ils avaient cherché à détourner. Les élections régionales sont sans doute un des derniers avertissements en ce sens. Les élites devraient anticiper la colère d’un peuple qui se découvre de plus en plus floué, et admettre qu’elles ont produit le système de la victime émissaire, afin de détourner la violence et la critique à l’égard de leur propre action. Pour cela, elles devraient cesser d’ostraciser le Front national, et accepter pleinement le débat avec lui, en le réintégrant sans réserve dans la vie politique républicaine française. Y-a-t-il une solution pour échapper à une telle issue? Avouons que cette responsabilité est celle des élites en place, ayant entonné depuis 30 ans le même refrain. A supposer cependant que nous voulions les sauver, nous pourrions leur donner le conseil suivant: leur seule possibilité de survivre serait d’anticiper la violence refluant sur elles en faisant le sacrifice de leur innocence. Elles devraient anticiper la colère d’un peuple qui se découvre de plus en plus floué, et admettre qu’elles ont produit le système de la victime émissaire, afin de détourner la violence et la critique à l’égard de leur propre action. Pour cela, elles devraient cesser d’ostraciser le Front national, et accepter pleinement le débat avec lui, en le réintégrant sans réserve dans la vie politique républicaine française. Pour cela, elles devraient admettre de déconstruire la gigantesque hallucination collective produite autour du Front national, hallucination revenant aujourd’hui sous la forme inversée du Sauveur. Ce faisant, elles auraient tort de se priver au passage de souligner la participation du Front national au dispositif, ce dernier s’étant prêté de bonne grâce, sous la houlette du Père, à l’incarnation de la victime émissaire. Il faut bien avouer que nos élites du PS comme de Les Républicains ne prennent pas ce chemin, démontrant soit qu’elles n’ont strictement rien compris à ce qui se passe dans ce pays depuis 30 ans, soit qu’elles l’ont au contraire trop bien compris, et ne peuvent plus en assumer le dévoilement, soit qu’elles espèrent encore prospérer ainsi. Il n’est pas sûr non plus que le Front national soit prêt à reconnaître sa participation au dispositif. Il y aurait intérêt pourtant pour pouvoir accéder un jour à la magistrature suprême. Car si un tel aveu pourrait lui faire perdre d’un côté son «aura» anti-système, elle pourrait lui permettre de l’autre, une alliance indispensable pour dépasser au deuxième tour des présidentielles le fameux «plafond de verre». Il semble au contraire après ces régionales que tout changera pour que rien ne change. Deux solutions qui ne modifient en rien le dispositif mais le durcissent au contraire se réaffirment. La première solution, empruntée par le PS et désirée par une partie des Républicains, consiste à maintenir coûte que coûte le discours du front républicain en recherchant un dépassement du clivage gauche/droite. Une telle solution consiste à aller plus loin encore dans la désignation de la victime émissaire, et à s’exposer à un retournement encore plus dévastateur. (…) Car sans même parler des effets dévastateurs que pourrait avoir, a posteriori, un nouvel attentat, sur une telle déclaration, comment ne pas remarquer que les dernières décisions du gouvernement sur la lutte anti-terroriste ont donné rétrospectivement raison à certaines propositions du Front national? On voit mal alors comment on pourrait désormais lui faire porter le chapeau de ce dont il n’est pas responsable, tout en lui ôtant le mérite des solutions qu’il avait proposées, et qu’on n’a pas hésité à lui emprunter! La deuxième solution, défendue par une partie des Républicains suivant en cela Nicolas Sarkozy, consiste à assumer des préoccupations communes avec le Front national, tout en cherchant à se démarquer un peu par les solutions proposées. Mais comment faire comprendre aux électeurs un tel changement de cap et éviter que ceux-ci ne préfèrent l’original à la copie? Comment les électeurs ne remarqueraient-ils pas que le Front national, lui, n’a pas changé de discours, et surtout, qu’il a précédé tout le monde, et a eu le mérite d’avoir raison avant les autres, puisque ceux-ci viennent maintenant sur son propre terrain? Comment d’autre part concilier une telle proximité avec un discours diabolisant le Front national et cherchant l’alliance au centre? Curieuses élites, qui ne comprennent pas que la posture «républicaine», initiée par Mitterrand, menace désormais de revenir comme un boomerang les détruire. Christopher Lasch avait écrit La révolte des élites, pour pointer leur sécession d’avec le peuple, c’est aujourd’hui le suicide de celles-ci qu’il faudrait expliquer, dernière conséquence peut-être de cette sécession.

    Vincent Coussedière

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  6. jcdurbant dit :

    FN: vers la normalisation de trop? (Le Front National sans le souffre est-il encore le Front National? – Le vin est coupé et pourtant elle continue à ajouter de l’eau)

    Le Front National sans le souffre est-il encore le Front National? Sans cette image antisystème transgressive ce parti a-t-il encore un sens? A l’heure où les peuples occidentaux semblent avoir soif de radicalité, le FN «normal» n’est-il pas à contre-courant? François Hollande, dernier tenant de la normalité en politique, pourrait témoigner qu’à trop se normaliser un Président se désintègre. Au contraire, Donald Trump, que tout le monde imaginait s’assagir après son élection, continue à mener sa politique extérieure et intérieure à coup de tweets plus ou moins incendiaires.

    C’est avec beaucoup d’intérêt que j’ai écouté les vœux de Marine Le Pen à la presse pour 2017. Je fus surpris qu’elle croit nécessaire de rappeler qu’elle savait où elle allait et comment y aller. L’inverse eu été inquiétant à quatre mois de l’échéance mais passons. En revanche ses propositions vis-à-vis de l’Union européenne attirèrent mon attention. Ainsi la passionaria de la sortie de la France de l’Euro et du retour au franc souhaite en réalité un retour à une monnaie commune comme l’ECU créé en 1979. Un retour également au Serpent Monétaire Européen qui avait pour mission d’encadrer les fluctuations des monnaies nationales des pays européens à partir des années 1970. La mode est au vintage mais là on est plutôt dans le démodé, il ne manque plus qu’une référence à Giscard pour totalement dans le ton.

    Le vin est coupé et pourtant elle continue à ajouter de l’eau: si elle est élue, elle promet, non pas de dénoncer purement et simplement les accords de Schengen mais de les renégocier. La sortie de la France de l’Union européenne? Elle fera campagne pour un Frexit uniquement si elle n’arrive pas à rapatrier les pouvoirs en matière de contrôle de l’immigration et d’économie. David Cameron sort de ce corps! Organiser un référendum ce n’est pas vraiment la même chose que de «libérer notre pays de la tutelle économique, monétaire, législative et territoriale de l’Union européenne» comme l’annonce le dernier tract de la candidate. Est-ce à dire que si un accord est trouvé la France reste dans l’Union européenne? Et si par un pied de nez dont l’histoire a le secret le référendum est un échec pour elle? Démissionne-t-elle aussitôt élue? On s’éloigne de la prise du pont d’Arcole.

    Désormais il y a une feuille de papier à cigarette entre le programme de «Marine» et celui du candidat des Républicains qui lui aussi propose de réformer Schengen et la Commission Européenne. Le FN survivra-t-il à cette normalisation de trop?

    L’avenir dira si le parti de Marine le Pen parvient à maintenir sa capacité d’attraction sans sa capacité de subversion. Un rapide état des lieux avec Emmanuel Macron devant elle dans un sondage, François Fillon en hausse chez les fonctionnaires dans un autre, une opposition interne sur les questions européennes, sans évoquer les sujets de société, rappelant certains débats du RPR des années 80 et le choix d’une ligne pragmatique tout à fait blairiste pour étouffer les divisions donne à penser que le plus dur est à venir.

    Il ne manquerait plus que Florian Philippot et Marion Maréchal Le Pen continue leur duel à fleuret plus ou moins mouchetés pour que de «dédiabolisé», l’ex Front National devienne totalement «bordélisé».

    http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2017/01/16/31001-20170116ARTFIG00336-front-national-les-limites-de-la-dediabolisation.php

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  7. jcdurbant dit :

    Un peu sur le modèle de l’affrontement Trump-Clinton …

    il n’est effectivement pas impossible que confrontée à Emmanuel Macron, la candidate du FN réussisse à l’emporter tant leurs candidatures apparaissent comme le miroir inversé l’une de l’autre. Un peu sur le modèle de l’affrontement Trump-Clinton. L’électorat de droite aux tendances souverainistes et rétif au multiculturalisme pourrait préférer Marine Le Pen. Quant à l’électorat de gauche assumée, il pourrait avoir des difficultés à se prononcer en faveur du libéralisme d’Emmanuel Macron et s’il ne se reporterait sans doute pas majoritairement sur Marine Le Pen, il pourrait préférer s’abstenir. Reste qu’Emmanuel Macron n’est nullement assuré d’être au second tour. Bien qu’étant au même niveau d’intention de vote que François Fillon, la certitude de vote en sa faveur est bien inférieure à celle du candidat LR. Il apparaît donc comme un excellent candidat de second tour, mais son score au premier tour est encore sujet à caution.
    Dans tous les cas, pour l’emporter Marine Le Pen a besoin de creuser l’écart au premier tour avec les autres candidats. Il lui faut créer créer une dynamique telle que son concurrent du second tour ne puisse pas la rattraper. Au final, dans l’état actuel des choses, la victoire de Marine Le Pen n’est pas la plus probable, mais elle est cependant possible.

    Nombre de propositions du FN (autorité de l’État, limitation de l’immigration, politique ferme en matière d’insécurité) sont majoritaires dans l’opinion publique lorsqu’elles sont évoquées en aveugle, c’est-à-dire sans identification partisane ; mais elles font l’objet d’un rejet à partir du moment où elles sont marquées de l’étiquette du parti. Les Français semblent désirer la mise en œuvre de certaines mesures préconisées par le FN mais pas son arrivée au pouvoir…

    http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2017/02/20/31001-20170220ARTFIG00175-guillaume-bernard-la-victoire-de-marine-le-pen-est-improbable-mais-elle-est-possible.php

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  8. jcdurbant dit :

    LE MACRONISME, C’EST LE FN ET L’ISLAMISME DU FRANCAIS SURCLASSE

    « L’islamisme, c’est le FN du musulman déclassé. »

    Hakim El Karoui

    http://www.lefigaro.fr/vox/religion/2018/01/10/31004-20180110ARTFIG00297-charles-jaigu-musulmans-de-france-encore-un-effort.php

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  9. jcdurbant dit :

    COMME ON FAIT SON LIT (DU FN), ON SE COUCHE (Quelle nazification ?)

    « Les gens qui ont voté pour lui, ont voté pour un programme. Ils se sont fait avoir quand on leur a dit qu’en face il y avait des nazis et qu’il ne fallait tout de même pas voter pour des nazis. Donc, plein de gens disent, ‘je n’ai pas voté pour Macron, j’ai voté contre Marine Le Pen’ sauf que l’espèce d’entonnoir qui a été fabriqué fait qu’à un moment donné, on dit qu’il a une légitimité. Mais c’est quoi cette légitimité où les gens ne se déplacent pas, votent blanc et où on n’entend pas ce que dit la majorité des Français ? Ça commence à se déchirer car même ceux qui disent avoir du mal à boucler leurs fins de mois se font traiter de nazis. Ils comprennent que le système est en train de s’effondrer. Je ne vais pas me faire prendre à voter pour un système qui est humiliant. »

    Michel Onfray

    http://www.valeursactuelles.com/societe/michel-onfray-sur-macron-les-gens-se-sont-fait-avoir-101145

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  10. jcdurbant dit :

    CONTRE LA MENACE FASCISTE, ACHETEZ MON BOUQUIN ! (Donneur de leçons: Pour la sortie de son livre actualisé en poche, devinez qui l’ancien président socialiste français désigne comme nouvelle menace pour la démocratie ?)

    « [Pour les gilets jaunes] si une issue avait été trouvée plus rapidement, ce mouvement n’aurait pas eu cette ampleur, et nous n’aurions pas connu les excès que nous constatons, hélas, samedi après samedi. (…) le gouvernement actuel a battu en retraite. Mais trois semaines trop tard. Je regrette que la fiscalité carbone ait disparu alors qu’elle aurait pu être acceptée si elle avait été accompagnée par des mesures sociales compensatoires et avec des solutions alternatives sur le plan de la mobilité. (…) Pour les casseurs] ce qui a été décidé ces derniers jours aurait dû l’être plus tôt. J’aurais immédiatement interdit de manifester dans certains lieux. Comme les Champs-Élysées. Moi-même, j’avais pris une telle décision lorsque les organisateurs des manifestations contre le Mariage pour tous en avaient fait la demande. (…) Les forces militaires et notamment Sentinelle sont destinées à protéger les Français et un certain nombre de lieux, notamment contre le terrorisme, mais en aucune façon à agir pour le maintien de l’ordre. Il faut éviter que l’armée soit en contact avec les manifestants. Ce n’est ni son rôle, ni sa place. (…) L’urgence commande de réduire les injustices fiscales. Ce qui suppose de revenir sur les mesures prises depuis deux ans. Notamment par le rétablissement de l’ISF et le renforcement de la fiscalité sur les revenus du capital. (…) La crise de confiance vient de loin. Il faut en tirer toutes les conséquences. Partir d’abord des territoires pour adapter les politiques nationales à la diversité des situations et répondre au sentiment d’abandon qui s’exprime. Un nouvel acte de décentralisation s’impose afin que l’Etat retrouve toute sa puissance là où il est attendu. Ensuite humaniser encore les services publics face aux mutations technologiques et économiques. Enfin, la fragmentation et les divisions qui s’installent dans notre société exigent de développer une vision commune de notre avenir autour de l’écologie, de l’éducation et de l’engagement citoyen. (…) Pour l’Europe] Le Brexit est le contre-exemple par excellence. (…) Les gouvernements d’inspiration populiste comme l’Italie de Matteo Salvini ou la Hongrie de Viktor Orban veulent que l’Europe n’avance plus. Et ils ont les moyens de bloquer toute évolution au sein du Conseil européen. C’est pourquoi dans une Europe qui restera à 27, je suis partisan d’une Europe à 2, bâtie sur le couple France-Allemagne. C’est le seul moyen d’impulser de nouvelles politiques pour la défense, l’écologie, la promotion des industries nouvelles, l’harmonisation fiscale… Une fois que cette entente sera actée par un nouveau traité, d’autres pays nous rejoindront et c’est ainsi que sera retrouvé l’esprit européen des débuts. Sinon, les nationalismes finiront par l’emporter et la flamme européenne sera définitivement éteinte. [Pour Macron] Le résultat au bout de deux ans n’est bon ni pour la vitalité économique ni pour la cohésion sociale. À vouloir tout bousculer, tout s’est arrêté. (…) Pour ma part, si j’interviens à l’occasion de la nouvelle édition de mon livre, c’est pour alerter. (…) Je m’adresse à l’ensemble des forces politiques démocratiques. Face à la montée du nationalisme partout dans le monde, à l’affirmation de la puissance économique de la Chine, aux interventions militaires de la Russie, au protectionnisme agressif des Etats-Unis, l’Europe est devant un défi majeur pour son existence même. De même, avec le décrochage des catégories populaires par rapport à la politique, les partis de gouvernement qui ont animé le débat démocratique pendant des décennies doivent prendre conscience de leur responsabilité. Ça vaut pour la gauche comme pour la droite. Ils ne doivent céder ni à l’outrance ni à la surenchère. Ils doivent être de nouveau des alternatives crédibles et mobilisatrices, sinon le face-à-face entre le pouvoir actuel et l’extrême droite peut mal finir. (…) La menace vient de l’extrême droite. Je l’affirme, un jour elle arrivera au pouvoir en France. En 2022 ou plus tard… puisqu’elle prétendra que c’est la seule qui n’a pas été essayée ! (…) Je m’intéresse au socialisme (…) Il demeure un large espace pour la sociale démocratie. Dès lors que la politique actuelle est de plus en plus libérale et que l’extrême gauche s’est marginalisée, dès lors qu’il y a une attente de justice comme l’a montré la crise des Gilets jaunes, alors une reconquête des électeurs qui ont été pendant des décennies ceux de la gauche de gouvernement est possible. Mais il faut aller les chercher. Si j’ai multiplié depuis un an les rencontres avec les Français à l’occasion de la sortie de mon livre, c’est pour en faire la démonstration. Il y a une attente, encore faut-il qu’il y ait une offre. (…) après les élections européennes, il y aura une nécessité de redonner une perspective et une consistance au mouvement socialiste. Pour moi, le socialisme n’est pas nostalgie, mais demeure une méthode et un idéal pour répondre aux défis du climat, des inégalités et de la démocratie. »

    François Hollande

    http://m.leparisien.fr/amp/politique/francois-hollande-l-extreme-droite-arrivera-au-pouvoir-en-france-un-jour-31-03-2019-8043537.php

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  11. jcdurbant dit :

    DEPLORABLES, ON VOUS DIT (Moins on est instruit, plus on vote FN – il y a sept ans déjà)

    « C’est un peu le vote des « oubliés ». (…) les enquêtes de terrain montrent que les jeunes sur le point de voter FN sont ceux sur le point de travailler, ou du moins d’entrer dans la vie active. Ils sont dans l’ensemble très pessimistes par rapport à leur avenir. (…) De nombreuses études le montrent, ce sont les jeunes ayant le moins d’instruction qui se tournent vers le Front national. Moins on est instruit, plus on vote FN. On observe que ce sont également ceux qui s’intéressent le moins à la campagne. Leurs préoccupations sont, par exemple, plus portées sur la sécurité et moins sur l’éducation. Ils sont souvent très peu intégrés socialement, avec une certaine précarité professionnelle. C’est ce qui différencie cet électorat de celui de Mélenchon, par exemple. (…) Déjà, dans les années 90, le FN était le premier parti chez les jeunes. Là, ce n’est que le deuxième, mais cette tendance est la conséquence d’un même facteur. En fait, à chaque fois que le pays traverse une crise, cela favorise le vote des jeunes à l’extrême-droite, un vote protestataire. En revanche, même s’il vote FN aujourd’hui, une partie de ces jeunes se tournera vers les autres partis à mesure qu’ils s’intégreront socialement, fonderont une famille, etc. »

    Sylvain Crépon

    Un sondage Ifop montre que 23% des 18-22 ans comptent voter pour Marine Le Pen. Un vote protestataire, mais pas seulement, explique le sociologue Sylvain Crépon. Alors que Marine Le Pen ne décolle pas dans les intentions de vote, voilà une étude qui devrait réjouir la candidate frontiste. Un sondage Ifop pour Libération montre que 23% des jeunes de 18 à 22 ans la choisissent, derrière François Hollande (31%) mais devant Nicolas Sarkozy (21%). Sylvain Crépon, chercheur à l’université de Nanterre et spécialiste de l’extrême-droite, livre son analyse sur une tendance qui n’est finalement pas si récente…

    https://www.lexpress.fr/actualite/politique/moins-on-est-eduque-plus-on-vote-fn_1100733.html

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