

Tu compteras sept semaines; dès que la faucille sera mise dans les blés, tu commenceras à compter sept semaines. Puis tu célébreras la fête des semaines, et tu feras des offrandes volontaires, selon les bénédictions que l’Éternel, ton Dieu, t’aura accordées. Deutéronome 16: 9-10
Que ferai-je à ce peuple? Encore un peu, et ils me lapideront. Moïse (Exode 17: 4)
Le jour de la Pentecôte, ils étaient tous ensemble dans le même lieu. Tout à coup il vint du ciel un bruit comme celui d’un vent impétueux, et il remplit toute la maison où ils étaient assis. Des langues, semblables à des langues de feu, leur apparurent, séparées les unes des autres, et se posèrent sur chacun d’eux. Et ils furent tous remplis du Saint Esprit, et se mirent à parler en d’autres langues, selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer. Actes 2: 1-4
Dans le calendrier juif, Chavouot se déroule « sept semaines entières » ou cinquante jours jusqu’au lendemain du septième sabbat » après la fête de Pessa’h. De là son nom de Fête des Semaines (Chavouot, en hébreu) et celui de Pentecôte (cinquantième [jour], en grec ancien) dans le judaïsme hellénistique. Fête à considérer comme un sursaut de la tradition prophétique qui tend à s’estomper dans le judaïsme du Second Temple au profit d’une religion sacerdotale, elle puise ses origines dans une fête célébrant les moissons qui devient progressivement la célébration de l’Alliance sinaïtique entre Dieu et Moïse et de l’instauration de la Loi mosaïque1. Vers le début du Ier siècle, elle devient l’un des trois grands pèlerinages annuels, surtout célébré par certains juifs hellénisés et par certaines sectes juives tout en conservant hors de ces groupes minoritaires sa dimension agricole jusqu’au Ier siècle de notre ère. Ce n’est qu’à partir du IIe siècle que le pharisianisme liera la fête de la moisson à la commémoration du don de la Loi au Sinaï. Les Actes des Apôtres situent explicitement lors de cette fête juive le récit où les premiers disciples de Jésus de Nazareth reçoivent l’Esprit Saint et une inspiration divine dans le Cénacle de Jérusalem : des langues de feu se posent sur chacun d’eux, formalisant la venue de l’Esprit dans un épisode de communication inspirée qui permet aux disciples de s’exprimer dans d’autres langues que le galiléen sans qu’on sache s’il s’agit plutôt de polyglottisme ou de glossolalie. L’image du feu — conforme à la tradition juive de l’époque sur l’épisode de la révélation sinaïtique que l’épisode entend renouveler — matérialise la Voix divine. La tradition chrétienne perçoit et présente la Pentecôte comme la réception du don des langues qui permet de porter la promesse du salut universel aux confins de la terre1 ainsi que semble en attester l’origine des témoins de l’évènement, issus de toute la Diaspora juive. Wikipedia
Dans l’ancien Orient, lors d’une alliance entre deux puissances, on disposait, dans le temple des partenaires, un document écrit devant être lu périodiquement12, il n’est donc pas surprenant que les Tables de la Loi soit le témoignage concret de l’Alliance entre Dieu et son peuple. C’est la raison pour laquelle, les images des tables sont souvent présentes sur le fronton des synagogues. (…) Dans les temples protestants, une représentation des Tables de la Loi remplaçait, jusqu’au XVIIe siècle, la croix des églises catholiques. Wikipedia
Tous les préceptes du Décalogue se peuvent déduire de la justice et de la bienveillance universelle que la loi naturelle ordonne. (…) Le Décalogue ne contient donc que les principaux chefs ou les fondements politiques des Juifs ; mais néanmoins ces fondements (mettant à part ce qui regardait en particulier la nation judaïque) renferment des lois qui sont naturellement imposées à tous les hommes et à l’observance desquelles ils sont tenus dans l’indépendance de l’état de la nature comme dans toute société civile. Louis de Jancourt (article Décalogue, Encyclopédie dirigée par D’Alembert et Diderot, 1 octobre 1754)
L’Assemblée Nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être suprême, les droits suivants de l’Homme et du Citoyen… Préambule de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789)
Le texte s’inscrit sur deux registres, dont la forme évoque celles des Tables de la Loi rapportées par Moïse du mont Sinaï. Il est accompagné de figures allégoriques personnifiant la France et la Renommée, et de symboles comme le faisceau (unité), le bonnet « phrygien » (liberté), le serpent se mordant la queue (éternité), la guirlande de laurier (gloire), les chaînes brisées (victoire sur le despotisme) ; l’ensemble étant placé sous l’œil du Dieu créateur, rayonnant d’un triangle à la fois biblique et maçonnique. Philippe de Carbonnières
Le Judaïsme a abandonné la lecture quotidienne des proclamations des ‘sectaires’ (Chrétiens) (…). Les partisans de Paul croyaient que seuls les Dix Commandements et non le reste de la loi mosaïque étaient divins, éternels et obligatoires. Dans ce contexte, pour les Juifs, donner la priorité au Décalogue aurait pu signifier un accord avec les sectaires, aussi la lecture quotidienne a été abandonnée de façon à montrer que toutes les autres 613 mitzvot étaient des commandements divins. (…) Personne, cependant, n’est certain de la forme exacte des tables. Les grandes compilations rabbiniques, les Talmuds de Babylone et de Jérusalem, relatent des traditions contradictoires. La vision babylonienne était que les tables mesuraient environ 55 centimètres carrés, alors que le Talmud de Jérusalem les voyait rectangulaires, d’environ 55 centimètres sur 28. Aucun ne les voyait avec des sommets en forme d’arches ou de dômes, bien que ce soit généralement la manière dont elles ont été figurées depuis des siècles. Elles sont entrées dans l’art chrétien en Italie, où elles avaient la forme de deux rectangles. Selon le Pr. d’Etudes Juives G.B. Sarfatti, elles acquirent un sommet en arche sous l’influence du diptyque, un registre plié en deux feuilles avec des sommets courbés utilisé par les Romains pour lister les noms des magistrats et plus tard par l’église catholique pour enregistrer les noms des personnes décédées à commémorer par des oblations. Ce dessin se répandit dans de nombreuses branches de l’art religieux dans l’architecture et fit son chemin vers les vitraux en arche des abbayes et des églises. Comme nous pouvons le voir d’après la statue de la Cathédrale Lincoln et à partir d’autres sources contemporaines, même de vieilles Haggadot, l’insigne juif dans l’Angleterre médiévale prit la forme des tables du Décalogue. Des communautés juives elles-mêmes ont commencé de représenter les Dix Commandements vers le 13ème siècle ; le Décalogue devint finalement une caractéristique très répandue des synagogues, presque toujours avec la forme arrondie introduite par les artistes chrétiens au Moyen-âge. Ces temps-ci, certains artistes juifs préfèrent la forme carrée ou rectangulaire connue au temps du Talmud, mais c’est encore l’exception plutôt que la règle. Les Dix Commandements sont présents dans beaucoup de domaines de l’art rituel juif, depuis les rideaux de l’Arche jusqu’aux pinces des Talit. Ils figurent souvent sur les plastrons de la Torah et les Hanoukiot. Presque partout, ils dominent l’arche de la synagogue. Dans certains lieux, la mehitza (partition entre les sièges des hommes et des femmes) est décorée par une ligne joignant les tables de commandements. Bien qu’il existe une opinion répandue que le symbole caractéristique juif soit la Magen David (Etoile de David), le Décalogue est plus ancien et a une plus grande authenticité. Sa signification théologique repose sur l’équilibre des dimensions intérieures et extérieures de l’être juif. Raymond Apple
Les Tables ne sont pas un symbole laïc ou païen. A la différence du bonnet phrygien, du serpent qui se mord la queue, des faisceaux de licteurs, etc., leur référent n’est pas l’antiquité païenne, mais la Bible, au message religieux évident. Pourtant, dans la France chrétienne du 18e siècle, le message religieux normalement reçu est lié à une symbolique chrétienne, que justement la Révolution repousse. La mentalité révolutionnaire est donc à la recherche d’une symbolique qui ne soit pas chrétienne (puisque l’Eglise est désormais perçue comme synonyme de fanatisme et d’absolutisme despotique), mais qui soit cependant suffisamment religieuse pour satisfaire le sentiment religieux profond qui réside au coeur de chaque révolutionnaire (…) Mais par-delà la croyance sentimentale difficilement déracinable existe aussi un pragmatisme politique. Il peut être dangereux de déraciner tout symbole religieux dans l’imagerie populaire et donc dans les mentalités qu’on veut forger. Représenter des symboles chrétiens est exclu, puisque contraire aux principes jacobins. Les Tables de la Loi s’offrent donc d’une manière idéale pour répondre à un certain besoin religieux sans pour autant laisser croire à une affiliation cléricale. Les Tables de la Loi fournissent ainsi « les vêtements du sacré » à la religion de la Patrie. Nous les voyons figurer sur des allégories patriotiques, sur le soleil qui doit faire sortir le monde vers l’âge des lumières, sur des médailles en fer de grande diffusion, représentant l’Egalité et la Justice, sur des gravures évoquant des fêtes populaires, et jusque sur les uniformes militaires, au milieu des canons. On les trouve sur les médailles d’identification des membres des diverses assemblées révolutionnaires comme celle du Conseil des Cinq-Cents. (…) La laïcisation des Tables de la Loi peut aller jusqu’au cas limite où un contenu nouveau est donné au Décalogue. C’est ainsi qu’une gravure populaire présente « les Dix Commandements républicains » dans le cadre graphique des Tables de la Loi. Les Tables de la Loi remplissent donc un rôle important dans l’iconographie de la Révolution. Elles permettent à la Révolution de déconnecter ses emblèmes de tout ce qui est chrétien sans se prévaloir uniquement de symboles d’origine antique et païenne. Elles permettent de donner une coloration religieuse mais dans un ton pour ainsi dire « neutre » aux idéaux de justice, d’égalité, de soumission à une loi égale pour tous, que prône la Révolution. La défaite de l’arbitraire royal et l’apparition d’une Constitution garantissant les Droits de l’homme sont très clairement symbolisés par les Tables de la Loi, ce qui explique leur place récurrente dans l’iconographie de la Révolution. Renée Neher-Bernheim
Ce qui n’a point d’existence ne peut être détruit — ce qui ne peut être détruit n’a besoin d’aucune chose pour le préserver de la destruction. Les droits naturels sont un simple non-sens : des droits naturels et imprescriptibles, un non-sens rhétorique — un non-sens sur des échasses. Jeremy Bentham
Ceux qui, par leur exemple ou par leurs leçons, indiquent à chaque législateur les lois qu’il doit faire, deviennent après lui les premiers bienfaiteurs des peuples. Condorcet (De l’influence de la révolution de l’Amérique sur l’Europe)
L’être suprême se plut à élever une seule famille, et son attentive providence la combla de bienfaits jusqu’à ce qu’elle devînt un grand peuple. Après avoir délivré ce peuple de l’esclavage, par une suite de miracles, que fit son serviteur Moyse, il remit lui-même à ce serviteur choisi, en présence de toute la nation, une constitution et un code de loix, et il promit de récompenser ceux qui les observeroient fidèlement, et de punir avec sévérité ceux qui leur désobéiroient. La divinité elle-même étoit à la tête de cette constitution ; c’est pourquoi les écrivains politiques l’ont appelée une théocratie. Mais malgré cela les ministres de Dieu ne purent parvenir à la faire exécuter. Aaron et ses enfans composoient, avec Moyse, le premier ministère du nouveau gouvernement. L’on auroit pensé que le choix d’hommes qui s’étoient distingués pour rendre la nation libre, et avoient hasardé leur vie en s’opposant ouvertement à la volonté d’un puissant monarque, qui vouloit la retenir dans l’esclavage, auroit été approuvé avec reconnoissance ; et qu’une constitution tracée par Dieu même, auroit dû être accueillie avec les transports d’une joie universelle. Mais il y avoit, dans chacune des treize tribus, quelques esprits inquiets, mécontens, qui, par divers motifs, excitoient continuellement les autres à rejeter le nouveau gouvernement. Plusieurs conservoient de l’affection pour l’Égypte, leur terre natale ; et dès qu’ils éprouvoient quelqu’embarras, quelqu’inconvénient, effet naturel et inévitable de leur changement de situation, ils accusoient leurs chefs d’être les auteurs de leur peine ; et non-seulement ils vouloient retourner en Égypte, mais lapider ceux qui les en avoient arrachés (…) —Ceux qui étaient enclins à l’idolâtrie, voyoient, avec regret, la destruction du veau d’or. Plusieurs chefs pensoient que la constitution nouvelle devoit nuire à leur intérêt particulier ; que les places avantageuses seraient toutes occupées par les parens et les amis de Moyse et d’Aaron, et que d’autres qui étoient également bien nés en seraient exclus (…) D’après tout cela, il paroît que les Israélites étoient jaloux de leur nouvelle liberté, et que cette jalousie n’étoit pas, par elle-même, un défaut : mais que quand ils se laissèrent séduire par un homme artificieux, qui prétendoit n’avoir en vue que le bien public, et ne songer en aucune manière à ses intérêts particuliers, et qu’ils s’opposèrent à l’établissement de la nouvelle constitution, ils s’attirèrent beaucoup d’embarras et de malheurs. On voit, en outre, dans cette inappréciable histoire, que lorsqu’au bout de plusieurs siècles, la constitution fut devenue ancienne, qu’on en eut abusé et qu’on proposa d’y faire des changemens, la populace qui avoit accusé Moyse d’ambition et de s’être fait prince, et qui avoit crié :—«Lapidez-le, lapidez-le», fut encore excitée par les grands-prêtres et par les scribes, et reprochant au Messie de vouloir se faire roi des Juifs, cria :—«Crucifiez-le, crucifiez-le.»— Tout cela nous apprend qu’une sédition populaire contre une mesure publique, ne prouve pas que cette mesure soit mauvaise, encore que la sédition soit excitée et dirigée par des hommes de distinction. Je conclus, en déclarant que je ne prétends pas qu’on infère de ce que je viens de dire, que notre convention nationale a été divinement inspirée, quand elle nous a donné une constitution fédérative, parce qu’on s’est déraisonnablement et violemment opposé à cette constitution. Cependant j’avoue que je suis si persuadé que la providence s’occupe du gouvernement général du monde, que je ne puis croire qu’un événement qui importe au bien-être de plusieurs millions d’hommes, qui existent déjà ou qui doivent exister, ait lieu sans qu’il soit préparé, influencé et réglé par cet esprit bienfaisant, tout-puissant et présent partout, duquel émanent tous les autres esprits. Benjamin Franklin
En cette fête des moissons devenue, exil oblige et à quelques jours près, fête du don de la Loi pour les juifs et de l’Esprit pour les chrétiens …
Autrement dit rien de moins que la fête de leur fondation et acte de naissance …
Comment ne pas voir, derrière la forme même de la représentation traditionnelle de la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen et sans parler de la référence à l’Etre suprême du préambule, l’origine biblique de nos constitutions modernes ?
Et quel meilleur hommage et confirmation que cet article où, textes bibliques à l’appui, un Benjamin Franklin plus sarcastique que jamais …
Rappelle à ses adversaires anti-fédéralistes qu’ils ne valent pas mieux que ces juifs antiques qui ont lapidé et crucifié, de Moïse à Jésus, les fondateurs et réformateurs d’une « constitution tracée par Dieu même » ?
COMPARAISON DE LA CONDUITE DES ANTI-FÉDÉRALISTES DES ÉTATS-UNIS DE L’AMÉRIQUE, AVEC CELLE DES ANCIENS JUIFS
Benjamin Franklin
1788
Un zélé partisan de la constitution fédérative dit dans une assemblée publique :—«Qu’une grande partie du genre-humain avoit tant de répugnance pour un bon gouvernement, qu’il étoit persuadé que si un ange nous apportoit du ciel une constitution qui y aurait été faite exprès pour nous, elle trouveroit encore de violens contradicteurs».—Cette opinion parut extravagante ; l’orateur fut censuré ; et il ne se défendit point. Probablement il ne lui vint pas tout-à-coup dans l’esprit que l’expérience étoit à l’appui de ce qu’il avoit avancé, et qu’elle se trouvoit consignée dans la plus fidèle de toutes les histoires, la Sainte Bible. S’il y eût songé, il aurait pu, ce me semble, s’étayer d’une autorité aussi irréfragable.
L’être suprême se plut à élever une seule famille, et son attentive providence la combla de bienfaits jusqu’à ce qu’elle devînt un grand peuple. Après avoir délivré ce peuple de l’esclavage, par une suite de miracles, que fit son serviteur Moyse, il remit lui-même à ce serviteur choisi, en présence de toute la nation, une constitution et un code de loix, et il promit de récompenser ceux qui les observeroient fidèlement, et de punir avec sévérité ceux qui leur désobéiroient.
La divinité elle-même étoit à la tête de cette constitution ; c’est pourquoi les écrivains politiques l’ont appelée une théocratie. Mais malgré cela les ministres de Dieu ne purent parvenir à la faire exécuter. Aaron et ses enfans composoient, avec Moyse, le premier ministère du nouveau gouvernement.
L’on auroit pensé que le choix d’hommes qui s’étoient distingués pour rendre la nation libre, et avoient hasardé leur vie en s’opposant ouvertement à la volonté d’un puissant monarque, qui vouloit la retenir dans l’esclavage, auroit été approuvé avec reconnoissance ; et qu’une constitution tracée par Dieu même, auroit dû être accueillie avec les transports d’une joie universelle. Mais il y avoit, dans chacune des treize tribus, quelques esprits inquiets, mécontens, qui, par divers motifs, excitoient continuellement les autres à rejeter le nouveau gouvernement. Plusieurs conservoient de l’affection pour l’Égypte, leur terre natale ; et dès qu’ils éprouvoient quelqu’embarras, quelqu’inconvénient, effet naturel et inévitable de leur changement de situation, ils accusoient leurs chefs d’être les auteurs de leur peine ; et non-seulement ils vouloient retourner en Égypte, mais lapider ceux qui les en avoient arrachés [Nombres, chap. 14.].—Ceux qui étaient enclins à l’idolâtrie, voyoient, avec regret, la destruction du veau d’or. Plusieurs chefs pensoient que la constitution nouvelle devoit nuire à leur intérêt particulier ; que les places avantageuses seraient toutes occupées par les parens et les amis de Moyse et d’Aaron, et que d’autres qui étoient également bien nés en seraient exclus [Nombres, chap. 14, vers. 3.—«Et ils se réunirent tous contre Moyse et Aaron, et leur dirent : Vous prenez trop sur vous. Vous savez que toutes les assemblées sont saintes, ainsi que chaque membre de ces assemblées : pourquoi donc vous élevez-vous au-dessus de l’assemblée ?»].
Nous voyons dans Josephe et dans le Talmud quelques particularités, qui ne sont pas aussi détaillées dans l’Écriture.
Voici ce que nous y apprenons.—«Coré désiroit ardemment d’être grand-prêtre ; et il fut blessé de ce que cet emploi étoit conféré à Aaron, par la seule autorité de Moyse, disoit-il, et sans le consentement du peuple. Il accusa Moyse d’avoir employé divers artifices pour s’emparer du gouvernement, et priver le peuple de sa liberté ; et de conspirer avec Aaron pour perpétuer la tyrannie dans sa famille. Ainsi, quoique le vrai motif de Coré fût de supplanter Aaron, il persuada au peuple qu’il n’avoit en vue que le bien général ; et les Juifs excités par lui, commencèrent à crier :—Maintenons la liberté de nos diverses tribus. Nous nous sommes, nous-mêmes, affranchis de l’esclavage où nous tenoient les Égyptiens ; souffrirons-nous donc que Moyse nous rende encore esclaves ? Si nous devons avoir un maître, il vaut mieux retourner vers le Pharaon, par qui nous étions nourris avec du pain et des oignons, que de servir ce nouveau tyran qui, par sa conduite, nous a exposés à souffrir la famine.—»Alors ils nièrent la vérité de ses entretiens avec Dieu ; et ils prétendirent que le secret de ses rendez-vous, le soin qu’il avoit eu d’empêcher que personne écoutât ses discours, et approchât même du lieu où il étoit, devoit donner beaucoup de doutes à cet égard. Ils accusèrent aussi Moyse de péculat, et d’avoir gardé un grand nombre des cuillers et des plats d’argent que les princes avoient offerts à la dédicace de l’autel [Nombres, chap. 7.], ainsi que les offrandes d’or, qu’avoit faites le peuple [Exode, chap. 35, vers. 22.], et la plus grande partie de la capitation [Nombres, chap. 3, et Exode, chap. 30.]. Ils accusèrent Aaron d’avoir mis de côté la plupart des joyaux qui lui avoient été fournis pour le veau d’or.
“Indépendamment du péculat qu’ils reprochoient à Moyse, ils prétendoient qu’il étoit rempli d’ambition, et que pour satisfaire cette passion, il avoit trompé le peuple en lui promettant une terre où couloit le lait et le miel. Ils disoient qu’au lieu de lui donner une telle terre, il l’en avoit arraché ; et que tout ce mal lui sembloit léger, pourvu qu’il pût se rendre un prince absolu [Nombres, chap. 14, vers. 13.—«Tu regardes comme peu de chose de nous avoir ôtés d’une terre où coule le lait et le miel, et de nous faire périr dans le désert, pourvu que tu deviennes notre prince absolu».].
Ils ajoutoient que pour maintenir avec splendeur, dans sa famille, sa nouvelle dignité, il devoit faire suivre la capitation particulière qui avoit déjà été levée et remise à Aaron [Nombres, chap. 3.], par une taxe générale [Exode, chap. 30.], qui probablement seroit augmentée de temps en temps, si l’on souffroit la promulgation de nouvelles loix, sous prétexte de nouvelles révélations de la volonté divine, et qu’ainsi toute la fortune du peuple seroit dévorée par l’aristocratie de cette famille.»
Moyse nia qu’il se fût rendu coupable de péculat, et ses accusateurs ne purent alléguer aucune preuve contre lui.—«Je n’ai point, dit-il, avec la sainte confiance que lui inspirait la présence de Dieu, je n’ai point pris au peuple la valeur d’un ânon, ni rien fait qui puisse lui nuire».—Mais les propos outrageans de ses ennemis avoient eu du succès parmi le peuple ; car il n’est aucune espèce d’accusation si aisée à faire, ou à être crue par les fripons, que celle de friponnerie.
Enfin, il n’y eut pas moins de deux cents cinquante des principaux hébreux, «fameux dans l’assemblée et hommes de renom» [Nombres, chap. 14.], qui se portèrent à exciter la populace contre Moyse et Aaron, et lui inspirèrent une telle frénésie, qu’elle s’écria :—«Lapidons-les, lapidons-les ; et assurons, par ce moyen, notre liberté. Choisissons ensuite d’autres capitaines, qui nous ramènent en Égypte, en cas que nous ne puissions pas triompher des Cananéens.»
D’après tout cela, il paroît que les Israélites étoient jaloux de leur nouvelle liberté, et que cette jalousie n’étoit pas, par elle-même, un défaut : mais que quand ils se laissèrent séduire par un homme artificieux, qui prétendoit n’avoir en vue que le bien public, et ne songer en aucune manière à ses intérêts particuliers, et qu’ils s’opposèrent à l’établissement de la nouvelle constitution, ils s’attirèrent beaucoup d’embarras et de malheurs.
On voit, en outre, dans cette inappréciable histoire, que lorsqu’au bout de plusieurs siècles, la constitution fut devenue ancienne, qu’on en eut abusé et qu’on proposa d’y faire des changemens, la populace qui avoit accusé Moyse d’ambition et de s’être fait prince, et qui avoit crié :—«Lapidez-le, lapidez-le», fut encore excitée par les grands-prêtres et par les scribes, et reprochant au Messie de vouloir se faire roi des Juifs, cria :—«Crucifiez-le, crucifiez-le.»—
Tout cela nous apprend qu’une sédition populaire contre une mesure publique, ne prouve pas que cette mesure soit mauvaise, encore que la sédition soit excitée et dirigée par des hommes de distinction.
Je conclus, en déclarant que je ne prétends pas qu’on infère de ce que je viens de dire, que notre convention nationale a été divinement inspirée, quand elle nous a donné une constitution fédérative, parce qu’on s’est déraisonnablement et violemment opposé à cette constitution. Cependant j’avoue que je suis si persuadé que la providence s’occupe du gouvernement général du monde, que je ne puis croire qu’un événement qui importe au bien-être de plusieurs millions d’hommes, qui existent déjà ou qui doivent exister, ait lieu sans qu’il soit préparé, influencé et réglé par cet esprit bienfaisant, tout-puissant et présent partout, duquel émanent tous les autres esprits.
Voir aussi:
DISCOURS PRONONCÉ DANS LA DERNIÈRE CONVENTION DES ÉTATS-UNIS.
Monsieur le Président,
J’avoue qu’en ce moment je n’approuve pas entièrement notre constitution : mais je ne sais point si, par la suite, je ne l’approuverai pas ; car, comme j’ai déjà vécu long-temps, j’ai souvent éprouvé que l’expérience ou la réflexion me fesoit changer d’opinion sur des sujets très-importans, et que ce que j’avois d’abord cru juste, me sembloit ensuite tout différent. C’est pour cela que plus je deviens vieux, et plus je suis porté à me défier de mon propre jugement, et à respecter davantage le jugement d’autrui.
La plupart des hommes, ainsi que la plupart des sectes religieuses, se croient en possession de la vérité, et s’imaginent que quand les autres ont des opinions différentes des leurs, c’est par erreur. Steel, qui étoit un protestant, dit dans une épitre dédicatoire an pape, «Que la seule différence qu’il y ait, entre l’église romaine et l’église protestante, c’est que l’une se croit infaillible, et que l’autre pense n’avoir jamais tort».—Mais quoique beaucoup de gens ne doutent pas plus de leur propre infaillibilité que les catholiques de celle de leur église, peu d’entr’eux ne l’avouent pas aussi naturellement qu’une dame française, qui, dans une petite dispute qu’elle avoit avec sa sœur, lui disoit :—«Je ne sais pas, ma sœur, comment cela se fait ; mais il me semble qu’il n’y a que moi, qui ai toujours raison [Franklin ne cite pas très-exactement cette anecdocte, qui se trouve dans les Mémoires de madame de Stalh, née mademoiselle Delaunay. (Note du Traducteur.)].»
J’accepte notre constitution, avec tous ses défauts, si tant est, pourtant, que les défauts que j’y trouve, y soient réellement. Je pense qu’un gouvernement général nous est nécessaire. Quelque forme qu’ait un gouvernement, il n’y en a point qui ne soit avantageux, s’il est bien administré. Je crois qu’il est vraisemblable que le nôtre sera administré sagement pendant plusieurs années ; mais que, comme tous ceux qui l’ont précédé, il finira par devenir despotique, lorsque le peuple sera assez corrompu, pour ne pouvoir plus être gouverné que par le despotisme.
Je déclare en même-temps, que je ne pense pas que les conventions que nous aurons par la suite, puissent faire une meilleure constitution que celle-ci ; car lorsqu’on rassemble un grand nombre d’hommes pour recueillir le fruit de leur sagesse collective, on rassemble inévitablement avec eux, leurs préjugés, leurs erreurs, leurs passions, leurs vues locales et leurs intérêts personnels. Une telle assemblée peut-elle donc produire rien de parfait ? Non sans doute, Mr. le président ; et c’est pour cela que je suis étonné que notre constitution approche autant de la perfection qu’elle le fait. J’imagine même qu’elle doit étonner nos ennemis, qui se flattent d’apprendre que nos conseils seront confondus comme les hommes qui voulurent construire la tour de Babylone, et que nos différens états sont au moment de se diviser dans l’intention de se réunir ensuite pour s’égorger mutuellement.
Oui, Mr. le président, j’accepte notre constitution, parce que je n’en attend pas de meilleure, et parce que je ne suis pas sûr qu’elle n’est pas la meilleure. Je sacrifie au bien public l’opinion que j’ai contr’elle. Tandis que j’ai été dans les pays étrangers, je n’ai jamais dit un seul mot sur les défauts que j’y trouve. C’est dans cette enceinte que sont nées mes observations, et c’est ici qu’elles doivent mourir. Si en retournant vers leurs constituans, les membres de cette assemblée, leur fesoient part de ce qu’ils ont à objecter contre la constitution, ils empêcheroient qu’elle fût généralement adoptée, et préviendroient les salutaires effets que doit avoir parmi les nations étrangères, ainsi que parmi nous, notre réelle ou apparente unanimité. La force et les moyens qu’a un gouvernement pour faire le bonheur du peuple, dépendent beaucoup de l’opinion ; c’est-à-dire, de l’idée générale qu’on se forme de sa bonté, ainsi que de la sagesse et de l’intégrité de ceux qui gouvernent.
J’espère donc que par rapport à nous-mêmes, qui fesons partie du peuple, et par rapport à nos descendans, nous travaillerons cordialement et unanimement à faire aimer notre constitution, partout où nous pourrons avoir quelque crédit, et nous tournerons nos pensées, nous dirigerons nos efforts vers les moyens de la faire bien administrer.
Enfin, Mr. le président, je ne puis m’empêcher de former un vœu, c’est que ceux des membres de cette convention, qui peuvent encore avoir quelque chose à objecter contre la constitution, veuillent, ainsi que moi, douter un peu de leur infaillibilité, et que pour prouver que nous avons agi avec unanimité, ils mettent leur nom au bas de cette charte.
—On fit la motion d’ajouter à la convention des États-Unis, cette formule :—«Fait en convention, d’un consentement unanime, etc.»—La motion passa, et la formule fut ajoutée.
Voir encore:
Les Tables de la Loi, un des symboles de la Révolution française
Renée Neher-Bernheim
Traduction en français d’un article paru en anglais dans JEWISH ART, n°l6 et 17, 1990-1991, Jérusalem
C’est évidemment à la Bible hébraïque que se attache le symbole des Tables de la Loi et l’iconographie juive des l’époque médiévale en fournit de nombreuses représentations (l). Mais en France, à l’époque de la Révolution de 1789, ce symbole a pris une signification très particulière et, à côté d’autres symboles, on trouve les Tables de la Loi largement répandues dans l’iconographie de l’époque, surtout au niveau populaire, mais aussi dans des créations artistiques, des médailles etc.
Peu d’études approfondies ont été faites sur la signification des symboles révolutionnaires et les raisons de leur choix. Malgré la quantité énorme de travaux publiés à l’occasion du bicentenaire, en France et hors de France, les études sur l’iconographie révolutionnaire sont très rares. Il y a pourtant lieu de s’interroger sur les motifs profonds qui ont entraîné l’apparition récurrente de tel ou tel symbole, comme le bonnet phrygien, le soleil, les faisceaux de licteurs, l’oeil etc. etc.
Nous limiterons ici notre étude au symbole des Tables de la Loi. Celles-ci apparaissent sous la forme graphique devenue courante depuis le moyen-âge, c’est-à-dire deux panneaux au sommet en double arrondi (2). Leur présence frappante dans l’iconographie du temps n’a pourtant jusqu’ici attiré l’attention d’aucun chercheur (3).
La grande vogue, à l’époque, des gravures populaires permet de rassembler une documentation importante dont nous donnerons ici quelques exemples. L’imagerie populaire s’est en effet développée au 18ème siècle avec une étonnante rapidité grâce aux progrès spectaculaires obtenus dans la fabrication du papier. Ceci, joint à un perfectionnement des techniques de gravure et d’impression en couleur va permettre de satisfaire l’appétit populaire pour tout ce qui est image.
Avec la Révolution, et le recul de l’iconographie religieuse, les masses populaires et la petite bourgeoisie vont être des amateurs passionnés d’images patriotiques : elles soutiennent leur enthousiasme révolutionnaire, en même temps qu’elles le rendent visible et criant sur les murs ou les meubles de leurs demeures.
Puisque sous la pression des événements et des slogans patriotiques, les symboles religieux n’avaient plus cours, il devenait indispensable de les remplacer par de nouveaux symboles porteurs des grandes espérances patriotiques et révolutionnaires. Et en effet, de nouveaux symboles apparaissent dans l’iconographie, au milieu desquels celui des Tables de la Loi occupe une place de choix. Il est clair que ce symbole a été délibérément choisi pour son contenu sémiologique par les idéologues et les artistes de l’époque. Le fait qu’il soit en lui-même un élément extrêmement décoratif ne gâchait rien.
Le nom même du symbole, tel que le véhicule la langue française, a joué un rôle important dans son choix. On dit en Français « Tables de la Loi » (Tables of the Law). Le mot Loi joue dans cette expression un rôle majeur. Peu importe qu’il soit fondé sur une traduction inadéquate, qui ne correspond pas à l’original hébreu (4). Le fait est que cette expression est devenue absolument courante dans la langue française qui n’en connaît aucun synonyme, à la différence de l’anglais qui emploie très fréquemment le terme « Tables of Covenant ».
Le symbole des Tables de la Loi, de par son nom même, devient ainsi porteur d’un message merveilleusement adapté à l’idéologie révolutionnaire : celui de la force d’une loi égale pour tous, opposée à l’arbitraire royal ou aux abus imputés au clergé. D’où l’identification, dès les débuts de la Révolution, entre les Tables de la Loi et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen; puis, un peu plus tard, entre les Tables de la Loi et la Constitution, qui doit être la garantie de l’observance des lois, face aux risques d’un retour à l’arbitraire. Les Tables de la Loi sont l’incarnation graphique des fondateurs de l’idéologie révolutionnaire.
D’où la représentation si répandue de la « Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen » encastrée dans la forme des Tables de la Loi. La Déclaration du 26 août 1789 apparaît dès la fin de 1789 dans un style assez naïf, sur une gravure largement diffusée (5). La partie centrale y est occupée par les Tables de la Loi, sur lesquelles on peut lire le Préambule de la Déclaration et les 17 articles qui la composent. Les tables sont elles-mêmes placées dans un encadrement. A droite et à gauche, deux colonnes sont esquissées, sur lesquelles s’appuient deux soldats armés de piques, qui semblent ainsi protéger la Déclaration. La partie supérieure de l’encadrement est surmontée par deux représentations féminines : l’une s’appelle la France, elle tient dans ses mains une chaîne brisée ; l’autre s’appelle Force et Vertu, elle est pourvue de larges ailes et montre du doigt les Tables de la Loi. Entre les deux femmes, un frontispice (surmonté d’un oeil et d’un soleil) qui porte l’inscription : Constitution française, Droits de l’homme et du citoyen.
Une autre gravure populaire, mais beaucoup plus artistiquement élaborée, présente les Tables de la Loi comme cadre, cette fois, à la Déclaration de 1793, dont le Préambule et les 35 articles sont reproduits au complet, imprimés en petits caractères mais bien lisibles. Les Tables de la Loi, qui occupent ici aussi l’essentiel de l’espace, sont encadrées à droite et à gauche par deux colonnes lisses, dorées, surmontées de chapiteaux corinthiens. Au pied du socle de base qui supporte les Tables, deux lourdes chaînes, brisées en plusieurs points, sont porteuses d’un message évident. Au sommet de l’image, un frontispice allongé surmonté d’une plaque rectangulaire où l’on peut lire en gros caractères : Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : décrétée par la Convention Nationale en 1793, acceptée par le peuple français.
Pour rehausser l’ensemble de cet encadrement néo-classique des Tables de la Loi, apparaissent la aussi et en positions diverses, les symboles révolutionnaires traditionnels : bonnet phrygien, faisceaux, rubans tricolores, soleil, oeil, feuillage, etc.
Ces deux exemples précis peuvent servir d’archétype à toute une série de représentations analogues aux multiples variantes de détails On voit là l’origine de l’identification complète qui s’établit entre les Tables de la Loi et la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen.
Mais les Tables de la Loi ne sont pas simplement le symbole de la loi en tant que telle, générale et intemporelle. Elles ne représentent pas uniquement la Loi dans ce qu’elle s’oppose désormais à l’arbitraire royal. Les Tables de la Loi ont une charge symbolique très complexe. Car elles sont intimement reliées, bon gré mal gré, à la Loi de Moïse, aux Dix Commandements de la Bible. Et ceci aussi a son importance.
Car précisément dans la seconde moitié du 18ème siècle, sous l’influence des Lumières, et tout particulièrement en France, la perception du Décalogue subit une mutation importante. Jusque là, les Dix Commandements étaient considérés comme émanant d’une révélation essentiellement religieuse, dont certaines exigences sont en partie périmées pour les Chrétiens, puisque dépassées à leurs yeux par les préceptes de l’Evangile. Mais l’élite pensante de l’âge des Lumières se détache de plus en plus de l’Eglise, et recherche ses lignes de conduite dans une « morale naturelle » qui serait commune à tous les hommes, sans distinction. Les Dix Commandements se présentent à eux sous un jour nouveau.
Des philosophes déistes, ou même athées, y voient l’affirmation de l’égalité entre les hommes, une référence universelle de justice en vue du Bien commun, référence qui transcende les religions établies et organisées qui sont toutes, dans leur optique, des fanatismes. L’article Décalogue dans l’Encyclopédie dirigée par D’Alembert et Diderot (6) est tout à fait révélateur de cette nouvelle sémiologie. Composé par le Chevalier de Jancourt, un des principaux rédacteurs de l’Encyclopédie, il commence en ces termes :
« ‘Tous les préceptes du Décalogue se peuvent déduire de la justice et de la bienveillance universelle que la loi naturelle ordonne. »
Après un assez long développement où est analysé le contenu de chacune des deux Tables et où les notions de justice, de loi naturelle, et de bien commun reviennent constamment, on en arrive à la conclusion qui est extrêmement éclairante :
« … Le Décalogue ne contient donc que les principaux chefs ou les fondements politiques des Juifs ; mais néanmoins ces fondements (mettant à part ce qui regardait en particulier la nation judaïque) renferment des lois qui sont naturellement imposées à tous les hommes et à l’observance desquelles ils sont tenus dans l’indépendance de l’état de la nature comme dans toute société civile. »
Tout en restant parfaitement consciente du lien existant entre Moïse, « la nation judaïque » et le Décalogue, l’Encyclopédie invite donc à déconnecter le Décalogue de son environnement ethnique et chronologique pour le rattacher à cette loi naturelle qui, sans pour autant renier l’existence de Dieu, doit nécessairement s’imposer à toute société humaine et lui donner ses fondements.
L’étrange monument Joseph Sec d’Aix-en-Provence, achevé en 1792 et analysé magistralement par Michel Vovelle, nous offre une optique tout à fait similaire.
Ce monument chargé de symboles et que Vovelle définit comme un vrai « Discours sur la Révolution française », est un hymne à la gloire de la Loi (7), dont la statue casquée domine l’ensemble architectural. En-dessous se lit l’inscription : « Venez habitants de la terre. Nation écoutez la Loi » qui surplombe en même temps une niche ou se dresse une statue de Moïse en pied présentant les Tables de la Loi a deux statues placées à l’étage inférieur et tournées vers lui : L’Europe ou la liberté et l’Afrique ou l’esclavage. Sur les Tables que tient Moïse sont gravés les mots : « Tu aimeras Dieu et ton prochain » inspirés par cette phrase de l’Encyclopédie à l’article Décalogue :
« … deux grands préceptes du Décalogue sont le sommaire de toute la loi : aimer Dieu par-dessus toute chose et notre prochain comme nous-même » (8).
La sémiologie des Tables de la Loi réside donc ici dans leur portée universelle; cependant, elles sont en même temps étroitement rattachées au personnage de Moïse.
Mais il s’agit d’un cas rare. Dans l’iconographie révolutionnaire, le rattachement au personnage de Moïse, et donc à la Bible et au peuple juif, presque toujours a été totalement occulté. Les Tables de la Loi deviennent une sorte de symbole religieux déconnecté de tout contexte historique qui les rattacherait à un passé précis.
A un premier niveau, les Tables apparaissent bisémiques. Leur message est celui d’une tradition d’un côté, d’une révolution de l’autre.
Les Tables ne sont pas un symbole laïc ou païen. A la différence du bonnet phrygien, du serpent qui se mord la queue, des faisceaux de licteurs, etc., leur référent n’est pas l’antiquité païenne, mais la Bible, au message religieux évident. Pourtant, dans la France chrétienne du 18e siècle, le message religieux normalement reçu est lié à une symbolique chrétienne, que justement la Révolution repousse. La mentalité révolutionnaire est donc à la recherche d’une symbolique qui ne soit pas chrétienne (puisque l’Eglise est désormais perçue comme synonyme de fanatisme et d’absolutisme despotique), mais qui soit cependant suffisamment religieuse pour satisfaire le sentiment religieux profond qui réside au coeur de chaque révolutionnaire :
« Une longue hérédité chrétienne, catholique, pèse sur les révolutionnaires de 1789, élevés pieusement dans leur famille, éduqués dans la foi traditionnelle par les Jésuites et les Oratoriens. Mais l’esprit philosophique, c’est-à-dire l’esprit de contrôle et d’analyse, mine peu a peu cette foi, sans la ruiner. Le drame qui se joue dans beaucoup de consciences s’explique ainsi » (9).
Mais par-delà la croyance sentimentale difficilement déracinable existe aussi un pragmatisme politique. Il peut être dangereux de déraciner tout symbole religieux dans l’imagerie populaire et donc dans les mentalités qu’on veut forger. Représenter des symboles chrétiens est exclu, puisque contraire aux principes jacobins. Les Tables de la Loi s’offrent donc d’une manière idéale pour répondre à un certain besoin religieux sans pour autant laisser croire à une affiliation cléricale.
Les Tables de la Loi fournissent ainsi « les vêtements du sacré » à la religion de la Patrie. Nous les voyons figurer sur des allégories patriotiques, sur le soleil qui doit faire sortir le monde vers l’âge des lumières, sur des médailles en fer de grande diffusion, représentant l’Egalité et la Justice, sur des gravures évoquant des fêtes populaires, et jusque sur les uniformes militaires, au milieu des canons. On les trouve sur les médailles d’identification des membres des diverses assemblées révolutionnaires comme celle du Conseil des Cinq-Cents.
C’est devant une allégorie féminine portant les Tables de la Loi qu’est prêté le Serment Fédératif du 14 juillet 1790. Cette médaille, signée du graveur Dupré présente une rangée d’hommes, donnant l’impression d’une foule. De la main gauche, ils tiennent tous une épée et ils lèvent le bras droit pour prêter le serment fédératif dont le texte est gravé sur le revers de la médaille : »Nous jurons de maintenir de tout notre pouvoir la Constitution du Royaume ». On voit même les Tables de la Loi sur les cuivres des uniformes, pour symboliser l’attachement à la Patrie.
Très frappante aussi est l’apparition des Tables de la Loi dans la cérémonie du mariage. La Révolution supprime le mariage religieux chrétien traditionnel pour introduire pour la première fois le mariage civil. Une très belle gravure en aquatinte dûe au peintre Jean Baptiste Mallet (1759-1835) nous montre « un mariage républicain ». Le centre de la composition est occupé par les mariés. Habillée à la mode du temps, la mariée n’a aucun voile ni aucun des attributs d’une mariée d’église. Le maire, revêtu de l’écharpe tricolore, s’appuie contre une sorte d’autel aux emblèmes révolutionnaires, derrière lequel se dresse une statue symbolique porteuse d’une torche et d’une couronne de laurier.
Sur le mur du fond, dans la pénombre, ressort en clair un assez grand panneau en forme des Tables de la Loi; entre les deux Tables surgit sur une pique un bonnet phrygien.
Sur les Tables, on peut lire sur les sommets arrondis : sur celui de gauche : Liberté ; sur celui de droite : Egalité. Plus bas, et sur les deux Tables sans séparation médiane : Etat civil Loi sur les mariages et les divorces (10).
L’ensemble de la composition indique clairement que les Tables de la Loi et la législation laïque nouvelle remplacent, en tant que décor, les peintures ou sculptures qui servaient précédemment de cadre habituel aux mariages d’Eglise.
La laïcisation des Tables de la Loi peut aller jusqu’au cas limite où un contenu nouveau est donné au Décalogue. C’est ainsi qu’une gravure populaire présente « les Dix Commandements républicains » (11) dans le cadre graphique des Tables de la Loi.
Les Tables de la Loi remplissent donc un rôle important dans l’iconographie de la Révolution. Elles permettent à la Révolution de déconnecter ses emblèmes de tout ce qui est chrétien sans se prévaloir uniquement de symboles d’origine antique et païenne. Elles permettent de donner une coloration religieuse mais dans un ton pour ainsi dire « neutre » aux idéaux de justice, d’égalité, de soumission à une loi égale pour tous, que prône la Révolution. La défaite de l’arbitraire royal et l’apparition d’une Constitution garantissant les Droits de l’homme sont très clairement symbolisés par les Tables de la Loi, ce qui explique leur place récurrente dans l’iconographie de la Révolution.
Notes
Cf. notamment Bezalel Narkiss : Hebrew illuminated Manuscripts, Jérusalem, Keter, 1969.
CF. l’article de Ruth Mellinkoff : The Round Topped tablets of the Law : sacred symbol and emblem of evil, in Journal of Jewish Art, vol. I 1974, p. 28 sq.
Ma première étude sur ce thème, dans la Revue des Etudes Juives.
En effet, l’expression n’est ni biblique ni juive. On ne la trouve pas dans la traduction grecque des Septante, ni dans celle latine de la Vulgate. Les termes employés sont Lou’hoth Ha-berith (Tables de l’Alliance), Lou’hoth Ha-‘edouth (Tables du Témoignage), Lou’hoth Ha-even (Tables de pierre). Mais la Septante, n’ayant pas trouvé – et pour cause – dans l’arsenal de la langue grecque d’équivalent exact à l’hébreu Torah, l’a transposé dans le terme Nomos, Loi, que la Vulgate a adopté dans le latin Lex (cf. André Neher, Moïse et la vocation juive).
Le point de départ du processus qui a abouti à l’expression « Tables de la Loi » est le verset de l’Exode 24:l2 : « Je te donnerai les Tables de pierre, et la Torah et les commandements » ». Par un raccourci de ce verset opéré au moyen-âge dans certains ouvrages chrétiens de piété, on aboutit à l’expression « Tables de la Loi » (cf. J. Trénel : L’Ancien Testament et la langue française du moyen-âge, Paris l904, p. 329).
L’expression est d’autant plus rapidement entrée dans la langue française qu’elle correspondait au stéréotype développé par le christianisme pour abaisser le judaïsme, et en faire une religion de la Loi, opposée à une religion de la Foi.
Cette gravure a été publiée par la Maison Letourmi d’Orléans qui a suivi l’évolution que nous venons de signaler. Fondée en 1774 et spécialisée d’abord dans la diffusion d’images religieuses, la Maison prend dès 1789 une nouvelle orientation et n’imprime plus que des images patriotiques destinées à une diffusion très populaire.
Ce travail monumental (175l-1772) en volumes, arrêté plusieurs fois par la censure royale avait pour but de faire connaitre « les progrès de la science et de la pensée… ». Les plus grands esprits du temps (Voltaire, Rousseau, etc.) y apportèrent leur concours. L’Encyclopédie est considérée, à juste titre, comme l’expression la plus représentative de l’esprit des Lumières.
M. Vovelle : L’irrésistible ascension de Joseph Sec bourgeois d’Aix-en-Provence, Edisud 1975.
Dans les Evangiles (Math. 22:34-40) la juxtaposition de Deut.6:5 et de Lev.19:18 n’est pas mise en rapport avec le Décalogue. C’est l’Encyclopédie qui interprète ces préceptes comme étant le contenu même du Décalogue.
Pierre Trahard : La sensibilité révolutionnaire – ed. Slatkine Genève 1967, p.156.
La loi date du 20 septembre 1792.
Numérotés très lisiblement de I à X, ces commandements, répartis cinq par cinq sur les deux Tables, sont les suivants :
I. Français ton pays défendras afin de vivre librement.
II. Tous les tirans (sic) tu poursuivras jusqu’au delà de l’indostan (sic).
III. Les loix (sic), les vertus soutiendras même s’il le faut de ton sang
IV, Les perfides dénonceras sans le moindre ménagement.
V. Jamais foi tu n’ajouteras à la convertion (sic) d’un grand.
VI. Comme un frère soulageras ton compatriote souffrant
VII. Lorsque vainqueur tu te verras sois fier mais compatissant
VIII. Sur les emplois tu veilleras pour en expulser l’intrigant
IX. Le Dix Août sanctifieras pour l’aimer éternellement
X. Le bien des fuyards verseras sur le SANS-CULOTTE indigent.
Voir enfin:
Qui connaît les 10 ? Au sujet de la plus grande contribution du Judaïsme à l’humanité.
Raymond Apple
Adaptation française de Sentinelle 5770 ©
Parmi les rares oeuvres d’art retrouvées dans la plupart des synagogues, il y a les Tables des Dix Commandements. Ils occupent une place d’honneur et sont considérés être les enseignements les plus élevés de la Bible. De fait, de l’ensemble du don de la Torah que les Juifs célèbrent à Chavouot, les Commandements sont la partie qui a été disséminée le plus largement au-delà du Judaïsme. Pourtant, ils n’ont pas eu un trajet facile.
La Chrétienté en particulier a généré tant de problèmes au Judaïsme avec le Décalogue que, bien que le Midrash célèbre ses louanges poétiques pour la Révélation, nos sages ont délibérément retiré les Dix Commandements de la liturgie quotidienne. Qu’ils aient fait partie du service quotidien dans le Temple, c’est noté dans la Mishna (Tamid 5:1), reflété dans le Papyrus Nash dans lequel ils sont à côté avec le Shema Ysrael, et confirmé par des fragments de tefilin retrouvés dans les grottes de Qumran.
Le Judaïsme a abandonné la lecture quotidienne des proclamations des ‘sectaires’ (Chrétiens) (Berachot 12a). Les partisans de Paul croyaient que seuls les Dix Commandements et non le reste de la loi mosaïque était divins, éternels et obligatoires. Dans ce contexte, pour les Juifs, donner la priorité au Décalogue aurait pu signifier un accord avec les sectaires, aussi la lecture quotidienne a été abandonnée de façon à montrer que toutes les autres 613 mitzvot étaient des commandements divins.
Depuis lors, le Décalogue n’a pas constitué une partie du service officiel, bien que certaines personnes l’ajoutent à leurs prières personnelles et que les commentateurs aient confirmé que les enseignements des Dix Commandements étaient suggérés dans le Shema.
Joseph H. Hertz, qui fut Grand rabbin de Grande Bretagne et du Commonwealth de 1913 à sa mort en 1946, écrivait : « Les Maîtres du Talmud étaient très prudents pour souligner que les Dix Commandements ne contenaient pas la totalité des devoirs de l’homme. Le Décalogue a posé les fondations de la Religion et de la Moralité, mais n’était pas en lui-même la structure totale du devoir de l’homme ». Maïmonide s’opposait à soutenir les Dix Commandements quand ils venaient dans la lecture de la Torah des parashiot de Yithro et Va’et’hanan, ainsi que pendant Chavouot, à moins qu’on ne se tienne toujours debout pendant la lecture de la Torah, « car cela pourrait conduire à l’idée fausse qu’une partie de la Torah est plus importante qu’une autre ».
Le Décalogue est fréquemment cité dans le Nouveau testament, mais les attitudes chrétiennes à l’égard des Commandements varient. Du fait que certaines lois étaient sources d’embarras, les commandements sur l’idolâtrie et le Shabbat ont reçu une réinterprétation. La phrase « Tu ne… pas » fut désapprouvée comme trop négative et défavorable comparée aux formulations chrétiennes de l’éthique.
Selon l’Encyclopaedia Britannica, le Décalogue « était sans importance particulière jusqu’en 1246, quand il fut pour la première fois incorporé dans un manuel d’instruction pour ceux venant en confession. La division traditionnelle des commandements en deux « tables de devoirs envers D.ieu et envers l’homme a rendu possible un regard sur la seconde table comme une déclaration succincte des ‘loi de nature’ dans le cadre de la théologie chrétienne médiévale ».
Le Protestantisme, a inclus les Dix Commandements dans des manuels d’instruction. Martin Luther posa le sceau de l’approbation protestante quand il écrivit : « En dehors des Dix Commandements, il n’existe pas de bien ni d’œuvre pensables plaisant à D.ieu ».
Chaque version est d’accord : le Décalogue comprend Dix Commandements, ni plus ni moins. La Bible utilise dix comme unité de base, probablement parce que c’est conforme aux dix doigts des mains et aux dix orteils, puis qu’il est devenu le premier point d’arrêt commode en arithmétique. Dix est le groupe social de base, d’où a germé l’idée du minyan. Il y a nombre de décennies et de jubilés dans les lois de la Torah, qui comprend elle-même cinq livres, exactement la moitié de dix. Dans le Psaume 119, il y a dix synonymes pour le concept de mitzva.
Tous les dix Commandements ne sont pas des lois dans le sens usuel du mot. Le premier ne nous ordonne pas explicitement de faire quelque chose, et il ne peut être examiné dans une Cour de justice. Mais il identifie le législateur, D.ieu qui a racheté le Peuple de l’esclavage. Maïmonide le voit comme un commandement à l’esprit – « Sache qu’il existe une Cause Première amenant tout le reste dans l’existence » – pas un commandement à croire, puisque personne ne peut obliger une personne à croire s’il ne le veut pas. Un autre avis dit que c’était un commandement pour accepter la souveraineté de D.ieu : « Le Monarque dont les grandes actions en ton nom, dont tu as été le témoin et que tu expérimentées, voilà le Monarque à qui tu dois loyauté et dont les commandements t’imposent obéissance ».
Le problème disparaît, cependant, quand nous remarquons que la Torah appelle le Décalogue Aseret Hadibrot, les « Dix Mots », ou « Dix déclarations » – à savoir les dix principes. Le terme anglais [et français] Décalogue comporte la même idée puisqu’il provient du grec « dix mots ».
La Chrétienté, souhaitant maintenir l’idée des dix lois, a considéré « Je suis le Seigneur ton D.ieu » comme un simple préambule. Les églises grecques et protestantes divisent le Deuxième Commandement en deux, séparant la loi contre le polythéisme et la loi contre l’idolâtrie. Les catholiques romains et les luthériens divisent la loi contre la convoitise en deux.
La loi contre la convoitise est encore un problème en cela qu’aucun tribunal terrestre ne peut être dans votre esprit et vous punir d’être envieux. Si le Décalogue est considéré comme un ensemble de principes et pas de lois, cela devient un avertissement s’opposant aux faits. Une illustration en est donnée par Abraham Ibn Ezra. Il dit qu’un paysan peut envier la bonne fortune d’un autre paysan plus prospère. Mais il est peu enclin à envier la fille du Roi parce qu’il sait qu’il ne pourra pas la posséder sauf dans un monde de rêves. Un croyant sait que ce qui lui a été attribué a été décidé par D.ieu, et alors qu’il peut être ambitieux, il n’a pas le droit de vouloir l’impossible, comme le paysan de se marier à une princesse.
Si « Ne convoite pas » est considéré comme une loi, cela nous montre que c’est le tribunal céleste qui sera tenu pour responsable de nos infractions. Certains préceptes sont aussi passibles de poursuites sur terre, en particulier tuer et voler, mais cela ne porte pas atteinte au statut du décalogue comme un ensemble d’obligations morales envers D.ieu.
Les rabbins soulignent que bien que convoiter se situe dans le cœur et l’esprit de l’homme, cela peut mener à la transgression d’autres préceptes. Si vous convoitez fortement quelque chose qui appartient à votre voisin, vous pouvez vous trouver à dire des mensonges de façon à l’acquérir (transgression de « Tu ne commettras pas de faux témoignages »), à le voler (« Tu ne voleras pas »), ni même prendre la femme de ton voisin (« Tu ne commettras pas l’adultère »), et même à tuer ton voisin (« Tu ne tueras pas »).
Les cinq derniers commandements sont brefs, précis, presque en staccato. Alors que les cinq premiers appellent au respect de D.ieu, les cinq derniers commandent le respect de la vie humaine et les concepts de mariage, de propriété et de possessions, de réputation et d’intégrité. Tous sont négatifs : « Tu ne… pas ».
Les négations sont claires, sans ambiguïté et concises. Essayez de les modifier en quelque chose de positif et le résultat sera verbeux et imprécis : « Respecte la vie humaine » est très bien, mais « Tu ne tueras pas » est plus clair. Comme Rabbi Solomon Goldman l’a écrit : “ Le D.ieu tout puissant a dit avec une voix de tonnerre à travers les siècles : « Tu ne… pas » Jamais ! Jamais ! Jamais !
L’universitaire chrétien W.R. Matthews a écrit : “Ni les Juifs ni les Chrétiens ne tiennent les prohibitions pour suffisantes, ou que la bonté morale consiste à les observer. Ce qui est maintenu est qu’une telle série de commandements négatifs est une aide indispensable pour le développement moral et ne peut avec sûreté être rejeté même par des personnes de bonne maturité ».
Quand nous étions enfants, nous réalisions qu’il il y a une différence entre le bien et le mal quand nous entendions “Ne fais pas” : « Ne touche pas le feu brûlant… Ne traverse pas la route seul… » dit Matthews. « ‘Tu ne… pas’ n’est pas le dernier mot de la morale, mais c’est le premier mot ».
Il n’y a pas de groupe ou de société humaine qui n’ait pas formulé de lois de ce type. Chaque société développe une loi contre le meurtre. Ainsi le Sixième Commandement contribue-t-il à quelque chose vers quoi nous ne nous serions pas élevés nous-mêmes ? Fondamentalement, le lien entre « Je suis le Seigneur ton D.ieu » et « Tu ne tueras pas ».
Ne pas tuer est ainsi non seulement un conseil de prudence qui reconnaît qu’un tel acte invite aux représailles et à la vengeance et met chacun en danger, mais il a une motivation plus élevée, fondée sur le principe qu’il y a un D.ieu qui a fait l’homme à son image (un concept à comprendre non pas de façon littérale mais dans un sens éthique et intellectuel). L’homme fait partie de D.ieu, et tuer un être humain c’est diminuer D.ieu.
Quelle que soit la provocation, quand une personne est provoquée et fortement tentée, la pensée de D.ieu devrait la retenir de transgresser. Les sages disent que quand Joseph fut tenté par la femme de Putiphar, son père apparut à l’oeil de son esprit et il sut qu’il ne pouvait pas pêcher ; au surplus, quand la pensée de Dieu nous apparaît, nous savons que nous ne pouvons pas commettre un pêché.
Le commandement contre le meurtre a aussi de plus larges implications. Ce ne sont seulement des actes qui peuvent être meurtriers ; il y a aussi des attitudes meurtrières.
La Torah (Deut. 21) a établi un rituel à suivre si un cadavre était trouvé et que personne ne savait qui avait tué la personne. Les Anciens de la ville la plus proche devaient se laver les mains et dire : « Nos mains n’ont pas répandu ce sang, ni nos yeux ne l’ont vu ». Quelqu’un aurait-il pu suspecter les Pères de la cité ? Les Anciens impliquaient : « Cet homme n’est pas venu vers nous affamé et nous aurions manqué de le nourrir. Il n’est pas venu vers nous sans amis et nous aurions manqué de montrer du souci pour son bien-être ». Si des problèmes sociaux existent et que nous échouons à les régler de façon adéquate, nous sommes dans une certain mesure coupables de meurtre parce que nous en avons abandonné d’autres à leur destin et montré que leur vie ne valait pas la peine d’être sauvée.
Les tables des Dix Commandements, selon la tradition rabbinique, ont été préparées la veille de la création, précédant l’histoire et l’humanité et indépendantes du temps et du lieu. Elles ont été taillées dans le Trône de Saphir de Gloire et étaient donc majestueuses, splendides et d’origine divine. Le fait qu’il y en avait deux symbolisait l’harmonie entre le double devoir de l’homme, la première table représentant le devoir à l’égard de D.ieu et la seconde le devoir envers les autres hommes. Cette symétrie a été rendue possible en plaçant cinq commandements sur chaque table, mais exigeait que le cinquième (le respect pour les parents) soit interprété comme un devoir envers D.ieu.
Personne, cependant, n’est certain de la forme exacte des tables. Les grandes compilations rabbiniques, les Talmuds de Babylone et de Jérusalem, relatent des traditions contradictoires. La vision babylonienne était que les tables mesuraient environ 55 centimètres carrés, alors que le Talmud de Jérusalem les voyait rectangulaires, d’environ 55 centimètres sur 28.
Aucun ne les voyait avec des sommets en forme d’arches ou de dômes, bien que ce soit généralement la manière dont elles ont été figurées depuis des siècles. Elles sont entrées dans l’art chrétien en Italie, où elles avaient la forme de deux rectangles. Selon le Pr. d’Etudes Juives G.B. Sarfatti, elles acquirent un sommet en arche sous l’influence du diptyque, un registre plié en deux feuilles avec des sommets courbés utilisé par les Romains pour lister les noms des magistrats et plus tard par l’église catholique pour enregistrer les noms des personnes décédées à commémorer par des oblations. Ce dessin se répandit dans de nombreuses branches de l’art religieux dans l’architecture et fit son chemin vers les vitraux en arche des abbayes et des églises.
Comme nous pouvons le voir d’après la statue de la Cathédrale Lincoln et à partir d’autres sources contemporaines, même de vieilles Haggadot, l’insigne juif dans l’Angleterre médiévale prit la forme des tables du Décalogue.
Des communautés juives elles-mêmes ont commencé de représenter les Dix Commandements vers le 13ème siècle ; le Décalogue devint finalement une caractéristique très répandue des synagogues, presque toujours avec la forme arrondie introduite par les artistes chrétiens au Moyen-âge.
Ces temps-ci, certains artistes juifs préfèrent la forme carrée ou rectangulaire connue au temps du Talmud, mais c’est encore l’exception plutôt que la règle. Les Dix Commandements sont présents dans beaucoup de domaines de l’art rituel juif, depuis les rideaux de l’Arche jusqu’aux pinces des Talit. Ils figurent souvent sur les plastrons de la Torah et les Hanoukiot. Presque partout, ils dominent l’arche de la synagogue. Dans certains lieux, la mehitza (partition entre les sièges des hommes et des femmes) est décorée par une ligne joignant les tables de commandements.
Bien qu’il existe une opinion répandue que le symbole caractéristique juif soit la Magen David (Etoile de David), le Décalogue est plus ancien et a une plus grande authenticité. Sa signification théologique repose sur l’équilibre des dimensions intérieures et extérieures de l’être juif.
L’auteur est rabbin émérite de la Grande Synagogue à Sydney.
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