Islam: Le Coran est-il autre chose qu’un palimpseste plus ou moins falsifié de la Bible? (Looking back at the less than immaculate conception of Islam’s sacred text)

https://i0.wp.com/www.causeur.fr/wp-content/uploads/2011/04/affiches-campagnes.jpgjohn_paul_ii_kisses_koranQu’est-ce que le cerveau humain, sinon un palimpseste immense et naturel ? Mon cerveau est un palimpseste et le vôtre aussi, lecteur. Des couches innombrables d’idées, d’images, de sentiments sont tombées successivement sur votre cerveau, aussi doucement que la lumière. Il a semblé que chacune ensevelissait la précédente. Mais aucune en réalité n’a péri. » Toutefois, entre le palimpseste qui porte, superposées l’une sur l’autre, une tragédie grecque, une légende monacale, et une histoire de chevalerie, et le palimpseste divin créé par Dieu, qui est notre incommensurable mémoire, se présente cette différence, que dans le premier il y a comme un chaos fantastique, grotesque, une collision entre des éléments hétérogènes ; tandis que dans le second la fatalité du tempérament met forcément une harmonie parmi les éléments les plus disparates. Quelque incohérente que soit une existence, l’unité humaine n’en est pas troublée. Tous les échos de la mémoire, si on pouvait les réveiller simultanément, formeraient un concert, agréable ou douloureux, mais logique et sans dissonances. Souvent des êtres, surpris par un accident subit, suffoqués brusquement par l’eau, et en danger de mort, ont vu s’allumer dans leur cerveau tout le théâtre de leur vie passée. Le temps a été annihilé, et quelques secondes ont suffi à contenir une quantité de sentiments et d’images équivalente à des années. Et ce qu’il y a de plus singulier dans cette expérience, que le hasard a amenée plus d’une fois, ce n’est pas la simultanéité de tant d’éléments qui furent successifs, c’est la réapparition de tout ce que l’être lui même ne connaissait plus, mais qu’il est cependant forcé de reconnaître comme lui étant propre. L’oubli n’est donc que momentané ; et dans telles circonstances solennelles, dans la mort peut-être, et généralement dans les excitations intenses créées par l’opium, tout l’immense et compliqué palimpseste de la mémoire se déroule d’un seul coup, avec toutes ses couches superposées de sentiments défunts, mystérieusement embaumés dans ce que nous appelons l’oubli. (…) Dans le spirituel non plus que dans le matériel, rien ne se perd. De même que toute action, lancée dans le tourbillon de l’action universelle, est en soi irrévocable et irréparable, abstraction faite de ses résultats possibles, de même toute pensée est ineffaçable. Le palimpseste de la mémoire est indestructible. (…)  On croit que la tragédie grecque a été chassée et remplacée par la légende du moine, la légende du moine par le roman de chevalerie ; mais cela n’est pas. A mesure que l’être humain avance dans la vie, le roman qui, jeune homme, l’éblouissait, la légende fabuleuse qui, enfant, le séduisait, se fanent et s’obscurcissent d’eux-mêmes. Mais les profondes tragédies de l’enfance, – bras d’enfants arrachés à tout jamais du cou de leurs mères, lèvres d’enfants séparées à jamais des baisers de leurs soeurs, – vivent toujours cachées, sous les autres légendes du palimpseste. La passion et la maladie n’ont pas de chimie assez puissante pour brûler ces immortelles empreintes. Charles Baudelaire
Après ces choses, Dieu mit Abraham à l’épreuve, et lui dit: Abraham! Et il répondit: Me voici! Dieu dit: Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac; va-t’en au pays de Morija, et là offre-le en holocauste sur l’une des montagnes que je te dirai. Genèse 22 :1-2
Nous lui fîmes donc la bonne annonce d’un garçon (Ismaïl) longanime. Puis quand celui-ci fut en âge de l’accompagner, [Abraham] dit: ‹Ô mon fils, je me vois en songe en train de t’immoler. Vois donc ce que tu en penses›. (Ismaël) dit: ‹Ô mon cher père, fais ce qui t’es commandé: tu me trouveras, s’il plaît à Allah, du nombre des endurants› (…) Nous lui fîmes la bonne annonce d’Isaac comme prophète d’entre les gens vertueux. Le Coran, 37, 101-102 & 112
Ils ne l’ont ni tué ni crucifié (…) ce n’était qu’un faux semblant ! (…) mais Dieu l’a élevé vers Lui. Le Coran (4 : 157-158)
Le Coran partage avec les apocryphes chrétiens de nombreuses scènes de vie de Marie et d’enfance de Jésus : la consécration de Marie dans la Sourate III, La famille de ‘Îmran, 31 et le Proto-évangile de Jacques, la vie de Marie au Temple dans la Sourate III, La famille de ‘Îmran, 32 et la Sourate XIX, Marie, 16 et le Proto-évangile de Jacques, le tirage au sort pour la prise en charge de Marie dans la Sourate III, La famille de ‘Imran, 39 et le Proto-évangile de Jacques, la station sous un palmier dans la Sourate XIX, Marie, 23 et l’Évangile du pseudo-Matthieu, Jésus parle au berceau dans la Sourate III, La famille de ‘Imran, 41 et la Sourate XIX, Marie, 30 et l’Évangile arabe de l’enfance, Jésus anime des oiseaux en argile dans la Sourate III, La famille de ‘Imran, 43 et la Sourate V, La Table, 110 et l’Évangile de l’enfance selon Thomas… Wikipedia
La condition préalable à tout dialogue est que chacun soit honnête avec sa tradition. A l’égard de l’islam, les chrétiens ont battu leur coulpe. Au point d’oublier que le Coran a récupéré et transposé leur patrimoine symbolique. Les figures bibliques majeures (Abraham, Moïse, Jésus) sont en effet totalement transformées, islamisées, dans le but d’accuser les  » juifs » et les  » chrétiens » d’être des falsificateurs de la Révélation, de s’être volontairement détournés de la vérité qu’ils avaient reçue à l’origine. Il y a, dans le Coran, à la fois imitation et rejet du judéo-christianisme. (…) les chrétiens ont repris tel quel le corpus de la Bible hébraïque. Saint Paul parle de  » greffe » du christianisme sur le judaïsme, ce qui est une façon de ne pas nier celui-ci. Et, au XXe siècle, les chrétiens ont eu une lucidité critique à l’égard du judaïsme, en reconnaissant qu’ils avaient pu faire une lecture abusive, antijuive de leurs Ecritures. Dans l’islam, le corpus biblique est, au contraire, totalement remanié pour lui faire dire tout autre chose que son sens initial : certains éléments sont montés en épingle, d’autres sont occultés. La récupération sous forme de torsion ne respecte pas le texte originel sur lequel, malgré tout, le Coran s’appuie. René Girard
Dans la foi musulmane, il y a un aspect simple, brut, pratique qui a facilité sa diffusion et transformé la vie d’un grand nombre de peuples à l’état tribal en les ouvrant au monothéisme juif modifié par le christianisme. Mais il lui manque l’essentiel du christianisme : la croix. Comme le christianisme, l’islam réhabilite la victime innocente, mais il le fait de manière guerrière. La croix, c’est le contraire, c’est la fin des mythes violents et archaïques. René Girard
Le christianisme (…) nous a fait passer de l’archaïsme à la modernité, en nous aidant à canaliser la violence autrement que par la mort.(…) En faisant d’un supplicié son Dieu, le christianisme va dénoncer le caractère inacceptable du sacrifice. Le Christ, fils de Dieu, innocent par essence, n’a-t-il pas dit – avec les prophètes juifs : « Je veux la miséricorde et non le sacrifice » ? En échange, il a promis le royaume de Dieu qui doit inaugurer l’ère de la réconciliation et la fin de la violence. La Passion inaugure ainsi un ordre inédit qui fonde les droits de l’homme, absolument inaliénables. (…) l’islam (…) ne supporte pas l’idée d’un Dieu crucifié, et donc le sacrifice ultime. Il prône la violence au nom de la guerre sainte et certains de ses fidèles recherchent le martyre en son nom. Archaïque ? Peut-être, mais l’est-il plus que notre société moderne hostile aux rites et de plus en plus soumise à la violence ? Jésus a-t-il échoué ? L’humanité a conservé de nombreux mécanismes sacrificiels. Il lui faut toujours tuer pour fonder, détruire pour créer, ce qui explique pour une part les génocides, les goulags et les holocaustes, le recours à l’arme nucléaire, et aujourd’hui le terrorisme. René Girard
D’après les théologiens musulmans, le Coran vient directement d’Allah, il n’a pas changé d’une seule lettre depuis qu’il a été mis par écrit, et sa langue est si somptueusement poétique qu’elle est inimitable par aucun humain. Mohammed l’a récité alors qu’il était analphabète. Avant que le monde ne soit créé, le Coran était déjà présent, ce que la théologie musulmane exprime en disant que le Coran est incréé. Le Coran est en arabe depuis avant la fondation du monde parce qu’Allah parle arabe avec les anges. (…) L’alphabet arabe ne comportait à l’époque de Mohammed que trois voyelles longues : a, i, u, et ne faisait pas la différence entre certaines consonnes. Cette écriture, nommée scriptio defectiva, est indéchiffrable, et ne peut servir que d’aide mémoire à ceux qui connaissent déjà le texte. (…) C’est vers 650, que des collectes ont été faites pour constituer le Coran. Le Coran a donc été primitivement écrit en scriptio defectiva. Vers 850, deux siècles après les collectes, des grammairiens perses qui ignoraient la culture arabe ont fait des conjectures pour passer en scriptio plena, afin de rendre le Coran compréhensible. Cela n’a pas suffi. Il a fallu y ajouter d’autres conjectures sur le sens des passages obscurs, qui concernent environ 30% du Coran. L’édition actuelle du Coran est celle du Caire, faite en 1926. Il a donc fallu 1 300 ans pour la mettre au point. C’est une traduction en arabe classique d’un texte qui est incompréhensible sous sa forme originale. (…) À l’époque de Mohammed, l’arabe n’était pas une langue de culture, ni une langue internationale. Depuis plus de mille ans, dans tout le Proche Orient, la langue de culture était l’araméen. Les lettrés arabes, peu nombreux, parlaient en arabe et écrivaient en araméen. La situation était comparable à celle de l’Europe de la même époque, où les lettrés parlaient dans leur langue locale et écrivaient en latin. Les difficultés du Coran s’éclairent si on cherche le sens à partir de l’araméen. Le Coran n’est pas écrit en arabe pur, mais en un arabe aussi chargé d’araméen que, par exemple, l’allemand est chargé de latin. André Frament
D’après la théologie musulmane, Mohammed, venant à la suite d’une longue suite de prophètes, n’aurait fait qu’un « rappel », rendu nécessaire parce que les hommes oublient. On peut donc penser que des révélations faites aux prophètes prédécesseurs de Mohammed ont du laisser des traces. D’autre part, des historiens pensent que les nouveaux systèmes d’idées se développent à partir d’ébauches antécédentes. Quelle que soit l’hypothèse choisie, il a dû exister une sorte de pré-islam qu’il est intéressant de rechercher. (…) De fait,certaines idées présentes dans l’islam d’aujourd’hui sont également présentes dans les sectes millénaristes et messianiques du Proche Orient, aux premier et deuxième siècles de notre ère. Voir comment ces idées ont cheminé dans cette région du monde a donné un éclairage supplémentaire. Dans le Coran, Myriam, sœur d’Aaron, et Marie, mère du Christ, est une seule et même personne, alors que 1.200 ans les séparent. La Trinité, formée pour les chrétiens du Père, du Christ et du Saint-Esprit, est déclarée dans le Coran formée, du Père, du Christ, et de Marie. Ces éléments, et d’autres de la sorte, font penser que le Coran est formé de plusieurs traditions différentes, comme on peut l’observer pour d’autres livres anciens. (…) Les messianismes juifs se sont formés en trois siècles, de 180 avant notre ère à 150 après. Leur théologie présente cinq idées centrales qui, durent encore de nos jours: · La première est celle d’une guerre menée pour des raisons théologiques. · La seconde est celle d’émigration : les Justes devaient d’abord aller au désert, reproduisant l’Exode de Moïse au Néguev-Sinaï. · La troisième idée était la conquête de Jérusalem. · La quatrième était la libération complète de la Palestine juive. · La cinquième était la conquête du monde entier. Alors que les quatre premières étaient tout à fait générales dans les mouvements messianiques juifs, la dernière n’était acceptée que par une partie des adeptes. Les deux premières idées sont proches de celles de l’islam, et la cinquième reste un rêve que les musulmans ont poursuivi pendant quatorze siècles. (…) Les nazaréens pratiquaient la circoncision, la polygamie limitée à 4 épouses, décrivaient un paradis où les élus trouveraient des aliments délicieux, des boissons agréables et des femmes. Toutes ces idées sont présentes dans l’islam. De plus, un grand nombre de thèses, de conceptions, de dogmes nazaréens se retrouvent à l’identique dans l’islam d’aujourd’hui : ‘Îsâ, le nom de Jésus, le statut du Christ, les récits de l’enfance de Marie, la confusion entre Marie et Myriam, le statut des femmes, la Trinité formée du Père, du Christ et de Marie, la conception du paradis, le vin, interdit sur terre mais présent en fleuves entiers au paradis… (…) Le mot musulman apparaît pour la première fois sur le Dôme du roc, en 691, il entre dans l’usage officiel vers 720, il est utilisé sur une monnaie pour la première fois en 768, et sur papyrus en 775 seulement. La recherche linguistique montre que les mots islam et musulman ne viennent pas de l’arabe, mais de l’araméen, la langue des nazaréens. (…) Le nom de Médine, d’après les documents musulmans, viendrait de madina ar-rasul Allah, la ville du messager d’Allah. Cette étymologie en langue arabe est proposée par l’islam plus de 200 ans après les faits. Or, à l’époque, madina ne signifiait pas ville, mais région. Ville se disait qura. Des textes datant de 30 ans après les faits indiquent une autre étymologie, à partir de l’araméen, impliquant les nazaréens. (…) Il est très douteux que les Arabes du VIIe siècle soient des polythéistes étrangers aux traditions biblique ou chrétienne. Par leur commerce, ils sont, en effet, depuis plus de six siècles en contact avec des juifs et depuis six siècles en contact avec des chrétiens. Ils ne pouvaient pas ignorer la révélation judéo-chrétienne. André Frament
La question de l’Hégire permet d’entrevoir immédiatement ce qui s’est passé. L’Hégire ou Émigration à l’oasis de Yathrib situé en plein désert est un événement très significatif de la vie du Mahomet historique. On sait que, très rapidement, cette année-là – 622 semble-t-il – a été tenue pour l’an 1 du calendrier du groupe formé autour de Mahomet (ou plutôt du groupe dont il était lui-même un membre). Or, la fondation d’un nouveau calendrier absolu ne s’explique jamais que par la conscience de commencer une Ère Nouvelle, et cela dans le cadre d’une vision de l’Histoire. Quelle ère nouvelle ? D’après les explications musulmanes actuelles, cette année 1 se fonderait sur une défaite et une fuite de Mahomet, parti se réfugier loin de La Mecque. Mais comment une fuite peut-elle être sacralisée jusqu’à devenir la base de tout un édifice chronologique et religieux ? Cela n’a pas de sens. Si Mahomet est bien arrivé à Yathrib – qui sera renommé plus tard Médine – en 622, ce ne fut pas seulement avec une partie de la tribu des Qoréchites, mais avec ceux pour qui le repli au désert rappelait justement un glorieux passé et surtout la figure de la promesse divine. Alors, le puzzle des données apparemment incohérentes prend forme, ainsi que Michaël Cook et d’autres l’on entrevu. Le désert est le lieu où Dieu forme le peuple qui doit aller libérer la terre, au sens de ce verset : « Ô mon peuple, entrez dans la terre que Dieu vous a destinée » (Coran V, 21). Nous sommes ici dans la vision de l’histoire dont le modèle de base est constitué par le récit biblique de l’Exode, lorsque le petit reste d’Israël préparé par Dieu au désert est appelé à conquérir la terre, c’est-à-dire la Palestine selon la vision biblique. Telle est la vision qu’avaient ceux qui accompagnaient et en fait qui dirigeaient Mahomet et les autres Arabes vers Yathrib en 622. Et voilà pourquoi une année 1 y est décrétée : le salut est en marche. Dans l’oasis de Yathrib d’ailleurs, la plupart des sédentaires sont des « juifs » aux dires mêmes des traditions islamiques. Et pourtant les traditions rabbiniques ne les ont jamais reconnus comme des leurs : ces « juifs » et ceux qui y conduisirent leurs amis arabes sont en réalité ces “judéochrétiens” hérétiques, qui vous évoquiez à l’instant. Ils appartenaient à la secte de « nazaréens » dont on a déjà parlé à propos de la sourate 5, verset 82. E.-M. Gallez
C’est à la suite de la destruction du Temple de 70 que l’idéologie judéo-nazaréenne se structura en vision cohérente du Monde et de l’Histoire, construite sous l’angle de l’affrontement des « bons » et des « méchants », les premiers devant être les instruments de la libération de la Terre. Le recoupement des données indique que c’est en Syrie, chez les judéo-chrétiens qui refusèrent de rentrer en Judée après 70 et réinterprétèrent leur foi, que cette idéologie de salut – la première de l’Histoire – s’est explicitée. (…) Pour en revenir à l’attente judéonazaréenne du Messie-Jésus, je ne vous apprendrai rien en disant qu’il n’est pas redescendu du Ciel en 638. En 639 non plus. En 640, l’espérance de le voir redescendre du Ciel apparut clairement être une chimère. C’est la crise. (…) Il est invraisemblable que Mahomet ait massacré des juifs rabbanites (orthodoxes ndlr), dont les judéo-nazaréens aussi bien que leurs alliés Arabes avaient besoin de la neutralité, au moins. Mais après 640, on imagine aisément que Umar puis son successeur Uthman aient voulu se défaire d’alliés devenus encombrants. Ironie de l’histoire : les « fils d’Israël » – au moins leurs chefs – sont massacrés par ceux qu’ils avaient eux-mêmes convaincus d’être les « fils d’Ismaël » ! En fait, le problème se posait aux Arabes de justifier d’une manière nouvelle le pouvoir qu’ils avaient pris sur le Proche-Orient. C’est dans ce cadre qu’apparut la nécessité d’avoir un livre propre à eux, opposable à la Bible des juifs et des chrétiens, et qui consacrerait la domination arabe sur le monde… et qui contribuerait à occulter le passé judéo-nazaréen. EM Gellez
Le Calife basé à l’oasis de Médine ne disposait, en fait de « textes » en arabe, que des papiers que les judéo-nazaréens y avaient laissés. Même si l’on y ajoute les textes plus anciens laissés en Syrie, cela ne fait pas encore un choix énorme. Et il fallait choisir, dans la hâte, des textes répondant aux attentes des nouveaux maîtres du Proche-Orient ! Autant dire que, quel qu’il fût, le résultat du choix ne pouvait guère être satisfaisant, même si on choisissait les textes présentant le moins d’allusions au passé judéonazaréen. C’est ainsi que les traditions musulmanes ont gardé le souvenir de « collectes » ou assemblages du Coran divergents entre eux et concurrents – parce qu’ils fournirent évidemment à des ambitieux l’occasion de se pousser au pouvoir. Umar fut assassiné. Son successeur également, et il s’ensuivit une véritable guerre intra-musulmane, aboutissant au schisme entre « chiites » et « sunnites ». Quant aux textes assemblés dans ce qu’on nomma le « Coran », ils continuèrent d’être adaptés à ce qu’on attendait d’eux, dans une suite de fuites en avant : apporter des modifications à un texte, c’est souvent se condamner à introduire de nouvelles pour pallier les difficultés ou les incohérences induites par les premières, etc. Un texte ne se laisse pas si facilement manipuler. Surtout qu’il faut chaque fois rappeler les exemplaires en circulation,les détruire et les remplacer par des nouveaux – ce dont les traditions musulmanes ont gardé le souvenir et situent jusqu’à l’époque du gouverneur Hajjaj, au début du VIIIe siècle encore ! Quand il devint trop tard pour le modifier encore en ses consonnes, sa voyellisation puis son interprétation furent à leur tour l’objet d’élaborations (parfois assez savantes). Ainsi, à force d’être manipulé, le texte coranique devint de plus en plus obscur, ce qu’il est aujoAurd’hui. Mais il était tout à fait clair en ces divers feuillets primitifs c’est-à-dire avant que ceux-ci aient été choisis pour constituer un recueil de 114 parties – le même nombre que de logia de l’évangile de Thomas, nombre lié aux besoins liturgiques selon Pierre Perrier. EM Gellez
Du fait de l’hyperspécialisation, très peu d’islamologues s’étaient intéressés aux textes de la mer Morte qui, particulièrement dans leur version la plus récente, reflètent une parenté avec le texte coranique ; et, en sens inverse, tout aussi peu de qoumranologues, d’exégètes ou de patrologues avaient porté de l’intérêt au Coran et à l’Islam. Or ces deux côtés de la recherche s’éclairent mutuellement, ils constituent en quelque sorte le terminus a quo et le terminus ad quem de celle-ci, renvoyant à une même mouvance religieuse : celle que des ex-judéo-chrétiens ont structurée vers la fin du Ier siècle. On la connaît surtout sous la qualification de “nazaréenne” ; les membres de cette secte apocalyptico-messianiste avaient en effet gardé l’appellation de nazaréens que les premiers judéo-chrétiens avaient portée (durant très peu d’années) avant de s’appeler précisément chrétiens d’après le terme de Messie (c’est-à-dire christianoï ou Mesihayé). Il s’agit évidemment des naçârâ du texte coranique selon le sens qu’y avait encore ce mot avant le VIIIe siècle et selon le sens qu’indiquent certains traducteurs à propos de passages où l’actuelle signification de chrétiens ne convient visiblement pas ; au reste, à propos de ces nazaréens, même certains sites musulmans libéraux en viennent aujourd’hui à se demander si leur doctrine n’était pas celle de Mahomet. À la suite de Ray A. Pritz, l’auteur préconise l’appellation de judéo-nazaréens pour éviter toute ambiguïté ; l’avantage est également de rappeler l’origine judéenne (ainsi qu’un lien primitif avec la communauté de Jacques de Jérusalem, selon les témoignages patristiques). Signalons en passant que l’auteur établit un parallélisme avec une autre mouvance qui prend sa source dans les mêmes années, le gnosticisme ; ceci offre un certain intérêt car les deux mouvances partent dans des directions qu’il présente comme radicalement opposées. L’apparition de l’islam tel qu’il se présente aujourd’hui s’explique de manière tout à fait cohérente dans le cadre de cette synthèse. À la suite de la rupture bien compréhensible avec les judéonazaréens, les nouveaux maîtres arabes du Proche-Orient ont été obligés d’inventer des références exclusivement arabes pour justifier leur pouvoir, explique l’auteur. Ceci rend compte en particulier d’une difficulté à laquelle tout islamologue est confronté, à savoir la question du polythéisme mecquois. Comment les Mecquois pouvaient-ils être convaincus par une Révélation qui leur aurait été impossible à comprendre ? Le détail du texte coranique ne s’accorde pas avec un tel présupposé. À supposer justement que Mahomet ait vécu à La Mecque avant que l’Hégire le conduise à Yathrib-Médine (en 622) : la convergence de nombreuses études, généralement récentes, oriente dans une autre direction. Le travail de recoupement et de recherche effectué par l’auteur débouche sur un tableau d’ensemble ; celui-ci fait saisir pourquoi la biographie du Prophète de l’Islam, telle qu’elle s’est élaborée et imposée deux siècles après sa mort, présente le contenu que nous lui connaissons. M.-Th. Urvoy
Christoph Luxenberg considère (…) que des pans entiers du Coran mecquois seraient un palimpseste d’hymnes chrétiennes. Avant lui, Günter Lüling avait tenté d’établir qu’une partie du Coran provenait d’hymnes chrétiennes répondant à une christologie angélique. Cela me paraît trop automatique et trop rapide. En revanche, Christoph Luxenberg m’a convaincu sur l’influence syriaque dans plusieurs passages du Coran, notamment dans la sourate 100 dans laquelle il voit une réécriture de la première épître de saint Pierre (5,8-9). On reconnaît dans le Coran des traces évidentes de syriaque. À commencer par le mot Qur’an qui, en syriaque, signifie «recueil» ou «lectionnaire». Cette influence me semble fondamentale. D’autre part, Angelika Neuwirth [NDLR spécialiste du Coran, université de Berlin] a bien souligné la forme liturgique du Coran. Et des chercheurs allemands juifs ont noté une ressemblance forte entre le Coran mecquois et les psaumes bibliques. Serait-il un lectionnaire, ou contiendrait-il les éléments d’un lectionnaire? Je suis enclin à le penser. Sans l’influence syriaque comment comprendre que le Coran ait pu reprendre le thème des sept dormants d’Éphèse qui sont d’origine chrétienne? De plus, la christologie du Coran est influencée par le Diatessaron de Tatien et par certains évangiles apocryphes. On peut penser que le groupe dans lequel le Coran primitif a vu le jour était l’un des rejetons de groupes judéo-chrétiens attachés à une christologie pré-nicéenne, avec aussi quelques accents manichéens. Claude Gilliot

L’islam ne serait-il finalement qu’une secte judéo-messianique qui aurait mal tourné?

Appris par coeur par les compagnons du Prophète, recopié en bribes sur des feuilles de palmier ou des omoplates de chameaux, collationné non chronologiquement mais suivant la longueur des sourates par des califes qui firent détruire les versions divergentes ou condamner les exégètes non conformes, objet de différentes lectures et interprétations du fait  du manque de transcription des voyelles ou de l’ambiguïté des consonnes mais aussi de controverses théologiques et éthiques ou d’accusations de falsification, doutes même sur la langue utilisée, réécriture de passages entiers de la Bible …

Où l’on découvre que le texte prétendument incréé écrit dans l’arabe le plus pur (la « langue de Dieu ») se trouve être un amalgame longtemps controversé de psaumes bibliques et d’hymnes chrétiens, apocryphes ou manichéens écrit dans un mauvais arabe imprégné de syro-araméen …

A l’heure où l’on apprend que la jeune chrétienne récemment condamnée pour blasphème au Pakistan aurait pu être victime d’un coup monté (l’imam qui l’accusait aurait lui-même rajouté les pages de Coran que la jeune trisomique était censée avoir brûlées) …

Et qu’à l’Université islamique d’Al Azhar du Caire, une fatwa proposerait d’interdire aux Juifs de visiter leurs lieux saints dans les pays arabes …

Retour, avec un intéressant entretien de l’islamologue Claude Gilliot paru dans le Monde de la Bible et repris par le site Hérodote et contre la légende dorée d’un texte immuable fixé une fois pour toutes, sur les dernières découvertes issues de l’application au Coran des méthodes d’analyse critique déjà utilisées sur la Bible et les textes chrétiens et notamment sur le long processus de canonisation du texte sacré de l’islam …

Aux origines du Coran

Comment est né le texte sacré de l’islam

Hérodote

Jusqu’aux alentours de l’An Mil, les commentaires autour du Coran furent innombrables, en liaison avec une grande effervescence intellectuelle. Une école réformiste proposa en particulier de distinguer le Coran incréé, parole de Dieu, restée près de Dieu, dénuée de toute équivoque, et le Coran créé, celui-là même qui est sorti de la bouche de Mahomet et se doit d’être analysé et interprété.

En l’an 1019, le calife Al Qadir, craignant que la libre discussion ne mène à de nouvelles scissions, fit lire au palais et dans les mosquées une épître dite «épître de Qadir» (Risala al-qâdiriya) par laquelle il interdit toute exégèse nouvelle et ferma la porte à l’effort de recherche personnel des musulmans (l’ijithad).

Aujourd’hui, à la lumière des travaux accomplis sur les textes chrétiens, des chercheurs abordent l’étude du Coran avec un regard historique, archéologique et philologique. Le magazine Le Monde de la Bible fait le point sur ces travaux d’une grande portée scientifique et nous offre ci-après un entretien passionnant et lumineux avec l’islamologue Claude Gilliot.

«Aux origines du Coran» en kiosque et en librairie

Est-il possible d’appliquer au Coran les méthodes d’analyse critique déjà utilisées sur la Bible et les textes chrétiens depuis plus d’un siècle?

Que sait-on de l’Arabie préislamique et de Mahomet lui-même ? Que peut-on dire du processus de mise par écrit du Coran et des plus anciens textes connus ?

Quels rôles ont pu jouer des juifs et des chrétiens dans ce processus ? Existe-il un Coran des origines différent de celui que nous connaissons aujourd’hui ? Que dit le Coran des pierres, ces graffiti laissés par les pèlerins vers La Mecque, dès les premiers temps de l’islam?

C’est à toutes ces questions que répond ce numéro du Monde de la Bible (été 2012, en kiosque et en librairie, 10 €), en bousculant un certain nombre d’idées. Un magazine très richement illustré et d’une lecture agréable.

Comment et dans quelles circonstances le Coran fut-il mis par écrit? C’est à cette question que répond Claude Gilliot, professeur émérite à l’université de Provence, a bien voulu répondre en sa qualité de spécialiste d’études arabes et d’islamologie.

Il nous précise, entre tradition musulmane et recherche historique, le long processus de la canonisation des textes coraniques aux premiers siècles de l’Hégire. Nous l’avons également interrogé sur les questions linguistiques que posent les plus anciens documents connus du Livre saint des musulmans.

Entretien de Claude Gilliot avec Le Monde de la Bible

Le Monde de la Bible: Existe-il un Coran originel contemporain du Prophète?

Claude Gilliot: Selon la tradition musulmane, à la mort de Muhammad [Mahomet] en 632 de notre ère, il n’existait pas d’édition complète et définitive des révélations que le Prophète avait livrées. Des sources arabo-musulmanes nombreuses l’attestent. Il est dit que ses Compagnons les avaient mémorisées, en les apprenant et en les récitant par cœur. Certaines, toutefois, avaient été transcrites sur divers matériaux, telles des feuilles de palme ou des omoplates de chameaux. Une première mise par écrit «complète» aurait été faite à l’instigation d’Omar qui craignait que le Coran ne disparût parce que ses mémorisateurs mouraient au combat. Il convainquit le calife Abû Bakr (632-634) de faire consigner par écrit ce que les gens en savaient et ce qui en avait été écrit sur divers matériaux. Ce travail de collecte fut dirigé par l’un des scribes de Muhammad, ?le Médinois Zaïd b. Thâbit. À la mort d’Abû Bakr, ces premiers feuillets du Coran furent transmis à Omar, devenu calife (634-644), puis à sa fille Hafsa, l’une des veuves de Muhammad.

MdB : Et c’est ce recueil des versets coraniques qui s’imposa d’emblée?

C. G.: Non, on ne peut pas dire cela. D’abord parce que nous n’avons pas de traces matérielles de cette collecte. Ensuite parce que l’objectif d’Omar était probablement de disposer d’un corpus et non de faire une «édition» définitive. C’est sous le califat suivant, celui d’Othman (644-656), qu’on prit conscience de divergences dans la façon de réciter le Coran. Othman reprit le corpus détenu par Hafsa et le fit compléter par d’autres personnages, toujours sous la direction de Zaïd b. Thâbit. Il fit ensuite détruire tous les matériaux originels, imposa une première version «canonique» du Coran en l’adressant aux métropoles les plus importantes du jeune Empire. Mais s’imposa-t-il à tous? La tradition musulmane affirme que oui, mais nous observons que l’idée même de collecte avait rencontré des oppositions dont celle d’Ibn Mas’ûd, compagnon du Prophète (m. 633), et que, d’autre part, les récits sur la collecte du Coran comportent de nombreuses contradictions qui contestent cette affirmation.

MdB : Cela signifie-t-il que d’autres variantes du Coran aient pu subsister et êtres récitées à cette époque?

C. G.: La tradition musulmane reconnaît une quinzaine de textes pré-othmaniens principaux et une douzaine de textes secondaires. Nous ne possédons aujourd’hui aucune de ces variantes de la «vulgate» othmanienne. Mais nous savons par ailleurs qu’en 934 et en 935, les exégètes Ibn Miqsam et Ibn Shannabûdh furent condamnés pour avoir récité des variantes non approuvées. Ce qui montre que celles-ci ont circulé longtemps.

Il convient également de remarquer que le texte diffusé par Othman pouvait lui-même susciter différentes lectures et interprétations. Et cela pour deux raisons. La première est que le texte ne comportait pas de voyelles brèves et pas toujours les longues, ce qui induit des choix dans l’interprétation des mots. Deuxièmement, l’écriture arabe primitive n’était pas dotée des points diacritiques qui fixent la valeur exacte des signes et qui distinguent une consonne d’une autre. Des vingt-huit lettres de l’alphabet arabe, seules sept ne sont pas ambiguës et dans les plus anciens fragments du Coran, les lettres ambiguës constituent plus de la moitié du texte.

C’est sous la période omeyyade, et le règne d’Abd al-Malik (685-705) plus précisément, que l’on peut placer la troisième phase de l’histoire du Coran. Certains attribuent au redoutable gouverneur de l’Irak, al-Hajjâj b. Yûsûf (714), plusieurs modifications apportées au texte coranique, mais à ce propos, les sources sont contradictoires. Pour les uns, il aurait seulement remis en ordre les versets et des sourates et rectifié des lectures déficientes; pour les autres, il aurait précisé l’orthographe en introduisant des points. En dépit des contradictions, le califat d’Abd al-Malik constitua un moment déterminant pour la constitution des textes qui nous sont parvenus.

MdB: Sur quels points portaient principalement les oppositions musulmanes à la version othmanienne que vous évoquiez précédemment?

C. G.: Ces critiques viennent de savants musulmans qui soulevèrent des objections durant les trois premiers siècles de l’islam. Cela commença avec des compagnons du Prophète qui avaient leur propre texte, nous dit-on. D’autres sont allés jusqu’à considérer certains textes comme inauthentiques pour des raisons théologiques et éthiques. Ils visaient notamment les versets 111,1-3 contre Abu Lahab, l’un des grands adversaires de Muhammad; et 74,11-26. Des théologiens de Bassora mirent en doute l’authenticité de ces passages, tout comme certains kharijites pensaient que la sourate 12 (sourate de Joseph) ne faisait pas partie du Coran, car, selon eux, ce conte profane ne pouvait avoir sa place dans le Coran.

On trouve les accusations les plus vigoureuses de falsification du Coran dans les sources chiites avant le milieu du Xe siècle. Pour ces derniers, seul Ali, successeur légitime de Muhammad, détenait les authentiques révélations faites au Prophète. Cette version avait été rejetée par les ennemis d’Ali, Abû Bakr et Omar notamment, parce qu’elle contenait des hommages explicites à Ali et à ses partisans et des attaques contre leurs adversaires.

MdB: De quels textes anciens disposons-nous aujourd’hui?

C. G.: Nous ne possédons aucun autographe du Prophète ni de ses scribes. Les plus anciennes versions complètes du Coran dateraient du IXe siècle. Des fragments, très rares, pourraient remonter à la fin VIIe siècle ou du début du VIIIe. L’un des plus anciens, daté du VIIe siècle, est conservé à la Bibliothèque nationale de France (voir p. 32). Mais, en l’absence d’autres manuscrits antérieurs au IXe siècle, la datation de ce recueil d’une soixantaine de feuillets ne peut être estimée que par des critères paléographiques.

MdB: Il existe une forte controverse sur la langue originelle du Coran. En quoi consiste-t-elle?

C. G.: Selon la tradition musulmane, le Coran a été écrit dans la langue de Dieu, autrement dit dans l’arabe le plus clair. Hors pour les chercheurs occidentaux, y compris pour ceux qui reprennent la thèse théologique musulmane, les particularités linguistiques du texte coranique font problème et entrent mal dans le système de la langue arabe. Afin de surmonter cette difficulté, plusieurs hypothèses furent proposées, selon lesquelles l’origine de la langue coranique se trouverait dans un dialecte – disons plutôt une «koinè (langue commune) vernaculaire» – de l’Arabie occidentale marqué par l’influence du syriaque, et donc de l’araméen. Le Coran est une production de l’Antiquité tardive. Qui dit Antiquité tardive, dit époque de syncrétisme. La péninsule arabique, où le Coran est censé être né, n’était pas fermée aux idées véhiculées dans la région. Les historiographes arabes musulmans les plus anciens, soit de la première ou de la deuxième génération de l’islam, disent que La Mecque avait des relations en particulier avec la ville d’al-Hira, capitale de la tribu arabe des Lakhmides, où vivaient des païens, des chrétiens monophysites et des manichéens. Elle aurait été un des lieux de passage pour l’apprentissage de l’écriture de l’arabe primitif. Quand Muhammad livrait ses premières prédications, un de ses premiers opposants objectait qu’il avait déjà entendu cela à al-Hira. Dans un autre passage du Coran, il est reproché à Muhammad de se faire enseigner par un étranger qui parlait soit un mauvais arabe soit une autre langue.

Il est vrai qu’un grand nombre d’expressions réputées obscures du Coran s’éclairent si l’on retraduit certains mots apparemment arabes à partir du syro-araméen, la langue de culture dominante au temps du Prophète.

MdB: Vous rejoignez ainsi les thèses de Christoph Luxenberg qui, par ailleurs, ne fait pas l’unanimité chez nombre d’islamologues?

C. G.: Christoph Luxenberg considère en effet que des pans entiers du Coran mecquois seraient un palimpseste d’hymnes chrétiennes. Avant lui, Günter Lüling avait tenté d’établir qu’une partie du Coran provenait d’hymnes chrétiennes répondant à une christologie angélique. Cela me paraît trop automatique et trop rapide. En revanche, Christoph Luxenberg m’a convaincu sur l’influence syriaque dans plusieurs passages du Coran, notamment dans la sourate 100 dans laquelle il voit une réécriture de la première épître de saint Pierre (5,8-9). On reconnaît dans le Coran des traces évidentes de syriaque. À commencer par le mot Qur’an qui, en syriaque, signifie «recueil» ou «lectionnaire». Cette influence me semble fondamentale. D’autre part, Angelika Neuwirth [NDLR spécialiste du Coran, université de Berlin] a bien souligné la forme liturgique du Coran. Et des chercheurs allemands juifs ont noté une ressemblance forte entre le Coran mecquois et les psaumes bibliques. Serait-il un lectionnaire, ou contiendrait-il les éléments d’un lectionnaire? Je suis enclin à le penser. Sans l’influence syriaque comment comprendre que le Coran ait pu reprendre le thème des sept dormants d’Éphèse qui sont d’origine chrétienne? De plus, la christologie du Coran est influencée par le Diatessaron de Tatien et par certains évangiles apocryphes. On peut penser que le groupe dans lequel le Coran primitif a vu le jour était l’un des rejetons de groupes judéo-chrétiens attachés à une christologie pré-nicéenne, avec aussi quelques accents manichéens. l

Propos recueillis par Benoît de Sagazan, pour Le Monde de la Bible

Voir aussi:

Origines et fixation du texte coranique

Claude Gilliot

Dominicain. Professeur à l’Université de Provence.

Loin d’être un texte fixé une fois pour toutes, le Coran a une histoire faite d’évolutions, de relectures et de corrections. Il convient de présenter séparément la conception musulmane de la façon dont le Coran a vu le jour, et les manières dont la recherche critique occidentale la conçoit.

La collecte du Coran selon les sources musulmanes[1] [1] R. Blachère, Introduction au Coran, 1947, p. 18-102 ;…

2 Selon l’opinion musulmane courante, à la mort de Mahomet (632), il n’existait pas d’édition complète et définitive des révélations qu’il avait délivrées. Toutefois, des portions plus ou moins grandes en avaient été mémorisées par ses compagnons, ou avaient été écrites sur divers matériaux. Certains musulmans qui savaient du Coran par cœur furent tués au combat, ce qui fit craindre que les révélations ne disparussent. Omar parvint à persuader le calife Abu Bakr (632-634) de les faire consigner par écrit. L’un des scribes de Mahomet, le jeune Médinois Zayd b. Thabit, se vit confier cette mission ; il transcrivit les matériaux collectés sur des « feuillets » qu’il remit au calife.

3 A la mort de ce dernier, ils passèrent au calife Omar (634-644), puis à sa fille Hafsa, l’une des veuves de Mahomet. Cette recension, si elle a bien existé, correspondait à la volonté du chef de la communauté de posséder un corpus coranique, tout comme d’autres compagnons en avaient eu ; il ne s’agissait pas d’imposer une version particulière à l’ensemble des fidèles.

4 Sous le calife Othman (644-656), on prit conscience des divergences dans la façon de réciter le Coran. Le calife demanda à Hafsa de lui prêter son texte du Coran pour en faire une recension complète. Après le lui avoir rendu, le calife ordonna que l’on détruise tous les autres documents contenant du Coran qui avaient pu être utilisés pour l’établissement de ce texte. Ce travail aboutit à la « vulgate othmanienne[2]

. Quatre ou sept copies furent envoyées dans plusieurs métropoles de l’empire naissant.

5 Cette collecte du texte ne fut pas sans rencontrer des oppositions[3] [3] Le refus le plus affirmé vint du compagnon Ibn Mas’ud…. Pourtant la tradition musulmane tend à soutenir l’idée que cette version du Coran a été acceptée partout. Les récits sur la collecte du Coran comportent de nombreuses contradictions qui conduisent à se poser des questions sur la véracité de la version musulmane des faits.

6 Les modifications apportées au texte collecté. – Des problèmes subsistaient dans la lecture de cette version othmanienne. D’une part, elle ne comportait pas les voyelles brèves, et pas toujours les voyelles longues, ce qui pouvait donner lieu à des confusions dans la lecture de certains mots, même si certains choix de lecture sont éliminés par le contexte. Plus grave encore, l’écriture arabe primitive n’était pas pourvue des points dont sont maintenant marquées certaines consonnes de l’alphabet pour fixer la valeur exacte des signes qui prêtent à confusion[4]

7 C’est sous les Omeyyades, sous ‘Abd al-Malik (685-705) plus particulièrement, que l’on peut placer la troisième phase de l’histoire du Coran. Mais les informations fournies par les sources sont contradictoires. Plusieurs modifications importantes faites sur le texte sont attribuées à l’homme fort du régime omeyyade de cette période, al-Hajjaj b. Yusuf (714). Pour les uns, les améliorations qu’il aurait fait apporter au texte coranique se seraient limitées à rectifier des lectures déficientes ou à y mettre en ordre les versets, voire les sourates. Pour d’autres, il en aurait perfectionné l’orthographe en introduisant des points[5].

Des réformes semblables sont également attribuées à d’autres personnages par les sources musulmanes. En dépit des contradictions, le règne de Abd al-Malik, fut un moment déterminant pour la constitution des textes coraniques qui nous sont parvenus. Le texte final ne s’imposa que très lentement.

8 Les textes des compagnons et les variantes coraniques. – La tradition musulmane mentionne quelque quinze textes pré-othmaniens principaux et une douzaine de textes secondaires[6]  Jusqu’à ce jour, aucun manuscrit de ces textes n’a été retrouvé. Les variantes des textes pré-othmaniens qui diffèrent de la Vulgate ont disparu de la récitation du Coran. Néanmoins, il arrive que des exégètes anciens qualifient d’erroné ou de « faute de scribe » un mot du texte othmanien, lui préférant celui d’un autre texte. Lorsque le texte « othmanien », ou supposé tel, fut universellement reconnu par les savants musulmans, vers le milieu du ixe siècle, se constitua une hiérarchie parmi les systèmes de lectures qui aboutit à une liste de sept lectures (ou lecteurs)[7]

canoniques, les savants désignant de façon consensuelle les chefs d’école en fonction de leur valeur. Cette liste fut déclarée canonique. Durant cette même période, deux exégètes furent condamnés : Ibn Miqsam, en 934, et Ibn Shannabûdh, en 935, parce qu’ils récitaient des variantes non approuvées.

9 Le critère de « transmission ininterrompue », et par conséquent « authentique » étant très fluide, on a rajouté des lecteurs à la liste des sept déjà approuvés pour arriver au système des « dix lecteurs », puis à celui des « quatorze lecteurs ». Un grand changement se produisit au xvie siècle, lorsque l’empire ottoman adopta la lecture de Asim dans la transmission de Hafs (796). Progressivement, ce système de lecture devint le plus répandu ; il le demeure d’ailleurs. L’édition du Coran qui parut en Egypte en 1923 est conforme à cette lecture, ce qui a encore augmenté sa diffusion. Cela dit, la lecture la plus répandue en Afrique septentrionale et occidentale est celle Nafi’, dans la transmission de Warsh (812). La prépondérance du système des sept lectures dans la récitation du Coran n’a pas pour autant plongé les autres systèmes dans l’oubli. En effet, le système des dix et des quatorze, et même les lectures – variantes – « irrégulières », continuent à être étudiés, notamment pour des raisons exégétiques et grammaticales. La littérature qui porte sur les variantes coraniques est énorme ; elle a engendré une foule de commentaires[8]

Critiques musulmanes contre la version commune du Coran

10 Un certain nombre de savants musulmans ont violemment critiqué la version othmanienne durant les trois premiers siècles de l’islam. Cela commença avec des compagnons de Mahomet, lesquels avaient leur propre texte, nous dit-on. Certains musulmans ont considéré inauthentiques quelques passages du Coran pour des raisons théologiques et éthiques. Ainsi Coran, 111,1-3, contre Abu Lahab, l’un des grands adversaires de Mahomet, et 74,11-26 : Dieu, comme à tous les hommes, lui ordonne de croire, mais le voue expressément à l’enfer, ce qui le place dans l’obligation de croire qu’il ne croira pas ! Quelques théologiens de Bassora mirent en doute l’authenticité de ces passages. Ils considéraient que la sourate 12 (sourate de Joseph) ne faisait pas partie du Coran, qu’il s’agissait d’un conte profane, avec une histoire d’amour, qui ne saurait avoir de place dans le Coran.

11 Les accusations de falsification du Coran les plus vigoureuses et les plus nombreuses se trouvent toutefois dans des sources chiites avant le milieu du xe siècle. Pour les chiites, Ali, successeur légitime de Mahomet, était l’unique détenteur de la recension complète des révélations faites au Prophète. Après la mort du Prophète et la prise du pouvoir par les « ennemis de Ali » (Abu Bakr, Omar, etc.), cette version fut rejetée, principalement parce qu’elle contenait des hommages explicites à Ali et à ses partisans, et des attaques contre leurs adversaires[9]

12 La tradition musulmane majoritaire insiste sur la grande ancienneté de la mise en place de la Vulgate, et ce afin de faire oublier les accusations de falsification du texte coranique. Cependant, les contradictions et les hésitations que véhiculent les sources musulmanes sur l’authenticité du Coran ont été et sont toujours pour les chercheurs occidentaux l’occasion de proposer une « autre histoire du Coran ».

La critique historique du Coran par les Occidentaux

13 La tradition manuscrite du Coran ne nous est pas d’une grande aide pour établir son histoire. Nous n’avons aucun autographe de Mahomet (on sait maintenant qu’il n’était probablement pas illettré), non plus que de ses scribes. Les plus anciennes versions complètes du texte dateraient du ixe siècle. Des fragments, très rares, seraient de la fin du viie ou du début du viiie siècle, mais les datations sont souvent conjecturales. Les études se sont donc concentrées sur la philologie historique du texte coranique et sur la critique des sources musulmanes. En simplifiant, on peut distinguer deux courants, l’un « critique », l’autre « sceptique ».

14 Le courant critique et les partisans de « l’historiographie optimiste ». – Tout en relevant des contradictions dans les récits musulmans sur sa collecte, ce courant adopte en gros le récit traditionnel de l’histoire du Coran, quitte à le corriger sur plusieurs points. Nombreux sont, d’autre part, les chercheurs qui ont souligné les particularités, voire les bizarreries de la langue coranique, dont certaines entrent difficilement dans le système général de l’arabe, à tel point que Nöldeke a pu écrire : « Le bon sens linguistique des Arabes les a presque entièrement préservés de l’imitation des étrangetés et faiblesses propres à la langue du Coran. » Pourtant, il maintint que, en dépit d’occurrences dialectales, la langue du Coran était « l’arabe classique ».

15 D’autres chercheurs vont dans une direction opposée : pour K. Vollers, l’origine de la langue coranique se trouverait dans un dialecte de l’Arabie occidentale, de La Mecque ou de Médine, qui fut revu pour être adapté à la langue de la poésie arabe ancienne qui, elle, était plus attrayante[10] Plusieurs tentatives de reclassement chronologique des sourates ont également vu le jour.

16 A partir d’une analyse littéraire des sourates mecquoises, A. Neuwirth a essayé de prouver la composition pré-rédactionnelle de ces sourates, et par là « leur authenticité en tant qu’unités solidement délimitées[11] Cette analyse présuppose tacitement un seul individu, transmetteur des différents textes particuliers. Il en résulte que nous avons ici affaire « à un document réunissant les récitations faites par Mahomet lui-même ». Même si ce document a été affecté par le processus de transmission et de rédaction, il serait « substantiellement authentique ».

17 Si l’on prend en compte la composition du Coran tel qu’il est aujourd’hui, une distinction s’impose entre la rédaction du texte et son processus de canonisation, qui a été progressif. Il n’a pas été établi pour être étudié, mais pour être récité. Dans les sourates courtes de la période mecquoise, on constate un lien entre la récitation et le culte (la prière publique). Dans ce Coran pré-canonique, une « publication » et une première étape de canonisation sont déjà à l’œuvre. Progressivement, notamment dans les « sourates historiques », la conscience de participer à un « livre » se fait jour dans le texte. Il convient donc de parler de diverses étapes de la canonisation, avant d’en venir au « corpus clos ».

18 Le courant sceptique. – Le courant « sceptique » a eu des représentants dès la fin du xixe siècle, mais il se manifesta surtout à partir du dernier quart du xxe siècle. C’est à P. Casanova que revient le mérite d’avoir mis en valeur le travail d’unification du Coran fait sous les Omeyyades par al-Hajjaj ; il considérait la version othmanienne comme une fable, disant qu’elle n’avait qu’une « filiation fantaisiste[12]  Le grand sémitisant Alphonse Mingana a considérablement développé les thèses de Casanova sur le rôle fondamental des Omeyyades dans la mise en place de la version finale du Coran, et il a souligné le caractère peu crédible des sources islamiques concernant l’histoire de la rédaction du Coran. A.L. de Prémare reprit cette thèse en la développant beaucoup plus[13]

19 Avec les méthodes de la critique biblique et littéraire, J. Wansbrough va encore plus loin. Il conteste fondamentalement le caractère historique des récits musulmans sur le Coran. Pour lui, le texte coranique n’a pu prendre sa forme définitive qu’à la fin du viiie siècle, voire au début du ixe siècle. Cette datation est jugée trop tardive par la majorité des chercheurs, dont certains ont appelé cette orientation le courant « révisionniste ».

20 A l’opposé, J. Burton[14] veut montrer que le Coran, tel qu’il nous est parvenu, est celui que Mahomet a laissé à sa mort. Pour lui, ni la collecte attribuée à Abu Bakr, ni celle attribuée à Othman n’ont eu lieu. Les lettrés juristes musulmans auraient eu besoin de s’appuyer sur l’idée d’un Coran incomplet parce que des pratiques légales en vigueur n’avaient aucune base dans le Coran, ce qui donnait matière à discussion. L’une des façons d’y mettre un terme consistait à montrer que Mahomet n’avait pas laissé de collecte définitive de ses révélations.

21 Un autre voie, dans un sens très critique, est représentée par deux chercheurs qui ont tenté de retourner en amont du Coran dit othmanien, autrement dit au Coran avant le Coran. Frappés, tout comme nous le sommes, par le fait que de nombreux passages ne font guère sens, et s’appuyant notamment sur l’embarras des exégètes du Coran face à certains passages ou mots de ce texte, ils ont tenté de retrouver le Coran « primitif », avant les modifications qui y ont été faites par des scribes, des grammairiens et des juristes- théologiens. C’est ainsi que G. Lüling[15] a pensé pouvoir établir qu’une partie du Coran provenait d’hymnes chrétiens dont l’orientation était celle d’une christologie angélique. Certains des motifs y ont été remaniés, et des motifs arabes y ont été intégrés. Son ouvrage contient des reconstructions de nombreux passages du Coran. Mahomet serait parti d’un « Islam abrahamique, chrétien primitif », c’est-à-dire judéo-chrétien, qu’il aurait associé à « un paganisme arabe ancien, ismaélite et dépourvu de représentations iconiques », combattant ainsi « le christianisme hellénistique ». Les thèses de Lüling ont été largement passées sous silence, notamment en Allemagne[16] Dans sa tentative d’élucider les passages linguistiquement controversés du Coran, Ch. Luxenberg (pseudonyme)[17]  quant à lui, procède par étapes. Il vérifie d’abord si les traducteurs occidentaux du Coran n’ont pas omis de tenir compte de l’une ou l’autre explication plausible proposée par des commentateurs ou des philologues arabes. Il cherche ensuite à lire sous la structure arabe un homonyme syro-araméen qui aurait un sens différent, mais qui conviendrait mieux au contexte. Si cela n’aboutit pas, il déchiffre enfin la vraie signification du mot apparemment arabe, mais incohérent dans son contexte, en la retraduisant en syro-araméen, pour déduire le sens le mieux adapté au contexte coranique. Ch. Luxenberg est ainsi parvenu dans bien des cas à des résultat intéressants, par exemple pour la sourate 100, dans laquelle il voit une sorte de réécriture de la première Epître de saint Pierre 5, 8-9. L’entreprise de Luxenberg a été rejetée par un très grand nombre d’arabisants et d’islamologues. Elle nous paraît, quant à nous, intéressante, mais chacun des cas qui y est traité doit être examiné de près et mis à l’épreuve de la critique. Elle a reçu un bon accueil de plusieurs syriacisants, dont J.M. F. Van Reeth de Louvain, qui a tenté de démontrer que le Coran cite les Evangiles sous la forme du Diatessaron (« les quatre évangiles en un ») de Tatien (m. 173), suivant ainsi une tradition marcionite, plus spécifiquement dans l’interprétation qu’en a donné Mani[18]

Il convient de mentionner ici également le livre clair et abordable du Tunisien Mondher Sfar[19] qui donne une excellente introduction aux recherches actuelles sur le Coran, et pour qui la distinction entre le Coran lui-même et la « Mère du Livre » (établie dans Coran 43, 2-4), prouve que ces deux versions ne peuvent être authentiques.

24 Pour E.-M. Gallez[20], le « proto-islam » doit être placé au terme d’un très long processus, qui plonge ses racines dans les mouvements messianiques et apocalyptiques des derniers siècles du judaïsme et passe ensuite à travers le mouvement du judéo-christianisme, ici celui des « judéo-nazaréens ». En fait, l’islam « officiel » naît de l’idéologie califale du viiie siècle, après une série de transpositions de sens, historiques, géographiques, et théologiques.

25 Une historienne et anthropologue, Jacqueline Chabbi[21] fait une distinction entre l’islam de Mahomet et l’islam de la tradition musulmane. Ce n’est que sous les Omeyyades que la religion de Mahomet a basculé dans un autre monde, dans lequel l’écriture est devenue prédominante. Le Coran a alors été mis par écrit, certainement à partir de fragments d’oralité conservés dans les mémoires. Dans les siècles suivants, la tradition islamique a couvert d’un luxe de détails les origines de l’islam et reconstitué un passé fictif : « Il est probable que cet homme, qui prêchait pour un dieu unique tel qu’il existait déjà chez les juifs et les chrétiens, souhaitait rétablir des valeurs de solidarité dans sa tribu, dont certains membres s’étaient trop enrichis. […] Il trouve refuge à Médine, vraisemblablement chez un clan apparenté. Là, brûlant d’être reconnu, il entre en politique. Il monte une confédération tribale sur un modèle traditionnel, proposant aux tribus sédentaires et nomades de passer une alliance avec son dieu. » Selon Jacqueline Chabbi, l’islam de Mahomet ne peut-être compris en dehors de la croyance au « Seigneur des tribus ». Les nomades croient à un « Seigneur », une puissance (masculine ou féminine) de protection et de recours, liée à un territoire tribal et y possédant un lieu de résidence, le plus souvent autour des pierres sacrées ou bétyles, telle la pierre noire scellée à la Mecque, un objet de culte datant sans doute de l’époque de Mahomet. Les razzias qu’il organise ont un tel succès que les « conversions » (soumissions) se multiplient. Au cours d’un conflit avec les juifs de Médine, il s’approprie la figure d’Abraham, et les juifs sont vus désormais comme des rivaux monothéistes « déviants ».

26 Pour une reconstruction critique du Coran. – Comme on l’a vu, les deux positions (critique et sceptique) sur la naissance et la transmission du Coran sont difficilement réconciliables. Pour introduire plus de clarté dans le débat, on pourrait distinguer deux types de reconstruction historique, l’une en aval et l’autre en amont. La reconstruction en aval se baserait sur le Coran dit othmanien et sur les variantes non othmaniennes du texte. La reconstruction en amont tenterait de reconstituer « un texte » avant le texte. La première reconstruction correspond peu ou prou à l’orientation de la critique historique, enrichie par les travaux plus récents sur la composition du Coran (Neuwirth) tel qu’il est maintenant. La seconde reconstruction se situe plutôt dans la ligne du courant « sceptique ».

27 La première entreprise consiste à reconstruire la forme la plus ancienne du texte qui nous soit accessible en se basant sur la version othmanienne, avec un appareil critique qui comporte les lectures diverses que l’on trouve dans les sources musulmanes spécialisées, voire dans les manuscrits ou fragments de manuscrits du Coran les plus anciens.

28 Un tel projet avait vu le jour en Allemagne dans la première moitié du xxe siècle[22] Vers 1934, quelque 9 000 photos de manuscrits anciens du Coran et environ 11 000 photos de manuscrits d’ouvrages des cinq premiers siècles de l’hégire sur les disciplines coraniques avaient été rassemblées par la Commission du Coran de l’Académie bavaroise des sciences. Puis Spitaler prétendit qu’ils avaient été détruits pendant la guerre. En fait, on sait maintenant qu’ils sont entreposés dans le département d’arabe de l’Université libre de Berlin et que A. Neuwirth, par un contrat dûment signé, en avait reçu livraison dès 1992[23] Depuis, de nombreux manuscrits sur les disciplines coraniques ont été édités, mais tous ne le sont pas. Il y a là un immense champ de travail pour une véritable édition critique du Coran. En novembre 2005, Angelika Neuwirth et son équipe ont repris le projet du Corpus coranicum. On attend les premiers résultats de cette entreprise vers 2009, pour voir si elle est aussi critique qu’il pourrait paraître, vu l’orientation très « classique », assez fidèle à la tradition musulmane, de A. Neuwirth.

29 Quant à la seconde entreprise, la reconstruction du Coran en amont, elle pourrait s’appuyer, d’une part, sur les sources musulmanes et les nombreuses contradictions qu’elles renferment sur la façon dont le Coran est venu au jour, puis a été transmis, rédigé, collecté et publié, et d’autre part, sur plusieurs études récentes. La piste syro-araméenne esquissée par A. Mingana pour une reconstruction critique du Coran en amont a repris de l’actualité ces dernières années. Cela dit : « Il y a un certain danger herméneutique dans l’approche purement linguistique et philologique dans la recherche de l’influence syriaque dans le Coran arabe », dans la mesure où il y manque une mise en contexte « thématique » et historique. Il en résulte que Luxenberg devrait également prendre en considération la dette de Mahomet et du Coran à l’endroit d’expressions syriaques du christianisme[24]

30 On en trouve l’incitation dans une lecture critique des sources musulmanes qui renvoie à un « lectionnaire » en constante évolution, peut-être jusqu’à l’époque omeyyade : informateurs de Mahomet[25], réception par Mahomet et par ses collaborateurs, son scribe et collecteur du Coran, Zayd, qui connaissait l’araméen, abrogation, « oubli » de versets, voire de sourates, versets ou sourates manquants (ou tombés dans l’oubli)[26], collectes plus ou moins complètes, correction partielle des fautes contenues dans le texte[27], émendations linguistiques diverses, etc. Un « prophète » ne se crée pas en un seul jour, un « livre saint » non plus !

31 Ces approches très critiques ne sont pas nouvelles. Des recherches audacieuses sur l’histoire du Coran et des débuts de l’islam existaient dès la deuxième moitié du xixe siècle. Comme on peut le constater, les divergences sont grandes entre les spécialistes sur l’origine du Coran et sur sa fixation.

32 Un fossé semble séparer la thèse (théologique) musulmane sur l’histoire du Coran et les hypothèses des chercheurs occidentaux. Ces derniers sont le plus souvent considérés comme des « impies » par les musulmans qui répugnent, en général, à appliquer au Coran les règles de la critique textuelle utilisées pour l’histoire des livres bibliques. Pourtant, les sources musulmanes anciennes traitant du Coran comportent de nombreuses traditions qui laissent apparaître aux yeux du chercheur critique une « autre histoire du Coran » que celle qui s’est imposée au nom de critères essentiellement théologiques.

Notes

[ 1] R. Blachère, Introduction au Coran, 1947, p. 18-102 ; A.L. de Prémare, Les Fondations de l’islam. Entre écriture et histoire, Seuil, 2002, p. 278-302 et 444-468 ; Fr. Déroche, Le Coran, 2005, p. 71-76 ; Gilliot, Exégèse, langue et théologie en islam. L’exégèse coranique de Tabari, 1990, p. 135-164 (sur les variantes).Retour

[ 2] Version (canonique) définitive du texte.Retour

[ 3] Le refus le plus affirmé vint du compagnon Ibn Mas’ud (m. 653).Retour

[ 4] Pour ne donner qu’un exemple, le même ductus consonantique peut se lire : b, t, th (fricative interdentale sourde), n, ou î long ; d (occlusive dentale sono-re, comme notre d) ou dh (fricative interdentale sonore). Des vingt-huit lettres de l’alphabet arabe, seules sept ne sont pas ambiguës. Dans les plus anciens fragments du Coran, les lettres ambiguës constituent plus de la moitié du texte.Retour

[ 5] La scriptio plena, soit les « points-voyelles », soit les points diacritiques (du ductus consonantique).Retour

[ 6] A. Jeffery, Materials for the History of the Text of the Qur’ān, Leyde, 1937, p. V-VI.Retour

[ 7] Dans ce contexte, « lecteur » s’entend d’un spécialiste reconnu des variantes du texte.Retour

[ 8] Gilliot, « Une reconstruction critique du Coran, ou comment en finir avec les merveilles de la lampe d’Aladin ?», dans Kropp M. (éd.), Results of Contemporary Research on the Qur’an. The question of a historico-critical text, Beyrouth/Würzburg, 2007, p. 35-55.Retour

[ 9] M.A Amir-Moezzi et E. Kohlberg, « Révélation et falsification. Introduction à l’édition du Kitab al-qira’at d’al-Sayyāri », Journal Asiatique, 293 (2005/2), p. 663-722.Retour

[ 10] Sur les problèmes que pose la langue du Coran, cf. Gilliot et Larcher P., «Language and style of the Qur’an», dans Encyclo-paedia of the Qur’an [EQ], III, Leyde, Brill, 2003, p. 109-135 ; l’excellente mise au point critique de Larcher, « Qu’est-ce que l’arabe du Coran ? Réflexions d’un linguiste », Cahiers de linguistique de l’INALCO, 5 (2003-2005) [années de tomaison], 2008, p. 27-47.Retour

[ 11] Neuwirth, « Du texte de récitation au canon en passant par la liturgie. A propos de la genèse de la composition des sourates et de sa redissolution au cours du développement du culte islamique», Arabica XLVII, 2 (2000), p. 194-196 (en allemand, 1996).Retour

[ 12] P. Casanova, Mohammed et la fin du monde. Etude critique sur l’islam primitif, I-II/1-2, 1911-1913, p. 127 et 141-142.Retour

[ 13] A.L. De Prémare, Fondations, op. cit., p. 292-300 ; Id., Aux origines du Coran, 2004, p. 98.Retour

[ 14] J. Burton, The Collection of the Qur’an, Cambridge, 1977.Retour

[ 15] Cf. Gilliot, « Deux études sur le Coran », Arabica, XXX (1983), p. 16-37.Retour

[ 16] Gilliot, « Le Coran, fruit d’un travail collectif ? », dans De Smet D., et al. (éd.), Al-Kitab. La sacralité du texte dans le monde de l’Islam, Bruxelles, 2004, p. 217-218 ; Id., « Reconstruction », art. cit., p. 88-89.Retour

[ 17] Cf. Gilliot, « Langue et Coran : une lecture syro-araméenne du Coran », Arabica, L (2003/3), p. 381-393 ; Id., « Reconstru-ction », op. cit., p. 89-102.Retour

[ 18] J.M. F. Van Reeth, « L’Evangile du Prophète », dans De Smet D. et al. (éd.), Al-Kitab, op. cit., p. 155-174.Retour

[ 19] M. Sfar, Le Coran est-il authentique ?, 2000.Retour

[ 20] E.M. Gallez, Le Messie et son prophète. Aux origines de l’islam, I-II, 2005.Retour

[ 21] J. Chabbi, Le Seigneur des tribus. L’islam de Mahomet, Paris, 1997 ; Id., Le Coran décrypté. Figures bibliques en Arabie, Paris, 2008.Retour

[ 22] Sous le nom de « Corpus coranicum », sous la direction de G. Bergsträßer (m.1933) et de O. Pretzl (m. 1941), rejoints ensuite par A. Spitaler (m. 2003), qui collaborèrent aussi avec l’Australien A. Jeffery (m.1959).Retour

[ 23] Gilliot, « Reconstru-ction », art. cit., p. 35-44.Retour

[ 24] T.J.E. Andrae, Les Origines de l’islam et le christianisme, traduit de l’allemand par J. Roche, 1955 [1926].Retour

[ 25] Gilliot, « Les “informateurs” juifs et chrétiens de Muhammad », Jerusalem Studies on Arabic an Islam, 22 (1998), p. 84-126.Retour

[ 26] Nöldeke, Geschichte des Qorans, I, Leipzig, 19092, p. 234-61 ; Gilliot, « Un verset manquant du Coran ou réputé tel », M-T Urvoy (éd.), En hommage au Père Jacques Jomier, o.p., Paris, 2002, p. 73-10 ; Sfar, op. cit., p. 41-44.Retour

[ 27] Nöldeke, Remarques critiques sur le style du Coran, Paris (traduction), 1953 ; J. Burton, « Lin-guistics errors in the Qur’ān », JSS, 33 (1988), p. 181-196 ; Larcher, « Qu’est-ce que l’arabe du Coran ? », art. cit., p. 39-40.Retour

Résumé

Loin d’être un texte fixé une fois pour toute, le Coran a une histoire faite d’évolutions, de relectures et de corrections. L’auteur présente séparément la conception musulmane de la façon dont le Coran est venu au jour, et les manières dont la critique occidentale la conçoit.

Voir également:

Entretien avec Edouard-Marie Gallez sur les origines de l’Islam

23 novembre 2006

Q; La question des origines de l’islam est une question tabou. Aussi curieux que cela puisse paraître, les chercheurs occidentaux, même marxistes ou athées, s’en sont tenus souvent à la légende musulmane d’un Mahomet, qui, partant de Jérusalem, est monté au ciel. Edouard-Marie Gallez vient de soutenir une longue thèse (1000 pages) où il fait le point de tout ce que la recherche vraiment scientifique sait des origines de l’Islam mais aussi sur les textes de la mer Morte (Le Messie et son prophète. Aux origines de l’Islam, 2 tomes, éditions de Paris, 2005, tome 1 : De Qumrân à Muhammad, 524 pages/tome 2 : du Muhammad des Califes au Muhammad de l’histoire, 582 pages). Il propose, après plusieurs grands chercheurs, d’explorer de manière systématique la piste de l’origine judéo-chrétienne de l’Islam. De recoupements en découvertes, on peut dire que son travail s’impose à la considération de toute la communauté scientifique.

Plusieurs chercheurs évoquent les origines judéo-chrétiennes de l’islam…

R; La qualification de « judéo-chrétienne » pour cette « secte » est abusive : il faudrait parler d’une « secte ex-judéo-chrétienne », car c’est dans un contexte de rupture que se situe son rapport avec le judéo-christianisme originel. J’ai tenté de décrire le mieux possible cette secte, qui, depuis des siècles, axait sa vision du monde et du salut sur le retour du Messie ; les textes trouvés dans les grottes de la mer Morte contribuent fortement à cette compréhension. Il s’agissait d’un retour matériel, d’un avènement politique du Messie, non d’une Venue dans la gloire comme la foi chrétienne l’enseigne…

Q; Nous allons revenir tout à l’heure sur cette secte apocalyptique, à laquelle votre travail confère, patiemment, sa véritable physionomie, pour mieux éclairer l’origine de l’Islam. Mais quel est le but de celui que nous appelons Mahomet, déformation de l’arabe Muhammad en passant par le turc ? Est-il vraiment conscient de fonder une religion ?

R; Pour cela, il aurait fallu qu’une religion nouvelle ait été fondée ! La question de l’Hégire permet d’entrevoir immédiatement ce qui s’est passé. L’Hégire ou Émigration à l’oasis de Yathrib situé en plein désert est un événement très significatif de la vie du Mahomet historique. On sait que, très rapidement, cette année-là – 622 semble-t-il – a été tenue pour l’an 1 du calendrier du groupe formé autour de Mahomet (ou plutôt du groupe dont il était lui-même un membre). Or, la fondation d’un nouveau calendrier absolu ne s’explique jamais que par la conscience de commencer une Ère Nouvelle, et cela dans le cadre d’une vision de l’Histoire. Quelle ère nouvelle ? D’après les explications musulmanes actuelles, cette année 1 se fonderait sur une défaite et une fuite de Mahomet, parti se réfugier loin de La Mecque. Mais comment une fuite peut-elle être sacralisée jusqu’à devenir la base de tout un édifice chronologique et religieux ? Cela n’a pas de sens. Si Mahomet est bien arrivé à Yathrib – qui sera renommé plus tard Médine – en 622, ce ne fut pas seulement avec une partie de la tribu des Qoréchites, mais avec ceux pour qui le repli au désert rappelait justement un glorieux passé et surtout la figure de la promesse divine. Alors, le puzzle des données apparemment incohérentes prend forme, ainsi que Michaël Cook et d’autres l’on entrevu. Le désert est le lieu où Dieu forme le peuple qui doit aller libérer la terre, au sens de ce verset : « Ô mon peuple, entrez dans la terre que Dieu vous a destinée » (Coran V, 21). Nous sommes ici dans la vision de l’histoire dont le modèle de base est constitué par le récit biblique de l’Exode, lorsque le petit reste d’Israël préparé par Dieu au désert est appelé à conquérir la terre, c’est-à-dire la Palestine selon la vision biblique. Telle est la vision qu’avaient ceux qui accompagnaient et en fait qui dirigeaient Mahomet et les autres Arabes vers Yathrib en 622. Et voilà pourquoi une année 1 y est décrétée : le salut est en marche. Dans l’oasis de Yathrib d’ailleurs, la plupart des sédentaires sont des « juifs » aux dires mêmes des traditions islamiques. Et pourtant les traditions rabbiniques ne les ont jamais reconnus comme des leurs : ces « juifs » et ceux qui y conduisirent leurs amis arabes sont en réalité ces “judéochrétiens” hérétiques, qui vous évoquiez à l’instant. Ils appartenaient à la secte de « nazaréens » dont on a déjà parlé à propos de la sourate 5, verset 82.

Q; Je ne saisis pas encore l’ampleur de cette question d’un judéo-christianisme sectaire ou hérétique à l’origine de l’islam. Les traditions musulmanes ne présentent pas du tout La Mecque comme une ville ayant abrité une communauté juive.

R; Effectivement. Ils n’en venaient justement pas, pour plusieurs raisons péremptoires dont la plus immédiate est qu’ils venaient d’ailleurs : de Syrie. Car c’est là qu’avant l’Hégire, s’était jouée “la première partie de la carrière de Mahomet”, comme l’écrit si joliment Patricia Crone, qui démontre également et surtout beaucoup d’autres choses concernant La Mecque. Mais pour nous en tenir à la Syrie, c’est bien là qu’ont commencé l’endoctrinement et l’enrôlement des premiers Arabes, au cours de la génération qui a précédé Mahomet, c’est-à-dire au temps de son enfance. On pourrait encore aller voir les lieux où Mahomet a vécu, ils sont connus des géographes modernes et même de certains anciens, comme par exemple le lieu-dit “caravansérail des Qoréchites”, c’est-à-dire rien de moins que la base arrière de sa tribu, adonnée au commerce caravanier – Mahomet lui-même participa à ces caravanes, dans sa jeunesse, ainsi que les traditions nous l’indiquent sans qu’il existe la moindre raison d’en douter. Et sur une carte toponymique (voir à la page 278 du volume deux de mon ouvrage), vous pouvez repérer d’autres noms de lieux très significatifs également puisqu’on les retrouve à La Mecque : ce même nom, La Mecque justement, se trouve en Syrie ; de même Kaaba, ou encore Abou Qoubays – qui est le nom de la montagne renommée jouxtant La Mecque en Arabie -…

Q; Est-ce que vous voulez dire qu’il y a eu plus tard un transfert vers La Mecque de ces appellations syriennes, dont le but aurait été d’occulter ce passé syrien et « juif » de la tribu de Mahomet, les Qoréchites ?

R; Oui, c’est bien ce qui est advenu plus tard ; Antoine Moussali avait déjà observé ce phénomène à propos du Coran, en parlant des manipulations subies par son texte et destinées elles aussi à effacer le passé.

Nous y reviendrons, mais restons-en à l’Hégire de 622 et à l’année 1 de l’entrée dans une ère qui, en toute logique, doit être nouvelle pour toute l’Humanité. Ce que la Bible appelle la « terre » et invite à conquérir, c’est seulement la Palestine. Quel rapport y a-t-il alors avec un programme de conquête qui viserait le monde entier ? Ce rapport tient précisément à l’idéologie des « nazaréens ». Ces derniers ne sont pas des « juifs » de l’Ancien Testament (qui auraient alors sept siècles de retard), mais d’ex-judéo-chrétiens bien de leur temps. Dans leur vision de l’Histoire, la reconquête de la Terre d’Israël est liée à la venue de l’Ère Nouvelle. Elle est une étape. Une étape indispensable au Salut. Régis Blachère a bien compris que cette « terre que Dieu vous a destinée » (S. V, 21) désigne la Palestine, et il en est ainsi 18 autres fois du mot « terre » dans le Coran. Et tel fut bien le but poursuivi par l’expédition des guerriers de Mahomet dès l’année 629, un fait connu des historiens mais habituellement passé sous silence dans les articles pour le grand public, alors qu’il s’agit de la seule donnée de la vie de Mahomet qui soit à la fois totalement sûre et bien datée. En cette année-là, à la tête de ses troupes, Mahomet est battu par les Byzantins (qui s’appelaient encore Romains) à l’est du Jourdain, à Mouta. C’est évidemment là qu’on l’attendait, puisque selon l’image biblique de la libération de la Terre, il faut nécessairement passer le Jourdain. C’est après sa mort c’est-à-dire seulement neuf ans plus tard que ‘Oumar entrera finalement dans Jérusalem, alors que le pays était déjà sous contrôle depuis quatre années – seule Jérusalem résistait encore. Pour tous ces gens, la prise de la Palestine et de la Ville apparaît alors comme le gage de la conquête du monde. Sophrone, le Patriarche de Jérusalem, l’avait bien compris puisqu’il écrivit en 634 déjà dans un sermon sur le baptême que les Arabes « se vantent de dominer le monde entier, en imitant leur chef continûment et sans retenue ». C’est une telle perspective, beaucoup plus large que celle de la seule Terre d’Israël, qui est exprimée dans la Sourate VII : « la terre appartient à Dieu, il en fait hériter qui il veut parmi ses créatures et le résultat appartient aux pieux » (v. 128)

Q; Comment des Arabes ont-ils été entraînés dans ce long effort de guerre ? On peut penser que l’appât du butin, dont parle par exemple le verset 20 de la sourate 48, ait constitué un motif, mais était-ce suffisant ? Comment pouvaient-ils entrer dans des visions religieuses de l’Histoire ?

R; Il s’agit au départ lorsque commence l’aventure de Mahomet, d’Arabes chrétiens – ils sont, vous ai-je dit, ces « associateurs » dont parle le texte coranique -, même s’ils sont baptisés depuis peu. Leur conversion au christianisme fut en particulier le fruit des efforts de l’Église jacobite qui va même aménager pour eux des lieux-églises en plein air. Un signe de cette conversion ? Au début du VIe siècle, les Qoréchites étaient encore connus pour être d’abominables pillards sévissant du côté de la Mésopotamie ; et voilà qu’à la fin de ce même VIe siècle, au temps de l’enfance de Mahomet, ce sont de pacifiques caravaniers, spécialistes du transport depuis la façade syrienne de la Méditerranée vers la Mésopotamie et l’Asie. Entre-temps, ils étaient devenus chrétiens, et c’est bien à des chrétiens que s’adressent les harangues de l’auteur des feuillets coraniques primitifs.

Q; Comme chrétiens, ils étaient donc déjà habitués à une certaine vision de l’Histoire…

R; Oui, ils avaient conscience que le Salut a une histoire, racontée dans la Bible. Avec la prédication protoislamique, ils découvrent qu’ils sont des fils d’Abraham selon les commentaires juifs du chapitre 25 de la Genèse. Il n’est même pas écrit dans la Bible qu’Ismaël est leur ancêtre ! René Dagorn a bien montré que cette légende des apocryphes juifs était inconnue ou, du moins, indifférente aux Arabes chrétiens de l’époque de Mahomet. Or c’est là-dessus que les « nazaréens » vont jouer. À la suite de Ray A. Pritz qui a formé le néologisme, appelons cette secte judéo-chrétienne autour de laquelle nous tournons, par la dénomination non équivoque de « judéo-nazaréens ». L’appellation simple de « nazaréens » porte à équivoque nous l’avons vu tout à l’heure puisque c’est d’abord la première appellation des chrétiens, vite abandonnée. Ces judéo-nazaréens sont habiles. Ils ont compris que sans l’aide d’Arabes, qui forment la réserve militaire d’appoint, autant pour l’Empire byzantin que pour celui des Perses, ils ne parviendraient jamais à prendre et garder Jérusalem. Pour faire advenir l’Ère messianique qu’ils attendaient, ils eurent l’idée de circonvenir les Arabes au nom de la descendance d’Ismaël, en étendant à eux les promesses de domination universelle que l’on trouve dans leurs livres apocalyptiques, par exemple dans le IVe livre d’Esdras où l’on peut lire : « Seigneur, tu as déclaré que c’est pour nous que tu as créé le monde. Quant aux autres nations, qui sont nées d’Adam, tu as dit qu’elles ne sont rien (…) Si le monde a été créé pour nous, pourquoi n’entrons-nous pas en possession de ce monde qui est notre héritage ? » (VI, 55 sq). Et plus loin, dans le même texte, voici une formule qui nous renvoie tout naturellement au texte de la Sourate VII que nous venons de citer, sur la terre qui appartient aux pieux : « Cherche à savoir comment seront sauvés les justes, à qui appartient le monde et pour qui il existe, et à quelle époque ils le seront » (IX, 13b).

Q; Il y a un drôle de mélange entre religion et stratégie politique…

R; Et plutôt payant. Les deux Empires de l’époque, les Grecs byzantins et les Perses sassanides, sont épuisés par des querelles internes et par les campagnes militaires montées l’un contre l’autre. C’est d’ailleurs dans ce cadre que se comprend l’Hégire, selon l’année probable : ceux qui quittent la Syrie en 622 pour le désert n’avaient sans doute pas envie de rencontrer les armées d’Héraclius, qui commençait la reconquête de l’Est de son Empire pris huit ans plus tôt par les Perses. Les campagnes avaient alors lieu l’été, puis on se donnait rendez-vous pour l’année suivante. En 628, les Perses finissent par être complètement battus, et l’on peut penser que certains stratèges liés aux Perses, arabes ou non, rejoignirent alors Yathrib pour se mettre au service du projet que montent les judéo-nazaréens et leurs alliés arabes autour de Mahomet. Mais l’expédition de 629 est un échec, comme on l’a vu. Manifestement, certains passages du Coran témoignent du souci que l’auteur eut alors de remonter le moral des troupes, et l’un d’eux évoque clairement cet épisode (S. XXX, 1-5 selon la voyellisation correcte rétablie par Blachère).

Q; Plus encore que les circonstances favorables, ce qui est important, dites-vous, c’est la vision de l’Histoire et du salut qui fit l’unité entre les différents partenaires du projet. Nous n’en avons pas encore beaucoup parlé. Cette vision présente certains aspects intemporels que l’on pourrait retrouver aujourd’hui…

R; Il faut en dire un peu plus en effet. Dans cette vision, le salut n’est pas spirituel, il ne passe pas par une réforme intérieure que l’on nomme conversion. C’est un salut qui doit se réaliser au niveau de la société. Là où Jésus a parlé (rarement) de l’opposition entre les fils de ténèbre et les fils de lumière, ils imaginent une vision du monde où des appartenances communautaires distinguent et séparent ces deux groupes. D’un côté, il y a le Parti de Dieu, et de l’autre le reste de ceux qui, forcément, sont contre Dieu, ne serait-ce qu’à cause de leur ignorance. Cette manière de voir est toujours fondamentalement celle de l’Islam, qui ne peut concevoir le monde autrement que comme un affrontement du Dâr al-islâm, le domaine où l’Islam est instauré comme loi du pays et où les non musulmans sont soumis, et le Dâr al-harb ou domaine de la guerre c’est-à-dire les pays et institutions à conquérir puisque Dieu les a donnés aux musulmans. Mais ce furent d’abord les judéo-nazaréens qui cultivèrent cette idéologie en nourrissant ces prétentions conformément à ce qu’on lit dans leurs livres, on l’a vu précédemment. Notons que, au temps du communisme, les sectateurs de cette idéologie avaient une vision très semblable du monde, divisé dialectiquement entre monde socialiste et monde à conquérir. Le pire, c’est que tous ces gens croient sincèrement sauver le monde puisqu’ils pensent détenir la recette de son salut. Or, l’importance d’une telle fin justifie les moyens : que vaut la vie d’un homme, ou celle de quelques millions d’hommes, si le salut du monde est en jeu ? C’est là où se trouve la perversion totale de ces idéologies capables de transformer des hommes paisibles et pacifiques en assassins, comme on le voit toujours en de nombreux pays. Cette perversion tire sa force du christianisme. Simplement, celui-ci est contrefait. C’est le petit détail qui change tout, et qui passe parfois inaperçu du plus grand nombre (et par fois aussi de certains intellectuels). On connaît mal les guerres que firent Mahomet et Umar au départ de Yathrib pour soumettre toutes les tribus arabes à leur portée, mais les traditions musulmanes évoquent la ruse, la férocité, les meurtres. Les Arabes sont unis dans le projet de prendre Jérusalem et d’y reconstruire le Temple, qui sera « le Troisième », ainsi qu’il est annoncé dans les apocryphes messianistes des judéo-nazaréens. Ce qu’on appelle « le deuxième Temple » est celui qui avait suivi l’exil et qui, en fait, a été rebâti par Hérode le Grand et détruit en 70 par les Romains de Titus alors même qu’il était enfin terminé.

Q; Vous n’êtes pas en train de me dire que les Arabes ont reconstruit le Temple juif à Jérusalem ?

R; Les sources que nous possédons s’accordent pour dire que, dès que Jérusalem est prise, « la Maison » est relevée ; et qu’il s’agit d’un cube ! Selon certains témoignages que je reprends dans mon livre, cette reconstruction aurait d’abord été le fait de « juifs » avant d’être celui des Arabes. On peut comprendre que les observateurs non avertis ne comprenaient bien ni ce qui se passait, ni qui exactement tirait les ficelles. En fait, c’est une espérance exprimée dans la sourate II qui, pour ainsi dire, se réalisait là : « Abraham (figurant les juifs et les Arabes unis) relèvera les assises (qui restent) de la Maison avec [l’aide d’]Ismaël. (figurant les Arabes) » (II, 127). Personne ne sera étonné d’apprendre que le cube hâtivement élevé avait les dimensions exactes du cœur du temple d’Hérode – il constitue la véritable « mosquée de Umar », l’octogone que l’on voit aujourd’hui l’ayant remplacée à la fin du VIIe siècle tout en gardant une dimension extérieure égale à celle du cube. Une source dit que Umar fit un sacrifice devant cette Maison relevée, ce qui nous renvoie évidemment aux sacrifices anciens faits au Temple, mais sans doute aussi aux pratiques judéo-nazaréennes dont l’Islam a d’ailleurs hérité vaguement au moins dans le rite du sacrifice du mouton lors de l’aïd el-kébîr ou dans l’interdiction du vin et de l’alcool en général.

Q; Justement, existe-t-il des données permettant d’établir, au-delà des similitudes doctrinales entre le proto-islam et le judéo-nazaréisme, le sens de la collaboration de ces deux forces au moment de la prise de Jérusalem en 638 ? Quelle idée peut-on avoir des relations qui avaient existé entre Mahomet et ces judéo-nazaréens nourris de pensée eschatologique et apocalyptique ?

R; Il est clair que les juifs qui entouraient Mahomet n’étaient pas des Juifs rabbanites. À ce sujet, il suffit d’entendre attentivement ce que les traditions islamiques ont à nous dire sur le personnage de Waraqa. J’en profite pour dire que son rôle a dû être si important qu’il n’a pas pu être effacé, alors que tant de témoignages islamiques anciens, écrits ou non, disparaissaient – en fait tous ceux qui sont antérieurs à la biographie normative de Ibn Hichâm, composée et imposée deux siècles après la mort de Mahomet : c’est seulement par des citations que l’on connaît quelque chose des écrits antérieurs, qui furent systématiquement détruits. Or, ce qui est dit de ce Waraqa est hautement révélateur, comme l’indique le dossier quasiment exhaustif réuni par Joseph Azzi sur ce personnage. On le présente comme un cousin de Khadidja, la première femme de Mahomet, ou parfois comme un cousin de celui-ci. Il pourrait être les deux, ce qui est même très vraisemblable. Il bénit leur mariage, et pour cause : il est dit « prêtre nasraniyy », ce qu’il ne faut pas traduire par prêtre chrétien mais bien par prêtre nazaréen. Nous l’avons vu, les judéo-nazaréens comptaient des prêtres parmi eux, très probablement des descendants de la tribu de Lévi ; et il y avait des consacrés hommes – ceux que le Coran nomme “moines” et qui sont dits se lever la nuit pour réciter des psaumes (III, 113 ; IV, 163 ; V, 82 ; XVII, 55.78 ; LXX, 20) -, ce qui est à comprendre dans une perspective eschatologique et guerrière : le salut du monde vaut que l’on s’y consacre totalement. De Waraqa, le commentateur Al-Buhari (mort en 870) donne la présentation suivante : « Cet homme, qui était cousin de Hadidja du côté de son père avait embrassé le nazaréisme avant l’apparition de l’islam. Il savait écrire l’hébreu et avait copié en hébreu toute la partie de l’Évangile que Dieu avait voulu qu’il transcrivît ». Il est de la tribu arabe des Qoréchites, mais « il est devenu nazaréen ». Il constitue donc un pont entre les deux peuples. Al Buhari a encore cette parole à la fois énigmatique et révélatrice : « Lorsque Waraqa est décédé, la révélation s’est tarie ». À l’époque, il n’est pas question du tout de « révélation », sinon de traductions en arabe des écrits judéo-nazaréens (comme par exemple quand le texte coranique évoque les « feuilles d’Abraham » – celles de Moïse étant tout simplement la Torah c’est-à-dire les cinq premiers livres de la Bible). Les feuillets coraniques les plus anciens seraient-ils de lui ? Pas nécessairement, car les feuillets sont des écrits de circonstance – essentiellement de propagande -, alors qu’il est plutôt dit le traducteur de textes beaucoup plus important. Dans l’avenir, la recherche y verra sans doute plus clair sur ces points. En tout cas, il ne dut pas être le seul à écrire pour les Arabes « devenus nazaréens »… ou à convaincre de le devenir ! Christoph Luxenberg a montré le substrat araméen qu’il fallait quelquefois supposer pour lire correctement – c’est-à-dire en corrigeant parfois le diacritisme – certains versets coraniques particulièrement obscurs ; il n’y a là rien d’étonnant si l’on pense que la langue maternelle du ou des auteurs est le syro-araméen, la langue habituelle des judéonazaréens. Ce qui est dit également dans les traditions islamiques de Zayd, qui aurait appris l’hébreu et l’écriture dans les écoles juives, est également très révélateur, même si c’est approximatif : ce « juif » de Yathrib a joué un certain rôle dans l’élaboration du proto-islam, qui était encore le pendant arabe très peu autonome du judéonazaréisme. Il faudrait mentionner encore les inscriptions qu’on dit, faute de mieux, « judéoarabes » et que l’on a trouvées il y a quelques années dans le désert du Neguev (sud d’Israël) ; Alfred-Louis de Prémare les a finement analysées. Il s’agit d’invocations en arabe adressées par exemple au Dieu de Moïse et de Jésus, et elles datent de l’enfance de Mahomet. Par comparaison, rien de tel n’existe dans la région mecquoise, et d’autant moins que ni cette écriture ni cette langue arabe n’y étaient employées.

Q; Il est impossible d’évoquer tout ce que l’on trouve dans votre livre. Il révèle la figure historique de Mahomet, il montre qu’il faut le considérer surtout comme celui qui a réussi à unir plusieurs tribus arabes autour du projet judéo-nazaréen de la « conquête de la terre ». Pouvez-vous préciser davantage encore quelle était la croyance de ces judéo-nazaréens ?

R; Les judéo-nazaréens reconnaissaient Jésus non pas comme le Fils de Dieu venu visiter son peuple – pour reprendre une manière de parler très primitive -, mais seulement comme le Messie suscité par Dieu. Ce n’est pas de sa faute si ce dernier n’a pu établir le Royaume de Dieu : les Grands-Prêtres se sont opposés à lui et vont même vouloir le tuer. Mais Dieu ne pouvait permettre que son Messie fût crucifié, Il l’enlève donc à temps au Ciel, et c’est une apparence – un autre homme ou une illusion – qui est clouée sur la croix à sa place. Divers textes apocryphes disent cela bien avant le Coran (IV, 157), et certains imaginent même que c’est Simon de Cyrène, celui qui avait aidé Jésus à porter sa croix, qui se retrouve dessus par erreur. L’important, c’est que Jésus, lui, soit gardé “en réserve” au Ciel. Mais il ne peut redescendre que lorsque le Pays sera débarrassé de la présence étrangère et que le Temple sera rebâti par les vrais croyants. Pour que le salut du monde advienne, la recette est donc évidente : il suffira de prendre Jérusalem – qui doit devenir la capitale du monde – et de reconstruire le Temple. Le « Messie-Jésus » – une expression gardée dans le Coran que nous avons – imposera alors le Royaume de Dieu sur toute la terre. Là, on est loin des messianismes antérieurs à notre ère, qui étaient simplement nationalistes et religieux.

Q; Dans le premier volume de votre ouvrage, vous écrivez comme une histoire de ce messianisme politique, qui change de nature au début de l’Ère chrétienne…

R; L’insurrection de 66 qui conduisit à la ruine du Temple en 70 n’était plus simplement nationaliste, quoique son idéologie soit mal connue : Flavius Josèphe est la seule source qui aurait pu nous l’expliciter mais il glisse sur le sujet (il y a été impliqué lui-même). Cependant, on peut penser à un mélange de messianisme nationaliste et d’eschatologie « mondialiste » où le message judéo-chrétien, déformé, n’est pas étranger. Les sources sont plus claires à propos de la seconde insurrection judéenne, qui s’étendit de 132 à 135 ; celle-là est explicitement messianiste, et inspirée par un certain Aqiba qui est en fait un ex-judéo-chrétien devenu « Rabbi », et qui est connu pour son anti-christianisme. On voit bien à quel courant de pensée il puise ses délires destructeurs. On en a parlé précédemment, c’est à la suite de la destruction du Temple de 70 que l’idéologie judéo-nazaréenne se structura en vision cohérente du Monde et de l’Histoire, construite sous l’angle de l’affrontement des « bons » et des « méchants », les premiers devant être les instruments de la libération de la Terre. Le recoupement des données indique que c’est en Syrie, chez les judéo-chrétiens qui refusèrent de rentrer en Judée après 70 et réinterprétèrent leur foi, que cette idéologie de salut – la première de l’Histoire – s’est explicitée.

Q; Vous ne vous contentez pas de collationner les événements, vous proposez une histoire des doctrines, ou plutôt un schéma explicatif, qui s’applique de manière pertinente jusqu’à nos jours ou presque ?

R; Je crois pouvoir dire en effet que cette manière de réinterpréter l’attente de la manifestation glorieuse du Messie est à l’origine de tous les messianismes « modernes » même s’ils l’ont oublié depuis longtemps ; car il s’agit d’une explication de l’Histoire où l’initiative n’appartient plus vraiment à Dieu mais à l’homme. La recette de l’accomplissement de l’Histoire est fournie : « La Terre appartient aux pieux ». Ceux qui la possèdent sont donc les sauveurs du monde, et Dieu n’a plus grand-chose à faire dans cette Histoire où la victoire finale des « bons » est pour ainsi dire programmée et inscrite : les explications déterministes modernes trouvent là leur source. Ce que d’aucuns appellent le fatalisme musulman est un autre aspect de ce déterminisme, mektoub. Mais attention : la « foi » – religieuse ou non – en ce déterminisme n’entraîne pas nécessairement la passivité ; elle peut entraîner aussi bien l’activisme, au sens où l’on se croit investi d’une mission de Dieu qui place au-dessus des autres hommes ; le Coran expose cette idée (par exemple III, 110) mais, « Dieu » mis à part, elle a également été celle des militants marxistes. Pour en revenir à l’attente judéonazaréenne du Messie-Jésus, je ne vous apprendrai rien en disant qu’il n’est pas redescendu du Ciel en 638. En 639 non plus. En 640, l’espérance de le voir redescendre du Ciel apparut clairement être une chimère. C’est la crise.

Q; Est-ce lorsque cette espérance est déçue que Umar et ses Arabes se retournèrent contre les judéonazaréens ? Je pense aux massacres de juifs que la biographie officielle de Mahomet lui attribue : n’est-ce pas un exemple de la tendance à faire endosser à la figure du Prophète de l’Islam des actes ou des décrets postérieurs que l’on veut légitimer ?

R; Je le pense également. Il est invraisemblable que Mahomet ait massacré des juifs rabbanites (orthodoxes ndlr), dont les judéo-nazaréens aussi bien que leurs alliés Arabes avaient besoin de la neutralité, au moins. Mais après 640, on imagine aisément que Umar puis son successeur Uthman aient voulu se défaire d’alliés devenus encombrants. Ironie de l’histoire : les « fils d’Israël » – au moins leurs chefs – sont massacrés par ceux qu’ils avaient eux-mêmes convaincus d’être les « fils d’Ismaël » ! En fait, le problème se posait aux Arabes de justifier d’une manière nouvelle le pouvoir qu’ils avaient pris sur le Proche-Orient. C’est dans ce cadre qu’apparut la nécessité d’avoir un livre propre à eux, opposable à la Bible des juifs et des chrétiens, et qui consacrerait la domination arabe sur le monde… et qui contribuerait à occulter le passé judéo-nazaréen.

Q; Parlez-nous un peu des origines du Coran…

R; Le Calife basé à l’oasis de Médine ne disposait, en fait de « textes » en arabe, que des papiers que les judéo-nazaréens y avaient laissés. Même si l’on y ajoute les textes plus anciens laissés en Syrie, cela ne fait pas encore un choix énorme. Et il fallait choisir, dans la hâte, des textes répondant aux attentes des nouveaux maîtres du Proche-Orient ! Autant dire que, quel qu’il fût, le résultat du choix ne pouvait guère être satisfaisant, même si on choisissait les textes présentant le moins d’allusions au passé judéonazaréen. C’est ainsi que les traditions musulmanes ont gardé le souvenir de « collectes » ou assemblages du Coran divergents entre eux et concurrents – parce qu’ils fournirent évidemment à des ambitieux l’occasion de se pousser au pouvoir. Umar fut assassiné. Son successeur également, et il s’ensuivit une véritable guerre intra-musulmane, aboutissant au schisme entre « chiites » et « sunnites ». Quant aux textes assemblés dans ce qu’on nomma le « Coran », ils continuèrent d’être adaptés à ce qu’on attendait d’eux, dans une suite de fuites en avant : apporter des modifications à un texte, c’est souvent se condamner à introduire de nouvelles pour pallier les difficultés ou les incohérences induites par les premières, etc. Un texte ne se laisse pas si facilement manipuler. Surtout qu’il faut chaque fois rappeler les exemplaires en circulation,les détruire et les remplacer par des nouveaux – ce dont les traditions musulmanes ont gardé le souvenir et situent jusqu’à l’époque du gouverneur Hajjaj, au début du VIIIe siècle encore ! Quand il devint trop tard pour le modifier encore en ses consonnes, sa voyellisation puis son interprétation furent à leur tour l’objet d’élaborations (parfois assez savantes). Ainsi, à force d’être manipulé, le texte coranique devint de plus en plus obscur, ce qu’il est aujourd’hui. Mais il était tout à fait clair en ces divers feuillets primitifs c’est-à-dire avant que ceux-ci aient été choisis pour constituer un recueil de 114 parties – le même nombre que de logia de l’évangile de Thomas, nombre lié aux besoins liturgiques selon Pierre Perrier.

Voir encore:

Les origines de l’Islam

Idéologies Erreurs – Fausses mystiques

André Frament

04 Octobre 2011

L’AFS va rééditer l’étude remarquable faite par Édouard Pertus : Connaissance élémentaire de l’islam. Ce document donne dans son chapitre III, l’origine de l’islam telle que la légende musulmane l’a inventée. En l’écrivant, l’auteur était conscient de ce que les travaux des chercheurs donneraient ultérieurement une histoire différente de la légende. Il avait dit

Les conclusions de ces recherches ne sont pas encore fermes ; de plus il est nécessaire de faire connaître ce que les musulmans croient, si l’on veut les comprendre et éventuellement leur parler.

Nous pensons utile de donner aujourd’hui un résumé des résultats obtenus depuis par la recherche historique.

Le résultat des études sur l’origine de l’islam

Les résultats des études récentes sur l’origine de l’islam ont été remarquablement complétées et synthétisées dans la thèse monumentale du P. Édouard Gallez : Le messie et son prophète. Aux origines de l’islam,[1] qui est devenue une référence incontournable. Ceux qui la liront auront intérêt et plaisir à lire ce livre, très accessible bien que scientifique.

I – Une histoire difficile à établir [2]

L’islam s’est répandu par des guerres de conquête victorieuses. Les écrits historiques musulmans, rédigés par des vainqueurs, présentent une vue partiale.

a) Les systèmes politiques fondés sur un corps d’idées ont utilisé leur pouvoir pour contrôler les idées et les écrits. L’empire islamique n’a pas échappé à cette règle.

b) De plus, les documents islamiques sur lesquels se fondent jusqu’ici la connaissance du premier islam et de la vie de Mohammed[3] ont été mis par écrit plus de deux siècles après la mort de Mohammed, et les documents antérieurs ont tous disparu.[4]

Comment faire pour surmonter cette difficulté ?

Les méthodes de l’exégèse se sont développées, la découverte de nouvelles sources de documentation écrite et l’utilisation de nouveaux outils ont permis de surmonter cette difficulté.

a) Les méthodes d’analyse des textes anciens, développées depuis 1850 en Europe, ont été appliquées aux écrits juifs et chrétiens, elles le sont maintenant aux écrits musulmans.

b) Des textes en grec, latin, hébreu, arménien, géorgien, syriaque et persan ont été recherchés, retrouvés et traduits. Ils donnent, sur les débuts de l’islam, des informations datant de 10 à 30 ans après les faits, et parfois même sont contemporains des faits décrits.

c) Les outils historiques ont été développés, ou ont connu un usage plus large. Ils permettent de compléter les documents historiques quand ils sont peu nombreux. Ce sont l’onomastique[5], la toponymie[6], l’épigraphie[7], la linguistique[8], la numismatique[9] et l’archéologie. Ils ont apporté une moisson de résultats qui éclairent l’histoire de Mohammed et celle du premier islam.

Considérons donc d’abord ce qui a précédé l’islam, avant de voir ce qui a pu être historiquement établi sur la vie de Mohammed et enfin ce qui semble avoir suivi sa mort.

II – La recherche d’un pré-islam

D’après la théologie musulmane, Mohammed, venant à la suite d’une longue suite de prophètes, n’aurait fait qu’un « rappel », rendu nécessaire parce que les hommes oublient. On peut donc penser que des révélations faites aux prophètes prédécesseurs de Mohammed ont du laisser des traces. D’autre part, des historiens pensent que les nouveaux systèmes d’idées se développent à partir d’ébauches antécédentes.

Quelle que soit l’hypothèse choisie, il a dû exister une sorte de pré-islam qu’il est intéressant de rechercher.

La trace des apports antérieurs

De fait, certaines idées présentes dans l’islam d’aujourd’hui sont également présentes dans les sectes millénaristes et messianiques du Proche Orient, aux premier et deuxième siècles de notre ère. Voir comment ces idées ont cheminé dans cette région du monde a donné un éclairage supplémentaire.

Dans le Coran, Myriam, sœur d’Aaron, et Marie, mère du Christ, est une seule et même personne, alors que 1.200 ans les séparent. La Trinité, formée pour les chrétiens du Père, du Christ et du Saint-Esprit, est déclarée dans le Coran formée, du Père, du Christ, et de Marie. Ces éléments, et d’autres de la sorte, font penser que le Coran est formé de plusieurs traditions différentes, comme on peut l’observer pour d’autres livres anciens.[10]

Le messianisme s’est formé dans la Palestine antique

Les messianismes juifs se sont formés en trois siècles, de 180 avant notre ère à 150 après. Leur théologie présente cinq idées centrales qui, durent encore de nos jours[11] :

· La première est celle d’une guerre menée pour des raisons théologiques.

· La seconde est celle d’émigration : les Justes devaient d’abord aller au désert, reproduisant l’Exode de Moïse au Néguev-Sinaï.

· La troisième idée était la conquête de Jérusalem.

· La quatrième était la libération complète de la Palestine juive.

· La cinquième était la conquête du monde entier.

Alors que les quatre premières étaient tout à fait générales dans les mouvements messianiques juifs, la dernière n’était acceptée que par une partie des adeptes. Les deux premières idées sont proches de celles de l’islam, et la cinquième reste un rêve que les musulmans ont poursuivi pendant quatorze siècles.

Les judéo-chrétiens

Le mot « judéo-chrétiens » ne veut pas désigner l’ensemble des juifs et des chrétiens, mais les membres de sectes nées dans les deux premiers siècles de notre ère. Ayant transformé des idées juives et des idées chrétiennes, ils ne sont plus ni juifs ni chrétiens. Pour eux, le Christ est un grand prophète, mais non un Dieu. Après avoir échappé à la crucifixion, il aurait été placé au ciel, en attendant de revenir pour mener une guerre de conquête mondiale, pour établir une société parfaite, où tous les justes seraient heureux, tandis que les injustes seraient esclaves ou serviteurs au service des justes.[12]

Le nazaréisme

La secte des nazaréens a concentré les adeptes et les idées des judéo-chrétiens. On la trouve attestée épisodiquement un peu avant le début de notre ère jusqu’à 80 ans après la naissance de l’islam[13]. Leur nom, araméen, signifie les aides (de Dieu : racine NZR), très proche de celui d’ansar qui signifie, en arabe (racine NSR), les aides (d’Allah).

Ils enseignaient qu’après avoir émigré au désert, conquis Jérusalem et reconstruit le Temple, le Christ reviendrait du ciel pour prendre la tête des armées nazaréennes et conquérir le monde.

Ils nommaient le Christ : « ‘Îsâ ». En dehors d’eux, seuls les musulmans le font.

· Waraqa [14]

Waraqa était un Koreichite de la tribu de Mohammed, devenu prêtre nazaréen un peu avant le début de l’islam. Il est décrit par les documents musulmans comme « un des chef et des guides des Koreichites ».

Quand il est mort, « la révélation s’est arrêtée »,[15] ce qui signifie pour un musulman que Mohammed n’a plus reçu de « communications de l’ange Gabriel ».

Mohammed a déclaré avoir vu Waraqa au paradis. Pour l’islam, seuls les musulmans vont au paradis. Or, Waraqa était nazaréen, Mohammed musulman, et Mohammed disait que tous deux étaient de l’unique bonne religion.

· Le nom des premiers disciples de Mohammed

Du vivant de Mohammed, et 15 ans après sa mort, les fidèles de Mohammed se donnaient le nom de mahgrâyê. Ce mot n’est pas un mot arabe mais araméen qui signifie les émigrés ; il n’a de sens que dans la théologie des nazaréens.

Dix à quinze ans après la mort de Mohammed, mahgrâyê a été traduit par muhâjirûn, (émigrés en arabe), et pour le demi-siècle suivant, dans l’usage courant, les convertis de Mohammed ont porté les deux noms.[16] Le terme « musulman » est apparu, vers 720 dans l’usage officiel, mais dans l’usage courant le mot araméen initial a longtemps été utilisé.

· Un émir nazaréen

En 644 eut lieu une controverse entre le patriarche jacobite Jean 1er et l’émir Amru bar Sa’d, [17] gouverneur de Homs, en Syrie, ancien compagnon de Mohammed. Le patriarche a rédigé leur discussion, et cet écrit nous est parvenu. [18]

L’émir, violemment anti-chrétien, s’efforça de convaincre le patriarche de se rallier à la religion de l’armée arabe, et d’entraîner avec lui ses ouailles. Il est remarquable que, dans tout le cours de la controverse, pas une fois l’émir ne mentionne ni le Coran, ni Mohammed, ni l’islam. Son but fut de convaincre le patriarche que le Christ était certes un prophète, mais pas Dieu. Il utilise les arguments des nazaréens, non ceux des musulmans.

· La chahada[19]

Sa forme première a pu être reconstituée à partir de graffiti et d’épigraphies arabes non officielles, presque toujours gravées sur pierre. Voici le texte : [20]

« Je témoigne qu’il n’y a de dieu que Dieu, pas d’associé à lui. »

Cette forme est nazaréenne. Entre 690 et 740, il y a deux attestations :

Mohammed est son prophète, et, le Christ est son prophète.

La forme actuelle de la chahada, il n’y a de dieu que Dieu, et Mohammed est son prophète ne devient exclusive que vers 735-740.

· Le nazaréisme est un pré-islam

Les nazaréens pratiquaient la circoncision, la polygamie limitée à 4 épouses, décrivaient un paradis où les élus trouveraient des aliments délicieux, des boissons agréables et des femmes. Toutes ces idées sont présentes dans l’islam.

De plus, un grand nombre de thèses, de conceptions, de dogmes nazaréens se retrouvent à l’identique dans l’islam d’aujourd’hui : ‘Îsâ, le nom de Jésus, le statut du Christ, les récits de l’enfance de Marie, la confusion entre Marie et Myriam, le statut des femmes, la Trinité formée du Père, du Christ et de Marie, la conception du paradis, le vin, interdit sur terre mais présent en fleuves entiers au paradis…

· Le mot « musulman »

Le mot musulman apparaît pour la première fois sur le Dôme du roc, en 691, il entre dans l’usage officiel vers 720, il est utilisé sur une monnaie pour la première fois en 768, et sur papyrus en 775 seulement. La recherche linguistique montre que les mots islam et musulman ne viennent pas de l’arabe, mais de l’araméen, la langue des nazaréens.

· L’origine du nom de Médine

Le nom de Médine, d’après les documents musulmans, viendrait de madina ar-rasul Allah, la ville du messager d’Allah. Cette étymologie en langue arabe est proposée par l’islam plus de 200 ans après les faits. Or, à l’époque, madina ne signifiait pas ville, mais région. Ville se disait qura. Des textes datant de 30 ans après les faits indiquent une autre étymologie, à partir de l’araméen, impliquant les nazaréens. Comme le relève Maxime Lenôtre [21] :

Edouard Marie Gallez … donne une raison … de l’opération du changement de nom de Yathrib en Médine. Mohammed n’a jamais prétendu être un prophète, mais un prédicateur… Aucun texte ni aucune inscription ne le désigne comme prophète avant l’extrême fin du VIIe siècle. La première attestation connue et fiable est une monnaie de 685. Or Médine signifierait « ville du Prophète » (Madinât al-nabî). Puisqu’il n’est pas question de « prophète » et qu’on ne débaptise pas une ville pour l’appeler ville tout court, il faut penser que les trois consonnes mdn, si elles ont parfois la signification de région … ne signifieraient pas « ville » en tant que nouveau nom de Yathrib. L’allusion biblique est alors évidente : il s’agit du nom de Modin – mdn – le lieu où prit naissance la révolte victorieuse des Macchabées contre l’occupant grec de la Palestine (Antiochus IV Epiphane) ; celle-ci aboutit à l’instauration d’un … royaume juif asmonéen (automne 134 à 63 avant notre ère), c’est-à-dire jusqu’à l’arrivée des Romains.

III – Mohammed

Les sources documentaires islamiques sont rares.

L’existence du Coran est attestée pour la première fois soixante-dix ans après la mort de Mohammed, et les traditions, qui décrivent la collecte et l’histoire des Corans, ne sont attestées que vers 750.

Comme dit précédemment, l’histoire personnelle de Mohammed a été rédigée deux siècles après sa mort, sur ordre califal, mais tous les documents qui ont servi de sources ont disparu. Pendant les deux premiers siècles de l’islam, la destruction des documents originaux relatifs au Coran a été faite ouvertement par les califes : les tout premiers documents originaux sur des supports de fortune, les notes d’Hafça, une des épouses de Mohammed, les Corans dissidents détruits par Hajjâj en 692, etc. Les notes de Fatima, la fille de Mohammed, ont disparu, ainsi que de nombreux documents cités dans des documents ultérieurs, mais dont on ne retrouve rien.

Les hadiths, (paroles ou actes de Mohammed), sont consignés dans des recueils mis par écrit deux siècles et demi après sa mort. Cinq recueils sont tenus pour authentiques par les érudits de l’islam.[22] Ils contiennent ensemble environ 20.000 hadiths.[23]

L’environnement

Les documents de la recherche historique sur Mohammed apportent des renseignements intéressants.

· La Mecque

L’ouvrage de référence sur l’origine de La Mecque est celui de Patricia Crone,[24] une islamologue danoise. Selon ses travaux :

a) Avant l’islam, aucun géographe de l’antiquité ne mentionne La Mecque, ni directement, ni indirectement, ni sous le nom de La Mecque, ni même sous un nom vaguement ressemblant.

b) D’après l’histoire califale, elle tirait sa subsistance du commerce international et des pèlerinages. Le commerce allégué n’est mentionné que dans les documents califaux. S’agissant d’un commerce international, on devrait en parler aussi dans les pays de destination, ce qui n’est jamais le cas.

Cela met gravement en doute l’existence même de La Mecque au temps de Mohammed et donc que ce soit là le lieu de sa naissance.

· Les Koreichites : toponymie et documents écrits

D’après les sources musulmanes sans divergence entre elles, et d’après les sources des peuples voisins, les Koreichites avaient leur commerce et leurs propriétés agricoles en Syrie et en Palestine. Il n’existe aucune attestation non musulmane, ni aucun ensemble d’attestations musulmanes sans divergences, indiquant une localisation dans la région de La Mecque actuelle.

La toponymie indique que les Koreichites vivaient en Syrie. On pourrait encore aller voir les lieux où Mahomet a vécu, ils sont connus des géographes modernes et même de certains anciens, comme par exemple le lieu-dit “caravansérail des Koreichites ”, c’est-à-dire rien de moins que la base arrière de sa tribu, adonnée au commerce caravanier – Mahomet lui-même participa à ces caravanes, dans sa jeunesse, ainsi que les traditions nous l’indiquent sans qu’il existe la moindre raison d’en douter. Et sur une carte toponymique,[25] on peut également repérer en Syrie d’autres noms de lieux très significatifs qu’on retrouve aujourd’hui autour de La Mecque actuelle : ainsi Kaaba, ou encore Abou Qoubays – qui est le nom de la montagne renommée jouxtant La Mecque actuelle en Arabie. De plus, même le nom de La Mecque, se trouve en Syrie…

Ces faits renforcent le doute précédent concernant l’existence de la Mecque actuelle lors de la naissance et de l’enfance de Mohammed.

· La culture religieuse

Il est très douteux que les Arabes du VIIe siècle soient des polythéistes étrangers aux traditions biblique ou chrétienne. Par leur commerce, ils sont, en effet, depuis plus de six siècles en contact avec des juifs et depuis six siècles en contact avec des chrétiens. Ils ne pouvaient pas ignorer la révélation judéo-chrétienne.

Dans le Coran, le terme censé désigner des polythéistes est celui de muškirûn qui, selon tous les auteurs des VIIIe et IXe siècles, signifie associateurs, (reproche sans cesse adressé aux chrétiens). Mais plusieurs versets attestent expressément la foi monothéiste de ces muškirûn supposés être des polythéistes.

· Le massacre des juifs

Aux dires des traditions islamiques, dans l’oasis de Yathrib, la plupart des sédentaires sont des « juifs ». D’après la Sira d’Ibn Hichâm, Mohammed aurait massacré une tribu juive de Yathrib, les Qorayza, expulsé et dépouillé deux autres, les Banou Nadir et les Qaynoqa.

Il n’existe aucune source non musulmane, ni littéraire, ni archéologique, ni épigraphique qui fasse état de ces trois tribus ; et les documents judaïques de l’époque qui détaillent les implantations juives au Proche-Orient ne mentionnent jamais Yathrib.

Les traditions rabbiniques ne les auraient donc jamais reconnues comme des leurs ? Alors ces « juifs » et ceux qui y conduisirent leurs amis arabes seraient alors probablement des “judéo-chrétiens” hérétiques, appartenant à la secte des «nazaréens» (cités dans la sourate 5, verset 82).

Les documents historiques sur Mohammed

D’après Théophile d’Edesse,[26] Mohammed est né et a vécu à Yathrib, plus tard renommé Médine par les musulmans.

De 614 à 622, Mohammed se joignit aux Perses qui avaient envahi la Palestine et battu les armées byzantines de l’empereur Héraclius.

· L’hégire

On sait que le calendrier des musulmans numérote les années à partir de l’hégire. Pourtant la fondation d’un nouveau calendrier absolu ne peut s’expliquer qu’avec la conscience de commencer une Ère Nouvelle, dans le cadre d’une vision de l’Histoire.[27] Quelle est cette ère nouvelle ? D’après les explications musulmanes, cette année 1 se fonderait sur une défaite et une fuite de Mohammed, parti se réfugier loin de La Mecque. Mais une fuite ne peut être sacralisée jusqu’à devenir la base d’un édifice chronologique et religieux.

Si Mohammed est bien arrivé à Yathrib – qui sera renommé plus tard Médine – en 622, ce ne fut pas seulement avec une partie de la tribu des Koraïchites, mais avec ceux pour qui le repli au désert rappelait justement un glorieux passé et surtout la figure de la promesse divine. Alors, le puzzle prend forme, ainsi que Michaël Cook et d’autres l’ont entrevu. Le désert est le lieu où Dieu forme le peuple qui doit aller libérer la terre, au sens de ce verset : « Ô mon peuple, entrez dans la terre que Dieu vous a destinée » (Coran V, 21). Nous sommes ici dans la vision de l’histoire dont le modèle de base est constitué par le récit biblique de l’Exode, lorsque le petit reste d’Israël, préparé par Dieu au désert, est appelé à conquérir la « terre », c’est-à-dire la Palestine selon la vision biblique. Telle est la vision qui dirigeait Mohammed et les autres Arabes vers Yathrib en 622. Et voilà pourquoi une année «1» y est décrétée.

Des documents contemporains de Mohammed indiquent qu’en 622 ce dernier disposait d’armées nombreuses, et non de quelques convertis désarmés. En cette même année, Héraclius revenait en vainqueur, et commençait la reconquête de la région. Les adeptes armés de Mohammed durent se replier pour éviter les représailles qu’Héraclius appliqua aux alliés locaux des Perses. Les troupes de Mohammed se rassemblèrent à Médine, la ville de leur chef.

L’hégire concernait non 70 convertis fuyant les Mecquois, mais plusieurs milliers de combattants évitant les armées d’Héraclius.

· Après l’hégire

Après 622, Mohammed continua à rallier les tribus arabes du nord et non celles de la région de La Mecque.

Le Pseudo-Sébéos[28], dix ans après les faits, indique que Mohammed ne parlait ni de l’ange Gabriel, ni de révélation, mais uniquement de la Tora telle que l’interprétaient les nazaréens.

En 629, les armées de Mohammed, cherchant à s’emparer de Jérusalem, furent battues à Muta, près de la pointe sud de la Mer Morte.

D’après une attestation de Jacob d’Edesse,[29] datant de 640, dix ans après les faits, (et non plus de 200 ans après, selon les attestations musulmanes), Mohammed effectuait à cette époque (630 donc) des raids dans la Palestine, et non une guerre contre les Mecquois.

En 634[30], quatre attestations différentes indiquent que Mohammed commandait en chef lors de la bataille de Gaza, où ses fidèles battirent les Byzantins. Avec Omar, les Arabes s’emparèrent de Jérusalem vers 637.

Il nous paraît incroyable aujourd’hui que des juifs et des musulmans aient pu collaborer pour rebâtir ensemble le Temple de Salomon sur l’Esplanade de Jérusalem. Pourtant, il y eut une époque, où pendant une quinzaine d’années environ, de 634 à 650, des Juifs et des Arabes collaborèrent, et construisirent ensemble un nouveau Saint des Saints du Temple de Salomon.

Pour Edouard-Marie Gallez, la séparation de ceux qui allaient devenir des musulmans d’avec les judéo-nazaréens surviendra après cette conquête de Jérusalem par Omar, et après la reconstruction d’un temple.

En effet, contrairement à l’attente judéo nazaréenne, le Messie-Jésus n’est pas redescendu du Ciel en 638. En 639 non plus. Et en 640, l’espérance de le voir redescendre du Ciel apparut clairement être une chimère. Au terme des quatre ans qui devaient le voir revenir, Jésus n’est pas revenu. C’est la crise. Les judéo-nazaréens, ou tout au moins leurs chefs devenus gênants, sont massacrés. S’impose alors la nécessité pour les Arabes de justifier leur action dans l’Orient et, selon le P. Gallez :

C’est dans ce cadre qu’apparut la nécessité d’avoir un livre propre à eux, opposable à la Bible des juifs et des chrétiens, qui consacrerait la domination arabe sur le monde… et qui contribuerait à occulter le passé judéo-nazaréen.

IV – La naissance de l’islam

Le changement de qibla

La « qibla » désigne la direction vers laquelle se fait la prière. Les adeptes de Mohammed prièrent d’abord en direction de Jérusalem, direction de la prière pour les juifs et pour les nazaréens. Ensuite ils prièrent en direction de la Mecque actuelle. L’usage initial de la direction vers Jérusalem fut expliqué par l’histoire de « Bouraq », [31] laquelle fait intervenir l’Esplanade du Temple. Or le Dôme du Rocher[32], bâti en 691 sur cette Esplanade, porte une inscription qui ne fait pas état de cette histoire.

Le changement de « qibla » s’est fait quand l’histoire « explicative » est apparue, après 691, et non du vivant de Mohammed.

Le mot musulman

Comme nous l’avons dit ci-dessus, le mot « musulman » apparaît sur le Dôme du Rocher en 691. Il n’entre dans l’usage officiel que vers 720 et est utilisé sur une monnaie en 768.

Ces signes, et quelques autres, manifestent un changement dans la religion des adeptes de Mohammed. Selon Gallez, ce changement est dû à la formation de l’islam.

Mohammed considéré comme prophète

Une pièce de monnaie frappée en 685 à Bishapur[33], représente la plus ancienne attestation disponible de Mohammed comme prophète. Pourtant le papyrus de Khirbet el Mird, vers 720, montre qu’à cette époque Mohammed n’inspirait aucun respect particulier.

Mohammed n’a été considéré comme le prophète fondateur que plus d’un siècle après sa mort.

V – La fixation des textes du Coran

Le Coran selon l’islam

D’après les théologiens musulmans, le Coran vient directement d’Allah, il n’a pas changé d’une seule lettre depuis qu’il a été mis par écrit, et sa langue est si somptueusement poétique qu’elle est inimitable par aucun humain. Mohammed l’a récité alors qu’il était analphabète. Avant que le monde ne soit créé, le Coran était déjà présent, ce que la théologie musulmane exprime en disant que le Coran est incréé.

Le Coran est en arabe depuis avant la fondation du monde parce qu’Allah parle arabe avec les anges.

Les difficultés de l’histoire califale du Coran

L’alphabet arabe ne comportait à l’époque de Mohammed que trois voyelles longues : a, i, u, et ne faisait pas la différence entre certaines consonnes. Cette écriture, nommée scriptio defectiva, est indéchiffrable, et ne peut servir que d’aide mémoire à ceux qui connaissent déjà le texte.

· La collecte des documents

C’est vers 650, que des collectes ont été faites pour constituer le Coran.

Le Coran a donc été primitivement écrit en scriptio defectiva. Vers 850, deux siècles après les collectes, des grammairiens perses qui ignoraient la culture arabe ont fait des conjectures pour passer en scriptio plena, afin de rendre le Coran compréhensible.

Cela n’a pas suffi. Il a fallu y ajouter d’autres conjectures sur le sens des passages obscurs, qui concernent environ 30% du Coran.

L’édition actuelle du Coran est celle du Caire, faite en 1926. Il a donc fallu 1 300 ans pour la mettre au point. C’est une traduction en arabe classique d’un texte qui est incompréhensible sous sa forme originale.

· Le Coran et l’araméen

À l’époque de Mohammed, l’arabe n’était pas une langue de culture, ni une langue internationale. Depuis plus de mille ans, dans tout le Proche Orient, la langue de culture était l’araméen. Les lettrés arabes, peu nombreux, parlaient en arabe et écrivaient en araméen. La situation était comparable à celle de l’Europe de la même époque, où les lettrés parlaient dans leur langue locale et écrivaient en latin.

Les difficultés du Coran s’éclairent si on cherche le sens à partir de l’araméen. Le Coran n’est pas écrit en arabe pur, mais en un arabe aussi chargé d’araméen que, par exemple, l’allemand est chargé de latin.

Les strates successives

· Des idées antérieures à l’islam sont dans le Coran.

Le manichéisme, religion née au troisième siècle, a fourni de nombreux concepts que l’on retrouve dans l’islam.

D’autres idées, la Table Gardée, le Coran incréé, Allah parlant arabe aux anges avant la fondation du monde, se trouvent dans des légendes populaires juives ou chrétiennes selon lesquelles, en particulier, Dieu parlerait aux anges dans un langage humain.

· Des textes ont été ajoutés au Coran primitif

Le plus ancien texte qui décrit la foi musulmane est le Fiqh Akbar 1, écrit vers 750, plus d’un siècle après la mort de Mohammed. Il présente les vues de l’orthodoxie islamique sur les questions qui se posaient alors en matière juridique. Il ne fait aucune allusion au Coran. Cela signifie que les 800 versets fixant des règles juridiques, qui se trouvent dans les Corans d’aujourd’hui, étaient absents des Corans de 750. [34]

Dans son livre au chapitre 4, A. de Prémare[35], après avoir signalé les enseignements qu’on peut tirer des plus anciens fragments de manuscrits coraniques actuellement connus (…), parle des divers akhbâr (recueils utilisés pour constituer le Coran) qui, à partir du VIIIe siècle, circulaient dans l’Islam et :

« … témoignent du fait que l’on avait conscience que le Coran, « Livre de Dieu », avait été, dans sa réalité observable, le résultat d’un travail effectué par des personnes dont on citait les noms, la généalogie, les activités spécifiques, les rapports qu’ils avaient entretenu avec les Califes, et, éventuellement, avec le fondateur de l’islam lui-même » (p. 61 de son livre).

Cet auteur analyse la tradition canonique, rédigée au IXe siècle par Bukharî (…), tradition devenue la base de l’enseignement officiel sur la constitution du Coran. Puis (…) il remonte en deçà du récit orthodoxe mis en place par Bukharî et aboutit à la conclusion suivante :

« L’histoire du Coran ne peut être étudiée qu’en la considérant dans un cadre spatial et temporel élargi. » (p. 97) Autrement dit, (…), l’historien est amené à considérer que non seulement la collecte, mais la rédaction même des textes coraniques ont duré jusqu’au début du VIIIe siècle, que les califes omeyyades y ont joué un rôle important et que cette activité s’est déroulée dans tous les centres importants de l’Empire, dans toutes les villes garnisons (…) où circulaient des recensions concurrentes avant que le calife Abd al-Malik et son gouverneur Hajjâj imposent un texte officiel unique aux grandes capitales de l’Empire.[36]

Bien des éléments indiquent une rédaction du Coran étalée sur deux siècles environ.

· Facilités offertes par certains versets du Coran

Les califes Omeyyades, les Abbassides et leur cour pratiquaient ce que le Coran attribue à Mohammed : l’accaparement du butin, d’innombrables concubines, des épouses impubères, et même des épouses de leurs propres fils. Il est significatif que les versets qui ordonnent à Mohammed de prendre pour lui Zaynab, l’épouse de son fils adoptif Zaïd, déclarent que Mohammed doit se saisir de cette femme afin que les générations futures sachent qu’un tel acte est permis. [37]

L’écriture du Coran sous le contrôle des califes leur offrait la possibilité d’y placer d’abord un verset déclarant que Mohammed est un modèle pour tous les temps et tous les hommes, puis des versets attribuant à Mohammed les actes qu’ils voulaient pratiquer.

En conclusion

L’abondance des résultats ne permet pas de tout dire. De plus, selon le P. Edouard-Marie Gallez, le travail scientifique sur ces questions n’est pas terminé ; il y a encore des précisions à apporter. Mais d’ores et déjà l’aspect légendaire de la Sira est nettement établi. Et les faits apportés permettent de mieux situer les lieux et de comprendre certains passages du Coran quelquefois obscurs. Le lecteur qui voudrait approfondir sa connaissance de l’Islam se référera aux ouvrages donnés dans la bibliographie,

Pour présenter son étude, E. Pertus avait été obligé de prendre comme « références historiques » les textes du Coran et de la Sira (la vie de Mohammed selon la version musulmane). Ces textes narrent, on l’a vu, des faits qui ne sont pas historiquement fondés. Certains contredisent des témoignages historiques plus fiables parce que plus proches dans le temps, voire quasi contemporains des événements rapportés.

Par conséquent, la vie de Mohammed à La Mecque, l’activité commerçante de cette ville, et même l’existence de cette ville à cette époque, ne sont pas historiquement établies.

Aucune source contemporaine n’indique la présence de Juifs (trois tribus, dit la Sira) à Médine. Le massacre d’une de ces tribus et la réduction en esclavage des deux autres n’a pas laissé de traces historiques à l’époque.

En gardant présent à l’esprit ces considérations, il sera possible de lire le livret, Connaissance élémentaire de l’Islam, pour apprendre ce que croient les musulmans tout en ayant les notions de base qui commencent à pénétrer leur esprit s’ils veulent chercher à comprendre leur croyance.

BIBLIOGRAPHIE

Anonyme. Mahomet et l’origine de l’islam : Mieux connaître Mahomet et le premier islam grâce aux méthodes historiques modernes Version 3. Knol. 2008 juil. 27. à l’adresse Internet : http://knol.google.com/k/anonyme/mahomet-et-l-origine-de-l-islam/2ixhf6fwz08az/2

Patricia Crone & Michael Cook, Hagarism. The Making of the Islamic World, Cambridge University Press, 1977.

E.-M. Gallez : Le messie et son prophète. Aux origines de l’islam, thèse de doctorat en théologie / Histoire des religions (Univ. de Strasbourg II, 2004-2005).

· Tome I Le messie et son prophète, aux origines de l’Islam, De Qumran à Muhammad. 524 pages, 35€ Éditions de Paris 2005

· Tome II Le messie et son prophète, aux origines de l’Islam, Du Muhammad des Califes au Muhammad de l’histoire. 582 pages, 39€ Éditions de Paris 2005.

E-M. Gallez, in Entretien avec Edouard-Marie Gallez sur les origines de l’Islam jeudi 23 novembre 2006, sur le site : http://www.missa.org/forum/showthread.php?668-Les-vrai-origines-de-l-islam-et-du-Coran.

Robert G. Hoyland, Seeing Islam as others saw it. A survey and evaluation of Christian, Jewish and Zoroastrian writing on early Islam, Princeton, the Darwin Press. 1998.

Maxime Lenôtre, Mohammed fondateur de l’Islam, Publications MC, B.P. 16 – 34270 – LES MATELLES. p. : 37

Maxime Lenôtre, le mystère des origines de l’Islam enfin éclairci, in AFS n° 184, p. : 3 à 20.

François Nau, Un colloque du Patriarche Jean, in Journal Asiatique, 1915.

Solange Ory, Aspect religieux des textes épigraphiques du début de l’islam, in REMMM, Aix en Provence, N° 58, Edisud, 1990.

Alfred-Louis de Prémare Aux origines du Coran, questions d’hier, approches d’aujourd’hui, Téraèdre, L’Islam en débats, 144 p. Paris, 2004

Alfred-Louis de Prémare, Les Fondations de l’islam. Entre écriture et histoire, Paris 2002, Seuil, collection L’Univers historique

[1] Il s’agit d’une thèse de doctorat en théologie / Histoire des religions (Univ. de Strasbourg II, 2004-2005). Thèse en 2 tomes. D’autres auteurs ont apporté une contribution importante, ils sont cités en notes et dans la bibliographie finale de ce texte.

[2] Cf. : Anonyme. Mahomet et l’origine de l’islam : Mieux connaître Mahomet et le premier islam grâce aux méthodes historiques modernes [Internet]. Version 3. Knol. 2008 juil. 27. Disponible à l’adresse Internet : http://knol.google. com/k/ anonyme/mahomet-et-l-origine-de-l-islam/2ixhf6fwz08az/2

[3] Mohammed est la transcription choisie par E. Pertus parce que plus proche de l’arabe. Mahomet est la forme francisée de ce nom. Nous gardons l’orthographe de Pertus.

[4] La biographie de Mohammed par Ibn Hicham date de plus de deux cents ans après les faits, et la biographie par Ibn Ishaq, qui lui a servi de matériau, a disparu. Les cinq recueils de hadiths (paroles ou actes de Mohammed) principaux ont été mis par écrit plus de deux cent cinquante ans après les faits, alors que le premier recueil de hadiths, fait en 712 sur ordre califal, a disparu.

[5] Onomastique : étude des noms propres.

[6] Toponymie : étude linguistique et historique des noms de lieux.

[7] Épigraphie : Science qui a pour objet l’étude des inscriptions.

[8] Linguistique : Science des langages humains, elle étudie en particulier les phénomènes intéressant l’évolution des langues et leurs rapports entre elles.

[9] Numismatique : étude des médailles et pièces de monnaies.

[10] Exemple : dans la Bible, l’exégèse fait apparaître deux « traditions » en ce qui concerne la Genèse : yawhiste ou élohiste suivant le nom utilisé pour désigner le Créateur. Ces deux traditions, loin de se contredire, se confortent.

[11] Comme l’explique Gallez, dans l’avant propos du Tome 2, pages 8-9, cela se retrouve dans toutes les visions idéologiques ultérieures du monde, et jusqu’à nos jours. Pour de tels idéologues, tous les moyens sont justifiés « au nom de Dieu ». Cette référence « au nom de Dieu » pouvant devenir selon le cas, au nom de la Raison, du Sens de l’Histoire, de la Race supérieure, au nom de tout ce qu’on voudra… ce qui importe c’est que le discours fonctionne, c’est-à-dire qu’il emporte l’adhésion et fasse espérer le salut.

[12] Dans l’islam, le statut du Christ, le djihad (ou jihad) c’est-à-dire la guerre sainte) et la situation des dhimmis (non musulmans sous le pouvoir des musulmans) ayant des droits restreints, sont très proches de ces idées.

[13] C’est-à-dire au VIIIe siècle.

[14] E-M. Gallez, in Entretien avec Edouard-Marie Gallez sur les origines de l’Islam jeudi 23 novembre 2006, accessible sur le site : http://www.missa.org/ forum/showthread.php?668-Les-vrai-origines-de-l-islam-et-du-Coran : « J’en profite pour dire que son rôle a dû être si important qu’il n’a pas pu être effacé, alors que tant de témoignages islamiques anciens, écrits ou non, disparaissaient, en fait tous ceux qui sont antérieurs à la biographie normative de Ibn Hichâm, composée et imposée deux siècles après la mort de Mahomet : c’est seulement par des citations que l’on connaît quelque chose des écrits antérieurs, qui furent systématiquement détruits. »

[15] Sahih al-Bokhari, Hadiths, tome 1, Révélation, n°3.

[16] Robert G. Hoyland, Seeing Islam as others saw it. A survey and evaluation of Christian, Jewish and Zoroastrian writing on early Islam, Princeton, the Darwin Press. 1998.

[17] D’après Tabari, cité par Crone Patricia & Cook Michael, Hagarism. The Making of the Islamic World, Cambridge University Press, 1977. C’est le même personnage que Umayr Ibn Sa’d al-Ansari ; tout deux étaient gouver-neurs à la fois d’Homs et de Damas, ce qui est très inhabituel, et ils l’étaient dans la même période.

[18]François Nau, Un colloque du Patriarche Jean, in Journal Asiatique, 1915.

[19] La Chahada est la formule de la profession de foi des musulmans.

[20] Solange Ory, Aspect religieux des textes épigraphiques du début de l’islam, in REMMM, Aix en Provence, N° 58, Edisud, 1990.

[21]Maxime Lenôtre, Mohammed fondateur de l’Islam, Publications MC,

B.P. 16 – 34270 – Les Matelles. p. 37.

[22] Certaines traditions califales joignent un sixième recueil à ces cinq.

[23] Cf. : Dans son étude « On the Development of hadith », Goldziher a démontré qu’un grand nombre de hadiths, acceptés même dans les recueils musulmans les plus rigoureusement critiques, étaient des faux complets de la fin du 8ème et du 9ème siècle et, en conséquence, que les chaînes de transmission (isnad) qui les étayaient étaient totalement fictives.

http://www.encyclomancie.com/index.php?&ext=page&dossier=77&inc=287

[24] Crone Patricia & Cook Michael, Hagarism. The Making of the Islamic World, Cambridge University Press, 1977.

[25] Cf. : Page 278 du volume 2 de la thèse du P. Gallez.

[26] Le maronite Théophile d’Edesse (+ 785) devient l’astronome distingué du calife al_Madhi. Il traduisit en syriaque l’Iliade et l’Odyssée.

Cf.: http://islamineurope.unblog.fr/2010/11/03/le-mythe-de-la-transmission-arabe-du-savoir-antique.

[27] Exemple le calendrier républicain à l’époque de la Révolution dite française.

[28] L’évêque Sébéos est un écrivain arménien du viie siècle qui raconte les premières invasions des Arabes en Arménie. Contemporain de la chute des Sassanides – la dynastie perse vaincue et renversée par les Arabes – il en trace le tableau comme un témoin qui a assisté à la plupart des événements qu’il relate; il les expose sans examen critique, selon l’usage des byzantins ou des annalistes arabes de son temps. Une partie des documents qui nous sont parvenus ne sont pas unanimement reconnus comme de lui. D’où : « pseudo-Sébéos ».

[29] Jacques d’Édesse, né vers 633, mort le 5 juin 708 un des plus éminents écrivains religieux de langue syriaque. Élève de Sévère Sobkhôt évêque et savant syrien (575 -… 667), il fut à la fois théologien, philosophe, géographe, naturaliste, historien, grammairien et traducteur. Il est l’auteur d’une Chronique historique qui part du règne de Constantin (mort en 337) jusqu’en 692.

[30] Ces attestations datent d’une dizaine d’années après les faits, et ne sont pas compatibles avec l’histoire musulmane traditionnelle, fondée sur des documents datant de plus de deux siècles après les faits. D’après la « Sira », en effet, Mohammed serait mort en 632.

[31] Le Bouraq ou Burak est, selon l’islam, un coursier fantastique venu du paradis, qui, après avoir transporté Mohammed de l’Arabie à Jérusalem, sur le Rocher, l’aurait mené au paradis et retour. (Ce dernier voyage est appelé « miraj » par les musulmans). Ce n’est que vers le XIIe – XIIIe siècle que les sources islamiques mentionnent le Rocher comme point de départ du « miraj ».

[32] Mosquée bâtie au centre de l’esplanade du Temple de Jérusalem. Elle comporte une coupole (le Dôme) à la base de laquelle est gravée une inscription en caractères « coufiques », écriture arabe très ancienne, avec laquelle a été calligraphié le Coran.

[33] Bishapour est une ancienne cité sassanide, à 23 km de Kazerun, dans le Fars, en Iran. La ville se trouvait sur la route reliant les villes d’Istakhr et Ctésiphon.

[34] Comme nous l’avons dit plus haut, d’après les musulmans, le Coran viendrait directement d’Allah, pas une lettre n’aurait été changée depuis.

[35] Alfred-Louis de Prémare Aux origines du Coran, questions d’hier, approches d’aujourd’hui, Tétraèdre, Paris, 2004.

[36] Alors que les musulmans modernes peuvent être liés par une position conservatrice intenable, les érudits musulmans des premières années étaient bien plus flexibles, réalisant que des parties du Coran étaient perdues, perverties, et qu’il y avait plusieurs milliers de variantes qui rendaient impossible le fait de parler du Coran unique.

[37] Sourate 33, verset 37.

Voir enfin:

Pakistan : la jeune chrétienne victime d’un coup monté ?

Le Figaro

02/09/2012

«Ils ont commis ce blasphème afin de nous provoquer encore davantage. Tout ça est arrivé parce que nous n’avons pas mis fin plus tôt à leurs activités antimusulmanes», avait déclaré récemment à l’AFP l’imam Chishti au sujet de l’affaire.

La police a arrêté samedi l’imam à l’origine de la plainte contre Rimsha, cette fillette trisomique accusée d’avoir brûlé des pages du Coran. Plusieurs témoins affirment que le religieux a ajouté ces pages lui-même.

Rebondissement de taille dans l’affaire Rimsha, l’adolescente chrétienne accusée au Pakistan de blasphème pour avoir brûlé des versets du Coran. La police a arrêté, samedi, l’imam à l’origine de la plainte la visant. Le responsable de la mosquée est soupçonné d’avoir falsifié les preuves à charge contre Rimsha. Son assistant et plusieurs témoins affirment que l’imam Hafiz Mohammed Khalid Chishti a ajouté des pages du Coran aux feuilles brûlées par Rimsha. Tout a commencé quand un voisin de Rimsha a apporté à l’imam les sacs contenant les papiers calcinés par la jeune fille. Malgré les protestations des témoins, Chishti aurait déchiré des pages du livre saint et placé les morceaux dans le sac.

L’imam, désormais également arrêté en vertu de la loi sur le blasphème, aurait expliqué à ses compagnons que c’était la seule façon d’expulser les chrétiens de Mehrabad, un quartier à la périphérie d’Islamabad. L’imam avait ensuite mobilisé ses fidèles et fait pression sur la police pour qu’elle arrête la jeune chrétienne. Les relations entre communautés se sont dégradées dans le quartier populaire. Des musulmans reprochaient aux chrétiens de jouer de la musique, qui était entendue dans le quartier au moment de la prière musulmane, et souhaitaient reprendre les terrains qu’ils occupaient. À la suite de l’interpellation de Rimsha à la mi-août, plusieurs familles chrétiennes ont fui tandis que les parents de la jeune fille ont dû être placés sous protection policière.

Des pressions politiques et policières?

L’affaire Rimsha est devenue une polémique nationale. Elle a ravivé les tensions entourant la loi sur le blasphème et mis Islamabad en mauvaise posture face à la communauté internationale. Au Pakistan, insulter le prophète Mahomet est passible de la peine de mort et brûler un verset du Coran, de la prison à vie. La législation est soutenue par les islamistes radicaux mais décriée par les libéraux. Signe du malaise, le Conseil des oulémas du Pakistan, un organisme représentant des dizaines d’associations musulmanes, a, fait inédit, réclamé une enquête «impartiale et approfondie» concernant Rimsha. L’appel des oulémas doublé de l’arrestation de l’imam Chishti semblent traduire la volonté d’apaisement des autorités.

Et pour certains, l’arrestation de Chishti ne doit rien au hasard. L’avocat du voisin ayant accusé Rimsha a dénoncé samedi d’énormes pressions policières sur les témoins et affirme que la police a fabriqué les preuves ayant servi à arrêter l’imam Chishti. L’interpellation du religieux survient alors qu’une audience sur une éventuelle libération conditionnelle de Rimsha est prévue lundi. L’âge et la responsabilité de la jeune fille sont un point crucial. Certains médias affirment qu’elle a 11 ans et est trisomique. Un hôpital a de son côté déclaré qu’elle était âgée de 14 ans mais que ses capacités mentales étaient inférieures à son âge et qu’elle était analphabète. L’âge compte car ses avocats souhaitent qu’elle soit déférée devant un tribunal pour enfant, qui inflige des peines généralement plus clémentes.

(Avec agences)

8 Responses to Islam: Le Coran est-il autre chose qu’un palimpseste plus ou moins falsifié de la Bible? (Looking back at the less than immaculate conception of Islam’s sacred text)

  1. […] de l’islamologue Claude Gilliot paru dans le Monde de la Bible et repris par le site Hérodote et contre la légende dorée d’un texte immuable fixé une fois pour toutes, sur les dernières découvertes issues de l’application au Coran des méthodes d’analyse […]

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  2. duamanes dit :

    Vous êtes devenu le plus grand Scribe des temps modernes. Dix ans déjà ! J'aime votre Blog, il est unique et il nous instruit toujours et sans relâche. Merci jcdurbant, merci Jean-Claude.

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  3. jcdurbant dit :

    Pour une fois, je me permettrai de prendre en défaut votre légendaire sens de la formule qui fait mouche …

    Je n’ai ouvert mon blog qu’en 2005 (qui n’atteindra hélas jamais par parenthèses la qualité de mise en page du vôtre), même si ça fait effectivement bien 10 ans que je ferraille sur les blogs.

    D’ailleurs à vos côtés mais surtout grâce à l’amitié et au soutien fidèle de quelques rares lecteurs et commentateurs comme vous …

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  4. […] cette idéologie en nourrissant ces prétentions conformément à ce qu’on lit dans leurs livres (cf Gallez). Au temps du communisme, les sectateurs de cette idéologie avaient une vision très semblable du […]

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  5. […] Dans la foi musulmane, il y a un aspect simple, brut, pratique qui a facilité sa diffusion et transformé la vie d’un grand nombre de peuples à l’état tribal en les ouvrant au monothéisme juif modifié par le christianisme. Mais il lui manque l’essentiel du christianisme : la croix. Comme le christianisme, l’islam réhabilite la victime innocente, mais il le fait de manière guerrière. La croix, c’est le contraire, c’est la fin des mythes violents et archaïques. René Girard […]

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  6. […] Giulio Meotti, la véritable inversion qu’ont fait subir à nos valeurs de vie (mais l’islam dont ils se réclament est-il autre chose qu’une grossière contrefaçon du message […]

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