Idiots utiles: La tentation de Pékin (« Beijing Consensus » vs. « Washington Consensus » all over again)

Le prix de la liberté, c’est la vigilance éternelle. Thomas Jefferson
Ce n’est pas que les peuples aristocratiques refusent absolument à l’homme la faculté de se perfectionner. Ils ne la jugent point indéfinie ; ils conçoivent l’amélioration, non le changement ; ils imaginent la condition des sociétés à venir meilleure, mais non point autre ; et, tout en admettant que l’humanité a fait de grands progrès et qu’elle peut en faire quelques-uns encore, ils la renferment d’avance dans de certaines limites infranchissables. (…) C’est alors que le législateur prétend promulguer des lois éternelles, que les peuples et les rois ne veulent élever que des monuments séculaires et que la génération présente se charge d’épargner aux générations futures le soin de régler leurs destinées. (…) Je rencontre un matelot américain, et je lui demande pourquoi les vaisseaux de son pays sont construits de manière à durer peu, et il me répond sans hésiter que l’art de la navigation fait chaque jour des progrès si rapides, que le plus beau navire deviendrait bientôt presque inutile s’il prolongeait son existence au-delà de quelques années. Dans ces mots prononcés au hasard par un homme grossier et à propos d’un fait particulier, j’aperçois l’idée générale et systématique suivant laquelle un grand peuple conduit toutes choses. Les nations aristocratiques sont naturellement portées à trop resserrer les limites de la perfectibilité humaine, et les nations démocratiques les étendent quelquefois outre mesure. Tocqueville (Comment l’égalité suggère aux Américains l’idée de la perfectibilité indéfinie de l’homme, De la démocratie en Amérique, tome 2, première partie, chapitre VIII)
Un des grands problèmes de la Russie – et plus encore de la Chine – est que, contrairement aux camps de concentration hitlériens, les leurs n’ont jamais été libérés et qu’il n’y a eu aucun tribunal de Nuremberg pour juger les crimes commis. Thérèse Delpech
Les dirigeants du PS français et de la social-démocratie européenne, en effet, sont en général des personnages que je considère comme des poulets élevés en batterie.Ils sortent des grandes écoles, sans aucun passé militant dans les luttes populaires, et encore moins dans l’internationalisme politique. Ils montent les marches du pouvoir politique en croyant que leur discours de gestionnaires, c’est du socialisme. Et ils font croire que ça se résume à ça. Ces dirigeants n’ont jamais compris ce qui se passe en Amérique latine parce qu’ils ne se sentent pas concernés. Dans le meilleur des cas, ils se contentent de reproduire le discours de la propagande étasunienne, repris par la majorité des médias. (…) Le président Hugo Chavez note, comme moi : « Les gens ne veulent pas comprendre que pour redistribuer les richesses auprès des pauvres, il faut changer les institutions ». Et Chavez nous interpelle : « Parce qu’il existerait une alternative ? Et où se trouvent donc vos magnifiques modèles, vous les Européens, que l’on devrait prétendument imiter ? ». (…) C’est donc pour cela que j’ai demandé à ces dirigeants qu’ils se taisent, et qu’ils observent avec respect le chemin montré par Chavez, Evo Morales en Bolivie, Rafael Correa en Équateur ou José Mujicaen Uruguay. Non pas pour les imiter, mais pour apprendre d’euxJean-Luc Mélenchon
Je ne partage pas du tout l’enthousiasme béat pour le Dalaï-lama ni pour le régime qu’il incarne. (…) seule l’enquête « d’arrêt sur image » rapporte que les « évènements du Tibet » ont commencé par un pogrom de commerçants chinois par des « Tibétains ». (…) autant dire que le gouvernement français de l’époque a ordonné de pousser deux jeunes dans un transformateur électrique à Clichy Sous Bois au motif qu’il avait alors une politique de main dure face aux banlieues. Personne n’oserait avancer une bêtise aussi infâme. Dans les émeutes urbaines américaines la répression a aussi la main lourde. (…) Robert Ménard est un défenseur des droits de l’homme à géométrie variable. A-t-il mené une seule action, même ultra symbolique, quand les Etats-Unis d’Amérique ont légalisé la torture ? A-t-il mené une seule action pour que les détenus de Guantanamo soient assistés d’avocat ? (…) Le Tibet est chinois depuis le quatorzième siècle. (…) Parler « d’invasion » en 1959 pour qualifier un évènement à l’intérieur de la révolution chinoise est aberrant. Dit-on que la France a « envahi » la Vendée quand les armées de notre République y sont entrées contre les insurgés royalistes du cru ? (…) La version tibétaine de la Charia a pris fin avec les communistes. La révolte de 1959 fut préparée, armée, entretenue et financée par les USA dans le cadre de la guerre froide. (…) Depuis la scolarisation des enfants du Tibet concerne 81% d’entre eux là où il n’y en avait que 2% au temps bénis des traditions. Et l’espérance de vie dans l’enfer chinois contemporain prolonge la vie des esclaves de cette vallée de larmes de 35, 5 à 67 ans. Jean-Luc Mélenchon
Parler d’invasion en 1959 pour qualifier un événement à l’intérieur de la révolution chinoise est aberrant. Jean-Luc Mélenchon
Il y a entre nous une culture commune bien plus étendue et profonde qu’avec les Nord-Américains. Les Chinois, comme nous, accordent depuis des siècles une place centrale à l’Etat dans leur développement. Dans leurs relations internationales, ils ne pratiquent pas l’impérialisme aveugle des Américains. La Chine est une puissance pacifique. Il n’existe aucune base militaire chinoise dans le monde. (…) La Chine n’est pas intéressée au rapport de forces de cet ordre. Jean-Luc Mélenchon
Pour résumer, c’est attirance-répulsion. Surtout parmi les classes éduquées qui rêvent d’envoyer leurs enfants dans les universités américaines et en même temps peuvent être emplies de ressentiment à l’égard d’une Amérique qu’elles perçoivent comme hostile, pour beaucoup à cause de la propagande de leur gouvernement. Du communisme comme justificatif du pouvoir il ne reste rien. Le nouveau dogme est un nationalisme fondé sur l’exacerbation d’un sentiment victimaire vis-à-vis du Japon et des Etats-Unis. En Chine, à Singapour, en Corée du Sud, on constate une forte ambivalence typique de certaines élites, par ailleurs fortement occidentalisées, pour qui le XXIe siècle sera asiatique. Dans les années 1960, au Japon, a émergé une nouvelle droite ultranationaliste, dont les représentants les plus virulents étaient professeurs de littérature allemande ou française. Ils voulaient se sentir acceptés, légitimes en termes occidentaux, et se sentaient rejetés. C’est ce que ressentent aujourd’hui les nationalistes chinois.
L’obstacle à surmonter, en Chine, est que le confucianisme rejette la légitimité du conflit. L’harmonie est caractérisée par un ordre social ou règne l’unanimité. Donc la plus petite remise en cause apparaît instantanément menaçante.
Le plus grand obstacle est l’alliance entre les élites urbaines et le Parti communiste. Les deux ont peur de l’énorme masse paysanne ignorante. Ces élites ont une telle histoire récente de violence et une telle peur d’un retour du chaos qu’elles préfèrent un ordre qui leur assure la croissance, au risque d’avancer vers la démocratie. Pour le pouvoir, la grande faiblesse de ce système est que, le jour où l’économie cesse de croître et que l’enrichissement des élites urbaines s’arrête, l’édifice s’écroule. Dans ce cas, tout pourrait advenir, d’une alliance entre démocrates, ressortissants des nouvelles élites, et une fraction du parti, jusqu’à un coup d’Etat militaire. Ian Buruma
If Vladimir Lenin were reincarnated in 21st-century Beijing and managed to avert his eyes from the city’s glittering skyscrapers and conspicuous consumption, he would instantly recognize in the ruling Chinese Communist Party a replica of the system he designed nearly a century ago for the victors of the Bolshevik Revolution. One need only look at the party’s structure to see how communist — and Leninist — China’s political system remains. (…) for all their liberalization of the economy, Chinese leaders have been careful to keep control of the commanding heights of politics through the party’s grip on the “three Ps”: personnel, propaganda, and the People’s Liberation Army. Indeed, if you benchmark the Chinese Communist Party against a definitional checklist authored by Robert Service, the veteran historian of the Soviet Union, the similarities are remarkable. As with communism in its heyday elsewhere, the party in China has eradicated or emasculated political rivals, eliminated the autonomy of the courts and media, restricted religion and civil society, denigrated rival versions of nationhood, centralized political power, established extensive networks of security police, and dispatched dissidents to labor camps. There is a good reason why the Chinese system is often described as “market-Leninism.” (…) Powerful party organs like the Organization and Propaganda Departments do not have signs outside their offices. They have no listed phone numbers. Their low profile has been strategically smart, keeping their day-to-day doings out of public view while allowing the party to take full credit for the country’s rapid economic growth. This is how China’s grand bargain works: The party allows citizens great leeway to improve their lives, as long as they keep out of politics. Far from being a conveyor belt for Western democratic values, the Internet in China has largely done the opposite. The “Great Firewall” works well in keeping out or at least filtering Western ideas. Behind the firewall, however, hypernationalist netizens have a much freer hand. The Chinese Communist Party has always draped itself in the cloak of nationalism to secure popular support and played up the powerful narrative of China’s historical humiliation by the West. Even run-of-the-mill foreign-investment proposals are sometimes compared to the “Eight Allied Armies” that invaded and occupied Beijing in 1900. But when such views bubble up on the Internet, the government often skillfully manages to channel them to its own ends, as when Beijing used an online outburst of anti-Japanese sentiment to pressure Tokyo after a Chinese fishing-boat captain was arrested in Japanese waters. Such bullying tactics may not help China’s image abroad, but they have reinforced support at home for the party, which the state media is keen to portray as standing up to foreign powers. (…) Through its Propaganda Department, the party uses a variety of often creative tactics to ensure that its voice dominates the web. Not only does each locality have its own specially trained Internet police to keep a lid on grassroots disturbances, the department has also overseen a system for granting small cash payments to netizens who post pro-government comments on Internet bulletin boards and discussion groups. Moreover, the dominant national Internet portals know that their profitable business models depend on keeping subversive content off their sites. If they consistently flout the rules, they can simply be shut down. (…) Of course, many developing countries are envious of China’s rise. Which poor country wouldn’t want three decades of 10 percent annual growth? And which despot wouldn’t want 10 percent growth and an assurance that he or she would meanwhile stay in power for the long haul? Moreover, China has done this while consciously flouting advice from the West, using the market without being seduced by its every little charm. China’s success has given rise to the fashionable notion of a new “Beijing Consensus” that eschews the imposition of free markets and democracy that were hallmarks of the older “Washington Consensus.” In its place, the Beijing Consensus supposedly offers pragmatic economics and made-to-order authoritarian politics. (…) But look closer at the China model, and it is clear that it is not so easily replicated. Most developing countries do not have China’s bureaucratic depth and tradition, nor do they have the ability to mobilize resources and control personnel in the way that China’s party structure allows. Could the Democratic Republic of the Congo ever establish and manage an Organization Department? China’s authoritarianism works because it has the party’s resources to back it up. (…) Unlike in Taiwan and South Korea, China’s middle class has not emerged with any clear demand for Western-style democracy. There are some obvious reasons why. All three of China’s close Asian neighbors, including Japan, became democracies at different times and in different circumstances. But all were effectively U.S. protectorates, and Washington was crucial in forcing through democratic change or institutionalizing it. South Korea’s decision to announce elections ahead of the 1988 Seoul Olympics, for example, was made under direct U.S. pressure. Japan and South Korea are also smaller and more homogeneous societies, lacking the vast continental reach of China and its multitude of clashing nationalities and ethnic groups. And needless to say, none underwent a communist revolution whose founding principle was driving foreign imperialists out of the country. (…) China’s urban middle class may wish for more political freedom, but it hasn’t dared rise up en masse against the state because it has so much to lose. The freedom to consume — be it in the form of cars, real estate, or well-stocked supermarkets — is much more attractive than vague notions of democracy, especially when individuals pushing for political reform could lose their livelihoods and even their freedom. The cost of opposing the party is prohibitively high. Hence the hotbeds of unrest in recent years have mostly been rural areas, where China’s poorest, who are least invested in the country’s economic miracle, reside. (…) All this is why some analysts see splits within the party as a more likely vehicle for political change. Like any large political organization, the Chinese Communist Party is factionalized along multiple lines … But highlighting these differences can obscure the larger reality. Since 1989, when the party split at the top and almost came asunder, the cardinal rule has been no public divisions in the Politburo. (…) The idea that China would one day become a democracy was always a Western notion, born of our theories about how political systems evolve. Yet all evidence so far suggests these theories are wrong. The party means what it says: It doesn’t want China to be a Western democracy — and it seems to have all the tools it needs to ensure that it doesn’t become one. Richard McGregor
D’une certaine manière, le système chinois diffère du soviétique dans la mesure où il est encore plus intrusif : il pénètre plus profondément les rouages de l’administration et des institutions d’Etat. C’est comme si, chez vous, tous les ministres, tous les directeurs de journaux – de L’Expansion à Libération -, tous les présidents des chaînes de télévision, tous les responsables des grandes organisations – qu’il s’agisse d’universités ou de cabinets d’avocats -, tous les PDG des grandes entreprises, publiques comme privées, étaient nommés par un parti. Une fois que vous avez compris cela, vous mesurez le pouvoir du département de l’organisation centrale. (…) Lorsqu’on parle de la Chine, en Occident, c’est essentiellement en termes économiques, alors qu’il s’agit d’économie politique. Nombre de nos économistes ne l’ont pas compris. Ils savent manier les chiffres, mais ils ne sont pas formés pour penser politiquement. Or il faut penser l’économie chinoise en termes politiques, sinon il est impossible de comprendre ce qui s’y passe. Certains ont aussi intérêt à ne pas trop comprendre. Les règles du jeu que les Chinois voudraient imposer aux experts étrangers sont très claires : en aucun cas ils ne doivent exposer le vrai rôle du parti. Ceux qui acceptent de se plier à ces règles ne cherchent évidemment pas la transparence. Il est significatif qu’en Occident on présente Hu Jintao comme le « président chinois » alors que son titre le plus important est celui de secrétaire général du PC. Richard McGregor
Il va sans dire que nombre de pays en développement envient le succès de la Chine. Quel pays pauvre refuserait trois décennies de croissance à 10%? Et quel despote ne voudrait pas d’une croissance à 10%, tout en ayant l’assurance de rester au pouvoir pour longtemps? (…) Par ailleurs, la Chine est parvenue à ce résultat en ignorant délibérément les conseils de l’Occident; elle a su tirer parti des avantages du marché, sans pour autant succomber à l’ensemble de ses charmes. Pendant des années, les banquiers du monde entier se sont rendus à Pékin pour prêcher la bonne parole de la libéralisation financière, conseillant aux dirigeants chinois de laisser flotter leur monnaie et d’ouvrir leur compte de capital. Comment reprocher aux Chinois d’avoir compris que cette recommandation était évidemment motivée par des intérêts personnels? Une théorie à la mode veut que le succès de la Chine ait donné naissance à un nouveau «consensus de Pékin», qui remettrait en cause l’importance de l’économie de marché et de la démocratie —les deux marques de fabrique du «consensus de Washington». Le consensus de Pékin proposerait ainsi un système économique pragmatique et une politique autoritariste prête à l’emploi. Mais observez le modèle chinois de plus près, et vous verrez qu’il n’est pas si simple de le l’imiter. La plupart des pays en développement n’ont pas la tradition et la complexité bureaucratique de la Chine; la structure du parti lui donne une capacité à mobiliser des ressources et à diriger ses fonctionnaires qu’ils ne peuvent égaler. La République démocratique du Congo pourrait-elle établir et administrer un département de l’organisation? En Chine, l’autoritarisme ne pourrait fonctionner sans les ressources du parti. Richard McGregor
Par-delà les statistiques, le démo-capitalisme, seul, procure les biens non quantifiés que nous respirons sans nous en apercevoir tant ils nous semblent acquis, comme la liberté d’expression, la recherche de l’équité ou l’égalité des sexes. Tandis que, dans l’ordo-capitalisme, chacun retient son souffle et contrôle ses paroles. Tout ceci n’est pas suffisamment dit, ni dans les pays de l’ordre parce qu’il est imprudent de parler ni dans le monde démo-capitaliste quand les idiots utiles confisquent la parole. Guy Sorman

A l’heure où, aveuglé sur le fonctionnement réel d’un parti unique qui a littéralement colonisé tous les rouages du monde économique du pays et surtout accro au financement chinois de sa dette, le Carter noir fossoyeur de la liberté d’entreprise  s’apprête à dérouler le tapis rouge pour le futur chef du PCC   …

Pendant que, de l’autre côté de l’Oural, l’ex-chef du KGB qui n’hésite pas à menacer l’Europe dépendant de son gaz, nous prépare son dernier numéro de chaises musicales

Et qu’au pays auto-proclamé des droits de l’homme où ne travaille et ne cotise qu’un peu plus de la moitié de la population et où se confirment la surdélinquance comme le surchômage d’origine étrangère, les néo-chaveziens à la Mélenchon ou néo-corréziens à la Hollande rivalisent de lendemains qui chantent …

Piqûre de rappel avec l’essayiste Guy Sorman.

Face à la résurgence de « la tentation despotique »  incarnée aujourd’hui par l’axe Moscou-Pékin  (les deux derniers, impunis et impénitents, massacreurs en série du XXe siècle à – surprise! –  ne toujours pas avoir eu droit à leur Nuremberg), occupés à reconstituer, derrière la promesse d’ordre à des populations déboussolées et sous la forme cette fois plus présentable du capitalisme d’Etat (le fameux modèle chinois « mélange réussi de capitalisme et d’Etat fort » censé « ébranler les certitudes américaines »), la tyrannie dont ils sont issus et prêts pour ce faire à soutenir tout ce que la planète peu contenir d’Etats voyous et terroristes à l’iranienne ou à la nord-coréenne …

Comment meurent les démocraties

Guy Sorman

Le futur c’est tout de suite

14 février 2012

La Fin de l’Histoire recule. Au lendemain de la Chute du Mur de Berlin, on se rappelle que l’économiste américain Francis Fukuyama annonçait combien la démocratie libérale était devenue l’horizon indépassable de toutes sociétés. Il ne niait pas que des conflits locaux surgissent mais imposa l’hypothèse que nulle idéologie alternative à la démocratie libérale n’émergerait avant longtemps. À cette théorie souvent mal comprise de la démocratie libérale comme Fin de l’Histoire, succéda après les attentats de septembre 2001, islamistes ou qualifiés comme tels, une autre prophétie : également Made in USA, elle fut formulée par Samuel Huntington, sous le titre de Conflit des Civilisations. Lui envisageait une guerre inévitable entre l’alliance « orientale » de la Chine et des Musulmans, et le monde « occidental ». Ce modèle de Huntington résista à l’épreuve des faits moins longtemps encore que celui de Fukuyama : Huntington ne définit jamais ce qu’il entendait par civilisation, les mondes musulmans se sont divisés entre pro et anti-Occidentaux et le Japon « oriental » ou l’Inde sont solidement ancrés dans le camp de la démocratie libérale.

Voici que surgit, sans que nul ne l’ait prophétisé, un modèle de plus qui pourrait définir les temps à venir : l’affrontement entre la démocratie libérale, qui s’effrite de l’intérieur, avec la résurgence de ce que l’on appellera « la tentation despotique ». Si cette brisure est concrète, elle éclaire l’histoire qui se fait.

Dans le camp occidental, qui n’est ni une civilisation, ni une géographie, mais un territoire mental, le doute ronge les esprits. Depuis la rupture financière de 2008, le complexe jusque- là, peu contesté du marché et de la démocratie, est assailli par un front du refus ou gangrené par l’esprit de démission. Voyez la Grèce et l’Italie : les élus du peuple s’en sont remis à des technocrates, forme actualisée du despotisme éclairé, pour assumer à leur place l’impopularité de la rigueur économique. Poursuivant ce raisonnement antidémocratique et antilibéral, on voit progresser l’audience de partis autoritaires, en France et en Hongrie particulièrement. Au pourtour de l’Europe, les révolutions arabes, dont on espère encore liberté, dignité et prospérité, dégénèrent en un chaos qui – au mieux – ramènera au pouvoir des technocrates éclairés mais plus probablement de simples despotes : eux promettront de l’ordre, moral ou étatique et rétabliront le capitalisme des coquins.

Les pays phares de cet ordre nouveau sont la Chine et la Russie : hasard ou héritage, leurs dirigeants reconstituent la tyrannie dont ils sont issus mais, cette fois-ci, en forme capitaliste, un ordo-capitalisme. Au conflit d’avant 1989 entre capitalisme et communisme s’est substitué un nouveau choix historique entre capitalisme d’Etat et capitalisme de marché, ordo-capitalisme contre démo-capitalisme.

Capitalisme contre capitalisme, avait écrit Michel Albert en 1991 ; il opposait alors les rudes Américains aux socio-démocrates d’Europe du Nord. Maintenant, c’est le « consensus de Pékin » qui est posé en alternative triomphaliste fort de son taux de croissance et de sa stabilité (apparente) à un « consensus de Washington », anémique et incertain. Par-delà l’enjeu de la croissance, l’ordo-capitalisme que domine, avec quelques alliés périphériques (Colombie, Zimbabwe), l’axe Moscou-Pékin, tente aussi d’imposer une Internationale « souverainiste » qui garantit aux despotes (Syrie, Iran…) le droit de tuer leurs citoyens, plutôt que d’accepter l’ingérence humanitaire.

La montée en puissance de l’ordo-capitalisme tient aux circonstances : l’émotion qu’a suscitée la crise de 2008 n’est pas dissipée et les peuples s’impatientent. Par défaut d’explication peut-être ? En réalité, la stagnation du démo-capitalisme n’est pas insoluble (les Etats-Unis remontent), la crise de l’euro non plus, tandis que les croissances chinoise et russe restent tributaires de la demande des occidentaux. Et à y regarder de près, les sociétés russes et chinoises pourraient à tout instant, voler en éclats. L’attraction pour l’ordo-capitalisme doit à l’ignorance que l’on en a, mais aussi à celle que l’on nourrit. N’était-ce pas le cas de l’URSS quand elle était louée en Europe ? Aujourd’hui comme naguère, il se trouve, au sein du démo-capitalisme énormément « d’idiots utiles », expression de Lénine pour désigner ses alliés objectifs. À l’Ouest, suffisamment de capitalistes et d’intellectuels préfèrent l’ordre et les chefs à l’équité, la dignité et la liberté. Ces « idiots utiles » ou « cinquième colonne » constituent les troupes de choc de l’ordo-capitalisme

On n’en conclura pas que les démocraties libérales vont mourir ni que l’ordo-capitalisme va l’emporter sur le démo-capitalisme. Comme l’avait écrit Jean-François Revel en 1983, dans Comment les démocraties finissent, il s’agit ici de décrire les menaces. Les dissiper exige de développer une connaissance plus fine de cet ordo-capitalisme, par définition non transparent. On ne souligne pas assez combien celui-ci gonfle ses taux de croissance et bénéficie avant tout à des nomenclatures d’Etat indifférentes au bas de la société, la moitié de la population, en Chine ou en Russie. Pareillement, le retour à l’ordo-capitalisme dans les mondes arabes ramènerait les femmes à la vassalité et l’économie à la stagnation perpétuelle. Alors même que certains pays musulmans, parce que démo-capitalistes (Turquie, Indonésie), se développent plus vite que du temps du despotisme antérieur. On devrait observer aussi qu’en Afrique ou en Amérique latine, les régimes démo-capitalistes sont les plus prospères (Brésil, Chili ou Ghana) et deviennent les plus équitables.

Dans le monde « occidental » enfin, à ressasser nos crises, on en oublie que sur les dix dernières années, le revenu par habitant en Allemagne par exemple, a crû de 1,3% par an, ce qui est conséquent dans une société prospère, parce que l’Allemagne s’en est tenue au démo-capitalisme, sans céder à des pulsions étatistes. Enfin, par-delà les statistiques, le démo-capitalisme, seul, procure les biens non quantifiés que nous respirons sans nous en apercevoir tant ils nous semblent acquis, comme la liberté d’expression, la recherche de l’équité ou l’égalité des sexes. Tandis que, dans l’ordo-capitalisme, chacun retient son souffle et contrôle ses paroles. Tout ceci n’est pas suffisamment dit, ni dans les pays de l’ordre parce qu’il est imprudent de parler ni dans le monde démo-capitaliste quand les idiots utiles confisquent la parole.

Voir aussi:

Richard McGregor: « Le PC chinois est encore équipé d’un logiciel soviétique »

Propos recueillis par Bernard Poulet et Yveas-Michel Riols

L’Expansion

07/03/2011

Ce spécialiste de la Chine décortique la façon dont le plus puissant parti politique du monde s’est adapté à l’ouverture économique pour continuer à contrôler la société chinoise.

La Chine est de moins en moins communiste, a-t-on pris l’habitude de répéter. En réalité, le Parti communiste contrôle toujours les rouages essentiels de la société chinoise. S’il s’est fait beaucoup plus discret dans la vie quotidienne des Chinois, il garde la haute main sur les secteurs clefs – la politique, bien sûr, mais également l’économie. Ce que les investisseurs occidentaux ignorent trop souvent, explique le journaliste australien Richard McGregor. Au risque de bien mauvaises surprises.

Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à écrire un livre sur le Parti communiste chinois?

Si vous jetez un coup d’oeil sous le capot du modèle chinois, la Chine apparaît beaucoup plus communiste qu’elle n’en a l’air de prime abord. Le Parti communiste fonctionne toujours avec un logiciel soviétique qui consiste en un ensemble de structures et d’appareils permettant à un parti politique de contrôler le gouvernement, au sens large du terme, ainsi que la société civile. Il réplique presque entièrement le système conçu par Lénine. Cette machine politique est impressionnante et unique par sa taille. A la mi-2009, le PC comptait 75 millions de membres, soit un adulte chinois sur douze. Il est aussi puissant que secret. C’est l’instance de décision principale, mais la manière dont il exerce son pouvoir est généralement négligée parce qu’il sait opérer discrètement.

Est-il possible d’avoir une activité en Chine en dehors du regard du Parti communiste?

Vous vous heurtez souvent au parti, mais, la plupart du temps, c’est comme avec l’homme invisible, vous ne vous en rendez pas compte. Le PC s’est retiré de nombreuses sphères de la vie privée – ce qui donne cette impression de libéralisation de la société – pour se concentrer sur quelques domaines stratégiques : les cadres du régime et de l’économie, les forces armées, la police et la propagande. Il a conservé sa vie politique secrète, dirigeant l’Etat à l’arrière de la scène. La plupart des gens en Chine ne se heurtent donc plus directement au parti, sauf s’ils ont une fonction publique importante ou s’ils deviennent puissants et riches. « Le parti est comme Dieu, me disait un universitaire chinois, il est partout, mais vous ne pouvez pas le voir. »

Comment fonctionne le département de l’organisation centrale, qui est, dites-vous, le pilier de la nomenklatura chinoise?

C’est une sorte d’ENA géante dopée aux stéroïdes, ou encore la plus grande organisation de ressources humaines du monde, conçue pour s’assurer que toute personne qui occupe une position de responsabilité, au sein et hors du gouvernement, y compris dans l’économie, relève du parti. Celui-ci a toute latitude pour embaucher et licencier.

Beaucoup de gens qui observent la Chine aujourd’hui peuvent penser que le Parti communiste contrôle uniquement le gouvernement. Mais son influence va bien au-delà : les médias, les associations, les organismes de régulation, etc. Il met son nez dans toutes ces organisations, à tous les échelons. D’une certaine manière, le système chinois diffère du soviétique dans la mesure où il est encore plus intrusif : il pénètre plus profondément les rouages de l’administration et des institutions d’Etat. C’est comme si, chez vous, tous les ministres, tous les directeurs de journaux – de L’Expansion à Libération -, tous les présidents des chaînes de télévision, tous les responsables des grandes organisations – qu’il s’agisse d’universités ou de cabinets d’avocats -, tous les PDG des grandes entreprises, publiques comme privées, étaient nommés par un parti. Une fois que vous avez compris cela, vous mesurez le pouvoir du département de l’organisation centrale.

Vous semblez dire qu’il existe une omerta, une loi du silence, parmi nombre d’experts de la Chine, sur l’influence réelle du parti, notamment dans l’économie?

Dans certains cas, il s’agit d’une omerta, dans d’autres, d’une ignorance crasse, et parfois cela relève de la pure naïveté. Lorsqu’on parle de la Chine, en Occident, c’est essentiellement en termes économiques, alors qu’il s’agit d’économie politique. Nombre de nos économistes ne l’ont pas compris. Ils savent manier les chiffres, mais ils ne sont pas formés pour penser politiquement. Or il faut penser l’économie chinoise en termes politiques, sinon il est impossible de comprendre ce qui s’y passe. Certains ont aussi intérêt à ne pas trop comprendre. Les règles du jeu que les Chinois voudraient imposer aux experts étrangers sont très claires : en aucun cas ils ne doivent exposer le vrai rôle du parti. Ceux qui acceptent de se plier à ces règles ne cherchent évidemment pas la transparence. Il est significatif qu’en Occident on présente Hu Jintao comme le « président chinois » alors que son titre le plus important est celui de secrétaire général du PC.

Comment cela fonctionne-t-il en réalité?

Pour décrypter la politique chinoise, il faut s’intéresser au fonctionnement des institutions, c’est-à-dire des bureaucraties de l’Etat et de l’économie, en essayant de démêler leurs influences respectives. Derrière les responsables officiels des entreprises ou des banques, il y a les comités du Parti communiste. Pour saisir les luttes d’influence, il faut analyser la façon dont le PC organise la rotation des cadres au sein des grandes bureaucraties – la banque centrale, par exemple – ainsi que dans les grandes entreprises. Il est donc très difficile de comprendre comment la Chine fonctionne si l’on n’essaie pas d’abord de deviner le rôle et l’activité du Parti communiste.

Comment définissez-vous son rôle dans la gestion de l’économie et des grandes entreprises?

Le parti contrôle directement les grandes entreprises dans les secteurs qu’il juge stratégiques, tels que le transport, l’énergie et les télécommunications. En dehors de ces secteurs, tous ceux qui se rendent en Chine peuvent constater qu’il existe un secteur privé vigoureux. Le parti a tenté de séduire les entrepreneurs, mais il est décidé à garder le contrôle sur ce qu’il appelle les « hauteurs déterminantes de l’économie », en s’assurant qu’aucun mécanisme ne permet au secteur privé de jouer un rôle autre que purement économique. Le Parti communiste a appris à laisser suffisamment d’autonomie aux entrepreneurs privés pour leur permettre de réussir, tout en prenant toutes les garanties pour qu’ils n’aient aucune possibilité de devenir un centre de pouvoir rival.

A quel point le parti est-il impliqué dans la gestion des grandes entreprises, y compris celles qui sont cotées dans les Bourses étrangères?

Cela varie d’un secteur à l’autre. Prenons un exemple. Le PC a très clairement exercé son contrôle sur les grandes entreprises de télécommunications telles que China Mobile, le plus grand opérateur de téléphonie mobile du monde. Ainsi, à trois ou quatre reprises au cours de la décennie écoulée, il a permuté les cadres dirigeants des principales entreprises de ce secteur, du jour au lendemain, sans même en informer les PDG. Du coup, ces cadres se sont trouvés parachutés à la tête d’entreprises qui jusque-là avaient été leurs concurrents ! Pourquoi a-t-il fait cela ? Parce qu’il s’agit d’une nouvelle industrie, et qu’il ne veut pas qu’elle échappe à son contrôle.

Pour le parti, le premier principe est le suivant : il a toute latitude d’embauche et de licenciement dans les entreprises, même si la façon dont il exerce cette prérogative varie d’un secteur à un autre. Deuxième principe : il existe un comité du parti qui agit comme un conseil d’administration parallèle au sein de chacune de ces grandes entreprises. Le parti n’est pas forcément impliqué dans la gestion quotidienne, mais il demeure un pouvoir de réserve, autorisé à intervenir quand il le juge nécessaire.

Ce qui est certain, c’est que plus vous devenez gros, en Chine, plus vous devez avoir de liens avec le parti. Au fil du temps, celui-ci a colonisé les entreprises privées, au point qu’il y a maintenant une convergence d’intérêts entre le PC et le secteur privé. Le PC veille à ce que le secteur privé ne devienne jamais un concurrent politique.

Pourquoi arrive-t-on si mal à mesurer la taille réelle du secteur privé?

Il y a une vraie difficulté à démêler le public du privé, car beaucoup d’entreprises rechignent à s’afficher comme des sociétés entièrement privées et préfèrent rechercher la protection d’actionnaires publics. Les entreprises chinoises se sentent plus vulnérables si elles sont privées. Il leur est conseillé d’avoir un « chapeau rouge » pour bien se développer.

Je cite deux rapports dans mon livre. Le premier, du courtier CLSA, de Hongkong, estime que le secteur privé génère 70 % du produit intérieur brut. Le second, de Yasheng Huang, du Massachusetts Institute of Technology, juge que le secteur purement privé équivalait, à la fin du XXe siècle, à 20 % de la production industrielle. Je pense que l’on peut estimer sérieusement que le secteur public génère 50 % ou plus du PIB, même si le secteur privé crée davantage d’emplois que le public.

Comment voyez-vous l’évolution de ce système ?

Le système communiste chinois est certes corrompu, pourri, coûteux et souvent inefficace. La corruption joue le rôle d’un impôt qui permet une redistribution au sein de la classe dirigeante. De cette manière, elle est une espèce de ciment du système. Mais si la crise financière en Occident a exacerbé l’orgueil national, elle a aussi démontré la flexibilité du système. Et il est indéniable que, depuis la mort de Mao, les deux piliers du pouvoir du parti – la croissance économique et le nationalisme renaissant – se sont renforcés.

Lénine reconnaîtrait-il l’organisation du PC chinois?

Il reconnaîtrait la structure. La bureaucratie léniniste a survécu, même si les dirigeants chinois y ont ajouté une touche de McKinsey pour la rendre plus performante. D’un autre côté, Lénine serait peut-être horrifié de se rendre dans un restaurant élégant avec d’autres cadres et de devoir payer 500 dollars pour dîner… Une partie de Lénine adorerait le parti d’aujourd’hui, une autre le détesterait!

Profil

Richard McGregor, 52 ans, journaliste au Financial Times, a passé dix ans en Chine et a aussi été en poste au Japon, à Taïwan et à Hongkong. De son expérience en Chine, il a tiré un récit inédit sur les rouages, le pouvoir et la stratégie du Parti communiste chinois (The Party. The Secret World of China’s Communist Party, HarperCollins, 2010). Il vient de rejoindre le bureau du FT à Washington.

Voir également:

Cinq idées reçues sur le Parti communiste chinois

Le léninisme de marché est toujours d’actualité.

Décryptage des clichés qui circulent au sujet de l’Empire du Milieu…

Foreign policy

Repris par Slate

Dimanche 30 janvier 2011

«La Chine n’a plus de communiste que le nom»

Faux. Imaginons que Lénine revienne à la vie dans le Pékin de 2011; imaginons qu’il parvienne à fermer les yeux sur les gratte-ciels étincelants et sur l’ostensible consumérisme de leurs habitants. Il percevrait certainement le Parti communiste chinois comme une copie du système qu’il avait élaboré, près d’un siècle plus tôt, pour les vainqueurs de la révolution bolchevique. Il suffit en effet d’étudier la structure du parti pour comprendre à quel point le système politique chinois demeure communiste —et léniniste.

Cela fait certes bien longtemps que la Chine a tiré un trait sur les fondements du système économique communiste. Elle les a progressivement remplacés par des entreprises d’Etat ayant le sens des affaires, qui coexistent avec un secteur privé des plus dynamiques. Mais malgré cette libéralisation de l’économie, les dirigeants chinois ont bien pris soin de conserver leur mainmise sur le pouvoir; et ce à travers trois éléments contrôlés par le parti: les fonctionnaires, la propagande et l’Armée populaire de libération (APL).

L’APL n’est pas l’armée du pays; c’est celle du parti. En Occident, la politisation potentielle des militaires est souvent matière à controverse. En Chine, c’est tout le contraire: le parti est constamment sur ses gardes, de peur de voir l’armée se dépolitiser. Il n’a peur que d’une chose: perdre le contrôle des généraux et de leurs troupes. En 1989, un général avait refusé d’ordonner à ses soldats de marcher sur la capitale pour y déloger les étudiants de la place Tian’anmen; l’incident a marqué au fer rouge la mémoire collective de la classe dirigeante. Car au final, c’est la répression des manifestants par l’armée qui a permis au parti de conserver le pouvoir en 1989; depuis, ses dirigeants font de leur mieux pour conserver le soutien des généraux, au cas où il faudrait étouffer de nouvelles révoltes dans l’œuf.

Le parti contrôle les médias par l’intermédiaire du département de la propagande, tout comme le faisait l’Union soviétique. Ce département transmet des directives quotidiennes aux organes de presse, par écrit, par email ou par sms, et —plus officieusement— par téléphone. Les directives expliquent, souvent en détail, comment traiter (ou ne pas traiter du tout) les informations considérées comme sensibles par le parti; l’attribution du prix Nobel de la paix à Lu Xiaobo, par exemple.

Enfin (et c’est peut-être le plus important), c’est le parti qui alloue tous les postes de premier plan dans les ministères, dans les entreprises, dans les universités et dans les médias, par l’intermédiaire d’un organisme mystérieux et peu connu: le département de l’organisation. A travers ce département, le parti gère la quasi-totalité des nominations d’importance, quelle que soit la région et le champ d’activité. Les Chinois se souviennent manifestement de la politique de Staline, qui voulait que les cadres décident de tout.

De fait, lorsqu’on compare la liste des caractéristiques du Parti communiste chinois à celle de l’Union soviétique (telle qu’établie par Robert Service, grand historien de l’URSS), on se rend vite compte que les ressemblances sont incroyablement nombreuses. Le parti a agi comme tous les dirigeants communistes au temps de leur âge d’or: il a éradiqué ou affaibli ses opposants politiques, a éliminé l’indépendance de la justice et des médias, a limité les libertés civiles et religieuses, a dénigré les partisans d’une autre vision de la nation, et a envoyé les dissidents en camp de travail. Si le système chinois est souvent qualifié de «léninisme de marché», ce n’est pas par hasard.

«Le Parti contrôle tous les aspects de la vie des citoyens»

Plus maintenant. Sous Mao Zedong (de 1949 à sa mort, en 1976), la Chine était, de fait, un Etat totalitaire. En ces temps obscurs, les employés ordinaires ne pouvaient se marier (et emménager avec leur conjoint) sans l’autorisation de leur supérieur hiérarchique. Il leur fallait également attendre l’aval de l’administration pour commencer à fonder une famille.

Depuis, le Parti communiste a compris qu’une telle ingérence dans la vie des Chinois pouvait desservir son principal projet: la création d’une économie moderne. Durant la période des grandes réformes initiées par Den Xiaoping (à la fin des années 1970), le Parti a peu à peu relâché son emprise sur la vie privée des citoyens, à l’exception des dissidents les plus récalcitrants. Dans les années 1980 et 1990, la disparition progressive de l’ancien système de prise en charge complète des citoyens (entreprises d’Etat, services médicaux et autres aides sociales) a également mis fin à un dispositif de contrôle particulièrement complexe, construit autour des comités de quartier, et dont l’un des objectifs étaient d’espionner la population.

Cette réforme a grandement profité au Parti. Certes, de nombreux jeunes ne savent plus vraiment à quoi sert ce dernier, estimant qu’il ne joue plus aujourd’hui de rôle notable dans leurs vies. Mais les dirigeants s’en réjouissent: les citoyens ordinaires ne sont pas sensés s’intéresser aux rouages internes du parti. Ses organes les plus puissants (comme les départements de la propagande et de l’organisation) ne veulent pas se faire remarquer; on ne trouve aucune plaque à leurs noms devant leurs bureaux, et leurs numéros de téléphone ne figurent pas dans les annuaires. La stratégie de la discrétion s’est avérée payante: elle leur permet de cacher leurs opérations à la population tout en permettant au parti de récolter tous les lauriers d’une croissance économique éclair. C’est ainsi que fonctionne aujourd’hui le contrat social de la Chine: le parti permet au citoyens d’améliorer leur niveau de vie comme bon leur semble, à condition que ces derniers ne se mêlent pas de politique.

«Internet aura raison du parti»

Impossible. On se souvient de la formule prononcée il y a dix ans par Bill Clinton; il affirmait que les dirigeants chinois ne parviendraient jamais à contrôler Internet, tâche revenant, selon lui, à essayer de «clouer de la gelée à un mur». Le président avait raison —mais il ne s’attendait certainement pas à cela. En Chine, Internet n’est pas le relais des valeurs démocratiques occidentales; et à bien des égards, il est même devenu l’inverse. La «grande muraille numérique» est chargée de filtrer les idées venues de l’Occident, et elle remplit parfaitement son office. A l’intérieur des murs, en revanche, les cyber-citoyens ultranationalistes jouissent d’une liberté de parole beaucoup plus étendue.

Le Parti communiste chinois s’est toujours drapé dans le nationalisme pour s’assurer le soutien du peuple, et il a toujours su exploiter l’émotion de la population quant aux humiliations historiques infligées par l’Occident. Les propositions d’investissements étrangers les plus banales qui soient ont ainsi parfois été comparées à l’Alliance des huit nations, qui avait envahi et occupé Pékin en 1900. Mais lorsque de tels propos se propagent sur Internet, le gouvernement chinois parvient souvent à canaliser cette colère avec finesse pour servir ses propres intérêts. Pékin avait par exemple utilisé un mouvement de colère anti-japonaise pour faire pression sur Tokyo lorsque le capitaine d’un bateau de pêche avait été arrêté dans les eaux du Japon. Ces tactiques pour le moins brutales ne font rien pour améliorer l’image de la Chine à l’étranger, mais elles ont renforcé la popularité du parti dans la population; dans les médias nationaux, les Chinois entendent que leurs dirigeants tiennent tête aux puissances étrangères.

A travers son département de la propagande, le parti emploie toute une gamme de tactiques —souvent inventives— pour conserver sa mainmise sur Internet. Chaque région dispose d’une police numérique spécialement entraînée, chargée de contenir tout mouvement d’humeur local, et le département de s’arrête pas là: il a mis sur pied un système permettant d’allouer de petites sommes d’argent à tout citoyen disposé à poster des messages progouvernementaux sur divers forums et groupes de discussion. De plus, les principaux portails Internet savent que leur —très profitable— modèle économique dépend de leur capacité à éliminer tout contenu subversif de leurs sites. Et s’ils défient ces règles à maintes reprises, le gouvernement peut tout simplement les faire disparaître du web.

«Plusieurs pays souhaitent reproduire le modèle chinois»

Bon courage. Il va sans dire que nombre de pays en développement envient le succès de la Chine. Quel pays pauvre refuserait trois décennies de croissance à 10%? Et quel despote ne voudrait pas d’une croissance à 10%, tout en ayant l’assurance de rester au pouvoir pour longtemps? De fait, nombre de pays auraient beaucoup à apprendre de la Chine quant à l’administration du développement (comment affiner ses réformes en les implémentant dans différentes régions du pays; comment gérer l’urbanisation de manière à ce que les métropoles ne soient pas submergées par les quartiers pauvres et les bidonvilles…).

Par ailleurs, la Chine est parvenue à ce résultat en ignorant délibérément les conseils de l’Occident; elle a su tirer parti des avantages du marché, sans pour autant succomber à l’ensemble de ses charmes. Pendant des années, les banquiers du monde entier se sont rendus à Pékin pour prêcher la bonne parole de la libéralisation financière, conseillant aux dirigeants chinois de laisser flotter leur monnaie et d’ouvrir leur compte de capital. Comment reprocher aux Chinois d’avoir compris que cette recommandation était évidemment motivée par des intérêts personnels? Une théorie à la mode veut que le succès de la Chine ait donné naissance à un nouveau «consensus de Pékin», qui remettrait en cause l’importance de l’économie de marché et de la démocratie —les deux marques de fabrique du «consensus de Washington». Le consensus de Pékin proposerait ainsi un système économique pragmatique et une politique autoritariste prête à l’emploi.

Mais observez le modèle chinois de plus près, et vous verrez qu’il n’est pas si simple de le l’imiter. La plupart des pays en développement n’ont pas la tradition et la complexité bureaucratique de la Chine; la structure du parti lui donne une capacité à mobiliser des ressources et à diriger ses fonctionnaires qu’ils ne peuvent égaler. La République démocratique du Congo pourrait-elle établir et administrer un département de l’organisation? En Chine, l’autoritarisme ne pourrait fonctionner sans les ressources du parti.

«Le parti ne peut pas rester au pouvoir éternellement»

Faux. Du moins pas dans un avenir prévisible. Contrairement à ce que l’on a pu voir à Taiwan et en Corée du Sud, l’émergence de la classe moyenne chinoise n’a pas coïncidé avec une exigence de démocratie à l’occidentale. Et ce pour d’évidentes raisons. Ses trois plus proches voisins asiatiques, Japon y compris, sont devenus des démocraties à des moments —et dans des circonstances— différents. Mais ils étaient tous des protectorats des Etats-Unis, et Washington a joué un rôle central dans la mise en place (ou dans l’institutionnalisation) de leur démocratie. L’Amérique a ainsi fait pression sur la Corée du Sud pour qu’elle annonce la tenue d’élections avant les Jeux olympiques de Séoul de 1988. Par ailleurs, les sociétés japonaises et sud-coréennes sont plus réduites et plus homogènes; elles n’ont pas la vaste portée continentale de la Chine, et sa multitude de conflits nationaux et ethniques. Inutile d’ajouter qu’aucun de ces pays n’a connu de révolution communiste ayant pour but principal de bouter les impérialistes étrangers hors de leurs frontières.

Il est fort possible que la classe moyenne urbaine chinoise désire avoir plus de liberté politique, mais elle n’a jamais osé se soulever de concert contre l’Etat —et ce pour une simple raison: elle a bien trop à perdre. Ces trente dernières années, le parti a sévèrement réprimé toute forme d’opposition; mais il a aussi lancé une série de vastes réformes économiques. La liberté de consommer (voitures, immobilier, supermarchés bien fournis) est beaucoup plus séduisante que la vague idée de démocratie, surtout lorsque ceux qui réclament des réformes politiques peuvent perdre leur métier ou se faire emprisonner. S’opposer au parti peut coûter cher; bien trop cher. Voilà pourquoi les régions rurales ont constitué les principaux foyers d’agitation de ces dernières années; on y trouve les habitants les plus pauvres, et donc les moins touchés par les bienfaits du miracle économique national. «Prolétaires de tous les pays, unissez-vous! Vous n’avez rien à perdre que vos crédits immobiliers!» n’est pas le plus engageant des slogans révolutionnaires.

Voilà pourquoi certains analystes estiment que des divisions internes au parti seraient un vecteur de changement politique plus probable. Comme toutes les organisations politiques de grande ampleur, le Parti communiste chinois est divisé en factions diverses, qui vont des fiefs locaux (dont l’influence a été illustrée par la «clique de Shanghai», sous le président Jiang Zemin) aux réseaux internes au parti (les cadres supérieurs furent par exemple liés à la Ligue de la jeunesse communiste par Hu Jintao, le successeur de Jiang). Les cadres du parti sont clairement en désaccord sur nombre de sujets, que ce soit le rythme à donner à la libéralisation politique ou l’ampleur du rôle que doit jouer le secteur privé dans l’économie du pays.

Mais ces divergences sont souvent l’arbre qui cache la forêt. Depuis 1989, lorsque les instances dirigeantes du parti s’étaient divisées et que ce dernier avait failli s’effondrer, il existe une règle suprême: aucun conflit interne au Politburo ne doit être rendu public. Aujourd’hui, la coopération des cadres dirigeants du parti est aussi naturelle que la compétition de ses factions internes, qui ne cesse de l’affaiblir. Xi Jinping, l’héritier présomptif de Hu Jintao, prendra certainement les rênes du pouvoir en 2012, lors du prochain congrès du parti. Son vice-président sera sans doute Li Keqiang; si l’on part du principe que ce dernier lui succédera pour l’habituel mandat de cinq ans, il semble que la Chine soi fixée sur l’identité de ses dirigeants jusqu’en 2022. Lorsque les Chinois comparent leur pays à l’Amérique, ils se disent que cette dernière ressemble de plus en plus à une république bananière.

L’idée selon laquelle la Chine était destinée à devenir une démocratie a toujours été une hypothèse occidentale; hypothèse née de nos théories sur l’évolution des systèmes politiques. Et pour l’heure, tout pousse à croire que ces théories sont fausses. Le parti pense ce qu’il dit: il ne veut pas voir la Chine devenir une démocratie à l’occidentale —et il semble disposer de tous les outils nécessaires pour s’assurer que cela n’arrive jamais.

Richard McGregor

McGregor est l’ancien chef de bureau à Pékin pour the Financial Times et l’auteur de The Party: The Secret World of China’s Communist Rulers.

Traduit par Jean-Clément Nau

Voir de plus:

« Le modèle chinois ébranle les certitudes américaines »

Propos recueillis par Sylvain Cypel

Le Monde

07.01.12

New York, correspondant – Installé depuis 2005 à New York, Ian Buruma est devenu l’un des intellectuels les plus en vue aux Etats-Unis. Il collabore à la New York Review of Books, au New York Times et au New Yorker. Polyglotte (néerlandais, anglais, allemand, chinois, japonais et français, quoi qu’il en dise), il a été l’éditeur des pages culturelles de la Far Eastern Economic Review, à Hongkong, et de The Spectator, à Londres. Aujourd’hui professeur de démocratie, droits de l’homme et journalisme à l’université Bard – « façon de dire que j’enseigne ce que je veux, c’est le charme du système universitaire américain », dit-il en riant -, il est un auteur polyvalent et prolifique. Nous avons interrogé cet intellectuel à focale large, prix Erasmus 2008, sur sa spécialité initiale : la Chine et l’Extrême-Orient.

Votre itinéraire vous place au carrefour de l’Asie, de l’Europe et de l’Amérique. En quoi cela influence-t-il votre regard sur le monde ?

Mon père est néerlandais, ma mère anglaise d’origine juive allemande. L’Asie puis l’Amérique se sont ajoutées un peu par hasard. Très jeune, étudiant en langue et littérature chinoises, j’étais un cinéphile. Un jour, j’ai vu à Paris Domicile conjugal (1970), de François Truffaut. Le personnage d’Antoine Doinel y tombe amoureux de la Japonaise… et moi aussi ! A l’époque, aller en Chine était impossible. Je me suis donc tourné vers le Japon, où j’ai étudié le cinéma et participé à la troupe de danse Dairakudakan. L’Amérique est venue à moi tardivement, quand on m’a proposé d’y enseigner. Je me sens toujours plus européen qu’américain. Un Européen marié à une Japonaise et parfaitement chez lui à New York, la ville de la mixité.

Vous êtes progressiste et un produit typique du multiculturalisme. Pourquoi dénoncez-vous la « courte vue » des progressistes sur l’islam ?

Je ne suis pas « progressiste ». C’est ce pays tellement conservateur que sont les Etats-Unis qui m’a beaucoup poussé à gauche ! Je l’étais moins en Europe et en Asie. Je n’ai jamais admis les complaisances de gens de gauche pour toutes sortes de potentats sous le prétexte d’accepter les différences. Et je suis opposé à l’idéologie du multiculturalisme. Lorsque le terme décrit une réalité, il me convient. Sur le plan factuel, je suis multiculturel. Mais l’idée que les gens doivent impérativement préserver toutes leurs racines est absurde. Dans le cas célèbre d’un crime d’honneur commis en Allemagne, où le juge avait estimé que le criminel avait des circonstances atténuantes en raison de sa culture d’origine, je considère qu’il a tort.

Il y a des choses plus importantes que la culture. Je n’admets pas l’argument culturel pour justifier l’excision. En même temps, je suis plus tolérant que la loi française pour l’affichage des symboles religieux. Qu’une policière ou une enseignante soit interdite de porter le niqab dans ses fonctions, oui. Une personne dans la rue, non. Ce type d’interdiction n’est qu’une façon de dissuader des gens impopulaires d’adhérer à une religion impopulaire.

La peur des Japonais était très forte il y a vingt-cinq ans aux Etats-Unis. Comment expliquez-vous qu’un même phénomène soit aujourd’hui dirigé contre la Chine ?

Les deux phénomènes ne sont pas similaires. Ce qui faisait peur aux Américains il y a une génération, c’était la visibilité des Japonais : Mitsubishi rachetait le Rockefeller Center, Toyota déboulait, etc. Leurs marques étaient très visibles. De plus, dans l’histoire américaine, les Japonais sont suspects. Aujourd’hui, les Américains se disent que, si les Chinois parviennent à la puissance qu’avaient les Japonais, ils seront bien plus dangereux. Mais, sur le fond, la menace nipponne avait été grandement exagérée et la menace chinoise l’est tout autant. D’abord, l’absence de liberté intellectuelle en Chine reste un obstacle très important pour son développement. Ensuite, l’intérêt des deux parties à préserver des liens l’emportera sur les forces poussant au conflit.

Quelle est la part de réalité et de fantasme dans cette tension montante ?

Par fantasmes, vous entendez peur. Elle est fondée : la montée en puissance de la Chine ne pourra que réduire le pouvoir et l’influence américaine dans le monde. Après 1945, les Etats-Unis sont devenus le gendarme de l’Asie. Ce n’est plus le cas. Des peurs populistes sont également fondées sur des motifs socio-économiques. Mais je ne pense pas qu’elles atteignent le niveau des peurs antinippones de la fin des années 1980. Et les craintes de l’influence économique chinoise sont surtout concentrées dans les Etats de la vieille économie, où l’industrie lourde est en déclin.

Un sondage de l’Institut Pew a montré que les Américains croient que la Chine est devenue la première puissance économique mondiale. Or elle reste loin des Etats-Unis. C’est un fantasme typique…

C’est une combinaison d’ignorance et de peurs, exploitées par des chroniqueurs de radios dans le but de blâmer Barack Obama. Mais je le répète : le déclin des Etats-Unis est un fait, comme la montée en puissance économique de l’Asie. Ce déclin génère un choc, dont il ne faut pas s’alarmer inconsidérément. Au début du XXe siècle, l’invention du personnage de Fu Manchu (sorte de génie du Mal incarnant le « péril jaune ») avait provoqué un arrêt de l’immigration sino-nipponne en Amérique qui avait même eu un impact en Europe. A suivi la menace communiste, qui était, pour les Etats-Unis, loin d’être aussi réelle qu’on l’a présentée. Mais même la CIA y a sincèrement cru.

Les Etats-Unis sont un pays qui vit sous la peur constante de puissances extérieures qui menaceraient de faire disparaître son espace sécurisé. Ce pays a bâti et a été bâti par une société d’immigrés mais, dans le même temps, il pourchasse ces immigrés pour se protéger. Comme la France, du reste. Et, comme les Français, les Américains s’estiment porteurs d’une mission civilisatrice universelle. Or le « modèle chinois » ébranle leurs certitudes.

Est-ce parce que les Américains fondent leur économie sur l’idée que la liberté est le meilleur garant du succès, alors que les Chinois ont une croissance très supérieure avec un régime dictatorial ?

C’est exactement ça. Ce mélange chinois réussi de capitalisme et d’Etat fort est plus qu’une remise en cause, il est perçu comme une menace. Je ne vois pourtant pas monter une atmosphère très hostile à la Chine dans l’opinion. Depuis un siècle, les Américains ont toujours été plus prochinois que pronippons. Les missions chrétiennes ont toujours eu plus de succès en Chine qu’au Japon. Pour la droite fondamentaliste, ça compte. Et, dans les années 1980, des députés ont détruit des Toyota devant le Capitole ! On en reste loin.

Et le regard des Chinois sur les Etats-Unis, comment évolue-t-il ?

Tout dépend de quels Chinois on parle, mais, pour résumer, c’est attirance-répulsion. Surtout parmi les classes éduquées qui rêvent d’envoyer leurs enfants dans les universités américaines et en même temps peuvent être emplies de ressentiment à l’égard d’une Amérique qu’elles perçoivent comme hostile, pour beaucoup à cause de la propagande de leur gouvernement. Du communisme comme justificatif du pouvoir il ne reste rien. Le nouveau dogme est un nationalisme fondé sur l’exacerbation d’un sentiment victimaire vis-à-vis du Japon et des Etats-Unis. En Chine, à Singapour, en Corée du Sud, on constate une forte ambivalence typique de certaines élites, par ailleurs fortement occidentalisées, pour qui le XXIe siècle sera asiatique. Dans les années 1960, au Japon, a émergé une nouvelle droite ultranationaliste, dont les représentants les plus virulents étaient professeurs de littérature allemande ou française. Ils voulaient se sentir acceptés, légitimes en termes occidentaux, et se sentaient rejetés. C’est ce que ressentent aujourd’hui les nationalistes chinois.

En 2010, vous avez écrit que la Chine est restée identique sur un aspect essentiel : elle est menée par une conception religieuse de la politique. Serait-elle politiquement soumise à l’influence du confucianisme, comme l’espace musulman le serait par le Coran ?

Dans le cas chinois, il ne s’agit pas que de confucianisme ; le maoïsme était identique. Il n’y a aucune raison pour que les musulmans ne puissent accéder à la démocratie tout en préservant leur religion. La Turquie, l’Indonésie l’ont fait. La Chine le pourrait tout autant. Des sociétés de culture sinisante comme Taïwan ou la Corée du Sud ont montré qu’un changement est possible. L’obstacle à surmonter, en Chine, est que le confucianisme rejette la légitimité du conflit. L’harmonie est caractérisée par un ordre social ou règne l’unanimité. Donc la plus petite remise en cause apparaît instantanément menaçante.

Qu’est-ce qui pourrait déclencher un processus démocratique en Chine ?

Le plus grand obstacle est l’alliance entre les élites urbaines et le Parti communiste. Les deux ont peur de l’énorme masse paysanne ignorante. Ces élites ont une telle histoire récente de violence et une telle peur d’un retour du chaos qu’elles préfèrent un ordre qui leur assure la croissance, au risque d’avancer vers la démocratie. Pour le pouvoir, la grande faiblesse de ce système est que, le jour où l’économie cesse de croître et que l’enrichissement des élites urbaines s’arrête, l’édifice s’écroule. Dans ce cas, tout pourrait advenir, d’une alliance entre démocrates, ressortissants des nouvelles élites, et une fraction du parti, jusqu’à un coup d’Etat militaire.

Voir encore:

5 Myths About the Chinese Communist Party
Market-Leninism lives.
Richard McGregor

Foreign Policy

January 3, 2011

“China Is Communist in Name Only.”

Wrong. If Vladimir Lenin were reincarnated in 21st-century Beijing and managed to avert his eyes from the city’s glittering skyscrapers and conspicuous consumption, he would instantly recognize in the ruling Chinese Communist Party a replica of the system he designed nearly a century ago for the victors of the Bolshevik Revolution. One need only look at the party’s structure to see how communist — and Leninist — China’s political system remains.

Sure, China long ago dumped the core of the communist economic system, replacing rigid central planning with commercially minded state enterprises that coexist with a vigorous private sector. Yet for all their liberalization of the economy, Chinese leaders have been careful to keep control of the commanding heights of politics through the party’s grip on the “three Ps”: personnel, propaganda, and the People’s Liberation Army.

The PLA is the party’s military, not the country’s. Unlike in the West, where controversies often arise about the potential politicization of the military, in China the party is on constant guard for the opposite phenomenon, the depoliticization of the military. Their fear is straightforward: the loss of party control over the generals and their troops. In 1989, one senior general refused to march his soldiers into Beijing to clear students out of Tiananmen Square, an incident now seared into the ruling class’s collective memory. After all, the army’s crackdown on the demonstrations preserved the party’s hold on power in 1989, and its leaders have since worked hard to keep the generals on their side, should they be needed to put down protests again.

As in the Soviet Union, the party controls the media through its Propaganda Department, which issues daily directives, both formally on paper and in emails and text messages, and informally over the phone, to the media. The directives set out, often in detail, how news considered sensitive by the party — such as the awarding of the Nobel Peace Prize to Liu Xiaobo — should be handled or whether it should be run at all.

Perhaps most importantly, the party dictates all senior personnel appointments in ministries and companies, universities and the media, through a shadowy and little-known body called the Organization Department. Through the department, the party oversees just about every significant position in every field in the country. Clearly, the Chinese remember Stalin’s dictate that the cadres decide everything.

Indeed, if you benchmark the Chinese Communist Party against a definitional checklist authored by Robert Service, the veteran historian of the Soviet Union, the similarities are remarkable. As with communism in its heyday elsewhere, the party in China has eradicated or emasculated political rivals, eliminated the autonomy of the courts and media, restricted religion and civil society, denigrated rival versions of nationhood, centralized political power, established extensive networks of security police, and dispatched dissidents to labor camps. There is a good reason why the Chinese system is often described as “market-Leninism.”

“The Party Controls All Aspects of Life in China.”

Not anymore. No question, China was a totalitarian state under Mao Zedong’s rule from 1949 until his death in 1976. In those bad old days, ordinary workers had to ask their supervisors’ permission not only to get married, but to move in with their spouses. Even the precise timing for starting a family relied on a nod from on high.

Since then, the Chinese Communist Party has recognized that such intensive interference in people’s personal lives is a liability in building a modern economy. Under the reforms kick-started by Deng Xiaoping in the late 1970s, the party has gradually removed itself from the private lives of all but the most recalcitrant of dissidents. The waning in the 1980s and 1990s of the old cradle-to-grave system of state workplaces, health care, and other social services also dismantled an intricate system of controls centered on neighborhood committees, which among other purposes were used for snooping on ordinary citizens.

The party has benefited hugely from this shift, even if many young people these days have little knowledge of what the party does and consider it irrelevant to their lives. That suits party leaders perfectly. Ordinary people are not encouraged to take an interest in the party’s internal operations, anyway. Powerful party organs like the Organization and Propaganda Departments do not have signs outside their offices. They have no listed phone numbers. Their low profile has been strategically smart, keeping their day-to-day doings out of public view while allowing the party to take full credit for the country’s rapid economic growth. This is how China’s grand bargain works: The party allows citizens great leeway to improve their lives, as long as they keep out of politics.

“The Internet Will Topple the Party.”

Nope. Bill Clinton famously remarked a decade ago that the efforts of Chinese leaders to control the Internet were doomed, akin to “nailing Jell-O to a wall.” It turns out the former president was right, but not in the way he thought. Far from being a conveyor belt for Western democratic values, the Internet in China has largely done the opposite. The “Great Firewall” works well in keeping out or at least filtering Western ideas. Behind the firewall, however, hypernationalist netizens have a much freer hand.

The Chinese Communist Party has always draped itself in the cloak of nationalism to secure popular support and played up the powerful narrative of China’s historical humiliation by the West. Even run-of-the-mill foreign-investment proposals are sometimes compared to the “Eight Allied Armies” that invaded and occupied Beijing in 1900. But when such views bubble up on the Internet, the government often skillfully manages to channel them to its own ends, as when Beijing used an online outburst of anti-Japanese sentiment to pressure Tokyo after a Chinese fishing-boat captain was arrested in Japanese waters. Such bullying tactics may not help China’s image abroad, but they have reinforced support at home for the party, which the state media is keen to portray as standing up to foreign powers.

Through its Propaganda Department, the party uses a variety of often creative tactics to ensure that its voice dominates the web. Not only does each locality have its own specially trained Internet police to keep a lid on grassroots disturbances, the department has also overseen a system for granting small cash payments to netizens who post pro-government comments on Internet bulletin boards and discussion groups. Moreover, the dominant national Internet portals know that their profitable business models depend on keeping subversive content off their sites. If they consistently flout the rules, they can simply be shut down.

“Other Countries Want to Follow the China Model.”

Good Luck. Of course, many developing countries are envious of China’s rise. Which poor country wouldn’t want three decades of 10 percent annual growth? And which despot wouldn’t want 10 percent growth and an assurance that he or she would meanwhile stay in power for the long haul? China undoubtedly has important lessons to teach other countries about how to manage development, from fine-tuning reforms by testing them in different parts of the country to managing urbanization so that large cities are not overrun by slums and shantytowns.

Moreover, China has done this while consciously flouting advice from the West, using the market without being seduced by its every little charm. For years, foreign bankers trekked to Beijing to sell the gospel of financial liberalization, telling Chinese officials to float their currency and open their capital account. Who could blame China’s leaders for detecting the evident self-interest in such advice and rejecting it? China’s success has given rise to the fashionable notion of a new “Beijing Consensus” that eschews the imposition of free markets and democracy that were hallmarks of the older “Washington Consensus.” In its place, the Beijing Consensus supposedly offers pragmatic economics and made-to-order authoritarian politics.

But look closer at the China model, and it is clear that it is not so easily replicated. Most developing countries do not have China’s bureaucratic depth and tradition, nor do they have the ability to mobilize resources and control personnel in the way that China’s party structure allows. Could the Democratic Republic of the Congo ever establish and manage an Organization Department? China’s authoritarianism works because it has the party’s resources to back it up.

“The Party Can’t Rule Forever.”

Yes it can. Or at least for the foreseeable future. Unlike in Taiwan and South Korea, China’s middle class has not emerged with any clear demand for Western-style democracy. There are some obvious reasons why. All three of China’s close Asian neighbors, including Japan, became democracies at different times and in different circumstances. But all were effectively U.S. protectorates, and Washington was crucial in forcing through democratic change or institutionalizing it. South Korea’s decision to announce elections ahead of the 1988 Seoul Olympics, for example, was made under direct U.S. pressure. Japan and South Korea are also smaller and more homogeneous societies, lacking the vast continental reach of China and its multitude of clashing nationalities and ethnic groups. And needless to say, none underwent a communist revolution whose founding principle was driving foreign imperialists out of the country.

China’s urban middle class may wish for more political freedom, but it hasn’t dared rise up en masse against the state because it has so much to lose. Over the last three decades, the party has enacted a broad array of economic reforms, even as it has clamped down hard on dissent. The freedom to consume — be it in the form of cars, real estate, or well-stocked supermarkets — is much more attractive than vague notions of democracy, especially when individuals pushing for political reform could lose their livelihoods and even their freedom. The cost of opposing the party is prohibitively high. Hence the hotbeds of unrest in recent years have mostly been rural areas, where China’s poorest, who are least invested in the country’s economic miracle, reside. “Workers of the world unite! You have nothing to lose except your mortgages” doesn’t quite cut it as a revolutionary slogan.

All this is why some analysts see splits within the party as a more likely vehicle for political change. Like any large political organization, the Chinese Communist Party is factionalized along multiple lines, ranging from local fiefdoms (exemplified on the national stage by the “Shanghai Gang” under former President Jiang Zemin) to internal party networks (like the senior cadres tied to the Communist Youth League through Jiang’s successor Hu Jintao). There are also clear policy disputes over everything from the proper pace of political liberalization to the extent of the private sector’s role in the economy.

But highlighting these differences can obscure the larger reality. Since 1989, when the party split at the top and almost came asunder, the cardinal rule has been no public divisions in the Politburo. Today, top-level cooperation is as much the norm as debilitating factional competition. Xi Jinping, the heir apparent, is set to take over at the next party congress in 2012. Assuming his likely deputy, Li Keqiang, follows with the usual five-year term, China’s top leadership seems set until 2022. For the Chinese, the United States looks increasingly like a banana republic by comparison.

The idea that China would one day become a democracy was always a Western notion, born of our theories about how political systems evolve. Yet all evidence so far suggests these theories are wrong. The party means what it says: It doesn’t want China to be a Western democracy — and it seems to have all the tools it needs to ensure that it doesn’t become one.

Voir enfin:

Searching for Hayek in Cairo

To make democracy stick, the Arab Spring now needs an economic revolution..

Matthew Kaminski

The WSJ

April 21, 2011.

Cairo

The downsides of Mideast unrest are civil wars, Islamist takeovers and terrorism, and gasoline prices approaching $5 a gallon. Add to the list backlash against the open economy. If this persists, the grand upside of this tumultuous Arab spring—democracy—will be harder to achieve.

Egypt is the bellwether. Two months since the overthrow of the Mubarak regime, interim military rulers run the Arab world’s largest state and promise a return to civilian rule following free elections later this year. Economic populism comes naturally to its suddenly rambunctious politics. On the streets, anger over low wages and corruption extends to capitalism and business elites who worked hand-in-glove with the hated regime.

If anything unites Egyptians in this bewildering period, it’s the conviction that ousted President Hosni Mubarak, sons Gamal and Alaa, and their friends fleeced the country. Thousands have come back to Cairo’s Tahrir Square in recent weeks to demand justice.

In response, prosecutors last week put the three Mubaraks in 15-day custody for questioning. Steel oligarch Ahmed Ezz and other confidants were already in jail. Corruption indictments came down Sunday against former Prime Minister Ahmed Nazif and his finance minister, Youssef Boutros-Ghali.

All these men claimed to champion economic reform. So, not surprisingly, people are now hostile to it. Every party, from the Muslim Brotherhood to self-described liberals, puts the need for « social justice » atop its list of economic priorities. Privatization and liberalization are dirty words. A series of strikes since the regime fell demanded not just better pay, but the nationalization of industry.

Any new elected government will likely be pushed to provide jobless benefits and boost fuel, food and other subsidies—what passes for welfare in a developing country. With privatization off the table probably for years, there’s talk of building up « national champions, » large, usually state-owned companies that demand monopolies, tariff protections and other perks. There’s also talk of dropping the recently adopted 20% corporate and income flat tax and bringing back a progressive system.

Crony capitalists deserve to be rebuked, yet the backlash carries a price. It keeps investors and capital away. And it poisons the political atmosphere, pushing off already overdue changes necessary to meet the great expectations of better jobs and wages. What’s too often overlooked is that the foundations of capitalism are those of democracy as well: rule of law and an independent judiciary, a private sector able to thrive free of state favor or caprice, competition and open borders for goods, people and capital.

Reform and its advocates were early victims of Egypt’s revolution. Yet paradoxically, thanks to them, the economy was a lone not-so-dark spot of the late Mubarak years. Before 2005, Egypt was a stagnant and state-dominated economy. But after the opening that year—including the introduction of a flat tax that increased revenues four-fold—average annual growth above 6% beat similar Arab countries like Jordan or Syria. Economic activity started to come out of the shadows. The banking system was cleaned up. Red tape, while still notoriously bad, improved enough for Egypt to make a dramatic jump up to the 18th spot on the World Bank’s rankings of easiest countries in which to do business.

Four days into the January protests, President Mubarak fired the government of Mr. Nazif, who now sits in prison. Aside from appeasing public anger, he hoped to secure the military’s support. The brass didn’t like reforms or Gamal Mubarak, a banker who had his eye on daddy’s job. The privatization of state companies—often to benefit Mubarak cronies—and pledges of transparency and competition threatened the military’s opaque hold on, it is said, up to a third of Egypt’s economy. Two weeks later, after protests swelled, the generals pushed the Mubaraks out.

To the public at large, Gamal Mubarak symbolizes obscene wealth for the elites, while roughly half of Egypt lives on less than $2 a day and can’t read or write. « Egypt did very well—just for 100 people, » says protest organizer Abdullah Helmy. As Russia showed in the 1990s, privatization without proper domestic competition and rule of law enriches insiders, enrages the rest, and yields limited economic benefits.

But however flawed and limited, the reforms have helped Egypt stomach the economic blows of revolution. Tourism plummeted and Cairo’s stock market stayed shut for over a month, until late March. Gross domestic product this year is expected to grow 2.5%, less than half the pre-revolutionary forecast. The interim government is looking for funding from the International Monetary Fund and others to cover a budget hole, but there’s little sense of desperation or shortages of food or other staples. Egypt built up reserves to $36 billion; the central bank has used at least $6 billion of it to prop up the Egyptian pound since February.

« The economic developments that Egypt saw in the last five years did not filter to the masses, » says Yasser El Mallawany, the chief executive of EFG Hermes, the biggest investment bank in the Middle East. « It was not people friendly. But if the growth [in 2005-10] had not been achieved, I don’t know from where you’d feed 80 million people today. »

Mr. El Mallawany, whose bank operates in 10 countries, made the right connections in the old days. He served on the policies committee of the once-ruling National Democratic Party, which was dissolved the other day in another notch for the demonstrators of Tahrir Square. Gamal Mubarak owns an 18% stake in a small subsidiary of EFG Hermes.

Mr. El Mallawany says he worries that arrests of allegedly dirty insiders will turn into a « witch hunt » against business and destroy the economy. You might say his fear is self-interested. But the line between justice and political retribution is thin in places with weak rule of law. Corruption charges can easily become tools of illiberal regimes. (See Putin’s Russia, 2000-present.)

Egypt would be better served by focusing on modernization. The barrier isn’t Islam, the tired excuse for Arab economic malaise, but political will. The Muslim Brotherhood, the powerful Islamist group, may send mixed messages about its commitment to liberal democracy, but it isn’t averse to business. Though few in absolute numbers, the young liberals who made this revolution say they want Egypt to join the wider world economy. A new dose of state planning won’t get it there.

The U.S. and other donors can help by providing incentives for Egypt’s future rulers to liberalize—say, with preferential trade access or direct financial aid to cover the short-term pain of cutting subsidies. Elected politicians are reluctant to pursue such policies because their fruits take time to ripen.

There’s a democratic imperative to market reform. The military, secular elites, the Islamists and now Peron-style populists are no friends of political pluralism. Growing economic opportunities and middle classes can help guard against reversal. South Africa and Turkey are good examples of imperfect democracies bucked up by strong, competitive economies. As scholar Valerie Bunce noted in the context of postcommunist Eastern Europe, liberalization helps to « disentangle political power from economic resources and thereby constrain the state, empower society and create competitive political and economic hierarchies. »

Mr. El Mallawany’s apartment along the Nile looks out onto shabby office towers and a sports stadium. « They’ve made this city so ugly, » he says, shaking his salt-and-pepper head. He lights a cigar. « It should be beautiful, » he continues. « With the right policies, Egypt in 10 years can be Malaysia. »

Mr. Kaminski is a member of the Journal’s editorial board.

11 Responses to Idiots utiles: La tentation de Pékin (« Beijing Consensus » vs. « Washington Consensus » all over again)

  1. […] plus présentable du capitaliste d’Etat, la tyrannie dont ils sont issus ou plus précisément le capitalisme nomenclaturaire des coquins aux taux de croissance gonflés et surtout tributaires de la demande occidentale et […]

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  2. jcdurbant dit :

    Voir aussi:
    Who Will Tell the Truth About China?
    Bret Stephens
    WSJ
    2/18/2012

    Americans will get their first close look this week at Xi Jinping, the man who’s expected to replace Hu Jintao later this year as China’s paramount leader. Mr. Xi is one of the Communist Party’s original princelings—his father was a top Mao lieutenant until he was purged in the early 1960s—and press accounts of his life are stuffed with details about the rough years he spent as a farm hand during the Cultural Revolution.
    The purpose of Mr. Xi’s image-making—helped along by some credulous Western reporting—is to present him as someone who took his knocks in life and understands what it’s like to be dirt poor even as he has risen up the party hierarchy.
    This, comrades, is baloney.

    Thanks to a WikiLeaked State Department cable from 2009, we know more about Mr. Xi than
    he would probably be willing to volunteer.

    Among other interesting details: Mr. Xi « chose to survive [the Cultural Revolution] by becoming redder than red »; his first degree « was not a ‘real’ university education but instead a three-year degree in applied Marxism »; he was « considered of only average intelligence »; and « the most permanent influences shaping [his] worldview were his princeling pedigree, » not his sojourn in the countryside.

    Now let’s turn to another truth about China. Shortly after the massacre at Tiananmen Square in 1989, a jailed Chinese dissident wrote a poem to the shy woman who would later become his wife:
    When you tell it to the dolls
    Avoid the truth
    Just use the names
    But leave out
    The facts
    Liu Xia

    That dissident was Liu Xiaobo, who, while serving another prison sentence, would be awarded a Nobel Peace Prize in 2010. His wife is Liu Xia, a poet and photographer who has been held under house arrest in Beijing for over a year.
    What can they tell us about China?
    Plenty, as it turns out—at least if you happen to be in New York City this month and can make time to visit the Italian Academy at Columbia University, where 26 of Ms. Liu’s photographs are on exhibit. Most of Ms. Liu’s photographs—all of them taken with an old Russian camera; most of them taken in her apartment—are of « ugly kids » dolls that a friend brought her years ago from Brazil. There is nothing political per se in any of these pictures: These are, after all, mere dolls.

    But of course they are entirely political. To look at them is to understand at a glance that Ms. Liu’s theme is the reality of modern China as experienced by anyone who refuses to accept the party line: alienation, confinement, repression, mental and spiritual suffocation. This is the essence of the totalitarian state: It makes claims not only on how you may act but on what you may think. Like Soviet-era jokes whose very absurdity brought home the truth about the system, the power of Ms. Liu’s photographs lies in their ability to elicit, even involuntarily, an act of subversion by anyone with
    the simple wit to recognize what they are about.

    That’s why the Chinese Foreign Ministry couldn’t quite register a formal protest—although it did voice its displeasure— when the photos were first exhibited last fall in France: To do so would be to admit that the government understood as well as anyone what these ugly dolls were saying about modern China. It’s also why the regime probably understands that it has more to fear from Ms. Liu than it does even from her husband.

    When I saw the exhibit on Sunday morning I had as my guide the French polymath Guy Sorman. Mr. Sorman is a friend of Ms. Liu’s; he’s also responsible for getting the prints out of China one at a time, on the theory that any single confiscation wouldn’t compromise the whole lot. Mr. Sorman believes that change is coming to China, but not by way of economic progress (if « progress » is the right word for the increasingly statist tilt of Chinese policy makers) or of the kind of political pamphleteering that landed Mr. Liu in prison.
    Instead, Mr. Sorman is convinced that the change will « occur where you least expect it. » Most Chinese today already get their news from Weibo (Chinese Twitter), eroding party control over the flow of information. American Idol-type singing contests are engendering a taste for democracy. And multiplying acts of cultural subversion are gradually making it impossible for the party to impose its categories of thought, even if it can still impose proscriptions on action.

    How will Mr. Xi handle this new China? It’s too soon to say. But no Chinese leader will be able to depend on the controls their predecessors enjoyed—technology simply won’t allow it, and neither will evolving public expectations about what is permitted. Renewed attempts to impose ideological conformity will be met only by the kind of cunning
    subversion that Ms. Liu has helped pioneer.

    Just consider: Ms. Liu doesn’t even know her work is being exhibited abroad. But as a poem she wrote in 1998 suggests, even that barrier may not matter much when it comes to telling the truth about China:

    Living together with the dolls
    Surrounded by the power of silence,
    The world open around us,
    We communicate in gestures.

    http://online.wsj.com/article/SB10001424052970204883304577… 2/18/2012

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  3. […] que dans une Chine qui dans l’indifférence générale continue à persécuter les chrétiens et ne respecte rien, on spécule déjà sur la valeur […]

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  4. […] du Carter noir de Washington et des virtuoses toujours impunis des chaises musicales de l’Axe Moscou-Pékin, payer de sa propre pièce […]

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  5. jcdurbant dit :

    la relance engagée fin 2008, après la faillite de Lehman Brothers, a en réalité appauvri une Europe totalement ouverte au commerce. Le but était d’éviter un effondrement de l’économie mondiale. Mais les Européens ont surtout relancé l’économie chinoise, les profits du CAC 40 et les bonus des banquiers. Les pays émergents ont réalisé des excédents commerciaux record à la faveur de cette relance par centaines de milliards. L’Europe, de son côté, a poursuivi sa désindustrialisation, elle ne parvient pas à enrayer la baisse des revenus et voit grossir les bataillons de ses chômeurs. Nous avons finalement appliqué un drôle de keynésianisme, avec intervention de l’Etat pour sauver les banques et destruction du tissu industriel européen. (…) Aujourd’hui, les chefs d’Etat européens ont compris que la relance fait les affaires des seuls émergents. Alors, désormais, ils se lancent dans la rigueur. (…) puisque la relance européenne a soutenu l’économie chinoise, la rigueur pourrait produire le contraire ? L’austérité des Européens et la crise qui en découle devraient mettre à genoux le monde émergent, qui a un besoin vital du Vieux Continent. Inconsciemment, l’Europe suivrait un raisonnement doloriste terrifiant : elle se mettrait en récession pour jeter en dépression les pays émergents, elle se ferait mal pour faire davantage souffrir ses concurrents commerciaux. Elle appliquerait le proverbe chinois : quand les gros maigrissent, les maigres meurent. Cette austérité équivaut donc à une déclaration de guerre aux nouveaux pays émergents. Tout cela peut mal finir (…)

    la Chine vit sous l’influence ancestrale d’un régime familial patrilinéaire où la transmission, l’héritage, les titres, passent par le lignage masculin. Ce système familial centré sur les hommes a bloqué son développement pendant des siècles. Et risque bien aujourd’hui de limiter son influence, parce qu’il abaisse le statut de la femme, mais aussi parce que les hommes deviennent prisonniers de l’organisation familiale. Or l’activité libre de l’individu reste au coeur des dynamiques sociales, de l’enrichissement des nations et du processus d’invention. La Chine ne peut pas devenir un leader expérimental, elle ne pourra probablement pas reprendre son ascendant à l’échelle mondiale. Exactement comme le Japon. Elle peut poursuivre son rattrapage, mais, une fois celui-ci réalisé, la question de l’affaissement de la Chine peut se poser. C’est son plafond de verre anthropologique. Confronté à ses immenses déséquilibres démographiques, l’empire du Milieu va vieillir avant d’être riche, et sans système de sécurité sociale.

    Emmanuel Todd

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  6. […] du monde, de l’Iran à la Syrie et de l’Afghanistan à la Corée du nord et avec la Chine et la Russie aux manettes, aux visées des régimes les plus cyniquement liberticides […]

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  7. […] Une théorie à la mode veut que le succès de la Chine ait donné naissance à un nouveau «consensus de Pékin», qui remettrait en cause l’importance de l’économie de marché et de la démocratie —les deux marques de fabrique du «consensus de Washington». Le consensus de Pékin proposerait ainsi un système économique pragmatique et une politique autoritariste prête à l’emploi.  Richard McGregor […]

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  8. […] Une théorie à la mode veut que le succès de la Chine ait donné naissance à un nouveau «consensus de Pékin», qui remettrait en cause l’importance de l’économie de marché et de la démocratie —les deux marques de fabrique du «consensus de Washington». Le consensus de Pékin proposerait ainsi un système économique pragmatique et une politique autoritariste prête à l’emploi.  Richard McGregor […]

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  9. […] Une théorie à la mode veut que le succès de la Chine ait donné naissance à un nouveau «consensus de Pékin», qui remettrait en cause l’importance de l’économie de marché et de la démocratie —les deux marques de fabrique du «consensus de Washington». Le consensus de Pékin proposerait ainsi un système économique pragmatique et une politique autoritariste prête à l’emploi.  Richard McGregor […]

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  10. jcdurbant dit :

    IT’S ALL ABOUT GUANXI, STUPID ! (Damned if you do, damned if you don’t: As China tries to clean up its act, it finds itself stuck with the double-edged sword of the old political connections system)

    A growing body of work hints that in the absence of deep institutional and financial-sector reforms, a certain degree of corruption might actually have been essential to China’s growth model. Forcing unruly local officials into line has been a hallmark of President Xi Jinping’s administration, which began in 2012. A brutal, wide-ranging campaign targeting official corruption helped bolster his standing and consolidate his power. But cutting off alternative routes for dealing with the government may be most punishing to small, privately owned companies, which already have the cards stacked against them in China’s bureaucratic system. Since these are the companies responsible for China’s explosive growth over the past three decades, that is a big problem.

    Corruption is notoriously hard to measure, but two widely cited metrics—Transparency International’s Corruption Perceptions Index (CPI) and the World Bank’s “control of corruption” governance indicator—have both improved substantially since Mr. Xi’s anticorruption crackdown kicked off. China, which was in the 37th percentile on the World Bank’s measure in 2011, had by 2016 hit the 49th percentile—a dramatic improvement. The number of officials punished for discipline violations more than doubled between 2011 and 2015 to over 300,000.

    Even before Mr. Xi’s rise, scholars were highlighting the curious relationship between graft and growth in China. The basic argument is that when public institutions like courts and markets are fair and well-functioning, corruption hurts growth. When they aren’t—and when officials have a direct stake in growth—moderate corruption can help local bureaucrats and companies circumvent ineffective institutions or nonsensical regulations.

    A 2012 paper in the China Economic Review highlighted the way this works at the firm level. The authors, economists at China’s Renmin University, found indicators of probable corruption—in this case the number of days companies interacted with government departments—explain a significant proportion of sales growth, particularly for small and privately owned companies.

    Most interestingly, the impact was magnified for companies struggling to secure financing—a common problem for private companies in China, whose state-owned banking system is heavily tilted toward state-owned firms. That suggests Beijing’s heavy-handed crackdown on shadow banking beginning in late 2016, in addition to the anticorruption campaign, compounded problems for the economy’s growth engines. In the past, private companies might have found ways to offset the funding squeeze. Now officials are terrified of stepping out of line.

    More recent research has found similar relationships. “Chinese private firms succeed, in part, by obtaining a special deal from a local political leader, which enables them to either break the formal rules or obtain favorable access to resources,” wrote Chong-en Bai, Chang-Tai Hsieh and Zheng Song in a May 2019 National Bureau of Economic Research paper. They found that private firms with better political connections grow faster and have better access to bank loans.

    The corruption crackdown may have undermined growth in more subtle ways too. Scholars have long highlighted how China’s bureaucratic model promotes competition—and experimentation—among different localities to boost public revenue and growth, directly impacting officials’ career prospects. Successful experiments like China’s special economic zones can then be cited by different factions in Beijing to make the case for their policies and rolled out nationwide. Permitting a certain amount of graft and creativity in generating nontax revenue—through permit fees for construction, for example—gives local officials a direct stake in growth and erodes their resistance to reforms.

    Yuen Yuen Ang of the University of Michigan posits such a “franchising” model of Chinese bureaucracy in a 2017 article published in Regulation and Governance. She also notes that many local officials nabbed in the corruption dragnet were considered star performers before their downfall. In an October Korea Times editorial, Ms. Ang says her forthcoming study of municipal party secretaries’ careers shows that 40% of those felled by corruption charges had been promoted in the previous five years.

    By so effectively destroying competing factions and realigning local officials’ incentives away from growth and entrepreneurship and toward strict compliance with Beijing, Xi’s administration may therefore have also inadvertently undermined one of the pre-Xi system’s great strengths: its creativity.

    The free hand local officials once had created plenty of problems too, with overinvestment and lax environmental regulation among the most obvious. Mr. Xi’s administration has been effective at tackling these scourges. The cost has been great, though, particularly in the absence of well-functioning markets and fair courts to help the best companies get funding, challenge unfair regulations and fend off predatory state-owned competitors.

    A squeaky clean Chinese bureaucracy may cause as many problems as it solves.

    https://www.wsj.com/articles/chinas-corruption-paradox-11572600605

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