Nuremberg du communisme: Mais qui jugera les formateurs et thuriferaires de Pol Pot? (What about the genociders’ trainers and cheerleaders?)

cole normale superieure (Paris)
Le sang qui coule sur Phnom-Penh a pris sa source dans vos esprits. Jean-Pax Méfret
Que la justice soit, le monde dût-il en périr. Adage latin
La maxime quelque peu emphatique, mais vraie, fiat justitia, pereat mundus, cette maxime, qui est passée en proverbe et qu’on peut traduire ainsi : « Que la justice règne, dussent périr tous les scélérats que renferme le monde,» est un principe de droit hardi et qui coupe tous les chemins tortueux tracés par la ruse ou la violence. Seulement il faut bien l’entendre : il ne nous autorise point à user de notre propre droit avec une extrême rigueur (ce qui serait contraire au devoir de la vertu), mais il oblige les puissants à ne porter atteinte au droit de personne par aversion ou par commisération pour d’autres ; ce qui exige avant tout une constitution intérieure de l’État, fondée sur de purs principes de droit, et ensuite une union établie entre cet État et les autres États voisins ou même éloignés pour terminer légalement leurs différends (quelque chose d’analogue à un État universel). Cette proposition ne veut dire autre chose, sinon que les maximes politiques ne doivent pas se fonder sur le bienêtre et le bonheur, que chaque Etat peut espérer en retirer, et par conséquent sur l’objet que chacun peut avoir pour but (sur le vouloir) comme principe suprême (mais empirique) de la politique, mais sur la pure idée du devoir de droit (dont le principe est donné à priori par la raison pure), quelles qu’en puissent être d’ailleurs les conséquences physiques. Le monde ne périra point parce qu’il y aura moins de méchants. Emmanuel Kant (Projet de paix perpétuelle, 1795)
La pureté de nos principes n’admet aucun pacte avec l’erreur (…). Un gouvernement républicain a la vertu pour principe, sinon la terreur. Saint-Just (1794)
Il faut raccourcir les géants Et rendre les petits plus grands, Tout à la même hauteur Voilà le vrai bonheur. Portrait du sans-culotte (chanson anonyme)
Un des grands problèmes de la Russie – et plus encore de la Chine – est que, contrairement aux camps de concentration hitlériens, les leurs n’ont jamais été libérés et qu’il n’y a eu aucun tribunal de Nuremberg pour juger les crimes commis. Thérèse Delpech
Il est malheureux que le Moyen-Orient ait rencontré pour la première fois la modernité occidentale à travers les échos de la Révolution française. Progressistes, égalitaristes et opposés à l’Eglise, Robespierre et les jacobins étaient des héros à même d’inspirer les radicaux arabes. Les modèles ultérieurs — Italie mussolinienne, Allemagne nazie, Union soviétique — furent encore plus désastreux …Ce qui rend l’entreprise terroriste des islamistes aussi dangereuse, ce n’est pas tant la haine religieuse qu’ils puisent dans des textes anciens — souvent au prix de distorsions grossières —, mais la synthèse qu’ils font entre fanatisme religieux et idéologie moderne. Ian Buruma et Avishai Margalit
Le communisme n’a tué que 100 millions de personnes ; il faut lui donner une autre chance ! Protest  warriors
 Le communisme, c’est le nazisme, le mensonge en plus.  Jean-François Revel
L’exemple grec peut en effet nous conduire à réfléchir à la fragilité de nos constructions. Les valeurs auxquelles nous tenons, et en particulier celles de la démocratie, nous savons qu’elles peuvent disparaître si on ne les défend pas incessamment. Il faut donc constamment refaire le tissu social et étendre les libertés si nous ne voulons pas les voir périr. (…) Je ne crois plus que l’Histoire ait un sens, ni que le progrès soit inéluctable. Quand j’étais jeune, j’ai cru qu’il était possible de prévoir rationnellement l’évolution de l’humanité. Je pensais que les particularismes nationaux, les préjugés religieux, les haines raciales étaient voués à disparaître pour des raisons objectives, telles que la création d’une économie mondiale ou les progrès des sciences et des techniques. Tout cela me faisait juger, en bon ou en mauvais marxiste que j’étais, que nous nous dirigions vers un système beaucoup plus unifié, où les survivances d’un âge non scientifique étaient vouées à disparaître. Je ne pense plus cela, et je constate que je me trompais en le pensant. L’évolution du monde contemporain, en particulier son expansion économique et technique, et le décalage croissant entre le genre de vie des pays industrialisés et celui des autres, provoquent en retour des réactions extrêmement fortes, notamment de la part des traditions religieuses. D’autre part, entre l’Etat, la vie sociale et l’individu, les écarts se sont creusés de telle sorte que les gens ne s’intéressent plus à la politique. L’Etat leur paraît lointain, voire étranger et inaccessible. Ce phénomène était très net dans l’ex-Union soviétique. Les individus ne se sentaient plus aucun lien avec un Etat tout-puissant dont ils parlaient comme d’une lointaine planète, habitée d’extra-terrestres aux volontés obscures. Après l’écroulement du monde soviétique, les démocraties occidentales ont pu croire que tout allait être pour le mieux dans le meilleur des mondes libéraux possibles. Or cette crise du tissu social et du débat politique les affecte également. Je crois même que les démocraties n’ont pas fini d’en voir… (…) Nous manquons d’une analyse qui fasse le point, de manière sérieuse et solide, sur les problèmes d’aujourd’hui. Dans ma jeunesse, j’avais une vision assez claire de l’avenir proche. Dans les années 30, je savais que nous allions vers un affrontement avec l’Allemagne nazie. Et je vivais cela comme le grand combat à venir entre le fascisme et l’anti-fascisme. Cette vision était peut-être sommaire, mais elle n’était pas fausse. En tout cas, je ne vivais pas simplement dans le présent et ses petites querelles. Il y avait un horizon d’attente, qui donnait sens à l’ensemble des événements. Il me semble qu’un tel horizon d’attente fait actuellement défaut. Nous sommes dans la nuit par rapport à ce que nous sommes en train de vivre et de devenir. (…) Il faut se battre, car c’est notre faute si tout cela se produit. J’ai toutefois la conviction que le travail d’un intellectuel est avant tout de comprendre et d’expliquer à autrui, plutôt que d’opposer des slogans à d’autres slogans. Par conséquent, la meilleure façon de combattre ces tendances fascistes est de parvenir à y voir plus clair dans le fonctionnement du monde tel qu’il est aujourd’hui. Il faut saisir les enjeux et les déterminismes de notre époque pour comprendre pourquoi ces choses réapparaissent. Des travaux d’historiens, de sociologues, de psychologues sont donc nécessaires. Ils sont d’autant plus nécessaires que nous pouvons expliquer le comportement de ceux qui ont ces attitudes plus rigoureusement qu’ils ne peuvent expliquer le nôtre. Mais cela ne suffit pas. (…) Savoir distinguer entre les gens avec lesquels on peut dialoguer, et ceux avec lesquels il n’en est pas question. Ceux qui, pendant la guerre, ont combattu aux côtés des Allemands étaient parfois des gens à plaindre. Dans d’autres circonstances, ils auraient pu faire un autre choix. J’admets très bien que quelqu’un ait pu penser ou faire certaines choses, à condition qu’il reconnaisse ensuite son erreur. Ce que je n’admets pas, ce sont les agissements de ceux qui, aujourd’hui, loin du bruit et de la fureur des événements, manifestent leur sympathie envers le nazisme [mais pas le communisme !], essaient de lui trouver des excuses et de le laver de ses crimes. A mes yeux, ces gens-là sont totalement disqualifiés. Je n’engagerai pas avec eux le moindre dialogue, et une poignée de main me paraîtrait encore de trop. Je crois pourtant être hospitalier. Les Grecs anciens disaient que, quand on frappe à votre porte, c’est peut-être un dieu qui vient voir si vous êtes toujours disponible. C’est pourquoi ma porte et ma table sont toujours ouvertes. Je suis prêt à expérimenter tous les plats qu’on voudra, même les plus étrangers à mes goûts et à mon régime. Mais on ne discute pas recettes de cuisine avec des anthropophages. Je ne souhaite ni partager leur repas ni les inviter à ma table. Le débat, autant que la commensalité, l’échange des idées comme celui de la nourriture, obéissent à des règles. S’affronter en une libre discussion, pour en revenir à nos Grecs, est de même ordre à leurs yeux que siéger en convive à un banquet commun : il y faut des manières de table. Jean-Pierre Vernant
Sauf à verser dans le nominalisme qui fait du mot la chose, ce n’est pas parce que le régime cambodgien et les régimes « totalitaires » du XXe siècle qu’il dénonce se disaient « communistes » qu’ils l’étaient. A ce compte, les chrétiens de l’Inquisition et des bûchers étaient chrétiens… alors qu’ils ne l’étaient pas ! Dans le cas présent, l’assimilation de ces régimes à l’idée communiste dont ils se réclamaient (cela est exact) tient à un double oubli, politique et théorique. (…) Le renforcement inouï de l’Etat, l’absence de pluralisme idéologique et de liberté politique, le contrôle collectif sur les consciences dans des domaines qui doivent en droit lui échapper comme la religion, l’art ou la science, enfin le recours à la violence meurtrière (même s’ils n’en furent pas les seuls responsables, ce que refuse d’admettre Guy Sorman) n’ont rien à voir avec le communisme marxien (et il n’y en a pas d’autre !), mais ils illustrent sa défiguration et l’illusion dans laquelle étaient ceux qui croyaient être sur la voie de sa réalisation. Tout cela pèse encore d’un poids terrible sur notre situation politique et empêche d’admettre à la fois que l’idée communiste est généreuse, moralement exigible, et qu’elle n’est pas morte puisqu’elle n’a jamais existé dans les faits. Yvon Quiniou (philosophe, Le Monde, 14.08.10)
L’idée communiste est antérieure à Marx et fut partagée par tous le courants socialistes du XIXe siècle ; le communisme n’est ni marxien, ni libertaire, ni autre chose ; il est. C’est au sein de l’Association internationale des travailleurs fondée en 1864 qu’il affirma sa consistance « lutte de classes » par la confrontation de ses deux principaux courants : le courant autoritaire incarné par Marx et le courant anti-autoritaire représenté par Bakounine. Tous deux aspiraient au communisme. Plus qu’un but, un présupposé, une hypothèse à vérifier. Pour Marx, dans le Manifeste du parti communiste (1848), la théorie du communisme peut se résumer « dans cette formule unique : abolition de la propriété privée », ce qui fera disparaître l’exploitation de l’homme par l’homme, le capitalisme et l’Etat, la société se réorganisant sur des bases nouvelles à imaginer (gestion directe, autogestion… dans un vocabulaire contemporain). Ce qui les séparait tenait à la procédure révolutionnaire pour parvenir au communisme. Marx préconisait la constitution d’un parti qui prendrait le pouvoir et qui, progressivement, ferait s’éteindre l’Etat en passant par une phase de « dictature révolutionnaire du prolétariat » (Critique du programme de Gotha, 1875) ; Lénine développa cette théorie du « dépérissement » de l’Etat et d’une nécessaire période transitoire appelée l’Etat socialiste provisoire dans L’Etat et la révolution (1917-1918). Il l’appliqua. Les anti-autoritaires pensaient, au contraire, qu’il fallait immédiatement substituer à l’Etat l’ordre nouveau fondé sur une fédération de conseils de producteurs et de communes autonomes ; l’idée fut développée par les syndicalistes révolutionnaires. (…) Guy Sorman se complaît à décrire ce qu’il appelle « le communisme réel » sans rien dire de l’idéal communiste qu’il déteste tout autaut. (…) L’on sera d’accord avec Yvon Quiniou pour dire que l’idée communiste n’est pas morte et qu' »elle est porteuse d’une universalité morale incontestable » à l’impérative condition de tirer les enseignements de l’histoire : « l’héritage marxien » n’est assurément pas celui qui nous y mènera étant entendu que l’analyse économique marxiste du capitalisme garde une part de pertinence. La solution anti-autoritaire reste la seule issue si l’on tire profit de l’expérience espagnole qui en a montré les risques. Pierre Bance (journaliste indépendant, tribune du Monde, 31.08.10)
Anton Pannekoek (un des philosophes qui a, selon moi, le mieux compris la pensée marxienne) écrivait au sujet de l’URSS qu’il s’agissait d’un « régime capitaliste d’Etat » et que le bolchevisme n’a jamais été Marxiste (Lénine Philosophe, 1938). De son côté, Cornelius Castoriadis disait que « présenter le régime russe comme ‘socialiste’ — ou comme ayant un rapport quelconque avec le socialisme — est la plus grande mystification connue de l’histoire » (Devant la Guerre, 1981). Pourquoi ? Parce que là où le communisme en tant que moment terminal de l’histoire – dans le sens où l’humanité s’est débarassée de ses démons et a atteint une désaliénation totale – ne peut s’accomplir que par un dépassement de l’Etat, ce régime n’a fait que renforcer son appareil étatique. Par vanité, mais aussi pour répondre aux menaces internes (nationalismes, oppositions politiques plus ou moins silencieuses) et pour être à même de concurrencer les Etats-Unis de manière efficace. Ainsi, plutôt que d’œuvrer pour le déperissement de l’Etat, l’URSS n’a fait que le maintenir, le transformant en véritable machine de guerre. Ce qui n’est pas très « marxien ». Jean-Pierre Bizet (politiste, tribune libre du Monde, 07.09.10)
En tant que système de pensée, philosophie, organisation politique, le nazisme a été totalement réfuté, démantelé, ridiculisé, anéanti. Aucun intellectuel, à l’issue de la seconde guerre mondiale, ne pouvait prétendre soutenir la moindre théorie en rapport et garder son prestige et sa réputation. Le procès proprement dit vaut moins pour son déroulement que pour son symbolisme. (…) Concernant le communisme, il n’y a jamais eu de procès de Nuremberg et c’est un manquement crucial au démantèlement de cette idéologie criminelle. C’est la thèse que soutien Vladimir Bukovsky sur la fin de l’URSS, et force est de constater que ses arguments sont convaincants. Mis à part la pantalonnade du « putsch des généraux » de l’été 1991, il n’y a pas eu cette réfutation publique et totale du communisme. En ex-URSS, suite à la fin du régime les aparatchiks se sont empressés de se recycler dans le capitalisme d’Etat en se partageant le butin des régies d’Etat qui s’apprêtaient à être privatisées, et c’est désormais Vladimir Poutine, ancien colonel du KGB, qui est à la tête du pays. Faut-il s’en réjouir? Que la victoire sur l’Allemagne nazie aurait été amère si, dans les années 50, un Goebbels « repenti » s’était retrouvé élu à la Chancellerie fédérale! Stephane
Le modèle cubain ne marchait même plus pour nous. Fidel Castro (09.09.10)
Les dirigeants révolutionnaires cambodgiens sont pour la plupart issus de familles de la bourgeoisie. Beaucoup effectuèrent leurs études dans des universités françaises dans les années 1950. Dans une atmosphère parisienne cosmopolite et propice aux échanges d’idées, ils se rallièrent à l’idéologie communiste. Ses principaux dirigeants (Pol Pot, Khieu Samphân, Son Sen…) furent formés à Paris dans les années 1950 au Cercle des Études Marxistes fondé par le Bureau Politique du PCF en 1930. Wikipedia
Phnom Penh libéré par les Khmers Rouges Titre du Monde
Le drapeau de la Résistance flotte sur Phnom Penh Titre de Libération
Enfin le communisme peut être un matériau pour l’art. Antoine Vitez (sur l’opera maoiste de Badiou, Le foulard rouge, ecrit en 1972 et joue en 1984)
Les Khmers rouges s’emparent de Phnom Penh : une séquence historique s’achève parce qu’une contradiction est résolue (…). La résolution d’une contradiction exige que quelque chose disparaisse (…). Il n’est de pensée révolutionnaire véritable que celle qui mène la reconnaissance du nouveau jusqu’à son incontournable envers : de l’ancien doit mourir (…). La dialectique matérialiste affronte la perte et la disparition sans retour. Il y a des nouveautés radicales parce qu’il y a des cadavres qu’aucune trompette du Jugement ne viendra jamais réveiller. Au plus fort de la Révolution culturelle, on disait en Chine : l’essence du révisionnisme, c’est la peur de la mort. Alain Badiou
Kampuchea vaincra! Alain Badiou (Le Monde, 17/1/79)
Du temps de Staline, il faut bien dire que les organisations politiques ouvrières et populaires se portaient infiniment mieux, et que le capitalisme était moins arrogant. Il n’y a même pas de comparaison. Alain Badiou
La réalité (souvent déplorable) de la Terreur révolutionnaire doit-elle nous conduire à rejeter l’idée même de la Terreur? Ou existe-t-il un moyen de la répéter (…), de sauver son contenu virtuel de sa réalisation? Slavoj Zizek
Le communisme est une idée, au sens platonicien, indestructible. Le fait même de renoncer à l’utopie d’une société égalitaire, collective, débarrassée de l’Etat, est impensable, sauf à se faire complice des violences inégalitaires du système capitaliste. Alain Badiou
Faire vivre l’Idée communiste est une tâche de caractère idéologique (donc aussi philosophique), et non pas immédiatement une tâche politique. Il s’agit en effet que les individus puissent être préparés à accepter, si possible dans l’enthousiasme, qu’une autre vision du monde, radicalement opposée au capitalo-parlementarisme actuellement hégémonique (notamment sous le nom falsifié de « démocratie ») est non seulement souhaitable, mais possible. (…) Même des mouvements aussi confus que les immenses manifestations de décembre 1995 contre le plan Juppé, avec comme unique mot d’ordre « ensemble ! », portaient cette compatibilité. Il en va de même pour les actions organisées pour le droit des ouvriers sans-papiers, ou pour les manifestations, dans toute l’Europe, soit contre la guerre en Irak, soit contre la guerre à Gaza. Et bien d’autres choses. Je ne dis pas qu’il s’agit de politiques cohérentes inscrites dans l’horizon de l’Idée. Je dis seulement que l’existence de ces processus, prolongés ou sporadiques, atteste que l’Idée communiste n’est pas coupée de tout réel. Le retour actuel de la violence de classe (séquestrations de patrons, bagarres de rue, émeutes de la jeunesse populaire…) est lui aussi tout à fait confus, et parfois même a-politique. Il n’en est pas moins inscrit sous le signe potentiel de l’Idée, parce qu’il rompt avec le consensus parlementaire, et rend de nouveau acceptable qu’on puisse courir des risques au nom de ses convictions, au lieu de toujours s’en remettre à la médiation de l’Etat, lequel, aujourd’hui, est clairement anti-populaire, voire guerrier, tous partis politiques confondus. Alain Badiou
Le mot « communisme » a été durant environ deux siècles (depuis la « Communauté des Égaux » de Babeuf jusqu’aux années quatrevingt du dernier siècle) le nom le plus important d’une Idée située dans le champ des politiques d’émancipation, ou politiques révolutionnaires.
Il faut d’abord dire que ces leçons sur le siècle sont une réaction contre toute une série d’opinions dominantes et de campagnes menées sur la signification du XXe siècle. En France, cette question a été, dans son bilan officiel, dominée par l’idée du totalitarisme, des grands massacres, du communisme comme crime, du communisme identifié au fascisme. Le siècle a été désigné comme celui de l’horreur et du crime de masse. Ces leçons sur le XXe siècle veulent proposer un autre bilan. Différent, mais pas forcément contraire en ce qui concerne les faits. Il ne s’agit pas d’opposer des faits à d’autres faits. Il s’agit de trouver un chemin de pensée pour aborder le siècle. (…) A mon sens, une grande partie de la violence du siècle – l’extrême cruauté politique qui a dominé ses deux premiers tiers – s’enracine dans la conviction que, somme toute, un commencement absolu n’a pas de prix. Si réellement il s’agit de fonder un nouveau monde, alors le prix payé par l’ancien monde, fût-ce en nombre de morts ou en quantité de souffrance, est une question relativement secondaire. Alain Badiou
Le Nouvel Observateur’ et ‘Le Monde’ exercent une influence considérable sur les intellectuels du tiers monde. En prenant position comme collaborateur du Monde, je ne pense pas avoir poussé beaucoup de paysans cambodgiens à la révolte, mais j’ai pu lancer des intellectuels khmers sur une piste sanglante. Si j’ai écrit ce livre, ce n’est pas pour me faire pardonner mais pour appliquer un contre-poison à ce peuple empoisonné et lui faire prendre une tasse de lait après l’arsenic que j’ai contribué à lui administrer (…). Pour le Vietnam, je plaide coupable. Je m’accuse d’avoir pratiqué une information sélective en dissimulant le caractère stalinien du régime nord-vietnamien (…) Je subissais l’influence écrasante de Sartre qui voyait dans toute critique de fond de la Russie soviétique une arme offerte aux réactionnaires et aux Américains. “Il ne fallait pas désespérer Billancourt”. Pendant vingt ans, j’ai participé à cette scandaleuse timidité à l’égard de la Russie communiste, que je considérais comme la capitale de la gauche et de la révolution mondiale. Jean Lacouture (novembre 1978)
Nous avons en Europe de l’Ouest, et particulièrement en France, une mémoire du communisme qui est souvent glorieuse, incontestable, indiscutable. C’est une légende, un véritable mythe, qui confine parfois à l’invraisemblable… (…) Il existe, en effet, chez nous une espèce de gauchisme culturel, très répandu, très bon chic bon genre. Il n’est pas tant le fait des bobos que des «bobobos» – bourgeois, bohèmes, bolchos – qu’on rencontre un petit peu tous les jours, dans l’Université, dans les médias, dans la politique, etc. On est confronté en permanence à ce politiquement correct. Alors le nazisme, c’est abominable, on est d’accord; Le Pen, c’est horrible, on est d’accord. Mais, dès qu’on parle d’autres problèmes, qui sont tout aussi importants, c’est un tollé! Cela tient au fait que la France a eu des expériences très différentes du communisme et du nazisme. Du nazisme, les Français ont conservé, et à juste titre, la mémoire tragique de la défaite de 40 et de l´occupation (fusillades, pillages, déportations etc.). Par contre, depuis 1936, et surtout depuis 1944-1945, les Français ont assez largement conservé une mémoire glorieuse qui repose sur la participation du PCF au front populaire, sur la participation des communistes à la Résistance et à la Libération du pays, et aussi au rôle de l´URSS dans l´écrasement du nazisme. Cette opposition entre mémoire tragique de l´un et mémoire glorieuse de l´autre explique cette « différence de méfiance ». (…) C´est d´ailleurs un des gros problèmes de la réunification européenne : la France, l´Italie, l´Espagne en particulier où l´on entretient une mémoire glorieuse du communisme, et les ex-démocraties populaires qui entretiennent une mémoire tragique (dont témoignent les remarquables films récents en Allemagne avec La vie des autres, ou en Roumanie avec la dernière palme d´or du festival de Cannes). Cela a mené devant le conseil de l´Europe en janvier 2006 à une véritable scission entre socialistes et communistes d´Europe de l´Ouest alliés aux nostalgiques communistes de l´Est pour s´opposer à l´adoption d´une résolution condamnant les crimes des régimes communistes. Stephane Courtois
L’opinion publique est encore hélas très peu consciente des crimes commis par les régimes communistes totalitaires, et pour plusieurs raisons Jamais les crimes commis au nom du communisme n’ont fait l’objet d’enquêtes ou de condamnations internationales, contrairement aux crimes commis par son jumeau « hétérozygote » selon l’expression de l’historien Pierre Chaunu, l’autre régime totalitaire du XXe siècle, le nazisme. L’absence de condamnation s’explique aussi en partie par l’existence de pays dont les gouvernements adhèrent toujours à l’idéologie communiste. Proposition de loi Carayon
Il est malheureux que le Moyen-Orient ait rencontré pour la première fois la modernité occidentale à travers les échos de la Révolution française. Progressistes, égalitaristes et opposés à l’Eglise, Robespierre et les jacobins étaient des héros à même d’inspirer les radicaux arabes. Les modèles ultérieurs — Italie mussolinienne, Allemagne nazie, Union soviétique — furent encore plus désastreux. Ce qui rend l’entreprise terroriste des islamistes aussi dangereuse, ce n’est pas tant la haine religieuse qu’ils puisent dans des textes anciens — souvent au prix de distorsions grossières —, mais la synthèse qu’ils font entre fanatisme religieux et idéologie moderne. Ian Buruma et Avishai Margalit
De même qu’Hitler avait décrit à l’avance ses crimes, Pol Pot (aujourd’hui décédé) avait expliqué par avance qu’il détruirait son peuple pour en créer un nouveau. Pol Pot se disait communiste : il le devint, étudiant, à Paris, dans les années 1960. (…) Ce que les Khmers rouges imposèrent au Cambodge, ce fut bien le communisme réel : il n’y eut pas, ni en termes conceptuels ou concrets de distinction radicale entre ce règne des Khmers rouges et le Stalinisme, le Maoïsme, le Castrisme ou la Corée du Nord. Tous les régimes communistes suivent des trajectoires étrangement ressemblantes que colorent à peine, les traditions locales. Dans tous les cas, ces régimes entendent faire du passé table rase et créer un homme nouveau ; dans tous les cas, les « riches », les intellectuels et les sceptiques sont exterminés. Les Khmers rouges regroupèrent la population urbaine et rurale dans des communautés agricoles calquées sur les précédents russes, les kolkhozes et chinois, les communes populaires, pour les mêmes raisons idéologiques et conduisant au même résultat : la famine. Sous toutes les latitudes, le communisme réel patauge dans le sang : extermination des Koulaks en Russie, révolution culturelle en Chine, extermination des intellectuels à Cuba. Le communisme réel sans massacre, sans torture, sans camps de concentration, le goulag ou le laogaï, cela n’existe pas. Et si cela n’a pas existé, il faut bien en conclure qu’il ne pouvait en être autrement : l’idéologie communiste conduit nécessairement à la violence de masse parce que la masse ne veut pas du communisme réel. Ceci dans les rizières du Cambodge tout autant que dans les plaines de l’Ukraine ou sous les palmiers cubains : et les régimes communistes partout et toujours ne furent jamais qu’imposés par l’extrême violence. (…) Le procès de Douch, puis de la Bande des quatre est donc le premier procès d’apparatchiks marxistes responsables dans un régime officiellement et réellement marxiste, léniniste, maoïste. Le procès du nazisme fut instruit à Nuremberg en 1945, celui du fascisme japonais à Tokyo en 1946, mais celui du communisme jamais. Bien que le communisme réel ait tué ou dégradé plus de victimes que le nazisme et le fascisme réunis. Ce procès du communisme n’a jamais eu lieu, – en dehors de la sphère intellectuelle – pour deux raisons : d’abord, le communisme bénéficie d’une sorte d’immunité idéologique parce qu’il se réclame du progrès. Et surtout, parce que les communistes sont toujours au pouvoir, à Pékin, Pyongyang, Hanoi et La Havane. Là où ils ont perdu le pouvoir, ils ont organisé leur propre immunité en se reconvertissant en socio-démocrates, en hommes d’affaires, en leaders nationalistes, ce qui est le cas général dans l’ex-union soviétique. Guy Sorman
Pour ce qui est de la prise de pouvoir des Khmers rouges , on rappellera le titre fameux du Monde à l’époque :  » Phnom Penh libéré par les Khmers Rouges » et celui de Libération :  » Le drapeau de la Résistance flotte sur Phnom Penh ». Depuis lors , Le Monde a fait amende honorable , Libération pas à ma connaissance.A noter que ces journaux n’avaient pas de correspondants sur place et qu’il leur fallut plusieurs mois avant de se faire l’écho timide du génocide des Khmers. Guy Sorman

Nuremberg du communisme, oui, mais qui jugera les formateurs et thuriferaires de Pol Pot?

Alors que, comme le rappelle l’essayiste Guy Sorman, les Cambodgiens s’engagent tant bien que mal dans ce qui pourrait être le premier Nuremberg du communisme …

Et que bien que s’agrippant au pouvoir, le fondateur du castrisme vient après les Chinois de reconnaitre que « le modèle communiste ne marche même plus pour eux » …

Comment ne pas s’étonner de la singulière indulgence dont continue à bénéficier, au Pays des droits de l’homme, l’idéologie probablement la plus meurtrière de l’histoire?

Et ce dans les institutions mêmes qui formèrent comme les médias qui rendirent possibles les Pol Pot de l’histoire …

Et qui ouvrent aujourd’hui si largement leurs portes aux derniers thuriféraires à la Badiou de la « renaissance de l’Idée communiste » comme prétendue “alternative à la violence du système capitaliste” ?

Kampuchea vaincra!
Alain Badiou
Le Monde
17/1/79

L’invasion du Cambodge par cent vingt mille Vietnamiens avec chars et aviation de bombardement ; l’installation à Phnom-Penh de  » dirigeants  » tirés des bagages de l’envahisseur : prendre position sur ces faits engage, à notre avis, des questions essentielles.

A supposer que l’inertie l’emporte, qu’aucun courant d’opinion mondial ne se lève dans le scandale et dans l’action, un pas décisif serait fait vers la violation sans détour du droit des peuples à exister, du droit des nations à voir leurs frontières garanties et leur sécurité internationale reconnue. Aller régler les problèmes politiques du voisin à grands coups de division blindées serait désormais chose normale.

Dans ce climat d’acceptation du gangstérisme international, c’est la généralisation de la guerre qui deviendrait inévitable.

L’acquiescement, ou même la seule protestation réticente, devant cet acte de barbarie militariste franc et ouvert, reproduirait la logique munichoise, qui croit différer le péril sur soi en livrant et trahissant les autres, Autrichiens ou Tchèques hier, Khmers aujourd’hui. Il est tout aussi vital et moralement clair de se lever contre l’actuelle invasion, qu’il l’était de condamner sans détour l’agression américaine de 1970. Les procédés sont les mêmes, aviation et division blindées contre un petit peuple démuni. Les objectifs sont les mêmes : Installer dans les villes un pouvoir à la botte de l’étranger. Les résultats seront les mêmes : la guerre populaire de résistance nationale.

D’obscures affaires de sauvages…

Qu’à l’arrière-plan on trouve cette fois les ambitions impériales de la superpuissance soviétique, dont le Vietnam est client. Indique seulement la rapidité des changements de conjoncture, et qui, désormais, entend jouer les premiers rôles dans la gendarmerie contre-révolutionnaire mondiale. Ce qui justifie le rappel du précèdent tchècolosvaque, dont du reste, avec un cynisme sans égal, les Vietnamiens se réclament ouvertement. A dix ans d’écart, c’est bien le même processus qui se déploie et s’aggrave.

Ce qui semble paralyser certains devant l’évidence du devoir, c’est la vaste campagne menée depuis trois ans contre le  » goulag  » cambodgien.  En soi déjà, l’argument est curieux, il revient en somme à dire que puisque les Khmers se sont tant tués entre eux, leur massacre par les chars vietnamiens doit nous laisser froids ! On ne saurait mieux dire que vus de loin, et en Asie, la question nationale, le respect des frontières, l’absolue ignominie qu’est une invasion massive perpétrée de sang-froid ne sont qu’obscures affaires de sauvages.

Contre les deux superpuissances

Sur le fond, nous constatons ceci : pour mieux  » expliquer  » la violence du processus révolutionnaire au Cambodge, les censeurs dénoncent à qui mieux mieux l' » hyper-nationalisme sectaire « . le  » refus de l’aide étrangère « , le  » chauvinisme « , dont auraient fait preuve Pol Pot et ses camarades Khmers rouges. On déguise à peine, dans ces propos, qu’il est outrecuidant pour un pays de taille modeste de prétendre échapper à l’allégeance, à la soumission, à l’inclusion dans une aire d’hégémonie.

Il est très vrai qu’en se dressant à la fois contre les Américains et contre les Soviétiques, et en ne cédant rien au voisin puissant qui voulait coûte que coûte les mettre en tutelle, les révolutionnaires cambodgiens ont, les premiers, ouvert la voie à la question de l’indépendance nationale telle qu’elle se pose aujourd’hui : refus de plier devant les hégémonismes, lutte simultanée contre les deux superpuissances.

Outre les tensions accumulées dans les siècles par l’absolue misère du paysan khmer, la simple volonté de compter sur ses propres forces et de n’être vassalisé par personne éclaire bien des aspects, y compris en ce qui concerne la mise à l’ordre du jour de la terreur, de la révolution cambodgienne. Ce n’est pas justifier toutes choses que de remarquer qu’à la lumière du  » Blitzkrieg  » des envahisseurs vietnamiens, l’évacuation préalable de villes prend un tout autre aspect. D’autres mesures étonnantes, comme l’abolition des échanges monétaires et le passage accéléré au collectivisme n’ont du reste pas d’autre précédent, fût-il très éloigné, que le communisme de guerre dans l’U.R.S.S. des années 18-20. Le bilan de tout cela est à nos propres yeux une question ouverte, et de première importance.

Une troisième guerre de libération

Cependant, il n’est en réalité demandé à personne de prendre position sur ce point. Il n’est pas même demandé d’examiner en conscience à qui sert finalement la formidable campagne anticambodgienne de ces trois dernières années, et si elle n’a pas son principe de réalité dans la tentative en cours de  » solution finale « .

Une seule chose compte : se lever contre l’agresseur, et assurer, dans les faits, le peuple cambodgien de notre soutien dans la guerre prolongée de libération -la troisième – à laquelle il se trouve aujourd’hui acculé.

Voir aussi:

Le Nuremberg du communisme
Guy Sorman
Le futur, c’est tout de suite
17 septembre 2010

Les quatre leaders survivants du régime communiste des Khmers rouges (dont l’ancien chef de l’Etat, Khieu Samphan), en prison à Phnom Penh depuis 2007, vont être traduits en justice, dans leur propre pays : le premier procès du communisme va enfin avoir lieu devant un tribunal incontestable. Ce tribunal avait fait ses preuves le 26 juillet dernier, en condamnant Douch à 35 ans de prison : Douch, un rouage de la machine exterminatrice Khmer rouge, avait dirigé, de 1975 à 1979, un centre de torture qui fit quinze mille victimes. Contrairement au tribunal de Nuremberg qui, en 1945, jugea les dignitaires nazis, celui de Phnom Penh n’est pas géré par des puissances victorieuses : il opère au sein de la Justice cambodgienne, sous le contrôle de l’opinion publique cambodgienne mais financé par les Nations Unies. On ne saurait douter de la légitimité et de l’objectivité de ce tribunal. La sentence a d’ailleurs été mal accueillie par les Cambodgiens qui, au regard des crimes commis par Douch, l’estimaient insuffisante. Celui-ci, évidemment, a fait valoir qu’il obéissait aux ordres de ses supérieurs : évidemment, puisque ce fut aussi l’alibi des dirigeants nazis à Nuremberg – Hitler étant mort – et celui de Adolf Eichmann à Jérusalem, en 1961.

Par-delà le cas de Douch et de la Bande des quatre aujourd’hui inculpée, qui juge-t-on à Phnom Penh ? On constate dans les médias occidentaux et asiatiques, comme dans les prises de position des gouvernements – particulièrement celui  de la Chine – une volonté certaine de réduire les crimes de Douch et de Khieu Samphan à des circonstances locales. Une regrettable catastrophe se serait abattue sur le Cambodge en 1975, sous le nom de Khmers rouges et cette rébellion venue d’on ne sait où, aurait ravagé le Cambodge et tué 1,5 million de Khmers. À qui, à quoi, devrait-on imputer ce que le tribunal a qualifié de génocide des Khmers par d’autres Khmers ? Ne serait-ce pas la faute des Américains ? Ceux-ci, en installant au Cambodge un régime à leur solde, auraient provoqué comme un choc en retour, une réaction nationaliste. Ou bien, ce génocide ne serait-il pas un héritage culturel propre à la civilisation Khmère ? Des archéologues fouillent, en vain, le passé pour retrouver un précédent historique. Mais, l’explication véritable, l’arme du crime, on la trouvera plutôt dans ce que les Khmers rouges eux-mêmes déclaraient : de même qu’Hitler avait décrit à l’avance ses crimes, Pol Pot (aujourd’hui décédé) avait expliqué par avance qu’il détruirait son peuple pour en créer un nouveau. Pol Pot se disait communiste : il le devint, étudiant, à Paris, dans les années 1960. Puisque Pol Pot et le régime qu’il imposa, se disaient communistes – et d’aucune manière les héritiers de quelque dynastie cambodgienne – il faut admettre qu’ils l’étaient vraiment, communistes.

Ce que les Khmers rouges imposèrent au Cambodge, ce fut bien le communisme réel : il n’y eut pas, ni en termes conceptuels ou concrets de distinction radicale entre ce règne des Khmers rouges et le Stalinisme, le Maoïsme, le Castrisme ou la Corée du Nord. Tous les régimes communistes suivent des trajectoires étrangement ressemblantes que colorent à peine, les traditions locales. Dans tous les cas, ces régimes entendent faire du passé table rase et créer un homme nouveau ; dans tous les cas, les « riches », les intellectuels et les sceptiques sont exterminés. Les Khmers rouges regroupèrent la population urbaine et rurale dans des communautés agricoles calquées sur les précédents russes, les kolkhozes et chinois, les communes populaires, pour les mêmes raisons idéologiques et conduisant au même résultat : la famine. Sous toutes les latitudes, le communisme réel patauge dans le sang : extermination des Koulaks en Russie, révolution culturelle en Chine, extermination des intellectuels à Cuba. Le communisme réel sans massacre, sans torture, sans camps de concentration, le goulag ou le laogaï, cela n’existe pas. Et si cela n’a pas existé, il faut bien en conclure qu’il ne pouvait en être autrement : l’idéologie communiste conduit nécessairement à la violence de masse parce que la masse ne veut pas du communisme réel. Ceci dans les rizières du Cambodge tout autant que dans les plaines de l’Ukraine ou sous les palmiers cubains : et les régimes communistes partout et toujours ne furent jamais qu’imposés par l’extrême violence.

Le procès de Douch, puis de la Bande des quatre est donc le premier procès d’apparatchiks marxistes responsables dans un régime officiellement et réellement marxiste, léniniste, maoïste. Le procès du nazisme fut instruit à Nuremberg en 1945, celui du fascisme japonais à Tokyo en 1946, mais celui du communisme jamais. Bien que le communisme réel ait tué ou dégradé plus de victimes que le nazisme et le fascisme réunis. Ce procès du communisme n’a jamais eu lieu, – en dehors de la sphère intellectuelle – pour deux raisons : d’abord, le communisme bénéficie d’une sorte d’immunité idéologique parce qu’il se réclame du progrès. Et surtout, parce que les communistes sont toujours au pouvoir, à Pékin, Pyongyang, Hanoi et La Havane. Là où ils ont perdu le pouvoir, ils ont organisé leur propre immunité en se reconvertissant en socio-démocrates, en hommes d’affaires, en leaders nationalistes, ce qui est le cas général dans l’ex-union soviétique.

Le seul procès possible et effectif n’a donc sa place qu’au Cambodge : mais ne nous méprenons pas. Il ne s’agit pas du procès des Cambodgiens par d’autres Cambodgiens : encore une fois, le procès de Phnom Penh est celui du communisme réel par ses victimes. Pour l’avenir, il faut imaginer, mais c’est incertain, un procès du communisme à Pyongyang, intenté par les victimes coréennes, ou un procès de Pékin, intenté par les victimes et leurs ayants-droit. Si ces procès devaient un jour se tenir, à Pékin ou Pyongyang, voire à Moscou ou à Kiev, on serait étonné par la similarité des crimes et par celle des alibis : partout des accusés sans courage se déclareraient victimes des circonstances ou des ordres d’un supérieur introuvable.

Une caractéristique étrange du communisme réel, révélée à Phnom Penh, est qu’après sa chute, aucun apparatchik communiste ne se réclame plus du communisme. Le procès de Phnom Penh montre combien le marxisme est très utile pour revendiquer le pouvoir, prendre le pouvoir et l’exercer de manière absolue: mais le marxisme comme idéal n’est revendiqué par personne, pas même par ses anciens dirigeants. Les Khmers rouges ont tué au nom de Marx, Lénine et Mao, mais ils préfèrent mourir comme des traîtres à leur propre cause ou s’enfuir plutôt que mourir en marxistes. Cette lâcheté des Khmers rouges devant leurs juges révèle le marxisme sous un jour nouveau : le marxisme est réel, mais il n’est pas vrai, puisque nul n’y croit.

Voir enfin:

« Il faudra bien plus que le verdict de Douch pour qu’une véritable justice soit rendue »
Arnaud Vaulerin
Les Carnets de Pnom Penh
28/07/2010

«Bien qu’il ait fallu attendre plus de trente ans après la chute des khmers rouges pour que la justice soit rendue, cela ne diminue pas l’importance d’obtenir enfin que Douch rende compte de ses crimes», explique Sara Colm, chercheuse senior basée au Cambodge pour Human Rights Watch. «Mais il faudra bien plus que le verdict d’aujourd’hui pour faire en sorte qu’une véritable justice soit rendue au peuple cambodgien qui a souffert sous le régime khmer rouge.»

L’ONG américaine rappelle que le gouvernement du Premier ministre Hun Sen n’a jamais fait montre d’un enthousiasme débordant pour les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens, chargées de juger les anciens Khmers rouges. En septembre dernier, l’homme fort du Cambodge est allé jusqu’à brandir la menace d’un retour de la guerre dans son pays si de nouvelles inculpations étaient lancées à l’encontre d’anciens dignitaires Khmers rouges (lire ici le compte-rendu fait sur ce blog). « Je prierais pour que ce tribunal manque de fonds et que les juges et les procureurs s’en aillent », avait même déclaré Hun Sen quelques mois plus tôt.

Amnesty International formule les mêmes craintes que HRW, soulignant que l’action des CETC est encore limitée et pourrait être entravée. «Le mandat des Chambres extraordinaires, à savoir poursuivre les personnes ayant la responsabilité la plus lourde dans les crimes graves commis sous le régime des Khmers rouges, est loin d’être rempli, souligne Donna Guest, directrice adjointe du programme Asie-Pacifique d’Amnesty International. Le fait que cinq à dix personnes seulement aient été identifiées comme ayant pu avoir des responsabilités dans les atrocités massives perpétrées ne suffit pas pour rendre la justice que les Cambodgiens méritent, et à laquelle ils ont droit en vertu du droit international.»

En septembre dernier, les CETC indiquaient que des enquêtes préliminaires contre d’éventuels suspects allaient être lancées par des magistrats instructeurs. Amnesty International rappelle que les dossiers 3 et 4 ont été enregistrés. Mais Donna Guest avance que «la progression dans les dossiers 003 et 004 pourrait être freinée par une interférence politique de responsables cambodgiens ouvertement opposés à toute nouvelle poursuite en justice, et par des différends entre le juge d’instruction cambodgien et son homologue international».

A l’issue du premier verdict, les CETC pourront-elles librement décider du sort des futures instructions? Pour l’heure, elles se préparent à juger les quatre dignitaires du régime: l’ex-chef de l’Etat du « Kampuchéa démocratique », Khieu Samphan; Ieng Sary, le ministre  des Affaires étrangères; le numéro deux du régime de Pol Pot, Nuon Chea, et la ministre des Affaires sociales Ieng Thirith.

Le procès de ces quatre responsables, malades, âgés, procéduriers et coriaces est un sacré défi à relever pour les CETC

Voir par ailleurs:

Le Monde
08 juin 1993
Vous avez reconstitué au cours de vos recherches la plupart des manières de penser, de sentir, d’entrer en relation avec autrui qui avaient cours dans la civilisation de la Grèce archaïque et de la Grèce classique. Le travail, l’espace, la mémoire, la personne, le divin, le salut, et bien d’autres catégories fondamentales, n’avaient pas pour les Grecs, si l’on vous suit, le même sens ni la même portée que pour nous. Faut-il en conclure qu’entre cette culture et la nôtre, contrairement à ce qui est dit d’habitude, existent plutôt un fossé, ou une rupture, qu’une continuité forte ?
Rupture et continuité existent ensemble. On doit à mes yeux être attentif à l’une et à l’autre. Il y a une incontestable dépendance des hommes d’aujourd’hui, et de ce qu’ils sont, par rapport à ce monde grec. L’existence même de la politique, et en particulier de la démocratie, en est l’exemple le plus net. Mais il convient également de mesurer que des changements très importants sont intervenus. Avant de préciser quelques points de notre parenté avec la culture grecque aussi bien que de notre éloignement envers elle, il est indispensable de rappeler certains éléments de méthode.  » Il faut commencer par mettre en question l’idée qu’il y ait une nature humaine immuable. Car nous avons tendance, tant que nous n’avons pas de point de comparaison, à considérer que nos formes de pensée et nos catégories mentales sont l’expression de cette nature. La neuropsychologie nous informe sur les conditions neurologiques, chimiques, etc. de notre activité mentale. Et il n’y a aucune raison de penser que l’organisation neuronale des hommes de l’Antiquité, que ce soit en Egypte, à Sumer ou en Grèce, ait été différente de la nôtre.  » Mais ce n’est qu’un côté de la médaille. La pensée est également façonnée par ce qu’elle vise, par la diversité des produits de son fonctionnement.
Elle n’est pas indépendante du milieu dans lequel elle s’exerce, sur lequel elle opère pour le transformer. Ce milieu n’est pas la nature, comme chez les animaux, mais les divers univers culturels dont l’homme est à la fois créateur et produit. A côté des neurosciences, et en prenant l’activité mentale à l’autre bout, il faut considérer non plus seulement son conditionnement neurophysiologique, mais ses objets, ses constructions symboliques, ses oeuvres, de caractère social et historique.
 » Mon maître Meyerson, qui fut le fondateur de la psychologie historique, insistait sur le fait que l’homme se fabrique lui-même, spirituellement et socialement, à travers les oeuvres qu’il n’a cessé continûment de créer, qu’il s’agisse de langue, d’outillage technique, d’institutions, de religion, d’oeuvres d’art, de savoirs scientifiques. C’est donc dans ses activités intellectuelles, ses sentiments, ses rapports spécifiques avec le monde, avec le divin, avec les autres et avec lui-même qu’il faut rechercher comment se présente l’homme d’une civilisation et d’une époque données.  » Or ce travail ne peut se faire que par le biais de comparaisons.  » L’homme grec « , en lui-même, isolément, on ne saurait l’atteindre _ pas plus qu’on ne peut définir  » la nature humaine  » en soi. Qu’il s’agisse de comprendre comment se présentent en Grèce la guerre, la divination, la mort ou le sacrifice, c’est toujours par une mise en comparaison que l’on peut saisir les traits qui définissent une forme d’existence humaine particulière. C’est pourquoi les enquêtes que j’ai menées dans le cadre du Centre de recherche comparée sur les sociétés anciennes portaient toujours à la fois sur les Grecs et sur d’autres civilisations, celles par exemple de l’Inde, de l’Egypte, du monde assyro-babylonien, ou encore de la Chine.  » La spécificité des Grecs est d’avoir dégagé la place du politique en tant que tel « 
_ En ce qui concerne les Grecs et nous, doit-on adopter la même démarche comparatiste ?
_ Oui, en ce sens qu’un mouvement d’aller et retour est toujours nécessaire. Il s’agit de saisir en quoi les Grecs sont pour nous en même temps familiers et étrangement lointains. Il s’agit aussi de nous interroger en retour sur nous-mêmes, de porter sur notre présent et sur nos évidences immédiates un regard rendu différent par cette mise en relation de nos manières de penser, de sentir et d’agir avec les leurs.
_ Par exemple ?
_ Parmi d’innombrables illustrations possibles de ces remarques, je m’en tiendrai d’abord à l’exemple de la religion. Le christianisme est pour une large part enraciné dans la culture grecque. Au cours des premiers siècles de notre ère en effet, l’Eglise construit peu à peu sa théologie en s’appuyant sur la philosophie grecque, où elle trouve les instruments intellectuels pour édifier et faire évoluer sa dogmatique. Platon, Aristote, le néoplatonisme, le stoïcisme aussi, demeurent très présents chez saint Augustin ou chez saint Thomas.
Cette incontestable continuité, qui s’inscrit sur plusieurs siècles dans une histoire compliquée, ne doit pas masquer les profondes mutations qui se sont opérées, entre les Grecs et nous, dans le domaine de la religion. Je ne pense pas seulement au passage d’une religion polythéiste, essentiellement civique et politique, à un monothéisme révélé qui implique un credo, une Eglise, un refus des styles de pensées laïques. Je songe avant tout au changement de la place occupée par la religion à l’intérieur de la vie collective.  » Dans la Grèce antique, la religion est à la fois partout et nulle part. Elle est présente dans la vie privée comme dans la vie publique. Mais elle ne constitue jamais un système clos, pourvu de sa logique propre, et comme séparé de l’ensemble de la vie sociale. Elle est une dimension, parmi d’autres, de l’existence collective, à tous ses niveaux. Ce qui nous éloigne le plus de la conception religieuse des Grecs, c’est précisément qu’entre eux et nous la place de la religion s’est transformée, ainsi que la définition même du domaine religieux. Là encore, de même qu’on ne peut parler de la nature humaine ou des Grecs  » en général « , on ne peut croire qu’il existe une réalité immuable qui serait  » la religion « .
_ Pas plus, sans doute, qu’il n’existe une réalité uniforme qui serait  » la politique  » …
_ Evidemment, mais ce deuxième exemple exige quelques précisions complémentaires. Bon nombre d’anthropologues admettent aujourd’hui qu’il existe une vie politique dans toute société, quand bien même elle se déroule dans des institutions qui ne sont pas vécues et pensées comme politiques. La spécificité des Grecs, et particulièrement celle de la démocratie athénienne, est d’avoir dégagé la place du politique en tant que tel.  » Cela suppose d’abord que soient nettement distinguées d’une part les affaires communes, qui concernent l’ensemble des citoyens et où le pouvoir de décision ne peut appartenir à personne d’autre que la collectivité elle-même, et d’autre part les affaires qui sont propres à chaque maisonnée, celles qui ne relèvent que de la décision de chacun en son particulier. Ensuite, pour qu’un domaine autonome de la vie politique se constitue, ces affaires communes doivent être réglées auterme d’un débat public contradictoire, au cours duquel chacun a le droit de parler, et où finalement la décision est prise par l’assemblée de ceux qui constituent la Cité.
Cette émergence du politique est tout à fait étonnante. Car même si les Grecs ne séparaient pas radicalement le domaine religieux et celui des affaires publiques, ils opèrent en ce domaine un bouleversement extraordinaire. Même les problèmes qui concernent l’organisation du culte, la création d’un sanctuaire, la formulation d’un règlement sacré relèvent des débats et des décisions des hommes. Bien que l’on doive, dans certains cas, s’en référer à des sanctuaires comme Delphes, les choix ne sont dictés ni par une loi venue d’en haut ni par la parole d’un roi ou d’un personnage inspiré. Ils résultent d’une discussion où s’opposent des discours tenus par des gens occupant, en dépit des différences de statut social, des positions symétriques et reversibles dans l’espace politique. Les Grecs ont donc bien le sentiment qu’il existe un monde divin, différent du nôtre, et dont nous dépendons, mais ils sont d’autre part habités par l’idée, profondément ancrée en eux, que c’est aux citoyens et, à eux seuls, qu’il incombe de régler ce qui est important pour leur communauté.
_ Cette émergence du domaine politique ne conduit-elle pas également les Grecs à réfléchir, de manière systématique, sur les formes de son organisation ?
_ Effectivement. Ce domaine qui a été dégagé, on l’examine comme les médecins examinent le corps de l’homme. On observe les différentes possibilités de constitution : monarchie, tyrannie, démocratie, aristocratie, etc. On discute de leurs avantages et inconvénients respectifs, de leurs rapports avec l’environnement, avec l’organisation de l’espace, urbain ou rural, avec le climat. L’élaboration de cette réflexion rationnelle et positive sur le politique est liée au fait que celui-ci ne concerne pas seulement, aux yeux des Grecs, l’art de vivre en commun, mais, plus fortement, l’art de bien vivre.  » Pour comprendre ce que peut signifier cette expression, il faut garder en tête ce phénomène fondamental que j’appelle l’esthétisation des valeurs. Pour les Grecs, il n’y a pas de vertu sans beauté. Un  » type bien  » est beau à voir. Sur son corps, son visage, sa façon d’apparaître aux yeux d’autrui, s’inscrivent les qualités qui caractérisent l’homme libre.  » Je crois que les démocraties n’ont pas fini d’en voir… « 
_ Nous voilà déjà passés sur le versant des différences qui nous séparent des Grecs…
_ Et ce n’est pas la seule ! Car il n’y a pas d’Etat dans leur système, pas plus que de délégation de pouvoir ou de représentation du peuple. Du coup le problème de la liberté s’y pose tout autrement. Etre libre, pour eux, c’est avant tout disposer, en tant que citoyen, d’un droit égal à décider des questions communes, à vérifier que les décisions ont été exécutées, à participer aux délibérations des tribunaux, etc.  » Mais cette liberté ne suppose pas l’existence de toute une série de notions que nous tenons pour fondamentales : la présence, à côté de l’Etat, ou plutôt face à lui, d’une société ayant sa vie propre, la nécessité par conséquent de constituer des contre-pouvoirs, l’idée que l’individu se définit par des droits inaliénables, que la collectivité résulte d’un contrat par lequel ses membres délèguent le pouvoir à l’Etat… Les Grecs sont totalement dépourvus de cette idée d’un individu singulier, détenteur de droits universels et inaliénables, qui nous paraît aller de soi.
_ Ainsi, l’idée même des droits de l’homme n’appartient pas à la nature humaine…
_ Cela va de soi. Et la démocratie non plus n’appartient pas à la nature humaine ! C’est pourquoi j’aurais tendance à tirer de ces quelques remarques une autre conséquence. L’exemple grec peut en effet nous conduire à réfléchir à la fragilité de nos constructions. Les valeurs auxquelles nous tenons, et en particulier celles de la démocratie, nous savons qu’elles peuvent disparaître si on ne les défend pas incessamment. Il faut donc constamment refaire le tissu social et étendre les libertés si nous ne voulons pas les voir périr.
_ La marche de l’Histoire n’a jamais rien d’assuré ?
_ Je ne crois plus que l’Histoire ait un sens, ni que le progrès soit inéluctable. Quand j’étais jeune, j’ai cru qu’il était possible de prévoir rationnellement l’évolution de l’humanité. Je pensais que les particularismes nationaux, les préjugés religieux, les haines raciales étaient voués à disparaître pour des raisons objectives, telles que la création d’une économie mondiale ou les progrès des sciences et des techniques. Tout cela me faisait juger, en bon ou en mauvais marxiste que j’étais, que nous nous dirigions vers un système beaucoup plus unifié, où les survivances d’un âge non scientifique étaient vouées à disparaître. « 
Je ne pense plus cela, et je constate que je me trompais en le pensant. L’évolution du monde contemporain, en particulier son expansion économique et technique, et le décalage croissant entre le genre de vie des pays industrialisés et celui des autres, provoquent en retour des réactions extrêmement fortes, notamment de la part des traditions religieuses. D’autre part, entre l’Etat, la vie sociale et l’individu, les écarts se sont creusés de telle sorte que les gens ne s’intéressent plus à la politique. L’Etat leur paraît lointain, voire étranger et inaccessible.  » Ce phénomène était très net dans l’ex-Union soviétique. Les individus ne se sentaient plus aucun lien avec un Etat tout-puissant dont ils parlaient comme d’une lointaine planète, habitée d’extra-terrestres aux volontés obscures. Après l’écroulement du monde soviétique, les démocraties occidentales ont pu croire que tout allait être pour le mieux dans le meilleur des mondes libéraux possibles. Or cette crise du tissu social et du débat politique les affecte également. Je crois même que les démocraties n’ont pas fini d’en voir…
_ Peut-on remédier à cette indifférence dont la vie politique fait aujourd’hui l’objet ?
_ Je ne sais pas. Nous manquons d’une analyse qui fasse le point, de manière sérieuse et solide, sur les problèmes d’aujourd’hui. Dans ma jeunesse, j’avais une vision assez claire de l’avenir proche. Dans les années 30, je savais que nous allions vers un affrontement avec l’Allemagne nazie. Et je vivais cela comme le grand combat à venir entre le fascisme et l’anti-fascisme. Cette vision était peut-être sommaire, mais elle n’était pas fausse. En tout cas, je ne vivais pas simplement dans le présent et ses petites querelles. Il y avait un horizon d’attente, qui donnait sens à l’ensemble des événements. Il me semble qu’un tel horizon d’attente fait actuellement défaut. Nous sommes dans la nuit par rapport à ce que nous sommes en train de vivre et de devenir.
_ Est-ce à dire que nous soyons totalement démunis face à la nouvelle montée des propos et des agissements de type fasciste ?
_ Sûrement pas. Il faut se battre, car c’est notre faute si tout cela se produit. J’ai toutefois la conviction que le travail d’un intellectuel est avant tout de comprendre et d’expliquer à autrui, plutôt que d’opposer des slogans à d’autres slogans. Par conséquent, la meilleure façon de combattre ces tendances fascistes est de parvenir à y voir plus clair dans le fonctionnement du monde tel qu’il est aujourd’hui. Il faut saisir les enjeux et les déterminismes de notre époque pour comprendre pourquoi ces choses réapparaissent. Des travaux d’historiens, de sociologues, de psychologues sont donc nécessaires. Ils sont d’autant plus nécessaires que nous pouvons expliquer le comportement de ceux qui ont ces attitudes plus rigoureusement qu’ils ne peuvent expliquer le nôtre. Mais cela ne suffit pas.
_ Alors quoi d’autre ?
_ Savoir distinguer entre les gens avec lesquels on peut dialoguer, et ceux avec lesquels il n’en est pas question. Ceux qui, pendant la guerre, ont combattu aux côtés des Allemands étaient parfois des gens à plaindre. Dans d’autres circonstances, ils auraient pu faire un autre choix. J’admets très bien que quelqu’un ait pu penser ou faire certaines choses, à condition qu’il reconnaisse ensuite son erreur. Ce que je n’admets pas, ce sont les agissements de ceux qui, aujourd’hui, loin du bruit et de la fureur des événements, manifestent leur sympathie envers le nazisme, essaient de lui trouver des excuses et de le laver de ses crimes. A mes yeux, ces gens-là sont totalement disqualifiés. Je n’engagerai pas avec eux le moindre dialogue, et une poignée de main me paraîtrait encore de trop.  » Je crois pourtant être hospitalier. Les Grecs anciens disaient que, quand on frappe à votre porte, c’est peut-être un dieu qui vient voir si vous êtes toujours disponible. C’est pourquoi ma porte et ma table sont toujours ouvertes. Je suis prêt à expérimenter tous les plats qu’on voudra, même les plus étrangers à mes goûts et à mon régime. Mais on ne discute pas recettes de cuisine avec des anthropophages. Je ne souhaite ni partager leur repas ni les inviter à ma table. Le débat, autant que la commensalité, l’échange des idées comme celui de la nourriture, obéissent à des règles. S’affronter en une libre discussion, pour en revenir à nos Grecs, est de même ordre à leurs yeux que siéger en convive à un banquet commun : il y faut des manières de table.

6 Responses to Nuremberg du communisme: Mais qui jugera les formateurs et thuriferaires de Pol Pot? (What about the genociders’ trainers and cheerleaders?)

  1. […] en près de douze ans et préfigurant de l’Union soviétique à la Chine ou au Cambodge les dizaines de millions de morts du communisme du siècle suivant, fera deux fois plus de vicitmes […]

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  2. […] en près de douze ans et préfigurant de l’Union soviétique à la Chine ou au Cambodge les dizaines de millions de morts du communisme du siècle suivant, fera deux fois plus de vicitmes […]

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  3. […] instruction anglaise et chrétienne qu’à l’instar de Gandhi (mais contrairement à un Pol Pot) sa formation de juriste britannique, ses 27 ans d’internement  sur l’ancien […]

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  4. […] qu’en Chine comme en Russie les successeurs des auteurs toujours impunis du plus grand massacre de l’histoire se paient le luxe d’ironiser sur […]

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  5. […] qui ont donné leur vie pour mettre un terme, avant celle du communisme (dont on attend toujours le Nuremberg), à l’aberration du nazisme […]

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  6. jcdurbant dit :

    BRITAIN AND AUSTRALIA MADE ME DO IT

    « We believe one of the suicide bombers studied in the UK and later on did his postgraduate (degree) in Australia before coming back to Sri Lanka. »

    Ruwan Wijewardene (Sri Lankan junior defence minister)

    “What we can say is some of the suspected bombers, most of them are well-educated and come from maybe middle or upper middle class so are financially independent and their families are quite stable. That’s a worrying factor in this because some of them have studied in various other countries.”

    Muslim Council of Sri Lanka president NM Ameen told The Australian earlier today that he understood that at least one of the sons of a wealthy and prominent spice trader now being questioned over his children’s involvement in the bombings had studied in Australia. Two of the exporter’s sons are understood to have detonated suicide bomb vests at the Cinnamon Grand and Shangri-la hotels. A second bomber involved in the Shangri-La blast is believed to be the extremist Islamic scholar, Zahran Hashmi, who was the spokesman and organiser of the previously little-known National Thowheeth Jama’ath (NTJ) group believed to be behind the worst
    terror attacks on Sri Lankan soil in more than a decade.

    One of the spice trader’s son’s wives reportedly blew herself up at the family residence …

    https://www.theaustralian.com.au/world/sri-lanka-suicide-bomber-studied-in-australia/news-story/7cd7ee3f2324fc634bc03bdccd989ae0

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