Médias: Et si Israël disparaissait? (Imagine there’s no Israel)

A world with no Israel (cartoon)
La couverture d'Imagine there’s no Israel, It’s easy if you try, Imagine all the people, Living life in peace You may say that I’m a dreamer, But I’m not the only one, I hope someday you’ll join us And the world will be as one … (à fredonner sur un air connu)
Cyprus was an anomaly, Christianity’s forward position in a Muslim sea, isolated, fertile, hundreds of sea miles from Venice, both a provocation and a temptation to the sultans in Istanbul – ‘an island thrust into the mouth of the wolf’, one Venitian called it. Roger Crowley
Quelqu’un m’a demandé pourquoi je ne dis plus qu´Israël doit être détruit… J´ai répondu qu´il n’était plus nécessaire de le dire, vu que ce régime est déjà en voie d´être détruit. Mahmoud Ahmadinejad
Nul ne peut ne pas rêver de la destruction de n’importe quelle puissance devenue à ce point hégémonique (…) A la limite, c’est eux qui l’ont fait, mais c’est nous qui l’avons voulu. Jean Baudrillard (novembre 2001)
La situation est tragique mais les forces en présence au Moyen-Orient font qu’au long terme, Israël, comme autrefois les Royaumes francs, finira par disparaître. Cette région a toujours rejeté les corps étrangers. Dominique de Villepin (Paris, automne 2001)
Le point de départ, c’est ce tabou absolu qu’est la fin possible d’Israël. Je pense que, ne serait-ce que pour l’exorciser, il faut en parler. Que se passera-t-il le jour où Israël sera lâché par les Etats-Unis, son seul véritable allié ? J’ai voulu travailler sur ce scénario pour montrer à quel point les dirigeants israéliens actuels menaient une politique suicidaire. Les romans servent aussi à cela. (…) Après tout, c’était un roman, je n’étais pas obligée de coller à la stricte vérité, je pouvais – je devais même – donner libre cours à mon imagination ! Ce qui a été le plus dur, ou le plus excitant, c’est que la réalité ne cessait de me rattraper. J’ai inventé le personnage de Sokolov avant que Liebermann n’accède au pouvoir, j’ai inventé cette épidémie de peste qui affole la planète avant qu’H1N1 ne panique la terre entière, j’ai inventé le coup de gueule de la secrétaire d’Etat américaine avant que le vice-président américain Joe Biden ne se mette en colère contre Israël pour la poursuite de sa politique de colonisation ! A un moment, j’ai eu peur de ne plus surprendre. (…) c’est après avoir imaginé dans mon roman que les juifs seraient accusés d’avoir empoisonné l’eau de la Mecque, que j’ai découvert qu’il s’était produit exactement le même phénomène au Moyen-Âge. Immense émotion. (…) Je pense qu’à trop tirer sur la corde, les dirigeants israéliens pourraient un jour la faire rompre. On a vu au printemps dernier que les Etats-Unis étaient capables de s’emporter contre ce pays qu’ils soutiennent à bout de bras. Moi, je crois qu’il faudrait un Obama à Israël, et aux Palestiniens aussi. Encore une fois, pas forcément pour régler les problèmes d’un coup de baguette magique, c’est malheureusement impossible, mais au moins pour changer la perception que le monde a de cette région. La chance pour qu’il émerge trois Obama en un minimum de temps est malheureusement très faible. Il faut y croire. (…) cela n’a pas toujours été facile. Les autorités israéliennes étaient à cran à l’époque où j’étais là-bas. Les journalistes français étaient considérés par beaucoup au sein du gouvernement comme pro-palestiniens et donc anti-israéliens, voire pire, tout simplement parce qu’ils allaient faire leur boulot en allant raconter, outre les soubresauts de la société israélienne, ce qui se passait dans les territoires palestiniens, qui n’était pas souvent très beau à voir car ces territoires étaient bouclés à double tour par les Israéliens. J’ai eu droit à ces critiques, comme certains autres. Mais je m’en suis remise. Alexandra Schwartzbrod
La situation des Palestiniens ne cesse de se dégrader, et dans l’indifférence générale. Regardez le blocus de Gaza : la communauté internationale semble le découvrir ces jours-ci, mais il ne date pas d’hier ! En Israël, même la population ne se rend plus forcément compte de ce qui se passe côté palestinien. Depuis la construction du mur de béton qui la sépare de la Cisjordanie, elle a l’impression de tenir les Palestiniens à distance ; elle ne les voit plus, ne les entend plus, beaucoup finissent même par oublier qu’il y a un conflit ! Tel Aviv est une ville formidable où l’on vit normalement. Quand on est là-bas, on n’imagine pas la misère humaine, sociale ou économique qui peut régner à quelques kilomètres de là : à Gaza, véritable prison à ciel ouvert, et dans de nombreux endroits de Cisjordanie où la politique de colonisation israélienne empêche toute vie normale. A Jérusalem, en revanche, on sent bien le couvercle se refermer peu à peu sur les Palestiniens. A chacun de mes retours là-bas, je le perçois. L’objectif des autorités israéliennes est clairement de prendre le contrôle de Jérusalem-Est, la partie palestinienne de la ville. Par tous les moyens possibles, à commencer par les expulsions de familles palestiniennes que l’on vient déloger la nuit par la force pour installer à leur place des colons israéliens, religieux pour la plupart. Même les autorités américaines s’en sont émues il y a quelques mois quand le vice-président, Joe Biden, s’est rendu à Jérusalem. La politique de colonisation est une véritable gangrène. C’est la base du scénario de mon roman : que se passera-t-il quand les Israéliens auront fini par expulser tous les Palestiniens de Jérusalem-Est, empêchant ainsi les musulmans d’accéder à leurs lieux saints, les plus importants pour eux après la Mecque et Médine ? Dans mon roman, cela finit en drame. Un jour, ce ne sera peut-être plus une fiction. (…) Je suis extrêmement troublée car il y a là presque toute la trame de ce roman sur lequel je travaille depuis trois ans : Israël montré du doigt par le monde entier à cause d’une opération qui a dérapé, la brouille entre la Turquie et Israël, les Arabes israéliens accusés de manquer de loyauté envers l’Etat hébreu, le secrétaire-général de l’ONU qui monte au créneau, l’administration américaine qui sent qu’elle doit bouger… Je suis troublée mais pas surprise. Je n’ai pas bâti cette trame au hasard. Ce roman est extrêmement réfléchi. J’ai voulu raconter ce qu’il risquait de se passer si les dirigeants israéliens continuaient à se comporter comme ils le font depuis un certain temps : en gouvernant main dans la main avec l’extrême droite et avec un sentiment total d’impunité. Je ne pensais simplement pas que la réalité rejoindrait aussi vite la fiction. Alexandra Schwartzbrod (2017)
Il y a cinq ou six ans, quand j’ai commencé à travailler sur ce roman, le scénario d’un Israël coupé en deux, entre d’un côté ultra-orthodoxes et nationalistes russes à Jérusalem, de l’autre laïcs de gauche juifs et arabes à Tel Aviv, me semblait relever de la science-fiction mais paraissait plausible dans un avenir lointain. Pour moi, c’était malheureusement le chemin qu’Israël était susceptible de prendre si le pays continuait à être dirigé par des hommes comme Benyamin Netanyahou ou Avigdor Liberman [ancien ministre des Affaires étrangères puis de la Défense, un nationaliste russe proche de l’extrême droite] et c’est ce que je voulais montrer en exagérant sciemment la catastrophe pour mieux la conjurer. Et puis, plus j’avançais dans l’écriture et dans le temps, plus mon scénario devenait possible avec la « trumpisation » de la question israélo-palestinienne (déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem, loi sur l’« État-nation juif », projet d’annexion d’une partie de la Cisjordanie…) Je n’aurais jamais imaginé que mon roman sortirait quelques mois avant que Netanyahou envisage d’annexer une partie de la Cisjordanie. (…) Rien ne me lie à cette région et pourtant, en effet, je me suis immédiatement sentie là où j’avais toujours eu envie d’être, là-bas. Je dis « là-bas » car cela pouvait être aussi bien à Jérusalem qu’à Tel-Aviv, à Beer-Sheva qu’à Jericho, Naplouse ou Ramallah. Je suis arrivée en poste deux mois avant l’éclatement de la deuxième Intifada. J’ai couvert les pires violences, j’ai eu peur des Israéliens dans les villes palestiniennes sous couvre-feu, j’ai eu peur des attentats palestiniens côté israélien, j’ai partagé toutes les angoisses, les espoirs, les déceptions des Israéliens comme des Palestiniens, j’ai sillonné tout le pays en voiture. Je pouvais reconnaître les lieux aux odeurs et à la texture de l’air, j’ai étudié l’arabe et l’hébreu, deux langues très proches que j’ai aimées autant l’une que l’autre, j’ai vu ce pays se déchirer et s’abîmer sous mes yeux et cela m’a bouleversée. Vingt après, je n’arrive toujours pas à comprendre que deux peuples si proches puissent ne pas s’entendre. (…) Pendant longtemps, j’ai été journaliste spécialiste des questions d’armement et de défense, j’ai donc beaucoup étudié les systèmes d’armes que j’ai vu évoluer au fil des années. Et les drones armés sont sans doute la pire invention qui soit car elle déresponsabilise celui qui tire. On peut tuer en étant assis dans un fauteuil à manger des pop-corn, ou presque ! Et l’avènement des drones/robots tueurs paraît d’une logique malheureusement inévitable. J’ai voulu montrer ce qui pouvait arriver si ces machines de mort tombaient entre les mains de fous furieux, quels qu’ils soient. (…) J’ai voulu imaginer qu’une autre façon de vivre était possible entre Israéliens et Palestiniens et cela m’a fait du bien. Les romans de science-fiction sont souvent apocalyptiques, j’ai voulu en écrire un qui offre une lueur d’espoir. (…) le personnage d’Éli Bishara est très important, c’est mon « fil rouge » depuis mon premier polar, Balagan, en 2003. Il est important et intéressant car il n’est pas qu’israélien, il est arabe israélien, ou palestinien d’Israël comme on appelle ces Palestiniens qui, en 1948 [lors de la Nakba], sont restés vivre en Israël. Il porte donc les deux identités et cela m’a toujours fascinée. Comment, quand on connaît la détestation ou au moins la méfiance que se vouent ces deux peuples, vit-on le fait d’être à la fois palestinien et israélien ? Cet homme porte donc en lui l’amour et la haine, il se sent profondément israélien mais les Palestiniens sont ses frères. Il est perpétuellement tiraillé entre les deux et c’est cet entre-deux qu’il est passionnant de raconter. C’est aussi ce que j’ai voulu raconter par ce roman, la multiplication des murs, géographiques, politiques mais aussi mentaux. On se méfie de plus en plus de l’autre, de celui qui est différent. On veut ériger des murs au sein même d’une société, entre communautés laïques ou religieuses, on se replie sur son pré carré, sa famille, son clan, sa communauté. La tragédie des migrants fuyant la guerre et la misère et rejetés par beaucoup est pour moi un traumatisme. (…) la journaliste que je suis est révoltée contre ce conflit qui perdure et la façon dont la communauté internationale a abandonné les Palestiniens. Alexandra Schwartzbrod (2020)
Et si Israël disparaissait ? (…) Tout débute par l’explosion d’une usine bactériologique en Russie qui libère le fléau de la peste. Des pèlerins contaminent La Mecque en plein hadj. Alors que les morts se comptent par centaines de milliers, la rumeur d’un complot juif enfle. Les bruits atteignent l’Etat hébreu, qui se retrouve au bord de la guerre civile. Le Point
« Adieu Jérusalem », dit le titre en forme d’épitaphe : et c’est bien d’un adieu qu’il s’agit, lancé à une certaine idée fraternelle et ouverte de l’humanité, sacrifiée sur l’autel des intégrismes de tous poils, barbes ici, papillotes là. (…) Tout commence en Russie, dans une usine chimique à la Tchernobyl dont l’explosion engendre une contamination qui ramène sur le devant de la scène ce vieux mal qui répand la terreur : la peste noire, laquelle éclate, par pèlerins qui en véhiculent le germe, lors du grand rassemblement du hadj à La Mecque. Et comme toujours, quand le mal rôde, il faut un bouc émissaire. L’Histoire montre assez que les Juifs ont en la matière une bonne longueur d’avance : rien d’étonnant à ce que la colère arabe s’enflamme contre eux, et rien d’étonnant à ce que le conflit déjà exacerbé largue toutes les amarres pacifiques pour devenir affrontement irrationnel et suicidaire. Le Dauphiné
Les romans sont parfois de magnifiques ouvrages géopolitiques si l’auteur allie le talent d’écriture à de solides connaissances. C’est le cas d’Alexandra Schwartzbrod, journaliste à Libération, qui fut en poste à Israël de 2000 à 2003. Pascal Boniface
Alexandra Schwartzbrod a pris ses fonctions de correspondante de Libération à Jérusalem juste avant la seconde Intifada. Elle a dû apprendre vite – « et bien », précise Enderlin. Pourtant, elle va regagner Paris ce mois-ci. Gênés, ses collègues font état de « problèmes politiques et professionnels ». Coïncidence ? La Mena l’accusait systématiquement depuis janvier 2002 d’« incitation à la haine ethnique » et de « propagande anti-israélienne », jusqu’à ce que, le 14 juillet, une dépêche claironne : « Alexandra Schwartzbrod s’en va ! Ce sont nos amis à Libération qui nous ont confirmé la rumeur avec une satisfaction certaine. » Et de raconter par le menu les discussions internes qui aboutirent au rappel de la correspondante et à son remplacement... Le Monde diplomatique (dec. 2002)

A l’heure où, après l’incroyable acte de piratage en haute mer de l’Armée israélienne contre une flottille humanitaire sans défense autre que des couteaux et des barres de fer, la planète entière  a condamné comme un seul homme l’entité sioniste …

Mais où, sous la pression conjuguée du lobby juif et des prochaines élections de mi-mandat de novembre, le président Obama lui-même a dû mettre un bémol à sa critique de l’Etat sioniste …

A lire d’urgence sur les plages de vos vacances …

Ce courageux et brillant roman de politique fiction d’une journaliste qui n’a pas sa langue dans sa poche et qui en paya d’ailleurs le prix après deux ans en poste en Israël…

Et qui (frissons garantis!) ose briser « le tabou absolu »…

A savoir penser l’impensable et dire et écrire tout haut (jusqu’à réinventer, sans le savoir, l’accusation médiévale d’empoisonnement  des sources d’eau!) ce que pensent nombre de ses confrères tout bas…

La disparition pure et simple, à l’horizon 2017, de l’Etat d’Israël!

A propos de « Adieu Jérusalem »

Interview Alexandra SCHWARTZBROD

réalisée par mail en 2010 par Christophe Dupuis

Alexandra Schwartzbrod, pour ceux qui ne vous connaîtraient pas, pourriez-vous vous présenter rapidement ?

Je suis journaliste à Libération et romancière. A Libé, je suis une des chefs du service Economie, spécialisée notamment dans les industries d’armement et nucléaire. Il y a dix ans, je suis partie, pour Libé, comme correspondante à Jérusalem. On était alors en pleines discussions sur un accord de paix (Camp David). Je pensais très naïvement assister à cet événement historique que serait l’avènement d’un Etat palestinien. En réalité j’ai assisté, en direct, à l’éclatement de la deuxième intifada. Près de trois ans de violences (israélienne et palestinienne) ininterrompues. Il y a dix ans aussi, j’ai publié mon premier roman, « Koutchouk », l’histoire romancée de cette danseuse du ventre avec qui Gustave Flaubert a passé une nuit torride durant son voyage en Egypte et qui, je le crois, lui a inspiré Salammbô. L’écriture de ce roman fut un tel bonheur intense que je n’ai eu de cesse de recommencer. Mais mon séjour à Jérusalem ayant changé ma vision de l’Orient, j’ai eu envie d’une écriture plus brutale, moins « loukoumesque », et je me suis lancée dans le polar avec « Balagan », dont l’intrigue se passe dans la vieille ville de Jérusalem pendant cette dernière intifada et qui a remporté le prix du polar de la SNCF en 2003.

Votre métier vous prend beaucoup de temps, alors comment arrivez-vous à le concilier avec l’écriture ?

Mais j’écris tout le temps ! Tout nourrit mon imagination et d’abord mon métier de journaliste ! J’ai une grande force, c’est que je suis capable d’écrire n’importe où, n’importe quand. Et moins j’ai de temps, mieux j’écris. Si vous m’enfermez dans une pièce toute une journée, je deviens dingue, au bout d’une heure je n’ai plus d’inspiration. Si je vais m’asseoir dans un café près de Libé à l’heure du déjeuner avec une demi-heure en tout et pour tout, j’ai une inspiration démente. Comme si tout tournait dans ma tête depuis des heures et ne demandait qu’à sortir ! Dans le métro, le train, l’avion, pareil.

Et comment expliquez-vous le nombre de journalistes/écrivains ?

On a une telle chance quand on est journaliste, on entre dans tellement de lieux non accessibles au grand public, on rencontre tellement de gens intéressants (pas tous, il faut bien le reconnaître, mais quand même) qu’arrive un moment où on a envie de raconter tout ça, de ne pas le laisser s’envoler. Et puis l’écriture du roman est très différente de celle d’un article, moins factuelle, plus personnelle. On peut plus facilement parler de goûts, d’odeurs, de sexe, de sentiments, de lumières, j’aime beaucoup ça aussi.

C’est votre deuxième roman se déroulant à Jérusalem, et même s’il est plus facile d’écrire sur les lieux qu’on connaît, on se demande ce qui vous y attire tant…

On se le demande vraiment ? J’ai du mal à le croire. Jérusalem est la ville la plus fascinante qui existe sur terre. On adore ou on ne supporte pas, ou les deux à la fois, mais elle ne laisse en aucun cas indifférent.

Le livre se passe en 2017, quel a été le point de départ de cette prospective politique ?

Le point de départ, c’est ce tabou absolu qu’est la fin possible d’Israël. Je pense que, ne serait-ce que pour l’exorciser, il faut en parler. Que se passera-t-il le jour où Israël sera lâché par les Etats-Unis, son seul véritable allié ? J’ai voulu travailler sur ce scénario pour montrer à quel point les dirigeants israéliens actuels menaient une politique suicidaire. Les romans servent aussi à cela.

On y retrouve pas mal de monde dont Andreï Sokolov, qui fait campagne pour la mairie de Jérusalem… Vous vous êtes inspirée de l’homme d’affaires russe Arcady Gaydamak qui faisait campagne en 2008, non ?

Oui. Je l’avais longuement interviewé à mon arrivée à Jérusalem et il m’avait beaucoup impressionnée. Une assurance incroyable. Le personnage de Sokolov, c’est donc lui, mâtiné de Lierbemann, l’actuel ministre des affaires étrangères israélien, russe et d’extrême-droite.

C’est d’ailleurs la difficulté d’une telle fiction : coller au réel, mais pas de trop, alors comment avez-vous procédé ?

Au début, j’étais un peu pétrifiée, j’avais peur de ne pas être à la hauteur de cette page d’histoire, de me tromper dans les dates, les événements, le fonctionnement de l’Onu, du secrétariat d’Etat américain, ou du pèlerinage à la Mecque. J’amassais une quantité invraisemblable de doc, de livres et d’articles découpés dans les journaux. En fait, l’inspiration et les personnages ont commencé à venir quand j’ai lâché là-dessus. Après tout, c’était un roman, je n’étais pas obligée de coller à la stricte vérité, je pouvais – je devais même – donner libre cours à mon imagination ! Ce qui a été le plus dur, ou le plus excitant, c’est que la réalité ne cessait de me rattraper. J’ai inventé le personnage de Sokolov avant que Liebermann n’accède au pouvoir, j’ai inventé cette épidémie de peste qui affole la planète avant qu’H1N1 ne panique la terre entière, j’ai inventé le coup de gueule de la secrétaire d’Etat américaine avant que le vice -président américain Joe Biden ne se mette en colère contre Israël pour la poursuite de sa politique de colonisation ! A un moment, j’ai eu peur de ne plus surprendre.

Un des temps forts du livre est la peste noire qui décime les pèlerins à La Mecque et, rapidement, la foule qui accuse : « les juifs ont empoisonné l’eau de la Mecque. » Et, lorsque la cellule de réflexion américaine y réfléchit, elle tire un parallèle avec le Moyen Age où « ce furent les juifs, qu’on accusa d’empoisonner intentionnellement l’eau des puits… Et vous, vous êtes-vous inspirée du Moyen Age pour cette histoire ?

Je dois reconnaître que non, c’est après avoir imaginé dans mon roman que les juifs seraient accusés d’avoir empoisonné l’eau de la Mecque, que j’ai découvert qu’il s’était produit exactement le même phénomène au Moyen-Âge. Immense émotion.

Vous êtes journalistes, vous écrivez des romans, alors que pensez-vous de ce que se dit Dennis Crocker « L’Américain se frotta les yeux, il devait être en plein cauchemar : on ne pouvait pas être revenu à ce degré zéro de l’intelligence, on ne pouvait pas avoir oublié à ce point les leçons de l’histoire. »

Malheureusement, tous les jours on constate que, quelque part dans le monde, un pays développé ou non est capable de revenir au degré zéro de l’intelligence. L’Histoire ne cesse de se répéter.

Laristel lui pense que « ni l’individu ni la collectivité n’avaient a mémoire du chaos »… Pourtant, les faits sont là, il suffit juste de le ressortir et de les mettre en perspective, non ?

Non, ce n’est pas si simple. Quand on est dans l’urgence, on ne réfléchit pas forcément aux leçons du passé, ni aux conséquences futures. En plus, il faut pour cela une certaine intelligence, une certaine culture que beaucoup n’ont pas.

Laristel, toujours lui, qui se dit que « L’ONU était une machine extrêmement bien huilée où les habitudes tenaient lieu de règles de conduite » et qui peut se permettre de faire un coup d’éclat car « sa carrière était derrière lui »… pensez-vous que cela puisse suffire ?

Non, sans doute pas. Encore que…regardez comme l’élection d’Obama a changé la perception que l’on a des Etats-Unis. Certes, beaucoup de dossiers n’ont pas bougé, notamment le dossier israélo-palestinien, mais quelque chose s’est passé. Laristel, pour moi, peut provoquer ne serait-ce qu’une prise de conscience.

Et pensez-vous que ce qu’il se passe à la fin de votre livre (p391/92, que nous ne dévoilerons pas ici) puisse arriver un jour ? car à la vue des derniers évènements, on peut, une fois de plus, se poser la question…

En effet. Je pense qu’à trop tirer sur la corde, les dirigeants israéliens pourraient un jour la faire rompre. On a vu au printemps dernier que les Etats-Unis étaient capables de s’emporter contre ce pays qu’ils soutiennent à bout de bras. Moi, je crois qu’il faudrait un Obama à Israël, et aux Palestiniens aussi. Encore une fois, pas forcément pour régler les problèmes d’un coup de baguette magique, c’est malheureusement impossible, mais au moins pour changer la perception que le monde a de cette région. La chance pour qu’il émerge trois Obama en un minimum de temps est malheureusement très faible. Il faut y croire.

Pour finir, deux petites questions :

Il y a une référence musicale à Fazil Say, un pianiste turc, serait-ce la musique qui vous a accompagné durant la rédaction du livre ?

Ah oui !…Je l’ai découvert au moment où j’entamais l’écriture de ce roman, à Istanbul, comme Dennis Crocker dans mon roman. Et je suis tombée raide dingue de son disque « les 1000 et une nuits au Harem ». En plus, je trouve qu’il a une très belle gueule, un peu tourmentée, un peu romantique. Parfait pour l’inspiration, comme le titre de ce disque.

Fazil SayA la fin du roman on trouve une biographie bien fournie dans laquelle se trouve… Paul-Loup Sulitzer, étonnant, non ?

Pas du tout !…Souvenez vous que Paul-Loup Sulitzer s’est trouvé embarqué dans l’affaire de l’Angolagate aux côtés d’Arkadi Gaydamak dont il a fait le portrait romancé dans un incroyable thriller politico-financier titré « Le roi rouge ». Ce livre est passé relativement inaperçu mais moi qui avais déjà décidé de faire de Gaydamak un des héros de mon roman, je me suis jetée dessus et…je l’ai dévoré ! Je voyais mon personnage vivre, là, sous mes yeux ; je le retrouvais tel que je l’avais vu quelques années plus tôt et cela a sans doute contribué à enrichir mon imagination.

Last but not least : quittons la fiction et revenons sur le « terrain » pour une question (il y en aurait tant). Vous étiez correspondante de Libération à Jérusalem et j’ai le souvenir d’un article de Dominique Vidal dans Le Monde Diplomatique faisant état de la difficulté d’y faire votre métier…

Vous avez une bonne mémoire. Oui, cela n’a pas toujours été facile. Les autorités israéliennes étaient à cran à l’époque où j’étais là-bas. Les journalistes français étaient considérés par beaucoup au sein du gouvernement comme pro-palestiniens et donc anti-israéliens, voire pire, tout simplement parce qu’ils allaient faire leur boulot en allant raconter, outre les soubresauts de la société israélienne, ce qui se passait dans les territoires palestiniens, qui n’était pas souvent très beau à voir car ces territoires étaient bouclés à double tour par les Israéliens. J’ai eu droit à ces critiques, comme certains autres. Mais je m’en suis remise.

Merci beaucoup

Voir aussi:

Alexandra Schwartzbrod : « Tout le monde est fou à Jérusalem »
Hubert Artus
Rue 89/Obs
24 janvier 2017

Alexandra Schwartzbrod a été correspondante de Libération à Jérusalem de 2000 à 2002. Sept ans après « Balagan », qui s’y déroulait, elle publie « Adieu Jérusalem », une politique-fiction furieusement en écho avec l’actualité de la semaine.

Sur place, ma consœur a vu arriver la deuxième Intifada, à l’automne 2000. Elle connaît bien la ville sainte, elle cerne les problèmes des sociétés israéliennes et palestiniennes, et travaille beaucoup sur le drame identitaire des Arabes israéliens.

Son premier roman policier, « Balagan » (2003, prix du Polar SNCF) se déroulait à Jérusalem. On y rencontrait Eli Bishara, inspecteur arabe israélien. On le retrouve pour « Adieu Jérusalem », politique fiction se déroulant en 2017, qui a repris une actualité dramatique cette semaine.

L’histoire débute à Kazan, en Russie. Mounir Baraka travaille sur un site scientifique qui explose sous ses yeux dès le début du livre. Survivant, notre homme doit partir accomplir le Hadj à La Mecque. Mais sans le savoir, il introduit dans la ville sainte une infection. La Mecque est décimée.

Tout le monde pense que pour se venger de la peste noire du Moyen-Age où ils avaient été eux-mêmes accusés, les Juifs ont infecté l’eau des puits. Le monde est en état d’alerte. En Israël, Tsahal expulse tous les Arabes, sous une pluie d’attentats et de meurtres.

Si la multiplication des personnages génère des longueurs, la catastrophe prend appui sur des évènements suffisamment organisés pour devenir crédibles. Provocateur et réaliste, le roman imagine non moins que l’implosion d’un Etat et d’une nation. Un roman d’anticipation qui se lit au présent. Interview, réalisée par courrier électronique.

« La politique de colonisation est une gangrène »

Cest ton troisième livre –et deuxième roman- sur cette ville. Quest-ce qui t’y obsède ?

Dans ma vie, il y a un « avant » et un « après » Jérusalem. Et cela n’a rien à voir avec la religion. Là-bas, tout est intense, les gens comme la lumière sur les pierres. Le mélange des cultures, des langues, des siècles vous donne à chaque seconde l’impression de vivre double.

Pour moi qui aime parler différentes langues, jongler sans cesse avec l’anglais, l’hébreu, l’arabe, le russe est un plaisir inouï. Le paysage m’émeut comme nulle part ailleurs : en quelques minutes, vous pouvez passer des collines arides du désert de Judée aux orangeraies des plaines de Tel Aviv, des champs d’oliviers d’Hébron ou de Naplouse à la plaine de Jéricho.

Tous les gens sont intéressants, même les pires, car ils sont tellement en rivalité les uns avec les autres -Russes, Arabes israéliens, Juifs (ashkénazes et séfarades), Palestiniens- que cela les pousse à se surpasser en tout. Tout le monde est fou là-bas et cette folie finit par devenir addictive. Quand vous rentrez, vous réalisez à quel point vous avez été gagné par cette folie et aussi à quel point elle vous manque. C’est pour cette raison que j’écris des romans : pour faire passer ma passion et mon indignation.

Penses-tu que la situation à Jérusalem se soit
beaucoup dégradée ?

La situation des Palestiniens ne cesse de se dégrader, et dans l’indifférence générale. Regardez le blocus de Gaza : la communauté internationale semble le découvrir ces jours-ci, mais il ne date pas d’hier !

En Israël, même la population ne se rend plus forcément compte de ce qui se passe côté palestinien. Depuis la construction du mur de béton qui la sépare de la Cisjordanie, elle a l’impression de tenir les Palestiniens à distance ; elle ne les voit plus, ne les entend plus, beaucoup finissent même par oublier qu’il y a un conflit !

Tel Aviv est une ville formidable où l’on vit normalement. Quand on est là-bas, on n’imagine pas la misère humaine, sociale ou économique qui peut régner à quelques kilomètres de là : à Gaza, véritable prison à ciel ouvert, et dans de nombreux endroits de Cisjordanie où la politique de colonisation israélienne empêche toute vie normale.

A Jérusalem, en revanche, on sent bien le couvercle se refermer peu à peu sur les Palestiniens. A chacun de mes retours là-bas, je le perçois. L’objectif des autorités israéliennes est clairement de prendre le contrôle de Jérusalem-Est, la partie palestinienne de la ville. Par tous les moyens possibles, à commencer par les expulsions de familles palestiniennes que l’on vient déloger la nuit par la force pour installer à leur place des colons israéliens, religieux pour la plupart.

Même les autorités américaines s’en sont émues il y a quelques mois quand le vice-président, Joe Biden, s’est rendu à Jérusalem. La politique de colonisation est une véritable gangrène.

C’est la base du scénario de mon roman : que se passera-t-il quand les Israéliens auront fini par expulser tous les Palestiniens de Jérusalem-Est, empêchant ainsi les musulmans d’accéder à leurs lieux saints, les plus importants pour eux après la Mecque et Médine ? Dans mon roman, cela finit en drame. Un jour, ce ne sera peut-être plus une fiction.

Que t’inspire la résonance de l’actualité avec la parution de votre livre ?

Je suis extrêmement troublée car il y a là presque toute la trame de ce roman sur lequel je travaille depuis trois ans : Israël montré du doigt par le monde entier à cause d’une opération qui a dérapé, la brouille entre la Turquie et Israël, les Arabes israéliens accusés de manquer de loyauté envers l’Etat hébreu, le secrétaire-général de l’ONU qui monte au créneau, l’administration américaine qui sent qu’elle doit bouger…

Je suis troublée mais pas surprise. Je n’ai pas bâti cette trame au hasard. Ce roman est extrêmement réfléchi. J’ai voulu raconter ce qu’il risquait de se passer si les dirigeants israéliens continuaient à se comporter comme ils le font depuis un certain temps : en gouvernant main dans la main avec l’extrême droite et avec un sentiment total d’impunité. Je ne pensais simplement pas que la réalité rejoindrait aussi vite la fiction.

Voir également:

Et si Israël disparaissait ?
Thomas Mahler
Le Point
01/07/2010

Voici un ouvrage de politique-fiction époustouflant, effrayant, et, hélas, tout à fait plausible. Alexandra Schwartzbrod, qui fut correspondante en Israël pour Libération, a imaginé dans  » Adieu Jérusalem  » une chute de dominos à l’échelle de la planète, débouchant sur le chaos au Proche-Orient. Tout débute par l’explosion d’une usine bactériologique en Russie qui libère le fléau de la peste. Des pèlerins contaminent La Mecque en plein hadj. Alors que les morts se comptent par centaines de milliers, la rumeur d’un complot juif enfle. Les bruits atteignent l’Etat hébreu, qui se retrouve au bord de la guerre civile. Avec ce scénario catastrophe reposant sur des personnages forts, à l’image d’un commissaire arabo-israélien tiraillé entre deux fidélités, l’auteur dépeint les contradictions d’une région  » maillon faible  » de la stabilité internationale. On dévore, en se demandant s’il faut vraiment se réjouir que l’actualité puisse inspirer un thriller aussi formidable.

COMPLEMENT:

Alexandra Schwartzbrod : « Nous n’avons pas le droit de désespérer, sinon le Proche-Orient est foutu »
Troisième polar de son cycle consacré au conflit israélo-palestinien, Les Lumières de Tel-Aviv d’Alexandra Schwartzbrod se projette dans une terrifiante dystopie pas si éloignée, finalement, de la sombre actualité dans la région
Adlene Meddi
MiddleEast Eye
11 août 2020

« Ils étaient donc bien à égalité tous autant qu’ils étaient, laïques et religieux, juifs et arabes, au moins dans la souffrance. »

Il ne s’agit pas d’une profession de foi pêchant par trop de naïveté, mais plutôt du passage d’un thriller où un juif orthodoxe saute à la perche pour fuir son monde. Où un Merkava (char de combat israélien) conduit par une Amazone palestinienne bouffe le sable du khamsin (vent brûlant venu du désert d’Égypte). Où un Premier ministre extrémiste et fou furieux amateur de (très) jeunes filles commande les plus redoutables robots tueurs de la planète. Où une libraire stambouliote tente de sauver les deux derniers Palestiniens de Palestine. Où un ex-flic arabe d’Israël recherche son grand amour au prix des plus grands dangers.

Les Lumières de Tel-Aviv (paru en mars 2020), de l’écrivaine et journaliste française Alexandra Schwartzbrod, nous plonge dans une haletante course-poursuite contre la montre, mais aussi contre la folie des hommes dans un monde qui a basculé dans l’intolérance et les diktats populistes.

Ancienne correspondante en Israël, directrice-adjointe de Libération, lauréate du Prix SNCF du polar en 2003 pour Balagan et Grand prix de littérature policière en 2010 pour Adieu Jérusalem (deux romans qui composent, avec Les Lumières de Tel-Aviv, un cycle consacré à Israël), Alexandra Schwartzbrod aborde dans cette dystopie audacieuse aussi bien les dérives totalitaires des fous de Dieu que le courage de celles et ceux qui s’y opposent.

Leur théâtre : un « Grand Israël » dirigé par des ultrareligieux, épaulés par des nationalistes russes, qui fait la guerre aux « résistants », juifs et Arabes, dans un Tel-Aviv rêvant d’une société utopique.

Que se passe-t-il quand les frontières provoquent des déchirements au sein même d’une intime conviction ? Comment faire face à la folie meurtrière érigée en mode de gouvernance ?

Ce roman pose autant de questions à fleur de peau qui interrogent notre monde actuel et ses maladies chroniques.

Middle East Eye : La prise de pouvoir par les religieux en Israël, l’annexion de la Cisjordanie, la montée de l’extrême droite en Europe et des nationalistes russes, les bouleversements climatiques dus au réchauffement de la planète : êtes-vous rattrapée par les événements ou la dystopie est-elle devenue un art difficile dans notre monde ? Faut-il, sinon, « exagérer » la catastrophe pour la conjurer ?

Alexandra Schwartzbrod : Il y a cinq ou six ans, quand j’ai commencé à travailler sur ce roman, le scénario d’un Israël coupé en deux, entre d’un côté ultra-orthodoxes et nationalistes russes à Jérusalem, de l’autre laïcs de gauche juifs et arabes à Tel Aviv, me semblait relever de la science-fiction mais paraissait plausible dans un avenir lointain.

Pour moi, c’était malheureusement le chemin qu’Israël était susceptible de prendre si le pays continuait à être dirigé par des hommes comme Benyamin Netanyahou ou Avigdor Liberman [ancien ministre des Affaires étrangères puis de la Défense, un nationaliste russe proche de l’extrême droite] et c’est ce que je voulais montrer en exagérant sciemment la catastrophe pour mieux la conjurer.

Et puis, plus j’avançais dans l’écriture et dans le temps, plus mon scénario devenait possible avec la « trumpisation » de la question israélo-palestinienne (déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem, loi sur l’« État-nation juif », projet d’annexion d’une partie de la Cisjordanie…)

Je n’aurais jamais imaginé que mon roman sortirait quelques mois avant que Netanyahou envisage d’annexer une partie de la Cisjordanie.

MEE : De votre écriture se dégage aussi bien de la colère (face à la situation de conflit éternel dans la région) que de l’attachement à cette terre, à ses habitants aussi. Est-ce que la correspondante de Libération de l’époque 2000-2003 en Israël est restée, finalement, là-bas mentalement, émotionnellement ?

AS : Il y a en effet dans ma vie un avant et un après Jérusalem. J’ai l’impression d’avoir appris beaucoup de choses là-bas, sur mon métier, sur la vie, la mort, l’injustice.

Rien ne me lie à cette région et pourtant, en effet, je me suis immédiatement sentie là où j’avais toujours eu envie d’être, là-bas. Je dis « là-bas » car cela pouvait être aussi bien à Jérusalem qu’à Tel-Aviv, à Beer-Sheva qu’à Jericho, Naplouse ou Ramallah.

Je suis arrivée en poste deux mois avant l’éclatement de la deuxième Intifada. J’ai couvert les pires violences, j’ai eu peur des Israéliens dans les villes palestiniennes sous couvre-feu, j’ai eu peur des attentats palestiniens côté israélien, j’ai partagé toutes les angoisses, les espoirs, les déceptions des Israéliens comme des Palestiniens, j’ai sillonné tout le pays en voitur

Je pouvais reconnaître les lieux aux odeurs et à la texture de l’air, j’ai étudié l’arabe et l’hébreu, deux langues très proches que j’ai aimées autant l’une que l’autre, j’ai vu ce pays se déchirer et s’abîmer sous mes yeux et cela m’a bouleversée. Vingt après, je n’arrive toujours pas à comprendre que deux peuples si proches puissent ne pas s’entendre.

MEE : Pourquoi avoir introduit cette idée forte des drones tueurs qui deviennent des sortes de suppléants des forces du « Grand Israël » ? 

AS : Pendant longtemps, j’ai été journaliste spécialiste des questions d’armement et de défense, j’ai donc beaucoup étudié les systèmes d’armes que j’ai vu évoluer au fil des années.

Et les drones armés sont sans doute la pire invention qui soit car elle déresponsabilise celui qui tire. On peut tuer en étant assis dans un fauteuil à manger des pop-corn, ou presque ! Et l’avènement des drones/robots tueurs paraît d’une logique malheureusement inévitable. J’ai voulu montrer ce qui pouvait arriver si ces machines de mort tombaient entre les mains de fous furieux, quels qu’ils soient.

MEE : Dans vos autres thrillers, Adieu Jérusalem et Balagan, vous imaginiez des tournants étonnants de l’histoire. Êtes-vous désespérée de la réalité ou bien voulez-vous forcer de nouvelles issues au destin de cette terre en conflit ?  

AS : Ce roman montre que justement je refuse de céder au désespoir. Mieux même, je considère que je n’ai pas le droit, que nous n’avons pas le droit de désespérer, sinon le Proche-Orient est foutu.

J’ai voulu imaginer qu’une autre façon de vivre était possible entre Israéliens et Palestiniens et cela m’a fait du bien. Les romans de science-fiction sont souvent apocalyptiques, j’ai voulu en écrire un qui offre une lueur d’espoir.

 Les drones armés sont sans doute la pire invention qui soit car elle déresponsabilise celui qui tire

MEE : Le personnage d’Éli Bishara, l’ex-commissaire arabe d’Israël, est très marquant : il y a une tension forte dans sa relation à son pays, nous avons l’impression qu’il ne sait plus où est sa place face à la radicalisation de tous les bords. Est-ce le cas de beaucoup d’Israéliens aujourd’hui ?

AS : Oui, le personnage d’Éli Bishara est très important, c’est mon « fil rouge » depuis mon premier polar, Balagan, en 2003. Il est important et intéressant car il n’est pas qu’Israélien, il est Arabe israélien, ou Palestinien d’Israël comme on appelle ces Palestiniens qui, en 1948 [lors de la Nakba], sont restés vivre en Israël.

Il porte donc les deux identités et cela m’a toujours fascinée. Comment, quand on connaît la détestation ou au moins la méfiance que se vouent ces deux peuples, vit-on le fait d’être à la fois Palestinien et Israélien ?

Cet homme porte donc en lui l’amour et la haine, il se sent profondément israélien mais les Palestiniens sont ses frères. Il est perpétuellement tiraillé entre les deux et c’est cet entre-deux qu’il est passionnant de raconter.

MEE : Vous ne détaillez pas trop la déportation massive des Palestiniens : l’impression donnée est celle d’une catastrophe si immense qu’elle devient indescriptible, une Nakba-bis. Est-ce le cas ?

AS : Oui, bien sûr, je ne peux pas concevoir la déportation massive des Palestiniens dans les pays environnants, c’est bien pour ça que je l’ai esquissée mais pas racontée. Moussa et Malika représentent ce qu’il reste des Palestiniens, un garçon et une fille vivant à l’état sauvage, ils sont jeunes, ils ne savent pas ce qui existe au-delà des grottes de Bethléem et quand ils y sont confrontés, ils sont à la fois surpris, fascinés, effrayés, ils ne comprennent pas pourquoi eux, nés sur cette terre, sont condamnés à vivre comme des animaux.

MEE : Vos personnages clés veulent traverser le « mur » qui sépare Israël en deux entités : mais eux-mêmes semblent traverser des frontières intimes. Est-ce cela votre vœu, que les habitants de cette terre dépassent leurs propres frontières pour aller vers l’autre ?

AS : C’est aussi ce que j’ai voulu raconter par ce roman, la multiplication des murs, géographiques, politiques mais aussi mentaux. On se méfie de plus en plus de l’autre, de celui qui est différent. On veut ériger des murs au sein même d’une société, entre communautés laïques ou religieuses, on se replie sur son pré carré, sa famille, son clan, sa communauté. La tragédie des migrants fuyant la guerre et la misère et rejetés par beaucoup est pour moi un traumatisme.

MEE : C’est, aussi, une belle et puissante histoire d’amour : est-ce qu’aimer reste possible malgré ce climat charriant haine et guerres interminables ?

AS : Bien sûr, l’amour est la seule force qui sauve de tout, même du pire. En tout cas, je veux y croire. Sinon, que reste-t-il ? Il était important pour moi qu’il y ait autant de haine que d’amour dans ce roman, que l’un « rattrape » l’autre.

J’aime les histoires d’amour improbables, qui se moquent des barrières justement, comme celle qui, dans le roman, naît entre une Palestinienne de Gaza et un ancien ultra-orthodoxe. Quant à l’amour entre Éli Bishara et Ana Güler, il a survécu à une épidémie (Adieu Jérusalem), à l’antisémitisme, à la guerre, au communautarisme, il écrase tout le reste.

MEE : Avez-vous eu des échos de lecteurs israéliens ou palestiniens, le roman étant disponible en vente en ligne ? 

AS : Je n’ai pas encore eu d’échos de lecteurs palestiniens mais j’ai eu quelques échos excellents de lecteurs israéliens, heureux des signaux d’espoir envoyés par ce roman.

MEE : La journaliste que vous êtes est révoltée par la situation en Palestine et en Israël, mais l’écrivaine, elle, comment gère-t-elle cette colère, comment dialogue-t-elle avec la journaliste ? 

AS : Oui, la journaliste que je suis est révoltée contre ce conflit qui perdure et la façon dont la communauté internationale a abandonné les Palestiniens. La journaliste se sent impuissante à force de raconter encore et encore les espoirs brisés, et c’est là où la romancière peut prendre le relais en racontant l’Histoire au travers de destins individuels et en recréant de l’espoir là où, a priori, il n’y en a plus.

3 Responses to Médias: Et si Israël disparaissait? (Imagine there’s no Israel)

  1. Gilgoul dit :

    Si nous devons disparaitre, j’espere que cela sera avec un grand boum, un maelstrom apocalyptique qui entrainera avec nous le reste de l’humanite.
    Histoire que l’on nous haisse enfin pour quelque chose de serieux.

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  2. jcdurbant dit :

    C’est justement ce que nombre de ces ignorants ne veulent pas voir, à savoir, comme le rappelait déjà Eric Hoffer après la 1ère « solution finale » il y a plus de 60 ans, que nous le voulions ou non nos sorts sont inextricablement liés.

    « J’ai une prémonition qui ne me quittera pas: ce qui adviendra d’Israël sera notre sort à tous. Si Israël devait périr, l’holocauste fondrait sur nous. »

    Eric Hoffer

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  3. Gilgoul dit :

    20 ans de pourparlers de paix,
    17 ans de reconnaissance officielle de l’autorite Palestinienne.
    10 ans apres le retrait du Liban Sud.
    5 ans apres le retrait de Gaza.

    Toutes les promesses faites de normalisation, de « marche commun du Levant », de paix vraie entre les peuples, d’acceptation d’Israel comme juive et democratique. Tout n’a ete que mensonges.

    Et nous, cons de juifs Israeliens, continuons a soutenir l’idee d’un processus de paix, l’idee d’une paix juste et durable.

    Moi, ancien de Shalom Achshav (j’en rougi aujourdh’ui, fallait vraiment etre naif et con), je dis non au processus de paix, non a un etat palestinien a l’Ouest du Jourdain.

    Si on nous accuse deja de genocide, de quoi va t’on nous accuser quand nous repredrons Tyre et Sidon, faisant du Litani notre frontiere naturelle.
    De quoi nous accusera-t-on quand nous chasserons tous ceux qui ne preterons pas serment a l’Etat hors de nos frontieres, qu’ils soient a chapeau noir, a keffieh ou a lunette gucci du nord Tel Aviv.

    Israel ne peut se permettre la deliquescence des democraties occidentales. Il est auourdh’ui indispensable que le pays devienne menacant, que nos ennemis, ou qu’ils soient, d’ou qu’ils viennent, craignent jour et nuit, qu’il prennent la position defensive de ceux qui ne savent quoi attendre de leus ennemis.

    Cela n’est pas tres « democratique » me direz vous.
    Une democratie devoyee ne merite rien d’autre.
    Une democratie qui a cesse de representer le vote populaire ne vaut rien.

    Personne n’a elu Sharon pour un retrait de Gaza, personne n’a elu Barak pour un retrait du Sud Liban. Les « benefices » de ces retraites sont de l’ordre de la mention dans les journaux, avant de « compenser » par quelque « crime de guerre » qui ne sera dementi que longtemps apres en page 30.

    Et personne n’elira personne pour se retirer du Golan, mais je sais qu’un jour les bulldozers viendront pour m’arracher a ma terre.

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