Expo Crime et châtiment: Les paroles de haine des avant-gardes ont préparé la mort des individus (From Breton to Ben Laden: An aesthetic genealogy of terror)

Cadavre exquisChinese torture (Breton's picture)Breton's masks
Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie. Lautréamont (1869)
Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, — et le suprême Savant — Car il arrive à l’inconnu ! Puisqu’il a cultivé son âme, déjà riche, plus qu’aucun ! Il arrive à l’inconnu, et quand, affolé, il finirait par perdre l’intelligence de ses visions, il les a vues ! Qu’il crève dans son bondissement par les choses inouïes et innombrables : viendront d’autres horribles travailleurs ; ils commenceront par les horizons où l’autre s’est affaissé ! Arthur Rimbaud (1871)
Un crime immotivé, continuait Lafcadio: quel embarras pour la police! Au demeurant, sur ce sacré talus, n’importe qui peut, d’un compartiment voisin, remarquer qu’une portière s’ouvre, et voir l’ombre du Chinois cabrioler. Du moins les rideaux du couloir sont tirés… Ce n’est pas tant des événements que j’ai curiosité, que de moi-même. Tel se croit capable de tout, qui, devant que d’agir, recule… Qu’il y a loin, entre l’imagination et le fait!… André Gide (Les Caves du Vatican, 1912)
Nous ruinerons cette civilisation qui vous est chère… Monde occidental tu es condamné à mort. Nous sommes les défaitistes de l’Europe… Voyez comme cette terre est sèche et bonne pour tous les incendies. Aragon (1925)
Que les trafiquants de drogue se jettent sur nos pays terrifiés. Que l’Amérique au loin croule de ses buildings blancs… André Breton (1925)
L’acte surréaliste le plus simple consiste, revolvers au poing, à descendre dans la rue et à tirer, au hasard, tant qu’on peut dans la foule. Breton
Il faut avoir le courage de vouloir le mal et pour cela il faut commencer par rompre avec le comportement grossièrement humanitaire qui fait partie de l’héritage chrétien. (..) Nous sommes avec ceux qui tuent. Breton
Tout mon être s’est tendu et j’ai crispé ma main sur le revolver. La gâchette a cédé, j’ai touché le ventre poli de la crosse et c’est là, dans le bruit à la fois sec et assourdissant, que tout a commencé. J’ai secoué la sueur et le soleil. J’ai compris que j’avais détruit l’équilibre du jour, le silence exceptionnel d’une plage où j’avais été heureux. Alors, j’ai tiré encore quatre fois sur un corps inerte où les balles s’enfonçaient sans qu’il y parût. Et c’était comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur. L’Etranger (Albert Camus, 1942)
J’ai résumé L’Étranger, il y a longtemps, par une phrase dont je reconnais qu’elle est très paradoxale : “Dans notre société tout homme qui ne pleure pas à l’enterrement de sa mère risque d’être condamné à mort.” Je voulais dire seulement que le héros du livre est condamné parce qu’il ne joue pas le jeu. En ce sens, il est étranger à la société où il vit, où il erre, en marge, dans les faubourgs de la vie privée, solitaire, sensuelle. Et c’est pourquoi des lecteurs ont été tentés de le considérer comme une épave. On aura cependant une idée plus exacte du personnage, plus conforme en tout cas aux intentions de son auteur, si l’on se demande en quoi Meursault ne joue pas le jeu. La réponse est simple : il refuse de mentir.  (…) Meursault, pour moi, n’est donc pas une épave, mais un homme pauvre et nu, amoureux du soleil qui ne laisse pas d’ombres. Loin qu’il soit privé de toute sensibilité, une passion profonde parce que tenace, l’anime : la passion de l’absolu et de la vérité. Il s’agit d’une vérité encore négative, la vérité d’être et de sentir, mais sans laquelle nulle conquête sur soi et sur le monde ne sera jamais possible. On ne se tromperait donc pas beaucoup en lisant, dans L’Étranger, l’histoire d’un homme qui, sans aucune attitude héroïque, accepte de mourir pour la vérité. Il m’est arrivé de dire aussi, et toujours paradoxalement, que j’avais essayé de figurer, dans mon personnage, le seul Christ que nous méritions. On comprendra, après mes explications, que je l’aie dit sans aucune intention de blasphème et seulement avec l’affection un peu ironique qu’un artiste a le droit d’éprouver à l’égard des personnages de sa création. Albert Camus (préface américaine à L’Etranger, 1955)
Le thème du poète maudit né dans une société marchande (…) s’est durci dans un préjugé qui finit par vouloir qu’on ne puisse être un grand artiste que contre la société de son temps, quelle qu’elle soit. Légitime à l’origine quand il affirmait qu’un artiste véritable ne pouvait composer avec le monde de l’argent, le principe est devenu faux lorsqu’on en a tiré qu’un artiste ne pouvait s’affirmer qu’en étant contre toute chose en général. Albert Camus (discours de Suède, 1957)
Au héros du plus grand désir succède le héros du moindre désir. (…) Le non-désir redevient privilège, comme chez le sage antique ou le saint du christianisme, mais le sujet désirant recule, effrayé devant l’idée du renoncement absolu. Il cherche des échappatoires. Il veut se composer un personnage chez qui l’absence de désir ne soit pas conquise, péniblement, sur l’anarchie des instincts et la passion métaphysique. Le héros somnambulique créé par les romanciers américains est la « solution » de ce problème. Le non-désir de ce héros ne rappelle en rien le triomphe de l’esprit sur les forces mauvaises, ni cette ascèse que prônent les grandes religions et les humanismes supérieurs. Il rappelle plutôt un engourdissement des sens, une perte totale ou partielle de la curiosité vitale. Dans le cas de Meursault, cet état « privilégié » se confond avec la pure essence individuelle. Dans le cas de Roquentin, c’est une grâce soudaine qui, sans qu’on sache pourquoi, descend sur le héros sous forme de nausée. (…) Le héros parvient alors à un état d’abrutissement lucide qui constitue la dernière des poses romantiques. Ce non-désir n’a rien à voir, bien entendu, avec l’abstinence et la sobriété. Mais le héros prétend accomplir dans l’indifférence, par simple caprice et presque sans s’en apercevoir, tout ce que les Autres accomplissent par désir.  René Girard (Mensonge romantique et vérité romanesque, 1961)
Pour faire de Meursault un martyr, il faut lui faire commettre un acte vraiment répréhensible, mais pour lui conserver la sympathie du lecteur, il faut préserver son innocence. Son crime doit donc être involontaire, mais pas au point que l’homme qui ne pleure pas à l’enterrement de sa mère puisse échapper à la sentence. Tous les événements qui conduisent à la scène au cours de laquelle Meursault tire sur l’Arabe, y compris cette scène elle-même avec ses coups de revolver, tantôt voulus, tantôt involontaires, sont présentés de manière à remplir ces exigences contradictoires. Meursault mourra innocent et, pourtant, sa mort dépasse la portée d’une simple erreur judiciaire. Cette solution n’en est pas une. Elle ne peut que dissimuler sans la résoudre la contradiction entre le premier et le second Meursault, entre le paisible solipsiste et la victime de la société. C’est justement cette contradiction, résumée tout entière dans l’opposition des deux termes «innocent » et « meurtre », qu’on nous propose sous la forme d’une combinaison verbale inhabituelle et intéressante, un peu comme une image surréaliste. Les deux termes ne peuvent pas plus fusionner en un concept unique qu’une image surréaliste ne peut évoquer un objet réel.  (…) Le défaut de structure de L’Étranger prend toute sa signification quand on rapproche le roman d’un type de conduite très répandu dans le monde moderne, même parmi les adultes. Cette existence vide, cette tristesse cachée, ce monde à l’envers, ce crime secrètement provocateur, tout cela est caractéristique des crimes dits de délinquance juvénile. Analyser le meurtre, en se guidant sur La Chute, c’est reconnaître qu’il relève de ce que la psychologie américaine nomme « attention getting devices ». L’aspect social du roman se rattache aisément à la conception ultra-romantique du Moi qui domine le premier Camus. De nombreux observateurs ont signalé, dans la délinquance juvénile, la présence d’un élément de romantisme moderne et démocratisé. Au cours de ces dernières années, plusieurs romans et films qui traitent ouvertement de ce phénomène social, ont emprunté certaines particularités à L’Étranger, ouvrage qui en apparence n’a rien à voir avec ce sujet. Le héros du film A bout de souffle, par exemple, tue un policier à demi volontairement et devient ainsi un « bon criminel » à la manière de Meursault. René Girard (Critiques dans un souterrain, 1968/1976)
Personne ne nous fera croire que l’appareil judiciaire d’un Etat moderne prend réellement pour objet l’extermination des petits bureaucrates qui s’adonnent au café au lait, aux films de Fernandel et aux passades amoureuses avec la secrétaire du patron. (…) Le besoin de se justifier hante toute la littérature moderne du «procès». Mais il y a plusieurs niveaux de conscience. Ce qu’on appelle le «mythe» du procès peut être abordé sous des angles radicalement différents. Dans L’Etranger, la seule question est de savoir si les personnages sont innocents ou coupables. Le criminel est innocent et les juges coupables. Dans la littérature traditionnelle, le criminel est généralement coupable et les juges innocents. La différence n’est pas aussi importante qu’il le semble. Dans les deux cas, le Bien et le Mal sont des concepts figés, immuables : on conteste le verdict des juges, mais pas les valeurs sur lesquelles il repose. La Chute va plus loin. Clamence s’efforce de démontrer qu’il est du côté du bien et les autres du côté du mal, mais les échelles de valeurs auxquelles il se réfère s’effondrent une à une. Le vrai problème n’est plus de savoir «qui est innocent et qui est coupable?», mais « pourquoi faut-il continuer à juger et à être jugé? ». C’est là une question plus intéressante, celle-là même qui préoccupait Dostoïevski. Avec La Chute, Camus élève la littérature du procès au niveau de son génial prédécesseur. Le Camus des premières oeuvres ne savait pas à quel point le jugement est un mal insidieux et difficile à éviter. Il se croyait en-dehors du jugement parce qu’il condamnait ceux qui condamnent. En utilisant la terminologie de Gabriel Marcel, on pourrait dire que Camus considérait le Mal comme quelque chose d’extérieur à lui, comme un «problème» qui ne concernait que les juges, alors que Clamence sait bien qu’il est lui aussi concerné. Le Mal, c’est le «mystère» d’une passion qui en condamnant les autres se condamne elle-même sans le savoir. C’est la passion d’Oedipe, autre héros de la littérature du procès, qui profère les malédictions qui le mènent à sa propre perte. (…) L’étranger n’est pas en dehors de la société mais en dedans, bien qu’il l’ignore. C’est cette ignorance qui limite la portée de L’Etranger tant au point de vue esthétique qu’au point de vue de la pensée. L’homme qui ressent le besoin d’écrire un roman-procès n’ appartient pas à la Méditerranée, mais aux brumes d’Amsterdam. Le monde dans lequel nous vivons est un monde de jugement perpétuel. C’est sans doute le vestige de notre tradition judéo-chrétienne. Nous ne sommes pas de robustes païens, ni des juifs, puisque nous n’avons pas de Loi. Mais nous ne sommes pas non plus de vrais chrétiens puisque nous continuons à juger. Qui sommes-nous? Un chrétien ne peut s’empêcher de penser que la réponse est là, à portée de la main : «Aussi es-tu sans excuse, qui que tu sois, toi qui juges. Car en jugeant autrui, tu juges contre toi-même : puisque tu agis de même, toi qui juges». Camus s’était-il aperçu que tous les thèmes de La Chute sont contenus dans les Epîtres de saint Paul ? (…) Meursault était coupable d’avoir jugé, mais il ne le sut jamais. Seul Clamence s’en rendit compte. On peut voir dans ces deux héros deux aspects d’un même personnage dont le destin décrit une ligne qui n’est pas sans rappeler celle des grands personnages de Dostoïevski. (…) Pour faire de Meursault un martyr, il faut lui faire commettre un acte vraiment répréhensible, mais pour lui conserver la sympathie du lecteur, il faut préserver son innocence (…) On nous conduit insensiblement à l’incroyable conclusion que le héros est condamné à mort non pour le crime dont il est accusé et dont il est réellement coupable, mais à cause de son innocence que ce crime n’a pas entachée, et qui doit rester visible aux yeux de tous comme si elle était l’attribut d’une divinité.
René Girard (Critiques dans un souterrain, 1968/1976)
L’islam, cette année 1978, n’a pas été l’opium du peuple, justement parce qu’il a été l’esprit d’un monde sans esprit. (…) Une religion qui n’a pas cessé, à travers les siècles, de donner une force irréductible à tout ce qui, du fond d’un peuple, peut s’opposer au pouvoir de l’Etat. (…) Je pensais que la volonté collective, c’était comme Dieu, comme l’âme, ça ne se rencontrait jamais. Nous avons rencontré, à Téhéran, et dans tout l’Iran, la volonté collective d’un peuple. (…) C’est l’insurrection d’hommes aux mains nues qui veulent soulever le poids formidable qui pèse sur chacun de nous, mais plus particulièrement sur eux, ces laboureurs du pétrole, ces paysans aux frontières des empires: le poids de l’ordre du monde entier. C’est peut-être la première grande insurrection contre les systèmes planétaires, la forme la plus moderne de la révolte et la plus folle. (…) Les Iraniens n’ont pas le même régime de vérité que le nôtre. Michel Foucault (1979)
Que des cerveaux puissent réaliser quelque chose en un seul acte, dont nous en musique ne puissions même pas rêver, que des gens répètent comme des fous pendant dix années, totalement fanatiquement pour un seul concert, et puis meurent. C’est le plus grand acte artistique de tous les temps. Imaginez ce qui s’est produit là. Il y a des gens qui sont ainsi concentrés sur une exécution, et alors 5 000 personnes sont chassées dans l’Au-delà, en un seul moment. Ca, je ne pourrais le faire. A côté, nous ne sommes rien, nous les compositeurs… Imaginez ceci, que je puisse créer une oeuvre d’art maintenant et que vous tous soyez non seulement étonnés, mais que vous tombiez morts immédiatement, vous seriez morts et vous seriez nés à nouveau, parce que c’est tout simplement trop fou. Certains artistes essayent aussi de franchir les limites du possible ou de l’imaginable, pour nous réveiller, pour nous ouvrir un autre monde. Karlheinz Stockhausen (19 septembre 2001)
Que nous ayons rêvé de cet événement, que tout le monde sans exception en ait rêvé, parce que nul ne peut ne pas rêver de la destruction de n’importe quelle puissance devenue à ce point hégémonique, cela est inacceptable pour la conscience morale occidentale, mais c’est pourtant un fait, et qui se mesure justement à la violence pathétique de tous les discours qui veulent l’effacer. A la limite, c’est eux qui l’ont fait, mais c’est nous qui l’avons voulu. Jean Baudrillard (3 novembre 2001)
Le 19 juin 2018, Mathieu Danel avait pris en stop Claire Reynier, une guide interprète de 39 ans, près de Sommières (Gard). Après avoir dîné dans une pizzeria avec elle, Mathieu Danel l’avait poignardée avec une violence inouïe à 17 reprises dans des zones vitales (la tête, la gorge, le thorax et le cœur), à l’aide d’une dague préalablement laissée dans sa voiture. Animé par des envies de meurtre depuis plusieurs années, il avait avoué dès sa garde à vue avoir agi pour savoir « quelles sensations cela procure d’ôter la vie ». Le Figaro
Bien avant qu’un intellectuel nazi ait annoncé ‘quand j’entends le mot culture je sors mon revolver’, les poètes avaient proclamé leur dégoût pour cette saleté de culture et politiquement invité Barbares, Scythes, Nègres, Indiens, ô vous tous, à la piétiner. Hannah Arendt (1949)
La société du spectacle, [selon] Roger Caillois qui analyse la dimension ludique dans la culture (…), c’est la dimension inoffensive de la cérémonie primitive. Autrement dit lorsqu’on est privé du mythe, les paroles sacrées qui donnent aux œuvres pouvoir sur la réalité, le rite se réduit à un ensemble réglés d’actes désormais inefficaces qui aboutissent finalement à un pur jeu, loedos. Il donne un exemple qui est extraordinaire, il dit qu’au fond les gens qui jouent au football aujourd’hui, qui lancent un ballon en l’air ne font que répéter sur un mode ludique, jocus, ou loedos, société du spectacle, les grands mythes anciens de la naissance du soleil dans les sociétés où le sacré avait encore une valeur. (…) Nous vivons sur l’idée de Malraux – l’art, c’est ce qui reste quand la religion a disparu. Jean Clair
Les mots sont responsables: il leur est répondu. Les paroles de haine des avant-gardes ont préparé la mort des individus. (…) Pourquoi l’avant-garde a-t-elle été fascinée par le meurtre et a fait des criminels ses héros , de Sade aux sœurs Papin, et de l’horreur ses délices, du supplice des Cent morceaux en Chine à l’apologie du crime rituel chez Bataille, alors que dans l’Ancien Monde, ces choses là étaient tenues en horreur? (…) Il en résulte que la fascination des surréalistes ne s’est jamais éteinte dans le petit milieu de l’ intelligentsia parisienne de mai 1968 au maoïsme des années 1970. De l’admiration de Michel Foucault pour ‘l’ermite de Neauphle-le-Château’ et pour la ‘révolution’ iranienne à… Jean Baudrillard et à son trouble devant les talibans, trois générations d’intellectuels ont été élevées au lait surréaliste. De là notre silence et notre embarras. Jean Clair

Appels au meurtre et à l’élimination des bourgeois, vieux et faibles, apologie du crime gratuit et du sacrifice rituel, héroïsation du criminel, ‘éloge de la baïonnette, du browning et de la bombe’, fascination pour le sauvage et les pulsions primitives, exaltation de la déraison et de la folie, obsession de la violence et de la ‘part maudite de l’humain …

Alors que nos footballeurs ‘répètent sur un mode ludique’, selon le mot de Caillois, les grands mythes anciens de la naissance du soleil’ …

Pendant que, dans un monde travaillé par l’interdit biblique du sacrifice humain, nos artistes ‘exposent leurs sécrétions et leurs corps torturés’ …

Et qu’en ces derniers jours de l’exposition ‘Crime et châtiment’ où, à la croisée des disciplines (religion, droit, histoire, médecine, criminologie, presse) et des supports (toiles, dessins, croquis, moulages, photos anthropomorphiques, unes de journaux, affiches, oeuvres surréalistes, guillotine), le musée d’Orsay explore la ‘fascination des artistes pour le crime et la justice’ …

Retour, avec une tribune libre écrite au lendemain des attentats jihadistes du 11/9 2001 du commissaire de l’exposition Jean Clair, sur la ‘face cachée du surréalisme’ …

Et l’étrange indulgence dont continuent à bénéficier ceux qui avaient indirectement préparé les esprits aux massacres de masse des régimes totalitaires et du terrorisme actuel …

GUERRE ECLAIR, DOUTE PERSISTANT

Intellectuels français: des plaies mal refermées
Le surréalisme et la démoralisation de l’Occident
Jean Clair
Le Monde
22.11.01

EN ces temps où de grandes expositions, à Londres et bientôt à Paris, célèbrent le surréalisme, il vaut la peine de s’attarder sur le curieux atlas du monde qu’en 1929 les disciples de Breton avaient publié dans la revue Variétés. La méthode de projection utilisée n’obéissait pas à des paramètres géographiques : chaque pays s’y voyait représenté en fonction de l’importance que le surréalisme lui accordait dans la genèse de ses idées. Deux « corrections » sont frappantes : les Etats-Unis ont disparu, engloutis sous une frontière qui coud directement le Mexique au Canada. Et un petit pays y couvre un espace démesuré: l’Afghanistan…

Coïncidence ? Non. L’idéologie surréaliste n’avait cessé de souhaiter la mort d’une Amérique à ses yeux matérialiste et stérile et le triomphe d’un Orient dépositaire des valeurs de l’esprit.

Extra-lucide comme elle se plaisait à croire qu’elle l’était, l’intelligentsia française est ainsi allée très tôt et très loin dans la préfiguration de ce qui s’est passé le 11 septembre. Les textes sont là pour souligner, entre 1924 et 1930, cette imagination destructrice. Aragon en 1925 : « Nous ruinerons cette civilisation qui vous est chère… Monde occidental tu es condamné à mort. Nous sommes les défaitistes de l’Europe… Voyez comme cette terre est sèche et bonne pour tous les incendies. » Ne manque pas même à la péroraison sa dimension oraculaire, ou plutôt « pythique » comme aurait dit Breton, si féru d’occultisme : « Que les trafiquants de drogue se jettent sur nos pays terrifiés. Que l’Amérique au loin croule de ses buildings blancs… » ( La Révolution surréaliste, n 4, 1925).

Le rêve d’Aragon s’est réalisé. Nous y sommes. L’outrance n’était pas seulement verbale. Si l’acte surréaliste le plus simple, comme on sait, c’était descendre dans la rue et tirer sur le premier venu, cette folie meurtrière n’aurait pas dédaigné, si les appuis politiques lui avaient été fournis, de s’en prendre à un Occident tout entier voué à l’exécration. Le gentil Robert Desnos lui-même voyait dans l’Asie « la citadelle de tous les espoirs », appelait de ses voeux les barbares capables seuls de marcher sur les traces des « archanges d’Attila ».

La lutte se terminera par la victoire d’un Orient en qui les surréalistes voient « le grand réservoir des forces sauvages », la patrie éternelle des grands destructeurs, des ennemis éternels de l’art, de la culture, ces petites manifestations ridicules des Occidentaux.

Au nom d’un « mysticisme » confus et d’une « fureur » sans frein – pour reprendre les termes qui reviennent dans leurs écrits – c’est bien à une attaque en règle contre la logique, contre la raison, contre les Lumières que se livrent, au milieu des années 1920, derniers héritiers du romantisme noir, les jeunes surréalistes. Ce qu’ils veulent, c’est la destruction radicale de tout ce qui a donné à l’Occident sa suprématie.

Bien sûr, pareils appels au meurtre furent des lieux communs de toutes les avant-gardes. Marinetti a servi de modèle rhétorique à Mussolini, et le futurisme, en manipulant avec brio les instruments de la propagande de masse, cinéma, mises en scène, décorum, manifestations de rue, devait fournir les clés d’une esthétisation de la politique qui aurait sur la foule une fascination dont le nazisme saurait tirer parti. Trotski, fin connaisseur, dans Littérature et Révolution, fut le premier à reconnaître en 1924 que, populaire auprès des masses italiennes, le futurisme avait ouvert la voie du fascisme.

A l’autre bord, on commence de reconnaître, serait-ce à regret, que, disciples de Marinetti, les représentants de l’avant-garde soviétique, comme Ossip Brik et les « Kom-Fut » (futuristes-communistes), dans leurs appels à l’élimination des bourgeois, des vieux ( « dont les crânes feront des cendriers » ), des faibles, ou encore, comme Maïakovski dans son poème 150 000 000, par l’éloge de « la baïonnette [du] browning et [de] la bombe » avaient eux aussi préparé les esprits à accepter les massacres de masse commis par la Tchéka et par le Guépéou.

Les mots sont responsables : il leur est répondu. Les paroles de haine des avant-gardes ont préparé la mort des individus. Feuilletons les écrits surréalistes : le ton ordurier, et les injures – « goujat », « cuistre », « canaille », « vieille pourriture », « étron intellectuel », « couenne faisandée » – adressées aux ennemis, aux écrivains bourgeois, aux traîtres, aux renégats, tels qu’on les trouve dans le Traité du style ou dans les lettres ouvertes, ne sont pas différents de ceux qu’on trouvait dans les brûlots des ligues fascistes et qu’on trouvera bientôt adressés aux « chiens enragés » dans les procès de Moscou. Ils signent une époque.

Appel au meurtre, à la destruction, exaltation de la déraison et du romantisme noir, fascination des pulsions primitives des races demeurées pures du côté de l’Orient, antisémitisme : les manifestes surréalistes diffèrent peu, si l’on prend la peine de les lire froidement, des propos extrémistes tenus par les pousse-au-crime du temps, de gauche et de droite.

Paroles en l’air, dira-t-on, dans lesquelles il faut faire la part de la provocation dadaïste. Je ne crois pas. C’est oublier que la compromission des surréalistes avec le communisme sera plus durable que celle des intellectuels de droite avec le fascisme. Dès 1933, Stefan George et Heidegger tournent le dos au national- socialisme, Jünger et Gottfried Benn s’enfoncent dans l’émigration intérieure. Il faudra attendre fin 1935 pour voir Breton rompre avec le stalinisme. Et que dire alors d’Eluard et d’Aragon ?

On ne peut s’empêcher de penser que, contrairement aux autres avant-gardes, les surréalistes continuent de jouir d’une étrange indulgence. Aujourd’hui encore, ils passent pour les parangons d’un idéal libertaire qui, pêle-mêle, aurait conduit la jeunesse à la libération sexuelle, au merveilleux de la création automatique et spontanée – l’art fait pour tous et par tous -, à la réconciliation du rêve et de l’action, et autres fredons de la pensée unique.

Il y a une autre raison à cette impunité. Le surréalisme se distingue radicalement des autres avant-gardes en cela que, n’ayant pas cru au paradigme du progrès, il est devenu furieusement « tendance ». Le monde moderne n’est pas son fait. La machine, la vitesse, l’énergie – tout ce qui fascine les futuristes, les constructivistes, les puristes et tous les autres « istes » -, les surréalistes y sont indifférents. Leur domaine, c’est la nature, la folie, la nuit, l’inconscient, le primitif, l’originaire. C’est la volute modern style, non l’orthogonalité de Mondrian ou de Rodtchenko. C’est un mouvement en fait de régression et d’archaïsme. La ville, oui, à condition qu’elle s’ensauvage, le nouveau, oui, à condition qu’il soit cherché à l’intérieur de soi et non dans l’extérieur de la maîtrise du monde. Etc.

Deux motifs, à cet égard, hantent l’imagerie futuriste. L’un est le gratte-ciel et l’autre l’avion. Ils sont présents chez Fillia et Prampolini comme chez Lissitzky et Malevitch, côte à côte, emblèmes simultanés de la gloire du monde technique. Les surréalistes sont les premiers à les imaginer l’un contre l’autre, préfigurant ce que les terroristes accompliront.

En fait, les surréalistes, eussent-ils été plus cultivés, n’auraient pas mis Freud en exergue, qui les méprisait en retour, ne voyant en eux que de dangereux exaltés, mais Heidegger, le penseur critique de la technique et le maître du recours aux forêts. C’est de ce côté-là, du côté encore une fois du romantisme que se trouvent les sources du « merveilleux » surréaliste et de sa fascination pour l’Orient et ses mille et une nuits.

Il en résulte que la fascination des surréalistes ne s’est jamais éteinte dans le petit milieu de l’ intelligentsia parisienne de mai 1968 au maoïsme des années 1970. De l’admiration de Michel Foucault pour « l’ermite de Neauphle-le-Château » et pour la « révolution » iranienne à… Jean Baudrillard et à son trouble devant les talibans, trois générations d’intellectuels ont été élevées au lait surréaliste. De là notre silence et notre embarras.

Nous avons tous appris à lire chez Eluard et chez Aragon. Comment tuer nos pères ? Héritiers du surréalisme, comment le condamner ? Nous restons donc sans voix quand nous voyons prendre corps sous nos yeux – et de quelle horrible façon ! – les textes que nous avons vénérés dans notre adolescence.

Voir aussi:

Jean Clair, Interview avec Elisabeth Lévy
Le Point
30/05/2003

« Du surréalisme considéré dans ses rapports au totalitarisme et aux tables tournantes » : le titre du nouvel essai de Jean Clair, directeur du musée Picasso, est provocateur, l’ouvrage ne l’est pas moins et fera peine aux nombreux tenants du mouvement d’André Breton. Mais cet historien d’art est un habitué des broncas de l’intelligentsia.

LE POINT : Vous dévoilez en quelque sorte « la face cachée du surréalisme ». Puisque la question est à la mode, ne peut-on vous reprocher d’avoir mené une enquête exclusivement à charge, autrement dit d’accumuler exclusivement les citations et anecdotes qui vont à l’appui de votre démonstration ?

JEAN CLAIR : Le départ de ce pamphlet est un mouvement d’humeur né des récentes expositions de Londres et de Paris à la gloire du surréalisme présenté comme l’apothéose de l’esprit libertaire, annonciateur du New Age et de l’« Homo eroticus » libéré de ses aliénations. Vision angélique, mais aussi hédoniste et esthétisante. On semble oublier qu’il s’agissait d’un mouvement qui, à son origine, avait prétendu « changer la vie » comme le voulait Rimbaud, mais aussi « transformer le monde » dans le sillage de Marx, donc avoir une action directe sur le cours des événements politiques, et sans trop s’embarrasser des moyens : provocations, violences rhétoriques ou effectives, allégeance à un chef charismatique, corps de doctrine, procès et purges, bref tout l’appareil des mouvements totalitaires du temps.

Ce n’est donc pas sur le plan esthétique que l’historien d’art que vous êtes entend revisiter le surréalisme ?

Non, mais je souligne son hétérogénéité visuelle extrême. Comparées aux cubistes qui affirment une grande cohérence, les toiles surréalistes présentent un étonnant disparate de formes, de couleurs, de palettes, d’images. Cette cacophonie ne manque pas de charme et même, parfois, de séduction. Mais, en l’absence d’unité de style, le dénominateur commun est à chercher dans la philosophie qui le sous-tend.

Cette polémique a connu un premier épisode en décembre 2001, lorsque vous avez publié dans « Le Monde » un article esquissant une généalogie de la terreur allant des surréalistes à Ben Laden. Les réactions d’Annie Le Brun et d’Alain Jouffroy ont été très violentes. Pourquoi est-il si difficile de critiquer le surréalisme ?

Le surréalisme s’est posé d’emblée comme une morale, une façon de vivre et de penser, sous la forme d’une révolte juvénile et permanente. Il n’a donc jamais cessé d’agir en profondeur sur les esprits. Près d’un siècle après sa naissance, en 1919, des gens continuent à se réclamer du surréalisme avec la même ardeur que s’il s’agissait d’une religion naissante. Personne aujourd’hui n’oserait se dire cubiste ou expressionniste, fauve ou néoplasticien, mais des gens qui ne font pas forcément de la peinture « surréaliste » continuent dans leur vie quotidienne à se réclamer de la « morale » surréaliste, et souvent sur quel ton fanatisé !

Et vous, quelle est votre histoire avec le surréalisme ? Vous avez aimé cette peinture ?

Mais oui ! Je ne pars pas en guerre contre une esthétique ou une poésie. Je continue à lire avec plaisir, même s’il s’est tamisé avec l’âge, les poèmes d’Aragon, de Desnos. Je continue d’aimer Max Ernst, De Chirico, Savinio, Brauner, tant d’autres. En revanche, je suis devenu extrêmement critique d’un arrière-fond libertaire et anarchiste, tenté contradictoirement par le dogme totalitariste et par l’obscurantisme occultiste, et qui a sa part de responsabilité dans le déclin intellectuel que la France vit depuis vingt ou trente ans…

Annie Le Brun découvre l’atroce vérité : vous seriez de droite – parce que le surréalisme, c’est de gauche ?

Il commence comme une rébellion anarchiste contre ce qu’il nomme la morale bourgeoise, les valeurs occidentales, etc., flirte avec le communisme entre 1927 et 1935, pardonne à Staline ses premiers crimes, se laisse ensuite tenter par le fascisme et même par la violence du national-socialisme en 1936 – épisode toujours tu -, échappe à la Résistance en se réfugiant aux Etats-Unis durant la guerre, retourne enfin à un anarchisme, mais bien tempéré, après 1945. Bien malin qui, dans ces errances, dira ce qui est de gauche et ce qui est de droite. Que le surréalisme soit un alliage bizarre qui se nourrit tour à tour et simultanément d’un anarchisme gauchisant, d’un fascisme virulent et des fantasmagories spirites a déjà été dit, notamment par ceux qui l’ont approché : Raymond Queneau dans son roman autobiographique « Odile », André Thirion dans son livre de mémoires « Révolutionnaires sans révolution », Drieu la Rochelle dans « Gilles ». Aussi par Brice Parain, philosophe aujourd’hui oublié mais premier intellectuel français à faire le voyage de Moscou en 1922 – et à en revenir ! Tous leurs témoignages concordent à interroger la profonde ambiguïté d’un mouvement qui se réclame d’une violence à la Sorel qui ressemble étrangement à la violence fasciste, et qui s’appuie sur des conceptions occultes de la vie semblables à celles des sectes les plus rétrogrades, tout en prétendant agir au nom d’une « scientificité » humaine dont il n’a nullement les moyens.

N’êtes-vous pas coupable d’anachronisme ? Après tout, au sortir des tranchées, il est difficile de célébrer la raison et le progrès, non ?

C’est vrai, après cette guerre civile européenne qu’a été la Première Guerre mondiale, la jeune génération issue des tranchées n’a qu’une envie : abolir le peu qui reste du monde occidental qui vient de montrer, dans les tueries puis dans les guerres coloniales comme celles du Rif, son incapacité à fonder une civilisation. Cette fureur destructrice transcende les frontières politiques, comme elle transcende les milieux : elle hante les cercles cultivés autant que les masses plébéiennes. Rien ne fait mieux saisir cette ambiguïté que ce que Hannah Arendt écrivait, dès 1949, dans « Les origines du totalitarisme » : « Bien avant qu’un intellectuel nazi ait annoncé « quand j’entends le mot culture je sors mon revolver », les poètes avaient proclamé leur dégoût pour cette saleté de culture et politiquement invité Barbares, Scythes, Nègres, Indiens, ô vous tous, à la piétiner. » Accès de nihilisme généralisé présent dans toutes les couches de la société, de l’extrême droite à l’extrême gauche et de l’élite à la canaille. La célèbre phrase que cite Arendt, prononcée non par Goebbels mais par Hans Jost, écrivain devenu président de la Chambre de culture du Reich, comment ne pas la rapprocher de la fameuse invite formulée par Breton dans le « Premier Manifeste » : « L’acte surréaliste le plus simple consiste, revolvers au poing, à descendre dans la rue et à tirer, au hasard, tant qu’on peut dans la foule. » Breton était très fier, dit-on, de ce pluriel mis au mot revolver. C’est ce même hasard qui sera ensuite revendiqué pour expliquer la création poétique, « automatique », « immédiate », « sauvage », et invoqué comme la nouvelle divinité. Violence effective à la raison, qui succédera à la violence physique que l’on voudrait exercer sur l’homme…

En rapprochant leurs écrits de ceux des fascistes ou des nazis, n’êtes-vous pas en train d’intenter aux surréalistes un procès en ressemblance ? Peut-on déduire une filiation ou une généalogie d’une similarité de propos ?

La violence verbale des tracts surréalistes dans les années 20 est strictement la même, vocabulaire et syntaxe, que celle des tracts des ligues d’extrême droite ou des textes les plus orduriers de Céline à la même époque. Les injures et les anathèmes qu’ils se jettent à la tête se mêlent à la fascination pour un Orient qu’ils rêvent de voir camper sur les places d’Europe et détruire enfin cette civilisation occidentale qu’ils haïssent. Et cette détestation conduit à la prophétie hallucinée d’un Aragon appelant « les trafiquants de drogue à s’abattre sur notre pays » et à espérer « l’écroulement dans les flammes des buildings blancs de Manhattan ». Quinze ans plus tard, en 1935, alors que le fascisme est déjà instauré en Italie et que sa forme la plus virulente, racialiste, est au pouvoir en Allemagne, la question se pose de savoir comment on peut résister au nazisme. Intervient alors cet épisode peu évoqué car il gêne tout le monde : la création du groupe Contre-attaque. Dirigé par Georges Bataille, il prétend retourner contre le nazisme ses propres armes : la violence, le fanatisme, le meurtre. Breton signe leur manifeste. Le mal, « forme sous laquelle se présente la force motrice du développement historique », s’y trouve exalté : « Il faut avoir le courage de vouloir le mal et pour cela il faut commencer par rompre avec le comportement grossièrement humanitaire qui fait partie de l’héritage chrétien. » « Nous sommes avec ceux qui tuent », conclut le texte, une formule que les bolcheviques avaient déjà utilisée.

Cette fascination pour la violence, vous pensez la retrouver dans celle de Jean Baudrillard devant les tours de Manhattan. Mais dévoiler la « part maudite » de l’humain ne signifie pas l’approuver, il suffit de lire Dostoïevski…

Face à la puissance du mal, on peut aussi bien être frappé d’horreur que saisi par une immédiate et sourde « jubilation », pour reprendre le mot de Baudrillard. L’instant premier, immédiat, est bien celui de la jubilation sourde, de la joie mauvaise, de la « Schadenfreude ». Mais ensuite, la réflexion, l’éducation, l’expérience, les mots de la langue permettent normalement d’accéder à un recul, à un autre jugement, éventuellement à la condamnation du meurtre… Or c’est bien cette volonté forcenée de l’immédiateté, de la sensation, de la violence du geste instinctif qui donne sa cohérence à la postérité du surréalisme. Si on ne fait pas appel à cette généalogie de la violence et de l’automatisme, on ne comprend pas comment on est passé d’un tableau de Dali, académiquement peint, à la peinture aspergée sur une toile de Jackson Pollock. Cette idéologie de l’oeil « sauvage », de la rencontre aléatoire, du « cadavre exquis » privilégie l’action insensée : poème automatique, logorrhée, graphorrhée, écriture automatique, peinture gestuelle, ce geste automatique qui deviendra l’« expressionnisme abstrait » de l’après-guerre, avec ses séquelles.

Vous reprochez d’ailleurs aux surréalistes d’avoir rompu avec la conception de l’art comme savoir. Mais l’art ne relève-t-il pas d’abord de la sensibilité ?

Un historien d’art comprend vite que ce n’est pas par magie qu’on est touché par un tableau, mais parce que le tableau condense en lui une somme de savoirs. Un tableau se lit aussi comme un livre : il y a une science des coloris, des formes, des perspectives, des histoires qu’il compose. Aussi, jusque-là, l’art avait-il le privilège d’être un instrument d’explication du monde. Regardez un tableau de Poussin : cet ensemble unifié de tant de savoirs. Et cela se poursuit jusqu’à Delacroix ou Courbet. L’atelier de Breton, où il accumulait ses trouvailles, son fameux « mur », n’est jamais que la dérision de ce savoir et de ce goût. C’est la grotte où le flibustier ramasse les débris d’un savoir naufragé, disposés comme un collage géant…

La vente de la collection Breton a suscité les réactions indignées de ceux qui estiment qu’on a laissé se disperser la mémoire sacrée du surréalisme. Fallait-il conserver cette collection ?

Le procès fait à l’Etat d’avoir laissé partir les trésors amassés par Breton est totalement injuste. On lui a acheté de son vivant maints tableaux des plus intéressants, comme ce chef-d’oeuvre de Chirico qui se trouve aujourd’hui au musée d’Art moderne. Il ne faut pas oublier que Breton était un marchand, qui gagnait sa vie en vendant et en achetant des oeuvres d’art. A sa mort, l’Etat a accepté que les droits de succession soient réglés par la dation d’un mur de son atelier. Les archives les plus importantes sont entrées à Doucet il y a belle lurette. Enfin, un très grand nombre de pièces ont été préemptées par les institutions publiques lors de la vente.

Vous insistez sur un point également passé sous silence, car il ne semble aujourd’hui guère glorieux : l’adhésion des surréalistes au fatras occultiste de l’époque.

On peut rendre hommage à Philippe Muray (1) d’avoir brisé le tabou qui pesait sur cet héritage en montrant que le mouvement socialiste au XIXe siècle, sous couvert d’accomplissement de l’Histoire par la rationalité, a été profondément influencé par des doctrines occultistes puisant dans un fonds irrationnel et tardo-romantique douteux, de Papus à Blavatsky. On peut évidemment considérer que, pour Breton, il ne s’agissait que d’un jeu. Mais les séances de rêve éveillé, l’hypnotisme, l’écriture automatique, le mythe des Grands Transparents, etc., ces expériences limites en ont poussé plus d’un vers la folie. Demeuré un grand admirateur de Breton, Julien Gracq le décrit comme un nécromant – celui qui fait parler les morts. D’un côté, dans la lumière méridienne, il évoque Trotski et Karl Marx, mais le soir venu, dans la demi-obscurité de la crypte, il fait parler les morts. Il y a là une union assez inquiétante des forces du prétendu matérialisme historique et des pulsions les plus archaïques.

Dans ces conditions, l’argument de l’athéisme d’André Breton que vous oppose Annie Le Brun est-il recevable ?

Breton n’est pas un athée au sens d’irréligieux. Il ne croit pas au Dieu du monothéisme, mais il croit aux revenants et aux spirites. Il dévore les curés, mais il fait entrer les médiums. Je ne suis pas certain que ce soit un progrès. Par ailleurs, les surréalistes, qui jouaient à noter les écrivains, donnent toujours à Voltaire la note la plus basse (- 25). Cette haine de Voltaire est bel et bien la haine des Lumières, de la raison et de la tolérance. Pour les mêmes raisons, ils instruiront le procès infamant d’Anatole France, le vieux patriarche de la gauche française.

Tout cela n’a pas grand-chose à voir avec la rigueur scientifique. En quoi le surréalisme a-t-il une prétention dans ce domaine ?

La prétention surréaliste à fonder son esthétique sur une certaine scientificité du psychisme humain, comme les communistes prétendent à la scientificité du matérialisme historique, les conduit à rechercher le parrainage de deux figures d’envergure : Marcel Mauss pour l’ethnologie, Freud pour la psychologie. Mais l’inconscient des surréalistes, qui prêchent le « lâchez-tout », l’abandon à toutes les pulsions, a peu à voir avec l’inconscient qu’étudie Freud. Celui-ci est un rationaliste qui, dans « Malaise dans la civilisation », défend une morale contraignante impérieuse, plus rigide encore que la morale judéo-chrétienne. Et la rencontre entre eux se passe très mal. De même, lorsque Marcel Mauss reçoit les écrits de Roger Caillois sur le sacré, il répond par une lettre méchante et drôle, jugeant que la mythologie des surréalistes est un déraillement général, tombant dans un irrationalisme absolu, pas très éloigné des mythologies hitlériennes.

Il y a quelques années, vous avez été quasiment accusé de tentation fasciste pour vous en être pris à certaines tendances de l’art contemporain. Cette querelle est-elle, dans le fond, la même que celle qui touche au surréalisme ?

Dans « La responsabilité de l’artiste », j’ai tenté de comprendre les sources de la complicité de certaines avant-gardes allemandes, de l’expressionnisme au Bauhaus, avec le national-socialisme. Mais cette histoire est loin de nous. Avec le surréalisme, je touche au contraire au coeur du sacré français, intouchable.

1. Le XIXe siècle à travers les âges, de Philippe Muray (Gallimard/« Tel »).

Voir également:

« Admettre que tout meurtrier puisse être notre semblable »
Eric Bietry-Rivierre
Le Figaro
16/03/2010

LE FIGARO – Pourquoi l’exposition est-elle si foisonnante, avec 457 pièces ?

Il y a peu de sujets qui soient si abondamment représentés en art que le crime. Dans les musées, plus de la moitié des oeuvres le représente ! Songez aux martyres, à la crucifixion, aux guerres ! L’amour passionne mais il est beaucoup plus rare et beaucoup plus monotone ! Et comment représenter l’acte lui-même ? Il y a par contre une variété dans le crime vertigineuse. Indubitablement la violence fascine, parce que, contrairement à l’amour on peut peindre le moment du passage à l’acte. En outre , ici elle est dédoublée puisque nous traitons du crime suivi de son châtiment, qui est un autre crime.

Après être passé devant tant d’images saisissantes, dans quel état d’esprit pensez-vous que le public sortira du parcours ?

L’exposition commence avec la figure de Caïn. Le premier de nos ancêtres est un fratricide . Il veut rester seul, unique. L’Ancien Testament livre une caractéristique majeure de la condition humaine. Nous éprouvons tous des pulsions homicides. Il nous faut les admettre comme il nous faut reconnaître que tout meurtrier puisse être notre semblable. Le passage à l’acte le différencie certes, mais la frontière est parfois mince et fragile.

– Avec Robert Badinter, vous proposez une exposition polyphonique. Lui, en humaniste, en homme de la raison, en grand lecteur de Condorcet et de l’abbé Grégoire, se demande pourquoi le droit qui combat la transgression est si impuissant lorsqu’il s’agit de l’expliquer. Vous lui répondez en psychanalyste, avec Sade, Joseph de Maistre et Georges Bataille…

On éprouvera aussi à la sortie probablement un certain soulagement. Toutes ses représentations de crimes sont autant de mises à distance et l’ensemble fonctionne comme une catharsis. Enfin, l’ombre sinistre de la guillotine s’est éloignée.

Pourtant la conclusion, qui porte sur le Surréalisme, pose une question : pourquoi l’avant-garde a-t-elle été fascinée par le meurtre et a fait des criminels ses héros , de Sade aux sœurs Papin, et de l’horreur ses délices, du supplice des Cent morceaux en Chine à l’apologie du crime rituel chez Bataille, alors que dans l’Ancien Monde, ces choses là étaient tenues en horreur ?

Oui, nous n’avons pas vraiment confronté nos idées, poussés par le temps. Nous avons deux analyses probablement assez différentes des Lumières et de la Révolution dont l’exposition montre surtout les faces les plus sombres. Que j’aie exposé par exemple le grand Lucifer de Stuck à côté de la guillotine est une private joke : c’est Joseph de Maistre qui considérait que le Révolution était de nature satanique … Et je lis aujourd’hui plus volontiers Edmund Burke et ses réflexions sur la Révolution que je ne relis Soboul que l’on m’a asséné à l’Université … J’ai aussi accordé à ce qu’on appelle « la médicalisation du mal», aux théories sur les localisations cérébrales qui tentent de démontrer «la bosse du crime » ou de traquer les gènes de la violence, une importance plus grande que Robert Badinter peut-être ne l’aurait souhaitée. L’idée qu’il puisse exister un criminel né ou que l’on devient criminel par atavisme ou par dégénérescence , toutes ces sciences déterministes du mal furent , à l’origine , des théories d’hommes de progrès , et de gauche , de Lombroso à Zola. Elles sont ensuite devenues des idées de droite , voire d’extrême droite . Où se placent alors la Justice et le Droit dans cet étrange méli-mélo … ? On peut les saluer lorsqu’elles conduisent , par souci humanitaire , à l’abolition de la peine de mort mais comment ne pas critiquer ces idées de progrès lorsque elles inventent la guillotine ? Cette machine a été créée dans un souci humaniste, comme le moyen le moins douloureux et le plus égalitaire de donner la mort. Et en même temps , c’est la première machine à donner la mort automatiquement puisque la main n’intervient plus : c’est par un automatisme , par un « ressort caché » que la lame est libérée et qu’elle glisse … Sa précision et sa facilité d’emploi en font aussi le début des meurtres industriels de masse

– Mais alors qu’est-ce qui vous unit ?

Le «Tu ne tueras pas» : l’iniquité de la peine de mort. Il n’est pas acceptable qu’un homme se venge d’un criminel en le tuant à son tour. L’abolition était nécessaire , et j’admire Robert Badinter d’avoir réussi à la faire accepter.

– L’exposition est pluridisciplinaire, elle dépasse le simple cadre de l’histoire de l’art pour devenir anthropologique. Pourtant elle a lieu dans un musée classique, à Orsay. Y-a-t-il un risque qu’au contact des créations d’artistes, des documents ou des objets historiques soient pris pour des fictions ?

J’ai toujours conçu mes expositions ainsi, depuis «L’Âme au corps » avec le neurobiologiste Jean-Pierre Changeux, en 1993. Je me fonde sur l’histoire des idées, je fuis la clôture de l’histoire de l’art comme savoir autosuffisant . L’extraordinaire porte de prison que nous montrons, ou bien encore la guillotine, ne peuvent être confondues avec des œuvres d’art : elles sont montrées telles quelles sans aucune trace d’esthétisme et pourtant elles figurent , noyau initial, dans beaucoup d’œuvres de l’exposition . Elles sont là comme des bornes au formalisme , à l’abstraction , au manque de contenu qui ont envahi notre culture visuelle. En retour ces objets du monde réel se trouvent montrés dans un contexte qui les renforcent : la guillotine appelle la figure de Satan chez Stuck, mais aussi la tête coupée en lévitation de saint Jean-Baptiste chez Gustave Moreau.

– Que dénote le choix si particulier de cette technique d’exécution pour notre société ?

Un autre rapport au corps. Les artistes en témoignent de manière obsessionnelle, par une esthétique de plus en plus naturaliste , chez Géricault ou de plus en plus fantasmatique , chez Redon : songez que nous avons ici des représentations de 45 têtes coupées !

– L’exposition s’arrête avant la Seconde Guerre mondiale…

Si nous avions poursuivi, il aurait fallu aborder un autre crime : celui contre l’humanité. Un autre volet, une immense suite… Rendons déjà hommage à Guy Cogeval le président du musée d’Orsay qui a immédiatement approuvé le principe de cette exposition transversale dès que nous la lui avons proposée. Il a mis toutes les collections, ses réseaux et les énergies dont il dispose dans le projet.

– Y-a-t-il un criminel qui vous fascine particulièrement ?

Pas vraiment. Peut-être parce que je m’intéresse surtout à l’aspect pathologique du passage à l’acte. Je vois le malheureux plutôt que le responsable. Landru m’intéresse parce qu’il est décevant : le plus abominable des tueurs en série est un monsieur-tout-le-monde, il n’a rien d’un monstre. C’est un fonctionnaire du crime.

– On ne retient guère le nom des victimes. Mais lequel citeriez-vous ?

Charlotte Corday. Certes, c’est d’abord une criminelle, doublement sacrilège puisqu’elle est femme (qu’elle doit donc donner la vie plutôt que la mort) et qu’elle a tué Marat « le père du peuple ». Mais une salle dans l’exposition montre l’étonnant changement de son image qui s’opère au fil de l’histoire. De condamnable, Charlotte Corday devient justicière, martyr. Vierge, belle, héroïne, aristocrate normande Et c’est Marat qui devient peu à peu le monstre. Plus tard, l’image de Charlotte Corday s’inverse encore. Elle redevient fatale. Munch et Picasso l’utilisent pour régler leurs conflits personnels avec le genre féminin.

– Entre le crime et le châtiment, il y a un moment intermédiaire qui est le procès. Les espaces qui lui sont consacrés dans l’exposition sont moindres. Pourquoi ?

Longtemps les tribunaux et les condamnations furent fermés au public , alors que les supplices étaient publics. Au XXème siècle , les choses s’inversent : on donne une grande publicité au procès , mais l’exécution devient clandestine Que montre Daumier ? Surtout les ridicules de notre justice tellement humaine. Quant aux portraits académiques de grands magistrats, ils ont un côté effrayant. Ils suggèrent une sorte de violence froide, déterminée.

– Revenons donc aux images. Pour vous, qui est le plus grand tueur en peinture ?

Kandinsky n’a jamais vraiment réussi à atteindre l’abstraction pure, quoi qu’il en dise. Je pense à Duchamp, qui avait choisi de renoncer à l’art.Ou à Picasso, «le grand liquidateur» comme l’appelait Roger Caillois . L’exposition pourtant se termine avec la «Tête sur tige» de Giacometti en 1947. Comme s’il était impossible à l’homme moderne d’envisager un visage autrement que sous l’aspect d’une agonie. Cette volonté de retour à la figure , au portrait , au visage, après tant de corps décapités, démembrés, détruits, me paraît être la grande aventure de l’art d’aujourd’hui, de Balthus à Freud …

Voir aussi:

Robert Badinter: « Ce qui intéresse, c’est la douleur, le supplice, la mort »

Les artistes fascinés par le crime et la justice
Ph. D.
Le Monde
14.03.10

A SUJET immense et passionnant, exposition foisonnante et précieuse. En développant le projet de Robert Badinter, Jean Clair en a fait l’une de ces expositions à idées et à surprises dont il est spécialiste. « Crime et châtiment » s’inscrit ainsi dans la suite de « L’âme au corps » (1993) et de « Mélancolie » (2005), ses deux réussites toutes deux présentées au Grand Palais.

Cette fois-ci, c’est au Musée d’Orsay, plus à l’étroit, qu’il réunit plusieurs centaines d’oeuvres, d’images et d’objets, répartis par chapitres intitulés Tu ne tueras point, La mort égalitaire, Figures du crime, Le crime et la science ou Canards et apaches – ce dernier consacré évidemment aux journaux et à la popularité constante des assassins et des voleurs. Alternent ainsi des approches selon l’histoire du droit, celle de la criminologie, de la médecine ou de la presse.

La tête qui roule

La conjonction de toiles et dessins de Géricault, Goya, Blake, Degas, Munch ou Picasso, d’illustrations et de croquis de toutes sortes et de photographies policières ou anthropométriques permet non seulement d’alimenter l’analyse des oeuvres, mais encore de mesurer avec quelle rapidité le crime est devenu, dans la société française du XIXe siècle, un thème à succès. Les uns cherchent à faire frissonner les braves gens. D’autres prétendent éduquer le sens moral du peuple. D’autres encore, plus scientifiques, se demandent ce qui fait d’un homme – ou d’une femme – le coupable d’un crime.

Naît-on assassin, comme quelques-uns n’ont pas craint de l’affirmer ? Comment le devient-on ? Et comment punit-on ? La lame triangulaire qui tombe, la tête qui roule : de Hugo à Gauguin, de Villiers de L’Isle-Adam à Redon et Picasso, la guillotine est l’héroïne tragique de l’époque. On pouvait l’imaginer, mais on ne l’avait pas démontré jusqu’ici avec autant d’ampleur et de netteté.

Voir enfin:

Exposition: la petite boutique des horreurs
« Crime & Châtiment », au musée d’Orsay, sur une idée de Robert Badinter, raconte deux siècles de peine de mort, et de faits divers sanglants. Fascinant.
Yves Jaeglé
Le Parisien
04.04.2010

C’est une exposition parfaite comme un crime parfait. Celle qu’il faut voir, dont tout le monde parle. Le propos est très sérieux, mais le résultat parfois drôle, et passionnant. Robert Badinter, garde des Sceaux qui fit voter l’abolition de la peine de mort en 1981, co-organise avec Jean Clair « Crime & châtiment », qui réunit la dernière guillotine utilisée en France, des chefs-d’oeuvre de Goya, Géricault ou Degas, des moulages de têtes coupées, des unes de journaux, des oeuvres surréalistes. Visite au musée des horreurs.

La guillotine donne des frissons. Robert Badinter voulait montrer la dernière guillotine, qui trancha des têtes jusqu’en 1977. « La Veuve » son surnom a été très difficile à retrouver. Démontée après 1981 dans les caves du musée des Arts et traditions populaires, elle a été transportée au fort d’Ecouen (Val-d’Oise). Et elle fait parler… « Je la voyais plus massive. Elle fait à peine la largeur d’épaules », lance un visiteur. « Ça donne des frissons », lâche une vieille dame. Des ados ricanent : « C’est quand même mieux que la hache. »

Drôles de décapitations. Les têtes coupées ont obsédé les artistes. L’expo regorge de dessins et tableaux incroyables, comme cette « Matière à réflexion pour les têtes couronnées », gravure de Louis Villeneuve (1796-1842), portrait de décapitation, ou cette sculpture presque décorative de « Tête de saint Jean-Baptiste redressée sur un plat », servie sur un plateau et signée Jean-Désirée Ringel d’Illzach. On part de la tragédie mais on touche parfois à l’attraction de train fantôme, avec le moulage sur nature (après décapitation) de la tête de l’« escroc mondain et assassin » Henri-Jacques Pranzini, guillotiné en 1887.

Marat, la star. On connaissait la peinture d’histoire, mais l’assassinat de Marat par Charlotte Corday constitue presque un genre ou un exercice de style à lui seul. Marat le journaliste virulent de « l’Ami du peuple », ennemi du roi et des Girondins, suscite passion et haine. Sept tableaux illustrent son meurtre. Ils se regardent comme autant de « remakes » ou variations d’une scène primitive de l’Histoire de France. Au-delà, l’exposition dévoile une série de chefs-d’oeuvre picturaux, dont les huiles signées Goya de brigands dépouillant ou assassinant.

Bertillon, ça refroidit. On connaissait le glacier. Voici l’homonyme et devancier Alphonse Bertillon (1853-1914), l’homme qui a inventé la photographie scientifique des corps refroidis. Sa méthode d’identification judiciaire permet la création d’un fichier de détenus sous tous les profils, mais aussi toute une série de clichés de victimes juste après le meurtre, digne des scènes de crimes des « Experts », en noir et blanc.

Musée d’Orsay jusqu’au 27 juin, tél. 01.40.49.48.14, de 9 h 30 à 18 heures sauf lundi, jusqu’à 21 h 45 le jeudi.

13 Responses to Expo Crime et châtiment: Les paroles de haine des avant-gardes ont préparé la mort des individus (From Breton to Ben Laden: An aesthetic genealogy of terror)

  1. C’est assez demoralisant de lire tout ca

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  2. jcdurbant dit :

    Littéralement!

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  3. […] Il faut avoir le courage de vouloir le mal et pour cela il faut commencer par rompre avec le comportement grossièrement humanitaire qui fait partie de l’héritage chrétien. (..) Nous sommes avec ceux qui tuent. André Breton […]

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  4. […] l faut avoir le courage de vouloir le mal et pour cela il faut commencer par rompre avec le comportement grossièrement humanitaire qui fait partie de l’héritage chrétien. (..) Nous sommes avec ceux qui tuent. André Breton […]

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  5. […] Il faut avoir le courage de vouloir le mal et pour cela il faut commencer par rompre avec le comportement grossièrement humanitaire qui fait partie de l’héritage chrétien. (..) Nous sommes avec ceux qui tuent. André Breton […]

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  6. […] La société du spectacle, [selon] Roger Caillois qui analyse la dimension ludique dans la culture (…), c’est la dimension inoffensive de la cérémonie primitive. Autrement dit lorsqu’on est privé du mythe, les paroles sacrées qui donnent aux œuvres pouvoir sur la réalité, le rite se réduit à un ensemble réglés d’actes désormais inefficaces qui aboutissent finalement à un pur jeu, loedos. Il donne un exemple qui est extraordinaire, il dit qu’au fond les gens qui jouent au football aujourd’hui, qui lancent un ballon en l’air ne font que répéter sur un mode ludique, jocus, ou loedos, société du spectacle, les grands mythes anciens de la naissance du soleil dans les sociétés où le sacré avait encore une valeur. (…) Nous vivons sur l’idée de Malraux – l’art, c’est ce qui reste quand la religion a disparu. Jean Clair […]

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  7. […] La société du spectacle, [selon] Roger Caillois qui analyse la dimension ludique dans la culture (…), c’est la dimension inoffensive de la cérémonie primitive. Autrement dit lorsqu’on est privé du mythe, les paroles sacrées qui donnent aux œuvres pouvoir sur la réalité, le rite se réduit à un ensemble réglés d’actes désormais inefficaces qui aboutissent finalement à un pur jeu, loedos. Il donne un exemple qui est extraordinaire, il dit qu’au fond les gens qui jouent au football aujourd’hui, qui lancent un ballon en l’air ne font que répéter sur un mode ludique, jocus, ou loedos, société du spectacle, les grands mythes anciens de la naissance du soleil dans les sociétés où le sacré avait encore une valeur. (…) Nous vivons sur l’idée de Malraux – l’art, c’est ce qui reste quand la religion a disparu. Jean Clair […]

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  8. […] Pourquoi l’avant-garde a-t-elle été fascinée par le meurtre et a fait des criminels ses héros , de Sade aux sœurs Papin, et de l’horreur ses délices, du supplice des Cent morceaux en Chine à l’apologie du crime rituel chez Bataille, alors que dans l’Ancien Monde, ces choses là étaient tenues en horreur? (…) Il en résulte que la fascination des surréalistes ne s’est jamais éteinte dans le petit milieu de l’ intelligentsia parisienne de mai 1968 au maoïsme des années 1970. De l’admiration de Michel Foucault pour ‘l’ermite de Neauphle-le-Château’ et pour la ‘révolution’ iranienne à… Jean Baudrillard et à son trouble devant les talibans, trois générations d’intellectuels ont été élevées au lait surréaliste. De là notre silence et notre embarras. Jean Clair […]

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  9. jcdurbant dit :

    L’infini mis à la portée des caniches – Tout ça, c’était de l’art et nous ne le savions pas ! (ou… du cochon ?)

    L’homme de 45 ans a été arrêté dimanche par les forces de l’ordre américaines. Il est accusé d’avoir tué samedi six personnes, apparemment au hasard, à Kalamazoo, dans le Michigan …

    http://www.sen360.fr/people/il-a-abattu-6-personnes-au-hasard-le-tueur-de-kalamazoo-etait-un-chauffeur-uber-432309.html

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