Antichristianisme: Les barbus étaient chrétiens hier (Guess who were yesterday’s ayatollahs and Taliban?)

https://i0.wp.com/cherryhillseminary.org/wp-content/uploads/2012/01/movieposter.jpgIl fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et envoie sa pluie sur les justes et sur les injustes. Jésus (Mt 5: 45)
Il n’y a plus ni juif ni grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme; car tous vous êtes un en Jésus-Christ. Paul (Galates 3, 27-28)
Le vil Galiléen t’a frappée et maudite, Mais tu tombas plus grande ! Et maintenant, hélas! Le souffle de Platon et le corps d’Aphrodite Sont partis à jamais pour les beaux cieux d’Hellas! Leconte de Lisle (Hypathie, Poèmes antiques)
Lorsque le christianisme devint la religion officielle de Constantinople, l’empereur Théodose fit abattre, en 389, tous les temples et statues des anciens dieux de l’Égypte, et tout ce qui pouvait rappeler ces derniers. Les monuments trop solidement construits pour pouvoir être détruits facilement eurent leurs inscriptions et leurs personnages martelés. L’Égypte est encore couverte des débris de cette fanatique dévastation. Ce fut un des plus tristes actes d’intolérance et de vandalisme qu’ait connus l’histoire. Il est regrettable d’avoir à constater qu’un des premiers actes des propagateurs de la religion nouvelle, qui venait de remplacer les anciens dieux de la Grèce et de Rome, fut la destruction de monuments que la plupart des conquérants avaient respectés depuis cinq mille ans. […]Quant au prétendu incendie de la bibliothèque d’Alexandrie, un tel vandalisme était tellement contraire aux habitudes des Arabes, qu’on peut se demander comment une pareille légende a pu être acceptée pendant si longtemps par des écrivains sérieux. Elle a été trop bien réfutée à notre époque, pour qu’il soit nécessaire d’y revenir. Rien n’a été plus facile que de prouver, par des citations forts claires, que, bien avant les Arabes, les chrétiens avaient détruit les livres païens d’Alexandrie avec autant de soin qu’ils avaient renversé les statues, et que par conséquent il ne restait plus rien à brûler. Gustave le Bon (La Civilisation des Arabes, 1884)
La Bible est un manuel de mauvaises moeurs » qui « a une influence très grande sur notre culture et jusque sur notre manière d’être. Sans la Bible, nous serions autres, probablement meilleurs. Dénonçant « un Dieu cruel, envieux et insupportable » qui « n’existe que dans notre tête », Saramago a estimé que son livre « ne causera pas de problèmes dans l’église catholique parce que les catholiques ne lisent pas la Bible (…) Le livre peut gêner les Juifs mais cela m’importe peu », a-t-il souligné. AFP
En 391, un nouveau pas est franchi. Théodose décrète l’interdiction du paganisme (…) Le règne de Théodose programme la fin de l’Antiquité. (…) Sous Théodose, le parti chrétien devient , politiquement, économiquement, sociologiquement, le parti dominant. Et de fait, religieusement totalitaire. Gérard Mordillat et Jérome Prieur (Jésus sans Jésus, 2008)
Seule femme mathématicienne, philosophe et astronome de l’Antiquité, Hypatie (370-415) fut aussi la seule femme à diriger l’Ecole d’Alexandrie et sa fameuse bibliothèque aux quatre cent mille manuscrits. Sa mort et l’incendie de la bibliothèque plongèrent le monde occidental dans la Grande Noirceur d’où il n’est sorti que plus de mille ans plus tard. J’ai voulu en savoir plus sur elle. En vain. Des hommes, pour la plupart des hommes en soutane, avaient effacé toute trace de son existence. Mais ils avaient canonisé Cyrille, le patriarche d’Alexandrie, son ennemi avoué et son assassin. J’ai écrit cette pièce pour célébrer une messe à la mémoire de cette femme, comme on se doit de la célébrer chaque fois que ressurgit le spectre du dogmatisme et de l’intolérance. Pan Bouyoucas (auteur de la pièce « Hypatie ou la mémoire des hommes », 1996)
Cette pièce pose la question de l’intolérance religieuse et de ses conséquences. J’ai voulu, et l’auteur avant moi, questionner le fanatisme monothéiste. L’humanité ne vit pas à la même date du calendrier et il faudrait probablement se questionner non pas sur les méfaits de telle ou telle religion mais sur l’impossibilité d’accepter l’autre tel qu’il est dans son espace-temps. Je rêve de voir réduire l’emprise des religions intolérantes sur les peuples et recréer l’œuvre civilisatrice de l’humanité, basée sur le doute avant tout, mais aussi sur l’intelligence, la sensibilité, l’acceptation de l’autre, quel qu’il soit. L’auteur donne à la femme un rôle prépondérant. Hypatie, l’héroïne, jeune, cultivée, avide d’amour et de connaissance, devient directrice et conservatrice de cette grande bibliothèque d’Alexandrie, tout un symbole. Sara, l’amie juive étudie la médecine, se révoltant de fait contre son père et tout son peuple, qui maintiennent la femme dans l’ignorance. Deux femmes à l’avant-garde du monde connu au 4e siècle, dont la rébellion contre les ordres établis qui les entourent introduit le long processus, toujours en cours pour l’égalité des deux sexes. Andonis Vouyoucas
Il fallait oser dépenser 50 millions d’euros pour réaliser un péplum sur une astronome de l’Egypte antique tentant de protéger son savoir en plein coeur de la révolution chrétienne. Alejandro Amenábar montre dans Agora comment une religion, pratiquée par des fanatiques, sombre vite dans l’obscurantisme. 20 minutes
En retraçant l’histoire d’une cité symbole de tolérance mise à feu et à sang par les querelles religieuses et le fondamentalisme, Amenabar nous tend un miroir, avec ce constat amer: dix-sept siècles plus tard, notre monde est resté le même, perdu dans ses errements et ses certitudes, jusqu’à atteindre la violence, la barbarie, les atrocités, perpétrées au nom de la foi, au nom de Dieu, qu’il soit juif, chrétien ou païen. Le Nouvel Observateur
Idole d’un monde éclairé, elle devient la sorcière d’une société obscurantiste. C’est là sans doute la principale qualité d’un film qui capte l’inéluctable basculement du temps : l’effondrement d’une civilisation victime de ses divisions, le début d’une ère inquiétante. Les cercles d’Amenábar, inévitablement, nous ramènent au présent. Les Echos
Aux barbes, aux tuniques noires et aux discours misogynes des fanatiques d’Alexandrie répondent aisément ceux des islamistes actuels. De manipulation des Ecritures saintes, de martyrologie politiquement orientée, de lapidations violentes et de prêches enflammés appelant à la haine et à la destruction, il est encore question aujourd’hui. Dans un monde déboussolé et miné par les extrémismes religieux, Rome fait, comme les Etats-Unis au Moyen-Orient, figure de puissance politique lointaine et malhabile. L’utilisation même d’Hypatie comme personnage emblématique prend encore des accents très contemporains, assez éloignés des préoccupations des Anciens. Mal connue, la philosophe païenne s’est longtemps prêtée à des relectures partisanes. Alors qu’elle pouvait à l’époque médiévale faire figure de chrétienne modérée victime de l’extrémisme, elle est aujourd’hui, incarnée avec fougue par l’actrice Rachel Weisz, l’héroïne du positivisme scientifique en butte à l’extrémisme religieux. Zéro de conduite
Lyrique, viscéral, Agora raconte finalement comment une civilisation stable et raffinée meurt rongée par le fanatisme. Les barbus étaient chrétiens hier, aujourd’hui ce sont les talibans. Et à travers l’histoire d’Alexandrie, c’est du monde contemporain que parle Amenabar dans un film aussi virtuose et passionnant que ses explications… Première
Déjà dans l’antiquité tardive elle était une héroïne païenne pour avoir été massacrée par les chrétiens, ou encore une héroïne des ariens pour avoir été massacrée par les orthodoxes, ou encore une héroïne des chrétiens de Constantinople pour avoir été massacrée par les chrétiens intempérants d’Alexandrie. Plus récemment elle s’est vu traiter d’héroïne anticléricale, victime de la hiérarchie ; héroïne protestante, victime de l’église catholique ; héroïne du romantisme hellénisant, victime de l’abandon par l’Occident de sa culture hellénique ; héroïne du positivisme, victime de la conquête de la science par la religion ; et, tout dernièrement, héroïne du féminisme, victime de la misogynie chrétienne. Femme polyvalente! Vous avez donc, chez Hypatie, tous les éléments idéaux pour une histoire captivante : il y a le fait exotique, dans l’antiquité, d’une femme mathématicienne et philosophe ; il y a son charisme indéniable ; il y a l’élément érotique fourni par sa beauté et par sa virginité ; il y a le jeu imprévisible des forces politiques et religieuses dans une ville qui a toujours connu la violence; il y a la cruauté extraordinaire de son assassinat ; et, en arrière-plan, le sentiment profond d’un changement inexorable d’ère historique. De plus, il y a notre manque d’informations claires et précises sur elle, ce qui permet aux fabricants de légendes de remplir les lacunes comme ils veulent. John Thorp

Après la charge aussi violente qu’écolo de James Cameron contre les blancs tueurs de bons sauvages (extraterrestres cette fois) …

Voici, à l’heure où l’on attaque au nom d’Allah des églises en Egypte, la dénonciation du brutal intégrisme et de l’obscurantisme des talibans chrétiens ligués contre la science, le paganisme et le judaïsme!

(par le cinéaste hispano-chilien Alejandro Amenabar, le néo-peplum (du latin pour « tunique ») « Agora » et, par le Canadien Pan Bouyoucas, la pièce actuellement à Marseille « Hypatie ou la mémoire des hommes »)

Science et paganisme incarnés par une philosophe grecque (Hypathie d’Alexandrie, réduite ici à une astronome tout de blanc vêtue contre les hommes noirs chrétiens et éternellement belle et jeune – alors qu’elle est censée mourir à plus de 60 ans) et juifs présentés comme devant leur errance aux seuls chrétiens …

Oubliés, malgré une particulièrement minutieuse reconstitution de l’Alexandrie de l’époque (filmée à la CNN avec d’époustouflantes vues aériennes et même spatiales!), l’Edit de Constantin de 313 accordant à tous la liberté de culte, comme plus tard, dans un monde gréco-romain basé sur le pire colonialisme et l’esclavage, tout un ensemble de lois sociales (affranchissement des esclaves dans les églises, lois contre la prostitution des servantes d’auberges et les enlèvements, humanisation des prisons et des châtiments, prise en charge des plus faibles, etc.), jusqu’à l’excommunication, par l’Evêque de Milan en 390, d’un Théodose Ier pour ses excès …

Perpétuant (1000 ans à l’avance) les contresens sur l’Affaire Galilée à l’instar de toute une critique contemporaine dont nos Michael Moore du christianisme se sont fait les hérauts, on ne retient que les épisodes les plus sanglants qui ont suivi, avec le développement de toutes sortes d’hérésies, l’Edit de Thessalonique de Théodose Ier (380) interdisant en effet le paganisme.

Et notamment la destruction d’un temple servant d’annexe à ce qui était censé rester de la Bibliothèque d’Alexandrie (on se demande ce qu’Omar était venu détruire deux cents ans plus tard?) et le lynchage de l’héroïne par une bande de moines-soldats recrutés pour l’occasion du désert …

Critique
« Agora »: un peplum intellectuel pour célébrer Hypatie, mathématicienne et païenne
Thomas Sotinel
Le Monde
05.01.10

Le péplum est une tentation aussi vieille que le cinéma. Les hommes en minijupe, les femmes en tunique éthérée, les architectures monumentales, les foules de citoyens ou d’esclaves. Alejandro Amenabar, cinéaste espagnol à l’esprit voyageur (il a déjà tourné Les Autres, à Hollywood, un film de fantômes avec Nicole Kidman) y a succombé.

Comme ses récents prédécesseurs, Ridley Scott (Gladiator) ou Wolfgang Petersen (Troie), il a voulu renouveler le genre. Agora est un péplum intellectuel. Cette aspiration donne au film un rythme étrange, qui tente de concilier le débat et les combats, le dialogue et le spectacle. Le résultat est gauche souvent, mais presque toujours intéressant. On croirait avoir découvert un livre dans une brocante, sans arriver à deviner s’il s’agit d’un manifeste philosophique, d’une version à rebours de Quo Vadis ou d’un canular.

L’héroïne d’Agora, arrachée aux recoins de l’histoire ancienne, est une mathématicienne et philosophe du nom d’Hypatie, devenue au fil des âges une héroïne de la science et du féminisme. Elle a vécu et est morte à Alexandrie, à la fin du IVe siècle. Hypatie a déjà été figurée comme une incarnation de la rationalité et de la science face aux forces obscurantistes. Elle est ici incarnée par une actrice, la Britannique Rachel Weisz, qui a jusqu’ici tenu des rôles contemporains de femmes indépendantes, qui font passer l’être avant le paraître (dans La Constance du jardinier, de Fernando Meirelles, d’après John Le Carré, par exemple).

Elle doit ici faire face à une bande de méchants plutôt inédite en matière de péplum : les chrétiens. Majoritaires dans la capitale égyptienne, désormais soutenus par le régime impérial, ils veulent assurer leur emprise sur la ville. D’abord, en prenant le contrôle du temple de Sérapis, où est conservé ce qui reste des collections de la bibliothèque d’Alexandrie, puis en mettant hors la loi les autres religions, la païenne et la juive.

A s’y méprendre

Alejandro Amenabar n’est pas un cinéaste très subtil. Il désigne clairement les chrétiens à la vindicte du spectateur. Avec leur grande robe noire, leur barbe et leurs yeux de braise, ces chrétiens-là ressemblent à s’y méprendre à des figures contemporaines.

Ce postulat choquera, consolera ou amusera selon la place que l’on occupe dans ce débat millénaire. Amenabar le met au service des lois du péplum. La foule des hommes en noir investit le serapeum avec l’enthousiasme que mettaient les Germains à se lancer contre les légions romaines dans d’autres films. Hypatie prend la mer pour se livrer à une expérience scientifique, mais sa galère fend les flots comme si elle ramenait Antoine auprès de Cléopâtre.

L’artifice inhérent au péplum est omniprésent, et le réalisateur l’assume crânement. Il recourt sans vergogne aux effets numériques (il en profite pour faire monter à plusieurs reprises sa caméra à des kilomètres à la verticale d’Alexandrie, une façon de rappeler les pouvoirs divins du metteur en scène), faisant déclamer ses dialogues dans un anglais accentué qui ne choque pas tant que ça dans les rues d’une métropole cosmopolite.

Une dernière remarque consumériste : contrairement à ce que promet le slogan de l’affiche d’Agora (« Une femme va changer l’Histoire »), les chrétiens ont bien fini par l’emporter sur Hypatie. C’était, de la part du distributeur, un essai valeureux, mais vain, pour maintenir un peu de suspense.

Film espagnol d’Alejandro Amenabar avec Rachel Weisz, Oscar Isaac, Max Minghella. (2 h 06.)

Voir aussi:

« Agora »: l’Alexandrie d’Amenabar, mise à feu et à sang par l’obscurantisme
AP
Le Nouvel observateur
04.01.2010

Faire un péplum en 2010? Un pari bien audacieux au XXIe siècle, même si d’autres avant lui l’ont osé: Oliver Stone avec « Alexandre », Wolfgang Petersen avec « Troie » ou encore Zack Synder avec « 300 », tous trois avec des résultats plutôt mitigés, voire désastreux, par leur traitement de l’Histoire ou leur gestion du septième Art.

Mais le pari d’Alejandro Amenabar était autre. Bien sûr, le cinéaste hispano-chilien s’est emparé d’un genre hollywoodien très marqué -le péplum- mais il a pris le parti d’en faire une oeuvre à la fois contemporaine, politique et érudite, bien loin des clichés d’antan à la « Ben Hur »…

Voyage dans le temps et l’espace, plongée au coeur de la mythique Alexandrie au IVe siècle après Jésus-Christ, son dernier film, « Agora » (sortie mercredi dans les salles en France), s’impose par son audace et son intelligence. Car en retraçant l’histoire d’une cité symbole de tolérance mise à feu et à sang par les querelles religieuses et le fondamentalisme, Amenabar nous tend un miroir, avec ce constat amer: dix-sept siècles plus tard, notre monde est resté le même, perdu dans ses errements et ses certitudes, jusqu’à atteindre la violence, la barbaries, les atrocités, perpétrées au nom de la foi, au nom de Dieu, qu’il soit juif, chrétien ou païen.

An 391 après Jésus-Christ. L’Egypte est sous domination romaine. A Alexandrie, le christianisme gagne du terrain parmi les pauvres, les démunis et les esclaves. Menée par des miliciens « Parabolani », la révolte des chrétiens gronde. La Cité, elle, est dirigée par des païens, des polythéistes: leurs dieux appartiennent au système panthéiste égyptien, leur culture vient de la civilisation gréco-romaine. De l’Agora à la grande bibliothèque, ils composent l’élite d’Alexandrie: scientifiques, artistes ou hommes politiques. Parmi eux, Théon (Michael Lonsdale), le directeur de la grande bibliothèque, et sa superbe fille Hypathie (Rachel Weisz), philosophe, mathématicienne et astronome de renom.

Admirée par ses disciples, cette brillante érudite est l’une des rares femmes à évoluer dans ce monde d’hommes. Deux hommes se disputent son amour: Oreste (Oscar Isaac), son disciple et futur préfet d’Alexandrie, et Davus (Max Minghella), son jeune esclave, déchiré entre ses sentiments pour sa maîtresse et ses désirs de liberté et de pouvoir, nourris par ses compagnons chrétiens.

Bientôt, les insurgés chrétiens lancent l’assaut sur la Bibliothèque d’Alexandrie. Des milliers de papyrus, des trésors de connaissances accumulés au fil des siècles partent en fumée… C’est le début d’un déclin, celui de la civilisation gréco-romaine, et d’une montée en puissance, celle du christianisme, de plus en plus influente, de plus en plus exigeante.

Des querelles anodines entre chrétiens et juifs dégénèrent en massacres. Poussés par l’ambition, les opportunistes jouent de l’ignorance des foules. Pris de fanatisme, des religieux interprètent les textes sacrés, érigés en règles intangibles. Et à chaque incident, à chaque secousse, Alexandrie sombre davantage dans l’obscurantisme… Malgré ce climat de violence et de déraison, Hypathie poursuit ses travaux sur l’astronomie, s’évertuant à comprendre le système solaire et les lois qui régissent le déplacement de la Terre.

Film historique par excellence, « Agora » traite de thématiques toujours d’actualité 1.600 ans plus tard: guerres de clochers, chasse aux sorcières, appels au martyr, recherche de bouc-émissaires, manipulation des masses, sectarisme et intolérance… Avec ce long métrage, Amenabar livre une douloureuse leçon de vie sur l’Histoire qui recommence à jamais, sur fond de fondamentalisme religieux. Hier, celui des chrétiens, aujourd’hui celui des musulmans…

Pour faire passer son message, le cinéaste mise sur l’intelligence, l’ouverture d’esprit et le sens de critique de ses spectateurs, à l’instar de sa héroïne, Hypathie, symbole de l’esprit des Anciens grecs, de la recherche de la Vérité par la réflexion. « Vous ne questionnez pas ce que vous croyez. Vous ne le pouvez pas. Je le dois », dira-t-elle.

Pour le reste, la ville d’Alexandrie, ses rues, ses habitants, décors et costumes, tout est reconstitué à merveille, avec l’aide du numérique mais dans un registre naturaliste. Comme dans la série « Rome » ou dans le film « Le nom de la rose », source d’inspiration citée par le réalisateur, les personnages s’expriment en anglais, avec différents accents, britanniques ou moyen-orientaux, pour distinguer leurs origines et classes sociales.

Les scènes d’action confirment l’immense talent de metteur en scène d’Alejandro Amenabar et son audace pour filmer la violence, décapitations et lapidations comprises. Enfin, le génie du cinéaste s’exprime par le choix de Rachel Weisz, lumineuse à l’image des muses grecques… Personne n’aurait pu mieux incarner Hypathie.

Agora est donc un pur fantasme de cinéaste : ressusciter un genre moribond pour en bouleverser les codes et le porter à son firmament. Amenabar – comme Kubrick auquel on pense souvent – s’empare donc du peplum hollywoodien pour le transfigurer. Apex classique, fresque postmoderne gonflée, Agora convoque des références écrasantes ( Ben-Hur ), pose sa réflexion sur la liberté de pensée et emballe le tout dans une histoire pleine de bruit, de discours et de fureur. « J’avais dès le début imaginé de garder un point de vue comique sur cette histoire d’amour. Je ne voulais pas que les clichés du peplum me paralysent » nous confiait le cinéaste, « je voulais explorer des questions essentielles ».

De fait, plus dense et plus puissant que n’importe quel drame en costume aperçu récemment, Agora est d’abord un grand film d’amour (avec une sublime Rachel Weisz ) qui s’interroge sur l’opposition entre raison et sentiment, savoir et intolérance, religion et pyrrhonisme.

Voir également:

Agora : Et Amenabar créa Alexandrie

ll a fallu sept jours à Dieu pour bâtir le Monde. Cinquante millions d’euros ont suffi à Alejandro Amenabar pour créer son propre univers. Colossale, personnelle et singulière, Agora est l’œuvre d’un réalisateur conscient de l’importance démiurgique de son travail. Après s’être frotté au genre fantastique avec Ouvre les yeux et Les Autres puis au biopic mélodramatique (Mar Adentro), la nouvelle figure montante du cinéma espagnol s’attaque, comme bien d’autres récemment, au péplum pour dépoussiérer un genre considéré comme épuisé.

A chacun sa méthode : une débauche de moyens et un art de l’action savamment orchestrée pour Gladiator de R. Scott, un hyperréalisme déstabilisant et un respect minutieux du détail historique pour la série Rome, un rare mépris du texte homérique et une réalisation particulièrement kitsch pour Troie de W. Petersen ou bien encore un goût immodéré pour la violence (et une idéologie douteuse) pour 300 de Zack Snyder. Amenabar, lui, décide de prendre à rebours la tradition du péplum pour livrer un film aux prétentions intellectuelles assumées, mêlant habilement scènes de foules et discussions scientifiques ou philosophiques.

Adieu donc jupettes, carton pâte et torses musculeux des péplums à la grand papa. Place aux effets numériques au service de la vraisemblance historique. L’Alexandrie du IVe siècle est reproduite de façon magistrale. Amenabar prend le spectateur par la main et le plonge directement dans une ville cosmopolite, grouillante, mêlant inextricablement architecture romaine, égyptienne et chrétienne. De cette expérience saisissante seuls sortiront indemnes les rares spécialistes de la période, peut-être déçus par la modernité de certaines croix chrétiennes, par la célérité surprenante des messagers ou par le mode de lapidation d’Hypatie (qui ne fut pas exécuté avec des pierres mais, d’après la tradition, avec des tessons de poterie).
A l’incroyable minutie de la reconstitution d’Alexandrie répondent des choix scénaristiques étonnants. Contre la tradition des péplums qui ont régulièrement mis en scène les épisodes les plus connus de l’histoire grecque, romaine ou chrétienne, Amenabar jette son dévolu sur une femme largement ignorée des sources anciennes comme des historiens contemporains. A peine mentionnée par Socrate le Scolastique dans son Histoire ecclésiastique, étudiée en quelques pages seulement dans le récent ouvrage de P. Chuvin (Chronique des derniers païens, 1999), Hypatie est une oubliée de l’histoire en raison du dernier incendie de la Bibliothèque d’Alexandrie dans lequel a brûlé l’ensemble de son œuvre. Elle n’en est pas moins placée au centre d’Agora, les longues séquences mettant en scène ses cours ou ses expériences scientifiques faisant pendant aux scènes de rue où les foules fanatiques se déchaînent.
Epoustouflante, inédite, Agora surprend également par sa réalisation. Des vues aériennes, voire même spatiales d’Alexandrie, on ne sait que penser. Effet esthétique aussi impressionnant que tape-à-l’œil ? Prétention un rien mégalo du metteur en scène qui, tel dieu, porte un regard désapprobateur sur les foules alexandrines en proie aux violences fanatiques ? L’hypothèse n’est pas à exclure, car le film se présente comme une œuvre à charge contre les chrétiens qui, obscurantistes et avides de pouvoir, saccagent, à la fin du IVe siècle, le temple de Sérapis où étaient conservés les restes de la Bibliothèques d’Alexandrie, pour mieux mettre hors-la-loi, quelques décennies après, les religions païenne et juive. Si le film s’attache à reproduire avec exactitude la réalité historique d’un empire en voie de décomposition miné par les troubles religieux, ses partis pris restent flagrants et desservent largement les chrétiens des premiers temps, avec lesquels le réalisateur semble avoir des comptes à régler.
C’est sans doute ici que réside la principale faiblesse du film. Dans la tradition du péplum qui n’a souvent fait que refléter les préoccupations de son temps, Agora peut se lire comme une allégorie de la situation géopolitique contemporaine. Aux barbes, aux tuniques noires et aux discours misogynes des fanatiques d’Alexandrie répondent aisément ceux des islamistes actuels. De manipulation des Ecritures saintes, de martyrologie politiquement orientée, de lapidations violentes et de prêches enflammés appelant à la haine et à la destruction, il est encore question aujourd’hui. Dans un monde déboussolé et miné par les extrémismes religieux, Rome fait, comme les Etats-Unis au Moyen-Orient, figure de puissance politique lointaine et malhabile. L’utilisation même d’Hypatie comme personnage emblématique prend encore des accents très contemporains, assez éloignés des préoccupations des Anciens. Mal connue, la philosophe païenne s’est longtemps prêtée à des relectures partisanes. Alors qu’elle pouvait à l’époque médiévale faire figure de chrétienne modérée victime de l’extrémisme, elle est aujourd’hui, incarnée avec fougue par l’actrice Rachel Weisz, l’héroïne du positivisme scientifique en butte à l’extrémisme religieux.
Pour servir son œuvre pamphlétaire, il a bien fallu qu’Amenabar crée de toutes pièces Hypatie. Mais peut-on vraiment lui en vouloir… Dieu lui-même n’a-t-il pas créé la femme ?

[Agora d’Alejandro Amenabar. 2009. Durée : 2 h 06. Distribution : Mars. Sortie le 6 janvier 2010]

Voir également:

Hypatie ou la mémoire des hommes
Groupe de recherche Sélectif

La pièce de théâtre de Pan Bouyoucas raconte, en une vingtaine de scènes très influencées par le motif du « chœur » grec, la dernière année de la vie d’Hypatie, femme philosophe et directrice de la bibliothèque d’Alexandrie. Dans un court prologue se déroulant en 395 av. J.-C., les torches chrétiennes brûlent pour une première fois la bibliothèque, tuant le père de la jeune Hypatie, qui fait alors le double serment de rebâtir cette « mémoire des hommes » et de ne pas avoir de relation charnelle avec l’autre sexe afin de rester pure et dévouée à cette tâche colossale qui lui prendra vingt ans. Défile alors une série de personnages influents qui entrent en conflit pour le futur de la ville. Les confrontations verbales s’enchaînent rapidement entre Cyrille, archevêque chrétien, Oreste, gouverneur (baptisé, mais peu dévot), le Rabbin, Hypatie elle-même, et Sara, une jeune médecin juive, amie et disciple d’Hypatie. Bouyoucas tient à nous montrer une ville en pleine perdition, aux prises avec des factions antagonistes qui n’ont en commun que leur fanatisme et leur désir impérieux d’écarter les autres. Oreste, sympathique à la cause d’Hypatie, mais obligé par politique de respecter l’avis et les conseils de Cyrille, est le lien entre toutes ces luttes, ces déchirements qui culmineront (c’est le seul moyen d’acheter la paix, aussi fragile soit-elle), par le meurtre violent de la jeune femme.

Les rares documents fiables qui ont traversé le temps jusqu’à nous au sujet d’Hypatie, et du genre d’existence qu’elle a menée, permet à l’auteur de créer un espace-temps plausible, un peu métaphorique, dans lequel évoluent des personnages qui sont plus des représentations d’idées que de véritables humains. Sa pièce est davantage un plaidoyer contre l’intolérance sous toutes ses formes et la stupidité fondamentale des hommes (en tant que sexe), qu’un essai qui tenterait de saisir l’essence de la pensée d’Hypatie d’Alexandrie. Son apport à la tradition occidentale est complètement mis de côté, laissant place à une femme excellant aux joutes orales (certains dialogues avec Cyrille font preuve d’une rhétorique tranchante, s’approchant presque du sophisme) et secrètement éprise d’Oreste, dont elle désire plus que tout l’attention et la compréhension. Dans un contexte épistémologique, la force de l’œuvre est également sa faiblesse : cette propension à faire d’Hypatie une icône du féminisme qui peine pourtant à prendre son envol au milieu d’un flot d’arguments à propos de la lâcheté et de la noblesse.

Voir enfin:

Agora
Mike Goodridge
17 May, 2009

Dir: Alejandro Amenabar. Spain. 2009. 141 minutes.

Christianity gets a bad rap in Alejandro Amenabar’s Agora, a historical epic in which the early church is shown violently oppressing other faiths, science and women in its bid for political power. An enormously ambitious attempt to recreate the conflicts of 4th century Alexandria, many of which are still raging today, Agora ultimately fails to hang together narratively and does not engage on the same grand emotional level as the sword and sandal epics of old – Quo Vadis? Ben-Hur et al – which it is clearly trying to reinvent.

It’s a bold story to tell at a time when the Catholic Church still has the power to rally its propaganda machine against negative onscreen representations. However Amenabar falls into some easy traps of the genre. Like Oliver Stone with Alexander in 2004, he falters with accents, and the choice to lead with upper-crust English here – alongside a smorgasbord of European – lends a faintly ridiculous whiff to much of the dialogue. An unconsummated love triangle generates much chest-heaving and longing looks but little passion, while the focus on early scientific thought is a little too dense and might prove a turn-off for wider audiences.

The undoubted spectacle and bloody massacres in the film should raise some interest in the teenage male demographic, but youngsters are not the core audience and in any case would not have the staying power for its 141 minute running time. Upscale adults might be more intrigued by the prospect of a film which is intelligent in design, if flawed in execution. International audiences which responded more favourably to Alexander, Troy and 300 could be more receptive to Agora than domestic.

The film rests on the shoulders of Rachel Weisz, an undoubtedly talented actress but one with a distinctly contemporary edge that feels out of place here. She plays Hypatia, a brilliant astronomer living within the rarefied walls of the legendary Library of Alexandria who teaches both pagans and Christians theories of the sun and the stars and where earth fits into the universe.

The story starts in 369AD as tensions in the city market area (“agora”) between polytheistic Pagans and Jesus-worshipping Christians have reached new highs. The director of the library Theon (Lonsdale) is hoping to hand over control to his daughter Hypatia, but the religious leaders of the city are reluctant to let a woman take over in such a volatile religious climate.

Indeed it is the religious leaders who incite an attack on the Christians as they gather in the agora to hurl abuse at the pagan gods. The massacre leaves many Christians dead but the pagans underestimate the Christian numbers, they are overcome and barricade themselves into the library compound.

Hypatia is among those trapped inside with her pupil Orestes (Isaac) and slave Davus (Minghella) both of whom are in love with her. But the three are torn apart when the openly Christian Roman emperor Valentinian decrees that the pagans must surrender the Library to the Christians, who proceed to sack it. Davus, who has been inspired by the tenets of Christianity, stays behind with the Christians, leaving Hypatia and Orestes to flee.

If this were 1951, Amenabar could have inserted an intermission at this point in the story since he then moves the plot forward several years. Orestes is now the prefect of the region and a Christian convert, Hypatia lives in Alexandria unhampered in her astronomical research and Davus has joined the Christian city militia the
Parabolani.

But more trouble is ahead. Under the tyrannical leadership of the bishop Cyril (Sammy Samir), the Christians start to wage war on the Jewish population of Alexandria, stoning them during a music performance on the Sabbath and launching a full-scale massacre after the Jews retaliate.

Meanwhile Hypatia, who is close to making a breakthrough in her theories about the universe, is the next target for the Christians as Cyril has her declared unclean and a sorceress, causing the Prefect and the Parabalanus to choose between their church and the woman they love.

The film’s production design and sets are top-notch and Amenabar seems pleased with his recreation, displaying his lavish cityscapes repeatedly. The characters are not so well-drawn, however.

Hypatia has a vicious temper tantrum with Davus which is wildly out of character, while Davus’ inner conflict is muddily written to say the least. Minghella and Isaac both display ample charisma, although there’s no disguising the fact that Weisz is centre stage.

Perhaps, as Alexander and Troy proved, contemporary filmgoers are unable to accept their movie stars in togas as they were 50 years ago. 300 told its tale in a sufficiently-stylised manner to avoid too much ridicule, while Mel Gibson has the best idea of all, using a dead language to play out his drama in The Passion Of The Christ.

3 Responses to Antichristianisme: Les barbus étaient chrétiens hier (Guess who were yesterday’s ayatollahs and Taliban?)

  1. gigi-3 dit :

    Quel travail de bénédictin !

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  2. jcdurbant dit :

    Confirmation, dans Entertainment Weekly, de mes craintes concernant le film de Cameron:

    EW: “Avatar” is the perfect eco-terrorism recruiting tool.”

    JC: Good, good. I like that one. I consider that a positive review. I believe in ecoterrorism.”

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  3. Thot Har Megiddo dit :

    Incendie de la Bibliothèque d’Alexandrie :

    Wiki:
    « (…)Dès 1203, Abd al-Latif, historien arabe,[12] puis Ibn al Kifti[13] et plus tard Ibn Khaldoun[14] imputent la destruction de la bibliothèque au calife Omar qui aurait donné en 642 l’ordre de détruire la bibliothèque à son chef militaire ‘Amr Ibn al-‘As.

    Ibn Khaldoun reconstitue pour sa part le récit suivant :

    « Que sont devenues les sciences des Perses dont les écrits, à l’époque de la conquête, furent anéantis par ordre d’Omar ? Où sont les sciences des Chaldéens, des Assyriens, des habitants de Babylone ? […] Où sont les sciences qui, plus anciennement, ont régné chez les Coptes ? Il est une seule nation, celle des Grecs, dont nous possédons exclusivement les productions scientifiques, et cela grâce aux soins que prit El-Mamoun de faire traduire ces ouvrages.
    […] Les Musulmans, lors de la conquête de la Perse, trouvèrent dans ce pays, une quantité innombrable de livres et de recueils scientifiques et [leur général] Saad ibn Abi Oueccas demanda par écrit au khalife Omar ibn al-Khattab s’il lui serait permis de les distribuer aux vrais croyants avec le reste du butin. Omar lui répondit en ces termes : « Jette-les à l’eau ; s’ils renferment ce qui peut guider vers la vérité, nous tenons de Dieu ce qui nous y guide encore mieux ; s’ils renferment des tromperies, nous en serons débarrassés, grâce à Dieu ! » En conséquence de cet ordre, on jeta les livres à l’eau et dans le feu, et dès lors les sciences des Perses disparurent. »

    — Prolégomènes, 3e partie, éd. Quatremère, trad. de Slane, pages 89-90 et 125.

    Cette troisième hypothèse est soutenue par les auteurs comme Poulain, ou Canfora[15],[16], et rejetée par des auteurs comme El-Abbadie, ou Le Bon[17] [18]. (…) »

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