Turquie: Combien de massacres faut-il pour faire un génocide? (How many genocidal crimes does it take to make a genocide?)

Armenian death marches
Comme je continuais à l’importuner avec la Question arménienne, il [Talaat] me dit un jour en souriant: « Que diable voulez-vous de moi? La question est réglée. Il n’y a plus d’Arméniens. Comte Johann Heinrich von Bernstorff (vice-consul puis dernier ambassadeur allemand pendant la guerre, 1936)
En novembre 1914 nous savions qu’un massacre aurait lieu. Le Mutessarif de Mouch, qui était un ami intime d’Enver Pacha, déclara tout à fait ouvertement qu’au premier moment opportun, on massacrerait les Arméniens et exterminerait toute la race. Ils avaient l’intention de massacrer les Arméniens avant l’arrivée des Russes, puis de battre les Russes . Vers le commencement d’avril, en présence du Major Lange et de plusieurs autres hauts fonctionnaires, y compris les Consuls américain et allemand, Ekran Bey exprima tout à fait ouvertement l’intention du Gouvernement d’exterminer la race arménienne. Tous ces détails montrent pleinement que les massacres procédaient d’un plan délibéré et bien arrêté. Alma Johansson (Missionnaire suédoise en charge de l’orphelinat allemand de Mouch, 1915)
Cette décision, et les conditions dans lesquelles s’effectue la déportation, montrent bien que le gouvernement poursuit très réellement le but d’exterminer la race arménienne dans l’Empire ottoman. (…) Indépendamment du préjudice auquel s’expose l’état turc -en dépossédant et en exterminant une fraction laborieuse et intelligente de la population (les Kurdes et les Turcs qui succèdent aux Arméniens sont bien loin, pour l’instant, de pouvoir les remplacer), cette situation lèse très sensiblement nos intérêts commerciaux et les intérêts des organismes de bienfaisance allemands établis dans ces régions. En outre, la Porte méconnaît l’effet que toutes ces mesures arbitraires, comme, par exemple, les exécutions en masse qui ont lieu ici même et à l’intérieur du pays, produisent sur l’opinion publique étrangère et les conséquences que tout cela aura par la suite sur la façon dont sera traitée la question arménienne au moment des négociations de paix. C’est pourquoi j’ai cru bon de faire remarquer à la Porte que nous n’approuvons les déportations de population que dans la mesure où elles s’imposent pour des raisons d’ordre militaire et où elles mettent le pays à l’abri des insurrections … Wangenheim (courrier au Chancelier allemand von Bethmann Hollweg, juillet 1915)
Vous voulez dire reconnaître la version arménienne de cette histoire ? Il y avait un problème arménien pour les Turcs, à cause de l’avance des Russes et d’une population anti-ottomane en Turquie, qui cherchait l’indépendance et qui sympathisait ouvertement avec les Russes venus du Caucase. Il y avait aussi des bandes arméniennes – les Arméniens se vantent des exploits héroïques de la résistance -, et les Turcs avaient certainement des problèmes de maintien de l’ordre en état de guerre. Pour les Turcs, il s’agissait de prendre des mesures punitives et préventives contre une population peu sûre dans une région menacée par une invasion étrangère. Pour les Arméniens, il s’agissait de libérer leur pays. Mais les deux camps s’accordent à reconnaître que la répression fut limitée géographiquement. Par exemple, elle n’affecta guère les Arméniens vivant ailleurs dans l’Empire ottoman.  » Nul doute que des choses terribles ont eu lieu, que de nombreux Arméniens – et aussi des Turcs – ont péri. Mais on ne connaîtra sans doute jamais les circonstances précises et les bilans des victimes. Songez à la difficulté que l’on a de rétablir les faits et les responsabilités à propos de la guerre du Liban, qui s’est pourtant déroulée il y a peu de temps et sous les yeux du monde ! Pendant leur déportation vers la Syrie, des centaines de milliers d’Arméniens sont morts de faim, de froid… Mais si l’on parle de génocide, cela implique qu’il y ait eu politique délibérée, une décision d’anéantir systématiquement la nation arménienne. Cela est fort douteux. Des documents turcs prouvent une volonté de déportation, pas d’extermination. Bernard Lewis
Nous avons été consternés de découvrir, au milieu de l’entretien érudit et pertinent sur le fondamentalisme islamique que Bernard Lewis a accordé au Monde du 16 novembre, des jugements d’une teneur bien différente au sujet du génocide arménien de 1915. Qualifier ces massacres de génocide, c’est-à-dire de politique délibérée de destruction d’une population, c’est, dit-il, la  » version arménienne de l’Histoire « . Bernard Lewis ne peut ignorer que, dès le 24 mai 1915, les gouvernements alliés, russe mais aussi français et britannique, ont fait savoir publiquement à la Sublime Porte qu’ils tiendraient pour personnellement responsables tous les membres du gouvernement ottoman et leurs agents impliqués dans ce  » crime de lèse-humanité « . Que les diplomates allemands et autrichiens, alliés de la Turquie et présents sur les lieux, ainsi que les diplomates américains neutres, ont envoyé des dizaines de télégrammes dénonçant la  » campagne d’extermination  » menée par le gouvernement jeune-turc pour  » liquider définitivement  » la question arménienne, en se servant, déjà, de la guerre comme prétexte. Ceux-là mêmes qui ne veulent tenir compte que des documents turcs ne peuvent passer sous silence le procès mené en 1919 par le gouvernement libéral de Constantinople, qui a établi les responsabilités des ministres, du parti au pouvoir et des bandes d’assassins qu’ils avaient spécialement recrutés dans les prisons. L’historien ne peut récuser les témoignages convergents des survivants, à qui on ne saurait dénier le droit de dire leur souffrance. Les preuves abondent aussi bien du massacre sur place d’une partie de la population que des multiples formes de tueries qui ont accompagné la déportation des autres. Les victimes ont été livrées à toutes les morts, sauf celle, que cite Bernard Lewis, par le froid puisque la déportation a eu lieu à la saison chaude. Loin d’être limitée géographiquement, l’éradication de la présence arménienne s’est étendue à l’ouest jusqu’à Bursa, au sud jusqu’à Alep, à 800 kilomètres du front russe. Elle a été conduite par un gouvernement contre une partie de ses sujets, un groupe défini religieusement et ethniquement, et détruit comme tel. Ces actes caractérisent un génocide. Et c’est précisément parce qu’il est dangereux d’abuser du terme qu’il est important de reconnaître le génocide quand il ne fait pas de doute. C’est d’ailleurs l’entreprise de destruction des Arméniens de l’Empire ottoman qui a servi de référence aux juristes des années 30 alarmés par la montée du nazisme, comme le Polonais Lemkin, pour fixer le concept de génocide. Toute tentative de comparaison entre cette extermination planifiée et la guerre civile libanaise, où tout Etat avait disparu, est dénuée de fondement. Nier les faits, effacer le crime, c’est à quoi s’emploient les gouvernements turcs depuis Mustafa Kemal. Qu’un savant de l’autorité de Bernard Lewis accrédite cette thèse officielle, qui réitère elle-même le mensonge des criminels d’hier, rien ne le justifie. Autant il est légitime de soutenir la laïcité contre l’intégrisme, autant il importe de ne pas dissimuler des responsabilités connues de tous. Déclaration collective de trente universitaires et intellectuels (dont André Chouraqui, Jacques Ellul, Alain Finkielkraut, André Kaspi, Yves Ternon et Jean-Pierre Vernant, Le Monde, 27 novembre 1993)

A partir de combien de massacres délibérés d’une même population peut-on parler de génocide?

Déportations étendues au-delà des « raisons d’ordre militaire » aux régions non menacées par l’invasion ennemie et aux non combattants (femmes, vieillards et enfants), déplacement de foules sur des centaines de kilomètres dans des conditions notoirement insuffisantes (« transports, gîte, maladies épidémiques, pillages et massacres des Kurdes et autres bandits de grand chemin »), conversions forcées en masse, préjudice pour l’état turc (se privant d’une « fraction laborieuse et intelligente de la population ») et leurs alliés allemands (« intérêts commerciaux et des organismes de bienfaisance »), effacement des traces de présence culturelle avec la destruction ou saisie des établissement scolaires, religieux ou de sociaux, exécutions en masse susceptibles d’aliéner « l’opinion publique étrangère » et de porter préjudice aux « futures négociations de paix » …

Au lendemain de la première visite officielle en Europe et en pays musulman du premier président multiculturel américain et de sa litanie d’excuses pour l’arrogance, l’esclavagisme, le « génocide indien », l’oppression des noirs, l’utilisation de la bombe nucléaire, la torture, l’inimitié du monde entier sous ses prédécesseurs et notamment Bush …

Couplée au plus vibrant hommage pour « cette foi musulmane qui a tant fait au long des siècles pour le monde » …

Retour sur l’un des épisodes les plus tragiques dudit apport, à savoir la liquidation ou l’expulsion, par les prédécesseurs ottomans et turcs des hôtes du président américain à Ankara, d’une large part de leur population chrétienne (de quelque 30% à 0,1% en moins d’un siècle) …

Et ce, via l’un des nombreux cables d’un vice-consul allemand à ses supérieurs qui a le mérite de confirmer, comme le soulignent actuellement les autorités turques et nombre de chercheurs, tant la part de danger que pouvaient présenter une partie des populations en question pour l’effort de guerre turc que la différence de motivation des dirigeants turcs de l’époque par rapport à la radicalité nazie (qui, contrairement à ces derniers, laissaient ouverte à leurs victimes la possibilité de l’assimilation via la conversion forcée des femmes et enfants).

Mais aussi, contre les dénégations des mêmes autorités turques et les doutes des mêmes chercheurs, la conscience que ne pouvaient pas ne pas avoir les autorités turques d’alors des conséquences (y compris, caractéristique typique d’un génocide, celles qui allaient à l’encontre de la rationalité militaire comme le fait par exemple que la plupart des artisans et transporteurs travaillant pour l’armée étaient arméniens) des opérations (déportations et massacres) dont elles étaient les maitres d’œuvre …

Ambassade impériale d’Allemagne

Péra, le 7 juillet 1915

Jusqu’à il y a environ deux semaines, l’expulsion et la déportation de la population arménienne se cantonnaient aux provinces proches de la zone est des opérations et à quelques secteurs de la province d’Adana. Depuis lors, la Porte a décidé d’étendre cette mesure aux provinces de Trébizonde, Mamouret-ul-Aziz et Sivas, et en a commencé l’application bien que, pour l’instant, ces régions ne soient pas menacées par l’invasion ennemie.

Cette décision, et les conditions dans lesquelles s’effectue la déportation, montrent bien que le gouvernement poursuit très réellement le but d’exterminer la race arménienne dans l’Empire ottoman.

A ce sujet, je me permets de compléter mes précédents rapports par les informations suivantes :

Le 26 juin, ainsi que le rapporte le consul impérial de Trébizonde, les Arméniens de cette ville ont reçu l’ordre de quitter les lieux dans un délai de cinq jours, tous leurs biens devant rester sous la garde des autorités. Une seule exception a été faite, pour les malades. Puis d’autres autorisations ont été accordées, aux veuves, aux orphelins, aux vieillards et aux enfants de moins de cinq ans, puis aux malades et aux Arméniens catholiques. Mais, aux dernières nouvelles, les autorités sont revenues sur la plupart des exceptions, et seuls ont le droit de rester les enfants et les personnes qui ne peuvent être transportées, ces dernières étant placées dans des hôpitaux. Dans le seul vilayet de Trébizonde, cette mesure touche au total 30 000 personnes environ, qui vont être expédiées en Mésopotamie, via Erzindjan. Il y a tout lieu de craindre qu’un tel déplacement de foule vers une destination éloignée de plusieurs centaines de kilomètres, avec des moyens de transport très insuffisants, et à travers des contrées où l’on ne peut trouver ni gîte ni nourriture et qui sont contaminées par des maladies épidémiques, comme le typhus exanthématique, par exemple, fasse de nombreuses victimes, surtout chez les femmes et les enfants. En outre, la route que suivent les déportés traverse les districts kurdes de Dersim, et le vali de Trébizonde a déclaré tout net au consul qui, sur nos instructions, lui faisait des observations à ce sujet, qu’il ne pouvait garantir la sécurité du convoi que jusqu’à Erzindjan. A partir de là, on les laisse en proie à la sauvagerie des Kurdes et autres bandits de grand chemin. Par exemple, les Arméniens chassés de la plaine d’Erzeroum ont été attaqués sur la route de Kharpout ; les hommes et les enfants ont été massacrés, les femmes enlevées. Le consul impérial d’Erzeroum estime à 3 000 les Arméniens qui ont péri à cette occasion.

A Trébizonde, les Arméniens se sont convertis en masse à l’islam pour se soustraire à la menace de la déportation et sauver leur vie et leurs biens.

Indépendamment du préjudice auquel s’expose l’état turc -en dépossédant et en exterminant une fraction laborieuse et intelligente de la population (les Kurdes et les Turcs qui succèdent aux Arméniens sont bien loin, pour l’instant, de pouvoir les remplacer), cette situation lèse très sensiblement nos intérêts commerciaux et les intérêts des organismes de bienfaisance allemands établis dans ces régions.

En outre, la Porte méconnaît l’effet que toutes ces mesures arbitraires, comme, par exemple, les exécutions en masse qui ont lieu ici même et à l’intérieur du pays, produisent sur l’opinion publique étrangère et les conséquences que tout cela aura par la suite sur la façon dont sera traitée la question arménienne au moment des négociations de paix.

C’est pourquoi j’ai cru bon de faire remarquer à la Porte que nous n’approuvons les déportations de population que dans la mesure où elles s’imposent pour des raisons d’ordre militaire et où elles mettent le pays à l’abri des insurrections, et que, quoi qu’il en soit, l’application de ces mesures ne doit en aucun cas exposer les déportés à des pillages ou à des massacres. Pour donner à ces remarques le poids nécessaire, je les ai résumées par écrit sous forme d’un mémorandum que j’ai remis personnellement au grand vizir le 4 juillet. J’ai également fait transmettre des copies de ce mémorandum aux ministères des Affaires étrangères et de l’Intérieur.

Wangenheim

à Son Excellence le Chancelier impérial Monsieur von Bethmann Hollweg

Voir aussi:

AU COURRIER DU MONDE
Cela s’appelle un génocide
Le Monde
27.11.93
Nous avons été consternés de découvrir, au milieu de l’entretien érudit et pertinent sur le fondamentalisme islamique que Bernard Lewis a accordé au Monde du 16 novembre, des jugements d’une teneur bien différente au sujet du génocide arménien de 1915.

Qualifier ces massacres de génocide, c’est-à-dire de politique délibérée de destruction d’une population, c’est, dit-il, la  » version arménienne de l’Histoire « .

Bernard Lewis ne peut ignorer que, dès le 24 mai 1915, les gouvernements alliés, russe mais aussi français et britannique, ont fait savoir publiquement à la Sublime Porte qu’ils tiendraient pour personnellement responsables tous les membres du gouvernement ottoman et leurs agents impliqués dans ce  » crime de lèse-humanité « . Que les diplomates allemands et autrichiens, alliés de la Turquie et présents sur les lieux, ainsi que les diplomates américains neutres, ont envoyé des dizaines de télégrammes dénonçant la  » campagne d’extermination  » menée par le gouvernement jeune-turc pour  » liquider définitivement  » la question arménienne, en se servant, déjà, de la guerre comme prétexte. Ceux-là mêmes qui ne veulent tenir compte que des documents turcs ne peuvent passer sous silence le procès mené en 1919 par le gouvernement libéral de Constantinople, qui a établi les responsabilités des ministres, du parti au pouvoir et des bandes d’assassins qu’ils avaient spécialement recrutés dans les prisons.

L’historien ne peut récuser les témoignages convergents des survivants, à qui on ne saurait dénier le droit de dire leur souffrance. Les preuves abondent aussi bien du massacre sur place d’une partie de la population que des multiples formes de tueries qui ont accompagné la déportation des autres. Les victimes ont été livrées à toutes les morts, sauf celle, que cite Bernard Lewis, par le froid puisque la déportation a eu lieu à la saison chaude.

Loin d’être limitée géographiquement, l’éradication de la présence arménienne s’est étendue à l’ouest jusqu’à Bursa, au sud jusqu’à Alep, à 800 kilomètres du front russe. Elle a été conduite par un gouvernement contre une partie de ses sujets, un groupe défini religieusement et ethniquement, et détruit comme tel. Ces actes caractérisent un génocide. Et c’est précisément parce qu’il est dangereux d’abuser du terme qu’il est important de reconnaître le génocide quand il ne fait pas de doute. C’est d’ailleurs l’entreprise de destruction des Arméniens de l’Empire ottoman qui a servi de référence aux juristes des années 30 alarmés par la montée du nazisme, comme le Polonais Lemkin, pour fixer le concept de génocide. Toute tentative de comparaison entre cette extermination planifiée et la guerre civile libanaise, où tout Etat avait disparu, est dénuée de fondement.

Nier les faits, effacer le crime, c’est à quoi s’emploient les gouvernements turcs depuis Mustafa Kemal. Qu’un savant de l’autorité de Bernard Lewis accrédite cette thèse officielle, qui réitère elle-même le mensonge des criminels d’hier, rien ne le justifie. Autant il est légitime de soutenir la laïcité contre l’intégrisme, autant il importe de ne pas dissimuler des responsabilités connues de tous. Le souhait de Bernard Lewis de voir la Turquie faire bientôt partie de l’Europe ne saurait en aucun cas justifier la trahison de la vérité et l’offense aux victimes. Au contraire.

Déclaration collective de trente universitaires et intellectuels, parmi lesquels André Chouraqui, Jacques Ellul, Alain Finkielkraut, André Kaspi, Yves Ternon et Jean-Pierre Vernant, parue dans l’édition du 27 novembre 1993 du journal Le Monde, en réaction aux propos négationnistes de Bernard Lewis

Voir enfin:

DEBATS

Un entretien avec Bernard Lewis  » Au cours de l’Histoire, les mouvements fondamentalistes islamiques ont tous échoué « 
Le Monde

16.11.1993

 » Deux livres de vous sortent ces jours-ci à Paris, les Arabes dans l’Histoire et Race et esclavage au Proche-Orient. Peut-on rattacher ces ouvrages à l’actualité en disant que l’islamisme est finalement un moyen pour les Arabes de redevenir acteurs de l’Histoire ?

_ Un livre historique qu’on ne peut pas relier à l’actualité n’a pas une très grande valeur. Les Arabes dans l’Histoire, c’est une vue générale de l’Arabie depuis la période pré-islamique jusqu’à nos jours. Cela aurait été difficile de la présenter sans parler de l’actualité. Ce livre a été publié pour la première fois en 1950. Maintenant, c’est une nouvelle édition remaniée, parce que la façon de voir le passé a changé à la lumière des documents trouvés, des nouvelles méthodes de recherche, de l’évolution des idées et de ma propre évolution. Celle-ci a, d’un côté, augmenté nos connaissances et, d’un autre, les a diminuées. Très souvent, la recherche scientifique ébranle les certitudes. Exemples : la vie du Prophète ou les prémices de l’islam. J’ai fait mes recherches sur d’autres questions, mais j’ai été aussi obligé de passer de l’indicatif au conditionnel et d’ajouter des expressions comme  » suivant la tradition « , etc.

_ Sur quels sujets êtes-vous passé du conditionnel à l’indicatif ?

_ Par exemple, j’avais parlé dans la première édition de l’importance de l’acceptation par les Arabes du papier, qui venait de Chine, et du rejet par les mêmes de l’imprimerie, qui est arrivée en Europe en venant aussi de la Chine. L’impact des moyens électroniques, de l’informatique, de la communication, m’a permis de comprendre beaucoup mieux l’impact de l’acceptation du papier. Les conséquences de l’introduction du papier ne se sont pas limitées à la vie intellectuelle. Il ne s’agissait pas seulement de lire, mais aussi de permettre au gouvernement de développer la bureaucratie, et aussi le commerce.

_ Pour revenir à aujourd’hui, quel est le terme le moins impropre pour rendre compte des remous du monde musulman : islamisme, radicalisme, fondamentalisme, intégrisme ?

_ Le mot  » fondamentalisme  » est chrétien, c’est un mot américain protestant qui date de 1910 environ. A l’époque, des Eglises voulaient se différencier et ont publié une série de pamphlets qui s’appelaient The Fundamentals. Cela n’a rien à voir avec l’islam ! Pourtant, on peut aujourd’hui le retenir, car il est maintenant d’usage courant et moins trompeur que les autres mots. Ainsi le mot  » intégrisme « , qui correspond un peu au  » fondamentalisme  » dans l’Eglise catholique. Ou le mot  » islamisme « , apparu plus tard. Ce dernier est le pire parce qu’il donne l’idée que ces mouvements sont quelque chose de typique, de normal, de central ; que c’est cela l’islam, la religion musulmane, la civilisation musulmane. Ce qui n’est pas le cas.

_ Cela n’en fait-il pas néanmoins partie ?

_ Oui, mais j’hésiterais à dire que cela en fait partie  » intégrante  » … C’est un phénomène qui n’est pas nouveau, qui est engendré par l’islam lui-même, qui a existé de façon discontinue, qui revient de temps en temps. Mais ce n’est pas central. Ces mouvements de crise ne sont pas universels, mais presque toujours limités à une région, à une période, suivant les circonstances. Ils ont une chose en commun : ils ont tous échoué. Il y a deux façons d’échouer : d’abord, la façon facile, c’est-à-dire être supprimé, ne pas réussir à saisir le pouvoir. C’est la faillite la plus commode, on a même l’avantage de devenir martyr. L’autre façon d’échouer est plus pénible et prend plus de temps : ces mouvements échouent après avoir conquis le pouvoir, parce qu’ils n’ont pas de réponses aux questions posées par les sociétés.  » Les Assassins, à l’époque médiévale, appartenaient à la première catégorie. Ils ont été supprimés ; les révolutionnaires en Iran, à la seconde : ils ont pris le pouvoir il y a quatorze ans, mais n’ont pas su résoudre les problèmes qui se posaient à eux et sont devenus, à leur tour, des oppresseurs.

_ Que penser du régime saoudien _ islamique, intégriste, traditionaliste _, qui n’a pas échoué ?

_ Il n’est pas fondamentaliste dans le sens donné maintenant à ce mot.

_ Alors quel régime  » islamiste  » a échoué dans l’Histoire ?

_ Les Fatimides (1) en Egypte, les Almohades (2) au Maghreb, même s’ils n’ont pas échoué immédiatement.  » Les révolutionnaires iraniens n’ont pas su résoudre les problèmes de leur pays

_ La plupart des régimes musulmans dans l’Histoire n’étaient-ils pas peu ou prou islamistes, puisqu’ils appliquaient la loi islamique ?

_ Non, je parle ici de régimes révolutionnaires, issus d’un mouvement radical qui présentaient une critique de ce qui se passait et qui prétendaient renouveler la foi et les institutions, retourner aux sources authentiques de la religion. Le chiisme a commencé comme cela. Quand je dis que ces mouvements ont échoué, je veux dire qu’ils n’ont pas réussi à créer quelque chose qui différait de ce qui était là avant. Ils ont échoué en ressemblant aux régimes qu’ils ont détruits, en ce sens qu’ils n’ont pas rempli leurs promesses et sont devenus aussi tyranniques, corrompus, et parfois pires que ceux qui les précédaient.

_ Y a-t-il des régimes qui sont immunisés, qui peuvent se protéger contre l’islamisme ?

_ Il y a des régimes qui peuvent résister, qui ont une constitution (au sens médical) assez forte pour survivre à ces infections, mais pas sans difficultés. Selon les régions, il y a différentes explications. En Egypte, le régime a des chances de survie, parce que l’Egypte est un pays très centralisé, qui a déjà une longue tradition d’autogestion, ce n’est pas une création artificielle ; il y a un système de loyauté, une véritable nation. Au Maroc aussi, il y a de bonnes possibilités de survie. Tahsin Béchir (3) a dit :  » Au Proche-Orient, il n’existe qu’une seule nation, c’est l’Egypte ; toutes les autres sont des tribus avec des drapeaux. « .

_ Il y a pourtant des petites nations, le Yémen, Oman…

_ Mais que veut-on dire par  » nation  » ? C’est une notion européenne. Le mot  » patrie  » existe en arabe depuis l’époque pré-islamique, c’est un mot qui comporte beaucoup d’émotion, mais qui n’a aucun sens politique. On peut trouver des centaines de vers arabes qui parlent de watan (patrie), mais c’est toujours pour évoquer la nostalgie du passé individuel : on parle de watan en même temps qu’on parle de sa jeunesse disparue. La première mention que j’ai trouvée de watan avec le sens politique de  » patrie « , c’est dans un rapport de l’ambassadeur turc à Paris sous le Directoire… Il décrit ce que fait la République française pour les soldats qui ont été blessés au service de la patrie…

_ Puis la oumma (la communauté) l’a emporté sur le watan.

_ La oumma évidemment, c’est religieux. Et maintenant, si vous regardez le vocabulaire politique, on distingue très mal entre la nation et la communauté religieuse. Les fondamentalistes le font exprès, mais d’autres aussi ne distinguent pas très bien. A une certaine époque, je lisais la presse ottomane du XIX siècle. Dans les faits divers, à propos d’un accident dans la rue, on disait  » Un musulman est mort « . Ici, on dirait un homme. Pour le lecteur, c’était important de savoir si c’était un musulman, ou un Grec, ou un Arménien.

_ Il y a deux schémas  » islamistes « , celui, apparemment pro-occidental de l’Arabie et celui apparemment anti-occidental de l’Iran. Lequel progresse le plus à l’heure actuelle ? Certains orientalistes français prédisent une généralisation du système saoudien.

_ Si nous considérons la question en fonction d’une orientation pro-occidentale ou anti-occidentale, cela fausse le problème. Pour les fondamentalistes, la question essentielle n’est pas le rapport avec l’étranger ou avec les étrangers. C’est une question interne : le musulman a été détourné de la voie historique et authentique, de la voie de Dieu, depuis un siècle dans certaines régions, deux siècles dans d’autres, à cause de la domination ou de l’influence occidentales, et surtout à cause des traîtres prétendument musulmans, des gens qui portent des noms musulmans, mais qui sont des renégats, des apostats, et c’est contre eux que le djihad essentiel doit être mené. Le djihad c’est la guerre contre l’Infidèle, contre l’incroyant, mais aussi la guerre contre l’apostat.

_ Comment l’Algérie peut-elle échapper à ce piège ?

_ Là comme ailleurs, la répression peut continuer un certain temps, mais il faut aussi faire quelque chose pour améliorer la situation réelle des gens, parce que tout cela n’est pas exclusivement un mouvement culturel ou religieux. Cela vient également de mécontentements sociaux et économiques très profonds, et surtout de la croissance de la population sans aucun développement économique correspondant.

_ N’est-il pas trop tard pour ce genre de réponse ?

_ J’ai un collègue arabe qui dit que la seule solution pour ces pays, c’est le contrôle des naissances rétroactif…

_ Certains cyniques disent qu’après tout il faut que ces peuples aient leur expérience islamiste et qu’ils voient qu’elle n’a pas de réponse en termes de programme.

_ C’est vrai qu’ils n’ont pas de réponse, pas de solution pour ces problèmes. Un ami algérien m’a dit que le FIS (Front islamique du salut) est très populaire parce qu’il n’est pas au pouvoir. S’il vient au pouvoir, il perdra rapidement sa popularité. Mais s’ils arrivent au gouvernement, ils n’auront plus besoin de popularité. Leur présence au pouvoir risque de durer longtemps, et je ne vois pas comment l’Occident pourrait l’empêcher. Parce que la situation a changé de façon très profonde. Après l’écroulement de l’URSS et la guerre du Golfe, les deux superpuissances ont disparu : l’une ne peut plus et l’autre ne veut plus jouer un rôle impérial. Le temps où l’on se demandait ce que nous pouvons faire pour résoudre ces problèmes est passé. Ce sont leurs problèmes, c’est aux Arabes et aux autres musulmans de trouver une solution.

_ Croyez-vous à l’existence de liens plus ou moins secrets entre les Américains et certains pouvoirs ou mouvements islamistes ?

_ C’était vrai pendant la guerre froide, où certains ont trouvé que le fondamentalisme musulman était un allié contre le communisme, surtout en Afghanistan, mais aussi ailleurs. Maintenant c’est fini.

_ Comment voyez-vous l’évolution du régime en Iran ? A-t-il échoué, est-il en passe d’échouer, par rapport à ses propres objectifs ?

_ Ils ont conquis le pouvoir et ont réussi à s’y maintenir. Ils ont restauré certaines lois musulmanes, pas toutes. Par exemple, la polygamie _ qui avait été abolie par le chah _ mais pas le concubinage. D’un point de vue économique, la situation a nettement empiré. Le sort des gens est pire qu’avant. On m’a dit que l’on a vu ce graffiti en Iran :  » Pourquoi n’aviez-vous pas dit que vous vouliez la guerre, la famine, le sang ? Signé : Mohamed Reza-Chah « . Il est vrai aussi que le régime est bien en place, mais tôt ou tard il risque d’être remplacé par un nouveau Reza Khan (4). Des centres régionaux devenus plus forts pourraient apparaître, et la puissance de Téhéran en être diminuée. Un général quelconque pourrait venir avec son armée dans la capitale pour rétablir l’unité de la nation. C’est peut-être comme cela que finira la révolution islamique en Iran ; cela peut arriver demain ou dans cinquante ans.

_ En Turquie, on est frappé par le discrédit, en dehors de la bourgeoisie et de l’armée, qui frappe la laïcité kémalienne. La Turquie peut-elle être un point fort de la résistance à l’islamisme, ou évoluer vers un régime religieux ?

_ Les deux sont possibles. C’est un domaine où l’Europe peut avoir une parole décisive. La Turquie a fait une demande pour entrer dans l’Union européenne. La décision de l’Union aura des conséquences énormes. Si les Turcs se sentent rejetés par l’Europe, qu’ils essaient de rejoindre depuis plus d’un siècle, il y aura une forte possibilité que, par déception, ils se tournent vers l’autre côté.  » Si les Turcs se sentent rejetés de l’Europe, ils se tourneront de l’autre côté « 

_ Si la Turquie est dans l’Europe, cela veut dire que tous les Turcs peuvent y venir, s’ils le veulent…

_ Je ne nie pas que c’est un problème très sérieux pour l’Europe… mais aussi une question fondamentale pour la Turquie. Dans la Conférence des Etats islamiques, il y a 51 membres et pratiquement un seul y est doté d’un système démocratique : la Turquie…

_ Pourquoi les Turcs refusent-ils toujours de reconnaître le génocide arménien ?

_ Vous voulez dire reconnaître la version arménienne de cette histoire ? Il y avait un problème arménien pour les Turcs, à cause de l’avance des Russes et d’une population anti-ottomane en Turquie, qui cherchait l’indépendance et qui sympathisait ouvertement avec les Russes venus du Caucase. Il y avait aussi des bandes arméniennes _ les Arméniens se vantent des exploits héroïques de la résistance _, et les Turcs avaient certainement des problèmes de maintien de l’ordre en état de guerre. Pour les Turcs, il s’agissait de prendre des mesures punitives et préventives contre une population peu sûre dans une région menacée par une invasion étrangère. Pour les Arméniens, il s’agissait de libérer leur pays. Mais les deux camps s’accordent à reconnaître que la répression fut limitée géographiquement. Par exemple, elle n’affecta guère les Arméniens vivant ailleurs dans l’Empire ottoman.  » Nul doute que des choses terribles ont eu lieu, que de nombreux Arméniens _ et aussi des Turcs _ ont péri. Mais on ne connaîtra sans doute jamais les circonstances précises et les bilans des victimes. Songez à la difficulté que l’on a de rétablir les faits et les responsabilités à propos de la guerre du Liban, qui s’est pourtant déroulée il y a peu de temps et sous les yeux du monde ! Pendant leur déportation vers la Syrie, des centaines de milliers d’Arméniens sont morts de faim, de froid… Mais si l’on parle de génocide, cela implique qu’il y ait eu politique délibérée, une décision d’anéantir systématiquement la nation arménienne. Cela est fort douteux. Des documents turcs prouvent une volonté de déportation, pas d’extermination.

_ Les Turcs reconnaissent-ils même ce que vous dites là ?

_ Cela dépend de quels Turcs. Les autorités officielles ne reconnaissent rien. Certains historiens turcs vous donneraient des réponses plus nuancées.

_ En France, pays de tradition laïque et chrétienne, une minorité musulmane peut-elle s’intégrer vraiment à la société sans se renier, et sans pratiquer la double allégeance ?

_ En France, vous avez une longue expérience de l’immigration, mais pas musulmane. En Amérique aussi, il y a une longue expérience des immigrants, mais presque tous chrétiens ou juifs, et plus récemment des bouddhistes. L’Amérique est une nation politique, on est américain par choix, celui qu’on a fait soi-même ou le choix fait par les ancêtres. Dans un pays comme la France, la question se pose d’une autre façon. Théoriquement, je ne vois pas de raisons pour que des musulmans ne deviennent pas des Français de religion musulmane, comme il y a des Français de religion protestante ou autre. La difficulté est dans la nature de l’identité religieuse musulmane. Cette question a été longtemps discutée parmi les musulmans eux-mêmes. Quand la Reconquête a commencé en Espagne, les juristes musulmans ont considéré la question :  » Est-ce qu’un musulman peut vivre sous un gouvernement chrétien ?  » En général, ils ont répondu  » non « . Mais très tôt, les juristes ont atténué cette réponse : ils ont dit qu’on peut rester si l’on a la possibilité de pratiquer l’islam.  » Mais que signifie exactement,  » pratiquer l’islam  » ? Dans nos civilisations occidentales, la tolérance religieuse veut dire que les minorités ont le droit d’avoir leur lieu de culte et c’est tout, peut-être une certaine autonomie dans les affaires de la communauté. Tandis que pratiquer l’islam signifie vivre selon la loi sainte musulmane, ce qui, selon l’interprétation de certains de ses chefs de file, n’est pas compatible avec un Etat moderne. Voilà la difficulté, et cela se voit à de nombreux égards, comme le sort de la femme, du mariage, de l’héritage. C’est une véritable difficulté qui ne peut être résolue que par les musulmans eux-mêmes. Le problème se complique du fait que nombre d’immigrants musulmans viennent de régions rurales et traditionnelles et sont d’un coup transplantés dans des sociétés occidentales, laïques et modernes. Ils y découvrent des libertés inhabituelles, qu’ils peuvent même trouver suspectes, et en même temps se voient nier ce qu’ils tiennent pour une liberté fondamentale, celle de pratiquer leur religion à leur manière.  » Dans les Etats musulmans traditionnels, les chrétiens, quoique privés de certains droits en matière fiscale et politique, jouissaient d’une grande autonomie dans leurs affaires internes, y compris en matière de mariage, de divorce, d’éducation et d’héritage. Or un musulman qui vient de l’Algérie ou du Pakistan a une mémoire historique. Arrivant en Europe occidentale, il a beaucoup plus de liberté que ce qu’il attendait et beaucoup moins de liberté, parce qu’il n’a pas d’autonomie communautaire. D’où l’histoire du musulman qui rappelle qu’ayant permis aux chrétiens, chez lui, de pratiquer la monogamie, il ne comprend pas pourquoi on ne le laisse pas, chez nous, pratiquer la polygamie… « 

6 Responses to Turquie: Combien de massacres faut-il pour faire un génocide? (How many genocidal crimes does it take to make a genocide?)

  1. SD dit :

    « Qui se souvient du massacre des arméniens ? » A. Hitler

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  2. sonia dit :

    en quoi le massacre des Arméniens peut-il être qualifié de génocide ?

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  3. xet dit :

    et vous quand vous pourqoi massacré le peuple azerbeycan???? vous ete pas mieux que les autre avant de quiter la turquie vous avez massacrés combien de turque????des civiles femme enfant ont dit tjr tu recolte se que ta semer.

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  4. jcdurbant dit :

    Le mode d’emploi est ici et, s’il n’y a pas génocide, pourquoi toutes ces menaces sur les historiens qui tentent de le documenter?

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  5. […] l’heure où l’épuration ethnico-religieuse, quasiment réussie en Turquie au siècle dernier, est sur le point de transformer, sous nos yeux faute de fidèles, […]

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  6. jcdurbant dit :

    Pas d’accord pour les lois mémorielles mais oui pour le reste:

    Je suis favorable à la loi qui punit la négation. Elle a été votée par le Parlement mais retoquée par le Conseil constitutionnel. Le président de la République a promis de la représenter. L’État d’Israël doit aussi reconnaître le génocide arménien. Tant qu’il ne le fera pas, la Turquie ne reconnaîtra pas non plus le génocide. C’est le premier du siècle. Il existe beaucoup de témoignages, de documents, d’enquêtes. S’il avait été jugé à Versailles (en 1919), comme c’était l’intention des plénipotentiaires, celui des Juifs n’aurait probablement pas eu lieu. Il y a donc toutes les raisons de reconnaître ce génocide qui a été pratiquement planifié comme l’a été l’extermination des Juifs.

    Serge Klarsfeld

    http://www.tribunejuive.info/international/serge-klarsfeld-si-le-genocide-armenien-avait-ete-juge-celui-des-juifs-naurait-probablement-pas-eu-lieu

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