Affaire Enderlin: Quand l’idéologiquement vraisemblable se transforme magiquement en réalité (Blood libel redux)

Massacre of the innocents
https://i0.wp.com/www.whale.to/b/cartoo-10Dave-Brown_68351d.jpgIl dit à son peuple: Voilà les enfants d’Israël qui forment un peuple plus nombreux et plus puissant que nous. (…) Alors Pharaon donna cet ordre à tout son peuple: Vous jetterez dans le fleuve tout garçon qui naîtra … Exode 1 : 9 et 2: 22
Alors Hérode (…) envoya tuer tous les enfants de deux ans et au-dessous qui étaient à Bethléhem et dans tout son territoire … Matthieu 2:16
Il est 15h, tout vient de basculer près de l’implantation de Netzarim, dans la bande de Gaza. Les Palestiniens ont tiré à balles réelles, les Israéliens ripostent. Ambulances, journalistes et simples passants sont pris entre deux feux… Ici Jamal et son fils Mohammed sont la cible de tirs venus de la position israélienne. Mohammed a douze ans, son père tente de le protéger. Il fait des signes, mais… une nouvelle rafale, Mohammed est mort et son père gravement blessé. Charles Enderlin (20 h de France 2, 30 septembre 2000)
La mort de Mohammed annule, efface celle de l’enfant juif, les mains en l’air devant les SS, dans le Ghetto de Varsovie. Catherine Nay
Ce n’est pas une politique de tuer des enfants. Chirac (accueillant Barak à Paris, le 4 octobre 2000)
Un pauvre petit enfant chrétien se débat dans les affres d’une mort horrible, entouré des instruments de la passion, au milieu du ricanement des bourreaux ! Abbé Henri Desportes (Le Mystère du Sang chez les Juifs de tous les temps, 1889)
L’existence du peuple d’Israël n’est qu’une lutte constante contre l’instinct de la race, l’instinct sémitique qui attire les Hébreux vers Moloch, le dieu mangeur d’enfants, vers les monstrueuses idoles phéniciennes. Édouard Drumont (1914)
Au début du XXIe siècle, c’est un fait que la vieille et triste histoire de la légende du « crime rituel juif » n’est pas terminée. On connaît le principal motif de l’accusation de « crime rituel », forgée par l’antijudaïsme chrétien médiéval : l’affirmation qu’existe une coutume juive consistant à sacrifier chaque année un chrétien, un enfant de préférence, pour en recueillir le sang, qui doit servir à fabriquer la matza, le pain azyme consommé pendant la fête de Pâques . Le « crime rituel » par excellence, c’est l’infanticide rituel. L’abbé Henri Desportes, en 1889, dans son livre intitulé Le Mystère du Sang chez les Juifs de tous les temps, décrit ainsi un meurtre rituel ordinaire, illustration par excellence des « turpitudes talmudiques » (…) Plus tard, en 1914, Édouard Drumont avancera une explication racialiste de cette forme spécifique de criminalité (…) La question est ainsi réglée : chez les Juifs, le crime rituel est dans la race – dans le « sang de la race ». L’infanticide rituel, chez les Juifs, n’est pour Drumont que la manifestation périodique d’un instinct racial irrépressible. Cette accusation antijuive, d’origine européenne et chrétienne, a largement été acclimatée au XIXe siècle au Moyen-Orient. Dans ce nouveau contexte culturel, les enfants chrétiens ont été concurrencés puis remplacés par les enfants musulmans. On trouvait une récente mise en scène du stéréotype du Juif cruel et sanguinaire, criminel rituel, dans les caricatures, courantes dans les pays arabes jusqu’aux derniers mois de 2004, qui représentaient Ariel Sharon en vampire, les yeux injectés de sang, buvant du sang arabe, ou en ogre dévorant un ou plusieurs enfant(s) Palestinien(s). La représentation répulsive du « sioniste » en tant que criminel-né a été recyclée par le discours de propagande « antisioniste » présentant l’armée israélienne comme une bande de tueurs assoiffés de « sang palestinien », et plus particulièrement de tueurs d’enfants palestiniens, prenant plaisir à les tirer « comme des lapins ». De l’amalgame polémique « sionisme = racisme », on est passé au stade suprême de la propagande antijuive, fondé sur l’équation « sionisme = palestinocide », le « palestinocide » étant présenté de préférence comme un infanticide. Dans la construction du « sionisme » comme une entreprise génocidaire, les propagandistes font feu de tout bois : après avoir transformé les Palestiniens en symboles des pauvres, des humiliés et des offensés, puis en victimes de « l’impérialisme d’Israël » ou plus largement d’un « complot américano-sioniste » mondial, ils les transforment en enfants « martyrs ». Car c’est également par assimilation avec la légende du « crime rituel juif » que s’est opérée l’exploitation internationale, par toutes les propagandes « antisionistes », du prétendu assassinat par l’armée israélienne au cours d’une fusillade au carrefour de Netzarim (bande de Gaza), le 30 septembre 2000 (alors que commençait la deuxième Intifada), du jeune Palestinien Mohammed al-Dura. Le cameraman palestinien Talal Abu Rahma, travaillant pour France 2 en collaboration avec le journaliste Charles Enderlin – qui n’était pas présent à Netzarim sur le lieu de la fusillade -, avait filmé environ vingt-sept minutes de l’incident (constituant les rushes). La chaîne publique France 2 a diffusé le jour même, dans son Journal, l’image-choc du jeune Palestinien de 12 ans qui aurait été « tué de sang-froid » par des soldats israéliens. Cette image de l’enfant inerte, présentée par Charles Enderlin comme la preuve de la mort de l’enfant, a été diffusée et rediffusée par tous les médias de la planète, véhiculant et renforçant le stéréotype du Juif criminel et pervers, assassin d’enfants. Les effets d’incitation au meurtre de la diffusion de ces images ont été immédiats : le 12 octobre 2000, aux cris de « vengeance pour le sang de Mohammed al-Dura ! », des Palestiniens déchaînés ont mis en pièces les corps de deux réservistes israéliens. La haine et la violence meurtrière contre les Juifs paraissaient justifiées. C’est pourquoi la Seconde Intifada, avec ses effets d’imitation hors des lieux du conflit, a été lancée sur le marché médiatique mondial d’un façon particulièrement efficace par ce montage d’images destiné à provoquer l’indignation. Dans l’opinion occidentale, on a pu observer des réactions semblables à celle d’une journaliste fort estimable par ailleurs, Catherine Nay : « La mort de Mohammed annule, efface celle de l’enfant juif, les mains en l’air devant les SS, dans le Ghetto de Varsovie. » La suggestion est claire, et illustre parfaitement l’idéologie de la substitution : le « racisme anti-arabe » aurait remplacé le « racisme antijuif », l’arabophobie et l’islamophobie représenteraient la forme contemporaine de la judéophobie. Dans la société de communication planétaire, les images peuvent constituer des armes redoutables, dès lors qu’elle inspirent des désirs de vengeance et alimentent la propagande en faveur du Jihad mondial. L’historien américain Richard Landes voit à juste titre dans cette affaire de « martyr » ultramédiatisée, rejouant contre Israël l’accusation d’infanticide rituel, le « premier “meurtre rituel” du XXIe siècle ». (…) Telle est la tyrannie de l’idéologiquement correct, fondé sur un sommaire manichéisme : d’une part, les méchants agresseurs, incarnés par les soldats israéliens ; d’autre part, les innocentes victimes, représentées par les enfants palestiniens. C’est ainsi que l’idéologiquement vraisemblable se transforme magiquement en réalité. Pierre-André Taguieff

Suite à la dernière audience du procès en appel Enderlin-Karsenty

Excellente synthèse de Pierre-André Taguieff sur la dernière adaptation contemporaine de la légende du « crime rituel juif », à savoir l’Affaire Al Dura, concoctée par un cameraman palestinien membre du Fatah et le correspondant français de France 2 en Israël Charles Enderlin.

Légende qui, depuis l’Europe médiévale mais aussi déjà bien avant avec l’expulsion du peuple hébreu d’Egypte, a la vie dure et nombre de relais hélas parmi nos idiots utiles dans le journalisme ou l’intelligentsia …

Imposture médiatique et propagande « antisioniste » : une adaptation contemporaine de la légende du « crime rituel juif

Pierre-André Taguieff (directeur de recherche au CNRS, Paris)
Media-Ratings
22 novembre 2007

Ce texte de Pierre-André Taguieff est extrait d’un ouvrage à paraître en février 2008, portant sur « l’identité juive et ses ennemis », du XVIIIe siècle à nos jours.

Il a été préalablement publié sur un autre média.

Toutefois, sous la pression d’amis de Charles Enderlin, les responsables de ce site ont suspendu la publication de ce texte au bout de quelques heures.

Cela donne une idée de l’atmosphère intellectuelle qui règne actuellement à Paris autour de cette affaire.

Au début du XXIe siècle, c’est un fait que la vieille et triste histoire de la légende du « crime rituel juif » n’est pas terminée. On connaît le principal motif de l’accusation de « crime rituel », forgée par l’antijudaïsme chrétien médiéval : l’affirmation qu’existe une coutume juive consistant à sacrifier chaque année un chrétien, un enfant de préférence, pour en recueillir le sang, qui doit servir à fabriquer la matza, le pain azyme consommé pendant la fête de Pâques . Le « crime rituel » par excellence, c’est l’infanticide rituel. L’abbé Henri Desportes, en 1889, dans son livre intitulé Le Mystère du Sang chez les Juifs de tous les temps, décrit ainsi un meurtre rituel ordinaire, illustration par excellence des « turpitudes talmudiques » : « Un pauvre petit enfant chrétien se débat dans les affres d’une mort horrible, entouré des instruments de la passion, au milieu du ricanement des bourreaux ! » Et de s’indigner devant « cet immense rouleau d’horreurs, engendrées par la haine judaïque ». Plus tard, en 1914, Édouard Drumont avancera une explication racialiste de cette forme spécifique de criminalité : « L’existence du peuple d’Israël n’est qu’une lutte constante contre l’instinct de la race, l’instinct sémitique qui attire les Hébreux vers Moloch, le dieu mangeur d’enfants, vers les monstrueuses idoles phéniciennes. » La question est ainsi réglée : chez les Juifs, le crime rituel est dans la race – dans le « sang de la race ». L’infanticide rituel, chez les Juifs, n’est pour Drumont que la manifestation périodique d’un instinct racial irrépressible.

Cette accusation antijuive, d’origine européenne et chrétienne, a largement été acclimatée au XIXe siècle au Moyen-Orient. Dans ce nouveau contexte culturel, les enfants chrétiens ont été concurrencés puis remplacés par les enfants musulmans. On trouvait une récente mise en scène du stéréotype du Juif cruel et sanguinaire, criminel rituel, dans les caricatures, courantes dans les pays arabes jusqu’aux derniers mois de 2004, qui représentaient Ariel Sharon en vampire, les yeux injectés de sang, buvant du sang arabe, ou en ogre dévorant un ou plusieurs enfant(s) Palestinien(s). La représentation répulsive du « sioniste » en tant que criminel-né a été recyclée par le discours de propagande « antisioniste » présentant l’armée israélienne comme une bande de tueurs assoiffés de « sang palestinien », et plus particulièrement de tueurs d’enfants palestiniens, prenant plaisir à les tirer « comme des lapins ». De l’amalgame polémique « sionisme = racisme », on est passé au stade suprême de la propagande antijuive, fondé sur l’équation « sionisme = palestinocide », le « palestinocide » étant présenté de préférence comme un infanticide. Dans la construction du « sionisme » comme une entreprise génocidaire, les propagandistes font feu de tout bois : après avoir transformé les Palestiniens en symboles des pauvres, des humiliés et des offensés, puis en victimes de « l’impérialisme d’Israël » ou plus largement d’un « complot américano-sioniste » mondial, ils les transforment en enfants « martyrs ». Car c’est également par assimilation avec la légende du « crime rituel juif » que s’est opérée l’exploitation internationale, par toutes les propagandes « antisionistes », du prétendu assassinat par l’armée israélienne au cours d’une fusillade au carrefour de Netzarim (bande de Gaza), le 30 septembre 2000 (alors que commençait la deuxième Intifada), du jeune Palestinien Mohammed al-Dura .

Le cameraman palestinien Talal Abu Rahma, travaillant pour France 2 en collaboration avec le journaliste Charles Enderlin – qui n’était pas présent à Netzarim sur le lieu de la fusillade -, avait filmé environ vingt-sept minutes de l’incident (constituant les rushes). La chaîne publique France 2 a diffusé le jour même, dans son Journal, l’image-choc du jeune Palestinien de 12 ans qui aurait été « tué de sang-froid » par des soldats israéliens. Cette image de l’enfant inerte, présentée par Charles Enderlin comme la preuve de la mort de l’enfant, a été diffusée et rediffusée par tous les médias de la planète, véhiculant et renforçant le stéréotype du Juif criminel et pervers, assassin d’enfants. Les effets d’incitation au meurtre de la diffusion de ces images ont été immédiats : le 12 octobre 2000, aux cris de « vengeance pour le sang de Mohammed al-Dura ! », des Palestiniens déchaînés ont mis en pièces les corps de deux réservistes israéliens. La haine et la violence meurtrière contre les Juifs paraissaient justifiées. C’est pourquoi la Seconde Intifada, avec ses effets d’imitation hors des lieux du conflit, a été lancée sur le marché médiatique mondial d’un façon particulièrement efficace par ce montage d’images destiné à provoquer l’indignation. Dans l’opinion occidentale, on a pu observer des réactions semblables à celle d’une journaliste fort estimable par ailleurs, Catherine Nay : « La mort de Mohammed annule, efface celle de l’enfant juif, les mains en l’air devant les SS, dans le Ghetto de Varsovie. » La suggestion est claire, et illustre parfaitement l’idéologie de la substitution : le « racisme anti-arabe » aurait remplacé le « racisme antijuif », l’arabophobie et l’islamophobie représenteraient la forme contemporaine de la judéophobie. Dans la société de communication planétaire, les images peuvent constituer des armes redoutables, dès lors qu’elle inspirent des désirs de vengeance et alimentent la propagande en faveur du Jihad mondial .

L’historien américain Richard Landes voit à juste titre dans cette affaire de « martyr » ultramédiatisée, rejouant contre Israël l’accusation d’infanticide rituel, le « premier “meurtre rituel” du XXIe siècle » . À la suite de nombreuses contre-enquêtes mettant en cause la chaîne publique de télévision française, France 2, qui avait diffusé le court montage d’images (50 secondes) qui a fait le tour du monde, alimentant la haine à l’égard d’Israël et des Juifs, la mystification a commencé, à l’automne 2007, à être reconnue. À une mise en scène organisée par des palestiniens sur place se serait ajoutée la sélection d’images due à Charles Enderlin et aux responsables de France 2 . Fin septembre 2007, le directeur du Bureau de presse gouvernemental israélien, Danny Seaman, a estimé publiquement que les images ont fait l’objet d’une manipulation de la part du caméraman Talal Abu Rahma. Cette intervention significative est le résultat d’initiatives individuelles qui, en dépit des sarcasmes, se sont poursuivies en vue de d’établir les faits, indépendamment des rumeurs. Outre les universitaires Richard Landes et Gérard Huber, les journalistes Denis Jeambar, Daniel Leconte et Luc Rosenszweig ont contribué à mettre en doute la conformité du reportage avec la réalité des événements. Mais c’est surtout grâce aux efforts de Philippe Karsenty que l’icône victimaire al-Dura s’est transformée en « affaire al-Dura ». Après avoir visionné et analysé, avec d’autres observateurs, les rushes de France 2, Philippe Karsenty, jeune chef d’entreprise français qui dirige une agence de notation des médias, Media Ratings, s’est engagé dans un combat difficile en diffusant sur son site, le 22 novembre 2004, les conclusions de son examen critique, qualifiant de « supercherie » sur la base d’une « série de scènes jouées » le reportage du correspondant permanent en Israël, Charles Enderlin, responsable du montage et du commentaire des images. Philippe Karsenty n’a pas hésité à affirmer qu’il s’agissait d’un « faux reportage » et d’une « imposture médiatique », bref d’un reportage truqué. La direction de France 2 et son journaliste Charles Enderlin ont engagé des poursuites contre Philippe Karsenty qui, après avoir été jugé coupable de diffamation en première instance, le 19 octobre 2006, par la 17e chambre correctionnelle de Paris, a fait appel. À la demande de la 11e chambre de la Cour d’appel de Paris, les rushes filmés par le cameraman palestinien ont été visionnés et commentés par les deux parties au cours de l’audience du 14 novembre 2007. Mais, sur les 27 minutes de rushes qui avaient été annoncées, France 2 n’en a présenté que 18, lesquelles donnent à voir notamment des répétitions de mise en scène de fausses fusillades, avec de faux blessés, ce qui suffit à jeter le doute sur le sérieux du reportage. Ce qui est sûr, c’est qu’il y avait un dispositif de mise en scène chez les Palestiniens présents sur les lieux. L’examen du fond de l’affaire a été fixé au 27 février 2008. Selon plusieurs articles de presse, le soupçon de truquage a été renforcé par le visionnage des rushes. La dépêche de l’AFP du 14 novembre 2007 a fort bien caractérisé le point en litige : « Alors que le reportage se terminait sur une image de l’enfant inerte, laissant à penser qu’il était mort à la suite des tirs, dans les rushes, on voit, dans les secondes qui suivent, l’enfant relever un bras. C’est un des éléments qui poussent M. Karsenty à affirmer qu’il y a eu mise en scène. » En déclarant que l’agonie de l’enfant avait été filmée, Charles Enderlin a menti. Rien de tel n’avait été filmé. Le « mort en direct » de l’enfant n’a pas eu lieu. Si ces rushes n’ont pas été présentés lors de l’audience du 14 novembre 2007, c’est tout simplement parce qu’ils n’existent pas. Il s’ensuit qu’il n’y a aucune preuve que l’enfant a été tué. Ce qui n’exclut pas bien sûr que l’enfant, au cas où il aurait été touché, soit décédé à la suite de ses éventuelles blessures. Mais nous ne disposons d’aucune preuve de ce décès.

Il reste à s’interroger sur les raisons qui ont conduit le professionnel aguerri qu’est Charles Enderlin à sombrer dans la faute professionnelle. Il faut tout d’abord tenir compte de la forte pression idéologique qui s’exerçait au début de l’Intifada Al-Aqsa. En février 2005, s’interrogeant sur le fait que les soldats israéliens avaient été si facilement accusés, sans la moindre preuve, d’avoir tiré sur l’enfant, le journaliste Daniel Leconte avait justement relevé qu’il existait une « grille de lecture de ce qui se passe au Proche-Orient » , et que les commentateurs avaient une forte tendance à y adapter les événements relatés, moyennent quelques « corrections » et accommodations. Telle est la tyrannie de l’idéologiquement correct, fondé sur un sommaire manichéisme : d’une part, les méchants agresseurs, incarnés par les soldats israéliens ; d’autre part, les innocentes victimes, représentées par les enfants palestiniens. C’est ainsi que l’idéologiquement vraisemblable se transforme magiquement en réalité. En outre, n’étant pas présent à Netzarim sur le lieu de la fusillade supposée, le journaliste Charles Enderlin, vraisemblablement saisi par le désir du scoop, a pu être manipulé par son caméraman palestinien qui, membre du Fatah, n’a jamais caché son engagement politique. Quand Talal Abu Rahma a reçu un prix, au Maroc, en 2001, pour sa vidéo sur al-Dura, il a déclaré à un journaliste : « Je suis venu au journalisme afin de poursuivre la lutte en faveur de mon peuple. » Quoi qu’il en soit, Richard Landes, présent lors de cette audience, a relevé le fait qu’il manquait dans les rushes présentés le 14 novembre par France 2 et Charles Enderlin à la Cour d’appel de Paris « les scènes les plus embarrassantes pour eux, notamment la scène du jeune au cocktail Molotov avec une tache rouge au front », avant d’ajouter : « Aux États-Unis, la présidente de la Cour aurait dit : “Comment osez-vous nous dire que vous avez enlevé les passages qui vous semblaient sans rapport ? C’est à nous de décider” » .

Mais le mal a été fait, et la rumeur criminalisante lancée. Innocente de ce dont on l’accusait, l’armée israélienne est devenue la cible de campagnes de diffamation destinées à ternir l’image d’Israël. En outre, exploitée par la propagande des islamistes radicaux, l’image du « petit Mohammed »-martyr a « sonné l’heure du Jihad mondial dans le monde musulman » , un an avant les attentats antiaméricains du 11 septembre 2001. Cette image a paru confirmer l’une des affirmations récurrentes des hauts dirigeants d’Al-Qaida, selon laquelle les Juifs et leurs alliés américains « tuent les musulmans », ce qui justifiait le déclenchement du « Jihad défensif », impliquant l’obligation pour tout musulman de combattre les agresseurs des musulmans ou les envahisseurs des « terres musulmanes », bref tous les « ennemis de l’Islam » .

Les islamistes palestiniens n’ont pas manqué d’instrumentaliser dans la guerre politico-culturelle qu’ils mènent contre « l’ennemi sioniste » ou plus simplement « les Juifs ». Le Hamas s’est ainsi lancé dans une opération d’endoctrinement des jeunes enfants palestiniens dans la perspective du Jihad, en sloganisant l’accusation visant les Juifs comme « tueurs d’enfants ». Chaque vendredi après-midi, sur la chaîne satellitaire du Hamas, Al-Aqsa TV, est diffusée une émission pour enfants intitulée « Les Pionniers de demain ». La star de cette émission, très regardée par les enfants de tout le monde arabe, est une abeille géante nommée Nahoul. Le journaliste du Monde Benjamin Barthe présente ainsi cette émission de propagande : « Durant une demi-heure, Nahoul et la jeune présentatrice Saraa interprètent une série de sketches entrecoupés d’interventions de spectateurs par téléphone. Les scénarios mêlent devinettes, conseils pratiques (“Les bienfaits de l’ananas”) et morale familiale (“Pourquoi il faut aimer sa mère”) à une forte dose de propagande islamiste, truffée d’apologie du “martyre” et d’incitation à la haine des “Juifs”. »

L’abeille Nahoul a remplacé la souris Farfour, personnage ressemblant à Mickey Mouse, dont l’un des messages, au printemps 2007, avait été un appel à libérer « les pays musulmans envahis par les assassins ». Réagissant à une menace de procès par la compagnie Disney, Al-Aqsa TV a décidé de sacrifier Farfour, non sans une ultime provocation, qui a consisté à mettre en scène la mort de la souris islamiste, victime de l’extrême violence d’un interrogateur israélien, désireux de lui voler sa propriété . Le mot de la fin a été prononcé par la présentatrice Saraa : « Farfour est mort en martyr en protégeant sa terre, il a été tué par les tueurs d’enfants. » L’intention directrice de l’émission est parfaitement exprimée dans le charmant dialogue destiné à présenter le nouveau personnage :

« – Saraa : Qui es-tu ? D’ou viens-tu ?

– Nahoul : Je suis Nahoul l’abeille, le cousin de Farfour.

– Saraa : Qu’est-ce que tu veux ?

– Nahoul : Je veux suivre les pas de Farfour
.

– Saraa : Ah ? Comment ça ?


Nahoul : Oui, le chemin de l’Islam, de l’héroïsme, du martyr et des Moudjahidines. Nous prendrons notre revanche sur les ennemis d’Allah, les assassins d’enfants innocents, les tueurs de prophètes, jusqu’à ce que nous libérions Al-Aqsa de leur impureté…


Saraa : Bienvenue, Nahoul. »

L’objectif d’une telle émission est clair : conduire les jeunes téléspectateurs à intérioriser cette représentation du Juif comme criminel et infanticide afin de les disposer à devenir des combattants fanatiques. La légende du « crime rituel juif », réactivée par l’exploitation symbolique de la « mort en direct » du jeune al-Dura, est devenue une source d’inspiration pour toutes les formes culturelles de la propagande antijuive contemporaine, des timbres-poste et des affiches à l’effigie d’al-Dura aux émissions interactives de télévision. Il est hautement significatif que, face aux critiques, Hazem Sharawi, le jeune concepteur des « Pionniers de demain », ait ainsi défendu son émission : « Nous ne faisons que refléter la réalité. Regardez ce qui est arrivé à Mohammed al-Dura… ». Pour les professionnels de la criminalisation des Juifs, l’absence de preuve de la mort d’al-Dura est devenue la preuve par al-Dura. La poupée engagée a donc continué à prêcher le Jihad. Le journaliste du Monde souligne l’association récurrente entre l’appel au Jihad et le thème répulsif du « Juif tueur d’enfants » : « Dans un épisode diffusé fin juillet [2007], l’abeille islamiste parle de libérer la mosquée Al-Aqsa, dans la Vieille Ville de Jérusalem, des “impuretés des Juifs criminels”. À une petite spectatrice qui explique par téléphone vouloir devenir “journaliste”, Nahoul conseille de “photographier les Juifs quand ils tuent les enfants”. Puis une autre fillette appelle et clame que, une fois grande, elle sera une “combattante du Jihad”. “Si Dieu le veut”, répond Saraa, comblée par la ferveur islamiste de son très jeune public. »

On ne saurait sous-estimer ni l’importance, ni la gravité des conséquences de cette opération de propagande, qui a touché le public planétaire. Elles ne pourront jamais être totalement effacées, quels que soient les résultats de la contre-offensive intellectuelle récemment lancée par des universitaires et des journalistes soucieux de rétablir la vérité. Le pseudo-reportage de France 2, qui a puissamment servi à diaboliser et à criminaliser Israël, tout en alimentant le discours des partisans du « Jihad défensif » mondial, aura produit une « affaire al-Dura » qui ne fait vraisemblablement que commencer. On attend avec autant d’impatience que de scepticisme l’intervention, sur cette abominable affaire, des professionnels de « l’éthique des médias », trop souvent abonnés aux colloques ronronnants dont l’une des fonctions est précisément d’écarter toutes les « questions qui fâchent ». L’affaire Dreyfus pourrait être à cet égard exemplaire. Lorsque Lucien Herr et Bernard Lazare se lancèrent dans le combat, ils paraissaient isolés autant que vulnérables en leur quête de justice et de vérité. Et pourtant, le courage et la lucidité militante d’un petit groupe de citoyens déterminés ont fini par vaincre toutes les puissances sociales coalisées, l’état-major, l’armée et l’Église. Un contre-pouvoir animé par des idéaux a détruit le système bâti par les faussaires et leurs complices, les fanatiques et les conformistes. La démocratie véritable n’est pas faite pour les endormis ni pour les pusillanimes.

Voir aussi le compte-rendu d’audience par Luc Rosenzweig:

Quelques remarques après l’audience de visionnage des rushes de France 2, le 14 novembre 2007, devant la Cour d’appel de Paris

par Luc Rosenzweig

Mis en ligne le 22 novembre 2007

Je me limiterai, dans ce compte-rendu d’audience aux éléments qui me paraissent essentiels pour la suite de l’affaire, tant sur le plan des faits que sur celui de la stratégie de défense de France 2 qui s’est dessinée lors de cette audience.

18 minutes ou 27 minutes ?

A l’origine du chiffre de 27 minutes, il y a la déclaration de Talal Abou Rahma affirmant sous serment devant Me Raji Sourani, du PCHR (Palestinian Centre for Human Rights), avoir filmé 27 minutes de la scène de fusillade, qui aurait, selon lui, duré environ 45 minutes. Lors de ma visite à Charles Enderlin, le 1er juillet 2004, et lors du visionnage des rushes au siège de France 2, le 22 octobre 2004, cette durée a été évoquée sans qu’Enderlin ni France 2 ne la contestent. Il y avait donc un consensus sur la longueur de la matière brute qui est à la base du sujet diffusé au JT de France 2 du 30 septembre 2000.

Chez Enderlin à Jérusalem, comme au siège de France 2, je n’étais pas dans un état d’esprit d’huissier de justice venant vérifier ce point, d’autant plus qu’il n’apparaissait pas comme litigieux. Je suis venu en journaliste pour voir si l’ensemble du matériel filmé dont disposait Charles Enderlin pouvait justifier le commentaire qu’il fit ce soir-là. Néanmoins, dans mon souvenir, je suis certain que le time code apparaissant à l’image lors de ces visionnages dépassait le chiffre vingt. Aujourd’hui, également, je suis certain que le DVD qui a été projeté devant le tribunal ne comporte pas toutes les scènes visionnées avec Arlette Chabot, Denis Jeambar, Daniel Leconte et des membres de l’état major de France 2 en octobre 2004. Cette conviction s’appuie sur l’échange que j’ai eu avec Didier Epelbaum, conseiller à la direction de France 2, pendant le visionnage, relatif à l’évidence d’une mise en scène pour un adolescent qui faisait une sorte de triple saut pour faire croire à une blessure reçue alors qu’il s’apprêtait à lancer un cocktail molotov. Cette scène, dont je suis maintenant absolument certain qu’elle figurait dans la bande vidéo montrée par la direction de France 2 aux personnes citées supra ne figurait pas dans le DVD fourni à la Cour.

J’ai cru entendre, mais cela reste à vérifier, que Charles Enderlin, lors de ses déclarations devant la Cour, avait détruit certaines images qui n’étaient pas directement liées à l’incident « Al Doura », comme il est courant dans le fonctionnement habituel d’un bureau de correspondant de télévision. Cela ne m’explique pas pourquoi la direction de France 2 a supprimé cette scène (au moins) du DVD présenté à la cour. Je précise que je suis prêt à faire cette même déclaration sous serment devant la Cour, si celle ci juge mon témoignage utile.

J’ai cru entendre, mais cela reste également à vérifier sur le PV d’audience, que Charles Enderlin aurait, pour faire son sujet, du 30 septembre 2000 utilisé également des images de Gaza tournées par l’agence Reuters. S’agirait-il alors des images qui manquent dans un DVD où l’on n’aurait retenu que les rushes envoyés à Charles Enderlin par Talal Abou Rahma ? Tout cela n’est pas sans importance : La Cour n’aura pas eu connaissance des images les plus évidemment mises en scène tournées ce jour-là.

De l’étrangeté de faire commenter des images par quelqu’un qui n’était pas sur place

Pour la première fois, Charles Enderlin avait daigné se déplacer en personne devant les juges. Il s’est livré à un commentaire, sur un ton docte et pontifiant des images du cameraman Talal Abou Rahma. Il est de notoriété publique que Talal Abou Rahma existe, qu’il fournit régulièrement des images de Gaza à France 2, et que sa liberté de mouvement est sans entraves : c’est d’ailleurs un argument utilisé par Enderlin et de France 2 d’affirmer que la latitude laissée par l’armée israélienne à Talal Abou Rahma d’entrer et de sortir de Gaza à sa guise vaut reconnaissance de validité factuelle des images qu’il a tournées au carrefour de Netzarim. Que n’est-il alors venu commenter en personne les images qu’il a tournées? Le chemin n’est guère plus long de Gaza à Paris que celui de Jérusalem à la capitale française effectué le 14 novembre par Charles Enderlin. Ce dernier est-il plus habilité à fournir le contexte de ces images que n’importe quel journaliste familier avec le conflit israélo-palestinien ? Nous n’étions pas, faut-il le rappeler, dans une conférence à Sciences-po, mais devant la justice qui cherche à faire la lumière sur une affaire controversée. Lorsque l’on est partie, il n’est pas admissible de se poser en expert extérieur à l’affaire comme a tenté de le faire Enderlin lors de l’audience. Ce tour de passe-passe ne devrait pas, en bonne justice, être avalisé par la présidente et ses assesseurs…

On aimerait connaître quelle version de ses nombreuses et contradictoires déclarations Talal Abou Rahma retient aujourd’hui concernant la durée de la fusillade, la durée de celle-ci filmée par lui, ce que sont devenues les images manquantes, l’heure à laquelle s’est déroulé l’incident, comment s’est effectué l’évacuation du père et de l’enfant etc. La justice française n’a pas, à ma connaissance, l’habitude de se contenter de témoignages de seconde main, quand l’acteur et le témoin direct des faits en cause peut être entendu…

Talal Abou Rahma en état de choc trois jours après les faits ?

La déclaration sous serment de Talal Abou Rahma relative à la fusillade de Netzarim devant Me Raji Sourani, faite le 3 octobre 2000 est très ennuyeuse pour France 2 et Charles Enderlin : elle est réduite à néant par les images, celles qui existent, comme celles qui manquent. Au fil du temps, Charles Enderlin s’est efforcé, par divers stratagèmes, de minimiser la portée et la valeur de ce témoignage. Tantôt il ne s’agissait que d’ un simple interview où les propos du caméraman auraient été déformés, tantôt, comme dans un entretien à Télérama, Enderlin mettait en doute la reconnaissance par l’ONU du PCHR, donc sa crédibilité, quitte a s’en excuser plus tard dans un fax embarrassé envoyé à un Raji Sourani qui avait modérément apprécié cette déclaration.

Lors de l’audience du 14 novembre, et cette fois-ci j’ai entendu distinctement les paroles d’Enderlin : il prétend que ces déclarations ne doivent pas être prises à la lettre en raison de « l’état de choc » dans lequel se trouvait à l’époque Talal Abou Rahma. On pourrait admettre, à la rigueur, que le cameraman, interrogé dans les minutes ou les heures ayant suivi ces scènes prétendument atroces, soit quelque peu confus dans ses déclarations. Mais trois jours après, un Talal Abou Rahma, présenté par ailleurs par France 2 comme un « baroudeur » de l’information télévisée, habitué à filmer sous les balles, aurait été dans un état psychologique tel qu’il faille tenir ses déclarations comme nulles et non avenues ? J’ai, pour ma part, visionné dans le bureau de Charles Enderlin des scènes tournées le lendemain de l’incident par la télévision palestinienne où l’on voit Talal Abou Rahma au chevet de Jamal Al Dura: l’homme est souriant, actif, et n’a aucunement l’air d’être sous l’effet d’un choc psychologique…

Où sont les scènes d’agonie, coupées parce qu’elles étaient trop atroces ?

Scripta manent…en 2003, Charles Enderlin, en réponse à un article de James Fallows dans la revue américaine Atlantic mettant en doute sa version de l’affaire Al Dura, envoyait un courrier en anglais à cette revue affirmant, pour justifier son commentaire des images, qui donne l’enfant mort et le père grièvement blessé, qu’il avait décidé de couper les scènes de l’agonie de l’enfant car elles étaient « too unbearable », « trop insupportables » pour un téléspectateur. L’audience du 14 novembre a démontré qu’aucune image plus « insupportable » que celles diffusées le 30 septembre 2000 n’est présente dans les rushes, et qu’a l’inverse, le plan final de 3 secondes qui clôt ces mêmes rushes, coupé dans le sujet montré au JT du 30 septembre 2000, montre l’enfant levant la jambe et jetant un regard furtif en direction de la caméra. Pour Mme Christine Delavennat, directrice de la communication de France 2, la diffusion de ces images, devant la 11ème Chambre de la Cour d’appel de Paris est un « non-événement » qui n’intéresse plus personne hormis une poignée d’irréductibles (déclaration, le 15 novembre ,à Brett Kline de la Jewish Telegraphic Agency). Charles Enderlin a désormais ordre de se murer dans le « no comment ». France 2, cherche, d’évidence à poser l’étouffoir sur cette affaire jusqu’à l’audience de février, car tout ce qui survient met à mal la thèse défendue par la chaîne publique. L’intérêt des médias américains et israéliens pour cette affaire est actuellement très grand, à juste titre .Ceux qui, aujourd’hui, dans les médias français, se font complices de cette opération silence se rendent coupable d’un grave manquement à l’éthique d’une profession à laquelle je ne sais plus si je dois encore m’honorer d’avoir appartenu.

Luc Rosenzweig

1 Responses to Affaire Enderlin: Quand l’idéologiquement vraisemblable se transforme magiquement en réalité (Blood libel redux)

  1. […] du petit Mohammed qui lancait la 2e intifada et contribuait largement  à mettre a feu et à sang le Moyen-Orient et une bonne partie du monde […]

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