Crise financière: A qui profite le crime? (Who profits from the crime?)

Obama's Chicago boys
Comme l’ont montré les faillites de la Banque Générale du Commerce et de la Banque Pallas, ainsi que la déconfiture de certains agents de change, il n’y a pas de garantie automatique en France. Cependant, l’affaire du Crédit Lyonnais montre bien que les mauvais gestionnaires des grandes banques tiennent en otage tant d’entreprises et d’emplois que les hommes de l’État aiment mieux voler des dizaines de milliards aux contribuables que de reconnaître qu’elles sont en faillite. Georges Lane et François Guillaumat
Le renflouement en catastrophe du peso était probablement devenu nécessaire… mais il porte en germe de futurs dérapages qu’il sera encore plus difficile et coûteux de rattraper. Paul Fabra (après le repêchage du Mexique)
L’intérêt des démocrates est de laisser penser que c’est un problème de déréglementation, de spéculation et d’excessive liberté économique, leur intérêt est aussi de faire peur, et je pense que les démocrates ne voulaient pas que le projet Paulson soit voté lundi dernier. Je pense que les démocrates voulaient que la dégringolade se poursuive. La peur peut pousser des électeurs encore indécis à se rallier derrière le candidat qui leur promettra diverses protections et qui incriminera le plus les méchants spéculateurs. Guy Millière
Alors que, comme nous le rappelions précédemment, le contresens continue sur la crise financière actuelle et que les démagogues démocrates se préparent, avec les encouragements d’une presse irresponsable, au hold up du siècle

Il faut lire, sur le blog de notre confrère drzz, la particulièrement éclairante explication de l’universitaire Guy Millière.

Qui confirme l’origine de la crise (non issue d’un manque mais d’un excès de réglementation) et la stratégie démocrate.

Comme les conséquences particulièrement délétères que pourrait avoir une élection de leur candidat et ce non seulement sur l’économie américaine mais sur le reste du monde.

Et notamment d’une Europe et d’une France dont elle viendrait renforcer et cautionner la traditionnelle obsession de l’interventionnisme …

Entretien avec Guy Millière: spécial crise économique
Drzz
Lundi 6 octobre 2008

(…) ce n’est pas une crise due à l’absence de régulation et à laquelle il faudrait répondre par davantage de régulation et de surveillance. Si on veut tirer des leçons utiles de ce qui est en train de se passer, il importe de ne pas se tromper de diagnostic.

Au départ, vous avez au contraire des distorsions introduites dans le marché financier qui sont venues y semer des incitations perverses et des risques excessifs et artificiels qu’on s’est ensuite efforcé de compenser. Vous avez ensuite des effets en cascade qui se disséminent. En l’occurrence, il faut voir comment s’est créée la bulle immobilière aux Etats-Unis. Au nom de politiques sociales, le gouvernement américain a quasiment forcé les banques et les institutions financières à accorder des prêts immobiliers à des gens dont la solvabilité était très hypothétique : les racines sont dans le Reinvestment Act voté en 1977 sous Jimmy Carter, puis reconduit et renforcé en 1994-95 sous Bill Clinton. Banques et institutions financières se sont exécutées. Les prêts étant très risqués, ils ont été garantis ou rachetés par deux entités para étatiques, celles qu’on appelle Fannie Mae et Freddie Mac. Ils ont fait aussi l’objet de procédures de titrisation et ont été introduits dans des produits financiers mis sur le marché et destinés à diluer les risques. La demande s’étant trouvée stimulée, le marché immobilier a gonflé, les prix ont monté de plus en plus fortement, ce qui, d’une part a permis le montage d’opérations financières reposant sur une anticipation de hausse incessante des prix de l’immobilier, d’autre part, une valorisation des produits. L’ensemble s’est trouvé lui-même renforcé par des taux d’intérêts maintenus artificiellement bas par le Federal Reserve Board. Quand les prix de l’immobilier ont cessé de monter et que des gens ont commencé à se retrouver en défaut de paiement, un doute a commencé à se disséminer quant à la valeur des prêts consentis et quant à celle des produits dans lesquels les prêts avaient été introduits par la titrisation. Les prix immobiliers ont commencé à chuter en divers lieux, ce qui a accentué le doute et l’a transformé en défiance. Des produits financiers se sont vendus à la baisse, entraînant des pertes pour les établissements qui les détenaient et les investisseurs. Les pertes ont suscité davantage de défiance encore. Des banques et des établissements financiers ont vu, entraînés dans la spirale, leur valeur s’effondrer. Certains ont été rachetés par d’autres établissements financiers pour un prix très bas, d’autres ont déposé leur bilan, Fannie Mae et Freddie Mac se sont retrouvés tout au bord d’un dépôt de bilan qui aurait signifié le dépôt de bilan de l’ensemble du système de prêts immobiliers aux Etats-Unis.

En résultat, les grandes banques d’investissement américaines ont ou bien disparu, comme Lehman Brothers, qui a déposé son bilan, ou bien été rachetées par d’autres, comme Bear Stearns, ou été restructurées. Des banques de dépôt ont subi le même sort, ainsi Washington Mutual, qu’on classe dans la catégorie des caisses d’épargne privée, ou Wachovia. Certaines, telle Citibank, ont été sauvées par une augmentation massive de capital venu de l’extérieur. La Federal Reserve Bank a dû reprendre certains établissements, accorder des liquidités à d’autres. La spirale ne cessera que lorsque le marché financier aura été assaini, lorsque les banques retrouveront confiance les unes en les autres, lorsque banques et institutions financières accorderont à nouveau des crédits.

Le projet Paulson n’a, comme on sait, pas été voté lundi dernier. Il l’a été, modifié, et, hélas, lesté de perspectives de dépenses nouvelles, par le Sénat mercredi, puis, le lendemain par la Chambre des représentants. L’objectif essentiel du projet Paulson est de retirer du marché et de racheter tous les titres douteux puis, une fois la confiance revenue, de les revendre. Les 700 milliards de dollars évoqués et demandés par Paulson sont censés servir à cette opération : ils ne sont pas censés constituer une dépense non recouvrable. Au pire, une part importante de cette somme reviendra dans les caisses du Trésor américain lorsque les titres seront revendus. Au mieux, comme le disent certains optimistes, l’opération pourrait être bénéficiaire pour le Trésor car, une fois la spirale brisée, la bourse pourrait remonter, ce qui permettrait d’établir un prix de vente plus haut. Je doute que l’opération puisse être bénéficiaire, et je crains que l’addition soit lourde pour les contribuables américains : sa lourdeur dépendra des perspectives politiques du pays au cours des prochains mois, et de la façon dont elles seront perçues par le monde des affaires.

Cela dit, si le mal n’est pas traité à la racine, tout cela n’aura servi qu’à reculer pour mieux sauter un peu plus tard, car les mêmes causes produiront tôt ou tard les mêmes effets. La seule réponse efficace dans le moyen terme sera d’en finir avec les prêts subprime, et de dissoudre et privatiser Fannie Mae et Freddie Mac. Il serait judicieux aussi de réfléchir au recours à la comptabilisation au prix du marché, en anglais mark to market, car celle-ci peut entraîner une dépréciation excessive d’actifs et de titres. J’ai peur qu’aucun candidat à la présidence ne soit prêt à s’engager dans cette voie. Chez les démocrates, on incrimine, comme on le fait en France, la dérèglementation, ce qui ne fait pas sens pour peu qu’on regarde les faits, et ce qui permet d’exonérer les décisions qui ont conduit à la situation présente et de reporter les torts sur l’administration Bush à qui on peut reprocher seulement de n’avoir pas démantelé un système pervers qui existait avant elle. Chez les républicains, certains ont soutenu d’emblée le projet Paulson, d’autres n’ont cessé de dire qu’il fallait laisser le marché régler lui-même les problèmes causés par des décisions irresponsables, ce de façon à ce que les leçons soient effectivement tirées. Je serais enclin, par principe, à me ranger sur la position de ces derniers. Je pense malheureusement que sans un assainissement rapide et un rétablissement de la confiance, la situation aurait risqué de s’aggraver très fortement dans les semaines à venir. C’est pourquoi je considère que, dans les circonstances actuelles, le projet Paulson constitue, provisoirement, la moins mauvaise solution. Je comprends l’animosité des contribuables américains envers leurs élus. Si cela peut les conduire à exiger de ceux-ci des décisions drastiques telles celles que j’ai suggéré plus haut, un mal débouchera sur un bien. Je crains, plutôt, que le discours démagogique et populiste tenu par les démocrates, et insuffisamment réfuté par les républicains, ne l’emporte, ce qui promettra des lendemains et des surlendemains douloureux, voire extrêmement douloureux.

DRZZ : Certains ont dit que la crise financière ne toucherait pas l’Europe…

MILLIERE : On commence tout juste à voir à quel point c’était là une affirmation absurde. La finance est mondialisée. Ce qui touche les Etats-Unis touche le monde entier. Il existe des liens d’interdépendance entre banques. Des produits financiers conçus et venus dans les conditions que j’ai décrites circulent sur la planète entière. Selon le degré auquel des banques européennes ont été impliquées dans l’achat et la détention des produits susdits, elles seront plus ou moins concernées. La vague de défiance se dissémine en tous cas. En Europe, les gouvernements et le public sont bien moins réticents face à des interventions de la puissance publique : on peut nationaliser des banques sans que cela pousse grand monde à s’interroger. Des discours tels ceux tenus par les démocrates aux Etats-Unis se font entendre assez largement en Europe. Des gouvernements vont saisir le prétexte de ce qui se passe pour exiger davantage de réglementation et davantage d’interventionnisme, ce qui ne fera qu’accentuer la tendance à la récession qui est déjà présente en Europe. Les investissements ne sont en mesure de produire leurs effets les plus féconds que si la main très visible des gouvernements ne prétend pas les guider et les canaliser.

DRZZ : Y a-t-il des conséquences sur la campagne électorale aux Etats-Unis ?

MILLIERE : Les conséquences sont évidentes, oui. Avant ces récents événements, John McCain pouvait apparaître comme avançant vers la victoire finale. La tourmente financière actuelle semble bénéficier à Barack Obama, et si les tendances actuelles se poursuivent, il l’emportera le 4 novembre prochain.

L’intérêt des démocrates est de laisser penser que c’est un problème de déréglementation, de spéculation et d’excessive liberté économique, leur intérêt est aussi de faire peur, et je pense que les démocrates ne voulaient pas que le projet Paulson soit voté lundi dernier. Je pense que les démocrates voulaient que la dégringolade se poursuive. La peur peut pousser des électeurs encore indécis à se rallier derrière le candidat qui leur promettra diverses protections et qui incriminera le plus les méchants spéculateurs. Une explication plus précise telle celle qui peut émaner du camp républicain, si le camp républicain la donne, est plus difficile à transmettre et à résumer en des messages simples. Les chances de McCain résideraient en son aptitude à expliquer que le problème tient à des interventions étatiques et à l’enrichissement personnel qui a résulté de ces interventions pour des gens situés à l’intersection du pouvoir politique et de structures telles que Fannie Mae et Freddie Mac. Elles résideraient aussi dans son aptitude à rappeler que ce qui a fait la prospérité des Etats-Unis a tenu à la liberté économique et non à l’interventionnisme, et donc à utiliser un populisme hostile aux politiciens et à l’interventionnisme en sa faveur. Entre un populisme hostile aux politiciens et à l’intervention de l’Etat, et un populisme hostile à la finance, le premier est à l’évidence bien moins délétère. Je crains que McCain n’explique pas, ou très insuffisamment. Nous verrons.

Si Obama devait l’emporter, je l’ai déjà dit, s’ouvrirait une période très difficile pour l’économie américaine, et plus difficile encore pour les économies européennes, qui dépendent pour partie de la croissance américaine. Des effets de déstabilisation toucheraient le reste du monde, pas simplement en termes de politique étrangère : la Chine dépend, ainsi, de la croissance américaine et de la consommation aux Etats-Unis. Je souris avec dérision en voyant à quel point nombre d’Européens souhaitent la victoire d’Obama : ou bien ils ne voient pas ce qui les attend, ou ils sont atteint de masochisme collectif.

Si, les chances existent encore, même si elles se font minces, McCain l’emporte, ce ne sera pas facile pour lui non plus : il devra se donner les moyens d’assainir les comptes et de rétablir les équilibres. Ce sera, pour autant, moins difficile pour lui, car il n’a pas fait de promesses redistributionnistes en de multiples directions comme Obama.

Obama élu ne pourrait satisfaire quasiment aucune des promesses qu’il a faites vis-à-vis du peuple américain, ce qui impliquerait des retours de manivelle très sérieux. Je ne suis pas certain que ceux qui pilotent Obama aient des idées précises sur ce qu’ils feraient d’une victoire si celle-ci est obtenue dans un contexte d’effondrement du système financier. Quelques analystes leur prêtent des idées très radicales, nettement à gauche, et plutôt socialistes, j’espère que ces analystes se trompent.

Ceux qui, en Europe, pensent qu’Obama se pilote lui-même devraient se pencher au plus vite sur les listes très longues de ses multiples conseillers, lire ce qu’écrivent ou ont écrit ces multiples conseillers, et écouter le flou fluctuant des réponses qu’Obama apporte à la plupart des questions qui lui sont posées. Le flou fluctuant peut séduire, il n’en est pas moins révélateur, et il est extrêmement loin de la possibilité de constituer un bon présage.

7 Responses to Crise financière: A qui profite le crime? (Who profits from the crime?)

  1. Sebaneau dit :

    La première calamité financière du politiquement correct
    http://lumiere101.com/2008/10/03/la-premiere-calamite-financiere-du-politiquement-correct/

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  2. jcdurbant dit :

    Merci pour cette mine d’infos et de commentaires effectivement très éclairants.

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  3. Max dit :

    Je pense que cette crise financière à été très largement orchestrée. Votre analyse est intérrèssante mais souffre d’un parti pris contre les démocrates américains complètement hors du sujet.
    La question est à qui profite crime?
    Les démocrates peuvent tirer parti de cette crise en employant toutes sortes d’arguments en leur faveur pour gagner l’élection, mais qui sont les vrais gagnants de cette crise?

    JP Morgan a racheté la Bears Stearns, la WaMu et devient la 2ème banque américaine.
    Des rumeurs courent sur l’idée que la chute de la Lehman Brothers à été entraînée par un refus de déblocage des fonds de la part de la même Morgan Chase…
    Qui a racheté quoi? Et pourquoi? Quelle banque s’est effondrée pour entraîner telle autre?
    On parle aussi de la Barclays, de la Citibank, deux énormes consortiums financiers qui luttent pour une influence mondiale, qui rachètent où se font renflouer par des centaines de millions de dollars…

    Force est de constater que les temps marchent en faveur d’un système financier global et privé et que les Etats démocratiques américains comme européens n’ont plus aucune emprise sur leur propre économie.
    Le laisser faire ultra libéral basée sur le crédit virtuel et la ‘confiance’ des investisseurs est aujourd’hui remis en cause…
    Ces grands de la finance international ont peut-être alors tout intérêt à laisser passer un gouvernement démocrate aux Etats Unis pour poursuivre ce processus de globalisation tout en profitant de leur « interventionnisme »…
    Alors qui tire les ficelles de ce système? Et d’où viennent ces milliards d’euros ou de dollars pour renflouer ce système?
    En sachant que ce système monétaire n’est plus contrôlé par les Etats, mais par des banques privées, comment ne pas penser que l’appât du gain et du pouvoir entraînent certains puissant financier à créer volontairement des crises pour en tirer le meilleur profit possible au dépend de populations entières…
    Alors je répète ma question à qui profite le crime?
    Qui abuse ouvertement de la naïve ‘confiance’ des créditeurs où de l’ignorance généralisée et de la garantie des Etats?

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  4. jcdurbant dit :

    J’ai effectivement jamais trop aimé ce genre de formule fleurant bon, comme la dernière coqueluche du web (« L’Argent-dette »), son conspirationisme, mais c’était surtout pour tordre le baton dans l’autre sens et contrer le tsunami idéologique antilibéral et anti-républicain ambiant.

    Et tenter de rappeler que, pendant des années, tout le monde (démocrates mais aussi des millions de gens ordinaires compris) y a largement trouvé son compte, la correction actuelle m’apparaissant surtout comme la logique redescente de gens qui pour l’essentiel en avaient très largement profité …

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  5. […] moment même (surprise!) où, pour faire passer leurs propres manquements et ceux de leurs banques renfloués massivement par les contribuables que nous sommes (et sans […]

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  6. deguisement dit :

    A présent ils n’ont même plus besoin d’idéologie et de dire des phrases, il font simplement croire qu’il y a la reprise, ou disent « Yes, we can » en lançant à travers la planète le mensonge maximal du « Stress-Test » des banques en falsifiant officiellement les bilans comptables, et ils font encore plus qu’avant et avec une démesure qui est tellement énorme que l’on croit que c’est eux qui détiennent la vérité: le greed est le credo et les États organisent l’État Providence Bancaire. Le Travailleur, le Déposant, l’Epargant, le Retraité, le Chômeur, le Pauvre n’ont qu’à être déjà content d’être tolérés dans cette marche immuable et nécessaire de leur monde. Ce happy-few-few avait au moins le luxe, autrefois, de faire des guerres pour éliminer des mutations de leurs sujets pour qu’ils se docilisent sous terre ou sur pieds. Ils vous ont aussi fait croire que ce n’est plus moderne de dire qu’il y a une lutte des classes. Depuis 89, les citoyens ont voulu y croire, je les tiens pour responsable de leur misère.

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  7. […] où, à mesure que commencent à s’estomper les pires effets d’une crise financière qui avait poussés les électeurs dans les bras d’un virtuel inconnu, font retour à la surface […]

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