Staline: L’autre enfance d’un chef (Portrait of the Dictator as a Young Thug)

La section du Parti communiste français désapprouve catégoriquement la publication dans Les Lettres françaises du portrait du grand Staline par le camarade Picasso. Communiqué du PCF (mars 1953)
On peut inventer des fleurs, des chèvres, des taureaux, et même des hommes, des femmes – mais notre Staline, on ne peut pas l’inventer. Parce que, pour Staline, l’invention – même si Picasso est l’inventeur – est forcément inférieure à la réalité. Incomplète, et par conséquent, infidèle. Aragon
Toute sa vie, Staline se comporta comme le chef incontesté d’une bande de criminels. Sauf que ce Bonnot-là siégeait au Kremlin! Il liquida ses anciens camarades bolcheviques sans état d’âme. Les Kamenev, Zinoviev, Boukharine et Trotski finirent comme les 39 000 personnes pour lesquelles il signa les condamnations à mort. Laurent Lemire

Pour ceux qui en étaient restés au fameux portrait de Picasso en une de l’hedomadaire culturel communiste qui, au lendemain de la mort du « Petit père des peuples », avait tant choqué ses commanditaires du PCF (lequel se rattrapera avec la désinformation sur la guerre de Corée)…

Ou pour ceux qui avaient encore des doutes sur les rapports entre le communisme et le terrorisme comme le grand banditisme …

« Houdini bolchevik », « comploteur professionnel », chef de gang bolchévique, pyromane, maître chanteur, auteur de hold-ups, racketteur, faux-monnayeur, kidnappeur, braqueur de banques ou de diligences, coureur de jupons, engrosseur de jeunes filles …

A l’heure où, dans la grande tradition onusienne, les observateurs de l’UE arrivent pour compter les morts dans une Géorgie apparemment pas encore très au fait des « exploits » de leur dictateur d’enfant du pays …

Retour sur la récente sortie, par l’historien britannique Simon Sebag Montefiore, du récit, très « Chicagoesque » et encore peu connu, de la jeunesse et de la résistible ascension du futur chef de gang bolchévique Iossif Djougachvili, alias « Sosso » et « Koba » avant le « Staline » de nos livres d’école.

Qui, grâce à la récente ouverture d’archives et dix ans de recherches, rappelle comment, entre deux hold-ups ou sabotages des raffineries Rotschild pour renflouer les caisses bolcheviks (40 cadavres, quand même, pour celui de Tiflis – l’actuelle Tbilissi – en 1907!), le fils unique d’un cordonnier géorgien et séminariste défroqué…

Ne quitta jamais vraiment jusqu’à sa mort « ce climat de gangstérisme, de conspiration et de paranoïa de sa Géorgie prérévolutionnaire »!

L’enfance d’un chef
Et Joseph devint Staline

L’historien britannique Simon Sebag Montefiore raconte les premières années du futur dictateur : une terreur en herbe, et le petit séminaire n’y changea rien…
Laurent Lemire
Le Nouvel Observateur

Lénine ou Trotski furent des petites frappes au regard de Staline. Non pas du Staline de fer, du «petit père des peuples», du titan sanguinaire et brutal qui a régné sans partage sur l’Union soviétique pendant un demi-siècle. Non, il s’agit ici du jeune Staline à côté duquel les deux autres font figure d’enfants de choeur. Après s’être brillamment attaqué il y a quelques années au Tsar rouge (ce qui lui valut les compliments appuyés d’un John le Carré), Simon Sebag Montefiore livre le fruit de dix années de recherches sur «Sosso», le diminutif de Staline dans sa prime jeunesse. «Une foule de documents nouveaux et hauts en couleur qui donnent corps à son enfance et à sa carrière de révolutionnaire, gangster, poète, séminariste, époux et amant prolifique, abandonnant femme et enfants illégitimes dans son sillage, demeuraient enfouis dans les archives récemment ouvertes au public, en particulier celles de Géorgie trop souvent négligées.» Au premier rang de ces archives se trouvent les Mémoires d’Ekaterina Geladze, dite «Keke», la mère de Staline, récemment exhumés des caves du Parti communiste géorgien.
L’historien britannique nous propose donc un plongeon inédit dans les abysses staliniens. Dans cette période prérévolutionnaire, le jeune Joseph se distingue comme le superparrain d’une pègre nihiliste sans foi ni loi : hold-up, racket, extorsions de fonds, incendies criminels, actes de piraterie et meurtre sont le lot quotidien de ce gangster cultivé qui impressionna tant Lénine. «Staline, rare amalgame, était un intellectuel doublé d’un tueur.» Ce porte-flingue de la révolution commence tout naturellement sa carrière par une attaque de banque, en 1907, dans la ville géorgienne de Tiflis (Tbilissi). De là part la légende. Simon Montefiore, lui, s’attache à reconstituer la réalité d’une jeunesse turbulente.

Comme Hitler, Staline fut battu par un père ivrogne dont le surnom, «Besso le dingue», suffit à décliner la personnalité. «Une fois, Besso jeta si violemment son fils au sol que celui-ci urina du sang pendant plusieurs jours.» La faculté de théologie où il est placé n’a rien d’une sinécure : «Les dortoirs, les petites brutes, la sodomie, les professeurs confits en dévotion.» Le jeune Staline trouve refuge dans la bagarre et dans les livres d’Hugo et de Zola cachés sous les surplis des séminaristes. Sous le pseudonyme de «Sosselo», ce «jeune homme aux yeux brûlants» compose des poèmes qui lui assurent une certaine notoriété. «En tant que poète, il témoignait d’un certain talent dans un autre domaine qui aurait pu constituer une alternative à la politique et au meurtre.» Mandelstam aura cette formule : «En Russie, on apprécie la poésie. Ici, on tue pour elle.»

Renvoyé du séminaire pour «propagande marxiste», Staline reste marqué par son éducation classique et demeure fasciné par la prépotence des prêtres. Il exerce divers métiers, dont celui de météorologue, mais le seul qui lui convienne est révolutionnaire. En 1905, à Bakou, il goûte à la terreur. «Ce fut en cette année de révolution que le jeune Staline, pour la première fois, commanda des hommes en armes, goûta au pouvoir et s’adonna au terrorisme et au grand banditisme.» Le biographe suit son personnage comme un agent de l’Okhrana, la police secrète du tsar. Il ne le lâche pas. A toutes les interrogations, à toutes les zones d’ombre, Montefiore apporte une réponse, un éclaircissement. Les deux fiancées perdues, la paysanne engrossée, les deux enfants illégitimes, rien n’échappe à cette enquête sur ce jeune homme magnétisé par le pouvoir et par le crime. Par une sorte de glissement de la conviction révolutionnaire à la cruauté, «Sosso» devient «Koba Staline», un marxiste fanatique au bras estropié. Un proche disait : «N’oublie pas ce nom et sois prudent.»

Toute sa vie, Staline se comporta comme le chef incontesté d’une bande de criminels. Sauf que ce Bonnot-là siégeait au Kremlin ! Il liquida ses anciens camarades bolcheviques sans état d’âme. Les Kamenev, Zinoviev, Boukharine et Trotski finirent comme les 39 000 personnes pour lesquelles il signa les condamnations à mort. «Jusqu’à son dernier jour, Staline ne cessa jamais de glorifier son passé et de cacher ses erreurs de jeunesse.» A la fin de ce livre saisissant, on comprend pourquoi Staline a opté pour le culte de la personnalité. «Trop mafieux pour un grand homme.» A cela ce fils de cordonnier géorgien préféra une «mystique de l’obscurité» fondée sur la terreur permanente. Trotski n’avait voulu voir en Staline qu’un provincial médiocre, sans doute pour rassurer son ego. Simon Montefiore redonne au tyran une image plus authentique. Elle n’en est que plus effrayante.

«Le Jeune Staline», par Simon Sebag Montefiore, trad. de l’anglais par Jean- François Sené, Calmann-Lévy, 500 p., 25,90 euros (en librairie le 10 septembre).

Voir aussi:

« Le Jeune Staline », de Simon Sebag Montefiore : Staline en gangster caucasien
Thomas Wieder
Le Monde des livres
18.09.08

Du passé faisons table rase ! Staline avait fait sien ce slogan. Au faîte de son pouvoir, le maître du Kremlin avait horreur qu’on fouille son passé. Quand les jeunesses communistes lui soumirent en 1938 un ouvrage sur ce thème, la réponse tomba comme un couperet : « Je conseille de brûler ce petit livre. » Et quand fut publiée dix ans plus tard une biographie officielle, l’intéressé fixa lui-même la place réservée à ses vingt premières années : quarante lignes.

Les curieux étaient donc prévenus. Ils eurent d’ailleurs le plus grand mal à enquêter sur le sujet. « Sur son enfance et sa jeunesse, il n’y a guère d’éléments d’appréciation dignes de foi, ni souvenirs de parents, ni mémoires de témoins, ni papiers de famille, ni lettres intimes, ni notes scolaires, ni essais d’adolescent », déplorait Boris Souvarine, auteur en 1935 de la première vraie biographie critique.

Souvarine avait tort. Les documents existent. Ils sont même fort nombreux. Encore fallait-il pouvoir les consulter. Du temps de l’URSS, les meilleurs biographes – notamment Robert Conquest – se sont tous heurtés à l’omerta officielle. La plupart des interdits sont désormais levés. Les boulimiques des archives peuvent donc travailler en paix.

Le Britannique Simon Sebag Montefiore appartient à cette espèce. On le savait depuis La Cour du tsar rouge (éd. des Syrtes, 2005), passionnante description de la vie quotidienne dans le Kremlin des années 1930. On en a la confirmation dans ce Jeune Staline, pour lequel il a sillonné neuf pays et vingt-trois villes. Il s’est notamment rendu partout où son héros était passé : à Moscou, mais aussi à Gori, en Géorgie, où Iossif Djougachvili est né le 6 décembre 1878 (et non en 1879 comme il le prétendit toute sa vie), à Tbilissi, sur les pas du séminariste féru de poésie géorgienne, mais aussi à Bakou, en Azerbaïdjan, où le jeune homme passa « d’apprenti à artisan de la Révolution » tout en travaillant dans les raffineries Rothschild.

Au cours de ces voyages, l’historien a déniché quantité de mémoires inédits, miraculeusement sauvés du pilon. Il a aussi rencontré quelques témoins d’un autre temps, comme cette femme de 109 ans à la mémoire intacte qui fut la belle-soeur du Petit Père des peuples… Même s’il n’est pas le premier à tenter l’exercice (1), il brosse du jeune Staline le portrait le plus complet qui ait été publié à ce jour. C’est au passage un tableau formidablement vivant du Caucase de l’époque, où l’on croise des paysans mal dégrossis, des popes un peu terrifiants, des barons du pétrole et tout un tas de personnages à l’honnêteté douteuse.

Au milieu de cette foule interlope, Staline, donc. Ou plutôt Sosso, car il n’adopta définitivement le pseudonyme de Staline qu’en 1917. L’image qu’en donne Montefiore est celle d’une petite frappe qui, après une enfance à la Dickens – père cordonnier et alcoolique au surnom évocateur : « Besso le dingue » -, devint en quelques années un vrai personnage de western.

Après son renvoi du séminaire – sans doute pour frasques sexuelles et non pour propagande marxiste, comme l’affirmèrent les biographies officielles -, Staline trouva un emploi de météorologue à l’observatoire de Tbilissi. Simple couverture, qui cachait une vie proche de celle d’un « parrain de la mafia ». Ses spécialités ? Hold-up, racket, contrefaçon, enlèvements. Il avait pour cela un homme de main : l’incontrôlable Kamo, qui n’hésitait pas à tuer si nécessaire…

L’étonnante impunité dont jouit le jeune gangster – comme plus tard la facilité avec laquelle il s’évada de prison ou de Sibérie – ne manqua pas d’éveiller les soupçons : Staline aurait travaillé pour l’Okhrana, la police secrète du tsar. Après d’autres, Montefiore balaie la rumeur. Staline était doué, voilà tout. Il savait comme personne semer les limiers les plus aguerris. Grâce à ses identités multiples – il avait une quarantaine de pseudonymes. Grâce aussi à ses talents en matière de travestissement. Plus d’une fois, Staline dut son salut à une robe ou à une perruque…

De telles qualités ne pouvaient pas laisser indifférents les professionnels de la révolution. Lénine, qui le rencontra en 1905 lors d’une réunion du parti bolchevique, comprit très vite ce qu’il pourrait attendre de cet « as de la conspiration ». Le parti avait besoin d’argent et ses chefs n’étaient pas regardants sur les méthodes. Or Staline n’avait pas son pareil pour braquer une banque ou une diligence…

L’un de ses « coups » les plus fameux fut l’attaque de la Banque d’Etat à Tbilissi en juin 1907. Un casse meurtrier mais lucratif, qui rapporta l’équivalent de 3 millions d’euros. La presse étrangère s’en fit l’écho. « Catastrophe », titra le quotidien français Le Temps, sans se douter que l’homme de 28 ans responsable de cette « catastrophe » régnerait pendant trente ans sur le plus grand empire du monde. On comprend mieux désormais pourquoi Staline répugnait à parler de sa jeunesse.

LE JEUNE STALINE de Simon Sebag Montefiore. Traduit de l’anglais par Jean-François Sené. Calmann-Lévy, 506 p., 25,90 €.

(1) Rappelons, en français, le synthétique Staline de Jean-Jacques Marie (« Naissance d’un destin », Autrement, 1998).

Voir également:

Staline, bandit géorgien!
Fils d’un artisan géorgien et d’une beauté ossète, il fut le roi du hold-up dans la Tbilissi d’avant-guerre. Il faut lire l’épatante biographie du jeune Staline.
Claude Arnaud
Le Point
le 11/09/2008

De l’iceberg Staline on ne connaissait que la partie émergée : l’idole rouge trônait comme un monstre de glace capable d’ordonner la mort de milliers d’opposants imaginaires en tirant sur sa pipe. Inconnu jusqu’en 1917, Staline avait pourtant passé une première vie, en Géorgie, à singer ses professeurs, à chanter avec de petites maîtresses et à rire avec des princes caucasiens ruinés. Fils unique d’un cordonnier géorgien et d’une beauté d’origine ossète, né en 1878 à Gori, le jeune Djougachvili avait même été un enfant ultrasensible, vénérant une mère légère que son mari battait copieusement.

Sa mère rêvait d’en faire un pope ? Au séminaire de Tiflis, l’actuelle Tbilissi, l’adolescent se découvre en croyant zélé, poète chantant l’âme géorgienne, puis rebelle hirsute dévorant en catimini les classiques du marxisme. Un charisme indéniable, une soif impressionnante de connaissances-il dévore Pouchkine, lit Whitman et Thackeray-, le jeune Djougachvili use de son charme, de son assurance, de sa mémoire implacable pour lever des troupes.

Dieu enseignait soumission et silence au séminariste ? Lénine lui apparut pour l’appeler à la lutte armée. A peine défroqué, le fougueux Géorgien organise des hold-up pour renflouer les caisses bolcheviks, n’hésitant jamais à sacrifier des innocents pour arracher leur magot à des Cosaques-l’écho du braquage qu’il organisa en 1907 à Tiflis fit le tour du monde, avec ses 40 cadavres. Expédié à Bakou, il devient le maître chanteur des Nobel, Rothschild et autres dénicheurs d’or noir et, Mauser au poing et foulard rouge au cou, lève l’impôt révolutionnaire en usant de gamins des rues comme informateurs. Traqué par la police secrète tsariste, il ne dort jamais au même endroit. Il peut se déguiser en femme pour échapper aux policiers, mais aussi bien les acheter. En retour, celui que Montefiore traite drôlement de « Houdini bolchevik » voit ses propres troupes infiltrées par l’Okhrana. Déjà suspicieux, le comploteur professionnel envoie alors nombre de camarades innocents ad patres ; c’est, pour finir, un traître en qui il eut jusqu’au bout confiance qui le fera expédier en Sibérie où, abandonné par le Parti, il se changera en loup solitaire et glacé, à jamais paranoïaque.

Quand le putsch révolutionnaire de 1917 éclate, l’exécutant prend sa revanche : lui qui n’a connu que dix mois de liberté depuis 1910 devient le lieutenant préféré de Lénine, avec Trotski. « On peut tout lui demander », s’enthousiasme le leader impatient. Calme, méthodique, implacable, « l’homme d’acier » qu’annonce son pseudonyme allait prouver que les moyens, en histoire, sont presque toujours les fins.

Fruit de dix ans de recherches dans le Caucase, cette biographie monumentale étourdit d’abord par son luxe de détails ; croyant aux faits plus qu’aux idées, l’historien anglo-saxon zappe les querelles idéologiques. Il préfère suivre les intrigues amoureuses croisées de ce tueur flamboyant dont la jeunesse s’avère bien plus romanesque que celle de Lénine ou de Trotski. Exécutant zélé de Lénine, détestant plus que lui encore les « buveurs de thé » et les belles âmes, Staline apparaît ici comme le plus fidèle serviteur de l’esprit bolchevik. Certain d’incarner le sens de l’Histoire, prêt à broyer tous les obstacles menaçant son avancée, le maréchal n’aurait « péché » que par ses forfanteries d’autodidacte, vite convaincu d’être le spécialiste de la discipline qu’il découvre. L’atroce ordre stalinien, avec ses 28 millions de déportés, découlerait moins de la cruauté maladive d’un homme que de ce climat de gangstérisme, de conspiration et de paranoïa qui régna dans la Géorgie prérévolutionnaire et que le Petit Père des peuples perpétua jusqu’à sa mort, dans son donjon du Kremlin, comme s’il dirigeait encore un groupuscule traqué. Le feuilleton vrai de Sebag Montefiore en vient à faire penser à « La résistible ascension d’Arturo Ui », la pièce où Bertolt Brecht retrace en style « Chicago » les débuts du gang nazi. Il montre surtout que l’apparatchik inculte dénoncé par Trotski cachait un être d’une redoutable complexité, guère plus fou que vous et moi, mais infiniment plus convaincu.

« Le jeune Staline », de Simon Sebag Montefiore. Traduit de l’anglais par J.-F. Sené (Calmann-Lévy, 498 pages, 25,90 E).

L’auteur

Né en 1965, Simon Sebag Montefiore a fait des études d’histoire au Gonville & Caius College de Cambridge avant de devenir banquier, puis de se consacrer à l’écriture. Déjà auteur de « Staline : la cour du tsar rouge » (Editions des Syrtes, 2003), il a publié « Le prince des princes : la vie de Potemkine » (Editions des Syrtes, 2000). Présentateur de documentaires à la télévision, il a sillonné l’ex-empire soviétique. Les Montefiore sont apparentés aux Rothschild, que le jeune Staline rançonna : la suite à la prochaine génération ?

Staline et ses femmes

Kato Svanidze, la première épouse de Staline. ? Tatiana Slavatinskaïa, sa maîtresse et compagne, avec qui il se trouvait quand il fut trahi et tenta d’échapper à la police en se déguisant en femme. ? Vera Chveitzer, avec qui il vivait au moment de la chute du tsar. ? Nadia Allilouïeva, qu’il rencontra en 1917.

Voir enfin:

Even after war, many Georgians revere Stalin
Dan Bilefsky
International Herald Tribune
October 1, 2008

GORI, Georgia: With his signature mustache, medal-encrusted Soviet marshal’s uniform and determination to be addressed as « Comrade, » the Stalin impersonator Jamil Ziyadaliev should perhaps be out of work in Georgia, a country still reeling from a war with Russia.

But Ziyadaliev, 64, an avuncular father of two who dresses as Stalin even on days off, insists that business has seldom been better. He is a frequent hired guest at weddings, where he dances to Soviet Katyusha music from World War II.

The benefits of looking eerily like the former dictator, he boasts, include free meals, free car repairs °X and free passage through Russian checkpoints.

« Looking like Stalin is like having a visa in Georgia, » said Ziyadaliev, a Muslim originally from Azerbaijan, who drove a taxi, peddled vegetables and worked as an accountant before deciding on a career as a modern incarnation of the brutal, diabolically brilliant Soviet tyrant.

« All Georgians respect Stalin, because he was a great leader who created a great empire °X and of course, he was the most famous Georgian who ever lived, » Ziyadaliev said.

Not everyone agrees. Nika Jabanashvili, a Georgian construction worker whose grandparents were deported by Stalin from Tbilisi to Central Asia as part of his repression of ethnic minorities, views Stalin as little more than a murderer.

« Stalin was a Satan, » he said. « He killed more people than Pharaoh. I don’t care if he was Georgian. He was a bad man. »

Whatever the range of opinions, an enduring cult of Stalin persists in this small but proud nation of 4.6 million, where the Georgian-cobbler’s-son-turned-20th-century-titan remains a towering if contentious figure. A recent survey on Tbilisi Forum, a popular political Web site, asked whether people were proud that Stalin was Georgian; a vocal minority of 37 percent of the several hundred respondents said yes, while 52 percent said no and 11 percent said they did not care.

Vakhtang Guruli, a historian of Georgia who works in the KGB archives in Tbilisi, said that most Georgians regarded Stalin as « higher than man, more than human and less than God. »

He said contemporary Georgian history books still lauded Stalin for vanquishing Hitler’s fascism and transforming the Soviet Union into an industrial superpower, even as they criticized him for engineering the Red Army invasion that ended Georgia’s short-lived independence in 1921.

Stalin’s lust for power, Guruli added, was a decidedly Georgian characteristic, the outgrowth of having an outsize ego in a tiny, macho country long consumed by banditry.

« Russians tend to forget that Stalin had a Georgian last name, Dzhugashvili, which was overshadowed when he adopted the nom de guerre of Stalin, meaning man of steel, when he was in his 30s, » Guruli said. « But every Georgian knows Stalin came from here. He may have given his execution orders in Russian, but he did so with a heavy Georgian accent » °X a lineage, Guruli said, that Khrushchev seized on after he denounced Stalin’s rule in 1956, mocking him and his henchmen as uncouth Georgian peasants.

Simon Sebag Montefiore, author of « Young Stalin, » which chronicles Stalin’s violent upbringing as an aspiring priest who became a Marxist revolutionary in Tbilisi, said that even when Stalin became the supreme Soviet leader, he retained a deep attachment to Georgia.

He wrote frequently to his mother here, vacationed in Abkhazian sea resorts and retained an abiding love of Georgian wine, food, poetry and folk music.

« There are two Stalins: the Russian Stalin and the Georgian Stalin, » Sebag Montefiore said. « In the Georgian version, Stalin is still the street Marxist, the Georgian boy from Gori. In the Russian version, Stalin is the most important leader of the 20th century and his Georgian identity has been laundered and Russified. »

Liana Imanidze, 71, whose grand home in Tbilisi has a sculpture of Stalin in the backyard and is decorated inside with a replica of his death mask perched on a pedestal, lamented that younger Georgians were ignorant about Stalin, including her own grandchildren, who she complained were more interested in Paris Hilton than in World War II.

She regretted that her Stalin-worshiping husband was « more in love with Stalin than with me, » but she nevertheless lauded Stalin as a flawed genius.

Sociologists here said the residual appeal resulted from the lack of historical reckoning about Stalin’s darker deeds after Georgia gained independence from the Soviet Union in 1991.

In Gori, Stalin’s birthplace, a dusty provincial town where a marble Stalin statue dominates the central square, toasts to « our great comrade » remain commonplace at births and weddings. Embarrassed Georgians in the Ministry of Interior said privately that they were disappointed a Russian bomb had not landed on the statue during the August war.

On a recent day at the Stalin Museum here, young Georgian staff members in Soviet military uniforms sold Stalin T-shirts, Stalin poetry books and bottles of red wine embossed with Stalin’s image, even as cleaners removed mortar left over from the recent Russian shelling.

Olga Topchishvili, the museum’s senior tour guide, said she had been extolling Stalin’s accomplishments for nearly 30 years, until three months ago, when the museum added a « gulag section. » The section consists of a laminated, letter-size piece of paper quoting three sentences from a 1997 issue of Pravda, the Russian newspaper: « About 3.8 million people were prosecuted between 1921 and 1954, » the paper says. « About 643,000 people were sentenced to death. And this happened in a country that experienced three revolutions, two world wars, one civil war and several local wars. »

Exact figures are unknown, but historians say the reality was far more murderous: that as many as 18 million people were sentenced to the gulag under Stalin, while up to 10 million peasants died or were killed in the collectivization of the early 1930s, and nearly one million people were executed in the purges of 1937-38.

But Topchishvili said the new exhibit was progress: « Until three months ago, no one wanted to talk about this part of history. »

Jacob Jugashvili, the dictator’s 36-year-old great-grandson, an artist in Tbilisi, said that if Georgians were nostalgic for Stalin, it was because he made a small country part of a great superpower. Jugashvili, who grew up in Moscow, said that when Georgians hear his famous surname, they almost always respond, « Stalin was Georgian; that is why he was great! »

Jugashvili, who favors the Westernized spelling of his name, said that growing up as Stalin’s great-grandson in 1980s Russia was emotionally difficult, as Stalin’s leadership was attacked under Mikhail Gorbachev. At that time, he said, Georgians were far more respectful of his legacy °X though in Vladimir Putin’s Russia, Jugashvili said, Stalin’s stature has again risen.

In 1989 he was in high school, « and perestroika had reached its boiling point, » he said, adding: « Moscow newspapers were publishing stories with the headline ‘Dzhugashvili Is a Killer!’ I was 16 years old and I was very upset. I didn’t know how to defend myself. »

These days, respect for Stalin can unite Georgians and Russians.

Nodari Baliashvili, 72, a Gori native who has a large tattoo of Stalin on his back and another of Stalin and Lenin on his chest, recalled that after war broke out in early August, he was working as a security guard at a bus depot when a Russian colonel burst in and pointed a pistol at him.

Baliashvili recalled that he took off his shirt and the colonel « put his gun down, kissed me on the cheek, gave me a bottle of vodka and chocolates, and said, ‘Grandpa, go home.’ « 

Baliashvili, who got the tattoos as a young soldier in the Soviet Army, said his own grandfather, a poor orphan from Gori, had been adopted by Stalin’s father, who made him an apprentice cobbler.

« I’m proud that Stalin comes from Gori, » Baliashvili said. « He built the USSR He brought order where there was chaos. Today, everything is for sale. »

COMPLEMENT (2010):

Quand Picasso refaisait le portrait de Staline

Philippe Dagen

Le Monde

26.12.2012

Aleksandr Arossev, directeur de la VOKS (l’Union des sociétés soviétiques pour l’amitié et les relations culturelles avec les pays étrangers), Joseph Staline, Romain Rolland et Maria Koudacheva au Kremlin, en 1935 à l’occasion de l’entretien entre le dictateur et « le plus grand écrivain du monde »

Staline meurt le 5 mars 1953. Louis Aragon demande à Pablo Picasso un portrait du grand homme, qui est publié le 12 mars à la « une » des Lettres françaises, hebdomadaire intellectuel du Parti communiste français.

Désastre. Picasso a dessiné une sorte de Staline jeune, la chevelure en forme de couronne, le regard un peu vague. Ce n’est pas le Staline des photographies officielles et des affiches, plus âgé, plus carré, plus souriant aussi.

Ni les militants ni les cadres du parti n’acceptent ce dessin. Aragon se livre à un exercice d’autocritique en souplesse et désavoue Picasso qu’il avait lui-même sollicité. « On peut inventer des fleurs, des chèvres, des taureaux, et même des hommes, des femmes – mais notre Staline, on ne peut pas l’inventer. Parce que, pour Staline, l’invention – même si Picasso est l’inventeur – est forcément inférieure à la réalité. Incomplète, et par conséquent, infidè le. » On appréciera la rhétorique.

Cet épisode appartient à la chronique des relations entre artistes et écrivains français, d’une part, et l’Union soviétique, de l’autre. Longtemps, ces rapports ont été le sujet de polémiques, que l’effondrement de l’URSS a rendu peu à peu moins vives. Mais ce même effondrement a eu, à retardement, une autre conséquence : il a rendu de moins en moins inaccessibles les archives soviétiques, essentielles pour écrire cette histoire de façon enfin complète.

De cette évolution, « Intelligentsia » est la manifestation publique. Elle confronte plus de trois cents documents issus d’institutions françaises – Archives des affaires étrangères, Archives nationales, BNF, Institut d’études slaves – à d’autres, venus pour la première fois de Russie, Archives d’Etat d’art et de littérature, Archives d’histoire sociale et politique.

La rencontre se présente sous la forme d’une exposition en tous points réussie, son très épais et précieux catalogue compris. Ainsi de la scénographie intelligente, qui évoque avec insistance le néoclassicisme monumental tant aimé des totalitarismes, mais dans des matériaux pauvres dont le peu d’éclat contredit l’idée même de monumentalité. Ainsi de la construction claire par chapitres, des plus anciens témoignages français sur la révolution d’Octobre jusqu’à la question des crimes du stalinisme et des dissidents. Ce qu’il y a à voir et à lire est assurément peu distrayant et demande du temps et de l’attention. Mais ces lettres, ces rapports, ces listes, ces carnets sont si instructifs que l’on peut passer un très long moment devant des feuillets dactylographiés et des photographies d’actualité sans ressentir le moindre symptôme d’ennui.

Soupçons réciproques

Dès 1917, les relations se placent sous le signe du soupçon. Les autorités de la IIIe République ne peuvent avoir la moindre sympathie pour des bolcheviks dont l’une des premières décisions est de se retirer de la guerre. Les rapports trop favorables et leurs auteurs sont immédiatement suspects aux yeux des administrations françaises civiles et militaires. La réciproque côté soviétique est d’autant plus vraie que, de nombreuses manières, la France contribue à l’armement des troupes « blanches » qui combattent jusqu’en 1921 l’Armée rouge organisée par Trotski.

Sa victoire détermine l’exil d’écrivains et d’artistes russes, qui, pour beaucoup, viennent à Paris. Ils en adoptent la langue, dans laquelle ils deviennent écrivains, de Joseph Kessel à Irène Némirovsky en passant par Nathalie Sarraute. Peintres, illustrateurs, savants : Paris est la capitale des Russes blancs, ce qui ne peut que déplaire à Moscou, où d’anonymes fonctionnaires accumulent des notes de police à la moindre déclaration ou attitude jugée « antisoviétique ».

C’est là l’une des plus remarquables nouveautés de l’exposition : elle donne à voir quantité de ces feuillets tapés à la machine, un peu pâles aujourd’hui, qui tiennent à jour la liste des ennemis de l’URSS – et celle, infiniment plus courte, de ceux auxquels la confiance ne peut être accordée.

Dans les années 1920 et 1930, bien peu d’intellectuels français sont tenus pour véritablement fiables à Moscou, le plus sûr étant Henri Barbusse. Les lettres qu’il adresse à Staline et les minutes manuscrites de leur rencontre créent le malaise. Autant il est aisé de comprendre comment les charniers de 1914-1918 ont fait de Barbusse un pacifiste définitif, autant le ton déférent et l’admiration dont il honore Staline le font apparaître dans le rôle peu enviable de l’honnête homme trompé – ce que l’on ne saurait penser d’Aragon, souple, si souple.

Des « amis » de l’URSS sous surveillance

Sur lui, Paul Eluard, André Malraux, Paul Nizan ou André Gide, les documents sont aussi efficaces. L’affaire du Staline de Picasso, le procès intenté et gagné par David Rousset en 1951 contre les Lettres françaises, qui le traitent de « falsificate ur » parce qu’il dénonce les camps en URSS, les critiques ironiques du stalinisme par Breton sont quelques-uns des moments d’affrontement parmi les plus intenses de l’après-guerre – et sont aussi parmi les mieux connus.

D’autres l’étaient moins. Marguerite Duras, exclue du PCF parce qu’elle ne peut admettre l’esthétique du réalisme socialiste, répond par une lettre indignée où elle doit se défendre contre l’accusation d’être une « put ain ». Après une dénonciation à laquelle, à en croire un des documents exposés, Jorge Semprun n’aurait pas été étranger, Robert Antelme est chassé du parti en 1956 parce qu’il se refuse à justifier l’invasion de la Hongrie par l’Armée rouge, d’accord sur ce point avec Picasso et ceux de ses amis qui signent alors avec lui une lettre ouverte de protestation.

Jusque dans les années 1970 et 1980, ce sont les mêmes procédés et les mêmes insultes, que Pierre Daix est l’un des derniers à subir. A son sujet, comme à celui de Duras et d’Antelme, on doit remarquer que la qualité d’ancien résistant et de déporté, loin de les protéger, paraît leur avoir valu un surcroît de suspicion de la part d’apparatchiks dont les états de service étaient loin d’être comparables, à commencer par ceux de Georges Marchais, qui fut secrétaire général du PCF de 1972 à 1994. « Intelligentsia » est donc une leçon d’histoire de premier ordre.

Intelligentsia, Ecole nationale supérieure des beaux-arts, 13, quai Malaquais, Paris 6e. Du mardi au dimanche de 13 heures à 19 heures. Jusqu’au 11 janvier 2013. Catalogue, 536 p., 49 €. France-russie2012.com

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