Russie: Chaque démission en appellera d’autres plus grandes (All Quiet on the Western Front)

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Tous les régimes totalitaires en fin d’existence demandent un rééchelonnement de leur dette démocratique. Frédéric Tellier
Ils ont fait plus fort que Hitler: parce qu’il y avait réellement des Allemands sur le territoire des Sudètes, tandis que Poutine a dû inventer de toutes pièces sa “minorité russe opprimée” en Géorgie. Stuart Koehl
Quel autre pays au monde peut en effet se permettre de raser des villes, de spolier les étrangers, d’assassiner les opposants hors de ses frontières, de harceler les diplomates étrangers, de menacer ses voisins, sans provoquer autre chose que de faibles protestations? Françoise Thom
C’est toujours la même chose. (…) La Russie se présente comme faible: il faut l’aider, se garder de l’humilier, consolider ses progrès. Elle se présente en même temps comme redoutable par son immensité, son armée, son arsenal atomique, son pétrole. Elle fait planer une vague menace. Elle pourrait être encore pire. Apaisons-la. Alain Besançon
Ce qui est au cœur du conflit pour Moscou, c’est la puissance perdue il y a près de vingt ans, l’humiliation d’un pays privé d’Empire et qui a essayé vainement de construire avec ses anciennes possessions une communauté d’un type nouveau, tandis que ses partenaires potentiels se dressaient contre lui et se tournaient vers l’Occident, les États-Unis, avant tout. (….) Si, moralement, la Russie a quelque peu perdu à déployer sa force, politiquement elle a gagné sur deux tableaux. A terme, elle a montré que son appui pouvait aider des peuples à disposer de leur destin, alors qu’il y a quelques mois à peine, la reconnaissance de l‘indépendance du Kosovo contre sa volonté semblait démontrer le contraire. Elle a aussi affaibli la Géorgie, non seulement militairement mais sur le plan international, diminué ses chances d’entrer rapidement dans l’Otan, et par là, mis un frein à l’éviction russe programmée du Caucase du Sud. Hélène Carrère d’Encausse
Il faut rappeler que Bush n’a pas cessé, depuis son accession à la présidence, d’œuvrer à l’isolement de la Russie aussi bien sur le plan économique que géographique. Marek Halter

« Complexe d’encerclement », « sphère d’influence », « rassurer, apaiser », protestations feutrées, appel au dialogue et à la négociation, « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et à l’autodétermination », « il ne fallait pas élargir l’OTAN, faire la guerre à la Yougoslavie, proclamer l’indépendance du Kosovo », « il ne fallait pas humilier la Russie », « Nous n’allons pas revenir à la guerre froide » …

A l’heure où, devant la pusillanimité occidentale, la Russie tente mine de rien de s’incruster sur le territoire géorgien …

Et où nos Carrière d’Encausse et nos Halter reprennent un à un et comme un seul homme les arguments de l’agresseur contre la prétendue irresponsabilité de l’agressé …

Il faut lire les excellentes analyses de deux de nos meilleurs soviétologues, Françoise Thom et Alain Besançon.

D’abord pour la confirmation du caractère parfaitement planifié de ladite invasion (une semaine avant l’opération, la Russie avait discrètement cédé à la Chine les territoires contestés depuis 1969).

Mais surtout pour leur rappel de cette singulière capacité des régimes autoritaires à jouer les victimes comme des démocraties à se laisser prendre au piège de la culpabilisation et de la « capitulation préventive »

Pusillanimité occidentale face à la Russie Françoise Thom Le Monde 20.08.08

L’invasion de la Géorgie par la Russie a révélé la démoralisation profonde dans laquelle se trouvent les Occidentaux. C’est d’ailleurs la conscience de cette démoralisation qui a enhardi Moscou et a poussé les dirigeants du Kremlin à agir avec un total mépris de la communauté internationale.

Or les nuages qui s’amoncellent sur la scène internationale laissent présager que bientôt nous pouvons être acculés à l’action, à moins d’accepter une vassalisation complète, au moins pour ce qui nous concerne, nous autres Européens. Quoi qu’il nous en coûte, nous allons devoir sortir du cocon politiquement correct dans lequel nous avons vécu tant d’années, retrouver la lucidité et le courage dont les générations post-soixante-huitardes croyaient pouvoir faire l’économie à jamais. Nous devons cesser d’être pleutres, et pour cela nous avons d’abord besoin d’appliquer une claire intelligence aux événements qui nous ont mis KO. Car le doute et la confusion nous paralysent.

L’une des causes de ce désarroi doit être cherchée dans la guerre psychologique que Moscou mène contre les Occidentaux depuis l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine. La Russie a su nous instiller une culpabilité corrosive pour avoir gagné la guerre froide. Elle s’est constamment posée en victime, au point que le refrain de la diplomatie française a été pendant des années qu' »il ne fallait pas humilier la Russie ». Au nom de ce principe, cette dernière a bénéficié d’une indulgence exceptionnelle, dont elle a usé et abusé. Quel autre pays au monde peut en effet se permettre de raser des villes, de spolier les étrangers, d’assassiner les opposants hors de ses frontières, de harceler les diplomates étrangers, de menacer ses voisins, sans provoquer autre chose que de faibles protestations ?

La raison en est que la Russie se pose constamment en victime, et elle a réussi à persuader les Occidentaux qu’ils étaient responsables de la débâcle des premières années de l’après-communisme, alors que la cause de ce fiasco tenait à l’héritage du communisme et aux caractéristiques de la nouvelle élite qui a émergé sur les ruines de l’Etat soviétique. De même que Hitler jouait à fond sur la culpabilité suscitée en Europe par le traité de Versailles, de même les Russes paralysent notre volonté en nous faisant endosser la faute de leurs déboires pendant les années Eltsine. Ainsi tout est bon : nous avons élargi l’OTAN, nous avons fait la guerre à la Yougoslavie, nous avons proclamé l’indépendance du Kosovo. En réalité, le tournant de la Russie vers ce qui allait devenir la dictature poutinienne a été pris avant ces événements. Il remonte à la crise de l’automne 1993, lorsque Boris Eltsine a donné la troupe contre la Douma et fait adopter une nouvelle Constitution qui mettait un terme à la séparation des pouvoirs et fermait à la Russie la voie de la démocratie libérale à l’européenne, – et cela, dès cette époque, au nom d’un renouveau impérial.

Les propagandistes du Kremlin ont parfaitement assimilé la phraséologie occidentale et ils la manipulent en maîtres. Encore une fois, le précédent de Hitler, qui sut jusqu’en 1938 dissimuler ses projets de conquêtes sous le slogan du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » et du « droit du peuple allemand à l’autodétermination », est particulièrement instructif : les régimes autoritaires savent concentrer le mensonge en un rayon laser dévastateur qu’ils braquent sur les centres nerveux des démocraties pétrifiées.

Aussi devons-nous avant tout nous débarrasser de cette culpabilité débilitante, à tous les sens du terme. Nous devons nous rappeler comment Vladimir Poutine est arrivé au pouvoir, par la provocation et une guerre menée contre des citoyens russes. Nous devons nous rappeler ce qu’il a réalisé en quelques années : la mise au pas totale du pays, la redistribution de la propriété au profit de son clan, l’organisation d’une propagande systématique de haine contre les Occidentaux, l’occultation des crimes du communisme, la réhabilitation de Staline, un lavage de cerveau quotidien des citoyens russes visant à leur inculquer la paranoïa, le culte de la force et l’esprit de revanche.

La Russie que nous voyons agir aujourd’hui en Géorgie atteste du succès de cette entreprise de création d’un homme nouveau qui n’a rien à envier à son précédent bolchevik. C’est devant cette Russie dangereuse que nous nous trouvons. Cessons de nous accuser et de trouver à la Russie mille excuses, qui ne servent qu’à justifier notre lâcheté. Elle nous dit qu’elle défend ses intérêts légitimes en envahissant un pays indépendant. Et dans les chancelleries occidentales, nombreux sont ceux qui sont prêts à lui reconnaître implicitement une « sphère d’influence », pour la « rassurer, apaiser » son complexe d’encerclement (c’est par les mêmes arguments que les Anglo-Saxons ont justifié l’abandon de la Pologne à Staline en 1944-1945).

A ceux-là il faut rappeler que, une semaine avant de lancer l’opération d’annexion de la Géorgie, la Russie avait discrètement cédé à la Chine les territoires contestés qui avaient failli mener à une guerre entre les deux pays en 1969. Et dans ce cas les patriotes russes de service, toujours prêts à revendiquer les terres des pays voisins, sont restés muets. La conclusion est simple : la Russie poursuit de sa vindicte les Occidentaux et les pays qui s’orientent vers l’Europe et les Etats-Unis. Elle se prétend encerclée par l’OTAN et ne se soucie nullement d’une Chine autrement agressive, dynamique et dangereuse pour sa « sphère d’influence ». Ce qu’elle hait et redoute, c’est la liberté. Elle guette avidement chez nous les signes de faiblesse, d’aveuglement, de corruption et de capitulation préventive – et elle n’a que trop d’occasions de se réjouir. Or chaque démission en appellera d’autres plus grandes.

Tant que demeurera une Europe indépendante alliée aux Etats-Unis, la Russie se sentira encerclée. La réalisation des prétendus intérêts de sécurité russes passe par l’asservissement par cercles successifs de tous ses voisins occidentaux et méridionaux. Le plus tôt nous verrons clair dans cette logique paranoïaque de Moscou, le plus tôt nous pourrons imaginer des remèdes. Mais encourager le malade dans sa folie ne sert à rien. Et croire qu’il guérira sans une épreuve de réalité est illusoire.

Françoise Thom, historienne, maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Paris-IV-Sorbonne

Voir aussi:

À l’Est, rien de nouveau Alain Besançon, historien. Le Figaro 19.08.08

C’est toujours la même chose. La Russie prépare longuement le terrain par une campagne de propagande. Elle se démocratise, fait-elle savoir, progresse à pas de géant vers l’État de droit. Elle se développe à toute allure et se présente comme un terrain d’investissements pour les entreprises occidentales. Une occasion à saisir !

En politique extérieure, la stratégie est simple et constante. Elle est de séparer l’Europe de l’alliance avec les États-Unis. De séparer l’Allemagne de ses partenaires, en lui promettant certains avantages en échange d’une position plus «amicale». De neutraliser la France en lui offrant les satisfactions de vanité dont elle est friande. De profiter de l’indifférence italienne, espagnole, des complaisances serbes, hongroises, bulgares. De pousser à la dissolution de ce qui reste de l’Union européenne en préférant systématiquement les accords bilatéraux avec ses membres.

La tactique est de choisir le moment opportun, le mois d’août, par exemple, quand elle sent les États-Unis affaiblis, embarrassés ailleurs, les Européens particulièrement divisés. C’est alors la frappe surprise. Alors nous nous apercevons soudain que nous sommes mat.

La Russie se présente comme faible : il faut l’aider, se garder de l’humilier, consolider ses progrès. Elle se présente en même temps comme redoutable par son immensité, son armée, son arsenal atomique, son pétrole. Elle fait planer une vague menace. Elle pourrait être encore pire. Apaisons-la.

Cela a commencé depuis Khrouchtchev. Et cela continue : Brejnev et la détente, Gorbatchev et la perestroïka, Poutine et la remise en ordre. Cette répétition est lassante. Mais moins encore que la répétition de nos réactions à nous, les Occidentaux. Le mensonge russe est si gros qu’il est toujours à moitié cru.

Nos diplomates, à qui la diplomatie russe ment en pleine figure, en subissent la sidération. Ils n’osent pas dire : «Vous mentez. Vous êtes au fond un tigre de papier. Votre économie est misérable, votre démographie en ruine. Retirez-vous tout de suite et rentrez chez vous.» Au lieu, nous élevons des protestations feutrées, nous appelons au dialogue, à la négociation.

La Russie garde sa proie. Et puis, c’est oublié jusqu’à la prochaine fois. «Nous n’allons pas revenir à la guerre froide», dit-on, comme si elle avait jamais cessé.

En effet, que veut la Russie de Poutine ? Pour commencer, reconstituer l’URSS. Elle est en contentieux de frontières avec l’Ukraine, l’Estonie, la Lettonie, la Moldavie, le Kazakhstan, la Géorgie. Elle a soin d’entretenir ce contentieux, de le faire suppurer et quand l’occasion se présente, de l’enflammer, comme aujourd’hui. Au lieu de s’occuper de l’épouvantable niveau sanitaire, de l’école à la dérive, elle construit des sous-marins, des porte-avions, développe des systèmes d’armes, pratique la menace et le chantage tous azimuts. Nous saluons : «La Russie a retrouvé sa fierté.» En fait elle court à sa ruine. Elle ne peut concevoir la négociation qu’en termes de victoire. Qui aura qui ? Qui dominera sur qui ?

Ce sont de fausses victoires, autant d’obstacles au développement sain et normal de ce malheureux pays, malade depuis si longtemps et que nos complaisances enfoncent dans sa maladie. La domination plutôt que la liberté, la domination plutôt que la prospérité : le peuple russe, hélas, en est intoxiqué.

Qu’au moins nous ne soyons pas intoxiqués pareillement ! À force de répétition, de crise en crise, cet appétit pour l’agrandissement finit par nous paraître naturel. C’est comme un vieux travers de la Russie, presque un élément du folklore, comme le samovar. C’est leur habitude et nous nous y habituons. Notre jobardise, notre crédulité, notre naïveté sont, avec la domination, l’autre grande satisfaction de l’État russe.

8 Responses to Russie: Chaque démission en appellera d’autres plus grandes (All Quiet on the Western Front)

  1. Mme Mamoulia dit :

    Ben voyons, Françoise Thom, Mme Mamoulia, je comprends votre amour pour la Géorgie étant donné votre situation familiale, mais épargnez les lecteurs ! Et elle est enseignante en plus !

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  2. Sebaneau dit :

    Tiens ! Il y a des macaques guébistes ici aussi !

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  3. […] Quel autre pays au monde peut en effet se permettre de raser des villes, de spolier les étrangers, d’assassiner les opposants hors de ses frontières, de harceler les diplomates étrangers, de menacer ses voisins, sans provoquer autre chose que de faibles protestations? Françoise Thom […]

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