Turquie: Les mosquées sont nos casernes (Mosques are our barracks)

Anti-Pope poster (Nov.2006)
Les mosquées sont nos casernes, les coupoles nos casques, les minarets nos baïonnettes et les croyants nos soldats. Erdogan (1998)
Curieux constat: d’une part, un régime férocement théocratique qui tente vainement d’étouffer la population la plus laïque du Moyen-Orient, alors même que le voisin turc, Etat laïque et semi-démocratique voit sa population de plus en plus imprégnée de religiosité; d’autre part, l’alliée (presque) inconditionnelle des Américains qu’est la Turquie éprouve toutes les peines du monde à canaliser l’antiaméricanisme de la population turque, quand l’Iran, opposant déclaré à Washington, voit son peuple célébrer la liberté et la démocratie américaine. Philippe Boulanger (Commentaire, Hiver 2003-2004)
Une mosquée de Pérouse servait d' »école du terrorisme », selon la police italienne (…) Les cours qui y étaient dispensés portaient sur le combat rapproché, le tir, la préparation de poisons, la fabrication de bombes et le pilotage des Boeing 747… Yahoo news (le 21/7/2007)

Quelle laïcité turque ?

A l’heure d’un si curieux mais hélas tragique chassé croisé qui voit « la population la plus laïque du Moyen-Orient étouffée par l’un des régimes les plus férocement théocratiques » (Iran) au moment même où leurs voisins d’un Etat jusqu’ici phare de la laïcité voient leur population se réislamiser à vitesse grand V …

Nul doute parce qu’après la laïcisation imposée d’en haut par le Shah, la population iranienne a, elle, déjà « donné » et sait par expérience personnelle que cette réislamisation qui avance masquée finit toujours par se révèler pour ce qu’elle est vraiment: une autre variante du totalitarisme

Retour donc, au lendemain de la nouvelle et large victoire (annoncée) du parti du premier ministre sortant turc Erdogan et avec l’excellente remise des pendules à l’heure du site Turquie européenne, sur le paradoxe vivant d’un pays musulman phare de la laïcité (allant jusqu’à abolir, on le sait, l’institution du Califat).

Mais où ladite laïcité semble plus que jamais, malgré les manifestations de mai dernier (suite, on s’en souvient, à l’assassinat d’un juge par un islamiste), remise en question par la base.

Voire… un bien ambigu premier ministre!

Dur dur d’être Turc !

Deniz Yücel Sylvestre, Metin Munir

© DY Sylvestre et Turquie Européenne pour la traduction

24/04/2007

En ne présentant pas sa candidature à l’élection présidentielle, certes, Erdogan a fait un pas en avant. Mais s’il avait pu faire encore un pas en désignant un candidat capable de rassembler tout le monde et d’être accepté par tous, nous aurions pu avancer d’une année lumière au lieu d’en rester là.

Malheureusement, il n’a pas franchi ce pas. En désignant Abdullah Gül comme candidat, il est même revenu au point de départ. Il a fait marche arrière car, pour ceux qui s’inquiètent de voir la main mise des religieux sur trois positions clés de la République (présidence, fonction de premier ministre, présidence du parlement), Abdullah Gül et Erdogan, c’est du pareil au même. Ils sont les deux faces d’une même pièce.

Ce ne sont pas des gens d’expérience, ce sont des religieux.

Le plan d’action d’Erdogan est clair : installer des hommes politiques islamistes comme lui aux postes-clés. On le voit bien que depuis qu’il est à la tête du gouvernement : il a nommé des islamistes où il pouvait, et non des experts. Pendant son mandat, aucune nomination n’a été prononcée en faisant prévaloir l’expérience sur les idées religieuses. C’est une forme de fondamentalisme (archaïsme). Si les hommes d’Erdogan avaient été non seulement islamistes mais experts, il aurait été difficile de contester leur légitimité. Malheureusement ce n’est pas le cas. Envoyer au palais un nom fidèle au mouvement islamiste n’est que le dernier maillon de cette opération.

L’AKP a recueilli 34,3 % des votes. 65.7 % des électeurs ont voté pour les autres partis. Bien sûr que cela donne sa légitimité à l’AKP pour gouverner. Mais cela ne lui donne pas le pouvoir de faire ce qu’il veut comme s’il n’y avait aucune autre idéologie en Turquie.

Ceux qui veulent la sérénité de la Turquie, ceux qui la veulent au moins aussi fort que les fidèles qui font cinq prières par jour, ne peuvent pas faire confiance au trio Erdogan-Arinç-Gül. Tous les trois sont des récidivistes. On peut se baser sur un passé pas bien lointain pour savoir ce qu’ils ont dit, ce qu’ils ont fait et ce qu’ils veulent faire. Ils prétendent avoir changé mais on ne peut pas les laisser continuer en se fiant à leur parole.

Erdogan a eu plusieurs occasions de prouver qu’il avait changé. Il pouvait désigner Kemal Derviş (ancien ministre de l’économie, social-démocrate aujourd’hui directeur du PNUD) comme le négociateur avec l’UE. Il pouvait conserver le président de la Banque Nationale. Mais non, il a mis obstinément des religieux à ces postes.

Il a raté toutes ces occasions.

La plus grande opportunité qu’il avait, il ne l’a pas non plus saisie. Il pouvait être un rassembleur, un embrasseur, un réconciliateur, un médiateur, mais il n’a pas su montrer cette dignité et cette sagesse. Il pouvait être un homme d’Etat mais il est resté un homme politique. Il pouvait être un géant, il a préféré rester un nain.

Nous aurions pu aujourd’hui être à plus d’une année lumière de là où l’on est s’il avait cherché vraiment quelqu’un que tout le monde puisse accepter pour la maison d’Atatürk*.

Mais non, il a tenu tête. Il n’a pas cherché.
Résultat : colère, anarchie, crise économique, haine inutile entre les gens… Et la musique de fond constante de la démocratie turque … les voix des généraux !!!

Dur dur d’être Turc.

29 Avril 2007, Milliyet

Etat et religion en France et en Turquie (1)

Baskın Oran

19 janvier 2007

© Marillac et Turquie Européenne pour la traduction

Notre sujet aujourd’hui, c’est-à-dire les rapports entre l’Etat et la Religion en Turquie ont toujours attiré l’attention en France.

1) D’abord, historiquement, la France radicale et anticléricale a beaucoup inspiré le laïcisme Kémaliste auquel elle s’intéressa fort. Par exemple, Edouard Herriot, grande figure du radicalisme III. République et inamovible maire de Lyon était simplement fasciné par le laïcisme et la ferveur positiviste de la République Kémaliste.
2) D’autre part, toujours historiquement, certains milieux français étaient également très intéressés, mais d’une autre manière. Certains ont eu un peu de crainte lorsque ce nationalisme et laïcisme a voulu fermer les écoles et hôpitaux français chrétiens en Turquie, parce que cela aurait nui à la présence culturelle que la France assurait a travers la scolarisation des élites locales. (Je suis du Collège Saint Joseph, à Izmir). (Garibaldi : « Le Laicisme n’est pas pour l’exportation ! »)
Mais, laissons l’histoire de coté et revenons en a nos jours, parce que c’est surtout là qu’il y a un point qui attire l’attention de la France entière sur un sujet au moins d’apparence « turc ». Le problème dit de « foulard islamique » a été importé en France surtout par des fillettes d’origine turque.

Passons maintenant du style journalistique à un discours plus académique. J’aimerais vous parler d’abord de deux termes dont je vais me servir durant cette conférence : Laïcité et sécularité. Sécularité est employé dans les pays anglophones et germanophones et de confession protestante. Elle est un attribut de la société et non de l’Etat. Dans ces pays, on ne parle même pas de laïcité ou moins encore du laïcisme, parce que la société est sécularisée. On n’a pas besoin de laïcisme.
On peut sans hésiter déclarer que la politique du laïcisme est inversement proportionnelle au degré de sécularisation d’une société.
Pourquoi cette différence entre deux termes qui veulent dire, tous les deux, que la source du pouvoir n’est plus Dieu mais la Nation ?

La réponse en est plutôt simple : Dans la première catégorie (en France, par ex.), le concept de la source du pouvoir est passé de Dieu à la Nation par la pression de l’appareil d’Etat, parce qu’une Bourgeoisie plutôt débutante y était confrontée à un Ancien Régime (féodalité) assez robuste muni d’une confession assez radicale.

Tandis que dans la seconde (Angleterre, par ex.), la société s’est libérée d’une situation spirituelle d’une manière beaucoup plus souple et sûre, par un processus beaucoup plus long qui désarma parfaitement l’Ancien Régime. (Henry VIII de l’Angleterre a « nationalisé » l’Eglise et confisqué ses terres plus de 2 siècles et demi avant la Revolution Française).
Tout ça s’est effectué sous une bourgeoisie beaucoup plus sûre d’elle-même parce qu’elle était beaucoup plus forte, et aussi beaucoup moins confrontée à une confession qui était presque « nationale », le protestantisme.

La laïcité c’est donc le problème de la liquidation de l’Ancien Régime et si nous laissions de côté des pays comme Israël et la Grèce ou, pour des raisons historiques, l’Etat et la Religion font bien la paire, nous pourrions distinguer 3 catégories de pays du point de vue de relations Etat-Religion :

1) Des pays qui n’ont jamais connu la féodalité. Ex : les USA.
Dans ce pays, l’Etat n’a rien à craindre de la Religion. Il peut donc s’offrir le luxe d’être tout a fait neutre de ce point de vue : il ne salarie ne subventionne ni empêche aucune religion et aucun culte.
Du point de vue de l’usage des symboles confessionnels, bien que ce pays soit très libéral en matière de cultes, le port des symboles religieux y est toujours très discuté, parce que l’Etat veut garder une neutralité absolue entre les confessions.

2) Des pays qui ont liquidé l’Ancien Regime par une révolution infrastructurelle (« d’en bas ») : Ex : L’Angleterre et la France, avec toutes les réserves susmentionnées.
Bien que ces pays n’aient rien à craindre de l’Ancien Régime, ils sont confrontés à ce problème de symboles suscité par des religions et confessions minoritaires qui sont étrangères a la culture de ces pays.

3) Ceux qui ont cherché a liquider l’Ancien Régime par une révolution superstructurelle (« d’en haut ») : Je ne peux en citer qu’un seul : la Turquie.
Ce pays a encore beaucoup à craindre de l’islam et ce, pour de nombreuses raisons :
a) Parce qu’elle n’a pas pu liquider le mode de production féodale et que par conséquent les reformes occidentalistes du Kemalisme ont causé des réactions énormes dans un pays a 98 % musulman.
b) Parce que la bourgeoisie « nationale » que le Kémalisme se proposait de créer était trop faible. Elle a donc besoin de pactiser avec la Religion :
Premièrement, contre le Communisme dont elle a peur ;
Deuxièmement parce qu’elle a besoin de faire du populisme pour obtenir des votes. Elle détruit une à une les reformes laïques une fois qu’elle a le pouvoir.

Surtout de ce point de vue, l’histoire des laïcismes en France et en Turquie sont diamétralement opposés : En France, le laïcisme gagne du terrain lorsque le processus démocratique est en bonne voie et perd du terrain pendant le régime Vichy, par exemple. En Turquie, 1) la laïcité est imposée par le régime autoritaire Kémaliste, 2) ensuite une transition démocratique favorise la liberté d’expression culturelle mais aussi le développement d’une action politique islamique, 3) enfin, cette mutation est dénoncée par les élites occidentalisées qui supportent une intervention militaire qui prétend restaurer l’ordre laïc. Laïcité forcée, démocratie, Islam, coup militaire laïcisant !

Le pire de ce modèle, bien sûr, sera vécu en Algérie.
* *

C’était mon introduction. A partir d’ici je vais tout simplement faire un résumé de la laïcité en Turquie tout en faisant la comparaison avec l’expérience de la France.

Tout de suite après la déclaration de la République en Octobre 1923, les Jacobins jurés qu’étaient les Kémalistes ont lancé les reformes laïques qu’on connaît assez bien :

a) Laïcisation de l’Appareil d’Etat : En un seul jour en 1924 le régime : 1) abolit le Califat et le remplace par La Direction des Affaires Religieuses placée sous l’autorité du Premier Ministre, 2) met la main sur les Fondations pieuses et leurs revenus, et 3) place toutes les écoles sous l’autorité du Ministère de l’Education publique. En 1928, la mention de l’« Islam comme religion d’Etat » disparaîtra de la Constitution et le terme « laïcité » le remplacera en 1937 (cela se passera 9 ans plus tard en France, en 1946).

b) Laïcisation de la société : En 1926 le régime adopte le Code civil Suisse touchant ainsi au cœur l’application de la Shariat (loi religieuse). Les femmes turques ont le droit de vote en 1934 (12 ans avant les françaises). Les tribunaux religieux sont supprimés et entièrement réorganisés sur le modèle français. En 1928 l’alphabet latin est adopté, portant un autre coup mortel au monopole culturel des religieux. Le régime kémaliste fermera les écoles d’imams et de prédicateurs et les facultés de théologie ; procèdera a une purification de cours de religion dans les écoles primaires et moyennes dans les années 30. Entre temps, aucune mosquée ne sera construite et la mosquée de Sainte Sophie sera transformée en musée national. D’un côté, le régime ferme les couvents, d’un autre il édifie les profils, bustes, statues et citations d’Atatürk symbolisant l’unité du corps national. Tout cela sera considéré comme sacrilège.

* *

Le même laïcisme est vécu en France après la Révolution. En déclarant la Constitution Civile du Clergé, L’Etat révolutionnaire met l’Eglise complètement sous tutelle.
Mais, après ce qu’on pourrait appeler la victoire de Marianne sur Marie, c’est la fin du kémalisme à la française. Car, a partir de 1914, cette laïcité de confrontation fait place a une laïcité de compromis. L’Etat ne s’intéresse plus à dominer l’Eglise et l’Eglise a complètement renoncé a exercer un pouvoir politique. « Les ‘deux France’ se sont mutuellement apprivoisées » et se sont séparées.
Ce sera possible, parce que les Républicains, après le départ de Mac Mahon en 1877, vont rassurer la Bourgeoisie en matière sociale et de droit de propriété.

* *

Maintenant, revenons à la Turquie. Tout cela ne s’y passera pas de la même façon.

Le jacobinisme kémaliste se termine aux premières élections libres (1950). Des lors, ce n’est pas une laïcité de compromis qui commence, mais une politique de ré-islamisation.
Cela dure une décennie et à la fin, l’armée kémaliste, scandalisée, fait un coup laïciste en 1960.
Avec le retour au régime civil un an et demi plus tard, la ré-islamisation continue comme si de rien n’était. Les facultés de théologie et surtout les écoles d’imams et de prédicateurs poussent maintenant comme des champignons et, bien que ces écoles soient des lycées préparant pour la profession religieuse seulement, leurs milliers d’élèves obtiennent en 1973 le droit d’entrer dans des facultés comme Sciences Po et Droit où traditionnellement les hauts fonctionnaires de la République sont formés. C’est le commencement de la formation de la contre-élite islamiste.

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