« TVA sociale »: Plus ça change, plus c’est la même chose (suite)

Charges socialesLe basculement des cotisations sociales patronales sur la valeur ajoutée faisait bien partie du programme présidentiel socialiste. Eric Besson
La réalité de ça, c’est qu’on va faire payer les personnes âgées qui jusqu’à maintenant ne payaient pas. Et je ne vois pas pourquoi Nicolas Sarkozy veut absolument faire payer les vieux. Dominique Strauss-Kahn
Savez-vous que les personnes âgées de plus de 59 ans, âge moyen de la retraite, consomment 70 % des dépenses sociales, y compris les soins de santé ? Au Canada, les gens de plus de 65 ans consomment seulement 50 % des dépenses sociales. Pourquoi ne pas remettre en cause cette situation atypique ? Parce que les retraités votent et pèsent d’un poids déterminant. Les jeunes eux-mêmes défendent ce système, car ils espèrent en bénéficier, ce qui ne sera pas le cas : le système est devenu intenable. Timothy B. Smith

Après le temps des douceurs électorales, le temps des douleurs et le dur retour à la réalité?

Ainsi, au-delà de l’évidente mauvaise foi de dirigeants socialistes qui n’ont plus que ça à se mettre sous la dent, le gouvernement Fillon commence-t-il, avec les cafouillages sur la TVA sociale, à faire les frais du refus (si chiraquien) du nouveau président de mettre les Français devant les inévitables restrictions et sacrifices que vont nécessiter les réformes promises et la remise en ordre des finances publiques.

« Il ne s’agit pas d’une augmentation de la TVA, il s’agit d’une réflexion sur la façon de faire porter les cotisations sociales dans notre pays », nous assure le porte-parole UMP Luc Chatel.

Oui, mais alors pourquoi passer, pour y parvenir, par la TVA (même rebaptisée « anti-délocalisation » dans une rhétorique antimondialisation et antiétranger qui rappelle, comme la sempiternelle nomination d’une commission, tant de mauvais souvenirs) et non simplement augmenter la CSG et la RDS?

Surtout que tout le monde est d’accord à gauche comme à droite qu’il est anormal que l’essentiel de la protection sociale (maladie, retraites et allocations familiales), soit financé par les entreprises et donc par le travail, ce qui bien sûr grève d’autant le coût de nos produits.

Et que la France se situe nettement au-dessus des autres pays occidentaux dans le domaine avec une charge de cotisations sociales employeurs de plus de 42% du salaire brut contre 7,8 aux EU, 10,5 en GB, 21 en Allemagne et même 32 en Suède!

De plus, pour en revenir à la TVA elle-même (invention de notre propre Inspection des impôts: un certain Maurice Lauré en 1954), notre pays a déjà la particularité d’avoir 45% de ses revenus issus de cette taxe et l’exemple allemand qui est utilisé par Fillon ne tient pas puisque, même si celle du Danemark est à 25, la nôtre est déjà au-dessus de celle de l’Allemagne (19%) contre 19,6 (17,5 en GB et, l’équivalent canadien ou américain étant plutôt une taxe « locale » – sales tax – variable selon la province ou l’état : de 6% à 14 au Canada et de 0 à 8,8 aux EU).

Mais surtout, comme le rappelait l’économiste proche du PS Thomas Piketty lors de la campagne, le principal problème de la fiscalité française est sa notoire injustice et non-progressivité (deux fois moins qu’au Royaume uni, Canada ou EU et plus de trois fois moins que le Danemark ou la Suède), ce qu’aucun gouvernement malgré les promesses répétées et contrairement à la plupart de nos partenaires de l’CDE ne se décide à réformer.

L’impôt sur le revenu, on le sait, ne constitue que 7,1% des recettes de l’Etat (à peine plus de 3% du PIB, contre 5% il y a vingt ans et au moins 7%-8% partout ailleurs) contre 45 % pour la TVA, première recette fiscale de l’État mais aussi l’impôt le plus inégalitaire puisqu’il est payé par tous les consommateurs, quels que soient leurs revenus.

Et la France est aussi championne pour les moyens de s’y soustraire (un incroyable fatras de réductions d’impôt et niches fiscales, que réduirait probablement le prélèvement à la source pratiqué dans les autres pays, autre promesse que, Nicolas Sarkozy compris, les nouveaux élus s’empressent vite d’oublier.

Sans compter que seuls 6 à 8% (contre 90% en Australie) des prestations sociales (comme les déductions fiscales pour familles nombreuses ou les aides aux mères au foyer qui profitent disproportionnellement aux foyers les plus riches) sont soumises au plafonnement sous ressources

Si notre système fiscal est aujourd’hui mal accepté, ce n’est pas tant du fait de son poids global que de son manque criant de lisibilité et d’équité.

Chère Ségolène Royal
Thomas Piketty
Le Nouvel observateur
Le 5 octobre 2006

Que veulent pour le pays les candidats à l’investiture du PS ? Réunis par la République des Idées et « le Nouvel Observateur », des experts les questionnent chacun à leur tour sur un sujet crucial. Le troisième échange épistolaire porte cette semaine sur l’égalité des chances, la protection sociale et la fiscalité

Pour la première fois depuis longtemps, les Français jeunes voire moins jeunes auront peut-être en mai prochain un(e) président(e) qui n’était pas déjà aux commandes de l’Etat quand ils étaient au biberon. Cette perspective doit permettre un renouvellement du débat politique, que les citoyens appellent de leurs voeux. Certains cependant redoutent déjà que ce débat esquive les engagements concrets, crainte que les multiples imprécisions du programme du PS ne sont guère de nature à apaiser. Je souhaiterais donc connaître vos réponses et vos propositions autour de trois groupes de questions touchant à la solidarité et à la redistribution : égalité des chances, protection sociale, fiscalité.

(…)

Réconcilier les Français avec l’impôt

L’avenir de notre modèle social dépend pour une large part de la pérennité de son financement. Sans impôts, il ne peut exister de capacité collective à agir. Mais pour que les Français maintiennent leur consentement fiscal et leur confiance dans la puissance publique, il faut qu’ils comprennent le plus simplement possible à quoi servent les impôts et comment ils sont calculés. Si notre système fiscal est aujourd’hui mal accepté, ce n’est pas tant du fait de son poids global que de son manque criant de lisibilité et d’équité.

Manque de lisibilité, d’abord, au niveau de l’architecture d’ensemble. Face à la multitude des cotisations sociales, impôts d’Etat, impôts locaux, tout le monde s’y perd. Une vaste clarification s’impose. Par exemple, cela n’a guère de sens de continuer de faire peser sur les seuls salaires le financement de prestations sociales (telles que les prestations familiales et les remboursements d’assurance-maladie) qui ont depuis longtemps perdu tout caractère contributif, et qui devraient relever de la solidarité nationale – surtout à un moment où le travail est déjà surtaxé et où l’on cherche à favoriser les créations d’emplois. La proposition visant à étendre aux bénéfices des entreprises l’assiette de ces cotisations figure dans le programme du PS. Mais elle y figurait déjà en 1997, avant d’être enterrée… Que pensez-vous d’une telle réforme ? Manque de lisibilité, ensuite, au niveau des impôts d’Etat, et surtout du plus symbolique d’entre eux, l’impôt progressif sur le revenu (IR), qui fait aujourd’hui l’objet d’un large rejet, à tel point que tous les gouvernements successifs se sentent tenus de le baisser (quitte à dénoncer ces baisses une fois dans l’opposition). L’IR français réalise en effet l’exploit de peser moins lourd que dans tous les autres pays développés (à peine plus de 3% du PIB, contre 5% il y a vingt ans et au moins 7%-8% partout ailleurs), tout en affichant des taux incompréhensibles et en apparence très élevés pour des niveaux de revenus peu considérables. Ce tour de force est la conséquence d’un mode de calcul effroyablement compliqué : les taux affichés s’appliquent non pas au revenu réel, mais au «revenu imposable par part», nettement plus faible, tout cela dans le cadre du système obscur du barème dit « en taux marginal », auquel personne ne comprend rien. A quoi s’ajoute une invraisemblable accumulation de réductions d’impôt et de niches fiscales. Résultat : les citoyens ne savent plus qui paie quoi, chacun considérant qu’il fait les frais d’un système opaque et suspectant son voisin de mieux tirer parti des dispositifs en vigueur. L’IR est ainsi devenu l’objet de fantasmes polluant l’ensemble du débat fiscal français.

Pour sortir de ce marasme et constituer un impôt sur le revenu moderne, certains envisagent de fusionner l’IR et la CSG. Mais cette proposition, évoquée sans grande précision dans le programme du PS, nécessite de nombreuses étapes intermédiaires et une solide volonté politique. Les multiples critiques dont elle a déjà fait l’objet suggèrent qu’elle risque fort de finir dans la longue liste des projets mort-nés. Pouvez-vous nous dire quelles sont vos intentions à ce sujet ?
L’analyse des systèmes étrangers suggère qu’une part essentielle des blocages provient de l’absence en France du prélèvement à la source (appliqué partout ailleurs). Cela entraînerait une simplification du mode de calcul, probablement une réduction du nombre de niches fiscales et, à terme, une possible fusion avec la CSG. Surtout, cela permettrait enfin aux Français de se rendre compte sur leur bulletin de salaire de ce qu’ils paient au titre de l’IR, de le comparer aux autres prélèvements, ce qui ouvrirait enfin la voie à un débat fiscal informé et apaisé. Là encore, il s’agit d’une réforme maintes fois promise dans le passé, mais jamais appliquée, faute d’une volonté politique claire. Tout laisse à penser que seul un engagement fort au niveau présidentiel permettrait de la mettre en place. Etes-vous disposée à prendre un tel engagement ? Dans l’attente de vos réponses sur chacune de ces questions, je vous prie d’agréer, chère Ségolène Royal, l’assurance de mes sentiments les meilleurs.

Les débats de l’Obs
La réponse de Ségolène Royal

Cher Thomas Piketty, vous avez raison : le désir de renouvellement est vif. Il est aussi global. Il porte sur les raisons et sur les façons de faire. Il pousse à dépoussiérer et à actualiser notre compréhension du monde. Il suppose d’adosser à des diagnostics partagés des politiques volontaires et solidaires en phase avec ce que vivent les Français. La crédibilité de l’action politique est à ce prix. D’une élection présidentielle comme celle de 2007, nos concitoyens attendent davantage qu’un catalogue exhaustif, fût-il excellent : des garanties sur la manière dont on s’y prendra pour régler les problèmes avec eux. Voilà pourquoi ces engagements concrets que vous appelez de vos voeux sont, à mes yeux, de méthode autant que de contenu.

(…)

Les impôts
Oui à votre description de l’opacité contre-performante de nos impôts ! Faire reposer les cotisations employeurs sur l’ensemble de la richesse produite – la valeur ajoutée – plutôt que sur les seuls salaires a effectivement un sens pour le financement de prestations universelles (famille, maladie). Ce serait le pendant, côté employeurs, du basculement sur la CSG des cotisations maladie des salariés, réalisé en 1997. En déconnectant le coût de l’embauche pour l’entreprise du financement de la protection sociale, l’objectif est de favoriser l’emploi mais sans pénaliser la croissance. Cette réforme n’est pas simple à mettre en oeuvre, et c’est sans doute pourquoi, entre 1997 et 2002, elle n’a pas été réalisée. Je crois, pour ma part, que le travail ne doit pas être plus taxé que le capital et qu’en matière fiscale les bonnes mesures combinent la lisibilité, la justice sociale et l’efficacité économique.

L’impôt sur le revenu n’est, en effet, pas ce que l’on croit. Sa composante progressive, la moins importante, n’est pas acquittée par la moitié la plus pauvre des Français, mais sa composante proportionnelle, la CSG, l’est par tous les citoyens. Leur somme est comparable au poids de l’impôt sur le revenu dans les autres pays européens, mais notre double imposition cumule les défauts. Les réductions bénéficient aux plus aisés alors que la CSG, impôt payé par tous, a tendance à croître pour équilibrer les finances sociales. L’impôt sur le revenu ne joue plus correctement son rôle redistributif. Je suis donc favorable à sa fusion avec la CSG et à la reconstruction d’un impôt citoyen clarifié, sans niches fiscales, doté d’une assiette plus large, mais progressif, comme le propose le projet socialiste. Le droit s’accorderait avec la réalité car la CSG finance aujourd’hui un service public qui n’est pas lié au statut de cotisant. Et cela créerait les conditions d’un prélèvement à la source. Mais, là encore, pas d’arrogance de gouvernement ! La volonté politique s’exerce d’autant mieux qu’on a su prendre le temps d’une large concertation avec les partenaires sociaux et de bâtir avec eux des solutions équilibrées.

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